ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

25 janvier 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Règlement (CE) no 44/2001 – Articles 15 et 16 – Compétence judiciaire en matière de contrats conclus par les consommateurs – Notion de “consommateur” – Cession entre consommateurs de droits à faire valoir à l’encontre d’un même professionnel »

Dans l’affaire C‑498/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), par décision du 20 juillet 2016, parvenue à la Cour le 19 septembre 2016, dans la procédure

Maximilian Schrems

contre

Facebook Ireland Limited,


LA COUR (troisième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. J. Malenovský, M. Safjan (rapporteur), D. Šváby et M. Vilaras, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 juillet 2017,

considérant les observations présentées :

–        pour M. Schrems, par Mes W. Proksch et H. Hofmann, Rechtsanwälte,

–        pour Facebook Ireland Limited, par Mes N. Pitkowitz, M. Foerster et K. Struckmann, Rechtsanwälte,

–        pour le gouvernement autrichien, par MM. G. Eberhard et G. Kunnert, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze, R. Kanitz et M. Hellmann, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement portugais, par MM. M. Figueiredo et L. Inez Fernandes ainsi que par Mme S. Duarte Afonso, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin et Mme M. Heller, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 novembre 2017,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 15 et 16 du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Maximilian Schrems, domicilié en Autriche, à Facebook Ireland Limited, dont le siège social se trouve en Irlande, au sujet de demandes de constatation, de cessation, d’information, de reddition de comptes, ainsi que du paiement d’un montant de 4 000 euros, concernant les comptes Facebook privés tant de M. Schrems que de sept autres personnes ayant cédé à celui-ci leurs droits relatifs à ces comptes.

 Le cadre juridique

 Le règlement no 44/2001

3        Aux termes des considérants 8, 11 et 13 du règlement no 44/2001 :

« (8)      Il doit exister un lien entre les litiges couverts par le présent règlement et le territoire des États membres qu’il lie. Les règles communes en matière de compétence doivent donc s’appliquer en principe lorsque le défendeur est domicilié dans un de ces États membres.

[...]

(11)      Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de juridictions.

[...]

(13)      S’agissant des contrats d’assurance, de consommation et de travail, il est opportun de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales. »

4        L’article 2 dudit règlement dispose :

« 1.      Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.

2.      Les personnes qui ne possèdent pas la nationalité de l’État membre dans lequel elles sont domiciliées y sont soumises aux règles de compétence applicables aux nationaux. »

5        La section 4 du chapitre II du règlement no 44/2001, intitulée « Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs », comprend les articles 15 à 17.

6        L’article 15 de ce règlement dispose :

« 1.      En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions de l’article 4 et de l’article 5, point 5 :

a)      lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels ;

b)      lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets ;

c)      lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.

2.      Lorsque le cocontractant du consommateur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État membre, il est considéré pour les contestations relatives à leur exploitation comme ayant son domicile sur le territoire de cet État.

3.      La présente section ne s’applique pas aux contrats de transport autres que ceux qui, pour un prix forfaitaire, combinent voyage et hébergement. »

7        L’article 16 dudit règlement prévoit :

« 1.      L’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié.

2.      L’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le consommateur.

3.      Les dispositions du présent article ne portent pas atteinte au droit d’introduire une demande reconventionnelle devant le tribunal saisi d’une demande originaire conformément à la présente section. »

8        L’article 17 du même règlement énonce :

« Il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions :

1)      postérieures à la naissance du différend, ou

2)      qui permettent au consommateur de saisir d’autres tribunaux que ceux indiqués à la présente section, ou

3)      qui, passées entre le consommateur et son cocontractant ayant, au moment de la conclusion du contrat, leur domicile ou leur résidence habituelle dans un même État membre, attribuent compétence aux tribunaux de cet État membre, sauf si la loi de celui-ci interdit de telles conventions. »

 Le règlement (UE) no 1215/2012

9        Le règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1), a abrogé le règlement no 44/2001. Toutefois, conformément à son article 66, paragraphe 1, le règlement no 1215/2012 n’est applicable qu’aux actions judiciaires intentées à compter du 10 janvier 2015.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

10      M. Schrems utilise le réseau social Facebook depuis l’année 2008. Au début, il a utilisé ce réseau social seulement à des fins personnelles sous un faux nom. Depuis l’année 2010, il consacre un compte Facebook à ses seules activités privées comme l’échange de photographies, la conversation et l’affichage avec environ 250 amis. Il y écrit son nom en lettres cyrilliques, afin d’empêcher toute recherche sur son nom. En outre, depuis l’année 2011, il a ouvert une page Facebook qu’il a enregistrée et créée lui-même, afin d’informer les internautes de son action contre Facebook Ireland, de ses conférences, de ses participations à des débats et de ses interventions dans les médias, ainsi que de lancer des appels aux dons et de faire de la publicité pour ses livres.

11      Dès le mois d’août 2011, M. Schrems a déposé devant la commission irlandaise pour la protection des données 23 réclamations contre Facebook Ireland, dont une a donné lieu à un renvoi préjudiciel devant la Cour (arrêt du 6 octobre 2015, Schrems, C‑362/14, EU:C:2015:650).

12      M. Schrems a publié deux livres concernant son action contre de supposées violations de la protection des données, a donné des conférences, dont certaines rémunérées, notamment chez des organisateurs professionnels, a enregistré de nombreux sites Internet tels que des blogs, des pétitions en ligne ainsi que des sites de financement participatif des actions contre la défenderesse au principal. Par ailleurs, il a fondé une association visant à faire respecter le droit fondamental à la protection des données, a reçu différents prix et s’est fait céder, par plus de 25 000 personnes du monde entier, des droits afin de les faire valoir dans la présente affaire.

13      L’association fondée par M. Schrems et visant à faire respecter la protection des données ne poursuit pas de but lucratif et a pour objet de faire respecter le droit fondamental à la protection des données, le travail d’accompagnement nécessaire en matière d’information et auprès des médias, ainsi que d’information politique. Son objectif est de soutenir financièrement des affaires pilotes d’intérêt général contre des entreprises qui menacent potentiellement ce droit fondamental. Il s’agit également d’apporter des financements nécessaires et, à cet effet, de collecter des dons, de les gérer et de les reverser.

14      M. Schremsfait valoir, en substance, que la défenderesse est coupable de nombreuses violations de dispositions en matière de protection des données, notamment du Datenschutzgesetz 2000 (loi autrichienne de 2000 relative à la protection des données), du Data protection Act 1988 (loi irlandaise de 1988 relative à la protection des données), ou de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO 1995, L 281, p. 31).

15      M. Schrems a introduit, devant le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien (tribunal régional des affaires civiles de Vienne, Autriche), des demandes détaillées, premièrement, de constatation concernant la qualité de simple prestataire de service de la défenderesse au principal et la subordination de celle-ci aux instructions données ou sa qualité de donneur d’ordre, lorsque le traitement est effectué à des fins propres, ainsi que l’invalidité de clauses contractuelles relatives aux conditions d’utilisation, deuxièmement, de cessation concernant l’utilisation à ses propres fins ou à celles de tiers de ses données, troisièmement, d’information concernant l’utilisation de ses données et, quatrièmement, de reddition de comptes et d’exécution concernant l’ajustement des clauses contractuelles, la réparation et l’enrichissement sans cause.

16      Il dit se fonder à cette fin tant sur ses propres droits que sur ceux, similaires, que sept autres partenaires contractuels de la défenderesse au principal, qui seraient également des consommateurs et habiteraient en Autriche, en Allemagne ou en Inde, lui auraient cédés en vue de son action contre Facebook Ireland.

17      Selon M. Schrems, ladite juridiction est internationalement compétente en tant que for du consommateur, conformément à l'article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001.

18      Facebook Ireland soulève, notamment, l’objection d’absence de compétence internationale.

19      Le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien (tribunal régional des affaires civiles de Vienne) a rejeté le recours de M. Schrems au motif que, celui-ci utilisant Facebook également à des fins professionnelles, il ne pouvait pas invoquer le for du consommateur. Selon cette juridiction, le for privé du cédant ne devient pas celui du cessionnaire.

20      M. Schrems a interjeté appel de l’ordonnance de première instance devant l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieure de Vienne, Autriche). Celui-ci a réformé partiellement cette ordonnance. Il a accueilli les prétentions liées au contrat personnellement conclu entre le requérant au principal et la défenderesse au principal. En revanche, il a rejeté le recours, dans la mesure où celui-ci concernait les droits cédés, au motif que le for du consommateur est réservé au requérant au principal faisant valoir des prétentions qui lui sont propres. Par conséquent, M. Schrems ne pouvait obtenir l’application de l’article 16, paragraphe 1, second cas de figure, du règlement no 44/2001, lorsqu’il a fait valoir des droits cédés. Toutefois, pour le reste, cette juridiction a rejeté les exceptions de procédure soulevées par Facebook Ireland.

21      Les deux parties ont formé un pourvoi en Revision contre cette décision devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche).

22      Cette juridiction expose que, si le requérant au principal était qualifié de « consommateur », la procédure devrait être engagée à Vienne. Il en irait de même de la procédure concernant les droits de consommateurs qui habitent à Vienne. Cela ne représenterait pas une charge supplémentaire importante pour la défenderesse au principal si la présente procédure visait également à faire valoir contre elle d’autres droits cédés.

23      La juridiction de renvoi considère, toutefois, que, eu égard à la jurisprudence de la Cour, il est impossible de répondre avec la certitude requise à la question de savoir dans quelle mesure un consommateur qui se fait céder des droits d’autres consommateurs, afin de les faire valoir collectivement, peut invoquer le for du consommateur.

24      C’est dans ces circonstances que l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 15 du règlement no 44/2001 [...] doit-il être interprété en ce sens qu’un “consommateur”, au sens de cet article, perd cette qualité lorsque, après avoir utilisé pendant relativement longtemps un compte Facebook privé, afin de faire valoir ses droits, il publie des livres, et donne des conférences qui sont parfois également rémunérées, exploite des sites Internet, collecte des dons afin de faire valoir les droits et se fait céder les droits de nombreux consommateurs en contrepartie de l’assurance de leur remettre le montant obtenu, après déduction des frais de justice, au cas où il obtiendrait gain de cause ?

2)      L’article 16 du règlement no 44/2001 doit-il être interprété en ce sens qu’un consommateur peut faire valoir dans un État membre, devant le tribunal du lieu de son domicile, en même temps que ses propres droits issus d’un contrat conclu par un consommateur, également des droits semblables d’autres consommateurs ayant leur domicile

a)      dans le même État membre,

b)      dans un autre État membre ou

c)      dans un État tiers,

lorsque ces droits, issus de contrats conclus par des consommateurs avec la même partie défenderesse dans le même contexte juridique, lui ont été cédés et que l’opération de cession ne relève pas d’une activité professionnelle du requérant, mais vise à faire valoir collectivement les droits ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

25      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15 du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’un utilisateur d’un compte Facebook privé ne perd pas la qualité de « consommateur », au sens de cet article, lorsqu’il publie des livres, donne des conférences, exploite des sites Internet, collecte des dons et se fait céder les droits de nombreux consommateurs afin de faire valoir ces derniers en justice.

26      À titre liminaire, il convient de rappeler que, dans la mesure où le règlement no 44/2001 remplace la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de ladite convention vaut également pour celles dudit règlement, lorsque les dispositions de ces instruments peuvent être qualifiées d’« équivalentes » (arrêt du 28 janvier 2015, Kolassa, C‑375/13, EU:C:2015:37, point 21 et jurisprudence citée), ce qui est le cas en l’occurrence.

27      Dans le système du règlement no 44/2001, la compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur a son domicile constitue le principe général, énoncé à l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement. Ce n’est que par dérogation à ce principe que cette disposition prévoit des cas limitativement énumérés dans lesquels le défendeur peut ou doit être attrait devant une juridiction d’un autre État membre. En conséquence, les règles de compétence dérogatoires à ce principe général sont d’interprétation stricte, en ce sens qu’elles ne sauraient donner lieu à une interprétation allant au-delà des hypothèses expressément envisagées par ledit règlement (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2005, Gruber, C‑464/01, EU:C:2005:32, point 32).

28      Si les notions employées par le règlement no 44/2001, et notamment celles figurant à l’article 15, paragraphe 1, de ce règlement, doivent être interprétées de façon autonome, en se référant principalement au système et aux objectifs dudit règlement, afin d’assurer l’application uniforme de celui-ci dans tous les États membres (arrêt du 28 janvier 2015, Kolassa, C‑375/13, EU:C:2015:37, point 22 et jurisprudence citée), il y a lieu, pour assurer le respect des objectifs poursuivis par le législateur de l’Union dans le domaine des contrats conclus par les consommateurs ainsi que la cohérence du droit de l’Union, de tenir également compte de la notion de « consommateur » contenue dans d’autres réglementations du droit de l’Union (arrêt du 5 décembre 2013, Vapenik C‑508/12, EU:C:2013:790, point 25).

29      À cet égard, la Cour a précisé que la notion de « consommateur », au sens des articles 15 et 16 du règlement no 44/2001, doit être interprétée de manière restrictive, en se référant à la position de cette personne dans un contrat déterminé, en rapport avec la nature et la finalité de celui-ci, et non pas à la situation subjective de cette même personne, une seule et même personne pouvant être considérée comme un consommateur dans le cadre de certaines opérations et comme un opérateur économique dans le cadre d’autres opérations (voir, en ce sens, arrêts du 3 juillet 1997, Benincasa, C‑269/95, EU:C:1997:337, point 16, et du 20 janvier 2005, Gruber, C‑464/01, EU:C:2005:32, point 36).

30      La Cour en a déduit que seuls les contrats conclus en dehors et indépendamment de toute activité ou finalité d’ordre professionnel, dans l’unique but de satisfaire aux propres besoins de consommation privée d’un individu, relèvent du régime particulier prévu par ledit règlement en matière de protection du consommateur en tant que partie réputée faible, alors qu’une telle protection ne se justifie pas en cas de contrat ayant comme but une activité professionnelle (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2005, Gruber, C‑464/01, EU:C:2005:32, point 36).

31      Il s’ensuit que les règles de compétence spécifiques des articles 15 à 17 du règlement no 44/2001 ne trouvent, en principe, à s’appliquer que dans l’hypothèse où la finalité du contrat conclu entre les parties a pour objet un usage autre que professionnel du bien ou du service concerné (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2005, Gruber, C‑464/01, EU:C:2005:32, point 37).

32      En ce qui concerne plus particulièrement une personne qui conclut un contrat pour un usage se rapportant en partie à son activité professionnelle et n’étant donc qu’en partie seulement étranger à celle-ci, la Cour a considéré qu’elle pourrait bénéficier desdites dispositions seulement dans l’hypothèse où le lien dudit contrat avec l’activité professionnelle de l’intéressé serait si ténu qu’il deviendrait marginal et, partant, n’aurait qu’un rôle négligeable dans le contexte de l’opération pour laquelle ce contrat a été conclu considérée dans sa globalité (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2005, Gruber, C‑464/01, EU:C:2005:32, point 39).

33      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner si un utilisateur d’un compte Facebook ne perd pas la qualité de « consommateur », au sens de l’article 15 du règlement no 44/2001, dans des circonstances telles que celles en cause au principal.

34      À cet égard, il ressort notamment de la décision de renvoi que M. Schrems a tout d’abord utilisé, entre les années 2008 et 2010, un compte Facebook qu’il avait ouvert exclusivement à des fins privées alors que, depuis l’année 2011, il a également utilisé une page Facebook.

35      Selon le requérant au principal, il existe deux contrats distincts, à savoir l’un pour la page Facebook et l’autre pour le compte Facebook. En revanche, selon Facebook Ireland, le compte Facebook et la page Facebook relèvent d’une seule et même relation contractuelle.

36      S’il appartient à la juridiction de renvoi d’établir si M. Schrems et Facebook Ireland sont effectivement liés par un ou plusieurs contrats et d’en tirer les conséquences pour ce qui concerne la qualité de « consommateur », il convient de préciser que même une éventuelle liaison contractuelle entre le compte Facebook et la page Facebook ne préjugerait pas de l’appréciation de ladite qualité à l’aune des principes rappelés aux points 29 à 32 du présent arrêt.

37      Dans le cadre de celle-ci, conformément à l’exigence, rappelée au point 29 du présent arrêt, d’interpréter de manière restrictive la notion de « consommateur », au sens de l’article 15 du règlement no 44/2001, il y a notamment lieu de tenir compte, s’agissant de services d’un réseau social numérique ayant vocation à être utilisés pendant une longue durée, de l’évolution ultérieure de l’usage qui est fait de ces services.

38      Cette interprétation implique, notamment, qu’un requérant utilisateur de tels services pourrait invoquer la qualité de consommateur seulement si l’usage essentiellement non professionnel de ces services, pour lequel il a initialement conclu un contrat, n’a pas acquis, par la suite, un caractère essentiellement professionnel.

39      En revanche, étant donné que la notion de « consommateur » se définit par opposition à celle d’« opérateur économique » (voir, en ce sens, arrêts du 3 juillet 1997, Benincasa, C‑269/95, EU:C:1997:337, point 16, et du 20 janvier 2005, Gruber, C‑464/01, EU:C:2005:32, point 36) et qu’elle est indépendante des connaissances et des informations dont la personne concernée dispose réellement (arrêt du 3 septembre 2015, Costea, C‑110/14, EU:C:2015:538, point 21), ni l’expertise que cette personne peut acquérir dans le domaine duquel relèvent lesdits services ni son engagement aux fins de la représentation des droits et des intérêts des usagers de ces services ne lui ôtent la qualité de « consommateur », au sens de l’article 15 du règlement no 44/2001.

40      En effet, une interprétation de la notion de « consommateur » qui exclurait de telles activités reviendrait à empêcher une défense effective des droits que les consommateurs détiennent à l’égard de leurs cocontractants professionnels, y compris ceux relatifs à la protection de leurs données personnelles. Une telle interprétation méconnaîtrait l’objectif énoncé à l’article 169, paragraphe 1, TFUE de promouvoir leur droit à s’organiser afin de préserver leurs intérêts.

41      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 15 du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’un utilisateur d’un compte Facebook privé ne perd pas la qualité de « consommateur », au sens de cet article, lorsqu’il publie des livres, donne des conférences, exploite des sites Internet, collecte des dons et se fait céder les droits de nombreux consommateurs afin de faire valoir ces droits en justice.

 Sur la seconde question

42      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas à l’action d’un consommateur visant à faire valoir, devant le tribunal du lieu où il est domicilié, non seulement ses propres droits, mais également des droits cédés par d’autres consommateurs domiciliés dans le même État membre, dans d’autres États membres ou dans des États tiers.

43      À cet égard, il importe de rappeler, d’abord, que les règles de compétence figurant à la section 4 du chapitre II du règlement no 44/2001 constituent une dérogation tant à la règle générale de compétence édictée à l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement, attribuant la compétence aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur est domicilié, qu’à la règle de compétence spéciale en matière de contrats, énoncée à l’article 5, point 1, de ce même règlement, selon laquelle le tribunal compétent est celui du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée. Ainsi, ces règles doivent nécessairement faire l’objet d’une interprétation stricte (voir arrêt du 28 janvier 2015, Kolassa, C‑375/13, EU:C:2015:37, point 28 et jurisprudence citée).

44      Ensuite, la Cour a déjà relevé que le régime particulier institué aux articles 15 et suivants du règlement no 44/2001 étant inspiré par le souci de protéger le consommateur en tant que partie au contrat réputée économiquement plus faible et juridiquement moins expérimentée que son cocontractant, le consommateur n’est protégé qu’en tant qu’il est personnellement demandeur ou défendeur dans une procédure. Dès lors, le demandeur qui n’est pas lui-même partie au contrat de consommation en cause ne saurait bénéficier du for du consommateur (voir, en ce sens, arrêt du 19 janvier 1993, Shearson Lehman Hutton, C‑89/91, EU:C:1993:15, points 18, 23 et 24). Ces considérations doivent également valoir à l’égard d’un consommateur cessionnaire de droits d’autres consommateurs.

45      En effet, les règles de compétence établies, en matière de contrats conclus par les consommateurs, à l’article 16, paragraphe 1, dudit règlement s’appliquent, conformément au libellé de cette disposition, seulement à l’action intentée par le consommateur contre l’autre partie au contrat, ce qui implique nécessairement la conclusion d’un contrat par le consommateur avec le professionnel mis en cause (arrêt du 28 janvier 2015, Kolassa, C‑375/13, EU:C:2015:37, point 32).

46      La condition relative à l’existence d’un contrat conclu entre le consommateur et le professionnel mis en cause permet de garantir la prévisibilité de l’attribution de compétence, qui est l’un des objectifs du règlement no 44/2001, ainsi qu’il ressort du considérant 11 de celui-ci.

47      Enfin, contrairement à ce qui a été avancé, dans le cadre de la présente procédure, par M. Schrems ainsi que par les gouvernements autrichien et allemand, le fait pour le cessionnaire consommateur de pouvoir, en tout état de cause, introduire, devant le tribunal du lieu de son domicile, une action au titre des droits qu’il tire personnellement d’un contrat conclu avec le défendeur, analogues à ceux qui lui ont été cédés, n’est pas de nature à faire également relever ces derniers de la compétence de ce tribunal.

48      En effet, comme la Cour l’a précisé dans un autre contexte, une cession de créances ne saurait, en elle-même, avoir d’incidence sur la détermination de la juridiction compétente (arrêts du 18 juillet 2013, ÖFAB, C‑147/12, EU:C:2013:490, point 58, et du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide, C‑352/13, EU:C:2015:335, point 35). Il s’ensuit que la compétence des juridictions autres que celles visées de manière explicite par le règlement no 44/2001 ne saurait être établie au moyen d’une concentration de plusieurs droits dans le chef d’un seul requérant. Dès lors, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 98 de ses conclusions, une cession telle que celle en cause au principal ne saurait fonder un nouveau for spécifique au consommateur cessionnaire.

49      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas à l’action d’un consommateur visant à faire valoir, devant le tribunal du lieu où il est domicilié, non seulement ses propres droits, mais également des droits cédés par d’autres consommateurs domiciliés dans le même État membre, dans d’autres États membres ou dans des États tiers.

 Sur les dépens

50      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 15 du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’un utilisateur d’un compte Facebook privé ne perd pas la qualité de « consommateur », au sens de cet article, lorsqu’il publie des livres, donne des conférences, exploite des sites Internet, collecte des dons et se fait céder les droits de nombreux consommateurs afin de faire valoir ces droits en justice.

2)      L’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas à l’action d’un consommateur visant à faire valoir, devant le tribunal du lieu où il est domicilié, non seulement ses propres droits, mais également des droits cédés par d’autres consommateurs domiciliés dans le même État membre, dans d’autres États membres ou dans des États tiers.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.