1. Droit communautaire - Principes - Sécurité juridique - Directive 2003/87 - Système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre - Système entraînant un manque de prévisibilité du marché d'échanges de quotas - Violation dudit principe - Absence

Le manque de prévisibilité de l’évolution du marché d’échange constitue un élément inhérent et indissociable du mécanisme économique caractérisant le système d’échange de quotas institué par la directive 2003/87, établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté, qui est soumis aux règles classiques de l’offre et de la demande caractérisant un marché libre et concurrentiel conformément aux principes consacrés à l’article 1er, lu conjointement avec le considérant 7 de ladite directive, ainsi qu’à l’article 2 CE et à l’article 3, paragraphe 1, sous c) et g), CE. Cet aspect ne saurait, dès lors, être qualifié comme étant contraire au principe de sécurité juridique sous peine de remettre en cause les fondements économiques mêmes du système d’échange de quotas tels qu’ils sont posés par ladite directive en conformité avec les règles du traité.

Arrêt du 2 mars 2010, Arcelor / Parlement et Conseil (T-16/04, Rec._p._II-211) (cf. point 203)

2. Droit communautaire - Principes généraux du droit - Sécurité juridique - Légalité des peines - Portée



Arrêt du 19 mai 2010, Wieland-Werke e.a. / Commission (T-11/05, Rec._p._II-86*) (cf. points 58-63)

3. Droit communautaire - Principes généraux du droit - Non-rétroactivité des dispositions pénales - Domaine d'application - Concurrence - Procédure administrative - Portée du principe

Le principe de non-rétroactivité des dispositions pénales est un principe commun à tous les ordres juridiques des États membres, consacré également par l’article 7 de la convention européenne des droits de l’homme, et fait partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge de l’Union assure le respect. Même s’il ressort de l’article 15, paragraphe 4, du règlement nº 17 et de l’article 23, paragraphe 5, du règlement nº 1/2003 que les décisions de la Commission infligeant des amendes pour violation du droit de la concurrence n’ont pas un caractère pénal, il n’en reste pas moins que la Commission est tenue de respecter les principes généraux du droit de l’Union, et notamment celui de non-rétroactivité, dans toute procédure administrative susceptible d’aboutir à des sanctions en application du droit de la concurrence.

Ce respect exige que les règles d’imputation à des personnes, physiques ou morales, des infractions au droit de la concurrence correspondent à celles qui étaient fixées à l’époque à laquelle l’infraction a été commise. Lorsque plusieurs personnes peuvent être tenues pour personnellement responsables de la participation à une infraction d’une seule et même entreprise, au sens du droit de la concurrence, elles doivent être considérées comme étant solidairement responsables de ladite infraction. En outre, peuvent être tenues pour personnellement et solidairement responsables de la participation d’une seule et même entreprise à une infraction la personne sous la responsabilité ou la direction de laquelle l’entreprise était directement placée au moment où l’infraction a été commise et la personne qui, parce qu’elle exerçait effectivement un pouvoir de contrôle sur la première et déterminait son comportement sur le marché, dirigeait indirectement cette même entreprise au moment où l’infraction a été commise.

Arrêt du 3 mars 2011, Areva e.a. / Commission (T-117/07 et T-121/07, Rec._p._II-633) (cf. points 131-134)

4. Actes des institutions - Application dans le temps - Expiration du traité CECA - Décision de la Commission adoptée à l'encontre d'une entreprise après l'expiration du traité CECA et visant des faits antérieurs à l'expiration dudit traité - Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime - Portée - Responsabilité des entreprises pour leurs comportements violant les règles de concurrence, dans le contexte de la succession du cadre juridique du traité CE à celui du traité CECA - Règles de fond - Règles de procédure

Le principe de sécurité juridique exige qu’une réglementation de l'Union permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose et que ces derniers puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence. À cet égard, dans la mesure où les traités définissent clairement les infractions ainsi que la nature et l’importance des sanctions pouvant être infligées aux entreprises pour infraction aux règles de concurrence, les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ne visent pas à garantir aux entreprises que des modifications ultérieures des bases juridiques et des dispositions procédurales leur permettent d’échapper à toute sanction relative à leurs comportements infractionnels passés.

S'agissant d'une décision de la Commission concernant une situation juridique définitivement acquise antérieurement à l'expiration du traité CECA et ayant été adoptée à l'encontre d'une entreprise après l'expiration dudit traité, le Tribunal ne commet pas d'erreur en concluant, d'une part, que le respect des principes gouvernant l’application de la loi dans le temps ainsi que les exigences relatives aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime imposent l’application des règles matérielles prévues à l’article 65, paragraphes 1 et 5, CA à des faits ayant eu lieu avant l'expiration du traité CECA et relevant du champ d’application ratione materiae et ratione temporis de ce traité. À cet égard, l’article 65, paragraphes 1 et 5, CA prévoyait une base légale claire pour infliger une sanction pour infraction aux règles de concurrence, de sorte qu'une entreprise diligente ne pouvait à aucun moment ignorer les conséquences de son comportement ni compter sur le fait que la succession du cadre juridique du traité CE à celui du traité CECA aurait pour conséquence de la faire échapper à toute sanction pour les infractions à l’article 65 CA commises dans le passé.

En ce qui concerne, d'autre part, les dispositions procédurales applicables, c'est à bon droit que le Tribunal a conclu que la Commission est compétente pour conduire la procédure conformément aux articles 7, paragraphe 1, et 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003. En effet, la disposition constituant la base juridique d’un acte et habilitant l’institution de l’Union à adopter l’acte en cause doit être en vigueur au moment de l’adoption de celui-ci et les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer au moment où elles entrent en vigueur.

Arrêt du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg / Commission et Commission / ArcelorMittal Luxembourg e.a. (C-201/09 P et C-216/09 P, Rec._p._I-2239) (cf. points 67-70, 73-75)

5. Droit de l'Union - Principes généraux du droit - Principe de légalité des peines - Portée

Les principes généraux du droit de l’Union et, notamment, le principe de la légalité des délits et des peines s’opposent à ce que les autorités nationales appliquent à une infraction douanière une sanction qui n’est pas expressément prévue par la législation nationale.

En effet, ce principe exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.

Arrêt du 31 mars 2011, Aurubis Balgaria (C-546/09, Rec._p._I-2531) (cf. points 42-43, disp.3)

6. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Caractère dissuasif - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Violation du principe de légalité des peines - Absence

La sécurité juridique constitue un principe général du droit de l’Union qui exige notamment qu’une réglementation entraînant des conséquences défavorables à l’égard de particuliers soit claire et précise et son application prévisible pour les justiciables.

Ce principe a pour corollaire le principe de légalité des délits et des peines, qui exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment.

Si l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 1/2003, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 CE et 82 CE, laisse à la Commission une large marge d’appréciation, il en limite néanmoins l’exercice en instaurant des critères objectifs auxquels celle-ci doit se tenir.

Ainsi, d’une part, le montant de l’amende susceptible d’être imposée connaît un plafond chiffrable et absolu, de sorte que le montant maximal de l’amende pouvant être infligée à une entreprise donnée est déterminable à l’avance.

D’autre part, l’exercice de ce pouvoir d’appréciation est également limité par les règles que la Commission s’est elle-même imposées dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, la pratique administrative de la Commission étant d’ailleurs soumise à l’entier contrôle du juge de l’Union.

Un opérateur avisé peut ainsi, en s’entourant au besoin des services d’un conseil juridique, prévoir de manière suffisamment précise la méthode de calcul et l’ordre de grandeur des amendes qu’il encourt pour un comportement donné, et le fait que cet opérateur ne puisse, à l’avance, connaître avec précision le niveau des amendes que la Commission infligera dans chaque espèce ne saurait constituer une violation du principe de légalité des peines. En outre, les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende doivent tenir compte de la possibilité que, à tout moment, la Commission décide d’élever le niveau du montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé. Le fait que la Commission puisse à tout moment revoir le niveau général des amendes dans le contexte de la mise en œuvre d’une autre politique de concurrence est donc raisonnablement prévisible pour les entreprises concernées.

Arrêt du 16 juin 2011, Heineken Nederland et Heineken / Commission (T-240/07, Rec._p._II-3355) (cf. points 383-386)

7. Aides accordées par les États - Décision de la Commission constatant l'incompatibilité d'une aide avec le marché commun et ordonnant sa restitution - Possibilité pour la Commission de laisser aux autorités nationales la tâche de calculer le montant précis à restituer - Violation du principe de sécurité juridique - Absence

Le principe de sécurité juridique, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les règles du droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union.

Dans le domaine des aides d'État, aucune disposition du droit de l’Union n’exige que la Commission, lorsqu’elle ordonne la restitution d’une aide déclarée incompatible avec le marché commun, fixe le montant exact de l’aide à restituer. Il suffit que la décision de la Commission comporte des indications permettant à son destinataire de déterminer lui-même, sans difficultés excessives, ce montant.

Arrêt du 8 décembre 2011, France Télécom / Commission (C-81/10 P, Rec._p._I-12899) (cf. points 100, 102)

8. Droit communautaire - Principes - Non-rétroactivité des dispositions pénales - Champ d'application - Amendes infligées à raison d'une violation des règles de concurrence - Inclusion - Violation éventuelle en raison de l'application à une infraction antérieure à leur introduction des lignes directrices pour le calcul des amendes - Caractère prévisible des modifications introduites par les lignes directrices - Absence de violation



Arrêt du 2 février 2012, Denki Kagaku Kogyo et Denka Chemicals / Commission (T-83/08) (cf. points 115-124)

9. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Conditions et limites - Nécessité d'éviter les incohérences lors de la mise en œuvre des différentes dispositions du droit de l'Union

Le principe de sécurité juridique vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit de l’Union. À cette fin, il est essentiel que les institutions de l’Union respectent l’intangibilité des actes qu’elles ont adoptés et qui affectent la situation juridique et matérielle des sujets de droit, de sorte qu’elles ne pourront modifier ces actes que dans le respect des règles de compétence et de procédure. Toutefois, une violation du principe de sécurité juridique ne peut utilement être invoquée si le sujet de droit, dont la situation matérielle et juridique était affectée par l’acte en cause, n’a pas respecté les conditions formulées par celui-ci. Le respect du principe de sécurité juridique requiert également que les institutions de l’Union évitent, par principe, les incohérences pouvant survenir dans la mise en œuvre des différentes dispositions du droit de l’Union, et ce tout particulièrement dans l’hypothèse où ces dispositions visent un même objectif, tel qu’une concurrence non faussée dans le marché commun.

Arrêt du 21 mars 2012, Irlande / Commission (T-50/06 RENV, T-56/06 RENV, T-60/06 RENV, T-62/06 RENV et T-69/06 RENV) (cf. point 62)

10. Droit de l'Union européenne - Principes généraux du droit - Sécurité juridique - Légalité des peines - Portée

Le recours à des concepts juridiques indéterminés aux fins de la formulation de règles dont la violation entraîne la responsabilité civile, administrative, voire même pénale, du contrevenant n’entraîne pas l’impossibilité d’imposer les mesures correctives prévues par la loi, à condition que le justiciable puisse savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les juridictions, quels actes et omissions engagent sa responsabilité.

Arrêt du 27 juin 2012, Microsoft / Commission (T-167/08) (cf. point 84)

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 16 septembre 2013, Dornbracht / Commission (T-386/10) (cf. points 59-63)



Arrêt du 16 septembre 2013, Villeroy & Boch e.a. / Commission (T‑373/10, T‑374/10, T‑382/10 et T‑402/10) (cf. point 157)

Arrêt du 16 septembre 2013, Hansa Metallwerke e.a. / Commission (T-375/10) (cf. points 49-52)

11. Concurrence - Règles de l'Union - Infractions - Imputation - Société mère et filiales - Unité économique - Critères d'appréciation - Imprévisibilité de la responsabilité des sociétés mères - Absence - Violation du principe de sécurité juridique - Absence

En matière de concurrence, les conditions de la responsabilité des sociétés mères du fait de leurs filiales ne sont nullement entachées d’une imprévisibilité absolue qui contreviendrait au principe de sécurité juridique.

La circonstance que la notion d’entreprise s’applique à des modalités potentiellement variées d’exercice d’une activité économique, puisque l’entreprise en droit de la concurrence de l’Union comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement, et que la notion d’entreprise, placée dans ce contexte, doit être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales, ne retire rien au fait que la notion d’entreprise, en tant qu’unité économique, est tout à fait identifiée et prévisible s’agissant des relations entre sociétés mères et filiales détenues à 100 %.

Par ailleurs, la circonstance que la Commission puisse infliger une sanction uniquement à la filiale, ou uniquement à la société mère, ou encore aux deux, ne viole nullement le principe de sécurité juridique, lequel exige que les règles soient claires et précises et vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques. En effet, la faculté pour la Commission d'infliger la sanction à l'une et/ou à l'autre des entités, société mère et filiale, qui forment une entreprise ayant violé l'article 101 TFUE ou l'article 53 de l'accord sur l'Espace économique européen découle clairement de la nature solidaire de leur responsabilité.

Arrêt du 27 juin 2012, Bolloré / Commission (T-372/10) (cf. points 43, 48-50)

12. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Opposabilité des actes des pouvoirs publics - Exigence d'une publication régulière au Journal officiel - Portée

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 12 juillet 2012, Pimix (C-146/11) (cf. points 33, 36)

13. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Obligation de coopération loyale - Principe d'effectivité - Mesure d'interdiction de quitter le territoire n'ayant fait l'objet d'aucun recours juridictionnel et étant devenue définitive - Réglementation nationale limitant strictement la réouverture de la procédure administrative ayant mené à l'adoption d'une telle décision manifestement contraire au droit de l'Union - Inadmissibilité

Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle la procédure administrative ayant mené à l’adoption d’une interdiction de sortie du territoire devenue définitive et qui n’a pas fait l’objet d’un recours juridictionnel ne peut être rouverte, dans le cas où cette interdiction serait manifestement contraire au droit de l’Union, que dans les conditions limitativement énoncées dans cette réglementation, et ce nonobstant le fait qu’une telle interdiction continue de produire des effets juridiques à l’égard de son destinataire.

Une telle réglementation nationale, qui ne prévoit pas de réexamen périodique, perpétue pour une durée illimitée l’interdiction de sortie du territoire et, par là même, la violation du droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres énoncé à l'article 21, paragraphe 1, TFUE. Dans de telles conditions, une telle interdiction territoriale constitue la négation même de la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres conférée par le statut de citoyen de l’Union.

Par ailleurs, par l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, le législateur de l’Union a obligé les États membres à prévoir la possibilité de réexamen de mesures d’interdiction d’entrée sur leur territoire ou de sortie de celui-ci même lorsque ces mesures ont été valablement prises au regard du droit de l’Union et même lorsqu’elles sont devenues définitives. Tel devrait, à plus forte raison, être le cas s’agissant d’interdictions territoriales qui n’ont pas été valablement prises au regard du droit de l’Union et qui constituent la négation même de la liberté énoncée à l’article 21, paragraphe 1, TFUE. Dans une telle situation, le principe de sécurité juridique n’exige pas impérativement qu’un acte imposant une telle interdiction continue de produire des effets juridiques pour une durée illimitée.

Compte tenu également de l’importance que le droit primaire attache au statut de citoyen de l’Union, une réglementation nationale qui empêche des citoyens de l’Union de faire valoir leur droit de libre circulation et de libre séjour, tel que conféré par l’article 21 TFUE, à l’encontre d’interdictions territoriales absolues adoptées pour une durée illimitée et les organes administratifs de tirer les conséquences d’une jurisprudence de la Cour de justice confirmant le caractère illicite, au regard du droit de l’Union, de telles interdictions, ne peut pas être raisonnablement justifiée par le principe de sécurité juridique et doit donc être considérée, dans cette mesure, comme contraire au principe d’effectivité et à l’article 4, paragraphe 3, TUE.

Arrêt du 4 octobre 2012, Byankov (C-249/11) (cf. points 79-82, disp. 2)

14. Agriculture - Politique agricole commune - Financement par le FEOGA - Principes - Obligation de la Commission de refuser la prise en charge des dépenses irrégulières - Expiration des délais réglementaires prévus à cet effet - Dérogation à ladite obligation en vertu du principe de sécurité juridique - Exclusion



Arrêt du 4 octobre 2012, Grèce / Commission (T-215/10) (cf. point 186)

15. Agriculture - FEOGA - Apurement des comptes - Refus de prise en charge de dépenses découlant d'irrégularités dans l'application de la réglementation de l'Union - Violation du principe de sécurité juridique - Absence



Arrêt du 10 octobre 2012, Grèce / Commission (T-158/09) (cf. points 186-192)

16. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Portée

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 21 novembre 2012, Espagne / Commission (T-76/11) (cf. point 39)

Arrêt du 17 mai 2013, Trelleborg Industrie / Commission (T-147/09 et T-148/09) (cf. points 96, 97)

Arrêt du 9 juillet 2015, Cabinet Medical Veterinar Dr. Tomoiagă Andrei (C-144/14) (cf. points 34, 35)



Arrêt du 17 octobre 2018, Jalkh / Parlement (T-26/17) (cf. point 68)

Arrêt du 17 octobre 2018, Jalkh / Parlement (T-27/17) (cf. point 68)

17. Pêche - Conservation des ressources de la mer - Régime de quotas de pêche - Déductions sur les quotas attribués pour une année donnée en raison de dépassements des quotas lors d'années précédentes - Règlement nº 1004/2010 - Base juridique - Article 105 du règlement nº 1224/2009 - Violation du principe de sécurité juridique - Absence

En fondant le règlement nº 1004/2010, procédant à des déductions sur certains quotas de pêche pour 2010 en raison de la surpêche pratiquée au cours de l'année précédente, sur l’article 105 du règlement nº 1224/2009, instituant un régime communautaire de contrôle afin d'assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche, applicable à partir du 1er janvier 2010, la Commission a appliqué une nouvelle réglementation à une situation de fait acquise sous le régime de la réglementation antérieure. Cependant, en vertu de la réglementation antérieure à l’article 105 du règlement nº 1224/2009, la Commission était déjà en droit de procéder à des déductions sur les quotas attribués pour une année donnée en raison des dépassements non seulement des quotas de l’année précédente, mais aussi de ceux relatifs aux années antérieures à celle-ci. Partant, dès lors qu'elle n'a pas soumis les dépassements en cause à un régime moins favorable que celui prévu par la réglementation en vigueur au moment où ils sont survenus, la Commission n'a pas violé le principe de sécurité juridique.

Arrêt du 21 novembre 2012, Espagne / Commission (T-76/11) (cf. points 40-41, 64-65)

18. Concurrence - Procédure administrative - Cessation des infractions - Charges imposées aux entreprises - Respect des principes de proportionnalité et de sécurité juridique



Arrêt du 29 novembre 2012, CB / Commission (T-491/07) (cf. points 428, 430, 437-439, 443)

19. Droit de l'Union européenne - Principes - Protection de la confiance légitime - Communication d'une commission du Parlement européen concernant la pratique en matière de privilèges et immunités des membres - Communication n'ayant pas la nature d'un acte du Parlement - Acte ne comportant pas de renseignements précis, inconditionnels et concordants susceptibles de constituer des assurances précises pour fonder une confiance légitime - Décision s'écartant de ladite communication - Violation du principe de sécurité juridique - Absence

Une communication établie par le seul secrétariat général du Parlement européen, reprenant un document de la commission juridique et du marché intérieur sur sa pratique décisionnelle relative à la levée de l'immunité parlementaire et visant à sensibiliser les députés au regard de cette pratique, n'est pas un acte du Parlement et ne saurait donc pas lier ce dernier. Il s'ensuit qu'un tel document ne saurait comporter des renseignements précis, inconditionnels et concordants, émanant du Parlement, susceptibles de constituer des assurances précises de sa part pour fonder une confiance légitime chez un député européen.

De plus, en s'écartant de cette communication, le Parlement ne saurait violer le principe de sécurité juridique, dès lors que ladite communication n'est pas un acte de cette institution et ne peut pas être considérée comme une réglementation claire et précise permettant aux justiciables de connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations et de prendre leurs dispositions en conséquence.

Arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch / Parlement (T-346/11 et T-347/11) (cf. points 107, 115, 124)

20. Droit de l'Union européenne - Principes - Actes des institutions - Sécurité juridique



Arrêt du 26 février 2013, Espagne / Commission (T-65/10, T-113/10 et T-138/10) (cf. point 41)

21. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Réglementation pouvant comporter des conséquences financières

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean (C-183/14) (cf. point 31)

Arrêt du 15 décembre 2016, Espagne / Commission (T-548/14) (cf. point 44)

Arrêt du 17 mai 2018, Bayer CropScience / Commission (T-429/13 et T-451/13) (cf. points 285, 286)

En 2008, VR, une personne physique, a conclu un contrat avec Banco Espirito Santo, Sucursal en España (ci-après « BES Espagne »), la succursale espagnole de la banque portugaise Banco Espirito Santo (ci-après « BES »), par lequel elle a acquis des actions privilégiées d’un établissement de crédit islandais. Dans le contexte des graves difficultés financières de BES, Banco de Portugal, par une décision adoptée en août 2014, a décidé de créer une « banque relais », dénommée Novo Banco SA, à laquelle ont été transférés les actifs, passifs et autres éléments extrapatrimoniaux de BES. Certains éléments de passifs étaient toutefois exclus du transfert à Novo Banco. À la suite dudit transfert, Novo Banco SA, Sucursal en España (ci-après « Novo Banco Espagne ») a maintenu la relation commerciale que VR avait instaurée avec BES Espagne.

Le 4 février 2015, VR a introduit un recours devant le Juzgado de Primera Instancia de Vitoria (tribunal de première instance de Vitoria, Espagne) contre Novo Banco Espagne visant, à titre principal, à obtenir la nullité du contrat ou, à titre subsidiaire, la résiliation de celui-ci. Novo Banco Espagne a objecté ne pas avoir qualité pour être attraite en justice car, en vertu de la décision d’août 2014, la responsabilité alléguée constituait un passif qui ne lui avait pas été transféré.

Le tribunal de première instance de Vitoria ayant fait droit à la demande de VR, Novo Banco Espagne a interjeté appel devant l’Audiencia Provincial de Álava (cour provinciale d’Álava, Espagne). En cours d’instance, elle a déposé deux décisions adoptées par Banco de Portugal le 29 décembre 2015. Ces décisions apportaient des modifications à la décision d’août 2014, en précisant notamment que « à compter de ce jour, les passifs suivants de BES n’ont pas été transmis à Novo Banco : [...] toute responsabilité faisant l’objet de l’une des procédures décrites à l’annexe I », parmi lesquelles figurait l’action introduite par VR. De plus, elles prévoyaient que, dans la mesure où des actifs, des passifs ou des éléments extrapatrimoniaux auraient dû rester dans le domaine patrimonial de BES, mais avaient, de fait, été transférés à Novo Banco, ils étaient retransmis de Novo Banco à BES, avec effet au 3 août 2014.

La cour provinciale d’Álava ayant rejeté l’appel interjeté par Novo Banco Espagne, cette dernière a formé un recours devant la juridiction de renvoi, le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne). Novo Banco Espagne estime que, en vertu de la directive 2001/24, concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit{1}, les décisions du 29 décembre 2015 produisent, sans aucune autre formalité, leurs effets dans tous les États membres. La Cour suprême, considérant que ces décisions ont modifié la décision d’août 2014 avec effet rétroactif, a saisi la Cour afin de savoir si de telles modifications de fond doivent être reconnues dans les procédures judiciaires en cours.

Appréciation de la Cour

La Cour note que, en vertu de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/24, les mesures d’assainissement sont, en principe, appliquées conformément à la loi de l’État membre d’origine et produisent leurs effets selon la législation de cet État dans toute l’Union sans aucune autre formalité. Toutefois, par exception à ce principe, l’article 32 de cette directive prévoit que les effets de mesures d’assainissement sur une instance en cours concernant un bien ou un droit dont l’établissement de crédit est dessaisi sont régis exclusivement par la loi de l’État membre dans lequel cette instance est en cours.

En premier lieu, la Cour relève que l’application de cet article 32 nécessite que trois conditions cumulatives soient réunies et que celles-ci sont remplies dans le litige au principal. En effet, premièrement, il doit s’agir de mesures d’assainissement au sens de l’article 2 de la directive 2001/24, ce qui est le cas, en l’occurrence, puisque les décisions du 29 décembre 2015 sont destinées à préserver ou rétablir la situation financière d’un établissement de crédit.

Deuxièmement, il doit exister une instance en cours, notion qui couvre seulement les procédures au fond. En l’occurrence, d’une part, la procédure au principal doit être considérée comme une procédure au fond et, d’autre part, les décisions du 29 décembre 2015 ont été adoptées à un moment où la procédure initiée par VR le 4 février 2015 était déjà en cours.

Troisièmement, l’instance en cours doit concerner « un bien ou un droit dont l’établissement de crédit est dessaisi ». Eu égard aux disparités entre les versions linguistiques de l’article 32 de la directive 2001/24, la Cour examine la finalité de cette disposition et constate qu’elle vise à soumettre les effets des mesures d’assainissement ou des procédures de liquidation sur une instance en cours à la loi de l’État membre où se déroule cette instance. Or, il ne serait pas cohérent, au regard d’une telle finalité, d’exclure de l’application de cette dernière loi les effets produits par des mesures d’assainissement sur une instance en cours lorsque cette instance concerne des responsabilités éventuelles qui, au moyen de telles mesures d’assainissement, ont été transférées à une autre entité. Ainsi, cet article 32 doit s’appliquer concernant un ou plusieurs éléments patrimoniaux de l’établissement de crédit, relevant tant de l’actif que du passif, qui font l’objet de mesures d’assainissement, comme c’est le cas de la responsabilité éventuelle en cause au principal.

En deuxième lieu, s’agissant de l’étendue des effets des mesures d’assainissement régis par la loi de l’État membre dans lequel l’instance est en cours, la Cour relève que la loi de cet État membre régit tous les effets que de telles mesures peuvent avoir sur une telle instance, qu’ils soient procéduraux ou substantiels.

Par conséquent, il découle de l’article 3, paragraphe 2, et de l’article 32 de la directive 2001/24 que les effets, tant procéduraux que substantiels, d’une mesure d’assainissement sur une procédure judiciaire au fond en cours sont exclusivement ceux déterminés par la loi de l’État membre dans lequel cette procédure est en cours.

Par ailleurs, la Cour relève, d’une part, que la reconnaissance, dans la procédure au principal, des effets des décisions du 29 décembre 2015, en ce qu’elle serait de nature à remettre en cause les décisions judiciaires déjà prises en faveur de VR, contreviendrait au principe général de sécurité juridique. D’autre part, admettre que des mesures d’assainissement prises par l’autorité compétente de l’État membre d’origine postérieurement à l’introduction d’un recours dans un autre État membre et ayant pour conséquence de modifier, avec effet rétroactif, le cadre juridique pertinent pour trancher le litige ayant donné lieu à ce recours, puissent amener le juge saisi à rejeter celui-ci constituerait une limitation au droit à un recours effectif, au sens de l’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

La Cour conclut que l’article 3, paragraphe 2, et l’article 32 de la directive 2001/24, lus à la lumière du principe de sécurité juridique et de l’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux s’opposent à la reconnaissance, sans autre condition, dans une procédure judiciaire au fond en cours, des effets d’une mesure d’assainissement telle que les décisions du 29 décembre 2015, lorsqu’une telle reconnaissance conduit à ce que l’établissement de crédit auquel le passif avait été transmis par une première mesure d’assainissement perde, avec effet rétroactif, sa qualité pour être attrait en justice aux fins de cette procédure en cours, remettant ainsi en cause des décisions judiciaires déjà intervenues au profit de la partie requérante faisant l’objet de cette même procédure.

{1} Directive 2001/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 avril 2001, concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit (JO 2001, L 125, p. 15).

Arrêt du 29 avril 2021, Banco de Portugal e.a. (C-504/19) (cf. points 51, 52)



Arrêt du 16 septembre 2013, Espagne / Commission (T-3/07) (cf. point 65)

Arrêt du 30 janvier 2018, Przedsiębiorstwo Energetyki Cieplnej / ECHA (T-625/16) (cf. point 69)

22. Droit de l'Union européenne - Principes - Non-rétroactivité des dispositions pénales - Champ d'application - Amendes infligées en raison d'une violation des règles de concurrence - Inclusion - Violation éventuelle en raison de l'application à une infraction antérieure à leur introduction des lignes directrices pour le calcul des amendes - Caractère prévisible des modifications introduites par les lignes directrices - Absence de violation



Arrêt du 16 septembre 2013, Hansa Metallwerke e.a. / Commission (T-375/10) (cf. points 154-159)

23. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Notion - Réglementation défavorable aux particuliers - Exigence de clarté et de précision - Modifications législatives - Admissibilité - Prise en compte de situations particulières

Voir le texte de la décision.

Ordonnance du 16 janvier 2014, Dél-Zempléni Nektár Leader Nonprofit (C-24/13) (cf. points 32-34)

Arrêt du 17 décembre 2015, Szemerey (C-330/14) (cf. points 47, 48)

24. Harmonisation des législations fiscales - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Déduction de la taxe payée en amont - Pratique administrative des autorités fiscales nationales consistant à révoquer, dans un délai de forclusion, un droit à déduction de la taxe accordé à l'assujetti et à lui réclamer, après un nouveau contrôle, cette taxe ainsi que des majorations de retard - Principe de sécurité juridique - Admissibilité - Limites - Respect du droit de l'Union et de ses principes généraux, dont le principe de proportionnalité

Le principe de sécurité juridique ne s'oppose pas à une pratique administrative des autorités fiscales nationales consistant à révoquer, dans un délai de forclusion, une décision par laquelle elles ont reconnu à l'assujetti un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée en lui réclamant, à la suite d'un nouveau contrôle, cette taxe ainsi que des majorations de retard.

Certes, le principe de sécurité juridique exige que la situation fiscale de l'assujetti, eu égard à ses droits et obligations vis-à-vis de l'administration fiscale, ne soit pas indéfiniment susceptible d'être remise en cause. Toutefois, une réglementation nationale qui permet, à titre exceptionnel, dans un délai de prescription, d’effectuer un nouveau contrôle portant sur une période déterminée si apparaissent des données supplémentaires inconnues des inspecteurs fiscaux à la date des vérifications ou des erreurs de calcul ayant une influence sur les résultats de celles-ci, respecte le principe de sécurité juridique.

Concernant les majorations de retard, en l'absence d'harmonisation de la législation de l'Union dans le domaine des sanctions applicables en cas d'inobservation des conditions prévues par un régime institué par cette législation, les États membres demeurent compétents pour choisir les sanctions qui leur semblent appropriées. Ils sont toutefois tenus d'exercer leur compétence dans le respect du droit de l'Union et de ses principes généraux, et, par conséquent, dans le respect du principe de proportionnalité.

Arrêt du 6 février 2014, Fatorie (C-424/12) (cf. points 46-48, 50, 51, disp. 2)

25. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Réglementation de l'Union - Exigences de clarté et de précision - Effet des lignes directrices adoptées par la Commission

Le principe de sécurité juridique constitue un principe fondamental de droit de l'Union qui exige, notamment, qu'une réglementation soit claire et précise, afin que les justiciables puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations et prendre leurs dispositions en conséquence. Cependant, dès lors qu'un certain degré d'incertitude quant au sens et à la portée d'une règle de droit est inhérent à celle-ci, il convient d'examiner si la règle de droit en cause souffre d'une ambiguïté telle qu'elle ferait obstacle à ce que les justiciables puissent lever avec une certitude suffisante des éventuels doutes sur la portée ou le sens de cette règle.

À cet égard, les lignes directrices contenues dans des communications ou dans des avis interprétatifs de la Commission sont adoptées dans l’intérêt de garantir la transparence, la prévisibilité et la sécurité juridique de l’action menée par la Commission.

Il ressort du préambule de l’avis de la Commission concernant le remboursement des droits antidumping que cet avis a pour objectif de définir des lignes directrices pour l’application de l’article 11, paragraphe 8, du règlement antidumping de base nº 1225/2009 et, partant, d’informer les parties intéressées par une procédure de remboursement, notamment, des conditions auxquelles la demande doit satisfaire. Il a donc été adopté dans l’intérêt de renforcer la sécurité juridique de l’article 11, paragraphe 8, dudit règlement, qui comporte un certain degré d'incertitude quant au sens et à la portée de la règle de droit en cause, au profit desdites parties.

Dans la mesure où ledit avis de la Commission est destiné aux opérateurs économiques qui n’ont pas l’obligation de faire systématiquement appel à une assistance juridique pour leurs opérations courantes, il est primordial que son interprétation de l’article 11, paragraphe 8, du règlement précité soit faite dans les termes les plus clairs et univoques. De par l’objectif et la nature dudit avis, la lecture de ses dispositions doit permettre à un opérateur économique diligent et averti de connaître sans ambiguïté ses droits et ses obligations, voire de lever d’éventuels doutes sur la portée ou le sens desdites règles.

Or, ces conditions ne sont pas satisfaites par ledit avis de la Commission, qui émet des signaux contradictoires quant aux conditions pour l’introduction d’une demande de remboursement des droits antidumping et, plus particulièrement, quant aux délais pour l’introduction des demandes au titre de l’article 11, paragraphe 8, du règlement antidumping de base nº 1225/2009. À cet égard, le point 2.6, sous a), de cet avis prévoit en substance que les demandes au titre de l’article 11, paragraphe 8, dudit règlement doivent être introduites dans les six mois à compter de la date à laquelle le montant des droits antidumping a été dûment établi. En revanche, les points 2.1, sous b), et 2.2, sous a), ainsi que la note en bas de page nº 6 et le point 3.1.3, sous a), troisième alinéa, de cet avis, lus conjointement, impliquent que le délai pour l’introduction d’une telle demande ne court pas tant que lesdits droits n’ont pas été acquittés et s’opposent, par conséquent, au point 2.6, sous a), de cet avis. Ainsi, les opérateurs économiques qui se réfèrent à l’avis interprétatif dans l’exercice de leurs opérations courantes, peuvent, à sa lecture, avoir des doutes légitimes quant à la correcte interprétation à donner à l’article 11, paragraphe 8, du règlement antidumping de base nº 1225/2009.

Arrêt du 12 février 2014, Beco / Commission (T-81/12) (cf. points 68, 70-75, 77, 81-83)

26. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Réglementation nationale de soutien à la production d'électricité à partir de sources d'énergie renouvelables - Mesures de soutien réservées à la seule production d'électricité verte sur le territoire de l'État membre concerné - Champ d'application territorial ne ressortant pas expressément de ladite réglementation - Respect du principe de sécurité juridique - Vérification incombant au juge national

Il appartient à la juridiction nationale de vérifier, en tenant compte de l’ensemble des éléments pertinents au rang desquels peut notamment figurer le contexte normatif de droit de l’Union dans lequel s’inscrit une réglementation nationale de soutien à la production d'électricité à partir de sources d'énergie renouvelables réservant le bénéfice des mesures de soutien à la seule production d'électricité verte sur le territoire de l'État membre concerné, si, envisagée sous l’angle de son champ d’application territorial, ladite réglementation satisfait aux exigences découlant du principe de sécurité juridique.

Arrêt du 1er juillet 2014, Ålands Vindkraft (C-573/12) (cf. point 132, disp. 3)

27. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Réglementation de l'Union - Exigence de clarté et de prévisibilité

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 5 mars 2015, Europäisch-Iranische Handelsbank / Conseil (C-585/13 P) (cf. points 93, 94)

Arrêt du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a. / Conseil (T-14/14 et T-87/14) (cf. point 192)

Arrêt du 11 mai 2017, Deza / ECHA (T-115/15) (cf. point 135)

Arrêt du 21 juin 2018, Pologne / Parlement et Conseil (C-5/16) (cf. point 100)

Dans l’arrêt PT/BEI (T-573/16), rendu le 3 juillet 2019, le Tribunal a accueilli le recours d’un agent de la Banque européenne d’investissement (BEI) contre des décisions par lesquelles la BEI l’a « dispensé de service » pendant une durée totale de plus de deux ans et demi, et a bloqué l’accès à sa messagerie électronique et aux connections informatiques de la BEI. Dans sa décision, le Tribunal a annulé les décisions attaquées et a condamné la BEI au paiement de dommages et intérêts d’un montant de 25 000 euros au titre du préjudice moral subi en raison de ces décisions.

Le requérant a fait l’objet de plusieurs décisions qui l’ont, pendant une période prolongée, privé de toute possibilité de s’acquitter de ses fonctions, tout en maintenant son salaire. Ces décisions visaient, d’une part, à faciliter un retour à la normale dans un contexte de tensions préjudiciables au bon fonctionnement du service auquel le requérant était affecté et, d’autre part, à assurer le déroulement serein d’enquêtes au sujet d’allégations de chantage et de tentative de chantage portées contre le requérant ou à permettre à l’administration de tirer les conséquences des rapports d’enquête qui en ont résulté. Dans son recours, le requérant se prévalait d’une violation du principe de sécurité juridique et de l’obligation de motivation, en ce qu’il n’était pas en mesure de comprendre l’incidence sur des droits et obligations de quatre de ces décisions, dont il soutenait qu’elles comportaient des notions et des expressions dont il n’était en mesure d’apprécier ni la portée ni le sens précis et ne faisaient, pour les deux premières d’entre elles, pas état de la base juridique utilisée.

S’agissant, tout d’abord, de la compatibilité avec le principe de sécurité juridique et avec l’obligation de motivation du défaut d’identification de la base juridique utilisée dans les deux premières décisions, le Tribunal a relevé que ces dernières ne visaient aucune règle de droit, ni ne recelaient d’éléments qui aurait pu permettre au requérant d’identifier une telle base juridique. À cet égard, le Tribunal a observé que la notion de « dispense de service » elle-même ne trouve de fondement expresse dans aucun texte du droit de l’Union européenne et qu’il n’était pas démontré qu’elle correspondait à une pratique courante ou même connue au sein de la BEI en particulier et des institutions de l’Union en général. Le Tribunal a également constaté que la BEI s’était longtemps abstenue de répondre aux demandes de clarification du requérant quant à la base juridique utilisée, se contentant de l’informer qu’il ne faisait pas l’objet d’une suspension. Le Tribunal en a conclu que les deux premières décisions étaient entachées d’une violation du principe de sécurité juridique et d’un défaut de motivation.

S’agissant, ensuite, de la question de savoir dans quelle mesure le principe de sécurité juridique oblige une institution ou un organe de l’Union à spécifier la durée d’une mesure individuelle telle que la dispense de service dont le requérant a fait l’objet, le Tribunal a estimé qu’il appartenait à la BEI de mettre le requérant en mesure d’apprécier avec un degré de précision suffisant la durée pendant laquelle il était envisagé de le dispenser de service. Cette exigence s’imposait avec d’autant plus d’acuité qu’une dispense de service prolongée, telle que celle dont le requérant a fait l’objet, non seulement équivaut à une décision de suspension, en ce qu’elle le prive de la possibilité de s’acquitter de ses fonctions, mais est aussi susceptible d’avoir d’importantes conséquences défavorables sur sa situation professionnelle, administrative et financière. En effet, dans la mesure où une telle dispense de service interdit à l’intéressé de travailler, elle le prive de la possibilité d’être utilement évalué et, par suite, de la possibilité de bénéficier du versement de primes ou encore d’une promotion au mérite. Aucune tâche n’étant assignée à l’intéressé, il peut, de plus, se prévaloir d’une atteinte à ses intérêts moraux et au principe de la correspondance entre le grade et l’emploi. Or, à la différence d’une décision de suspension, dont la durée maximale est de trois mois sauf poursuites pénales, les troisième et quatrième décisions n’étaient assorties d’aucune limitation de durée chiffrée. Certes, ces décisions rappelaient la nature provisoire de la dispense de service et précisaient, en substance, que son terme était subordonné à la survenance d’un événement futur, à savoir l’établissement du rapport d’enquête de l’Office européen de lutte antifraude. Toutefois, la date de survenance d’un tel événement n’était pas déterminable avec un degré de précision suffisant. Le Tribunal en a conclu que les troisième et quatrième décisions étaient entachées d’une violationd

u principe de sécurité juridique.

Arrêt du 3 juillet 2019, PT / BEI (T-573/16) (cf. points 233-237)



Arrêt du 16 juillet 2014, National Iranian Oil Company / Conseil (T-578/12) (cf. points 112, 113, 115-123)

Arrêt du 14 septembre 2016, National Iranian Tanker Company / Conseil (T-207/15) (cf. points 57, 141, 142)

Arrêt du 21 septembre 2017, Eurofast / Commission (T-87/16) (cf. points 95, 97, 98)

Arrêt du 4 octobre 2018, Grèce / Commission (T-272/16) (cf. point 194)

Arrêt du 24 octobre 2018, Deza / Commission (T-400/17) (cf. points 103, 104)

28. Droit de l'Union européenne - Principes - Protection de la confiance légitime - Sécurité juridique - Protection refusée à l'auteur d'une violation de la réglementation en vigueur - Primauté du principe de légalité sur ceux de sécurité juridique et de confiance légitime justifiée par la nécessité de préserver l'égalité de traitement

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 5 septembre 2014, Éditions Odile Jacob / Commission (T-471/11) (cf. points 92-94)

29. Actes des institutions - Application dans le temps - Règles de procédure - Règles de fond - Distinction - Expiration du traité CECA - Décision d'application des règles de concurrence adoptée après cette expiration et visant des faits antérieurs à celle-ci - Principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et de la légalité des peines - Situations juridiques acquises antérieurement à l'expiration du traité CECA - Soumission au régime juridique du traité CECA

L’application des règles du traité CE dans un domaine initialement régi par le traité CECA doit intervenir dans le respect des principes gouvernant l’application de la loi dans le temps. À cet égard, si les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, les règles de fond doivent être interprétées, en vue de garantir le respect des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, comme ne visant des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, finalités ou économie qu’un tel effet doit leur être attribué.

Dans cette perspective, s’agissant de la question des dispositions matérielles applicables à une situation juridique définitivement acquise antérieurement à l’expiration du traité CECA, la continuité de l’ordre juridique de l’Union et les exigences relatives aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime imposent l’application des dispositions matérielles prises en application du traité CECA aux faits relevant de leur champ d’application ratione materiae et ratione temporis. À cet égard, le principe de légalité des délits et des peines n'exige pas, à l'égard d'une décision infligeant une amende pour infraction aux règles de concurrence, que l'acte en cause soit illicite non seulement au moment de sa commission, mais également au moment de sa sanction formelle.

Arrêt du 9 décembre 2014, SP / Commission (T-472/09 et T-55/10) (cf. points 140, 141, 143-145)

L’application des règles du traité CE dans un domaine initialement régi par le traité CECA doit intervenir dans le respect des principes gouvernant l’application de la loi dans le temps. À cet égard, si les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, les règles de fond doivent être interprétées, en vue de garantir le respect des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, comme ne visant des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, finalités ou économie qu’un tel effet doit leur être attribué.

Dans cette perspective, s’agissant de la question des dispositions matérielles applicables à une situation juridique définitivement acquise antérieurement à l’expiration du traité CECA, la continuité de l’ordre juridique de l’Union et les exigences relatives aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime imposent l’application des dispositions matérielles prises en application du traité CECA aux faits relevant de leur champ d’application ratione materiae et ratione temporis. À cet égard, le principe de légalité des délits et des peines n'implique pas que la norme matérielle pour la violation de laquelle une sanction est infligée soit en vigueur non seulement au moment de la commission d’une illégalité, mais aussi au moment de l’adoption de la décision prononçant la sanction.

Arrêt du 9 décembre 2014, Lucchini / Commission (T-91/10) (cf. points 147, 148, 150-153)



Arrêt du 9 décembre 2014, Leali et Acciaierie e Ferriere Leali Luigi / Commission (T-489/09, T-490/09 et T-56/10) (cf. points 127, 128, 130-132)

Arrêt du 9 décembre 2014, IRO / Commission (T-69/10) (cf. points 116-119)

Arrêt du 9 décembre 2014, Feralpi / Commission (T-70/10) (cf. points 117, 118, 120-122)

Arrêt du 9 décembre 2014, Ferriere Nord / Commission (T-90/10) (cf. points 81, 82, 85-87, 121)

30. Droit de l'Union européenne - Principes - Principe de l'application rétroactive de la peine plus légère - Principe comptant parmi les principes généraux du droit de l'Union et inscrit à la charte des droits fondamentaux de l'Union - Détermination de la lex mitior - Critères - Loi la plus favorable in concreto



Arrêt du 9 décembre 2014, Riva Fire / Commission (T-83/10) (cf. points 83, 85)

31. Actes des institutions - Application dans le temps - Règles de procédure - Règles de fond - Distinction - Expiration du traité CECA - Décision d'application des règles de concurrence adoptée après cette expiration et visant des faits antérieurs à celle-ci - Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime - Situations juridiques acquises antérieurement à l'expiration du traité CECA - Soumission au régime juridique du traité CECA



Arrêt du 9 décembre 2014, Alfa Acciai / Commission (T-85/10) (cf. points 113, 114, 116, 148)

Arrêt du 9 décembre 2014, Ferriera Valsabbia et Valsabbia Investimenti / Commission (T-92/10) (cf. points 113, 114, 116, 148)

32. Droit de l'Union européenne - Principes - Principe de l'application rétroactive de la peine plus légère - Principe comptant parmi les principes généraux du droit de l'Union et inscrit à la charte des droits fondamentaux de l'Union

Le principe de rétroactivité de la loi pénale plus favorable, tel que consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, fait partie du droit primaire de l’Union. Même avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui a conféré à la charte la même valeur juridique que les traités, il a été jugé que ce principe découlait des traditions constitutionnelles communes aux États membres et, partant, devait être considéré comme faisant partie des principes généraux du droit de l’Union que le juge national doit respecter lorsqu’il applique le droit national.

Arrêt du 6 octobre 2016, Paoletti e.a. (C-218/15) (cf. point 25)



Arrêt du 9 décembre 2014, Ferriere Nord / Commission (T-90/10) (cf. point 90)

33. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Notion - Réglementation défavorable aux particuliers - Exigence de clarté et de précision



Arrêt du 12 décembre 2014, Xeda International / Commission (T-269/11) (cf. point 127)

34. CEEA - Protection sanitaire - Établissement de normes de sécurité uniformes - Directive 2013/51 - Violation du principe de sécurité juridique - Absence

Le principe de sécurité juridique, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les règles du droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union.

Dans le domaine de la protection sanitaire de la population, assurée par les dispositions du chapitre 3 du titre II du traité CEEA, il n’y a aucune contradiction dans l’articulation entre la directive 2013/51, fixant des exigences pour la protection de la santé de la population en ce qui concerne les substances radioactives dans les eaux destinées à la consommation humaine, et la directive 98/83, relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine. En effet, d'une part, les deux directives fixent les mêmes valeurs paramétriques. D'autre part, par rapport à la directive 98/83 qui concerne, de manière générale, la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, la directive 2013/51 constitue une lex specialis pour ce qui concerne la protection sanitaire de la population contre les dangers résultant des substances radioactives dans de telles eaux. À cet égard, le principe lex specialis derogat legi generali est applicable même si la lex generalis et la lex specialis émanent de la même institution. Il s'ensuit que, en cas d’incompatibilité éventuelle entre les régimes établis par ces deux directives, les dispositions de la directive 2013/51 primeront sur celles de la directive 98/83, ainsi que le confirme expressément le considérant 5 de la directive 2013/51, de sorte qu'aucune violation du principe de sécurité juridique ne peut en résulter.

Arrêt du 12 février 2015, Parlement / Conseil (C-48/14) (cf. points 45, 46, 49-51)

35. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Notion - Règlement portant modification du régime d'aide à la production pour les fruits et légumes transformés

Le principe de sécurité juridique exige que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables.

Tel est le cas des dispositions du règlement nº 302/2012, modifiant le règlement d’exécution nº 543/2011 portant modalités d’application du règlement nº 1234/2007 en ce qui concerne les secteurs des fruits et légumes et des fruits et légumes transformés, lesquelles énoncent les droits et obligations des entités juridiques intéressées d’une façon claire et précise, permettant à ces dernières de connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations, et ce dès l’entrée en vigueur du règlement nº 302/2012. Il en va de même pour les dispositions transitoires figurant à l’article 2, paragraphes 1 à 3, dudit règlement, qui régissent les droits des groupements de producteurs de fruits et de légumes dans le cadre de l’application des nouvelles règles relatives au montant des aides. Ces dispositions transitoires satisfont également à l’exigence de prévisibilité, dans la mesure où elles permettent aux producteurs de fruits et de légumes concernés de connaître les règles de financement qui leur seront applicables à l’avenir en fonction du degré d’avancement des investissements prévus dans leurs plans de reconnaissance.

Arrêt du 22 avril 2015, Pologne / Commission (T-290/12) (cf. points 50-52)

36. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives à l'encontre de l'Iran - Mesures prises dans le cadre de la lutte contre la prolifération nucléaire - Portée du contrôle - Contrôle restreint pour les règles générales - Critères d'adoption des mesures restrictives - Appui au gouvernement iranien - Portée - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques

Le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives. À cet égard, par sa formulation très large, le critère d’appui au gouvernement iranien confère un pouvoir d’appréciation au Conseil. Toutefois, ce pouvoir n'est ni exorbitant ni arbitraire. En effet, premièrement, le principe de sécurité juridique, qui constitue un principe général du droit de l’Union et qui exige notamment que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables, est, certes, applicable en ce qui concerne les mesures restrictives qui affectent lourdement les droits et libertés des personnes et entités concernées. Deuxièmement, le critère d'appui au gouvernement iranien s’inscrit dans un cadre juridique clairement délimité par les objectifs poursuivis par la réglementation régissant les mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, notamment le considérant 13 de la décision 2012/35, laquelle a inséré ce critère à l’article 20, paragraphe 1, de la décision 2010/413, concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Iran. Comme il ressort de ce considérant 13 de la décision 2012/35, ledit critère vise de manière ciblée et sélective des activités propres à la personne ou à l’entité concernée et qui, même si elles n’ont en tant que telles aucun lien direct ou indirect avec la prolifération nucléaire, sont cependant susceptibles de la favoriser, en fournissant au gouvernement iranien des ressources ou des facilités d’ordre matériel, financier ou logistique lui permettant de poursuivre les activités de prolifération.

Ledit critère ne vise donc pas toute forme d’appui au gouvernement iranien, mais les formes d’appui qui, par leur importance quantitative ou qualitative, contribuent à la poursuite des activités nucléaires iraniennes. Il définit ainsi de manière objective une catégorie circonscrite de personnes et d’entités susceptibles de faire l’objet de mesures de gel des fonds. Il est par conséquent susceptible de s’appliquer à toute entité apportant un appui, notamment sous forme d’un soutien financier, au gouvernement iranien. En revanche, il ne vise pas l’ensemble des entités détenues par le gouvernement iranien ou entretenant des liens avec ce dernier, voire l’ensemble des contribuables iraniens.

Arrêt du 29 avril 2015, Bank of Industry and Mine / Conseil (T-10/13) (cf. points 75-80, 83, 84, 88)



Arrêt du 29 avril 2015, National Iranian Gas Company / Conseil (T-9/13) (cf. points 57-62, 65-67, 71)

Arrêt du 22 septembre 2016, Tose'e Ta'avon Bank / Conseil (T-435/14) (cf. points 39-43, 52-54)

Arrêt du 30 novembre 2016, Bank Refah Kargaran / Conseil (T-65/14) (cf. points 38-40, 119)

Arrêt du 30 novembre 2016, Export Development Bank of Iran / Conseil (T-89/14) (cf. points 38-40, 109)

37. Rapprochement des législations - Propriété industrielle et commerciale - Droit de brevet - Brevet européen à effet unitaire - Règlement nº 1260/2012 établissant les modalités applicables en matière de traduction - Violation du principe de sécurité juridique - Absence

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 5 mai 2015, Espagne / Conseil (C-147/13) (cf. points 79, 81-88)

38. Rapprochement des législations - Allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires - Règlements nº 178/2002 et nº 1924/2006 - Allégations de santé autres que celles faisant référence à la réduction du risque de maladie ainsi qu'au développement et à la santé infantiles - Adoption de la liste harmonisée d'allégations autorisées - Obligation d'adopter des lignes directrices concernant l'évaluation par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) des demandes d'autorisation d'allégations - Absence - Violation du principe de sécurité juridique - Absence

Ni le règlement nº 1924/2006, concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires, ni le règlement nº 178/2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, ne contiennent une quelconque obligation pour la Commission ou pour l’EFSA de fournir, avant le commencement de la procédure d’évaluation visée à l’article 13, paragraphe 3, du règlement nº 1924/2006, des lignes directrices spécifiques concernant la manière dont l’EFSA entend évaluer les demandes d’autorisation d’allégations. La circonstance que l’EFSA a ultérieurement adopté de telles lignes directrices, à la lumière de l’expérience qu’elle avait acquise lors des premières évaluations effectuées, n’est pas de nature à démontrer l’existence d’une atteinte à la sécurité juridique. Tout au contraire, il y a lieu de considérer que l’adoption desdites lignes directrices contribue à renforcer ladite sécurité au regard notamment des parties intéressées.

Arrêt du 12 juin 2015, Health Food Manufacturers' Association e.a. / Commission (T-296/12) (cf. point 149)

39. Rapprochement des législations - Allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires - Règlement nº 1924/2006 - Allégations de santé autres que celles faisant référence à la réduction du risque de maladie ainsi qu'au développement et à la santé infantiles - Adoption de la liste harmonisée d'allégations autorisées - Établissement de mesures provisoires s'appliquant aux allégations de santé en suspens ou en cours d'évaluation - Identification des allégations en suspens par le biais d'un renvoi vers plusieurs sites Internet - Violation du principe de sécurité juridique - Absence

Ne saurait constituer une violation du principe de sécurité juridique, qui exige que les règles de droit soient claires et précises et que leurs conséquences soient prévisibles, le fait que, afin d’identifier des allégations de santé en cours d’évaluation et pouvant être utilisées conformément à l’article 28, paragraphes 5 et 6, du règlement nº 1924/2006, concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires, à la suite de l’adoption du règlement nº 432/2012, établissant une liste des allégations de santé autorisées portant sur les denrées alimentaires, autres que celles faisant référence à la réduction du risque de maladie ainsi qu’au développement et à la santé infantiles, les considérants 4 et 11 du règlement nº 432/2012 opèrent un renvoi vers les sites Internet respectifs de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et de la Commission, où sont mises à la disposition du public, d’une part, la liste consolidée recensant l’ensemble des codes ID des allégations de santé transmises par les États membres au titre de l’article 13, paragraphe 2, du règlement nº 1924/2006, concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires, et, d’autre part, la liste énumérant les codes ID relatifs aux allégations de santé demeurant en suspens, ainsi que la liste des codes ID relatifs aux allégations de santé ayant été rejetées. À cet égard, bien qu’il ait été souhaitable que la Commission adopte, s’agissant tant des allégations en suspens que des allégations rejetées, une liste présentant un format semblable à celui de la liste des allégations autorisées, annexée au règlement nº 432/2012, afin de faciliter la tâche d’identification aux parties intéressées, la circonstance que la Commission a, en l’espèce, procédé différemment ne saurait suffire à étayer un grief tiré du manque de clarté ou de précision à ce sujet.

Par ailleurs, le fait que les autorités d’un État membre estiment que la recherche des allégations de santé en suspens entraîne une certaine difficulté n’est, en soi, pas suffisant pour reprocher à la Commission un manque de précision ou de clarté, dans la mesure où les allégations en suspens peuvent être retrouvées en consultant les documents mis à la disposition du public par la Commission et par l’EFSA. De même, la décision par lesdites autorités de proposer un instrument d’aide aux producteurs de denrées alimentaires ne saurait être considérée comme révélatrice d’un vice du règlement nº 432/2012, de nature à entraîner son annulation, mais plutôt comme un mécanisme d’aide que lesdites autorités ont, de leur propre initiative, décidé d’adopter dans le cadre de leurs compétences.

Arrêt du 12 juin 2015, Health Food Manufacturers' Association e.a. / Commission (T-296/12) (cf. points 86, 87, 89)

40. Harmonisation des législations fiscales - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Prestations de services - Requalification d'une opération de service vétérinaire exonérée en activité soumise à la taxe sur la valeur ajoutée - Admissibilité au regard du principe de sécurité juridique - Absence d'application systématique de cette taxe par les autorités nationales - Admissibilité au regard du principe de protection de la confiance légitime - Vérification par le juge national

Les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ne s’opposent pas à ce qu’une administration fiscale décide que des services de médecine vétérinaire soient soumis à la taxe sur la valeur ajoutée, suite à la suppression d'une opération de la liste de celles exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée, dès lors que cette décision se fonde sur des règles claires et que la pratique de cette administration n’a pas été de nature à créer, dans l’esprit d’un opérateur économique prudent et avisé, une confiance raisonnable dans la non-application de cette taxe à de tels services, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

En effet, d'une part, la seule circonstance que l'administration fiscale requalifie une opération donnée en activité économique soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, pendant le délai de prescription, ne saurait, à elle seule, porter atteinte au principe de sécurité juridique.

En ce qui concerne, d'autre part, le principe de protection de la confiance légitime, le fait que les autorités fiscales nationales n’auraient pas soumis, de manière systématique, les services de médecine vétérinaire à la taxe sur la valeur ajoutée après la suppression de la référence aux soins vétérinaires de la liste des opérations exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée, ne saurait a priori suffire, sauf circonstances tout à fait particulières, à créer, dans l’esprit d’un opérateur économique normalement prudent et avisé, une confiance raisonnable dans la non-application de cette taxe à de tels services alors que ladite taxe est d’application générale et les services de médecine vétérinaire avaient été retirés de la liste des opérations exonérées.

Arrêt du 9 juillet 2015, Cabinet Medical Veterinar Dr. Tomoiagă Andrei (C-144/14) (cf. points 41, 46, 48, disp. 2)

41. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique et protection des particuliers - Réglementation nationale intervenant dans un domaine régi par le droit de l'Union - Nécessité d'une formulation non équivoque

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean (C-183/14) (cf. point 32)

42. Harmonisation des législations fiscales - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Déduction de la taxe payée en amont - Pratique administrative des autorités fiscales nationales consistant à requalifier, à la suite d'un contrôle fiscal, une opération en activité économique soumise à la taxe sur la valeur ajoutée et à imposer des majorations - Admissibilité - Violation des principes de sécurité juridique et de confiance légitime - Absence - Obligation de respecter le principe de proportionnalité - Vérification incombant à la juridiction nationale

Les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ne s’opposent pas à ce qu’une administration fiscale nationale décide, à la suite d’un contrôle fiscal, de soumettre des opérations à la taxe sur la valeur ajoutée et impose le paiement de majorations, à la condition que cette décision se fonde sur des règles claires et précises et que la pratique de cette administration n’ait pas été de nature à créer, dans l’esprit d’un opérateur économique prudent et avisé, une confiance raisonnable dans la non-application de cette taxe à de telles opérations, ce qu’il revient à la juridiction nationale de vérifier. Les majorations appliquées dans de telles circonstances doivent respecter le principe de proportionnalité.

Arrêt du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean (C-183/14) (cf. point 53, disp. 1)

43. Aides accordées par les États - Récupération d'une aide illégale - Versement d'intérêts justifié par la nécessité de rétablir la situation antérieure - Application du taux d'intérêt sur une base composée - Règlement nº 794/2004 - Champ d'application ratione temporis - Réglementation nationale prévoyant l'application de taux d'intérêt sur une base composée avant l'entrée en vigueur du règlement nº 794/2004 - Admissibilité - Réglementation nouvelle non rétroactive applicable aux effets futurs de situations nées sous l'empire de la réglementation antérieure - Violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime - Absence

L’article 14 du règlement nº 659/1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE, ainsi que les articles 11 et 13 du règlement nº 794/2004, concernant la mise en œuvre du règlement nº 659/1999, ne s’opposent pas à une réglementation nationale prévoyant, par le biais d’un renvoi au règlement nº 794/2004, l’application d’intérêts composés à la récupération d’une aide d’État, alors même que la décision ayant déclaré cette aide incompatible avec le marché commun et en ayant ordonné la récupération a été adoptée et notifiée à l’État membre concerné antérieurement à l’entrée en vigueur de ce règlement.

En effet, l’article 11, paragraphe 2, du règlement nº 794/2004 n’est applicable, conformément à l’article 13, cinquième alinéa, de ce règlement, qu’aux décisions de récupération notifiées après la date d’entrée en vigueur dudit règlement, soit après le 20 mai 2004. Partant, l’article 11, paragraphe 2, de ce règlement n’est pas, en tant que tel, applicable ratione temporis à une décision ordonnant la récupération d’une aide, notifiée à un État membre avant cette date. En l’absence de disposition du droit de l’Union en la matière, il revient au droit national de déterminer si, en l’occurrence, le taux d’intérêt doit être appliqué sur une base simple ou sur une base composée.

À cet égard, une réglementation nationale qui renvoie au seul chapitre V du règlement nº 794/2004 ne saurait être considérée comme contraire à l'article 13 de ce règlement. En effet, il ne saurait être déduit de la limitation de l’applicabilité ratione temporis du règlement nº 794/2004, résultant des règles posées à cet égard par son article 13, un principe interdisant aux États membres, seuls compétents avant le 20 mai 2004 pour déterminer la base de calcul des intérêts, de légiférer dans un sens plutôt que dans un autre. L’article 13 du règlement nº 794/2004 n’introduit donc pas une règle de non-rétroactivité applicable aux législations nationales avant l’entrée en vigueur du règlement nº 794/2004.

Dès lors qu'une aide d'État, déclarée incompatible avec le marché commun par une décision de la Commission, notifiée avant l'entrée en vigueur du règlement nº 794/2004, n'avait pas été récupérée ni même fait l'objet d'avis d'imposition à la date d'entrée en vigueur d'une réglementation nationale imposant, pour la récupération de telles aides, l’application d’intérêts composés en remplacement de dispositions antérieures prévoyant l’application d’intérêts simples, cette réglementation nationale ne saurait être considérée comme affectant une situation acquise antérieurement. Ainsi, une telle réglementation nationale n’a aucun effet rétroactif et se borne à appliquer une réglementation nouvelle aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la réglementation antérieure. Par conséquent, les principes généraux de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ne s’opposent pas à une telle réglementation.

Arrêt du 3 septembre 2015, A2A (C-89/14) (cf. points 27-29, 32, 34, 39-41, 43, 48 et disp.)

44. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives à l'encontre de l'Iran - Mesures prises dans le cadre de la lutte contre la prolifération nucléaire - Portée du contrôle - Contrôle restreint pour les règles générales - Critères d'adoption des mesures restrictives - Association à une entité fournissant un appui au gouvernement iranien - Portée - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques



Arrêt du 4 septembre 2015, NIOC e.a. / Conseil (T-577/12) (cf. points 124-127, 131, 132, 134-142)

45. Droit de l'Union européenne - Principes - Protection de la confiance légitime - Sécurité juridique - Procédure en matière de concurrence - Applicabilité - Portée - Modification d'une situation existante relevant du pouvoir d'appréciation de la Commission - Absence de violation de ces principes



Arrêt du 9 septembre 2015, Philips / Commission (T-92/13) (cf. points 135, 139)

46. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Notion

Par son arrêt du 22 mai 2019, Ertico - ITS Europe/Commission (T-604/15), le Tribunal a rejeté la demande de la requérante, European Road Transport Telematics Implementation Coordination Organisation - Intelligent Transport Systems & Services Europe (Ertico - ITS Europe) tendant à l’annulation de la décision du 18 août 2015 (ci-après la « décision attaquée ») du panel de validation en vertu des points 1.2.6 et 1.2.7 de la décision 2012/838, dans la mesure où cette décision conclut que la requérante ne peut pas être qualifiée de micro, petite ou moyenne entreprise au sens de la recommandation 2003/361 . En outre, eu égard aux circonstances particulières dans cette affaire, la Commission a été condamnée à supporter, outre ses propres dépens, la moitié des dépens exposés par Ertico - ITS Europe.

La requérante est une société coopérative fournissant une plate-forme multisectorielle aux acteurs, tant privés que publics, du secteur des systèmes et des services de transport intelligents.

Depuis le 31 décembre 2006, la requérante était considérée comme étant une micro, petite ou moyenne entreprise (ci-après une « PME ») au sens de la recommandation 2003/361. Ce statut lui a permis de bénéficier, pendant plusieurs années, de subventions supplémentaires de la part de l’Union européenne, notamment dans le cadre du septième programme-cadre de la Communauté européenne pour des activités de recherche, de développement technologique et de démonstration (2007 - 2013).

En décembre 2013, dans le cadre d’une révision du statut de PME des participants aux programmes de recherche existants, l’Agence exécutive pour la recherche (REA), en tant que service de validation du statut de PME des participants, a demandé à la requérante des informations permettant de justifier qu’elle pouvait continuer à bénéficier du statut de PME. Après un échange de courriels, la REA a décidé, le 27 janvier 2014, que la requérante ne pouvait pas être considérée comme étant une PME.

La requérante a contesté cette décision devant le panel de validation en vertu des points 1.2.6 et 1.2.7 de l’annexe de la décision 2012/838/UE. Ce recours a été rejeté par décision du 15 avril 2014 (ci-après, la « première décision négative). Cette décision a été ensuite retirée et le panel de validation a adopté la décision attaquée.

Tout d’abord, le Tribunal a jugé que les points 1.2.6 et 1.2.7 de l’annexe de la décision 2012/838 et l’article 22 du règlement nº 58/2003 ne concernent pas une seule et même procédure de contrôle. En l’espèce, cette dernière disposition n’était pas applicable. Partant, en l’espèce, le recours de la requérante a été formé en vertu des points 1.2.6 et 1.2.7 de l’annexe de la décision 2012/838.

S’agissant du critère d’indépendance dans le cadre de la recommandation 2003/361, le Tribunal a conclu que le critère appliqué par le panel de validation dans la décision attaquée ne viole pas la recommandation 2003/361, étant donné qu’il faut interpréter le critère d’indépendance à la lumière de l’objectif d’assurer que les mesures destinées aux PME profitent véritablement aux entreprises pour lesquelles la taille constitue un handicap et non à celles qui appartiennent à un grand groupe et qui ont donc accès aux moyens et aux soutiens dont ne disposent pas leurs concurrentes de taille équivalente. Dans ces conditions, afin de ne retenir que les entreprises qui constituent effectivement des PME indépendantes, il y a lieu d’examiner la structure de PME qui forment un groupe économique dont la puissance dépasse celle d’une telle entreprise et de veiller à ce que la définition des PME ne soit pas contournée pour des motifs purement formels.

Après avoir jugé que la décision attaquée est entachée d’une erreur d’appréciation en ce qu’il a été conclu que la requérante n’était pas une entreprise au sens de l’article 1er de l’annexe de la recommandation 2003/361, notamment en raison du fait que les cotisations annuelles versées à la requérante par ses membres, ces derniers n’étant pas des PME, étaient la contrepartie des services fournis par celle-ci, le Tribunal a néanmoins souligné qu’il y avait lieu d’examiner si, compte tenu des éléments de l’espèce, le panel de validation pouvait conclure à l’absence d’indépendance de la requérante. Il a conclu que le panel de validation n’a pas fait une mauvaise application de la recommandation 2003/361 dans la mesure où il a considéré que la requérante ne faisait pas face aux handicaps que les PME subissaient habituellement, notamment du fait que les montants desdites cotisations annuelles étaient fixés en fonction des dépenses de la requérante, de sorte que la requérante ne pouvait pas être qualifiée de PME au sens de ladite recommandation, en dépit du fait qu’elle est une entreprise.

En outre, la requérante n’étant pas considérée comme satisfaisant au critère d’indépendance, elle ne saurait prétendre qu’elle satisfait aux critères d’effectifs et de seuils financiers prévus à l’article 2 de l’annexe de la recommandation 2003/361. Ainsi, conformément à l’article 6 de l’annexe de la recommandation 2003/361, lesdits critères d’effectifs et de seuils financiers ne saurait être déterminés sur la base des données isolées de la requérante puisque celle-ci n’était pas une entreprise indépendante et que ses membres étaient des entreprises qui ne sont pas des PME.

Enfin, la Commission a été condamnée à supporter, outre ses propres dépens, la moitié des dépens exposés par Ertico - ITS Europe. En effet, d’une part, l’interaction entre les procédures de recours régies par les points 1.2.6 et 1.2.7 de l’annexe de la décision 2012/838 et par l’article 22 du règlement nº 58/2003 ne ressortait pas clairement des dispositions de la décision 2012/838, ce qui avait été confirmé par la Commission au cours de l’audience. D’autre part, la description de la procédure applicable devant le panel de validation, contenue aux points 1.2.6 et 1.2.7 de l’annexe de la décision 2012/838, présentait des lacunes considérables, notamment l’absence d’indication des délais procéduraux, ce qui compliquait davantage la bonne compréhension des règles applicables. Par conséquent, le Tribunal a fait application de l’article 135, paragraphe 2, de son règlement de procédure.

Arrêt du 22 mai 2019, Ertico - ITS Europe / Commission (T-604/15) (cf. point 68)



Ordonnance du 16 septembre 2015, VSM Geneesmiddelen / Commission (T-578/14) (cf. point 63)

Ordonnance du 16 septembre 2015, Bionorica / Commission (T-619/14) (cf. point 51)

Ordonnance du 16 septembre 2015, Diapharm / Commission (T-620/14) (cf. point 50)

47. Aides accordées par les États - Décision de la Commission constatant la compatibilité d'une mesure nationale avec le marché intérieur sous certaines conditions - Violation de l'article 7, paragraphe 1, du règlement nº 659/1999 et du principe de sécurité juridique - Absence

En matière d’aides d’État, l’article 7, paragraphe 1, du règlement nº 659/1999, portant modalités d'application de l'article [108 TFUE], prévoit quatre types de décisions susceptibles de clore la procédure formelle d’examen : la décision par laquelle il est considéré que la mesure en cause n’est pas une aide, celle reconnaissant, le cas échéant après modification par l’État membre concerné, que l’aide en cause est compatible avec le marché intérieur ("décision positive"), celle aux termes de laquelle la Commission assortit une décision positive de conditions lui permettant de reconnaître la compatibilité avec le marché intérieur et d’obligations lui permettant de contrôler le respect de sa décision ("décision conditionnelle") et, enfin, la décision par laquelle la Commission estime l’aide incompatible avec le marché intérieur ("décision négative").

Une décision par laquelle une aide d’État accordée à une entreprise n’est considérée comme compatible avec le marché intérieur qu’à la condition que des corrections soient adoptées s’agissant de la répartition des charges entre actionnaires, afin de renforcer la contribution des actionnaires minoritaires, constitue une décision conditionnelle au sens de l’article 7, paragraphe 4, du règlement nº 659/1999. Dans un tel contexte, la Commission n’a donc pas eu besoin de statuer sur l’existence d’une aide d’État indirecte consentie au profit des actionnaires minoritaires, car c’est précisément afin d’éviter que celle-ci ne soit constituée que lesdites corrections ont été adoptées.

Ainsi, la Commission ne méconnaît pas l’article 7, paragraphe 1, du règlement nº 659/1999, ni le principe de sécurité juridique en ne se prononçant pas, dans le dispositif de la décision attaquée, sur l’existence d’une aide indirecte au profit des actionnaires minoritaires, dès lors que c’est en vue de prévenir la survenance d’une telle éventualité qu’ont été posées les corrections s’agissant de la répartition des charges entre actionnaires, afin de renforcer la contribution des actionnaires minoritaires.

Arrêt du 12 novembre 2015, HSH Investment Holdings Coinvest-C et HSH Investment Holdings FSO / Commission (T-499/12) (cf. points 79-81)

48. Droit de l'Union européenne - Principes - Proportionnalité - Portée - Corrections financières forfaitaires appliquées aux agriculteurs pour non-respect des exigences en matière de conditionnalité - Violation - Absence - Violation des principes de légalité, de sécurité juridique et de coopération loyale - Absence



Arrêt du 12 novembre 2015, Italie / Commission (T-255/13) (cf. points 136-142, 146)

49. Union douanière - Déclarations en douane - Contrôle a posteriori - Réglementation nationale restreignant le réexamen des résultats d'un contrôle a posteriori dans les trois ans suivant la naissance de la dette douanière - Inadmissibilité - Violation du principe de protection de la sécurité juridique du fait de la possibilité d'un tel contrôle dans ce délai - Absence

L’article 78, paragraphe 3, du règlement nº 2913/92, établissant le code des douanes communautaire, tel que modifié par le règlement nº 2700/2000, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui restreint la possibilité pour les autorités douanières de réitérer une révision ou un contrôle a posteriori et d’en tirer les conséquences en fixant une nouvelle dette douanière, pour autant que cette restriction se réfère à une période de trois ans à compter de la date de naissance de la dette douanière initiale, ce qu’il incombe au juge national de vérifier.

En effet, dans la mesure où, à l’expiration du délai de trois ans à compter de la date de la naissance de la dette douanière, il n’est plus possible de communiquer une nouvelle dette douanière et de tirer, ainsi, les conséquences d’une révision ou des contrôles a posteriori au sens de l’article 78, paragraphe 3, du code des douanes, les États membres ne sauraient être, au regard du principe de sécurité juridique, empêchés de restreindre le recours à la procédure de révision que ledit article prévoit après l’écoulement de trois ans à compter de la date de la naissance de la dette douanière initiale, notamment en subordonnant cette révision à un tel délai de prescription. En revanche, pendant cette période de trois ans, la réglementation nationale d’un État membre doit permettre aux autorités douanières de prendre, à nouveau, une mesure pour rétablir la situation en conséquence d’une révision ou d’un contrôle a posteriori conformément à l’article 78, paragraphe 3, du code des douanes, notamment en modifiant la dette douanière. En outre, la prise d’une telle mesure doit être possible même après l’expiration de ladite période dans une situation dans laquelle une dette douanière résulte, au sens de l’article 221, paragraphe 4, de ce code, d’un acte qui était, à la date où il a été commis, passible de poursuites judiciaires répressives, ce qu’il appartiendrait au juge national de vérifier.

Par ailleurs, le principe de protection de la confiance légitime ne s’oppose pas à ce que les autorités douanières procèdent à des révisions ou à des contrôles a posteriori ultérieurs et en tirent les conséquences au sens de l’article 78, paragraphe 3, du code des douanes. En effet, pendant la période de trois ans à compter de la naissance de la dette douanière initiale, un redevable doit, en tant qu’opérateur économique, accepter le risque, et prendre les dispositions nécessaires pour s’en prémunir, que les autorités douanières reviennent sur la décision concernant la dette douanière en tenant compte des nouveaux éléments dont elles disposent éventuellement à la suite de contrôles.

Arrêt du 10 décembre 2015, SIA Veloserviss (C-427/14) (cf. points 36, 37, 41, 42, 46, et disp.)

50. Agriculture - Politique agricole commune - Financement par le FEAGA - Apurement des comptes - Refus de prise en charge de dépenses découlant d'irrégularités dans l'application de la réglementation de l'Union - Identification par la Commission des dispositions fondant la décision - Violation du principe de sécurité juridique - Absence



Arrêt du 10 décembre 2015, Belgique / Commission (T-563/13) (cf. point 146)

51. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Réglementation de l'Union - Exigences de clarté et de précision

Le principe de sécurité juridique constitue un principe fondamental du droit de l’Union qui exige notamment qu’une réglementation soit claire et précise, afin que les justiciables puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations et prendre leurs dispositions en conséquence.

Arrêt du 27 janvier 2016, DF / Commission (T-782/14 P) (cf. point 45)



Arrêt du 9 mars 2017, Pologne / Commission (C-105/16 P) (cf. point 54)

Arrêt du 10 octobre 2019, ZM e.a. / Conseil (T-632/18) (cf. point 57)

Ordonnance du 2 juin 2022, Mélin / Parlement (C-541/21 P) (cf. point 34)

Ordonnance du 2 juin 2022, Arnautu / Parlement (C-573/21 P) (cf. point 33)

52. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Portée - Intangibilité des actes des institutions - Respect des règles de compétence et de procédure - Obligation d'éviter les incohérences pouvant subvenir dans la mise en œuvre des différentes dispositions du droit de l'Union - Portée et conséquences en matière d'aides d'État

Le principe de sécurité juridique constitue un principe général du droit de l’Union, qui vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit de l’Union. À cette fin, il est essentiel que les institutions respectent l’intangibilité des actes qu’elles ont adoptés et qui affectent la situation juridique et matérielle des sujets de droit, de sorte qu’elles ne pourront modifier ces actes que dans le respect des règles de compétence et de procédure.

Le respect du principe de sécurité juridique requiert également que les institutions évitent, par principe, les incohérences pouvant survenir dans la mise en œuvre des différentes dispositions du droit de l’Union, et ce tout particulièrement dans l’hypothèse où ces dispositions visent un même objectif, tel qu’une concurrence non faussée dans le marché commun. À cet égard, en matière d’aides d’État, le principe de sécurité juridique impose que, lorsque la Commission a créé, en méconnaissance du devoir de diligence qui lui incombe, une situation de caractère équivoque, du fait de l’introduction d’éléments d’incertitude et d’un défaut de clarté dans la réglementation applicable, cumulée à un défaut de réaction prolongé de sa part nonobstant sa connaissance des aides concernées, il lui appartient de clarifier ladite situation avant de pouvoir prétendre entreprendre toute action visant à ordonner la restitution des aides déjà versées.

Arrêt du 22 avril 2016, Irlande / Commission (T-50/06 RENV II et T-69/06 RENV II) (cf. points 59, 218)

Arrêt du 22 avril 2016, Italie / Commission (T-60/06 RENV II et T-62/06 RENV II) (cf. points 63, 183)

53. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Obligation d'éviter les incohérences pouvant subvenir dans la mise en œuvre des différentes dispositions du droit de l'Union - Portée et conséquences en matière d'aides d'État

En matière d’aides d’État, le principe de sécurité juridique impose que, lorsque la Commission a créé, en méconnaissance du devoir de diligence qui lui incombe, une situation de caractère équivoque, du fait de l’introduction d’éléments d’incertitude et d’un défaut de clarté dans la règlementation applicable, cumulée à un défaut de réaction prolongé de sa part nonobstant sa connaissance des aides concernées, il lui appartient de clarifier ladite situation avant de pouvoir prétendre entreprendre toute action visant à ordonner la restitution des aides déjà versées.

Arrêt du 22 avril 2016, France / Commission (T-56/06 RENV II) (cf. point 47)

54. Rapprochement des législations - Fabrication, présentation et vente des produits du tabac - Directive 2014/40 - Cigarettes électroniques - Obligation de soumettre annuellement aux autorités compétentes des données relatives à un produit - Violation des principes de proportionnalité et de sécurité juridique - Absence

L’article 20, paragraphe 7, de la directive 2014/40, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, qui fait obligation aux fabricants ainsi qu’aux importateurs de cigarettes électroniques et de flacons de recharge de soumettre chaque année aux autorités compétentes des États membres certaines données permettant à ces dernières de surveiller l’évolution du marché, ne méconnaît pas les principes de proportionnalité et de sécurité juridique.

En effet, cette obligation ne serait pas disproportionnée du seul fait qu’aucune obligation analogue ne pèserait sur les fabricants et les importateurs de produits du tabac, dès lors que, à la différence de ces derniers, pour lesquels les autorités compétentes disposent déjà d’informations détaillées en raison de leur présence de longue date sur le marché et des études scientifiques dont ils ont fait l’objet, la mise sur le marché des cigarettes électroniques ainsi que des flacons de recharge pouvait, voire devait, faire l’objet d’une surveillance accrue en raison du caractère nouveau de ces produits et des incertitudes quant aux risques pour la santé humaine encourus par leurs consommateurs. En outre, les données que les fabricants et les importateurs de cigarettes électroniques ainsi que de flacons de recharge doivent fournir au titre de l’article 20, paragraphe 7, de la directive 2014/40 se rapportent directement à leur activité commerciale, de sorte qu’ils sont les mieux à même de fournir ces données. De surcroît, ces données revêtant un intérêt évident pour le développement des stratégies commerciales des fabricants et des importateurs de ces produits, il paraît probable qu’elles soient fréquemment récoltées par eux-mêmes. Il n’apparaît donc pas que cette obligation impose à ces fabricants et à ces importateurs une charge manifestement excessive.

Par ailleurs, s’agissant de la précision des contours de l’obligation de fournir des informations sur les préférences des différents groupes de consommateurs, visée à l’article 20, paragraphe 7, sous ii), de la directive 2014/40, force est de constater, d’une part, qu’il n’est pas nécessaire qu’un acte législatif apporte lui-même des précisions de nature technique, telles que notamment la définition de la méthode qu’il conviendra d’appliquer en vue de recueillir telle ou telle donnée, et, d’autre part, qu’il appartient, en l’absence de réglementation à cet égard au niveau de l’Union, aux États membres de choisir une méthode fiable aux fins de l’exécution des obligations en la matière.

Arrêt du 4 mai 2016, Pillbox 38 (C-477/14) (cf. points 132, 136, 137, 139, 140)

55. Rapprochement des législations - Fabrication, présentation et vente des produits du tabac - Directive 2014/40 - Cigarettes électroniques - Mise en place d'une réglementation spécifique pour la mise sur le marché des cigarettes électroniques et des flacons de recharge - Violation des principes de proportionnalité et de sécurité juridique - Absence

Le régime juridique spécifique des cigarettes électroniques prévu à l’article 20 de la directive 2014/40, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, est compatible avec les principes de proportionnalité et de sécurité juridique.

En effet, dès lors que les effets sur la santé humaine des cigarettes électroniques font l’objet d’une controverse au niveau international et que les données scientifiques sur l’efficacité des inhalateurs électroniques de nicotine comme méthode de sevrage tabagique sont limitées et ne permettent pas de tirer de conclusions, le législateur de l’Union devait tenir compte du principe de précaution. À cet égard, en décidant de dédier une réglementation spécifique à la mise sur le marché des cigarettes électroniques et des flacons de recharge, le législateur de l’Union a entendu, d’une part, veiller au bon fonctionnement du marché intérieur en ce qui concerne ces produits, en prenant pour base un niveau élevé de protection de la santé humaine, particulièrement pour les jeunes et, d’autre part, respecter les obligations de l’Union découlant de la convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac. En agissant de la sorte, ce législateur n’a pas manifestement méconnu les limites de la marge d’appréciation dont il dispose en la matière.

En outre, il est vrai que les mesures retenues par le législateur de l’Union au titre de l’article 20 de la directive 2014/40 ne figuraient pas parmi celles qui avaient été initialement envisagées par la Commission dans sa proposition de directive et n’avaient donc pas fait l’objet d’une analyse d’impact. Toutefois, une telle analyse d’impact ne lie pas le Parlement non plus que le Conseil. En conséquence, le législateur de l’Union reste libre d’adopter des mesures autres que celles qui ont fait l’objet d’une analyse d’impact. Aussi, le seul fait qu’il ait retenu une mesure différente et, le cas échéant, plus contraignante que celles envisagées par la Commission dans une analyse d’impact n’est pas de nature à démontrer qu’il a manifestement dépassé les limites de ce qui était nécessaire pour atteindre l’objectif visé.

Arrêt du 4 mai 2016, Pillbox 38 (C-477/14) (cf. points 51, 53, 55, 61, 64, 65)

56. Rapprochement des législations - Fabrication, présentation et vente des produits du tabac - Directive 2014/40 - Cigarettes électroniques - Obligation de notification de la mise sur le marché d'un produit - Violation des principes de proportionnalité et de sécurité juridique - Absence

L’obligation de notification de mise sur le marché d’une cigarette électronique prévue à l’article 20, paragraphe 2, de la directive 2014/40, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, ne méconnaît pas les principes de proportionnalité et de sécurité juridique. En effet, cette obligation vise, conformément au considérant 36 de ladite directive, à permettre aux États membres de remplir leurs missions de surveillance et de contrôle. Une telle approche se justifie, en outre, par les exigences liées au principe de précaution, ainsi que par l’invitation faite aux parties de la convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac de surveiller intégralement l’utilisation des inhalateurs électroniques contenant ou non de la nicotine.

Quant à la question de savoir si ladite obligation ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser cet objectif, force est de constater, d’une part, qu’une mesure alternative consistant en la fixation, à l’échelle de l’Union, de normes communes applicables aux cigarettes électroniques et aux flacons de recharge n’apparaît pas, à ce stade, comme une mesure envisageable, puisque l’élaboration de telles normes présuppose normalement l’existence de données suffisamment étoffées concernant le produit en cause, ce dont le législateur de l’Union ne disposait pas lors de l’adoption de la directive 2014/40. D’autre part, le délai de six mois prévu à l’article 20, paragraphe 2, premier alinéa, de cette directive vise à accorder un temps suffisant aux autorités compétentes pour examiner l’ensemble des données que les fabricants et les importateurs leur ont transmises.

Par ailleurs, l’obligation de fournir des informations sur le dosage et l’inhalation de nicotine dans des conditions de consommation normales ou raisonnablement prévisibles, au titre de l’article 20, paragraphe 2, deuxième alinéa, sous d), de la directive 2014/40, est suffisamment précise, dès lors que les informations à communiquer ne se rapportent manifestement pas à la dose ni à l’absorption de nicotine propres à chaque consommateur, mais à des valeurs minimales, moyennes ou maximales normalement escomptées de la consommation d’une cigarette électronique. En outre, il est loisible au législateur de l’Union de recourir à un cadre juridique général qui est, le cas échéant, à préciser par la suite. En l’occurrence, il incombe précisément à la Commission d’adopter, en application de l’article 20, paragraphe 13, de cette directive, des actes d’exécution établissant notamment un modèle commun pour la notification prévue au paragraphe 2 de cet article. Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que le législateur de l’Union a méconnu le principe de sécurité juridique.

Arrêt du 4 mai 2016, Pillbox 38 (C-477/14) (cf. points 70-73, 76-79)

57. Rapprochement des législations - Fabrication, présentation et vente des produits du tabac - Directive 2014/40 - Cigarettes électroniques - Exigences relatives au liquide contenant de la nicotine conditionné dans des flacons de recharge - Violation des principes de proportionnalité et de sécurité juridique - Absence

En ce qui concerne le liquide contenant de la nicotine conditionné dans un flacon de recharge pour cigarette électronique, s'agissant de l’aptitude des exigences imposées au titre des points a), b) et f) du paragraphe 3 de l’article 20 de la directive 2014/40, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, à atteindre l’objectif de cette directive consistant, conformément à son article 1er, à faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes, en prenant pour base un niveau élevé de protection de la santé, particulièrement pour les jeunes, force est de constater que les règles harmonisant la composition des cigarettes électroniques et des flacons de recharge sont, par leur nature même, aptes à lever les obstacles à la libre circulation de ces marchandises. De même, les exigences prévues à l’article 20, paragraphe 3, sous a) et b), de cette directive permettent de limiter les risques liés à l’exposition de la nicotine. Dès lors, elles sont également propres à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine.

En outre, la mise sur le marché de cigarettes électroniques dont le liquide contient plus de 20 milligrammes par millilitre de nicotine n’est pas interdite par le droit de l’Union. En effet, ainsi qu’il ressort de l’article 20, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2014/40, lu à la lumière du considérant 36 de celle-ci, de tels produits peuvent, le cas échéant, être commercialisés au sein de l’Union dans les conditions et suivant les procédures établies par les directives 2001/83, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, et 93/42, relative aux dispositifs médicaux. En prévoyant une telle possibilité, le législateur de l’Union a tenu compte des nécessités, pour certains consommateurs, en raison de leur état de dépendance ou de leurs habitudes, d’avoir recours, en tant qu’aide au sevrage, à des cigarettes électroniques contenant une concentration en nicotine plus élevée que celle autorisée par l’article 20, paragraphe 3, sous b), de la directive 2014/40. Ainsi, le législateur de l’Union a procédé à une mise en balance entre les différents intérêts en prenant en compte plusieurs facteurs et sans méconnaître les limites de sa large marge d’appréciation. Partant, il n’apparaît pas que, en adoptant l’article 20, paragraphe 3, sous a) et b), de ladite directive, ce législateur a agi de façon arbitraire ou a manifestement dépassé les limites de ce qui était approprié et nécessaire pour atteindre l’objectif qu’il poursuivait.

Par ailleurs, lu à la lumière de l’objectif précisé au considérant 39 de la directive 2014/40, l’article 20, paragraphe 3, sous f), de cette directive définit avec suffisamment de clarté le résultat à atteindre, à savoir que chaque inhalation libère la même quantité de nicotine dans des conditions d’utilisation identiques, en ce compris la force de l’inhalation. À cet égard, la circonstance que cette disposition ne prescrive pas de méthode ou de procédé concrets aux fins de l’exécution de cette exigence ne signifie pas pour autant que celle-ci méconnaît le principe de sécurité juridique. En effet, en l’absence de réglementation à cet égard au niveau de l’Union, il appartient aux États membres ou, le cas échéant, aux fabricants eux-mêmes, de choisir une méthode fiable susceptible d’assurer le respect de cette exigence.

Arrêt du 4 mai 2016, Pillbox 38 (C-477/14) (cf. points 84-86, 94-97, 100, 101)

58. Actes des institutions - Intangibilité après adoption - Modification subordonnée au respect des règles de compétence et de procédure

Le principe de sécurité juridique vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit de l’Union. À cette fin, il est essentiel que les institutions de l’Union respectent l’intangibilité des actes qu’elles ont adoptés et qui affectent la situation juridique et matérielle des sujets de droit, de sorte qu’elles ne pourront modifier ces actes que dans le respect des règles de compétence et de procédure. Le principe de sécurité juridique ne saurait donc empêcher en soi la modification d’une règle juridique.

Arrêt du 4 mai 2016, Andres e.a. / BCE (T-129/14 P) (cf. point 35)



Arrêt du 14 juillet 2021, Arnautu / Parlement (T-740/20) (cf. point 51)

59. Droit de l'Union européenne - Principes - Protection de la confiance légitime - Sécurité juridique - Limites - Application d'une réglementation nouvelle aux effets futurs de situations nées sous l'empire de la réglementation antérieure - Correction financière appliquée par un État membre pour des violations du droit national commises avant la date d'entrée en vigueur de l'acte interne régissant la correction - Violation - Absence

Les principes de sécurité juridique et de confiance légitime doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à l’application par un État membre de corrections financières régies par un acte normatif interne entré en vigueur après qu’une prétendue violation de dispositions en matière de passation de marchés publics a eu lieu, pourvu qu’il s’agisse de l’application d’une réglementation nouvelle aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la réglementation antérieure, ce qu’il appartient au juge national de vérifier, en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes de l’espèce.

En effet, si le principe de sécurité juridique s’oppose à ce qu’un règlement soit appliqué rétroactivement, à savoir à une situation antérieure à son entrée en vigueur, cela indépendamment des effets favorables ou défavorables qu’une telle application pourrait avoir pour l’intéressé, le même principe exige que toute situation de fait soit normalement, et sauf indication expresse contraire, appréciée à la lumière des règles de droit qui en sont contemporaines. Toutefois, si la loi nouvelle ne vaut ainsi que pour l’avenir, elle s’applique également, sauf dérogation, aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la loi ancienne. De même, le champ d’application du principe de protection de la confiance légitime ne saurait être étendu jusqu’à empêcher, de façon générale, une réglementation nouvelle de s’appliquer aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la réglementation antérieure.

Arrêt du 26 mai 2016, Județul Neamț (C-260/14 et C-261/14) (cf. points 55-57, disp. 3)

60. Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Droits d'accise - Directive 92/12 - Réglementation nationale permettant de déclarer l'entrepositaire agréé solidairement responsable du paiement de sommes correspondant aux sanctions pécuniaires infligées aux auteurs d'un acte de contrebande - Responsabilité inconditionnelle - Inadmissibilité - Violation des principes de sécurité juridique et de proportionnalité

La directive 92/12, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, telle que modifiée par la directive 92/108, lue à la lumière des principes généraux du droit de l’Union européenne, notamment des principes de sécurité juridique et de proportionnalité, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale - qui permet de déclarer solidairement responsable du paiement de sommes correspondant aux sanctions pécuniaires infligées en cas d’infraction commise au cours de la circulation de produits en suspension de droits d’accises notamment les propriétaires de ces produits lorsque ces propriétaires sont liés aux auteurs de l’infraction par un rapport contractuel faisant de ceux-ci ses mandataires - en vertu de laquelle l’entrepositaire agréé est déclaré solidairement responsable, sans qu’il puisse échapper à cette responsabilité en apportant la preuve qu’il est totalement étranger aux agissements des auteurs de l’infraction, du paiement desdites sommes, même si, selon le droit national, cet entrepositaire n’était ni propriétaire desdits produits au moment de la commission de l’infraction ni lié aux auteurs de cette dernière par un rapport contractuel faisant de ceux-ci ses mandataires.

En effet, lorsque la responsabilité aggravée de l’entrepositaire agréé n’ayant pas conservé la propriété des produits qui font l’objet de l’infraction et n’étant pas lié aux auteurs de cette dernière par un rapport contractuel faisant de ceux-ci ses mandataires n’est expressément prévue ni par la directive 92/12 ni par les dispositions du droit national, les sanctions susceptibles d’être appliquées à un tel entrepositaire agréé en vertu d’une telle législation n’apparaissent pas suffisamment certaines et prévisibles pour les intéressés pour qu’il puisse être considéré qu’elles répondent aux exigences de sécurité juridique, ce qu’il incombe toutefois à la juridiction nationale de vérifier.

Par ailleurs, en ce qui concerne les mesures visant à prévenir la fraude fiscale, il a déjà été jugé, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, que la répartition du risque, à la suite d’une fraude commise par un tiers, n’est pas compatible avec le principe de proportionnalité, lorsqu’un régime de taxation fait peser toute la responsabilité du paiement sur le fournisseur, indépendamment de l’implication ou non de celui-ci dans la fraude commise par l’acheteur.

En outre, des mesures nationales donnant de facto naissance à un système de responsabilité solidaire sans faute vont au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver les droits du Trésor public. Faire peser la responsabilité du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée sur une personne autre que le redevable de celle-ci, alors même que cette personne est un entrepositaire fiscal agréé tenu aux obligations spécifiques visées dans la directive 92/12, sans lui permettre d’y échapper en apportant la preuve qu’elle est totalement étrangère aux agissements de ce redevable, doit être considéré comme incompatible avec le principe de proportionnalité. Il serait manifestement disproportionné d’imputer, de manière inconditionnelle, à une telle personne la perte de recettes fiscales causée par les agissements d’un tiers assujetti, sur lesquels elle n’a aucune influence.

Le respect de ces mêmes exigences s’impose en ce qui concerne une mesure telle que l’attribution, à l’entrepositaire agréé, de la responsabilité des conséquences pécuniaires d’actes de contrebande.

Arrêt du 2 juin 2016, Kapnoviomichania Karelia (C-81/15) (cf. points 46, 47, 49-51, 54 et disp.)

61. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de l'Iran - Restrictions aux transferts de fonds impliquant des établissements financiers iraniens - Contrôle juridictionnel de la légalité - Principes de sécurité juridique et d'égalité de traitement - Violation - Absence

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 2 juin 2016, Bank Mellat / Conseil (T-160/13) (cf. points 241-248)

62. Harmonisation des législations fiscales - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Déduction de la taxe payée en amont - Régularisation de la déduction initialement opérée - Modification des éléments pris en considération pour la détermination du montant de la déduction - Absence d'un régime transitoire - Admissibilité au regard des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique - Conditions

Les principes généraux du droit de l’Union de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale applicable qui ne prescrit pas expressément une régularisation, au sens de l’article 20 de la sixième directive 77/388, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, telle que modifiée par la directive 95/7, de la taxe payée en amont à la suite de la modification de la clé de répartition de la taxe sur la valeur ajoutée utilisée pour le calcul de certaines déductions, ni ne prévoit de régime transitoire alors même que la répartition de la taxe payée en amont opérée par l’assujetti suivant la clé de répartition applicable avant cette modification avait été reconnue d’une manière générale comme raisonnable par la juridiction suprême.

En effet, en ce qui concerne l’absence de mention expresse, dans une législation nationale, de l’obligation de procéder à une régularisation en cas de modification de la méthode de calcul du droit à déduction, il convient de rappeler qu'une telle obligation résulte des dispositions de l’article 20 de la sixième directive. Or, les États membres sont tenus, lorsqu’ils appliquent les dispositions de leur droit interne transposant une directive, d’interpréter celles-ci, dans toute la mesure du possible, conformément à cette directive.

Il s’ensuit que les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ne sauraient être interprétés en ce sens que, pour qu’une régularisation du droit à déduction puisse être imposée en cas de modification de la méthode de calcul de ce droit, le caractère obligatoire de cette régularisation doit avoir été expressément rappelé par la législation nationale en vertu de laquelle il a été procédé à cette modification.

Cela étant, dans des situations particulières où les principes de sécurité et de protection de la confiance légitime l’exigent, l’introduction d’un tel régime adapté aux circonstances peut s’imposer. Ainsi, un législateur national est susceptible de violer les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime lorsqu’il adopte, de manière soudaine et imprévisible, une loi nouvelle qui supprime un droit dont bénéficiaient jusqu’alors les assujettis, sans laisser à ces derniers le temps nécessaire pour s’adapter, et ce alors que le but à atteindre ne l’exigeait pas. Cela s'impose en particulier quand les assujettis doivent disposer d’un temps d’adaptation lorsque la suppression du droit dont ils bénéficiaient jusqu’alors les oblige à procéder à des ajustements économiques conséquents.

Toutefois, même à supposer qu’une modification de la législation nationale définissant la méthode de calcul du droit à déduction puisse être considérée comme soudaine et imprévisible, il y a lieu de relever, d’une part, qu’une modification de la méthode de calcul a pour effet non pas de supprimer le droit à déduction dont disposent les assujettis, mais d’en aménager l’ampleur.

D’autre part, une telle modification n’implique pas, en principe, elle-même que les assujettis procèdent à des ajustements économiques conséquents et, partant, un temps d’adaptation n’apparaît pas strictement nécessaire.

Arrêt du 9 juin 2016, Wolfgang und Wilfried Rey Grundstücksgemeinschaft GbR (C-332/14) (cf. points 52-54, 57-62, 65, disp. 3)

63. Recours en annulation - Délais - Décision non attaquée dans les délais - Caractère définitif à l'égard du destinataire - Remise en cause ultérieure de la décision - Exclusion

Une décision qui n’a pas été attaquée par son destinataire dans les délais prévus à l’article 263 TFUE devient définitive à son égard. Ainsi, le principe de sécurité juridique impose que la validité d’une telle décision qui est favorable au destinataire ou qui est devenue définitive n’est pas affectée par un arrêt du juge de l’Union concernant d’autres décisions.

Arrêt du 14 juin 2016, Commission / McBride e.a. (C-361/14 P) (cf. points 55, 56)

64. Budget de l'Union européenne - Règlement financier - Recouvrement des créances de l'Union sur les tiers - Délai de communication d'une note de débit - Absence de précision réglementaire - Respect du principe du délai raisonnable - Critères d'appréciation

En ce qui concerne le recouvrement des créances dues aux institutions de l’Union, s’il est vrai que ni l’article 81 du règlement nº 966/2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, ni l’article 93 du règlement délégué nº 1268/2012, relatif aux règles d’application du règlement nº 966/2012, ne fixent aucun délai dans lequel une note de débit, l’acte par lequel la constatation d’une telle créance est portée à la connaissance du débiteur, doit être communiquée à ce dernier à compter de la date du fait générateur de la créance en cause, l’exigence de sécurité juridique requiert toutefois que les institutions de l’Union exercent leurs pouvoirs dans un délai raisonnable. Le caractère raisonnable d’un délai doit être apprécié en fonction de l’ensemble des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire et des différentes étapes procédurales que l’institution de l’Union a suivies, ainsi que du comportement des parties au cours de la procédure. En effet, le caractère raisonnable d’un délai ne saurait être examiné par référence à une limite maximale précise, déterminée de manière abstraite.

À cet égard, compte tenu du fait que l’article 81 du règlement nº 966/2012 vise à limiter dans le temps la possibilité de recouvrer les créances de l’Union sur des tiers, afin de satisfaire au principe de bonne gestion financière et fixe, dans cette optique, un délai de cinq ans, le délai de communication d’une note de débit au débiteur par une institution de l’Union doit être, en principe, présumé déraisonnable lorsque cette communication intervient au-delà d’une période de cinq ans à compter du moment où l’institution a été normalement en mesure de faire valoir sa créance. Eu égard à l’article 78, paragraphes 1 et 2, du règlement nº 966/2012 ainsi qu’aux articles 81 et 82 du règlement délégué nº 1268/2012, une institution de l’Union est normalement en mesure de faire valoir sa créance à partir de la date à laquelle cette institution dispose des pièces justificatives permettant d’identifier une créance donnée comme certaine, liquide et exigible ou aurait pu disposer de telles pièces justificatives, si elle avait agi avec la diligence requise.

Cependant, le fait qu’une durée de plus de cinq ans s’est écoulée entre la date à laquelle l’institution a été normalement en mesure de faire valoir sa créance et la date de communication d’une note de débit ne saurait, automatiquement, entraîner la violation du principe du délai raisonnable. En effet, il convient également de vérifier si une telle durée peut s’expliquer par des circonstances propres de l’affaire. De même, une communication d’une telle note de débit dans un délai inférieur audit délai de cinq ans, dans une affaire de moindre complexité, dont l’enjeu pour le débiteur serait important ou dans laquelle l’institution de l’Union aurait manqué de diligence, notamment en ce qui concerne l’obtention des pièces justificatives lui permettant d’identifier une créance comme étant certaine, liquide et exigible, pourrait ne pas répondre aux exigences du principe du délai raisonnable. Dans une telle hypothèse, il incomberait au débiteur d’apporter la preuve du caractère déraisonnable d’un tel délai inférieur au délai de cinq ans.

Arrêt du 14 juin 2016, Marchiani / Parlement (C-566/14 P) (cf. points 89, 96, 99-104, 106)



Arrêt du 18 mai 2017, Panzeri / Parlement (T-166/16) (cf. points 31-41)



Arrêt du 21 décembre 2021, Datax / REA (T-381/20) (cf. points 124-126)

65. Droit de l'Union européenne - Principes - Protection de la confiance légitime - Conditions - Assurances précises fournies par l'administration - Sécurité juridique - Exigence de clarté et de précision des actes produisant des effets juridiques

Voir le texte de la décision.

Ordonnance du 27 juin 2016, Portugal / Commission (T-810/14) (cf. points 62, 63, 65)



Arrêt du 29 novembre 2017, Bilde / Parlement (T-633/16) (cf. points 135, 136, 138, 139)

Arrêt du 29 novembre 2017, Montel / Parlement (T-634/16) (cf. points 140, 141, 143, 144)



Arrêt du 30 novembre 2022, Trasta Komercbanka e.a. / BCE (T-698/16) (cf. points 252, 253, 258-260)

66. Droit de l'Union européenne - Principes - Principe de l'application rétroactive de la peine plus légère - Conditions d'application

L’application de la loi pénale plus favorable implique nécessairement une succession de lois dans le temps et repose sur la constatation que le législateur a changé d’avis soit sur la qualification pénale des faits soit sur la peine à appliquer à une infraction.

Arrêt du 6 octobre 2016, Paoletti e.a. (C-218/15) (cf. point 27)

67. Harmonisation des législations fiscales - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Régimes particuliers - Régime forfaitaire applicable aux producteurs agricoles - Remise en cause avec effet rétroactif par l'administration fiscale de l'applicabilité dudit régime forfaitaire - Admissibilité au regard du principe de sécurité juridique - Condition - Respect du délai de prescription de l'action de l'administration fiscale

Dans le cas où le régime commun forfaitaire des producteurs agricoles devrait être, en principe, exclu pour plusieurs sociétés civiles commercialisant leurs produits sous une marque commune et par l'intermédiaire d'une société de capitaux, cette exclusion s’appliquerait à la période antérieure à la date à laquelle l’appréciation sur laquelle elle est fondée a été effectuée, sous réserve que ladite appréciation intervienne dans le délai de prescription de l’action de l’administration fiscale et que ses effets ne rétroagissent pas à une date antérieure à celle à laquelle les éléments de droit et de fait sur lesquels elle repose sont survenus.

En effet, comme le principe de sécurité juridique ne s’oppose pas à ce que l’administration fiscale procède, dans le délai de prescription, à un redressement de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) portant sur la taxe déduite ou sur des services déjà réalisés, qui auraient dû être soumis à cette taxe, une telle règle doit également prévaloir lorsqu’un régime dont bénéficie un redevable de la TVA est remis en cause par l’administration fiscale, y compris pour une période antérieure à la date à laquelle une telle appréciation est émise. Cependant, ceci ne vaut que sous réserve que ladite appréciation intervienne dans le délai de prescription de l’action de l’administration, et que ses effets ne rétroagissent pas à une date antérieure à celle à laquelle les éléments de droit et de fait sur lesquels elle repose sont survenus. Dans ces conditions, la circonstance que l’administration fiscale ait, dans un premier temps, reconnu le bénéfice du régime forfaitaire à plusieurs sociétés civiles n’est pas susceptible d’influer sur ladite mise en cause, dès lors que les éléments de droit et de fait sur lesquels repose la nouvelle appréciation de cette administration sont postérieurs à cette reconnaissance et qu’ils sont survenus dans le délai de prescription de l’action de celle-ci.

Arrêt du 12 octobre 2016, Nigl e.a. (C-340/15) (cf. points 48-51, disp. 3)

68. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Notion - Opposabilité du principe - Conditions - Remise en cause d'une situation juridique établie sur la base de nouvelles circonstances factuelles - Absence de violation



Arrêt du 2 février 2017, IMG / Commission (T-381/15) (cf. points 145, 149)

69. Droit de l'Union européenne - Principes - Protection de la confiance légitime - Sécurité juridique - Limites - Adoption d'une mesure de l'Union de nature à affecter les intérêts d'un opérateur économique - Opérateur économique prudent et avisé étant en mesure de prévoir l'adoption de ladite mesure - Impossibilité d'invoquer lesdits principes

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 23 janvier 2019, Deza / ECHA (C-419/17 P) (cf. points 69-71)



Arrêt du 28 février 2017, JingAo Solar e.a. / Conseil (T-157/14) (cf. points 177, 178)

Arrêt du 28 février 2017, Yingli Energy (China) e.a. / Conseil (T-160/14) (cf. points 177, 178)

Arrêt du 28 février 2017, Canadian Solar Emea e.a. / Conseil (T-162/14) (cf. points 168, 169)

70. Droit de l'Union européenne - Droits conférés aux particuliers - Modalités procédurales nationales - Régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents - Directive 90/434 - Réglementation nationale transposant ladite directive - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des modalités procédurales

En l’absence de réglementation de l’Union en la matière, les modalités procédurales visant à assurer la sauvegarde des droits que les contribuables tirent du droit de l’Union relèvent de l’ordre juridique de chaque État membre en vertu du principe de l’autonomie procédurale des États membres, à condition toutefois qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (arrêt du 18 octobre 2012, Pelati, C-603/10, EU:C:2012:639, point 23 et jurisprudence citée).

En ce qui concerne ce dernier principe, il y a lieu de rappeler que chaque cas où se pose la question de savoir si une modalité procédurale nationale rend impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux particuliers par l’ordre juridique de l’Union doit être analysé en tenant compte, le cas échéant, des principes qui sont à la base du système juridictionnel national concerné, parmi lesquels figure le principe de la sécurité juridique (voir, en ce sens, arrêts du 27 juin 2013, Agrokonsulting, C-93/12, EU:C:2013:432, point 48, et du 6 octobre 2015, Târșia, C-69/14, EU:C:2015:662, point 36).

À cet égard, la Cour a déjà précisé que l’exigence de sécurité juridique s’impose avec une rigueur particulière lorsqu’il s’agit d’une réglementation de l’Union susceptible de comporter des conséquences financières, afin de permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose (voir, en ce sens, arrêts du 21 février 2006, Halifax e.a., C-255/02, EU:C:2006:121, point 72, ainsi que du 9 juillet 2015, Cabinet Medical Veterinar Dr. Tomoiagă Andrei, C-144/14, EU:C:2015:452, point 34).

Quant au principe d’effectivité, le respect de l’exigence de sécurité juridique requiert que les modalités procédurales mettant en œuvre la directive 90/434, et, plus particulièrement, son article 11, paragraphe 1, sous a), soient suffisamment précises, claires et prévisibles pour permettre aux contribuables de connaître avec exactitude leurs droits afin d’assurer qu’ils seront en mesure de bénéficier des avantages fiscaux en vertu de ladite directive et de s’en prévaloir, le cas échéant, devant les juridictions nationales (voir, en ce sens, arrêts du 28 février 1991, Commission/Allemagne, C-131/88, EU:C:1991:87, point 6 ; du 10 mars 2009, Heinrich, C-345/06, EU:C:2009:140, points 44 et 45 ; du 15 juillet 2010, Commission/Royaume-Uni, C-582/08, EU:C:2010:429, points 49 et 50, ainsi que du 18 octobre 2012, Pelati, C-603/10, EU:C:2012:639, point 36 et jurisprudence citée).

En effet, pour que le contribuable puisse apprécier avec exactitude l’étendue des droits et des obligations qu’il tire de la directive 90/434 et prendre ses dispositions en conséquence (voir, en ce sens, arrêts du 10 mars 2009, Heinrich, C-345/06, EU:C:2009:140, points 44 et 45, ainsi que du 15 juillet 2010, Commission/Royaume-Uni, C-582/08, EU:C:2010:429, points 49 et 50), une décision de l’administration fiscale refusant à ce contribuable le bénéficie d’un avantage fiscal au titre de cette directive doit toujours être motivée afin que ce dernier puisse vérifier le bien-fondé des motifs qui ont conduit cette administration à ne pas lui accorder l’avantage prévu par ladite directive et, le cas échéant, faire valoir son droit devant les juridictions compétentes.

Arrêt du 8 mars 2017, Euro Park Service (C-14/16) (cf. points 36-38, 40, 45)

71. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Gel des fonds de certaines personnes et entités au regard de la situation en Ukraine - Validité des mesures restrictives à l'encontre de personnes physiques ou morales, prévues par la décision 2014/512/PESC et le règlement nº 833/2014 - Imposition, par un État membre, de sanctions pénales applicables en cas d'infraction aux dispositions du règlement nº 833/2014 - Violation des principes de sécurité juridique et de précision de la loi applicable - Absence - Conditions

L’examen de la deuxième question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 1er, paragraphe 2, sous b) à d), et paragraphe 3, de l’article 7 et de l’annexe III de la décision 2014/512, telle que modifiée par la décision 2014/872, ou des articles 3 et 3 bis, de l’article 4, paragraphes 3 et 4, de l’article 5, paragraphe 2, sous b) à d), et paragraphe 3, de l’article 11 ainsi que des annexes II et VI du règlement (UE) nº 833/2014 du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine, tel que modifié par le règlement (UE) nº 1290/2014 du Conseil, du 4 décembre 2014. Les principes de sécurité juridique et de précision de la loi applicable (nulla poena sine lege certa) doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne font pas obstacle à ce qu’un État membre impose des sanctions pénales devant s’appliquer en cas d’infraction aux dispositions du règlement nº 833/2014, tel que modifié par le règlement nº 1290/2014, conformément à l’article 8, paragraphe 1, de celui-ci, avant que la portée desdites dispositions et, partant, des sanctions pénales y afférentes, n’ait été précisée par la Cour de justice de l’Union européenne.

S’agissant, en premier lieu, du principe général de sécurité juridique, il y a lieu de rappeler que ce principe fondamental du droit de l’Union exige, notamment, qu’une réglementation soit claire et précise, afin que les justiciables puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C-344/04, EU:C:2006:10, point 68 ainsi que jurisprudence citée). Pour ce qui est, en second lieu, du principe de précision de la loi applicable (nulla poena sine lege certa), cité par la juridiction de renvoi, il convient de constater que ce principe, qui relève de l'article 49 de la Charte, intitulé "Principes de légalité et de proportionnalité des délits et peines", et qui, selon la jurisprudence de la Cour, constitue une expression particulière du principe général de sécurité juridique (voir arrêt du 3 juin 2008, Intertanko e.a., C-308/06, EU:C:2008:312, point 70, implique, notamment, que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (arrêt du 3 mai 2007, Advocaten voor de Wereld, C-303/05, EU:C:2007:261, point 50). En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le principe de précision de la loi applicable ne saurait être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par des interprétations jurisprudentielles, pour autant que celles-ci sont raisonnablement prévisibles (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, EU:C:2005:408, points 217 et 218).

Arrêt du 28 mars 2017, Rosneft (C-72/15) (cf. points 161, 162, 167, 170, disp. 2)

72. Office européen de lutte antifraude (OLAF) - Enquêtes - Durée de la procédure - Respect d'un délai raisonnable - Critères d'appréciation



Arrêt du 18 mai 2017, Panzeri / Parlement (T-166/16) (cf. points 102-104, 109)

73. Agriculture - Législations uniformes - Protection des obtentions végétales - Examen technique - Pouvoir du président de l'Office communautaire des variétés végétales d'ajouter un nouveau caractère - Conditions d'exercice - Ajout d'un nouveau caractère postérieurement à l'issue de l'examen technique - Admissibilité - Violation du principe de sécurité juridique - Absence

En vertu de l’article 56, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, et des articles 22, paragraphe 1, et 23, paragraphe 1, du règlement nº 1239/95, établissant les règles d’exécution du règlement nº 2100/94 en ce qui concerne la procédure devant l’Office communautaire des variétés végétales (OCVV), le président de l’OCVV est habilité à ajouter un nouveau caractère pour l’examen technique de la variété candidate. Seule la flexibilité que permet une telle faculté est à même de garantir l’objectivité de la procédure d’octroi de la protection communautaire. Ainsi, une demande de protection communautaire ne saurait être rejetée au seul motif que le caractère d’une variété examinée, constaté lors de l’examen technique et déterminant pour en apprécier le caractère distinctif par rapport à d’autres variétés, n’est mentionné ni dans le questionnaire d’ordre technique rempli par le demandeur ni par les principes directeurs et les protocoles pertinents. En effet, eu égard au large pouvoir d’appréciation reconnu à l’OCVV, celui-ci peut prendre en considération, s’il le juge nécessaire, des faits et des preuves tardivement invoqués ou produits par les parties. Une telle faculté doit pouvoir lui être reconnue a fortiori lorsque les éléments pertinents pour l’examen du caractère distinctif d’une variété sont constatés au cours de la procédure objective que constitue l’examen technique diligenté par l’OCVV et réalisé par un office d’examen national.

Quant au moment auquel le président de l’OCVV peut exercer le pouvoir qu’il tient de l’article 23, paragraphe 1, du règlement nº 1239/95, ni les dispositions de ce règlement ni celles du règlement nº 2100/94 ne s’opposent à ce que l’ajout d’un nouveau caractère intervienne postérieurement à l’issue de l’examen technique, dès lors qu’un tel caractère a été constaté à l’occasion de cet examen. À cet égard, le fait que ledit président ajoute un nouveau caractère dont la présence n’a été constatée que lors de l’examen technique d’une variété ne saurait, en tant que tel, constituer une violation du principe de sécurité juridique à l’égard du tiers dont la variété protégée a été retenue en tant que variété de référence en vue de cet examen. En effet, celui-ci ne peut invoquer des attentes quant à l’étendue dudit examen et à la nature des caractères distinctifs examinés.

Arrêt du 8 juin 2017, Schniga / OCVV (C-625/15 P) (cf. points 52, 55-57, 61, 66)

74. Actes des institutions - Retrait - Actes illégaux conférant des droits subjectifs - Conditions - Respect d'un délai raisonnable et des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique - Actes illégaux faisant grief au destinataire - Assouplissement des conditions

Il découle des principes généraux de droit de l’Union que l’administration est, en principe, habilitée à retirer, avec effet rétroactif, un acte administratif favorable adopté illégalement, mais que le retrait rétroactif d’un acte qui a créé des droits au profit de son destinataire est généralement soumis à des conditions très strictes. En effet, s’il convient de reconnaître à toute institution de l’Union qui constate que l’acte qu’elle vient d’adopter est entaché d’une illégalité le droit de le retirer dans un délai raisonnable avec effet rétroactif, ce droit peut se trouver limité par la nécessité de respecter la confiance légitime du bénéficiaire de l’acte qui a pu se fier à la légalité de celui-ci. Une telle décision est également subordonnée à la condition qu’elle n’enfreigne pas le principe de sécurité juridique.

Toutefois, les conditions strictes, auxquelles le retrait rétroactif d’un acte administratif illégal générateur de droits subjectifs peut s’opérer, ne sont pas pertinentes dans l’hypothèse où l’acte concerné ne constitue pas, à l’égard de son destinataire, un acte créateur de droits, mais un acte lui faisant grief.

Il s’ensuit que rien ne s’oppose à ce que le retrait d’un acte administratif illégal ou légal qui constitue, à l’égard de son destinataire, un acte lui faisant principalement grief et étant accessoirement créateur de droits à son profit puisse être opéré s’il n’est pas porté atteinte à la confiance légitime dudit destinataire et que le principe de sécurité juridique n’est pas enfreint.

Arrêt du 27 juin 2017, Ruiz Molina / EUIPO (T-233/16 P) (cf. points 27-29)

75. Procédure juridictionnelle - Saisine du Tribunal sur la base d'une clause compromissoire - Moyens - Violation des principes de confiance légitime et de sécurité juridique - Moyen inopérant - Rejet

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 28 février 2019, Alfamicro / Commission (C-14/18 P) (cf. points 75-77)



Arrêt du 14 novembre 2017, Alfamicro / Commission (T-831/14) (cf. points 155-157)

76. Ressources propres de l'Union européenne - Aides cofinancées par l'Union indûment versées - Absence de répétition - Admissibilité - Conditions

Dans des circonstances telles que celles en cause au principal, le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, en l’absence de limitation des effets du présent arrêt dans le temps, il ne s’oppose pas à ce que le principe de sécurité juridique soit pris en considération afin d’exclure la répétition d’une aide indûment versée, à condition que les conditions prévues soient les mêmes que pour la récupération de prestations financières purement nationales, que l’intérêt de l’Union européenne soit pleinement pris en considération et que la bonne foi du bénéficiaire soit établie.

Ainsi, il ne saurait être considéré comme contraire au droit de l’Union que le droit national en matière de répétition de prestations financières indûment versées par l’administration publique prenne en considération, en même temps que le principe de légalité, le principe de sécurité juridique, étant donné que ce dernier fait partie de l’ordre juridique de l’Union (arrêts du 19 septembre 2002, Huber, C-336/00, EU:C:2002:509, point 56 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 juin 2007, ROM-projecten, C-158/06, EU:C:2007:370, point 24).

En particulier, ce principe de sécurité juridique exige qu’une réglementation de l’Union permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose. Les justiciables doivent, en effet, pouvoir connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (arrêt du 21 juin 2007, ROM-projecten, C-158/06, EU:C:2007:370, point 25 et jurisprudence citée).

Cela étant, l’intérêt de l’Union à la récupération des aides qui ont été perçues en violation des conditions d’octroi de celles-ci doit être pleinement pris en considération lors de l’appréciation des intérêts en cause, y compris s’il était considéré, nonobstant ce qui a été rappelé au point précédent, que le principe de sécurité juridique s’oppose à ce que le bénéficiaire de l’aide soit tenu de rembourser celle-ci (arrêts du 19 septembre 2002, Huber, C-336/00, EU:C:2002:509, point 57 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 juin 2007, ROM-projecten, C-158/06, EU:C:2007:370, point 32).

En outre, ce n’est qu’à la condition que le bénéficiaire de l’aide ait été de bonne foi quant à la régularité de celle-ci qu’il est en mesure d’en contester la répétition (arrêt du 19 septembre 2002, Huber, C-336/00, EU:C:2002:509, point 58 et jurisprudence citée).

Arrêt du 20 décembre 2017, Erzeugerorganisation Tiefkühlgemüse (C-516/16) (cf. points 97, 98, 100, 101, disp. 3)

77. Droit de l'Union européenne - Principes - Protection de la confiance légitime - Sécurité juridique - Limites



Arrêt du 7 mars 2018, Gollnisch / Parlement (T-624/16) (cf. points 129, 130)

Arrêt du 28 novembre 2018, Le Pen / Parlement (T-161/17) (cf. points 93, 94)

78. Agriculture - Rapprochement des législations - Mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques - Règlement nº 1107/2009 - Réexamen de l'approbation d'une substance active - Évaluation des risques - Obligation d'utiliser uniquement des documents disponibles au moment de la demande d'approbation - Absence - Violation du principe de sécurité juridique - Absence

En ce qui concerne la procédure de réexamen de l’approbation d’une substance active au titre de l’article 21 du règlement nº 1107/2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, l’article 12, paragraphe 2, de ce règlement ne saurait être interprété en ce sens qu’il exige que l’évaluation des risques des substances actives soit réalisée en utilisant les documents d’orientation disponibles au moment de la demande d’approbation de la substance en cause.

En effet, dans le cadre de la procédure de réexamen, l’établissement d’un projet de rapport d’évaluation n’est pas prévu, ni d’ailleurs une mise à la disposition du public de ce projet. L’article 12, paragraphe 2, deuxième alinéa, dont l’objet est, notamment, de fixer un délai à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) pour la présentation de ses conclusions, n’est donc pas applicable dans le cadre du réexamen, faute de pouvoir déterminer le point de départ du délai. En revanche, l’article 21, paragraphe 2, du règlement nº 1107/2009 prévoit un délai différent pour la présentation des résultats de l’évaluation des risques par l’EFSA dans le cadre du réexamen, à savoir dans les trois mois à compter de la date de la requête formulée par la Commission. En outre, au regard des objectifs de protection poursuivis par le règlement nº 1107/2009, il paraîtrait difficilement acceptable que les méthodes d’évaluation des risques pour une substance approuvée doivent rester figées à la date de la demande d’approbation, dans le cadre du réexamen qui peut avoir lieu, le cas échéant, plus de dix ans après ladite date. Par conséquent, l’article 12, paragraphe 2, du règlement nº 1107/2009 ne peut être utilement invoqué pour contester l’application, dans le cadre du réexamen d’une substance active, de méthodes et de critères différents de ceux appliqués lors de leur approbation.

Par ailleurs, il ne saurait exister aucun droit général des demandeurs d’approbation, découlant du principe de sécurité juridique, à ce que les critères d’appréciation et de gestion du risque d’une substance active restent figés, dans l’hypothèse d’un réexamen, à la situation existant à la date de la demande d’approbation. En effet, l’article 114, paragraphe 3, TFUE, sur lequel est notamment fondé le règlement nº 1107/2009, dispose que, dans ses propositions en matière, notamment, de protection de l’environnement, faites au titre du rapprochement des législations ayant pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur, la Commission prend pour base un niveau de protection élevé en tenant compte notamment de toute nouvelle évolution basée sur des faits scientifiques. De plus, cette protection de l’environnement a une importance prépondérante par rapport aux considérations économiques, de sorte qu’elle est de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs. Il découle de ces principes, qui constituent le fondement du règlement nº 1107/2009, que, sauf indication contraire, les décisions que la Commission est appelée à prendre dans le cadre de ce règlement doivent toujours tenir compte des connaissances scientifiques et techniques les plus récentes.

Arrêt du 17 mai 2018, Bayer CropScience / Commission (T-429/13 et T-451/13) (cf. points 260, 265-267, 288, 289)

79. Droit de l'Union européenne - Principes généraux du droit - Sécurité juridique

Le principe général de sécurité juridique exige qu’une réglementation soit claire et précise, afin que les justiciables puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence. Toutefois, aux fins de déterminer s’il est satisfait aux exigences découlant de ce principe, il convient de tenir compte de tous les éléments pertinents qui ressortent des termes, de la finalité ou de l’économie de cette réglementation, au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux.

Ordonnance du 30 mai 2018, PJ / EUIPO - Erdmann & Rossi (Erdmann & Rossi) (T-664/16) (cf. point 70)

80. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Restrictions à l'exportation et à l'accès au marché des capitaux de l'Union - Imposition, par un État membre, de sanctions pénales applicables en cas d'infraction aux dispositions du règlement nº 833/2014 - Violation des principes de sécurité juridique et de précision de la loi applicable - Absence - Conditions



Arrêt du 13 septembre 2018, NK Rosneft e.a. / Conseil (T-715/14) (cf. points 225, 226, 228-231, 235)

81. Aides accordées par les États - Aides existantes et aides nouvelles - Mesures portant augmentation du budget initial de régimes autorisés d'aides financées par le produit de taxes - Qualification d'aides nouvelles - Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime - Absence d'incidence

Le nécessaire respect du principe de sécurité juridique ne fait pas non plus obstacle à ce qu’une augmentation du budget d’un régime d’aides par rapport au budget autorisé par la Commission soit considérée, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, comme une modification d’une aide existante, au sens de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

En effet, il ressort du considérant 4 du règlement nº 794/2004 que c’est précisément pour des raisons de sécurité juridique que l’article 4, paragraphe 1, seconde phrase, de ce règlement fixe un seuil précis en dessous duquel une augmentation du budget d’un régime d’aides n’est pas considérée comme étant une modification de l’aide existante. En fixant ce seuil au niveau assez élevé de 20 %, cette disposition prévoit une marge de sécurité qui tient suffisamment compte des incertitudes liées à l’application du contrôle préventif institué à l’article 108, paragraphe 3, TFUE à des régimes d’aides dont le budget fluctue, tels que ceux en cause au principal.

La Cour a, par ailleurs, déjà jugé qu’un État membre ne peut pas invoquer le principe de sécurité juridique pour s’écarter des informations qu’il a fournies à la Commission dans le cadre de la notification d’un régime d’aides et dont dépend la portée de la décision de la Commission autorisant ce régime, mais doit, au contraire, tenir compte de ces informations et veiller à ce que ledit régime soit mis à exécution en conformité avec elles (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2010, Kahla Thüringen Porzellan/Commission, C-537/08 P, EU:C:2010:769, point 47).

En outre, il y a lieu de relever que, en l’occurrence, dans le document de la Commission intitulé « Autorisation des aides d’État dans le cadre des dispositions des articles 87 et 88 du traité CE - Cas à l’égard desquels la Commission ne soulève pas d’objection » et publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2007, C 246, p. 1), les prévisions des autorités françaises quant à la hausse du produit des trois taxes consécutive à la réforme de la taxe sur les services de télévision ont été présentées comme étant le « budget » de l’aide autorisée. Or, dans le système de contrôle préventif institué à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, ni l’État membre concerné ni les bénéficiaires d’un régime d’aides ne sauraient raisonnablement se prévaloir d’une confiance légitime à ce qu’une décision d’autorisation fasse foi au-delà de la description de la mesure telle que publiée au Journal officiel de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2010, Nuova Agricast et Cofra/Commission, C-67/09 P, EU:C:2010:607, points 72 à 74).

Arrêt du 20 septembre 2018, Carrefour Hypermarchés e.a. (C-510/16) (cf. points 44-47)

82. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Réglementation de l'Union - Exigence de clarté et de prévisibilité - Recours à des notions juridiques indéterminées devant être interprétées et appliquées par l'administration - Admissibilité

Le principe de sécurité juridique, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les règles du droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union. La portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. La prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé.

De plus, le principe de sécurité juridique ne s’oppose pas à ce que le droit de l’Union attribue un pouvoir d’appréciation à l’administration compétente ou à ce qu’il utilise des notions juridiques indéterminées qui doivent être interprétées et appliquées au cas d’espèce par ladite administration, sans préjudice du contrôle du juge de l’Union. Par ailleurs, les exigences dudit principe ne sauraient être comprises comme imposant qu’une norme utilisant une notion juridique indéterminée mentionne les différentes hypothèses concrètes dans lesquelles elle est susceptible de s’appliquer, dans la mesure où toutes ces hypothèses ne peuvent pas être déterminées à l’avance par le législateur.

Arrêt du 27 novembre 2018, Mouvement pour une Europe des nations et des libertés / Parlement (T-829/16) (cf. points 68-71)

Le 5 septembre 2016, HeidelbergCement AG et Schwenk Zement KG (ci-après, ensemble, les « requérantes ») ont notifié à la Commission européenne un projet de concentration consistant en l’acquisition, par l’intermédiaire de leur entreprise commune Duna-Dráva Cement Kft. (ci-après « DDC »), du contrôle des sociétés Cemex Hungária Építőanyagok Kft. et Cemex Hrvatska d.d. (ci-après, ensemble, les « sociétés cibles »). L’ensemble de ces sociétés est actif dans le domaine des matériaux de construction.

Après avoir ouvert la procédure d’examen approfondi, la Commission a déclaré l’opération de concentration incompatible avec le marché intérieur{1}. Dans sa décision, la Commission a fait état de considérations tenant notamment à la dimension communautaire de l’opération, au marché en cause, aux effets de la concentration en matière de concurrence et aux engagements des parties à la concentration. Pour affirmer, plus particulièrement, la dimension communautaire de l’opération de concentration, la Commission a pris en compte les chiffres d’affaires des requérantes, qui s’élèvent à plus de 250 millions d’euros dans l’Union européenne, au motif que celles-ci constituaient les véritables acteurs de l’opération de concentration.

Au soutien de leur recours en annulation introduit contre cette décision, les requérantes ont contesté, notamment, l’appréciation de la dimension communautaire de la concentration notifiée. À cet égard, l’article 1er, paragraphe 2, du règlement CE sur les concentrations{2} requiert qu’au moins deux entreprises concernées atteignent individuellement un chiffre d’affaires dans l’Union d’au moins 250 millions d’euros. Or, en se référant aux chiffres d’affaires des requérantes pour affirmer la dimension communautaire de l’opération de concentration menée par leur entreprise commune DDC, la Commission aurait méconnu la portée de cette disposition.

Ce recours est rejeté par le Tribunal qui apporte, dans ce cadre, des précisions à la notion d’« entreprise concernée » dont le chiffre d’affaires peut être pris en compte aux fins d’établir la dimension communautaire d’une opération de concentration.

Appréciation du Tribunal

Le Tribunal rappelle que, bien que le règlement CE sur les concentrations n’apporte pas de définition de la notion d’« entreprise concernée » au sens de son article 1er, paragraphe 2, l’interprétation de cette notion fait l’objet des paragraphes 145 à 147 de la communication consolidée sur la compétence de la Commission{3}. Contrairement à ce que prétendent les requérantes, ni ces paragraphes, ni le principe de sécurité juridique, ni le règlement CE sur les concentrations ne s’opposent, toutefois, à ce que, aux fins de l’évaluation de la dimension communautaire d’une concentration mise en œuvre par une entreprise commune, la Commission qualifie les sociétés mères d’entreprises concernées lorsque celles-ci constituent les véritables acteurs de l’opération.

À cet égard, le Tribunal relève, en premier lieu, que, pour garantir l’efficacité du contrôle des concentrations, il apparaît nécessaire de tenir compte de la réalité économique des véritables acteurs de la concentration en fonction des circonstances de droit et de fait propres à chaque espèce. Ainsi, la détermination des entreprises concernées est nécessairement liée à la façon dont le processus d’acquisition a été initié, organisé et financé dans chaque cas individuel.

En ce qui concerne l’interprétation du paragraphe 147 de la communication consolidée sur la compétence, le Tribunal précise, en outre, que celui-ci envisage deux hypothèses dans lesquelles des sociétés mères peuvent être qualifiées d’entreprises concernées aux fins de l’évaluation de la dimension communautaire d’une concentration mise en œuvre par leur entreprise commune. Dans la première hypothèse, l’entreprise commune est utilisée comme un simple vecteur. Dans la seconde, les sociétés mères sont les véritables acteurs de l’opération. En l’espèce, la Commission avait considéré que l’opération rentrait dans le second cas de figure.

En deuxième lieu, le Tribunal juge que ni la communication consolidée sur la compétence elle-même ni sa mise en œuvre par la Commission en l’espèce n’ont généré une ambiguïté contraire au principe de sécurité juridique. Selon le Tribunal, les paragraphes 145 à 147 de la communication consolidée sur la compétence n’émettent pas de signaux contradictoires quant à la démarche utilisée par la Commission pour déterminer les entreprises concernées par une opération de concentration. De plus, les parties à une concentration, en tant qu’opérateurs économiques diligents, peuvent également, au besoin, recourir à des conseils éclairés ou prendre contact avec les services de la Commission afin d’obtenir des orientations informelles sur les entreprises concernées par une opération.

En troisième lieu, le Tribunal précise que, aux fins de l’évaluation de la dimension communautaire d’une opération de concentration, il n’est pas nécessaire que les entreprises concernées dont le chiffre d’affaires dépasse les seuils prévus se situent de part et d’autre de l’opération. En effet, l’article 1er, paragraphe 2, du règlement CE sur les concentrations requiert qu’au moins deux entreprises concernées atteignent individuellement un chiffre d’affaires dans l’Union d’au moins 250 millions d’euros, et non qu’il doit s’agir de l’acquéreur et de l’entreprise cible.

{1} Décision C(2017) 1650 final, du 5 avril 2017 (affaire M.7878 - HeidelbergCement/Schwenk/Cemex Hungary/Cemex Croatia).

{2} Règlement (CE) nº 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1) (ci-après le « règlement CE sur les concentrations »).

{3} Communication consolidée sur la compétence de la Commission en vertu du règlement (CE) nº 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 2008, C 95, p. 1, et rectificatif JO 2009, C 43, p. 10) (ci-après la « communication consolidée sur la compétence »).

Arrêt du 5 octobre 2020, HeidelbergCement et Schwenk Zement / Commission (T-380/17) (cf. points 130-136)



Arrêt du 25 novembre 2020, ACRE / Parlement (T-107/19) (cf. points 65, 66, 68)



Arrêt du 30 juin 2021, Mélin / Parlement (T-51/20) (cf. points 32-35)



Arrêt du 14 juillet 2021, Arnautu / Parlement (T-740/20) (cf. points 27-30)

Ordonnance du 2 juin 2022, Mélin / Parlement (C-541/21 P) (cf. point 62)

Ordonnance du 2 juin 2022, Arnautu / Parlement (C-573/21 P) (cf. point 63)

83. Parlement européen - Financement des partis politiques au niveau européen - Interdiction du financement indirect d'un parti politique national - Violation du principe de sécurité juridique - Absence

L’interdiction du financement direct ou indirect des partis politiques nationaux, contenue dans l’article 7 du règlement nº 2004/2003, relatif au statut et au financement des partis politiques au niveau européen, est claire. L’interdiction du financement indirect est en effet le corollaire de l’interdiction du financement direct, car autrement cette interdiction pourrait être facilement contournée. En ce qui concerne le contenu de l’interdiction du financement indirect, force est de constater qu’il s’agit d’une notion juridique indéterminée et que la disposition en cause ne contient pas une définition exhaustive de la notion ou une liste des comportements susceptibles de rentrer dans le champ d’application de l’interdiction. Cependant, un opérateur diligent doit être en mesure de prévoir qu’il existe un financement indirect lorsqu’un parti politique national obtient un avantage financier en évitant des dépenses qu’il aurait dû supporter, même si aucun transfert direct de fonds n’est effectué. En d’autres termes, il ne saurait être accepté qu’un parti politique au niveau européen diligent ne soit pas en mesure de prévoir que l’octroi d’un avantage quelconque à un parti politique national, sans que celui-ci en supporte le coût, constitue un financement indirect des activités de ce dernier. Par conséquent, l’article 7 du règlement nº 2004/2003 n’est pas contraire au principe de sécurité juridique.

Arrêt du 27 novembre 2018, Mouvement pour une Europe des nations et des libertés / Parlement (T-829/16) (cf. point 72)

84. Actes des institutions - Application dans le temps - Nécessité d'une base juridique en vigueur à la date d'adoption - Distinction entre les règles de compétence de nature procédurale et de droit matériel



Arrêt du 13 décembre 2018, Pipiliagkas / Commission (T-689/16) (cf. points 41, 42)

85. Rapprochement des législations - Fabrication, présentation et vente des produits du tabac - Directive 2014/40 - Mesures pouvant être prises pour réglementer les ingrédients - Interdiction de mise sur le marché de produits du tabac contenant un arôme caractérisant - Violation du principe de sécurité juridique - Absence

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 30 janvier 2019, Planta Tabak (C-220/17) (cf. points 31-34)

86. Rapprochement des législations - Procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services - Directive 2014/24 - Principe de sécurité juridique - Principe d'égalité de traitement des soumissionnaires - Obligation de transparence - Exclusion de la participation à un marché d'un opérateur économique n'ayant pas respecté une obligation non spécifiée dans les documents de marché, mais prévue dans la réglementation nationale à laquelle un renvoi explicite y était effectué - Admissibilité - Documents de marché ne permettant pas aux soumissionnaires d'indiquer séparément les coûts de la main-d'œuvre - Possibilité de régularisation ultérieure

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 2 mai 2019, Lavorgna (C-309/18) (cf. point 32 et disp.)

87. Politique commerciale commune - Défense contre les pratiques de dumping - Institution de droits antidumping - Application rétroactive du droit antidumping définitif - Conditions - Connaissance par l'importateur des pratiques de dumping et du préjudice - Violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime - Absence

Par son arrêt Stemcor London et Samac Steel Supplies/Commission (T-749/16), du 8 mai 2019, le Tribunal a rejeté le recours visant l’annulation du règlement de la Commission nº 2016/1329{1} (ci-après le « règlement attaqué ») prévoyant la perception rétroactive du droit antidumping définitif sur les importations de certains produits plats laminés à froid en acier originaires de la République populaire de Chine et de la Fédération de Russie.

Dans cet arrêt, le Tribunal s’est prononcé, pour la première fois, sur le mécanisme prévu par l’article 10, paragraphe 4, du règlement de base en matière d’antidumping{2} qui permet à la Commission de percevoir rétroactivement un droit antidumping sur des produits déclarés pour la mise à la consommation 90 jours au plus avant la date d’application des mesures provisoires (mais non antérieurement à l’ouverture de l’enquête), dès lors que les importations en cause ont été enregistrées, que « le produit en question [a] fait l'objet, dans le passé, de pratiques de dumping sur une longue durée ou que l'importateur [a] eu connaissance ou [aurait] dû avoir connaissance des pratiques de dumping, de leur importance et de celle du préjudice allégué ou établi » (article 10, paragraphe 4, sous c) et que « en plus du niveau des importations ayant causé un préjudice au cours de la période d'enquête, il y [a] une nouvelle augmentation substantielle des importations, qui, compte tenu du moment auquel elles sont effectuées, de leur volume ou d'autres circonstances, est de nature à compromettre gravement l'effet correctif du droit antidumping définitif à appliquer » (article 10, paragraphe 4, sous d).

Les requérantes ayant fait valoir, en premier lieu, que la Commission avait commis plusieurs erreurs dans l’interprétation et l’application des conditions prévues par l’article 10, paragraphe 4, sous c), du règlement de base, le Tribunal a rejeté l’interprétation proposée selon laquelle la connaissance des importateurs doit être établie à l’égard d’un dumping « effectif », et non pas seulement « allégué », pour que la condition visée à l’article 10, paragraphe 4, sous c), du règlement de base soit remplie et a considéré que les termes « allégué » ou « établi » doivent être considérés comme se rapportant aussi bien à l’importance du dumping qu’à celle du préjudice afin de garantir l’effet utile de ladite disposition.

Le Tribunal a, ensuite, considéré que les éléments de preuve figurant dans la version non confidentielle de la plainte et dans l’avis d’ouverture d’enquête étaient suffisants en l’espèce aux fins de la prise de connaissance par les importateurs, qui sont des professionnels avertis, de l’importance du dumping allégué, au sens de l’article 10, paragraphe 4, du règlement de base, dès l’ouverture de l’enquête.

S’agissant de l’article 10, paragraphe 4, sous d), du règlement de base, le Tribunal a jugé que la période pertinente pour l’appréciation de la « nouvelle augmentation substantielle des importations » doit pouvoir inclure le temps écoulé depuis la publication de l’avis d’ouverture d’enquête, puisque c’est à partir de ce moment que les importateurs avaient eu connaissance de la possibilité que des droits soient ultérieurement appliqués de manière rétroactive sur les importations enregistrées et qu’ils pouvaient ainsi être tentés d’importer massivement les produits concernés en prévision de l’institution future de ces droits.

Le Tribunal a, ensuite, précisé que la nouvelle augmentation substantielle des importations doit être appréciée globalement afin de déterminer si les importations, prises dans leur ensemble, sont de nature à compromettre gravement l’effet correctif des droits définitifs et donc à créer un préjudice supplémentaire pour l’industrie de l’Union sans tenir compte de la situation individuelle et subjective des importateurs concernés.

Le Tribunal a, en outre, jugé que le caractère « substantiel » de l’augmentation est déterminé au cas par cas, non seulement en comparant les moyennes pondérées mensuelles des importations ayant eu lieu au cours de la période d’enquête et celles ayant eu lieu au cours de la période entre l’avis d’ouverture d’enquête et l’institution des mesures provisoires, mais aussi en prenant en compte toutes les autres considérations pertinentes, qui concernent notamment l’évolution de la consommation générale des produits concernés au sein de l’Union, l’évolution des stocks et l’évolution des parts de marché.

Partant, le Tribunal a dit pour droit que la Commission a pu conclure, à juste titre, que la nouvelle augmentation substantielle des importations, compte tenu de leur volume, du moment auquel elles avaient été effectuées ainsi que d’autres circonstances, à savoir la baisse des prix et l’augmentation des stocks importantes, avait eu une nouvelle incidence négative sur les prix et la part de marché dans l’Union de l’industrie de l’Union et était donc de nature à compromettre gravement l’effet correctif du droit antidumping définitif.

{1 Règlement d'exécution (UE) 2016/1329 de la Commission, du 29 juillet 2016, portant perception du droit antidumping définitif sur les importations enregistrées de certains produits plats laminés à froid en acier originaires de la République populaire de Chine et de la Fédération de Russie (JO 2016, L 210, p. 27).}

{2 Règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21).}

Arrêt du 8 mai 2019, Stemcor London et Samac Steel Supplies / Commission (T-749/16) (cf. point 66)

88. Recours en annulation - Délais - Décision non attaquée dans les délais - Sécurité juridique - Obligation de réexamen pesant sur l'institution en cas d'annulation de décisions similaires - Absence



Arrêt du 8 mai 2019, Lucchini / Commission (T-185/18) (cf. points 38-40)

89. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Champ d'application - Réglementation nationale mettant en œuvre le droit de l'Union - Inclusion - Portée - Exigences de clarté et de précision quant à l'étendue des obligations imposées

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 11 juillet 2019, Agrenergy (C-180/18, C-286/18 et C-287/18) (cf. points 28-30)

90. Droit de l'Union européenne - Principes - Protection de la confiance légitime - Sécurité juridique - Réglementation nationale permettant à un État membre de prévoir la réduction, voire la suppression, des tarifs incitatifs pour l'énergie produite par les installations solaires photovoltaïques fixés antérieurement - Respect des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime - Vérification incombant au juge national - Prise en compte de tous les éléments pertinents ressortant des termes, de la finalité ou de l'économie des réglementations concernées

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 11 juillet 2019, Agrenergy (C-180/18, C-286/18 et C-287/18) (cf. points 33, 34)

91. Aides accordées par les États - Récupération d'une aide illégale - Violation du principe de sécurité juridique - Absence

Dans l’arrêt Luxembourg et Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (T-755/15 et T-759/15), prononcé le 24 septembre 2019, la septième chambre élargie du Tribunal a rejeté comme non fondés les recours en annulation introduits par le Grand-Duché de Luxembourg et par l’entreprise Fiat Chrysler Finance Europe contre la décision de la Commission européenne qualifiant d’aide d’État une décision fiscale anticipative octroyée par les autorités fiscales luxembourgeoises à l’entreprise Fiat Chrysler Finance Europe{1}.

Fiat Chrysler Finance Europe, anciennement dénommée Fiat Finance and Trade Ltd (ci-après « FFT »), fait partie du groupe automobile Fiat/Chrysler et fournit des services de trésorerie et des financements aux sociétés dudit groupe établies en Europe. Ayant son siège social au Luxembourg, FFT avait sollicité auprès des autorités fiscales luxembourgeoises une décision fiscale anticipée (tax ruling) en matière d’imposition (ci-après la « décision anticipative »). À la suite de cette demande, les autorités luxembourgeoises ont adopté une décision anticipative avalisant une méthode de détermination de la rémunération de FFT pour les services fournis aux autres sociétés du groupe Fiat/Chrysler, ce qui permettait à FFT de déterminer annuellement son bénéfice imposable au titre de l’impôt sur les sociétés au Grand-Duché de Luxembourg.

Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que cette décision anticipative constituait une aide d’État au sens de l’article 107 TFUE, plus particulièrement une aide au fonctionnement incompatible avec le marché intérieur. Elle a, en outre, constaté que le Grand-Duché de Luxembourg ne lui avait pas notifié le projet de décision anticipative en cause et n’avait pas respecté l’obligation de suspension, en violation des dispositions de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Ainsi, la Commission a ordonné la récupération de cette aide illégale et incompatible avec le marché intérieur. Le Grand-Duché de Luxembourg et FFT ont chacun introduit un recours en annulation contre cette décision.

L’imposition directe relevant de la compétence exclusive des États membres, le Tribunal a, en premier lieu, rappelé que, en examinant la question de savoir si la décision anticipative en cause était conforme aux règles en matière d’aide d’État, la Commission n’a procédé à aucune « harmonisation fiscale déguisée », mais a exercé la compétence qu’elle tire du droit de l’Union européenne. En effet, la Commission étant compétente pour veiller au respect de l’article 107 TFUE, il ne saurait lui être reproché d’avoir outrepassé ses compétences lorsqu’elle a examiné la décision anticipative en cause afin de vérifier si elle constituait une aide d’État et, dans l’affirmative, si elle était compatible avec le marché intérieur.

En deuxième lieu, le Tribunal a exposé que, lorsque le droit fiscal national entend imposer le bénéfice résultant de l’activité économique d’une entreprise intégrée comme s’il résultait de transactions effectuées dans des conditions de marché, la Commission peut utiliser le principe de pleine concurrence pour contrôler que les transactions intragroupe sont rémunérées comme si elles avaient été négociées entre des entreprises indépendantes et, partant, si une décision fiscale anticipative confère un avantage à son bénéficiaire au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. À cet égard, le Tribunal a précisé que le principe de pleine concurrence tel qu’identifié par la Commission dans la décision attaquée constitue un outil lui permettant de contrôler que les transactions intragroupe sont rémunérées comme si elles avaient été négociées entre des entreprises indépendantes. Il a constaté ainsi que, compte tenu du droit fiscal luxembourgeois, cet outil entre dans le cadre de l’exercice des compétences de la Commission au titre de l’article 107 TFUE. La Commission était donc, en l’espèce, en mesure de vérifier si le niveau de prix pour les transactions intragroupe avalisé par la décision anticipative en cause correspondait à celui qui aurait été négocié dans des conditions de marché.

En troisième lieu, s’agissant de la démonstration en tant que telle de l’existence d’un avantage, le Tribunal a considéré que la méthode de détermination de la rémunération de FFT avalisée par la décision anticipative en cause ne permettait pas d’aboutir à un résultat de pleine concurrence et qu’elle avait, au contraire, minimisé la rémunération de FFT, sur la base de laquelle est déterminé l’impôt dû par celle-ci.

En quatrième lieu, en ce qui concerne l’examen de la sélectivité de l’avantage octroyé à FFT par la décision anticipative en cause, le Tribunal a estimé que la Commission n’avait pas commis d’erreur en considérant que l’avantage conféré à FFT était sélectif, dès lors que ladite décision anticipative était considérée comme constitutive d’une aide individuelle et que les conditions liées à la présomption de sélectivité étaient remplies en l’espèce. Le Tribunal a ajouté que, en tout état de cause, la Commission avait également démontré que la mesure en cause était sélective sur la base de l’analyse de la sélectivité en trois étapes.

En cinquième lieu, en ce qui concerne la récupération de l’aide, le Tribunal a confirmé que, en l’espèce, la récupération de l’aide n’était ni contraire au principe de sécurité juridique ni aux droits de la défense du Grand-Duché de Luxembourg.

{1 Décision (UE) 2016/2326 de la Commission, du 21 octobre 2015, concernant l’aide d’État SA.38375 (2014/C ex 2014/NN) mise à exécution par le Luxembourg en faveur de Fiat (JO 2016, L 351, p. 1).}

Arrêt du 24 septembre 2019, Luxembourg / Commission (T-755/15 et T-759/15) (cf. points 405-410)

Le Tribunal rejette les recours en annulation introduits par plusieurs sociétés contre la décision de la Commission européenne déclarant incompatibles avec le marché intérieur certaines aides versées à des entreprises établies sur l’île de Madère, en application d’un régime préalablement autorisé, et en ordonnant la récupération. Dans ce cadre, le Tribunal apporte des précisions sur l’articulation des libertés fondamentales consacrées par le traité FUE avec les règles de ce traité en matière d’aides d’État.

Afin de promouvoir le développement régional et la diversification de la structure économique de l’île de Madère, la République portugaise a mis en place un régime d’aides en faveur d’une zone délimitée sur cette île, appelée la zone franche de Madère (ZFM).

Initialement approuvé par la Commission européenne en 1987 en tant qu’aide à finalité régionale compatible, ce régime a été modifié en 2002. En 2007, la Commission a autorisé un troisième régime qui a de nouveau été modifié et autorisé en 2013{1} (ci-après le « régime III »).

Le régime III, tel qu’approuvé par la Commission, prenait la forme d’une réduction de l’impôt sur le revenu applicable aux personnes morales sur les bénéfices résultant d’activités effectivement et matériellement réalisées à Madère, d’une exonération de taxes municipales et locales ainsi que d’une exonération de l’impôt sur la transmission de biens immobiliers pour la création d’une entreprise dans la ZFM, à concurrence de montants d’aide maximaux basés sur des plafonds fixés en fonction du nombre de postes de travail maintenus par le bénéficiaire.

À la suite d’un exercice de surveillance dudit régime portant sur les années 2012 et 2013, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue par l’article 108, paragraphe 3, TFUE. À l’issue de cette procédure, la Commission a constaté, par décision du 4 décembre 2020{2}, que le régime III, tel que mis en œuvre par le Portugal, était substantiellement différent de celui autorisé par les décisions de 2007 et de 2013. Qualifiant ce régime d’« aide nouvelle » exécutée illégalement et incompatible avec le marché intérieur, la Commission a ordonné sa récupération auprès des bénéficiaires.

Par leurs recours, quatre sociétés bénéficiaires d’aides versées en application du régime III, tel que mis en œuvre, demandent l’annulation de cette décision par le Tribunal.

Appréciation du Tribunal

À l’appui de leurs recours, les requérantes ont notamment soutenu que l’interprétation retenue par la Commission, dans la décision attaquée, des conditions d’accès au régime III violait les principes de libre circulation des citoyens et des travailleurs, de libre établissement et de libre prestation des services, en rendant l’exercice desdites libertés plus difficile ou plus coûteux pour les entreprises ayant bénéficié du régime III ou pour leurs salariés.

À cet égard, il importe de relever que, comme dans les arrêts T-95/21{3} et T-131/21{4}, le Tribunal constate que la Commission a, sans commettre d’erreur, interprété les conditions d’accès au régime III, et estimé que ce régime, tel que mis en œuvre par le Portugal, était substantiellement différent de celui autorisé par les décisions de 2007 et de 2013, et, de ce fait, constituait un régime d’aide nouveau.

Ensuite, le Tribunal relève que les arguments des requérantes tirés de la violation des principes de libre circulation des citoyens et des travailleurs, de libre établissement et de libre prestation des services, visent, en substance, à remettre en cause le constat, figurant au considérant 198 de la décision attaquée, effectué par la Commission sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE, quant au caractère incompatible avec le marché intérieur du régime III, tel que mis en œuvre.

Or, dans la mesure où cette argumentation vise à contester le constat d’incompatibilité du régime III, tel que mis en œuvre, le Tribunal relève qu’il résulte certes de la jurisprudence que, lorsque la Commission entend déclarer une aide compatible avec le marché intérieur, elle doit s’assurer que cette déclaration de compatibilité, qui autorise l’État membre à verser l’aide concernée, n’emportera pas violation d’autres dispositions du droit de l’Union et, en particulier, des principes de libre circulation.

Toutefois, cette jurisprudence ne saurait imposer à la Commission, qui entend déclarer une aide incompatible, de la déclarer compatible et donc d’en autoriser le versement, au motif qu’une éventuelle décision d’incompatibilité aurait des effets restrictifs sur les entreprises bénéficiaires de ladite aide, que ce soit en empêchant le versement de celle-ci ou en imposant sa récupération.

Autrement, l’interdiction des aides d’État incompatibles serait mise en échec par les principes de libre circulation des citoyens et des travailleurs, de libre établissement et de libre prestation des services, et cela alors même que les dispositions du traité FUE en matière de concurrence, et tout particulièrement celles relatives aux aides d’État, revêtent un caractère fondamental et constituent l’expression de l’une des missions essentielles conférées à l’Union.

Dès lors, le Tribunal conclut que les requérantes ne pouvaient pas utilement invoquer les principes de libre circulation des citoyens et des travailleurs, de libre établissement et de libre prestation des services à l’encontre de la décision attaquée en ce qu’elle constate, sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE, le caractère incompatible du régime III, tel que mis en œuvre, et en ordonne la récupération.

Le Tribunal ajoute que, à supposer même que ces principes puissent être invoqués par les requérantes et que la décision attaquée - en ce qu’elle interprète les conditions d’accès au régime III de sorte que le régime, tel que mis en œuvre, s’avère incompatible et ordonne la récupération des aides versées en application de ce dernier régime - produise des effets restrictifs sur les libertés invoquées, ces effets sont, en tout état de cause, justifiés par l’objectif légitime poursuivi par le régime III visant à promouvoir le développement régional et la diversification de la structure économique de Madère, en tant que région ultrapériphérique, et sont proportionnés à cet objectif. À cet égard, le Tribunal souligne que le constat d’incompatibilité avec le marché intérieur du régime III, tel que mis en œuvre, tout comme la récupération des aides illégalement versées en application de ce régime, n’empêchent pas les sociétés enregistrées dans la ZFM de s’établir ou de fournir des services en dehors de la région autonome de Madère, voire de recruter des travailleurs résidant ou exerçant leur activité en dehors de cette région. Enfin, le Tribunal constate que la Commission n’était pas tenue de se prononcer sur un régime d’aides alternatif proposé par les requérantes. Sur ce point, ce dernier rappelle que, selon la jurisprudence, la Commission n’a pas à se prononcer abstraitement sur toutes les mesures alternatives susceptibles d’être envisagées, puisque, si l’État membre concerné doit exposer de façon circonstanciée les raisons ayant présidé à l’adoption du régime d’aide en cause, en particulier quant aux conditions d’éligibilité retenues, il n’est pas tenu de démontrer, de manière positive, qu’aucune autre mesure imaginable, par définition hypothétique, ne pourrait permettre d’assurer l’objectif poursuivi de meilleure manière. Si ledit État membre n’est pas soumis à une telle obligation, les requérantes ne sauraient être fondées à demander au Tribunal d’imposer à la Commiss

ion de se substituer aux autorités nationales dans cette tâche de prospection normative afin d’examiner toute mesure alternative envisageable.

Au vu de ces considérations, le Tribunal rejette comme non fondée l’argumentation des requérantes. Il écarte également l’ensemble des autres moyens invoqués et, par conséquent, rejette les recours dans leur ensemble.

{1} Décisions de la Commission du 27 juin 2007, rendue dans l’affaire N 421/2006, et du 2 juillet 2013, rendue dans l’affaire SA.34160 (2011/N) (ci-après les « décisions d’autorisation de 2007 et de 2013 »).

{2} Décision (UE) 2022/1414 de la Commission européenne, du 4 décembre 2020, relative au régime d’aides SA.21259 (2018/C) (ex 2018/NN) mis en œuvre par le Portugal en faveur de la zone franche de Madère (Zona Franca da Madeira - ZFM) - Régime III (JO 2022, L 217, p. 49, ci-après la « décision attaquée »).

{3} Arrêt du 21 septembre 2022, Portugal/Commission (Zone Franche de Madère) (T-95/21, EU:T:2022:567).

{4} Arrêt du 21 juin 2023, Região Autónoma da Madeira/Commission (T-131/21, EU:T:2023:348).

Arrêt du 6 novembre 2024, Portumo - Madeira e.a. / Commission (Zone franche de Madère) (T-713/22 et T-720/22) (cf. points 122-134)



Ordonnance du 27 octobre 2023, AFG / Commission (Zone franche de Madère) (T-722/22) (cf. points 87-100)

92. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Conditions et limites



Arrêt du 3 octobre 2019, BASF / ECHA (T-805/17) (cf. points 83, 84)

Arrêt du 3 octobre 2019, BASF et REACH & colours / ECHA (T-806/17) (cf. points 101, 102)

93. Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Égalité de rémunération - Article 119 du traité CE - Effet direct - Portée - Exigences applicables aux mesures prises en vue de rétablir l'égalité de traitement - Principe de sécurité juridique

Dans l’arrêt Safeway (C-171/18), rendu le 7 octobre 2019, la grande chambre de la Cour a examiné la compatibilité, avec le principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins prévu à l’article 119 du traité CE{1}, d’une mesure visant à mettre fin à une discrimination constatée par la Cour dans son arrêt du 17 mai 1990, Barber (C-262/88, EU:C:1990:209 ; ci-après l’« arrêt Barber »). Cette discrimination consistait à fixer un âge normal de départ à la retraite (ci-après l’« ANDR ») différent selon le sexe, à savoir 65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes. Afin de remédier à cette discrimination, un régime de pension avait uniformisé, de manière rétroactive, l’ANDR de tous ses affiliés à 65 ans. La Cour a jugé que l’article 119 du traité CE s’oppose, en l’absence d’une justification objective, à une telle mesure d’uniformisation pour la période comprise entre l’annonce de cette mesure et son adoption, et ce même lorsqu’une telle mesure est autorisée par le droit national et par l’acte constitutif de ce régime de pension.

Le régime de pension en cause au principal avait été créé sous la forme d’un trust par Safeway Ltd en 1978. À la suite du prononcé de l’arrêt Barber, Safeway et Safeway Pension Trustees Ltd, le responsable de la gestion du régime de pension, avaient annoncé, en septembre et en décembre 1991, que l’ANDR allait être uniformisé à 65 ans pour tous les affiliés, avec effet au 1er décembre 1991. Toutefois, ce n’est que le 2 mai 1996 que cette mesure d’uniformisation a été formellement adoptée, au moyen d’un acte de trust, avec effet au 1er décembre 1991. Les juridictions du Royaume-Uni ont par la suite été saisies d’une procédure concernant la question de savoir si cette modification rétroactive de l’ANDR était compatible avec le droit de l’Union.

En premier lieu, la Cour a rappelé que les conséquences qu’il convient de tirer du constat d’une discrimination opéré dans l’arrêt Barber diffèrent selon les périodes d’emploi concernées. S’agissant des périodes pertinentes pour la présente affaire, à savoir les périodes d’emploi comprises entre le prononcé dudit arrêt et l’adoption, par un régime de pension, de mesures rétablissant l’égalité de traitement, les personnes de la catégorie défavorisée (en l’occurrence, les hommes) doivent se voir accorder les mêmes avantages que ceux dont bénéficient les personnes de la catégorie privilégiée (en l’espèce, les femmes).

En deuxième lieu, la Cour a énuméré les exigences auxquelles les mesures prises en vue de mettre fin à une discrimination contraire à l’article 119 du traité CE doivent satisfaire, afin de pouvoir être considérées comme rétablissant l’égalité de traitement exigée par cette disposition. D’une part, ces mesures ne peuvent, en principe, pas être soumises à des conditions qui se traduiraient par le maintien, fût-il transitoire, de la discrimination. D’autre part, elles doivent respecter le principe de sécurité juridique, si bien que l’instauration d’une simple pratique, dépourvue d’effet juridique contraignant à l’égard des personnes concernées, n’est pas permise. Par conséquent, la Cour a conclu que, dans le cadre du régime de pension en cause au principal, des mesures satisfaisant auxdites exigences n’ont été prises que le 2 mai 1996, au moyen de l’acte de trust pris à cette date, et non lors des annonces faites par les responsables de ce régime aux affiliés en septembre et en décembre 1991.

Dans ces conditions, la Cour a jugé que permettre une mesure comme celle en cause au principal, uniformisant l’ANDR au niveau de celui des personnes de la catégorie antérieurement défavorisée, à savoir 65 ans, avec effet rétroactif au 1er décembre 1991, serait contraire non seulement à l’objectif de l’égalisation des conditions de travail dans le sens du progrès, lequel résulte du préambule du traité CE et de son article 117, mais également au principe de sécurité juridique et aux exigences découlant de la jurisprudence de la Cour relative, notamment, à l’article 119 du traité CE.

La Cour a toutefois rappelé que des mesures visant à mettre fin à une discrimination contraire au droit de l’Union peuvent, à titre exceptionnel, être prises avec effet rétroactif, pourvu qu’elles répondent effectivement à un impératif d’intérêt général. Si le risque d’atteinte grave à l’équilibre financier d’un régime de pension peut constituer un tel impératif d’intérêt général, la Cour a relevé que c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient de vérifier si la mesure en cause au principal répondait à l’objectif d’éviter une telle atteinte.

{1 Disposition applicable à l’époque des faits en cause au principal et qui correspond à l’actuel article 157 TFUE.}

Arrêt du 7 octobre 2019, Safeway (C-171/18) (cf. points 23-26)

94. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Opération impliquée dans une fraude ou un abus relatif à la taxe sur la valeur ajoutée - Assujetti connaissant ou ayant dû connaître l'existence de la fraude - Constatations de fait et qualifications juridiques par l'administration fiscale dans des procédures administratives connexes à celles menées contre l'assujetti - Réglementation ou pratique nationale liant l'administration fiscale à ces constatations ou qualifications - Admissibilité - Condition

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary (C-189/18) (cf. points 46-49)

95. Actes des institutions - Choix de la base juridique - Réglementation de l'Union - Exigence de clarté et de prévisibilité - Indication expresse de la base légale - Limite - Continuité entre l'ancien et le nouveau cadre réglementaire



Arrêt du 19 décembre 2019, Grèce / Commission (T-295/18) (cf. points 146-148, 150)

96. Aides accordées par les États - Récupération d'une aide illégale - Aide octroyée en violation des règles de procédure de l'article 108 TFUE - Confiance légitime éventuelle dans le chef des bénéficiaires - Sécurité juridique - Protection - Conditions et limites

Par l’arrêt Iberpotash/Commission (T-257/18), prononcé le 16 janvier 2020, le Tribunal a rejeté le recours en annulation introduit par la société Iberpotash, SA, contre la décision de la Commission constatant l’illégalité et l’incompatibilité avec le marché intérieur de deux mesures d’aides qui lui avaient été octroyées par le Royaume d’Espagne dans le cadre de ses activités minières{1}.

Iberpotash, filiale espagnole du plus gros producteur mondial d’engrais et propriétaire de deux mines de potasse sur les sites de Súria et de Sallent/Balsareny en Catalogne a, en 2006 et en 2008, obtenu de la Generalidad de Cataluña (Généralité de Catalogne, Espagne) des autorisations environnementales pour en extraire la potasse. Ces autorisations avaient été accordées moyennant des programmes de remise en état, devant définir les mesures visant à prévenir et à compenser les conséquences néfastes sur l’environnement des activités extractives envisagées, requis en vertu de la réglementation espagnole assurant, notamment, la transposition de la directive 2006/21{2}. L’applicabilité de ces programmes était garantie par l’obligation pour l’exploitant minier de constituer des garanties financières, calculées en fonction de la superficie affectée par la remise en état et de son coût global. Ces garanties avaient initialement été fixées à 773 682,28 euros (porté à 828 013,24 euros en 2008) pour le site de Súria et 1 130 128 euros pour le site de Sallent/Balsareny. À la suite d’une décision judiciaire du 11 octobre 2011, jugeant que le plan de remise en état de la mine de Sallent/Balsareny était incomplet et que la garantie financière constituée à cet effet était trop faible, ces montants ont été portés par les autorités espagnoles à, respectivement, 6 160 872,35 euros et 6 979 471,83 euros. Par ailleurs, le 17 décembre 2007, les autorités nationale et régionale espagnoles ont décidé de recouvrir, à leur frais, le terril de Vilafruns, également propriété d’Iberpotash.

Dans la décision attaquée, adoptée à la suite d’une plainte anonyme, la Commission a considéré, d’une part, que, du fait du niveau excessivement bas des garanties constituées, Iberpotash avait bénéficié d’aides sous la forme de commissions de garantie réduites. Elle a estimé, d’autre part, qu’Iberpotash avait également bénéficié d’une aide à l’investissement pour le recouvrement du terril de Villafruns. Ces aides, octroyées en violation de l’obligation de notification pesant sur les États membres{3}, étant illégales et incompatibles avec le marché intérieur, la Commission a, en conséquence, ordonné leur récupération.

Par son arrêt, le Tribunal a, en premier lieu, confirmé que la faiblesse des garanties financières constituées en vue de l’exploitation des deux mines devait être qualifiée d’aide d’État, ainsi que l’obligation de récupération en résultant pour l’État membre.

Premièrement, il a tout d’abord constaté que, dans la mesure où les montants des deux garanties financières avaient été établis par la Généralité de Catalogne dans les deux décisions d’octroi des licences d’exploitation, ces mesures étaient imputables à l’État, puis confirmé que leur faiblesse faisait peser sur l’État le risque accru et concret de devoir mobiliser des ressources pour couvrir le coût réel des dommages environnementaux et de remise en état, et impliquait donc des ressources d’État. À cet égard, il a notamment relevé que l’État espagnol était soumis, en vertu de la réglementation nationale applicable, à une obligation d’intervention subsidiaire en cas de non-respect des obligations environnementales pesant sur les entreprises exerçant une activité minière. Il a également rappelé que, conformément à la directive 2004/35{4}, les autorités nationales compétentes pouvaient prendre les mesures de réparation des dommages environnementaux incombant aux exploitants, étant précisé que, en l’absence d’une telle intervention, celles-ci pourraient manquer à leurs obligations au titre de la directive 2006/21, faire l’objet d’une procédure d’infraction et être condamnées au paiement d’astreintes. Il a, en outre, souligné que la finalité de l’obligation de constituer une garantie{5} était de s’assurer que les entreprises minières disposent de ressources suffisantes pour couvrir les futurs coûts de remise en état des sites miniers, quelle que soit leur situation financière à l’avenir, et d’éviter que l’État ne doive intervenir à leur place. Rejetant par ailleurs les arguments notamment tirés par Iberpotash de sa capacité financière, susceptible d’évoluer à tout moment, et de la circonstance que la perte de recettes concernait le budget d’un établissement bancaire privé, le Tribunal a conclu que la faiblesse des garanties financières exigées en l’espèce présentait un risque suffisamment concret de réalisation, à l’avenir, d’une charge supplémentaire pour l’État pour qu

e les mesures soient qualifiées d’aides d’État.

Deuxièmement, le Tribunal a confirmé que, dès lors que le niveau des garanties était effectivement inadéquat et nettement inférieur à celui qui aurait été nécessaire pour couvrir les coûts de la remise en état des sites et que les mesures avaient été adoptées par voie de décisions individuelles de licence d’exploitation, elles conféraient un avantage sélectif à Iberpotash. Dans le cadre de son analyse, le Tribunal a notamment relevé que le fait que la Commission n’ait pas procédé à sa propre évaluation des niveaux corrects des garanties financières n’emportait pas méconnaissance de son devoir de diligence, dès lors qu’il était justifié par la marge d’appréciation reconnue à cet égard aux États membres par l’article 14 de la directive 2006/21.

Troisièmement, enfin, le Tribunal a jugé que l’obligation pour l’État membre de récupérer les aides ainsi illégalement octroyées n’emportait violation ni du principe de protection de la confiance légitime, faute pour Iberpotash d’avoir établi qu’elle avait reçu des assurances suffisamment précises, inconditionnelles et concordantes découlant d’une action positive de la Commission ou d’avoir démontré l’existence de circonstances exceptionnelles, ni du principe de sécurité juridique, la constatation en l’espèce d’un transfert de ressources étatiques n’apparaissant pas imprévisible, au regard de la pratique antérieure de la Commission, pour un opérateur économique attentif et avisé.

En second lieu, le Tribunal a confirmé que le recouvrement du terril de Vilafruns, décidé et financé entièrement par les pouvoirs publics, constituait une prestation positive, au même titre qu’une subvention, entraînant nécessairement un avantage pour Iberpotash. En effet, cette mesure a contribué à résoudre le problème de la pollution de manière efficace, durable et non disproportionnée, libérant Iberpotash de sa responsabilité générale, au titre de la législation nationale et de l’Union applicables, de réparer continuellement les éventuelles conséquences négatives de la gestion du site et lui évitant de devoir mettre en œuvre une autre mesure de remise en état pour une très longue durée. Il en a conclu que la mesure avait favorisé cette dernière en réduisant les risques environnementaux pour le futur. Par ailleurs, tout en reconnaissant, à l’instar de la Commission, qu’Iberpotash se trouvait en situation de parfaite légalité au regard du respect de ses obligations environnementales, l’État ayant décidé d’adopter un niveau de protection environnementale plus élevé que ce qui était nécessaire au moment de l’adoption de la décision attaquée, le Tribunal a jugé que, en tant qu’entreprise propriétaire du site, elle n’était pas pour autant exonérée d’en supporter les coûts, étant par ailleurs précisé que la décision attaquée a pris cet élément en considération en n’imposant la récupération que d’une partie du montant de l’investissement étatique ainsi réalisé.

{1 Décision (UE) 2018/118 de la Commission, du 31 août 2017, relative à l’aide d’État SA.35818 (2016/C) (ex 2015/NN) (ex 2012/CP) mise à exécution par l’Espagne en faveur d’Iberpotash (JO 2018, L 28, p. 25).}

{2 Directive 2006/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, concernant la gestion des déchets de l'industrie extractive et modifiant la directive 2004/35/CE (JO 2006, L 102, p. 15).}

{3 Article 108, paragraphe 3, TFUE.}

{4 Directive 2004/35 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux (JO 2004, L 143, p. 56).}

{5 Prévue à l’article 14 de la directive 2006/21.}

Arrêt du 16 janvier 2020, Iberpotash / Commission (T-257/18) (cf. points 130-151)

97. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives prises à l'encontre de la République démocratique du Congo - Portée du contrôle - Contrôle restreint pour les règles générales - Critères d'adoption des mesures restrictives - Contribution, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l'homme - Portée - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques

Dans les arrêts Amisi Kumba/Conseil (T-163/18) et Kande Mupompa/Conseil (T-170/18), prononcés le 12 février 2020, le Tribunal a rejeté les recours en annulation introduits par les requérants respectifs, à savoir le commandant militaire de la première zone de défense des forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et le gouverneur du Kasaï Central, à l’encontre des actes du Conseil de l’Union européenne{1} par lesquels, essentiellement, leurs noms avaient été maintenus sur la liste des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République démocratique du Congo en vue de l’instauration d’une paix durable dans ce pays, figurant à l’annexe II de la décision 2010/788 (ci-après la « liste litigieuse »).

Ces arrêts s’inscrivent dans le contexte de l’aggravation de la situation politique en République démocratique du Congo, du fait de la non-convocation des élections présidentielles à la fin de l’année 2016 et de la détérioration de la situation sécuritaire qui s’en est suivie. Conformément à l’article 3, paragraphe 2, de la décision 2010/788, des mesures restrictives avaient été adoptées par le Conseil à l’encontre des personnes ayant contribué à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo. Les FARDC ayant participé au recours disproportionné à la force et à la répression violente de manifestations qui s’étaient tenues en septembre 2016 à Kinshasa, le commandant militaire de la première zone de défense des FARDC avait vu son nom inscrit sur la liste litigieuse au motif qu’il avait, au titre de ses fonctions, contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme. Le gouverneur du Kasaï Central avait, pour sa part, vu son nom inscrit sur la liste litigieuse au motif que, du fait de ses fonctions, il était « responsable du recours disproportionné à la force, de la répression violente et des exécutions extrajudiciaires » commis par les forces de sécurité dans cette région depuis 2016, y compris des assassinats illégaux présumés en février 2017. Par la décision 2017/2282, le Conseil a prolongé, le 11 décembre 2017, l’inscription des noms des requérants sur la liste litigieuse en maintenant les mêmes motifs à leur encontre. La motivation retenue à l’encontre du gouverneur du Kasaï Central a par la suite été modifiée le 12 avril 2018.

À l’appui de leurs recours, les requérants invoquaient plusieurs moyens, tirés, notamment, d’une violation de l’obligation de motivation et des droits de la défense, ainsi que d’une erreur de droit.

S’agissant de la violation de l’obligation de motivation, le Tribunal a relevé que la motivation adoptée dans la décision 2017/2282, ainsi que dans la décision d’exécution 2018/569, exposait les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles les critères d’inscription étaient applicables aux requérants, dans la mesure où une telle motivation se rapportait à leurs fonctions et à leur implication, du fait de telles fonctions, dans des actes qualifiés de graves violations des droits de l’homme. À cet égard, le Tribunal a précisé que les requérants ne pouvaient pas ignorer que, au vu de leurs fonctions, ils disposaient du pouvoir d’influencer de façon directe les militaires des FARDC et les forces de sécurité dans la province du Kasaï Central, lesquelles étaient tenues, dans la motivation en question, pour responsables de la commission des graves violations des droits de l’homme précitées. Le Tribunal a conclu que la motivation des actes attaqués permettait ainsi, d’une part, aux requérants de contester la validité du maintien de l’inscription de leurs noms sur la liste litigieuse et, d’autre part, au Tribunal d’exercer son contrôle de légalité. Il a donc écarté le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation.

S’agissant ensuite des droits de la défense, le Tribunal a considéré que, bien que la prorogation des mesures adoptées contre les requérants dans la décision 2017/2282 fût fondée sur les mêmes motifs que ceux qui avaient justifié l’adoption des mesures initiales, cela n’exonérait pas le Conseil du respect des droits de la défense des requérants et, en particulier, de leur donner la possibilité de faire connaître utilement leur point de vue sur les éléments pris en compte pour l’adoption des actes attaqués. À cet égard, le Tribunal a souligné que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé, ce qu’il appartient au Conseil d’apprécier lors du réexamen périodique desdites mesures, en procédant à une appréciation actualisée de la situation et en établissant un bilan de l’impact desdites mesures. Le Tribunal a ainsi rappelé que le respect des droits de la défense implique que le Conseil communique à la partie requérante, avant d’adopter une décision portant prorogation des mesures restrictives à son égard, les éléments par lesquels il a procédé, lors du réexamen périodique des mesures en cause, à une réactualisation des informations qui avaient justifié leur adoption initiale. En l’espèce, au regard de l’objectif initial visé par les mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo, consistant à assurer un climat propice à la tenue d’élections et à faire cesser toute violation des droits de l’homme, le Conseil était tenu, lors du réexamen périodique des mesures restrictives imposées aux requérants, de leur communiquer les éléments nouveaux dont il disposait et par lesquels il avait réactualisé les informations concernant non seulement leur situation personnelle, mais également la si

tuation politique et sécuritaire en République démocratique du Congo. Le Tribunal a constaté à cet égard que, en ne recueillant pas les observations des requérants sur ces éléments avant l’adoption des actes attaqués, le Conseil avait méconnu les droits de la défense de ces derniers.

Cependant, le Tribunal a rappelé qu’il incombe au juge de l’Union européenne de vérifier, lorsqu’il est en présence d’une irrégularité affectant les droits de la défense, si, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l’espèce, la procédure en cause aurait pu aboutir à un résultat différent dans la mesure où les requérants auraient pu mieux assurer leur défense en l’absence de cette irrégularité. Le Tribunal a alors conclu qu’aucun élément ne pouvait laisser supposer que, si les requérants s’étaient vu communiquer les éléments nouveaux en question, les mesures restrictives concernées auraient pu ne pas être maintenues à leur égard. Sur la base de ce qui précède, le Tribunal a écarté le moyen pris d’une violation des droits de la défense.

Enfin, les requérants soutenaient que le Conseil avait commis une erreur de droit en adoptant les actes attaqués sur la base de faits qui avaient cessé au moment d’une telle adoption, au mépris du critère d’inscription qui employait le participe présent et visait les personnes « contribuant […] à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ». À cet égard, le Tribunal a considéré que l’emploi du participe présent dans la définition des critères d’inscription sur la liste des personnes visées par des mesures restrictives n’implique pas que les faits à l’origine de l’inscription du nom d’une personne ou d’une entité sur cette liste doivent perdurer au moment où l’inscription ou le maintien de cette inscription sont décidés, étant donné que le participe présent renvoie au sens général propre aux définitions légales et non à une période temporelle donnée. Le Tribunal a ajouté que, dans la mesure où le Conseil avait décidé de se référer, dans les motifs d’inscription des requérants, à des faits et à des situations concrètes impliquant les forces de sécurité ayant opéré sous leur responsabilité, il ne pouvait être question que d’agissements dans le passé. Le Tribunal a finalement observé que, sauf à priver cette disposition d’effet utile, l’article 9, paragraphe 2, de la décision 2010/788, telle que modifiée par la décision 2017/2282, aux termes duquel « les mesures restrictives sont prorogées, ou modifiées le cas échéant, si le Conseil estime que leurs objectifs n’ont pas été atteints », corroborait cette interprétation. Le Tribunal a dès lors écarté le moyen tiré de l’erreur de droit et a rejeté les recours dans leur intégralité.

{1 Décision (PESC) 2017/2282 du Conseil, du 11 décembre 2017, modifiant la décision 2010/788/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (JO 2017, L 328, p. 19) ainsi que, pour Alex Kande Mupompa, la décision d’exécution (PESC) 2018/569 du Conseil, du 12 avril 2018, mettant en œuvre la décision 2010/788/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (JO 2018, L 95, p. 21) et le règlement d’exécution (UE) 2018/566, mettant en œuvre l’article 9 du règlement no 1183/2005 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo (JO 2018, L 95, p. 9).}

Arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba / Conseil (T-163/18) (cf. points 147-157)

Arrêt du 12 février 2020, Kande Mupompa / Conseil (T-170/18) (cf. points 169-179)



Arrêt du 12 février 2020, Kampete / Conseil (T-164/18) (cf. points 120-130)

Arrêt du 12 février 2020, Ilunga Luyoyo / Conseil (T-166/18) (cf. points 169-179)

Arrêt du 12 février 2020, Kanyama / Conseil (T-167/18) (cf. points 145-155)

Arrêt du 12 février 2020, Boshab / Conseil (T-171/18) (cf. points 152-162)

Arrêt du 12 février 2020, Ramazani Shadary / Conseil (T-173/18) (cf. points 147-157)

Arrêt du 12 février 2020, Ruhorimbere / Conseil (T-175/18) (cf. points 155-165)

Arrêt du 12 février 2020, Kazembe Musonda / Conseil (T-177/18) (cf. points 129-139)



Arrêt du 3 février 2021, Kazembe Musonda / Conseil (T-110/19) (cf. points 170, 171, 173-180)



Arrêt du 3 février 2021, Boshab / Conseil (T-111/19) (cf. points 172, 173, 175-182)



Arrêt du 3 février 2021, Kampete / Conseil (T-113/19) (cf. points 172, 173, 175-182)



Arrêt du 3 février 2021, Kande Mupompa / Conseil (T-116/19) (cf. points 179, 180, 182-189)



Arrêt du 3 février 2021, Amisi Kumba / Conseil (T-118/19) (cf. points 171, 172, 174-181)



Arrêt du 3 février 2021, Ruhorimbere / Conseil (T-121/19) (cf. points 175, 176, 178-185)



Arrêt du 3 février 2021, Ramazani Shadary / Conseil (T-122/19) (cf. points 178, 179, 181-188)



Arrêt du 3 février 2021, Kanyama / Conseil (T-123/19) (cf. points 168, 169, 171-178)



Arrêt du 3 février 2021, Ilunga Luyoyo / Conseil (T-124/19) (cf. points 179, 180, 182-189)



Arrêt du 15 septembre 2021, Kazembe Musonda / Conseil (T-95/20) (cf. points 195, 197-203)



Arrêt du 15 septembre 2021, Kande Mupompa / Conseil (T-97/20) (cf. points 202, 204-210)



Arrêt du 15 septembre 2021, Ilunga Luyoyo / Conseil (T-101/20) (cf. points 199, 201-207)



Arrêt du 15 septembre 2021, Kampete / Conseil (T-102/20) (cf. points 201, 203-209)



Arrêt du 15 septembre 2021, Mutondo / Conseil (T-103/20) (cf. points 202, 204-210)



Arrêt du 15 septembre 2021, Ramazani Shadary / Conseil (T-104/20) (cf. points 198, 200-206)



Arrêt du 15 septembre 2021, Ruhorimbere / Conseil (T-105/20) (cf. points 202, 204-210)



Arrêt du 15 septembre 2021, Amisi Kumba / Conseil (T-106/20) (cf. points 199, 201-207)



Arrêt du 15 septembre 2021, Boshab / Conseil (T-107/20) (cf. points 201, 203-209)



Arrêt du 15 septembre 2021, Numbi / Conseil (T-109/20) (cf. points 190, 192-198)



Arrêt du 15 septembre 2021, Kanyama / Conseil (T-110/20) (cf. points 203, 205-211)

98. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives prises à l'encontre de la République démocratique du Congo - Portée du contrôle - Contrôle restreint pour les règles générales - Critères d'adoption des mesures restrictives - Entrave à une sortie de crise consensuelle et pacifique en vue de la tenue d'élections, notamment par des actes de violence, de répression, d'incitation à la violence ou des actions portant atteinte à l'État de droit - Portée - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques



Arrêt du 12 février 2020, Kahimbi Kasagwe / Conseil (T-165/18) (cf. points 151-161)

Arrêt du 12 février 2020, Numbi / Conseil (T-168/18) (cf. points 136-146)

Arrêt du 12 février 2020, Kibelisa Ngambasai / Conseil (T-169/18) (cf. points 130-140)



Arrêt du 3 février 2021, Numbi / Conseil (T-120/19) (cf. points 167, 168, 170-177)

99. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives prises à l'encontre de la République démocratique du Congo - Portée du contrôle - Contrôle restreint pour les règles générales - Critères d'adoption des mesures restrictives - Contribution, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l'homme ou des violations du droit international humanitaire - Portée - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets juridiques



Arrêt du 12 février 2020, Akili Mundos / Conseil (T-172/18) (cf. points 183-193)

100. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives prises à l'encontre de la République démocratique du Congo - Portée du contrôle - Contrôle restreint pour les règles générales - Critères d'adoption des mesures restrictives - Entrave à une sortie de crise consensuelle et pacifique en vue de la tenue d'élections, notamment par des actes de violence, de répression, d'incitation à la violence, ou des actions portant atteinte à l'État de droit - Portée - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques



Arrêt du 12 février 2020, Mende Omalanga / Conseil (T-176/18) (cf. points 166-176)

101. Rapprochement des législations - Procédures de passation des marchés publics - Délais de recours - Réglementation nationale permettant à certains organismes d'enclencher une procédure d'office en cas de modification illégale d'un contrat en cours d'exécution - Nouvelle réglementation nationale permettant, afin de contrôler la légalité de cette modification, l'engagement d'une telle procédure dans le délai de forclusion fixé, malgré l'expiration du délai prévu par la réglementation antérieure, applicable à la date de cette modification - Inadmissibilité - Violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime

Dans l’arrêt Hungeod e.a. (affaires jointes C-496/18 et C-497/18), rendu le 26 mars 2020, la Cour a jugé que les directives sur les marchés publics{1} autorisent les États membres à adopter une réglementation nationale permettant à une autorité de contrôle d’enclencher, pour des motifs de protection des intérêts financiers de l’Union, une procédure de recours d’office afin de contrôler les infractions à la réglementation en matière de marchés publics. À cet égard, la Cour a précisé que, lorsqu’une telle procédure est prévue, elle relève du champ d’application du droit de l’Union dans la mesure où les marchés publics qui font l’objet d’un tel recours relèvent du champ d’application matériel des directives sur les marchés publics. Partant, la Cour a considéré que ces procédures de recours d’office doivent respecter les principes généraux du droit de l’Union et, notamment, le principe général de sécurité juridique.

La Cour a, en outre, jugé que ce principe s’oppose à ce que, dans le cadre d’une telle procédure de recours d’office, une nouvelle réglementation nationale prévoie, afin de contrôler la légalité de modifications de contrats de marché public, d’enclencher une telle procédure dans le délai de forclusion qu’elle fixe, alors même que le délai pour engager la procédure, tel qu’il était prévu par la réglementation antérieure, applicable à la date de ces modifications, a expiré.

En l’espèce, Budapesti Közlekedési, une société de transport en commun, a publié, respectivement, le 30 septembre 2005 et le 3 janvier 2009, deux appels d’offres au Journal Officiel de l’Union européenne en vue de l’attribution de deux marchés publics distincts en lien avec la construction de la ligne de métro no 4 à Budapest en Hongrie. La valeur estimée de ces deux marchés publics dépassait les seuils communautaires et bénéficiait d’un concours financier de l’Union. Le marché relatif au premier appel d’offre a été attribué aux entreprises Hungeod et Sixense. Le contrat a été signé le 1er mars 2006. Le 5 octobre 2009, les parties contractantes ont décidé de modifier le contrat en invoquant des circonstances imprévisibles, cette modification a fait l’objet d’un communiqué publié au Közbeszerzési Értesítő (Bulletin des marchés publics) le 18 novembre 2009.

Concernant le second appel d’offre, le marché a été attribué à l’entreprise Matrics Consults Ltd et le contrat afférent a été signé le 14 mai 2009. Il a été résilié le 16 novembre 2011 par Budapesti Közlekedési avec effet au 31 décembre 2011. En août 2017, la commission arbitrale hongroise de l’autorité des marchés publics (ci-après « la commission arbitrale »), sur saisines du président de l’autorité des marchés publics, a condamné Budapesti Közlekedési et les titulaires des deux marchés publics au paiement d’une amende pour violation des dispositions législatives en vigueur en matière de modifications contractuelles des marchés publics. Ces condamnations ont été prononcées en application de la loi nationale sur les marchés publics, entrée en vigueur le 1er novembre 2015. Cette nouvelle réglementation autorise, pour un marché public conclu avant son entrée en vigueur, l’autorité de contrôle à ouvrir d’office, indépendamment des délais de forclusion prévus par la réglementation nationale antérieure, une enquête sur les infractions en matière de marchés publics commises avant son entrée en vigueur, afin de faire établir d’éventuelles infractions et de faire prononcer une sanction par la commission arbitrale.

Saisie des recours formés par Budapesti Közlekedési et les titulaires des deux marchés publics contre la décision de la commission arbitrale, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), par deux demandes de décision préjudicielle, a interrogé la Cour sur la compatibilité avec le droit de l’Union, et notamment avec le principe de sécurité juridique, de la faculté prévue par la loi de 2015 sur les marchés publics de contrôler les modifications apportées, avant son entrée en vigueur, à des contrats de marchés publics, alors même que le délai de forclusion fixé par la réglementation nationale antérieure pour le contrôle de ces modifications a déjà expiré.

En premier lieu, la Cour a souligné que si les directives 89/665 et 92/13 imposent l’existence de voies de recours à la disposition des entreprises intéressées, dans le but de garantir l’application effective des règles de l’Union en matière de passation de marchés publics, ces voies de recours ne peuvent être considérées comme envisageant l’ensemble des recours possibles en matière de marchés publics. En outre, concernant ces deux directives, la Cour a constaté que les dispositions{2} qui prévoient que les États membres veillent à ce qu’un marché soit dépourvu d’effets par une autorité indépendante de l’autorité adjudicatrice ne font que renforcer les effets des recours que ces directives imposent aux États membres de mettre en œuvre et doivent donc être interprétées comme n’imposant ni n’interdisant aux États membres de prévoir l’existence de recours en faveur d’autorités nationales de contrôle.

En outre, la Cour a considéré que les dispositions des directives 2014/24 et 2014/25{3} imposant aux États membres de veiller à ce que l’application des règles relatives à la passation des marchés publics soit contrôlée par une ou plusieurs autorités, organismes ou structures contiennent des exigences minimales. Dès lors, la Cour a conclu que ces dispositions n’interdisent pas aux États membres de prévoir l’existence de procédures de recours d’office en faveur d’autorités nationales de contrôle, permettant à celles-ci de faire constater des infractions à la réglementation en matière de marchés publics. En revanche, la Cour a souligné que lorsqu’une telle procédure de recours d’office est prévue, elle relève du champ d’application du droit de l’Union dans la mesure où les marchés publics faisant l’objet d’un tel recours relèvent du champ d’application matériel des directives sur les marchés publics. Par conséquent, ladite procédure doit respecter le droit de l’Union, y compris les principes généraux de ce droit, dont fait partie le principe de sécurité juridique.

En second lieu, la Cour a rappelé que le principe de sécurité juridique exige que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables. De plus, le principe de sécurité juridique s’oppose à ce qu’une réglementation soit appliquée rétroactivement, indépendamment des effets favorables ou défavorables qu’une telle application pourrait avoir pour l’intéressé. En effet, ce principe impose que toute situation de fait soit appréciée à la lumière des règles de droit qui en sont contemporaines, la réglementation nouvelle ne valant ainsi que pour l’avenir et s’appliquant également, sauf dérogation, aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la loi ancienne. En outre, la Cour a rappelé que, s’agissant spécifiquement des délais de forclusion, il ressort de sa jurisprudence que, pour remplir leur fonction de garants de la sécurité juridique, ceux-ci doivent être fixés à l’avance et être suffisamment prévisibles.

En l’espèce, la Cour a retenu que, en permettant l’engagement de procédures d’office à l’égard de modifications apportées à des contrats de marchés publics, qui étaient forcloses au regard des dispositions pertinentes de la loi de 2003 sur les marchés publics applicable à ces modifications, la disposition concernée de la loi de 2015 sur les marchés publics ne vise pas à appréhender des situations juridiques en cours, mais constitue une disposition à caractère rétroactif. Certes, le droit de l’Union admet, par exception, qu’un acte puisse se voir reconnaître un effet rétroactif, lorsque le but à atteindre l’exige et que la confiance légitime des intéressés est dûment respectée. Toutefois, la Cour a considéré que le principe de protection de la confiance légitime s’oppose à ce que des modifications apportées à une réglementation nationale permettent à une autorité nationale de contrôle d’enclencher une procédure de recours alors même que le délai de forclusion prévu par la réglementation antérieure, applicable à la date de ces modifications, a expiré.

{1 Directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO 1989, L 395, p. 33) ; directive 92/13/CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO 1992, L 76, p. 14) ; directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007, modifiant les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics (JO 2007, L 335, p. 31) ; directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65) ; directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE (JO 2014, L 94, p. 243).}

{2 Articles 2 quinquies des directives 89/665 et 92/13, insérés par la directive 2007/66.}

{3 Article 83, paragraphes 1 et 2, de la directive 2014/24 et article 99, paragraphes 1 et 2, de la directive 2014/25.}

Arrêt du 26 mars 2020, HUNGEOD e.a. (C-496/18 et C-497/18) (cf. points 93-97, 99, 100, 102, disp. 2)

102. Agriculture - Organisation commune des marchés - Vin - Désignation et présentation des vins - Appellations d'origine et indications géographiques - Étiquetage - Interdiction de mentionner le nom d'une variété à raisins de cuve contenant ou consistant en une appellation d'origine protégée - Dérogation - Règlement délégué 2017/1353 - Effet rétroactif - Violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime - Absence - Violation du principe de proportionnalité - Absence

Dans l’arrêt Slovénie/Commission (T-626/17), rendu le 9 septembre 2020, le Tribunal a rejeté le recours de la Slovénie tendant à l’annulation du règlement délégué (UE) 2017/1353{1} (ci-après le « règlement attaqué »), en vertu duquel la dénomination « Teran » peut être mentionnée, dans des conditions strictes, en tant que variété à raisins de cuve sur l’étiquette des vins produits en Croatie.

Le recours portait sur la dénomination vinicole « Teran », utilisée tant en Slovénie qu’en Croatie. Dès l’adhésion de la Slovénie à l’Union européenne, ce nom pouvait figurer dans l’étiquetage de certains vins slovènes. Il s’agissait, dans un premier temps, d’une mention traditionnelle complémentaire associée au vin de Kras en tant que « vin de qualité produit dans des régions déterminées ». Par la suite, la dénomination a été reconnue en tant qu’appellation d’origine protégée (AOP).

Le nom de la variété de raisins de cuve « Teran » étant également utilisé en Croatie, la Croatie avait fait part, avant son adhésion à l’Union, de ses inquiétudes quant à la possibilité de pouvoir continuer à utiliser ce nom pour l’étiquetage de ses vins après son adhésion, en raison de la protection déjà accordée à la dénomination slovène. Après cette adhésion, la Commission européenne a alors tenté de trouver une solution négociée entre la République de Croatie et la République de Slovénie, sans succès. Finalement, près de quatre années après l’adhésion de la République de Croatie à l’Union, la Commission a fait usage de son habilitation pour adopter une dérogation en matière d’étiquetage afin de permettre aux AOP et aux pratiques existantes en matière d’étiquetage de coexister pacifiquement dès qu’une AOP est enregistrée ou applicable{2}. Elle a ainsi adopté le règlement attaqué afin d’inclure le nom « Teran » dans la liste de l’annexe XV du règlement nº 607/2009{3}, qui contenait la liste des variétés à raisins de cuve contenant ou consistant en une AOP ou une indication géographique protégée qui pouvaient, à titre dérogatoire, figurer sur l’étiquette des vins. La Commission a adopté le règlement attaqué avec un effet rétroactif à la date d’adhésion de la Croatie à l’Union, au 1er juillet 2013. Il ressort en outre du règlement attaqué, que la dénomination « Teran » peut être mentionnée en tant que variété à raisins de cuve sur l’étiquette des vins produits en Croatie, mais uniquement pour l’appellation d’origine « Hrvatska Istra », et à la condition que « Hrvatska Istra » et « Teran » apparaissent dans le même champ visuel et que le nom « Teran » figure à une taille de caractère inférieure à celle utilisée pour « Hrvatska Istra ». En vertu de l’article 2 du règlement attaqué, les vins croates portant l’AOP croate « Hrvatska Istra » produits avant l’entrée en vigueur du règlement attaqué peuvent continuer à être écoulés jusqu’à épuisement des stocks.

À l’appui de son recours, la Slovénie a invoqué, notamment, eu égard à l’effet rétroactif du règlement attaqué, des moyens tirés d’une violation de l’article 100, paragraphe 3, second alinéa, du règlement nº 1308/2013 constituant la base juridique du règlement attaqué et d’une violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

D’une part, s’agissant de la base juridique du règlement attaqué, le Tribunal a constaté que la Commission avait effectivement procédé à une application rétroactive de l’article 100, paragraphe 3, second alinéa, du règlement nº 1308/2013, qui n’était pas prévue par le législateur. Néanmoins, il convenait d’examiner si cette application rétroactive entachait le règlement attaqué d’un vice substantiel. À cet égard, le Tribunal a conclu que la Commission n’avait pas fait usage d’une habilitation nouvelle pour ce qui concerne la période comprise entre le 1er juillet 2013 et le 1er janvier 2014. En effet, cet article 100, paragraphe 3, second alinéa, du règlement nº 1308/2013 s’inscrit dans la continuité directe d’une disposition similaire du règlement nº 1234/2007 qui était en vigueur et applicable à la date d’adhésion de la Croatie à l’Union{4}.

Le Tribunal a ensuite rappelé que la disposition constituant la base juridique d’un acte et habilitant l’institution de l’Union à adopter l’acte en cause doit être en vigueur au moment de l’adoption de celui-ci. Partant, la seule base juridique sur laquelle la Commission pouvait se fonder pour adopter le règlement attaqué était l’article 100, paragraphe 3, second alinéa, du règlement nº 1308/2013. En outre, les dispositions en cause des règlements nos 1234/2007 et 1308/2013 ne prévoyaient aucune limitation temporelle à l’action de la Commission. Le Tribunal en a conclu, après avoir constaté que la Commission ne pouvait pas adopter le règlement attaqué avant l’adhésion de la Croatie à l’Union, dans la mesure où elle n’avait aucune compétence territoriale avant cette date, que la Commission avait agi conformément à l’économie et au libellé des dispositions en cause.

D’autre part, s’agissant de l’argument selon lequel la Commission aurait méconnu les principes de sécurité juridique, de respect des droits acquis et de protection de la confiance légitime en conférant un effet rétroactif au règlement attaqué, le Tribunal a rappelé que le principe de sécurité juridique s’oppose à l’octroi d’un effet rétroactif aux actes de l’Union, si ce n’est lorsque le but poursuivi par l’acte attaqué exige de lui conférer un effet rétroactif et que la confiance légitime des intéressés a été dûment respectée.

En premier lieu, pour ce qui est de l’objectif poursuivi par le règlement attaqué, le Tribunal a constaté que celui-ci visait à protéger les pratiques légales d’étiquetage existant en Croatie au 30 juin 2013 et à régler le conflit entre ces pratiques et la protection de l’AOP slovène « Teran ». Dès lors, il poursuivait un objectif d’intérêt général qui nécessitait de lui octroyer un effet rétroactif. En effet, la Commission ne pouvait pas adopter le règlement attaqué avant la date d’adhésion de la Croatie à l’Union et devait se placer au moment de cette adhésion pour apprécier l’existence de pratiques d’étiquetage particulières. Par ailleurs, elle avait légitimement pu tenter de rechercher une solution négociée entre les deux États compte tenu du caractère sensible de la question. Enfin, le Tribunal a souligné qu’un tel effet rétroactif s’imposait en raison de la nécessaire continuité des pratiques légales en matière d’étiquetage.

En second lieu, le Tribunal a vérifié si la Commission avait fait naître des espérances fondées auprès des producteurs de vins slovènes, selon lesquelles aucune dérogation avec effet rétroactif ne serait accordée à la Croatie en ce qui concerne la mention du nom « Teran » sur l’étiquette des vins produits sur son territoire. Après une analyse des circonstances en cause, il a constaté qu’il ne saurait être conclu que la Commission aurait donné des assurances précises, inconditionnelles et concordantes. Il a rappelé que l’octroi d’un effet rétroactif au règlement attaqué s’imposait au vu des circonstances de l’espèce. Selon le Tribunal, la Slovénie n’avait pas démontré que l’ampleur et les modalités de l’effet rétroactif du règlement attaqué avaient porté atteinte à la confiance légitime des producteurs de vins slovènes.

{1} Règlement délégué (UE) 2017/1353 de la Commission, du 19 mai 2017, modifiant le règlement (CE) nº 607/2009 en ce qui concerne les variétés à raisins de cuve et leurs synonymes qui peuvent figurer sur l’étiquette des vins (JO 2017, L 190, p. 5).

{2} D’abord en vertu de l’article 118 undecies du règlement (CE) nº 1234/2007 du Conseil, du 22 octobre 2007, portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement OCM unique) (JO 2007, L 299, p. 1), puis, depuis le 1er janvier 2014, en vertu de l’article 100, paragraphe 3, second alinéa, du règlement (UE) nº 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) nº 922/72, (CEE) nº 234/79, (CE) nºo 1037/2001 et (CE) nº 1234/2007 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 671).

{3} Règlement (CE) nº 607/2009 de la Commission, du 14 juillet 2009, fixant certaines modalités d’application du règlement (CE) nº 479/2008 du Conseil en ce qui concerne les appellations d’origine protégées et les indications géographiques protégées, les mentions traditionnelles, l’étiquetage et la présentation de certains produits du secteur vitivinicole (JO 2009, L 193, p. 60).

{4} Article 118 undecies, paragraphe 3, du règlement nº 1234/2007.

Arrêt du 9 septembre 2020, Slovénie / Commission (T-626/17) (cf. points 95-99, 120, 122, 124-131, 145-147, 154-160)

103. Aides accordées par les États - Récupération d'une aide illégale - Principe de sécurité juridique - Conditions et limites - Circonstances exceptionnelles - Absence

En 2006, la Commission européenne avait été saisie de plusieurs plaintes au sujet de l’application du « régime espagnol de leasing fiscal » (ci-après le « RELF ») à certains accords de location-financement, dans la mesure où elle permettait aux compagnies maritimes de bénéficier d’une réduction de prix de 20 à 30 % pour l’achat de navires construits par des chantiers navals espagnols. Selon la Commission, l’objectif du RELF était de faire bénéficier d’avantages fiscaux à des groupements d’intérêt économique (ci-après les « GIE ») et aux investisseurs qui y participent, lesquels transféraient ensuite une partie de ces avantages aux compagnies maritimes qui ont acheté un navire neuf.

Dans la décision litigieuse{1}, adoptée en juillet 2013, la Commission a considéré que le RELF constituait une aide d’État{2} sous forme d’avantage fiscal sélectif qui était partiellement incompatible avec le marché intérieur. Dans la mesure où ce régime d’aides avait été mis à exécution depuis le 1er janvier 2002 en violation de l’obligation de notification{3}, elle avait enjoint les autorités nationales à récupérer ces aides auprès des investisseurs, à savoir les membres des GIE.

En septembre 2013, le Royaume d’Espagne, Lico Leasing, SA et Pequeños y Medianos Astilleros Sociedad de Reconversión, SA (ci-après les « requérants ») ont introduit des recours en annulation contre la décision litigieuse. Dans son arrêt du 17 décembre 2015, Espagne e.a./Commission{4} (T-515/13 et T-719/13, EU:T:2015:1004), le Tribunal a jugé que l’avantage perçu par les investisseurs des GIE n’était pas sélectif et que la motivation concernant les critères de distorsion de concurrence et de l’affectation des échanges était insuffisante. Par conséquent, la décision litigieuse a été annulée sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens et arguments avancés par les requérants. La Cour, saisie d’un pourvoi formé par la Commission, a annulé, par son arrêt du 25 juillet 2018, Commission/Espagne e.a.{5} (C-128/16 P, EU:C:2018:591), l’arrêt du Tribunal. En effet, la Cour a considéré que le Tribunal, dans son analyse du caractère sélectif des mesures fiscales, avait fait une mauvaise application des dispositions du traité relatives aux aides d’État et, contrairement à ce qu’il avait conclu, la décision de la Commission n’était pas entachée d’un défaut de motivation. Ayant relevé que le Tribunal ne s’était pas prononcé sur l’intégralité des moyens soulevés devant lui, la Cour a considéré que le litige n’était pas en état d’être jugé et, partant, a renvoyé les affaires devant le Tribunal.

Par son arrêt sur renvoi du 23 septembre 2020, Espagne e.a./Commission (T-515/13 RENV et T-719/13 RENV), le Tribunal a rejeté les recours introduits par les requérants.

Le Tribunal a examiné, en premier lieu, la qualification des mesures fiscales en tant qu’aides d’État. Dans ce cadre, il a vérifié, tout d’abord, si la Commission pouvait conclure que les avantages accordés au titre du système RELF, considéré dans son ensemble, revêtait un caractère sélectif. Après un rappel de la jurisprudence sur la sélectivité découlant du pouvoir discrétionnaire des administrations nationales lorsqu’elles exercent leurs compétences fiscales{6}, le Tribunal a observé que le bénéfice du régime fiscal en cause était accordé par l’administration fiscale dans le cadre d’un régime d’autorisation préalable sur la base de critères vagues impliquant une interprétation dont l’exercice ne faisait l’objet d’aucun encadrement. Ainsi, l’administration fiscale pouvait fixer la date de début de l’amortissement en fonction de circonstances définies en des termes conférant à l’administration une marge de discrétion importante. Selon le Tribunal, l’existence de ces aspects discrétionnaires était de nature à favoriser les bénéficiaires par rapport à d’autres assujettis se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable. En particulier, d’autres GIE auraient pu ne pas bénéficier de l’amortissement anticipé sous les mêmes conditions. En outre, pour écarter l’argument selon lequel l’autorisation avait été accordée en pratique à tous les GIE actifs dans le secteur en question, le Tribunal a souligné que, eu égard au caractère discrétionnaire de jure de la réglementation, il importe peu que leur application ait été discrétionnaire ou non de facto. Le Tribunal en a déduit que, étant donné que l’une des mesures permettant de bénéficier du RELF dans son ensemble était sélective, à savoir l’autorisation de l’amortissement anticipé, c’était sans commettre d’erreur que la Commission avait considéré que le système était sélectif dans son ensemble. Le Tribunal a souligné, ensuite, que le marché de l’acquisition et de la vente de navires maritimes était ouvert au c

ommerce entre États membres et qu’une réduction de 20 à 30 % du prix d’un navire menaçait de fausser la concurrence sur ce marché sur lequel étaient actifs les GIE. Ainsi, les conditions relatives au risque de distorsion de concurrence et de l’affectation des échanges en États membres étaient remplies. Le Tribunal a rejeté en conséquence le moyen tiré d’une méconnaissance de la qualification d’une mesure en tant qu’aide d’État.

Le Tribunal a examiné, en second lieu, la récupération des aides illégales et a rejeté les différents moyens soulevés par les requérants à cet égard. En particulier, il a écarté la violation alléguée du principe de confiance légitime. En effet, les requérants n’étaient pas parvenus à établir qu’ils avaient obtenu de la Commission des assurances précises, inconditionnelles et concordantes dont il ressortirait que le régime en cause ne relevait pas de la notion d’aide d’État. Par ailleurs, le Tribunal a constaté que la Commission avait dûment pris en compte l’exigence de sécurité juridique dans la décision litigieuse, ce qui l’avait conduite à limiter dans le temps la récupération des aides illégales. En effet, la récupération des aides a été limitée à celles accordées après la publication de la décision relative aux GIE fiscaux français qui avait mis fin à une situation d’insécurité juridique découlant de la décision Brittany Ferries{7}. À cet égard, le Tribunal constate que la Commission n’avait pas commis d’erreur en considérant que la publication de cette décision avait fait cesser toute insécurité juridique vu que, dans cette décision, un régime comparable au RELF avait été qualifié d’aide d’État. De surcroît, le Tribunal a souligné que la validité de ce constat n’était pas remise en cause par des circonstances postérieures, telles une prétendue inaction de la Commission à l’égard du régime en cause.

Enfin, le Tribunal a rejeté également le moyen tiré de la violation des principes applicables à la récupération. Les requérants critiquaient la décision litigieuse dans la mesure où elle ordonnait la récupération de l’intégralité de l’aide auprès des investisseurs (les membres des GIE) bien qu’une partie de l’avantage fiscal ait été transférée aux compagnies maritimes. En effet, la Commission avait décidé que les compagnies maritimes n’étaient pas les bénéficiaires de l’aide, de sorte que l’ordre de récupération visait uniquement et intégralement les investisseurs, seuls bénéficiaires de la totalité de l’aide en raison de la transparence fiscale des GIE. Le Tribunal a jugé que c’était sans commettre d’erreur que la Commission avait ordonné la récupération de l’intégralité de l’aide auprès des investisseurs, bien qu’ils aient transféré une partie de l’avantage vers d’autres opérateurs, dès lors que ceux-ci n’étaient pas considérés comme bénéficiaires de l’aide. En effet, ce sont les investisseurs qui ont eu la jouissance effective de l’aide étant donné que la réglementation applicable ne leur imposait pas le transfert d’une partie de l’aide vers des tiers.

{1} Décision 2014/200/UE de la Commission, du 17 juillet 2013, concernant l’aide d’État SA.21233 C/11 (ex NN/11, ex CP 137/06) mise à exécution par l’Espagne - Régime fiscal applicable à certains accords de location-financement, également appelé « régime espagnol de leasing fiscal » (JO 2014, L 114, p. 1).

{2} Au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

{3} Prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

{4} Voir CP 150/15.

{5} Voir CP 115/18.

{6} Arrêts de la Cour du 26 septembre 1996, France/Commission (C-241/94, EU:C:1996:353, point 23), du 29 juin 1999, DM Transport (C-256/97, EU:C:1999:332, point 27), du 18 juillet 2013, P (C-6/12, EU:C:2013:525, point 27) et du 25 juillet 2018, Commission/Espagne e.a. (C-128/16 P, EU:C:2018:591), point 55). Arrêts du Tribunal 28 novembre 2008, Hotel Cipriani e.a./Commission (T-254/00, T-270/00 et T-277/00, EU:T:2008:537, point 97) et du 20 septembre 2019, Port autonome du Centre et de l’Ouest e.a./Commission (T-673/17, non publié, EU:T:2019:643, point 188).

{7} La décision Brittany Ferries, adoptée en 2001, avait pu conduire les opérateurs économiques à considérer que les avantages fiscaux, tels que ceux accordées dans le cadre du RELF, pouvaient constituer des mesures générales ne constituant pas des aides d’État. Cependant, selon la Commission, la situation d’insécurité juridique a pris fin avec l’adoption d’une décision sur les GIE fiscaux français, publiée le 30 avril 2007, qui aurait dû amener un opérateur prudent et avisé à considérer qu’un régime similaire au RELF pourrait constituer une aide d’État.

Arrêt du 23 septembre 2020, Espagne / Commission (T-515/13 RENV et T-719/13 RENV) (cf. points 193-206)



Ordonnance du 11 octobre 2023, Monthisa Residencial / Commission (T-484/14) (cf. points 85-94)

104. Parlement européen - Réglementation concernant les frais et indemnités des députés du Parlement européen - Statut unique des députés européens - Décision de la direction générale des finances du Parlement européen concernant la modification du montant des pensions des anciens députés européens - Règle de pension identique - Non-rétroactivité - Principe de sécurité juridique - Violation - Absence

Mme Maria Teresa Coppo Gavazzi ainsi que plusieurs autres personnes physiques, anciens membres du Parlement européen élus en Italie ou leurs conjoints survivants (ci-après les « requérants), bénéficient respectivement d’une pension de retraite ou d’une pension de survie. En application de la décision nationale nº 14/2018{1}, le Parlement européen a décidé de réduire le montant de la pension d’un certain nombre d’anciens députés européens élus en Italie (ou celle de leurs conjoints survivants) avec effet au 1er janvier 2019.

En effet, en janvier 2019, le Parlement a informé les requérants qu’il serait tenu d’appliquer la décision nº 14/2008 et partant, de recalculer les montants de leur pension, notamment en application des dispositions de la réglementation concernant les frais et indemnités des députés au Parlement européen (ci-après la « réglementation FID ») instaurant la règle de « pension identique »{2}. En vertu de cette règle, le niveau et les modalités de la pension provisoire doivent être identiques à ceux de la pension que perçoivent les membres de la Chambre basse de l’État membre pour lequel le membre considéré du Parlement a été élu. Ainsi, par plusieurs notes du 11 avril 2019 et la décision finale du 11 juin 2019{3} (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées ») de la direction générale des finances du Parlement (ci-après l’« auteur des décisions attaquées »), les requérants ont été informés de la modification du montant de leur pension, en application de la règle de « pension identique » prévue par la réglementation FID et de la décision nº 14/20018, à concurrence de la réduction des pensions analogues versées en Italie aux anciens députés nationaux par la Chambre des députés. Les décisions attaquées précisaient également que le montant des pensions des requérants serait adapté dès le mois d’avril 2019 et aurait un effet rétroactif au 1er janvier 2019.

Les requérants ont introduit des recours tendant à l’annulation de ces décisions, en invoquant des moyens tirés, notamment, de l’incompétence de leur auteur, d’une absence de base juridique, d’une erreur de droit relative à la qualification de la décision nº 14/2018 ainsi que d’une violation de plusieurs principes généraux du droit de l’Union.

Dans son arrêt du 15 octobre 2020, rendu en chambre élargie, le Tribunal rejette ces recours.

Se prononçant, en premier lieu, sur les limites de sa compétence dans le cadre d’un recours en annulation{4}, le Tribunal précise qu’il n’est pas compétent pour statuer sur la légalité de la décision nº 14/2018 dans la mesure où il s’agit d’un acte adopté par une autorité nationale. En revanche, il relève qu’il est compétent pour examiner si l’article 75 des mesures d’application du statut des députés, relatif notamment aux pensions de retraite{5}, (ci-après les « mesures d’application ») ainsi que les dispositions de la réglementation FID instaurant la règle de « pension identique »{6} ne méconnaissent pas les normes de rang supérieur du droit de l’Union. De même, le Tribunal ajoute qu’il peut examiner la conformité au droit de l’Union tant des décisions attaquées que de l’application par le Parlement, au titre de la règle de pension identique, des dispositions de la décision nº 14/2018.

Se penchant, en deuxième lieu, sur le moyen pris de l’incompétence de l’auteur des décisions attaquées, le Tribunal rappelle que le bureau du Parlement possède une compétence générale en matière de questions financières concernant les députés{7}. Ainsi, l’administration du Parlement peut se voir confier la compétence d’adopter des décisions individuelles dans le domaine des questions financières concernant les députés, dès lors que c’est le bureau de cette institution qui en a fixé les limites et modalités d’exercice. Eu égard à cette répartition des compétences, le Tribunal souligne que le Parlement peut attribuer à son administration la compétence d’adopter des décisions individuelles dans le domaine des droits à pension et de la fixation du montant des pensions. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’auteur des décisions attaquées était compétent, en sa qualité d’ordonnateur subdélégué pour les questions budgétaires relatives aux pensions d’ancienneté, pour adopter les décisions attaquées.

En troisième lieu, le Tribunal rejette le moyen tiré de l’application erronée de l’article 75 des mesures d’application, en jugeant que le Parlement s’est valablement fondé sur cette disposition ainsi que sur la règle de « pension identique » afin d’adopter les décisions attaquées. Ainsi, il note, tout d’abord, que la règle de « pension identique » reste applicable aux requérants, par dérogation aux règles prévues par les mesures d’application, selon lesquelles la réglementation FID a expiré le jour de l’entrée en vigueur du statut des députés, à savoir le 14 juillet 2009{8}. Ensuite, le Tribunal met en exergue que si les deux paragraphes composant l’article 75 des mesures d’application visent le droit à pension de retraite des anciens députés européens, leurs champs d’application respectifs sont différents.

En effet, d’une part, l’article 75, paragraphe 1, premier alinéa, des mesures d’application s’applique aux anciens députés qui ont commencé à bénéficier de leur pension de retraite avant la date de l’entrée en vigueur du statut des députés, c’est-à-dire avant le 14 juillet 2009, et qui continuent, après cette date, de relever du régime de pension mis en place par l’annexe III de la réglementation FID (ci-après l’« annexe III »). Se prononçant sur la situation de ces députés, le Tribunal note que, en vertu de la règle de « pension identique », le Parlement est tenu de déterminer le niveau et les modalités de la pension de retraite d’un ancien député européen sur la base de ceux définis dans le droit national applicable, en l’occurrence, sur le fondement des règles définies dans la décision nº 14/2018. Cette obligation s’impose au Parlement, qui ne dispose d’aucune marge pour un mode de calcul autonome, pendant toute la période de versement des pensions de retraite, sous réserve du respect des normes de rang supérieur du droit de l’Union, en ce compris les principes généraux du droit et la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Par ailleurs, le Tribunal conclut que la réduction du montant des pensions, en application de ces règles, ne porte pas atteinte aux droits à pension de retraite acquis par leurs bénéficiaires étant donné que ni l’article 75, paragraphe 1, premier alinéa, ni l’annexe III ne garantissent l’immuabilité du montant de ces pensions. En effet, selon le Tribunal, les droits à pension acquis dont ledit article 75 fait mention ne doivent pas être confondus avec un prétendu droit de percevoir un montant fixe de pension.

D’autre part, l’article 75, paragraphe 2, des mesures d’application s’applique aux anciens députés qui ont commencé à percevoir leur pension de retraite après la date de l’entrée en vigueur du statut des députés et garantit que les droits à pension de retraite acquis jusqu’à cette date demeurent acquis{9}. Toutefois, le Tribunal note que cette disposition{10}, qui distingue clairement les « droits à pension de retraite acquis » des « pensions », ne garantit pas l’immuabilité du montant de cette pension, en ce sens que ce montant ne pourrait pas être révisé. Par ailleurs, le Tribunal souligne que les deux exigences auxquelles les anciens députés doivent répondre afin de pouvoir bénéficier de leur pension de retraite{11} ont pour seul objet de conditionner le bénéfice effectif de ces pensions sans pour autant garantir l’immuabilité de leur montant. Au surplus, ces deux exigences ont pour uniques débiteurs les requérants, et non le Parlement.

En quatrième et dernier lieu, le Tribunal rejette le moyen tiré de la violation de plusieurs principes généraux du droit de l’Union et de la Charte. Ainsi, le Tribunal souligne, tout d’abord, que le Parlement est tenu de calculer et, le cas échéant, d’actualiser les pensions des anciens députés européens italiens, en tirant les conséquences de la décision nº 14/2018, sauf si l’application de cette décision aboutissait à une violation de la Charte{12} ou de ces principes généraux. Ensuite, se prononçant sur la violation du principe de sécurité juridique, le Tribunal admet que les décisions attaquées ont produit des effets rétroactifs, notamment antérieurs à leur date d’adoption, à savoir au 1er janvier 2019. Toutefois, il souligne que cela s’explique par l’obligation du Parlement d’appliquer la règle de « pension identique »{13}. En effet, en application de cette règle et, par conséquent, des dispositions de la décision no 14/2018, les requérants n’étaient plus en droit de prétendre, à partir de cette date, au bénéfice de leur pension, telle qu’elle était calculée avant cette date. En ce qui concerne le grief tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime, le Tribunal note que le Parlement ne s’est pas écarté de l’assurance précise et inconditionnelle donnée aux requérants lorsqu’ils ont adhéré au régime de pension organisé par l’annexe III, consistant à leur garantir le bénéfice d’une « pension identique » à celle des députés nationaux.

En outre, s’agissant du grief tiré de la violation du droit de propriété{14}, le Tribunal observe que, en réduisant le montant des pensions des requérants, le Parlement n’a ni privé les requérants d’une partie de leurs droits à pension, ni modifié le contenu de ces droits. Ensuite, le Tribunal conclut que cette restriction du droit de propriété des requérants est justifiée, notamment au regard des exigences prévues par la Charte. En ce sens, il note, d’une part, que le droit de propriété ne saurait être interprété comme ouvrant droit à une pension d’un montant déterminé. D’autre part, il souligne que cette restriction, prévue par la loi, peut être justifiée, premièrement, par l’objectif d’intérêt général poursuivi par la décision nº 14/2018, qui est celui de rationaliser les dépenses publiques dans un contexte de rigueur budgétaire, objectif déjà reconnu par la jurisprudence comme justifiant une atteinte aux droits fondamentaux, et, deuxièmement, par l’objectif légitime, explicitement affirmé par l’annexe III, d’accorder aux requérants des pensions dont le niveau et les modalités sont identiques à ceux de la pension que perçoivent les membres de la Chambre des députés.

Enfin, se prononçant sur la violation du principe d’égalité, le Tribunal rejette l’allégation selon laquelle le Parlement aurait, en violation de ce principe, assimilé les requérants aux anciens membres de la Chambre des députés. En ce sens, il retient que les requérants n’ont pas prouvé que leur situation est fondamentalement différente de celle des anciens membres de la Chambre des députés. En outre, le Tribunal rejette l’allégation selon laquelle le Parlement aurait traité les requérants différemment d’autres anciens députés européens, élus en France ou au Luxembourg, qui relèveraient également du régime de pension organisé par l’annexe III{15}. Ainsi, il juge que les requérants ne se trouvent pas dans la même situation que celle des autres anciens députés européens élus en France ou au Luxembourg, puisque, notamment, les pensions de ces derniers n’ont pas vocation à être régies par les règles fixées par le droit italien, mais par d’autres règles nationales qui leur sont spécifiquement applicables.

{1} Décision du 12 juillet 2018, adoptée par l’Ufficio di Presidenza della Camera dei deputati (Office de la présidence de la Chambre des députés, Italie) (ci-après la « décision nº 14/2018 »). La légalité de cette décision est actuellement examinée par le Consiglio di giurisdizione della Camera dei deputati (Conseil de juridiction de la Chambre des députés, Italie).

{2} Article 2, paragraphe 1, de l’annexe III de cette réglementation.

{3} La décision finale concerne uniquement M. Florio, le requérant dans l’affaire T-465/19.

{4} Article 263 TFUE.

{5} Par décisions des 19 mai et 9 juillet 2008, le bureau du Parlement a adopté les mesures d’application du statut des députés (JO 2009, C-159, p. 1).

{6} Article 2, paragraphe 1, de l’annexe III de la réglementation FID.

{7} En vertu de l’article 25, paragraphe 3, du règlement intérieur du Parlement.

{8} Article 74, lu en combinaison avec l’article 75, des mesures d’application.

{9} Article 75, paragraphe 2, 1ère phrase, des mesures d’application.

{10} Article 75, paragraphe 2, 2ème phrase, des mesures d’application.

{11} À savoir, respecter les dispositions pertinentes du droit national applicable en matière d’octroi de la pension de retraite et avoir déposé la demande de liquidation de cette pension.

{12} Article 51, paragraphe 1.

{13} Prévue par l’article 2, paragraphe 1, de l’annexe III de la réglementation FID.

{14} Article 17, paragraphe 1, de la Charte.

{15} Prévu par l’annexe III de la réglementation FID.

Arrêt du 15 octobre 2020, Coppo Gavazzi / Parlement (T-389/19 à T-394/19, T-397/19, T-398/19, T-403/19, T-404/19, T-406/19, T-407/19, T-409/19 à T-414/19, T-416/19 à T-418/19, T-420/19 à T-422/19, T-425/19 à T-427/19, T-429/19 à T-432/19, T-435/19, T-436/19, T-438/19 à T-442/19, T-444/19 à T-446/19, T-448/19, T-450/19 à T-454/19, T-463/19 et T-465/19) (cf. points 194-204)



Arrêt du 10 février 2021, Santini / Parlement (T-345/19, T-346/19, T-364/19 à T-366/19, T-372/19 à T-375/19 et T-385/19) (cf. points 198-208)

105. Libre prestation des services - Restrictions - Détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services - Directive 96/71 - Conditions de travail et d'emploi - Notion de rémunération - Renvoi aux législations ou aux pratiques des États membres - Admissibilité - Violation des principes de sécurité juridique et de clarté normative - Absence

La directive 96/71, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services{1}, a partiellement été modifiée par la directive 2018/957{2}. En adoptant cette dernière, le législateur de l’Union a cherché à assurer la libre prestation des services sur une base équitable en garantissant une concurrence qui ne soit pas fondée sur l’application, dans un même État membre, de conditions de travail et d’emploi d’un niveau substantiellement différent selon que l’employeur est ou non établi dans cet État membre, tout en offrant une plus grande protection aux travailleurs détachés. À cette fin, la directive 2018/957 vise à rendre les conditions de travail et d’emploi des travailleurs détachés les plus proches possibles de celles des travailleurs employés par des entreprises établies dans l’État membre d’accueil.

Dans cette logique, la directive 2018/957 a, entre autres, apporté des modifications à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71, portant sur les conditions de travail et d’emploi des travailleurs détachés. Ces modifications, guidées par le principe de l’égalité de traitement, impliquent notamment que s’applique à ces travailleurs non plus le « taux de salaire minimal » fixé par la législation de l’État membre d’accueil, mais la « rémunération » prévue par cette législation, qui est une notion plus large que celle de salaire minimal. En outre, dans le cas où la durée effective d’un détachement est supérieure à douze mois ou, exceptionnellement, à dix-huit mois, la directive 2018/957 a imposé, au moyen de l’insertion d’un article 3, paragraphe 1 bis, dans la directive 96/71, l’application de la quasi-totalité des conditions de travail et d’emploi de l’État membre d’accueil.

La Hongrie (affaire C-620/18) et la République de Pologne (affaire C-626/18) ont chacune introduit un recours tendant à l’annulation de la directive 2018/957. Ces États membres soulevaient notamment des moyens tirés du choix d’une base juridique erronée pour adopter cette directive, d’une violation de l’article 56 TFUE, garantissant la libre prestation des services, ainsi que d’une méconnaissance du règlement « Rome I »{3}. Par ses arrêts, la Cour rejette les deux recours dans leur intégralité.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, la Cour relève que le législateur de l’Union pouvait se fonder, lors de l’adoption de la directive 2018/957, sur la même base juridique que celle utilisée pour adopter la directive 96/71, à savoir l’article 53, paragraphe 1, et l’article 62 TFUE{4}, qui permettent notamment d’adopter des directives visant à faciliter l’exercice de la liberté de prestation des services.

En effet, s’agissant d’une réglementation qui, comme la directive 2018/957, modifie une réglementation existante, il importe de prendre en compte, pour déterminer la base juridique appropriée, la réglementation existante qu’elle modifie et, notamment, son objectif et son contenu. Par ailleurs, lorsqu’un acte législatif a déjà coordonné les législations des États membres dans un domaine donné d’action de l’Union, le législateur de l’Union ne saurait être privé de la possibilité d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances. La Cour se réfère, à cet égard, aux élargissements successifs de l’Union ayant eu lieu depuis l’entrée en vigueur de la directive 96/71, ainsi qu’à une analyse d’impact, élaborée dans le contexte de la modification de cette directive. Cette analyse constate que la directive 96/71 avait été à l’origine de conditions de concurrence inéquitables entre les entreprises établies dans un État membre d’accueil et les entreprises détachant des travailleurs dans cet État membre, ainsi que d’une segmentation du marché du travail, en raison d’une différenciation structurelle des règles salariales applicables à leurs travailleurs respectifs{5}.

La Cour relève que le fait que l’article 53, paragraphe 1, et l’article 62 TFUE habilitent le législateur de l’Union à coordonner les réglementations nationales susceptibles, par leur disparité même, d’entraver la libre prestation des services entre les États membres, ne saurait impliquer que ce législateur ne doive pas également veiller au respect, notamment, des objectifs transversaux consacrés à l’article 9 TFUE. Parmi ces objectifs figurent les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé ainsi qu’à la garantie d’une protection sociale adéquate.

Ainsi, afin d’atteindre au mieux l’objectif poursuivi par la directive 96/71 dans un contexte qui avait changé, il était loisible au législateur de l’Union d’adapter l’équilibre sur lequel reposait cette directive en renforçant les droits des travailleurs détachés dans l’État membre d’accueil afin que la concurrence entre les entreprises détachant des travailleurs dans cet État membre et les entreprises établies dans celui-ci se développe dans des conditions plus équitables.

La Cour précise également, dans ce contexte, que l’article 153 TFUE, qui vise seulement la protection des travailleurs et non pas la libre prestation des services au sein de l’Union, ne pouvait constituer la base juridique de la directive 2018/957. Cette directive ne contenant aucune mesure d’harmonisation mais se limitant à coordonner les réglementations des États membres en cas de détachement de travailleurs, en imposant l’application de certaines conditions de travail et d’emploi prévues par les règles obligatoires de l’État membre d’accueil, elle ne saurait méconnaître l’exception qu’édicte l’article 153, paragraphe 5, TFUE aux compétences de l’Union découlant des premiers paragraphes de cet article.

En deuxième lieu, la Cour examine le moyen tiré d’une violation de l’article 56 TFUE, et plus particulièrement du fait que la directive 2018/957 supprimerait l’avantage concurrentiel, en termes de coûts, dont auraient bénéficié les prestataires de services établis dans certains États membres. La Cour relève que la directive 2018/957, afin d’atteindre son objectif, procède à un rééquilibrage des facteurs au regard desquels les entreprises établies dans les différents États membres peuvent entrer en concurrence. Pour autant, cette directive ne supprime pas l’éventuel avantage concurrentiel dont bénéficieraient les prestataires de service de certains États membres, dès lors qu’elle n’a aucunement pour effet d’éliminer toute concurrence fondée sur les coûts. Elle prévoit, en effet, d’assurer aux travailleurs détachés l’application d’un ensemble de conditions de travail et d’emploi dans l’État membre d’accueil, dont les éléments constitutifs de la rémunération rendus obligatoires dans cet État. Cette directive n’a donc pas d’effet sur les autres éléments de coûts des entreprises qui détachent de tels travailleurs, tels que la productivité ou l’efficacité de ces travailleurs, qui sont mentionnés à son considérant 16.

En troisième lieu, en ce qui concerne l’examen de la légalité des règles relatives à la notion de « rémunération » et de celles relatives au détachement de longue durée, respectivement prévues à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), et à l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée, la Cour rappelle que le juge de l’Union, saisi d’un recours en annulation contre un acte législatif tel que la directive 2018/957, doit s’assurer uniquement, du point de vue de la légalité interne de cet acte, que celui-ci ne méconnaît pas les traités UE et FUE ou les principes généraux du droit de l’Union et qu’il n’est pas entaché d’un détournement de pouvoir. En ce qui concerne le contrôle juridictionnel du respect de ces conditions, le législateur de l’Union dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans les domaines, tels que la réglementation relative au détachement des travailleurs, où son action implique des choix de nature tant politique qu’économique ou sociale, et où il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes. Au regard de ce large pouvoir d’appréciation, la Cour juge que, s’agissant de la règle relative au détachement de longue durée, c’est sans commettre d’erreur manifeste que le législateur de l’Union a pu considérer qu’un détachement d’une durée de plus de douze mois devait avoir pour conséquence de rapprocher sensiblement la situation personnelle des travailleurs détachés concernés de celle des travailleurs employés par des entreprises établies dans l’État membre d’accueil.

En quatrième lieu, la Cour relève que l’analyse d’impact, ayant été prise en compte par le législateur de l’Union pour considérer que la protection des travailleurs détachés prévue par la directive 96/71 n’était plus appropriée, a mis en lumière, en particulier, deux circonstances qui ont raisonnablement pu conduire ce législateur à considérer que l’application du « taux de salaire minimal » de l’État membre d’accueil n’était plus à même d’assurer la protection de ces travailleurs. D’une part, la Cour avait retenu une interprétation large de cette notion dans l’arrêt Sähköalojen ammattiliitto{6}, incluant, au-delà du salaire minimal prévu par la législation de l’État membre d’accueil, un certain nombre d’éléments. Dès lors, il a pu être constaté, dans l’analyse d’impact, que la notion de « taux de salaire minimal », telle qu’interprétée par la Cour, s’écartait grandement de la pratique répandue des entreprises détachant des travailleurs dans un autre État membre, consistant à ne verser à ceux-ci que le salaire minimal. D’autre part, il ressort de l’analyse d’impact que, au cours de l’année 2014, des différences importantes de rémunération s’étaient fait jour, dans plusieurs États membres d’accueil, entre les travailleurs employés par des entreprises établies dans ces États membres et les travailleurs qui y étaient détachés.

En cinquième lieu, la Cour examine la prétendue méconnaissance du règlement « Rome I » par l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée, qui prévoit que, en cas de détachement de plus de douze mois, la quasi-totalité des obligations découlant de la législation de l’État membre d’accueil s’appliquent impérativement aux travailleurs détachés, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail. À cet égard, la Cour note que l’article 8 du règlement « Rome I » établit, à son paragraphe 2, que, à défaut d’un choix des parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail, ce pays n’étant pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail temporairement dans un autre pays. Pour autant, le règlement « Rome I » prévoit, à son article 23, qu’il puisse être dérogé aux règles de conflit de lois qu’il établit lorsque des dispositions du droit de l’Union fixent des règles relatives à la loi applicable aux obligations contractuelles dans certaines matières. Or, par sa nature et son contenu, l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée constitue une règle spéciale de conflit de lois, au sens de l’article 23 du règlement « Rome I ».

{1} Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1).

{2} Directive (UE) 2018/957 du Parlement européen et du Conseil, du 28 juin 2018, modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 2018, L 173, p. 16, et rectificatif JO 2019, L 91, p. 77).

{3} Règlement (CE) nº 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6) (ci-après le « règlement "Rome I" »).

{4} La directive 96/71 a été adoptée sur le fondement de l’article 57, paragraphe 2, et de l’article 66 CE, qui ont été remplacés par les articles du traité FUE précités.

{5} Document de travail SWD (2016) 52 final, du 8 mars 2016, intitulé « Analyse d’impact accompagnant la proposition de directive du Parlement et du Conseil modifiant la directive 96/71 ».

{6} Arrêt de la Cour du 12 février 2015, Sähköalojen ammattiliitto (C-396/13, EU:C:2015:86, points 38 à 70).

Arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie / Parlement et Conseil (C-620/18) (cf. points 183-186)

106. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives prises à l'encontre de la République démocratique du Congo - Portée du contrôle - Contrôle restreint pour les règles générales - Critères d'adoption des mesures restrictives - Contribution, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l'homme - Entrave à une sortie de crise consensuelle et pacifique en vue de la tenue d'élections, notamment par des actes de violence, de répression, d'incitation à la violence ou des actions portant atteinte à l'État de droit - Portée - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques



Arrêt du 3 février 2021, Mutondo / Conseil (T-119/19) (cf. points 170, 171, 173-180)

107. Parlement européen - Réglementation concernant les frais et indemnités des députés du Parlement européen - Statut unique des députés européens - Décision de la direction générale des finances du Parlement européen concernant la modification du montant d'une pension d'un ancien député européen - Règle de pension identique - Non-rétroactivité - Principe de sécurité juridique - Violation - Absence



Arrêt du 10 février 2021, Forte / Parlement (T-519/19) (cf. points 95-103)



Arrêt du 5 mai 2021, Falqui / Parlement (T-695/19) (cf. points 81, 82, 84-88, 90-92)

108. Droit de l'Union européenne - Principes - Droit à une protection juridictionnelle effective - Voie de recours - Recours en indemnité - Qualification juridique du recours relevant du droit interne de chaque État membre - Limites - Respect des principes d'équivalence et d'effectivité - Recours en réparation formellement fondé sur une disposition de droit national - Obligation de qualifier d'office ce recours comme étant fondé sur l'article 4, paragraphe 3, TUE - Absence - Conditions



Arrêt du 25 mars 2021, Balgarska Narodna Banka (C-501/18) (cf. points 130-134, 137, disp. 6)

109. Environnement - Promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables - Directive 2009/28 - Objectifs contraignants concernant la part d'énergie produite à partir de sources renouvelables - Mesures adoptées en vue d'atteindre ces objectifs - Réglementation nationale prévoyant la réduction ou le report de paiement des incitations pour l'énergie produite par les installations solaires photovoltaïques déjà prévues mais non encore dues - Admissibilité - Violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime - Absence - Vérification par la juridiction nationale

Voir texte de la décision.

Arrêt du 15 avril 2021, Federazione nazionale delle imprese elettrotecniche ed elettroniche (Anie) e.a. (C-798/18 et C-799/18) (cf. points 29, 30, 41-47, 53)



Ordonnance du 1er mars 2022, Milis Energy (C-306/19, C-512/19, C-595/19 et C-608/20 à C-611/20) (cf. points 31, 32, 43-48, 52)

110. Liberté d'établissement - Libre prestation des services - Établissements de crédit - Assainissement et liquidation des établissements de crédit - Directive 2001/24 - Mesure d'assainissement d'un établissement de crédit prise dans l'État membre d'origine - Transfert d'un élément du passif à un second établissement de crédit - Retransfert de cet élément au premier établissement de crédit - Reconnaissance, dans une procédure en cours dans un autre État membre, des effets de ce retransfert avec effet rétroactif - Perte, par le second établissement de crédit, de sa qualité pour être attrait en justice aux fins de cette procédure - Inadmissibilité

En 2008, VR, une personne physique, a conclu un contrat avec Banco Espirito Santo, Sucursal en España (ci-après « BES Espagne »), la succursale espagnole de la banque portugaise Banco Espirito Santo (ci-après « BES »), par lequel elle a acquis des actions privilégiées d’un établissement de crédit islandais. Dans le contexte des graves difficultés financières de BES, Banco de Portugal, par une décision adoptée en août 2014, a décidé de créer une « banque relais », dénommée Novo Banco SA, à laquelle ont été transférés les actifs, passifs et autres éléments extrapatrimoniaux de BES. Certains éléments de passifs étaient toutefois exclus du transfert à Novo Banco. À la suite dudit transfert, Novo Banco SA, Sucursal en España (ci-après « Novo Banco Espagne ») a maintenu la relation commerciale que VR avait instaurée avec BES Espagne.

Le 4 février 2015, VR a introduit un recours devant le Juzgado de Primera Instancia de Vitoria (tribunal de première instance de Vitoria, Espagne) contre Novo Banco Espagne visant, à titre principal, à obtenir la nullité du contrat ou, à titre subsidiaire, la résiliation de celui-ci. Novo Banco Espagne a objecté ne pas avoir qualité pour être attraite en justice car, en vertu de la décision d’août 2014, la responsabilité alléguée constituait un passif qui ne lui avait pas été transféré.

Le tribunal de première instance de Vitoria ayant fait droit à la demande de VR, Novo Banco Espagne a interjeté appel devant l’Audiencia Provincial de Álava (cour provinciale d’Álava, Espagne). En cours d’instance, elle a déposé deux décisions adoptées par Banco de Portugal le 29 décembre 2015. Ces décisions apportaient des modifications à la décision d’août 2014, en précisant notamment que « à compter de ce jour, les passifs suivants de BES n’ont pas été transmis à Novo Banco : [...] toute responsabilité faisant l’objet de l’une des procédures décrites à l’annexe I », parmi lesquelles figurait l’action introduite par VR. De plus, elles prévoyaient que, dans la mesure où des actifs, des passifs ou des éléments extrapatrimoniaux auraient dû rester dans le domaine patrimonial de BES, mais avaient, de fait, été transférés à Novo Banco, ils étaient retransmis de Novo Banco à BES, avec effet au 3 août 2014.

La cour provinciale d’Álava ayant rejeté l’appel interjeté par Novo Banco Espagne, cette dernière a formé un recours devant la juridiction de renvoi, le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne). Novo Banco Espagne estime que, en vertu de la directive 2001/24, concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit{1}, les décisions du 29 décembre 2015 produisent, sans aucune autre formalité, leurs effets dans tous les États membres. La Cour suprême, considérant que ces décisions ont modifié la décision d’août 2014 avec effet rétroactif, a saisi la Cour afin de savoir si de telles modifications de fond doivent être reconnues dans les procédures judiciaires en cours.

Appréciation de la Cour

La Cour note que, en vertu de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/24, les mesures d’assainissement sont, en principe, appliquées conformément à la loi de l’État membre d’origine et produisent leurs effets selon la législation de cet État dans toute l’Union sans aucune autre formalité. Toutefois, par exception à ce principe, l’article 32 de cette directive prévoit que les effets de mesures d’assainissement sur une instance en cours concernant un bien ou un droit dont l’établissement de crédit est dessaisi sont régis exclusivement par la loi de l’État membre dans lequel cette instance est en cours.

En premier lieu, la Cour relève que l’application de cet article 32 nécessite que trois conditions cumulatives soient réunies et que celles-ci sont remplies dans le litige au principal. En effet, premièrement, il doit s’agir de mesures d’assainissement au sens de l’article 2 de la directive 2001/24, ce qui est le cas, en l’occurrence, puisque les décisions du 29 décembre 2015 sont destinées à préserver ou rétablir la situation financière d’un établissement de crédit.

Deuxièmement, il doit exister une instance en cours, notion qui couvre seulement les procédures au fond. En l’occurrence, d’une part, la procédure au principal doit être considérée comme une procédure au fond et, d’autre part, les décisions du 29 décembre 2015 ont été adoptées à un moment où la procédure initiée par VR le 4 février 2015 était déjà en cours.

Troisièmement, l’instance en cours doit concerner « un bien ou un droit dont l’établissement de crédit est dessaisi ». Eu égard aux disparités entre les versions linguistiques de l’article 32 de la directive 2001/24, la Cour examine la finalité de cette disposition et constate qu’elle vise à soumettre les effets des mesures d’assainissement ou des procédures de liquidation sur une instance en cours à la loi de l’État membre où se déroule cette instance. Or, il ne serait pas cohérent, au regard d’une telle finalité, d’exclure de l’application de cette dernière loi les effets produits par des mesures d’assainissement sur une instance en cours lorsque cette instance concerne des responsabilités éventuelles qui, au moyen de telles mesures d’assainissement, ont été transférées à une autre entité. Ainsi, cet article 32 doit s’appliquer concernant un ou plusieurs éléments patrimoniaux de l’établissement de crédit, relevant tant de l’actif que du passif, qui font l’objet de mesures d’assainissement, comme c’est le cas de la responsabilité éventuelle en cause au principal.

En deuxième lieu, s’agissant de l’étendue des effets des mesures d’assainissement régis par la loi de l’État membre dans lequel l’instance est en cours, la Cour relève que la loi de cet État membre régit tous les effets que de telles mesures peuvent avoir sur une telle instance, qu’ils soient procéduraux ou substantiels.

Par conséquent, il découle de l’article 3, paragraphe 2, et de l’article 32 de la directive 2001/24 que les effets, tant procéduraux que substantiels, d’une mesure d’assainissement sur une procédure judiciaire au fond en cours sont exclusivement ceux déterminés par la loi de l’État membre dans lequel cette procédure est en cours.

Par ailleurs, la Cour relève, d’une part, que la reconnaissance, dans la procédure au principal, des effets des décisions du 29 décembre 2015, en ce qu’elle serait de nature à remettre en cause les décisions judiciaires déjà prises en faveur de VR, contreviendrait au principe général de sécurité juridique. D’autre part, admettre que des mesures d’assainissement prises par l’autorité compétente de l’État membre d’origine postérieurement à l’introduction d’un recours dans un autre État membre et ayant pour conséquence de modifier, avec effet rétroactif, le cadre juridique pertinent pour trancher le litige ayant donné lieu à ce recours, puissent amener le juge saisi à rejeter celui-ci constituerait une limitation au droit à un recours effectif, au sens de l’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

La Cour conclut que l’article 3, paragraphe 2, et l’article 32 de la directive 2001/24, lus à la lumière du principe de sécurité juridique et de l’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux s’opposent à la reconnaissance, sans autre condition, dans une procédure judiciaire au fond en cours, des effets d’une mesure d’assainissement telle que les décisions du 29 décembre 2015, lorsqu’une telle reconnaissance conduit à ce que l’établissement de crédit auquel le passif avait été transmis par une première mesure d’assainissement perde, avec effet rétroactif, sa qualité pour être attrait en justice aux fins de cette procédure en cours, remettant ainsi en cause des décisions judiciaires déjà intervenues au profit de la partie requérante faisant l’objet de cette même procédure.

{1} Directive 2001/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 avril 2001, concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit (JO 2001, L 125, p. 15).

Arrêt du 29 avril 2021, Banco de Portugal e.a. (C-504/19) (cf. points 49, 50, 54, 63, 66 et disp.)

111. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Portée - Recouvrement d'une dette douanière - Appel en garantie dirigé contre la caution - Respect d'un délai de prescription raisonnable



Arrêt du 20 mai 2021, BTA Baltic Insurance Company (C-230/20) (cf. points 47, 48, disp. 3)

112. Union douanière - Naissance et recouvrement d'une dette douanière - Délai de notification de la dette douanière - Prescription - Suspension du délai de prescription en raison de l'obligation d'entendre le débiteur - Règle de fond - Application dans le temps - Dette née avant l'entrée en vigueur de ladite règle - Inclusion eu égard aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime



Arrêt du 3 juin 2021, Jumbocarry Trading (C-39/20) (cf. points 35, 36, 46-48, 50, 51 et disp.)

113. Droit de l'Union européenne - Principes - Principes de confiance légitime et de sécurité juridique - Limites - Adoption d'une mesure de l'Union de nature à affecter les intérêts d'un opérateur économique - Opérateur économique prudent et avisé étant en mesure de prévoir l'adoption de ladite mesure - Identification claire et précise des effets juridiques du règlement REACH - Absence de violation desdites principes



Arrêt du 30 juin 2021, Global Silicones Council e.a. / Commission (T-226/18) (cf. points 263, 272, 277)

114. Parlement européen - Réglementation concernant les frais et indemnités des députés - Régime de pension complémentaire volontaire - Décision du bureau du Parlement européen modifiant les mesures d'application du statut des députés concernant certaines conditions du régime de pension complémentaire - Principe de sécurité juridique - Violation - Absence



Arrêt du 15 septembre 2021, Ashworth / Parlement (T-720/19 À T-725/19) (cf. points 122-127, 129-134)



Arrêt du 15 septembre 2021, Arnaoutakis / Parlement (T-240/20 À T-245/20) (cf. points 112-117, 119-124)



Arrêt du 9 mars 2023, Grossetête / Parlement (C-714/21 P) (cf. points 120-122)



Arrêt du 9 mars 2023, Galeote / Parlement (C-715/21 P et C-716/21 P) (cf. points 113-115)

115. Droit de l'Union européenne - Principes - Actes des institutions - Protection juridictionnelle effective - Devoir des institutions de se conformer aux obligations découlant du droit de l'Union, tel qu'interprété par le juge de l'Union - Contrôle de la conformité d'une décision attaquée avec la jurisprudence de la Cour

Les présentes affaires portent sur des recours en annulation introduits par le Front populaire pour la libération de la Saguia el-Hamra et du Rio de oro (Front Polisario) (ci-après le « requérant ») contre deux décisions du Conseil approuvant la conclusion d’accords entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc{1}.

Les accords approuvés par les décisions attaquées (ci-après les « accords litigieux ») sont le résultat de négociations menées au nom de l’Union, avec le Maroc, à la suite de deux arrêts prononcés par la Cour{2}, en vue de modifier des accords antérieurs. D’une part, il s’agissait de conclure un accord modifiant les protocoles de l’accord d’association euro-méditerranéen{3} relatifs au régime applicable à l’importation, dans l’Union européenne, des produits agricoles originaires du Maroc, et à la définition de la notion de « produits originaires », pour étendre aux produits originaires du Sahara occidental exportés sous le contrôle des autorités douanières marocaines, le bénéfice des préférences tarifaires octroyées aux produits d’origine marocaine exportés dans l’Union. D’autre part, le but était de modifier l’accord de pêche entre la Communauté européenne et le Maroc{4} et, notamment, d’inclure dans le champ d’application de cet accord les eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental.

Par requêtes déposées en 2019, le requérant a demandé l’annulation des décisions attaquées. Affirmant agir « au nom du peuple sahraoui », il fait notamment valoir que, en approuvant, par les décisions attaquées, les accords litigieux sans le consentement de ce peuple, le Conseil a violé les obligations qui incombaient à l’Union dans le cadre de ses relations avec le Maroc, en vertu du droit de l’Union et du droit international. En effet, selon le requérant, ces accords s’appliquent au Sahara occidental, prévoient l’exploitation de ses ressources naturelles et favorisent la politique d’annexion de ce territoire par le Maroc. En outre, le second de ces accords s’appliquerait également aux eaux adjacentes à ce territoire. En particulier, le requérant soutient que ces accords ne sont pas conformes à la jurisprudence de la Cour énoncée dans les arrêts Conseil/Front Polisario (C-104/16 P) et Western Sahara Campaign UK (C-266/16), qui aurait exclu une telle application territoriale.

Par ses arrêts dans l’affaire T-279/19, d’une part, et dans les affaires jointes T-344/19 et T-356/19, d’autre part, le Tribunal annule les décisions attaquées, tout en décidant que les effets desdites décisions sont maintenus pendant une certaine période{5}, car leur annulation avec effet immédiat est susceptible d’avoir des conséquences graves sur l’action extérieure de l’Union et de remettre en cause la sécurité juridique des engagements internationaux auxquels elle a consenti. En revanche, le Tribunal rejette comme irrecevable le recours du requérant dans l’affaire T 356/19 contre le règlement relatif à la répartition des possibilités de pêche au titre de l’accord de pêche, pour défaut d’affectation directe{6}.

Appréciation du Tribunal

Sur la recevabilité des recours

En premier lieu, le Tribunal vérifie si le requérant dispose de la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union. En effet, selon le Conseil et les intervenants, le requérant ne possède pas la personnalité juridique en vertu du droit interne d’un État membre, n’est pas un sujet de droit international, et ne satisfait pas aux critères établis par les juridictions de l’Union en vue de reconnaître la capacité d’ester en justice à une entité dépourvue de la personnalité juridique. Selon eux, le requérant ne serait donc pas une personne morale au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

Faisant référence à la jurisprudence antérieure, le Tribunal précise que celle-ci n’exclut pas que la capacité d’agir devant le juge de l’Union soit reconnue à une entité, indépendamment de sa personnalité juridique de droit interne, notamment si les exigences de la protection juridictionnelle effective l’imposent, une interprétation restrictive de la notion de personne morale devant être écartée. Examinant la question de l’existence de la personnalité juridique du requérant en droit international public, le Tribunal estime que le rôle et la représentativité du requérant sont de nature à lui conférer la capacité d’ester en justice devant le juge de l’Union.

À cet égard, le Tribunal constate que le requérant est reconnu sur le plan international en tant que représentant du peuple du Sahara occidental, même à supposer que cette reconnaissance s’inscrive dans le cadre limité du processus d’autodétermination de ce territoire. En outre, sa participation à ce processus implique qu’il dispose de l’autonomie et de la responsabilité nécessaires pour agir dans ce cadre. Enfin, les exigences de la protection juridictionnelle effective imposent de reconnaître au requérant la capacité d’introduire un recours devant le Tribunal pour défendre le droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental. Le Tribunal en conclut donc que le requérant est une personne morale, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE et rejette la fin de non-recevoir du Conseil.

En second lieu, le Tribunal examine la fin de non-recevoir du Conseil tirée du défaut de qualité pour agir du requérant. Quant au point de savoir si le requérant est directement concerné par les décisions attaquées, il relève qu’une décision de conclusion, au nom de l’Union, d’un accord international est un élément constitutif dudit accord et que, partant, les effets de la mise en œuvre de cet accord sur la situation juridique d’un tiers sont pertinents pour apprécier son affectation directe par la décision en cause. En l’espèce, afin de défendre les droits que le peuple du Sahara occidental tire des règles de droit international liant l’Union, le requérant doit pouvoir invoquer les effets des accords litigieux sur ces droits pour établir son affectation directe. Or, le Tribunal estime que, dans la mesure où les accords litigieux s’appliquent explicitement au Sahara occidental ainsi que, en ce qui concerne le second de ces accords, aux eaux adjacentes à celui-ci, ils affectent le peuple de ce territoire et impliquaient de recueillir son consentement. Par conséquent, le Tribunal en conclut que les décisions attaquées produisent des effets directs sur la situation juridique du requérant en tant que représentant de ce peuple et en tant que partie au processus d’autodétermination sur ce territoire. Enfin, le Tribunal relève que la mise en œuvre des accords litigieux, en ce qui concerne leur application territoriale, présente un caractère purement automatique et ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à leurs destinataires.

En ce qui concerne l’affectation individuelle du requérant, le Tribunal constate que, eu égard aux circonstances ayant conduit à conclure à son affectation directe, en particulier à sa situation juridique en tant que représentant du peuple du Sahara occidental et partie au processus d’autodétermination sur ce territoire, le requérant doit être considéré comme affecté par les décisions attaquées en raison de qualités qui lui sont particulières et qui l’individualisent d’une manière analogue à celle dont le serait le destinataire de ces décisions.

Sur le bien-fondé des recours

En ce qui concerne le fond et, plus particulièrement, la question de savoir si le Conseil a violé l’obligation de se conformer à la jurisprudence de la Cour relative aux règles de droit international applicables aux accords litigieux, le Tribunal constate que, dans l’arrêt Conseil/Front Polisario, la Cour a déduit du principe d’autodétermination et du principe de l’effet relatif des traités des obligations claires, précises et inconditionnelles s’imposant à l’égard du Sahara occidental dans le cadre des relations entre l’Union et le Maroc, à savoir, d’une part, le respect de son statut séparé et distinct et, d’autre part, l’obligation de s’assurer du consentement de son peuple en cas de mise en œuvre de l’accord d’association sur ce territoire. Dès lors, le requérant doit pouvoir invoquer la violation desdites obligations à l’encontre des décisions attaquées, dans la mesure où cette violation peut affecter ledit peuple, en tant que tiers à un accord conclu entre l’Union et le Maroc. Dans ce contexte, le Tribunal écarte l’argument avancé par le requérant selon lequel il serait juridiquement impossible pour l’Union et le Maroc de conclure un accord explicitement applicable au Sahara occidental, cette hypothèse n’étant pas exclue par le droit international tel qu’interprété par la Cour.

En revanche, le Tribunal accueille l’argument du requérant par lequel il fait valoir que l’exigence relative au consentement du peuple du Sahara occidental, en tant que tiers aux accords litigieux, au sens du principe de l’effet relatif des traités, n’a pas été respectée.

À cet égard, d’une part, le Tribunal considère que la règle du droit international, selon laquelle le consentement d’un tiers à un accord international peut être présumé, lorsque les parties à cet accord ont entendu lui accorder des droits, n’est pas applicable en l’espèce, les accords litigieux ne visant pas à accorder des droits audit peuple, mais lui imposant, en revanche, des obligations.

D’autre part, le Tribunal relève que, lorsqu’une règle de droit international exige le consentement d’une partie ou d’un tiers, l’expression de ce consentement conditionne la validité de l’acte pour lequel il est requis, la validité dudit consentement lui-même dépend de son caractère libre et authentique et ledit acte est opposable à la partie ou au tiers y ayant valablement consenti. Cependant, les démarches entreprises par les autorités de l’Union avant la conclusion des accords litigieux ne peuvent pas être considérées comme ayant permis de recueillir le consentement du peuple du Sahara occidental à ces accords, conformément au principe de l’effet relatif des traités, tel qu’interprété par la Cour. Le Tribunal précise, à cet égard, que le pouvoir d’appréciation des institutions dans le cadre des relations extérieures ne leur permettait pas, en l’espèce, de décider si elles pouvaient se conformer ou non à cette exigence.

En particulier, le Tribunal constate, tout d’abord, que, eu égard à la portée juridique, en droit international, de la notion de « peuple », d’une part, et de la notion de « consentement », d’autre part, les « consultations » des « populations concernées » organisées par les institutions n’ont pu aboutir à l’expression du consentement du peuple du Sahara occidental. Ainsi cette approche a-t-elle permis, tout au plus, de recueillir l’opinion de parties concernées, sans que cette opinion conditionne la validité des accords litigieux et lie ces parties de sorte que ces accords leur seraient opposables. Ensuite, le Tribunal considère que les différents éléments relatifs à la situation particulière du Sahara occidental, invoqués par le Conseil, ne démontrent pas l’impossibilité de recueillir, en pratique, le consentement du peuple du Sahara occidental aux accords litigieux, en tant que tiers à ceux-ci. Enfin, le Tribunal relève que les institutions ne sauraient valablement se fonder sur la lettre du 29 janvier 2002 du conseiller juridique de l’ONU pour substituer le critère des bénéfices des accords litigieux pour les populations concernées à l’exigence de l’expression dudit consentement. Le Tribunal en conclut que le Conseil n’a pas suffisamment pris en compte tous les éléments pertinents relatifs à la situation du Sahara occidental et a considéré, à tort, qu’il disposait d’une marge d’appréciation pour décider s’il y avait lieu de se conformer à cette exigence.

{1} Décision (UE) 2019/217 du Conseil, du 28 janvier 2019, relative à la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc sur la modification des protocoles nº 1 et nº 4 de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part (JO L 34, p. 1), et décision (UE) 2019/441 du Conseil, du 4 mars 2019, relative à la conclusion de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc, de son protocole de mise en œuvre ainsi que de l’échange de lettres accompagnant l’accord (JO L 77, p. 4), ci-après « les décisions attaquées ».

{2} Arrêts du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C-104/16 P, EU:C:2016:973, voir CP n.º 146/16), et du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C-266/16, EU:C:2018:118, voir CP n.º 21/18). Dans ces arrêts, la Cour a précisé que l’accord d’association ne couvrait que le territoire du Maroc et pas le Sahara occidental, et que ni l’accord de pêche ni son protocole de mise en œuvre ne sont applicables aux eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental.

{3} Accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part (JO L 70, 2000, p. 2).

{4} Accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et le Royaume du Maroc (JO L 141, 2006, p. 4).

{5} À savoir une période ne pouvant excéder le délai de deux mois pour former un pourvoi ou la date de prononcé de l’arrêt de la Cour statuant sur un éventuel pourvoi.

{6} Règlement (UE) 2019/440, relatif à la répartition des possibilités de pêche au titre de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc et de son protocole de mise en œuvre (JO 2019, L 77, p. 1).

Arrêt du 29 septembre 2021, Front Polisario / Conseil (T-279/19) (cf. points 267-269, 273)

116. Environnement - Déchets - Déchets d'équipements électriques et électroniques - Directive 2012/19 - Financement de la gestion des déchets d'équipements électriques et électroniques provenant d'utilisateurs autres que les ménages - Obligation des producteurs de financer les coûts de la gestion des déchets issus de produits mis sur le marché entre le 13 août 2005 et le 13 août 2012 - Règle nouvelle applicable à une situation acquise antérieurement à l'entrée en vigueur de la directive - Violation des principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité - Invalidité

Vysočina Wind est une société tchèque qui exploite une centrale à énergie solaire équipée de panneaux photovoltaïques mis sur le marché après le 13 août 2005.

Conformément à l’obligation prévue par la loi tchèque nº 185/2001 sur les déchets (ci-après la « loi sur les déchets »){1}, elle a participé au financement des coûts afférents à la gestion des déchets provenant des panneaux photovoltaïques et a versé, à ce titre, des contributions au cours des années 2015 et 2016.

Εstimant, toutefois, que cette obligation contributive résultait d’une transposition incorrecte de la directive 2012/19 relative aux déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE){2} et que le versement de ces contributions constituait un préjudice, Vysočina Wind a formé, devant les juridictions tchèques, un recours en réparation contre la République tchèque. Dans ce cadre, Vysočina Wind avançait que la disposition de la loi sur les déchets prévoyant l’obligation contributive pour les utilisateurs de panneaux photovoltaïques est contraire à l’article 13, paragraphe 1, de la directive relative aux DEEE, qui met à la charge des producteurs des équipements électriques et électroniques, et non pas des utilisateurs de ceux-ci, le financement des coûts afférents à la gestion des déchets provenant d’équipements mis sur le marché après le 13 août 2005.

Le recours introduit par Vysočina Wind ayant été accueilli, tant en première instance qu’en appel, la République tchèque a formé un pourvoi en cassation devant le Nejvyšší soud (Cour suprême, République tchèque).

Saisie à titre préjudiciel par cette dernière juridiction, la Cour, réunie en grande chambre, se prononce, d’une part, sur l’interprétation et sur la validité de l’article 13, paragraphe 1, de la directive relative aux DEEE, et précise, d’autre part, les conditions d’engagement de la responsabilité d’un État membre pour violation du droit de l’Union dans le contexte de la transposition d’une directive.

Appréciation de la Cour

En procédant à une interprétation littérale de la directive relative aux DEEE, la Cour confirme, en premier lieu, que les panneaux photovoltaïques constituent des équipements électriques et électroniques au sens de celle-ci, de sorte que, conformément à l’article 13, paragraphe 1, de cette directive, le financement des coûts afférents à la gestion des déchets issus de ces panneaux mis sur le marché à partir du 13 août 2012, date de l’entrée en vigueur de cette directive, doit peser sur les producteurs desdits panneaux et non pas, comme le prévoit la législation tchèque, sur leurs utilisateurs.

En deuxième lieu, la Cour examine la validité de l’article 13, paragraphe 1, de la directive relative aux DEEE, pour autant que cette disposition s’applique aux panneaux photovoltaïques mis sur le marché après le 13 août 2005, soit à une date antérieure à celle de l’entrée en vigueur de cette directive.

À cet égard, la Cour rappelle tout d’abord que si le principe de sécurité juridique s’oppose à l’application d’une règle de droit nouvelle à une situation acquise antérieurement à son entrée en vigueur, il résulte également de sa jurisprudence qu’une règle de droit nouvelle s’applique immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la loi ancienne ainsi qu’aux situations juridiques nouvelles.

Ainsi, la Cour vérifie si l’application de la règle de droit énoncée à l’article 13, paragraphe 1, de la directive relative aux DEEE, selon laquelle les producteurs, et non pas les utilisateurs, sont tenus d’assurer le financement des coûts afférents à la gestion des déchets issus de panneaux photovoltaïques mis sur le marché après le 13 août 2005, lorsque ces panneaux sont devenus ou deviendront des déchets à partir de la date de l’entrée en vigueur de la directive, est de nature à porter atteinte à une situation acquise antérieurement à son entrée en vigueur ou si cette application tend, au contraire, à régir les effets futurs d’une situation née avant cette entrée en vigueur.

Or, comme la réglementation de l’Union qui préexistait à l’adoption de la directive relative aux DEEE laissait aux États membres le choix de faire supporter les coûts de la gestion des déchets provenant de panneaux photovoltaïques, soit par le détenteur actuel ou antérieur des déchets soit par le producteur ou le distributeur des panneaux, la directive relative aux DEEE a eu une incidence sur des situations acquises antérieurement à son entrée en vigueur dans les États membres qui avaient décidé d’imposer ces coûts aux utilisateurs des panneaux photovoltaïques et non pas aux producteurs de ceux-ci, tel que cela était le cas en République tchèque.

À ce titre, la Cour précise qu’une règle de droit nouvelle qui s’applique à des situations acquises antérieurement ne saurait être considérée comme étant conforme au principe de non-rétroactivité des actes juridiques lorsqu’elle modifie, a posteriori et de manière imprévisible, la répartition de coûts dont la survenance ne peut plus être évitée. Or, en l’occurrence, les producteurs des panneaux photovoltaïques n’étaient pas en mesure de prévoir, lors de la conception des panneaux, qu’ils seraient ultérieurement tenus d’assurer le financement des coûts afférents à la gestion des déchets issus de ces panneaux.

Au vu de ces considérations, la Cour déclare l’article 13, paragraphe 1, de la directive relative aux DEEE invalide pour autant que cette disposition impose aux producteurs le financement des coûts afférents à la gestion des déchets issus de panneaux photovoltaïques mis sur le marché entre le 13 août 2005 et le 13 août 2012.

En troisième lieu, la Cour affirme que l’insertion dans la loi sur les déchets d’une disposition prévoyant une obligation contributive à la charge des utilisateurs de panneaux photovoltaïques qui est contraire à la directive relative aux DEEE, plus d’un mois avant l’adoption de cette dernière, n’est pas constitutive, en tant que telle, d’une violation du droit de l’Union par la République tchèque, dès lors que la réalisation du résultat prescrit par la directive ne saurait être considérée comme sérieusement compromise avant que celle-ci ne fasse partie de l’ordre juridique de l’Union.

{1} Article 37p du zákon č. 185/2001 Sb., o odpadech a o změně některých dalších zákonů (loi nº 185/2001, sur les déchets et sur la modification de certaines autres lois).

{2} Directive 2012/19/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relative aux déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE) (JO 2012, L 197, p. 38), ci-après la « directive relative aux DEEE ».

Arrêt du 25 janvier 2022, VYSOČINA WIND (C-181/20) (cf. points 47-62, disp. 1)

117. Concurrence - Procédure administrative - Décision de la Commission constatant une infraction - Abus de position dominante - Mode de preuve - Capacité d'une pratique tarifaire de restreindre la concurrence et de produire des effets d'éviction - Projections internes d'un client - Admissibilité - Conditions

Par décision du 13 mai 2009{1}, la Commission européenne a infligé au producteur de microprocesseurs Intel une amende de 1,06 milliard d’euros pour avoir abusé de sa position dominante sur le marché mondial des processeurs{2} x86{3}, entre octobre 2002 et décembre 2007, en mettant en œuvre une stratégie destinée à exclure du marché ses concurrents.

Selon la Commission, cet abus était caractérisé par deux types de comportements commerciaux adoptés par Intel à l’égard de ses partenaires commerciaux, à savoir des restrictions non déguisées et des rabais conditionnels. En ce qui concerne plus particulièrement ces derniers, Intel aurait accordé des rabais à quatre équipementiers informatiques stratégiques [Dell, Lenovo, Hewlett-Packard (HP) et NEC], sous réserve qu’ils achètent auprès d’elle la totalité ou la quasi-totalité de leurs processeurs x86. De même, Intel aurait accordé des paiements à un distributeur européen d’appareils microélectroniques (Media-Saturn-Holding) à condition que ce dernier vende exclusivement des ordinateurs équipés de processeurs x86 d’Intel. Ces rabais et paiements (ci-après les « rabais litigieux ») auraient assuré la fidélité des quatre équipementiers et de Media-Saturn et ainsi sensiblement réduit la capacité des concurrents d’Intel à se livrer à une concurrence fondée sur les mérites de leurs processeurs x86. Le comportement anticoncurrentiel d’Intel aurait ainsi contribué à réduire le choix offert aux consommateurs ainsi que les incitations à l’innovation.

Le recours introduit par Intel contre cette décision a été rejeté dans son intégralité par le Tribunal par arrêt du 12 juin 2014{4}. Par arrêt du 6 septembre 2017, rendu sur pourvoi d’Intel, la Cour a annulé cet arrêt et renvoyé l’affaire devant le Tribunal{5}.

Au soutien de ses conclusions en annulation de l’arrêt initial, Intel reprochait, en particulier, au Tribunal une erreur de droit en raison de l’absence d’examen des rabais litigieux au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce. À cet égard, la Cour a constaté que le Tribunal s’était fondé, à l’instar de la Commission, sur la prémisse selon laquelle les rabais de fidélité accordés par une entreprise en position dominante auraient, par leur nature même, la capacité de restreindre la concurrence de sorte qu’il n’était pas nécessaire d’analyser l’ensemble des circonstances de l’espèce ni, en particulier, de mener un test AEC (connu en anglais sous le nom de « as efficient competitor test »){6}. Néanmoins, la Commission n’en a pas moins opéré, dans sa décision, un examen approfondi de ces circonstances, ce qui l’a conduite à conclure qu’un concurrent aussi efficace aurait dû pratiquer des prix qui n’auraient pas été viables et que, partant, la pratique des rabais litigieux était susceptible d’évincer un tel concurrent. La Cour en a conclu que le test AEC avait revêtu une importance réelle dans l’appréciation, par la Commission, de la capacité des pratiques en cause à produire un effet d’éviction des concurrents, de sorte que le Tribunal était tenu d’examiner l’ensemble des arguments d’Intel formulés au sujet de ce test et de sa mise en œuvre par la Commission. Le Tribunal s’étant abstenu de procéder à un tel examen, la Cour a annulé l’arrêt initial et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal pour qu’il puisse examiner, à la lumière des arguments avancés par Intel, la capacité des rabais litigieux de restreindre la concurrence.

Par son arrêt du 26 janvier 2022, le Tribunal, statuant sur renvoi, annule pour partie la décision attaquée en ce qu’elle qualifie les rabais litigieux d’abus, au sens de l’article 102 TFUE, et inflige une amende à Intel au titre de l’ensemble de ses agissements qualifiés d’abusifs.

Appréciation du Tribunal

Le Tribunal précise, à titre liminaire, l’étendue du litige après renvoi. À cet égard, il observe que l’annulation de l’arrêt initial n’était justifiée que par une seule erreur, tenant à l’absence de prise en considération, dans l’arrêt initial, de l’argumentation d’Intel visant à contester l’analyse AEC présentée par la Commission. Dans ces circonstances, le Tribunal estime pouvoir reprendre à son compte, aux fins de son examen, l’ensemble des considérations non viciées par l’erreur ainsi retenue par la Cour. Il s’agit, en l’occurrence, d’une part, des constatations de l’arrêt initial concernant les restrictions non déguisées et leur caractère illégal au regard de l’article 102 TFUE. En effet, selon le Tribunal, la Cour n’a pas invalidé, dans son principe même, la distinction établie dans la décision attaquée entre les pratiques constitutives de telles restrictions et les autres agissements d’Intel seuls visés par l’analyse AEC en question. D’autre part, le Tribunal a repris à son compte les considérations figurant dans l’arrêt initial selon lesquelles la Commission, dans la décision attaquée, a établi l’existence des rabais litigieux.

Cela ayant été précisé, le Tribunal entame, en premier lieu, l’examen des conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée par une présentation de la méthode définie par la Cour pour apprécier la capacité d’un système de rabais de restreindre la concurrence. À ce titre, il rappelle que, si un système de rabais d’exclusivité instauré par une entreprise en position dominante sur le marché peut être qualifié de restriction de concurrence, dès lors que, compte tenu de sa nature, ses effets restrictifs sur la concurrence peuvent être présumés, il ne s’agit, en l’occurrence, que d’une présomption simple qui ne saurait dispenser la Commission en toute hypothèse d’en examiner les effets anticoncurrentiels. Ainsi, dans l’hypothèse où une entreprise en position dominante soutient, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction qui lui sont reprochés, la Commission doit analyser la capacité d’éviction du système de rabais. Dans le cadre d’une telle analyse, il appartient à cette dernière non seulement d’analyser, d’une part, l’importance de la position dominante de l’entreprise sur le marché pertinent et, d’autre part, le taux de couverture du marché par la pratique contestée, ainsi que les conditions et les modalités d’octroi des rabais en cause, leur durée et leur montant, mais également d’apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces. En outre, lorsqu’un test AEC a été effectué par la Commission, il fait partie des éléments dont elle doit tenir compte pour apprécier la capacité du système de rabais de restreindre la concurrence.

En deuxième lieu, le Tribunal vérifie, tout d’abord, si l’appréciation par la Commission de la capacité des rabais litigieux de restreindre la concurrence se fonde sur la méthode ainsi définie. À cet égard, il relève d’emblée que la Commission a commis une erreur de droit, dans la décision attaquée, en considérant que le test AEC, qu’elle a néanmoins réalisé, n’était pas nécessaire pour lui permettre d’établir le caractère abusif des rabais litigieux d’Intel. Cela étant, le Tribunal estime ne pas pouvoir s’en tenir à ce constat. Dès lors que l’arrêt sur pourvoi indique que le test AEC a revêtu une importance réelle dans l’appréciation par la Commission de la capacité de la pratique de rabais en cause de produire un effet d’éviction, le Tribunal était tenu d’examiner les arguments avancés par Intel au sujet dudit test.

En troisième lieu, étant donné que l’analyse de la capacité des rabais litigieux de restreindre la concurrence s’inscrit dans le cadre de la démonstration de l’existence d’une infraction au droit de la concurrence, en l’occurrence d’un abus de position dominante, le Tribunal rappelle les règles relatives à la répartition de la charge de la preuve ainsi qu’au niveau de preuve requis. Ainsi, le principe de la présomption d’innocence, applicable en la matière également, impose à la Commission d’établir l’existence d’une telle infraction, au besoin par un faisceau d’indices précis et concordants, de manière à ne laisser subsister aucun doute à cet égard. Lorsque cette dernière soutient que des faits établis ne peuvent s’expliquer que par un comportement anticoncurrentiel, l’existence de l’infraction en cause doit être considérée comme insuffisamment démontrée si les entreprises concernées parviennent à avancer une autre explication plausible des faits. En revanche, lorsque la Commission se fonde sur des éléments de preuve, en principe, propres à démontrer l’existence de l’infraction, c’est aux entreprises concernées qu’il appartient de démontrer l’insuffisance de leur valeur probante.

En quatrième lieu, c’est à la lumière de ces règles que le Tribunal examine les arguments concernant les erreurs prétendument commises par la Commission dans son analyse AEC. À cet égard, il juge que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit la capacité de chacun des rabais litigieux de produire un effet d’éviction, au vu des arguments avancés par Intel quant à l’évaluation par la Commission des critères d’analyse pertinents.

En effet, premièrement, en ce qui concerne l’application du test AEC à Dell, le Tribunal estime que, dans les circonstances du cas d’espèce, la Commission pouvait, certes, valablement s’appuyer, aux fins de l’évaluation de la « part disputable »{7}, sur des données connues d’opérateurs économiques autres que l’entreprise dominante. Cependant, après avoir examiné les éléments avancés par Intel à cet égard, le Tribunal conclut que ces derniers sont à même de faire naître un doute dans l’esprit du juge sur le résultat de cette évaluation, jugeant, par conséquent insuffisants les éléments retenus par la Commission pour conclure à la capacité des rabais accordés à Dell de produire un effet d’éviction durant toute la période pertinente. Deuxièmement, il en va de même, selon le Tribunal, pour l’analyse du rabais accordé à HP, l’effet d’éviction retenu n’ayant notamment pas été démontré pour l’intégralité de la période infractionnelle. Troisièmement, en ce qui concerne les rabais accordés, sous différentes conditions, à des sociétés intégrées du groupe NEC, le Tribunal constate deux erreurs viciant l’analyse de la Commission, l’une affectant la valeur des rabais conditionnels, l’autre tenant à l’extrapolation insuffisamment justifiée de résultats valant pour un seul trimestre à l’ensemble de la période infractionnelle. Quatrièmement, le Tribunal conclut également à une insuffisance de preuve, s’agissant de la capacité des rabais accordés à Lenovo de produire un effet d’éviction, en raison d’erreurs commises par la Commission dans l’appréciation chiffrée des avantages en nature en cause. Cinquièmement, le Tribunal conclut dans le même sens quant à l’analyse AEC concernant Media-Saturn, estimant, notamment, que la Commission ne s’était nullement expliquée au sujet des raisons l’ayant conduite à extrapoler, dans l’analyse des paiements octroyés à ce distributeur, les résultats obtenus, aux fins de l’analyse des rabais accordés à NEC, pour une période d’un trimestre pour toutel

a période infractionnelle.

En cinquième et dernier lieu, le Tribunal vérifie si la décision attaquée a dûment tenu compte de tous les critères permettant d’établir la capacité de pratiques tarifaires de produire un effet d’éviction, en vertu de la jurisprudence de la Cour. Or, à cet égard, il constate que la Commission n’a pas dûment examiné le critère relatif au taux de couverture du marché par la pratique contestée et n’a pas davantage procédé à une analyse correcte de la durée des rabais.

Il ressort, en conséquence, de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’analyse réalisée par la Commission est incomplète et, en tout état de cause, ne permet pas d’établir à suffisance de droit, que les rabais litigieux étaient capables ou susceptibles d’avoir des effets anticoncurrentiels, ce pour quoi le Tribunal annule la décision, en ce qu’elle considère ces pratiques comme constitutives d’un abus au sens de l’article 102 TFUE.

Enfin, en ce qui concerne l’incidence d’une telle annulation partielle de la décision attaquée sur le montant de l’amende infligée par la Commission à Intel, le Tribunal estime ne pas être en mesure d’identifier le montant de l’amende afférent uniquement aux restrictions non déguisées. En conséquence, il annule dans son intégralité l’article de la décision attaquée infligeant à Intel une amende d’un montant de 1,06 milliard d’euros au titre de l’infraction constatée.

{1} Décision C(2009) 3726 final de la Commission, du 13 mai 2009, relative à une procédure d’application de l’article [102 TFUE] et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire COMP/C-3/37.990 - Intel).

{2} Le processeur est un composant essentiel de tout ordinateur, tant pour les performances générales du système que pour le coût global de l’appareil.

{3} Les microprocesseurs utilisés dans les ordinateurs peuvent être regroupés en deux catégories, à savoir les processeurs x86 et les processeurs fondés sur une autre architecture. L’architecture x86 est une norme conçue par Intel qui permet le fonctionnement des systèmes d’exploitation Windows et Linux.

{4} Arrêt du 12 juin 2014, Intel/Commission (T-286/09, EU:T:2014:547, ci-après l’« arrêt initial »).

{5} Arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C-413/14 P, EU:C:2017:632, ci-après l’« arrêt sur pourvoi »).

{6} L’analyse économique ainsi réalisée portait, en l’occurrence, sur la capacité des rabais litigieux d’évincer un concurrent qui serait aussi efficace qu’Intel sans occuper pour autant une position dominante. Concrètement, l’analyse visait à établir le prix auquel un concurrent aussi efficace qu’Intel et subissant les mêmes coûts que cette dernière aurait dû proposer ses processeurs afin d’indemniser un équipementier informatique ou un distributeur d’appareils microélectroniques pour la perte des rabais en cause, afin de déterminer si, dans un tel cas, ce concurrent peut toujours couvrir ses coûts.

{7} Cette expression désigne, en l’occurrence, la part du marché que les clients d’Intel étaient disposés et en mesure de reporter leur approvisionnement sur un autre fournisseur, nécessairement limitée compte tenu, notamment, de la nature du produit ainsi que de l’image de marque et du profil d’Intel.

Arrêt du 26 janvier 2022, Intel Corporation / Commission (T-286/09 RENV) (cf. points 189-193)

118. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Portée - Critères d'appréciation et de gestion du risque d'une substance active figés à la situation existant à la date de la demande d'approbation - Exclusion



Arrêt du 9 février 2022, AMVAC Netherlands / Commission (T-317/19) (cf. points 84-87)

119. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Réglementation de l'Union - Exigence de clarté et de prévisibilité - Règlement 2020/2092 relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l'Union - Règlement instituant un mécanisme de conditionnalité lié au respect, par les États membres, de l'État de droit - Notion d'État de droit - Renvoi à la valeur de l'Union consacrée à l'article 2 TUE - Principes de l'État de droit trouvant leur source dans les valeurs communes aux États membres - Précision suffisante desdits principes

Le règlement 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020{1}, a établi un « mécanisme de conditionnalité horizontale » visant à protéger le budget de l’Union européenne en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre. À cette fin, ce règlement permet au Conseil de l'Union européenne, sur proposition de la Commission européenne, d’adopter, dans les conditions qu’il définit, des mesures de protection appropriées telles que la suspension des paiements à la charge du budget de l’Union ou la suspension de l’approbation d’un ou de plusieurs programmes à la charge de ce budget. Le règlement attaqué subordonne l’adoption de telles mesures à la production d’éléments concrets propres à établir non seulement l’existence d’une violation des principes de l’État de droit, mais également l’incidence de cette dernière sur l’exécution du budget de l’Union.

Le règlement attaqué s’inscrit dans le prolongement d’une série d’initiatives portant, plus généralement, sur la protection de l’État de droit dans les États membres{2} et qui visaient à apporter des réponses, au niveau de l’Union, aux préoccupations croissantes relatives au respect par plusieurs États membres des valeurs communes de l’Union telles qu’énoncées à l’article 2 TUE{3}.

La Hongrie, soutenue par la République de Pologne{4}, a introduit un recours tendant, à titre principal, à l’annulation du règlement attaqué, et, à titre subsidiaire, à l’annulation de certaines de ses dispositions. Au soutien de ses conclusions, elle faisait valoir, pour l’essentiel, que ce règlement, bien que formellement présenté comme un acte relevant des règles financières visées à l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, viserait, en réalité, à sanctionner, en tant que telle, toute atteinte par un État membre aux principes de l’État de droit, dont les exigences seraient, en tout état de cause, insuffisamment précises. La Hongrie fonde donc son recours, notamment, sur l’incompétence de l’Union pour adopter un tel règlement, tant en raison d’un défaut de base juridique, qu’en raison du contournement de la procédure prévue à l’article 7 TUE, ainsi que sur la méconnaissance des exigences du principe de sécurité juridique.

Ainsi appelée à se prononcer sur les compétences de l’Union pour défendre son budget et ses intérêts financiers contre des atteintes pouvant découler de violations de valeurs énoncées à l’article 2 TUE, la Cour a estimé que cette affaire présente une importance fondamentale justifiant son attribution à l’assemblée plénière. Pour ces mêmes raisons, il a été fait droit à la demande du Parlement européen de traiter cette affaire selon la procédure accélérée. Dans ces conditions, la Cour rejette dans son intégralité le recours en annulation introduit par la Hongrie.

Appréciation de la Cour

Préalablement à l’examen au fond du recours, la Cour se prononce sur la demande du Conseil de ne pas prendre en compte différents passages de la requête de la Hongrie, en ce qu’ils se fondent sur des éléments tirés d’un avis confidentiel du service juridique du Conseil ainsi divulgué sans l’autorisation requise. À cet égard, la Cour confirme qu’il est, en principe, loisible à l’institution concernée de subordonner la production en justice d’un tel document interne à une autorisation préalable. Pour autant, dans l’hypothèse où l’avis juridique en cause se rapporte à une procédure législative, comme en l’espèce, il convient de tenir compte du principe de transparence, dès lors que la divulgation d’un tel avis est de nature à accroître la transparence et l’ouverture du processus législatif. Ainsi, l’intérêt public supérieur attaché à la transparence et à l’ouverture du processus législatif prévaut, en principe, sur l’intérêt des institutions, en ce qui concerne la divulgation d’un avis juridique interne. En l’occurrence, étant donné que le Conseil n’a pas justifié du caractère particulièrement sensible de l’avis concerné ou d’une portée particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif en cause, la Cour rejette, en conséquence, la demande du Conseil.

Quant au fond, la Cour procède, en premier lieu, à l’examen des moyens invoqués à l’appui des conclusions principales tendant à l’annulation totale du règlement attaqué, tirés, d’une part, de l’incompétence de l’Union pour adopter ce règlement et, d’autre part, de la violation du principe de sécurité juridique.

En ce qui concerne, d’une part, la base juridique du règlement attaqué, la Cour relève que la procédure prévue par ce règlement ne peut être engagée que dans le cas où il existe des motifs raisonnables de considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit ont lieu dans un État membre, mais surtout que ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment directe, à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers. En outre, les mesures pouvant être adoptées au titre du règlement attaqué se rapportent exclusivement à l’exécution du budget de l’Union et sont toutes de nature à limiter les financements issus de ce budget en fonction de l’incidence sur celui-ci d’une telle atteinte ou d’un tel risque sérieux. Dès lors, le règlement attaqué vise à protéger le budget de l’Union contre des atteintes découlant de manière suffisamment directe de violations des principes de l’État de droit, et non pas à sanctionner, en soi, de telles violations.

En réponse à l’argumentation de la Hongrie, selon laquelle une règle financière ne saurait avoir pour objet de préciser l’étendue des exigences inhérentes aux valeurs visées à l’article 2 TUE, la Cour rappelle que le respect par les États membres des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, qui ont été identifiées et sont partagées par ceux-ci et qui définissent l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun à ces États, dont l’État de droit et la solidarité, justifie la confiance mutuelle entre ces États. Ce respect constituant ainsi une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à l’État membre concerné, l’Union doit être en mesure, dans les limites de ses attributions, de défendre ces valeurs.

La Cour précise sur ce point, d’une part, que le respect de ces valeurs ne saurait être réduit à une obligation à laquelle un État candidat est tenu en vue d’adhérer à l’Union et dont il pourrait s’affranchir après son adhésion. D’autre part, elle souligne que le budget de l’Union est l’un des principaux instruments permettant de concrétiser, dans les politiques et actions de l’Union, le principe fondamental de solidarité entre États membres et que la mise en œuvre de ce principe, au moyen de ce budget, repose sur la confiance mutuelle que ces derniers ont dans l’utilisation responsable des ressources communes inscrites audit budget.

Or, la bonne gestion financière du budget de l’Union et les intérêts financiers de l’Union peuvent être gravement compromis par des violations des principes de l’État de droit commises dans un État membre. En effet, ces violations peuvent avoir pour conséquence, notamment, l’absence de garantie que des dépenses couvertes par le budget de l’Union satisfont à l’ensemble des conditions de financement prévues par le droit de l’Union et, partant, répondent aux objectifs poursuivis par l’Union lorsqu’elle finance de telles dépenses.

Partant, un « mécanisme de conditionnalité horizontale », tel que celui institué par le règlement attaqué, qui subordonne le bénéfice de financements issus du budget de l’Union au respect par un État membre des principes de l’État de droit, peut relever de la compétence conférée par les traités à l’Union d’établir des « règles financières » relatives à l’exécution du budget de l’Union. La Cour précise que font partie intégrante d’un tel mécanisme, en tant qu’éléments constitutifs de celui-ci, les dispositions du règlement attaqué qui identifient ces principes, qui fournissent une énumération de cas qui peuvent être indicatifs de la violation desdits principes, qui précisent les situations ou comportements qui doivent être concernés par de telles violations et qui définissent la nature et l’étendue des mesures de protection pouvant, le cas échéant, être adoptées.

Ensuite, en ce qui concerne le grief tiré d’un prétendu contournement de la procédure prévue à l’article 7 TUE ainsi que des dispositions de l’article 269 TFUE, la Cour écarte l’argumentation de la Hongrie selon laquelle seule la procédure prévue à l’article 7 TUE confère aux institutions de l’Union la compétence pour examiner, constater et, le cas échéant, sanctionner les violations des valeurs que contient l’article 2 TUE dans un État membre. En effet, outre la procédure prévue à l’article 7 TUE, de nombreuses dispositions des traités, fréquemment concrétisées par divers actes de droit dérivé, confèrent aux institutions de l’Union la compétence d’examiner, de constater et, le cas échéant, de faire sanctionner des violations des valeurs que contient l’article 2 TUE commises dans un État membre.

Par ailleurs, la Cour observe que la procédure prévue à l’article 7 TUE a pour finalité de permettre au Conseil de sanctionner des violations graves et persistantes de chacune des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée et qui définissent son identité, en vue, notamment, d’enjoindre à l’État membre concerné de mettre un terme à ces violations. En revanche, le règlement attaqué vise à protéger le budget de l’Union, et cela uniquement en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre qui porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte à la bonne exécution de ce budget. En outre, la procédure prévue à l’article 7 TUE et celle instituée par le règlement attaqué se distinguent à l’égard de leur objet, des conditions de leur engagement, des conditions pour l’adoption et pour la levée des mesures prévues ainsi que de la nature de ces dernières. Par conséquent, ces deux procédures poursuivent des buts différents et ont chacune un objet nettement distinct. Il s’ensuit, par ailleurs, que la procédure instituée par le règlement attaqué ne saurait pas davantage être considérée comme visant à contourner la limitation de la compétence générale de la Cour, prévue par l’article 269 TFUE, dès lors que son libellé ne vise que le contrôle de légalité d’un acte adopté par le Conseil européen ou par le Conseil en vertu de l’article 7 TUE.

Enfin, étant donné que le règlement attaqué ne permet à la Commission et au Conseil d’examiner que des situations ou des comportements qui sont imputables aux autorités d’un État membre et qui apparaissent pertinents pour la bonne exécution du budget de l’Union, les pouvoirs conférés à ces institutions par ce règlement n’excèdent pas les limites des compétences attribuées à l’Union.

D’autre part, dans le cadre de l’examen du moyen tiré de la violation du principe de sécurité juridique, la Cour juge dépourvue de tout fondement l’argumentation développée par la Hongrie, au sujet du manque de précision dont serait entaché le règlement attaqué, tant en ce qui concerne les critères relatifs aux conditions d’engagement de la procédure qu’en ce qui concerne le choix et la portée des mesures à adopter. À cet égard, la Cour observe d’emblée que les principes figurant dans le règlement attaqué, en tant qu’éléments constitutifs de la notion d’« État de droit »{5}, ont amplement été développés dans sa jurisprudence, que ces principes trouvent leur source dans des valeurs communes reconnues et appliquées également par les États membres dans leurs propres ordres juridiques et qu’ils découlent d’une notion d’« État de droit » que les États membres partagent et à laquelle ils adhèrent, en tant que valeur commune à leurs traditions constitutionnelles. Par conséquent, la Cour considère que les États membres sont à même de déterminer avec suffisamment de précision le contenu essentiel ainsi que les exigences découlant de chacun de ces principes.

S’agissant, plus particulièrement, des critères relatifs aux conditions d’engagement de la procédure et du choix et de la portée des mesures à adopter, la Cour précise que le règlement attaqué requiert, pour l’adoption des mesures de protection qu’il prévoit, qu’un lien réel soit établi entre une violation d’un principe de l’État de droit et une atteinte ou un risque sérieux d’atteinte à la bonne gestion financière de l’Union ou à ses intérêts financiers et qu’une telle violation doit concerner une situation ou un comportement imputable à une autorité d’un État membre et pertinent pour la bonne exécution du budget de l’Union. En outre, elle observe que la notion de « risque sérieux » est précisée dans la réglementation financière de l’Union et rappelle que les mesures de protection pouvant être adoptées doivent être strictement proportionnées à l’incidence de la violation constatée sur le budget de l’Union. En particulier, selon la Cour, ce n’est que dans la stricte mesure du nécessaire pour atteindre l’objectif de protéger ce budget dans son ensemble que ces mesures peuvent viser des actions et programmes autres que ceux affectés par une telle violation. Enfin, constatant que la Commission doit respecter, sous le contrôle du juge de l’Union, des exigences procédurales strictes qui impliquent notamment plusieurs consultations de l’État membre concerné, la Cour conclut que le règlement attaqué satisfait aux exigences du principe de sécurité juridique.

La Cour examine, en second lieu, les conclusions subsidiaires tendant à l’annulation partielle du règlement attaqué. À cet égard, la Cour décide, d’une part, que l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué aurait pour effet de modifier la substance de ce règlement, dès lors que cette disposition précise les conditions exigées pour permettre l’adoption des mesures de protection prévues par ce règlement, de sorte que les conclusions tendant à l’annulation de cette seule disposition doivent être considérées comme irrecevables. D’autre part, la Cour juge non fondés les griefs visant une série d’autres dispositions du règlement attaqué, tirés d’un défaut de base juridique ainsi que de violations tant des dispositions du droit de l’Union relatives aux déficits publics que des principes de sécurité juridique, de proportionnalité et d’égalité des États membres devant les traités. Elle rejette dès lors les conclusions subsidiaires dans leur intégralité, de même que l’ensemble du recours formé par la Hongrie.

{1} Règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020, relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union (JO 2020, L 433I, p. 1, et rectificatif JO 2021, L 373, p. 94, ci-après le « règlement attaqué »).

{2} Voir, en particulier, communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 17 juillet 2019, « Renforcement de l’état de droit au sein de l’Union - Plan d’action », COM (2019) 343 final, consécutive à la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 11 mars 2014, « Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’état de droit », COM (2014) 158 final.

{3} Les valeurs fondatrices de l’Union et communes aux États membres, énoncées à l’article 2 TUE, comprennent celles de respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.

{4} La République de Pologne a, elle aussi, introduit un recours tendant à l’annulation du règlement 2020/2092 (affaire C-157/21).

{5} Aux termes de l’article 2, sous a), du règlement attaqué, la notion d’« État de droit » recouvre « le principe de légalité, qui suppose l’existence d’un processus législatif transparent, responsable, démocratique et pluraliste, ainsi que les principes de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective, y compris l’accès à la justice, assurée par des juridictions indépendantes et impartiales, également en ce qui concerne les droits fondamentaux, de séparation des pouvoirs, de non-discrimination et d’égalité devant la loi. ».

Arrêt du 16 février 2022, Hongrie / Parlement et Conseil (C-156/21) (cf. points 223-229, 231-237, 240)

120. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Portée - Règlement 2020/2092 relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l'Union - Règlement instituant un mécanisme de conditionnalité lié au respect, par les États membres, de l'État de droit - Lien entre les dispositions de ce règlement instituant ce mécanisme suffisamment précis - Recours à des notions définies dans d'autres dispositions de la norme attaquée ou du droit de l'Union - Octroi d'une marge d'appréciation à la Commission et au Conseil quant au choix de l'action visée par la mesure de protection du budget à adopter - Admissibilité

Le règlement 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020{1}, a établi un « mécanisme de conditionnalité horizontale » visant à protéger le budget de l’Union européenne en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre. À cette fin, ce règlement permet au Conseil de l'Union européenne, sur proposition de la Commission européenne, d’adopter, dans les conditions qu’il définit, des mesures de protection appropriées telles que la suspension des paiements à la charge du budget de l’Union ou la suspension de l’approbation d’un ou de plusieurs programmes à la charge de ce budget. Le règlement attaqué subordonne l’adoption de telles mesures à la production d’éléments concrets propres à établir non seulement l’existence d’une violation des principes de l’État de droit, mais également l’incidence de cette dernière sur l’exécution du budget de l’Union.

Le règlement attaqué s’inscrit dans le prolongement d’une série d’initiatives portant, plus généralement, sur la protection de l’État de droit dans les États membres{2} et qui visaient à apporter des réponses, au niveau de l’Union, aux préoccupations croissantes relatives au respect par plusieurs États membres des valeurs communes de l’Union telles qu’énoncées à l’article 2 TUE{3}.

La Hongrie, soutenue par la République de Pologne{4}, a introduit un recours tendant, à titre principal, à l’annulation du règlement attaqué, et, à titre subsidiaire, à l’annulation de certaines de ses dispositions. Au soutien de ses conclusions, elle faisait valoir, pour l’essentiel, que ce règlement, bien que formellement présenté comme un acte relevant des règles financières visées à l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, viserait, en réalité, à sanctionner, en tant que telle, toute atteinte par un État membre aux principes de l’État de droit, dont les exigences seraient, en tout état de cause, insuffisamment précises. La Hongrie fonde donc son recours, notamment, sur l’incompétence de l’Union pour adopter un tel règlement, tant en raison d’un défaut de base juridique, qu’en raison du contournement de la procédure prévue à l’article 7 TUE, ainsi que sur la méconnaissance des exigences du principe de sécurité juridique.

Ainsi appelée à se prononcer sur les compétences de l’Union pour défendre son budget et ses intérêts financiers contre des atteintes pouvant découler de violations de valeurs énoncées à l’article 2 TUE, la Cour a estimé que cette affaire présente une importance fondamentale justifiant son attribution à l’assemblée plénière. Pour ces mêmes raisons, il a été fait droit à la demande du Parlement européen de traiter cette affaire selon la procédure accélérée. Dans ces conditions, la Cour rejette dans son intégralité le recours en annulation introduit par la Hongrie.

Appréciation de la Cour

Préalablement à l’examen au fond du recours, la Cour se prononce sur la demande du Conseil de ne pas prendre en compte différents passages de la requête de la Hongrie, en ce qu’ils se fondent sur des éléments tirés d’un avis confidentiel du service juridique du Conseil ainsi divulgué sans l’autorisation requise. À cet égard, la Cour confirme qu’il est, en principe, loisible à l’institution concernée de subordonner la production en justice d’un tel document interne à une autorisation préalable. Pour autant, dans l’hypothèse où l’avis juridique en cause se rapporte à une procédure législative, comme en l’espèce, il convient de tenir compte du principe de transparence, dès lors que la divulgation d’un tel avis est de nature à accroître la transparence et l’ouverture du processus législatif. Ainsi, l’intérêt public supérieur attaché à la transparence et à l’ouverture du processus législatif prévaut, en principe, sur l’intérêt des institutions, en ce qui concerne la divulgation d’un avis juridique interne. En l’occurrence, étant donné que le Conseil n’a pas justifié du caractère particulièrement sensible de l’avis concerné ou d’une portée particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif en cause, la Cour rejette, en conséquence, la demande du Conseil.

Quant au fond, la Cour procède, en premier lieu, à l’examen des moyens invoqués à l’appui des conclusions principales tendant à l’annulation totale du règlement attaqué, tirés, d’une part, de l’incompétence de l’Union pour adopter ce règlement et, d’autre part, de la violation du principe de sécurité juridique.

En ce qui concerne, d’une part, la base juridique du règlement attaqué, la Cour relève que la procédure prévue par ce règlement ne peut être engagée que dans le cas où il existe des motifs raisonnables de considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit ont lieu dans un État membre, mais surtout que ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment directe, à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers. En outre, les mesures pouvant être adoptées au titre du règlement attaqué se rapportent exclusivement à l’exécution du budget de l’Union et sont toutes de nature à limiter les financements issus de ce budget en fonction de l’incidence sur celui-ci d’une telle atteinte ou d’un tel risque sérieux. Dès lors, le règlement attaqué vise à protéger le budget de l’Union contre des atteintes découlant de manière suffisamment directe de violations des principes de l’État de droit, et non pas à sanctionner, en soi, de telles violations.

En réponse à l’argumentation de la Hongrie, selon laquelle une règle financière ne saurait avoir pour objet de préciser l’étendue des exigences inhérentes aux valeurs visées à l’article 2 TUE, la Cour rappelle que le respect par les États membres des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, qui ont été identifiées et sont partagées par ceux-ci et qui définissent l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun à ces États, dont l’État de droit et la solidarité, justifie la confiance mutuelle entre ces États. Ce respect constituant ainsi une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à l’État membre concerné, l’Union doit être en mesure, dans les limites de ses attributions, de défendre ces valeurs.

La Cour précise sur ce point, d’une part, que le respect de ces valeurs ne saurait être réduit à une obligation à laquelle un État candidat est tenu en vue d’adhérer à l’Union et dont il pourrait s’affranchir après son adhésion. D’autre part, elle souligne que le budget de l’Union est l’un des principaux instruments permettant de concrétiser, dans les politiques et actions de l’Union, le principe fondamental de solidarité entre États membres et que la mise en œuvre de ce principe, au moyen de ce budget, repose sur la confiance mutuelle que ces derniers ont dans l’utilisation responsable des ressources communes inscrites audit budget.

Or, la bonne gestion financière du budget de l’Union et les intérêts financiers de l’Union peuvent être gravement compromis par des violations des principes de l’État de droit commises dans un État membre. En effet, ces violations peuvent avoir pour conséquence, notamment, l’absence de garantie que des dépenses couvertes par le budget de l’Union satisfont à l’ensemble des conditions de financement prévues par le droit de l’Union et, partant, répondent aux objectifs poursuivis par l’Union lorsqu’elle finance de telles dépenses.

Partant, un « mécanisme de conditionnalité horizontale », tel que celui institué par le règlement attaqué, qui subordonne le bénéfice de financements issus du budget de l’Union au respect par un État membre des principes de l’État de droit, peut relever de la compétence conférée par les traités à l’Union d’établir des « règles financières » relatives à l’exécution du budget de l’Union. La Cour précise que font partie intégrante d’un tel mécanisme, en tant qu’éléments constitutifs de celui-ci, les dispositions du règlement attaqué qui identifient ces principes, qui fournissent une énumération de cas qui peuvent être indicatifs de la violation desdits principes, qui précisent les situations ou comportements qui doivent être concernés par de telles violations et qui définissent la nature et l’étendue des mesures de protection pouvant, le cas échéant, être adoptées.

Ensuite, en ce qui concerne le grief tiré d’un prétendu contournement de la procédure prévue à l’article 7 TUE ainsi que des dispositions de l’article 269 TFUE, la Cour écarte l’argumentation de la Hongrie selon laquelle seule la procédure prévue à l’article 7 TUE confère aux institutions de l’Union la compétence pour examiner, constater et, le cas échéant, sanctionner les violations des valeurs que contient l’article 2 TUE dans un État membre. En effet, outre la procédure prévue à l’article 7 TUE, de nombreuses dispositions des traités, fréquemment concrétisées par divers actes de droit dérivé, confèrent aux institutions de l’Union la compétence d’examiner, de constater et, le cas échéant, de faire sanctionner des violations des valeurs que contient l’article 2 TUE commises dans un État membre.

Par ailleurs, la Cour observe que la procédure prévue à l’article 7 TUE a pour finalité de permettre au Conseil de sanctionner des violations graves et persistantes de chacune des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée et qui définissent son identité, en vue, notamment, d’enjoindre à l’État membre concerné de mettre un terme à ces violations. En revanche, le règlement attaqué vise à protéger le budget de l’Union, et cela uniquement en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre qui porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte à la bonne exécution de ce budget. En outre, la procédure prévue à l’article 7 TUE et celle instituée par le règlement attaqué se distinguent à l’égard de leur objet, des conditions de leur engagement, des conditions pour l’adoption et pour la levée des mesures prévues ainsi que de la nature de ces dernières. Par conséquent, ces deux procédures poursuivent des buts différents et ont chacune un objet nettement distinct. Il s’ensuit, par ailleurs, que la procédure instituée par le règlement attaqué ne saurait pas davantage être considérée comme visant à contourner la limitation de la compétence générale de la Cour, prévue par l’article 269 TFUE, dès lors que son libellé ne vise que le contrôle de légalité d’un acte adopté par le Conseil européen ou par le Conseil en vertu de l’article 7 TUE.

Enfin, étant donné que le règlement attaqué ne permet à la Commission et au Conseil d’examiner que des situations ou des comportements qui sont imputables aux autorités d’un État membre et qui apparaissent pertinents pour la bonne exécution du budget de l’Union, les pouvoirs conférés à ces institutions par ce règlement n’excèdent pas les limites des compétences attribuées à l’Union.

D’autre part, dans le cadre de l’examen du moyen tiré de la violation du principe de sécurité juridique, la Cour juge dépourvue de tout fondement l’argumentation développée par la Hongrie, au sujet du manque de précision dont serait entaché le règlement attaqué, tant en ce qui concerne les critères relatifs aux conditions d’engagement de la procédure qu’en ce qui concerne le choix et la portée des mesures à adopter. À cet égard, la Cour observe d’emblée que les principes figurant dans le règlement attaqué, en tant qu’éléments constitutifs de la notion d’« État de droit »{5}, ont amplement été développés dans sa jurisprudence, que ces principes trouvent leur source dans des valeurs communes reconnues et appliquées également par les États membres dans leurs propres ordres juridiques et qu’ils découlent d’une notion d’« État de droit » que les États membres partagent et à laquelle ils adhèrent, en tant que valeur commune à leurs traditions constitutionnelles. Par conséquent, la Cour considère que les États membres sont à même de déterminer avec suffisamment de précision le contenu essentiel ainsi que les exigences découlant de chacun de ces principes.

S’agissant, plus particulièrement, des critères relatifs aux conditions d’engagement de la procédure et du choix et de la portée des mesures à adopter, la Cour précise que le règlement attaqué requiert, pour l’adoption des mesures de protection qu’il prévoit, qu’un lien réel soit établi entre une violation d’un principe de l’État de droit et une atteinte ou un risque sérieux d’atteinte à la bonne gestion financière de l’Union ou à ses intérêts financiers et qu’une telle violation doit concerner une situation ou un comportement imputable à une autorité d’un État membre et pertinent pour la bonne exécution du budget de l’Union. En outre, elle observe que la notion de « risque sérieux » est précisée dans la réglementation financière de l’Union et rappelle que les mesures de protection pouvant être adoptées doivent être strictement proportionnées à l’incidence de la violation constatée sur le budget de l’Union. En particulier, selon la Cour, ce n’est que dans la stricte mesure du nécessaire pour atteindre l’objectif de protéger ce budget dans son ensemble que ces mesures peuvent viser des actions et programmes autres que ceux affectés par une telle violation. Enfin, constatant que la Commission doit respecter, sous le contrôle du juge de l’Union, des exigences procédurales strictes qui impliquent notamment plusieurs consultations de l’État membre concerné, la Cour conclut que le règlement attaqué satisfait aux exigences du principe de sécurité juridique.

La Cour examine, en second lieu, les conclusions subsidiaires tendant à l’annulation partielle du règlement attaqué. À cet égard, la Cour décide, d’une part, que l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué aurait pour effet de modifier la substance de ce règlement, dès lors que cette disposition précise les conditions exigées pour permettre l’adoption des mesures de protection prévues par ce règlement, de sorte que les conclusions tendant à l’annulation de cette seule disposition doivent être considérées comme irrecevables. D’autre part, la Cour juge non fondés les griefs visant une série d’autres dispositions du règlement attaqué, tirés d’un défaut de base juridique ainsi que de violations tant des dispositions du droit de l’Union relatives aux déficits publics que des principes de sécurité juridique, de proportionnalité et d’égalité des États membres devant les traités. Elle rejette dès lors les conclusions subsidiaires dans leur intégralité, de même que l’ensemble du recours formé par la Hongrie.

{1} Règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020, relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union (JO 2020, L 433I, p. 1, et rectificatif JO 2021, L 373, p. 94, ci-après le « règlement attaqué »).

{2} Voir, en particulier, communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 17 juillet 2019, « Renforcement de l’état de droit au sein de l’Union - Plan d’action », COM (2019) 343 final, consécutive à la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 11 mars 2014, « Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’état de droit », COM (2014) 158 final.

{3} Les valeurs fondatrices de l’Union et communes aux États membres, énoncées à l’article 2 TUE, comprennent celles de respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.

{4} La République de Pologne a, elle aussi, introduit un recours tendant à l’annulation du règlement 2020/2092 (affaire C-157/21).

{5} Aux termes de l’article 2, sous a), du règlement attaqué, la notion d’« État de droit » recouvre « le principe de légalité, qui suppose l’existence d’un processus législatif transparent, responsable, démocratique et pluraliste, ainsi que les principes de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective, y compris l’accès à la justice, assurée par des juridictions indépendantes et impartiales, également en ce qui concerne les droits fondamentaux, de séparation des pouvoirs, de non-discrimination et d’égalité devant la loi. ».

Arrêt du 16 février 2022, Hongrie / Parlement et Conseil (C-156/21) (cf. points 242, 243, 248-250, 252, 254, 259)

121. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Portée - Règlement 2020/2092 relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l'Union - Mesures de protection du budget de l'Union - Conditions d'adoption des mesures prises en cas de violation des principes de l'État de droit - Atteinte ou risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l'Union ou à la protection des intérêts financiers de l'Union - Exigences liées à la réalisation de ce risque suffisamment précises - Nature et étendue des mesures de protection du budget de l'Union suffisamment définies - Lien entre la violation constatée d'un principe de l'État de droit et les mesures adoptées maintenu - Respect du principe de proportionnalité

Le règlement 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020{1}, a établi un « mécanisme de conditionnalité horizontale » visant à protéger le budget de l’Union européenne en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre. À cette fin, ce règlement permet au Conseil de l'Union européenne, sur proposition de la Commission européenne, d’adopter, dans les conditions qu’il définit, des mesures de protection appropriées telles que la suspension des paiements à la charge du budget de l’Union ou la suspension de l’approbation d’un ou de plusieurs programmes à la charge de ce budget. Le règlement attaqué subordonne l’adoption de telles mesures à la production d’éléments concrets propres à établir non seulement l’existence d’une violation des principes de l’État de droit, mais également l’incidence de cette dernière sur l’exécution du budget de l’Union.

Le règlement attaqué s’inscrit dans le prolongement d’une série d’initiatives portant, plus généralement, sur la protection de l’État de droit dans les États membres{2} et qui visaient à apporter des réponses, au niveau de l’Union, aux préoccupations croissantes relatives au respect par plusieurs États membres des valeurs communes de l’Union telles qu’énoncées à l’article 2 TUE{3}.

La Hongrie, soutenue par la République de Pologne{4}, a introduit un recours tendant, à titre principal, à l’annulation du règlement attaqué, et, à titre subsidiaire, à l’annulation de certaines de ses dispositions. Au soutien de ses conclusions, elle faisait valoir, pour l’essentiel, que ce règlement, bien que formellement présenté comme un acte relevant des règles financières visées à l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, viserait, en réalité, à sanctionner, en tant que telle, toute atteinte par un État membre aux principes de l’État de droit, dont les exigences seraient, en tout état de cause, insuffisamment précises. La Hongrie fonde donc son recours, notamment, sur l’incompétence de l’Union pour adopter un tel règlement, tant en raison d’un défaut de base juridique, qu’en raison du contournement de la procédure prévue à l’article 7 TUE, ainsi que sur la méconnaissance des exigences du principe de sécurité juridique.

Ainsi appelée à se prononcer sur les compétences de l’Union pour défendre son budget et ses intérêts financiers contre des atteintes pouvant découler de violations de valeurs énoncées à l’article 2 TUE, la Cour a estimé que cette affaire présente une importance fondamentale justifiant son attribution à l’assemblée plénière. Pour ces mêmes raisons, il a été fait droit à la demande du Parlement européen de traiter cette affaire selon la procédure accélérée. Dans ces conditions, la Cour rejette dans son intégralité le recours en annulation introduit par la Hongrie.

Appréciation de la Cour

Préalablement à l’examen au fond du recours, la Cour se prononce sur la demande du Conseil de ne pas prendre en compte différents passages de la requête de la Hongrie, en ce qu’ils se fondent sur des éléments tirés d’un avis confidentiel du service juridique du Conseil ainsi divulgué sans l’autorisation requise. À cet égard, la Cour confirme qu’il est, en principe, loisible à l’institution concernée de subordonner la production en justice d’un tel document interne à une autorisation préalable. Pour autant, dans l’hypothèse où l’avis juridique en cause se rapporte à une procédure législative, comme en l’espèce, il convient de tenir compte du principe de transparence, dès lors que la divulgation d’un tel avis est de nature à accroître la transparence et l’ouverture du processus législatif. Ainsi, l’intérêt public supérieur attaché à la transparence et à l’ouverture du processus législatif prévaut, en principe, sur l’intérêt des institutions, en ce qui concerne la divulgation d’un avis juridique interne. En l’occurrence, étant donné que le Conseil n’a pas justifié du caractère particulièrement sensible de l’avis concerné ou d’une portée particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif en cause, la Cour rejette, en conséquence, la demande du Conseil.

Quant au fond, la Cour procède, en premier lieu, à l’examen des moyens invoqués à l’appui des conclusions principales tendant à l’annulation totale du règlement attaqué, tirés, d’une part, de l’incompétence de l’Union pour adopter ce règlement et, d’autre part, de la violation du principe de sécurité juridique.

En ce qui concerne, d’une part, la base juridique du règlement attaqué, la Cour relève que la procédure prévue par ce règlement ne peut être engagée que dans le cas où il existe des motifs raisonnables de considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit ont lieu dans un État membre, mais surtout que ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment directe, à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers. En outre, les mesures pouvant être adoptées au titre du règlement attaqué se rapportent exclusivement à l’exécution du budget de l’Union et sont toutes de nature à limiter les financements issus de ce budget en fonction de l’incidence sur celui-ci d’une telle atteinte ou d’un tel risque sérieux. Dès lors, le règlement attaqué vise à protéger le budget de l’Union contre des atteintes découlant de manière suffisamment directe de violations des principes de l’État de droit, et non pas à sanctionner, en soi, de telles violations.

En réponse à l’argumentation de la Hongrie, selon laquelle une règle financière ne saurait avoir pour objet de préciser l’étendue des exigences inhérentes aux valeurs visées à l’article 2 TUE, la Cour rappelle que le respect par les États membres des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, qui ont été identifiées et sont partagées par ceux-ci et qui définissent l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun à ces États, dont l’État de droit et la solidarité, justifie la confiance mutuelle entre ces États. Ce respect constituant ainsi une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à l’État membre concerné, l’Union doit être en mesure, dans les limites de ses attributions, de défendre ces valeurs.

La Cour précise sur ce point, d’une part, que le respect de ces valeurs ne saurait être réduit à une obligation à laquelle un État candidat est tenu en vue d’adhérer à l’Union et dont il pourrait s’affranchir après son adhésion. D’autre part, elle souligne que le budget de l’Union est l’un des principaux instruments permettant de concrétiser, dans les politiques et actions de l’Union, le principe fondamental de solidarité entre États membres et que la mise en œuvre de ce principe, au moyen de ce budget, repose sur la confiance mutuelle que ces derniers ont dans l’utilisation responsable des ressources communes inscrites audit budget.

Or, la bonne gestion financière du budget de l’Union et les intérêts financiers de l’Union peuvent être gravement compromis par des violations des principes de l’État de droit commises dans un État membre. En effet, ces violations peuvent avoir pour conséquence, notamment, l’absence de garantie que des dépenses couvertes par le budget de l’Union satisfont à l’ensemble des conditions de financement prévues par le droit de l’Union et, partant, répondent aux objectifs poursuivis par l’Union lorsqu’elle finance de telles dépenses.

Partant, un « mécanisme de conditionnalité horizontale », tel que celui institué par le règlement attaqué, qui subordonne le bénéfice de financements issus du budget de l’Union au respect par un État membre des principes de l’État de droit, peut relever de la compétence conférée par les traités à l’Union d’établir des « règles financières » relatives à l’exécution du budget de l’Union. La Cour précise que font partie intégrante d’un tel mécanisme, en tant qu’éléments constitutifs de celui-ci, les dispositions du règlement attaqué qui identifient ces principes, qui fournissent une énumération de cas qui peuvent être indicatifs de la violation desdits principes, qui précisent les situations ou comportements qui doivent être concernés par de telles violations et qui définissent la nature et l’étendue des mesures de protection pouvant, le cas échéant, être adoptées.

Ensuite, en ce qui concerne le grief tiré d’un prétendu contournement de la procédure prévue à l’article 7 TUE ainsi que des dispositions de l’article 269 TFUE, la Cour écarte l’argumentation de la Hongrie selon laquelle seule la procédure prévue à l’article 7 TUE confère aux institutions de l’Union la compétence pour examiner, constater et, le cas échéant, sanctionner les violations des valeurs que contient l’article 2 TUE dans un État membre. En effet, outre la procédure prévue à l’article 7 TUE, de nombreuses dispositions des traités, fréquemment concrétisées par divers actes de droit dérivé, confèrent aux institutions de l’Union la compétence d’examiner, de constater et, le cas échéant, de faire sanctionner des violations des valeurs que contient l’article 2 TUE commises dans un État membre.

Par ailleurs, la Cour observe que la procédure prévue à l’article 7 TUE a pour finalité de permettre au Conseil de sanctionner des violations graves et persistantes de chacune des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée et qui définissent son identité, en vue, notamment, d’enjoindre à l’État membre concerné de mettre un terme à ces violations. En revanche, le règlement attaqué vise à protéger le budget de l’Union, et cela uniquement en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre qui porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte à la bonne exécution de ce budget. En outre, la procédure prévue à l’article 7 TUE et celle instituée par le règlement attaqué se distinguent à l’égard de leur objet, des conditions de leur engagement, des conditions pour l’adoption et pour la levée des mesures prévues ainsi que de la nature de ces dernières. Par conséquent, ces deux procédures poursuivent des buts différents et ont chacune un objet nettement distinct. Il s’ensuit, par ailleurs, que la procédure instituée par le règlement attaqué ne saurait pas davantage être considérée comme visant à contourner la limitation de la compétence générale de la Cour, prévue par l’article 269 TFUE, dès lors que son libellé ne vise que le contrôle de légalité d’un acte adopté par le Conseil européen ou par le Conseil en vertu de l’article 7 TUE.

Enfin, étant donné que le règlement attaqué ne permet à la Commission et au Conseil d’examiner que des situations ou des comportements qui sont imputables aux autorités d’un État membre et qui apparaissent pertinents pour la bonne exécution du budget de l’Union, les pouvoirs conférés à ces institutions par ce règlement n’excèdent pas les limites des compétences attribuées à l’Union.

D’autre part, dans le cadre de l’examen du moyen tiré de la violation du principe de sécurité juridique, la Cour juge dépourvue de tout fondement l’argumentation développée par la Hongrie, au sujet du manque de précision dont serait entaché le règlement attaqué, tant en ce qui concerne les critères relatifs aux conditions d’engagement de la procédure qu’en ce qui concerne le choix et la portée des mesures à adopter. À cet égard, la Cour observe d’emblée que les principes figurant dans le règlement attaqué, en tant qu’éléments constitutifs de la notion d’« État de droit »{5}, ont amplement été développés dans sa jurisprudence, que ces principes trouvent leur source dans des valeurs communes reconnues et appliquées également par les États membres dans leurs propres ordres juridiques et qu’ils découlent d’une notion d’« État de droit » que les États membres partagent et à laquelle ils adhèrent, en tant que valeur commune à leurs traditions constitutionnelles. Par conséquent, la Cour considère que les États membres sont à même de déterminer avec suffisamment de précision le contenu essentiel ainsi que les exigences découlant de chacun de ces principes.

S’agissant, plus particulièrement, des critères relatifs aux conditions d’engagement de la procédure et du choix et de la portée des mesures à adopter, la Cour précise que le règlement attaqué requiert, pour l’adoption des mesures de protection qu’il prévoit, qu’un lien réel soit établi entre une violation d’un principe de l’État de droit et une atteinte ou un risque sérieux d’atteinte à la bonne gestion financière de l’Union ou à ses intérêts financiers et qu’une telle violation doit concerner une situation ou un comportement imputable à une autorité d’un État membre et pertinent pour la bonne exécution du budget de l’Union. En outre, elle observe que la notion de « risque sérieux » est précisée dans la réglementation financière de l’Union et rappelle que les mesures de protection pouvant être adoptées doivent être strictement proportionnées à l’incidence de la violation constatée sur le budget de l’Union. En particulier, selon la Cour, ce n’est que dans la stricte mesure du nécessaire pour atteindre l’objectif de protéger ce budget dans son ensemble que ces mesures peuvent viser des actions et programmes autres que ceux affectés par une telle violation. Enfin, constatant que la Commission doit respecter, sous le contrôle du juge de l’Union, des exigences procédurales strictes qui impliquent notamment plusieurs consultations de l’État membre concerné, la Cour conclut que le règlement attaqué satisfait aux exigences du principe de sécurité juridique.

La Cour examine, en second lieu, les conclusions subsidiaires tendant à l’annulation partielle du règlement attaqué. À cet égard, la Cour décide, d’une part, que l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué aurait pour effet de modifier la substance de ce règlement, dès lors que cette disposition précise les conditions exigées pour permettre l’adoption des mesures de protection prévues par ce règlement, de sorte que les conclusions tendant à l’annulation de cette seule disposition doivent être considérées comme irrecevables. D’autre part, la Cour juge non fondés les griefs visant une série d’autres dispositions du règlement attaqué, tirés d’un défaut de base juridique ainsi que de violations tant des dispositions du droit de l’Union relatives aux déficits publics que des principes de sécurité juridique, de proportionnalité et d’égalité des États membres devant les traités. Elle rejette dès lors les conclusions subsidiaires dans leur intégralité, de même que l’ensemble du recours formé par la Hongrie.

{1} Règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020, relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union (JO 2020, L 433I, p. 1, et rectificatif JO 2021, L 373, p. 94, ci-après le « règlement attaqué »).

{2} Voir, en particulier, communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 17 juillet 2019, « Renforcement de l’état de droit au sein de l’Union - Plan d’action », COM (2019) 343 final, consécutive à la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 11 mars 2014, « Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’état de droit », COM (2014) 158 final.

{3} Les valeurs fondatrices de l’Union et communes aux États membres, énoncées à l’article 2 TUE, comprennent celles de respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.

{4} La République de Pologne a, elle aussi, introduit un recours tendant à l’annulation du règlement 2020/2092 (affaire C-157/21).

{5} Aux termes de l’article 2, sous a), du règlement attaqué, la notion d’« État de droit » recouvre « le principe de légalité, qui suppose l’existence d’un processus législatif transparent, responsable, démocratique et pluraliste, ainsi que les principes de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective, y compris l’accès à la justice, assurée par des juridictions indépendantes et impartiales, également en ce qui concerne les droits fondamentaux, de séparation des pouvoirs, de non-discrimination et d’égalité devant la loi. ».

Arrêt du 16 février 2022, Hongrie / Parlement et Conseil (C-156/21) (cf. points 261-263, 267-275, 277-279, 329-333, 341-345)

122. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Portée - Règlement 2020/2092 relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l'Union - Conditions d'adoption des mesures prises en cas de violation des principes de l'État de droit - Évaluation propre, par la Commission, de l'atteinte ou du risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l'Union ou à la protection des intérêts financiers de l'Union - Responsabilité de la Commission pour la pertinence des informations utilisées et la fiabilité des sources employées

Le règlement 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020{1}, a établi un « mécanisme de conditionnalité horizontale » visant à protéger le budget de l’Union européenne en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre. À cette fin, ce règlement permet au Conseil de l'Union européenne, sur proposition de la Commission européenne, d’adopter, dans les conditions qu’il définit, des mesures de protection appropriées telles que la suspension des paiements à la charge du budget de l’Union ou la suspension de l’approbation d’un ou de plusieurs programmes à la charge de ce budget. Le règlement attaqué subordonne l’adoption de telles mesures à la production d’éléments concrets propres à établir non seulement l’existence d’une violation des principes de l’État de droit, mais également l’incidence de cette dernière sur l’exécution du budget de l’Union.

Le règlement attaqué s’inscrit dans le prolongement d’une série d’initiatives portant, plus généralement, sur la protection de l’État de droit dans les États membres{2} et qui visaient à apporter des réponses, au niveau de l’Union, aux préoccupations croissantes relatives au respect par plusieurs États membres des valeurs communes de l’Union telles qu’énoncées à l’article 2 TUE{3}.

La Hongrie, soutenue par la République de Pologne{4}, a introduit un recours tendant, à titre principal, à l’annulation du règlement attaqué, et, à titre subsidiaire, à l’annulation de certaines de ses dispositions. Au soutien de ses conclusions, elle faisait valoir, pour l’essentiel, que ce règlement, bien que formellement présenté comme un acte relevant des règles financières visées à l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, viserait, en réalité, à sanctionner, en tant que telle, toute atteinte par un État membre aux principes de l’État de droit, dont les exigences seraient, en tout état de cause, insuffisamment précises. La Hongrie fonde donc son recours, notamment, sur l’incompétence de l’Union pour adopter un tel règlement, tant en raison d’un défaut de base juridique, qu’en raison du contournement de la procédure prévue à l’article 7 TUE, ainsi que sur la méconnaissance des exigences du principe de sécurité juridique.

Ainsi appelée à se prononcer sur les compétences de l’Union pour défendre son budget et ses intérêts financiers contre des atteintes pouvant découler de violations de valeurs énoncées à l’article 2 TUE, la Cour a estimé que cette affaire présente une importance fondamentale justifiant son attribution à l’assemblée plénière. Pour ces mêmes raisons, il a été fait droit à la demande du Parlement européen de traiter cette affaire selon la procédure accélérée. Dans ces conditions, la Cour rejette dans son intégralité le recours en annulation introduit par la Hongrie.

Appréciation de la Cour

Préalablement à l’examen au fond du recours, la Cour se prononce sur la demande du Conseil de ne pas prendre en compte différents passages de la requête de la Hongrie, en ce qu’ils se fondent sur des éléments tirés d’un avis confidentiel du service juridique du Conseil ainsi divulgué sans l’autorisation requise. À cet égard, la Cour confirme qu’il est, en principe, loisible à l’institution concernée de subordonner la production en justice d’un tel document interne à une autorisation préalable. Pour autant, dans l’hypothèse où l’avis juridique en cause se rapporte à une procédure législative, comme en l’espèce, il convient de tenir compte du principe de transparence, dès lors que la divulgation d’un tel avis est de nature à accroître la transparence et l’ouverture du processus législatif. Ainsi, l’intérêt public supérieur attaché à la transparence et à l’ouverture du processus législatif prévaut, en principe, sur l’intérêt des institutions, en ce qui concerne la divulgation d’un avis juridique interne. En l’occurrence, étant donné que le Conseil n’a pas justifié du caractère particulièrement sensible de l’avis concerné ou d’une portée particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif en cause, la Cour rejette, en conséquence, la demande du Conseil.

Quant au fond, la Cour procède, en premier lieu, à l’examen des moyens invoqués à l’appui des conclusions principales tendant à l’annulation totale du règlement attaqué, tirés, d’une part, de l’incompétence de l’Union pour adopter ce règlement et, d’autre part, de la violation du principe de sécurité juridique.

En ce qui concerne, d’une part, la base juridique du règlement attaqué, la Cour relève que la procédure prévue par ce règlement ne peut être engagée que dans le cas où il existe des motifs raisonnables de considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit ont lieu dans un État membre, mais surtout que ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment directe, à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers. En outre, les mesures pouvant être adoptées au titre du règlement attaqué se rapportent exclusivement à l’exécution du budget de l’Union et sont toutes de nature à limiter les financements issus de ce budget en fonction de l’incidence sur celui-ci d’une telle atteinte ou d’un tel risque sérieux. Dès lors, le règlement attaqué vise à protéger le budget de l’Union contre des atteintes découlant de manière suffisamment directe de violations des principes de l’État de droit, et non pas à sanctionner, en soi, de telles violations.

En réponse à l’argumentation de la Hongrie, selon laquelle une règle financière ne saurait avoir pour objet de préciser l’étendue des exigences inhérentes aux valeurs visées à l’article 2 TUE, la Cour rappelle que le respect par les États membres des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, qui ont été identifiées et sont partagées par ceux-ci et qui définissent l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun à ces États, dont l’État de droit et la solidarité, justifie la confiance mutuelle entre ces États. Ce respect constituant ainsi une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à l’État membre concerné, l’Union doit être en mesure, dans les limites de ses attributions, de défendre ces valeurs.

La Cour précise sur ce point, d’une part, que le respect de ces valeurs ne saurait être réduit à une obligation à laquelle un État candidat est tenu en vue d’adhérer à l’Union et dont il pourrait s’affranchir après son adhésion. D’autre part, elle souligne que le budget de l’Union est l’un des principaux instruments permettant de concrétiser, dans les politiques et actions de l’Union, le principe fondamental de solidarité entre États membres et que la mise en œuvre de ce principe, au moyen de ce budget, repose sur la confiance mutuelle que ces derniers ont dans l’utilisation responsable des ressources communes inscrites audit budget.

Or, la bonne gestion financière du budget de l’Union et les intérêts financiers de l’Union peuvent être gravement compromis par des violations des principes de l’État de droit commises dans un État membre. En effet, ces violations peuvent avoir pour conséquence, notamment, l’absence de garantie que des dépenses couvertes par le budget de l’Union satisfont à l’ensemble des conditions de financement prévues par le droit de l’Union et, partant, répondent aux objectifs poursuivis par l’Union lorsqu’elle finance de telles dépenses.

Partant, un « mécanisme de conditionnalité horizontale », tel que celui institué par le règlement attaqué, qui subordonne le bénéfice de financements issus du budget de l’Union au respect par un État membre des principes de l’État de droit, peut relever de la compétence conférée par les traités à l’Union d’établir des « règles financières » relatives à l’exécution du budget de l’Union. La Cour précise que font partie intégrante d’un tel mécanisme, en tant qu’éléments constitutifs de celui-ci, les dispositions du règlement attaqué qui identifient ces principes, qui fournissent une énumération de cas qui peuvent être indicatifs de la violation desdits principes, qui précisent les situations ou comportements qui doivent être concernés par de telles violations et qui définissent la nature et l’étendue des mesures de protection pouvant, le cas échéant, être adoptées.

Ensuite, en ce qui concerne le grief tiré d’un prétendu contournement de la procédure prévue à l’article 7 TUE ainsi que des dispositions de l’article 269 TFUE, la Cour écarte l’argumentation de la Hongrie selon laquelle seule la procédure prévue à l’article 7 TUE confère aux institutions de l’Union la compétence pour examiner, constater et, le cas échéant, sanctionner les violations des valeurs que contient l’article 2 TUE dans un État membre. En effet, outre la procédure prévue à l’article 7 TUE, de nombreuses dispositions des traités, fréquemment concrétisées par divers actes de droit dérivé, confèrent aux institutions de l’Union la compétence d’examiner, de constater et, le cas échéant, de faire sanctionner des violations des valeurs que contient l’article 2 TUE commises dans un État membre.

Par ailleurs, la Cour observe que la procédure prévue à l’article 7 TUE a pour finalité de permettre au Conseil de sanctionner des violations graves et persistantes de chacune des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée et qui définissent son identité, en vue, notamment, d’enjoindre à l’État membre concerné de mettre un terme à ces violations. En revanche, le règlement attaqué vise à protéger le budget de l’Union, et cela uniquement en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre qui porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte à la bonne exécution de ce budget. En outre, la procédure prévue à l’article 7 TUE et celle instituée par le règlement attaqué se distinguent à l’égard de leur objet, des conditions de leur engagement, des conditions pour l’adoption et pour la levée des mesures prévues ainsi que de la nature de ces dernières. Par conséquent, ces deux procédures poursuivent des buts différents et ont chacune un objet nettement distinct. Il s’ensuit, par ailleurs, que la procédure instituée par le règlement attaqué ne saurait pas davantage être considérée comme visant à contourner la limitation de la compétence générale de la Cour, prévue par l’article 269 TFUE, dès lors que son libellé ne vise que le contrôle de légalité d’un acte adopté par le Conseil européen ou par le Conseil en vertu de l’article 7 TUE.

Enfin, étant donné que le règlement attaqué ne permet à la Commission et au Conseil d’examiner que des situations ou des comportements qui sont imputables aux autorités d’un État membre et qui apparaissent pertinents pour la bonne exécution du budget de l’Union, les pouvoirs conférés à ces institutions par ce règlement n’excèdent pas les limites des compétences attribuées à l’Union.

D’autre part, dans le cadre de l’examen du moyen tiré de la violation du principe de sécurité juridique, la Cour juge dépourvue de tout fondement l’argumentation développée par la Hongrie, au sujet du manque de précision dont serait entaché le règlement attaqué, tant en ce qui concerne les critères relatifs aux conditions d’engagement de la procédure qu’en ce qui concerne le choix et la portée des mesures à adopter. À cet égard, la Cour observe d’emblée que les principes figurant dans le règlement attaqué, en tant qu’éléments constitutifs de la notion d’« État de droit »{5}, ont amplement été développés dans sa jurisprudence, que ces principes trouvent leur source dans des valeurs communes reconnues et appliquées également par les États membres dans leurs propres ordres juridiques et qu’ils découlent d’une notion d’« État de droit » que les États membres partagent et à laquelle ils adhèrent, en tant que valeur commune à leurs traditions constitutionnelles. Par conséquent, la Cour considère que les États membres sont à même de déterminer avec suffisamment de précision le contenu essentiel ainsi que les exigences découlant de chacun de ces principes.

S’agissant, plus particulièrement, des critères relatifs aux conditions d’engagement de la procédure et du choix et de la portée des mesures à adopter, la Cour précise que le règlement attaqué requiert, pour l’adoption des mesures de protection qu’il prévoit, qu’un lien réel soit établi entre une violation d’un principe de l’État de droit et une atteinte ou un risque sérieux d’atteinte à la bonne gestion financière de l’Union ou à ses intérêts financiers et qu’une telle violation doit concerner une situation ou un comportement imputable à une autorité d’un État membre et pertinent pour la bonne exécution du budget de l’Union. En outre, elle observe que la notion de « risque sérieux » est précisée dans la réglementation financière de l’Union et rappelle que les mesures de protection pouvant être adoptées doivent être strictement proportionnées à l’incidence de la violation constatée sur le budget de l’Union. En particulier, selon la Cour, ce n’est que dans la stricte mesure du nécessaire pour atteindre l’objectif de protéger ce budget dans son ensemble que ces mesures peuvent viser des actions et programmes autres que ceux affectés par une telle violation. Enfin, constatant que la Commission doit respecter, sous le contrôle du juge de l’Union, des exigences procédurales strictes qui impliquent notamment plusieurs consultations de l’État membre concerné, la Cour conclut que le règlement attaqué satisfait aux exigences du principe de sécurité juridique.

La Cour examine, en second lieu, les conclusions subsidiaires tendant à l’annulation partielle du règlement attaqué. À cet égard, la Cour décide, d’une part, que l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué aurait pour effet de modifier la substance de ce règlement, dès lors que cette disposition précise les conditions exigées pour permettre l’adoption des mesures de protection prévues par ce règlement, de sorte que les conclusions tendant à l’annulation de cette seule disposition doivent être considérées comme irrecevables. D’autre part, la Cour juge non fondés les griefs visant une série d’autres dispositions du règlement attaqué, tirés d’un défaut de base juridique ainsi que de violations tant des dispositions du droit de l’Union relatives aux déficits publics que des principes de sécurité juridique, de proportionnalité et d’égalité des États membres devant les traités. Elle rejette dès lors les conclusions subsidiaires dans leur intégralité, de même que l’ensemble du recours formé par la Hongrie.

{1} Règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020, relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union (JO 2020, L 433I, p. 1, et rectificatif JO 2021, L 373, p. 94, ci-après le « règlement attaqué »).

{2} Voir, en particulier, communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 17 juillet 2019, « Renforcement de l’état de droit au sein de l’Union - Plan d’action », COM (2019) 343 final, consécutive à la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 11 mars 2014, « Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’état de droit », COM (2014) 158 final.

{3} Les valeurs fondatrices de l’Union et communes aux États membres, énoncées à l’article 2 TUE, comprennent celles de respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.

{4} La République de Pologne a, elle aussi, introduit un recours tendant à l’annulation du règlement 2020/2092 (affaire C-157/21).

{5} Aux termes de l’article 2, sous a), du règlement attaqué, la notion d’« État de droit » recouvre « le principe de légalité, qui suppose l’existence d’un processus législatif transparent, responsable, démocratique et pluraliste, ainsi que les principes de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective, y compris l’accès à la justice, assurée par des juridictions indépendantes et impartiales, également en ce qui concerne les droits fondamentaux, de séparation des pouvoirs, de non-discrimination et d’égalité devant la loi. ».

Arrêt du 16 février 2022, Hongrie / Parlement et Conseil (C-156/21) (cf. points 280, 282, 284, 287, 289, 354-359)

Le règlement 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020{1},a établi un « mécanisme de conditionnalité horizontale » visant à protéger le budget de l’Union européenne en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre. À cette fin, ce règlement permet au Conseil de l'Union européenne, sur proposition de la Commission européenne, d’adopter, dans les conditions qu’il définit, des mesures de protection appropriées telles que la suspension des paiements à la charge du budget de l’Union ou la suspension de l’approbation d’un ou de plusieurs programmes à la charge de ce budget. Le règlement attaqué subordonne l’adoption de telles mesures à la production d’éléments concrets propres à établir non seulement l’existence d’une violation des principes de l’État de droit, mais également l’incidence de cette dernière sur l’exécution du budget de l’Union.

Le règlement attaqué s’inscrit dans le prolongement d’une série d’initiatives portant, plus généralement, sur la protection de l’État de droit dans les États membres{2} et qui visaient à apporter des réponses, au niveau de l’Union, aux préoccupations croissantes relatives au respect par plusieurs États membres des valeurs communes de l’Union telles qu’énoncées à l’article 2 TUE{3}.

La République de Pologne, soutenue par la Hongrie{4}, a introduit un recours tendant à l’annulation du règlement attaqué. Au soutien de ses conclusions, elle faisait valoir, pour l’essentiel, que ce règlement, bien que formellement présenté comme un acte relevant des règles financières visées à l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, viserait, en réalité, à sanctionner, en tant que telle, toute atteinte par un État membre aux principes de l’État de droit, dont les exigences seraient, en tout état de cause, insuffisamment précises. La Pologne fonde donc son recours, notamment, sur l’incompétence de l’Union pour adopter un tel règlement, tant en raison d’un défaut de base juridique, qu’en raison du contournement de la procédure prévue à l’article 7 TUE, ainsi que sur la méconnaissance des limites inhérentes aux compétences de l’Union et du principe de sécurité juridique.

Ainsi appelée à se prononcer sur les compétences de l’Union pour défendre son budget et ses intérêts financiers contre des atteintes pouvant découler de violations de valeurs énoncées à l’article 2 TUE, la Cour a estimé que cette affaire présente une importance fondamentale justifiant son attribution à l’assemblée plénière. Pour ces mêmes raisons, il a été fait droit à la demande du Parlement européen de traiter cette affaire selon la procédure accélérée. Dans ces conditions, la Cour rejette dans son intégralité le recours en annulation introduit par la Pologne.

Appréciation de la Cour

Préalablement à l’examen au fond du recours, la Cour se prononce sur la demande du Conseil de ne pas prendre en compte différents passages de la requête de la Pologne, en ce qu’ils se fondent sur des éléments tirés d’un avis confidentiel du service juridique du Conseil ainsi divulgué sans l’autorisation requise. À cet égard, la Cour confirme qu’il est, en principe, loisible à l’institution concernée de subordonner la production en justice d’un tel document interne à une autorisation préalable. Pour autant, dans l’hypothèse où l’avis juridique en cause se rapporte à une procédure législative, comme en l’espèce, il convient de tenir compte du principe de transparence, dès lors que la divulgation d’un tel avis est de nature à accroître la transparence et l’ouverture du processus législatif. Ainsi, l’intérêt public supérieur attaché à la transparence et à l’ouverture du processus législatif prévaut, en principe, sur l’intérêt des institutions, en ce qui concerne la divulgation d’un avis juridique interne. En l’occurrence, étant donné que le Conseil n’a pas justifié du caractère particulièrement sensible de l’avis concerné ou d’une portée particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif en cause, la Cour rejette, en conséquence, la demande du Conseil.

Quant au fond, la Cour procède, en premier lieu, à l’examen conjoint des moyens tirés de l’incompétence de l’Union pour adopter le règlement attaqué.

En ce qui concerne, tout d’abord, la base juridique du règlement attaqué, la Cour relève que la procédure prévue par ce règlement ne peut être engagée que dans le cas où il existe des motifs raisonnables de considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit ont lieu dans un État membre, mais surtout que ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment directe, à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers. En outre, les mesures pouvant être adoptées au titre du règlement attaqué se rapportent exclusivement à l’exécution du budget de l’Union et sont toutes de nature à limiter les financements issus de ce budget en fonction de l’incidence sur celui-ci d’une telle atteinte ou d’un tel risque sérieux. Dès lors, le règlement attaqué vise à protéger le budget de l’Union contre des atteintes découlant de manière suffisamment directe de violations des principes de l’État de droit, et non pas à sanctionner, en soi, de telles violations.

En réponse à l’argumentation de la Pologne, selon laquelle une règle financière ne saurait avoir pour objet de préciser l’étendue des exigences inhérentes aux valeurs visées à l’article 2 TUE, la Cour rappelle que le respect par les États membres des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, qui ont été identifiées et sont partagées par ceux-ci et qui définissent l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun à ces États, dont l’État de droit et la solidarité, justifie la confiance mutuelle entre ces États. Ce respect constituant ainsi une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à l’État membre concerné, l’Union doit être en mesure, dans les limites de ses attributions, de défendre ces valeurs.

La Cour précise sur ce point, d’une part, que le respect de ces valeurs ne saurait être réduit à une obligation à laquelle un État candidat est tenu en vue d’adhérer à l’Union et dont il pourrait s’affranchir après son adhésion. D’autre part, elle souligne que le budget de l’Union est l’un des principaux instruments permettant de concrétiser, dans les politiques et actions de l’Union, le principe fondamental de solidarité entre États membres et que la mise en œuvre de ce principe, au moyen de ce budget, repose sur la confiance mutuelle que ces derniers ont dans l’utilisation responsable des ressources communes inscrites audit budget.

Or, la bonne gestion financière du budget de l’Union et les intérêts financiers de l’Union peuvent être gravement compromis par des violations des principes de l’État de droit commises dans un État membre. En effet, ces violations peuvent avoir pour conséquence, notamment, l’absence de garantie que des dépenses couvertes par le budget de l’Union satisfont à l’ensemble des conditions de financement prévues par le droit de l’Union et, partant, répondent aux objectifs poursuivis par l’Union lorsqu’elle finance de telles dépenses.

Partant, un « mécanisme de conditionnalité horizontale », tel que celui institué par le règlement attaqué, qui subordonne le bénéfice de financements issus du budget de l’Union au respect par un État membre des principes de l’État de droit, peut relever de la compétence conférée par les traités à l’Union d’établir des « règles financières » relatives à l’exécution du budget de l’Union. La Cour précise que font partie intégrante d’un tel mécanisme, en tant qu’éléments constitutifs de celui-ci, les dispositions du règlement attaqué qui identifient ces principes, qui fournissent une énumération de cas qui peuvent être indicatifs de la violation desdits principes, qui précisent les situations ou comportements qui doivent être concernés par de telles violations et qui définissent la nature et l’étendue des mesures de protection pouvant, le cas échéant, être adoptées.

Ensuite, en ce qui concerne le grief tiré d’un prétendu contournement de la procédure prévue à l’article 7 TUE, la Cour écarte l’argumentation de la Pologne selon laquelle seule la procédure prévue à l’article 7 TUE confère aux institutions de l’Union la compétence pour examiner, constater et, le cas échéant, sanctionner les violations des valeurs que contient l’article 2 TUE dans un État membre. En effet, outre la procédure prévue à l’article 7 TUE, de nombreuses dispositions des traités, fréquemment concrétisées par divers actes de droit dérivé, confèrent aux institutions de l’Union la compétence d’examiner, de constater et, le cas échéant, de faire sanctionner des violations des valeurs que contient l’article 2 TUE commises dans un État membre.

Par ailleurs, la Cour relève que la procédure prévue à l’article 7 TUE a pour finalité de permettre au Conseil de sanctionner des violations graves et persistantes de chacune des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée et qui définissent son identité, en vue, notamment, d’enjoindre à l’État membre concerné de mettre un terme à ces violations. En revanche, le règlement attaqué vise à protéger le budget de l’Union, et cela uniquement en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre qui porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte à la bonne exécution de ce budget. En outre, la procédure prévue à l’article 7 TUE et celle instituée par le règlement attaqué se distinguent à l’égard de leur objet, des conditions de leur engagement, des conditions pour l’adoption et pour la levée des mesures prévues ainsi que de la nature de ces dernières. Par conséquent, ces deux procédures poursuivent des buts différents et ont chacune un objet nettement distinct. Il s’ensuit, par ailleurs, que la procédure instituée par le règlement attaqué ne saurait pas davantage être considérée comme visant à contourner la limitation de la compétence générale de la Cour, prévue par l’article 269 TFUE, dès lors que son libellé ne vise que le contrôle de légalité d’un acte adopté par le Conseil européen ou par le Conseil en vertu de l’article 7 TUE.

La Cour examine, en second lieu, les autres griefs de fond invoqués par la Pologne à l’encontre du règlement attaqué.

Dans ce cadre, la Cour juge, tout d’abord, dénuées de tout fondement les allégations de la Pologne tirées d’une violation du principe d’attribution ainsi que de l’obligation de respecter les fonctions essentielles des États membres. En effet, la Cour rappelle que le libre exercice par les États membres des compétences leur revenant dans tous les domaines qui leur sont réservés ne se conçoit que dans le respect du droit de l’Union. Pour autant, en exigeant des États membres qu’ils respectent ainsi les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union, l’Union ne prétend aucunement exercer elle-même ces compétences ni, partant s’arroger celles-ci.

Ensuite, dans le cadre de l’examen des moyens tirés de la violation du respect de l’identité nationale des États membres, d’une part, et de la violation du principe de sécurité juridique, d’autre part, la Cour juge également dépourvue de tout fondement l’argumentation développée par la Pologne, au sujet du manque de précision dont serait entaché le règlement attaqué, tant en ce qui concerne les critères relatifs aux conditions d’engagement de la procédure qu’en ce qui concerne le choix et la portée des mesures à adopter. À cet égard, la Cour observe d’emblée que les principes figurant dans le règlement attaqué, en tant qu’éléments constitutifs de la notion d’« État de droit »{5}, ont amplement été développés dans sa jurisprudence, que ces principes trouvent leur source dans des valeurs communes reconnues et appliquées également par les États membres dans leurs propres ordres juridiques et qu’ils découlent d’une notion d’« État de droit » que les États membres partagent et à laquelle ils adhèrent, en tant que valeur commune à leurs traditions constitutionnelles. Par conséquent, la Cour considère que les États membres sont à même de déterminer avec suffisamment de précision le contenu essentiel ainsi que les exigences découlant de chacun de ces principes.

S’agissant, plus particulièrement, des critères relatifs aux conditions d’engagement de la procédure et du choix et de la portée des mesures à adopter, la Cour précise que le règlement attaqué requiert, pour l’adoption des mesures de protection qu’il prévoit, qu’un lien réel soit établi entre une violation d’un principe de l’État de droit et une atteinte ou un risque sérieux d’atteinte à la bonne gestion financière de l’Union ou à ses intérêts financiers, et qu’une telle violation doit concerner une situation ou un comportement imputable à une autorité d’un État membre et pertinent pour la bonne exécution du budget de l’Union. En outre, elle observe que la notion de « risque sérieux » est précisée dans la réglementation financière de l’Union et rappelle que les mesures de protection pouvant être adoptées doivent être strictement proportionnées à l’incidence de la violation constatée sur le budget de l’Union. En particulier, ce n’est que dans la stricte mesure du nécessaire pour atteindre l’objectif de protéger ce budget dans son ensemble que ces mesures peuvent viser des actions et programmes autres que ceux affectés par une telle violation. Enfin, constatant que la Commission doit respecter, sous le contrôle du juge de l’Union, des exigences procédurales strictes qui impliquent notamment plusieurs consultations de l’État membre concerné, la Cour conclut que le règlement attaqué satisfait aux exigences découlant du respect de l’identité nationale des États membres ainsi que du principe de sécurité juridique.

Enfin, pour autant que la Pologne conteste la nécessité même de l’adoption du règlement attaqué, à la lumière des exigences du principe de proportionnalité, la Cour relève que celle-ci n’a apporté aucun élément susceptible de démontrer que le législateur de l’Union aurait outrepassé le large pouvoir d’appréciation dont il dispose à cet égard. Le rejet de cet ultime grief permet ainsi à la Cour de rejeter le recours dans son ensemble.

{1} Règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020, relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union (JO 2020, L 433I, p. 1, et rectificatif JO 2021, L 373, p. 94, ci-après le « règlement attaqué »).

{2} Voir, en particulier, communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 17 juillet 2019, « Renforcement de l’état de droit au sein de l’Union - Plan d’action », COM (2019) 343 final, consécutive à la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 11 mars 2014, « Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’état de droit », COM (2014) 158 final.

{3} Les valeurs fondatrices de l’Union et communes aux États membres, énoncées à l’article 2 TUE, comprennent celles de respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.

{4} La Hongrie a, elle aussi, introduit un recours tendant à l’annulation du règlement 2020/2092 (affaire C-156/21).

{5} Aux termes de l’article 2, sous a), du règlement attaqué, la notion d’« État de droit » recouvre « le principe de légalité, qui suppose l’existence d’un processus législatif transparent, responsable, démocratique et pluraliste, ainsi que les principes de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective, y compris l’accès à la justice, assurée par des juridictions indépendantes et impartiales, également en ce qui concerne les droits fondamentaux, de séparation des pouvoirs, de non-discrimination et d’égalité devant la loi. ».

Arrêt du 16 février 2022, Pologne / Parlement et Conseil (C-157/21) (cf. points 285-288, 326-339, 341, 343, 344)

123. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Réglementation de l'Union - Portée - Règlement 2020/2092 relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l'Union - Règlement instituant un mécanisme de conditionnalité lié au respect, par les États membres, de l'État de droit - Notion d'État de droit - Renvoi à la valeur de l'Union consacrée à l'article 2 TUE - Principes de l'État de droit trouvant leur source dans les valeurs communes aux États membres - Précision suffisante desdits principes

Le règlement 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020{1},a établi un « mécanisme de conditionnalité horizontale » visant à protéger le budget de l’Union européenne en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre. À cette fin, ce règlement permet au Conseil de l'Union européenne, sur proposition de la Commission européenne, d’adopter, dans les conditions qu’il définit, des mesures de protection appropriées telles que la suspension des paiements à la charge du budget de l’Union ou la suspension de l’approbation d’un ou de plusieurs programmes à la charge de ce budget. Le règlement attaqué subordonne l’adoption de telles mesures à la production d’éléments concrets propres à établir non seulement l’existence d’une violation des principes de l’État de droit, mais également l’incidence de cette dernière sur l’exécution du budget de l’Union.

Le règlement attaqué s’inscrit dans le prolongement d’une série d’initiatives portant, plus généralement, sur la protection de l’État de droit dans les États membres{2} et qui visaient à apporter des réponses, au niveau de l’Union, aux préoccupations croissantes relatives au respect par plusieurs États membres des valeurs communes de l’Union telles qu’énoncées à l’article 2 TUE{3}.

La République de Pologne, soutenue par la Hongrie{4}, a introduit un recours tendant à l’annulation du règlement attaqué. Au soutien de ses conclusions, elle faisait valoir, pour l’essentiel, que ce règlement, bien que formellement présenté comme un acte relevant des règles financières visées à l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, viserait, en réalité, à sanctionner, en tant que telle, toute atteinte par un État membre aux principes de l’État de droit, dont les exigences seraient, en tout état de cause, insuffisamment précises. La Pologne fonde donc son recours, notamment, sur l’incompétence de l’Union pour adopter un tel règlement, tant en raison d’un défaut de base juridique, qu’en raison du contournement de la procédure prévue à l’article 7 TUE, ainsi que sur la méconnaissance des limites inhérentes aux compétences de l’Union et du principe de sécurité juridique.

Ainsi appelée à se prononcer sur les compétences de l’Union pour défendre son budget et ses intérêts financiers contre des atteintes pouvant découler de violations de valeurs énoncées à l’article 2 TUE, la Cour a estimé que cette affaire présente une importance fondamentale justifiant son attribution à l’assemblée plénière. Pour ces mêmes raisons, il a été fait droit à la demande du Parlement européen de traiter cette affaire selon la procédure accélérée. Dans ces conditions, la Cour rejette dans son intégralité le recours en annulation introduit par la Pologne.

Appréciation de la Cour

Préalablement à l’examen au fond du recours, la Cour se prononce sur la demande du Conseil de ne pas prendre en compte différents passages de la requête de la Pologne, en ce qu’ils se fondent sur des éléments tirés d’un avis confidentiel du service juridique du Conseil ainsi divulgué sans l’autorisation requise. À cet égard, la Cour confirme qu’il est, en principe, loisible à l’institution concernée de subordonner la production en justice d’un tel document interne à une autorisation préalable. Pour autant, dans l’hypothèse où l’avis juridique en cause se rapporte à une procédure législative, comme en l’espèce, il convient de tenir compte du principe de transparence, dès lors que la divulgation d’un tel avis est de nature à accroître la transparence et l’ouverture du processus législatif. Ainsi, l’intérêt public supérieur attaché à la transparence et à l’ouverture du processus législatif prévaut, en principe, sur l’intérêt des institutions, en ce qui concerne la divulgation d’un avis juridique interne. En l’occurrence, étant donné que le Conseil n’a pas justifié du caractère particulièrement sensible de l’avis concerné ou d’une portée particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif en cause, la Cour rejette, en conséquence, la demande du Conseil.

Quant au fond, la Cour procède, en premier lieu, à l’examen conjoint des moyens tirés de l’incompétence de l’Union pour adopter le règlement attaqué.

En ce qui concerne, tout d’abord, la base juridique du règlement attaqué, la Cour relève que la procédure prévue par ce règlement ne peut être engagée que dans le cas où il existe des motifs raisonnables de considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit ont lieu dans un État membre, mais surtout que ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment directe, à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers. En outre, les mesures pouvant être adoptées au titre du règlement attaqué se rapportent exclusivement à l’exécution du budget de l’Union et sont toutes de nature à limiter les financements issus de ce budget en fonction de l’incidence sur celui-ci d’une telle atteinte ou d’un tel risque sérieux. Dès lors, le règlement attaqué vise à protéger le budget de l’Union contre des atteintes découlant de manière suffisamment directe de violations des principes de l’État de droit, et non pas à sanctionner, en soi, de telles violations.

En réponse à l’argumentation de la Pologne, selon laquelle une règle financière ne saurait avoir pour objet de préciser l’étendue des exigences inhérentes aux valeurs visées à l’article 2 TUE, la Cour rappelle que le respect par les États membres des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, qui ont été identifiées et sont partagées par ceux-ci et qui définissent l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun à ces États, dont l’État de droit et la solidarité, justifie la confiance mutuelle entre ces États. Ce respect constituant ainsi une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à l’État membre concerné, l’Union doit être en mesure, dans les limites de ses attributions, de défendre ces valeurs.

La Cour précise sur ce point, d’une part, que le respect de ces valeurs ne saurait être réduit à une obligation à laquelle un État candidat est tenu en vue d’adhérer à l’Union et dont il pourrait s’affranchir après son adhésion. D’autre part, elle souligne que le budget de l’Union est l’un des principaux instruments permettant de concrétiser, dans les politiques et actions de l’Union, le principe fondamental de solidarité entre États membres et que la mise en œuvre de ce principe, au moyen de ce budget, repose sur la confiance mutuelle que ces derniers ont dans l’utilisation responsable des ressources communes inscrites audit budget.

Or, la bonne gestion financière du budget de l’Union et les intérêts financiers de l’Union peuvent être gravement compromis par des violations des principes de l’État de droit commises dans un État membre. En effet, ces violations peuvent avoir pour conséquence, notamment, l’absence de garantie que des dépenses couvertes par le budget de l’Union satisfont à l’ensemble des conditions de financement prévues par le droit de l’Union et, partant, répondent aux objectifs poursuivis par l’Union lorsqu’elle finance de telles dépenses.

Partant, un « mécanisme de conditionnalité horizontale », tel que celui institué par le règlement attaqué, qui subordonne le bénéfice de financements issus du budget de l’Union au respect par un État membre des principes de l’État de droit, peut relever de la compétence conférée par les traités à l’Union d’établir des « règles financières » relatives à l’exécution du budget de l’Union. La Cour précise que font partie intégrante d’un tel mécanisme, en tant qu’éléments constitutifs de celui-ci, les dispositions du règlement attaqué qui identifient ces principes, qui fournissent une énumération de cas qui peuvent être indicatifs de la violation desdits principes, qui précisent les situations ou comportements qui doivent être concernés par de telles violations et qui définissent la nature et l’étendue des mesures de protection pouvant, le cas échéant, être adoptées.

Ensuite, en ce qui concerne le grief tiré d’un prétendu contournement de la procédure prévue à l’article 7 TUE, la Cour écarte l’argumentation de la Pologne selon laquelle seule la procédure prévue à l’article 7 TUE confère aux institutions de l’Union la compétence pour examiner, constater et, le cas échéant, sanctionner les violations des valeurs que contient l’article 2 TUE dans un État membre. En effet, outre la procédure prévue à l’article 7 TUE, de nombreuses dispositions des traités, fréquemment concrétisées par divers actes de droit dérivé, confèrent aux institutions de l’Union la compétence d’examiner, de constater et, le cas échéant, de faire sanctionner des violations des valeurs que contient l’article 2 TUE commises dans un État membre.

Par ailleurs, la Cour relève que la procédure prévue à l’article 7 TUE a pour finalité de permettre au Conseil de sanctionner des violations graves et persistantes de chacune des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée et qui définissent son identité, en vue, notamment, d’enjoindre à l’État membre concerné de mettre un terme à ces violations. En revanche, le règlement attaqué vise à protéger le budget de l’Union, et cela uniquement en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre qui porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte à la bonne exécution de ce budget. En outre, la procédure prévue à l’article 7 TUE et celle instituée par le règlement attaqué se distinguent à l’égard de leur objet, des conditions de leur engagement, des conditions pour l’adoption et pour la levée des mesures prévues ainsi que de la nature de ces dernières. Par conséquent, ces deux procédures poursuivent des buts différents et ont chacune un objet nettement distinct. Il s’ensuit, par ailleurs, que la procédure instituée par le règlement attaqué ne saurait pas davantage être considérée comme visant à contourner la limitation de la compétence générale de la Cour, prévue par l’article 269 TFUE, dès lors que son libellé ne vise que le contrôle de légalité d’un acte adopté par le Conseil européen ou par le Conseil en vertu de l’article 7 TUE.

La Cour examine, en second lieu, les autres griefs de fond invoqués par la Pologne à l’encontre du règlement attaqué.

Dans ce cadre, la Cour juge, tout d’abord, dénuées de tout fondement les allégations de la Pologne tirées d’une violation du principe d’attribution ainsi que de l’obligation de respecter les fonctions essentielles des États membres. En effet, la Cour rappelle que le libre exercice par les États membres des compétences leur revenant dans tous les domaines qui leur sont réservés ne se conçoit que dans le respect du droit de l’Union. Pour autant, en exigeant des États membres qu’ils respectent ainsi les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union, l’Union ne prétend aucunement exercer elle-même ces compétences ni, partant s’arroger celles-ci.

Ensuite, dans le cadre de l’examen des moyens tirés de la violation du respect de l’identité nationale des États membres, d’une part, et de la violation du principe de sécurité juridique, d’autre part, la Cour juge également dépourvue de tout fondement l’argumentation développée par la Pologne, au sujet du manque de précision dont serait entaché le règlement attaqué, tant en ce qui concerne les critères relatifs aux conditions d’engagement de la procédure qu’en ce qui concerne le choix et la portée des mesures à adopter. À cet égard, la Cour observe d’emblée que les principes figurant dans le règlement attaqué, en tant qu’éléments constitutifs de la notion d’« État de droit »{5}, ont amplement été développés dans sa jurisprudence, que ces principes trouvent leur source dans des valeurs communes reconnues et appliquées également par les États membres dans leurs propres ordres juridiques et qu’ils découlent d’une notion d’« État de droit » que les États membres partagent et à laquelle ils adhèrent, en tant que valeur commune à leurs traditions constitutionnelles. Par conséquent, la Cour considère que les États membres sont à même de déterminer avec suffisamment de précision le contenu essentiel ainsi que les exigences découlant de chacun de ces principes.

S’agissant, plus particulièrement, des critères relatifs aux conditions d’engagement de la procédure et du choix et de la portée des mesures à adopter, la Cour précise que le règlement attaqué requiert, pour l’adoption des mesures de protection qu’il prévoit, qu’un lien réel soit établi entre une violation d’un principe de l’État de droit et une atteinte ou un risque sérieux d’atteinte à la bonne gestion financière de l’Union ou à ses intérêts financiers, et qu’une telle violation doit concerner une situation ou un comportement imputable à une autorité d’un État membre et pertinent pour la bonne exécution du budget de l’Union. En outre, elle observe que la notion de « risque sérieux » est précisée dans la réglementation financière de l’Union et rappelle que les mesures de protection pouvant être adoptées doivent être strictement proportionnées à l’incidence de la violation constatée sur le budget de l’Union. En particulier, ce n’est que dans la stricte mesure du nécessaire pour atteindre l’objectif de protéger ce budget dans son ensemble que ces mesures peuvent viser des actions et programmes autres que ceux affectés par une telle violation. Enfin, constatant que la Commission doit respecter, sous le contrôle du juge de l’Union, des exigences procédurales strictes qui impliquent notamment plusieurs consultations de l’État membre concerné, la Cour conclut que le règlement attaqué satisfait aux exigences découlant du respect de l’identité nationale des États membres ainsi que du principe de sécurité juridique.

Enfin, pour autant que la Pologne conteste la nécessité même de l’adoption du règlement attaqué, à la lumière des exigences du principe de proportionnalité, la Cour relève que celle-ci n’a apporté aucun élément susceptible de démontrer que le législateur de l’Union aurait outrepassé le large pouvoir d’appréciation dont il dispose à cet égard. Le rejet de cet ultime grief permet ainsi à la Cour de rejeter le recours dans son ensemble.

{1} Règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020, relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union (JO 2020, L 433I, p. 1, et rectificatif JO 2021, L 373, p. 94, ci-après le « règlement attaqué »).

{2} Voir, en particulier, communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 17 juillet 2019, « Renforcement de l’état de droit au sein de l’Union - Plan d’action », COM (2019) 343 final, consécutive à la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 11 mars 2014, « Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’état de droit », COM (2014) 158 final.

{3} Les valeurs fondatrices de l’Union et communes aux États membres, énoncées à l’article 2 TUE, comprennent celles de respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.

{4} La Hongrie a, elle aussi, introduit un recours tendant à l’annulation du règlement 2020/2092 (affaire C-156/21).

{5} Aux termes de l’article 2, sous a), du règlement attaqué, la notion d’« État de droit » recouvre « le principe de légalité, qui suppose l’existence d’un processus législatif transparent, responsable, démocratique et pluraliste, ainsi que les principes de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective, y compris l’accès à la justice, assurée par des juridictions indépendantes et impartiales, également en ce qui concerne les droits fondamentaux, de séparation des pouvoirs, de non-discrimination et d’égalité devant la loi. ».

Arrêt du 16 février 2022, Pologne / Parlement et Conseil (C-157/21) (cf. points 290-292, 323-325, 328)

124. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Réglementation de l'Union - Exigence de clarté et de prévisibilité - Règlement 2020/2092 relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l'Union - Règlement instituant un mécanisme de conditionnalité lié au respect, par les États membres, de l'État de droit - Recours à des notions définies dans d'autres dispositions de la norme attaquée ou du droit de l'Union - Octroi d'une marge d'appréciation à la Commission et au Conseil quant au choix de l'action visée par la mesure de protection du budget à adopter - Admissibilité

Le règlement 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020{1},a établi un « mécanisme de conditionnalité horizontale » visant à protéger le budget de l’Union européenne en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre. À cette fin, ce règlement permet au Conseil de l'Union européenne, sur proposition de la Commission européenne, d’adopter, dans les conditions qu’il définit, des mesures de protection appropriées telles que la suspension des paiements à la charge du budget de l’Union ou la suspension de l’approbation d’un ou de plusieurs programmes à la charge de ce budget. Le règlement attaqué subordonne l’adoption de telles mesures à la production d’éléments concrets propres à établir non seulement l’existence d’une violation des principes de l’État de droit, mais également l’incidence de cette dernière sur l’exécution du budget de l’Union.

Le règlement attaqué s’inscrit dans le prolongement d’une série d’initiatives portant, plus généralement, sur la protection de l’État de droit dans les États membres{2} et qui visaient à apporter des réponses, au niveau de l’Union, aux préoccupations croissantes relatives au respect par plusieurs États membres des valeurs communes de l’Union telles qu’énoncées à l’article 2 TUE{3}.

La République de Pologne, soutenue par la Hongrie{4}, a introduit un recours tendant à l’annulation du règlement attaqué. Au soutien de ses conclusions, elle faisait valoir, pour l’essentiel, que ce règlement, bien que formellement présenté comme un acte relevant des règles financières visées à l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, viserait, en réalité, à sanctionner, en tant que telle, toute atteinte par un État membre aux principes de l’État de droit, dont les exigences seraient, en tout état de cause, insuffisamment précises. La Pologne fonde donc son recours, notamment, sur l’incompétence de l’Union pour adopter un tel règlement, tant en raison d’un défaut de base juridique, qu’en raison du contournement de la procédure prévue à l’article 7 TUE, ainsi que sur la méconnaissance des limites inhérentes aux compétences de l’Union et du principe de sécurité juridique.

Ainsi appelée à se prononcer sur les compétences de l’Union pour défendre son budget et ses intérêts financiers contre des atteintes pouvant découler de violations de valeurs énoncées à l’article 2 TUE, la Cour a estimé que cette affaire présente une importance fondamentale justifiant son attribution à l’assemblée plénière. Pour ces mêmes raisons, il a été fait droit à la demande du Parlement européen de traiter cette affaire selon la procédure accélérée. Dans ces conditions, la Cour rejette dans son intégralité le recours en annulation introduit par la Pologne.

Appréciation de la Cour

Préalablement à l’examen au fond du recours, la Cour se prononce sur la demande du Conseil de ne pas prendre en compte différents passages de la requête de la Pologne, en ce qu’ils se fondent sur des éléments tirés d’un avis confidentiel du service juridique du Conseil ainsi divulgué sans l’autorisation requise. À cet égard, la Cour confirme qu’il est, en principe, loisible à l’institution concernée de subordonner la production en justice d’un tel document interne à une autorisation préalable. Pour autant, dans l’hypothèse où l’avis juridique en cause se rapporte à une procédure législative, comme en l’espèce, il convient de tenir compte du principe de transparence, dès lors que la divulgation d’un tel avis est de nature à accroître la transparence et l’ouverture du processus législatif. Ainsi, l’intérêt public supérieur attaché à la transparence et à l’ouverture du processus législatif prévaut, en principe, sur l’intérêt des institutions, en ce qui concerne la divulgation d’un avis juridique interne. En l’occurrence, étant donné que le Conseil n’a pas justifié du caractère particulièrement sensible de l’avis concerné ou d’une portée particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif en cause, la Cour rejette, en conséquence, la demande du Conseil.

Quant au fond, la Cour procède, en premier lieu, à l’examen conjoint des moyens tirés de l’incompétence de l’Union pour adopter le règlement attaqué.

En ce qui concerne, tout d’abord, la base juridique du règlement attaqué, la Cour relève que la procédure prévue par ce règlement ne peut être engagée que dans le cas où il existe des motifs raisonnables de considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit ont lieu dans un État membre, mais surtout que ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment directe, à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers. En outre, les mesures pouvant être adoptées au titre du règlement attaqué se rapportent exclusivement à l’exécution du budget de l’Union et sont toutes de nature à limiter les financements issus de ce budget en fonction de l’incidence sur celui-ci d’une telle atteinte ou d’un tel risque sérieux. Dès lors, le règlement attaqué vise à protéger le budget de l’Union contre des atteintes découlant de manière suffisamment directe de violations des principes de l’État de droit, et non pas à sanctionner, en soi, de telles violations.

En réponse à l’argumentation de la Pologne, selon laquelle une règle financière ne saurait avoir pour objet de préciser l’étendue des exigences inhérentes aux valeurs visées à l’article 2 TUE, la Cour rappelle que le respect par les États membres des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, qui ont été identifiées et sont partagées par ceux-ci et qui définissent l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun à ces États, dont l’État de droit et la solidarité, justifie la confiance mutuelle entre ces États. Ce respect constituant ainsi une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à l’État membre concerné, l’Union doit être en mesure, dans les limites de ses attributions, de défendre ces valeurs.

La Cour précise sur ce point, d’une part, que le respect de ces valeurs ne saurait être réduit à une obligation à laquelle un État candidat est tenu en vue d’adhérer à l’Union et dont il pourrait s’affranchir après son adhésion. D’autre part, elle souligne que le budget de l’Union est l’un des principaux instruments permettant de concrétiser, dans les politiques et actions de l’Union, le principe fondamental de solidarité entre États membres et que la mise en œuvre de ce principe, au moyen de ce budget, repose sur la confiance mutuelle que ces derniers ont dans l’utilisation responsable des ressources communes inscrites audit budget.

Or, la bonne gestion financière du budget de l’Union et les intérêts financiers de l’Union peuvent être gravement compromis par des violations des principes de l’État de droit commises dans un État membre. En effet, ces violations peuvent avoir pour conséquence, notamment, l’absence de garantie que des dépenses couvertes par le budget de l’Union satisfont à l’ensemble des conditions de financement prévues par le droit de l’Union et, partant, répondent aux objectifs poursuivis par l’Union lorsqu’elle finance de telles dépenses.

Partant, un « mécanisme de conditionnalité horizontale », tel que celui institué par le règlement attaqué, qui subordonne le bénéfice de financements issus du budget de l’Union au respect par un État membre des principes de l’État de droit, peut relever de la compétence conférée par les traités à l’Union d’établir des « règles financières » relatives à l’exécution du budget de l’Union. La Cour précise que font partie intégrante d’un tel mécanisme, en tant qu’éléments constitutifs de celui-ci, les dispositions du règlement attaqué qui identifient ces principes, qui fournissent une énumération de cas qui peuvent être indicatifs de la violation desdits principes, qui précisent les situations ou comportements qui doivent être concernés par de telles violations et qui définissent la nature et l’étendue des mesures de protection pouvant, le cas échéant, être adoptées.

Ensuite, en ce qui concerne le grief tiré d’un prétendu contournement de la procédure prévue à l’article 7 TUE, la Cour écarte l’argumentation de la Pologne selon laquelle seule la procédure prévue à l’article 7 TUE confère aux institutions de l’Union la compétence pour examiner, constater et, le cas échéant, sanctionner les violations des valeurs que contient l’article 2 TUE dans un État membre. En effet, outre la procédure prévue à l’article 7 TUE, de nombreuses dispositions des traités, fréquemment concrétisées par divers actes de droit dérivé, confèrent aux institutions de l’Union la compétence d’examiner, de constater et, le cas échéant, de faire sanctionner des violations des valeurs que contient l’article 2 TUE commises dans un État membre.

Par ailleurs, la Cour relève que la procédure prévue à l’article 7 TUE a pour finalité de permettre au Conseil de sanctionner des violations graves et persistantes de chacune des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée et qui définissent son identité, en vue, notamment, d’enjoindre à l’État membre concerné de mettre un terme à ces violations. En revanche, le règlement attaqué vise à protéger le budget de l’Union, et cela uniquement en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre qui porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte à la bonne exécution de ce budget. En outre, la procédure prévue à l’article 7 TUE et celle instituée par le règlement attaqué se distinguent à l’égard de leur objet, des conditions de leur engagement, des conditions pour l’adoption et pour la levée des mesures prévues ainsi que de la nature de ces dernières. Par conséquent, ces deux procédures poursuivent des buts différents et ont chacune un objet nettement distinct. Il s’ensuit, par ailleurs, que la procédure instituée par le règlement attaqué ne saurait pas davantage être considérée comme visant à contourner la limitation de la compétence générale de la Cour, prévue par l’article 269 TFUE, dès lors que son libellé ne vise que le contrôle de légalité d’un acte adopté par le Conseil européen ou par le Conseil en vertu de l’article 7 TUE.

La Cour examine, en second lieu, les autres griefs de fond invoqués par la Pologne à l’encontre du règlement attaqué.

Dans ce cadre, la Cour juge, tout d’abord, dénuées de tout fondement les allégations de la Pologne tirées d’une violation du principe d’attribution ainsi que de l’obligation de respecter les fonctions essentielles des États membres. En effet, la Cour rappelle que le libre exercice par les États membres des compétences leur revenant dans tous les domaines qui leur sont réservés ne se conçoit que dans le respect du droit de l’Union. Pour autant, en exigeant des États membres qu’ils respectent ainsi les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union, l’Union ne prétend aucunement exercer elle-même ces compétences ni, partant s’arroger celles-ci.

Ensuite, dans le cadre de l’examen des moyens tirés de la violation du respect de l’identité nationale des États membres, d’une part, et de la violation du principe de sécurité juridique, d’autre part, la Cour juge également dépourvue de tout fondement l’argumentation développée par la Pologne, au sujet du manque de précision dont serait entaché le règlement attaqué, tant en ce qui concerne les critères relatifs aux conditions d’engagement de la procédure qu’en ce qui concerne le choix et la portée des mesures à adopter. À cet égard, la Cour observe d’emblée que les principes figurant dans le règlement attaqué, en tant qu’éléments constitutifs de la notion d’« État de droit »{5}, ont amplement été développés dans sa jurisprudence, que ces principes trouvent leur source dans des valeurs communes reconnues et appliquées également par les États membres dans leurs propres ordres juridiques et qu’ils découlent d’une notion d’« État de droit » que les États membres partagent et à laquelle ils adhèrent, en tant que valeur commune à leurs traditions constitutionnelles. Par conséquent, la Cour considère que les États membres sont à même de déterminer avec suffisamment de précision le contenu essentiel ainsi que les exigences découlant de chacun de ces principes.

S’agissant, plus particulièrement, des critères relatifs aux conditions d’engagement de la procédure et du choix et de la portée des mesures à adopter, la Cour précise que le règlement attaqué requiert, pour l’adoption des mesures de protection qu’il prévoit, qu’un lien réel soit établi entre une violation d’un principe de l’État de droit et une atteinte ou un risque sérieux d’atteinte à la bonne gestion financière de l’Union ou à ses intérêts financiers, et qu’une telle violation doit concerner une situation ou un comportement imputable à une autorité d’un État membre et pertinent pour la bonne exécution du budget de l’Union. En outre, elle observe que la notion de « risque sérieux » est précisée dans la réglementation financière de l’Union et rappelle que les mesures de protection pouvant être adoptées doivent être strictement proportionnées à l’incidence de la violation constatée sur le budget de l’Union. En particulier, ce n’est que dans la stricte mesure du nécessaire pour atteindre l’objectif de protéger ce budget dans son ensemble que ces mesures peuvent viser des actions et programmes autres que ceux affectés par une telle violation. Enfin, constatant que la Commission doit respecter, sous le contrôle du juge de l’Union, des exigences procédurales strictes qui impliquent notamment plusieurs consultations de l’État membre concerné, la Cour conclut que le règlement attaqué satisfait aux exigences découlant du respect de l’identité nationale des États membres ainsi que du principe de sécurité juridique.

Enfin, pour autant que la Pologne conteste la nécessité même de l’adoption du règlement attaqué, à la lumière des exigences du principe de proportionnalité, la Cour relève que celle-ci n’a apporté aucun élément susceptible de démontrer que le législateur de l’Union aurait outrepassé le large pouvoir d’appréciation dont il dispose à cet égard. Le rejet de cet ultime grief permet ainsi à la Cour de rejeter le recours dans son ensemble.

{1} Règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020, relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union (JO 2020, L 433I, p. 1, et rectificatif JO 2021, L 373, p. 94, ci-après le « règlement attaqué »).

{2} Voir, en particulier, communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 17 juillet 2019, « Renforcement de l’état de droit au sein de l’Union - Plan d’action », COM (2019) 343 final, consécutive à la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 11 mars 2014, « Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’état de droit », COM (2014) 158 final.

{3} Les valeurs fondatrices de l’Union et communes aux États membres, énoncées à l’article 2 TUE, comprennent celles de respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.

{4} La Hongrie a, elle aussi, introduit un recours tendant à l’annulation du règlement 2020/2092 (affaire C-156/21).

{5} Aux termes de l’article 2, sous a), du règlement attaqué, la notion d’« État de droit » recouvre « le principe de légalité, qui suppose l’existence d’un processus législatif transparent, responsable, démocratique et pluraliste, ainsi que les principes de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective, y compris l’accès à la justice, assurée par des juridictions indépendantes et impartiales, également en ce qui concerne les droits fondamentaux, de séparation des pouvoirs, de non-discrimination et d’égalité devant la loi. ».

Arrêt du 16 février 2022, Pologne / Parlement et Conseil (C-157/21) (cf. points 295, 297-299, 302, 303, 319-321)

125. Rapprochement des législations - Fabrication, présentation et vente des produits du tabac - Directive 2014/40 - Ingrédients et émissions - Niveaux d'émission maximaux de goudron, de nicotine, de monoxyde de carbone et d'autres substances - Méthodes de mesure - Cigarettes ne respectant pas les niveaux d'émission maximaux - Mesure des émissions fondée sur les normes ISO - Absence de publication de ces normes au Journal officiel de l'Union européenne - Inopposabilité aux particuliers - Violation du principe de transparence - Absence - Validité au regard du règlement nº 216/2013 et de l'article 297, paragraphe 1, TFUE, lu à la lumière du principe de sécurité juridique

En juillet et août 2018, la Stichting Rookpreventie Jeugd (fondation de la prévention du tabac pour la jeunesse, Pays-Bas) et quatorze autres entités (ci-après les « requérants ») ont introduit une demande d’injonction auprès de la Nederlandse Voedsel- en Warenautoriteit (Autorité néerlandaise de contrôle des denrées alimentaires et des produits de consommation). Les requérants demandaient à cette autorité que, d’une part, elle veille à ce que les cigarettes à filtre proposées aux consommateurs aux Pays-Bas respectent, lorsqu’elles sont utilisées conformément à leur destination, les niveaux d’émission maximaux de goudron, de nicotine et de monoxyde de carbone fixés par la directive 2014/40{1} et, d’autre part, elle ordonne aux fabricants, aux importateurs et aux distributeurs de produits du tabac, de retirer du marché les cigarettes à filtre qui ne respecteraient pas ces niveaux d’émission.

La décision de rejet de cette demande a fait l’objet d’un recours administratif introduit par les requérants devant le secrétaire d’État. À la suite du rejet de ce recours, les requérants ont introduit un recours juridictionnel devant le rechtbank Rotterdam (tribunal de Rotterdam, Pays-Bas). Elles faisaient valoir que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/40{2} n’impose pas de recourir à une méthode déterminée de mesure des niveaux d’émission et qu’il ressort, entre autres, de diverses études, qu’une autre méthode de mesure (dite « Canadian Intense ») devrait être appliquée pour déterminer les niveaux exacts d’émission pour les cigarettes à filtre utilisées conformément à leur usage prévu.

Le tribunal de Rotterdam a saisi la Cour d’un renvoi préjudiciel portant notamment sur la validité de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/40 au regard du principe de transparence{3}, de plusieurs dispositions de droit de l’Union{4} ainsi qu’au regard de la convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac{5}.

Par son arrêt, rendu en grande chambre, la Cour confirme la validité de cette disposition, en considérant que celle-ci est conforme notamment aux principes et aux dispositions du droit de l’Union et du droit international visés par le renvoi préjudiciel{6}.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, la Cour juge que, au titre de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/40, les niveaux d’émission maximaux fixés par cette directive pour les cigarettes destinées à être mises sur le marché ou fabriquées dans les États membres, doivent être mesurés en application des méthodes de mesure découlant des normes ISO auxquelles se réfère cette disposition. En effet, celle-ci renvoie de manière impérative à ces normes ISO et ne fait mention d’aucune autre méthode de mesure.

En deuxième lieu, la Cour analyse, d’abord, la validité de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/40 au regard du principe de transparence. À cet égard, elle relève que, si cette disposition renvoie à des normes ISO qui n’ont pas fait l’objet d’une publication au Journal officiel, elle ne prévoit aucune restriction concernant l’accès à ces normes, y compris en soumettant cet accès au dépôt d’une demande formulée au titre des dispositions relatives à l’accès du public aux documents des institutions européennes{7}. En ce qui concerne, ensuite, la validité de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/40 au regard du règlement nº 216/2013{8}, la Cour note que la légalité interne de cette directive ne saurait, en vertu de la jurisprudence, être examinée au regard de ce règlement. S’agissant, enfin, de la validité de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/40 au regard de l’article 297, paragraphe 1, TFUE{9}, lu à la lumière du principe de sécurité juridique, la Cour relève que le législateur de l’Union peut, compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont il dispose dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées lorsque son action implique des choix de nature politique, économique et sociale et lorsqu’il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes, renvoyer, dans les actes qu’il adopte, à des normes techniques établies par un organisme de normalisation, tel que l’Organisation internationale de la normalisation (ISO).

Toutefois, la Cour précise que le principe de sécurité juridique exige que le renvoi à de telles normes soit clair, précis et prévisible dans ses effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union. En l’espèce, la Cour estime que, dans la mesure où le renvoi opéré par l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/40 aux normes ISO est conforme à cette exigence et où cette directive a été publiée au Journal officiel, la seule circonstance que cette disposition renvoie à des normes ISO n’ayant pas, à ce stade, fait l’objet d’une telle publication n’est pas de nature à remettre en cause la validité de ladite disposition.

Cela étant, s’agissant de l’opposabilité des normes ISO aux particuliers, la Cour rappelle que, en vertu du principe de sécurité juridique, ces normes, rendues obligatoires par un acte législatif de l’Union, ne sont opposables aux particuliers en général que si elles ont elles-mêmes fait l’objet d’une publication au Journal officiel. Ainsi, en l’absence de publication au Journal officiel des normes auxquelles renvoie l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/40, les particuliers ne sont pas en mesure de connaître les méthodes de mesure des niveaux d’émission fixés par cette directive pour les cigarettes. En revanche, quant à l’opposabilité des normes ISO aux entreprises, la Cour souligne que, dans la mesure où celles-ci ont accès à la version officielle et authentique des normes référencées à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/40, par le biais des organismes nationaux de normalisation, lesdites normes leur sont opposables.

En troisième lieu, concernant la validité de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/40 au regard de l’article 5, paragraphe 3, de la CCLAT{10}, la Cour relève que cette dernière disposition ne prohibe pas toute participation de l’industrie du tabac dans la définition et l’application de la réglementation antitabac, mais tend seulement à empêcher que les politiques antitabac des parties à cette convention soient influencées par des intérêts de cette industrie. Partant, la seule participation de l’industrie du tabac à l’établissement des normes en cause auprès de l’ISO n’est pas de nature à remettre en cause la validité de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/40.

En quatrième lieu, s’agissant de la validité de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/40 au regard de l’impératif d’un niveau élevé de protection de la santé humaine{11} ainsi que des articles 24 et 35 de la Charte{12}, la Cour souligne que, en vertu d’une jurisprudence constante, la validité de cette disposition de la directive 2014/40 ne saurait être appréciée sur la base d’études mentionnées par la juridiction de renvoi dans la demande de décision préjudicielle. En effet, ces études sont postérieures au 3 avril 2014, date d’adoption de cette directive.

En cinquième et dernier lieu, la Cour précise les caractéristiques que doit présenter la méthode de mesure des émissions pour les cigarettes à utiliser, afin de vérifier le respect des niveaux maximaux d’émission fixés par la directive 2014/40, dans l’hypothèse où le renvoi opéré à l’article 4, paragraphe 1, de celle-ci à des normes ISO ne serait pas opposable aux particuliers. Ainsi, elle juge que cette méthode doit être appropriée, au regard des avancées scientifiques et techniques ou des normes adoptées à l’échelle internationale, pour mesurer les niveaux d’émission dégagées lorsqu’une cigarette est utilisée aux fins prévues et doit prendre pour base un niveau élevé de protection de la santé humaine, particulièrement pour les jeunes. L’exactitude des mesures obtenues au moyen de cette méthode doit être vérifiée par des laboratoires agréés et surveillés par les autorités compétentes des États membres, visés à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/40. Il appartient à la juridiction nationale d’apprécier si les méthodes effectivement utilisées pour mesurer les niveaux d’émission sont conformes à la directive 2014/40, sans tenir compte de l’article 4, paragraphe 1, de celle-ci.

{1} Directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE (JO 2014, L 127, p. 1). L’article 3, paragraphe 1, de cette directive prévoit les niveaux d’émission maximaux de goudron, de nicotine et de monoxyde de carbone pour les cigarettes mises sur le marché ou fabriquées dans les États membres (ci-après les « niveaux d’émission maximaux fixés par la directive 2014/40 »).

{2} Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/40, « [l]es émissions de goudron, de nicotine et de monoxyde de carbone des cigarettes sont mesurées sur la base de la norme ISO 4387 pour le goudron, de la norme ISO 10315 pour la nicotine et de la norme ISO 8454 pour le monoxyde de carbone. L’exactitude des mesures de goudron, de nicotine et de monoxyde de carbone est déterminée conformément à la norme ISO 8243 ».

{3} Prévu à l’article 1er, deuxième alinéa, et à l’article 10, paragraphe 3, TUE, à l’article 15, paragraphe 1, et à l’article 298, paragraphe 1, TFUE ainsi qu’à l’article 42 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

{4} Article 114, paragraphe 3, et article 297, paragraphe 1, TFUE, règlement (UE) nº 216/2013 du Conseil, du 7 mars 2013, relatif à la publication électronique du Journal officiel de l’Union européenne (JO 2013, L 69, p. 1) et les articles 24 et 35 de la Charte.

{5} Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac (ci-après la « CCLAT ») conclue à Genève le 21 mai 2003, à laquelle sont parties l’Union européenne et ses États membres.

{6} Notamment, l’article 5, paragraphe 3, de la CCLAT.

{7} Règlement (CE) nº 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43).

{8} Le règlement (UE) nº 216/2013 prévoit notamment les règles relatives à la publication au Journal officiel des actes de droit de l’Union.

{9} En vertu de cette disposition, « [l]es actes législatifs sont publiés dans le Journal officiel de l’Union européenne. Ils entrent en vigueur à la date qu’ils fixent ou, à défaut, le vingtième jour suivant leur publication ».

{10} Cette disposition prévoit que, en définissant et en appliquant leurs politiques de santé publique en matière de lutte antitabac, les parties à cette convention veillent à ce que ces politiques ne soient pas influencées par les intérêts de l’industrie du tabac, conformément à la législation nationale.

{11} Prévu notamment à l’article 114, paragraphe 3, TFUE.

{12} L’article 24 de la Charte est relatif aux droits de l’enfant. L’article 35 de la Charte concerne quant à lui la protection de la santé.

Arrêt du 22 février 2022, Stichting Rookpreventie Jeugd e.a. (C-160/20) (cf. points 35-38, 43-49, 51-53, disp. 2)

126. Énergie - Exigences en matière d'écoconception applicables aux produits liés à l'énergie - Directive 2009/125 - Mesures d'exécution - Interdiction des retardateurs de flamme halogénés dans le boîtier et le support des dispositifs d'affichage électroniques - Violation des principes de sécurité juridique, d'égalité de traitement et de proportionnalité - Absence



Arrêt du 16 mars 2022, BSEF / Commission (T-113/20) (cf. points 110-114, 124-128, 132-134, 145, 151-156)

127. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Libye - Portée du contrôle - Contrôle restreint pour les règles générales - Critères d'adoption des mesures restrictives - Appui à des actes mettant en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye - Portée - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques



Arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin / Conseil (T-723/20) (cf. points 144-149)

128. Concentrations entre entreprises - Examen par la Commission - Demande de renvoi émanant d'une autorité nationale de concurrence non compétente selon la législation nationale pour examiner l'opération en cause - Compétence de la Commission - Atteinte aux principes d'attribution des compétences, de subsidiarité et de proportionnalité - Absence - Respect du principe de sécurité juridique

Illumina est une entreprise américaine spécialisée dans le séquençage génomique. Elle développe, fabrique et commercialise des systèmes intégrés d’analyse génétique, en particulier des séquenceurs génomiques de nouvelle génération qui sont utilisés, entre autres, dans le développement de tests de dépistage du cancer. Grail est une entreprise américaine de biotechnologie qui s’appuie sur le séquençage génomique pour développer de tels tests de dépistage.

Le 21 septembre 2020, ces deux entreprises{1} ont rendu public un projet visant l’acquisition du contrôle exclusif de Grail par Illumina. En l’absence de chiffres d’affaires dépassant les seuils pertinents, la concentration en cause ne présentait pas de dimension européenne, au sens de l’article 1er du règlement sur les concentrations{2}, et n’a donc pas été notifiée à la Commission européenne. Elle n’a pas non plus été notifiée dans les États membres de l’Union ou dans les États parties à l’accord sur l’Espace économique européen, dès lors qu’elle n’atteignait pas non plus les seuils nationaux pertinents.

En vertu de l’article 22 du règlement sur les concentrations, une autorité nationale de concurrence dispose de la faculté de demander le renvoi à la Commission de l’examen de toute concentration qui n’est pas de dimension européenne, mais qui affecte le commerce entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire de l’État membre concerné.

Or, en l’espèce, après avoir été saisie, le 7 décembre 2020, d’une plainte concernant la concentration en cause, la Commission est parvenue à la conclusion préliminaire que cette concentration apparaissait remplir les conditions nécessaires pour pouvoir faire l’objet d’un renvoi par une autorité nationale de concurrence{3}. Dès lors, elle a adressé, le 19 février 2021, une lettre aux États membres (ci-après la « lettre d’invitation »), afin, d’une part, de les en informer, et, d’autre part, de les inviter à lui adresser une demande de renvoi au titre de l’article 22 du règlement sur les concentrations. Le 9 mars 2021, l’Autorité de la concurrence française lui a soumis une telle demande de renvoi, à laquelle les autorités de concurrence grecque, belge, norvégienne, islandaise et néerlandaise ont, chacune en ce qui la concerne, ultérieurement demandé à se joindre. Le 11 mars 2021, la Commission a informé les entreprises concernées de la demande de renvoi (ci-après la « lettre d’information »). Par décisions du 19 avril 2021 (ci-après les « décisions attaquées »), la Commission a accueilli la demande de renvoi, ainsi que les demandes respectives de jonction.

Illumina, soutenue par Grail, a formé un recours en annulation à l’encontre des décisions attaquées ainsi que de la lettre d’information. Par son arrêt, rendu en formation élargie à l’issue d’une procédure accélérée, le Tribunal rejette ce recours dans son intégralité. À cette occasion, le Tribunal se prononce pour la première fois sur l’application du mécanisme de renvoi prévu par l’article 22 du règlement sur les concentrations à une opération dont la notification n’était pas requise dans l’État ayant demandé son renvoi, mais qui implique l’acquisition d’une entreprise dont l’importance pour la concurrence ne se reflète pas dans son chiffre d’affaires. En l’occurrence, le Tribunal admet, dans son principe, que la Commission puisse se reconnaître compétente dans une telle situation. Par ailleurs, le Tribunal apporte des éclaircissements sur la computation du délai de 15 jours ouvrables imparti aux États membres pour présenter une demande de renvoi dans une telle situation.

L’analyse ainsi admise par le Tribunal préfigurait une approche renouvelée de la Commission concernant l’application du mécanisme de renvoi établi à l’article 22 du règlement sur les concentrations, selon les orientations publiées le 31 mars 2021{4}, dont l’application ouvre la voie à une meilleure appréhension, par les règles de l’Union en matière de contrôle des concentrations, d’opérations impliquant des entreprises innovantes et disposant d’un fort potentiel concurrentiel.

Appréciation du Tribunal

Dans un premier temps, le Tribunal se prononce sur la recevabilité du recours, que conteste la Commission au regard de la nature des actes attaqués.

À cet égard, le Tribunal relève, d’une part, que les décisions attaquées présentent, en tant que telles, un caractère contraignant, et, d’autre part, que chacune d’entre elles entraîne un changement de régime juridique applicable à l’examen de la concentration en cause. En outre, ces décisions, qui ont mis un terme à la procédure spécifique de renvoi, ont fixé définitivement la position de la Commission à ce sujet. En effet, en acceptant les demandes présentées par les autorités nationales de concurrence concernées, au titre de l’article 22 du règlement sur les concentrations, la Commission s’est reconnue compétente pour examiner la concentration en cause selon le régime procédural et de fond prévu à cet effet par le règlement sur les concentrations, auquel se rattache, en particulier, l’obligation de suspension visée par son article 7. Dans ces conditions, il y a donc lieu de considérer les décisions attaquées comme des actes attaquables au sens de l’article 263 TFUE.

En revanche, selon le Tribunal, il doit en aller différemment pour la lettre d’information, qui, quoique déclenchant elle aussi l’obligation de suspension, n’en demeure pas moins une simple étape intermédiaire de la procédure de renvoi, de sorte que le recours est jugé irrecevable, en ce qu’il est dirigé contre cette lettre d’information.

Dans un second temps, quant au fond, le Tribunal examine, en premier lieu, le moyen tiré de l’incompétence de la Commission. À cet égard, le Tribunal précise d’emblée qu’il est appelé, dans ce cadre, à déterminer si, en vertu de l’article 22 du règlement sur les concentrations, la Commission est compétente pour examiner une concentration lorsqu’elle fait l’objet d’une demande de renvoi émanant d’un État membre disposant d’un régime national de contrôle des concentrations, mais qu’elle ne relève pas du champ d’application de cette réglementation nationale.

En l’occurrence, le Tribunal constate, d’une part, que, en admettant sa compétence dans une telle hypothèse, la Commission ne s’est pas fondée sur une interprétation erronée de l’article 22 du règlement sur les concentrations.

En effet, le libellé de cette disposition, en particulier l’emploi de la locution « toute concentration », indique qu’un État membre est en droit de renvoyer toute concentration qui remplit les conditions cumulatives qui y sont énoncées à la Commission, et ce indépendamment de l’existence ou de la portée d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations. Il ressort, en outre, de la genèse de cette même disposition que le mécanisme de renvoi qu’elle établit devait servir à l’origine principalement aux États membres qui ne disposent pas d’un régime de contrôle des concentrations propre, sans pour autant limiter son applicabilité à cette seule situation. Par ailleurs, du point de vue de l’économie générale du règlement sur les concentrations et des finalités qu’il poursuit, le Tribunal souligne que son champ d’application et, partant, l’étendue de la compétence d’examen de la Commission relative aux concentrations dépendent, certes, à titre principal, du dépassement des seuils des chiffres d’affaires définissant la dimension européenne, mais également, à titre subsidiaire, des mécanismes de renvoi prévus, notamment, à l’article 22 de ce règlement.

Dans ces conditions, après avoir rappelé que l’objectif du règlement sur les concentrations est de permettre un contrôle effectif de toutes les concentrations ayant des effets significatifs sur la structure de concurrence dans l’Union, le Tribunal considère, enfin, que le mécanisme de renvoi en cause, se présente comme un mécanisme correcteur participant de cet objectif. En effet, il apporte la flexibilité nécessaire pour faire examiner, au niveau de l’Union, des opérations de concentration susceptibles d’entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur qui, autrement, échapperaient, en raison de l’absence de dépassement des seuils de chiffres d’affaires, à un contrôle en vertu des régimes de contrôle des concentrations tant de l’Union que des États membres. En conséquence, c’est par une juste interprétation de l’article 22 du règlement sur les concentrations que la Commission s’est reconnue compétente pour examiner la concentration en cause.

D’autre part, le Tribunal considère qu’une telle interprétation ne méconnaît ni le principe d’attribution des compétences{5}, ni le principe de subsidiarité{6}, ni davantage le principe de proportionnalité{7}. Enfin, s’agissant du principe de sécurité juridique, le Tribunal souligne que c’est uniquement l’interprétation retenue dans les décisions attaquées qui assure la sécurité juridique nécessaire et l’application uniforme de l’article 22 du règlement sur les concentrations dans l’Union. Le Tribunal conclut, ainsi, à l’absence de fondement de l’intégralité du moyen tiré de l’incompétence de la Commission.

S’agissant, en deuxième lieu, du moyen tiré, à titre principal, du caractère tardif de la demande de renvoi, le Tribunal rappelle que, selon l’article 22, paragraphe 1, seconde alinéa, du règlement sur les concentrations, la demande de renvoi doit être présentée dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la communication de la concentration à l’État membre intéressé, si aucune notification de cette concentration n’est requise.

À cet égard, le Tribunal considère, tout d’abord, qu’une telle communication doit s’entendre d’une transmission active d’informations à l’État membre concerné, propres à lui permettre d’évaluer, de manière préliminaire, si les conditions requises aux fins d’un renvoi sont réunies. Il s’ensuit que c’est la lettre d’invitation qui, en l’espèce, constitue la communication visée. Or, dans ces circonstances, force est de constater que la demande de renvoi a bien été présentée en temps utile, de sorte qu’elle ne saurait être considérée comme tardive.

Cela étant, dans le cadre de l’examen des griefs subsidiaires tirés d’une violation des principes de sécurité juridique et de « bonne administration », le Tribunal souligne ensuite que la Commission n’en reste pas moins tenue d’observer un délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives, tout particulièrement, dans le cadre du contrôle des concentrations, compte tenu des objectifs fondamentaux d’efficacité et de célérité qui sous-tendent le règlement sur les concentrations. Or, en l’espèce, le Tribunal considère que l’écoulement d’un délai de 47 jours entre la réception de la plainte et l’envoi de la lettre d’invitation a été déraisonnable. Néanmoins, dans la mesure où il n’a pas été établi que cette inobservation, de la part de la Commission, d’un délai raisonnable a affecté la capacité des entreprises concernées à se défendre effectivement, elle ne peut justifier l’annulation des décisions attaquées. Par conséquent, le Tribunal rejette également le deuxième moyen dans son ensemble.

En troisième et dernier lieu, le Tribunal écarte également le moyen tiré de la violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique. À cet égard, estimant les allégations relatives à ce second principe insuffisamment étayées, le Tribunal limite son examen aux griefs concernant le principe de protection de la confiance légitime. Il rappelle à ce propos que, pour pouvoir utilement s’en prévaloir, il appartient au justiciable concerné d’établir avoir obtenu des autorités compétentes de l’Union des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, propres à faire naître dans son chef des espérances fondées. Or, en l’occurrence, Illumina est restée en défaut d’établir de telles circonstances et ne peut utilement se prévaloir de la réorientation de la pratique décisionnelle de la Commission.

{1} Ci-après conjointement dénommées les « entreprises concernées ».

{2} Règlement CE nº 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1) (ci-après le « règlement sur les concentrations »).

{3} En ce qui concerne, en particulier, l’impact potentiel de la concentration en cause sur la concurrence dans le marché intérieur, l’analyse préliminaire menée par la Commission l’a conduite à faire état de préoccupations quant au fait que l’opération pourrait permettre à Illumina, bien implantée en Europe, de bloquer l’accès des concurrents de Grail aux systèmes de séquençage de nouvelle génération nécessaires au développement des tests de dépistage du cancer, et, partant, de limiter à l’avenir leur développement.

{4} Orientations de la Commission concernant l’application du mécanisme de renvoi établi à l’article 22 du règlement sur les concentrations à certaines catégories d’affaires (JO 2021, C 113, p. 1).

{5} Tel que visé à l’article 4, paragraphe 1, TUE, lu en combinaison avec l’article 5 TUE.

{6} Tel qu’énoncé à l’article 5, paragraphes 1 et 3, TUE et mis en œuvre par le protocole (nº 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité (JO 2016, C 202, p. 206).

{7} Tel qu’énoncé énoncé à l’article 5, paragraphes 1 et 4, TUE.

Arrêt du 13 juillet 2022, Illumina / Commission (T-227/21) (cf. points 154, 155, 157-160, 162-165, 167, 168, 170-178)

129. Aides accordées par les États - Récupération d'une aide illégale et incompatible - Violation du principe de sécurité juridique - Absence

Afin de promouvoir le développement régional et la diversification de la structure économique de l’île de Madère, la République portugaise a mis en place un régime d’aides en faveur d’une zone délimitée sur cette île, appelée la zone franche de Madère (ZFM).

Ce régime, initialement approuvé par la Commission européenne en 1987 en tant qu’aide à finalité régionale compatible, a été modifié en 2002 (ci-après le « régime II »). En 2007, la Commission a autorisé un troisième régime qui a de nouveau été modifié en 2013{1}, (ci-après le « régime III »).

Le régime III, tel qu’approuvé par la Commission, prenait la forme d’une réduction de l’impôt sur le revenu applicable aux personnes morales sur les bénéfices issus d’activités effectivement et matériellement réalisées à Madère, d’une exonération de taxes municipales et locales ainsi que d’une exonération de l’impôt sur la transmission de biens immobiliers pour la création d’une entreprise dans la ZFM, à concurrence de montants d’aide maximaux basés sur des plafonds fixés en fonction du nombre de postes de travail maintenus par le bénéficiaire.

À la suite d’un exercice de surveillance dudit régime portant sur les années 2012 et 2013, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue par l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

À l’issue de cette procédure, elle a constaté, par décision du 4 décembre 2020{2}, que le régime III, tel que mis en œuvre par le Portugal, était substantiellement différent de celui autorisé par les décisions de 2007 et de 2013. Qualifiant ce régime d’« aide nouvelle » exécutée illégalement et incompatible avec le marché intérieur, la Commission a ordonné sa récupération auprès des bénéficiaires.

Le recours en annulation introduit par la République portugaise à l’encontre de cette décision est rejeté par le Tribunal.

Appréciation du Tribunal

En premier lieu, le Tribunal écarte les différents griefs contestant la qualification d’« aide nouvelle » du régime III, tel que mis en œuvre par la République portugaise.

D’une part, la République portugaise faisait valoir que la ZFM avait été créée avant son adhésion, le 1er janvier 1986, à la Communauté économique européenne (CEE) et que le régime d’aides adopté en faveur de cette zone n’avait pas fait l’objet de modifications substantielles depuis cette date. Dès lors, elle estimait que la Commission aurait dû qualifier le régime III, tel que mis en œuvre, d’« aide existante », à savoir une aide mise à exécution avant son adhésion et toujours applicable après.

À cet égard, le Tribunal rappelle que doit être considéré comme une « aide nouvelle » tout régime d’aides ou toute aide individuelle qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification substantielle d’une aide existante. Afin d’apprécier le caractère substantiel de telles modifications, il y a lieu d’examiner si celles-ci portent atteinte aux éléments constitutifs du régime en cause, tels que le cercle des bénéficiaires, l’objectif du soutien financier ou encore la source de ce soutien et son montant.

En l'occurrence, les modifications apportées par les régimes II et III au régime initial d’aides étaient de nature substantielle, en ce qu'elles portaient, entre autres, sur l’exclusion de certaines activités du champ d’application de ce régime et sur une augmentation des plafonds de la base d’imposition auxquels s’appliquait la réduction d’impôts.

En réponse à l’argument de la République portugaise selon lequel les modifications en cause s’étaient limitées à restreindre la portée du régime initial de la ZFM, le Tribunal relève, en outre, que l’appréciation du caractère substantiel d’une modification est indépendante de la question de savoir si cette dernière conduit à étendre ou à restreindre le champ d’application de l’aide en cause. Seul importe, aux fins de cette appréciation, de savoir si la modification est susceptible d’affecter la substance même du régime initial.

Dès lors, le Tribunal confirme que les modifications substantielles apportées au régime d’aides initial après le 1er janvier 1986 excluaient la qualification d’« aide existante », sans qu’il soit nécessaire de déterminer si ce régime avait effectivement été mis à exécution avant l’adhésion du Portugal à la CEE.

D’autre part, la République portugaise contestait la conclusion de la Commission selon laquelle le régime III avait été mis en œuvre en méconnaissance des décisions de 2007 et de 2013 et constituait, de ce fait, une aide nouvelle exécutée illégalement.

À cet égard, le Tribunal rappelle qu’un régime d’aides autorisé n’est plus couvert par la décision l’ayant autorisé et, partant, constitue une « aide nouvelle », lorsque l’État membre concerné procède à la mise en œuvre du régime d’aides selon des modalités substantiellement différentes de celles prévues dans le projet de régime d’aides notifié à la Commission et, donc, de celles prises en considération par cette dernière pour constater la compatibilité du régime notifié avec le marché intérieur.

Dans ce contexte, la République portugaise alléguait plus particulièrement que la Commission avait commis des erreurs de fait et de droit et violé son obligation de motivation en constatant, dans la décision attaquée, que les décisions de 2007 et de 2013 permettaient d’octroyer les aides prévues par le régime III uniquement en ce qui concernait les bénéfices résultant d’activités réalisées à Madère, à l’exclusion des bénéfices résultant d’activités réalisées en dehors de cette région par des sociétés enregistrées dans la ZFM.

Cette argumentation est rejetée par le Tribunal, qui confirme que la Commission a pu valablement considérer que seules les « activités effectivement et matériellement réalisées à Madère » ouvraient droit aux aides autorisées par les décisions de 2007 et de 2013.

Par ailleurs, le Tribunal souligne que les lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale pour la période 2007-2013{3}, au regard desquelles la Commission avait approuvé le régime III, énoncent que des aides au fonctionnement peuvent être octroyées exceptionnellement dans des régions ultrapériphériques, telles que la région autonome de Madère, à condition qu’elles soient justifiées par leur contribution au développement régional et par leur nature et que leur niveau soit proportionnel aux handicaps qu’elles visent à pallier. Les activités affectées par les handicaps et donc par les surcouts propres à ces régions sont, dès lors, les seules à pouvoir bénéficier de telles aides. Les activités exercées en dehors desdites régions qui, de ce fait, ne sont pas affectées par ces surcouts, et cela même si elles sont exercées par des sociétés établies dans ces mêmes régions, doivent quant à elles être exclues du bénéfice de ces aides.

Le Tribunal écarte également l’argument de la République portugaise tiré du fait que l’interprétation retenue par la Commission était contraire à un commentaire du comité des affaires fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ainsi qu’à la pratique décisionnelle antérieure de la Commission. En effet, si la Commission est susceptible de prendre en considération des textes adoptés dans le cadre de l’OCDE, elle ne saurait aucunement être liée par ceux-ci, notamment dans l’application des règles de l’Union relatives aux aides d’État. De même, c’est dans le seul cadre de l’article 107 TFUE que doit être appréciée la légalité d’une décision de la Commission et non au regard d’une prétendue pratique décisionnelle antérieure de celle-ci.

En deuxième lieu, le Tribunal rejette le moyen tiré par la République portugaise de la prétendue impossibilité de récupérer les aides octroyées illégalement au motif, essentiellement, que la décision attaquée ne lui permettait pas de déterminer les montants à récupérer « sans difficulté excessive ».

En effet, même si la République portugaise a le droit de se prévaloir du principe selon lequel « à l’impossible nul n’est tenu », elle n’a pas établi à suffisance de droit l’impossibilité objective et absolue, dès l’adoption de la décision attaquée, de procéder à la récupération des aides en cause. Par ailleurs, les difficultés d’ordre administratif et pratique qu’entraîne le grand nombre de bénéficiaires des aides ne permettent pas de considérer la récupération comme étant techniquement impossible à réaliser.

En troisième lieu, concernant le grief tiré de la prescription de certaines aides versées, le Tribunal relève que le seul fait que certaines aides individuelles versées en application d’un régime d’aides, dont une décision de la Commission constate le caractère illégal et incompatible avec le marché intérieur, soient prescrites ne saurait emporter l’annulation de cette décision. À cet égard, il appartient aux autorités nationales sur lesquelles pèse l’obligation de récupération immédiate et effective desdites aides de déterminer, au regard des circonstances particulières propres à chaque bénéficiaire d’un régime d’aides, si chacun des bénéficiaires doit effectivement restituer ladite aide.

{1} Décisions de la Commission du 27 juin 2007, rendue dans l’affaire N421/2006, et du 2 juillet 2013, rendue dans l’affaire SA.34160 (2011/N) (ci-après les « décisions de 2007 et de 2013 ».

{2} Décision C(2020) 8550 final de la Commission européenne, du 4 décembre 2020, relative au régime d’aides SA.21259 (2018/C) (ex 2018/NN) mis à exécution par le Portugal en faveur de la zone franche de Madère (ZFM) - Régime III (ci-après la « décision attaquée »).

{3} Lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale pour la période 2007-2013, (JO 2006, C 54, p. 13).

Arrêt du 21 septembre 2022, Portugal / Commission (Zone Franche de Madère) (T-95/21) (cf. points 204-214)

Le Tribunal rejette le recours introduit par deux sociétés contre la décision de la Commission européenne{1} déclarant incompatibles avec le marché intérieur certaines aides versées à des entreprises établies sur l’île de Madère, en application d’un régime préalablement autorisé, et en ordonnant leur récupération{2}. Dans ce cadre, le Tribunal précise, en particulier, l’étendue des renseignements que les États membres doivent fournir lors de la notification d’une mesure d’aide à la Commission afin de lui permettre de procéder à son examen avec la diligence requise, au regard des exigences inhérentes au principe de coopération loyale.

Afin de promouvoir le développement régional et la diversification de la structure économique de l’île de Madère, la République portugaise a mis en place un régime d’aides en faveur d’une zone délimitée sur cette île, appelée la zone franche de Madère (ZFM).

Ce régime, initialement approuvé par la Commission en 1987 en tant qu’aide à finalité régionale compatible, a été modifié en 2002. En 2007, la Commission a autorisé un troisième régime qui a de nouveau été modifié en 2013{3} (ci-après le « régime III »).

Le régime III, tel qu’approuvé par la Commission, prenait la forme d’une réduction de l’impôt sur le revenu applicable aux personnes morales sur les bénéfices issus d’activités effectivement et matériellement réalisées à Madère, d’une exonération de taxes municipales et locales ainsi que d’une exonération de l’impôt sur la transmission de biens immobiliers pour la création d’une entreprise dans la ZFM, à concurrence de montants d’aide maximaux basés sur des plafonds fixés en fonction du nombre de postes de travail maintenus par le bénéficiaire.

À la suite d’un exercice de surveillance dudit régime portant sur les années 2012 et 2013, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue par l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

À l’issue de cette procédure, elle a constaté, par décision du 4 décembre 2020, que le régime III, tel que mis en œuvre par le Portugal, était substantiellement différent de celui autorisé par les décisions de 2007 et de 2013. Qualifiant ce régime d’« aide nouvelle » exécutée illégalement et incompatible avec le marché intérieur, la Commission a ordonné sa récupération auprès des bénéficiaires.

Les requérantes, Millennium BCP Participações, SGPS, Sociedade Unipessoal, Lda et BCP África, SGPS, Lda, sont des sociétés de gestion de participations sociales (ci-après les « SGPS ») bénéficiaires du régime III. Elles ont introduit un recours en annulation à l’encontre de la décision 2022/1414 pour autant que celle-ci les concerne.

Appréciation du Tribunal

À l’appui de leur recours, les requérantes reprochent notamment à la Commission d’avoir commis une erreur de droit en incluant les SGPS dans les bénéficiaires couverts par l’obligation de récupération en cas de non-respect de la condition relative à la création ou au maintien de postes de travail dans la région autonome de Madère (ci-après la « RAM »). En effet, elles soutiennent que, en application d’une dérogation faisant partie intégrante du régime III, tel que notifié à la Commission, les SGPS n’étaient pas soumises à cette condition, de sorte que l’aide qui leur a été versée n’était pas une « aide nouvelle », mais une « aide existante » correspondant à l’aide autorisée par la Commission par les décisions de 2007 et de 2013.

À titre liminaire, le Tribunal rappelle que la qualification d’« aide existante » ou d’« aide nouvelle » du régime III, tel que mis en œuvre au bénéfice des SGPS, dépend non seulement du texte même des décisions d’autorisation adoptées par la Commission, mais également du contenu de la notification effectuée par l’État membre concerné ainsi que des renseignements complémentaires fournis par celui-ci à la suite de demandes d’informations supplémentaires. Dans ce cadre, il convient également de tenir compte du comportement de cet État membre lors de la notification du régime, à la lumière de son devoir de collaboration envers la Commission.

En l’espèce, il ressort de l’ensemble de la notification du régime III, notamment en 2006 (ci-après la « notification de 2006 »), ainsi que de la correspondance subséquente entre la Commission et les autorités portugaises, que la dérogation en cause n’a été mentionnée que dans les bases légales annexées à la notification, notamment dans une disposition du projet de décret-loi relatif au statut des avantages fiscaux notifié à la Commission{4}. En revanche, aucune mention de cette dérogation n’a été faite dans le formulaire de notification ni dans le mémorandum explicatif qui l’accompagnait.

Or, compte tenu du libellé de la disposition concernée ainsi que de l’exposé des motifs du projet de décret-loi notifié, la Commission pouvait raisonnablement considérer que, à l’instar de l’ensemble des entreprises appelées à bénéficier du régime III, les SGPS étaient soumises à la condition de création ou de maintien de postes de travail dans la RAM. En outre, il ressort du mémorandum explicatif accompagnant la notification de 2006 ainsi que, notamment, de l’exposé des motifs du projet de décret-loi notifié que l’intention des autorités portugaises était d’obliger toute entreprise souhaitant bénéficier du régime III à créer ou à maintenir des postes de travail dans la RAM.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les autorités portugaises n’ont jamais attiré l’attention de la Commission sur le fait que le projet de décret-loi notifié était susceptible d’être appliqué dans le sens qu’il permettrait aux SGPS de bénéficier du régime III sans être soumises à la condition relative à la création ou au maintien de postes de travail dans la RAM. Ainsi, par la notification de 2006 et les échanges ultérieurs, la République portugaise n’a pas fourni à la Commission toutes les informations nécessaires qui auraient permis à cette dernière, tout d’abord, de constater l’existence d’une dérogation pour les SGPS à cette condition, ensuite, d’examiner la compatibilité d’une telle dérogation avec le traité FUE et, enfin, de se former une opinion à cet égard, alors même que la dérogation applicable aux SGPS conduisait, en pratique, ces entreprises à bénéficier d’aides d’État accordées dans des conditions nettement plus avantageuses que celles prévues par le régime général applicable aux autres entreprises.

Le Tribunal considère également que les requérantes soutiennent en vain que la Commission aurait violé le droit à une bonne administration en manquant de procéder à un examen diligent de la notification de 2006.

En effet, les autorités portugaises n’ont pas mis la Commission en mesure de savoir qu’une dérogation à la condition relative à la création ou au maintien de postes de travail dans la RAM pour les SGPS lui avait été soumise aux fins de son appréciation. Elles n’ont pas non plus expliqué comment cette dérogation était proportionnelle à l’objectif poursuivi par l’aide et compatible avec le marché intérieur, alors que la condition de création ou de maintien de postes de travail constituait une condition d’accès du régime III, notamment en ce qu’elle servait à quantifier la contribution à l’objectif du développement régional ainsi que le niveau et la proportionnalité des avantages conférés.

Ainsi, s’il était dans l’intention des autorités portugaises de soumettre cette dérogation à l’appréciation de la Commission, le principe de coopération loyale qui s’impose à elles aurait dû les conduire à davantage attirer l’attention de la Commission sur l’existence d’une telle dérogation, qui soulève des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur et, par suite, à fournir des explications quant à cette compatibilité.

Dans ces conditions, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir violé le principe de bonne administration ou d’avoir manqué à son devoir de diligence en ne se rendant pas compte qu’une disposition sur laquelle les autorités portugaises n’avaient pas fourni d’explications était susceptible d’être interprétée comme permettant une dérogation à la condition relative à la création ou au maintien de postes de travail dans la RAM.

Ainsi, à défaut d’avoir été valablement notifiée, une dérogation à la condition relative à la création ou au maintien de postes de travail dans la RAM ne saurait être regardée comme ayant été autorisée par la décision de 2007.

Une telle autorisation saurait d’autant moins découler de la décision de 2013 que celle-ci comporte la mention d’un engagement de la République portugaise à « supprimer tout traitement préférentiel d’entités telles que les [SGPS] lorsqu’il est confirmé que leur traitement dans la ZFM confère effectivement un avantage par rapport au régime général portugais applicable aux SGPS ».

Les autres moyens soulevés, tirés d’une violation de l’obligation de motivation de la Commission et d’une violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, s’étant également révélés non fondés, le Tribunal rejette le recours dans son intégralité.

{1} Décision (UE) 2022/1414 de la Commission, du 4 décembre 2020, relative au régime d’aides SA.21259 (2018/C) (ex 2018/NN) mis en œuvre par le Portugal en faveur de la zone franche de Madère (Zona Franca da Madeira - ZFM) - Régime III (JO 2022, L 217, p. 49).

{2} L’arrêt qui fait l’objet du présent résumé intervient à la suite du rejet, devenu définitif, de l’intégralité du recours visant à l’annulation de la même décision introduit par la République portugaise [arrêt du 21 septembre 2022, Portugal/Commission (Zone Franche de Madère), T 95/21, EU:T:2022:567, confirmé par l’arrêt de la Cour du 4 juillet 2024, Portugal/Commission (Zone franche de Madère), C 736/22 P, non publié, EU:C:2024:579].

{3} Décisions de la Commission, du 27 juin 2007, rendue dans l’affaire N421/2006, et du 2 juillet 2013, rendue dans l’affaire SA.34160 (2011/N) (ci-après les « décisions de 2007 et de 2013 »).

{4} Art. 34ºA, paragraphe 5, du statut des avantages fiscaux inclus dans le projet de décret-loi notifié.

Arrêt du 6 novembre 2024, Millennium BCP et BCP África / Commission (Zone franche de Madère) (T-462/22) (cf. points 111-117)



Arrêt du 21 juin 2023, Região Autónoma da Madeira / Commission (T-131/21) (cf. points 152-162)



Ordonnance du 18 octobre 2023, Somniare / Commission (Zone franche de Madère) (T-460/22, T-461/22, T-464/22, T-550/22, T-551/22 et T-553/22,) (cf. points 146-166)



Ordonnance du 18 octobre 2023, Renco Valore / Commission (Zone franche de Madère) (T-588/22 et T-660/22) (cf. points 122-143)



Ordonnance du 18 octobre 2023, Nagolimad / Commission (Zone franche de Madère) (T-668/22) (cf. points 130-147)



Ordonnance du 18 octobre 2023, Newalliance / Commission (Zone franche de Madère) (T-683/22 à T-688/22, T-690/22 à T-693/22, T-695/22 à T-701/22, T-707/22 et T-708/22) (cf. points 98-118)



Ordonnance du 18 octobre 2023, Bourbon Offshore Interoil Shipping / Commission (Zone franche de Madère) (T-721/22) (cf. points 73-90)



Ordonnance du 27 octobre 2023, Nutmark / Commission (Zone franche de Madère) (T-714/22 et T-715/22) (cf. points 75-87)



Ordonnance du 27 octobre 2023, Eutelsat Madeira / Commission (Zone franche de Madère) (T-718/22 et T-723/22) (cf. points 94-113)



Arrêt du 19 juin 2024, Vima World / Commission (Zone franche de Madère) (T-671/22) (cf. points 137-151)

130. Budget de l'Union européenne - Règlement financier - Recouvrement des créances de l'Union sur les tiers - Délai de communication d'une note de débit - Précision réglementaire du délai pour l'envoi de la note de débit au débiteur - Principe du délai raisonnable - Applicabilité - Absence

Par un arrêt du 7 mars 2019, L/Parlement{1}, le Tribunal avait annulé la décision du Parlement européen de résilier le contrat d’assistant parlementaire accrédité de L (ci-après l’« APA »), accrédité aux fins de l’assistance de TC, le requérant, député européen, pour rupture du lien de confiance au motif qu’il n’avait pas respecté les règles relatives aux autorisations d’exercice d’activités extérieures. Le Tribunal avait en effet constaté qu’il ressortait des éléments du dossier que non seulement le requérant avait connaissance des activités extérieures de l’APA, mais que, en outre, il en était à l’initiative directe.

À la suite de cet arrêt, le secrétaire général du Parlement a informé le requérant de l’ouverture d’une procédure de recouvrement de sommes indûment versées{2}, concernant l’assistance parlementaire apportée au requérant par l’APA. Il a invité par la même occasion le requérant à présenter, dans un délai de deux mois, des observations et des éléments de preuve visant à réfuter les conclusions préliminaires du Parlement sur les activités extérieures que l’APA avait exercées et à prouver que ce dernier avait effectivement exercé des fonctions d’assistant parlementaire accrédité. En réponse, le requérant a adressé au Parlement des observations et des éléments de preuve complémentaires, tout en demandant un certain nombre de documents et d’informations relatifs au dossier personnel de l’APA au Parlement, les copies des correspondances échangées par l’APA avec les représentants du Parlement concernant son travail et le dossier complet de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 mars 2019. Le Parlement a partiellement fait droit aux demandes de documents et d’informations du requérant.

Par décision du 16 mars 2021 (ci-après la « décision attaquée »), le secrétaire général du Parlement a considéré qu’une somme d’argent avait été indûment prise en charge par cette institution dans le cadre de l’emploi de l’APA et qu’elle devait être recouvrée auprès du requérant{3}. Consécutivement, le directeur général des finances du Parlement a émis, le 31 mars 2021, une note de débit ordonnant le recouvrement de ladite somme.

Saisi d’un recours en annulation contre la décision attaquée, qu’il accueille, le Tribunal se prononce sur le droit d’un débiteur d’invoquer une violation du principe du délai raisonnable lorsque l’institution lui envoie une note de débit dans le délai de cinq ans, fixé par le règlement financier, réaffirme l’importance du respect du principe du droit d’être entendu dans les procédures de recouvrement de frais d’assistance parlementaire ouvertes par le Parlement à l’encontre de ses membres et, enfin, tranche la question inédite du droit de se prévaloir, au titre de la garantie du droit d’être entendu, de motifs d’intérêt public pour obtenir la transmission de données à caractère personnel.

Appréciation du Tribunal

En premier lieu, le Tribunal rejette le moyen tiré de la violation du principe du respect du délai raisonnable, au motif que le Parlement aurait fondé la décision attaquée sur des données de l’affaire L/Parlement, pour lequel la requête avait été introduite en avril 2017.

À ce titre, il rappelle que l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union énonce le principe du respect du délai raisonnable, qui fait partie intégrante du droit à une bonne administration et que le respect d’un délai raisonnable est requis dans tous les cas où, dans le silence des textes, les principes de sécurité juridique ou de protection de la confiance légitime font obstacle à ce que les institutions de l’Union et les personnes physiques ou morales agissent sans aucune limite de temps. En revanche, lorsque l’administration agit dans le délai qui lui est spécifiquement prescrit par un texte, il ne saurait être valablement allégué que les exigences découlant du droit à voir ses affaires traitées dans un délai raisonnable sont méconnues.

Or, contrairement à la réglementation antérieure{4} celle applicable en l’espèce{5} prévoit désormais que l’ordonnateur envoie la note de débit immédiatement après la constatation de la créance et au plus tard dans un délai de cinq ans à compter du moment où l’institution de l’Union est en mesure de faire valoir sa créance.

Il n’y a donc pas lieu, en l’espèce, d’avoir recours au principe du respect du délai raisonnable pour apprécier le délai dans lequel la note de débit a été envoyée. En outre, le Tribunal relève que, d’une part, la note de débit a été adressée au requérant immédiatement après la constatation de la créance, dans la décision attaquée, et que, d’autre part, le moment auquel le Parlement a été en mesure de faire valoir sa créance coïncide avec le dépôt de la requête dans l’affaire L/Parlement ou avec le prononcé de l’arrêt dans cette dernière affaire, de sorte que le délai de cinq ans prévu par le règlement financier en vigueur a été respecté par le Parlement.

En second lieu, le Tribunal accueille le moyen tiré de la violation du droit d’être entendu. À titre liminaire, il rappelle que le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard est garanti, de manière particulière, par les MAS{6}, en vertu desquelles le député concerné est entendu préalablement à l’adoption de toute décision dans cette matière. Ce droit garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts.

En l’espèce, le Tribunal constate que plusieurs demandes de documents et d’informations du requérant au Parlement ont été rejetées, sous réserve des documents concernant la fin du contrat de l’APA.

Il rappelle que, en cas de doute sur le caractère régulier de l’utilisation des frais d’assistance parlementaire versés au profit d’un APA, c’est au parlementaire qu’il incombe d’établir que cet APA a travaillé pour lui, en relation avec son mandat parlementaire, pendant toute la période au cours de laquelle ces frais ont été versés. En outre, lorsqu’il est invité à fournir cette preuve, le parlementaire doit communiquer au Parlement, dans le délai imparti, les éléments qui se trouvent en sa possession. Si d’autres éléments paraissent pertinents, il peut en demander la communication aux institutions, aux organismes et aux agences de l’Union qui en disposent, sur le fondement du droit d’être entendu, dès lors qu’ils concernent des données nécessaires pour lui permettre de formuler ses observations d’une manière utile et effective sur la mesure de recouvrement envisagée. Le Parlement qui reçoit une telle demande ne peut refuser de fournir les données réclamées sans violer le droit d’être entendu, sauf à invoquer, au soutien de ce refus, des motifs pouvant être considérés comme étant justifiés au regard, d’une part, des circonstances de l’espèce et, d’autre part, des règles applicables.

Le Tribunal examine donc si les motifs invoqués par le Parlement pour ne pas communiquer les données demandées par le requérant présentent un caractère justifié.

Premièrement, le Tribunal écarte les motifs invoqués par le Parlement pour rejeter la demande du requérant concernant la communication de « tous les courriels des années 2015, 2016 et 2019 » et la correspondance échangée par celui-ci avec les services compétents du Parlement concernant le travail de l’APA. Il rappelle que chaque institution organise ses travaux dans le respect des règles qui lui sont applicables et qu’elle peut édicter et considère que, en l’espèce, le Parlement pouvait limiter la période de conservation des courriels des députés, en leur permettant de les sauvegarder dans des dossiers personnels. Toutefois, il détermine si, en l’espèce, cette politique a été mise en œuvre d’une manière assurant le respect du droit d’être entendu.

Or, il constate que, dès le début de l’année 2016, le Parlement a eu connaissance d’une situation conflictuelle entre le requérant et l’APA quant au fait que celui-ci exerçait ou non ses activités pour le requérant dans le respect des règles régissant l’assistance parlementaire. Par conséquent, dès ce moment, il convenait que le Parlement assure la conservation des courriels susceptibles d’établir la nature exacte des activités de l’APA durant le déroulement de la procédure de licenciement et, si celle-ci donnait lieu à d’autres procédures, juridictionnelles ou administratives, telles qu’une procédure de recouvrement, aussi longtemps que ces autres procédures restaient ouvertes.

Par ailleurs, la possibilité d’effectuer un archivage personnel ne saurait avoir pour effet d’affranchir le Parlement de l’obligation d’assurer la conservation de tout courriel pertinent pour établir que, conformément aux règles que s’est données l’institution, un APA a exercé ses activités, de manière effective et exclusive, pour le parlementaire auquel il était affecté, en lien direct avec le mandat de ce dernier. Il ajoute que cette possibilité ne saurait affranchir le Parlement de l’obligation de communiquer les courriels ainsi conservés, lorsque, en application du droit d’être entendu, lequel présente un caractère fondamental dans l’ordre juridique de l’Union, il est sollicité en ce sens par le parlementaire concerné qui, comme en l’espèce, fait l’objet d’une procédure de recouvrement pour utilisation irrégulière des frais d’assistance parlementaire.

Deuxièmement, le Tribunal écarte les motifs invoqués par le Parlement pour rejeter la demande concernant le « dossier personnel » de l’APA (tous les documents liés à son recrutement et à son travail), y compris les informations relatives au nombre de fois où la protection du Parlement a été sollicitée pour cet APA, et les données relatives à sa présence pouvant être extraites de sa carte d’accès au Parlement.

S’agissant du motif pris de ce que la transmission de ces données était contraire au règlement relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions, organes et organismes de l’Union et à la libre circulation de ces données{7}, certes, le Tribunal convient que, dès lors qu’elles devaient servir à sa défense dans le cadre de la procédure de recouvrement, les données réclamées par le requérant ne pouvaient être considérées comme étant « nécessaires à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le destinataire »{8}. Pour la même raison, il ne saurait être considéré que la transmission desdites données au requérant répondait à un « but spécifique d’intérêt public »{9}.

Toutefois, le Tribunal relève que la demande d’observations adressée par le Parlement au requérant afin de lui permettre d’exercer son droit d’être entendu est fondée, en l’espèce, sur des éléments détenus par cette institution sans être connus, le cas échéant, du requérant ou sur des éléments dont le requérant avait connaissance lorsqu’il était le supérieur hiérarchique de l’APA, mais dont il ne dispose plus.

Partant, au regard de l’importance reconnue au droit d’être entendu, la circonstance que de tels éléments puissent se trouver dans le « dossier personnel » de l’APA ne saurait, en tant que telle, faire obstacle à ce que ces éléments soient communiqués au requérant afin de lui permettre de formuler ses observations d’une manière utile et effective, dans le cadre de l’exercice dudit droit.

En effet, le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu, mais doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance, à ce titre, avec d’autres droits fondamentaux, dans le cadre d’une démarche accordant à chacun des droits impliqués la place qui lui revient, au regard des faits de l’espèce, dans l’ordre juridique de l’Union, conformément au principe de proportionnalité. La nécessité d’assurer une telle mise en balance entre le droit à la protection des données personnelles et les autres droits fondamentaux reconnus dans cet ordre juridique est soulignée par le législateur de l’Union dans le règlement relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données{10}, dont le règlement sur la protection de données à caractère personnel par les institutions, organes et organismes de l’Union est l’équivalent.

Le Tribunal en conclut qu’il ne saurait être admis que le Parlement puisse inviter le requérant à se prononcer de manière utile et effective sur des éléments figurant, le cas échéant, dans le dossier de l’APA, sans, comme en l’espèce, lui donner accès à ces éléments, après avoir mis en balance, d’une part, l’intérêt de cet APA à ce que les données le concernant ne soient pas transmises à des tiers et, d’autre part, l’intérêt du requérant à présenter ses observations de manière utile et effective dans le cadre de la procédure en recouvrement ouverte contre lui.

S’agissant du motif pris de ce que la transmission de ces données était contraire aux dispositions du statut des fonctionnaires de l’Union européenne sur les dossiers individuels des fonctionnaires et agents{11}, applicable aux assistants parlementaires, le Tribunal constate que la confidentialité des pièces en cause ne saurait être opposée au requérant, qui est au demeurant l’auteur de certains des documents concernés en tant que supérieur hiérarchique de l’APA, dans la mesure nécessaire à l’exercice par le requérant de son droit d’être entendu.

Enfin, troisièmement, le Tribunal écarte les motifs invoqués par le Parlement pour rejeter la demande du requérant concernant le dossier relatif à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 mars 2019. En effet, quant au fait que le Tribunal a accordé l’anonymat à l’APA dans la procédure ayant donné lieu à cet arrêt, le Tribunal rappelle que l’anonymat vise à omettre le nom d’une partie au litige ou celui d’autres personnes mentionnées dans le cadre de la procédure concernée, ou encore d’autres données dans les documents afférents à l’affaire auxquels le public a accès. En revanche, l’anonymat octroyé par le Tribunal ne concerne pas la confidentialité des éléments versés au dossier de ladite procédure en dehors de celle-ci, dans le cadre des relations entre les parties et des tiers. Par conséquent, la décision du Tribunal relative à l’anonymat n’interdisait pas au Parlement de communiquer au requérant les pièces échangées dans l’arrêt du 7 mars 2019, qui étaient susceptibles d’être pertinentes aux fins de l’exercice par le requérant de son droit d’être entendu.

{1} Arrêt du 7 mars 2019, L/Parlement (T-59/17, EU:T:2019:140).

{2} En vertu de l’article 68 de la décision du bureau du Parlement des 19 mai et 9 juillet 2008 portant mesures d’application du statut des députés au Parlement européen (JO 2009, C 159, p. 1, ci-après les « MAS »).

{3} En application de l’article 68, paragraphe 1, des MAS.

{4} Règlement (UE, Euratom) nº 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) nº 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1), et le règlement délégué (UE) nº 1268/2012 de la Commission, du 29 octobre 2012, relatif aux règles d’application du règlement nº 966/2012 (JO 2012, L 362, p. 1).

{5} Article 98, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) nº 1296/2013, (UE) nº 1301/2013, (UE) nº 1303/2013, (UE) nº 1304/2013, (UE) nº 1309/2013, (UE) nº 1316/2013, (UE) nº 223/2014, (UE) nº 283/2014 et la décision nº 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) nº 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1).

{6} Article 68, paragraphe 2, des MAS.

{7} Règlement (UE) 2018/1725 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2018, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions, organes et organismes de l’Union et à la libre circulation de ces données, et abrogeant le règlement (CE) nº 45/2001 et la décision nº 1247/2002/CE (JO 2018, L 295, p. 39).

{8} Au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous a), du règlement 2018/1725.

{9} Au sens l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement 2018/1725.

{10} Considérant 4 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) (JO 2016, L 119, p. 1).

{11} Article 26 du règlement nº 31 (C.E.E) 11 (C.E.E.A.) fixant le statut des fonctionnaires et le régime applicable aux autres agents de la Communauté économique européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique, tel que modifié.

Arrêt du 7 juin 2023, TC / Parlement (T-309/21) (cf. points 61, 62)

131. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Portée du contrôle - Contrôle restreint pour les règles générales - Critères d'adoption des mesures restrictives - Femmes et hommes d'affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement russe, et personnes physiques ou morales leur étant associées - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques



Arrêt du 6 septembre 2023, Pumpyanskaya / Conseil (T-272/22) (cf. points 113-120)



Arrêt du 20 décembre 2023, Moshkovich / Conseil (T-283/22) (cf. points 58, 59, 61-63)

132. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Gel des fonds des femmes ou hommes d'affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie et des personnes leur étant associées - Contrôle juridictionnel de la légalité - Mesures suffisamment claires et précises - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques



Arrêt du 6 septembre 2023, Pumpyanskiy / Conseil (T-291/22) (cf. points 116-125)

133. Aides accordées par les États - Récupération d'une aide illégale - Violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique - Absence



Arrêt du 20 septembre 2023, Flir Systems Trading Belgium / Commission (T-467/16 et T-681/16) (cf. points 120-127)

134. Aides accordées par les États - Décision de la Commission constatant l'incompatibilité d'une aide avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération - Régime d'aides constitué d'amortissements fiscaux de la survaleur financière en cas de prises de participations dans des entreprises étrangères - Décision de la Commission couvrant les prises de participations tant directes qu'indirectes - Décision constatant l'existence d'une confiance légitime dans le chef des bénéficiaires par rapport à certaines prises de participations tant directes qu'indirectes - Adoption d'une nouvelle décision portant sur les seules prises de participations indirectes - Nouvelle décision ne retenant pas l'existence d'une confiance légitime - Violation du principe de sécurité juridique - Violation du principe de protection de la confiance légitime

En vue d’encourager l’investissement à l’étranger des entreprises espagnoles, l’article 12, paragraphe 5, de la loi espagnole relative à l’impôt sur les sociétés (ci-après le « TRLIS »){1}, prévoit, sous certaines conditions, un amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations d’au moins 5 % dans une entreprise étrangère. Aux fins de cette disposition, la survaleur financière est définie comme étant le montant de l’écart entre le prix de la prise de participations et sa valeur comptable à la date de l’acquisition qui n’a pas pu être imputé aux biens et droits de l’entité étrangère.

En 2005 et en 2006, ce régime d’amortissement fiscal (ci-après le « régime en cause ») a fait l’objet de plusieurs questions de membres du Parlement européen{2}. Dans ses réponses du 19 janvier et du 17 février 2006, la Commission européenne a affirmé que ledit régime n’entrait pas dans le champ d’application des règles relatives aux aides d’État.

Par lettre du 26 mars 2007, la Commission a néanmoins invité les autorités espagnoles à lui fournir des informations afin d’évaluer la portée et les effets du régime en cause, notamment quant aux types d’opérations couverts. En réponse, les autorités espagnoles ont précisé que seule la survaleur financière résultant de prises de participations directes était déductible au titre du régime en cause.

Ayant ouvert la procédure formelle d’examen par une décision publiée sous forme de résumé en décembre 2007, la Commission a adopté les décisions 2011/5{3} et 2011/282{4} déclarant le régime en cause incompatible avec le marché intérieur (ci-après les « décisions initiales »). Toutefois, au regard de la confiance légitime créée dans le chef de certaines entreprises bénéficiaires par les réponses de la Commission du 19 janvier et du 17 février 2006, cette institution a admis que ce régime pouvait continuer à s’appliquer, durant toute la période d’amortissement prévue par lui, aux prises de participations effectuées avant la publication de la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, voire, sous certaines conditions, avant la publication de la décision 2011/282.

En avril 2012, les autorités espagnoles ont informé la Commission de l’adoption d’un nouvel avis contraignant par la direction générale des impôts espagnole, selon lequel la survaleur financière résultant de prises de participations non plus seulement directes mais désormais également indirectes dans des entreprises étrangères, y inclus celles déjà réalisées, relevait du régime en cause (ci-après la « nouvelle interprétation administrative »).

Après avoir ouvert une seconde procédure formelle d’examen, la Commission a constaté, par décision du 15 octobre 2014{5}, que la nouvelle interprétation administrative n’était pas couverte par les décisions initiales et qu’elle constituait une aide nouvelle incompatible avec le marché intérieur. La Commission a, en outre, refusé de reconnaître l’existence d’une confiance légitime dans le chef de certaines entreprises bénéficiaires dans les conditions fixées à cet égard dans les décisions initiales. Par conséquent, la Commission a exigé que le Royaume d’Espagne mette un terme au régime d’aides découlant de la nouvelle interprétation administrative et qu’il récupère toutes les aides octroyées au titre de celui-ci.

Saisi de plusieurs recours en annulation introduits par des entreprises espagnoles ayant bénéficié d’un amortissement fiscal de survaleurs financières découlant de prises de participations indirectes dans des entreprises étrangères, le Tribunal annule la décision attaquée pour violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

Appréciation du Tribunal

Au soutien de leurs recours, les requérantes contestaient, en premier lieu, la qualification de la nouvelle interprétation administrative d’aide nouvelle par la Commission. Dans ce contexte, elles avançaient, en substance, que les prises de participations indirectes étaient déjà couvertes par les décisions initiales, de sorte que la Commission n’était plus en droit d’adopter la décision attaquée en ce qui concernait spécifiquement ce type d’opérations.

À cet égard, le Tribunal relève, dans un premier temps, qu’il ressort du libellé des décisions initiales que, malgré les assurances fournies par les autorités espagnoles au cours de la procédure administrative, selon lesquelles le régime en cause ne portait que sur les prises de participations directes, la Commission a examiné ce régime comme visant tout à la fois les prises de participations directes et les prises de participations indirectes. De plus, il ne saurait être valablement déduit des éléments mis en avant par la Commission dans la décision attaquée que la nouvelle interprétation administrative avait élargi le champ d’application de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS.

Au vu de ces considérations, le Tribunal constate que, contrairement à ce que la Commission avait conclu dans la décision attaquée, les décisions initiales couvraient déjà les prises de participations indirectes aux fins de l’application du régime en cause.

Dans ces circonstances, le Tribunal examine, dans un second temps, si la Commission était en droit d’adopter la décision attaquée, compte tenu du champ d’application des décisions initiales.

Sur ce point, le Tribunal souligne que la décision attaquée exige que le Royaume d’Espagne récupère l’intégralité des aides octroyées en exécution du régime en cause, tel qu’appliqué aux prises de participations indirectes, alors que certaines de ces aides échappaient à l’obligation de récupération au titre des décisions initiales en raison de la confiance légitime que la Commission y avait reconnue. Or, un tel résultat équivaut à un retrait des décisions initiales dans la mesure où celles-ci visaient les prises de participations indirectes.

Conformément à l’article 9 du règlement nº 659/1999{6}, lu conjointement avec son article 13, paragraphe 3, la révocation d’une décision est certes possible dans le cas où celle-ci reposait sur des informations inexactes transmises au cours de la procédure et d’une importance déterminante pour la décision. Toutefois, aucun élément du dossier ne démontrait que la Commission, qui ne s’en prévalait d’ailleurs pas, se serait fondée sur des informations inexactes transmises au cours de la procédure administrative ayant abouti à la décision attaquée.

De même, si les dispositions précitées du règlement nº 659/1999 ne sont qu’une expression spécifique du principe général du droit selon lequel le retrait rétroactif d’un acte administratif illégal ayant créé des droits subjectifs est admis, la Commission n’a jamais soutenu que les décisions initiales auraient été illégales en ce qu’elles visaient les prises de participations indirectes. De fait, il n’est nullement question en l’espèce du retrait d’un acte illégal, mais du retrait de deux décisions légales, à savoir les décisions initiales en ce qu’elles visaient les prises de participations indirectes.

Or, selon une jurisprudence constante, le retrait à titre rétroactif d’un acte administratif légal qui a conféré des droits subjectifs ou des avantages similaires est contraire aux principes généraux du droit.

À cet égard, le Tribunal constate, d’une part, que les décisions initiales ont conféré un droit subjectif au Royaume d’Espagne à pouvoir mettre à exécution le régime en cause en ce qui concerne certaines prises de participations et, accessoirement, aux entreprises bénéficiaires à ne pas devoir rembourser certaines aides illégales et, d’autre part, que la décision attaquée a ultérieurement retiré ce droit en ce qui concerne les prises de participations indirectes. Ainsi, outre qu’elle est attentatoire au principe de sécurité juridique, la décision attaquée a remis en cause la confiance légitime que les autorités espagnoles et les entreprises concernées avaient pu tirer des décisions initiales en ce qui concernait l’application de ces dernières aux prises de participations indirectes.

Au vu de cette erreur de droit commise par la Commission, le Tribunal annule la décision attaquée dans son intégralité.

À titre surabondant, le Tribunal accueille, en second lieu, les griefs des requérantes tirés d’une violation du principe de protection de la confiance légitime au regard des réponses fournies par la Commission aux questions de membres du Parlement européen en 2006.

En effet, selon le Tribunal, la Commission avait offert, par ces déclarations au Parlement, des assurances précises, inconditionnelles et concordantes d’une nature telle que les bénéficiaires du régime en cause, que ce soit au titre de leurs prises de participations directes ou à celui de leurs prises de participations indirectes, ont nourri des espoirs justifiés dans le fait que le régime d’aides en cause était légal, en ce sens qu’il n’entrait pas dans le champ d’application des règles relatives aux aides d’État, et que, par conséquent, aucun des avantages découlant dudit régime ne pouvait faire l’objet par la suite d’une procédure de récupération.

Par ailleurs, le fait que les requérantes aient eu connaissance de l’interprétation administrative initiale, qui excluait les prises de participations indirectes du champ de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, ne prive pas de légitimité la confiance qu’elles ont pu tirer des déclarations de la Commission. En effet, selon la jurisprudence, seuls les déclarations et comportements émanant de la Commission doivent être pris en compte afin d’apprécier la confiance légitime des bénéficiaires du régime en cause.

Partant, à supposer qu’elle ait été en droit d’adopter la décision attaquée, la Commission ne pouvait, sans commettre d’erreur de droit, refuser de reconnaître, dans cette décision, une confiance légitime aux bénéficiaires du régime en cause au titre de leurs prises de participations indirectes effectuées avant la publication de la décision d’ouvrir la première procédure formelle d’examen, voire, sous certaines conditions, avant la publication de la décision 2011/282, dans les mêmes termes que dans les décisions initiales.

{1} Ley 43/1995 del Impuesto sobre Sociedades (loi 43/1995, relative à l’impôt sur les sociétés), du 27 décembre 1995 (BOE no 310, du 28 décembre 1995, p. 37072).

{2} Ce régime a également déjà donné lieu, notamment, aux arrêts du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C-20/15 P et C-21/15 P, EU:C:2016:981), du 6 octobre 2021, Sigma Alimentos Exterior/Commission (C-50/19 P, EU:C:2021:792), du 6 octobre 2021, World Duty Free Group et Espagne/Commission (C-51/19 P et C-64/19 P, EU:C:2021:793), du 6 octobre 2021, Banco Santander/Commission (C-52/19 P, EU:C:2021:794), du 6 octobre 2021, Banco Santander e.a./Commission (C-53/19 P et C-65/19 P, EU:C:2021:795), du 6 octobre 2021, Axa Mediterranean/Commission (C-54/19 P, EU:C:2021:796), du 6 octobre 2021, Prosegur Compañía de Seguridad/Commission (C-55/19 P, EU:C:2021:797), ainsi que du 15 novembre 2018, Deutsche Telekom/Commission (T-207/10, EU:T:2018:786).

{3} Décision 2011/5/CE de la Commission, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 7, p. 48).

{4} Décision 2011/282/UE de la Commission, du 12 janvier 2011, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C-45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 135, p. 1).

{5} Décision 2015/314/UE de la Commission, du 15 octobre 2014, relative à l’aide d’État SA.35550 (13/C) (ex 13/NN) (ex 12/CP) mise à exécution par l’Espagne - Régime relatif à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères (JO 2015, L 56, p. 38, ci-après la « décision attaquée »).

{6} Règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1).

Arrêt du 27 septembre 2023, Banco Santander et Santusa / Commission (T-12/15, T-158/15 et T-258/15) (cf. points 82-88)



Arrêt du 27 septembre 2023, Espagne / Commission (T-826/14) (cf. points 76-82)



Arrêt du 27 septembre 2023, Ferrovial e.a. / Commission (T-252/15 et T-257/15) (cf. points 83-89)



Arrêt du 27 septembre 2023, Sociedad General de Aguas de Barcelona / Commission (T-253/15) (cf. points 92-98)



Arrêt du 27 septembre 2023, Telefónica / Commission (T-256/15 et T-260/15) (cf. points 83-89)

135. Droit de l'Union européenne - Principes généraux du droit - Sécurité juridique - Légalité des peines - Décision de la Commission constatant une infraction aux règles de la concurrence et imposant une amende - Prévisibilité du caractère infractionnel du comportement sanctionné - Accord à l'amiable en matière de brevets conclu entre un laboratoire de princeps et une entreprise de médicaments génériques - Accord contenant des clauses de non-concurrence et de non-contestation de brevets en faveur du laboratoire de princeps - Entreprises ne pouvant ignorer le caractère problématique de l'accord au regard du droit de la concurrence

En 1993, la société biopharmaceutique américaine Cephalon Inc. a obtenu les droits exclusifs sur le principe pharmaceutique actif dénommé modafinil, commercialisé pour le traitement de certains troubles du sommeil dans plusieurs pays de l’Espace économique européen (EEE).

Les différents brevets nationaux de molécule détenus par Cephalon pour le modafinil dans l’EEE ont expiré au plus tard en 2003. Néanmoins, Cephalon détenait encore des brevets secondaires sur la taille des particules ainsi que d’autres brevets liés au modafinil, qui expiraient en 2015 dans l’EEE.

En 2002, Cephalon a engagé une procédure de contrefaçon de brevet aux États-Unis contre Teva Pharmaceutical Industries Ltd (ci-après « Teva ») et trois autres sociétés du secteur des génériques, afin d’éviter la commercialisation de leurs produits génériques du modafinil aux États-Unis. Teva ayant lancé son produit générique au Royaume-Uni en juin 2005, Cephalon a également engagé une procédure judiciaire en matière de brevets au Royaume-Uni. En réponse, Teva a déposé une demande reconventionnelle en nullité.

Fin 2005, Cephalon et Teva ont conclu un accord de règlement amiable mettant fin à leur contentieux au sujet du modafinil aux États-Unis et au Royaume-Uni (ci-après l’« accord de règlement amiable »). Aux termes de cet accord, Teva s’engageait à ne pas entrer de manière indépendante ni concurrencer Cephalon sur le marché du modafinil (ci-après la « clause de non-concurrence ») et à ne pas contester ses brevets du modafinil (ci-après la « clause de non-contestation ») (ci-après, prises ensemble, les « clauses restrictives »).

L’accord de règlement amiable comportait également un ensemble de transactions commerciales prévoyant, entre autres, l’octroi d’une licence non exclusive par Teva à Cephalon sur ses droits de propriété intellectuelle relatifs au modafinil, la fourniture de modafinil par Teva à Céphalon, ainsi que la distribution de produits de Cephalon au Royaume-Uni par Teva. Les paiements et redevances prévues pour ces transactions impliquaient des transferts de valeurs importants au bénéfice de Teva. De plus, l’accord de règlement amiable accordait à Teva une licence non exclusive pour le lancement de son produit générique du modafinil, y compris dans l’EEE, à partir de 2012 au plus tard.

Estimant que l’accord de règlement amiable enfreignait l’interdiction des ententes prévue à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, la Commission a infligé à Cephalon et à Teva des amendes s’élevant respectivement à 30 480 000 euros et à 30 000 000 euros{1}.

Cephalon et Teva ont introduit un recours en annulation contre cette décision, qui est rejeté par la troisième chambre élargie du Tribunal. Dans ce cadre, le Tribunal apporte des précisions à la jurisprudence récente au sujet de l’examen des accords de règlement amiable de litiges en matière de brevets au regard du droit de la concurrence de l’Union.

Appréciation du Tribunal

Au soutien de leur recours, les requérantes reprochaient notamment à la Commission d’avoir commis une erreur de droit et de fait en qualifiant l’accord de règlement amiable de « restriction de concurrence par objet » au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

À cet égard, le Tribunal rappelle, tout d’abord, qu’il résulte de l’arrêt Generics (UK) de la Cour{2} qu’un accord de règlement amiable en matière de brevets qui comporte tant des clauses restrictives de concurrence que des transactions commerciales constitue une restriction par objet dès lors que les transferts de valeurs découlant des transactions commerciales prévues entre le titulaire du brevet en cause et le contrefacteur allégué s’expliquent uniquement par leur intérêt commercial à ne pas se livrer une concurrence par les mérites. C’est, par conséquent, sans commettre d’erreur de droit que la Commission a examiné, dans la décision attaquée, si les transactions commerciales prévues par l’accord de règlement amiable auraient été conclues sans les clauses restrictives, afin de vérifier si elles constituaient une incitation pour Teva à renoncer à concurrencer Cephalon par ses mérites.

Par ailleurs, le fait d’associer un accord commercial conclu entre un fabricant de médicaments princeps et un fabricant de médicaments génériques à un accord de règlement amiable qui comporte, comme en l’espèce, des clauses de non-concurrence et de non-contestation laisse à craindre que ce montage contractuel complexe vise à inciter la société fabriquant des médicaments génériques à se soumettre, au moyen d’un transfert de valeur prévu par l’accord commercial, à ces clauses restrictives. Dans ce contexte, la question de savoir si un tel accord aurait également été conclu dans des conditions normales de marché fait partie de l’évaluation que la Commission doit effectuer au titre de l’article 101 TFUE. À ces fins, celle-ci doit apprécier si le solde positif net des transferts de valeurs du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques était suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques à ne pas concurrencer par ses mérites le fabricant de médicaments princeps.

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal rejette ensuite les griefs des requérantes contestant la conclusion de la Commission selon laquelle les différentes transactions commerciales prévues par l’accord de règlement amiable avaient, en effet, pour seul objet de servir de transfert de valeur de Cephalon à Teva en contrepartie de l’engagement de cette dernière de ne pas entrer de manière indépendante sur les marchés des médicaments génériques et de ne pas concurrencer Cephalon sur le modafinil.

À cet égard, le Tribunal constate que la Commission a établi, dans la décision attaquée, que chacune des transactions commerciales prévues dans l’accord de règlement amiable n’avait eu d’autre but que d’augmenter le niveau du transfert de valeur globalement opéré en faveur de Teva afin de l’inciter à accepter les clauses restrictives. En outre, la Commission a, à juste titre, pu constater que l’ensemble des transactions commerciales était suffisant pour inciter Teva à accepter les engagements de non-concurrence et de non-contestation. En effet, il ressort du déroulement des négociations, tel qu’analysé par la Commission dans la décision attaquée sur la base des éléments de preuve, que tant Cephalon que Teva ont cherché à trouver une combinaison de transactions représentant une certaine valeur globale suffisamment bénéfique pour cette dernière afin qu’elle accepte les clauses restrictives.

Le Tribunal écarte, enfin, les griefs de Cephalon et Teva qui, en se référant à l’arrêt Generics (UK) de la Cour, faisaient valoir que les effets proconcurrentiels engendrés par l’accord de règlement amiable s’opposaient à sa qualification de restriction de concurrence par objet.

À cet égard, le Tribunal rejette, d’une part, l’argumentation tirée du fait que l’accord de règlement amiable aurait accéléré l’entrée indépendante de Teva sur le marché au regard du cas de figure où celle-ci n’aurait pas gagné dans la procédure judiciaire en matière de brevets au Royaume-Uni. Sur ce point, le Tribunal relève que, pour déterminer si des effets proconcurrentiels s’opposaient à la constatation d’une restriction de concurrence par objet, la Commission ne devait pas examiner des scénarios selon lesquels l’une ou l’autre partie aurait gain de cause dans le litige en matière de brevets.

D’autre part, le Tribunal souligne que, alors que Teva avait des possibilités concrètes d’entrer sur le marché du modafinil en 2005 en tant qu’entrante indépendante, l’accord de règlement amiable et les droits génériques de Teva qui s’y rapportent ne prévoyaient l’entrée de Teva sur ce marché qu’en 2012. Partant, cet accord a retardé l’entrée sur le marché de Teva de sept années, en donnant la garantie à Cephalon qu’elle ne subirait aucune concurrence de sa part durant cette période. De plus, l’entrée prévue de Teva sur le marché du modafinil n’était pas indépendante, en ce qu’elle était fondée sur une licence et soumise à des redevances importantes. De ce fait, il était peu probable qu’il y ait une forte concurrence par les prix entre Teva et Cephalon.

Les autres griefs soulevés par Cephalon et Teva s’étant également révélés non fondés, le Tribunal rejette leur recours dans son intégralité.

{1} Décision C(2020) 8153 final de la Commission européenne, du 26 novembre 2020, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.39686-CEPHALON) (ci-après la « décision attaquée »).

{2} Arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C-307/18, EU:C:2020:52).

Arrêt du 18 octobre 2023, Teva Pharmaceutical Industries et Cephalon / Commission (T-74/21) (cf. points 280-287)

136. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Fixation du montant de base - Non-application de la méthodologie prévue par les lignes directrices - Obligation pour la Commission de se tenir à sa pratique décisionnelle antérieure - Absence - Violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime - Absence

En 1993, la société biopharmaceutique américaine Cephalon Inc. a obtenu les droits exclusifs sur le principe pharmaceutique actif dénommé modafinil, commercialisé pour le traitement de certains troubles du sommeil dans plusieurs pays de l’Espace économique européen (EEE).

Les différents brevets nationaux de molécule détenus par Cephalon pour le modafinil dans l’EEE ont expiré au plus tard en 2003. Néanmoins, Cephalon détenait encore des brevets secondaires sur la taille des particules ainsi que d’autres brevets liés au modafinil, qui expiraient en 2015 dans l’EEE.

En 2002, Cephalon a engagé une procédure de contrefaçon de brevet aux États-Unis contre Teva Pharmaceutical Industries Ltd (ci-après « Teva ») et trois autres sociétés du secteur des génériques, afin d’éviter la commercialisation de leurs produits génériques du modafinil aux États-Unis. Teva ayant lancé son produit générique au Royaume-Uni en juin 2005, Cephalon a également engagé une procédure judiciaire en matière de brevets au Royaume-Uni. En réponse, Teva a déposé une demande reconventionnelle en nullité.

Fin 2005, Cephalon et Teva ont conclu un accord de règlement amiable mettant fin à leur contentieux au sujet du modafinil aux États-Unis et au Royaume-Uni (ci-après l’« accord de règlement amiable »). Aux termes de cet accord, Teva s’engageait à ne pas entrer de manière indépendante ni concurrencer Cephalon sur le marché du modafinil (ci-après la « clause de non-concurrence ») et à ne pas contester ses brevets du modafinil (ci-après la « clause de non-contestation ») (ci-après, prises ensemble, les « clauses restrictives »).

L’accord de règlement amiable comportait également un ensemble de transactions commerciales prévoyant, entre autres, l’octroi d’une licence non exclusive par Teva à Cephalon sur ses droits de propriété intellectuelle relatifs au modafinil, la fourniture de modafinil par Teva à Céphalon, ainsi que la distribution de produits de Cephalon au Royaume-Uni par Teva. Les paiements et redevances prévues pour ces transactions impliquaient des transferts de valeurs importants au bénéfice de Teva. De plus, l’accord de règlement amiable accordait à Teva une licence non exclusive pour le lancement de son produit générique du modafinil, y compris dans l’EEE, à partir de 2012 au plus tard.

Estimant que l’accord de règlement amiable enfreignait l’interdiction des ententes prévue à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, la Commission a infligé à Cephalon et à Teva des amendes s’élevant respectivement à 30 480 000 euros et à 30 000 000 euros{1}.

Cephalon et Teva ont introduit un recours en annulation contre cette décision, qui est rejeté par la troisième chambre élargie du Tribunal. Dans ce cadre, le Tribunal apporte des précisions à la jurisprudence récente au sujet de l’examen des accords de règlement amiable de litiges en matière de brevets au regard du droit de la concurrence de l’Union.

Appréciation du Tribunal

Au soutien de leur recours, les requérantes reprochaient notamment à la Commission d’avoir commis une erreur de droit et de fait en qualifiant l’accord de règlement amiable de « restriction de concurrence par objet » au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

À cet égard, le Tribunal rappelle, tout d’abord, qu’il résulte de l’arrêt Generics (UK) de la Cour{2} qu’un accord de règlement amiable en matière de brevets qui comporte tant des clauses restrictives de concurrence que des transactions commerciales constitue une restriction par objet dès lors que les transferts de valeurs découlant des transactions commerciales prévues entre le titulaire du brevet en cause et le contrefacteur allégué s’expliquent uniquement par leur intérêt commercial à ne pas se livrer une concurrence par les mérites. C’est, par conséquent, sans commettre d’erreur de droit que la Commission a examiné, dans la décision attaquée, si les transactions commerciales prévues par l’accord de règlement amiable auraient été conclues sans les clauses restrictives, afin de vérifier si elles constituaient une incitation pour Teva à renoncer à concurrencer Cephalon par ses mérites.

Par ailleurs, le fait d’associer un accord commercial conclu entre un fabricant de médicaments princeps et un fabricant de médicaments génériques à un accord de règlement amiable qui comporte, comme en l’espèce, des clauses de non-concurrence et de non-contestation laisse à craindre que ce montage contractuel complexe vise à inciter la société fabriquant des médicaments génériques à se soumettre, au moyen d’un transfert de valeur prévu par l’accord commercial, à ces clauses restrictives. Dans ce contexte, la question de savoir si un tel accord aurait également été conclu dans des conditions normales de marché fait partie de l’évaluation que la Commission doit effectuer au titre de l’article 101 TFUE. À ces fins, celle-ci doit apprécier si le solde positif net des transferts de valeurs du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques était suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques à ne pas concurrencer par ses mérites le fabricant de médicaments princeps.

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal rejette ensuite les griefs des requérantes contestant la conclusion de la Commission selon laquelle les différentes transactions commerciales prévues par l’accord de règlement amiable avaient, en effet, pour seul objet de servir de transfert de valeur de Cephalon à Teva en contrepartie de l’engagement de cette dernière de ne pas entrer de manière indépendante sur les marchés des médicaments génériques et de ne pas concurrencer Cephalon sur le modafinil.

À cet égard, le Tribunal constate que la Commission a établi, dans la décision attaquée, que chacune des transactions commerciales prévues dans l’accord de règlement amiable n’avait eu d’autre but que d’augmenter le niveau du transfert de valeur globalement opéré en faveur de Teva afin de l’inciter à accepter les clauses restrictives. En outre, la Commission a, à juste titre, pu constater que l’ensemble des transactions commerciales était suffisant pour inciter Teva à accepter les engagements de non-concurrence et de non-contestation. En effet, il ressort du déroulement des négociations, tel qu’analysé par la Commission dans la décision attaquée sur la base des éléments de preuve, que tant Cephalon que Teva ont cherché à trouver une combinaison de transactions représentant une certaine valeur globale suffisamment bénéfique pour cette dernière afin qu’elle accepte les clauses restrictives.

Le Tribunal écarte, enfin, les griefs de Cephalon et Teva qui, en se référant à l’arrêt Generics (UK) de la Cour, faisaient valoir que les effets proconcurrentiels engendrés par l’accord de règlement amiable s’opposaient à sa qualification de restriction de concurrence par objet.

À cet égard, le Tribunal rejette, d’une part, l’argumentation tirée du fait que l’accord de règlement amiable aurait accéléré l’entrée indépendante de Teva sur le marché au regard du cas de figure où celle-ci n’aurait pas gagné dans la procédure judiciaire en matière de brevets au Royaume-Uni. Sur ce point, le Tribunal relève que, pour déterminer si des effets proconcurrentiels s’opposaient à la constatation d’une restriction de concurrence par objet, la Commission ne devait pas examiner des scénarios selon lesquels l’une ou l’autre partie aurait gain de cause dans le litige en matière de brevets.

D’autre part, le Tribunal souligne que, alors que Teva avait des possibilités concrètes d’entrer sur le marché du modafinil en 2005 en tant qu’entrante indépendante, l’accord de règlement amiable et les droits génériques de Teva qui s’y rapportent ne prévoyaient l’entrée de Teva sur ce marché qu’en 2012. Partant, cet accord a retardé l’entrée sur le marché de Teva de sept années, en donnant la garantie à Cephalon qu’elle ne subirait aucune concurrence de sa part durant cette période. De plus, l’entrée prévue de Teva sur le marché du modafinil n’était pas indépendante, en ce qu’elle était fondée sur une licence et soumise à des redevances importantes. De ce fait, il était peu probable qu’il y ait une forte concurrence par les prix entre Teva et Cephalon.

Les autres griefs soulevés par Cephalon et Teva s’étant également révélés non fondés, le Tribunal rejette leur recours dans son intégralité.

{1} Décision C(2020) 8153 final de la Commission européenne, du 26 novembre 2020, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.39686-CEPHALON) (ci-après la « décision attaquée »).

{2} Arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C-307/18, EU:C:2020:52).

Arrêt du 18 octobre 2023, Teva Pharmaceutical Industries et Cephalon / Commission (T-74/21) (cf. points 295-305)

137. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Gel des fonds des femmes ou hommes d'affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie et des personnes leur étant associées - Contrôle juridictionnel de la légalité - Caractère approprié des mesures restrictives - Mesures restrictives poursuivant un objectif légitime de la politique étrangère et de sécurité commune

À la suite de l’agression militaire perpétrée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022, le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 25 février 2022, la décision 2022/429{1} et le règlement 2022/427{2}, par lesquels Roman Arkadyevich Abramovich a été ajouté sur les listes des personnes, entités et organismes adoptées par le Conseil depuis 2014{3} du fait du soutien accordé à des actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

Le requérant, un homme d’affaires de nationalités russe, israélienne et portugaise, s’est vu imposer, par le Conseil, l’interdiction d’entrée ou de transit sur le territoire des États membres et le gel de ses fonds et avoirs bancaires, conformément, respectivement, à l’article 1, paragraphe 1, sous b) et e), et à l’article 2, paragraphe 1, sous d) et g), de la décision 2014/145 telle que modifiée, en raison de ses liens étroits avec le président Poutine et de sa qualité d’actionnaire majeur d’Evraz, l’un des plus grands contribuables de la Russie. Ces mesures ont été prorogées à l’égard du requérant en septembre 2022{4}, en mars 2023{5} et en avril 2023{6} pour les mêmes motifs.

Le requérant a saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours tant en annulation des actes du Conseil qu’en réparation du préjudice prétendument subi du fait de ces actes.

Le Tribunal, qui rejette le recours dans son intégralité, précise le champ d’application du critère d’inscription visé à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145 [ci-après le « critère g) »] fondé sur la qualité d’homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Russie.

Appréciation du Tribunal

S’agissant, tout d’abord, de l’obligation de motivation, le Tribunal rappelle qu’un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. Il précise que la motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive ne doit pas seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure. En l’occurrence, le contexte et les circonstances ayant entouré l’adoption des actes attaqués étaient bien connus du requérant. En outre, la motivation des actes attaqués mentionne explicitement les critères d’inscription et les raisons factuelles pour lesquelles le Conseil a décidé d’inscrire ou de maintenir son nom sur les listes en cause. Dès lors, le Tribunal conclut que les actes attaqués énoncent à suffisance de droit les éléments de droit et de fait qui en constituent le fondement.

En ce qui concerne, ensuite, le droit d’être entendu du requérant, le Tribunal relève que le seul fait que le Conseil n’a pas conclu à l’absence de bien-fondé de la prorogation des mesures restrictives, ni même jugé utile de procéder à des vérifications au vu des observations présentées par le requérant, ne saurait impliquer qu’il n’a pas pris connaissance de telles observations. En effet, si le respect des droits de la défense et du droit d’être entendu exige que les institutions de l’Union permettent à la personne visée par un acte faisant grief de faire connaître utilement son point de vue, il ne peut leur imposer d’adhérer à celui-ci. Le Tribunal conclut que le Conseil s’est acquitté de ses obligations en ce qui concerne le respect du droit du requérant d’être entendu.

Pour ce qui est, par ailleurs, de l’inscription du requérant sur les listes sur la base du critère g), le Tribunal note que ce critère recourt à la notion de « femmes ou hommes d’affaires influents » en corrélation avec l’exercice d’une « activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement [russe] », sans autre condition concernant un lien, direct ou indirect, avec ledit gouvernement. À ce sujet, il existe un lien logique entre le fait de cibler cette catégorie de personnes et l’objectif des mesures restrictives en question, qui est d’accroître la pression sur la Russie ainsi que le coût de ses actions contre l’Ukraine. Il en conclut que le critère g) doit être interprété en ce sens, d’une part, qu’il s’applique aux femmes et hommes d’affaires considérés comme influents du fait de leur importance dans leur secteur d’activité et de l’importance de ce secteur pour l’économie russe et, d’autre part, que ce sont les secteurs économiques dans lesquels interviennent ces personnes qui doivent fournir une source substantielle de revenus pour le gouvernement russe.

En l’espèce, le Tribunal estime que le Conseil a considéré à bon droit que le requérant était un homme d’affaires influent en raison, notamment, de son statut professionnel, de l’importance de ses activités économiques, de l’ampleur de ses possessions capitalistiques au sein d’Evraz et, plus particulièrement, de sa qualité d’actionnaire principal de la société mère dudit groupe de sociétés.

Le Tribunal souligne en outre que le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence le fait que le secteur économique dans lequel le requérant a une activité fournit une source substantielle de revenus au gouvernement russe. Il souligne à cet égard que, contrairement à ce que prétend le requérant, l’expression « qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement [russe] », au sens du critère g), se réfère aux revenus provenant des secteurs économiques importants en Russie et non uniquement aux impôts payés par les femmes et hommes d’affaires influents. Par ailleurs, la circonstance que les recettes fiscales provenant du secteur sidérurgique et des mines seraient principalement affectées aux budgets des entités fédérées locales est dénuée de pertinence. En effet, même si cette source de revenus n’est pas destinée au budget fédéral ni directement utilisée par ledit gouvernement pour soutenir ses dépenses militaires, il n’en demeure pas moins qu’elle permet à ce gouvernement, dans sa globalité, sans distinguer selon que ces revenus émanent du budget fédéral ou des budgets régionaux, de mobiliser davantage de ressources pour ses actions visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

Partant, le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en décidant d’inscrire puis de maintenir le nom du requérant sur les listes en cause.

Faisant suite à l’argument du requérant selon lequel l’application du critère g) par le Conseil est discriminatoire en ce que ledit critère vise les hommes d’affaires et les entreprises de nationalité russe en ignorant les entreprises étrangères, le Tribunal constate que ce critère ne vise pas la nationalité des personnes désignées, mais toute personne physique ayant la qualité de femme ou d’homme d’affaires influent au sens dudit critère. Par conséquent, les personnes visées par les mesures restrictives en cause peuvent être de toute nationalité si elles remplissent le critère en question.

S’agissant de la prétendue violation du principe de proportionnalité, le Tribunal estime, au regard de l’importance primordiale des objectifs poursuivis par les mesures restrictives en cause, qui s’inscrivent dans l’objectif plus large du maintien de la paix, que les conséquences négatives résultant de leur application au requérant ne sont pas manifestement disproportionnées. La démarche du Conseil d’élargir progressivement, en raison de l’aggravation de la situation en Ukraine, le cercle des personnes et des entités visées par les mesures restrictives en cause, afin d’atteindre les objectifs poursuivis, le corrobore. En outre, lesdites mesures sont adéquates au regard des objectifs d’intérêt général poursuivis et nécessaires, dans la mesure où des mesures alternatives et moins contraignantes ne permettraient pas d’atteindre aussi efficacement les objectifs poursuivis. Le principe de proportionnalité n’a, dès lors, pas été méconnu.

Enfin, concernant les violations des droits fondamentaux invoquées par la requérante, le Tribunal note que, conformément aux prévisions de l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ceux-ci ne sont pas des prérogatives absolues et peuvent faire l’objet de limitations pour autant que les limitations concernées sont prévues par la loi, respectent le contenu essentiel du droit fondamental en cause et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles sont nécessaires et répondent à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union. Le Tribunal constate que ces conditions sont remplies en l’espèce. Par ailleurs, il relève que les mesures restrictives ne revêtent aucun caractère pénal et n’ont donc pas pour effet de porter atteinte au droit à la présomption d’innocence, reconnu à l’article 48, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Dès lors, les limitations des droits fondamentaux du requérant, qui découlent des mesures restrictives adoptées à son égard dans les actes attaqués, ne sont pas disproportionnées et ne sauraient entacher lesdits actes d’illégalité.

La condition relative à l’illégalité du comportement reproché au Conseil faisant défaut, le Tribunal juge, en dernière analyse, que la responsabilité non contractuelle de l’Union ne saurait être engagée et rejette, en conséquence, la demande indemnitaire du requérant.

{1} Décision (PESC) 2022/429 du Conseil, du 15 mars 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 87I, p. 44).

{2} Règlement d’exécution (UE) 2022/427 du Conseil, du 15 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 87I, p. 1).

{3} Décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).

{4} Décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC (JO 2022, L 239, p. 149) et règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 269/2014 (JO 2022, L 239, p. 1).

{5} Décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC (JO 2023, L 75I, p 134) et règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 269/2014 (JO 2023, L 75I, p. 1).

{6} Décision (PESC) 2023/811 du Conseil, du 13 avril 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC (JO 2023, L 101, p. 67) et règlement d’exécution (UE) 2023/806 du Conseil, du 13 avril 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 269/2014 (JO 2023, L 101, p. 1).

Arrêt du 20 décembre 2023, Abramovich / Conseil (T-313/22) (cf. points 137-141, 144-146, 149)



Arrêt du 8 novembre 2023, Mazepin / Conseil (T-282/22) (cf. points 89-92)

138. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Critères d'adoption des mesures restrictives - Apport d'un soutien matériel ou financier actif aux décideurs russes responsables de l'annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l'est de l'Ukraine - Avantage tiré de ces décideurs - Notion - Nécessité d'établir un lien entre les avantages obtenus et l'annexion de la Crimée ou la déstabilisation de l'est de l'Ukraine - Absence - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques

À la suite de l’agression militaire perpétrée par la Fédération de Russie (ci-après la « Russie ») contre l’Ukraine le 24 février 2022, le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 15 mars 2022, la décision (PESC) 2022/429{1} et le règlement 2022/427{2} par lesquels le nom du requérant a été ajouté sur les listes des personnes, entités et organismes adoptées par le Conseil depuis 2014{3} du fait du soutien accordé à des actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

Le requérant, un homme d’affaires de nationalité russe, s’est vu imposer, par le Conseil, le gel de ses fonds et avoirs bancaires, conformément à l’article 2, paragraphe 1, sous d) et g), de la décision 2014/145, au motif que, grand actionnaire d’un important conglomérat russe figurant parmi les plus grands contribuables de la Russie, il est considéré comme l’une des personnes les plus influentes de Russie entretenant des liens avec le président russe, lequel n’aurait pas manqué de récompenser ledit conglomérat pour sa loyauté envers les autorités russes. Ces mesures ont été prorogées à l’égard du requérant par la décision (PESC) 2022/1530{4} et le règlement 2022/1529{5} du 14 septembre 2022 pour les mêmes motifs.

Le requérant a saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation des actes du Conseil.

Le Tribunal, qui rejette, dans son intégralité, le recours en annulation du requérant, se prononce notamment, dans le cadre de l’examen d’une exception d’illégalité, sur la légalité des critères d’inscription adoptés par le Conseil, fondés notamment sur le soutien matériel et financier accordé par le requérant au gouvernement de la Russie, et l’avantage qu’il en tire en retour, ainsi que sur sa qualité d’homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Russie.

Appréciation du Tribunal

S’agissant tout d’abord de l’exception d’illégalité soulevée par le requérant concernant l’article 1er, sous d) et g), du règlement 2022/330{6} [ci-après le « critère d) » et le « critère g) »], qui, selon ce dernier, entraînerait notamment une violation du principe de sécurité juridique et recourrait à des critères inappropriés au regard des objectifs desdites mesures, le Tribunal relève qu’il ressort sans ambiguïté de son libellé que ledit critère d) vise de manière ciblée et sélective les personnes qui, même si elles n’ont, en tant que telles, aucun lien avec la déstabilisation de l’Ukraine, apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de celle-ci ou tirent avantage de ces décideurs. En outre, ce critère n’exige pas que les personnes ou entités concernées tirent personnellement avantage de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine.

En ce qui concerne le critère g), le Tribunal constate que son libellé vise de façon suffisamment claire et précise les femmes et hommes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement russe. Il en découle que les personnes visées peuvent être considérées comme influentes du fait de leur importance dans leur secteur d’activité et de l’importance que revêt ce secteur pour l’économie russe. Il existe par ailleurs un lien logique entre le fait de cibler ces dernières et l’objectif des mesures restrictives en cause qui est d’accroître la pression sur la Russie ainsi que le coût des actions de la Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. Le Tribunal souligne également que lesdits critères, tels qu’interprétés à la lumière du contexte législatif et historique dans lequel ils ont été adoptés, ne sont pas manifestement inappropriés eu égard à l’objectif des mesures restrictives et à l’importance primordiale du maintien de la paix. Il rejette en conséquence le grief tiré de la violation du principe de sécurité juridique et celui contestant le caractère nécessaire et approprié desdits critères et, dès lors, ladite exception d’illégalité.

S’agissant ensuite de l’erreur manifeste d’appréciation invoquée par le requérant, tirée, premièrement, de l’absence prétendue de valeur probante des preuves produites au soutien du critère g), le Tribunal rappelle que l’activité du juge de l’Union est régie par le principe de libre appréciation des preuves. Ces dernières doivent être appréciées à la mesure de leur crédibilité en vérifiant la vraisemblance de l’information, au regard, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration et de son destinataire, et en se demandant si ce document, d’après son contenu, peut être considéré comme étant sensé et fiable. En l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union peut, par ailleurs, se fonder sur des sources d’information accessibles au public. À cet égard, le Tribunal relève que la situation de conflit dans lequel la Russie et l’Ukraine sont impliquées peut rendre particulièrement difficile l’accès à la source primaire de certaines informations ainsi que le recueil de témoignages de la part de personnes acceptant d’être identifiées et rappelle que les difficultés d’investigation qui s’ensuivent peuvent faire obstacle à ce que des preuves précises et des éléments d’information objectifs soient apportés. À l’aune de ces considérations, le Tribunal conclut, dans le cas d’espèce, que la valeur probante des pièces du dossier de preuves fourni par le Conseil ne peut être écartée.

Deuxièmement, quant à la seconde branche du moyen, le Tribunal précise, d’une part, que ce moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation des faits au regard du critère g), et non d’une appréciation « manifestement » erronée de ceux-ci, les juridictions de l’Union devant assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union. Il indique, d’autre part, que le contrôle juridictionnel{7} doit être effectif et repose, notamment, sur une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs soutenant la décision en cause. Par ailleurs, l’appréciation du bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. Le Conseil satisfait ainsi à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne concernée et le régime ou les situations combattues.

S’agissant, en premier lieu, de l’inscription initiale du requérant sur les listes sur la base du critère g), le Tribunal note que ce critère recourt à la notion de « femmes ou hommes d’affaires influents » en corrélation avec l’exercice d’une « activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement [russe] », sans autre condition concernant un lien, direct ou indirect, avec ledit gouvernement. À ce sujet, il existe un lien logique entre le fait de cibler cette catégorie de personnes et l’objectif des mesures restrictives en question, qui est d’accroître la pression sur la Russie ainsi que le coût de ses actions contre l’Ukraine. Le Tribunal souligne qu’une interprétation contraire se heurterait tant au libellé du critère g) qu’à l’objectif visé. Eu égard au libellé, les personnes visées doivent être en effet considérées comme influentes du fait de leur importance dans leur secteur d’activité et de l’importance de ce secteur pour l’économie russe. Quant à l’objectif des mesures restrictives en cause, le Tribunal rappelle que celui-ci n’est pas de sanctionner certaines personnes ou entités en raison de leurs liens avec la situation en Ukraine ou avec le gouvernement russe, mais d’imposer des sanctions économiques à la Russie, afin d’accroître la pression sur celle-ci ainsi que le coût de ses actions contre l’Ukraine. Il en conclut que le critère g) n’implique pas, pour le Conseil, de démontrer l’existence de liens étroits ou d’une relation d’interdépendance avec le gouvernement de la Russie ni ne dépend davantage d’une imputabilité au requérant des décisions relatives à la poursuite du conflit en Ukraine ou d’un lien direct ou indirect avec la déstabilisation de ce pays.

À cet égard, le Tribunal constate que le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant le requérant comme étant un homme d’affaires influent, en le qualifiant notamment de « grand actionnaire du conglomérat Alfa Group », alors même que celui-ci aurait cédé ses parts dans cette société. En effet, au vu du critère g), la notion de « femme et homme d’affaires influent » se réfère à des éléments factuels qui s’inscrivent à la fois dans le passé et dans la durée, de sorte que les motifs d’inscription du requérant peuvent se référer à une situation factuelle qui existait avant l’adoption des actes initiaux et qui aurait été modifiée sans pour autant nécessairement impliquer l’obsolescence des mesures restrictives adoptées à son égard sur ce fondement.

S’agissant, en second lieu, du maintien du nom du requérant sur les listes sur la base du même critère, le Tribunal précise qu’il revient au Conseil, lors du réexamen périodique des mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact des mesures précédemment adoptées au regard de leur objectif, à l’égard des personnes concernées. Pour justifier ce maintien, le Conseil peut se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, dans la mesure où les motifs d’inscription demeurent inchangés et que le contexte n’a pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes. En l’espèce, le Tribunal note que la prétendue cession du requérant des parts dans ABH Holdings n’a pas été démontrée par des éléments suffisamment convaincants. Par conséquent, le Conseil a pu estimer, à juste titre, que la situation individuelle du requérant n’avait pas vraiment évolué depuis l’inscription initiale de ce dernier sur les listes litigieuses. C’est, dès lors, sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a maintenu les mesures restrictives en cause.

Enfin, quant aux violations du principe de proportionnalité, du droit de propriété, de la liberté d’entreprendre et du droit d’exercer une profession avancées par le requérant, le Tribunal constate que les inconvénients causés au requérant à cet égard ne sont pas démesurés par rapport à l’importance de l’objectif poursuivi par les actes attaqués.

Le Tribunal rejette en conséquence le recours dans son intégralité.

{1} Décision (PESC) 2022/429 du Conseil, du 15 mars 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 871, p. 44).

{2} Règlement d’exécution (UE) 2022/427 du Conseil, du 15 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 871, p. 1).

{3} Décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine (JO 2022, L 78, p. 16).

{4} Décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149-296).

{5} Règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1).

{6} Règlement (UE) 2022/330 du Conseil du 25 février 2022 modifiant le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 51, p. 1). Conformément à son article 1er :« […] 1. L’annexe I comprend : […]d) les personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces décideurs ;[…]g) les femmes et hommes d’affaires influents, les personnes morales, les entités ou organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ainsi que les personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés. »

{7}Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Arrêt du 15 novembre 2023, OT / Conseil (T-193/22) (cf. points 42-44)

139. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Gel des fonds des femmes ou hommes d'affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie et des personnes leur étant associées - Contrôle juridictionnel de la légalité - Mesures suffisamment claires et précises - Caractère approprié des mesures restrictives - Mesures restrictives poursuivant un objectif légitime de la politique étrangère et de sécurité commune - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques

À la suite de l’agression militaire perpétrée par la Fédération de Russie (ci-après la « Russie ») contre l’Ukraine le 24 février 2022, le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 15 mars 2022, la décision (PESC) 2022/429{1} et le règlement 2022/427{2} par lesquels le nom du requérant a été ajouté sur les listes des personnes, entités et organismes adoptées par le Conseil depuis 2014{3} du fait du soutien accordé à des actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

Le requérant, un homme d’affaires de nationalité russe, s’est vu imposer, par le Conseil, le gel de ses fonds et avoirs bancaires, conformément à l’article 2, paragraphe 1, sous d) et g), de la décision 2014/145, au motif que, grand actionnaire d’un important conglomérat russe figurant parmi les plus grands contribuables de la Russie, il est considéré comme l’une des personnes les plus influentes de Russie entretenant des liens avec le président russe, lequel n’aurait pas manqué de récompenser ledit conglomérat pour sa loyauté envers les autorités russes. Ces mesures ont été prorogées à l’égard du requérant par la décision (PESC) 2022/1530{4} et le règlement 2022/1529{5} du 14 septembre 2022 pour les mêmes motifs.

Le requérant a saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation des actes du Conseil.

Le Tribunal, qui rejette, dans son intégralité, le recours en annulation du requérant, se prononce notamment, dans le cadre de l’examen d’une exception d’illégalité, sur la légalité des critères d’inscription adoptés par le Conseil, fondés notamment sur le soutien matériel et financier accordé par le requérant au gouvernement de la Russie, et l’avantage qu’il en tire en retour, ainsi que sur sa qualité d’homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Russie.

Appréciation du Tribunal

S’agissant tout d’abord de l’exception d’illégalité soulevée par le requérant concernant l’article 1er, sous d) et g), du règlement 2022/330{6} [ci-après le « critère d) » et le « critère g) »], qui, selon ce dernier, entraînerait notamment une violation du principe de sécurité juridique et recourrait à des critères inappropriés au regard des objectifs desdites mesures, le Tribunal relève qu’il ressort sans ambiguïté de son libellé que ledit critère d) vise de manière ciblée et sélective les personnes qui, même si elles n’ont, en tant que telles, aucun lien avec la déstabilisation de l’Ukraine, apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de celle-ci ou tirent avantage de ces décideurs. En outre, ce critère n’exige pas que les personnes ou entités concernées tirent personnellement avantage de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine.

En ce qui concerne le critère g), le Tribunal constate que son libellé vise de façon suffisamment claire et précise les femmes et hommes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement russe. Il en découle que les personnes visées peuvent être considérées comme influentes du fait de leur importance dans leur secteur d’activité et de l’importance que revêt ce secteur pour l’économie russe. Il existe par ailleurs un lien logique entre le fait de cibler ces dernières et l’objectif des mesures restrictives en cause qui est d’accroître la pression sur la Russie ainsi que le coût des actions de la Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. Le Tribunal souligne également que lesdits critères, tels qu’interprétés à la lumière du contexte législatif et historique dans lequel ils ont été adoptés, ne sont pas manifestement inappropriés eu égard à l’objectif des mesures restrictives et à l’importance primordiale du maintien de la paix. Il rejette en conséquence le grief tiré de la violation du principe de sécurité juridique et celui contestant le caractère nécessaire et approprié desdits critères et, dès lors, ladite exception d’illégalité.

S’agissant ensuite de l’erreur manifeste d’appréciation invoquée par le requérant, tirée, premièrement, de l’absence prétendue de valeur probante des preuves produites au soutien du critère g), le Tribunal rappelle que l’activité du juge de l’Union est régie par le principe de libre appréciation des preuves. Ces dernières doivent être appréciées à la mesure de leur crédibilité en vérifiant la vraisemblance de l’information, au regard, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration et de son destinataire, et en se demandant si ce document, d’après son contenu, peut être considéré comme étant sensé et fiable. En l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union peut, par ailleurs, se fonder sur des sources d’information accessibles au public. À cet égard, le Tribunal relève que la situation de conflit dans lequel la Russie et l’Ukraine sont impliquées peut rendre particulièrement difficile l’accès à la source primaire de certaines informations ainsi que le recueil de témoignages de la part de personnes acceptant d’être identifiées et rappelle que les difficultés d’investigation qui s’ensuivent peuvent faire obstacle à ce que des preuves précises et des éléments d’information objectifs soient apportés. À l’aune de ces considérations, le Tribunal conclut, dans le cas d’espèce, que la valeur probante des pièces du dossier de preuves fourni par le Conseil ne peut être écartée.

Deuxièmement, quant à la seconde branche du moyen, le Tribunal précise, d’une part, que ce moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation des faits au regard du critère g), et non d’une appréciation « manifestement » erronée de ceux-ci, les juridictions de l’Union devant assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union. Il indique, d’autre part, que le contrôle juridictionnel{7} doit être effectif et repose, notamment, sur une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs soutenant la décision en cause. Par ailleurs, l’appréciation du bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. Le Conseil satisfait ainsi à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne concernée et le régime ou les situations combattues.

S’agissant, en premier lieu, de l’inscription initiale du requérant sur les listes sur la base du critère g), le Tribunal note que ce critère recourt à la notion de « femmes ou hommes d’affaires influents » en corrélation avec l’exercice d’une « activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement [russe] », sans autre condition concernant un lien, direct ou indirect, avec ledit gouvernement. À ce sujet, il existe un lien logique entre le fait de cibler cette catégorie de personnes et l’objectif des mesures restrictives en question, qui est d’accroître la pression sur la Russie ainsi que le coût de ses actions contre l’Ukraine. Le Tribunal souligne qu’une interprétation contraire se heurterait tant au libellé du critère g) qu’à l’objectif visé. Eu égard au libellé, les personnes visées doivent être en effet considérées comme influentes du fait de leur importance dans leur secteur d’activité et de l’importance de ce secteur pour l’économie russe. Quant à l’objectif des mesures restrictives en cause, le Tribunal rappelle que celui-ci n’est pas de sanctionner certaines personnes ou entités en raison de leurs liens avec la situation en Ukraine ou avec le gouvernement russe, mais d’imposer des sanctions économiques à la Russie, afin d’accroître la pression sur celle-ci ainsi que le coût de ses actions contre l’Ukraine. Il en conclut que le critère g) n’implique pas, pour le Conseil, de démontrer l’existence de liens étroits ou d’une relation d’interdépendance avec le gouvernement de la Russie ni ne dépend davantage d’une imputabilité au requérant des décisions relatives à la poursuite du conflit en Ukraine ou d’un lien direct ou indirect avec la déstabilisation de ce pays.

À cet égard, le Tribunal constate que le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant le requérant comme étant un homme d’affaires influent, en le qualifiant notamment de « grand actionnaire du conglomérat Alfa Group », alors même que celui-ci aurait cédé ses parts dans cette société. En effet, au vu du critère g), la notion de « femme et homme d’affaires influent » se réfère à des éléments factuels qui s’inscrivent à la fois dans le passé et dans la durée, de sorte que les motifs d’inscription du requérant peuvent se référer à une situation factuelle qui existait avant l’adoption des actes initiaux et qui aurait été modifiée sans pour autant nécessairement impliquer l’obsolescence des mesures restrictives adoptées à son égard sur ce fondement.

S’agissant, en second lieu, du maintien du nom du requérant sur les listes sur la base du même critère, le Tribunal précise qu’il revient au Conseil, lors du réexamen périodique des mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact des mesures précédemment adoptées au regard de leur objectif, à l’égard des personnes concernées. Pour justifier ce maintien, le Conseil peut se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, dans la mesure où les motifs d’inscription demeurent inchangés et que le contexte n’a pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes. En l’espèce, le Tribunal note que la prétendue cession du requérant des parts dans ABH Holdings n’a pas été démontrée par des éléments suffisamment convaincants. Par conséquent, le Conseil a pu estimer, à juste titre, que la situation individuelle du requérant n’avait pas vraiment évolué depuis l’inscription initiale de ce dernier sur les listes litigieuses. C’est, dès lors, sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a maintenu les mesures restrictives en cause.

Enfin, quant aux violations du principe de proportionnalité, du droit de propriété, de la liberté d’entreprendre et du droit d’exercer une profession avancées par le requérant, le Tribunal constate que les inconvénients causés au requérant à cet égard ne sont pas démesurés par rapport à l’importance de l’objectif poursuivi par les actes attaqués.

Le Tribunal rejette en conséquence le recours dans son intégralité.

{1} Décision (PESC) 2022/429 du Conseil, du 15 mars 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 871, p. 44).

{2} Règlement d’exécution (UE) 2022/427 du Conseil, du 15 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 871, p. 1).

{3} Décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine (JO 2022, L 78, p. 16).

{4} Décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149-296).

{5} Règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1).

{6} Règlement (UE) 2022/330 du Conseil du 25 février 2022 modifiant le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 51, p. 1). Conformément à son article 1er :« […] 1. L’annexe I comprend : […]d) les personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces décideurs ;[…]g) les femmes et hommes d’affaires influents, les personnes morales, les entités ou organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ainsi que les personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés. »

{7}Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Arrêt du 15 novembre 2023, OT / Conseil (T-193/22) (cf. points 45-51, 56, 58)

140. Pêche - Conservation des ressources de la mer - Régime de quotas de pêche - Répartition entre les États membres des possibilités de pêche - Pouvoir d'appréciation du Conseil - Fixation des limites de capture maximales pour la crevette rouge - Erreur manifeste d'appréciation - Absence - Violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime - Absence



Arrêt du 16 novembre 2023, Espagne / Conseil (Mesures de conservation complémentaires en Méditerranée occidentale) (C-224/22) (cf. points 122, 123, 127, 133, 137)

141. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Réglementation de l'Union - Exigences de clarté et de précision - Limites

La Banque postale (ci-après la « requérante ») est un établissement de crédit établi en France.

Le 14 avril 2021, le Conseil de résolution unique (CRU) a adopté une décision dans laquelle il a fixé{1} les contributions ex ante pour 2021 au Fonds de résolution unique (ci-après le « FRU ») des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement, dont la requérante (ci-après la « décision attaquée »){2}.

Saisi d’un recours en annulation, qu’il accueille, contre la décision attaquée, le Tribunal, après avoir rejeté plusieurs exceptions d’illégalité à l’encontre du règlement no 806/2014, du règlement délégué 2015/63{3} et du règlement d’exécution 2015/81{4}, apporte des éclaircissements importants sur, d’une part, la portée de l’obligation de motivation pesant sur le CRU et, d’autre part, son lien avec le respect des principes de bonne administration et de protection juridictionnelle effective.

Appréciation du Tribunal

En premier lieu, s’agissant du moyen pris d’une violation de l’obligation de motivation, la requérante se prévalait d’un défaut de motivation de la décision attaquée quant à la détermination du niveau cible annuel.

Le Tribunal rappelle, tout d’abord, que, conformément à la législation applicable, au terme de la période initiale de huit années à compter du 1er janvier 2016 (ci-après la « période initiale »), les moyens financiers disponibles du FRU doivent atteindre le niveau cible final, qui correspond à au moins 1 % du montant des dépôts couverts de l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participant au MRU. Ensuite, au cours de la période initiale, les contributions ex ante doivent être réparties aussi uniformément que possible dans le temps jusqu’à ce que le niveau cible final soit atteint. Par ailleurs, chaque année, les contributions dues par l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participant au MRU ne dépassent pas 12,5 % du niveau cible final. En outre, en ce qui concerne le mode de calcul des contributions ex ante, le CRU détermine leur montant sur la base du niveau cible annuel, compte tenu du niveau cible final, et sur la base du montant moyen des dépôts couverts de l’année précédente, calculé trimestriellement, pour tous les établissements agréés sur le territoire des États membres participant au MRU. Enfin, le CRU calcule la contribution ex ante pour chaque établissement sur la base du niveau cible annuel, qui doit être établi au regard du niveau cible final, et conformément à la méthode exposée dans le règlement délégué 2015/63.

En l’espèce, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, le CRU a fixé, pour la période de contribution 2021, le montant du niveau cible annuel à 11 287 677 212,56 euros. Dans ladite décision, il a expliqué, en substance, que le niveau cible annuel devait être déterminé sur la base d’une analyse portant sur l’évolution des dépôts couverts au cours des années précédentes, sur toute évolution pertinente de la situation économique ainsi que sur une analyse portant sur les indicateurs relatifs à la phase du cycle d’activité et sur les effets que des contributions procycliques auraient sur la situation financière des établissements. Le CRU a considéré approprié de fixer un coefficient qui était fondé sur cette analyse et sur les moyens financiers disponibles dans le FRU (ci-après le « coefficient ») et a appliqué ce coefficient à un huitième du montant moyen des dépôts couverts en 2020, aux fins d’obtenir le niveau cible annuel. Par la suite, il a exposé la démarche suivie pour fixer le coefficient. Au regard de ces considérations, le CRU a fixé la valeur du coefficient à 1,35 %. Il a ensuite calculé le montant du niveau cible annuel, en multipliant le montant moyen des dépôts couverts en 2020 par ce coefficient et en divisant le résultat de ce calcul par huit.

À cet égard, si le CRU est tenu de fournir aux établissements, par le biais de la décision attaquée, des explications concernant la méthode de détermination du niveau cible annuel, ces explications doivent être cohérentes avec les explications fournies par le CRU pendant la procédure juridictionnelle et portant sur la méthode réellement appliquée. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

En effet, lors de l’audience, le CRU a indiqué qu’il avait déterminé le niveau cible annuel pour la période de contribution 2021 en suivant une méthode en quatre étapes, dont les deux dernières ont consisté à déduire du niveau cible final les moyens financiers disponibles au sein du FRU, en vue de calculer le montant qu’il restait à percevoir jusqu’à la fin de la période initiale et en divisant ce dernier montant par trois.

Or, le Tribunal observe que les deux dernières étapes de ce calcul ne trouvent aucune expression dans la formule mathématique présentée, dans la décision attaquée, comme étant à la base de la détermination du montant du niveau cible annuel.

Par ailleurs, cette constatation ne saurait être remise en cause par l’affirmation du CRU selon laquelle il a publié, en mai 2021, la fiche descriptive, qui contenait une fourchette indiquant les éventuels montants du niveau cible final, et, sur son site Internet, le montant des moyens financiers disponibles dans le FRU. En effet, indépendamment de la question de savoir si la requérante avait effectivement connaissance de ces montants, ces derniers n’étaient pas, à eux seuls, de nature à lui permettre de comprendre que les deux dernières étapes du calcul avaient été effectivement appliquées par le CRU, étant précisé, au surplus, que la formule mathématique ne les mentionnait même pas.

Des incohérences similaires affectent également la manière dont a été fixé le coefficient de 1,35 %, qui joue pourtant un rôle primordial dans cette formule mathématique. En effet, il découle des explications fournies par le CRU lors de l’audience que ce coefficient a été fixé de manière à pouvoir justifier le résultat du calcul du montant du niveau cible annuel, c’est-à-dire après que le CRU a calculé ce montant en application des quatre étapes de la méthode réellement appliquée. Or, cette démarche ne ressort aucunement de la décision attaquée.

En outre, la fourchette dans laquelle se situait, selon la fiche descriptive, le montant du niveau cible final estimé s’avère incohérente avec la fourchette du taux de croissance des dépôts couverts comprise entre 4 % et 7 % figurant dans la décision attaquée. En effet, le CRU a indiqué à l’audience que, aux fins de la détermination du niveau cible annuel, il avait tenu compte du taux de croissance des dépôts couverts de 4 % - qui était le taux le plus bas de la seconde fourchette - et qu’il avait ainsi obtenu le niveau cible final estimé de 75 milliards d’euros - qui constituait la valeur la plus élevée de la première fourchette. Il s’avère ainsi qu’il existe une discordance entre ces deux fourchettes. Dans ces conditions, la requérante n’était pas en mesure de déterminer la manière dont le CRU avait utilisé la fourchette portant sur le taux d’évolution de ces dépôts pour aboutir au calcul du niveau cible final estimé.

Le Tribunal considère que, en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel, la méthode réellement appliquée par le CRU, telle qu’explicitée lors de l’audience, ne correspond pas à celle décrite dans la décision attaquée, de sorte que les motifs réels, au regard desquels a été fixé ce niveau cible, ne pouvaient être identifiés sur la base de la décision attaquée ni par les établissements ni par le Tribunal. La décision attaquée est donc entachée de vices de motivation en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel.

En second lieu, s’agissant des moyens pris d’une violation du principe de bonne administration et du principe de protection juridictionnelle effective par le CRU, l’argumentation de la requérante portait plus précisément sur l’absence, dans la décision attaquée, de données relatives à la fixation du « taux d’ajustement des dépôts couverts » servant à déterminer le niveau cible annuel, à savoir le coefficient.

À ce titre, le Tribunal rappelle que le CRU a violé l’obligation de motivation en ce qui concerne la fixation du niveau cible annuel.

Or, il découle de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de la jurisprudence que la motivation d’une décision d’un organe de l’Union constitue l’une des conditions de l’effectivité des principes de bonne administration et de protection juridictionnelle effective.

Le Tribunal en déduit que le vice de motivation de la décision attaquée, en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel, constitue également une violation du principe de bonne administration et du principe de protection juridictionnelle effective. Il accueille donc les moyens soulevés.

Compte tenu des chefs d’illégalité qui entachent la décision attaquée, le Tribunal annule la décision attaquée, en ce qu’elle concerne la requérante.

Pour autant, dans les circonstances de l’espèce, il décide de maintenir les effets de ladite décision, en ce qu’elle concerne la requérante, jusqu’à l’entrée en vigueur, dans un délai raisonnable qui ne saurait dépasser six mois à compter de la date du prononcé du présent arrêt, d’une nouvelle décision du CRU fixant la contribution ex ante au FRU de la requérante pour la période de contribution 2021.

{1} Conformément à l’article 70, paragraphe 2, du règlement (UE) nº 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) nº 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1).

{2} Décision SRB/ES/2021/22 du Conseil de résolution unique, du 14 avril 2021, sur le calcul des contributions ex ante pour 2021 au Fonds de résolution unique.

{3} Règlement délégué (UE) 2015/63 de la Commission, du 21 octobre 2014, complétant la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les contributions ex ante aux dispositifs de financement pour la résolution (JO 2015, L 11, p. 44).

{4} Règlement d’exécution (UE) 2015/81 du Conseil, du 19 décembre 2014, définissant des conditions uniformes d’application du règlement (UE) nº 806/2014 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les contributions ex ante au Fonds de résolution unique (JO 2015, L 15, p. 1).

Arrêt du 20 décembre 2023, Banque postale / CRU (T-383/21) (cf. points 189-192)

La Landesbank Baden-Württemberg (ci-après la « requérante ») est un établissement de crédit de droit public établi en Allemagne. Elle est rattachée au système de protection institutionnel (ci-après le « SPI ») de la Sparkassen-Finanzgruppe (groupe financier des caisses d’épargne, Allemagne).

Le 14 avril 2021, le Conseil de résolution unique (CRU) a adopté une décision dans laquelle il a fixé{1} les contributions ex ante pour 2021 au Fonds de résolution unique (ci-après le « FRU ») d’établissements bancaires, dont la requérante (ci-après la « décision attaquée »){2}.

Saisi d’un recours en annulation contre la décision attaquée, le Tribunal se prononce sur plusieurs questions inédites quant au calcul des contributions ex ante au FRU et sur diverses exceptions d’illégalité à l’encontre du règlement délégué 2015/63{3}, qu’il rejette toutes.

L’arrêt présente un caractère novateur dans son ensemble. Le Tribunal conclut à l’annulation de la décision attaquée pour violation de l’obligation de motivation pesant sur le CRU.

Appréciation du Tribunal

Dans un premier temps, le Tribunal rejette l’ensemble des exceptions d’illégalité soulevées par la requérante.

En particulier, en premier lieu, il rejette celle prise d’une violation du principe de sécurité juridique du pilier de risque « indicateurs de risque supplémentaires à déterminer par le [CRU] ».

Pour rappel, conformément aux articles 6 et 7 du règlement délégué 2015/63, il incombe au CRU d’ajuster la contribution annuelle de base des établissements en tenant compte de quatre piliers de risque, chaque pilier étant composé d’indicateurs de risque qui, à leur tour, peuvent être composés de sous-indicateurs de risque.

Le premier article octroie une marge d’appréciation au CRU, s’agissant de la façon selon laquelle celui-ci doit « tenir compte », aux fins de la détermination desdits indicateurs de risque, « de la probabilité que l’établissement concerné soit mis en résolution et de la probabilité consécutive que le dispositif de financement pour la résolution soit utilisé à cette fin ».

C’est ainsi que, s’agissant du premier indicateur de risque qui relève du pilier de risque « indicateurs de risque supplémentaires à déterminer par le [CRU] » et qui est relatif aux activités de négociation, aux expositions hors bilan, aux instruments dérivés, à la complexité et à la résolvabilité de l’établissement, le CRU doit prendre en compte plusieurs sous-indicateurs lors de sa détermination, dont certains peuvent conduire à augmenter le profil de risque de l’établissement concerné et d’autres à le diminuer. Or, ces sous-indicateurs de risque ne contiennent pas de précisions concernant la mise en œuvre de la comparaison qu’ils impliquent.

S’agissant de l’indicateur de risque SPI, le CRU dispose d’une marge d’appréciation quant au respect des conditions liées, d’une part, à l’adéquation des fonds disponibles du SPI concerné aux fonds nécessaires au financement de l’établissement en cause et, d’autre part, au degré de sécurité juridique ou contractuelle concernant ces fonds. Il en va de même s’agissant de la pondération des différents indicateurs de risque dans le cadre du pilier de risque IV{4}, afin de déterminer la pondération des différents sous-indicateurs de risque constituant ces indicateurs de risque, lesquels doivent être pris en compte{5}.

Le Tribunal examine donc si l’article 6, paragraphes 5 à 7, et l’article 7, paragraphe 4, du règlement délégué 2015/63 peuvent être considérés comme des dispositions qui définissent avec une netteté suffisante l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation conféré au CRU, eu égard au but légitime en jeu, de sorte qu’elles fournissent une protection adéquate contre l’arbitraire et que les justiciables puissent lever avec une certitude suffisante d’éventuels doutes sur la portée ou le sens desdites dispositions.

En l’espèce, premièrement, le Tribunal relève que la réglementation applicable prévoit le résultat à atteindre, selon lequel les moyens financiers disponibles du FRU doivent atteindre le niveau cible final au terme de la période initiale de huit années à compter du 1er janvier 2016 (ci-après la « période initiale »), ainsi qu’une méthode pour atteindre ce résultat, ce qui réduit l’impact du pouvoir d’appréciation que le CRU exerce lors de la détermination des contributions ex ante. D’une part, le montant de la contribution ex ante de chaque établissement dépend du montant du niveau cible annuel qui est déterminé par le CRU sur la base de son estimation du montant qui correspond, au 31 décembre 2023, à au moins 1 % des dépôts couverts dans l’ensemble des États membres participant au mécanisme de résolution unique (MRU){6}. D’autre part, la contribution ex ante de chaque établissement est déterminée, notamment, sur le fondement de la contribution annuelle de base qui est calculée à partir des montants des passifs nets des établissements concernés. Or, le CRU n’exerce aucun pouvoir d’appréciation concernant la détermination de ces montants. En outre, l’établissement concerné a connaissance du montant de ses passifs nets et il peut avoir accès au montant global des passifs nets des autres établissements.

Deuxièmement, les indicateurs de risque dont le manque de clarté est contesté par la requérante et pour lesquels le CRU exerce un certain pouvoir d’appréciation n’influent sur le profil de risque de l’établissement qu’à une hauteur qui se situe au-dessous de 20 %. En outre, l’impact de ces indicateurs sur le montant final de la contribution ex ante est davantage réduit par le fait que le CRU n’exerce aucun pouvoir d’appréciation concernant la détermination du montant de la contribution annuelle de base et que l’ajustement de cette contribution au profil de risque d’un établissement est nettement encadré dans une fourchette préalablement définie allant de 0,8 à 1,5{7}.

Le Tribunal en conclut que l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation conféré au CRU{8} ne peuvent être considérées comme étant insuffisamment encadrées ou définies avec une netteté insuffisante, eu égard au but légitime en jeu, et ne peuvent donc être considérées comme ne fournissant pas une protection adéquate contre l’arbitraire. Il en va d’autant plus ainsi que la requérante est un opérateur avisé qui peut, en recourant au besoin aux services d’un conseil juridique et économique, prévoir de manière suffisamment précise la méthode de calcul et l’ordre de grandeur de sa contribution ex ante.

En deuxième lieu, le Tribunal rejette l’exception d’illégalité prise de ce qu’une différenciation des établissements appartenant au même SPI sur la base de l’indicateur de risque « activités de négociation et expositions hors bilan, instruments dérivés, complexité et résolvabilité » serait en contradiction avec le traitement homogène et cohérent de tous les membres d’un tel SPI, qui serait imposé par la directive 2014/59{9} et le règlement nº 575/2013{10}. En effet, après avoir constaté que lorsque plusieurs établissements font partie du même SPI, les établissements qui se voient attribuer une meilleure pondération relative à l’indicateur de risque « activités de négociation et expositions hors bilan, instruments dérivés, complexité et résolvabilité » par rapport à d’autres membres de ce SPI peuvent se voir attribuer une pondération plus favorable dans le cadre de l’indicateur de risque SPI par rapport à ces autres membres, il relève que s’agissant de la directive 2014/59, il n’est pas prévu que, lorsqu’elle a adopté le règlement délégué 2015/63, la Commission devait attribuer la même pondération à tous les établissements qui font partie du même SPI. En outre, la Commission jouit d’un large pouvoir d’appréciation s’agissant de la méthode d’adaptation des contributions annuelles de base. Or, tout d’abord, la Commission et le CRU ont expliqué, sans que la requérante ait apporté des éléments pour contester leurs allégations, que les membres d’un SPI ne disposent pas du droit inconditionnel de recevoir de la part d’un tel SPI un soutien inconditionnel, ensuite, la défaillance d’un établissement avec un large et complexe bilan pourrait entièrement épuiser les fonds d’un tel SPI et, enfin, l’indicateur de risque « activités de négociation et expositions hors bilan, instruments dérivés, complexité et résolvabilité » permet d’apprécier si un établissement dispose d’un large et complexe bilan. S’agissant du règlement nº 575/2013, son article 113, paragraphe 7, définit les co

nditions d’agrément des SPI et non le calcul des contributions ex ante et il n’interdit pas d’opérer une différenciation entre les établissements qui sont membres du même SPI aux fins du calcul des contributions ex ante. En outre, cette disposition ne va pas jusqu’à exiger qu’un SPI dispose des ressources suffisantes pour éviter la résolution de tous ses membres, y compris tous les grands établissements.

En troisième lieu, le Tribunal rejette l’exception d’illégalité tirée d’une violation du principe d’égalité de traitement. Il rappelle que la nature spécifique des contributions ex ante consiste à garantir, dans une logique d’ordre assurantiel, que le secteur financier procure des ressources financières suffisantes au MRU pour qu’il puisse remplir ses fonctions, tout en encourageant l’adoption, par les établissements concernés, de modes de fonctionnement moins risqués. Partant, tous les établissements appartenant à un SPI ne se trouvent pas nécessairement et du seul fait de cette appartenance dans une situation comparable. En effet, tout d’abord, les membres d’un SPI ne disposent pas du droit inconditionnel de recevoir un soutien de la part du SPI qui couvrirait tous leurs engagements. Ensuite, la défaillance d’un établissement avec un bilan large et complexe pourrait entièrement épuiser les fonds d’un SPI, à la différence de la défaillance d’établissements avec des bilans plus réduits et simples. Enfin, l’indicateur de risque « activités de négociation et expositions hors bilan, instruments dérivés, complexité et résolvabilité » constitue un critère objectif pour évaluer quels établissements se trouvent, s’agissant d’un tel risque, dans une situation comparable.

En quatrième lieu, le Tribunal rejette l’exception d’illégalité prise d’une violation de plusieurs normes supérieures. À ce titre, il relève que, dès lors qu’il convient de prendre en compte les objectifs du MRU et, notamment, celui visant à encourager les établissements à adopter des modes de fonctionnement moins risqués, la méthode du binning, consistant à assigner des établissements assignés à un même bin (« panier ») alors qu’ils ont des valeurs considérablement différentes les unes des autres pour le même indicateur de risque, ne viole pas le principe proportionnalité puisque ces établissements ont des caractéristiques différentes s’agissant du degré de risque mesuré par cet indicateur. Bien que ces établissements soient traités de manière égale, ce traitement est dûment justifié dans la mesure où, d’une part, il est en rapport avec l’objectif admissible légalement poursuivi consistant à établir des règles générales susceptibles d’être facilement appliquées et aisément contrôlées par les autorités compétentes, et que d’autre part, eu égard à la large marge d’appréciation dont jouit la Commission, la méthode du binning en cause permet d’atteindre l’objectif poursuivi, ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire à sa réalisation et ne peut être considérée comme emportant un inconvénient démesuré.

En cinquième lieu, le Tribunal rejette l’exception d’illégalité prise d’une violation d’un « principe du calcul des contributions adapté au risque » en ce que l’article 20, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, au motif que cette disposition empêcherait le CRU d’adapter, d’une manière appropriée, les contributions annuelles de base au profil de risque réel des établissements. En vertu de cet article, intitulé « Dispositions transitoires », un indicateur de risque ne s’applique pas tant que les informations requises au titre d’un indicateur de risque spécifique mentionné à l’annexe II de ce règlement délégué ne font pas partie des exigences d’information prudentielles mentionnées à son article 14. Le règlement délégué 2015/63 a été adopté sur le fondement de l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59, lequel oblige la Commission à tenir compte de tous les éléments énumérés sous a) à h) de cette disposition aux fins de préciser la notion d’« adaptation des contributions en fonction du profil de risque des établissements ».

Néanmoins, eu égard à la large marge d’appréciation dont la Commission jouit quant à la mise en œuvre de cette disposition, cela peut impliquer la nécessité de prévoir des périodes transitoires. Or, l’article 20, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 introduit une telle période, dès lors qu’il habilite le CRU, à titre transitoire, à ne pas appliquer certains de ces éléments, qui sont reflétés dans les indicateurs de risque prévus par ce règlement délégué.

En outre, la justification de la période transitoire prévue par cette disposition est étroitement liée au caractère progressif du processus de mise en place des exigences prudentielles et des exigences d’information correspondantes. Dans ce contexte, l’article 20, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 vise à éviter que des charges disproportionnées ou discriminatoires soient, le cas échéant, imposées aux établissements lors du calcul des contributions ex ante en raison précisément de cette mise en œuvre progressive des exigences prudentielles et des exigences d’information qui y sont afférentes.

Enfin, si cette exception peut aboutir à une situation où certains indicateurs de risque demeurent inappliqués pendant toute la période initiale, d’une part, une telle conséquence est le résultat de la nature progressive de la mise en œuvre des exigences prudentielles et, d’autre part, lesdits indicateurs de risque ont vocation à s’appliquer également au-delà de la période initiale.

Dans un second temps, le Tribunal examine les moyens portant sur la légalité de la décision attaquée et accueille celui pris de vices de motivation de cette dernière quant à la détermination du niveau cible annuel.

S’agissant de ce dernier moyen, qui est d’ordre public, à titre liminaire, le Tribunal rappelle, tout d’abord, que, conformément à la législation applicable, les moyens financiers disponibles du FRU doivent atteindre, au terme de la période initiale, le niveau cible final, qui correspond à au moins 1 % du montant des dépôts couverts de l’ensemble des établissements agréés dans tous les États membres participant au MRU. Ensuite, au cours de la période initiale, les contributions ex ante doivent être réparties aussi uniformément que possible dans le temps jusqu’à ce que le niveau cible final soit atteint. Par ailleurs, chaque année, les contributions dues par l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participant au MRU ne dépassent pas 12,5 % du niveau cible final. En outre, en ce qui concerne le mode de calcul des contributions ex ante, le CRU détermine leur montant sur la base du niveau cible annuel, compte tenu du niveau cible final, et sur la base du montant moyen des dépôts couverts de l’année précédente, calculé trimestriellement, pour tous les établissements agréés sur le territoire des États membres participant au MRU. Enfin, le CRU calcule la contribution ex ante pour chaque établissement sur la base du niveau cible annuel, qui doit être établi au regard du niveau cible final et conformément à la méthode exposée dans le règlement délégué 2015/63.

En l’espèce, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, le CRU a fixé, pour la période de contribution 2021, le montant du niveau cible annuel à 11 287 677 212,56 euros. Dans ladite décision, il a expliqué, en substance, que le niveau cible annuel devait être déterminé sur la base d’une analyse portant sur l’évolution des dépôts couverts au cours des années précédentes, sur toute évolution pertinente de la situation économique ainsi que sur une analyse portant sur les indicateurs relatifs à la phase du cycle d’activité et sur les effets que des contributions procycliques auraient sur la situation financière des établissements. Le CRU a considéré approprié de fixer un coefficient qui était fondé sur cette analyse et sur les moyens financiers disponibles au FRU et a appliqué ce coefficient à un huitième du montant moyen des dépôts couverts en 2020, aux fins d’obtenir le niveau cible annuel. Par la suite, il a exposé la démarche suivie pour fixer le coefficient. Au regard de ces considérations, le CRU a fixé la valeur du coefficient à 1,35 %. Il a ensuite calculé le montant du niveau cible annuel, en multipliant le montant moyen des dépôts couverts en 2020 par ce coefficient et en divisant le résultat de ce calcul par huit.

À cet égard, si le CRU est tenu de fournir aux établissements, par le biais de la décision attaquée, des explications concernant la méthode de détermination du niveau cible annuel, ces explications doivent être cohérentes avec les explications fournies par le CRU pendant la procédure juridictionnelle et portant sur la méthode réellement appliquée. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

En effet, lors de l’audience, le CRU a indiqué qu’il avait déterminé le niveau cible annuel pour la période de contribution 2021 en suivant une méthode en quatre étapes, dont les deux dernières ont consisté à déduire du niveau cible final les moyens financiers disponibles au sein du FRU, en vue de calculer le montant qu’il restait à percevoir jusqu’à la fin de la période initiale et en divisant ce dernier montant par trois.

Or, le Tribunal observe que les deux dernières étapes de ce calcul ne trouvent aucune expression dans la formule mathématique présentée, dans la décision attaquée, comme étant à la base de la détermination du montant du niveau cible annuel.

Certes, la requérante avait connaissance d’une fiche descriptive, publiée par le CRU après l’adoption de la décision attaquée mais avant l’introduction du présent recours, qui indiquait le montant estimé du niveau cible final. Toutefois, à supposer qu’elle ait connu également le montant des moyens financiers disponibles dans le FRU, ces circonstances seules n’étaient pas de nature à lui permettre de comprendre que les deux dernières étapes avaient été effectivement appliquées par le CRU, étant précisé, au surplus, que la formule mathématique prévue dans la décision attaquée ne les mentionnait même pas.

Des incohérences similaires affectent également la manière dont a été fixé le coefficient de 1,35 %, qui joue pourtant un rôle primordial dans cette formule mathématique. En effet, comme le CRU l’a reconnu lors de l’audience, ce coefficient a été fixé de manière à pouvoir justifier le résultat du calcul du montant du niveau cible annuel, c’est-à-dire après que le CRU a calculé ce montant en application des quatre étapes de la méthode réellement appliquée. Or, cette démarche ne ressort aucunement de la décision attaquée.

En outre, la fourchette dans laquelle se situait, selon la fiche descriptive, le montant du niveau cible final estimé s’avère incohérente avec la fourchette du taux de croissance des dépôts couverts comprise entre 4 % et 7 % figurant dans la décision attaquée. Dans ces conditions, la requérante n’était pas en mesure de déterminer la manière dont le CRU avait utilisé la fourchette portant sur le taux d’évolution de ces dépôts pour aboutir au calcul du niveau cible final estimé.

Le Tribunal considère que, en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel, la méthode réellement appliquée par le CRU, telle qu’explicitée lors de l’audience, ne correspond pas à celle décrite dans la décision attaquée, de sorte que les motifs réels, au regard desquels a été fixé ce niveau cible, ne pouvaient être identifiés sur la base de la décision attaquée ni par les établissements ni par le Tribunal. La décision attaquée est donc entachée de vices de motivation en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel.

Après avoir rejeté les autres moyens de fond, examinés dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le Tribunal conclut que le défaut de motivation dont est entachée la décision attaquée est, à lui seul, de nature à fonder son annulation en tant qu’elle concerne la requérante.

Pour autant, dans les circonstances de l’espèce, il décide de maintenir les effets de la décision attaquée, en ce qu’elle concerne la requérante, jusqu’à l’entrée en vigueur, dans un délai raisonnable qui ne saurait dépasser six mois à compter de la date du prononcé du présent arrêt, d’une nouvelle décision du CRU fixant la contribution ex ante au FRU de la requérante pour la période de contribution 2021.

{1} Conformément à l’article 70, paragraphe 2, du règlement (UE) nº 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) nº 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1).

{2} Décision SRB/ES/2021/22 du Conseil de résolution unique, du 14 avril 2021, sur le calcul des contributions ex ante pour 2021 au Fonds de résolution unique.

{3} Règlement délégué (UE) 2015/63 de la Commission, du 21 octobre 2014, complétant la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les contributions ex ante aux dispositifs de financement pour la résolution (JO 2015, L 11, p. 44).

{4} En vertu de l’article 7, paragraphe 4, du règlement délégué 2015/63.

{5} Conformément à l’article 6, paragraphes 5 à 7, du règlement délégué 2015/63.

{6} En vertu de l’article 69, paragraphes 1 et 2, du règlement nº 806/2014.

{7} Conformément à l’article 9, paragraphe 3, du règlement délégué 2015/63.

{8} En vertu de l’article 6, paragraphes 5 à 7, et l’article 7, paragraphe 4, du règlement délégué 2015/63.

{9} Article 103, paragraphe 7, sous h), de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) nº 1093/2010 et (UE) nº 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190).

{10} Règlement (UE) nº 575/2013 du Parlement et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) nº 648/2012 (JO 2013, L 176, p. 1), article 113, paragraphe 7.

Arrêt du 20 décembre 2023, Landesbank Baden-Württemberg / CRU (T-389/21) (cf. points 64-67)

Saisi d’un recours en annulation, qu’il accueille, le Tribunal, après avoir rejeté les exceptions d’illégalité à l’encontre du règlement nº 806/2014{1}, de la directive 2014/59{2} et du règlement délégué 2015/63{3}, apporte des éclaircissements importants sur la portée de l’obligation de motivation pesant sur le Conseil de résolution unique (CRU) quant à la détermination du niveau cible annuel.

Hypo Vorarlberg Bank AG (ci-après la « requérante ») est un établissement de crédit établi en Autriche.

Le 14 avril 2021, le CRU a adopté une décision dans laquelle il a fixé{4} les contributions ex ante pour 2021 au Fonds de résolution unique (ci-après le « FRU ») des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement, dont la requérante (ci-après la « décision attaquée »){5}.

Appréciation du Tribunal

S’agissant du moyen pris d’une violation de l’obligation de motivation quant à la détermination du niveau cible annuel, le Tribunal rappelle, tout d’abord, que, conformément à la législation applicable, au terme de la période initiale de huit années à compter du 1er janvier 2016 (ci-après la « période initiale »), les moyens financiers disponibles dans le FRU doivent atteindre le niveau cible final, qui correspond à au moins 1 % du montant des dépôts couverts de l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participants. Ensuite, au cours de la période initiale, les contributions ex ante doivent être réparties aussi uniformément que possible dans le temps jusqu’à ce que le niveau cible final soit atteint. Par ailleurs, chaque année, les contributions dues par l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participants ne dépassent pas 12,5 % du niveau cible final. En outre, en ce qui concerne le mode de calcul des contributions ex ante, le CRU détermine leur montant sur la base du niveau cible annuel, compte tenu du niveau cible final, et sur la base du montant moyen des dépôts couverts de l’année précédente, calculé trimestriellement, pour tous les établissements agréés sur le territoire des États membres participants. Enfin, le CRU calcule la contribution ex ante pour chaque établissement sur la base du niveau cible annuel, qui doit être établi au regard du niveau cible final, et conformément à la méthode exposée dans le règlement délégué 2015/63.

En l’espèce, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, le CRU a fixé, pour la période de contribution 2021, le montant du niveau cible annuel à 11 287 677 212,56 euros. Dans ladite décision, il a expliqué, en substance, que le niveau cible annuel devait être déterminé sur la base d’une analyse portant sur l’évolution des dépôts couverts au cours des années précédentes, sur toute évolution pertinente de la situation économique ainsi que sur une analyse portant sur les indicateurs relatifs à la phase du cycle d’activité et sur les effets que des contributions procycliques auraient sur la situation financière des établissements. Le CRU a considéré approprié de fixer un coefficient qui était fondé sur cette analyse et sur les moyens financiers disponibles dans le FRU (ci-après le « coefficient ») et a appliqué ce coefficient à un huitième du montant moyen des dépôts couverts en 2020, aux fins d’obtenir le niveau cible annuel. Par la suite, il a exposé la démarche suivie pour fixer le coefficient. Au regard de ces considérations, le CRU a fixé la valeur du coefficient à 1,35 %. Il a ensuite calculé le montant du niveau cible annuel, en multipliant le montant moyen des dépôts couverts en 2020 par ce coefficient et en divisant le résultat de ce calcul par huit.

À cet égard, si le CRU est tenu de fournir aux établissements, par le biais de la décision attaquée, des explications concernant la méthode de détermination du niveau cible annuel, ces explications doivent être cohérentes avec les explications fournies par le CRU pendant la procédure juridictionnelle et portant sur la méthode réellement appliquée. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

En effet, lors de l’audience, le CRU a indiqué qu’il avait déterminé le niveau cible annuel pour la période de contribution 2021 en suivant une méthode en quatre étapes, dont les deux dernières ont consisté à déduire du niveau cible final les moyens financiers disponibles dans le FRU, en vue de calculer le montant qu’il restait à percevoir jusqu’à la fin de la période initiale et en divisant ce dernier montant par trois.

Or, le Tribunal observe que les deux dernières étapes de ce calcul ne trouvent aucune expression dans la formule mathématique présentée, dans la décision attaquée, comme étant à la base de la détermination du montant du niveau cible annuel.

Par ailleurs, cette constatation ne saurait être remise en cause par l’affirmation du CRU selon laquelle il a publié, en mai 2021, la fiche descriptive, qui contenait une fourchette indiquant les éventuels montants du niveau cible final, et, sur son site Internet, le montant des moyens financiers disponibles dans le FRU. En effet, indépendamment de la question de savoir si la requérante avait effectivement connaissance de ces montants, ces derniers n’étaient pas, à eux seuls, de nature à lui permettre de comprendre que les deux dernières étapes du calcul avaient été effectivement appliquées par le CRU, étant précisé, au surplus, que la formule mathématique ne les mentionnait même pas.

Des incohérences similaires affectent également la manière dont a été fixé le coefficient de 1,35 %, qui joue pourtant un rôle primordial dans cette formule mathématique. En effet, il découle des explications fournies par le CRU lors de l’audience que ce coefficient a été fixé de manière à pouvoir justifier le résultat du calcul du montant du niveau cible annuel, c’est-à-dire après que le CRU a calculé ce montant en application des quatre étapes de la méthode réellement appliquée. Or, cette démarche ne ressort aucunement de la décision attaquée.

En outre, la fourchette dans laquelle se situait, selon la fiche descriptive, le montant du niveau cible final estimé s’avère incohérente avec la fourchette du taux de croissance des dépôts couverts comprise entre 4 % et 7 % figurant dans la décision attaquée. En effet, le CRU a indiqué à l’audience que, aux fins de la détermination du niveau cible annuel, il avait tenu compte du taux de croissance des dépôts couverts de 4 % - qui était le taux le plus bas de la seconde fourchette - et qu’il avait ainsi obtenu le niveau cible final estimé de 75 milliards d’euros - qui constituait la valeur la plus élevée de la première fourchette. Il s’avère ainsi qu’il existe une discordance entre ces deux fourchettes. Dans ces conditions, la requérante n’était pas en mesure de déterminer la manière dont le CRU avait utilisé la fourchette portant sur le taux d’évolution de ces dépôts pour aboutir au calcul du niveau cible final estimé.

Le Tribunal considère que, en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel, la méthode réellement appliquée par le CRU, telle qu’explicitée lors de l’audience, ne correspond pas à celle décrite dans la décision attaquée, de sorte que les motifs réels, au regard desquels a été fixé ce niveau cible, ne pouvaient être identifiés sur la base de la décision attaquée ni par les établissements ni par le Tribunal. La décision attaquée est donc entachée de vices de motivation en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel.

Compte tenu des chefs d’illégalité qui entachent la décision attaquée, le Tribunal annule la décision attaquée, en ce qu’elle concerne la requérante.

Pour autant, dans les circonstances de l’espèce, il décide de maintenir les effets de ladite décision, en ce qu’elle concerne la requérante, jusqu’à l’entrée en vigueur, dans un délai raisonnable qui ne saurait dépasser six mois à compter de la date du prononcé du présent arrêt, d’une nouvelle décision du CRU fixant la contribution ex ante au FRU de la requérante pour la période de contribution 2021.

{1} Règlement (UE) nº 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) nº 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1).

{2} Directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) nº 1093/2010 et (UE) nº 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190).

{3} Règlement délégué (UE) 2015/63 de la Commission, du 21 octobre 2014, complétant la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les contributions ex ante aux dispositifs de financement pour la résolution (JO 2015, L 11, p. 44).

{4} Conformément à l’article 70, paragraphe 2, du règlement nº 806/2014.

{5} Décision SRB/ES/2021/22 du Conseil de résolution unique, du 14 avril 2021, sur le calcul des contributions ex ante pour 2021 au Fonds de résolution unique.

Arrêt du 24 janvier 2024, Hypo Vorarlberg Bank / CRU (T-347/21) (cf. points 68-71)



Arrêt du 20 décembre 2023, BPCE e.a. / CRU (T-385/21) (cf. points 189-192)



Arrêt du 20 décembre 2023, Société générale e.a. / CRU (T-387/21) (cf. points 189-192)



Arrêt du 20 décembre 2023, Crédit agricole e.a. / CRU (T-388/21) (cf. points 189-192)



Arrêt du 20 décembre 2023, BNP Paribas / CRU (T-397/21) (cf. points 189-192)



Arrêt du 20 mars 2024, Deutsche Kreditbank / CRU (T-391/21) (cf. points 64-67)



Arrêt du 20 mars 2024, Landesbank Hessen-Thüringen Girozentrale / CRU (T-392/21) (cf. points 64-67)



Arrêt du 20 mars 2024, Bayerische Landesbank / CRU (T-394/21) (cf. points 64-67)

142. Actes des institutions - Motivation - Obligation - Portée - Décision du Conseil de résolution unique (CRU) établissant les contributions ex ante au Fonds de résolution unique (FRU) - Absence de nécessité de faire figurer, dans cette décision, l'intégralité des éléments permettant de vérifier l'exactitude du calcul des contributions - Mise en balance de l'obligation de motivation avec le principe général de protection du secret des affaires des établissements concernés - Légalité des dispositions du règlement délégué 2015/63 visant la méthode de calcul des contributions ex ante au FRU

La Banque postale (ci-après la « requérante ») est un établissement de crédit établi en France.

Le 14 avril 2021, le Conseil de résolution unique (CRU) a adopté une décision dans laquelle il a fixé{1} les contributions ex ante pour 2021 au Fonds de résolution unique (ci-après le « FRU ») des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement, dont la requérante (ci-après la « décision attaquée »){2}.

Saisi d’un recours en annulation, qu’il accueille, contre la décision attaquée, le Tribunal, après avoir rejeté plusieurs exceptions d’illégalité à l’encontre du règlement no 806/2014, du règlement délégué 2015/63{3} et du règlement d’exécution 2015/81{4}, apporte des éclaircissements importants sur, d’une part, la portée de l’obligation de motivation pesant sur le CRU et, d’autre part, son lien avec le respect des principes de bonne administration et de protection juridictionnelle effective.

Appréciation du Tribunal

En premier lieu, s’agissant du moyen pris d’une violation de l’obligation de motivation, la requérante se prévalait d’un défaut de motivation de la décision attaquée quant à la détermination du niveau cible annuel.

Le Tribunal rappelle, tout d’abord, que, conformément à la législation applicable, au terme de la période initiale de huit années à compter du 1er janvier 2016 (ci-après la « période initiale »), les moyens financiers disponibles du FRU doivent atteindre le niveau cible final, qui correspond à au moins 1 % du montant des dépôts couverts de l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participant au MRU. Ensuite, au cours de la période initiale, les contributions ex ante doivent être réparties aussi uniformément que possible dans le temps jusqu’à ce que le niveau cible final soit atteint. Par ailleurs, chaque année, les contributions dues par l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participant au MRU ne dépassent pas 12,5 % du niveau cible final. En outre, en ce qui concerne le mode de calcul des contributions ex ante, le CRU détermine leur montant sur la base du niveau cible annuel, compte tenu du niveau cible final, et sur la base du montant moyen des dépôts couverts de l’année précédente, calculé trimestriellement, pour tous les établissements agréés sur le territoire des États membres participant au MRU. Enfin, le CRU calcule la contribution ex ante pour chaque établissement sur la base du niveau cible annuel, qui doit être établi au regard du niveau cible final, et conformément à la méthode exposée dans le règlement délégué 2015/63.

En l’espèce, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, le CRU a fixé, pour la période de contribution 2021, le montant du niveau cible annuel à 11 287 677 212,56 euros. Dans ladite décision, il a expliqué, en substance, que le niveau cible annuel devait être déterminé sur la base d’une analyse portant sur l’évolution des dépôts couverts au cours des années précédentes, sur toute évolution pertinente de la situation économique ainsi que sur une analyse portant sur les indicateurs relatifs à la phase du cycle d’activité et sur les effets que des contributions procycliques auraient sur la situation financière des établissements. Le CRU a considéré approprié de fixer un coefficient qui était fondé sur cette analyse et sur les moyens financiers disponibles dans le FRU (ci-après le « coefficient ») et a appliqué ce coefficient à un huitième du montant moyen des dépôts couverts en 2020, aux fins d’obtenir le niveau cible annuel. Par la suite, il a exposé la démarche suivie pour fixer le coefficient. Au regard de ces considérations, le CRU a fixé la valeur du coefficient à 1,35 %. Il a ensuite calculé le montant du niveau cible annuel, en multipliant le montant moyen des dépôts couverts en 2020 par ce coefficient et en divisant le résultat de ce calcul par huit.

À cet égard, si le CRU est tenu de fournir aux établissements, par le biais de la décision attaquée, des explications concernant la méthode de détermination du niveau cible annuel, ces explications doivent être cohérentes avec les explications fournies par le CRU pendant la procédure juridictionnelle et portant sur la méthode réellement appliquée. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

En effet, lors de l’audience, le CRU a indiqué qu’il avait déterminé le niveau cible annuel pour la période de contribution 2021 en suivant une méthode en quatre étapes, dont les deux dernières ont consisté à déduire du niveau cible final les moyens financiers disponibles au sein du FRU, en vue de calculer le montant qu’il restait à percevoir jusqu’à la fin de la période initiale et en divisant ce dernier montant par trois.

Or, le Tribunal observe que les deux dernières étapes de ce calcul ne trouvent aucune expression dans la formule mathématique présentée, dans la décision attaquée, comme étant à la base de la détermination du montant du niveau cible annuel.

Par ailleurs, cette constatation ne saurait être remise en cause par l’affirmation du CRU selon laquelle il a publié, en mai 2021, la fiche descriptive, qui contenait une fourchette indiquant les éventuels montants du niveau cible final, et, sur son site Internet, le montant des moyens financiers disponibles dans le FRU. En effet, indépendamment de la question de savoir si la requérante avait effectivement connaissance de ces montants, ces derniers n’étaient pas, à eux seuls, de nature à lui permettre de comprendre que les deux dernières étapes du calcul avaient été effectivement appliquées par le CRU, étant précisé, au surplus, que la formule mathématique ne les mentionnait même pas.

Des incohérences similaires affectent également la manière dont a été fixé le coefficient de 1,35 %, qui joue pourtant un rôle primordial dans cette formule mathématique. En effet, il découle des explications fournies par le CRU lors de l’audience que ce coefficient a été fixé de manière à pouvoir justifier le résultat du calcul du montant du niveau cible annuel, c’est-à-dire après que le CRU a calculé ce montant en application des quatre étapes de la méthode réellement appliquée. Or, cette démarche ne ressort aucunement de la décision attaquée.

En outre, la fourchette dans laquelle se situait, selon la fiche descriptive, le montant du niveau cible final estimé s’avère incohérente avec la fourchette du taux de croissance des dépôts couverts comprise entre 4 % et 7 % figurant dans la décision attaquée. En effet, le CRU a indiqué à l’audience que, aux fins de la détermination du niveau cible annuel, il avait tenu compte du taux de croissance des dépôts couverts de 4 % - qui était le taux le plus bas de la seconde fourchette - et qu’il avait ainsi obtenu le niveau cible final estimé de 75 milliards d’euros - qui constituait la valeur la plus élevée de la première fourchette. Il s’avère ainsi qu’il existe une discordance entre ces deux fourchettes. Dans ces conditions, la requérante n’était pas en mesure de déterminer la manière dont le CRU avait utilisé la fourchette portant sur le taux d’évolution de ces dépôts pour aboutir au calcul du niveau cible final estimé.

Le Tribunal considère que, en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel, la méthode réellement appliquée par le CRU, telle qu’explicitée lors de l’audience, ne correspond pas à celle décrite dans la décision attaquée, de sorte que les motifs réels, au regard desquels a été fixé ce niveau cible, ne pouvaient être identifiés sur la base de la décision attaquée ni par les établissements ni par le Tribunal. La décision attaquée est donc entachée de vices de motivation en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel.

En second lieu, s’agissant des moyens pris d’une violation du principe de bonne administration et du principe de protection juridictionnelle effective par le CRU, l’argumentation de la requérante portait plus précisément sur l’absence, dans la décision attaquée, de données relatives à la fixation du « taux d’ajustement des dépôts couverts » servant à déterminer le niveau cible annuel, à savoir le coefficient.

À ce titre, le Tribunal rappelle que le CRU a violé l’obligation de motivation en ce qui concerne la fixation du niveau cible annuel.

Or, il découle de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de la jurisprudence que la motivation d’une décision d’un organe de l’Union constitue l’une des conditions de l’effectivité des principes de bonne administration et de protection juridictionnelle effective.

Le Tribunal en déduit que le vice de motivation de la décision attaquée, en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel, constitue également une violation du principe de bonne administration et du principe de protection juridictionnelle effective. Il accueille donc les moyens soulevés.

Compte tenu des chefs d’illégalité qui entachent la décision attaquée, le Tribunal annule la décision attaquée, en ce qu’elle concerne la requérante.

Pour autant, dans les circonstances de l’espèce, il décide de maintenir les effets de ladite décision, en ce qu’elle concerne la requérante, jusqu’à l’entrée en vigueur, dans un délai raisonnable qui ne saurait dépasser six mois à compter de la date du prononcé du présent arrêt, d’une nouvelle décision du CRU fixant la contribution ex ante au FRU de la requérante pour la période de contribution 2021.

{1} Conformément à l’article 70, paragraphe 2, du règlement (UE) nº 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) nº 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1).

{2} Décision SRB/ES/2021/22 du Conseil de résolution unique, du 14 avril 2021, sur le calcul des contributions ex ante pour 2021 au Fonds de résolution unique.

{3} Règlement délégué (UE) 2015/63 de la Commission, du 21 octobre 2014, complétant la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les contributions ex ante aux dispositifs de financement pour la résolution (JO 2015, L 11, p. 44).

{4} Règlement d’exécution (UE) 2015/81 du Conseil, du 19 décembre 2014, définissant des conditions uniformes d’application du règlement (UE) nº 806/2014 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les contributions ex ante au Fonds de résolution unique (JO 2015, L 15, p. 1).

Arrêt du 20 décembre 2023, Banque postale / CRU (T-383/21) (cf. points 195-198, 214, 216, 217)

143. Actes des institutions - Motivation - Obligation - Portée - Décision du Conseil de résolution unique (CRU) établissant les contributions ex ante au Fonds de résolution unique (FRU) - Absence de nécessité de faire figurer, dans cette décision, l'intégralité des éléments permettant de vérifier l'exactitude du calcul des contributions - Mise en balance de l'obligation de motivation avec le principe général de protection du secret des affaires des établissements concernés - Légalité des dispositions visant la méthode de calcul des contributions ex ante au FRU



Arrêt du 20 décembre 2023, Confédération nationale du Crédit mutuel e.a. / CRU (T-384/21) (cf. points 195-198, 214, 216, 217)

144. Actes des institutions - Motivation - Obligation - Portée - Décision du Conseil de résolution unique (CRU) établissant les contributions ex ante au Fonds de résolution unique (FRU) - Absence de nécessité de faire figurer, dans cette décision, l'intégralité des éléments permettant de vérifier l'exactitude du calcul des contributions - Mise en balance de l'obligation de motivation avec le principe général de protection du secret des affaires des établissements concernés - Légalité des dispositions du règlement 2015/63 visant la méthode de calcul des contributions ex ante au FRU



Arrêt du 20 décembre 2023, BPCE e.a. / CRU (T-385/21) (cf. points 195-198, 214, 216, 217)



Arrêt du 20 décembre 2023, Société générale e.a. / CRU (T-387/21) (cf. points 195-198, 214, 216, 217)



Arrêt du 20 décembre 2023, Crédit agricole e.a. / CRU (T-388/21) (cf. points 195-198, 214, 216, 217)



Arrêt du 20 décembre 2023, BNP Paribas / CRU (T-397/21) (cf. points 195-198, 214, 216, 217)

145. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Réglementation de l'Union - Exigence de clarté et de prévisibilité - Règlement délégué 2015/63 complétant la directive 2014/59 en ce qui concerne les contributions ex ante aux dispositifs de financement pour la résolution - Octroi d'une marge d'appréciation au Conseil de résolution unique (CRU) quant à la méthode de calcul des contributions ex ante - Conditions - Définition avec une netteté suffisante de l'étendue et des modalités d'exercice d'un tel pouvoir

La Landesbank Baden-Württemberg (ci-après la « requérante ») est un établissement de crédit de droit public établi en Allemagne. Elle est rattachée au système de protection institutionnel (ci-après le « SPI ») de la Sparkassen-Finanzgruppe (groupe financier des caisses d’épargne, Allemagne).

Le 14 avril 2021, le Conseil de résolution unique (CRU) a adopté une décision dans laquelle il a fixé{1} les contributions ex ante pour 2021 au Fonds de résolution unique (ci-après le « FRU ») d’établissements bancaires, dont la requérante (ci-après la « décision attaquée »){2}.

Saisi d’un recours en annulation contre la décision attaquée, le Tribunal se prononce sur plusieurs questions inédites quant au calcul des contributions ex ante au FRU et sur diverses exceptions d’illégalité à l’encontre du règlement délégué 2015/63{3}, qu’il rejette toutes.

L’arrêt présente un caractère novateur dans son ensemble. Le Tribunal conclut à l’annulation de la décision attaquée pour violation de l’obligation de motivation pesant sur le CRU.

Appréciation du Tribunal

Dans un premier temps, le Tribunal rejette l’ensemble des exceptions d’illégalité soulevées par la requérante.

En particulier, en premier lieu, il rejette celle prise d’une violation du principe de sécurité juridique du pilier de risque « indicateurs de risque supplémentaires à déterminer par le [CRU] ».

Pour rappel, conformément aux articles 6 et 7 du règlement délégué 2015/63, il incombe au CRU d’ajuster la contribution annuelle de base des établissements en tenant compte de quatre piliers de risque, chaque pilier étant composé d’indicateurs de risque qui, à leur tour, peuvent être composés de sous-indicateurs de risque.

Le premier article octroie une marge d’appréciation au CRU, s’agissant de la façon selon laquelle celui-ci doit « tenir compte », aux fins de la détermination desdits indicateurs de risque, « de la probabilité que l’établissement concerné soit mis en résolution et de la probabilité consécutive que le dispositif de financement pour la résolution soit utilisé à cette fin ».

C’est ainsi que, s’agissant du premier indicateur de risque qui relève du pilier de risque « indicateurs de risque supplémentaires à déterminer par le [CRU] » et qui est relatif aux activités de négociation, aux expositions hors bilan, aux instruments dérivés, à la complexité et à la résolvabilité de l’établissement, le CRU doit prendre en compte plusieurs sous-indicateurs lors de sa détermination, dont certains peuvent conduire à augmenter le profil de risque de l’établissement concerné et d’autres à le diminuer. Or, ces sous-indicateurs de risque ne contiennent pas de précisions concernant la mise en œuvre de la comparaison qu’ils impliquent.

S’agissant de l’indicateur de risque SPI, le CRU dispose d’une marge d’appréciation quant au respect des conditions liées, d’une part, à l’adéquation des fonds disponibles du SPI concerné aux fonds nécessaires au financement de l’établissement en cause et, d’autre part, au degré de sécurité juridique ou contractuelle concernant ces fonds. Il en va de même s’agissant de la pondération des différents indicateurs de risque dans le cadre du pilier de risque IV{4}, afin de déterminer la pondération des différents sous-indicateurs de risque constituant ces indicateurs de risque, lesquels doivent être pris en compte{5}.

Le Tribunal examine donc si l’article 6, paragraphes 5 à 7, et l’article 7, paragraphe 4, du règlement délégué 2015/63 peuvent être considérés comme des dispositions qui définissent avec une netteté suffisante l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation conféré au CRU, eu égard au but légitime en jeu, de sorte qu’elles fournissent une protection adéquate contre l’arbitraire et que les justiciables puissent lever avec une certitude suffisante d’éventuels doutes sur la portée ou le sens desdites dispositions.

En l’espèce, premièrement, le Tribunal relève que la réglementation applicable prévoit le résultat à atteindre, selon lequel les moyens financiers disponibles du FRU doivent atteindre le niveau cible final au terme de la période initiale de huit années à compter du 1er janvier 2016 (ci-après la « période initiale »), ainsi qu’une méthode pour atteindre ce résultat, ce qui réduit l’impact du pouvoir d’appréciation que le CRU exerce lors de la détermination des contributions ex ante. D’une part, le montant de la contribution ex ante de chaque établissement dépend du montant du niveau cible annuel qui est déterminé par le CRU sur la base de son estimation du montant qui correspond, au 31 décembre 2023, à au moins 1 % des dépôts couverts dans l’ensemble des États membres participant au mécanisme de résolution unique (MRU){6}. D’autre part, la contribution ex ante de chaque établissement est déterminée, notamment, sur le fondement de la contribution annuelle de base qui est calculée à partir des montants des passifs nets des établissements concernés. Or, le CRU n’exerce aucun pouvoir d’appréciation concernant la détermination de ces montants. En outre, l’établissement concerné a connaissance du montant de ses passifs nets et il peut avoir accès au montant global des passifs nets des autres établissements.

Deuxièmement, les indicateurs de risque dont le manque de clarté est contesté par la requérante et pour lesquels le CRU exerce un certain pouvoir d’appréciation n’influent sur le profil de risque de l’établissement qu’à une hauteur qui se situe au-dessous de 20 %. En outre, l’impact de ces indicateurs sur le montant final de la contribution ex ante est davantage réduit par le fait que le CRU n’exerce aucun pouvoir d’appréciation concernant la détermination du montant de la contribution annuelle de base et que l’ajustement de cette contribution au profil de risque d’un établissement est nettement encadré dans une fourchette préalablement définie allant de 0,8 à 1,5{7}.

Le Tribunal en conclut que l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation conféré au CRU{8} ne peuvent être considérées comme étant insuffisamment encadrées ou définies avec une netteté insuffisante, eu égard au but légitime en jeu, et ne peuvent donc être considérées comme ne fournissant pas une protection adéquate contre l’arbitraire. Il en va d’autant plus ainsi que la requérante est un opérateur avisé qui peut, en recourant au besoin aux services d’un conseil juridique et économique, prévoir de manière suffisamment précise la méthode de calcul et l’ordre de grandeur de sa contribution ex ante.

En deuxième lieu, le Tribunal rejette l’exception d’illégalité prise de ce qu’une différenciation des établissements appartenant au même SPI sur la base de l’indicateur de risque « activités de négociation et expositions hors bilan, instruments dérivés, complexité et résolvabilité » serait en contradiction avec le traitement homogène et cohérent de tous les membres d’un tel SPI, qui serait imposé par la directive 2014/59{9} et le règlement nº 575/2013{10}. En effet, après avoir constaté que lorsque plusieurs établissements font partie du même SPI, les établissements qui se voient attribuer une meilleure pondération relative à l’indicateur de risque « activités de négociation et expositions hors bilan, instruments dérivés, complexité et résolvabilité » par rapport à d’autres membres de ce SPI peuvent se voir attribuer une pondération plus favorable dans le cadre de l’indicateur de risque SPI par rapport à ces autres membres, il relève que s’agissant de la directive 2014/59, il n’est pas prévu que, lorsqu’elle a adopté le règlement délégué 2015/63, la Commission devait attribuer la même pondération à tous les établissements qui font partie du même SPI. En outre, la Commission jouit d’un large pouvoir d’appréciation s’agissant de la méthode d’adaptation des contributions annuelles de base. Or, tout d’abord, la Commission et le CRU ont expliqué, sans que la requérante ait apporté des éléments pour contester leurs allégations, que les membres d’un SPI ne disposent pas du droit inconditionnel de recevoir de la part d’un tel SPI un soutien inconditionnel, ensuite, la défaillance d’un établissement avec un large et complexe bilan pourrait entièrement épuiser les fonds d’un tel SPI et, enfin, l’indicateur de risque « activités de négociation et expositions hors bilan, instruments dérivés, complexité et résolvabilité » permet d’apprécier si un établissement dispose d’un large et complexe bilan. S’agissant du règlement nº 575/2013, son article 113, paragraphe 7, définit les co

nditions d’agrément des SPI et non le calcul des contributions ex ante et il n’interdit pas d’opérer une différenciation entre les établissements qui sont membres du même SPI aux fins du calcul des contributions ex ante. En outre, cette disposition ne va pas jusqu’à exiger qu’un SPI dispose des ressources suffisantes pour éviter la résolution de tous ses membres, y compris tous les grands établissements.

En troisième lieu, le Tribunal rejette l’exception d’illégalité tirée d’une violation du principe d’égalité de traitement. Il rappelle que la nature spécifique des contributions ex ante consiste à garantir, dans une logique d’ordre assurantiel, que le secteur financier procure des ressources financières suffisantes au MRU pour qu’il puisse remplir ses fonctions, tout en encourageant l’adoption, par les établissements concernés, de modes de fonctionnement moins risqués. Partant, tous les établissements appartenant à un SPI ne se trouvent pas nécessairement et du seul fait de cette appartenance dans une situation comparable. En effet, tout d’abord, les membres d’un SPI ne disposent pas du droit inconditionnel de recevoir un soutien de la part du SPI qui couvrirait tous leurs engagements. Ensuite, la défaillance d’un établissement avec un bilan large et complexe pourrait entièrement épuiser les fonds d’un SPI, à la différence de la défaillance d’établissements avec des bilans plus réduits et simples. Enfin, l’indicateur de risque « activités de négociation et expositions hors bilan, instruments dérivés, complexité et résolvabilité » constitue un critère objectif pour évaluer quels établissements se trouvent, s’agissant d’un tel risque, dans une situation comparable.

En quatrième lieu, le Tribunal rejette l’exception d’illégalité prise d’une violation de plusieurs normes supérieures. À ce titre, il relève que, dès lors qu’il convient de prendre en compte les objectifs du MRU et, notamment, celui visant à encourager les établissements à adopter des modes de fonctionnement moins risqués, la méthode du binning, consistant à assigner des établissements assignés à un même bin (« panier ») alors qu’ils ont des valeurs considérablement différentes les unes des autres pour le même indicateur de risque, ne viole pas le principe proportionnalité puisque ces établissements ont des caractéristiques différentes s’agissant du degré de risque mesuré par cet indicateur. Bien que ces établissements soient traités de manière égale, ce traitement est dûment justifié dans la mesure où, d’une part, il est en rapport avec l’objectif admissible légalement poursuivi consistant à établir des règles générales susceptibles d’être facilement appliquées et aisément contrôlées par les autorités compétentes, et que d’autre part, eu égard à la large marge d’appréciation dont jouit la Commission, la méthode du binning en cause permet d’atteindre l’objectif poursuivi, ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire à sa réalisation et ne peut être considérée comme emportant un inconvénient démesuré.

En cinquième lieu, le Tribunal rejette l’exception d’illégalité prise d’une violation d’un « principe du calcul des contributions adapté au risque » en ce que l’article 20, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, au motif que cette disposition empêcherait le CRU d’adapter, d’une manière appropriée, les contributions annuelles de base au profil de risque réel des établissements. En vertu de cet article, intitulé « Dispositions transitoires », un indicateur de risque ne s’applique pas tant que les informations requises au titre d’un indicateur de risque spécifique mentionné à l’annexe II de ce règlement délégué ne font pas partie des exigences d’information prudentielles mentionnées à son article 14. Le règlement délégué 2015/63 a été adopté sur le fondement de l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59, lequel oblige la Commission à tenir compte de tous les éléments énumérés sous a) à h) de cette disposition aux fins de préciser la notion d’« adaptation des contributions en fonction du profil de risque des établissements ».

Néanmoins, eu égard à la large marge d’appréciation dont la Commission jouit quant à la mise en œuvre de cette disposition, cela peut impliquer la nécessité de prévoir des périodes transitoires. Or, l’article 20, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 introduit une telle période, dès lors qu’il habilite le CRU, à titre transitoire, à ne pas appliquer certains de ces éléments, qui sont reflétés dans les indicateurs de risque prévus par ce règlement délégué.

En outre, la justification de la période transitoire prévue par cette disposition est étroitement liée au caractère progressif du processus de mise en place des exigences prudentielles et des exigences d’information correspondantes. Dans ce contexte, l’article 20, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 vise à éviter que des charges disproportionnées ou discriminatoires soient, le cas échéant, imposées aux établissements lors du calcul des contributions ex ante en raison précisément de cette mise en œuvre progressive des exigences prudentielles et des exigences d’information qui y sont afférentes.

Enfin, si cette exception peut aboutir à une situation où certains indicateurs de risque demeurent inappliqués pendant toute la période initiale, d’une part, une telle conséquence est le résultat de la nature progressive de la mise en œuvre des exigences prudentielles et, d’autre part, lesdits indicateurs de risque ont vocation à s’appliquer également au-delà de la période initiale.

Dans un second temps, le Tribunal examine les moyens portant sur la légalité de la décision attaquée et accueille celui pris de vices de motivation de cette dernière quant à la détermination du niveau cible annuel.

S’agissant de ce dernier moyen, qui est d’ordre public, à titre liminaire, le Tribunal rappelle, tout d’abord, que, conformément à la législation applicable, les moyens financiers disponibles du FRU doivent atteindre, au terme de la période initiale, le niveau cible final, qui correspond à au moins 1 % du montant des dépôts couverts de l’ensemble des établissements agréés dans tous les États membres participant au MRU. Ensuite, au cours de la période initiale, les contributions ex ante doivent être réparties aussi uniformément que possible dans le temps jusqu’à ce que le niveau cible final soit atteint. Par ailleurs, chaque année, les contributions dues par l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participant au MRU ne dépassent pas 12,5 % du niveau cible final. En outre, en ce qui concerne le mode de calcul des contributions ex ante, le CRU détermine leur montant sur la base du niveau cible annuel, compte tenu du niveau cible final, et sur la base du montant moyen des dépôts couverts de l’année précédente, calculé trimestriellement, pour tous les établissements agréés sur le territoire des États membres participant au MRU. Enfin, le CRU calcule la contribution ex ante pour chaque établissement sur la base du niveau cible annuel, qui doit être établi au regard du niveau cible final et conformément à la méthode exposée dans le règlement délégué 2015/63.

En l’espèce, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, le CRU a fixé, pour la période de contribution 2021, le montant du niveau cible annuel à 11 287 677 212,56 euros. Dans ladite décision, il a expliqué, en substance, que le niveau cible annuel devait être déterminé sur la base d’une analyse portant sur l’évolution des dépôts couverts au cours des années précédentes, sur toute évolution pertinente de la situation économique ainsi que sur une analyse portant sur les indicateurs relatifs à la phase du cycle d’activité et sur les effets que des contributions procycliques auraient sur la situation financière des établissements. Le CRU a considéré approprié de fixer un coefficient qui était fondé sur cette analyse et sur les moyens financiers disponibles au FRU et a appliqué ce coefficient à un huitième du montant moyen des dépôts couverts en 2020, aux fins d’obtenir le niveau cible annuel. Par la suite, il a exposé la démarche suivie pour fixer le coefficient. Au regard de ces considérations, le CRU a fixé la valeur du coefficient à 1,35 %. Il a ensuite calculé le montant du niveau cible annuel, en multipliant le montant moyen des dépôts couverts en 2020 par ce coefficient et en divisant le résultat de ce calcul par huit.

À cet égard, si le CRU est tenu de fournir aux établissements, par le biais de la décision attaquée, des explications concernant la méthode de détermination du niveau cible annuel, ces explications doivent être cohérentes avec les explications fournies par le CRU pendant la procédure juridictionnelle et portant sur la méthode réellement appliquée. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

En effet, lors de l’audience, le CRU a indiqué qu’il avait déterminé le niveau cible annuel pour la période de contribution 2021 en suivant une méthode en quatre étapes, dont les deux dernières ont consisté à déduire du niveau cible final les moyens financiers disponibles au sein du FRU, en vue de calculer le montant qu’il restait à percevoir jusqu’à la fin de la période initiale et en divisant ce dernier montant par trois.

Or, le Tribunal observe que les deux dernières étapes de ce calcul ne trouvent aucune expression dans la formule mathématique présentée, dans la décision attaquée, comme étant à la base de la détermination du montant du niveau cible annuel.

Certes, la requérante avait connaissance d’une fiche descriptive, publiée par le CRU après l’adoption de la décision attaquée mais avant l’introduction du présent recours, qui indiquait le montant estimé du niveau cible final. Toutefois, à supposer qu’elle ait connu également le montant des moyens financiers disponibles dans le FRU, ces circonstances seules n’étaient pas de nature à lui permettre de comprendre que les deux dernières étapes avaient été effectivement appliquées par le CRU, étant précisé, au surplus, que la formule mathématique prévue dans la décision attaquée ne les mentionnait même pas.

Des incohérences similaires affectent également la manière dont a été fixé le coefficient de 1,35 %, qui joue pourtant un rôle primordial dans cette formule mathématique. En effet, comme le CRU l’a reconnu lors de l’audience, ce coefficient a été fixé de manière à pouvoir justifier le résultat du calcul du montant du niveau cible annuel, c’est-à-dire après que le CRU a calculé ce montant en application des quatre étapes de la méthode réellement appliquée. Or, cette démarche ne ressort aucunement de la décision attaquée.

En outre, la fourchette dans laquelle se situait, selon la fiche descriptive, le montant du niveau cible final estimé s’avère incohérente avec la fourchette du taux de croissance des dépôts couverts comprise entre 4 % et 7 % figurant dans la décision attaquée. Dans ces conditions, la requérante n’était pas en mesure de déterminer la manière dont le CRU avait utilisé la fourchette portant sur le taux d’évolution de ces dépôts pour aboutir au calcul du niveau cible final estimé.

Le Tribunal considère que, en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel, la méthode réellement appliquée par le CRU, telle qu’explicitée lors de l’audience, ne correspond pas à celle décrite dans la décision attaquée, de sorte que les motifs réels, au regard desquels a été fixé ce niveau cible, ne pouvaient être identifiés sur la base de la décision attaquée ni par les établissements ni par le Tribunal. La décision attaquée est donc entachée de vices de motivation en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel.

Après avoir rejeté les autres moyens de fond, examinés dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le Tribunal conclut que le défaut de motivation dont est entachée la décision attaquée est, à lui seul, de nature à fonder son annulation en tant qu’elle concerne la requérante.

Pour autant, dans les circonstances de l’espèce, il décide de maintenir les effets de la décision attaquée, en ce qu’elle concerne la requérante, jusqu’à l’entrée en vigueur, dans un délai raisonnable qui ne saurait dépasser six mois à compter de la date du prononcé du présent arrêt, d’une nouvelle décision du CRU fixant la contribution ex ante au FRU de la requérante pour la période de contribution 2021.

{1} Conformément à l’article 70, paragraphe 2, du règlement (UE) nº 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) nº 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1).

{2} Décision SRB/ES/2021/22 du Conseil de résolution unique, du 14 avril 2021, sur le calcul des contributions ex ante pour 2021 au Fonds de résolution unique.

{3} Règlement délégué (UE) 2015/63 de la Commission, du 21 octobre 2014, complétant la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les contributions ex ante aux dispositifs de financement pour la résolution (JO 2015, L 11, p. 44).

{4} En vertu de l’article 7, paragraphe 4, du règlement délégué 2015/63.

{5} Conformément à l’article 6, paragraphes 5 à 7, du règlement délégué 2015/63.

{6} En vertu de l’article 69, paragraphes 1 et 2, du règlement nº 806/2014.

{7} Conformément à l’article 9, paragraphe 3, du règlement délégué 2015/63.

{8} En vertu de l’article 6, paragraphes 5 à 7, et l’article 7, paragraphe 4, du règlement délégué 2015/63.

{9} Article 103, paragraphe 7, sous h), de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) nº 1093/2010 et (UE) nº 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190).

{10} Règlement (UE) nº 575/2013 du Parlement et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) nº 648/2012 (JO 2013, L 176, p. 1), article 113, paragraphe 7.

Arrêt du 20 décembre 2023, Landesbank Baden-Württemberg / CRU (T-389/21) (cf. points 87-90, 92)

146. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Réglementation de l'Union - Exigence de clarté et de prévisibilité - Dispositions concernant les contributions ex ante aux dispositifs de financement pour la résolution - Octroi d'une marge d'appréciation au Conseil de résolution unique (CRU) quant à la méthode de calcul des contributions ex ante - Conditions - Définition avec une netteté suffisante de l'étendue et des modalités d'exercice d'un tel pouvoir

Saisi d’un recours en annulation, qu’il accueille, le Tribunal annule la décision du Conseil de résolution unique (ci-après le « CRU ») portant sur la fixation des contributions ex ante pour l’année 2017 au Fonds de résolution unique (ci-après le « FRU ») concernant Landesbank Baden-Württemberg, la requérante, en raison de la violation par le CRU de son obligation de motivation relative à la détermination du niveau cible annuel.

Dans son arrêt, le Tribunal apporte des précisions concernant la mise en balance de l’obligation de motivation pesant sur le CRU avec l’obligation de ce dernier de respecter le secret des affaires des établissements concernés pour des données datant de plus de cinq ans au moment de l’adoption de la décision fixant les contributions ex ante.

La requérante, est un établissement de crédit de droit public établi en Allemagne. Elle est rattachée au système de protection institutionnel (ci-après le « SPI ») de la Sparkassen-Finanzgruppe (groupe financier des caisses d’épargne, Allemagne).

Le 15 décembre 2021, le CRU a adopté une décision{1} dans laquelle il a fixé{2} les contributions ex ante au FRU pour 2017 concernant la requérante (ci-après la « décision attaquée »). Par cette décision, le CRU a remédié aux vices formels identifiés dans l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU{3}, ayant abouti à l’annulation de la décision{4} sur le calcul des contributions ex ante pour 2017 au FRU, en ce qu’elle concernait la requérante.

Appréciation du Tribunal

Premièrement, le Tribunal rappelle que le principe même de la méthode de calcul des contributions ex ante{5} implique l’utilisation, par le CRU, de données couvertes par le secret des affaires ne pouvant pas être reprises dans la motivation de la décision de fixation des contributions ex ante.

À cet égard, il constate que la décision attaquée fournit les raisons pour lesquelles les données des établissements qui ont été prises en compte aux fins du calcul de la contribution ex ante pour 2017 sont couvertes par le secret des affaires. En particulier, le CRU a observé, dans la décision attaquée, que les secrets d’affaires des établissements étaient considérés comme des informations confidentielles. Dans le cadre du calcul des contributions ex ante, les informations fournies par les établissements par l’intermédiaire de leurs formulaires de déclaration des données, sur lesquelles le CRU s’appuie pour calculer leur contribution ex ante, étaient considérées comme des secrets d’affaires.

En outre, dans cette décision, le CRU a relevé qu’il lui était interdit de divulguer les données de chaque établissement qui constituaient la base des calculs dans ladite décision, alors qu’il était autorisé à divulguer les données agrégées et communes, dans la mesure où ces données sont cumulées. Cela étant, les établissements bénéficiaient, selon ladite décision, d’une transparence totale sur le calcul de leur contribution annuelle de base et de leur multiplicateur d’ajustement pour les étapes de calcul de cette contribution et ils pouvaient obtenir les données communes utilisées indifféremment par le CRU pour tous les établissements ajustés en fonction de leur profil de risque pour les étapes de calcul portant sur la « discrétisation des indicateurs », l’« intégration du signe affecté » et le « calcul des contributions annuelles ».

Deuxièmement, le Tribunal rejette l’argument pris du caractère insuffisant de ces explications, en ce que, à la date à laquelle la décision attaquée a été adoptée, les données des autres établissements dataient de six ans et, de ce fait, n’étaient plus couvertes par le secret des affaires, alors que, en dépit de cela, le CRU n’a pas fourni les raisons pour lesquelles ces données n’ont pas été divulguées.

En effet, il rappelle que, lorsque les informations qui ont pu constituer des secrets d’affaires à une certaine époque datent de cinq ans ou plus, elles sont considérées, en principe, du fait de l’écoulement du temps, comme historiques et comme ayant perdu, de ce fait, leur caractère secret, à moins que, exceptionnellement, la partie qui se prévaut de ce caractère ne démontre que, en dépit de leur ancienneté, ces informations constituent encore des éléments essentiels de sa position commerciale ou de celles de tiers concernés.

À cet égard, si lesdites données individuelles des établissements sur lesquelles se basait la décision attaquée dataient de plus de cinq ans, le Tribunal souligne cependant que la position relative d’un établissement par rapport à celle de ses concurrents peut, dans la réalité économique du secteur bancaire, demeurer identique ou semblable pendant une période prolongée, allant au-delà de cinq ans. En effet, certains éléments, tels que le modèle commercial ou les activités d’un tel établissement, restent stables à court et à moyen terme, de sorte qu’un établissement présentant jadis un profil de risque élevé, au regard des données datant de plus de cinq ans, peut continuer à présenter un tel profil à la fin de la période initiale. Ainsi, en dépit de leur ancienneté, ces informations constituent encore des éléments essentiels de la position commerciale des établissements de crédit. Dans ces conditions, si de telles données essentielles étaient divulguées à travers la motivation de la décision attaquée, les opérateurs économiques actifs dans le secteur bancaire pourraient se fonder sur celles-ci afin d’en déduire la position commerciale actuelle d’un établissement.

De plus, le Tribunal rejette l’argument de la requérante selon lequel le CRU, pour s’acquitter de son obligation de motivation, aurait dû lui fournir, sous une forme anonymisée, une liste de toutes les données des établissements qui se trouvent dans le même bin qu’elle. En effet, d’une part, imposer au CRU une telle exigence irait au-delà des exigences imposées par la jurisprudence relative à la motivation des décisions du CRU fixant des contributions ex ante et, d’autre part, même une liste avec des données anonymisées pour un bin particulier risque de permettre aux opérateurs économiques actifs dans le domaine bancaire, lesquels sont des opérateurs avisés, d’apprendre des secrets d’affaires de certains établissements. Un tel risque existe en particulier en ce qui concerne les grands établissements et ceux établis dans les États membres dans lesquels il n’existe qu’un nombre limité d’établissements redevables de la contribution ex ante. En effet, il n’est pas exclu que, dans ces hypothèses, un opérateur avisé soit en position de déduire l’identité de tels établissements, quand bien même ces derniers auraient été anonymisés.

Dès lors, le Tribunal considère que le CRU n’était pas tenu de divulguer dans la motivation de la décision attaquée les données individuelles des autres établissements permettant de vérifier le calcul de sa contribution ex ante, puisque, bien que celles-ci datent de six ans, elles constituent encore des éléments essentiels de la position commerciale de ces établissements.

{1} Décision SRB/ES/SRF/2021/82 du Conseil de résolution unique (CRU), du 15 décembre 2021, sur le calcul des contributions ex ante pour 2017 au Fonds de résolution unique concernant Landesbank Baden-Württemberg.

{2} Conformément à l’article 70, paragraphe 2, du règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d'investissement dans le cadre d'un mécanisme de résolution unique et d'un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1).

{3} Arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU (C 584/20 P et C 621/20 P, EU:C:2021:601).

{4} Décision SRB/ES/2017/05 du Conseil de résolution unique (CRU), du 11 avril 2017, sur le calcul des contributions ex ante pour 2017 au Fonds de résolution unique.

{5} Tel qu’il ressort du règlement no 806/2014 et de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190).

Arrêt du 17 juillet 2024, Landesbank Baden-Württemberg / CRU (T-142/22) (cf. points 78-81, 84)



Arrêt du 20 mars 2024, DZ Bank / CRU (T-390/21) (cf. points 87-90, 92)



Arrêt du 20 mars 2024, Deutsche Kreditbank / CRU (T-391/21) (cf. points 87-90, 92)



Arrêt du 20 mars 2024, Landesbank Hessen-Thüringen Girozentrale / CRU (T-392/21) (cf. points 87-90, 92)



Arrêt du 20 mars 2024, Bayerische Landesbank / CRU (T-394/21) (cf. points 87-90, 92)



Arrêt du 20 mars 2024, DZ Hyp / CRU (T-395/21) (cf. points 87-90, 92)



Arrêt du 20 mars 2024, DZ Bank / CRU (T-404/21) (cf. points 88-91, 93)

147. Fonctionnaires - Actes de l'administration - Retrait - Actes illégaux - Conditions - Respect des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime



Arrêt du 19 juin 2024, PV / Commission (T-89/20) (cf. points 287-290)

148. Environnement - Promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables - Directive 2009/28 - Objectifs contraignants concernant la part d'énergie produite à partir de sources renouvelables - Mesures adoptées en vue d'atteindre ces objectifs - Modification du régime national de soutien à l'électricité produite à partir de sources renouvelables - Réglementation nationale subordonnant le bénéfice du nouveau régime à la conclusion d'une convention entre l'entité contrôlée par l'Etat chargée de la gestion et du contrôle de ce régime et l'entreprise bénéficiaire - Condition applicable également aux entreprises bénéficiant de l'ancien régime - Admissibilité - Violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime - Absence - Vérification par la juridiction nationale

Voir texte de la décision.

Arrêt du 27 juin 2024, Gestore dei Servizi Energetici (C-148/23) (cf. points 40-45, 53- 57, 60, 69 et disp.)

149. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Critères d'adoption des mesures restrictives - Femmes et hommes d'affaires, personnes morales, entités ou organismes ayant une activité dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie et personnes leur étant associées - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques



Arrêt du 3 juillet 2024, Mazepin / Conseil (T-742/22) (cf. points 117-120, 125-127, 129)



Arrêt du 4 septembre 2024, Kesaev / Conseil (T-290/22 et T-763/22) (cf. points 99-103)



Arrêt du 20 novembre 2024, Uss / Conseil (T-571/23) (cf. points 87, 88, 90, 91)

150. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Critères d'adoption des mesures restrictives - Femmes ou hommes d'affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie et personnes leur étant associées - Respect du principe de proportionnalité - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques



Arrêt du 3 juillet 2024, Mazepin / Conseil (T-742/22) (cf. points 91-96, 99, 100, 102, 106-112)

151. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Critères d'adoption des mesures restrictives - Personnes physiques ou morales, entités et organismes apportant un soutien matériel et financier aux décideurs russes ou tirant un avantage de ceux-ci, et personnes physiques ou morales, entités ou organismes leur étant associés - Femmes et hommes d'affaires influents ou personnes morales, entités ou organismes ayant une activité dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie - Notions - Respect du principe de proportionnalité - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques



Arrêt du 10 juillet 2024, Rashevsky / Conseil (T-309/22 et T-739/22) (cf. points 54-62)

152. Politique économique et monétaire - Politique économique - Surveillance du secteur financier de l'Union - Exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement - Exigence minimale de fonds propres et d'engagements éligibles (EMEE) - Demande d'exemption d'une EMEE - Condition d'absence d'obstacle significatif, actuel ou prévu, au transfert rapide de fonds propres ou au remboursement rapide de passifs - Marge d'appréciation du Conseil de résolution unique (CRU) dans l'appréciation de critères normatifs - Violation du principe de sécurité juridique - Absence

Saisi d’un recours en annulation, qu’il rejette, introduit par la République française contre une décision du comité d’appel du Conseil de résolution unique (CRU) (ci-après le « comité d’appel »){1}, le Tribunal se prononce pour la première fois sur une décision du comité d’appel vérifiant l’examen opéré par le CRU afin de déterminer si un groupe bancaire remplit les conditions nécessaires pour lui permettre d’être exempté de l’exigence minimale de fonds propres, établies à l’article 12 nonies du règlement no 806/2014{2}.

Le 6 novembre 2020, un groupe bancaire avait soumis, pour l’une de ses filiales, auprès du CRU, une demande d’exemption de l’exigence minimale de fonds propres et d’engagements éligibles (ci-après l’« EMEE ») appliquée sur une base individuelle en vertu de l’article 12 octies du règlement no 806/2014. Saisi d’un recours contre la décision du CRU rejetant ladite demande{3}, introduit par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (France) (ci-après la « partie appelante devant le comité d’appel »), le comité d’appel a rejeté, par la décision attaquée, ledit recours.

Appréciation du Tribunal

En premier lieu, s’agissant de la portée de l’article 12 nonies, paragraphe 1, du règlement no 806/2014 (ci-après « la disposition concernée »), le Tribunal constate, tout d’abord, selon une interprétation littérale, que l’article 12 nonies, paragraphe 1, sous c), de ce règlement ne prévoit pas la possibilité d’exiger une garantie spécifique afin qu’il soit satisfait à la condition de l’absence d’obstacle significatif, actuel ou prévu, au transfert rapide de fonds propres ou au remboursement rapide de passifs, pas plus qu’il ne contient de mention interdisant au CRU d’exiger une garantie spécifique à cet égard.

Ensuite, sous le prisme d’une interprétation contextuelle, il considère que l’exigence de garanties couvertes par des sûretés entre l’entreprise mère et ses filiales n’est prévue à l’article 12 octies du règlement no 806/2014 qu’en tant que moyen pour se conformer à l’EMEE interne et que la condition d’une garantie ne figure pas à l’article 12 nonies du même règlement dans le contexte d’une exemption, à la différence de ce que le législateur a prévu dans la directive 2014/59{4}. Ainsi, la possibilité d’obtenir une exemption au titre de la disposition concernée ne peut en aucune façon être conditionnée par l’exigence d’une garantie assortie d’une sûreté qui serait similaire à celle prévue à l’article 12 octies, paragraphe 3, du même règlement. L’approche contraire reviendrait à faire perdre à la disposition concernée tout effet utile et constituerait ainsi une violation flagrante de cette disposition.

En revanche, le Tribunal estime qu’il ne saurait être déduit de l’interprétation contextuelle de la disposition concernée que l’absence de mention d’une garantie dans la disposition relative à l’examen d’une demande d’exemption de l’EMEE interne{5} empêcherait ipso jure le CRU d’imposer une exigence de ce type dans le cadre dudit examen. Ainsi, si le CRU est tenu de rejeter une demande d’exemption lorsqu’une des conditions cumulatives prévues à la disposition concernée n’est pas remplie, il dispose, au contraire, d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer dans quelles circonstances la troisième de ces conditions, tenant à l’absence d’obstacle au transfert rapide de fonds propres, est remplie. Dès lors, il n’est pas exclu que, compte tenu de cette marge d’appréciation, le CRU soit fondé à imposer une garantie - différente de celle prévue à l’article 12 octies, paragraphe 3, du règlement no 806/2014 - pour que soit contrecarrée l’existence d’un obstacle au transfert rapide de fonds propres.

Enfin, au titre d’une interprétation téléologique de la disposition concernée, le Tribunal souligne que l’objectif principal commun au règlement no 806/2014 et à la directive 2014/59, poursuivi par le législateur en imposant l’EMEE à l’ensemble des établissements d’un groupe bancaire, est d’assurer une résolution efficace avec un impact négatif minimal sur l’économie réelle, le système financier et les finances publiques. Ainsi, lorsque le CRU examine une demande d’exemption de l’EMEE interne, il lui appartient d’apprécier s’il existe d’autres arrangements pouvant servir de substituts fonctionnels de l’EMEE interne. Dans le cadre de la marge d’appréciation dont il dispose, rien ne l’empêche d’estimer que, en fonction des circonstances propres à chaque demande d’exemption, une garantie est nécessaire pour qu’il soit satisfait à la condition de l’absence d’obstacle au transfert rapide de fonds propres. En revanche, il ne lui est pas permis d’exiger une garantie dont les caractéristiques seraient similaires à celles de la garantie prévue à l’article 12 octies, paragraphe 3, du règlement no 806/2014.

À cet égard, le Tribunal précise qu’il ne ressort pas de la décision attaquée que le CRU aurait exigé du groupe bancaire concerné une garantie correspondant à ou ayant des caractéristiques similaires à celle de l’article 12 octies, paragraphe 3, du règlement no 806/2014, ni, a fortiori, que le comité d’appel aurait avalisé une telle approche du CRU.

En deuxième lieu, s’agissant de l’examen, par le comité d’appel, des seuls moyens dont il est saisi, le Tribunal rappelle au préalable que, en vertu du règlement no 806/2014{6}, toute personne physique ou morale peut introduire un recours devant le comité d’appel contre une décision du CRU, telle que la décision attaquée, que le recours contient les motifs qui sous-tendent celui-ci et qu’il appartient au comité d’appel de statuer sur ledit recours. Il en résulte que le comité d’appel examine les moyens dont il est saisi. De plus, le Tribunal relève que les arguments présentés par la partie appelante devant le comité d’appel au soutien de son premier moyen n’ont pas porté sur les appréciations de fond opérées par le CRU sur les garanties de 2014 et de 2015 dont s’est prévalu le groupe bancaire concerné pour soutenir que la condition de l’absence d’obstacle au transfert rapide de fonds propres était remplie. En effet, les arguments en question visaient la prétendue erreur de droit commise par le CRU en ce qu’il aurait excédé sa compétence en appliquant de façon mécanique et automatique une condition ne figurant pas à l’article 12 nonies du règlement no 806/2014.

Dès lors, le Tribunal considère qu’il revenait au comité d’appel de vérifier que l’appréciation opérée par le CRU ne consistait pas en un examen in abstracto déguisé des garanties de 2014 et de 2015, mais en un examen in concreto crédible de la situation du groupe bancaire concerné et desdites garanties présentées à l’appui de sa demande d’exemption, et que les limites de la marge d’appréciation du CRU avaient ainsi été respectées. Partant, il rejette le grief selon lequel les moyens et arguments soulevés par la partie appelante devant le comité d’appel, tirés de l’erreur de droit commise par le CRU en ce qu’il aurait appliqué de façon erronée la disposition concernée et aurait excédé les limites de sa compétence, auraient nécessairement dû conduire le comité d’appel à examiner si le CRU était fondé, à la lumière de l’ensemble des éléments pertinents du cas d’espèce, à exiger une garantie spécifique.

En dernier lieu, sur la violation du principe de sécurité juridique, le Tribunal observe, d’une part, qu’il ne saurait être exigé que l’article 12 nonies, paragraphe 1, sous c), du règlement no 806/2014 mentionne les différentes hypothèses concrètes dans lesquelles il est satisfait ou non à la condition prévue par cette disposition, dans la mesure où toutes ces hypothèses ne peuvent pas être déterminées à l’avance par le législateur. En effet, il n’est pas possible d’énumérer les exemples d’obstacles au transfert rapide de fonds propres tout comme il ne saurait être exigé du législateur que soient citées de façon positive les mesures qui assureraient le respect de la condition de l’absence desdits obstacles. D’autre part, le principe de sécurité juridique ne s’oppose pas à ce que lesdites autorités jouissent d’une marge d’appréciation dans l’application des critères qui ont été définis par la réglementation. En l’espèce, le fait que le CRU dispose d’une marge d’appréciation quant à l’existence d’un obstacle au transfert rapide de fonds propres ou quant à la manière appropriée dont cette condition doit être satisfaite n’implique pas pour autant que le principe de sécurité juridique a été violé.

{1} Décision no 3/2021 du comité d’appel du Conseil de résolution unique (CRU), du 8 juin 2022, rejetant le recours formé contre la décision SRB/EES/2021/44, du 4 novembre 2021, déterminant l’exigence minimale de fonds propres et d’engagements éligibles (ci-après la « décision attaquée »).

{2} Règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1), modifié par le règlement (UE) 2019/877 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2019 (JO 2019, L 150, p. 226).

{3} Décision SRB/EES/2021/44, du Conseil de résolution unique, du 4 novembre 2021.

{4} Directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190), telle que modifiée par la directive (UE) 2019/879 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2019 (JO 2019, L 150, p. 296).

{5} À savoir l’article 12 nonies, paragraphe 1, du règlement no 806/2014.

{6} Voir article 85, paragraphes 3 et 4, de ce règlement.

Arrêt du 10 juillet 2024, France / CRU (T-540/22) (cf. points 120, 121)

153. Rapprochement des législations - Coopération administrative dans le domaine fiscal - Directive 2011/16 - Échange automatique et obligatoire d'informations - Obligation de déclaration des dispositifs transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif - Notions de dispositif, dispositif transfrontière, dispositif commercialisable, dispositif sur mesure, intermédiaire et entreprise associée - Notions suffisamment claires et précises - Violation des principes de sécurité juridique et de légalité en matière pénale - Absence - Ingérence dans la vie privée de l'intermédiaire et du contribuable concerné définie de manière suffisamment précise

Dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité, la Cour juge que l’obligation de déclaration des dispositifs fiscaux transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif auprès des autorités compétentes instituée par la directive 2011/16 modifiée{1} n’enfreint pas les droits fondamentaux, notamment le principe d’égalité de traitement et le droit au respect de la vie privée, ni le principe de sécurité juridique.

En l’espèce, une loi du 20 décembre 2019 avait transposé dans l’ordre juridique belge la directive 2011/16 modifiée.

Plusieurs associations et professionnels, intervenant dans le domaine des services juridiques, fiscaux ou de conseil, ont demandé à la Cour constitutionnelle (Belgique) l’annulation totale ou partielle de cette loi. Elles contestaient, en substance, tant le manque de précision de cette loi quant à l’étendue du champ d’application et la portée de l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières qu’elle comprend, que certains effets de cette obligation.

Dans la mesure où les dispositions nationales ainsi contestées trouvent leur source dans les dispositions de la directive 2011/16 modifiée, la Cour constitutionnelle a saisi la Cour de plusieurs questions préjudicielles portant sur l’appréciation de la validité de l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières, prévue à l’article 8 bis ter, paragraphes 1, 6 et 7 de cette directive, ainsi que de l’obligation de notification subsidiaire, prévue à l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de cette même directive, au regard des articles 7, 20, 21 et de l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), ainsi que du principe général de sécurité juridique.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, s’agissant d’apprécier l’existence d’une éventuelle violation du principe d’égalité de traitement prévu à l’article 20 de la Charte par la directive 2011/16 modifiée en ce que cette directive ne limite pas l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières au domaine de l’impôt sur les sociétés, mais la rend applicable à l’égard de tous les impôts rentrant dans son champ d’application, la Cour indique, tout d’abord, que le critère de référence à prendre en compte est celui du risque de planification fiscale agressive et d’évasion et de fraude fiscales par les dispositifs transfrontières concernés contre lequel le législateur de l’Union a, en l’occurrence, entendu lutter. Or, tout type d’impôt ou de taxe est susceptible de faire l’objet d’une planification fiscale agressive, qu’il s’agisse de l’impôt sur les sociétés, des autres impôts directs ou des impôts indirects qui ne font pas l’objet de réglementations spécifiques de l’Union{2}.

Dès lors, les différents types d’impôts soumis à l’obligation de déclaration prévue par la directive 2011/16 modifiée relèvent de situations comparables au regard des objectifs poursuivis par cette directive, une telle soumission ne revêtant pas à cet égard un caractère manifestement inapproprié au regard desdits objectifs.

En deuxième lieu, la Cour considère que les notions{3} et le point de départ du délai de 30 jours imparti pour l’exécution de l’obligation de déclaration, que la directive 2011/16 modifiée emploie et fixe pour déterminer le champ d’application et la portée de cette obligation, sont suffisamment clairs et précis au regard des exigences découlant du principe de sécurité juridique et du principe de légalité en matière pénale consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la Charte.

En outre, l’article 7 de la Charte n’imposant aucune obligation plus stricte que l’article 49 de celle-ci en termes d’exigence de clarté ou de précision des notions employées et des délais fixés, l’ingérence dans la vie privée de l’intermédiaire et du contribuable concerné qu’implique l’obligation de déclaration est elle-même définie de manière suffisamment précise eu égard aux informations que cette déclaration doit contenir.

En troisième lieu, s’agissant d’une éventuelle atteinte au secret professionnel par un intermédiaire autre qu’un avocat, résultant de l’obligation de notification subsidiaire prévue à l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16 modifiée, en ce que cette obligation a pour conséquence de porter à la connaissance d’un tiers, et, ultimement, de l’administration fiscale, l’existence du lien de consultation entre cet intermédiaire et son client, la Cour précise tout d’abord que la faculté des États membres de substituer l’obligation de notification à l’obligation de déclaration n’a été ouverte, par cet article, qu’à l’égard des professionnels qui, à l’instar des avocats, sont habilités, selon le droit national, à assurer la représentation en justice.

Ensuite, ce n’est qu’en raison de la position singulière qu’occupe la profession d’avocat au sein de l’organisation judiciaire des États membres que la Cour, dans l’arrêt Orde van Vlaamse Balies e.a.{4}, a considéré que l’obligation de notification subsidiaire, lorsqu’elle est imposée à l’avocat, viole l’article 7 de la Charte.

Ainsi, la solution dégagée dans cet arrêt vaut seulement à l’égard des personnes qui exercent leurs activités professionnelles sous l’un des titres professionnels mentionnés à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 98/5{5}, et ne s’étend pas aux autres professionnels ne remplissant pas ces caractéristiques, quand bien même ils seraient habilités par les États membres à assurer la représentation en justice.

Enfin, en quatrième lieu, s’agissant de l’éventuelle atteinte, par l’obligation de déclaration, au droit à la protection de la vie privée, lorsque cette obligation concerne un dispositif poursuivant un avantage fiscal, de manière légale et non abusive, laquelle limiterait alors, ainsi que le souligne la juridiction de renvoi, la liberté du contribuable de choisir - et celle de l’intermédiaire de concevoir et de lui conseiller - la voie fiscale la moins imposée, la Cour se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme{6}, de laquelle il ressort que la notion de vie privée est une notion large qui inclut la notion d’autonomie personnelle, laquelle recouvre la liberté de toute personne d’organiser sa vie et ses activités, tant personnelles que professionnelles ou commerciales.

Tenant compte de cette jurisprudence, la Cour considère que l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée garanti à l’article 7 de la Charte, dans la mesure où elle aboutit à révéler à l’administration le résultat de travaux de conception et d’ingénierie fiscale se fondant sur des disparités existant entre les différentes réglementations nationales applicables, menés, dans le contexte d’activités personnelles, professionnelles ou commerciales, par le contribuable lui-même ou par un intermédiaire, et partant, est susceptible de dissuader tant ledit contribuable que ses conseils de concevoir et de mettre en œuvre des mécanismes de planification fiscale transfrontière.

Cependant, une telle ingérence qui ne porte pas atteinte à l’essence du droit au respect de la vie privée et qui est proportionnée et ne revêt pas un caractère démesuré par rapport à l’objectif d’intérêt général de lutte contre la planification fiscale agressive et de la prévention des risques d’évasion et de fraude fiscales en l’occurrence poursuivi par la directive 2011/16 modifiée est justifiée au regard dudit objectif. Il s’ensuit que l’obligation de déclaration en cause ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée, compris comme le droit de toute personne d’organiser sa vie privée, tel que garanti par l’article 7 de la Charte.

{1} Directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (JO 2011, L 64, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2018/822 du Conseil, du 25 mai 2018 (JO 2018, L 139, p. 1, ci-après la « directive 2011/16 modifiée »).

{2} La taxe sur la valeur ajoutée, les droits de douane et les droits d’accises sont exclus du champ d’application de la directive 2011/16 modifiée.

{3} Les notions à l’égard desquelles la juridiction de renvoi exprimait des doutes quant à leur précision et clarté sont celles de « dispositif », de « dispositif transfrontière », de « dispositif commercialisable », de « dispositif sur mesure », d’« intermédiaire », de « participant », d’« entreprise associée », ainsi que le qualificatif « transfrontière », les différents « marqueurs » définis à l’annexe IV et le « critère de l’avantage principal ».

{4} Arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a. (C-694/20, EU:C:2022:963).

{5} Directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (JO 1998, L 77, p. 36).

{6} Voir, en particulier, Cour EDH, 18 janvier 2018, FNASS e.a. c. France, ECLI:CE:ECHR:2018:0118JUD004815111, § 153 et jurisprudence citée. À cet égard, l’article 7 de la Charte correspond à l’article 8, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, la Cour tient compte, dans l’interprétation des droits garantis par cet article 7, des droits correspondants garantis par cet article 8, paragraphe 1, tels qu’interprétés par la Cour EDH.

Arrêt du 29 juillet 2024, Belgian Association of Tax Lawyers e.a. (C-623/22) (cf. points 49, 52, 53, 56-60, 64, 66, 87, 89, 90, disp. 2)

154. Rapprochement des législations - Coopération administrative dans le domaine fiscal - Directive 2011/16 - Échange automatique et obligatoire d'informations - Obligation de déclaration des dispositifs transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif - Marqueurs de ces dispositifs - Identification suffisamment claire et précise - Violation des principes de sécurité juridique et de légalité en matière pénale - Absence - Ingérence dans la vie privée de l'intermédiaire et du contribuable concerné définie de manière suffisamment précise

Dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité, la Cour juge que l’obligation de déclaration des dispositifs fiscaux transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif auprès des autorités compétentes instituée par la directive 2011/16 modifiée{1} n’enfreint pas les droits fondamentaux, notamment le principe d’égalité de traitement et le droit au respect de la vie privée, ni le principe de sécurité juridique.

En l’espèce, une loi du 20 décembre 2019 avait transposé dans l’ordre juridique belge la directive 2011/16 modifiée.

Plusieurs associations et professionnels, intervenant dans le domaine des services juridiques, fiscaux ou de conseil, ont demandé à la Cour constitutionnelle (Belgique) l’annulation totale ou partielle de cette loi. Elles contestaient, en substance, tant le manque de précision de cette loi quant à l’étendue du champ d’application et la portée de l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières qu’elle comprend, que certains effets de cette obligation.

Dans la mesure où les dispositions nationales ainsi contestées trouvent leur source dans les dispositions de la directive 2011/16 modifiée, la Cour constitutionnelle a saisi la Cour de plusieurs questions préjudicielles portant sur l’appréciation de la validité de l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières, prévue à l’article 8 bis ter, paragraphes 1, 6 et 7 de cette directive, ainsi que de l’obligation de notification subsidiaire, prévue à l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de cette même directive, au regard des articles 7, 20, 21 et de l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), ainsi que du principe général de sécurité juridique.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, s’agissant d’apprécier l’existence d’une éventuelle violation du principe d’égalité de traitement prévu à l’article 20 de la Charte par la directive 2011/16 modifiée en ce que cette directive ne limite pas l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières au domaine de l’impôt sur les sociétés, mais la rend applicable à l’égard de tous les impôts rentrant dans son champ d’application, la Cour indique, tout d’abord, que le critère de référence à prendre en compte est celui du risque de planification fiscale agressive et d’évasion et de fraude fiscales par les dispositifs transfrontières concernés contre lequel le législateur de l’Union a, en l’occurrence, entendu lutter. Or, tout type d’impôt ou de taxe est susceptible de faire l’objet d’une planification fiscale agressive, qu’il s’agisse de l’impôt sur les sociétés, des autres impôts directs ou des impôts indirects qui ne font pas l’objet de réglementations spécifiques de l’Union{2}.

Dès lors, les différents types d’impôts soumis à l’obligation de déclaration prévue par la directive 2011/16 modifiée relèvent de situations comparables au regard des objectifs poursuivis par cette directive, une telle soumission ne revêtant pas à cet égard un caractère manifestement inapproprié au regard desdits objectifs.

En deuxième lieu, la Cour considère que les notions{3} et le point de départ du délai de 30 jours imparti pour l’exécution de l’obligation de déclaration, que la directive 2011/16 modifiée emploie et fixe pour déterminer le champ d’application et la portée de cette obligation, sont suffisamment clairs et précis au regard des exigences découlant du principe de sécurité juridique et du principe de légalité en matière pénale consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la Charte.

En outre, l’article 7 de la Charte n’imposant aucune obligation plus stricte que l’article 49 de celle-ci en termes d’exigence de clarté ou de précision des notions employées et des délais fixés, l’ingérence dans la vie privée de l’intermédiaire et du contribuable concerné qu’implique l’obligation de déclaration est elle-même définie de manière suffisamment précise eu égard aux informations que cette déclaration doit contenir.

En troisième lieu, s’agissant d’une éventuelle atteinte au secret professionnel par un intermédiaire autre qu’un avocat, résultant de l’obligation de notification subsidiaire prévue à l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16 modifiée, en ce que cette obligation a pour conséquence de porter à la connaissance d’un tiers, et, ultimement, de l’administration fiscale, l’existence du lien de consultation entre cet intermédiaire et son client, la Cour précise tout d’abord que la faculté des États membres de substituer l’obligation de notification à l’obligation de déclaration n’a été ouverte, par cet article, qu’à l’égard des professionnels qui, à l’instar des avocats, sont habilités, selon le droit national, à assurer la représentation en justice.

Ensuite, ce n’est qu’en raison de la position singulière qu’occupe la profession d’avocat au sein de l’organisation judiciaire des États membres que la Cour, dans l’arrêt Orde van Vlaamse Balies e.a.{4}, a considéré que l’obligation de notification subsidiaire, lorsqu’elle est imposée à l’avocat, viole l’article 7 de la Charte.

Ainsi, la solution dégagée dans cet arrêt vaut seulement à l’égard des personnes qui exercent leurs activités professionnelles sous l’un des titres professionnels mentionnés à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 98/5{5}, et ne s’étend pas aux autres professionnels ne remplissant pas ces caractéristiques, quand bien même ils seraient habilités par les États membres à assurer la représentation en justice.

Enfin, en quatrième lieu, s’agissant de l’éventuelle atteinte, par l’obligation de déclaration, au droit à la protection de la vie privée, lorsque cette obligation concerne un dispositif poursuivant un avantage fiscal, de manière légale et non abusive, laquelle limiterait alors, ainsi que le souligne la juridiction de renvoi, la liberté du contribuable de choisir - et celle de l’intermédiaire de concevoir et de lui conseiller - la voie fiscale la moins imposée, la Cour se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme{6}, de laquelle il ressort que la notion de vie privée est une notion large qui inclut la notion d’autonomie personnelle, laquelle recouvre la liberté de toute personne d’organiser sa vie et ses activités, tant personnelles que professionnelles ou commerciales.

Tenant compte de cette jurisprudence, la Cour considère que l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée garanti à l’article 7 de la Charte, dans la mesure où elle aboutit à révéler à l’administration le résultat de travaux de conception et d’ingénierie fiscale se fondant sur des disparités existant entre les différentes réglementations nationales applicables, menés, dans le contexte d’activités personnelles, professionnelles ou commerciales, par le contribuable lui-même ou par un intermédiaire, et partant, est susceptible de dissuader tant ledit contribuable que ses conseils de concevoir et de mettre en œuvre des mécanismes de planification fiscale transfrontière.

Cependant, une telle ingérence qui ne porte pas atteinte à l’essence du droit au respect de la vie privée et qui est proportionnée et ne revêt pas un caractère démesuré par rapport à l’objectif d’intérêt général de lutte contre la planification fiscale agressive et de la prévention des risques d’évasion et de fraude fiscales en l’occurrence poursuivi par la directive 2011/16 modifiée est justifiée au regard dudit objectif. Il s’ensuit que l’obligation de déclaration en cause ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée, compris comme le droit de toute personne d’organiser sa vie privée, tel que garanti par l’article 7 de la Charte.

{1} Directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (JO 2011, L 64, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2018/822 du Conseil, du 25 mai 2018 (JO 2018, L 139, p. 1, ci-après la « directive 2011/16 modifiée »).

{2} La taxe sur la valeur ajoutée, les droits de douane et les droits d’accises sont exclus du champ d’application de la directive 2011/16 modifiée.

{3} Les notions à l’égard desquelles la juridiction de renvoi exprimait des doutes quant à leur précision et clarté sont celles de « dispositif », de « dispositif transfrontière », de « dispositif commercialisable », de « dispositif sur mesure », d’« intermédiaire », de « participant », d’« entreprise associée », ainsi que le qualificatif « transfrontière », les différents « marqueurs » définis à l’annexe IV et le « critère de l’avantage principal ».

{4} Arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a. (C-694/20, EU:C:2022:963).

{5} Directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (JO 1998, L 77, p. 36).

{6} Voir, en particulier, Cour EDH, 18 janvier 2018, FNASS e.a. c. France, ECLI:CE:ECHR:2018:0118JUD004815111, § 153 et jurisprudence citée. À cet égard, l’article 7 de la Charte correspond à l’article 8, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, la Cour tient compte, dans l’interprétation des droits garantis par cet article 7, des droits correspondants garantis par cet article 8, paragraphe 1, tels qu’interprétés par la Cour EDH.

Arrêt du 29 juillet 2024, Belgian Association of Tax Lawyers e.a. (C-623/22) (cf. points 71, 73-75, 87, 89, 90, disp. 2)

155. Rapprochement des législations - Coopération administrative dans le domaine fiscal - Directive 2011/16 - Échange automatique et obligatoire d'informations - Obligation de déclaration des dispositifs transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif - Point de départ du délai de trente jours pour l'exécution de cette obligation - Détermination suffisamment claire et précise - Violation des principes de sécurité juridique et de légalité en matière pénale - Absence - Ingérence dans la vie privée de l'intermédiaire et du contribuable concerné définie de manière suffisamment précise

Dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité, la Cour juge que l’obligation de déclaration des dispositifs fiscaux transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif auprès des autorités compétentes instituée par la directive 2011/16 modifiée{1} n’enfreint pas les droits fondamentaux, notamment le principe d’égalité de traitement et le droit au respect de la vie privée, ni le principe de sécurité juridique.

En l’espèce, une loi du 20 décembre 2019 avait transposé dans l’ordre juridique belge la directive 2011/16 modifiée.

Plusieurs associations et professionnels, intervenant dans le domaine des services juridiques, fiscaux ou de conseil, ont demandé à la Cour constitutionnelle (Belgique) l’annulation totale ou partielle de cette loi. Elles contestaient, en substance, tant le manque de précision de cette loi quant à l’étendue du champ d’application et la portée de l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières qu’elle comprend, que certains effets de cette obligation.

Dans la mesure où les dispositions nationales ainsi contestées trouvent leur source dans les dispositions de la directive 2011/16 modifiée, la Cour constitutionnelle a saisi la Cour de plusieurs questions préjudicielles portant sur l’appréciation de la validité de l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières, prévue à l’article 8 bis ter, paragraphes 1, 6 et 7 de cette directive, ainsi que de l’obligation de notification subsidiaire, prévue à l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de cette même directive, au regard des articles 7, 20, 21 et de l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), ainsi que du principe général de sécurité juridique.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, s’agissant d’apprécier l’existence d’une éventuelle violation du principe d’égalité de traitement prévu à l’article 20 de la Charte par la directive 2011/16 modifiée en ce que cette directive ne limite pas l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières au domaine de l’impôt sur les sociétés, mais la rend applicable à l’égard de tous les impôts rentrant dans son champ d’application, la Cour indique, tout d’abord, que le critère de référence à prendre en compte est celui du risque de planification fiscale agressive et d’évasion et de fraude fiscales par les dispositifs transfrontières concernés contre lequel le législateur de l’Union a, en l’occurrence, entendu lutter. Or, tout type d’impôt ou de taxe est susceptible de faire l’objet d’une planification fiscale agressive, qu’il s’agisse de l’impôt sur les sociétés, des autres impôts directs ou des impôts indirects qui ne font pas l’objet de réglementations spécifiques de l’Union{2}.

Dès lors, les différents types d’impôts soumis à l’obligation de déclaration prévue par la directive 2011/16 modifiée relèvent de situations comparables au regard des objectifs poursuivis par cette directive, une telle soumission ne revêtant pas à cet égard un caractère manifestement inapproprié au regard desdits objectifs.

En deuxième lieu, la Cour considère que les notions{3} et le point de départ du délai de 30 jours imparti pour l’exécution de l’obligation de déclaration, que la directive 2011/16 modifiée emploie et fixe pour déterminer le champ d’application et la portée de cette obligation, sont suffisamment clairs et précis au regard des exigences découlant du principe de sécurité juridique et du principe de légalité en matière pénale consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la Charte.

En outre, l’article 7 de la Charte n’imposant aucune obligation plus stricte que l’article 49 de celle-ci en termes d’exigence de clarté ou de précision des notions employées et des délais fixés, l’ingérence dans la vie privée de l’intermédiaire et du contribuable concerné qu’implique l’obligation de déclaration est elle-même définie de manière suffisamment précise eu égard aux informations que cette déclaration doit contenir.

En troisième lieu, s’agissant d’une éventuelle atteinte au secret professionnel par un intermédiaire autre qu’un avocat, résultant de l’obligation de notification subsidiaire prévue à l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16 modifiée, en ce que cette obligation a pour conséquence de porter à la connaissance d’un tiers, et, ultimement, de l’administration fiscale, l’existence du lien de consultation entre cet intermédiaire et son client, la Cour précise tout d’abord que la faculté des États membres de substituer l’obligation de notification à l’obligation de déclaration n’a été ouverte, par cet article, qu’à l’égard des professionnels qui, à l’instar des avocats, sont habilités, selon le droit national, à assurer la représentation en justice.

Ensuite, ce n’est qu’en raison de la position singulière qu’occupe la profession d’avocat au sein de l’organisation judiciaire des États membres que la Cour, dans l’arrêt Orde van Vlaamse Balies e.a.{4}, a considéré que l’obligation de notification subsidiaire, lorsqu’elle est imposée à l’avocat, viole l’article 7 de la Charte.

Ainsi, la solution dégagée dans cet arrêt vaut seulement à l’égard des personnes qui exercent leurs activités professionnelles sous l’un des titres professionnels mentionnés à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 98/5{5}, et ne s’étend pas aux autres professionnels ne remplissant pas ces caractéristiques, quand bien même ils seraient habilités par les États membres à assurer la représentation en justice.

Enfin, en quatrième lieu, s’agissant de l’éventuelle atteinte, par l’obligation de déclaration, au droit à la protection de la vie privée, lorsque cette obligation concerne un dispositif poursuivant un avantage fiscal, de manière légale et non abusive, laquelle limiterait alors, ainsi que le souligne la juridiction de renvoi, la liberté du contribuable de choisir - et celle de l’intermédiaire de concevoir et de lui conseiller - la voie fiscale la moins imposée, la Cour se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme{6}, de laquelle il ressort que la notion de vie privée est une notion large qui inclut la notion d’autonomie personnelle, laquelle recouvre la liberté de toute personne d’organiser sa vie et ses activités, tant personnelles que professionnelles ou commerciales.

Tenant compte de cette jurisprudence, la Cour considère que l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée garanti à l’article 7 de la Charte, dans la mesure où elle aboutit à révéler à l’administration le résultat de travaux de conception et d’ingénierie fiscale se fondant sur des disparités existant entre les différentes réglementations nationales applicables, menés, dans le contexte d’activités personnelles, professionnelles ou commerciales, par le contribuable lui-même ou par un intermédiaire, et partant, est susceptible de dissuader tant ledit contribuable que ses conseils de concevoir et de mettre en œuvre des mécanismes de planification fiscale transfrontière.

Cependant, une telle ingérence qui ne porte pas atteinte à l’essence du droit au respect de la vie privée et qui est proportionnée et ne revêt pas un caractère démesuré par rapport à l’objectif d’intérêt général de lutte contre la planification fiscale agressive et de la prévention des risques d’évasion et de fraude fiscales en l’occurrence poursuivi par la directive 2011/16 modifiée est justifiée au regard dudit objectif. Il s’ensuit que l’obligation de déclaration en cause ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée, compris comme le droit de toute personne d’organiser sa vie privée, tel que garanti par l’article 7 de la Charte.

{1} Directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (JO 2011, L 64, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2018/822 du Conseil, du 25 mai 2018 (JO 2018, L 139, p. 1, ci-après la « directive 2011/16 modifiée »).

{2} La taxe sur la valeur ajoutée, les droits de douane et les droits d’accises sont exclus du champ d’application de la directive 2011/16 modifiée.

{3} Les notions à l’égard desquelles la juridiction de renvoi exprimait des doutes quant à leur précision et clarté sont celles de « dispositif », de « dispositif transfrontière », de « dispositif commercialisable », de « dispositif sur mesure », d’« intermédiaire », de « participant », d’« entreprise associée », ainsi que le qualificatif « transfrontière », les différents « marqueurs » définis à l’annexe IV et le « critère de l’avantage principal ».

{4} Arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a. (C-694/20, EU:C:2022:963).

{5} Directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (JO 1998, L 77, p. 36).

{6} Voir, en particulier, Cour EDH, 18 janvier 2018, FNASS e.a. c. France, ECLI:CE:ECHR:2018:0118JUD004815111, § 153 et jurisprudence citée. À cet égard, l’article 7 de la Charte correspond à l’article 8, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, la Cour tient compte, dans l’interprétation des droits garantis par cet article 7, des droits correspondants garantis par cet article 8, paragraphe 1, tels qu’interprétés par la Cour EDH.

Arrêt du 29 juillet 2024, Belgian Association of Tax Lawyers e.a. (C-623/22) (cf. points 80-87, 89, 90, disp. 2)

156. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Critères d'adoption des mesures restrictives - Femmes ou hommes d'affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie et personnes leur étant associées - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques



Arrêt du 4 septembre 2024, Kesaev / Conseil (T-290/22 et T-763/22) (cf. point 70)

157. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Portée du contrôle - Contrôle restreint pour les règles générales - Critères d'adoption des mesures restrictives - Présomption de soutien au régime syrien à l'encontre des membres des familles Assad ou Makhlouf - Portée - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques

Par son arrêt, le Tribunal rejette le recours en annulation introduit par M. Samer Kamal Al Assad contre les actes par lesquels son nom a été inscrit en 2023{1} par le Conseil de l’Union européenne sur les listes des personnes visées par des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie.

Cette affaire permet au Tribunal de se prononcer, pour la première fois, sur la légalité du critère permettant au Conseil d’adopter des mesures restrictives à l’encontre des « membres des familles Assad ou Makhlouf » figurant à l’article 27, paragraphe 2, sous b), et à l’article 28, paragraphe 2, sous b), de la décision 2013/255{2}, telle que modifiée par la décision 2015/1836 (ci-après le « critère de l’appartenance familiale »). En outre, en 2015, l’article 15 du règlement no 36/2012{3} a été complété par un paragraphe 1 bis, sous b), qui prévoit le gel des avoirs des membres de ces familles.

Le requérant, un homme d’affaires de nationalité syrienne, a vu son nom inscrit sur les listes litigieuses en tant que membre de la famille Assad, impliqué dans des activités liées à la production et au commerce de stupéfiants.

Appréciation du Tribunal

S’agissant, en premier lieu, du grief tiré d’une méconnaissance, par le critère de l’appartenance familiale, du principe de légalité et, par voie de conséquence, d’une atteinte aux droits de propriété et au respect de la vie privée et familiale, le Tribunal note, tout d’abord, que le droit de propriété tout comme le droit au respect de la vie privée ne constituent pas des prérogatives absolues. Conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), leur exercice peut faire l’objet de restrictions pour autant que les limitations concernées sont prévues par la loi, respectent le contenu essentiel du droit fondamental en cause et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles sont nécessaires et répondent à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union.

Le Tribunal rappelle ensuite que le principe de légalité, érigé par les termes « prévue par la loi » figurant à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, implique que toute limitation des droits et libertés consacrés par cette dernière doit avoir une base légale qui définit, elle-même, de manière claire et précise, la portée de la limitation de leur exercice. Toutefois, cette exigence n’exclut pas que, d’une part, la limitation en cause soit formulée dans des termes suffisamment ouverts pour pouvoir s’adapter à des cas de figure différents ainsi qu’aux changements de situations et que, d’autre part, la Cour de justice de l’Union européenne puisse, le cas échéant, préciser, par voie d’interprétation, la portée concrète de la limitation au regard tant des termes mêmes de la réglementation de l’Union en cause que de son économie générale et des objectifs qu’elle poursuit.

En l’espèce, le Tribunal estime que le critère de l’appartenance familiale ne permet pas au Conseil de soumettre à des mesures restrictives l’ensemble des personnes portant le nom de famille Assad, qu’elles soient liées à ladite famille, étant actuellement au pouvoir en Syrie, ou non.

En effet, d’une part, toutes les décisions d’inscription sur les listes litigieuses sont prises sur une base individuelle et au cas par cas, en tenant compte de la proportionnalité de la mesure{4}. D’autre part, le critère de l’appartenance familiale s’inscrit dans un cadre juridique clairement délimité par les objectifs poursuivis{5}, notamment, par la réglementation de base{6}.

Par ailleurs, la portée du critère de l’appartenance familiale, bien qu’il soit formulé en des termes ouverts, est circonscrite par le considérant 7 de la décision 2015/1836 et ne peut dès lors cibler qu’un cercle de personnes bien identifiables, à savoir celles qui sont liées à la famille Assad actuellement au pouvoir en Syrie. Il s’ensuit que les personnes portant le nom de famille Assad ne relèvent du champ d’application du critère de l’appartenance familiale que si elles ont un lien de parenté avec la famille Assad gouvernant actuellement la Syrie. De plus, les personnes ayant un lien de parenté avec la famille Assad au pouvoir en Syrie peuvent voir leurs noms inscrits sur les listes litigieuses sur le fondement du critère de l’appartenance familiale, même si elles ne portent pas le nom de famille Assad.

Enfin, s’agissant de l’argumentation du requérant tenant au non-respect du principe de responsabilité personnelle, le Tribunal précise que, certes, il ressort de la jurisprudence que, en vertu du principe d’individualité des peines et des sanctions, une personne, physique ou morale, ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés. Cependant, par leur nature conservatoire ainsi que par leur finalité préventive, les mesures restrictives se distinguent de sanctions pénales ou administratives. Plus particulièrement, l’objectif poursuivi par les mesures restrictives adoptées en raison de la situation en Syrie n’est pas de sanctionner les personnes ou les entités qu’elles ciblent, mais d’exercer, par leur biais, une pression sur le régime syrien afin qu’il mette un terme à la politique de répression violente exercée contre la population civile syrienne. En outre, toute décision d’inscription sur les listes litigieuses est prise sur une base individuelle, de sorte qu’aucune inscription systématique ne peut être instaurée sur le fondement du critère de l’appartenance familiale. Partant, le requérant ne peut pas se prévaloir du principe de responsabilité personnelle pour contester la légalité de ce critère.

Estimant dès lors que le critère de l’appartenance familiale, lu conjointement avec l’objectif consistant à faire pression sur le régime syrien afin de le contraindre à mettre fin à sa politique de répression, définit, de manière objective et suffisamment précise, une catégorie circonscrite de personnes susceptibles de faire l’objet de mesures restrictives, le Tribunal conclut que ce critère instaure une disposition claire et précise, laquelle répond aux exigences posées par le principe de légalité.

En second lieu, le Tribunal écarte le grief tiré d’une violation du principe de non discrimination. À titre liminaire, le Tribunal rappelle que le principe d’égalité de traitement, dont le principe de non-discrimination est une expression particulière, interdit que des situations comparables soient traitées de manière différente ou que des situations différentes soient traitées de manière égale, à moins que de tels traitements ne soient objectivement justifiés.

Une différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné.

Le Tribunal indique toutefois que le Conseil dispose, en matière de mesures restrictives, d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition et l’adoption des critères d’inscription. Dès lors, la légalité des mesures restrictives n’est pas subordonnée à la constatation des effets immédiats de celles-ci, mais requiert uniquement qu’elles ne soient pas manifestement inappropriées au regard de l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre.

Or, en l’occurrence, le Tribunal relève, tout d’abord, que, contrairement à ce que soutient le requérant, les mesures restrictives adoptées sur le fondement du critère de l’appartenance familiale ne constituent pas une sanction pénale. En outre, celles-ci poursuivent un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union. Par conséquent, le gel de fonds et d’autres ressources économiques ainsi que l’interdiction d’entrer sur le territoire de l’Union à l’égard des personnes identifiées comme étant impliquées dans le soutien du régime syrien ne sauraient, en tant que tels, passer pour inadéquats.

Ensuite, le Tribunal souligne que le requérant ne précise pas en quoi ou par rapport à quelles personnes la mise en œuvre du critère de l’appartenance familiale serait discriminatoire. Il ne fournit pas non plus d’exemples concrets d’autres personnes qui se trouveraient dans une situation comparable à la sienne et qui seraient traitées de manière différente. Dès lors, le Tribunal n’est pas en mesure de vérifier si ses allégations sont fondées en fait.

Enfin, le Tribunal écarte l’argument du requérant selon lequel le critère de l’appartenance familiale aboutirait à un résultat disproportionné par rapport à l’objectif poursuivi par les mesures restrictives, dans la mesure où, en tant que petit-cousin du président syrien, il lui serait impossible de renverser la présomption de lien avec le régime syrien. En effet, il ressort des actes attaqués que toute personne, nonobstant la qualité ou le statut en vertu duquel son nom a été inscrit sur les listes litigieuses, peut apporter des preuves visant à remettre en cause l’inscription ou le maintien de son nom sur celles-ci .

Au vu de l’ensemble de ces éléments, le Tribunal rejette l’exception d’illégalité dans son ensemble.

{1}Décision d’exécution (PESC) 2023/847 du Conseil, du 24 avril 2023, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2023, L 109 I, p. 26) et règlement d’exécution (UE) 2023/844 du Conseil, du 24 avril 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2023, L 109 I, p. 1).

{2} Décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75).

{3} Règlement (UE) no 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) no 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1)

{4} Voir article 27, paragraphe 4, et article 28, paragraphe 4, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836.

{5} Il ressort du considérant 7 de la décision 2015/1836 que le pouvoir du régime syrien actuel se trouve « essentiellement entre les mains des membres influents des familles Assad et Makhlouf » et que le Conseil a prévu, en conséquence, des mesures restrictives à l’encontre de certains membres desdites familles « tant pour influencer directement le régime par le biais de membres de ces familles[,] afin que celui-ci modifie sa politique de répression, que pour éviter le risque de contournement des mesures restrictives par des membres de ces familles ».

{6} Règlement no 36/2012 et décision 2013/255.

Arrêt du 4 septembre 2024, Al-Assad / Conseil (T-370/23) (cf. points 54-65, 72, 73)

158. Aides accordées par les États - Examen par la Commission - Procédure administrative - Décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen prévue à l'article 108, paragraphe 2, TFUE - Analyse de l'existence d'un avantage sélectif - Évolution de la position de la Commission à l'issue de la procédure - Obligation de la Commission de mettre les intéressés en demeure de présenter leurs observations - Portée - Modification affectant la nature des mesures en cause ou de leur qualification juridique

En annulant l’arrêt Irlande e.a./Commission du Tribunal{1} par lequel celui-ci a annulé la décision de la Commission européenne concernant l’aide d’État octroyée par l’Irlande en faveur d’Apple{2}, puis, en statuant elle-même définitivement sur les éléments du litige restant à trancher, la Cour, réunie en grande chambre, juge, au vu de l’analyse figurant dans la décision litigieuse ainsi que des constats du Tribunal demeurés incontestés, que la Commission a valablement conclu au caractère sélectif de l’avantage accordé à deux sociétés de droit irlandais du groupe Apple par deux décisions fiscales anticipatives adoptées par les autorités fiscales irlandaises au sujet de la détermination de la base imposable des succursales irlandaises des sociétés en question. À cet égard, la Cour inscrit son analyse dans le cadre tracé par les principes jurisprudentiels récemment consolidés{3}, concernant la définition et l’analyse du cadre de référence au regard duquel la sélectivité de mesures fiscales doit être appréciée aux fins de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Elle rappelle à cet égard que la délimitation appropriée du cadre de référence pertinent, et, par extension, l’interprétation correcte des dispositions de droit national le composant constitue une question de droit relevant du contrôle incombant à la Cour au stade du pourvoi, dans les limites de l’objet de ce dernier.

Au sein du groupe Apple, Apple Inc., établie à Cupertino (États-Unis), contrôle différentes sociétés de droit irlandais par l’intermédiaire de sa filiale à 100 %, Apple Operations International. Cette dernière détient 100 % de la filiale Apple Operations Europe (AOE), qui à son tour détient 100 % de la filiale Apple Sales International (ASI). ASI et AOE sont toutes deux constituées en tant que sociétés de droit irlandais, mais ne sont pas résidentes fiscales irlandaises. Celles-ci disposent, chacune, d’une succursale en Irlande, dépourvue de personnalité juridique distincte.{4}

ASI et AOE étaient liées à Apple Inc. par un accord de partage des coûts qui prévoyait en particulier l’octroi, en leur faveur, de licences libres de redevance afin de leur permettre d’utiliser les droits de propriété intellectuelle du groupe Apple. Cette utilisation consistait, notamment, dans la fabrication et la vente des produits concernés sur l’ensemble des territoires situés en dehors du continent américain.

En vertu des dispositions de droit irlandais régissant l’imposition des sociétés en vigueur au cours de la période considérée (ci-après les « dispositions de référence »), les sociétés non-résidentes étaient imposables au titre des revenus commerciaux réalisés directement ou indirectement par l’intermédiaire d’une succursale active en Irlande. En l’occurrence, en 1990, les autorités fiscales irlandaises ont été saisies de demandes émanant des prédécesseurs d’ASI et d’AOE visant à se voir préciser la détermination de leurs bénéfices imposables. C’est dans ce contexte que les autorités fiscales irlandaises ont adopté une première décision fiscale anticipative en 1991, ultérieurement révisée à la demande d’ASI et d’AOE, et une seconde décision en 2007 (ci-après, conjointement dénommées, les « rulings fiscaux contestés »).

À l’issue d’une procédure formelle d’examen ouverte en 2014, la Commission a adopté la décision litigieuse concernant les rulings fiscaux contestés. Dans cette décision, la Commission a considéré, en particulier, que, dans la mesure où les rulings fiscaux contestés avaient entraîné une réduction de la base imposable d’ASI et d’AOE, aux fins de l’établissement de l’impôt sur les sociétés en Irlande, ils avaient procuré un avantage à ces deux sociétés. Afin de prouver l’existence d’un avantage sélectif en l’espèce, la Commission a examiné l’existence d’un avantage sélectif découlant d’une dérogation au cadre de référence. En s’appuyant sur des raisonnements à titre principal, à titre subsidiaire et à titre alternatif, la Commission a considéré, en substance, que les rulings fiscaux contestés avaient permis à ASI et à AOE de réduire le montant de l’impôt dont elles étaient redevables en Irlande au cours de la période pendant laquelle ils étaient en vigueur, à savoir entre les années 1991 et 2014, et que cette réduction du montant de l’impôt représentait un avantage par rapport à d’autres sociétés se trouvant dans une situation comparable. Plus spécifiquement, à titre principal, la Commission a soutenu que le fait que les autorités fiscales irlandaises aient accepté, dans les rulings fiscaux contestés, la prémisse selon laquelle les licences de droits de propriété intellectuelle (ci-après « PI ») du groupe Apple détenues par ASI et AOE devaient être attribuées hors d’Irlande avait conduit à ce que les bénéfices annuels imposables d’ASI et d’AOE en Irlande s’écartent d’une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché conforme au principe de pleine concurrence.

Statuant sur les recours introduits respectivement par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE, visant à l’annulation de la décision litigieuse, le Tribunal, estimant que la Commission n’était pas parvenue à démontrer à suffisance de droit l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, a annulé la décision litigieuse dans son intégralité.

Dans son arrêt, le Tribunal a rappelé, à titre liminaire, que, dans le cadre du contrôle des aides d’État, pour examiner si les rulings fiscaux contestés ont constitué de telles aides, il incombait à la Commission de démontrer notamment que ces rulings fiscaux avaient procuré un avantage sélectif.

À cet égard, le Tribunal a rejeté le raisonnement à titre principal de la Commission concernant l’existence d’un avantage pour deux motifs relatifs, d’une part, aux appréciations de la Commission sur l’imposition normale en vertu du droit fiscal irlandais applicable en l’espèce, et, d’autre part, aux appréciations de la Commission portant sur les activités au sein du groupe Apple.

Ayant rejeté, en outre, les raisonnements présentés à titre subsidiaire ainsi qu’à titre alternatif à ce sujet, le Tribunal a annulé la décision litigieuse dans son intégralité, sans examiner les autres moyens et griefs invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE.

À l’appui de son pourvoi, la Commission invoque deux moyens, visant respectivement les motifs de l’arrêt attaqué ayant trait à l’appréciation du raisonnement à titre principal et ceux ayant trait à l’appréciation du raisonnement à titre subsidiaire.

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Appréciation de la Cour

À titre liminaire, la Cour rappelle que, afin de qualifier une mesure fiscale nationale de « sélective » aux fins de l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, la Commission doit identifier, dans un premier temps, le système de référence, à savoir le régime fiscal « normal » applicable dans l’État membre concerné, et démontrer, dans un second temps, que la mesure fiscale en cause déroge à ce système de référence, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce dernier, dans une situation factuelle et juridique comparable.

La Cour précise que la détermination du cadre de référence revêt une importance accrue dans le cas de mesures fiscales, puisque l’existence d’un avantage économique, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale ».

Sur ce point, la Cour observe, en outre, que, en dehors des domaines dans lesquels le droit fiscal de l’Union fait l’objet d’une harmonisation, c’est l’État membre concerné qui détermine, par l’exercice de ses compétences propres en matière de fiscalité directe, les caractéristiques constitutives de l’impôt, lesquelles définissent, en principe, le système de référence ou le régime fiscal « normal ». Il en va, notamment, ainsi de la détermination de l’assiette de l’impôt, de son fait générateur et des éventuelles exonérations dont il est assorti. Il s’ensuit que seul le droit national applicable dans l’État membre concerné doit être pris en compte en vue d’identifier ledit système de référence. Cette conclusion est toutefois sans préjudice de la possibilité de constater que le cadre de référence lui-même, tel qu’il découle du droit national, est incompatible avec le droit de l’Union en matière d’aides d’État, dès lors que le système fiscal en cause a été configuré selon des paramètres manifestement discriminatoires, destinés à contourner ledit droit.

C’est à l’aune de ces principes que la Cour entame l’examen du pourvoi.

À cet égard, la Cour indique d’emblée que le raisonnement à titre principal de la Commission repose sur le postulat que, pour attribuer correctement les bénéfices conformément à l’approche de l’entité distincte et au principe de pleine concurrence consacrés par les dispositions de droit national applicables{5}, il incombait aux autorités irlandaises compétentes de vérifier si les bénéfices tirés de l’utilisation des licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et par AOE ne devaient pas, en tout ou partie, être imputés à leurs succursales irlandaises. L’absence des vérifications requises par lesdites dispositions a, selon la Commission, entraîné une réduction de la charge fiscale de ces sociétés, leur conférant un avantage sélectif.

Cela étant précisé, la Cour juge la Commission recevable à contester les appréciations du Tribunal au sujet du cadre de référence issu du droit irlandais. En effet, la question de savoir si le Tribunal a délimité de manière appropriée le système de référence en droit irlandais et, par extension, a interprété de manière correcte les dispositions nationales composant ce système est une question de droit susceptible de faire l’objet du contrôle de la Cour au stade du pourvoi. Ainsi, les arguments de la Commission tendant à remettre en cause le choix du cadre de référence ou sa signification dans la première étape de l’analyse de l’existence d’un avantage sélectif sont recevables, puisque cette analyse procède d’une qualification juridique du droit national sur la base d’une disposition du droit de l’Union. En l’occurrence, il en va ainsi tant pour le grief tiré de ce que le Tribunal aurait interprété la décision de manière erronée en retenant que, dans son raisonnement à titre principal, la Commission s’était limitée à une approche « par exclusion » que pour le grief par lequel la Commission reproche au Tribunal de s’être fondé sur les fonctions exercées par Apple Inc.

La Cour examine ainsi, en premier lieu, le grief tiré de l’existence d’une erreur d’interprétation de la décision litigieuse, dans la mesure où le Tribunal aurait considéré que le raisonnement à titre principal de la Commission était fondé uniquement sur l’absence de salariés et de présence physique aux sièges d’ASI et d’AOE et, partant, sur une approche « par exclusion ».

À cet égard, la Cour constate, tout d’abord, que ce raisonnement de la Commission repose sur le postulat selon lequel, d’une part, l’application des dispositions de référence requérait que soit déterminée au préalable une méthode d’attribution des bénéfices que ces dispositions ne définissent pas et, d’autre part, cette méthode devait parvenir à un résultat conforme au principe de pleine concurrence. Or, ce postulat n’a pas été remis en cause par le Tribunal, qui a ajouté que l’imposition dite « normale » est définie par les règles fiscales nationales et que l’existence même d’un avantage doit être établie par rapport à celles-ci, avant de préciser toutefois que, si ces règles nationales prévoient que les succursales des sociétés non-résidentes, en ce qui concerne les bénéfices résultant des activités commerciales de celles-ci en Irlande, et les sociétés résidentes sont imposées dans les mêmes conditions, l’article 107, paragraphe 1, TFUE permet à la Commission de contrôler si le niveau des bénéfices attribués à de telles succursales, accepté par les autorités nationales pour la détermination des bénéfices imposables de ces sociétés non-résidentes, correspond au niveau des bénéfices qui auraient été obtenus par l’exercice de ces activités commerciales dans des conditions de marché.

Selon la Cour, il s’en déduit que l’application du principe de pleine concurrence dans le cas d’espèce se fonde sur les règles fiscales du droit irlandais relatives à l’imposition des sociétés et, partant, sur le système de référence identifié par la Commission et confirmé par le Tribunal. En l’occurrence, le Tribunal a explicitement reconnu que, contrairement à ce que soutenait l’Irlande, l’application des dispositions de référence, telle que décrite par cet État membre, correspondait en substance à l’analyse fonctionnelle et factuelle dans le cadre de la première étape de l’approche autorisée de l’OCDE relative à l’attribution des bénéfices à un établissement stable. Ces constatations du Tribunal l’ont notamment conduit à juger que la Commission n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle s’est prévalue du principe de pleine concurrence afin de contrôler si, dans l’application des dispositions de référence par les autorités fiscales irlandaises, le niveau des bénéfices attribués aux succursales d’ASI et d’AOE pour leurs activités commerciales en Irlande, tel qu’accepté dans les rulings fiscaux contestés, correspondait au niveau des bénéfices qui auraient été obtenus par l’exercice de ces activités commerciales dans des conditions de marché, et lorsqu’elle s’est fondée, en substance, sur l’approche autorisée de l’OCDE aux fins de cette application, en prenant en compte la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre ces succursales et les autres parties de ces sociétés. Lesdites constatations doivent être tenues pour acquises, dès lors qu’elles n’ont pas été valablement remises en cause par les autres parties dans le cadre de la présente procédure de pourvoi.

Or, il ressort des étapes du raisonnement exposé dans la décision litigieuse que la Commission a, tout d’abord, estimé que, afin de déterminer, conformément aux dispositions pertinentes du droit national, les bénéfices imposables d’ASI et d’AOE en Irlande selon le principe de pleine concurrence, il convenait de comparer les fonctions exercées respectivement par les sièges et par les succursales irlandaises de ces sociétés en rapport avec les licences de PI. Ensuite, en application de ce critère, elle a procédé à un examen distinct du rôle de chacun de ces sièges et de chacune de ces succursales en rapport avec ces licences. Au terme de cet examen, elle a constaté, d’une part, une absence de fonctions en rapport avec les licences de PI pour ce qui est des sièges et, d’autre part, un rôle actif des succursales irlandaises découlant de l’exercice d’un certain nombre de fonctions et de risques liés à la gestion et à l’utilisation de ces licences. De plus, la constatation de l’absence de fonctions « actives ou critiques » exercées par les sièges est fondée sur l’absence de preuves contraires apportées par Apple, en conjonction avec l’absence de capacité effective de ces sièges à exercer ces fonctions. Ainsi, le raisonnement à titre principal de la Commission repose non seulement sur l’absence de fonctions exercées par les sièges en rapport avec les licences de PI, mais aussi sur l’analyse des fonctions effectivement exercées par les succursales en rapport avec ces licences.

Dès lors, ce n’est pas le constat selon lequel les sièges n’avaient ni salariés ni présence physique en dehors des succursales irlandaises qui a conduit la Commission à conclure que les licences de PI et les bénéfices y afférents devaient être attribués à ces succursales. La Commission a tiré cette conclusion au terme de la mise en relation de deux constatations distinctes, à savoir, d’une part, l’absence de fonctions actives ou critiques exercées et de risques assumés par les sièges et, d’autre part, la multiplicité et le caractère central des fonctions exercées et des risques assumés par lesdites succursales, et ce en application du critère juridique énoncé dans la décision litigieuse.

Dans ces conditions, la Cour juge que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a considéré que, dans son raisonnement à titre principal, la Commission s’était limitée à une approche « par exclusion », ceci constituant une interprétation erronée de la décision litigieuse.

En deuxième lieu, en ce qui concerne les motifs visés par le pourvoi sur lesquels le Tribunal s’est fondé pour considérer que les succursales d’ASI et d’AOE en Irlande ne contrôlaient pas les licences de PI du groupe Apple et ne généraient pas les bénéfices que la Commission prétendait qu’elles réalisaient, la Cour juge, tout d’abord, que la Commission est fondée à faire valoir que le Tribunal a commis une irrégularité de procédure en prenant en compte, aux fins de son analyse, des éléments de preuve qui n’avaient pas été produits au cours de la procédure administrative et, partant, qui devaient être considérés comme étant irrecevables. Par ailleurs, en ce qui concerne la méthode d’attribution des bénéfices imposables exigée en vertu du droit irlandais, la Cour observe que le critère de détermination des bénéfices d’une société non-résidente, que le Tribunal a considéré être applicable en vertu de l’article 25 du TCA 97, commande de prendre en compte la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre les succursales irlandaises et les autres parties des sociétés concernées, à l’exclusion du rôle éventuel joué par des entités distinctes, telles, en l’espèce, Apple Inc. Or, à cet égard, la Cour constate que le Tribunal s’est fondé, dans les motifs critiqués, explicitement ou implicitement, sur les fonctions exercées par cette dernière, en rapport avec la PI du groupe Apple, pour étayer son constat d’erreur viciant l’analyse exposée par la Commission. En conséquence, la Cour juge que la Commission est fondée à faire valoir que, pour juger que les preuves permettant d’attribuer les bénéfices découlant de l’exploitation des licences de PI aux succursales d’ASI et d’AOE n’étaient pas suffisantes, le Tribunal a comparé erronément les fonctions exercées par ces succursales en rapport avec ces licences à celles exercées par Apple Inc. en rapport avec la PI du groupe Apple plutôt qu’à celles effectivement exercées par les sièges en lien avec lesdites licences.

En troisième lieu, la Cour examine la conclusion selon laquelle les accords et les activités d’ASI et d’AOE en dehors de l’Irlande témoigneraient du fait que ces sociétés étaient en mesure de développer et de gérer la PI du groupe Apple et de générer des bénéfices en dehors de l’Irlande et que ces bénéfices n’étaient, par conséquent, pas soumis à l’impôt en Irlande. Elle considère à cet égard que, si l’appréciation de la valeur probatoire d’une pièce du dossier appartient en principe au seul Tribunal, il lui incombe en revanche d’examiner un grief tiré d’une détermination erronée de la charge de la preuve. En l’occurrence, en considérant qu’il appartenait à la Commission de démontrer l’existence de décisions commerciales importantes non mentionnées dans les procès-verbaux des conseils d’administration des sociétés concernées, le Tribunal a fait peser sur la Commission une charge de la preuve excessive.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour annule l’arrêt sous pourvoi en tant qu’il accueille les griefs à l’encontre du raisonnement à titre principal relatif à l’existence d’un avantage sélectif et qu’il annule, en conséquence, la décision litigieuse.

Dans un second temps, estimant que le litige est en état d’être jugé, la Cour examine elle-même les recours en annulation de la décision litigieuse introduits par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE.

À ce titre, la Cour juge, tout d’abord, qu’il y a lieu d’écarter l’ensemble des moyens dirigés contre les appréciations de la Commission relatives à son raisonnement à titre principal et ayant trait, d’une part, à l’identification du cadre de référence et, d’autre part, à l’imposition normale en vertu du droit irlandais applicable en l’espèce, dès lors que le Tribunal a rejeté les griefs invoqués à ce titre par des motifs demeurés incontestés au stade du pourvoi. En l’absence de pourvoi incident, de tels motifs sont revêtus de l’autorité de chose jugée.

Ensuite, contrairement à ce que le Tribunal a jugé, la Cour considère que la Commission est bien parvenue à démontrer que, eu égard, d’une part, aux activités et aux fonctions effectivement exercées par les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE et, d’autre part, à l’absence d’éléments concordants de nature à établir l’existence de décisions stratégiques prises et mises en œuvre par les sièges de ces sociétés situés en dehors de l’Irlande, ces succursales irlandaises auraient dû se voir attribuer les bénéfices générés par l’exploitation des licences de PI du groupe Apple, aux fins de la détermination des bénéfices annuels imposables d’ASI et d’AOE en Irlande. De plus, la Commission a démontré à suffisance que les rulings fiscaux contestés aboutissent à ce qu’ASI et AOE bénéficient d’un traitement fiscal favorable par rapport aux sociétés résidentes imposées en Irlande qui ne sont pas susceptibles de bénéficier de telles décisions anticipatives de l’administration fiscale, à savoir en particulier les sociétés non intégrées autonomes, les sociétés intégrées d’un groupe qui réalisent des transactions avec des tiers ou les sociétés intégrées d’un groupe qui réalisent des transactions avec des sociétés du groupe auxquelles elles sont liées en fixant le prix de ces transactions dans des conditions de pleine concurrence, alors même que ces sociétés se trouvent dans une situation factuelle et juridique comparable en ce qui concerne l’objectif poursuivi par le système de référence qui est d’imposer les bénéfices générés en Irlande. Enfin, la Commission a considéré à juste titre, dans la décision litigieuse, que la différenciation en matière de traitement fiscal des bénéfices d’ASI et d’AOE induite par les rulings fiscaux contestés n’était pas justifiée par la nature ou par l’économie du système fiscal irlandais. Dans ces conditions, il convient d’écarter les griefs avancés par les parties requérantes quant à l’examen de la sélectivité de ces rulings fiscaux dans la décisionl

itigieuse.

Par ailleurs, c’est sans commettre d’erreur que la Commission a considéré que l’Irlande avait renoncé à des recettes fiscales de la part d’ASI et d’AOE dans la mesure où les rulings fiscaux contestés approuvent des méthodes d’attribution des bénéfices qui aboutissent à un résultat que n’auraient pas accepté des entreprises distinctes et autonomes agissant dans des conditions de marché. Ces rulings fiscaux réduisent, en effet, les bénéfices imposables d’ASI et d’AOE aux fins de l’application des dispositions de référence et, ainsi, le montant de l’impôt sur les sociétés qu’elles sont tenues d’acquitter en Irlande par rapport aux autres sociétés imposées dans cet État membre dont les bénéfices imposables reflètent les prix déterminés sur le marché dans des conditions de pleine concurrence. De telles mesures allègent donc les charges qui grèvent, en principe, le budget d’une entreprise, de sorte qu’elles entraînent bien un avantage accordé « au moyen de ressources d’État ».

Enfin, la Cour rejette comme non fondés les moyens tirés, notamment, de la violation du droit d’être entendu dans le cadre de la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision litigieuse, d’une violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, ainsi que du dépassement, par la Commission, de ses compétences et de l’ingérence de cette dernière dans les compétences des États membres en violation du principe d’autonomie fiscale de ceux-ci.

À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette les recours...

Arrêt du 10 septembre 2024, Commission / Irlande e.a. (C-465/20 P) (cf. points 331-339)

159. Budget de l'Union européenne - Règlement financier - Recouvrement des créances de l'Union sur les tiers - Délai de communication d'une note de débit - Délai de prescription - Point de départ

Statuant en formation élargie à cinq juges, le Tribunal se prononce, pour la première fois, sur les conséquences financières des irrégularités alléguées à l’encontre d’une personne occupant de hautes fonctions au sein d’une institution de l’Union européenne dans l’accomplissement des obligations découlant de sa charge, à la suite de l’arrêt de la Cour constatant le non-respect de ces obligations.

Le requérant, CQ, a été membre de la Cour des comptes européenne, en accomplissant deux mandats. À ce titre, CQ a notamment bénéficié du remboursement de divers frais, d’une voiture de fonction et de la mise à disposition d’un chauffeur.

Au cours de son mandat, des informations portant sur plusieurs irrégularités graves imputées au requérant sont parvenues à la Cour des comptes.

Par la suite, le secrétaire général de la Cour des comptes a transmis à l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) un dossier portant sur les activités de CQ ayant entraîné des dépenses possiblement indues à la charge du budget de l’Union.

Après avoir mené une enquête, l’OLAF a envoyé son rapport final à la Cour des comptes, dans lequel il a conclu, entre autres, à un abus des ressources de la Cour des comptes par CQ dans le cadre d’activités étrangères à ses fonctions.

À la suite de la réception du rapport de l’OLAF, la Cour des comptes a constaté la créance du requérant et qualifié la somme de 153 407,58 euros de montant indûment perçu au titre des frais de missions et des indemnités journalières, des frais de représentation ainsi que de l’utilisation des services de chauffeurs. Elle a, à ce titre, ordonné le recouvrement de cette somme (ci-après la « décision attaquée »).

Par son recours, introduit le 24 juin 2019, le requérant demande, d’une part, l’annulation de la décision attaquée, et, d’autre part, la réparation du préjudice moral qu’il aurait subi{1}.

Indépendamment du présent recours en annulation, la Cour des comptes a introduit un recours devant la Cour fondé sur la violation, par CQ, des obligations découlant de sa charge auprès de la Cour des comptes{2}. À cet égard, la Cour a jugé que le requérant avait effectivement enfreint ces obligations et a prononcé la déchéance de deux tiers de son droit à pension.

Appréciation du Tribunal

Sur le bien-fondé de la décision attaquée, en premier lieu, le Tribunal examine le moyen tiré de ce que la Cour des comptes ne pouvait envoyer au requérant une note de débit datant de plus de cinq années après la constatation de créance en raison du délai prévu par l’article 98 du règlement 2018/1046{3}.

Le Tribunal relève que le point de départ de ce délai, c’est-à-dire le moment où l’institution concernée est normalement en mesure de faire valoir sa créance, ne correspond pas nécessairement au moment où une personne telle que le requérant demande à une institution le versement d’une somme d’argent. Il peut correspondre, dans certaines circonstances, au moment où l’OLAF remet un rapport à cette institution.

Ainsi, le Tribunal considère que la majorité des créances, considérées par la Cour des comptes comme indûment perçues par CQ, ne sont pas prescrites, la Cour des comptes ne s’étant trouvée en mesure de faire valoir sa créance qu’après l’enquête de l’OLAF. En revanche, un nombre très limité de créances, d’un montant total de 3 170,19 euros, sont considérées comme prescrites, car, si la Cour des comptes avait agi avec la diligence requise, elle aurait été en mesure de faire valoir sa créance dès l’introduction des demandes de remboursement concernées.

En second lieu, le Tribunal examine le moyen tiré, en substance, de la violation du principe de protection de la confiance légitime et de l’existence d’« erreurs manifestes » dans la décision attaquée, en ce qui concerne la détermination, par la Cour des comptes, de sommes dont le requérant serait redevable.

S’agissant de l’étendue du contrôle du Tribunal, ce dernier souligne d’emblée que, dans l’arrêt Cour des comptes/Pinxten{4}, la Cour a précisé que ses appréciations relatives aux irrégularités alléguées à l’encontre du requérant ne portaient pas sur la détermination de sommes dont il serait redevable et étaient donc sans préjudice de l’appréciation du Tribunal qui devrait être portée sur la décision attaquée dans le cadre d’un recours en annulation.

À cet égard, le Tribunal relève, d’une part, que l’objet du recours introduit sur le fondement de l’article 286, paragraphe 6, TFUE, dans le cadre duquel la Cour a adopté sa position concernant le requérant, est distinct du présent recours. En effet, le premier porte sur la constatation de la violation des obligations découlant de la charge de membre de la Cour des comptes et sur le prononcé éventuel d’une sanction. En revanche, l’objet du présent recours, introduit conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, concerne la question du recouvrement de sommes indûment versées et tenant à l’annulation de la décision attaquée.

D’autre part, la charge de la preuve dans la procédure devant la Cour et dans celle devant le Tribunal est différente. Dans le présent recours, la charge de la preuve pèse sur le requérant pour démontrer, concernant chaque demande de remboursement, qu’il a encouru les frais en cause dans le respect des règles applicables.

En outre, le Tribunal constate que, dans l’arrêt Cour des comptes/Pinxten, la Cour a juridiquement apprécié chacune des activités du requérant considérées par la Cour des comptes comme étant irrégulières. Elle a conclu, pour partie, à leur régularité ou à l’absence de leur irrégularité manifeste et, pour partie, à leur irrégularité ou à leur irrégularité manifeste.

Toutefois, au vu du caractère distinct de l’objet des deux recours, de la nature différente de la charge de la preuve, ainsi que du fait que, en l’espèce, certaines pièces de procédure n’ont été déposées qu’après le prononcé de l’arrêt Cour des comptes/Pinxten, les parties ont pu présenter dans la présente procédure des éclaircissements, des arguments et des éléments de preuve nouveaux.

Ainsi, le Tribunal procède à l’appréciation de chaque activité du requérant liée aux demandes de remboursement en cause, à la lumière des arguments et des explications présentés par les parties devant lui, pour déterminer s’il convient ou non de retenir la même appréciation que celle dans l’arrêt Cour des comptes/Pinxten.

Plus particulièrement, le Tribunal considère comme dépourvus de rattachement avec l’exercice des fonctions du requérant en tant que membre de la Cour des comptes des frais se rapportant aux rencontres avec des responsables politiques, membres d’un parti politique au niveau national. Il conclut à leur irrégularité, se référant notamment au contexte spécifique de telles rencontres ressortant du rapport de l’OLAF. Par conséquent, le Tribunal rejette le recours en ce qui concerne ces frais.

En revanche, le Tribunal annule la décision attaquée en ce qu’elle ordonne le recouvrement de certaines demandes de remboursement de frais, pour un montant total de 16 084,01 euros. En effet, il conclut que ces frais ne sont entachés d’aucune irrégularité.

Au vu de l’ensemble de ces considérations et après avoir rejeté les autres moyens du recours, portant notamment sur l’irrégularité de l’enquête menée par l’OLAF et sur la violation de l’obligation de motivation, le Tribunal annule la décision attaquée en ce qu’elle porte sur un montant de 19 254,2 euros et précise les intérêts moratoires à payer sur ce montant. Par ailleurs, le Tribunal rejette la demande indemnitaire tirée du préjudice moral prétendument subi par le requérant.

{1} Sur le fondement des articles 263 et 268 TFUE.

{2} Au sens de l’article 286, paragraphe 6, TFUE.

{3} Plus précisément, aux termes de l’article 98, paragraphe 2, second alinéa, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1) : « l’ordonnateur envoie la note de débit immédiatement après la constatation de la créance et au plus tard dans un délai de cinq ans à compter du moment où l’institution de l’Union était, dans des circonstances normales, en mesure de faire valoir sa créance. Ce délai ne s’applique pas dans le cas où l’ordonnateur compétent établit que, malgré les diligences entreprises par l’institution de l’Union, le retard à agir incombe au comportement du débiteur ».

{4} Arrêt du 30 septembre 2021, Cour des comptes/Pinxten (C 130/19, EU:C:2021:782).

Arrêt du 11 septembre 2024, CQ / Cour des comptes (T-386/19) (cf. points 92-100, 137, 157, 161)

160. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Gel des fonds - Obligations de déclaration des fonds et de coopération avec les autorités nationales compétentes - Notions d'appartenance, de possession, de détention ou de contrôle des fonds - Notions suffisamment claires et précises - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques

Dans son arrêt, le Tribunal, réuni en grande chambre, confirme la compétence du Conseil de l’Union européenne pour adopter des obligations de déclaration des fonds et de coopération avec les autorités nationales compétentes par les personnes visées par des mesures restrictives, d’une part, et pour assimiler le non-respect de ces obligations à un contournement des mesures de gel de fonds, d’autre part.

Cet arrêt s’inscrit dans le contexte d’une série de mesures restrictives adoptées par l’Union européenne à la suite des opérations de guerre perpétrées par la Fédération de Russie contre l’Ukraine depuis mars 2014. En 2022, les noms des MM. Fridman et Khan, de nationalités russe et israélienne, et de M. Aven, de nationalités russe et lettone, ont été ajoutés sur les listes des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives qui figurent à l’annexe de la décision 2014/145{1} et à l’annexe I du règlement no 269/2014{2}.

En l’espèce, ces derniers demandent au Tribunal l’annulation de l’article 9, paragraphes 2 et 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié par l’article 1er, point 4 du règlement 2022/1273{3}, lesquels prévoient respectivement des obligations de déclaration des fonds et de coopération avec les autorités compétentes à cet égard, et l’assimilation du non-respect de ces obligations à un contournement des mesures de gel des fonds.

Selon les requérants, le Conseil ne peut imposer des obligations positives aux personnes sanctionnées sur le fondement de l’article 215 TFUE. De plus, l’obligation de révéler la consistance de leur patrimoine serait une forme de sanction et non une « mesure restrictive » au sens de cette disposition. En outre, ces obligations seraient attentatoires à la vie privée, excessives et incertaines, car reposant sur des termes vagues et non définis. Elles auraient également une portée extraterritoriale. Par ailleurs, en adoptant les dispositions attaquées, alors qu’il savait que 25 des 27 États membres réprimaient pénalement le contournement de sanctions, le Conseil se serait érigé en législateur pénal, alors que cette compétence relève des États membres.

Le Tribunal rejette le recours.

Appréciation du Tribunal

À titre liminaire, le Tribunal examine la recevabilité du recours et, plus particulièrement, la qualité pour agir des requérants ainsi que leur intérêt à voir annuler l’acte attaqué.

Dans ce cadre, d’une part, le Tribunal constate que les dispositions attaquées affectent directement les requérants, dès lors qu’elles produisent directement des effets sur leur situation juridique. En effet, les obligations de déclaration et de coopération, ainsi que les effets de leur non-respect, s’appliquent aux requérants en tant que personnes inscrites sur la liste figurant en annexe I du règlement no 269/2014 au moment de l’entrée en vigueur desdites dispositions. En outre, l’application de ces dispositions à l’égard des requérants ne nécessite l’adoption d’aucune mesure d’exécution et ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, de sorte qu’elles affectent de façon purement automatique la situation juridique des requérants.

D’autre part, le Tribunal précise que, indépendamment du fait que les requérants ou d’autres personnes aient ou non déclaré ou gelé les fonds ou ressources économiques en cause et, le cas échéant, coopéré avec les autorités compétentes, ou que lesdits fonds ou ressources économiques aient ou non été gelés, les requérants conservent un intérêt à obtenir l’annulation des dispositions attaquées, qui leur imposent des obligations de déclaration et de coopération dont le non-respect peut entraîner de lourdes conséquences. En effet, l’intérêt à agir ne disparaît pas au motif que la partie requérante a exécuté les obligations qu’elle conteste. Par conséquent, l’intérêt à agir des requérants reste établi sans qu’ils aient à démontrer qu’ils ont enfreint leurs obligations.

En outre, respecter l’obligation de déclaration n’entraîne pas l’extinction de toutes les obligations prescrites par les dispositions attaquées. En effet, une fois les fonds ou ressources économiques déclarés auprès de l’autorité nationale compétente, l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014 oblige les personnes qui ont fait cette déclaration à coopérer avec cette autorité nationale aux fins de toute vérification. Il en résulte que les requérants conservent un intérêt né et actuel à agir à l’encontre de cette disposition.

Quant au fond, en premier lieu, s’agissant de la compétence du Conseil pour adopter les dispositions litigieuses sur la base de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le Tribunal relève, tout d’abord, que les dispositions attaquées ont été instituées pour garantir l’application uniforme du règlement no 269/2014 sur le territoire de l’Union et mettre en échec les stratégies de contournement des mesures restrictives, rendues possibles, notamment, par le recours à des systèmes juridiques et financiers complexes. Elles constituent ainsi non pas des mesures restrictives en tant que telles, mais des mesures qui assurent la mise en œuvre efficace et uniforme de mesures restrictives prévues par la décision 2014/145. Dès lors, les dispositions attaquées ont été adoptées à bon droit sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE.

Ensuite, concernant la violation alléguée du droit à la vie privée, le Tribunal indique, premièrement, que les obligations en cause sont « prévues par la loi », puisqu’elles sont énoncées dans le règlement 2022/1273, disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union, à savoir l’article 215 TFUE, ainsi que d’une prévisibilité suffisante. Deuxièmement, ces obligations ne portent pas atteinte au contenu essentiel du droit à la vie privée dans la mesure où elles sont limitées aux fonds ou ressources économiques relevant de la juridiction d’un État membre et s’imposent aux requérants au motif que leurs noms figurent dans l’annexe I du règlement no 269/2014. Troisièmement, l’objectif desdites obligations est de permettre l’identification des fonds et ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par les personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives et, ce faisant, de mettre en œuvre de façon efficace et uniforme lesdites mesures, ce qui constitue un objectif qui s’inscrit dans le cadre de l’objectif plus général des mesures restrictives. Or, l’importance des objectifs ainsi poursuivis est de nature à justifier des conséquences négatives tenant à l’ingérence dans le droit à la vie privée alléguée par les requérants. Quatrièmement, s’agissant du caractère approprié et nécessaire des obligations en cause, de nouvelles modalités de mise en œuvre des mesures restrictives ont été justifiées par la nécessité d’assurer l’efficacité et l’application uniforme du régime de mesures restrictives concernant la situation en Ukraine, notamment au vu des contournements de celles-ci résultant de la mise en place de systèmes d’une complexité croissante.

Enfin, en ce qui concerne l’allégation selon laquelle les obligations contestées violent le principe de sécurité juridique au motif qu’elles reposent sur des termes vagues et non définis, le Tribunal considère que la référence faite par l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014 aux notions d’« appartenance », de « possession », de « détention » ou de « contrôle » des fonds ou des ressources économiques fait apparaître de manière suffisamment claire et compréhensible ce que recouvrent de telles notions, de sorte à permettre aux personnes visées de se conformer à l’obligation de déclaration. Par ailleurs, il résulte de cette disposition que les actifs ne relevant pas de la juridiction d’un État membre ne sont pas visés par lesdites obligations. En outre, s’agissant des personnes se trouvant hors de l’Union, seuls leurs avoirs situés sur le territoire de l’Union sont visés, ce qui constitue un lien de rattachement suffisant à l’Union. Dès lors, l’argument tiré de la portée extraterritoriale des obligations en cause doit être écarté.

En second lieu, le Tribunal se prononce sur l’argumentation des requérants selon laquelle, en adoptant les dispositions attaquées, le Conseil se serait érigé en législateur pénal. À cet égard, il indique que, même si le Conseil était conscient que le contournement de sanctions était réprimé pénalement dans l’ensemble des États membres à l’exception de deux d’entre eux, il ne saurait en être déduit que, par l’adoption des dispositions attaquées, cette institution aurait contraint les États membres à réprimer pénalement le contournement des gels de fonds. En effet, le fait que, dans les États membres qui réprimaient déjà pénalement le contournement de mesures restrictives, les sanctions appliquées en cas de violations des deux obligations en cause soient, par voie de conséquence, également pénales, découle non pas des dispositions attaquées, mais du choix des États membres en matière de sanction.

Ce constat n’est pas modifié par une lecture conjointe des articles 9 et 15 du règlement no 269/2014. En effet, il résulte de l’article 15, paragraphe 1, dudit règlement que ce sont les États membres qui arrêtent le régime des sanctions à appliquer en cas d’infractions aux dispositions dudit règlement. Par conséquent, en cas de non-respect des obligations en cause, qualifié de contournement des mesures restrictives, la détermination du régime des sanctions, y compris leur nature, pénale ou non, demeure de la compétence des États membres.

Enfin, ce constat n’est pas davantage modifié par l’adoption, le 28 novembre 2022, de la décision 2022/2332 ou par celle, le 2 décembre 2022, par la Commission, de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la définition des infractions pénales et des sanctions applicables en cas de violation des mesures restrictives de l’Union . Le Tribunal relève sur ce point que cette approche législative tendant à l’harmonisation du droit pénal des États membres se distingue précisément de celle du règlement 2022/1273, fondé sur l’article 215, paragraphe 2, TFUE, qui ne vise qu’à assurer la mise en œuvre efficace et uniforme du règlement no 269/2014. En effet, à la différence d’une directive, définissant les infractions et sanctions pénales en cas de contournement des mesures restrictives, adoptée sur le fondement de l’article 83, paragraphe 1, TFUE, qui lierait les États membres destinataires quant au résultat à atteindre en matière pénale, le régime de sanctions prévues à l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 laisse aux États membres une liberté de choix en ce qui concerne la nature pénale, administrative ou civile, des sanctions à adopter en cas de violation de l’interdiction de contournement des mesures restrictives.

{1} Décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16). Les noms des requérants ont été ajoutés à l’annexe de cette décision sur la base de la décision (PESC) 2022/337 du Conseil, du 28 février 2022, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 59, p. 1), en ce qui concerne MM. Aven et Fridman, et sur la base de la décision (PESC) 2022/429 du Conseil, du 15 mars 2022, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 87I, p. 44), en ce qui concerne M. Khan.

{2} Règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6). Les noms des requérants ont été ajoutés à l’annexe de ce règlement sur la base du règlement d’exécution (UE) 2022/336 du Conseil, du 28 février 2022, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 58, p. 1), en ce qui concerne MM. Aven et Fridman, et sur la base du règlement d’exécution (UE) 2022/427 du Conseil, du 15 mars 2022, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 87I, p. 1), en ce qui concerne M. Khan

{3} Règlement (UE) 2022/1273 du Conseil, du 21 juillet 2022, modifiant le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 194, p. 1).

Arrêt du 11 septembre 2024, Fridman e.a. / Conseil (T-635/22) (cf. points 78-91)

Dans cet arrêt, le Tribunal, réuni en grande chambre, confirme la compétence du Conseil de l’Union européenne pour adopter des obligations de déclaration des fonds et de coopération avec les autorités nationales compétentes par les personnes visées par des mesures restrictives, d’une part, et pour assimiler le non-respect de ces obligations à un contournement des mesures de gel de fonds, d’autre part.

Cet arrêt s’inscrit dans le contexte d’une série de mesures restrictives adoptées par l’Union européenne à la suite des opérations de guerre perpétrées par la Fédération de Russie contre l’Ukraine depuis mars 2014. En 2022, M. Timchenko, un homme d’affaires de nationalité russe et finlandaise, et son épouse, ont été inscrits sur les listes des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives qui figurent à l’annexe de la décision 2014/145{1} et à l’annexe I du règlement no 269/2014{2}.

En l’espèce, ils demandent au Tribunal l’annulation de l’article 9, paragraphes 2 et 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié par l’article 1er, point 4, du règlement 2022/1273{3}. Ces paragraphes prévoient respectivement des obligations de déclaration des fonds et de coopération avec les autorités nationales compétentes, ainsi que l’assimilation du non-respect de ces obligations à la participation à un contournement des mesures de gel des fonds.

Selon les requérants, en adoptant ces dispositions, le Conseil aurait excédé les compétences qui lui étaient dévolues en vertu de l’article 215, paragraphe 2, TFUE et se serait substitué aux États membres pour décider de la manière selon laquelle les mesures restrictives seraient mises en œuvre et sanctionnées sur le territoire des États membres. Ils font également valoir que cette obligation de déclaration enfreint le principe de sécurité juridique en ce qu’elle est fondée sur des notions imprécises.

Le Tribunal rejette le recours.

Appréciation du Tribunal

En premier lieu, s’agissant de la compétence du Conseil pour adopter les dispositions litigieuses sur la base de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le Tribunal rappelle, d’une part, que, en vertu des articles 24 et 29 TUE, le Conseil définit, dans les décisions prises à l’unanimité en matière de PESC, l’objet des mesures restrictives que l’Union adopte dans ce domaine, en disposant d’une grande latitude. L’article 215 TFUE, quant à lui, permet au Conseil d’adopter des règlements pour mettre en œuvre ou donner effet à des mesures restrictives et pour garantir l’application uniforme de celles-ci dans tous les États membres. De telles mesures ne sont pas limitées à des obligations de ne pas faire.

Ainsi, les décisions adoptées sur le fondement de l’article 29 TUE arrêtent la position de l’Union en ce qui concerne les mesures restrictives à adopter, tandis que les règlements pris sur la base de l’article 215 TFUE se rattachent auxdites décisions et constituent l’instrument pour leur donner effet à l’échelle de l’Union.

En l’espèce, les obligations de déclaration et de coopération prévues à l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, ont été instituées pour garantir l’application uniforme de ce règlement sur le territoire de l’Union et mettre en échec les stratégies de contournement des mesures restrictives, rendues possibles, notamment, par le recours à des systèmes juridiques et financiers complexes. Par conséquent, elles sont de nature à assurer la mise en œuvre efficace et uniforme des mesures restrictives de gel des fonds prévues par la décision 2014/145, à laquelle elles sont rattachées.

Pour ces raisons, le Conseil pouvait, sur la base de l’article 215, paragraphe 2, TFUE et sans violer l’article 29 TUE, adopter de telles obligations par un règlement de l’Union, indépendamment du fait que ces obligations n’étaient pas expressément prévues dans la décision s’y rapportant.

D’autre part, le Tribunal considère que tant l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié, que l’article 15, paragraphe 1, de ce règlement, tel que modifié par le règlement 2022/880{4}, pouvaient être adoptés par le Conseil sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE et qu’il ne saurait ainsi être reproché au Conseil de s’être indûment substitué aux États membres dans l’exercice de leur compétence législative. Ces dispositions ne sauraient être considérées comme constituant une incrimination de nature pénale et, partant, comme ayant été adoptées en violation de l’article 83 TFUE.

En effet, la qualification de participation à des activités de contournement ne saurait, en tant que telle, être considérée comme constituant une incrimination de nature pénale. En outre, la formulation de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 269/2014, tel que modifié, tout comme la dernière phrase du cinquième considérant du règlement 2022/880 impliquent que la détermination de la nature civile, administrative ou pénale des sanctions applicables aux infractions au règlement no 269/2014 ressort de la compétence conférée aux États membres, y compris en cas d’application de la sanction de confiscation du produit des infractions.

Le régime juridique applicable aux obligations de déclaration et de coopération ainsi qu’aux sanctions prévues en cas d’infraction à ces obligations ne relevant pas de la matière pénale, de sorte que l’article 83 TFUE n’a pas été violé, le Conseil n’a pas non plus violé l’article 40 TUE.

En deuxième lieu, le Tribunal précise la notion de mesures restrictives en la différenciant de celle de sanction de confiscation du produit des infractions en cas de non-respect des obligations de déclaration et de coopération prévue par l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 269/2014. En effet, une telle sanction s’applique seulement aux « produits [des] infractions » tandis que l’objet des mesures restrictives, qui conservent leur caractère conservatoire et temporaire, porte sur les fonds et ressources économiques tels que déterminés par l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 269/2014. Partant, les sanctions assortissant le contournement mentionné à l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié, ne modifient pas la nature des mesures restrictives.

En troisième lieu, s’agissant de la précision des notions utilisées pour fonder l’obligation de déclaration en cause, le Tribunal rappelle que le principe de sécurité juridique implique que la législation de l’Union soit claire et précise et que son application soit prévisible pour tous ceux qui sont concernés.

En l’occurrence, les termes utilisés par l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, renvoient aux notions d’« appartenance », de « possession », de « détention » ou de « contrôle », lesquelles constituent des notions autonomes du droit de l’Union, qui doivent dès lors être interprétées de manière uniforme sur le territoire de cette dernière, en tenant compte du libellé et du contexte de ladite disposition ainsi que des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie.

À cet égard, lors de l’adoption de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, l’objectif du Conseil était d’exercer sur les personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives une pression qui se répercute sur les autorités russes et qui vise, notamment, à accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. Dans ce contexte, il y a lieu de considérer que, par l’emploi des notions d’« appartenance », de « possession », de « détention » ou de « contrôle », le Conseil a désigné le droit de disposer ou de faire usage des fonds ou ressources économiques, tels que définis à l’article 1er, sous d) et g), du règlement no 269/2014.

Ces notions ne souffrent ainsi d’aucune ambigüité susceptible de caractériser l’existence d’une incertitude juridique quant à leur portée ou à leur sens pour les personnes faisant l’objet de mesures de gel des fonds. À cet égard, le fait que le Conseil ait organisé une conférence ou ait eu recours à un guide des bonnes pratiques destiné aux autorités nationales, aux fins de préciser les notions utilisées dans le domaine des mesures restrictives, n’est pas en soi de nature à caractériser l’existence d’une telle incertitude juridique.

{1} Décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16), telle que modifiée par la décision (PESC) 2022/337 du Conseil, du 28 février 2022 (JO 2022, L 59, p. 1), et par la décision (PESC) 2022/582 du Conseil, du 8 avril 2022 (JO 2022, L 110, p. 55).

{2} Règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6), tel que modifié par le règlement d’exécution (UE) 2022/336 du Conseil, du 28 février 2022 (JO 2022, L 58, p. 1), et par le règlement d’exécution (UE) 2022/581 du Conseil, du 8 avril 2022 (JO 2022, L 110, p. 3).

{3} Règlement (UE) 2022/1273 du Conseil, du 21 juillet 2022, modifiant le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 194, p. 1).

{4} Règlement (UE) 2022/880 du Conseil, du 3 juin 2022, modifiant le règlement no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 153, p. 75). L’article 15, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 prévoit désormais que « [l]es États membres arrêtent le régime des sanctions, y compris des sanctions pénales le cas échéant, à appliquer en cas d’infractions aux dispositions du présent règlement et prennent toutes les mesures nécessaires pour en garantir la mise en œuvre. » Il ajoute que « [l]es États membres prévoient également des mesures appropriées de confiscation des produits de ces infractions ».

Arrêt du 11 septembre 2024, Timchenko et Timchenko / Conseil (T-644/22) (cf. points 114, 117-122)

161. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives à l'encontre de la Biélorussie - Gel des fonds de certaines personnes et entités au regard de la situation en Biélorussie - Portée du contrôle - Contrôle restreint pour les règles générales - Critères d'adoption des mesures restrictives - Profit tiré du régime de Loukachenko ou soutien de celui-ci - Portée - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques

Dans son arrêt, le Tribunal rejette le recours en annulation introduit par Belaruskali AAT contre les actes par lesquels cette société a été inscrite en 2022{1} puis maintenue en 2023{2} par le Conseil de l’Union européenne sur la liste des personnes et entités visées par des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie. Il apporte des éclaircissements à la jurisprudence concernant l’analyse de la légalité et de la proportionnalité des mesures restrictives de nature individuelle.

Cet arrêt s’inscrit dans le contexte d’une série de mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis 2004 en raison de la situation en Biélorussie en ce qui concerne la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme, et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe de l’Ukraine. La requérante, l’unique producteur d’engrais potassiques en Biélorussie et l’un des plus grands producteurs au monde, a vu ses fonds et ressources économiques gelés, aux motifs qu’elle tirait profit du régime du président Loukachenko, le soutenait{3}, et qu’elle était responsable de la répression exercée contre la société civile{4}.

Appréciation du Tribunal

S’agissant du moyen tiré d’une erreur d’appréciation, le Tribunal considère, en premier lieu, que c’est sans commettre d’erreur que le Conseil a estimé, lors de l’adoption des actes initiaux, que la requérante soutenait le régime et en tirait profit au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642.

En effet, le Conseil n’a pas commis d’erreur en considérant que la requérante était une entreprise publique et l’un des plus gros producteurs de potasse au monde, qui fournissait 20 % des exportations mondiales de potasse, et qui, en tant que tel, était l’une des principales sources de revenus et de devises étrangères pour le régime de Loukachenko.

À cet égard, le Tribunal relève, notamment, que la totalité du capital de la requérante est détenue par la République de Biélorussie, que son directeur général est nommé par le président Loukachenko et que la requérante a réalisé, en 2019, un bénéfice net de plus de 4,797 milliards de roubles biélorusses (BYN) (environ 1,8 milliard d’euros). En outre, celle-ci verse des dividendes à l’État, qui est son unique actionnaire, et elle a payé, en plus de l’impôt, des contributions obligatoires au fonds budgétaire cible de l’État pour le développement national, ce qui suffit à établir l’existence d’un soutien financier.

Le Tribunal observe également que, sous le régime de Loukachenko, l’économie biélorusse se caractérise par le contrôle exercé par le régime tant sur le secteur public que sur le secteur privé et par un système qui récompense la loyauté envers le régime. Ainsi, ces éléments de preuve ainsi que l’existence d’un monopole exercé par la requérante, en tant qu’entreprise d’État, sur un marché aussi important du point de vue de l’ensemble de l’économie biélorusse que celui des engrais potassiques a permis au Conseil de conclure que la requérante tirait profit du régime de Loukachenko.

En second lieu, le Tribunal considère que c’est sans commettre d’erreur que le Conseil a estimé, lors de l’adoption des actes initiaux, que les mesures d’intimidation et les licenciements des employés de la requérante ayant pris part aux grèves et aux manifestations pacifiques à la suite du scrutin présidentiel du mois d’août 2020 constituaient des éléments suffisants pour considérer que la requérante réprimait la société civile en Biélorussie et soutenait le régime de Loukachenko au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a) de la décision 2012/642.

Premièrement, s’agissant des mesures d’intimidations de ses employés, le Tribunal note, d’une part, que l’ampleur des licenciements, liés à la participation des employés à une grève pacifique, a raisonnablement engendré un climat de peur parmi ces derniers. En ce sens, la requérante a utilisé le licenciement comme un outil pour dissuader ses employés de participer à toute forme de contestation.

D’autre part, la participation à la grève a entraîné de nombreux cas de violences et de détentions d’employés de la requérante par les autorités publiques. Or, compte tenu des liens étroits de la requérante avec le régime de Loukachenko, l’on ne peut douter de leur engagement conjoint dans ces actes répressifs.

Par ailleurs, la déclaration du président Loukachenko, selon laquelle les manifestants pourraient être remplacés par des mineurs ukrainiens, s’inscrit dans une dynamique de menace et d’intimidation de la part des autorités publiques. Elle révèle en effet une attitude de mépris du président Loukachenko envers le droit de grève et les préoccupations des employés de la requérante.

Deuxièmement, s’agissant des licenciements des employés à la suite du début de la grève, le Tribunal relève, d’une part, que l’application stricte de la loi biélorusse ne saurait justifier toutes les formes de répression contre des employés exprimant leurs opinions politiques. En effet, l’hypothèse selon laquelle la conformité avec une loi nationale d’une action spécifique permettrait d’écarter, pour ce seul motif, la possibilité d’une inscription sur les listes en cause impliquerait que les critères d’inscription soient vidés de leur sens, puisque cela anéantirait la large marge d’appréciation du Conseil à cet égard.

D’autre part, ces actions témoignent manifestement d’une volonté délibérée de sanctionner les employés pour leur participation à des activités exprimant leur opposition au président Loukachenko.

S’agissant du moyen tiré d’une violation du principe de légalité et de proportionnalité par les actes initiaux, le Tribunal constate, tout d’abord, que l’approche du Conseil consistant à cibler des personnes, des entités et des organismes dont les actes ou les activités contribuent à la répression exercée à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique répond, de manière cohérente, à l’objectif poursuivi par les actes initiaux{5}. En tout état de cause, elle ne peut être considérée comme illégale au regard de celui-ci.

En ce qui concerne ensuite le caractère approprié des actes initiaux, le Tribunal écarte l’argument de la requérante selon lequel ces actes l’ont totalement empêchée d’exporter de la potasse. En effet, ni les actes initiaux ni les mesures restrictives sectorielles n’interdisent l’exportation de potasse biélorusse vers des pays tiers.

En outre, la requérante se méprend en affirmant que les actes initiaux, qui ont été adoptés postérieurement aux mesures restrictives sectorielles et qui consistent à geler ses fonds, ont empêché l’exportation ou le transfert de potasse au sein de l’Union{6}.

De plus, le Tribunal constate que la requérante ne démontre ni que les actes initiaux ont porté une atteinte disproportionnée à sa liberté d’entreprise et à la société biélorusse ni qu’ils portaient atteinte à la sécurité alimentaire mondiale. Sur ce point, le Tribunal souligne que les éléments de preuve soulevés par la requérante ne concernent pas les actes initiaux, imposant le gel des fonds, mais se rapportent principalement aux échanges d’engrais, y compris d’engrais potassiques, sur le marché mondial. Par ailleurs, bien que ces documents fassent référence à la crise alimentaire mondiale, ils ne concernent pas l’incidence des actes initiaux sur cette crise alimentaire mondiale.

Enfin, le Tribunal écarte l’argument de la requérante selon lequel le Conseil aurait pu retenir des mesures de remplacement moins restrictives pour atténuer l’impact de l’inscription sur les listes en cause. En effet, elle proposait, d’une part, que soient établies des conditions pour que les autorités nationales des États membres puissent accorder des autorisations à des personnes et des opérateurs de l’Union, afin de pouvoir opérer des transactions avec elle concernant l’importation, l’achat, le transfert d’engrais potassiques et la fourniture de services financiers associés et, d’autre part, l’établissement de quotas de fourniture de ces engrais à l’Union.

Toutefois, cette argumentation ne se rapporte en réalité pas aux actes initiaux de portée individuelle, mais aux mesures restrictives sectorielles de portée générale.

Au demeurant, d’une part, cette argumentation ne démontre pas que la requérante est totalement empêchée d’exporter ses produits. En effet, il n’est pas exclu qu’elle puisse transporter ses produits vers les ports d’autres pays en dehors de l’Union.

D’autre part, les mesures de remplacement proposées concernent les possibilités d’exporter des engrais potassiques vers l’Union et, dès lors, elles ne permettraient pas d’atteindre efficacement les objectifs poursuivis.

{1} Décision d’exécution (PESC) 2022/881 du Conseil, du 3 juin 2022, mettant en œuvre la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2022, L 153, p. 77), et règlement d’exécution (UE) 2022/876 du Conseil, du 3 juin 2022, mettant en œuvre l’article 8 bis, paragraphe 1, du règlement (CE) nº 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2022, L 153, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »).

{2} Décision (PESC) 2023/421 du Conseil, du 24 février 2023, modifiant la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2023, L 61, p. 41), et règlement d’exécution (UE) 2023/419 du Conseil, du 24 février 2023, mettant en œuvre l’article 8 bis du règlement (CE) nº 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2023, L 61, p. 20).

{3} Voir article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642/PESC du Conseil, du 15 octobre 2012, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2012, L 285, p. 1), et article 2, paragraphes 1 et 5, du règlement nº 765/2006, tel que modifié par le règlement (UE) nº 1014/2012 du Conseil du 6 novembre 2012 (JO 2012, L 307, p. 1).

{4} Voir article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2012/642, et article 2, paragraphe 4, du règlement nº 765/2006.

{5} Il ressort du considérant 6 de la décision 2012/642 que, en ce qui concerne les personnes et les entités qui tirent profit du régime de Loukachenko ou le soutiennent, l’objectif est de cibler toute personne ou entité qui tire profit du régime de Loukachenko ou le soutient, en particulier, mais pas exclusivement, les personnes ou entités le soutenant matériellement ou financièrement.

{6} Ce sont les articles 2 octies de la décision 2012/642 et 1 octies du règlement nº 765/2006, introduits par la décision (PESC) 2021/1031 du Conseil, du 24 juin 2021, modifiant la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2021, L 224 I, p. 15) et le règlement (UE) 2021/1030 du Conseil, du 24 juin 2021, modifiant le règlement (CE) nº 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2021, L 224 I, p. 1), qui prévoient expressément que l’achat, l’importation ou le transfert de produits à base de potasse en provenance de Biélorussie sont interdits.

Arrêt du 18 septembre 2024, Belaruskali / Conseil (T-528/22) (cf. points 49, 51-53, 62, 63, 65)

162. Parlement européen - Réglementation concernant les frais et indemnités des députés du Parlement européen - Statut unique des députés européens - Décision de la direction générale des finances du Parlement européen concernant la modification du montant des pensions des anciens députés européens - Principe de sécurité juridique - Violation - Absence

Voir texte de la décision.

Arrêt du 19 septembre 2024, Coppo Gavazzi e.a. / Parlement (C-725/20 P) (cf. points 123-128)

Arrêt du 19 septembre 2024, Santini e.a. / Parlement (C-198/21 P) (cf. points 131-136)

163. Actes des institutions - Application dans le temps - Règles de procédure - Règles de fond - Distinction - Directives de l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) - Application des directives en vigueur à la date des faits en cause - Absence - Violation du principe de sécurité juridique

Dans cet arrêt, le Tribunal interprète, pour la première fois, la notion de « professionnel hautement qualifié » figurant à l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001{1}, aux fins de l’inscription d’une personne sur la liste des mandataires agréés en droit des marques.

Le 10 octobre 2019, Mme Kirimova, une ressortissante de la République d’Azerbaïdjan, a présenté à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) une demande d’inscription sur la liste des mandataires agréés auprès de cet office, en sollicitant également une dérogation à l’exigence d’être ressortissante de l’un des États membres de l’Espace économique européen (EEE), sur la base de l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001.

L’EUIPO a informé la requérante par courrier que sa demande était irrecevable. En réponse à ce courrier, la requérante a présenté des observations. Par décision du 30 septembre 2020 (ci-après la « décision attaquée »), le directeur exécutif de l’EUIPO a rejeté la demande de la requérante.

Appréciations du Tribunal

En premier lieu, le Tribunal observe que la notion de « professionnel hautement qualifié » n’est définie dans aucun règlement et interprète cette notion en tenant compte du libellé de la disposition dans laquelle elle figure, du contexte dans lequel elle s’inscrit et des objectifs poursuivis par la règlementation dont elle fait partie.

S’agissant du libellé et du contexte de la disposition en cause, le Tribunal relève, d’une part, que la notion de « professionnel hautement qualifié » au sens de l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001 vise un spécialiste ayant des qualités, des compétences, des aptitudes ou des connaissances particulièrement élevées en matière de marques et n’apparaît pas impliquer de restriction quant aux modalités d’acquisition de celles-ci. D’autre part, il ressort de ladite disposition que les trois exigences pour l’inscription d’une personne sur la liste des mandataires agréés prévues à l’article 120, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, à savoir les exigences de nationalité, de domicile et d’habilitation, ont non seulement un caractère cumulatif, mais également un caractère autonome. En effet, l’exigence d’habilitation doit être remplie tant par les personnes physiques qui satisfont à l’exigence de nationalité que par les personnes physiques qui demandent une dérogation à cette dernière en raison de leur statut de « professionnel hautement qualifié ». Il apparaît donc que ce statut est indépendant et additionnel par rapport à l’exigence d’habilitation et qu’il ne présente pas de lien avec les conditions requises pour satisfaire à ladite exigence. Ainsi, les qualités, les compétences, les aptitudes ou les connaissances permettant de démontrer le statut de « professionnel hautement qualifié » peuvent avoir été acquises par le non-ressortissant de l’EEE tant dans un État membre de l’EEE que dans un pays tiers, avant ou après l’obtention de l’habilitation dans l’EEE.

S’agissant des objectifs poursuivis par les règles en matière de représentation devant l’EUIPO, à savoir garantir un fonctionnement efficace, efficient et sans heurts du système de la marque de l’Union européenne{2}, le Tribunal note que la poursuite de tels objectifs ne présuppose pas que le statut de « professionnel hautement qualifié » soit subordonné à une certaine expérience professionnelle dans un État membre donné. Il apparaît au contraire indifférent que les qualités, les compétences, les aptitudes ou les connaissances particulièrement élevées du spécialiste demandant la dérogation aient été acquises dans un État membre donné plutôt que dans un autre, voire dans un pays tiers, dès lors qu’un demandeur n’ayant pas la nationalité d’un État membre de l’EEE doit également remplir les exigences de domicile et d’habilitation qui requièrent un lien avec un État membre de l’EEE.

Ainsi, l’exigence tenant à la nécessité d’une expérience professionnelle dans l’État membre d’habilitation appliquée par le directeur exécutif dans la décision attaquée procède d’une interprétation excessivement restrictive et incorrecte de la notion de « professionnel hautement qualifié ». En effet, aucun des critères d’interprétation ne permet d’inférer que ce statut exige comme condition nécessaire une expérience professionnelle dans l’État membre d’habilitation.

En second lieu, le Tribunal examine le respect par le directeur exécutif du principe de sécurité juridique lors de son évaluation de la demande de la requérante. Tout d’abord, il souligne que ce dernier doit se conformer aux règles de conduite figurant dans les directives de l’EUIPO pour l’application de l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001, et respecter les principes gouvernant l’application de ces règles dans le temps, conformément au principe de sécurité juridique. Cela étant, il ne saurait néanmoins être exclu que le directeur exécutif puisse s’écarter de ces règles, en fournissant une motivation tenant compte du principe d’égalité de traitement, et qu’un demandeur démontre le statut de « professionnel hautement qualifié » sur la base d’éléments autres que ceux présentés dans les directives de l’EUIPO.

Ensuite, le Tribunal relève que les directives de l’EUIPO de 2020 énoncent des éléments d’évaluation des demandes de dérogation à la condition de nationalité qui ne figuraient pas dans les directives de l’EUIPO de 2017 et présentent donc une pratique nouvelle, et plus restrictive, du directeur exécutif à cet égard. Ces différences sont susceptibles d’avoir un impact considérable tant sur l’évaluation par le directeur exécutif d’une demande de dérogation que sur le contenu d’une telle demande, étant donné que les indications figurant dans les directives de l’EUIPO permettent aux demandeurs de prévoir sur la base de quels éléments une demande de dérogation pourra être évaluée. Ainsi, la démonstration qu’une personne a le statut de « professionnel hautement qualifié » à l’aune de « circonstances exceptionnelles » impliquant la satisfaction des exigences figurant dans les directives de l’EUIPO de 2020 a une portée manifestement différente de la démonstration de ce même statut à l’aune de « certaines circonstances » pertinentes au sens des directives de l’EUIPO de 2017.

Enfin, le Tribunal observe que, dans la décision attaquée, bien qu’il n’ait pas formellement explicité les directives de l’EUIPO appliquées, le directeur exécutif a examiné la demande de la requérante eu égard aux exigences et circonstances figurant dans les directives de l’EUIPO de 2020. Or, en vertu de la jurisprudence portant sur le principe de sécurité juridique, ce sont les règles de conduite en vigueur à la date des faits en cause, c’est-à-dire à la date de présentation de la demande de dérogation, qui doivent être appliquées lors de l’évaluation de celle-ci, et non les règles en vigueur à la date d’adoption de la décision attaquée. En l’espèce, à la date de la demande, les directives de l’EUIPO de 2020 n’avaient pas encore été adoptées, les directives en vigueur à ce moment étant celles de 2017.

Eu égard à ces considérations, le Tribunal conclut que le directeur exécutif a enfreint le principe de sécurité juridique en évaluant la demande de dérogation de la requérante à l’aune des règles de conduite figurant dans les directives de l’EUIPO de 2020, qui n’étaient pas en vigueur à la date de présentation de la demande.

{1} Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

{2} Ainsi que cela ressort du considérant 43 du règlement 2017/1001 et du considérant 18 du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil sur la marque de l’Union européenne, et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1).

Arrêt du 25 septembre 2024, Kirimova / EUIPO (T-727/20 RENV) (cf. points 46, 50, 62-66)

164. Concurrence - Répartition des compétences entre la Commission et les autorités nationales de concurrence - Communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence - Réattribution d'une affaire entre autorités de concurrence après le délai initial de deux mois prévu par ladite communication - Violation des principes de proportionnalité et de protection de la confiance légitime - Absence



Arrêt du 2 octobre 2024, Silgan Holdings e.a. / Commission (T-589/22) (cf. points 71-74, 85-89, 103, 104)

165. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Portée du contrôle - Contrôle restreint pour les règles générales - Critères d'adoption des mesures restrictives - Interdiction de fournir des services de conseil juridique au gouvernement russe ou à des personnes morales, des entités ou des organismes établis en Russie - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques

Réuni en grande chambre, le Tribunal confirme la légalité de l’interdiction, énoncée à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014{1}, de fournir, directement ou indirectement, des services de conseil juridique au gouvernement russe et aux personnes morales, entités et organismes établis en Russie (ci-après l’« interdiction litigieuse »). L’affaire traite de la question de savoir s’il existe un droit fondamental d’accès à un avocat, y compris dans des situations ne présentant aucun lien avec une procédure juridictionnelle. Le Tribunal précise notamment la portée du droit à un recours effectif, garanti à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), et du droit au secret professionnel, garanti à l’article 7 de la Charte. Le Tribunal rejette le recours sur le fond, sans statuer sur les fins de non-recevoir tirées, notamment, du défaut de qualité pour agir des requérants.

Cet arrêt s’inscrit dans le contexte d’une série de mesures restrictives adoptées par l’Union européenne à la suite de l’agression militaire perpétrée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022. À l’appui de leur recours en annulation contre les actes ayant introduit, puis maintenu{2}, l’interdiction litigieuse, les requérants, dont l’Ordre néerlandais des avocats du barreau de Bruxelles, soutenaient, notamment, que cette interdiction entraînait une violation du droit d’accès aux conseils juridiques d’un avocat, une ingérence dans le secret professionnel de l’avocat, ainsi qu’une ingérence dans l’indépendance de l’avocat.

Appréciation du Tribunal

En premier lieu, le Tribunal écarte le moyen tiré d’une violation du droit de s’adresser à un avocat pour obtenir des conseils juridiques.

Dans un premier temps, le Tribunal considère que la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter par un avocat, prévue, au titre du droit à un recours effectif et du droit à un procès équitable, par l’article 47 de la Charte, ne doit être reconnue que s’il existe un lien avec une procédure juridictionnelle. À cet égard, il rappelle que la Cour n’a reconnu la mission fondamentale des avocats dans un État de droit qu’en tant que ceux-ci concourent au bon fonctionnement de la justice et assurent la protection des intérêts du client. Dans un second temps, le Tribunal relève que la protection du secret professionnel consacrée par l’article 7 de la Charte est reconnue en l’absence d’un quelconque lien avec une procédure juridictionnelle. Toutefois, cette protection ne vise pas à garantir un droit fondamental d’accéder à un avocat et de bénéficier des conseils juridiques de celui-ci indépendamment de tout lien avec une procédure juridictionnelle, mais a uniquement pour finalité, au regard du droit au respect de la vie privée, de préserver la confidentialité de la correspondance entre l’avocat et son client.

Par conséquent, les protections garanties aux articles 7 et 47 de la Charte, pris isolément ou ensemble, ne sont pas de nature à fonder l’existence d’un droit fondamental pour toute personne d’accéder à un avocat et de bénéficier de ses conseils en dehors d’un contexte contentieux, actuel ou probable. Le droit fondamental d’accéder à un avocat et de bénéficier de ses conseils doit dès lors être reconnu uniquement s’il existe un lien avec une procédure juridictionnelle, qu’une telle procédure soit déjà ouverte ou qu’elle puisse être prévenue ou anticipée, sur la base d’éléments tangibles, à l’occasion de la phase d’évaluation par l’avocat de la situation juridique de son client.

En l’espèce, l’article 5 quindecies, paragraphes 5 et 6, du règlement no 833/2014 permet à un avocat de procéder à une évaluation préalable de la situation juridique des personnes morales, des entités ou des organismes établis en Russie qui le consultent, dans le but de déterminer si les conseils qui sont sollicités de sa part sont strictement nécessaires pour garantir l’accès, notamment, à une procédure juridictionnelle, afin de prévenir ou d’anticiper une telle procédure ou afin d’en assurer la bonne conduite si elle est déjà ouverte.

D’une part, le Tribunal en déduit que l’interdiction litigieuse ne méconnaît pas le droit de se faire conseiller, défendre et représenter par un avocat, tel que protégé par l’article 47 de la Charte. D’autre part, l’article 7 de la Charte ne garantissant pas un droit d’accéder à un avocat, que ce soit dans le cadre d’une procédure juridictionnelle ou dans un contexte non contentieux, l’interdiction litigieuse ne saurait être constitutive d’une ingérence dans un droit découlant de cet article.

En deuxième lieu, s’agissant du secret professionnel de l’avocat, le Tribunal relève que la divulgation par un avocat, notamment, de son identité ou de l’existence d’une consultation dont il a la charge, dès lors qu’elle est contrainte et intervient sans le consentement de son client, caractérise une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale, de son domicile et des communications de ce dernier, tel que garanti par l’article 7 de la Charte.

En l’occurrence, le Tribunal constate que si les dispositions d’exemption permettent aux autorités compétentes de lever l’interdiction litigieuse dans certaines situations précisément identifiées, elles laissent toutefois une marge d’appréciation aux autorités compétentes quant aux modalités selon lesquelles une demande d’exemption doit être formulée, déposée et traitée. Ainsi, à titre d’exemple, les dispositions d’exemption ne régissent pas l’identité de l’auteur de la demande présentée aux autorités nationales compétentes. De même, les dispositions litigieuses ne suggèrent pas que l’avocat soit tenu de partager avec les autorités compétentes, sans le consentement de son client, des informations relevant du secret professionnel garanti par l’article 7 de la Charte. S’agissant des informations nécessaires au traitement de la demande d’exemption, les dispositions d’exemption ne font pas non plus mention des éléments dont doit disposer l’autorité compétente pour mener son examen.

Pour autant, lorsqu’ils définissent les modalités de la mise en œuvre des procédures d’exemption, les États membres mettent en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, et sont dès lors tenus de veiller au respect de l’article 7 de la Charte, dans le respect des conditions de l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci. Par conséquent, le Tribunal estime que les dispositions d’exemption n’entraînent pas, par elles-mêmes, d’ingérence dans le droit garanti à l’article 7 de la Charte.

En tout état de cause, à supposer qu’une ingérence dans le secret professionnel de l’avocat garanti à l’article 7 de la Charte découle des dispositions d’exemption, le Tribunal rappelle que des limitations à l’exercice de ce droit sont admises, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, pour autant qu’elles soient prévues par la loi, qu’elles respectent le contenu essentiel dudit droit et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles soient nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union.

Or, en l’occurrence, le Tribunal relève que l’interdiction litigieuse est prévue par la loi et respecte le contenu essentiel du droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients, consacré à l’article 7 de la Charte. De plus, cette interdiction répond de manière appropriée et cohérente à l’objectif d’intensifier encore la pression exercée sur la Fédération de Russie pour qu’elle mette un terme à sa guerre d’agression contre l’Ukraine. Les dispositions d’exemption, en ce qu’elles permettent de lever l’interdiction litigieuse dans des situations précisément identifiées, poursuivent elles-mêmes cet objectif d’intérêt général, conformément aux objectifs de l’action extérieure de l’Union énoncés à l’article 21 TUE, au regard desquels elles apparaissent proportionnées. Le Tribunal souligne à cet égard que les dispositions d’exemption qui visent à lever l’interdiction litigieuse sont elles-mêmes limitées à ce qui est nécessaire pour atteindre les buts poursuivis par les règlements attaqués.

En dernier lieu, s’agissant du grief tiré d’une ingérence prétendue dans l’indépendance de l’avocat du fait de l’interdiction litigieuse, le Tribunal rappelle que le droit du justiciable de bénéficier de conseils juridiques donnés en toute indépendance par un avocat est inhérent au droit à un recours effectif. Étant donné que l’interdiction litigieuse n’emporte aucune ingérence dans le droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte, le Tribunal constate qu’il n’est pas établi que l’interdiction litigieuse est susceptible de conduire à une ingérence dans l’indépendance de l’avocat.

À cet égard, nonobstant l’inexistence d’une norme de droit primaire consacrant et définissant l’indépendance de l’avocat, la Cour a reconnu l’importance d’une telle indépendance aux fins de garantir le droit des justiciables à un recours effectif, dans des contextes incluant un lien avec une procédure juridictionnelle. S’il ressort des dispositions du code de déontologie des avocats que l’indépendance peut s’étendre également aux activités de conseil juridique n’ayant aucun lien avec une procédure juridictionnelle, les dispositions du code de déontologie des avocats européens ne constituent pas, toutefois, des règles de droit de l’Union et ne sauraient dès lors constituer une base juridique fondant la reconnaissance de l’indépendance de l’avocat à l’échelle de l’Union.

À supposer que l’indépendance de l’avocat doive, au même titre que la protection du secret professionnel découlant de l’article 7 de la Charte, également être reconnue en dehors d’un contexte contentieux et qu’il soit constaté une ingérence dans cette indépendance, le Tribunal rappelle également que l’indépendance de l’avocat n’implique pas que la profession d’avocat ne peut pas être soumise à des limitations. Cette indépendance peut, en effet, faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union, à condition que de telles restrictions ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même de l’indépendance des avocats.

Or, en l’espèce, le Tribunal estime que, à supposer même qu’il y ait une ingérence dans l’indépendance des avocats, celle-ci serait justifiée et proportionnée. D’une part, le Tribunal relève que l’interdiction litigieuse, telle que délimitée notamment par les dispositions d’exemption, poursuit des objectifs d’intérêt général. D’autre part, si les dispositions d’exemption accordent aux autorités compétentes la faculté de lever l’interdiction litigieuse à l’égard de certains services de conseil juridique, ces dispositions ne permettent pas aux autorités compétentes d’avoir une influence sur le contenu même du conseil pouvant, le cas échéant, être fourni par l’avocat au gouvernement russe ou à une entité établie en Russie. Il en va de même s’agissant de l’interdiction litigieuse elle-même. L’interdiction litigieuse et, en particulier, les dispositions d’exemption ne constituent donc pas une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même de l’indépendance des avocats.

{1} Règlement (UE) no 833/2014 du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2022/1904 du Conseil, du 6 octobre 2022 (JO 2022, L 259I, p. 3).

{2} Règlement (UE) 2022/2474 du Conseil, du 16 décembre 2022, modifiant le règlement no 833/2014 (JO 2022, L 322I, p. 1), et règlement (UE) 2023/427 du Conseil, du 25 février 2023, modifiant le règlement no 833/2014 (JO 2023, L 59I, p. 6).

Arrêt du 2 octobre 2024, Ordre néerlandais des avocats du barreau de Bruxelles e.a. / Conseil (T-797/22) (cf. points 187-189, 192-193, 196-198, 201, 204)

166. Droit de l'Union européenne - Principes - Sécurité juridique - Réglementation de l'Union - Exigence de clarté et de prévisibilité - Portée - Recours à des notions juridiques indéterminées devant être interprétées et appliquées par l'administration - Admissibilité - Obligation de maintenir l'ordre juridique inchangé dans le temps - Absence

Saisie de quinze recours, introduits par la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie, la République de Chypre, la Hongrie, la République de Malte et la République de Pologne, visant à obtenir l’annulation de certaines dispositions ou, parfois à titre subsidiaire, de l’intégralité de trois actes législatifs{1} faisant partie d’un « train de mesures sur la mobilité », dénommé également « Paquet mobilité » (« Mobility Package »), la grande chambre de la Cour les rejette, sauf en ce que ceux-ci visent l’annulation de l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement no 1071/2009{2}.

Ces trois actes législatifs ont été adoptés afin d’adapter la réglementation jusqu’alors en vigueur aux évolutions du secteur du transport par route. Ils portent notamment, premièrement, sur les durées maximales de conduite journalière et hebdomadaire et la durée minimale des pauses et des temps de repos journalier et hebdomadaire, ainsi que la localisation au moyen de tachygraphes (règlement 2020/1054), deuxièmement, sur les règles communes concernant les conditions à respecter pour exercer la profession de transporteur par route et celles pour l’accès au marché du transport international de marchandises par route (règlement 2020/1055) et, troisièmement, sur les règles spécifiques pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier (directive 2020/1057).

Appréciation de la Cour

Quelques principes et constats transversaux sous-tendent le contrôle de légalité porté par la Cour sur différentes dispositions des actes législatifs en cause.

Ainsi, la Cour rappelle, premièrement, que le principe de la libre prestation des services dans le domaine des transports est régi par l’article 58, paragraphe 1, TFUE, selon lequel l’application de ce principe doit être réalisée par la mise en œuvre de la politique commune des transports, laquelle relève des dispositions adoptées par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, sur le fondement, en particulier, de l’article 91, paragraphe 1, TFUE. Il en ressort que le législateur de l’Union est en droit de modifier les conditions dans lesquelles s’exerce la libre prestation de services dans le domaine du transport routier, puisque, en vertu de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, le degré de libéralisation dans ce domaine est déterminé par ce législateur lui-même dans le cadre de la mise en œuvre de la politique commune des transports. Cette dernière politique devant permettre de poursuivre les objectifs des traités{3}, les mesures adoptées par ledit législateur en matière de libre prestation des services de transport peuvent donc avoir pour objectif non seulement de faciliter l’exercice de cette liberté, mais également d’assurer, le cas échéant, la protection d’autres intérêts fondamentaux de l’Union reconnus par le traité FUE, tels que l’amélioration des conditions d’emploi{4}, la garantie d’une protection sociale adéquate{5}, ainsi que le maintien de conditions de concurrence équitables.

La Cour rappelle, deuxièmement, que, selon une jurisprudence constante, lorsqu’un acte législatif a déjà coordonné les législations des États membres dans un domaine donné d’action de l’Union, le législateur de l’Union ne saurait être privé de la possibilité d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux et de prendre en compte les objectifs transversaux de l’Union reconnus par le traité FUE, parmi lesquels figurent les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé, le bon fonctionnement du marché intérieur ainsi que la garantie d’une protection sociale adéquate. En effet, le législateur de l’Union ne peut, dans une telle situation, s’acquitter correctement de la tâche qui lui incombe de veiller à la protection de ces intérêts généraux et de ces objectifs transversaux que s’il lui est loisible, compte tenu des évolutions importantes ayant affecté le marché intérieur, d’adapter un acte législatif, afin de procéder à un rééquilibrage des intérêts en présence.

Troisièmement, la Cour souligne, dans le cadre de l’examen de chefs d’illégalité tirés d’une violation du principe de proportionnalité ou du principe de non-discrimination, qu’il ne peut être exclu que l’incidence des actes législatifs contestés soit susceptible d’être plus importante pour les entreprises de transport, quel que soit l’État membre dans lequel elles sont établies, qui ont opté pour un certain modèle d’exploitation économique, tel que le choix de fournir l’essentiel, sinon l’intégralité, de leurs prestations de services à des destinataires établis dans des États membres éloignés du premier État membre et dont les conducteurs accomplissent ainsi leurs opérations de transport loin de leur lieu de résidence ou dans le cadre d’opérations de cabotage effectuées de manière permanente ou continue sur le territoire du même État membre d’accueil. Toutefois, à supposer que ce modèle d’exploitation économique soit essentiellement adopté par des entreprises de transport établies dans certains États membres, lorsque l’acte de l’Union concerné a des conséquences dans tous les États membres et suppose qu’un équilibre entre les différents intérêts en présence soit assuré, la recherche d’un tel équilibre prenant en considération la situation de l’ensemble des États membres ne saurait, par elle-même, être regardée comme étant contraire aux principes de proportionnalité et de non-discrimination.

S’agissant du règlement 2020/1054, les recours visaient à obtenir l’annulation, en particulier, des dispositions suivantes :

- l’article 1er, point 6, sous c), de ce règlement, selon lequel les temps de repos hebdomadaires normaux ou compensatoires ne peuvent pas être pris par les conducteurs dans un véhicule, mais doivent être pris, aux frais de l’employeur, dans un lieu d’hébergement adapté aussi bien pour les femmes que pour les hommes et comportant un matériel de couchage ainsi que des installations sanitaires adéquats.

- l’article 1er, point 6, sous d), dudit règlement, qui prévoit, d’une part, l’obligation pour les entreprises de transport d’organiser le travail des conducteurs de telle sorte que ces derniers soient en mesure de retourner toutes les trois ou quatre semaines, selon qu’ils ont, ou non, pris auparavant deux temps de repos hebdomadaires réduits consécutifs, au centre opérationnel de cet employeur ou à leur lieu de résidence, respectivement, pour y entamer ou y passer au moins un temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire et, d’autre part, l’obligation pour ces entreprises de transport de documenter la manière dont elles s’acquittent de cette obligation.

- l’article 2, point 2, du même règlement, qui établit un nouveau calendrier d’équipement de diverses catégories de véhicules d’un nouveau type de tachygraphe intelligent de deuxième génération (V2).

En ce qui concerne les chefs d’illégalité invoqués contre l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, que la Cour examine en premier lieu et qu’elle rejette dans leur intégralité, ceux-ci étaient pris d’une violation du principe de proportionnalité, des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, du principe de sécurité juridique, de la libre circulation des citoyens de l’Union, du fonctionnement du marché intérieur, de la libre circulation des travailleurs, de la liberté d’établissement, des règles du droit de l’Union en matière de politique commune des transports et des règles du droit de l’Union en matière de protection de l’environnement

En ce qui concerne les chefs d’illégalité invoqués contre l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, que la Cour examine en premier lieu et qu’elle rejette dans leur intégralité, ceux-ci étaient pris d’une violation du principe de proportionnalité, des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, du principe de sécurité juridique, de la libre circulation des citoyens de l’Union, du fonctionnement du marché intérieur, de la libre circulation des travailleurs, de la liberté d’établissement, des règles du droit de l’Union en matière de politique commune des transports et des règles du droit de l’Union en matière de protection de l’environnement

L’objectif de cette disposition est d’améliorer{6} les conditions de travail et la sécurité routière des conducteurs au sein de l’Union, en assurant que ceux-ci puissent rejoindre à intervalles réguliers leur lieu de résidence pour la prise de leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire, afin que la période passée par les conducteurs effectuant des opérations de transport international loin de ce lieu de résidence ne soit pas excessivement longue. L’objet de ladite disposition est ainsi de remédier à l’absence de règles claires relatives au temps de repos hebdomadaire et au retour des conducteurs à leur lieu de résidence et, partant, aux conditions de concurrence inéquitables pour les entreprises de transport qu’avaient pu auparavant favoriser les différentes interprétations et pratiques nationales.

En premier lieu, la Cour écarte plusieurs desdits chefs d’illégalité, au motif qu’ils reposent sur deux prémisses erronées.

Premièrement, c’est à tort que certains États membres requérants ont soutenu que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 imposerait aux conducteurs de retourner exclusivement au centre opérationnel de leur employeur ou à leur lieu de résidence, au moyen de poids lourds souvent vides.

En effet, tout d’abord, les conducteurs, y compris ceux des pays tiers, disposent de la liberté de choisir de prendre leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire à l’endroit où ils le souhaitent, qu’il s’agisse du centre opérationnel de leur employeur, de leur lieu de résidence ou de tout autre lieu de leur choix. La disposition attaquée n’impose pas aux entreprises de transport de contraindre les conducteurs à prendre effectivement leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire à leur propre lieu de résidence. En revanche, les entreprises de transport ont l’obligation d’organiser le travail des conducteurs afin que ceux-ci aient la possibilité de retourner au lieu qu’ils auront choisi afin, respectivement, d’y entamer ou d’y passer ce temps de repos.

Ensuite, le législateur de l’Union a entendu tenir compte des pressions auxquelles les conducteurs étaient susceptibles d’être confrontés auparavant. En effet, le travailleur devant être considéré comme la partie faible dans la relation de travail, il est nécessaire d’empêcher que l’employeur ne dispose de la faculté de lui imposer une restriction de ses droits ou que le travailleur ne soit dissuadé de faire valoir explicitement ses droits à l’égard de son employeur. Ainsi, un employeur ne peut s’exonérer de l’obligation d’organiser le travail de ses conducteurs afin de rendre possible leur retour au motif que ceux-ci auraient renoncé, à l’avance et de manière générale, au droit que leur accorde la disposition attaquée.

Enfin, le législateur de l’Union a entendu laisser aux entreprises de transport, en leur qualité d’employeur, une flexibilité, d’une part, pour décider des modalités concrètes de l’exercice des droits corrélatifs conférés aux conducteurs, en fonction de chaque situation particulière, et, d’autre part, pour prouver, par le recours à toute documentation pertinente à cet effet, tant le respect de l’obligation prévue à l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 que la manière dont cette obligation a, le cas échéant, été conciliée avec le choix librement exprimé par le conducteur de prendre son temps de repos hebdomadaire ailleurs qu’à son lieu de résidence.

Deuxièmement, c’est à tort que certains États membres requérants ont soutenu que l’obligation pour les entreprises de transport d’organiser le travail des conducteurs de telle sorte que ces derniers puissent retourner au centre opérationnel de leur employeur ou à leur lieu de résidence serait à l’origine d’une augmentation significative du trafic. En effet, cette prémisse suppose que, avant l’adoption de cette mesure, seul un nombre réduit de conducteurs retournaient à l’un ou à l’autre de ces lieux et que ce retour devrait nécessairement être effectué au moyen du véhicule utilisé par le conducteur.

Or, d’une part, déjà avant l’adoption de ladite mesure, la plupart des conducteurs retournaient à leur lieu de résidence à des intervalles réguliers de moins de quatre semaines. D’autre part, les entreprises de transport peuvent, pour garantir le respect de l’obligation prévue à l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, recourir à d’autres moyens de transport, tels que les transports publics, et il est concevable que le retour à l’un des deux lieux visés à cette disposition puisse être couplé avec un retour des véhicules de l’entreprise de transport au centre opérationnel de celle-ci dans le cadre des activités de transport habituelles.

En second lieu, la Cour tranche plusieurs questions de droit soulevées, en particulier celles mentionnées ci-après

Premièrement, s’agissant du droit du législateur de l’Union d’adapter un acte législatif, celui-ci a précisément visé, en modifiant la réglementation de l’Union relative au temps de travail des conducteurs, à procéder à un nouvel équilibre prenant en compte, d’une part, l’intérêt des conducteurs à bénéficier de meilleures conditions de travail ainsi que d’une sécurité routière accrue et, d’autre part, l’intérêt des employeurs à exercer leurs activités de transport dans des conditions commerciales équitables.

En l’espèce, en pondérant ainsi les différents intérêts en jeu, le législateur de l’Union a pu considérer, dans le cadre de la large marge d’appréciation dont il dispose en matière de politique commune des transports, que l’augmentation significative des périodes passées par les conducteurs employés dans l’Union loin de leur lieu de résidence rendait nécessaire d’introduire une mesure spécifique visant à améliorer leurs conditions de travail et que les effets négatifs, sur leur santé, de longues périodes passées loin de leur lieu de résidence étaient plus graves que les conséquences négatives pour un certain nombre d’entreprises qui fournissent des services à titre plus ou moins permanent dans des États membres autres que ceux dans lesquels elles sont établies. Un tel rééquilibrage est conforme aux ambitions sociales de l’Union.

Deuxièmement, la règle édictée à l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 s’applique indistinctement à toutes les entreprises de transport concernées, quel que soit l’État membre dans lequel elles sont établies, à tous les conducteurs, quels que soient leur nationalité et l’État membre dans lequel est établi leur employeur, ainsi qu’à tous les États membres, de sorte qu’elle ne comporte pas de discrimination directe interdite par le droit de l’Union. En outre, la Cour juge que cette règle n’est pas constitutive d’une discrimination indirecte interdite par le droit de l’Union, en ce qu’elle serait, par sa nature même, susceptible d’affecter davantage les entreprises de transport établies dans des États membres situés, selon eux, à la « périphérie de l’Union », les conducteurs employés par ces entreprises et ce groupe d’États membres. En effet, une disposition du droit de l’Union ne saurait être considérée comme étant, en elle-même, contraire aux principes d’égalité de traitement et de non-discrimination au seul motif qu’elle entraîne des conséquences différentes pour certains opérateurs économiques, lorsque cette situation est la conséquence de conditions d’exploitation différentes dans lesquelles ils sont placés, notamment en raison de leur implantation géographique, et non pas d’une inégalité en droit qui serait inhérente à la disposition attaquée.

S’agissant des chefs d’illégalité invoqués contre l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, que la Cour rejette dans leur intégralité, ceux-ci étaient pris d’une violation du principe de proportionnalité, des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, des dispositions du traité FUE relatives à la libre prestation de services ainsi que de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE.

L’objectif de cette disposition est d’améliorer{7} les conditions de travail et la sécurité routière des conducteurs au sein de l’Union, en assurant que ceux-ci disposent d’un lieu d’hébergement de qualité pour la prise de leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire, afin de protéger en particulier les conducteurs effectuant des opérations de transport international sur de longues distances et qui passent de longues périodes loin de leur lieu de résidence. L’objet de cette disposition est de remédier à l’absence de règles claires relatives aux temps de repos hebdomadaires et, plus précisément, aux inégalités de traitement qui avaient pu auparavant résulter, en raison des différentes interprétations et applications de l’article 8, paragraphe 8, du règlement no 561/2006{8} retenues par les autorités nationales compétentes, de l’application de régimes nationaux de sanctions disparates dans les États membres. En effet, c’est aux fins d’assurer, par une règle d’harmonisation plus claire, une application uniforme de l’interdiction de prendre le temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule que le législateur de l’Union a procédé à la codification de l’interprétation de cet article 8, paragraphe 8, dégagée par la Cour dans l’arrêt Vaditrans{9}.

Cette interdiction, qui s’applique exclusivement aux temps de repos hebdomadaires normaux ou compensatoires, et non aux autres types de repos, respecte tant le principe de proportionnalité que le principe de non-discrimination, que ce soit entre les conducteurs, entre les entreprises ou entre les États membres. Par ailleurs, ladite interdiction n’oblige pas les conducteurs à prendre les temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire systématiquement à l’extérieur de leur lieu de résidence en stationnant leur véhicule sur des aires sûres et sécurisées ni dans un hébergement adjacent à une aire de stationnement.

S’agissant des chefs d’illégalité invoqués contre l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054, que la Cour rejette également dans leur intégralité, ceux-ci étaient pris d’une violation du principe de proportionnalité, des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ainsi que de l’article 151, deuxième alinéa, TFUE

La Cour considère que le seul fait que l’installation des tachygraphes intelligents ait pu être prévue, dans un acte législatif applicable avant l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054, à une date différente de celle qui a été finalement introduite par ce dernier règlement, ne saurait suffire à établir une atteinte à la sécurité juridique ou à la confiance légitime. Tel est d’autant moins le cas s’agissant d’un acte législatif qui concerne, comme en l’espèce, l’introduction d’équipements susceptibles d’être affectés par le développement rapide de nouvelles technologies et qui peut donc exiger une constante adaptation en fonction d’un tel développement.

S’agissant du règlement 2020/1055, les recours visaient à obtenir l’annulation, en particulier, des dispositions suivantes :

- l’article 1er, point 3, de ce règlement, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement no 1071/2009, selon lequel les véhicules utilisés pour le transport international doivent retourner dans un centre opérationnel situé dans l’État membre d’établissement de l’entreprise de transport concernée toutes les huit semaines,

- l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, selon lequel les transporteurs ne sont pas autorisés à effectuer des transports de cabotage avec le même véhicule dans le même État membre d’accueil pendant quatre jours à compter de la fin d’une période de cabotage réalisée dans cet État membre.

Premièrement, en ce qui concerne les chefs d’illégalité invoqués contre l’article 1er, point 3, de ce règlement, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement no 1071/2009, la Cour annule cette disposition sur le fondement d’une violation du principe de proportionnalité, au motif que le législateur de l’Union n’a pas établi à suffisance qu’il avait examiné la proportionnalité de l’obligation relative au retour des véhicules prévue à ladite disposition .

À ce titre, la Cour constate que, certes, ce législateur n’est pas tenu de disposer d’une analyse d’impact en toutes circonstances et qu’une telle analyse ne le lie pas. Toutefois, il est tenu de fonder son choix sur des critères objectifs et d’examiner si les buts poursuivis par la mesure retenue sont de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs. Il en résulte que ledit législateur doit, lorsque l’acte en cause fait l’objet d’un recours juridictionnel, à tout le moins, pouvoir produire et exposer de façon claire et non équivoque les données de base ayant dû être prises en compte pour fonder les mesures contestées dudit acte et dont dépendait l’exercice de son pouvoir d’appréciation.

Or, la Cour estime que, alors que l’obligation relative au retour des véhicules n’a pas fait l’objet d’une analyse d’impact, l’invocation des données figurant dans l’analyse d’impact - volet établissement, en ce qu’elles décrivent le marché concerné et les difficultés propres de celui-ci ou qu’elles ont trait à l’appréciation des conséquences d’obligations autres que celle relative au retour des véhicules, ne revient pas à produire et à exposer de façon claire et non équivoque les données de base sur le fondement desquelles l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement no 1071/2009, a été adopté et dont dépendait l’exercice effectif, par le législateur de l’Union, de son pouvoir d’appréciation. Il en va de même des autres données de base invoquées, devant la Cour, par le Parlement européen et le Conseil, étant donné qu’elles n’ont pas trait à l’obligation relative au retour des véhicules ou qu’elles ont fait l’objet d’une présentation excessivement succincte. Il en est également ainsi de la simple invocation d’informations prétendument fournies par les États membres requérants et auxquels ce législateur aurait pu avoir accès.

Deuxièmement, concernant les chefs d’illégalité invoqués contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, que la Cour rejette dans leur intégralité, ceux-ci étaient pris de la violation du principe de proportionnalité, des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, des règles du droit de l’Union en matière de politique commune des transports, du fonctionnement du marché intérieur, de la libre prestation de services, de la libre circulation des marchandises ainsi que des règles du droit de l’Union et des engagements internationaux de l’Union en matière de protection de l’environnement.

S’agissant du grief pris d’une violation du principe de proportionnalité, la Cour relève en particulier que la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, durant laquelle, à l’issue d’un cycle de cabotage effectué dans un État membre d’accueil, les transporteurs ne sont plus autorisés à réaliser des transports de cabotage dans ce même État membre, vise à remédier aux conséquences inattendues engendrées, sous l’empire du règlement no 1072/2009{10}, par l’apparition de pratiques de cabotage systématique, et à réaliser l’objectif initial poursuivi par le législateur de l’Union, en assurant, conformément au niveau de libér...

Arrêt du 4 octobre 2024, Lituanie / Parlement et Conseil (Paquet mobilité - Détachement et temps de travail) (C-541/20 à C-555/20) (cf. points 158-162, 615, 1052)

167. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Critères d'adoption des mesures restrictives - Femmes et hommes d'affaires influents exerçant des activités en Russie et personnes leur étant associées - Femmes et hommes d'affaires, personnes morales, entités ou organismes ayant une activité dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie et personnes leur étant associées - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques



Arrêt du 20 novembre 2024, Zubitskiy / Conseil (T-1074/23) (cf. points 40-46, 52-55)

168. Rapprochement des législations - Mesures de rapprochement - Règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel - Directive 2009/73 - Adoption d'une directive modificative - Extension de l'applicabilité de la directive 2009/73 à la partie des conduites de gaz entre un État membre et un pays tiers située sur le territoire de l'Union - Impossibilité de bénéficier d'une dérogation - Violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime - Absence

Saisi sur renvoi, le Tribunal rejette dans son intégralité le recours formé par la société Nord Stream 2 AG contre la directive (UE) 2019/692{1} modifiant la directive 2009/73 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel. Ce faisant, il écarte la thèse centrale de Nord Stream 2 selon laquelle, en substance, la directive attaquée était spécifiquement dirigée contre elle, en violation notamment du principe de sécurité juridique, du principe d’égalité de traitement et du principe de proportionnalité.

Nord Stream 2 est une société de droit suisse dont l’actionnaire unique est la société publique russe par actions Gazprom. Elle a été chargée de la planification, de la construction et de l’exploitation du gazoduc marin Nord Stream 2, destiné à assurer l’acheminement du gaz entre Oust-Louga (Russie) et Lubmin (Allemagne).

Le 17 avril 2019, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté la directive attaquée, qui est entrée en vigueur le 23 mai 2019. Elle vise à garantir que les règles prévues par la directive 2009/73 pour les conduites de transport de gaz reliant deux États membres ou plus sont également applicables, au sein de l’Union européenne, aux conduites de transport de gaz à destination et en provenance de pays tiers, telles que le gazoduc Nord Stream 2.

Dans ce contexte, l’article 49 bis, paragraphe 1, de la directive 2009/73, telle que modifiée, (ci-après l’« article 49 bis ») prévoit néanmoins que les gazoducs entre un État membre et un pays tiers achevés avant le 23 mai 2019 peuvent se voir octroyer une dérogation aux obligations prévues par ladite directive (ci-après la « dérogation litigieuse »). En outre, l’article 36, tel que modifié, prévoit que les nouvelles infrastructures gazières peuvent bénéficier d’une exemption à certaines conditions (ci-après l’« exemption litigieuse »). Cependant, le gazoduc Nord Stream 2 ne peut bénéficier ni de la dérogation ni de l’exemption précitées.

Par ordonnance du 20 mai 2020{2}, le Tribunal a rejeté comme irrecevable le recours tendant à l’annulation de la directive attaquée introduit par Nord Stream 2. Saisie d’un pourvoi formé par cette dernière, la Cour a annulé l’ordonnance du Tribunal{3}, déclaré le recours partiellement recevable et renvoyé l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur le fond.

Au vu des conclusions de Nord Stream 2, telles que précisées lors de l’audience, le Tribunal a considéré que le recours était recevable en ce qu’il visait l’annulation de l’article 1er, point 9, de la directive attaquée, qui a inséré un article 49 bis dans la directive 2009/73.

Appréciation du Tribunal

En premier lieu, le Tribunal juge que la circonstance que Nord Stream 2 ne pouvait bénéficier ni de l’exemption litigieuse ni de la dérogation litigieuse à la date d’adoption de la directive attaquée n’est pas susceptible de démontrer que le législateur de l’Union a méconnu le principe de sécurité juridique et son corollaire, le principe de protection de la confiance légitime.

À cet égard, le Tribunal rappelle que le respect desdits principes doit être examiné au regard des connaissances qu’un opérateur économique avisé et averti pouvait raisonnablement avoir quant à l’évolution du cadre juridique et des conséquences qu’il devait en tirer pour définir son comportement. Ce respect doit également être examiné au regard des circonstances qui ont entouré cette évolution et, notamment, du comportement des institutions compétentes.

Or, s’agissant de l’impossibilité de bénéficier de l’exemption litigieuse, le Tribunal constate que Nord Stream 2 a décidé d’investir dans un contexte caractérisé de longue date par une volonté ferme et répétée, notamment de plusieurs États membres, du Parlement et de la Commission, de soumettre les gazoducs entre un État membre et un pays tiers, en général, et le gazoduc Nord Stream 2, en particulier, aux obligations prévues par la directive 2009/73.

Qui plus est, Nord Stream 2 a poursuivi ses investissements sans interruption après que cette volonté s’est concrétisée au moyen de propositions présentées par la Commission et malgré le fait qu’elle pouvait donc raisonnablement prévoir une telle application de la directive 2009/73. De plus, elle n’a pas démontré qu’elle s’était trouvée dans l’impossibilité de s’adapter afin de pouvoir bénéficier de l’exemption litigieuse lors de l’entrée en vigueur de la directive attaquée.

Par conséquent, la circonstance que Nord Stream 2 ne pouvait pas bénéficier de cette exemption n’obligeait pas le législateur de l’Union à adapter le champ d’application de l’article 49 bis à la situation particulière de cette dernière afin qu’elle bénéficie de la dérogation litigieuse.

Quant à la circonstance que Nord Stream 2 ne pouvait pas bénéficier de la dérogation litigieuse dès lors que la construction de son gazoduc n’a été achevée qu’après le 23 mai 2019, le Tribunal relève tout d’abord que le critère de l’achèvement du gazoduc avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée figurait déjà dans la proposition de directive et que Nord Stream 2 était en mesure de prévoir que son gazoduc ne serait pas achevé à cette date.

Le Tribunal ajoute que ce critère est conforme au principe de sécurité juridique et au principe de protection de la confiance légitime, dans la mesure où il est clair, précis et objectif et qu’il reflète le principe selon lequel une règle de droit nouvelle s’applique à compter de l’entrée en vigueur de l’acte qui l’instaure. Ce critère objectif démontre, en outre, que le législateur a tenu compte de la situation particulière des gazoducs achevés.

Par ailleurs, Nord Stream 2 a disposé d’un délai supplémentaire pour modifier les modalités envisagées d’exploitation de son gazoduc, étant donné que le délai de transposition de la directive attaquée avait été fixé à dix mois après son adoption. De surcroît, l’impossibilité de bénéficier de la dérogation litigieuse ne l’empêche pas d’exploiter son gazoduc d’une manière économiquement acceptable.

En deuxième lieu, le Tribunal rejette le moyen de Nord Stream 2 tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement dans la mesure où l’article 49 bis entraînerait une différence de traitement injustifiée entre des situations comparables.

À cet égard, il constate que les gazoducs achevés au 23 mai 2019, d’une part, et les gazoducs non achevés à cette date, et notamment ceux en cours de construction comme le gazoduc Nord Stream 2, d’autre part, ne se trouvent pas dans une situation comparable. En effet, un gazoduc en service à ladite date a nécessairement donné lieu à un investissement préalable auquel il n’est plus possible de renoncer, et aura commencé à être exploité dans le cadre d’un régime juridique qui ne prévoyait pas l’application, à sa situation, des obligations prévues par la directive 2009/73.

En revanche, un investisseur dans un gazoduc qui n’était pas achevé à la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée pouvait avoir engagé des dépenses de plus faible importance ou disposer de possibilités accrues d’adapter son investissement. En outre, même si le gazoduc en question pouvait avoir donné lieu à des investissements importants et à des travaux de construction, ceux-ci pouvaient avoir été décidés en connaissance de cause, dans un contexte prévisible de modification de la réglementation applicable, comme dans le cas de Nord Stream 2. Enfin, un investisseur dans un tel gazoduc a le temps de s’ajuster aux changements législatifs prévus par la directive attaquée, étant donné qu’il en a été informé de nombreux mois à l’avance et que les États membres ont disposé d’un délai de transposition.

Le Tribunal précise que la situation des deux catégories de gazoducs susvisées est différente à la lumière non seulement de l’objet de l’article 49 bis, mais également des objectifs de la directive attaquée ainsi que des principes et objectifs de la politique de l’Union dans le domaine de l’énergie.

En effet, l’incidence d’un gazoduc déjà achevé sur le fonctionnement du marché intérieur peut être évaluée ex post, sur la base de l’expérience acquise lors de l’exploitation du gazoduc en cause. De plus, l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 à de tels gazoducs risque de perturber les capacités et les flux de l’approvisionnement, ce qui justifie un examen rapide de leur situation au regard des conditions prévues à l’article 49 bis.

Cependant, en présence d’un gazoduc qui n’est pas achevé à la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée, l’évaluation de son incidence sur le marché intérieur et la sécurité de l’approvisionnement peut uniquement être prospective et exige des appréciations plus approfondies et complexes. En outre, un tel gazoduc n’étant pas capable d’être exploité, l’application de la directive attaquée à celui-ci ne présente pas de risque de perturbation des flux de l’approvisionnement.

Au vu de ce qui précède, l’article 49 bis aboutit à traiter de manière différente des situations différentes.

Le Tribunal ajoute que, même si l’article 49 bis entraînait une différence de traitement entre des situations comparables, celle-ci serait justifiée. En ce sens, il relève, premièrement que le critère de l’achèvement avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée, prévu par cet article, est objectif et raisonnable. Deuxièmement, l’éventuelle différence de traitement résultant de ce critère est apte à réaliser l’objectif, poursuivi par cet article, de tenir compte de l’absence de règles applicables aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée. Il permet effectivement à la fois aux propriétaires de gazoducs et aux États membres d’apprécier aisément si un gazoduc entre ou non dans le champ d’application de l’article 49 bis. Troisièmement, l’éventuelle différence de traitement résultant du critère susvisé ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi par cet article, dès lors notamment que l’importance de cet objectif justifie les contraintes supportées par des investisseurs tels que Nord Stream 2 du fait de l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 à un gazoduc non achevé avant le 23 mai 2019.

En troisième lieu, le Tribunal estime que Nord Stream 2 n’a pas démontré que l’extension du champ d’application des obligations prévues par la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers méconnaît le principe de proportionnalité.

Le Tribunal note, tout d’abord, que la directive attaquée est apte à réaliser les objectifs de sécurité juridique et de cohérence du cadre juridique qu’elle poursuit essentiellement, en ce qu’elle étend le champ d’application de la directive 2009/73 et donc des obligations que cette dernière prévoit. La circonstance que Nord Stream 2 serait la seule à ne pouvoir bénéficier ni de l’exemption litigieuse ni de la dérogation litigieuse est sans incidence sur ce constat.

Ensuite, le Tribunal souligne que l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers, en général, et au gazoduc Nord Stream 2, en particulier, est également apte à réaliser l’objectif d’achèvement du marché intérieur du gaz naturel en évitant les distorsions de concurrence et les effets négatifs sur la sécurité de l’approvisionnement. En effet, la directive 2009/73 prévoit notamment une obligation de dissociation (unbundling) du réseau de transport et du gestionnaire de réseau de transport, une obligation d’accès des tiers au réseau ainsi que d’autres obligations portant en particulier sur la transparence tarifaire et non tarifaire. Or, compte tenu de leur objet, le fait que ces obligations s’appliquent uniquement à un tronçon des gazoducs entre un État membre et un pays tiers n’affecte aucunement leur aptitude à réaliser l’objectif susvisé.

De même, la circonstance que la directive attaquée s’applique uniquement à une fraction de la capacité d’importation des pays tiers, à savoir la capacité du gazoduc Nord Stream 2, n’est pas susceptible de remettre en cause cette aptitude. En effet, le projet de gazoduc Nord Stream 2 a été lancé dans un contexte particulier, dans lequel de nombreux États membres avaient été confrontés à des pénuries de gaz en raison de différends impliquant la Fédération de Russie. De plus, la directive attaquée s’applique à l’ensemble des gazoducs existants et futurs, terrestres ou en mer. Enfin, elle a été adoptée dans un contexte dans lequel de nombreux gazoducs achevés entre un État membre et un pays tiers étaient déjà soumis aux obligations prévues par la directive 2009/73, de sorte qu’elle accroît la capacité d’importation des pays tiers couverte par les obligations prévues par cette dernière, et ce même si le gazoduc Nord Stream 2 est le seul à ne pas pouvoir bénéficier d’une exemption ou d’une dérogation.

Enfin, le Tribunal juge que la directive attaquée ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ses objectifs.

Nord Stream 2 n’a notamment démontré ni que la directive attaquée lui impose des obligations qui ne sont pas nécessaires au regard de l’objectif d’achèvement du marché intérieur ni que les inconvénients, pour elle ou pour l’Union et ses États membres, résultant de l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 sont manifestement démesurés par rapport à l’importance des objectifs poursuivis et des avantages tirés par l’Union de ces obligations. En ce sens, le fait que Nord Stream 2 ne puisse pas exploiter son gazoduc comme elle l’avait initialement envisagé ne démontre pas que la directive attaquée lui impose des contraintes démesurées. Par ailleurs, elle n’a pas démontré les conséquences financières liées à l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 à son gazoduc, gazoduc qu’elle peut continuer d’exploiter de manière économiquement acceptable.

En quatrième lieu, le Tribunal écarte le moyen de Nord Stream 2 tiré d’un détournement de pouvoir. Il rappelle, tout d’abord, que la base juridique de la directive attaquée, que celle-ci ne conteste pas, est l’article 194 TFUE. Or, la seule circonstance que cette directive affecte négativement le gazoduc Nord Stream 2 ne suffit pas à démontrer que le législateur voulait poursuivre un objectif différent de ceux visés à l’article 194, paragraphe 1, TFUE.

En outre, Nord Stream 2 n’a pas démontré que la directive attaquée a été adoptée afin de poursuivre des objectifs autres que ceux mentionnés dans ladite directive, qui vise bien à remédier à des problèmes plus larges que ceux liés à son projet de gazoduc, à savoir, notamment, l’existence d’obstacles à l’achèvement du marché intérieur du gaz naturel.

Par ailleurs, Nord Stream 2 n’est pas davantage fondée à faire valoir que la directive attaquée a pour objet de contourner les difficultés juridiques posées par la demande de mandat adressée par la Commission au Conseil en vue de négocier un accord international avec la Fédération de Russie au sujet du gazoduc Nord Stream 2. En effet, la directive attaquée et la négociation d’un tel accord sont des instruments complémentaires et non substituables.

Le dernier moyen de Nord Stream 2, tiré d’une violation des formes substantielles, n’étant pas non plus retenu, le Tribunal rejette le recours dans son intégralité.

{1} Directive (UE) 2019/692 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, modifiant la directive 2009/73/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (JO 2019, L 117, p. 1, ci-après la « directive attaquée »).

{2} Ordonnance du 20 mai 2020, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (T 526/19, EU:T:2020:210).

{3} Arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C 348/20 P, EU:C:2022:548).

Arrêt du 27 novembre 2024, Nord Stream 2 / Parlement et Conseil (T-526/19 RENV) (cf. points 45-111)

169. Environnement - Pollution atmosphérique - Directive 2003/87 - Système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre - Régime transitoire d'allocation de quotas à titre gratuit - Méthode d'allocation - Calcul du niveau d'activité historique d'une installation - Décision de la Commission modifiant les quotas alloués à une installation - Recours à un outil de vérification des données - Quotas alloués supérieurs à ceux retenus lors de l'allocation initiale - Violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime - Absence



Arrêt du 11 décembre 2024, Carmeuse Holding / Commission (T-385/22) (cf. points 112-120)

170. Environnement - Pollution atmosphérique - Directive 2003/87 - Système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre - Régime transitoire d'allocation de quotas à titre gratuit - Méthode d'allocation - Calcul du niveau d'activité historique d'une installation - Décision de la Commission modifiant les quotas alloués à une installation - Recours à un outil de vérification des données - Violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime - Absence



Arrêt du 11 décembre 2024, Carmeuse Holding / Commission (T-554/22) (cf. points 126-133)

171. Aides accordées par les États - Récupération d'une aide illégale et incompatible - Violation du principe de sécurité juridique ou du droit de propriété - Absence



Arrêt du 18 décembre 2024, TA / Commission (Zone franche de Madère) (T-702/22, T-704/22, T-705/22 et T-710/22 À T-712/22) (cf. points 211-219, 222-227)



Arrêt du 18 décembre 2024, Administradora Fortaleza e.a. / Commission (Zone franche de Madère) (T-716/22) (cf. points 198-209, 211-219)

172. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Critères d'adoption des mesures restrictives - Personne, entité ou organisme associée à une personne inscrite sur la liste annexée à la décision attaquée - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques

Dans son arrêt, le Tribunal rejette le recours en annulation introduit par Aleksandra Melnichenko contre les actes par lesquels son nom a été inscrit en juin 2022{1}, puis maintenu en septembre 2022{2} et en mars et avril 2023{3}, par le Conseil de l’Union européenne, sur la liste des personnes et entités visées par des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. La requérante étant ressortissante d’un État membre, cette affaire permet au Tribunal de préciser les conditions de limitation du droit à la libre circulation des citoyens de l’Union en clarifiant notamment l’articulation entre les dispositions du traité UE, du traité FUE et de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») pertinentes lorsque des restrictions à cette liberté ont été adoptées dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

Cet arrêt s’inscrit dans le contexte d’une série de mesures restrictives adoptées par l’Union à la suite de l’agression militaire perpétrée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022. La requérante s’est vu imposer le gel de ses fonds et ressources économiques au motif qu’elle est associée à une personne dont le nom a été inscrit sur la liste en cause, en tant qu’un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine{4}.

À l’appui de son recours, la requérante invoque notamment la violation de son droit de circuler librement sur le territoire des États membres, consacré par l’article 45, paragraphe 1, de la Charte.

Appréciation du Tribunal

Le Tribunal rappelle tout d’abord que, conformément à l’article 52, paragraphe 2, de la Charte, les droits reconnus par celle-ci qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et les limites définies par ceux-ci, en l’occurrence à l’article 20, paragraphe 2, sous a), TFUE et à l’article 21 TFUE. Ainsi, en vertu de l’article 21, paragraphe 1, TFUE, la liberté de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres s’exerce sous réserve des limitations et des conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application. Cette réserve incluant également le traité UE et les dispositions prises pour son application, des limitations à l’exercice du droit à la liberté de circulation et de séjour des citoyens de l’Union consacré à l’article 45, paragraphe 1, de la Charte peuvent être apportées par les actes dans le domaine de la PESC, tels que les actes attaqués.

Cependant, pour être conformes au droit de l’Union, les limitations à l’exercice du droit consacré par l’article 45, paragraphe 1, de la Charte doivent être prévues par la loi, respecter le contenu essentiel de ce droit, viser un objectif d’intérêt général reconnu comme tel par l’Union et ne pas être disproportionnées{5}.

En l’espèce, le Tribunal constate, en premier lieu, que les limitations du droit de la requérante de circuler librement sur le territoire des États membres découlant des actes attaqués sont prévues par la loi, puisqu’elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale{6} et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union{7}.

Le Tribunal observe, en deuxième lieu, que les limitations en cause respectent le contenu essentiel du droit de la requérante de circuler librement sur le territoire des États membres. En effet, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision 2014/145 modifiée, ces limitations respectent, tout d’abord, le principe de droit international selon lequel un État ne saurait refuser à ses propres ressortissants le droit d’entrer sur son territoire et d’y demeurer. Ensuite, les listes en cause font l’objet d’un réexamen périodique afin que les noms des personnes ne répondant plus aux critères d’inscription en soient radié{8}. Enfin, lesdites limitations ne remettent pas en cause ce droit en tant que tel, puisqu’elles ont pour effet de le suspendre temporairement pour certaines personnes, dans des conditions spécifiques et en raison de leur situation individuelle.

En troisième lieu, dans le cadre de l’examen de la proportionnalité, le Tribunal relève, d’une part, que les limitations en cause sont aptes à atteindre l’objectif d’intérêt général visé par la PESC{9}, à savoir d’exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine.

D’autre part, il constate que la requérante n’a pas démontré que le Conseil pouvait envisager d’adopter des mesures moins contraignantes, mais tout aussi appropriées que celles prévues. Il rappelle, par ailleurs, que l’application des mesures restrictives en cause fait l’objet d’un régime de dérogations qui autorise les États membres à déroger aux mesures imposées, notamment, lorsque le déplacement d’une personne se justifie pour des raisons humanitaires urgentes{10}. Ainsi, au regard de l’importance des objectifs poursuivis par lesdites mesures, les limitations en cause ne sont pas manifestement démesurées. Au regard de ce qui précède, le Tribunal conclut que les limitations en cause respectent les conditions de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

Eu égard à cette conclusion, le Tribunal rejette également l’argument de la requérante invoquant son droit dérivé de séjourner dans un État membre afin d’assurer la jouissance du droit de séjour de ses enfants en bas âge{11}. Cet argument ne saurait être utilement invoqué, dès lors que la requérante dispose du droit autonome de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, et que la limitation de ce droit autonome est considérée comme justifiée.

Enfin, dans la mesure où la requérante invoque la précarité de la situation de ses enfants afin de démontrer le prétendu caractère disproportionné de la limitation de son propre droit de circuler librement dans l’Union, le Tribunal rejette cet argument comme non étayé, tout en rappelant l’obligation des autorités nationales d’interpréter les dispositions de la décision 2014/145 visant les dérogations humanitaires, à la lumière de l’article 24, paragraphe 2, de la Charte et en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.

{1} Décision (PESC) 2022/883 du Conseil, du 3 juin 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 153, p. 92), et règlement d’exécution (UE) 2022/878 du Conseil, du 3 juin 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 153, p. 15) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »).

{2} Décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149), et règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de septembre 2022 »).

{3} Décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 134) et règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 1, ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de mars 2023 ») ; décision (PESC) 2023/811 du Conseil, du 13 avril 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 101, p. 67) et règlement d’exécution (UE) 2023/806 du Conseil, du 13 avril 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 101, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de mars et avril 2023 »)

{4} Voir article 2, paragraphe 1, sous a) et g), de la décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16), telle que modifiée par la décision (PESC) 2022/329 du Conseil, du 25 février 2022, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 50, p. 1), et article 3, paragraphe 1, sous a) et g), du règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6), dans sa version modifiée par le règlement (UE) 2022/330 du Conseil, du 25 février 2022, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 51, p. 1).

{5} Article 52, paragraphe 1, de la Charte.

{6} Décision 2014/145 modifiée et règlement no 269/2014 modifié.

{7} Article 29 TUE et article 215 TFUE.

{8} Article 6 de la décision 2014/145 modifiée.

{9} Article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE

{10} Article 1er, paragraphe 6, de la décision 2014/145 modifiée.

{11} Arrêt du 19 octobre 2004, Zhu et Chen (C-200/02, EU:C:2004:639, point 46).

Arrêt du 26 février 2025, Melnichenko / Conseil (T-498/22) (cf. points 60, 65-69)

173. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Critères d'adoption des mesures restrictives - Femmes et hommes d'affaires influents exerçant des activités en Russie et membres de leur famille proche ou autres personnes physiques en tirant avantage - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques et du principe de légalité

Dans ces arrêts, le Tribunal rejette les recours en annulation introduits par les époux Timchenko contre les actes par lesquels leurs noms ont été maintenus en mars 2023{1}, puis en septembre de la même année{2}, par le Conseil de l’Union européenne sur les listes des personnes et entités visées par des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. Ces affaires permettent notamment au Tribunal de se prononcer sur la légalité du critère g) modifié de la décision 2014/145 permettant au Conseil d’adopter des mesures restrictives à l’encontre de femmes et d’hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Russie{3} et sur la notion d’association s’agissant de deux participants à une fondation non lucrative.

Ces arrêts s’inscrivent dans le contexte d’une série de mesures restrictives adoptées par l’Union à la suite de l’agression militaire perpétrée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022. G.N. Timchenko, un homme d’affaires de nationalités russe et finlandaise, a été maintenu sur les listes litigieuses en tant qu’homme d’affaires influent exerçant des activités en Russie et aux motifs qu’il est responsable de soutenir des actions ou des politiques qui compromettent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine{4}, d’apporter un soutien financier ou matériel aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine et de tirer avantage de ces décideurs{5}. Le nom de son épouse, E. P. Timchenko, a également été maintenu sur les listes au motif qu’elle est associée à son mari et tire avantage des décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine.

À l’appui de son recours en annulation, G. N. Timchenko invoque, notamment, une erreur d’appréciation de la part du Conseil quant à l’application à son égard des critères d’association et « d’hommes et de femmes d’affaires influents » ; il soulève, par ailleurs, une exception d’illégalité au sujet de ce dernier critère tel que modifié en 2023. Son épouse, E. P. Timchenko, invoque, pour sa part, une erreur manifeste d’appréciation quant à l’application à son égard du critère d’association.

Appréciation du Tribunal

S’agissant, en premier lieu, de l’exception d’illégalité soulevée par G. N. Timchenko au sujet du premier volet du critère g) modifié de la décision 2014/145, selon lequel le Conseil aurait institué une présomption d’interdépendance entre les femmes et hommes d’affaires influents et le gouvernement russe, le Tribunal relève, tout d’abord, que la modification apportée au critère g) ne concerne pas la définition de la notion de « femmes et hommes d’affaires influents » en tant que telle. Elle a uniquement eu pour objet d’élargir le champ d’application des mesures restrictives pour qu’elles s’appliquent à l’ensemble des femmes et hommes d’affaires influents, en ce compris celles et ceux qui n’interviennent pas dans un secteur économique qui fournit une source substantielle de revenus au gouvernement russe. Le Tribunal constate ensuite que l’élargissement de ce critère vise à exploiter l’influence que les femmes ou hommes d’affaires influents sont susceptibles d’exercer sur le gouvernement de la Fédération de Russie afin qu’il modifie sa politique à l’égard de l’Ukraine.

Enfin, le Tribunal rappelle, d’une part, que l’adoption d’un critère d’inscription sur les listes litigieuses constitue un acte de portée générale destiné à atteindre un objectif relevant de la politique étrangère et de sécurité commune et, d’autre part, que le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne l’adoption de tels critères. Dans ces conditions, le Conseil n’est pas tenu d’apporter des preuves pour établir l’existence de liens d’interdépendance entre le gouvernement russe et les femmes et hommes d’affaires influents aux fins de l’adoption du premier volet du critère g) modifié. La seule circonstance d’appartenir à la catégorie des femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Russie suffit pour justifier l’adoption des mesures restrictives nécessaires sur la base du premier volet du critère g) modifié. Partant, en adoptant un critère objectif, autonome et suffisant permettant de justifier l’inscription de personnes sur les listes litigieuses, lequel nécessite notamment la preuve de la réunion de deux éléments cumulatifs, le Conseil n’a pas institué de présomption.

En ce qui concerne, en deuxième lieu, la violation prétendue du principe de sécurité juridique par le premier volet du critère g) modifié, le Tribunal constate, tout d’abord, que la condition relative à l’exercice d’activités en Russie est suffisamment circonscrite et définie pour ne pas contrevenir au principe de sécurité juridique. Les dispositions du premier volet du critère g) modifié sont, par ailleurs, suffisamment claires, précises et prévisibles pour déterminer les personnes auxquelles elles ont vocation à s’appliquer. Elles s’inscrivent, ensuite, dans un cadre juridique clairement délimité par les objectifs poursuivis par la réglementation régissant les mesures restrictives en cause. Enfin, il ne peut être soutenu que ce critère ne respecte pas le principe de légalité dans la mesure où le premier volet du critère g) modifié a été introduit par un acte de portée générale adopté sur le fondement de l’article 29 TUE.

Au regard, en troisième lieu, de la prétendue violation du principe de proportionnalité, le Tribunal relève que la démarche du Conseil consistant à élargir le cercle des personnes visées par les mesures restrictives en cause, au vu de l’aggravation de la situation en Ukraine, afin d’atteindre les objectifs poursuivis, est fondée sur la progressivité de l’atteinte aux droits en fonction de l’effectivité des mesures. Par l’adoption de ce critère modifié, le Conseil vise à exploiter l’influence que cette catégorie de personnes est susceptible d’exercer sur le régime russe en les poussant à faire pression sur ce gouvernement afin qu’il modifie sa politique à l’égard de l’Ukraine. L’adoption du premier volet du critère g) modifié était donc appropriée pour atteindre les objectifs poursuivis par les mesures restrictives et nécessaire afin de mettre en œuvre les objectifs visés à l’article 21 TUE.

Concernant, en quatrième et dernier lieu, le moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation au titre du critère a) de la décision 2014/145, le Tribunal constate que les éléments de preuve apportés par le Conseil mettent en évidence que la Bank Rossiya, dont le requérant est actionnaire par l’intermédiaire des sociétés Volga Group et Transoil, a procédé à des investissements dans différents domaines en Crimée, qui participent à la mise en œuvre de la politique d’annexion de cette région de l’Ukraine par la Fédération de Russie. À cet égard, le Tribunal observe que même avec 10,323 % des actions de Bank Rossiya, le requérant se trouve être le deuxième plus grand actionnaire de cette banque. En outre, comme le mettent en évidence les éléments de preuve apportés par le Conseil, Bank Rossiya est connue pour être un établissement bancaire très proche de l’entourage de M. Poutine. Au regard de ce qui précède, le Tribunal conclut que G. N. Timchenko peut être considéré comme soutenant des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine au sens du critère a).

Enfin, en ce qui concerne l’épouse de G. N. Timchenko, le Tribunal constate, au regard des éléments de preuve apportés par le Conseil, que, en tant que membre fondatrice et membre du conseil fiduciaire de la Fondation Timchenko, E. P. Timchenko est pleinement impliquée dans l’administration de cette dernière. Il relève, par ailleurs, que G. N. Timchenko a associé les entreprises de Volga Group à l’activité de la fondation, en lui apportant un soutien financier, logistique et relationnel pendant la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19. Sur un plan opérationnel, l’homme d’affaires a ainsi réalisé des synergies entre les entreprises de son groupe et la fondation pour compléter l’action des services publics russes. À l’aune des fonctions institutionnelles exercées par les époux Timchenko dans la fondation et de leur investissement dans son fonctionnement, le Tribunal conclut à l’existence d’une association entre les deux époux, au sens des dispositions pertinentes de la décision 2014/145.

{1} Décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 134) et règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 1).

{2} Décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 104) et règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 3).

{3} Article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16), telle que modifiée par la décision 2023/1094 (ci-après « le critère g) modifié »).

{4} Article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145/PESC.

{5} Article 2, paragraphe 1, sous d), de la décision 2014/145/PESC.

Arrêt du 2 avril 2025, Timchenko / Conseil (T-297/23) (cf. points 90-94)

174. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Critères d'adoption des mesures restrictives - Personne, entité ou organisme associé à une personne inscrite sur la liste annexée à la décision attaquée - Respect du principe de sécurité juridique exigeant clarté, précision et prévisibilité des effets des règles juridiques

Dans son arrêt, le Tribunal rejette le recours en annulation introduit par la société requérante contre les actes par lesquels son nom a été inscrit le 16 décembre 2022{1}, puis maintenu en 2023{2} et en 2024{3} , par le Conseil de l’Union européenne sur les listes des personnes et entités visées par des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. Cette affaire permet notamment au Tribunal de se prononcer sur la question horizontale de l’application des dérogations prévues par le règlement no 269/2014{4} à la cession d’une société établie en dehors de l’Union européenne détenant des fonds gelés dans l’Union.

Cet arrêt s’inscrit dans le contexte d’une série de mesures restrictives adoptées par l’Union à la suite de l’agression militaire perpétrée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022. La requérante est une société à responsabilité limitée de droit russe établie en Russie dont le nom a été inscrit sur les listes litigieuses en tant qu’entité associée{5} à Sberbank, une société inscrite sur lesdites listes en tant qu’entité soutenant financièrement le gouvernement de la Fédération de Russie et en tant qu’entité opérant dans un secteur économique lui fournissant une source substantielle de revenus.

À l’appui de son recours en annulation, la requérante invoque, notamment, une erreur d’appréciation de la part du Conseil quant à l’application du critère d’association.

Appréciation du Tribunal

À titre liminaire, il convient de noter que la requérante allègue avoir cessé d’être une filiale de Sberbank depuis le 31 octobre 2022, lorsqu’elle aurait été vendue par les filiales de Sberbank qui la détenaient à un investisseur émirati. Elle fait dès lors valoir que, à la date de l’inscription et du maintien de son nom sur les listes litigieuses{6}, elle n’était plus une filiale de Sberbank.

La requérante ne contestant pas avoir été créée en 2021, afin de détenir les certificats de dépôts et les obligations convertibles que détenait Sberbank dans Fortenova Group TopCo située aux Pays-Bas, lesquels ont été transférés par Sberbank à la requérante le 5 avril 2022, le Conseil considère toutefois que la vente n’a pas d’effet dans l’Union, étant donné qu’elle n’a pas été autorisée par une autorité nationale compétente conformément à la dérogation prévue à l’article 6 ter, paragraphe 2 ter, du règlement no 269/2014. En effet, les certificats de dépôts et obligations convertibles détenus par la requérante ont été gelés à compter de l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses, le 21 juillet 2022, en application de l’article 2 du règlement no 269/2014.

Le Tribunal constate à cet égard qu’en application de la notion de « gel de fonds » définie à l’article 1er, sous f), du règlement no 269/2014, les certificats de dépôts et obligations convertibles détenus par la requérante ne pouvaient plus, depuis l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses, faire l’objet d’aucun mouvement ou modification qui aurait eu pour conséquence un changement de leur propriété ou toute autre modification qui aurait pu en permettre l’utilisation. Le déblocage de ces fonds et ressources économiques ne pouvait dès lors intervenir qu’à la suite du retrait de Sberbank des listes litigieuses ou en application de l’une des dérogations prévues par ledit règlement, et notamment de celle prévue spécifiquement pour Sberbank à l’article 6 ter, paragraphe 2 ter, de ce règlement, tel que modifié par le règlement 2022/330{7}.

En l’occurrence, le Tribunal relève tout d’abord qu’aucune autorisation n’a été demandée auprès de l’autorité nationale néerlandaise compétente concernant la cession de la requérante à l’investisseur émirati. Il souligne ensuite que cette cession aurait pour conséquence le transfert de fonds situés sur le territoire de l’Union et que, au regard du champ d’application de l’article 17 du règlement no 269/2014, ce dernier était donc applicable à ladite cession.

S’agissant de la dérogation visée à l’article 6 ter, paragraphe 2 ter, du règlement no 269/2014, le Tribunal constate qu'elle s’applique à la vente de droits de propriété que possède directement ou indirectement Sberbank dans une personne morale, une entité ou un organisme établi dans l’Union, tels que les certificats de dépôts et obligations convertibles en cause dans Fortenova Group TopCo.

Par ailleurs, les dérogations visent à circonscrire clairement les cas dans lesquels les entités inscrites sur les listes litigieuses peuvent demander des autorisations aux autorités nationales compétentes pour vendre des actifs gelés et, ce faisant, à garantir l’efficacité des mesures restrictives. Ainsi, la propriété de fonds gelés ne peut pas être transférée par des personnes physiques ou morales dont le nom est inscrit sur les listes litigieuses à d’autres personnes en dehors de l’Union, sans avoir recours à une dérogation. Si cela était le cas, les effets des mesures restrictives seraient réduits à néant. Il s’ensuit que le transfert par Sberbank à un investisseur émirati des certificats de dépôts ainsi que des obligations convertibles détenus au sein de l’Union par la requérante dans Fortenova Group TopCo et gelés depuis l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses, sans une autorisation d’une autorité nationale compétente, est contraire aux dispositions du règlement no 269/2014 et doit être considéré comme dépourvu d’effet en droit de l’Union.

Partant, dans ce contexte, le fait que la requérante continue à détenir les certificats de dépôts et obligations convertibles dans Fortenova Group TopCo, lesquels ont été gelés à la suite de l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses, démontre l’existence d’intérêts communs la liant à Sberbank.

{1} Décision (PESC) 2022/2477 du Conseil, du 16 décembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 322 I, p. 466) et règlement d’exécution (UE) 2022/2476 du Conseil, du 16 décembre 2022 , mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 322 I, p. 318).

{2} Décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 134) et règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 1) ; décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 104) et règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 3).

{3} Décision (PESC) 2024/847 du Conseil, du 12 mars 2024, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO L, 2024/847) et règlement d’exécution (UE) 2024/849 du Conseil, du 12 mars 2024, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO L, 2024/849).

{4} Règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

{5} Article 2, paragraphe 1, de la décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16), telle que modifiée par la décision (PESC) 2022/329.

{6} À savoir le 16 décembre 2022 et à la date d’adoption des actes de maintien en 2023 et en 2024.

{7} Article 6 ter, paragraphe 2 ter, du règlement no 269/2014 : « Par dérogation à l’article 2, les autorités compétentes d’un État membre peuvent, dans des conditions qu’elles jugent appropriées, autoriser le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés, ou la mise de certains fonds ou ressources économiques à la disposition de l’entité inscrite sur la liste figurant à l’annexe I, sous le numéro 108, après avoir établi que ces fonds ou ressources économiques sont nécessaires pour mettre fin, au plus tard le 31 octobre 2022, à une vente et un transfert en cours de droits de propriété que possède directement ou indirectement cette entité dans une personne morale, une entité ou un organisme établi dans l’Union. » Voir également, à ce propos, article 2, paragraphe 15, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision (PESC) 2022/329.

Arrêt du 30 avril 2025, SBK Art / Conseil (T-102/23) (cf. points 77-78, 89)