ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

16 juillet 2015 (*)

«Concurrence – Article 102 TFUE – Entreprise détenant un brevet essentiel à une norme qu’elle s’est engagée, auprès de l’organisme de normalisation, à donner en licence aux tiers à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires dites ‘FRAND’ (‘fair, reasonable and non-discriminatory’) – Abus de position dominante – Actions en contrefaçon – Action en cessation – Action en rappel de produits – Action aux fins de fourniture de données comptables – Action en réparation – Obligations du titulaire du brevet essentiel à une norme»

Dans l’affaire C‑170/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landgericht Düsseldorf (Allemagne), par décision du 21 mars 2013, parvenue à la Cour le 5 avril 2013, dans la procédure

Huawei Technologies Co. Ltd

contre

ZTE Corp.,

ZTE Deutschland GmbH,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. C. Vajda, A. Rosas, E. Juhász et D. Šváby (rapporteur), juges,

avocat général: M. M. Wathelet,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 septembre 2014,

considérant les observations présentées:

–        pour Huawei Technologies Co. Ltd, par Mes C. Harmsen, S. Barthelmess, J. Witting, Rechtsanwälte, Me D. Geradin, avocat, ainsi que par Me M. Dolmans, advocaat,

–        pour ZTE Corp. et ZTE Deutschland GmbH, par Me M. Fähndrich, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. Bulterman, C. Schillemans et B. Koopman, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes et Mme S. Oliveira Pais, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement finlandais, par M. J. Heliskoski, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. F. W. Bulst, A. Dawes et F. Ronkes Agerbeek, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 novembre 2014,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 102 TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Huawei Technologies Co. Ltd (ci-après «Huawei Technologies») à ZTE Corp. et à ZTE Deutschland GmbH (ci-après «ZTE») au sujet d’une contrefaçon alléguée d’un brevet essentiel à une norme établie par un organisme de normalisation (ci-après un «BEN»).

 Le cadre juridique

 Le droit international

3        La convention sur la délivrance de brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973 et entrée en vigueur le 7 octobre 1977, dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la «CBE»), institue, ainsi que l’énonce son article 1er, un «droit commun aux États contractants en matière de délivrance de brevets d’invention».

4        À l’exception des règles communes relatives à la délivrance du brevet européen, celui-ci demeure régi par la réglementation nationale de chacun des États contractants pour lequel il a été délivré. À cet égard, l’article 2, paragraphe 2, de la CBE stipule:

«Dans chacun des États contractants pour lesquels il est délivré, le brevet européen a les mêmes effets et est soumis au même régime qu’un brevet national délivré dans cet État [...]»

5        S’agissant des droits conférés au titulaire d’un brevet européen, l’article 64, paragraphes 1 et 3, de ladite convention prévoit:

«(1)      [Le] brevet européen confère à son titulaire, à compter du jour de la publication de la mention de sa délivrance et dans chacun des États contractants pour lesquels il a été délivré, les mêmes droits que lui conférerait un brevet national délivré dans cet État.

[...]

(3)      Toute contrefaçon du brevet européen est appréciée conformément aux dispositions de la législation nationale.»

 Le droit de l’Union

6        La directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO L 157, p. 45), énonce, à ses considérants 10, 12 et 32, ce qui suit:

«(10)      L’objectif de la présente directive est de rapprocher ces législations afin d’assurer un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle dans le marché intérieur.

[...]

(12)      La présente directive ne devrait pas avoir d’incidence sur l’application des règles de concurrence, en particulier les articles 81 et 82 du traité. Les mesures prévues par la présente directive ne devraient pas être utilisées pour restreindre indûment la concurrence d’une manière qui soit contraire au traité.

[...]

(32)      La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes, qui sont reconnus notamment par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [(ci-après la ‘Charte’)]. En particulier, la présente directive vise à assurer le plein respect de la propriété intellectuelle, conformément à l’article 17, paragraphe 2, de [la Charte].»

7        L’article 9 de ladite directive, intitulé «Mesures provisoires et conservatoires», dispose, à son paragraphe 1:

«Les États membres veillent à ce que les autorités judiciaires compétentes puissent, à la demande du requérant:

a)      rendre à l’encontre du contrevenant supposé une ordonnance de référé visant à prévenir toute atteinte imminente à un droit de propriété intellectuelle [...]

[...]»

8        L’article 10 de la même directive, intitulé «Mesures correctives», prévoit, à son paragraphe 1:

«Sans préjudice des éventuels dommages-intérêts dus au titulaire du droit à raison de l’atteinte et sans dédommagement d’aucune sorte, les États membres veillent à ce que les autorités judiciaires compétentes puissent ordonner à la demande de la partie demanderesse, que des mesures appropriées soient prises à l’égard des marchandises dont elles auront constaté qu’elles portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle et, dans les cas appropriés, à l’égard des matériaux et instruments ayant principalement servi à la création ou à la fabrication de ces marchandises. Parmi ces mesures figureront notamment:

a)      le rappel des circuits commerciaux;

b)      la mise à l’écart définitive des circuits commerciaux; ou

c)      la destruction.»

 Le droit allemand

9        Sous l’intitulé «Exécution de bonne foi», l’article 242 du code civil (Bürgerliches Gesetzbuch) énonce que le débiteur est tenu de fournir la prestation conformément à une exigence de bonne foi eu égard aux usages admis en affaires.

10      L’article 139, paragraphe 1, de la loi relative aux brevets (Patentgesetz, BGBl. 1981 I, p. 1), telle que modifiée en dernier lieu par l’article 13 de la loi du 24 novembre 2011 (BGBl. 2011 I, p. 2302), dispose:

«La partie lésée peut, en cas de risque de récidive, introduire une action en cessation à l’encontre de toute personne qui exploite une invention brevetée en violation des articles 9 à 13. Ce droit lui est également acquis si une infraction risque d’être commise pour la première fois.»

11      Les articles 19 et 20 de la loi contre les restrictions de concurrence (Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen), du 26 juin 2013 (BGBl. 2013 I, p. 1750), interdisent l’exploitation abusive d’une position dominante sur un marché par une ou plusieurs entreprises.

 Les règles de l’ETSI

12      L’European Telecommunication Standards Institute (ci-après l’«ETSI») est un organisme dont l’objet, conformément au point 3.1 de l’annexe 6 des règles de procédures de l’ETSI (ETSI Rules of Procedure), intitulé «Politique de l’ETSI en matière de droits de propriété intellectuelle» («ETSI Intellectual Property Rights Policy»), est de créer des normes adaptées aux objectifs techniques du secteur européen des télécommunications et de réduire le risque pour l’ETSI, ses membres et les tiers qui appliquent les normes de l’ETSI que des investissements consacrés à la préparation, à l’adoption et à l’application de normes soient perdus en raison de la non-disponibilité de la propriété intellectuelle essentielle à l’application desdites normes. À cet effet, cette annexe recherche un équilibre entre les besoins de normalisation aux fins de l’usage public dans le domaine des télécommunications et les droits des titulaires de droits de propriété intellectuelle.

13      Conformément au point 3.2 de ladite annexe, lesdits titulaires doivent être rémunérés de manière adéquate et équitable pour l’utilisation de leurs droits de propriété intellectuelle.

14      En application du point 4.1 de la même annexe, chacun des membres de l’ETSI, en particulier pendant le processus d’élaboration d’une norme au développement de laquelle il participe, prend les mesures nécessaires pour informer l’ETSI dans les meilleurs délais de ses droits de propriété intellectuelle essentiels à cette norme.

15      Le point 6.1 de l’annexe 6 des règles de procédures de l’ETSI dispose que, lorsque ce dernier est informé de l’existence d’un droit de propriété intellectuelle essentiel à une norme, son directeur général invite immédiatement le titulaire de ce droit à prendre, dans un délai de trois mois, l’engagement irrévocable d’être disposé à accorder des licences à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires, dites «FRAND» («fair, reasonable, and non-discriminatory»), concernant ledit droit.

16      En application du point 6.3 de ladite annexe, aussi longtemps qu’un tel engagement n’est pas souscrit, l’ETSI apprécie si les travaux sur les parties concernées de la norme doivent être suspendus.

17      Le point 8.1 de la même annexe énonce que, si le titulaire de droits de propriété intellectuelle refuse de souscrire cet engagement, l’ETSI cherche s’il existe une technologie alternative et, si tel n’est pas le cas, arrête les travaux d’adoption de la norme en question.

18      En application du point 14 de l’annexe 6 des règles de procédures de l’ETSI, toute violation des dispositions de cette annexe par l’un des membres de l’ETSI constitue une violation de ses obligations envers l’ETSI.

19      Conformément au point 15.6 de ladite annexe, un droit de propriété intellectuel est considéré comme essentiel notamment lorsqu’il n’est pas possible pour des raisons techniques de fabriquer des produits conformes à la norme sans enfreindre ledit droit (ci-après le «brevet essentiel»).

20      Toutefois, l’ETSI ne contrôle ni la validité ni le caractère essentiel du droit de propriété intellectuelle dont il a été informé de la nécessité de l’usage par l’un de ses membres. De même, la même annexe ne définit pas la notion de «licence à des conditions FRAND».

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

21      Huawei Technologies, société de dimension mondiale intervenant dans le secteur des télécommunications, est titulaire, notamment, du brevet européen enregistré sous les références EP 2 090 050 B 1, intitulé «Procédé et appareil d’établissement d’un signal de synchronisation dans un système de communication», délivré par la République fédérale d’Allemagne, État contractant de la CBE (ci-après le «brevet EP 2 090 050 B 1»).

22      Ce brevet a été notifié le 4 mars 2009 à l’ETSI, par Huawei Technologies, en tant que brevet essentiel à la norme «Long Term Evolution». À cette occasion, elle s’est engagée à délivrer aux tiers des licences à des conditions FRAND.

23      À cet égard, la juridiction de renvoi constate, dans la décision de renvoi, que ledit brevet est essentiel à cette norme, ce qui implique que toute personne qui utilise ladite norme a nécessairement recours à l’enseignement du même brevet.

24      Entre le mois de novembre 2010 et la fin du mois de mars 2011, Huawei Technologies et ZTE Corp., société appartenant à un groupe de dimension mondiale intervenant dans le secteur des télécommunications et commercialisant en Allemagne des produits équipés d’un logiciel lié à ladite norme, ont engagé des discussions portant, notamment, sur la contrefaçon du brevet EP 2 090 050 B 1 et sur la possibilité de conclure une licence aux conditions FRAND concernant ces produits.

25      Huawei Technologies a indiqué le montant de la redevance qu’elle estimait raisonnable. Pour sa part, ZTE Corp. souhaitait une concession réciproque de licences. Toutefois, aucune offre relative à un contrat de licence n’a été finalisée.

26      Pour autant, ZTE commercialise des produits fonctionnant sur la base de la norme «Long Term Evolution», exploitant ainsi le brevet EP 2 090 050 B 1, sans verser de redevance à Huawei Technologies ni rendre compte exhaustivement à celle-ci des actes d’exploitation survenus.

27      Le 28 avril 2011, sur le fondement de l’article 64 de la CBE et des articles 139 et suivants de la loi relative aux brevets, telle que modifiée en dernier lieu par l’article 13 de la loi du 24 novembre 2011, Huawei Technologies a introduit, devant la juridiction de renvoi, une action en contrefaçon contre ZTE afin de réclamer la cessation de la contrefaçon, la fourniture de données comptables, le rappel des produits ainsi que l’allocation de dommages-intérêts.

28      Cette juridiction considère que l’issue du litige au principal dépend du point de savoir si l’action introduite par Huawei Technologies constitue un abus de position dominante de la part de cette dernière. Elle relève ainsi qu’il serait possible d’exciper du caractère obligatoire de l’octroi de la licence pour rejeter l’action en cessation sur le fondement, notamment, de l’article 102 TFUE, s’il devait être considéré que, par son action, Huawei Technologies abuse de sa position dominante, l’existence de cette dernière n’étant, selon ladite juridiction, pas contestée.

29      La même juridiction constate toutefois que différentes approches peuvent être retenues pour déterminer à quel moment le titulaire d’un BEN viole l’article 102 TFUE du fait de l’introduction d’une action en cessation.

30      À cet égard, la juridiction de renvoi relève que, sur le fondement de l’article 102 TFUE, de l’article 20, paragraphe 1, de la loi du 26 juin 2013 contre les restrictions de concurrence et de l’article 242 du code civil, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), dans son arrêt du 6 mai 2009, Orange Book (KZR 39/06), a considéré que le titulaire de brevet qui agit en cessation de contrefaçon alors que le défendeur peut prétendre à l’obtention d’une licence pour ce brevet n’abuse de sa position dominante que sous certaines conditions.

31      D’une part, le défendeur doit avoir proposé de manière inconditionnelle au demandeur de conclure un contrat de licence ne devant pas se limiter aux seuls cas de contrefaçon, étant entendu que le défendeur doit se sentir lié par son offre et que le demandeur est tenu de l’accepter dès lors que son refus aurait pour effet de gêner de manière inéquitable le défendeur ou de violer le principe de non-discrimination.

32      D’autre part, lorsque le défendeur utilise les enseignements du brevet avant l’acceptation d’une telle offre par le demandeur, il doit observer les obligations qui, aux fins de l’exploitation du brevet, lui incomberont au titre du futur contrat de licence, à savoir décompter les actes d’exploitation et payer les sommes en résultant.

33      Eu égard aux faits que les offres de contrat de ZTE ne sauraient être considérées comme «inconditionnelles» dans la mesure où elles ne portent que sur les produits donnant lieu à contrefaçon et que ZTE n’a ni versé à Huawei Technologies le montant de la redevance calculée par ses soins ni exhaustivement rendu compte à celle-ci des actes d’exploitation survenus, la juridiction de renvoi relève qu’elle devrait exclure que ZTE puisse valablement exciper du caractère obligatoire de l’octroi de la licence et, partant, devrait faire droit à l’action en cessation de Huawei Technologies.

34      Toutefois, la juridiction de renvoi constate que, dans des communiqués de presse no IP/12/1448 et MEMO/12/1021, du 21 décembre 2012, concernant une communication des griefs adressée à Samsung et afférente à l’introduction par cette société d’actions en contrefaçon d’un brevet en matière de téléphonie mobile, la Commission européenne semble considérer que l’exercice d’une action en cessation est illicite, en vertu de l’article 102 TFUE, dès lors que cette action porte sur un BEN, que le titulaire de ce BEN a indiqué à un organisme de normalisation qu’il est disposé à concéder des licences à des conditions FRAND et que le contrefacteur est lui-même disposé à négocier une telle licence. Ainsi, serait sans pertinence le fait que les parties considérées ne parviennent pas à s’entendre sur le contenu de certaines clauses du contrat de licence ni, notamment, sur le montant de la redevance à verser.

35      Or, s’il devait être fait application de ces seuls critères par la juridiction de renvoi, celle-ci relève qu’elle devrait rejeter l’action en cessation de Huawei Technologies comme abusive au sens de l’article 102 TFUE dès lors qu’il est constant que les parties au principal étaient disposées à négocier.

36      La juridiction de renvoi est d’avis que, dans l’affaire au principal, les circonstances que le contrefacteur ait été disposé à négocier et le titulaire du brevet EP 2 090 050 B 1 à concéder des licences aux tiers ne devraient pas suffire pour constituer un abus de position dominante.

37      Dans l’appréciation du caractère abusif du comportement d’un titulaire d’un BEN, il conviendrait, selon cette juridiction, d’assurer un équilibre approprié et équitable de l’ensemble des intérêts légitimes des parties auxquelles doit être reconnu un pouvoir de négociation équivalent.

38      En ce sens, la juridiction de renvoi considère que la position du titulaire d’un BEN comme celle du contrefacteur ne doivent pas leur permettre d’obtenir respectivement des redevances soit excessivement élevées (situation de «hold-up»), soit excessivement faibles (situation de «reverse hold-up»). Pour cette raison mais également pour des considérations d’égalité de traitement entre les bénéficiaires de licences et les contrefacteurs d’un même produit, le titulaire du BEN doit pouvoir disposer de l’action en cessation. En effet, l’exercice d’un droit légalement prévu ne peut constituer, en soi, un abus de position dominante dont la caractérisation requiert la réunion d’autres éléments. Pour autant, retenir comme critère d’un tel abus la notion de «disposition à négocier» du contrefacteur ne saurait être satisfaisant, celle-ci pouvant donner lieu à de nombreuses interprétations et assurant une trop large liberté au contrefacteur. En tout état de cause, si une telle notion devait être retenue comme pertinente, il conviendrait d’imposer certaines conditions de qualité et de délai destinées à garantir l’honnêteté du demandeur de la licence. Devrait ainsi être exigée la soumission d’une demande «inconditionnelle» de licence, préalable à l’exploitation du brevet concerné, précise et acceptable, contenant l’ensemble des éléments généralement présents dans un contrat de licence. S’agissant plus particulièrement des demandes de licence des opérateurs ayant déjà introduit sur le marché des produits faisant usage d’un BEN, ces opérateurs doivent s’être immédiatement acquittés des obligations consistant à rendre compte de l’exploitation de ce BEN et à verser la redevance subséquente. Par ailleurs, la juridiction de renvoi considère qu’un contrefacteur doit pouvoir constituer, dans un premier temps, une sureté au lieu de verser directement la redevance au titulaire du BEN considéré. De même, doit être envisagée la possibilité pour le demandeur de la licence de laisser ce titulaire déterminer le montant de la redevance en toute équité.

39      Dans ces conditions, le Landgericht Düsseldorf a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Le titulaire d’un [BEN], qui s’est déclaré disposé envers un organisme de normalisation à octroyer aux tiers une licence à des [conditions FRAND], abuse-t-il de sa position dominante lorsqu’il introduit une action en cessation à l’encontre d’un contrefacteur, alors que ce dernier s’est déclaré disposé à négocier une telle licence,

ou

convient-il de considérer qu’un abus de position dominante n’est constitué que si le contrefacteur a, aux fins de la conclusion du contrat de licence, soumis au titulaire du brevet une offre inconditionnelle acceptable que le titulaire ne peut pas refuser sans gêner de manière inéquitable le contrefacteur ou sans violer le principe de non‑discrimination et si, par anticipation de la licence à octroyer, le contrefacteur remplit déjà les obligations contractuelles eu égard aux actes d’exploitation survenus?

2)      Dans le cas où un abus de position dominante est constitué de par la simple disposition du contrefacteur à négocier:

L’article 102 TFUE prévoit-il des conditions particulières de qualité et/ou de délai pour une telle disposition à négocier? Est-il possible de considérer que le contrefacteur est disposé à négocier lorsqu’il a exprimé (par oral), en termes généraux seulement, sa disposition à entamer des négociations ou bien le contrefacteur doit-il déjà avoir entamé les négociations en indiquant par exemple les conditions concrètes dans lesquelles il est disposé à conclure le contrat de licence?

3)      Si l’abus de position dominante est subordonné à la soumission d’une offre de contrat inconditionnelle et acceptable:

L’article 102 TFUE prévoit-il des conditions particulières de qualité et/ou de délai pour une telle offre? L’offre doit-elle contenir l’ensemble des règles généralement prévues dans les contrats de licence relevant du domaine technique en cause? En particulier, l’offre peut-elle être conditionnée à l’exploitation effective du brevet susmentionné ou bien à sa validité?

4)      Si l’abus de position dominante est subordonné à l’exécution des obligations qui incombent au contrefacteur au titre de la licence à octroyer:

L’article 102 TFUE prévoit-il des conditions particulières pour les actes d’exécution du contrefacteur? Le contrefacteur est-il tenu de rendre compte des actes d’exploitation survenus et/ou de verser une redevance? Le cas échéant, le contrefacteur peut-il satisfaire à l’obligation de verser une redevance via la constitution d’une sûreté?

5)      Les conditions dans lesquelles le titulaire d’un [BEN] est réputé avoir abusé de sa position dominante s’appliquent‑elles également lorsque le titulaire fait valoir en justice d’autres droits au titre de la contrefaçon (fourniture de données comptables, rappel des produits, dommages-intérêts)?»

 Sur les questions préjudicielles

40      À titre liminaire, il convient de relever que la présente demande de décision préjudicielle s’inscrit dans le cadre d’un litige en contrefaçon de brevet, opposant deux acteurs du secteur des télécommunications qui sont détenteurs de nombreux brevets essentiels à la norme «Long Term Evolution» établie dans le cadre de l’ETSI, laquelle est composée de plus de 4 700 BEN, pour lesquels ces acteurs se sont engagées à délivrer des licences aux tiers à des conditions FRAND.

41      Dans le cadre de ce litige, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si doit être qualifiée d’«abus de position dominante», au sens de l’article 102 TFUE, et, partant, rejetée l’action en contrefaçon tendant à la cessation de la contrefaçon, à la fourniture de données comptables, au rappel des produits en cause ainsi qu’à une indemnisation, introduite par le titulaire d’un BEN, en l’occurrence Huawei Technologies, contre le contrefacteur allégué de ce BEN, ZTE, qui a demandé la conclusion d’un contrat de licence.

42      Afin de répondre à la juridiction de renvoi et d’apprécier le caractère légitime d’une telle action en contrefaçon introduite par le titulaire d’un BEN contre un contrefacteur avec lequel aucun accord de licence n’a pu être trouvé, il convient de mettre en balance, d’une part, la préservation du libre jeu de la concurrence au titre duquel le droit primaire et notamment l’article 102 TFUE prohibent les abus de position dominante et, d’autre part, la nécessaire garantie des droits de propriété intellectuelle de ce titulaire et de son droit à une protection juridictionnelle effective, garantis, respectivement, par les articles 17, paragraphe 2, et 47 de la Charte.

43      Ainsi que la juridiction de renvoi le constate dans la décision de renvoi, l’existence d’une position dominante n’a pas été contestée devant elle par les parties au litige au principal. Les questions posées par la juridiction de renvoi se référant uniquement à l’existence d’un abus, il convient de limiter l’analyse à ce dernier critère.

 Sur les première à quatrième questions et la cinquième question en ce que cette dernière concerne les actions en justice introduites en vue d’obtenir le rappel de produits

44      Par ses première à quatrième questions et la cinquième question en ce que cette dernière concerne les actions en justice introduites en vue d’obtenir le rappel de produits, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, quelles sont les circonstances dans lesquelles l’introduction, par une entreprise se trouvant en position dominante et détenant un BEN qu’elle s’est engagée auprès de l’organisme de normalisation à donner en licence aux tiers à des conditions FRAND, d’une action en contrefaçon ayant pour objet la cessation de la contrefaçon de ce BEN ou le rappel des produits pour la fabrication desquels ledit BEN a été utilisé doit être considérée comme constitutive d’une pratique abusive contraire à l’article 102 TFUE.

45      À titre liminaire, il convient de rappeler que la notion d’exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article 102 TFUE est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui, sur un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli, ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, EU:C:1979:36, point 91; AKZO/Commission, C‑62/86, EU:C:1991:286, point 69, ainsi que Tomra Systems e.a./Commission, C‑549/10 P, EU:C:2012:221, point 17).

46      À cet égard, il est de jurisprudence constante que l’exercice d’un droit exclusif lié à un droit de propriété intellectuelle, à savoir, dans l’affaire au principal, le droit d’introduire une action en contrefaçon, fait partie des prérogatives du titulaire d’un droit de propriété intellectuelle en sorte que l’exercice d’un tel droit, alors même qu’il serait le fait d’une entreprise en position dominante, ne saurait constituer en lui-même un abus de celle-ci (voir, en ce sens, arrêts Volvo, 238/87, EU:C:1988:477, point 8; RTE et ITP/Commission, C‑241/91 P et C‑242/91 P, EU:C:1995:98, point 49, ainsi que IMS Health, C‑418/01, EU:C:2004:257, point 34).

47      Toutefois, il est également constant que l’exercice du droit exclusif lié à un droit de propriété intellectuelle par le titulaire de celui-ci peut, dans des circonstances exceptionnelles, donner lieu à un comportement abusif au sens de l’article 102 TFUE (voir, en ce sens, arrêts Volvo, 238/87, EU:C:1988:477, point 9; RTE et ITP/Commission, C‑241/91 P et C‑242/91 P, EU:C:1995:98, point 50, ainsi que IMS Health, C‑418/01, EU:C:2004:257, point 35).

48      Néanmoins, ainsi que l’a observé M. l’avocat général au point 70 de ses conclusions, il doit être souligné que l’affaire au principal présente des particularités qui la distinguent de celles ayant donné lieu à la jurisprudence citée aux points 46 à 47 du présent arrêt.

49      Elle se caractérise, d’une part, par le fait, comme le relève la juridiction de renvoi, que le brevet en cause est essentiel à une norme établie par un organisme de normalisation, rendant son exploitation indispensable à tout concurrent envisageant de fabriquer des produits conformes à la norme à laquelle il est lié.

50      Cette caractéristique distingue les BEN des brevets qui ne sont pas essentiels à une norme et qui permettent normalement aux tiers de fabriquer des produits concurrents en s’écartant du brevet concerné sans compromettre les fonctions fondamentales du produit en question.

51      D’autre part, l’affaire au principal se singularise par le fait que le brevet concerné a obtenu le statut de BEN seulement en contrepartie d’un engagement irrévocable de son titulaire auprès de l’organisme de normalisation considéré, d’être disposé à accorder des licences à des conditions FRAND, tel que cela ressort des points 15 à 17 et 22 du présent arrêt.

52      Bien que le titulaire du brevet essentiel en cause dispose du droit d’introduire une action en cessation ou en rappel de produits, le fait que ce brevet a obtenu le statut de BEN a pour effet que son titulaire peut exclure l’apparition ou le maintien sur le marché de tels produits fabriqués par des concurrents et, ainsi, se réserver la fabrication de ces produits.

53      Dans ces circonstances et eu égard au fait qu’un engagement de délivrer des licences à des conditions FRAND crée des attentes légitimes auprès des tiers que le titulaire du BEN leur octroie effectivement des licences à de telles conditions, un refus du titulaire du BEN d’octroyer une licence à ces mêmes conditions peut constituer, en principe, un abus au sens de l’article 102 TFUE.

54      Il s’ensuit que, eu égard aux attentes légitimes créées, le caractère abusif d’un tel refus peut, en principe, être opposé à des actions en cessation ou en rappel de produits. Cependant, le titulaire du brevet n’est obligé, en vertu de l’article 102 TFUE, qu’à l’octroi d’une licence à des conditions FRAND. Or, les parties au litige en cause au principal ne s’accordent pas sur ce qui est exigé par des conditions FRAND en l’espèce.

55      Dans un tel cas de figure, afin d’éviter qu’une action en cessation ou en rappel de produits puisse être considérée comme abusive, le titulaire d’un BEN doit respecter des conditions visant à garantir un juste équilibre des intérêts concernés.

56      À cet égard, il y a lieu de prendre dûment en compte la spécificité des circonstances de droit et de fait de l’espèce (voir, en ce sens, arrêt Post Danmark, C‑209/10, EU:C:2012:172, point 26 et jurisprudence citée).

57      Ainsi, doit être pris en considération le nécessaire respect des droits de propriété intellectuelle, visé, notamment, par la directive 2004/48 qui, conformément à l’article 17, paragraphe 2, de la Charte, prévoit un ensemble de voies de droit destinées à assurer un niveau élevé de protection de la propriété intellectuelle dans le marché intérieur ainsi que du droit à une protection juridictionnelle effective garanti par l’article 47 de la Charte, constitué de divers éléments au nombre desquels figure le droit d’accès aux tribunaux (voir, en ce sens, arrêt Otis e.a., C‑199/11, EU:C:2012:684, point 48).

58      Cette exigence de protection élevée des droits de propriété intellectuelle implique que leur titulaire ne peut, en principe, se voir privé de la faculté de recourir aux actions en justice de nature à garantir le respect effectif de ses droits exclusifs et que leur utilisateur, s’il n’en est pas le titulaire est, en principe, tenu d’obtenir une licence préalablement à tout usage.

59      Ainsi, si l’engagement irrévocable de délivrer des licences à des conditions FRAND, souscrit auprès de l’organisme de normalisation par le titulaire du BEN, ne saurait vider de leur substance les droits garantis à ce titulaire par les articles 17, paragraphe 2, et 47 de la Charte, il justifie néanmoins que lui soit imposé le respect d’exigences spécifiques à l’occasion de l’introduction, contre des contrefacteurs allégués, d’actions en cessation ou en rappel de produits.

60      En conséquence, le titulaire d’un BEN qui estime que celui-ci fait l’objet d’une contrefaçon ne saurait, sauf à violer l’article 102 TFUE, introduire, sans préavis ni consultation préalable du contrefacteur allégué, une action en cessation ou en rappel de produits contre ce dernier, quand bien même ledit BEN a déjà été exploité par le contrefacteur allégué.

61      Préalablement à de telles actions, il appartient ainsi au titulaire du BEN considéré, d’une part, d’avertir le contrefacteur allégué de la contrefaçon qui lui est reprochée en désignant ce BEN et en précisant la façon dont celui-ci a été contrefait.

62      En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 81 de ses conclusions, il n’est pas certain, compte tenu du nombre important de BEN composant une norme telle que celle en cause au principal, que le contrefacteur d’un de ces BEN sache nécessairement qu’il exploite l’enseignement d’un BEN qui est à la fois valide et essentiel à une norme.

63      D’autre part, après que le contrefacteur allégué a exprimé sa volonté de conclure un contrat de licence aux conditions FRAND, il revient à ce titulaire de transmettre à ce contrefacteur une offre de licence concrète et écrite à des conditions FRAND, conformément à l’engagement pris auprès de l’organisme de normalisation, en précisant, notamment, la redevance et ses modalités de calcul.

64      En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 86 de ses conclusions, dans le cas où le titulaire d’un BEN s’est engagé auprès de l’organisme de normalisation à délivrer des licences à des conditions FRAND, il peut être attendu de lui de faire une telle offre. En outre, en l’absence de contrat de licence standard public et de publicité des contrats de licence déjà conclus avec d’autres concurrents, le titulaire du BEN est mieux placé que le contrefacteur allégué pour examiner si son offre respecte la condition de non-discrimination.

65      En revanche, il incombe au contrefacteur allégué de donner suite à cette offre avec diligence, conformément aux usages commerciaux reconnus en la matière et de bonne foi, ce qui doit être déterminé sur la base d’éléments objectifs et implique notamment l’absence de toute tactique dilatoire.

66      Pour autant qu’il n’accepte pas l’offre qui lui a été faite, le contrefacteur allégué ne peut invoquer le caractère abusif d’une action en cessation ou en rappel de produits que s’il soumet au titulaire du BEN considéré, dans un bref délai et par écrit, une contre-offre concrète qui correspond aux conditions FRAND.

67      En outre, dans l’hypothèse où le contrefacteur allégué utilise les enseignements du BEN avant qu’un contrat de licence ne soit conclu, il lui revient, à partir du moment du rejet de sa contre-offre, de constituer une sûreté appropriée, conformément aux usages commerciaux reconnus en la matière, par exemple en fournissant une garantie bancaire ou en consignant les sommes nécessaires. Le calcul de cette sûreté doit comprendre, notamment, le nombre des actes d’exploitation passés du BEN dont le contrefacteur allégué doit pouvoir produire le décompte.

68      Par ailleurs, lorsque, à la suite de la contre-offre du contrefacteur allégué, aucun accord sur les détails des conditions FRAND n’est trouvé, les parties, d’un commun accord, ont la possibilité de demander que le montant de la redevance soit déterminé par un tiers indépendant statuant à bref délai.

69      Enfin, compte tenu, d’une part, du fait qu’un organisme de normalisation, tel que celui ayant élaboré la norme en cause au principal, ne contrôle, à l’occasion de la procédure de normalisation, ni la validité des brevets ni leur caractère essentiel à la norme à laquelle ils participent et, d’autre part, du droit à une protection juridictionnelle effective garanti par l’article 47 de la Charte, il ne saurait être reproché au contrefacteur allégué soit de contester, parallèlement aux négociations relatives à l’octroi de licences, la validité de ces brevets et/ou leur caractère essentiel à la norme à laquelle ils participent et/ou leur exploitation effective, soit de se réserver la faculté de le faire à l’avenir.

70      Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si les critères susvisés sont réunis en l’espèce, dans la mesure où ceux-ci sont, selon les circonstances en cause, pertinents pour la résolution du litige au principal.

71      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent, qu’il convient de répondre aux première à quatrième questions et à la cinquième question, en ce que cette dernière concerne les actions en justice introduites en vue d’obtenir le rappel de produits, que l’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens que le titulaire d’un BEN, qui s’est engagé irrévocablement envers un organisme de normalisation à octroyer aux tiers une licence à des conditions FRAND, n’abuse pas de sa position dominante au sens de cet article en introduisant une action en contrefaçon tendant à la cessation de l’atteinte à son brevet ou au rappel des produits pour la fabrication desquels ce brevet a été utilisé, dès lors que:

–        préalablement à l’introduction de ladite action, il a, d’une part, averti le contrefacteur allégué de la contrefaçon qui lui est reprochée en désignant ledit brevet et en précisant la façon dont celui-ci a été contrefait et, d’autre part, après que le contrefacteur allégué a exprimé sa volonté de conclure un contrat de licence aux conditions FRAND, transmis à ce contrefacteur, une offre concrète et écrite de licence à de telles conditions, en précisant, notamment, la redevance et ses modalités de calcul, et

–        ledit contrefacteur continuant à exploiter le brevet considéré ne donne pas suite à cette offre avec diligence, conformément aux usages commerciaux reconnus en la matière et de bonne foi, ce qui doit être déterminé sur la base d’éléments objectifs et implique notamment l’absence de toute tactique dilatoire.

 Sur la cinquième question en ce qu’elle concerne les actions en justice introduites en vue d’obtenir la fourniture de données comptables ou l’allocation de dommages-intérêts

72      Par sa cinquième question, en ce qu’elle concerne les actions en justice introduites en vue d’obtenir la fourniture de données comptables ou l’allocation de dommages-intérêts, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il interdit à une entreprise se trouvant en position dominante et détenant un BEN qu’elle s’est engagée, auprès de l’organisme de normalisation, à donner en licence à des conditions FRAND, d’introduire une action en contrefaçon dirigée contre le contrefacteur allégué de son BEN et tendant à la fourniture de données comptables relatives aux actes d’utilisation passés de ce BEN ou à l’allocation de dommages-intérêts au titre de ces actes.

73      Ainsi que cela ressort des points 52 et 53 du présent arrêt, l’exercice, par le titulaire du BEN, de ses droits de propriété intellectuelle, en formant des actions en cessation ou en rappel de produits, peut, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, être qualifié d’abusif, de telles actions étant de nature à exclure l’apparition ou le maintien sur le marché de produits conformes à la norme considérée, fabriqués par des concurrents.

74      Or, selon leur description par la décision de renvoi, les actions en contrefaçon introduites par le titulaire d’un BEN et ayant pour objet soit la fourniture de données comptables relatives aux actes d’utilisation passés de ce BEN, soit l’allocation de dommages‑intérêts dus au titre de ces actes n’ont pas de conséquence directe sur l’apparition ou le maintien sur le marché des produits conformes à la norme considérée, fabriqués par des concurrents.

75      En conséquence, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, de telles actions ne sauraient être considérées comme abusives au titre de l’article 102 TFUE.

76      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la cinquième question en ce qu’elle concerne les actions en justice introduites en vue d’obtenir la fourniture de données comptables ou l’allocation de dommages-intérêts, que l’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il n’interdit pas, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, à une entreprise se trouvant en position dominante et détenant un BEN qu’elle s’est engagée, auprès de l’organisme de normalisation, à donner en licence à des conditions FRAND, d’introduire une action en contrefaçon dirigée contre le contrefacteur allégué de son BEN et tendant à la fourniture de données comptables relatives aux actes d’utilisation passés de ce BEN ou à l’allocation de dommages-intérêts au titre de ces actes.

 Sur les dépens

77      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:

1)      L’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens que le titulaire d’un brevet essentiel à une norme établie par un organisme de normalisation, qui s’est engagé irrévocablement envers cet organisme à octroyer aux tiers une licence à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires, dites «FRAND» («fair, reasonable and non-discriminatory»), n’abuse pas de sa position dominante au sens de cet article en introduisant une action en contrefaçon tendant à la cessation de l’atteinte à son brevet ou au rappel des produits pour la fabrication desquels ce brevet a été utilisé, dès lors que:

–        préalablement à l’introduction de ladite action, il a, d’une part, averti le contrefacteur allégué de la contrefaçon qui lui est reprochée en désignant ledit brevet et en précisant la façon dont celui-ci a été contrefait, et, d’autre part, après que le contrefacteur allégué a exprimé sa volonté de conclure un contrat de licence aux conditions FRAND, transmis à ce contrefacteur, une offre concrète et écrite de licence à de telles conditions, en précisant, notamment, la redevance et ses modalités de calcul, et

–        ledit contrefacteur continuant à exploiter le brevet considéré ne donne pas suite à cette offre avec diligence, conformément aux usages commerciaux reconnus en la matière et de bonne foi, ce qui doit être déterminé sur la base d’éléments objectifs et implique notamment l’absence de toute tactique dilatoire.

2)      L’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il n’interdit pas, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, à une entreprise se trouvant en position dominante et détenant un brevet essentiel à une norme établie par un organisme de normalisation qu’elle s’est engagée, auprès de cet organisme, à donner en licence à des conditions FRAND, d’introduire une action en contrefaçon dirigée contre le contrefacteur allégué de son brevet et tendant à la fourniture de données comptables relatives aux actes d’utilisation passés de ce brevet ou à l’allocation de dommages-intérêts au titre de ces actes.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.