Affaire C644/18

Commission européenne

contre

Italie

 Arrêt de la Cour (grande chambre) du 10 novembre 2020

« Manquement d’État – Environnement – Directive 2008/50/CE – Qualité de l’air ambiant – Article 13, paragraphe 1, et annexe XI – Dépassement systématique et persistant des valeurs limites fixées pour les microparticules (PM10) dans certaines zones et agglomérations italiennes – Article 23, paragraphe 1 – Annexe XV – Période de dépassement “la plus courte possible” – Mesures appropriées »

1.        Recours en manquement – Objet du litige – Détermination au cours de la procédure précontentieuse – Prise en compte de faits postérieurs à l’avis motivé – Conditions – Faits de même nature et constitutifs du même comportement que ceux primitivement visés

(Art. 258 TFUE)

(voir point 66)

2.        Recours en manquement – Objet du litige – Détermination au cours de la procédure précontentieuse – Formulation plus détaillée des griefs dans le mémoire en réplique, sans modification ni élargissement de l’objet du litige – Admissibilité

(Art. 258 TFUE)

(voir points 67, 68)

3.        Environnement – Pollution atmosphérique – Qualité de l’air ambiant – Directive 2008/50 – Valeurs limites pour la protection de la santé humaine – Dépassement systématique et persistant – Manquement

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2008/50, art. 13, § 1, et annexe XI)

(voir points 70-81)

4.        Recours en manquement – Caractère objectif – Origine du manquement – Absence d’incidence

(Art. 258 TFUE)

(voir points 82-90)

5.        Environnement – Pollution atmosphérique – Qualité de l’air ambiant – Directive 2008/50 – Valeurs limites pour la protection de la santé humaine – Particules PM10 – Dépassement systématique et persistant de la valeur limite dans une seule zone – Inadmissibilité – Manquement systématique et persistant

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2008/50, art. 13, § 1, et annexe XI)

(voir points 95-97)

6.        Environnement – Pollution atmosphérique – Qualité de l’air ambiant – Directive 2008/50 – Valeurs limites pour la protection de la santé humaine – Particules PM10 – Dépassement – Conséquences – Obligation pour l’État membre d’établir un plan pour y remédier – Délai – Défaut d’adoption de mesures appropriées et efficaces garantissant la période de dépassement la plus courte possible – Manquement

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2008/50, art. 13, § 1, et 23, § 1)

(voir points 132-147)

7.        Environnement – Pollution atmosphérique – Qualité de l’air ambiant – Directive 2008/50 – Dépassement des valeurs limites de qualité de l’air – Obligation d’établir un plan pour y remédier – Délai – Fixation d’une période excessivement longue – Inadmissibilité – Manquement

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2008/50, art. 23, § 1)

(voir points 148-152)

Résumé

L’Italie a enfreint le droit de l’Union sur la qualité de l’air ambiant

Les valeurs limites applicables aux concentrations de particules PM10 ont été dépassées de manière systématique et persistante entre 2008 et 2017

En 2014, la Commission européenne a engagé une procédure en manquement contre la République italienne en raison du dépassement systématique et persistant, dans un certain nombre de zones du territoire italien, des valeurs limites fixées pour les particules PM10 par la directive « qualité de l’air » (1).

La Commission estimait, en effet, d’une part, que, depuis l’année 2008, la République italienne avait dépassé, de façon systématique et persistante, dans les zones concernées, les valeurs limites journalière et annuelle applicables aux concentrations de particules PM10, en vertu de l’article 13, paragraphe 1, lu en combinaison avec l’annexe XI, de la directive « qualité de l’air ». D’autre part, la Commission faisait grief à la République italienne d’avoir manqué à l’obligation qui lui incombait, au titre de l’article 23, paragraphe 1, lu en combinaison avec l’annexe XV de cette même directive, d’adopter les mesures appropriées pour garantir le respect des valeurs limites fixées pour les particules PM10 dans l’ensemble des zones concernées.

Estimant insuffisantes les explications fournies à ce sujet par la République italienne au cours de la procédure précontentieuse, la Commission a saisi la Cour, le 13 octobre 2018, d’un recours en manquement.

Dans l’arrêt prononcé le 10 novembre 2020, la Cour, réunie en grande chambre à la demande de la République italienne, a accueilli ce recours.

En premier lieu, en ce qui concerne le grief tiré d’une violation systématique et persistante des dispositions combinées de l’article 13, paragraphe 1, et de l’annexe XI de la directive « qualité de l’air », la Cour juge ledit grief fondé, au regard des éléments avancés par la Commission pour les périodes et les zones faisant l’objet de la procédure. À cet égard, la Cour rappelle, d’emblée, que le fait de dépasser les valeurs limites fixées pour les particules PM10 suffit en soi pour pouvoir établir un manquement aux dispositions de la directive « qualité de l’air » susmentionnées. Or, en l’espèce, la Cour constate que, de l’année 2008 à l’année 2017 incluse, les valeurs limites journalière et annuelle fixées pour les particules PM10 ont été très régulièrement dépassées dans les zones concernées. Selon la Cour, le fait que les valeurs limites en question n’ont pas été dépassées au cours de certaines années de la période considérée ne fait pas obstacle au constat, dans une telle situation, d’un manquement systématique et persistant aux dispositions en cause. En effet, selon la définition même de la « valeur limite » retenue par la directive « qualité de l’air », celle-ci doit, afin d’éviter de prévenir ou de réduire les effets nocifs sur la santé humaine et/ou l’environnement dans son ensemble, être atteinte dans un délai donné et ne pas être dépassée une fois atteinte. En outre, la Cour souligne que, lorsqu’un tel constat a été établi, comme en l’espèce, il importe peu que le manquement résulte de la volonté de l’État membre auquel il est imputable, de sa négligence ou bien encore de difficultés techniques ou structurelles auxquelles celui-ci aurait été confronté, sauf à établir l’existence de circonstances exceptionnelles dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toutes les diligences déployées. En l’occurrence, n’étant pas parvenue à apporter une telle preuve, c’est donc en vain que la République italienne a pris appui sur la diversité des sources de pollution de l’air pour soutenir que certaines d’entre elles ne sauraient lui être imputées, comme par exemple celles qui seraient influencées par les politiques européennes sectorielles, ou sur les particularités topographiques et climatiques de certaines zones concernées. Enfin, la Cour n’accorde aucune pertinence à la circonstance, invoquée par la République italienne, de l’étendue limitée, au regard de l’ensemble du territoire national, des zones sur lesquelles portent les griefs invoqués par la Commission. Elle précise à cet égard que le dépassement des valeurs limites fixées pour les particules PM10, même au sein d’une seule zone, suffit en soi pour que puisse être constaté un manquement aux dispositions susmentionnées de la directive « qualité de l’air ».

En second lieu, en ce qui concerne le grief tiré d’un défaut d’adoption de mesures propres à limiter la durée de la période de dépassement des valeurs limites fixées pour les particules PM10, conformément aux exigences de l’article 23, paragraphe 1, lu seul et en combinaison avec la section A de l’annexe XV de la directive « qualité de l’air », la Cour le juge également fondé. À cet égard, elle rappelle que, en vertu de ces dispositions, en cas de dépassement desdites valeurs limites après le délai prévu pour leur application, l’État membre concerné est tenu d’établir un plan relatif à la qualité de l’air qui réponde aux exigences de cette directive, notamment à celle de prévoir les mesures appropriées pour que la période de dépassement de ces valeurs limites soit la plus courte possible. La Cour souligne, dans ce contexte, que si un tel dépassement ne suffit pas, à lui seul, pour établir le manquement aux obligations incombant aux États membres au titre desdites dispositions de la directive « qualité de l’air » et s’ils disposent d’une certaine marge de manœuvre pour la détermination des mesures à adopter, il n’en demeure pas moins que ces mesures doivent, en tout état de cause, permettre que la période d’un tel dépassement soit la plus courte possible.

Or, en l’occurrence, la Cour constate que la République italienne n’a manifestement pas adopté, en temps utile, les mesures ainsi exigées. À l’appui de son constat, elle se réfère aux éléments figurant dans le dossier dont il ressort, en particulier, que le dépassement des valeurs limites journalière et annuelle fixées pour les particules PM10 est demeuré systématique et persistant durant au moins huit années dans les zones concernées, que, malgré le processus visant à atteindre ces valeurs limites en cours en République italienne, les mesures prévues aux plans relatifs à la qualité de l’air soumis à la Cour, notamment celles visant à entraîner des changements structurels spécifiquement au regard des facteurs principaux de pollution, n’ont, pour une grande majorité d’entre elles, été prévues que très récemment et que plusieurs de ces plans annoncent une durée de réalisation des objectifs relatifs à la qualité de l’air pouvant s’étendre sur plusieurs années, voire même sur deux décennies, après l’entrée en vigueur desdites valeurs limites. Selon la Cour, une telle situation démontre, par elle-même, que la République italienne n’a pas mis à exécution de mesures appropriées et efficaces pour que la période de dépassement des valeurs limites fixées pour les particules PM10 soit la plus courte possible. Par ailleurs, alors que la République italienne estimait indispensable, notamment au regard des principes de proportionnalité, de subsidiarité et d’équilibre entre les intérêts publics et les intérêts privés, de disposer de délais longs pour que les mesures prévues dans les différents plans relatifs à la qualité de l’air puissent produire leurs effets, la Cour observe, au contraire, qu’une telle approche se heurte tant aux références temporelles prévues par la directive « qualité de l’air » pour satisfaire aux obligations fixées par celle-ci, qu’à l’importance des objectifs de protection de la santé humaine et de l’environnement, poursuivis par cette directive. En effet, tout en reconnaissant que l’article 23, paragraphe 1, de la directive « qualité de l’air » ne peut pas exiger que les mesures adoptées par un État membre garantissent le respect immédiat de ces valeurs limites pour qu’elles puissent être considérées comme appropriées, la Cour souligne que l’approche de la République italienne reviendrait à admettre une prolongation générale, le cas échéant, sine die, du délai pour respecter ces valeurs, alors qu’elles ont été fixées précisément dans l’optique d’atteindre ces objectifs.


1      Directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe (JO 2008, L 152, p. 1).