1. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Décision nationale ne constituant pas une mesure de mise en oeuvre du droit de l'Union ou ne présentant pas d'autres éléments de rattachement à ce dernier - Incompétence de la Cour
Saisie au titre de l’article 267 TFUE, la Cour de justice est compétente pour statuer sur l’interprétation du traité FUE ainsi que sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de l’Union. La compétence de la Cour est limitée à l’examen des seules dispositions du droit de l’Union.
Aux termes de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.
En outre, ainsi qu'il ressort de l'article 6, paragraphe 1, TUE, qui attribue une valeur contraignante à la charte, et de la déclaration sur la charte des droits fondamentaux, annexée à l’acte final de la conférence intergouvernementale qui a adopté le traité de Lisbonne, celle-ci ne crée aucune compétence nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences de cette dernière.
Par conséquent, la Cour est manifestement incompétente pour répondre aux demandes de décisions préjudicielles concernant l'interprétation de dispositions de la charte lorsque la décision de renvoi ne contient aucun élément concret permettant de considérer que la décision nationale en cause constituerait une mesure de mise en œuvre du droit de l’Union ou qu’elle présenterait d’autres éléments de rattachement à ce dernier.
2. Droit de l'Union - Principes - Droit à une protection juridictionnelle effective - Consécration par la convention européenne des droits de l'homme - Prise en compte de la charte des droits fondamentaux
Le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit de l’Union, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne des droits de l’homme.
S’agissant de droits fondamentaux, il importe, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, de tenir compte de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, laquelle a, aux termes de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE, "la même valeur juridique que les traités". L’article 51, paragraphe 1, de ladite charte prévoit en effet que les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.
À cet égard, selon les explications afférentes à l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union, qui, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de cette même charte, doivent être prises en considération pour l’interprétation de celle-ci, l’article 47, deuxième alinéa, de la charte correspond à l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l'homme.
Arrêt du 22 décembre 2010, DEB (C-279/09, Rec._p._I-13849) (cf. points 29-32)
3. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Objet du litige national ne présentant aucun élément de rattachement au droit de l'Union - Incompétence de la Cour
Saisie au titre de l'article 234 CE, la Cour de justice est compétente pour statuer sur l’interprétation du traité ainsi que sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de l’Union européenne. Dans ce cadre, la compétence de la Cour est limitée à l’examen des seules dispositions du droit de l’Union.
L’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne énonce que les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Au demeurant, cette limitation n’a pas été modifiée par l’entrée en vigueur, le 1er décembre 2009, du traité de Lisbonne, depuis laquelle, en vertu du nouvel article 6, paragraphe 1, UE, la charte a la même valeur juridique que les traités. Cet article précise en effet que les dispositions de la charte n’étendent en aucune manière les compétences de l’Union telles que définies dans les traités.
Il s'ensuit que la compétence de la Cour pour répondre à une demande d'interprétation de l'article 6, paragraphe 1, UE, dans sa version antérieure au traité de Lisbonne, n'est pas établie, lorsque la décision de renvoi ne contient aucun élément concret permettant de considérer que l'objet du litige présente un rattachement au droit de l'Union.
Ordonnance du 1er mars 2011, Chartry (C-457/09, Rec._p._I-819) (cf. points 21, 23-26)
Voir le texte de la décision.
Ordonnance du 12 juillet 2012, Currà e.a. (C-466/11) (cf. points 25-26)
Ordonnance du 3 juillet 2014, Tudoran (C-92/14) (cf. points 44, 45)
L’article 70 du règlement nº 883/2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement nº 1244/2010, qui définit la notion de "prestations spéciales en espèces à caractère non contributif" n’a pas pour objet de déterminer les conditions de fond de l’existence du droit auxdites prestations. Il appartient ainsi au législateur de chaque État membre de déterminer ces conditions. Dès lors, dans la mesure où lesdites conditions ne résultent ni du règlement nº 883/2004 ni de la directive 2004/38 ou d’autres actes du droit dérivé de l’Union, les États membres étant ainsi compétents pour régler les conditions d’octroi de telles prestations, ils le sont également pour définir l’étendue de la couverture sociale assurée par ce type de prestation.
Par conséquent, en fixant les conditions et l’étendue de l’octroi des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, les États membres ne mettent pas en œuvre le droit de l’Union.
Il s’ensuit que la Cour n’est pas compétente pour répondre à une question visant à savoir si les articles 1er, 20 et 51 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu’ils imposent aux États membres d’octroyer aux citoyens de l’Union des prestations de l’assurance de base en espèces à caractère non contributif de nature à rendre possible un séjour permanent ou que ces États peuvent limiter cet octroi à la mise à disposition de moyens nécessaires au retour dans l’État d’origine.
Arrêt du 11 novembre 2014, Dano (C-333/13) (cf. points 87-92)
Ordonnance du 22 septembre 2011, Pagnoul (C-314/10, Rec._p._I-136*) (cf. points 22-25)
Ordonnance du 22 septembre 2011, Lebrun et Howet (C-538/10, Rec._p._I-137*) (cf. points 17-20)
Ordonnance du 21 février 2013, Ajdini (C-312/12) (cf. points 21-22)
Ordonnance du 14 mars 2013, Loreti e.a. (C-555/12) (cf. points 15-19)
Ordonnance du 7 novembre 2013, SC Schuster & Co Ecologic (C-371/13) (cf. points 14-16, 18, 20)
Ordonnance du 16 janvier 2014, Dutka et Sajtos (C-614/12 et C-10/13) (cf. points 13-16)
Ordonnance du 16 janvier 2014, Weigl (C-332/13) (cf. points 12-15)
Ordonnance du 17 juillet 2014, Široká (C-459/13) (cf. points 22-26)
Ordonnance du 17 juillet 2014, Yumer (C-505/13) (cf. points 25, 26)
4. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Décision nationale ne constituant pas une mesure de mise en œuvre du droit de l'Union ou ne présentant pas d'autres éléments de rattachement à ce dernier - Incompétence de la Cour
Voir le texte de la décision.
Ordonnance du 2 juin 2016, Grodecka (C-50/16) (cf. points 16-19)
5. Droits fondamentaux - Respect de la vie privée et familiale - Refus de droit de séjour des membres de la famille d'un citoyen de l'Union ressortissants d'États tiers - Situation relevant du champ d'application du droit de l'Union - Appréciation au regard de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux - Situation ne relevant pas du droit de l'Union - Appréciation au regard de l'article 8, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l'homme - Appréciation incombant à la juridiction nationale
Si une juridiction nationale considère, à la lumière des circonstances d’un litige dont elle est saisie, que la situation des membres de la famille d’un citoyen de l’Union ressortissants d’un État tiers relève du droit de l’Union, elle devra examiner si le refus du droit de séjour de ces derniers porte atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale prévu à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En revanche, si elle considère que ladite situation ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, elle devra faire un tel examen à la lumière de l’article 8, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l'homme. En effet, tous les États membres sont parties à cette convention qui consacre, à son article 8, le droit au respect de la vie privée et familiale.
Arrêt du 15 novembre 2011, Dereci e.a. (C-256/11, Rec._p._I-11315) (cf. points 72-73)
6. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Réglementation nationale ne constituant pas une mesure de mise en œuvre du droit de l'Union - Incompétence de la Cour
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 5 février 2015, Nisttahuz Poclava (C-117/14) (cf. points 28, 29, 38, 40, 41, 44)
Ordonnance du 2 juillet 2020, S.A.D. Maler und Anstreicher (C-256/19 REC) (cf. points 31-34)
Voir texte de la décision.
Ordonnance du 10 mai 2012, Corpul Naţional al Poliţiştilor (C-134/12) (cf. points 12-13 et disp.)
Ordonnance du 5 février 2015, Petrus (C-451/14) (cf. points 17-19)
Arrêt du 22 janvier 2020, Baldonedo Martín (C-177/18) (cf. points 57-59, 61-64)
Ordonnance du 23 mars 2022, AZ (C-454/20) (cf. points 21-24, 27, 29, 31-32 et disp.)
7. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation du protocole additionnel nº 1 à la convention européenne des droits de l'homme - Réglementation nationale ne constituant pas une mesure de mise en œuvre du droit de l'Union - Incompétence de la Cour
Ordonnance du 14 décembre 2011, Cozman (C-462/11, Rec._p._I-197*) (cf. points 12, 14-16 et disp.)
8. Contrôles aux frontières, asile et immigration - Politique d'asile - Critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile - Pouvoir d'appréciation des États membres - Faculté d'examiner une demande d'asile incombant à un autre État membre - Décision consistant en une mise en œuvre du droit de l'Union
L’article 3, paragraphe 2, du règlement nº 343/2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers, reconnaît aux États membres un pouvoir d’appréciation qui fait partie intégrante du système européen commun d’asile prévu par le traité FUE et élaboré par le législateur de l’Union. Ce pouvoir d’appréciation doit être exercé par les États membres dans le respect des autres dispositions dudit règlement. Un État membre qui exerce ce pouvoir doit donc être considéré comme mettant en œuvre le droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Par conséquent, la décision, adoptée par un État membre sur le fondement dudit article 3, paragraphe 2, du règlement nº 343/2003, d’examiner ou non une demande d’asile par rapport à laquelle il n’est pas responsable au regard des critères énoncés au chapitre III de ce règlement met en œuvre le droit de l’Union aux fins de l’article 6 TUE et/ou de l’article 51 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
9. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Réglementation nationale ne constituant pas une mesure de mise en œuvre du droit de l'Union ou ne présentant pas d'autres éléments de rattachement à ce dernier - Incompétence de la Cour
Les exigences découlant de la protection des droits fondamentaux lient les États membres dans tous les cas où ils sont appelés à appliquer le droit de l’Union. En outre, l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux énonce que les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union et, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, TUE, qui attribue à la charte la même valeur juridique que celle des traités, celle-ci ne crée aucune compétence nouvelle pour l’Union.
Dès lors, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, lorsqu’une réglementation nationale entre dans le champ d’application du droit de l’Union, la Cour, saisie à titre préjudiciel, doit fournir tous les éléments d’interprétation nécessaires à l’appréciation par la juridiction nationale de la conformité de cette réglementation avec les droits fondamentaux, tels qu’ils résultent en particulier de la charte. En l’occurrence, lorsqu’il ne résulte pas de la décision de renvoi que la réglementation nationale constitue une mesure de mise en œuvre du droit de l’Union ou présente d’autres éléments de rattachement à ce droit, la compétence de la Cour pour répondre à la demande de décision préjudicielle en ce qu’elle porte sur le droit fondamental à un recours effectif n’est pas établie.
Arrêt du 7 juin 2012, Vinkov (C-27/11) (cf. points 56-59)
10. Coopération judiciaire en matière civile - Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale - Règlement nº 44/2001 - Reconnaissance et exécution des décisions - Recours contre une décision constatant la force exécutoire d'une ordonnance de saisie - Recours constituant une mise en œuvre du droit de l'Union au sens de l'article 51 de la charte des droits fondamentaux - Possibilité d'invoquer le principe de protection juridictionnelle effective consacré par l'article 47 de cette charte
Ordonnance du 13 juin 2012, GREP (C-156/12) (cf. points 31, 33-35, 37, 43 et disp.)
11. Actes des institutions - Décision de classement sans suite adoptée par la commission des pétitions du Parlement - Pétition portant sur une prétendue violation, par un État membre, du droit de propriété consacré par l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux - Pétition sans relation avec l'application du droit de l'Union - Bien-fondé de la décision de classement
Arrêt du 27 septembre 2012, J / Parlement (T-160/10) (cf. points 30-32)
12. Citoyenneté de l'Union - Dispositions du traité - Champ d'application - Citoyen de l'Union ayant exercé son droit de libre circulation - Condition d'inclusion - Application de mesures ayant pour effet de priver de la jouissance effective de l'essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l'Union - Refus par l'État membre d'origine d'un citoyen de l'Union du droit de séjour au titre de la directive 2004/38 à un membre de la famille ressortissant d'un pays tiers - Circonstance insuffisante pour établir ladite privation - Appréciation au regard de l'article 51 de la charte des droits fondamentaux - Situation ne relevant pas du droit de l'Union
En dehors des situations régies par la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221, 68/360, 72/194, 73/148, 75/34, 75/35, 90/364, 90/365 et 93/96, et lorsqu’il n’existe pas non plus d’autre lien de rattachement avec les dispositions du droit de l’Union concernant la citoyenneté, un ressortissant d’un pays tiers ne saurait prétendre à un droit de séjour dérivé d’un citoyen de l’Union.
Un tel lien n'est pas établi lorsque le refus d'octroi d'un titre de séjour à un ressortissant d'un pays tiers membre de la famille d'un citoyen de l'Union ne risque pas de priver le citoyen de l'Union de la jouissance effective de l'essentiel des droits attachés à son statut de citoyen de l'Union ou d'entraver l'exercice de son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. À cet égard, des perspectives purement hypothétiques d'entrave au droit de libre circulation des citoyens de l'Union ne constituent pas un lien suffisant avec le droit de l'Union pour justifier l'application de ses dispositions.
Par ailleurs, afin de déterminer si un tel refus relève de la mise en œuvre du droit de l'Union au sens de l'article 51 de la charte des droits fondamentaux, il y a lieu de vérifier, parmi d’autres éléments, si la réglementation nationale en cause a pour but de mettre en œuvre une disposition du droit de l’Union, le caractère de cette réglementation et si celle-ci poursuit des objectifs autres que ceux couverts par le droit de l’Union, même si elle est susceptible d’affecter indirectement ce dernier, ainsi que s’il existe une réglementation du droit de l’Union spécifique en la matière ou susceptible de l’affecter.
Dès lors que le refus de délivrance d'un titre de séjour ne relève pas de la mise en oeuvre du droit de l'Union au sens de l'article 51 de la charte des droits fondamentaux, car la situation du demandeur du titre de séjour n'est pas régie par le droit de l'Union, la conformité de ce refus aux droits fondamentaux ne saurait être examinée à l'aune des droits institués par cette dernière.
Arrêt du 8 novembre 2012, Iida (C-40/11) (cf. points 76-77, 79-82 et disp.)
13. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la Charte des droits fondamentaux - Réglementation nationale ne constituant pas une mesure de mise en œuvre du droit de l'Union ou ne présentant pas d'autres éléments de rattachement à ce dernier - Incompétence de la Cour
14. Droit de l'Union européenne - Principes généraux du droit - Règles et principes du traité et de la charte des droits fondamentaux - Protection juridictionnelle effective - Traité instituant le mécanisme européen de stabilité
Le principe général de protection juridictionnelle effective garanti par l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne s’oppose pas à la conclusion entre les États membres dont la monnaie est l’euro d’un accord tel que le traité instituant un mécanisme européen de stabilité (traité MES) ni à la ratification de celui-ci par ces derniers.
Conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la charte, les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En vertu du paragraphe 2 de ce même article, la charte n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l’Union et ne modifie pas les compétences et les tâches définies dans les traités. Ainsi, la Cour est appelée à interpréter, à la lumière de la charte, le droit de l’Union dans les limites des compétences attribuées à celle-ci.
Or, les États membres ne mettent pas en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte, lorsqu’ils instituent un mécanisme de stabilité tel que le MES pour l’institution duquel les traités UE et FUE n’attribuent aucune compétence spécifique à l’Union.
Arrêt du 27 novembre 2012, Pringle (C-370/12) (cf. points 179-180, disp 2)
15. Contrôles aux frontières, asile et immigration - Code communautaire sur le franchissement des frontières - Mise à disposition des voies de recours à l'encontre d'une décision de refus d'entrée - Obligation pour les États membres d'établir une voie de recours pour contester des infractions commises par les gardes-frontières au cours de la procédure d'adoption d'une décision - Absence - Appréciation par la juridiction nationale de l'adéquation des voies de recours à l'égard de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux dans le cas d'une situation régie par le droit de l'Union ou en tenant compte de la convention européenne des droits de l'homme dans le cas contraire
L’article 13, paragraphe 3, du règlement nº 562/2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), ne prévoit l’obligation, pour les États membres, d’établir une voie de recours qu’à l’encontre des décisions de refus d’entrée sur leur territoire et non, à cet égard, à l'encontre des infractions prétendument commises par les gardes-frontières au cours de la procédure d’adoption d’une décision.
Toutefois, si la juridiction nationale considère, à la lumière des circonstances du litige dont elle est saisie, que la situation de la personne concernée relève du droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, il lui appartient de déterminer si un refus de reconnaître à celle-ci le droit d’introduire ses demandes devant une juridiction porte atteinte aux droits reconnus à l’article 47 de la charte. Or, les gardes-frontières exerçant leurs fonctions, au sens de l’article 6 dudit règlement sont tenus, notamment, de respecter pleinement la dignité humaine. Il appartient aux États membres de prévoir dans leur ordre interne les voies de recours appropriées afin d’assurer, dans le respect de l’article 47 de la charte, la protection des personnes faisant valoir les droits qu’elles tirent de l’article 6 du règlement nº 562/2006. En revanche, si cette juridiction considère que ladite situation ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, elle devra procéder à un examen de celle-ci à la lumière du droit national, en prenant également en considération la convention européenne des droits de l’homme, à laquelle tous les États membres sont parties.
Arrêt du 17 janvier 2013, Zakaria (C‑23/12) (cf. points 39-42 et disp.)
16. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Objet du litige national ne présentant aucun élément de rattachement au droit de l'Union - Législation nationale en matière de frais de justice prévoyant la réduction de moitié des honoraires de l'avocat acceptant un mandat en faveur des justiciables admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle - Législation ne mettant pas en œuvre le droit de l'Union - Incompétence de la Cour
Ordonnance du 7 février 2013, Pedone (C-498/12) (cf. points 12-16)
Ordonnance du 7 février 2013, Gentile (C-499/12) (cf. points 12-16)
17. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Réglementation nationale présentant un élément de rattachement au droit de l'Union - Compétence de la Cour
Le champ d’application de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel les dispositions de la charte s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En effet, les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais pas en dehors de telles situations.
La Cour ne peut ainsi apprécier, au regard de la charte, une réglementation nationale qui ne se situe pas dans le cadre du droit de l’Union. En revanche, dès lors qu’une telle réglementation entre dans le champ d’application de ce droit, la Cour, saisie à titre préjudiciel, doit fournir tous les éléments d’interprétation nécessaires à l’appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec les droits fondamentaux dont elle assure le respect.
Arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C-617/10) (cf. points 17 et 19)
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 6 octobre 2015, Delvigne (C-650/13) (cf. points 25-27, 33, 34)
18. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Réglementation nationale présentant un élément de rattachement au droit de l'Union - Réglementation sanctionnant la violation des dispositions du droit de l'Union - Action de l'État membre n'étant pas entièrement déterminée par ce droit - Applicabilité de la charte ainsi que des standards nationaux de protection des droits fondamentaux
Lorsqu’une juridiction d’un État membre est appelée à contrôler la conformité aux droits fondamentaux d’une disposition ou d’une mesure nationale qui, dans une situation dans laquelle l’action des États membres n’est pas entièrement déterminée par le droit de l’Union, met en œuvre ce droit au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte, il reste loisible aux autorités et aux juridictions nationales d’appliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pourvu que cette application ne compromette pas le niveau de protection prévu par la charte, telle qu’interprétée par la Cour, ni la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union. À cet effet, lorsque les juridictions nationales sont amenées à interpréter les dispositions de la charte, elles ont la possibilité et, le cas échéant, sont dans l’obligation de saisir la Cour à titre préjudiciel conformément à l’article 267 TFUE.
Ainsi, des sanctions fiscales et des poursuites pénales pour fraude fiscale en raison de l’inexactitude des informations fournies en matière de taxe sur la valeur ajoutée constituent une mise en œuvre des articles 2, 250, paragraphe 1, et 273 de la directive 2006/112, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (antérieurement articles 2 et 22 de la sixième directive) et de l’article 325 TFUE et, donc, du droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Le fait que les réglementations nationales qui servent de fondement auxdites sanctions fiscales et poursuites pénales n’aient pas été adoptées pour transposer la directive 2006/112 ne saurait être de nature à remettre en cause cette conclusion, dès lors que leur application tend à sanctionner une violation des dispositions de ladite directive et vise donc à mettre en œuvre l’obligation imposée par le traité aux États membres de sanctionner de manière effective les comportements attentatoires aux intérêts financiers de l’Union.
Arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C-617/10) (cf. points 27-30)
19. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Réglementation nationale ne constituant pas une mesure de mise en œuvre du droit de l'Union - Incompétence manifeste de la Cour
Voir le texte de la décision.
Ordonnance du 4 juin 2020, Balga (C-32/20) (cf. points 23-27, 35 et disp.)
20. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Respect de la vie privée et familiale - Refus de droit de séjour aux membres de la famille d'un citoyen de l'Union ressortissants d'États tiers - Situation ne relevant pas du champ d'application du droit de l'Union - Appréciation au regard de la Convention européenne des droits de l'homme - Appréciation incombant à la juridiction nationale
Lorsque la situation des membres de la famille d'un citoyen de l'Union ressortissants d'un pays tiers n'est régie ni par la directive 2004/38, relative aux droits des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, ni par la directive 2003/86, relative au droit au regroupement familial, et que le refus par un État membre d'accorder un droit de séjour aux membres de la famille dudit citoyen de l'Union n'aurait pas pour effet de priver ce dernier de la jouissance effective de l'essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l'Union, un tel refus ne relève pas de la mise en œuvre du droit de l'Union au sens de l'article 51 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de sorte que la conformité de ce refus aux droits fondamentaux ne saurait être examinée au regard des droits institués par cette dernière.
Une telle constatation ne préjuge pas de la question de savoir si, sur le fondement d’un examen à la lumière des dispositions de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont tous les États membres sont parties, un droit de séjour ne saurait être refusé aux ressortissants de pays tiers concernés dans le cadre du litige au principal.
Arrêt du 8 mai 2013, Ymeraga et Ymeraga-Tafarshiku (C-87/12) (cf. points 42-44)
21. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Objet du litige national ne présentant aucun élément de rattachement au droit de l'Union - Réglementation nationale en matière de frais de justice prévoyant la réduction de moitié des honoraires de l'avocat acceptant un mandat en faveur des justiciables admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle - Réglementation nationale ne mettant pas en œuvre le droit de l'Union - Incompétence manifeste de la Cour
Ordonnance du 8 mai 2013, T (C-73/13) (cf. points 11-15 et disp.)
22. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Objet du litige national ne présentant aucun élément de rattachement au droit de l'Union - Réglementation nationale permettant aux communes de réglementer les transformations immobilières ou urbanistiques sur leur territoire - Réglementation urbanistique communale interdisant le fractionnement d'un immeuble situé sur son territoire et prévoyant la nullité des actes de vente des parties du bien immobilier - Incompétence manifeste de la Cour
Ordonnance du 30 mai 2013, Fierro et Marmorale (C-106/13) (cf. points 12-15 et disp.)
23. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Objet du litige national ne présentant aucun élément de rattachement au droit de l'Union - Incompétence de la Cour
Ordonnance du 6 juin 2013, Cholakova (C-14/13) (cf. points 23-33 et disp.)
24. Libre circulation des personnes - Liberté d'établissement - Sociétés - Directive 89/666 - Publicité des succursales créées dans un État membre par certaines formes de société relevant du droit d'un autre État - Publicité des documents comptables - Réglementation nationale prévoyant, en cas de défaut de publicité des documents comptables dans le délai prévu, une sanction pécuniaire à l'encontre d'une société de capitaux pour sa succursale située dans l'État membre concerné - Absence de mise en demeure préalable - Absence de possibilité de s'exprimer sur le manquement imputé - Caractère approprié, effectif, proportionné et dissuasif de la sanction - Objectif de protection des tiers - Admissibilité
Sous réserve des vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, les articles 49 TFUE et 54 TFUE, les principes de la protection juridictionnelle effective et du respect des droits de la défense ainsi que l’article 12 de la onzième directive 89/666, concernant la publicité des succursales créées dans un État membre par certaines formes de société relevant du droit d’un autre État, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale selon laquelle, en cas de dépassement du délai de neuf mois prévu pour la publicité des documents comptables, une amende minimale de 700 euros est infligée immédiatement à une société de capitaux dont une succursale est située dans l’État membre concerné, et ce sans lui adresser au préalable une mise en demeure et sans lui donner la possibilité de s’exprimer sur le manquement imputé.
Tout en conservant le choix des sanctions, les États membres doivent notamment veiller à ce que les violations du droit de l’Union soient réprimées par des sanctions qui ont un caractère effectif, proportionné et dissuasif. En particulier, la rigueur des sanctions doit être en adéquation avec la gravité des violations qu’elles répriment, notamment en assurant un effet réellement dissuasif, tout en respectant le principe général de proportionnalité.
À cet égard, s'agissant du montant de l’astreinte, il y a lieu de mettre la rigueur de cette sanction en balance avec les intérêts et les risques financiers auxquels les partenaires commerciaux et les personnes intéressées peuvent être exposés si la situation financière réelle d’une société n’est pas publiée. Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si le montant infligé n’est pas excessif par rapport à l’objectif légitimement poursuivi.
En ce qui concerne le délai de neuf mois à compter de la date de clôture du bilan dans lequel la publicité doit être faite, celui-ci semble être suffisamment long pour permettre aux sociétés de remplir leur obligation de publicité sans que soit remis en cause le caractère proportionné du régime des sanctions. En effet, un délai plus long risquerait de porter préjudice à la protection des tiers, dans la mesure où ces derniers n’auraient pas accès aux informations les plus récentes leur permettant de connaître la situation réelle de la société concernée.
Par ailleurs, aucune sanction n’est infligée si la société concernée remplit son obligation légale de publicité telle qu’elle résulte du droit de l’Union et qui s’applique dans tous les États membres. Dès lors, les éventuelles sanctions ne sont pas susceptibles d’interdire, d’entraver ou de décourager une société relevant du droit d’un État membre de s’établir, par l’intermédiaire d’une succursale, sur le territoire d’un autre État membre.
Les dispositions de la charte des droits fondamentaux sont applicables dans une situation dans laquelle le législateur de l’Union a laissé, en vertu de l’article 12 de la directive 89/666, aux Etats membres le soin de déterminer les sanctions appropriées, à savoir des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives, afin d’assurer l’exécution de l’obligation de publicité. En effet, la réglementation nationale prévoyant de telles sanctions constitue une mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte.
Enfin, eu égard au caractère de l’infraction en cause, il apparaît que l’application d’une sanction initiale de 700 euros sans une mise en demeure préalable ni la possibilité d’être entendu avant que la sanction ne soit infligée n’apparaît pas de nature à affecter le contenu essentiel du droit fondamental au respect du principe des droits de la défense, dès lors que l’introduction du recours motivé contre la décision prononçant l’astreinte rend celle-ci immédiatement inapplicable et déclenche une procédure ordinaire dans le cadre de laquelle le droit d’être entendu peut être respecté.
25. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Égalité de traitement - Champ d'application - Réglementation nationale mettant en œuvre le droit de l'Union - Mesure nationale de soutien en faveur de la cogénération et des sources d'énergie renouvelables s'inscrivant dans le cadre établi par les directives 2001/77 et 2004/8 - Inclusion
Le principe d’égalité de traitement et de non-discrimination consacré, notamment, aux articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, s’adresse aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union ainsi qu’il ressort, en particulier, de l’article 51, paragraphe 1, de la charte.
Il s’ensuit que, lorsqu'un État membre adopte des mesures de soutien en faveur de la cogénération et des sources d’énergie renouvelables s’inscrivant dans un cadre tel que celui établi, d’une part, par la directive 2004/8, concernant la promotion de la cogénération sur la base de la demande de chaleur utile dans le marché intérieur de l’énergie et modifiant la directive 92/42, notamment son article 7, et, d’autre part, par la directive 2001/77, relative à la promotion de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables sur le marché intérieur de l’électricité, en particulier son article 4, cet État membre met en œuvre le droit de l’Union et, partant, il doit respecter le principe d’égalité de traitement et de non-discrimination notamment consacré aux articles 20 et 21 de la charte.
Arrêt du 26 septembre 2013, IBV & Cie (C-195/12) (cf. points 48, 49)
26. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Objet du litige national ne présentant aucun élément de rattachement au droit de l'Union - Réglementation nationale prévoyant la suspension de la procédure pénale en cas de maladie irréversible du prévenu - Réglementation nationale ne mettant pas en œuvre le droit de l'Union - Incompétence manifeste de la Cour
Ordonnance du 7 novembre 2013, Lorrai (C-224/13) (cf. points 10-15)
27. Actes des institutions - Décision de classement sans suite adoptée par la commission des pétitions du Parlement - Pétition portant sur une prétendue violation, par un État membre, du droit de propriété consacré par l'article 17 de la charte des droits fondamentaux - Pétition sans relation avec l'application du droit de l'Union - Bien-fondé de la décision de classement
Ordonnance du 14 novembre 2013, J / Parlement (C-550/12 P) (cf. points 28-31)
28. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Objet du litige national ne présentant aucun élément de rattachement au droit de l'Union - Réglementation nationale empêchant les personnes morales à but lucratif d'avoir accès à l'aide judiciaire - Incompétence manifeste de la Cour
Voir le texte de la décision.
29. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Gel des fonds et des ressources économiques - Procédure d'inscription sur la liste des personnes visées - Procédure garantissant le respect des droits fondamentaux - Choix de la base juridique - Article 215 TFUE et non pas article 75 TFUE - Admissibilité
Si la participation du Parlement au processus législatif est le reflet, au niveau de l’Union, d’un principe démocratique fondamental selon lequel les peuples participent à l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire d’une assemblée représentative, la différence entre les articles 75 TFUE et 215 TFUE quant à l’implication du Parlement résulte d’un choix opéré par les auteurs du traité de Lisbonne de conférer un rôle plus limité au Parlement à l’égard de l’action de l’Union dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune.
À cet égard, il n’est pas contraire au droit de l’Union que puissent être adoptées des mesures ayant une incidence directe sur les droits fondamentaux des personnes physiques ou morales au moyen d’une procédure excluant la participation du Parlement, dès lors que l’obligation de respecter les droits fondamentaux s’adresse, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, à toutes les institutions, à tous les organes et organismes de l’Union. En outre, aux termes de l’article 215, paragraphe 3, TFUE, les actes visés par cet article contiennent les dispositions nécessaires en matière de garanties juridiques. Par conséquent, un acte, tel que le règlement nº 36/2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement nº 442/2011, peut être adopté sur la base de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, pour autant qu’il comprenne des garanties quant au respect des droits fondamentaux des personnes concernées.
En l’espèce, le règlement nº 36/2012 contient les dispositions nécessaires pour assurer la protection des droits fondamentaux dès lors qu’il prévoit notamment, à l’article 32, paragraphes 2 à 4, les obligations, pour le Conseil, de motiver l’inscription de toute personne physique ou morale dans la liste des personnes visées par les mesures restrictives contenues dans ce règlement, de communiquer auxdites personnes, directement ou par la publication d’un avis, leur inscription, en leur donnant la possibilité de soumettre des observations, de revoir sa décision si de nouveaux éléments de preuves substantiels sont présentés ou si des observations sont formulées et de réexaminer à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois les listes.
30. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Réglementation nationale ne constituant pas une mesure de mise en œuvre du droit de l'Union et ne présentant pas d'autres éléments de rattachement à ce dernier - Incompétence de la Cour
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 6 mars 2014, Siragusa (C-206/13) (cf. points 19-33)
Voir texte de la décision.
31. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Réglementation nationale régissant, de manière générale, certaines taxes dans le domaine de l'administration de la justice et imposant des droits de greffe et de mise au rôle en cas d'introduction d'un appel en matière de droit social - Réglementation nationale n'ayant pas pour but de mettre en œuvre des dispositions du droit de l'Union et n'étant susceptible d'être affectée par aucune réglementation spécifique de celui-ci - Situation juridique ne relevant pas du champ d'application du droit de l'Union - Incompétence de la Cour
Le champ d’application de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel les dispositions de la charte s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. L’article 51, paragraphe 1, de la charte confirme la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais pas en dehors de telles situations. Or, lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions éventuellement invoquées de la charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence.
Tout d’abord, une réglementation nationale prévoyant des droits de greffe et de mise au rôle en cas d’introduction d’un appel en matière de droit social, qui régit, de manière générale, certaines taxes dans le domaine de l’administration de la justice, n’a pas pour but de mettre en œuvre des dispositions du droit de l’Union. Par ailleurs, celui-ci ne comporte aucune réglementation spécifique en la matière ou susceptible d’affecter une telle réglementation nationale.
Arrêt du 27 mars 2014, Torralbo Marcos (C-265/13) (cf. points 28-30, 32 et disp.)
32. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Réglementation nationale présentant un élément de rattachement au droit de l'Union - Restrictions à la libre prestation des services justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général - Admissibilité subordonnée au respect des droits fondamentaux - Compétence de la Cour
Dès lors qu’une réglementation nationale entre dans le champ d’application du droit de l'Union, la Cour, saisie à titre préjudiciel, doit fournir tous les éléments d’interprétation nécessaires à l’appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec les droits fondamentaux dont elle assure le respect.
À cet égard, lorsqu’un État membre invoque des raisons impérieuses d’intérêt général pour justifier une réglementation qui est de nature à entraver l’exercice de la libre prestation des services, cette justification, prévue par le droit de l’Union, doit être interprétée à la lumière des principes généraux du droit de l’Union et notamment des droits fondamentaux désormais garantis par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ainsi, la réglementation nationale en cause ne pourra bénéficier des exceptions prévues que si elle est conforme aux droits fondamentaux dont la Cour assure le respect.
Lorsqu’il s’avère qu’une réglementation nationale est de nature à entraver l’exercice de l’une ou de plusieurs libertés fondamentales garanties par le traité, elle ne peut bénéficier des exceptions prévues par le droit de l’Union pour justifier cette entrave que dans la mesure où cela est conforme aux droits fondamentaux dont la Cour assure le respect. Cette obligation de conformité aux droits fondamentaux relève à l’évidence du champ d’application du droit de l’Union et, en conséquence, de celui de la charte. L’emploi, par un État membre, d’exceptions prévues par le droit de l’Union pour justifier une entrave à une liberté fondamentale garantie par le traité doit, dès lors, être considéré comme "mettant en œuvre le droit de l’Union" au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte.
Arrêt du 30 avril 2014, Pfleger e.a. (C-390/12) (cf. points 33, 35, 36)
33. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Situation juridique en cause dans le litige au principal ne relevant pas du champ d'application du droit de l'Union ou ne présentant pas d'autres éléments de rattachement à ce dernier - Incompétence de la Cour
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 8 mai 2014, Pelckmans Turnhout (C-483/12) (cf. points 17-21, 26, 27)
34. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Égalité de traitement - Champ d'application - Réglementation nationale mettant en œuvre le droit de l'Union - Aide octroyée au titre du règlement nº 1698/2005 - Inclusion
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 15 mai 2014, Szatmári Malom (C-135/13) (cf. point 65)
35. Agriculture - Rapprochement des législations en matière de police sanitaire - Contrôles vétérinaires et zootechniques dans les échanges intracommunautaires d'animaux vivants et de produits d'origine animale - Décisions de la Commission relatives à l'influenza aviaire hautement pathogène chez les oiseaux sauvages - Instauration d'un régime de réparation des dommages causés par les mesures prévues par lesdites décisions - Absence - Légalité d'une législation nationale ne prévoyant pas une réparation intégrale des dommages subis - Appréciation au regard des droits à un recours effectif et de propriété ainsi que de la liberté d'entreprise - Réglementation nationale ne constituant pas une mesure de mise en œuvre du droit de l'Union et ne présentant pas d'autres éléments de rattachement à ce dernier - Incompétence de la Cour
D’une part, les décisions 2006/105, concernant certaines mesures de protection provisoires relatives aux cas suspectés ou confirmés d’influenza aviaire hautement pathogène chez les oiseaux sauvages en Hongrie, et 2006/115, concernant certaines mesures de protection relatives à l’influenza aviaire hautement pathogène chez les oiseaux sauvages dans la Communauté, doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne contiennent ni ne renvoient à des dispositions visant à instaurer un régime de réparation des dommages causés par les mesures qu’elles prévoient et, d’autre part, l’appréciation de la légalité d’une législation nationale qui ne prévoit pas une réparation intégrale, y compris le manque à gagner, des dommages subis en raison de l’adoption, en conformité avec le droit de l’Union, de mesures nationales de protection contre l’influenza aviaire, au regard des droits à un recours effectif et de la propriété ainsi que de la liberté d’entreprise, ne relève pas de la compétence de la Cour.
En effet, d'une part, les décisions 2006/105 et 2006/115 ne contiennent aucune disposition visant à instaurer un régime d’indemnisation des dommages causés aux particuliers par la mise en œuvre des mesures de lutte contre l’influenza aviaire prévues par ces décisions. En outre, aucune compétence attribuant à la Commission le pouvoir d’établir un régime d’indemnisation ne ressort ni du libellé ni de l’objectif des directives 89/662, relative aux contrôles vétérinaires applicables dans les échanges intracommunautaires dans la perspective de la réalisation du marché intérieur et 90/425, relative aux contrôles vétérinaires et zootechniques applicables dans les échanges intracommunautaires de certains animaux vivants et produits dans la perspective de la réalisation du marché intérieur qui ont servi de base à l’adoption des décisions 2006/105 et 2006/115. Enfin, si le législateur de l’Union peut considérer, dans le cadre du large pouvoir d’appréciation dont il dispose en matière de politique agricole, qu’il est indiqué d’indemniser, partiellement ou totalement, les propriétaires des exploitations dans lesquelles des animaux sont détruits et abattus, il ne saurait être déduit de cette constatation l’existence, dans le droit de l’Union, d’un principe général qui imposerait l’octroi d’une indemnisation en toutes circonstances.
D'autre part, dès lors qu’une obligation de réparation ne saurait être fondée sur le droit de l’Union, une mesure nationale prévoyant le versement par l’État concerné d’une indemnisation correspondant au dommage et aux dépenses effectifs, en excluant le manque à gagner, relève non pas du champ d’application du droit de l’Union, mais exclusivement du choix du législateur national. Or, dans le cadre de la procédure préjudicielle, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier l’interprétation des dispositions du droit national ou de juger si l’interprétation que la juridiction nationale en donne est correcte. En outre, aux termes de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, régissant son champ d’application, les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Cette disposition confirme la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais ne saurait être d’application en dehors de telles situations. Lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions éventuellement invoquées de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence.
Arrêt du 22 mai 2014, Érsekcsanádi Mezőgazdasági (C-56/13) (cf. points 46-48, 52-54, 57, disp. 2)
36. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Objet du litige national ne présentant aucun élément de rattachement au droit de l'Union - Incompétence manifeste de la Cour
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 18 septembre 2019, Ortiz Mesonero (C-366/18) (cf. points 49-52)
Ordonnance du 24 septembre 2019, KE (C-185/19) (cf. points 20-23 et disp.)
Ordonnance du 12 juin 2014, Pańczyk (C-28/14) (cf. points 19-21, 23, 24, 27, 28 et disp.)
Ordonnance du 19 juin 2014, Balázs et Papp (C-45/14) (cf. points 20-25)
Ordonnance du 25 septembre 2014, Kárász (C-199/14) (cf. points 14-16)
Ordonnance du 11 décembre 2014, Stylinart (C-282/14) (cf. points 18-22)
Ordonnance du 10 février 2015, Băbășan (C-305/14) (cf. points 13-17)
Ordonnance du 15 avril 2015, Burzio (C-497/14) (cf. points 27-33)
Ordonnance du 11 janvier 2017, Boudjellal (C-508/16) (cf. points 16-18, 33, 34)
Ordonnance du 26 octobre 2017, Caixa Económica Montepio Geral (C-333/17) (cf. points 10-19)
Ordonnance du 23 novembre 2017, Cunha Martins (C-131/17) (cf. points 9-20)
Ordonnance du 13 février 2020, МАК ТURS (C-376/19) (cf. points 21-25 et disp.)
Ordonnance du 6 mai 2021, Administración General del Estado (C-679/20) (cf. points 24-30 et disp.)
Ordonnance du 6 mai 2021, PONS HOLDING (C-703/20) (cf. points 11, 15-18 et disp.)
Ordonnance du 1er juillet 2021, Ministerul Public (C-244/21) (cf. points 25, 27-30 et disp.)
Ordonnance du 1er septembre 2021, KI (C-131/21) (cf. points 21-25 et disp.)
Ordonnance du 17 avril 2023, Ferriere Nord e.a. (C-560/22) (cf. point 31)
Ordonnance du 18 avril 2023, Vantage Logistics (C-200/22) (cf. points 26-29 et disp.)
37. Politique sociale - Rapprochement des législations - Protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur - Directive 2008/94 - Champ d'application - Réglementation nationale prévoyant le paiement des salaires échus postérieurement au 60e jour ouvrable ayant suivi la date d'introduction de la procédure de contestation des licenciements, à l'exclusion des cas de licenciements nuls - Égalité de traitement - Appréciation au regard de l'article 51 de la charte des droits fondamentaux - Exclusion
Une réglementation nationale selon laquelle l’employeur peut demander à l’État membre concerné le versement des salaires échus durant la procédure de contestation d’un licenciement postérieurement au 60e jour ouvrable ayant suivi le dépôt du recours et selon laquelle, lorsque l’employeur n’a pas versé ces salaires et se trouve en état d’insolvabilité provisoire, le salarié concerné peut, par l’effet d’une subrogation légale, réclamer directement à cet État le paiement desdits salaires ne relève pas du champ d’application de la directive 2008/94, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, et ne peut, dès lors, être examinée au regard des droits fondamentaux garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et, notamment, de son article 20.
En effet, selon l'article 51 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l’obligation de respecter les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ne s’impose aux États membres que lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. À cet égard, la notion de "mise en œuvre du droit de l'Union" au sens de l'article 51 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne présuppose l'existence d'un lien de rattachement entre un acte du droit de l'Union et la mesure nationale en cause, qui dépasse le voisinage des matières visées ou les incidences indirectes de l'une des matières sur l'autre. Notamment, la Cour a conclu à l’inapplicabilité des droits fondamentaux de l’Union par rapport à une réglementation nationale en raison du fait que les dispositions de l’Union du domaine concerné n’imposaient aucune obligation spécifique aux États membres à l’égard de la situation en cause au principal. Le seul fait qu’une mesure nationale relève d’un domaine dans lequel l’Union dispose de compétences ne saurait la placer dans le champ d’application du droit de l’Union et, donc, entraîner l’applicabilité de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Afin de déterminer si une mesure nationale relève de la mise en œuvre du droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, il y a lieu de vérifier, parmi d’autres éléments, si la réglementation nationale en cause a pour but de mettre en œuvre une disposition du droit de l’Union, le caractère de cette réglementation et si celle-ci poursuit des objectifs autres que ceux couverts par le droit de l’Union, même si elle est susceptible d’affecter indirectement ce dernier, ainsi que s’il existe une réglementation du droit de l’Union spécifique en la matière ou susceptible de l’affecter.
Tout d'abord, la réglementation nationale précitée poursuit un objectif autre que celui de garantir une protection minimale des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, visé par la directive 2008/94, à savoir celui de pourvoir à l’indemnisation par l’État membre des conséquences dommageables de la durée de procédures judiciaires dépassant 60 jours ouvrables. En outre, l'octroi de cette indemnisation n'est susceptible ni d'affecter ni de limiter la protection minimale que cet État membre confère aux travailleurs salariés par l'institution nationale de garantie conformément aux articles 3 et 4 de cette directive. S’agissant de l’article 11, premier alinéa, de ladite directive, cette disposition se limite à constater que la directive 2008/94 ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs salariés. Au regard de ses termes, cette disposition, qui figure dans le chapitre V, intitulé "Dispositions générales et finales", ne confère pas aux États membres une faculté de légiférer en vertu du droit de l’Union, mais se limite, à la différence des facultés prévues aux chapitres I et II de ladite directive, à reconnaître le pouvoir des États membres en vertu du droit national de prévoir de telles dispositions plus favorables en dehors du cadre du régime établi par cette directive. Il s'ensuit qu'une disposition du droit national qui se limite à accorder aux travailleurs salariés une protection plus favorable résultant de l’exercice de la seule compétence des États membres, confirmée par l’article 11, premier alinéa, de la directive 2008/94 ne saurait être considérée comme relevant du champ d’application de cette directive. Enfin, la réglementation précitée ne présente pas un risque d'atteinte à l'unité, à la primauté et à l'effectivité du droit de l'Union dès lors qu'elle n'est susceptible ni d'affecter ni de limiter la protection
minimale garantie conformément aux articles 3 et 4 de la directive 2008/94.
38. Cohésion économique, sociale et territoriale - Fonds européen de développement régional - Gestion et contrôle - Comités de suivi - Manuel de programme d'un comité de suivi excluant du contrôle juridictionnel les décisions de rejet des demandes de subvention - Inadmissibilité - Violation du droit à un recours effectif
Le règlement nº 1083/2006, portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement nº 1260/1999, lu en combinaison avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition d’un manuel de programme adopté par un comité de suivi dans le cadre d’un programme opérationnel conclu entre deux États membres et visant à promouvoir la coopération territoriale européenne, en tant que cette disposition ne prévoit pas qu’une décision de ce comité de suivi rejetant une demande de subvention puisse faire l’objet d’un recours devant une juridiction d’un État membre.
En effet, dès lors que l’adoption d'un manuel de programme par un comité de suivi dans le cadre d’un programme opérationnel relevant des règlements nº 1083/2006 et nº 1080/2006, relatif au Fonds européen de développement régional et abrogeant le règlement nº 1783/1999, et visant à promouvoir la coopération territoriale européenne, constitue une mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte, ledit comité doit respecter les dispositions de ladite charte.
Arrêt du 17 septembre 2014, Liivimaa Lihaveis (C-562/12) (cf. points 65, 66, 76, disp. 3)
39. Droit de l'Union européenne - Principes - Égalité de traitement - Égalité de traitement en matière d'emploi et de travail - Directive 2000/78 - Interdiction de discrimination - Portée - Discrimination fondée sur l'obésité - Exclusion - Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne - Champ d'application - Licenciement prétendument fondé sur l'obésité - Exclusion
Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il ne consacre pas de principe général de non-discrimination en raison de l’obésité, en tant que telle, en ce qui concerne l’emploi et le travail.
À cet égard, il convient de constater qu’aucune disposition des traités UE et FUE ne contient une interdiction de la discrimination fondée sur l’obésité en tant que telle. Notamment, ni l’article 10 TFUE ni l’article 19 TFUE ne se réfèrent à l’obésité.
En outre, le droit dérivé de l’Union ne consacre pas davantage de principe de non-discrimination en raison de l’obésité en ce qui concerne l’emploi et le travail. En particulier, la directive 2000/78, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, ne mentionne pas l’obésité en tant que motif de discrimination. Or, il n’y a pas lieu d’étendre le champ d’application de la directive 2000/78 par analogie au-delà des discriminations fondées sur les motifs énumérés de manière exhaustive à l’article 1er de celle-ci. Par conséquent, l’obésité en tant que telle ne peut pas être considérée comme un motif venant s’ajouter à ceux au titre desquels la directive 2000/78 interdit toute discrimination.
Enfin, les dispositions de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’ont pas davantage vocation à s’appliquer à une situation qui a trait à un licenciement prétendument fondé sur l’obésité.
Arrêt du 18 décembre 2014, FOA (C-354/13) (cf. points 33, 35-40, disp. 1)
40. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Réglementation nationale ne constituant pas une mesure de mise en œuvre du droit de l'Union ou ne présentant pas d'autres éléments de rattachement à ce dernier - Incompétence manifeste de la Cour
Pour déterminer si une réglementation nationale relève de la mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51 de la Charte, il y a lieu de vérifier, parmi d’autres éléments, si elle a pour but de mettre en œuvre une disposition du droit de l’Union, le caractère de cette réglementation et si celle-ci ne poursuit pas des objectifs autres que ceux couverts par le droit de l’Union, même si elle est susceptible d’affecter indirectement ce dernier, ainsi que s’il existe une réglementation du droit de l’Union spécifique en la matière ou susceptible de l’affecter (arrêts du 6 mars 2014, Siragusa, C-206/13, EU:C:2014:126, point 25 et jurisprudence citée, ainsi que du 10 juillet 2014, Julián Hernández e.a., C-198/13, EU:C:2014:2055, point 37).
En l’occurrence, ainsi qu’il ressort des décisions de renvoi, la disposition nationale en cause au principal concerne la procédure de recouvrement des sommes dues par l’État, à titre de réparation équitable, en raison de la durée excessive d’une procédure judiciaire, prévue à l’article 5 sexies de la loi nº 89/2001. Toutefois, il y a lieu de relever que, d’une part, les dispositions du traité FUE visées par la juridiction de renvoi n’imposent pas aux États membres d’obligations spécifiques en ce qui concerne le recouvrement des sommes dues par l’État, à titre de réparation équitable, en raison de la durée excessive d’une procédure judiciaire et que, en l’état actuel, le droit de l’Union ne comporte aucune réglementation spécifique en la matière.
Il en résulte qu’aucun élément ne permet de considérer que le litige au principal concerne l’interprétation ou l’application d’une règle du droit de l’Union autre que celle figurant dans la Charte. Or, lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions de la Charte éventuellement invoquées ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence (ordonnance du 18 février 2016, Rîpanu, C-407/15, non publiée, EU:C:2016:167, point 22 et jurisprudence citée).
Ordonnance du 7 septembre 2017, Demarchi Gino (C-177/17 et C-178/17) (cf. points 20, 22, 25, 28)
Ordonnance du 7 mai 2015, Văraru (C-496/14) (cf. points 15-22)
Ordonnance du 7 mai 2015, Pondiche (C-608/14) (cf. points 19-24, 28)
Ordonnance du 18 février 2016, Rîpanu (C-407/15) (cf. points 16, 19-23 et disp.)
Ordonnance du 14 avril 2016, Târşia (C-328/15) (cf. points 18-27 et disp.)
41. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Disposition nationale ne constituant pas une mesure de mise en œuvre du droit de l'Union ou ne présentant pas d'autres éléments de rattachement à ce dernier - Incompétence manifeste de la Cour
Ordonnance du 23 février 2016, Garzón Ramos et Ramos Martín (C-380/15) (cf. points 20-28 et disp.)
42. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Réglementation nationale ne constituant pas une mise en œuvre du droit de l'union ou ne présentant pas d'autres éléments de rattachement à ce dernier - Incompétence manifeste de la Cour
Ordonnance du 25 février 2016, Aiudapds (C-520/15) (cf. points 18-21, 23 et disp.)
43. Coopération judiciaire en matière pénale - Décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres - Remise des personnes condamnées ou soupçonnées aux autorités judiciaires d'émission - Obligation incombant aux autorités judiciaires d'émission et d'exécution de respecter les droits et principes juridiques fondamentaux - Portée - Limites
Le respect de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, relatif à l’interdiction des peines et des traitements inhumains ou dégradants, s’impose, ainsi qu’il ressort de son article 51, paragraphe 1, aux États membres et, par conséquent, à leurs juridictions, lorsque celles-ci mettent en œuvre le droit de l’Union, ce qui est le cas lorsque l’autorité judiciaire d’émission et l’autorité judiciaire d’exécution appliquent les dispositions nationales adoptées en exécution de la décision-cadre. Il s’ensuit que, lorsque l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution dispose d’éléments attestant d’un risque réel de traitement inhumain ou dégradant des personnes détenues dans l’État membre d’émission, à l’aune du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union et, en particulier, de l’article 4 de la charte, elle est tenue d’apprécier l’existence de ce risque lorsqu’elle doit décider de la remise aux autorités de l’État membre d’émission de la personne concernée par un mandat d’arrêt européen. En effet, l’exécution d’un tel mandat ne saurait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de cette personne. À cette fin, l’autorité judiciaire d’exécution doit, tout d’abord, se fonder sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés sur les conditions de détention qui prévalent dans l’État membre d’émission et démontrant la réalité de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes, soit encore certains centres de détention. Ces éléments peuvent résulter notamment de décisions judiciaires internationales, telles que des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, de décisions judiciaires de l’État membre d’émission ainsi que de décisions, de rapports et d’autres documents établis par les organes du Conseil de l’Europe ou relevant du système des Nations unies. Toutefois, le constat de l’existence d’un risque réel de traitement inhumain ou dégrada
nt en raison des conditions générales de détention dans l’État membre d’émission ne saurait conduire, comme tel, au refus d’exécuter un mandat d’arrêt européen. En effet, une fois constatée l’existence d’un tel risque, encore faut-il, ensuite, que l’autorité judiciaire d’exécution apprécie, de manière concrète et précise, s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée courra ce risque en raison des conditions de sa détention envisagées dans l’État membre d’émission. La seule existence d’éléments témoignant de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes, soit encore certains centres de détention en ce qui concerne les conditions de détention dans l’État membre d’émission n’implique pas, en effet, nécessairement que, dans un cas concret, la personne concernée serait soumise à un traitement inhumain ou dégradant en cas de remise aux autorités de cet État membre. Par conséquent, afin d’assurer le respect de l’article 4 de la charte dans le cas individuel de la personne qui fait l’objet du mandat d’arrêt européen, l’autorité judiciaire d’exécution, qui est confrontée à des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés témoignant de l’existence de telles défaillances, est tenue de vérifier si, dans les circonstances de l’espèce, il existe des motifs sérieux et avérés de croire que, à la suite de sa remise à l’État membre d’émission, cette personne courra un risque réel d’être soumise dans cet État membre à un traitement inhumain ou dégradant, au sens de cet article.
44. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie - Gel des fonds des personnes impliquées dans des détournements de fonds publics et des personnes physiques ou morales, entités ou organismes leur étant associés - Demande de dérogation visant le déblocage de certains fonds - Pouvoir d'appréciation de l'autorité nationale compétente - Limites - Respect des droits fondamentaux
Arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali / Conseil (T-200/14) (cf. point 266)
45. Politique sociale - Égalité de traitement en matière d'emploi et de travail - Directive 2000/78 - Champ d'application - Impôt additionnel sur les revenus tirés de pensions de retraite - Exclusion - Appréciation au regard de l'article 51 de la charte des droits fondamentaux - Situation ne relevant pas du droit de l'Union
L’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale relative à un impôt additionnel sur les revenus tirés de pensions de retraite ne relève pas du champ d’application matériel de cette directive ni, par conséquent, de l’article 21, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
En effet, une telle imposition est extérieure à la relation de travail et, partant, à la détermination, dans ce cadre, seul visé par la directive 2000/78, de la rémunération, au sens de cette directive comme de l’article 157, paragraphe 2, TFUE.
Un impôt additionnel sur les revenus tirés de pensions de retraite, dépourvu de tout lien avec le contrat de travail, découle directement et exclusivement d’une législation fiscale nationale applicable à toute personne physique dont les revenus tirés de pensions de retraite dépassent, après déduction de l’abattement sur les pensions, un certain montant.
Par ailleurs, ladite réglementation ne mettant en œuvre aucune disposition du droit de l'Union, au sens de l'article 51, paragraphe 1, de la charte, et ne relevant du champ d'application ni de la directive 2000/78 ni d'une directive relative à la fiscalité, l’article 21, paragraphe 1, de la charte ne saurait être utilement invoqué dans le cadre du litige concernant cette réglementation.
Arrêt du 2 juin 2016, C (C-122/15) (cf. points 25, 26, 29, 30 et disp.)
46. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Situation juridique nationale présentant un élément de rattachement au droit de l'Union - Compétence de la Cour retenue
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 30 juin 2016, Toma (C-205/15) (cf. points 22-24, 27, 28)
Arrêt du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK (C-243/15) (cf. points 50-53, 65)
47. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Situation juridique nationale présentant un élément de rattachement au droit de l'Union - Compétence de la Cour
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 6 octobre 2016, Paoletti e.a. (C-218/15) (cf. points 13-20)
48. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Situation juridique ne relevant pas du champ d'application du droit de l'Union - Incompétence manifeste de la Cour
Ordonnance du 10 novembre 2016, Pardue (C-321/16) (cf. points 14-21 et disp.)
49. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Situation juridique ne relevant pas du champ d'application du droit de l'Union - Incompétence de la Cour
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 1er décembre 2016, Daouidi (C-395/15) (cf. points 61-64, 67, 68)
50. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Réglementation nationale régissant, de manière générale, certaines taxes dans le domaine de l'administration de la justice - Réglementation nationale n'ayant pas pour but de mettre en œuvre des dispositions du droit de l'Union - Situation juridique ne relevant pas du champ d'application du droit de l'Union - Incompétence de la Cour
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 8 décembre 2016, Eurosaneamientos e.a. (C-532/15 et C-538/15) (cf. points 52, 54, 55)
51. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Réglementation nationale ne constituant pas une mise en œuvre du droit de l'Union ou ne présentant pas d'autres éléments de rattachement à ce dernier - Incompétence manifeste de la Cour
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 16 juillet 2020, Adusbef e.a. (C-686/18) (cf. points 51-55)
Ordonnance du 8 décembre 2016, Marinkov (C-27/16) (cf. points 49, 50 et disp.)
52. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Situation factuelle et juridique en cause dans le litige au principal ne relevant pas du champ d'application du droit de l'Union - Incompétence manifeste de la Cour
Ordonnance du 13 décembre 2016, Semeraro (C-484/16) (cf. points 30-45 et disp.)
53. Contrôles aux frontières, asile et immigration - Politique d'asile - Critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale - Règlement nº 604/2013 - Pouvoir d'appréciation des États membres - Faculté d'examiner une demande de protection internationale incombant à un autre État membre - Décision consistant en une mise en œuvre du droit de l'Union et impliquant son interprétation
L’article 17, paragraphe 1, du règlement (UE) nº 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, doit être interprété en ce sens que la question de l’application, par un État membre, de la "clause discrétionnaire" prévue à cette disposition ne relève pas du seul droit national et de l’interprétation qu’en donne la juridiction constitutionnelle de cet État membre, mais constitue une question d’interprétation du droit de l’Union, au sens de l’article 267 TFUE.
Arrêt du 16 février 2017, C. K. e.a. (C-578/16 PPU) (cf. point 54, disp. 1)
54. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Situation en cause au principal n'étant pas régie par le droit de l'Union - Exclusion
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 7 mars 2017, X et X (C-638/16 PPU) (cf. point 45)
55. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Réglementation nationale prévoyant une sanction pécuniaire en cas de refus de fournir des informations en vertu de la directive 2011/16 - Inclusion
L’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’un État membre met en œuvre le droit de l’Union, au sens de cette disposition, et que, dès lors, la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est applicable, lorsqu’il prévoit dans sa législation une sanction pécuniaire à l’égard d’un administré qui refuse de fournir des informations dans le cadre d’un échange entre autorités fiscales, fondé notamment sur les dispositions de la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE.
La circonstance que la directive 2011/16 ne prévoit pas expressément l’application de mesures de sanction n’empêche pas de considérer que celles-ci relèvent de la mise en œuvre de cette directive et, partant, du champ d’application du droit de l’Union. En effet, les notions de "dispositif de collecte de renseignements", au sens de l’article 18 de ladite directive, et de "mesures nécessaires pour garantir le bon fonctionnement du dispositif de coopération administrative", au sens de l’article 22, paragraphe 1, de cette même directive, sont de nature à inclure de telles mesures.
Dans ces conditions, il est sans importance que la disposition nationale servant de fondement à une mesure de sanction telle que celle infligée à Berlioz figure dans une loi qui n’a pas été adoptée pour transposer la directive 2011/16, dès lors que l’application de cette disposition nationale vise à garantir celle de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C-617/10, EU:C:2013:105, point 28).
Arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund (C-682/15) (cf. points 39, 40, 42, disp. 1)
56. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Réglementation nationale prévoyant une mesure dérogeant à une liberté fondamentale garantie par le traité FUE - Inclusion
Aux termes de l'article 47, paragraphe 1, de la Charte, toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues audit article. L’article 19, paragraphe 1, TUE impose, par ailleurs, aux États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective, au sens notamment de l’article 47 de la Charte, dans les domaines couverts par le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK, C-243/15, EU:C:2016:838, point 50 et jurisprudence citée). Le champ d’application de cet article de la Charte, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, cette disposition confirmant la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais pas en dehors de celles-ci (arrêt du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK, C-243/15, EU:C:2016:838, point 51). Or, ainsi qu’il a été relevé par Mme l’avocat général au point 30 de ses conclusions, lorsqu’un État membre édicte une mesure dérogeant à une liberté fondamentale garantie par le traité FUE, telle que la liberté d’établissement ou la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union, cette mesure entre dans le champ d’application du droit de l’Union.
Arrêt du 14 juin 2017, Online Games e.a. (C-685/15) (cf. points 54-57)
57. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Décision d'un État membre d'extrader un citoyen de l'Union ayant fait usage de son droit de circuler librement dans l'Union - Inclusion - Décision relevant du champ d'application des articles 18 et 21 TFUE
S’agissant de l’applicabilité de la Charte à une affaire telle que celle au principal, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que la décision d’un État membre d’extrader un citoyen de l’Union, dans une situation où celui-ci a fait usage de son droit de circuler librement dans l’Union en se déplaçant de l’État membre dont il est le ressortissant vers un autre État membre, relève du champ d’application des articles 18 et 21 TFUE et donc du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C-182/15, EU:C:2016:630, points 31 et 52).
Ordonnance du 6 septembre 2017, Peter Schotthöfer & Florian Steiner (C-473/15) (cf. point 19)
58. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Réglementation nationale prévoyant des sanctions administratives et pénales visant à assurer la perception de la taxe sur la valeur ajoutée et à combattre la fraude - Inclusion
Dès lors qu’elles visent à assurer l’exacte perception de la TVA et à combattre la fraude, des sanctions administratives infligées par les autorités fiscales nationales et des procédures pénales ouvertes pour des infractions en matière de TVA, telles que celles en cause au principal, constituent une mise en œuvre des articles 2 et 273 de la directive 2006/112 ainsi que de l’article 325 TFUE et, donc, du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C-617/10, EU:C:2013:105, point 27, ainsi que du 5 avril 2017, Orsi et Baldetti, C-217/15 et C-350/15, EU:C:2017:264, point 16). Partant, elles doivent respecter le droit fondamental garanti à l’article 50 de la Charte.
Arrêt du 20 mars 2018, Menci (C-524/15) (cf. point 21)
Voir texte de la décision.
Arrêt du 10 novembre 2022, DELTA STROY 2003 (C-203/21) (cf. point 41)
59. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Réglementation nationale prévoyant des sanctions administratives pécuniaires à l'encontre des personnes responsables de manipulations de marché - Inclusion
À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/6, lu en combinaison avec l’article 5 de celle-ci, les États membres imposent, sans préjudice de leur droit d’infliger des sanctions pénales, des mesures ou des sanctions administratives effectives, proportionnées et dissuasives à l’encontre des personnes responsables de manipulations de marché.
Selon les indications figurant dans la décision de renvoi, l’article 187 ter du TUF a été adopté aux fins de transposer en droit italien ces dispositions de la directive 2003/6. Ainsi, la procédure administrative en cause au principal et la sanction administrative pécuniaire prévue à cet article 187 ter infligée à M. Ricucci constituent une mise en œuvre du droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Partant, elles doivent notamment respecter le droit fondamental de ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction, garanti à l’article 50 de celle-ci.
Arrêt du 20 mars 2018, Garlsson Real Estate e.a. (C-537/16) (cf. points 22, 23)
60. Politique sociale - Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs - Aménagement du temps de travail - Droit au congé annuel payé - Principe du droit social de l'Union revêtant une importance particulière - Portée
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 6 novembre 2018, Bauer (C-569/16 et C-570/16) (cf. points 80, 81, 83, 84)
61. Politique sociale - Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs - Aménagement du temps de travail - Droit au congé annuel payé - Indemnité financière pour congé non pris versée à la fin de la relation de travail - Réglementation nationale jugée contraire à la directive 2003/88 et à la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne - Obligations d'une juridiction nationale saisie d'un litige entre particuliers - Non-application de ladite réglementation nationale et octroi de l'indemnité financière à l'ayant droit d'un travailleur décédé
En cas d’impossibilité d’interpréter une réglementation nationale telle que celle en cause au principal de manière à en assurer la conformité avec l’article 7 de la directive 2003/88 et l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale, saisie d’un litige opposant l’ayant droit d’un travailleur décédé et l’ancien employeur de ce travailleur, doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée, et veiller à ce que ledit ayant droit se voit octroyer, à charge de cet employeur, le bénéfice d’une indemnité financière au titre des congés annuels payés acquis en vertu desdites dispositions et non pris par ledit travailleur avant son décès. Cette obligation s’impose à la juridiction nationale en vertu de l’article 7 de la directive 2003/88 et de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux lorsque le litige oppose un tel ayant droit à un employeur ayant la qualité d’autorité publique, et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose l’ayant droit à un employeur ayant la qualité de particulier.
Le droit à une période de congés annuels payés, consacré dans le chef de tout travailleur par l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, revêt ainsi, quant à son existence même, un caractère tout à la fois impératif et inconditionnel, cette dernière ne demandant en effet pas à être concrétisée par des dispositions du droit de l’Union ou de droit national, lesquelles sont seulement appelées à préciser la durée exacte du congé annuel et, le cas échéant, certaines conditions d’exercice de ce droit. Il s’ensuit que ladite disposition se suffit à elle-même pour conférer aux travailleurs un droit invocable en tant que tel dans un litige qui les oppose à leur employeur dans une situation couverte par le droit de l’Union et relevant, par conséquent, du champ d’application de la Charte (voir, par analogie, arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C-414/16, EU:C:2018:257, point 76).
S’agissant de l’effet ainsi déployé par l’article 31, paragraphe 2, de la Charte à l’égard des employeurs ayant la qualité de particulier, il y a lieu de relever que, si l’article 51, paragraphe 1, de cette Charte précise que les dispositions de celle-ci s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, ledit article 51, paragraphe 1, n’aborde, en revanche, pas le point de savoir si de tels particuliers peuvent, le cas échéant, se trouver directement astreints au respect de certaines dispositions de ladite Charte et ne saurait, partant, être interprété en ce sens qu’il exclurait systématiquement une telle éventualité.
Tout d’abord, et ainsi que M. l’avocat général l’a rappelé au point 78 de ses conclusions, la circonstance que certaines dispositions du droit primaire s’adressent, au premier chef, aux États membres, n’est pas de nature à exclure que celles-ci puissent s’appliquer dans les relations entre particuliers (voir, en ce sens, arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C-414/16, EU:C:2018:257, point 77).
Ensuite, la Cour a, notamment, déjà admis que l’interdiction consacrée à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte se suffit à elle-même pour conférer à un particulier un droit invocable en tant que tel dans un litige l’opposant à un autre particulier (arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C-414/16, EU:C:2018:257, point 76), sans, dès lors, que l’article 51, paragraphe 1, de la Charte y fasse obstacle.
Enfin, et s’agissant, plus précisément, de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, il importe de souligner que le droit, pour chaque travailleur, à des périodes de congé annuel payé implique, par sa nature même, une obligation correspondante dans le chef de l’employeur, à savoir celle d’octroyer de telles périodes de congé payé.
Arrêt du 6 novembre 2018, Bauer (C-569/16 et C-570/16) (cf. points 85, 87-90, 92 et disp.2)
62. Politique sociale - Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs - Aménagement du temps de travail - Droit au congé annuel payé - Réglementation nationale jugée contraire à la directive 2003/88 et à la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne - Obligations d'une juridiction nationale saisie d'un litige entre particuliers - Non-application de ladite réglementation nationale et octroi des congés annuels payés ou de l'indemnité financière en cas de cessation de la relation de travail - Limites
En cas d’impossibilité d’interpréter une réglementation nationale telle que celle en cause au principal de manière à en assurer la conformité avec l’article 7 de la directive 2003/88 et l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux, il découle de cette dernière disposition que la juridiction nationale saisie d’un litige opposant un travailleur à son ancien employeur ayant la qualité de particulier, doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée et veiller à ce que, à défaut pour cet employeur d’être en mesure d’établir qu’il a fait preuve de toute la diligence requise pour que le travailleur soit effectivement en mesure de prendre les congés annuels payés auxquels il avait droit en vertu du droit de l’Union, ledit travailleur ne puisse se voir priver ni de ses droits acquis à de tels congés annuels payés ni, corrélativement, et en cas de cessation de la relation de travail, de l’indemnité financière au titre des congés non pris dont le paiement incombe, en ce cas, directement à l’employeur concerné.
Le droit à une période de congés annuels payés, consacré dans le chef de tout travailleur par l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, revêt ainsi, quant à son existence même, un caractère tout à la fois impératif et inconditionnel, cette dernière ne demandant en effet pas à être concrétisée par des dispositions du droit de l’Union ou de droit national, lesquelles sont seulement appelées à préciser la durée exacte des congés annuels payés et, le cas échéant, certaines conditions d’exercice de ceux-ci. Il s’ensuit que ladite disposition se suffit à elle-même pour conférer aux travailleurs un droit invocable en tant que tel, dans un litige qui les oppose à leur employeur dans une situation couverte par le droit de l’Union et relevant, par conséquent, du champ d’application de la Charte (voir, par analogie, arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C-414/16, EU:C:2018:257, point 76).
S’agissant de l’effet ainsi déployé par l’article 31, paragraphe 2, de la Charte à l’égard des employeurs ayant la qualité de particulier, il y a lieu de relever que, si l’article 51, paragraphe 1, de cette Charte précise que les dispositions de celle-ci s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, ledit article 51, paragraphe 1, n’aborde, en revanche, pas le point de savoir si de tels particuliers peuvent, le cas échéant, se trouver directement astreints au respect de certaines dispositions de ladite Charte et ne saurait, partant, être interprété en ce sens qu’il exclurait systématiquement une telle éventualité.
Tout d’abord, et ainsi que M. l’avocat général l’a rappelé au point 78 de ses conclusions dans les affaires jointes Bauer et Willmeroth (C-569/16 et C-570/16, EU:C:2018:337), la circonstance que certaines dispositions du droit primaire s’adressent, au premier chef, aux États membres, n’est pas de nature à exclure que celles-ci puissent s’appliquer dans les relations entre particuliers (voir, en ce sens, arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C-414/16, EU:C:2018:257, point 77).
Ensuite, la Cour a, notamment, déjà admis que l’interdiction consacrée à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte se suffit à elle-même pour conférer aux particuliers un droit invocable en tant que tel dans un litige l’opposant à un autre particulier (arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C-414/16, EU:C:2018:257, point 76), sans, dès lors, que l’article 51, paragraphe 1, de la Charte y fasse obstacle.
Enfin, et s’agissant, plus précisément, de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, il importe de souligner que le droit, pour chaque travailleur, à des périodes de congé annuel payé implique, par sa nature même, une obligation correspondante dans le chef de l’employeur, à savoir celle d’octroyer de telles périodes ou une indemnité au titre des congés annuels payés non pris à la fin de la relation de travail.
63. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Litige cantonné à l'intérieur d'un seul État membre - Absence d'indices quant à l'existence d'un intérêt de la part d'opérateurs dans d'autres États membres à faire usage des libertés fondamentales en cause - Exclusion
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 14 novembre 2018, NKBM (C-215/17) (cf. points 40, 41, 44, 45)
64. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Décision d'un État membre de transférer un demandeur de protection internationale vers l'État membre responsable de l'examen de sa demande malgré un risque sérieux de traitement inhumain ou dégradant en cas d'acceptation de sa demande - Inclusion
Dans son arrêt Jawo (C-163/17), rendu le 19 mars 2019, la grande chambre de la Cour s’est prononcée, au regard du règlement nº 604/2013{1} (ci-après le « règlement Dublin III ») et de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sur la question de savoir dans quelles conditions il peut être constaté qu’un demandeur de protection internationale a pris la fuite de sorte que le délai pour son transfert vers l’État membre normalement responsable de l’examen de sa demande peut être prolongé, ainsi que sur la légalité d’un tel transfert lorsqu’il existe un risque que l’intéressé soit soumis à un traitement inhumain ou dégradant à l’issue de la procédure d’asile en raison des conditions de vie des bénéficiaires d’une protection internationale dans ledit État membre.
En l’espèce, un ressortissant gambien était entré dans l’Union européenne par l’Italie et y avait déposé une demande d’asile avant de se rendre en Allemagne, où il avait introduit une nouvelle demande. Après avoir sollicité les autorités italiennes aux fins de la reprise en charge de l’intéressé, les autorités allemandes avaient rejeté sa demande d’asile et ordonné son éloignement vers l’Italie. Une première tentative de transfert avait échoué en raison de l’absence du demandeur de la structure d’hébergement qui lui avait été attribuée. Les autorités allemandes, ayant alors estimé qu’il avait pris la fuite, avaient averti les autorités italiennes de l’impossibilité de procéder au transfert et de la prolongation du délai, conformément à l’article 29, paragraphe 2, du règlement Dublin III. Cet article prévoit que le délai pour procéder au transfert est de six mois, mais qu’il peut être porté à dix-huit mois, au maximum, lorsque le demandeur a pris la fuite. Par la suite, l’intéressé avait indiqué avoir rendu visite à un ami et avoir ignoré qu’il était nécessaire de signaler ses absences. En parallèle, il avait introduit un recours contre la décision de transfert et, suite au rejet de celui-ci, il a interjeté appel devant la juridiction de renvoi. Dans le cadre de cet appel, il a fait valoir que, dès lors qu’il n’avait pas pris la fuite, les autorités allemandes n’étaient pas en droit de prolonger le délai pour son transfert vers l’Italie. Il s’est également prévalu de l’existence, en Italie, de défaillances systémiques en matière d’asile, qui feraient obstacle à son transfert vers cet État.
En premier lieu, la Cour a précisé que la notion de « fuite », au sens de l’article 29, paragraphe 2, du règlement Dublin III, implique, notamment, l’existence d’un élément intentionnel, de sorte que cette disposition n’est en principe applicable que lorsque le demandeur se soustrait délibérément aux autorités nationales, afin de faire échec à son transfert. La Cour a toutefois ajouté que, afin d’assurer le fonctionnement effectif du règlement Dublin III et de tenir compte des difficultés considérables susceptibles d’être rencontrées par lesdites autorités pour apporter la preuve des intentions du demandeur, il peut être présumé que celui-ci a pris la fuite lorsque le transfert ne peut être mis à exécution en raison du fait qu’il a quitté le lieu de résidence qui lui avait été attribué sans en avoir informé les autorités nationales, ni sollicité, le cas échéant, une autorisation préalable. Cependant, cette présomption n’est applicable que si le demandeur a été dûment informé de ses obligations à cet égard, conformément à l’article 5 de la directive 2013/33{2}. En outre, le demandeur doit conserver la possibilité de démontrer que le fait qu’il n’a pas avisé les autorités compétentes de son absence est justifié par des raisons valables et non pas par l’intention de se soustraire à celles-ci.
En deuxième lieu, la Cour a affirmé que, conformément à ce qu’elle a déjà jugé dans l’arrêt Shiri{3}, le demandeur peut faire valoir, dans le cadre d’un recours contre une décision de transfert, que, dès lors qu’il n’a pas pris la fuite, le délai de six mois prévu par l’article 29, paragraphes 1 et 2, du règlement Dublin III a expiré.
En troisième lieu, s’agissant des modalités de prolongation du délai de transfert, la Cour a considéré qu’aucune concertation préalable n’était nécessaire entre l’État membre requérant et l’État membre responsable. Ainsi, afin de porter ce délai à dix-huit mois au maximum, il est suffisant que le premier État indique au second, avant l’expiration du délai de six mois, que le demandeur a pris la fuite, en précisant le nouveau délai de transfert.
En quatrième et dernier lieu, la Cour a examiné la question de savoir si l’article 4 de la charte des droits fondamentaux s’oppose au transfert d’un demandeur de protection internationale, lorsque les conditions de vie des bénéficiaires d’une telle protection, dans l’État membre normalement responsable de l’examen de sa demande, sont susceptibles de constituer un traitement inhumain ou dégradant.
Tout d’abord, la Cour a précisé que cette question relève du champ d’application du droit de l’Union. Ensuite, elle a souligné que, dans le contexte du système européen commun d’asile, et notamment du règlement Dublin III, fondé sur le principe de confiance mutuelle, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs respecte leurs droits fondamentaux. Toutefois, comme la Cour l’a déjà jugé dans l’arrêt N. S. e.a.{4} et ainsi que cela a été codifié à l’article 3, paragraphe 2, du règlement Dublin III, il ne saurait être exclu que le demandeur risque, en raison, notamment, de défaillances systémiques, généralisées ou touchant certains groupes de personnes dans l’État membre vers lequel le transfert est envisagé, de subir un traitement inhumain ou dégradant dans cet État membre, ce qui fait alors obstacle audit transfert. À cet égard, si l’article 3, paragraphe 2, du règlement Dublin III n’envisage que la situation à l’origine de l’arrêt N. S. e.a., dans laquelle ce risque résultait de défaillances systémiques lors de la procédure d’asile, un transfert est toutefois exclu dès lors qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un tel risque est encouru, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou encore à l’issue de celle-ci.
Enfin, la Cour a indiqué que la réalité des défaillances alléguées doit être appréciée, par la juridiction nationale saisie d’un recours contre une décision de transfert, sur la base d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés et au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union. Ces défaillances doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité. S’agissant des conditions de vie des bénéficiaires de la protection internationale, ce seuil serait atteint si l’indifférence des autorités nationales avait pour conséquence qu’une personne se trouve, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permette pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires et qui porte atteinte à sa santé physique ou mentale ou à sa dignité humaine. En revanche, le fait que les formes de solidarité familiale, auxquelles ont recours les ressortissants de l’État membre concerné pour faire face aux insuffisances du système social, font généralement défaut pour les bénéficiaires d’une protection internationale ne saurait suffire pour constater que le demandeur serait confronté, en cas de transfert vers cet État membre, à une telle situation. De même, l’existence de carences dans la mise en œuvre de programmes d’intégration de ces bénéficiaires est insuffisante pour fonder un tel constat. En tout état de cause, le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus favorables dans l’État membre requérant que dans l’État membre normalement responsable de l’examen de la demande, ne suffit pas à conclure à l’existence d’un risque de traitement inhumain ou dégradant dans le second État membre.
{1 Règlement (UE) nº 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31).}
{2 Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96).}
{3 Arrêt du 25 octobre 2017, Shiri (C-201/16, EU:C:2017:805).}
{4 Arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C-411/10 et C-493/10, EU:C:2011:865).}
Arrêt du 19 mars 2019, Jawo (C-163/17) (cf. points 77-79, 98, disp. 3)
65. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Réglementation nationale de nature à entraver l'une ou plusieurs des libertés fondamentales garanties par le traité FUE - État membre invoquant des motifs visés à l'article 65 TFUE ou des raisons impérieuses d'intérêt général reconnues par le droit de l'Union comme justification - Inclusion
Dans l’arrêt Commission/Hongrie (C-235/17), rendu le 21 mai 2019, la grande chambre de la Cour a jugé que la Hongrie avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 63 TFUE et de l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en supprimant, ex lege, les droits d’usufruit sur des terres agricoles et sylvicoles sises en Hongrie dans la mesure où ces droits sont détenus directement ou indirectement par des ressortissants d’autres États membres.
En 2013, la Hongrie a adopté une loi (ci-après la « loi de 2013 ») en vertu de laquelle les droits d’usufruit sur des terres agricoles et sylvicoles antérieurement acquis par des personnes morales ou par des personnes physiques ne pouvant justifier d’un lien de proche parenté avec le propriétaire de ces terres devaient être supprimés ex lege, sans que soit prévu de régime d’indemnisation de ces personnes. À l’appui de cette loi, la Hongrie a fait valoir que les contrats d’usufruit concernés avaient contourné les interdictions d’acquisition de la propriété de terres agricoles en vigueur avant l’adhésion de la Hongrie à l’Union et qu’ils avaient, en outre, méconnu la réglementation nationale en matière de contrôle des changes applicable à cette époque, si bien qu’ils étaient, de ce fait, nuls ab initio dès avant cette adhésion. Elle a également invoqué divers objectifs de politique agricole, à savoir assurer que les terres agricoles productives ne soient possédées que par les personnes physiques qui les travaillent et non à des fins spéculatives, prévenir le morcellement des fonds et maintenir une population rurale et une agriculture durable, ainsi que créer des exploitations de taille viable et compétitives.
Après avoir estimé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la loi de 2013 à l’aune de l’article 49 TFUE, la Cour a constaté que, en prévoyant l’extinction ex lege des droits d’usufruit détenus sur des terres agricoles par des personnes ne pouvant justifier d’un lien de proche parenté avec le propriétaire de ces terres, parmi lesquelles figurent de nombreux ressortissants d’États membres autres que la Hongrie, cette loi restreint, par son objet même et en raison de ce seul fait, le droit des intéressés à la libre circulation des capitaux garanti par l’article 63 TFUE. En effet, cette réglementation nationale prive ceux-ci tant de la possibilité de continuer à jouir de leur droit d’usufruit que de la possibilité éventuelle d’aliéner ce droit. Ladite réglementation est, par ailleurs, de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements en Hongrie à l’avenir.
Dans ces conditions, la Cour a considéré qu’il convenait d’examiner si ladite restriction était susceptible d’être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général ou par les raisons mentionnées à l’article 65 TFUE, et si elle était conforme au principe de proportionnalité notamment, en poursuivant les objectifs invoqués d’une manière cohérente et systématique.
Dans ce contexte, la Cour a également rappelé que les droits fondamentaux garantis par la charte des droits fondamentaux ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union et qu’ils doivent, ainsi, être respectés lorsqu’une réglementation nationale entre dans le champ d’application de ce droit. Tel est, notamment, le cas lorsqu’une réglementation nationale est de nature à entraver l’une ou plusieurs des libertés fondamentales garanties par le traité FUE et que l’État membre concerné invoque des motifs visés à l’article 65 TFUE ou des raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par le droit de l’Union pour justifier une telle entrave. En pareille hypothèse, la réglementation nationale concernée ne peut bénéficier des exceptions ainsi prévues que si elle est conforme aux droits fondamentaux dont la Cour assure le respect. À cet égard, le recours, par un État membre, à des exceptions prévues par le droit de l’Union pour justifier une entrave à une liberté fondamentale garantie par le traité doit être considéré comme « mettant en œuvre le droit de l’Union », au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux.
Par conséquent, la Cour a examiné la compatibilité de la loi de 2013 avec le droit de l’Union au regard tant des exceptions ainsi prévues par les traités et la jurisprudence de la Cour que des droits fondamentaux garantis par la charte des droits fondamentaux, parmi lesquels figure le droit de propriété consacré à l’article 17 de cette dernière, dont la Commission alléguait la violation en l’occurrence.
S’agissant de cet article 17 de la charte des droits fondamentaux, la Cour a, premièrement, précisé que la protection conférée par le paragraphe 1 de cet article porte sur des droits ayant une valeur patrimoniale dont découle, eu égard à l’ordre juridique concerné, une position juridique acquise permettant un exercice autonome de ces droits par et au profit de leur titulaire. Selon la Cour, il est manifeste que les droits d’usufruit en cause revêtent une valeur patrimoniale et confèrent au titulaire une position juridique acquise, et ce quand bien même la transmissibilité de tels droits serait limitée ou exclue en vertu du droit national applicable. En effet, l’acquisition, par voie contractuelle, de tels droits d’usufruit sur des terres agricoles s’accompagne, en principe, du versement d’un prix. Ces droits permettent à leurs titulaires de jouir de telles terres, notamment à des fins économiques, voire, le cas échéant, de louer celles-ci à des tiers, et relèvent ainsi du champ d’application de l’article 17, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux.
La Cour a, deuxièmement, jugé que les droits d’usufruit dont la loi de 2013 a opéré la suppression doivent être considérés comme ayant été « acquis légalement », au sens de cette disposition de la charte des droits fondamentaux. En effet, lesdits droits avaient été constitués à une époque où la constitution de tels droits n’était pas interdite par la législation en vigueur et il n’a pas été établi par la Hongrie que ces droits auraient été invalides en raison d’une méconnaissance de la réglementation nationale de l’époque en matière de contrôle des changes. En outre, ces mêmes droits ont fait l’objet d’inscriptions systématiques dans les registres fonciers par les autorités nationales compétentes et leur existence a été confirmée par une loi adoptée en 2012.
Troisièmement, la Cour a jugé que la loi de 2013 comporte, non pas des restrictions à l’usage des biens, mais une privation de propriété, au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, nonobstant la circonstance que les droits d’usufruit concernés ne sont pas acquis par l’autorité publique, mais que leur extinction a pour conséquence que se reconstitue la pleine propriété des terres en cause au profit des propriétaires.
Au terme de cette analyse, la Cour a toutefois précisé que l’exercice des droits garantis par la charte des droits fondamentaux peut être limité pour autant que cette limitation soit prévue par la loi, respecte le contenu essentiel desdits droits et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elle soit nécessaire et réponde effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. À cet égard, une lecture combinée de l’article 17, paragraphe 1, et de l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux conduit à considérer que, lorsqu’est invoquée une cause d’utilité publique pour justifier une privation de propriété, c’est au regard de cette cause et des objectifs d’intérêt général que recouvre celle-ci qu’il convient de veiller au respect du principe de proportionnalité prévu à l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux. Une telle lecture implique par ailleurs que, à défaut d’existence d’une telle cause d’utilité publique propre à justifier une privation de propriété, ou, à supposer une telle cause d’utilité publique établie, à défaut de satisfaire aux conditions posées à l’article 17, paragraphe 1, deuxième phrase, de la charte des droits fondamentaux, il serait porté atteinte au droit de propriété garanti par cette disposition.
À cet égard, si la Cour a admis que des réglementations nationales peuvent restreindre la libre circulation des capitaux, au nom d’objectifs tels que ceux invoqués par la Hongrie au soutien de la loi de 2013, elle a toutefois jugé que ladite loi ne pouvait être considérée, faute de preuves, comme poursuivant effectivement de tels objectifs, ni comme étant propre à garantir la réalisation de ceux-ci. La Cour a ajouté que cette loi va, en tout état de cause, au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre. Pour ces mêmes raisons, la Cour a conclu à l’absence de causes d’utilité publique propres à justifier la privation de propriété découlant de la suppression des droits d’usufruits concernés.
En ce qui concerne cette privation de propriété, la Cour a ajouté que, en tout état de cause, la loi de 2013 ne satisfait pas à l’exigence de versement d’une juste indemnité en temps utile, prévue à l’article 17, paragraphe 1, deuxième phrase, de la charte des droits fondamentaux. En effet, cette loi ne comporte aucune disposition prévoyant l’indemnisation des titulaires des droits d’usufruit dépossédés et le simple renvoi, mis en avant par la Hongrie, aux règles générales de droit civil ne saurait satisfaire à cette exigence. En l’occurrence, un tel renvoi ferait reposer sur les titulaires de droits d’usufruit la charge de devoir poursuivre le recouvrement, moyennant des procédures pouvant se révéler longues et coûteuses, d’éventuelles indemnités qui pourraient leur être dues par le propriétaire du fonds. De telles règles du droit civil ne permettent pas de déterminer de manière aisée et suffisamment précise ou prévisible si des indemnités pourront effectivement être obtenues au terme de telles procédures, ni de savoir, le cas échéant, quelles en seront la nature et l’importance.
66. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Réglementation nationale permettant à une personne poursuivie de demander une peine négociée en cas de modification des faits fondant l'accusation mais pas en cas de modification de la qualification juridique de ces faits - Inclusion
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 13 juin 2019, Moro (C-646/17) (cf. points 66-68)
67. Coopération judiciaire en matière pénale - Renforcement de certains aspects de la présomption d'innocence et du droit d'assister à son procès dans le cadre des procédures pénales - Directive 2016/343 - Champ d'application - Procédure judiciaire d'internement psychiatrique, à des fins thérapeutiques, de personnes présentant un danger pour leur santé ou celle de tiers - Exclusion - Appréciation au regard de l'article 51 de la charte des droits fondamentaux - Situation ne relevant pas du droit de l'Union
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 19 septembre 2019, Rayonna prokuratura Lom (C-467/18) (cf. point 68, disp. 3)
68. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Conditions d'approbation, par un juge, d'un accord sur l'application d'une peine négociée, conclu entre une des personnes poursuivies et le procureur - Exclusion
Voir le texte de la décision.
69. Questions préjudicielles - Recevabilité - Nécessité de fournir à la Cour suffisamment de précisions sur le contexte factuel et réglementaire - Portée - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Litige ne relevant pas du champ d'application du droit de l'Union - Absence d'indication des éléments de rattachement rendant l'interprétation sollicitée nécessaire à la solution du litige - Irrecevabilité
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 24 octobre 2019, Belgische Staat (C-469/18 et C-470/18) (cf. points 18, 19, 23-25 et disp.)
70. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Impossibilité pour la Cour de vérifier l'applicabilité et la pertinence des autres dispositions du droit de l'Union invoquées - Irrecevabilité manifeste
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 7 novembre 2019, UNESA (C-80/18 à C-83/18) (cf. points 36-40, 53)
Voir texte de la décision.
Ordonnance du 28 novembre 2023, Svivov (C-373/23) (cf. point 21)
Ordonnance du 15 janvier 2020, Corporate Commercial Bank (C-647/18) (cf. points 37-42, 46 et disp.)
71. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Réglementation nationale prévoyant l'octroi de jours de congé annuel payé excédant la période minimale de quatre semaines prévue par la directive 2003/88 et excluant le report de ces jours de congé supplémentaires pour cause de maladie - Réglementation nationale relevant de l'exercice de la compétence retenue des États membres et ne relevant pas du champ d'application de la directive - Absence de mise en œuvre du droit de l'Union
Dans l’arrêt TSN et AKT (affaires jointes C-609/17 et C-610/17), rendu le 19 novembre 2019, la Cour, réunie en grande chambre, a jugé, d’une part, que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88{1}, qui consacre le droit à un congé annuel payé d’une période minimale de quatre semaines, ne s’oppose pas à des réglementations nationales et à des conventions collectives qui prévoient l’octroi de jours de congé annuel payé excédant cette période minimale, tout en excluant le report pour cause de maladie de ces jours de congé. D’autre part, la Cour a dit pour droit que l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), qui prévoit notamment le droit de tout travailleur à une période annuelle de congés payés, n’a pas vocation à s’appliquer en présence de telles réglementations nationales et conventions collectives.
Chacune des affaires pendantes devant la juridiction de renvoi concerne un travailleur qui avait droit, en vertu de la convention collective applicable à son secteur d’activité, à une période de congé annuel payé excédant la période minimale de quatre semaines prévue par la directive 2003/88, à savoir sept semaines (affaire C-609/17) et cinq semaines (affaire C-610/17). Ces travailleurs ayant été en incapacité de travail pour cause de maladie durant une période de congé annuel payé, ils ont demandé à leur employeur respectif de reporter la partie du congé annuel dont ils n’avaient pas pu bénéficier. Toutefois, leurs employeurs ont refusé ces demandes pour autant qu’elles concernaient la partie du droit au congé annuel payé allant au-delà du congé minimal de quatre semaines prévu par la directive 2003/88.
En premier lieu, s’agissant de la directive 2003/88, la Cour a rappelé que celle-ci ne s’oppose pas à des dispositions internes accordant un droit au congé annuel payé d’une durée supérieure aux quatre semaines prévues à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive. Cependant, en pareil cas, les droits au congé annuel payé excédant cette période minimale sont régis non pas par cette directive, mais par le droit national, notamment en ce qui concerne les conditions d’octroi et d’extinction de ces jours de congé supplémentaires. Par conséquent, la Cour a conclu qu’il demeure loisible aux États membres de prévoir ou non le droit de reporter tout ou partie de ces jours de congé supplémentaires lorsque le travailleur s’est trouvé, durant une période de congé annuel, en situation d’incapacité de travail pour cause de maladie, pour autant que le droit au congé annuel payé dont le travailleur a effectivement bénéficié demeure, pour sa part, toujours au moins égal à la période minimale de quatre semaines garantie par la directive 2003/88.
En second lieu, s’agissant de la Charte, dont le champ d’application est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, la Cour a d’abord relevé que, pour ce qui est de l’action des États membres, les dispositions de la Charte s’adressent à ceux-ci uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Or, elle a constaté que, en adoptant une réglementation ou en autorisant la conclusion de conventions collectives prévoyant l’octroi de jours de congé annuel payé excédant la période minimale de quatre semaines garantie par la directive 2003/88, tout en excluant le report de ces jours pour cause de maladie, un État membre ne procède pas à une mise en œuvre de cette directive, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, si bien que celle-ci, en particulier son article 31, paragraphe 2, n’a pas vocation à s’appliquer.
À cet égard, la Cour a notamment souligné que la directive 2003/88, qui a été adoptée sur le fondement de l’article 137, paragraphe 2, CE, devenu article 153, paragraphe 2, TFUE, se borne à fixer des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail. En vertu de l’article 153, paragraphe 4, TFUE, de telles prescriptions minimales ne peuvent empêcher un État membre de maintenir ou d’établir des mesures de protection plus strictes, compatibles avec les traités. Dès lors, les États membres demeurent libres, dans l’exercice de leur compétence retenue dans le domaine de la politique sociale, d’adopter de telles normes, plus rigoureuses que celles qui font l’objet de l’intervention du législateur de l’Union, pour autant qu’elles ne remettent pas en cause la cohérence de ladite intervention.
La Cour a ainsi constaté que, lorsque les États membres accordent ou permettent aux partenaires sociaux d’accorder des droits au congé annuel payé excédant la durée minimale de quatre semaines prévue par la directive 2003/88, de tels droits ou, encore, les conditions de report éventuel de ceux-ci en cas de maladie survenue durant le congé, relèvent de l’exercice de la compétence retenue des États membres, sans être réglementés par cette directive. Or, lorsque les dispositions du droit de l’Union dans le domaine concerné ne réglementent pas un aspect et n’imposent aucune obligation spécifique aux États membres à l’égard d’une situation donnée, la réglementation nationale qu’édicte un État membre quant à cet aspect se situe en dehors du champ d’application de la Charte.
{1 Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9).}
Arrêt du 19 novembre 2019, TSN (C-609/17 et C-610/17) (cf. points 42-55, disp. 2)
72. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Situation juridique nationale régie par le droit de l'Union - Compétence de la Cour
Dans l’arrêt A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C-585/18, C-624/18 et C-625/18), prononcé le 19 novembre 2019, dans le cadre d’une procédure accélérée, la Cour, réunie en grande chambre, a jugé que le droit à un recours effectif, garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et réaffirmé, dans un domaine spécifique, par la directive 2000/78{1}, s’oppose à ce que des litiges concernant l’application du droit de l’Union puissent relever de la compétence exclusive d’une instance ne constituant pas un tribunal indépendant et impartial. Selon la Cour, tel est le cas lorsque les conditions objectives dans lesquelles a été créée l’instance concernée, les caractéristiques de celle-ci et la manière dont ses membres ont été nommés sont de nature à engendrer des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de cette instance à l’égard d’éléments extérieurs, en particulier, d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif, et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent. Ces éléments sont ainsi susceptibles de conduire à une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ladite instance qui est propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer auxdits justiciables dans une société démocratique. Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer, en tenant compte de tous les éléments pertinents dont elle dispose, si tel est effectivement le cas s’agissant de la nouvelle chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise. En pareille hypothèse, le principe de primauté du droit de l’Union lui impose alors de laisser inappliquée la disposition du droit national réservant à cette chambre disciplinaire la compétence exclusive pour connaître des litiges relatifs à la mise à la retraite des juges de la Cour suprême, de manière à ce que ces litiges puissent être examinés par une juridiction répondant aux exigences d
’indépendance et d’impartialité et qui serait compétente dans le domaine concerné si ladite disposition n’y faisait pas obstacle.
Dans les affaires pendantes devant la juridiction de renvoi, trois juges polonais (de la Cour suprême administrative et de la Cour suprême) invoquaient, entre autres, des violations de l’interdiction de discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi, en raison de leur mise à la retraite anticipée, conformément à la nouvelle loi du 8 décembre 2017 sur la Cour suprême. Bien que, depuis une modification récente, cette loi ne concerne plus les juges qui, à l’instar des requérants au principal, étaient déjà en exercice au sein de la Cour suprême lors de l’entrée en vigueur de celle-ci et que, par conséquent, lesdits requérants ont été maintenus ou réintégrés dans leurs fonctions, la juridiction de renvoi s’estimait toujours confrontée à un problème de nature procédurale. En effet, alors même que le type de litige en cause relevait normalement de la compétence de la chambre disciplinaire, nouvellement instituée au sein de la Cour suprême, elle se demandait, si, en raison de doutes quant à l’indépendance de cette instance, elle devait écarter les règles nationales de répartition des compétences juridictionnelles et, le cas échéant, se saisir elle-même du fond de ces litiges.
Dans un premier temps, la Cour, après avoir confirmé l’applicabilité, en l’occurrence, tant de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux que de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, a rappelé que l’exigence d’indépendance des juridictions relève du contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit fondamental à un procès équitable, droits qui revêtent eux-mêmes une importance cardinale en tant que garants de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment la valeur de l’État de droit. Elle a ensuite rappelé en détail sa jurisprudence sur la portée de cette exigence d’indépendance et a relevé, notamment, que, conformément au principe de séparation des pouvoirs qui caractérise le fonctionnement d’un État de droit, l’indépendance des juridictions doit être garantie à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif.
Dans un second temps, la Cour a souligné les éléments spécifiques devant être examinés par la juridiction de renvoi pour lui permettre d’apprécier si la chambre disciplinaire de la Cour suprême offre ou non des garanties suffisantes d’indépendance.
En premier lieu, la Cour a indiqué que le seul fait que les juges de la chambre disciplinaire soient nommés par le président de la République n’est pas de nature à créer une dépendance à l’égard du pouvoir politique, ni à engendrer des doutes quant à leur impartialité, si, une fois nommés, ils ne sont soumis à aucune pression et ne reçoivent pas d’instructions dans l’exercice de leurs fonctions. Par ailleurs, l’intervention, en amont, du Conseil national de la magistrature, chargé de proposer les juges en vue de leur nomination, est susceptible d’encadrer objectivement la marge de manœuvre du président de la République, à condition, toutefois, que cet organe soit lui-même suffisamment indépendant à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif ainsi que du président de la République. À ce sujet, la Cour a précisé qu’il importait de tenir compte d’éléments tant factuels que juridiques ayant trait à la fois aux conditions dans lesquelles les membres du nouveau Conseil de la magistrature polonais ont été désignés et à la manière dont celui-ci remplit concrètement son rôle de gardien de l’indépendance des juridictions et des juges. La Cour a également indiqué qu’il convenait de vérifier la portée du contrôle juridictionnel des propositions du Conseil de la magistrature, dans la mesure où les décisions de nomination du président de la République ne sont pas, quant à elles, susceptibles de faire l’objet d’un tel contrôle.
En deuxième lieu, la Cour a mis en exergue d’autres éléments, caractérisant plus directement la chambre disciplinaire. Par exemple, elle a indiqué que, dans le contexte particulier issu de l’adoption, fortement contestée, des dispositions de la nouvelle loi sur la Cour suprême qu’elle a déclarées contraires au droit de l’Union dans son arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C-619/18, EU:C:2019:531), il était pertinent de relever que la chambre disciplinaire s’est vu confier une compétence exclusive pour connaître des litiges ayant trait à la mise à la retraite des juges de la Cour suprême découlant de cette loi, qu’elle doit être composée uniquement de juges nouvellement nommés, ou encore qu’elle semble jouir d’un degré d’autonomie particulièrement poussé au sein de la Cour suprême. De manière générale, à plusieurs reprises, la Cour a précisé que, si chacun des éléments examinés, pris isolément, n’est pas forcément de nature à mettre en doute l’indépendance de cette instance, il pourrait, en revanche, en aller différemment lorsqu’ils sont envisagés de manière combinée.
{1 Directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).}
Voir texte de la décision.
Arrêt du 12 septembre 2024, Changu (C-352/23) (cf. points 64-66)
73. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Règles de répartition de la charge de la preuve lors de l'adoption d'une décision judiciaire ne statuant pas sur la culpabilité - Exclusion
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 28 novembre 2019, Spetsializirana prokuratura (C-653/19 PPU) (cf. points 40 et 41)
74. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Réglementation nationale susceptible d'engendrer une différence de traitement - Différence pouvant, en l'absence de justification, constituer une discrimination indirecte interdite par les directives 2000/78 et 2006/54 - Inclusion
Voir le texte de la décision.
75. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Réglementation nationale participant de l'exécution d'obligations d'accords internationaux conclus par l'Union - Réglementation nationale de nature à entraver l'une ou plusieurs des libertés fondamentales garanties par le traité FUE - État membre invoquant des raisons impérieuses d'intérêt général reconnues par le droit de l'Union comme justification - Inclusion
Dans l’arrêt Commission/Hongrie (Enseignement supérieur) (C 66/18), prononcé le 6 octobre 2020, la Cour, réunie en grande chambre, a accueilli le recours en manquement introduit par la Commission européenne contre cet État membre. La Cour a constaté, d’une part, que, en subordonnant l’exercice, en Hongrie, d’une activité de formation diplômante par les établissements d’enseignement supérieur situés en dehors de l’Espace économique européen (EEE) à l’existence d’une convention internationale liant la Hongrie à l’État tiers dans lequel l’établissement concerné a son siège, la Hongrie a manqué aux engagements pris, en matière de traitement national, au titre de l’accord général sur le commerce des services (AGCS), conclu dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC){1}. De plus, cette exigence se heurte aux dispositions de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») relatives à la liberté académique, à la liberté de créer des établissements d’enseignement supérieur et à la liberté d’entreprise{2}.
D’autre part, la Cour a constaté que, en soumettant l’exercice, en Hongrie, de l’activité des établissements d’enseignement supérieur étrangers, y compris des établissements ayant leur siège dans un autre État membre de l’EEE, à la condition qu’ils dispensent une formation d’enseignement supérieur dans l’État de leur siège, la Hongrie a manqué à ses engagements en matière de traitement national, au titre de l’AGCS, ainsi qu’à ses obligations au titre de la liberté d’établissement{3}, de la libre circulation des services{4} ainsi que des dispositions susvisées de la Charte.
Le 4 avril 2017, la Hongrie a adopté, en urgence, une loi portant modification de la loi relative à l’enseignement supérieur{5}, présentée comme visant à garantir la qualité des activités d’enseignement supérieur, dont le principal objet était de procéder à une refonte du régime d’autorisation applicable aux établissements d’enseignement supérieur étrangers. Qu’ils aient ou non bénéficié d’un agrément antérieur, ces établissements sont désormais soumis à de nouvelles exigences, dont celles examinées par la Cour.
La Commission a introduit un recours en manquement devant la Cour à l’encontre de la Hongrie, en faisant valoir que la loi de 2017 sur l’enseignement supérieur était incompatible tant avec les engagements souscrits par la Hongrie dans le cadre de l’AGCS qu’avec la liberté d’établissement, la libre circulation des services et les dispositions de la Charte relatives à la liberté académique, à la liberté de créer des établissements d’enseignement supérieur et à la liberté d’entreprise.
Tout d’abord, la Cour a rejeté les motifs d’irrecevabilité invoqués par la Hongrie. En effet, d’une part, en ce qui concerne la brièveté des délais appliqués par la Commission durant la procédure précontentieuse, la Cour, confirmant sa jurisprudence en la matière{6}, a procédé à l’examen du déroulement concret de cette procédure et a conclu que la Hongrie n’avait pas établi la violation alléguée des droits de la défense. De surcroît, elle a observé que les délais contestés avaient été fixés en considération de l’entrée en vigueur à bref délai des dispositions en cause, initialement fixée au 1er janvier 2018. D’autre part, la Cour a estimé que le gouvernement hongrois ne pouvait pas utilement se prévaloir de l’illégitimité des intentions politiques qu’il prête à la Commission, à savoir la protection des intérêts particuliers de la Central European University, dès lors que l’opportunité d’engager une procédure en manquement ressortit au seul pouvoir discrétionnaire dont elle dispose à cet égard et qui échappe, en tant que tel, au contrôle juridictionnel exercé par la Cour.
La Cour s’est ensuite déclarée compétente pour connaître des griefs tirés de violations du droit de l’OMC. À cet égard, après avoir rappelé que tout accord international conclu par l’Union fait partie intégrante du droit de l’Union, elle a constaté que tel était le cas de l’accord instituant l’OMC, dont l’AGCS fait partie. Ensuite, en ce qui concerne l’articulation entre la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique commerciale commune et la compétence étendue des États membres dans le domaine de l’éducation, la Cour a précisé que les engagements pris dans le cadre de l’AGCS, y compris les engagements concernant la libéralisation du commerce des services d’enseignements privés, relèvent de la politique commerciale commune. Par ailleurs, répondant à l’argumentation du gouvernement hongrois tirée de l’exclusivité de la compétence d’interprétation attribuée, notamment, aux organes constituant le système de règlement des différends de l’OMC, la Cour a souligné que non seulement l’existence du système de règlement des différends propre à l’OMC ne s’opposait pas à ce que, dans le cadre d’une procédure en manquement, la Cour admette sa compétence pour connaître de griefs tirés de violations du droit de l’OMC, en l’occurrence de l’AGCS, mais que l’exercice de cette compétence était même pleinement cohérent avec l’obligation de chaque membre de l’OMC, dont l’Union, de veiller au respect de ses obligations découlant du droit de cette organisation. À cet égard, la Cour a souligné que l’Union est susceptible de voir sa responsabilité internationale engagée du fait de l’éventuel non-respect par un État membre des obligations qu’il a souscrites au titre de l’AGCS.
Dans cette même perspective, la Cour a précisé les implications concrètes, sur l’exercice de sa propre compétence, des dispositions des conventions internationales qui la lient, ainsi que des règles et principes du droit international général de nature coutumière, dont elle rappelle d’emblée le caractère contraignant pour l’Union. Ainsi, au regard des principes de droit international général codifiés en matière de responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, la Cour a observé que l’appréciation du comportement d’un État membre qui lui incombe dans le cadre d’une procédure en manquement, fût-ce au regard du droit de l’OMC, ne lie pas les autres membres de l’OMC, pas plus qu’elle ne saurait affecter l’appréciation ultérieure que pourrait être appelé à effectuer l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC. Ainsi, selon la Cour, ni l’Union ni l’État membre concerné ne pourraient se prévaloir d’un arrêt rendu par la Cour à l’issue d’une procédure en manquement afin de se soustraire à l’obligation qui pèse sur eux de se conformer aux conséquences juridiques attachées par le droit de l’OMC aux décisions de l’ORD.
Ayant ainsi admis sa compétence, la Cour a entamé l’examen des griefs de la Commission. Premièrement, en ce qui concerne l’appréciation, au regard de l’article XVII de l’AGCS relatif au traitement national, de l’exigence tenant à l’existence d’une convention internationale préalable, la Cour a constaté d’emblée que, dans le domaine des services d’enseignement supérieur, la Hongrie s’est pleinement engagée à accorder le traitement national prévu à cet article, et ce en dépit d’une réserve formulée au sujet de l’engagement pris en matière d’accès au marché (article XVI), en ce sens que la création d’établissements d’enseignement en Hongrie demeure soumise à une autorisation préalable. En effet, selon le droit de l’OMC, une telle réserve d’autorisation préalable visant à limiter l’engagement souscrit en matière d’accès au marché ne peut valoir en matière de traitement national que pour autant qu’elle vise une mesure contraire tant à l’obligation en matière d’accès au marché qu’à celle relative au traitement national. Or, en l’espèce, le caractère général de la réserve d’autorisation préalable par laquelle la Hongrie entendait limiter son engagement concernant l’accès au marché ne présente aucun caractère discriminatoire, de sorte que la Hongrie ne saurait s’en prévaloir en ce qui concerne l’obligation de traitement national.
La Cour a ensuite précisé que la conclusion d’une convention internationale, telle qu’exigée par la loi de 2017 sur l’enseignement supérieur, impose aux prestataires étrangers concernés une condition supplémentaire pour qu’ils puissent fournir des services d’enseignement supérieur en Hongrie, condition dont la satisfaction relève du pouvoir discrétionnaire des autorités hongroises, ce qui suffit à caractériser une modification des conditions de concurrence au détriment des établissements concernés et en faveur des établissements hongrois. Enfin, la Cour a considéré que les explications fournies par le gouvernement hongrois au sujet des objectifs poursuivis par l’exigence en cause ne suffisaient pas à la justifier, au regard de l’article XIV de l’AGCS. En effet, s’agissant de l’invocation par la Hongrie de la protection de l’ordre public, cet État membre n’a pas établi, de façon concrète et circonstanciée, l’existence d’une menace véritable et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société hongroise. En outre, pour autant que l’exigence en cause viserait à prévenir des pratiques trompeuses, la Cour a jugé que celle-ci constituait un moyen de discrimination arbitraire en raison du caractère déterminant de la volonté politique des autorités hongroises aux fins de satisfaire celle-ci. Cette justification de la Hongrie n’a dès lors pas davantage été retenue.
De surcroît et en tout état de cause, la Cour a jugé disproportionnée l’exigence en cause, observant qu’elle s’appliquait de manière indifférenciée, y compris à des établissements déjà présents sur le marché hongrois.
Deuxièmement, la Cour a examiné l’exigence d’une activité de formation dans l’État d’origine. En ce qui concerne, tout d’abord, l’engagement souscrit par la Hongrie au titre de l’article XVII de l’AGCS, la Cour, après avoir mis en évidence le désavantage concurrentiel résultant de l’exigence en cause pour les établissements concernés, a relevé, comme précédemment, l’insuffisance des explications fournies par le gouvernement hongrois quant aux objectifs susceptibles d’en justifier la nécessité. Par des motifs analogues à ceux retenus dans le cadre de l’analyse du premier grief, elle a dès lors conclu que cette exigence, en tant qu’elle s’applique à des établissements d’enseignement supérieur établis dans un État tiers membre de l’OMC, méconnaissait cette disposition. Par ailleurs, en tant que ladite exigence s’applique à des établissements d’enseignement qui ont leur siège dans un autre État membre de l’Union, la Cour a retenu l’existence d’une restriction injustifiée tant à la liberté d’établissement garantie par l’article 49 TFUE qu’à la libre circulation des services visée à l’article 16 de la directive sur les services. Enfin, pour autant que l’exigence en cause est présentée comme visant à assurer un niveau élevé de qualité de l’enseignement supérieur, la Cour a observé que l’activité exigée, dont la qualité reste à établir, ne préjuge en rien de celle de l’enseignement dispensé en Hongrie, de sorte qu’un tel objectif ne suffit pas à justifier l’exigence en cause.
Troisièmement, la Cour a examiné si les exigences en cause, introduites par la loi de 2017 relative à l’enseignement supérieur, étaient conformes aux articles 13, 14, paragraphe 3, et 16 de la Charte. À cet égard, la Cour a précisé, tout d’abord, que la Hongrie était liée par la Charte, en ce qui concerne les dispositions litigieuses, dans la mesure où l’exécution d’obligations lui incombant au titre d’un accord international faisant partie intégrante du droit de l’Union, tel l’AGCS, d’une part, et les restrictions apportées par ces mêmes dispositions aux libertés fondamentales, dont elle a soutenu en vain le caractère justifié, d’autre part, relèvent de la mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.
Examinant successivement la portée des garanties accordées par les dispositions visées de la Charte, la Cour a souligné, s’agissant de l’exercice de l’activité des établissements d’enseignement supérieur, que la liberté académique n’avait pas uniquement une dimension individuelle, en ce qu’elle est associée à la liberté d’expression et, plus spécifiquement dans le domaine de la recherche, aux libertés de communication, de recherche et de diffusion des résultats ainsi acquis, mais également une dimension institutionnelle et organisationnelle trouvant son expression dans l’autonomie de ces établissements. Or, la Cour a constaté que les mesures litigieuses étaient susceptibles de mettre en péril l’activité académique des établissements d’enseignement supérieur étrangers concernés sur le territoire hongrois et, partant, de priver les universitaires concernés de l’infrastructure autonome, nécessaire à la conduite de leurs recherches scientifiques et à l’exercice leurs activités pédagogiques, si bien que lesdites mesures étaient de nature à limiter la liberté académique protégée à l’article 13 de la Charte. De surcroît, la création de ces établissements relève des articles 14, paragraphe 3, et 16 de la Charte et, pour des motifs analogues à ceux qui viennent d’être évoqués, les mesures litigieuses constituent une ingérence dans les droits consacrés par ces dispositions. Ces diverses ingérences n’ayant pas trouvé de justifications au regard de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, la Cour a constaté que la Hongrie avait manqué aux dispositions précitées de celle-ci.
{1} Article XVII de l’AGCS.
{2} Articles 13, 14, paragraphe 3, et 16 de la Charte.
{3} Article 49 TFUE.
{4} Article 16 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36, ci-après la « directive sur les services »).
{5} Nemzeti felsőoktatásról szóló 2011. évi CCIV. törvény módosításáról szóló 2017. évi XXV. törvény (loi no XXV de 2017, modifiant la loi no CCIV de 2011 sur l’enseignement supérieur national) (ci-après la « loi de 2017 sur l’enseignement supérieur »).
{6} Voir, en particulier, arrêt du 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative) (C-78/18, EU:C:2020:476, point 30 et jurisprudence citée) (voir aussi communiqué de presse no 73/20).
76. Recours en manquement - Compatibilité de mesures nationales avec le droit de l'Union - Grief tiré d'une violation de droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union - Liberté académique, liberté de créer des établissements d'enseignement et liberté d'entreprise - Examen autonome - Conditions - Applicabilité de la Charte
Dans l’arrêt Commission/Hongrie (Enseignement supérieur) (C 66/18), prononcé le 6 octobre 2020, la Cour, réunie en grande chambre, a accueilli le recours en manquement introduit par la Commission européenne contre cet État membre. La Cour a constaté, d’une part, que, en subordonnant l’exercice, en Hongrie, d’une activité de formation diplômante par les établissements d’enseignement supérieur situés en dehors de l’Espace économique européen (EEE) à l’existence d’une convention internationale liant la Hongrie à l’État tiers dans lequel l’établissement concerné a son siège, la Hongrie a manqué aux engagements pris, en matière de traitement national, au titre de l’accord général sur le commerce des services (AGCS), conclu dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC){1}. De plus, cette exigence se heurte aux dispositions de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») relatives à la liberté académique, à la liberté de créer des établissements d’enseignement supérieur et à la liberté d’entreprise{2}.
D’autre part, la Cour a constaté que, en soumettant l’exercice, en Hongrie, de l’activité des établissements d’enseignement supérieur étrangers, y compris des établissements ayant leur siège dans un autre État membre de l’EEE, à la condition qu’ils dispensent une formation d’enseignement supérieur dans l’État de leur siège, la Hongrie a manqué à ses engagements en matière de traitement national, au titre de l’AGCS, ainsi qu’à ses obligations au titre de la liberté d’établissement{3}, de la libre circulation des services{4} ainsi que des dispositions susvisées de la Charte.
Le 4 avril 2017, la Hongrie a adopté, en urgence, une loi portant modification de la loi relative à l’enseignement supérieur{5}, présentée comme visant à garantir la qualité des activités d’enseignement supérieur, dont le principal objet était de procéder à une refonte du régime d’autorisation applicable aux établissements d’enseignement supérieur étrangers. Qu’ils aient ou non bénéficié d’un agrément antérieur, ces établissements sont désormais soumis à de nouvelles exigences, dont celles examinées par la Cour.
La Commission a introduit un recours en manquement devant la Cour à l’encontre de la Hongrie, en faisant valoir que la loi de 2017 sur l’enseignement supérieur était incompatible tant avec les engagements souscrits par la Hongrie dans le cadre de l’AGCS qu’avec la liberté d’établissement, la libre circulation des services et les dispositions de la Charte relatives à la liberté académique, à la liberté de créer des établissements d’enseignement supérieur et à la liberté d’entreprise.
Tout d’abord, la Cour a rejeté les motifs d’irrecevabilité invoqués par la Hongrie. En effet, d’une part, en ce qui concerne la brièveté des délais appliqués par la Commission durant la procédure précontentieuse, la Cour, confirmant sa jurisprudence en la matière{6}, a procédé à l’examen du déroulement concret de cette procédure et a conclu que la Hongrie n’avait pas établi la violation alléguée des droits de la défense. De surcroît, elle a observé que les délais contestés avaient été fixés en considération de l’entrée en vigueur à bref délai des dispositions en cause, initialement fixée au 1er janvier 2018. D’autre part, la Cour a estimé que le gouvernement hongrois ne pouvait pas utilement se prévaloir de l’illégitimité des intentions politiques qu’il prête à la Commission, à savoir la protection des intérêts particuliers de la Central European University, dès lors que l’opportunité d’engager une procédure en manquement ressortit au seul pouvoir discrétionnaire dont elle dispose à cet égard et qui échappe, en tant que tel, au contrôle juridictionnel exercé par la Cour.
La Cour s’est ensuite déclarée compétente pour connaître des griefs tirés de violations du droit de l’OMC. À cet égard, après avoir rappelé que tout accord international conclu par l’Union fait partie intégrante du droit de l’Union, elle a constaté que tel était le cas de l’accord instituant l’OMC, dont l’AGCS fait partie. Ensuite, en ce qui concerne l’articulation entre la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique commerciale commune et la compétence étendue des États membres dans le domaine de l’éducation, la Cour a précisé que les engagements pris dans le cadre de l’AGCS, y compris les engagements concernant la libéralisation du commerce des services d’enseignements privés, relèvent de la politique commerciale commune. Par ailleurs, répondant à l’argumentation du gouvernement hongrois tirée de l’exclusivité de la compétence d’interprétation attribuée, notamment, aux organes constituant le système de règlement des différends de l’OMC, la Cour a souligné que non seulement l’existence du système de règlement des différends propre à l’OMC ne s’opposait pas à ce que, dans le cadre d’une procédure en manquement, la Cour admette sa compétence pour connaître de griefs tirés de violations du droit de l’OMC, en l’occurrence de l’AGCS, mais que l’exercice de cette compétence était même pleinement cohérent avec l’obligation de chaque membre de l’OMC, dont l’Union, de veiller au respect de ses obligations découlant du droit de cette organisation. À cet égard, la Cour a souligné que l’Union est susceptible de voir sa responsabilité internationale engagée du fait de l’éventuel non-respect par un État membre des obligations qu’il a souscrites au titre de l’AGCS.
Dans cette même perspective, la Cour a précisé les implications concrètes, sur l’exercice de sa propre compétence, des dispositions des conventions internationales qui la lient, ainsi que des règles et principes du droit international général de nature coutumière, dont elle rappelle d’emblée le caractère contraignant pour l’Union. Ainsi, au regard des principes de droit international général codifiés en matière de responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, la Cour a observé que l’appréciation du comportement d’un État membre qui lui incombe dans le cadre d’une procédure en manquement, fût-ce au regard du droit de l’OMC, ne lie pas les autres membres de l’OMC, pas plus qu’elle ne saurait affecter l’appréciation ultérieure que pourrait être appelé à effectuer l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC. Ainsi, selon la Cour, ni l’Union ni l’État membre concerné ne pourraient se prévaloir d’un arrêt rendu par la Cour à l’issue d’une procédure en manquement afin de se soustraire à l’obligation qui pèse sur eux de se conformer aux conséquences juridiques attachées par le droit de l’OMC aux décisions de l’ORD.
Ayant ainsi admis sa compétence, la Cour a entamé l’examen des griefs de la Commission. Premièrement, en ce qui concerne l’appréciation, au regard de l’article XVII de l’AGCS relatif au traitement national, de l’exigence tenant à l’existence d’une convention internationale préalable, la Cour a constaté d’emblée que, dans le domaine des services d’enseignement supérieur, la Hongrie s’est pleinement engagée à accorder le traitement national prévu à cet article, et ce en dépit d’une réserve formulée au sujet de l’engagement pris en matière d’accès au marché (article XVI), en ce sens que la création d’établissements d’enseignement en Hongrie demeure soumise à une autorisation préalable. En effet, selon le droit de l’OMC, une telle réserve d’autorisation préalable visant à limiter l’engagement souscrit en matière d’accès au marché ne peut valoir en matière de traitement national que pour autant qu’elle vise une mesure contraire tant à l’obligation en matière d’accès au marché qu’à celle relative au traitement national. Or, en l’espèce, le caractère général de la réserve d’autorisation préalable par laquelle la Hongrie entendait limiter son engagement concernant l’accès au marché ne présente aucun caractère discriminatoire, de sorte que la Hongrie ne saurait s’en prévaloir en ce qui concerne l’obligation de traitement national.
La Cour a ensuite précisé que la conclusion d’une convention internationale, telle qu’exigée par la loi de 2017 sur l’enseignement supérieur, impose aux prestataires étrangers concernés une condition supplémentaire pour qu’ils puissent fournir des services d’enseignement supérieur en Hongrie, condition dont la satisfaction relève du pouvoir discrétionnaire des autorités hongroises, ce qui suffit à caractériser une modification des conditions de concurrence au détriment des établissements concernés et en faveur des établissements hongrois. Enfin, la Cour a considéré que les explications fournies par le gouvernement hongrois au sujet des objectifs poursuivis par l’exigence en cause ne suffisaient pas à la justifier, au regard de l’article XIV de l’AGCS. En effet, s’agissant de l’invocation par la Hongrie de la protection de l’ordre public, cet État membre n’a pas établi, de façon concrète et circonstanciée, l’existence d’une menace véritable et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société hongroise. En outre, pour autant que l’exigence en cause viserait à prévenir des pratiques trompeuses, la Cour a jugé que celle-ci constituait un moyen de discrimination arbitraire en raison du caractère déterminant de la volonté politique des autorités hongroises aux fins de satisfaire celle-ci. Cette justification de la Hongrie n’a dès lors pas davantage été retenue.
De surcroît et en tout état de cause, la Cour a jugé disproportionnée l’exigence en cause, observant qu’elle s’appliquait de manière indifférenciée, y compris à des établissements déjà présents sur le marché hongrois.
Deuxièmement, la Cour a examiné l’exigence d’une activité de formation dans l’État d’origine. En ce qui concerne, tout d’abord, l’engagement souscrit par la Hongrie au titre de l’article XVII de l’AGCS, la Cour, après avoir mis en évidence le désavantage concurrentiel résultant de l’exigence en cause pour les établissements concernés, a relevé, comme précédemment, l’insuffisance des explications fournies par le gouvernement hongrois quant aux objectifs susceptibles d’en justifier la nécessité. Par des motifs analogues à ceux retenus dans le cadre de l’analyse du premier grief, elle a dès lors conclu que cette exigence, en tant qu’elle s’applique à des établissements d’enseignement supérieur établis dans un État tiers membre de l’OMC, méconnaissait cette disposition. Par ailleurs, en tant que ladite exigence s’applique à des établissements d’enseignement qui ont leur siège dans un autre État membre de l’Union, la Cour a retenu l’existence d’une restriction injustifiée tant à la liberté d’établissement garantie par l’article 49 TFUE qu’à la libre circulation des services visée à l’article 16 de la directive sur les services. Enfin, pour autant que l’exigence en cause est présentée comme visant à assurer un niveau élevé de qualité de l’enseignement supérieur, la Cour a observé que l’activité exigée, dont la qualité reste à établir, ne préjuge en rien de celle de l’enseignement dispensé en Hongrie, de sorte qu’un tel objectif ne suffit pas à justifier l’exigence en cause.
Troisièmement, la Cour a examiné si les exigences en cause, introduites par la loi de 2017 relative à l’enseignement supérieur, étaient conformes aux articles 13, 14, paragraphe 3, et 16 de la Charte. À cet égard, la Cour a précisé, tout d’abord, que la Hongrie était liée par la Charte, en ce qui concerne les dispositions litigieuses, dans la mesure où l’exécution d’obligations lui incombant au titre d’un accord international faisant partie intégrante du droit de l’Union, tel l’AGCS, d’une part, et les restrictions apportées par ces mêmes dispositions aux libertés fondamentales, dont elle a soutenu en vain le caractère justifié, d’autre part, relèvent de la mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.
Examinant successivement la portée des garanties accordées par les dispositions visées de la Charte, la Cour a souligné, s’agissant de l’exercice de l’activité des établissements d’enseignement supérieur, que la liberté académique n’avait pas uniquement une dimension individuelle, en ce qu’elle est associée à la liberté d’expression et, plus spécifiquement dans le domaine de la recherche, aux libertés de communication, de recherche et de diffusion des résultats ainsi acquis, mais également une dimension institutionnelle et organisationnelle trouvant son expression dans l’autonomie de ces établissements. Or, la Cour a constaté que les mesures litigieuses étaient susceptibles de mettre en péril l’activité académique des établissements d’enseignement supérieur étrangers concernés sur le territoire hongrois et, partant, de priver les universitaires concernés de l’infrastructure autonome, nécessaire à la conduite de leurs recherches scientifiques et à l’exercice leurs activités pédagogiques, si bien que lesdites mesures étaient de nature à limiter la liberté académique protégée à l’article 13 de la Charte. De surcroît, la création de ces établissements relève des articles 14, paragraphe 3, et 16 de la Charte et, pour des motifs analogues à ceux qui viennent d’être évoqués, les mesures litigieuses constituent une ingérence dans les droits consacrés par ces dispositions. Ces diverses ingérences n’ayant pas trouvé de justifications au regard de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, la Cour a constaté que la Hongrie avait manqué aux dispositions précitées de celle-ci.
{1} Article XVII de l’AGCS.
{2} Articles 13, 14, paragraphe 3, et 16 de la Charte.
{3} Article 49 TFUE.
{4} Article 16 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36, ci-après la « directive sur les services »).
{5} Nemzeti felsőoktatásról szóló 2011. évi CCIV. törvény módosításáról szóló 2017. évi XXV. törvény (loi no XXV de 2017, modifiant la loi no CCIV de 2011 sur l’enseignement supérieur national) (ci-après la « loi de 2017 sur l’enseignement supérieur »).
{6} Voir, en particulier, arrêt du 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative) (C-78/18, EU:C:2020:476, point 30 et jurisprudence citée) (voir aussi communiqué de presse no 73/20).
77. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Réglementation nationale précisant les modalités de la procédure d'échange d'informations sur demande instituée par la directive 2011/16 - Inclusion
Donnant suite à deux demandes d’échange d’informations formulées par l’administration fiscale espagnole dans le cadre d’une enquête concernant F. C., une personne physique résidant en Espagne, le directeur de l’administration des contributions directes du Luxembourg a adressé à la société B ainsi qu’à la banque A des décisions leur faisant injonction de communiquer des informations portant sur des comptes bancaires et sur des actifs financiers dont F. C. serait titulaire ou bénéficiaire ainsi que sur diverses opérations juridiques, bancaires, financières ou économiques susceptibles d’avoir été réalisées par F. C. ou par des tierces personnes agissant pour son compte ou dans son intérêt.
En vertu de la législation luxembourgeoise relative à la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, de telles décisions d’injonction ne pouvaient, à l’époque des faits, pas faire l’objet d’un recours. Néanmoins, les sociétés B, C et D ainsi que F. C. ont introduit des recours devant le tribunal administratif du Luxembourg visant à obtenir, à titre principal, la réformation et, à titre subsidiaire, l’annulation de celles-ci. Le tribunal administratif s’est déclaré compétent pour connaître de ces recours, en considérant que la législation luxembourgeoise n’était pas conforme à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), qui consacre le droit à un recours effectif en faveur de toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés, et que cette législation devait, par conséquent, être laissée inappliquée. Quant au fond, ledit tribunal a partiellement annulé les décisions d’injonction en estimant que certaines des informations demandées n’apparaissaient pas vraisemblablement pertinentes.
L’État luxembourgeois a fait appel de ces jugements devant la Cour administrative (Luxembourg), qui a décidé d’interroger la Cour, notamment, sur l’interprétation de l’article 47 de la Charte. La juridiction de renvoi demande ainsi si cet article s’oppose à une législation nationale qui prive une personne détentrice d’informations (telle que la société B), un contribuable visé par une enquête fiscale (tel que F. C.) et des tierces personnes concernées par ces informations (telles que les sociétés C et D) de la possibilité de former un recours direct contre une décision d’injonction. Par ailleurs, la juridiction de renvoi s’interroge sur la portée de la possibilité offerte par la directive 2011/16{1} aux États membres d’échanger des informations à la condition que celles-ci soient « vraisemblablement pertinentes » pour l’administration et l’application de la législation fiscale nationale.
Dans son arrêt du 6 octobre 2020, dans les affaires C-245/19 et C-246/19, la Cour (grande chambre) a dit pour droit, en premier lieu, que l’article 47 de la Charte, lu conjointement avec ses articles 7 et 8 (qui consacrent, respectivement, le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel) ainsi qu’avec son article 52, paragraphe 1 (qui permet, sous certaines conditions, de limiter l’exercice de certains droits fondamentaux) :
- s’oppose à ce que la législation d’un État membre mettant en œuvre la procédure d’échange d’informations sur demande instituée par la directive 2011/16 empêche la personne détentrice d’informations de former un recours contre une décision par laquelle l’autorité compétente de cet État membre oblige cette personne à lui fournir ces informations, en vue de donner suite à une demande d’échange d’informations émanant de l’autorité compétente d’un autre État membre, mais
- ne s’oppose pas à ce qu’une telle législation empêche le contribuable visé par l’enquête à l’origine de cette demande d’informations, ainsi que des tiers concernés par les informations en cause, de former un recours contre ladite décision.
Après avoir constaté que la Charte était applicable dès lors que la législation nationale en cause au principal constituait une mise en œuvre du droit de l’Union, la Cour a relevé, premièrement, en ce qui concerne le droit à un recours effectif, que la protection des personnes physiques et morales contre des interventions arbitraires ou disproportionnées de la puissance publique dans leur sphère d’activité privée constitue un principe général du droit de l’Union et peut être invoquée par une personne morale destinataire d’une décision d’injonction de communication d’informations à l’administration fiscale, en vue de contester celle-ci en justice.
Cela étant, la Cour a rappelé que l’exercice du droit à un recours effectif peut être limité, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, par une législation nationale, si les conditions prévues à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte sont respectées. Cette disposition exige notamment que le contenu essentiel des droits et des libertés garantis par la Charte soit respecté.
À cet égard, la Cour a précisé que le contenu essentiel du droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte inclut, entre autres éléments, celui consistant, pour le titulaire de ce droit, à pouvoir accéder à un tribunal compétent pour assurer le respect des droits et libertés garantis par le droit de l’Union et, à cette fin, pour examiner toute question de droit et de fait pertinente pour résoudre le litige dont il est saisi. En outre, pour accéder à un tel tribunal, cette personne ne saurait se voir contrainte d’enfreindre une règle ou une obligation juridique et de s’exposer à la sanction attachée à cette infraction. Or, la Cour a constaté que, en vertu de la législation nationale applicable en l’occurrence, c’est seulement lorsque le destinataire de la décision d’injonction ne respecte pas cette décision et se voit ultérieurement infliger une sanction pour ce motif qu’il dispose d’une possibilité de contester, à titre incident, ladite décision, dans le cadre du recours ouvert contre une telle sanction. Dès lors, une telle législation nationale ne respecte pas l’article 47 et l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, lus conjointement.
En ce qui concerne, deuxièmement, le droit à un recours effectif du contribuable visé par l’enquête à l’origine de la décision d’injonction, la Cour a constaté qu’un tel contribuable est, en tant que personne physique, titulaire du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 7 de la Charte et du droit à la protection des données à caractère personnel garanti par l’article 8 de celle-ci, et que la communication d’informations le concernant à une autorité publique est susceptible de violer ces droits, situation qui justifie que l’intéressé se voie reconnaître le bénéfice du droit à un recours effectif.
La Cour a toutefois ajouté que l’exigence tenant au respect du contenu essentiel de ce droit n’implique pas que le contribuable dispose d’une voie de recours directe visant, à titre principal, à mettre en cause une mesure donnée, pour autant qu’il existe, devant les différentes juridictions nationales compétentes, une ou plusieurs voies de recours lui permettant d’obtenir, à titre incident, un contrôle juridictionnel effectif de cette mesure, sans devoir s’exposer, à cette fin, à un risque de sanction. En l’absence d’une voie de recours directe contre une décision d’injonction, ce contribuable doit ainsi disposer d’un droit de recours contre la décision de rectification ou de redressement adoptée au terme de l’enquête, et, dans ce cadre, de la possibilité de contester, à titre incident, la première de ces décisions ainsi que les conditions d’obtention et l’utilisation des preuves recueillies grâce à celle-ci. Dès lors, la Cour a considéré qu’une législation empêchant un tel contribuable de former un recours direct contre une décision d’injonction ne porte pas atteinte au contenu essentiel du droit à un recours effectif.
Par ailleurs, la Cour a relevé qu’une telle législation répond à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union, consistant à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales internationales en renforçant la coopération entre les autorités nationales compétentes en ce domaine, et qu’elle respecte le principe de proportionnalité.
En ce qui concerne, troisièmement, la situation des tiers concernés par les informations en cause, la Cour a considéré, de façon analogue, que l’exercice du droit à un recours effectif dont doivent disposer ces tiers, en présence d’une décision d’injonction qui pourrait violer leur droit à la protection contre des interventions arbitraires ou disproportionnées de la puissance publique dans leur sphère d’activité privée , peut être limité par une législation nationale excluant la formation d’un recours direct contre une telle décision, à condition que lesdits tiers disposent, par ailleurs, d’une voie de recours leur permettant d’obtenir le respect effectif de leurs droits fondamentaux, telle que celle du recours en responsabilité.
En second lieu, la Cour a jugé qu’une décision par laquelle l’autorité compétente d’un État membre oblige une personne détentrice d’informations à lui fournir ces informations, en vue de donner suite à une demande d’échange d’informations, est à considérer comme portant sur des informations « vraisemblablement pertinentes », au sens de la directive 2011/16, dès lors qu’elle indique l’identité de la personne détentrice des informations en cause, celle du contribuable qui est visé par l’enquête à l’origine de la demande d’échange d’informations et la période couverte par cette dernière, et qu’elle porte sur des contrats, des facturations et des paiements qui, tout en n’étant pas identifiés de façon précise, sont délimités au moyen de critères personnels, temporels et matériels faisant apparaître leurs liens avec l’enquête et le contribuable visé par celle-ci. En effet, cette combinaison de critères suffit pour considérer que les informations demandées n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable, de telle sorte qu’une délimitation plus précise de celles-ci n’est pas nécessaire.
{1} Directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (JO 2011, L 64, p. 1), telle que modifiée par la directive 2014/107/UE du Conseil, du 9 décembre 2014 (JO 2014, L 359, p. 1).
Voir le texte de la décision.
78. Parlement européen - Réglementation concernant les frais et indemnités des députés du Parlement européen - Statut unique des députés européens - Décision de la direction générale des finances du Parlement européen concernant la modification du montant des pensions des anciens députés européens - Obligation de respecter les droits fondamentaux et principes généraux du droit de l'Union
Mme Maria Teresa Coppo Gavazzi ainsi que plusieurs autres personnes physiques, anciens membres du Parlement européen élus en Italie ou leurs conjoints survivants (ci-après les « requérants), bénéficient respectivement d’une pension de retraite ou d’une pension de survie. En application de la décision nationale nº 14/2018{1}, le Parlement européen a décidé de réduire le montant de la pension d’un certain nombre d’anciens députés européens élus en Italie (ou celle de leurs conjoints survivants) avec effet au 1er janvier 2019.
En effet, en janvier 2019, le Parlement a informé les requérants qu’il serait tenu d’appliquer la décision nº 14/2008 et partant, de recalculer les montants de leur pension, notamment en application des dispositions de la réglementation concernant les frais et indemnités des députés au Parlement européen (ci-après la « réglementation FID ») instaurant la règle de « pension identique »{2}. En vertu de cette règle, le niveau et les modalités de la pension provisoire doivent être identiques à ceux de la pension que perçoivent les membres de la Chambre basse de l’État membre pour lequel le membre considéré du Parlement a été élu. Ainsi, par plusieurs notes du 11 avril 2019 et la décision finale du 11 juin 2019{3} (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées ») de la direction générale des finances du Parlement (ci-après l’« auteur des décisions attaquées »), les requérants ont été informés de la modification du montant de leur pension, en application de la règle de « pension identique » prévue par la réglementation FID et de la décision nº 14/20018, à concurrence de la réduction des pensions analogues versées en Italie aux anciens députés nationaux par la Chambre des députés. Les décisions attaquées précisaient également que le montant des pensions des requérants serait adapté dès le mois d’avril 2019 et aurait un effet rétroactif au 1er janvier 2019.
Les requérants ont introduit des recours tendant à l’annulation de ces décisions, en invoquant des moyens tirés, notamment, de l’incompétence de leur auteur, d’une absence de base juridique, d’une erreur de droit relative à la qualification de la décision nº 14/2018 ainsi que d’une violation de plusieurs principes généraux du droit de l’Union.
Dans son arrêt du 15 octobre 2020, rendu en chambre élargie, le Tribunal rejette ces recours.
Se prononçant, en premier lieu, sur les limites de sa compétence dans le cadre d’un recours en annulation{4}, le Tribunal précise qu’il n’est pas compétent pour statuer sur la légalité de la décision nº 14/2018 dans la mesure où il s’agit d’un acte adopté par une autorité nationale. En revanche, il relève qu’il est compétent pour examiner si l’article 75 des mesures d’application du statut des députés, relatif notamment aux pensions de retraite{5}, (ci-après les « mesures d’application ») ainsi que les dispositions de la réglementation FID instaurant la règle de « pension identique »{6} ne méconnaissent pas les normes de rang supérieur du droit de l’Union. De même, le Tribunal ajoute qu’il peut examiner la conformité au droit de l’Union tant des décisions attaquées que de l’application par le Parlement, au titre de la règle de pension identique, des dispositions de la décision nº 14/2018.
Se penchant, en deuxième lieu, sur le moyen pris de l’incompétence de l’auteur des décisions attaquées, le Tribunal rappelle que le bureau du Parlement possède une compétence générale en matière de questions financières concernant les députés{7}. Ainsi, l’administration du Parlement peut se voir confier la compétence d’adopter des décisions individuelles dans le domaine des questions financières concernant les députés, dès lors que c’est le bureau de cette institution qui en a fixé les limites et modalités d’exercice. Eu égard à cette répartition des compétences, le Tribunal souligne que le Parlement peut attribuer à son administration la compétence d’adopter des décisions individuelles dans le domaine des droits à pension et de la fixation du montant des pensions. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’auteur des décisions attaquées était compétent, en sa qualité d’ordonnateur subdélégué pour les questions budgétaires relatives aux pensions d’ancienneté, pour adopter les décisions attaquées.
En troisième lieu, le Tribunal rejette le moyen tiré de l’application erronée de l’article 75 des mesures d’application, en jugeant que le Parlement s’est valablement fondé sur cette disposition ainsi que sur la règle de « pension identique » afin d’adopter les décisions attaquées. Ainsi, il note, tout d’abord, que la règle de « pension identique » reste applicable aux requérants, par dérogation aux règles prévues par les mesures d’application, selon lesquelles la réglementation FID a expiré le jour de l’entrée en vigueur du statut des députés, à savoir le 14 juillet 2009{8}. Ensuite, le Tribunal met en exergue que si les deux paragraphes composant l’article 75 des mesures d’application visent le droit à pension de retraite des anciens députés européens, leurs champs d’application respectifs sont différents.
En effet, d’une part, l’article 75, paragraphe 1, premier alinéa, des mesures d’application s’applique aux anciens députés qui ont commencé à bénéficier de leur pension de retraite avant la date de l’entrée en vigueur du statut des députés, c’est-à-dire avant le 14 juillet 2009, et qui continuent, après cette date, de relever du régime de pension mis en place par l’annexe III de la réglementation FID (ci-après l’« annexe III »). Se prononçant sur la situation de ces députés, le Tribunal note que, en vertu de la règle de « pension identique », le Parlement est tenu de déterminer le niveau et les modalités de la pension de retraite d’un ancien député européen sur la base de ceux définis dans le droit national applicable, en l’occurrence, sur le fondement des règles définies dans la décision nº 14/2018. Cette obligation s’impose au Parlement, qui ne dispose d’aucune marge pour un mode de calcul autonome, pendant toute la période de versement des pensions de retraite, sous réserve du respect des normes de rang supérieur du droit de l’Union, en ce compris les principes généraux du droit et la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Par ailleurs, le Tribunal conclut que la réduction du montant des pensions, en application de ces règles, ne porte pas atteinte aux droits à pension de retraite acquis par leurs bénéficiaires étant donné que ni l’article 75, paragraphe 1, premier alinéa, ni l’annexe III ne garantissent l’immuabilité du montant de ces pensions. En effet, selon le Tribunal, les droits à pension acquis dont ledit article 75 fait mention ne doivent pas être confondus avec un prétendu droit de percevoir un montant fixe de pension.
D’autre part, l’article 75, paragraphe 2, des mesures d’application s’applique aux anciens députés qui ont commencé à percevoir leur pension de retraite après la date de l’entrée en vigueur du statut des députés et garantit que les droits à pension de retraite acquis jusqu’à cette date demeurent acquis{9}. Toutefois, le Tribunal note que cette disposition{10}, qui distingue clairement les « droits à pension de retraite acquis » des « pensions », ne garantit pas l’immuabilité du montant de cette pension, en ce sens que ce montant ne pourrait pas être révisé. Par ailleurs, le Tribunal souligne que les deux exigences auxquelles les anciens députés doivent répondre afin de pouvoir bénéficier de leur pension de retraite{11} ont pour seul objet de conditionner le bénéfice effectif de ces pensions sans pour autant garantir l’immuabilité de leur montant. Au surplus, ces deux exigences ont pour uniques débiteurs les requérants, et non le Parlement.
En quatrième et dernier lieu, le Tribunal rejette le moyen tiré de la violation de plusieurs principes généraux du droit de l’Union et de la Charte. Ainsi, le Tribunal souligne, tout d’abord, que le Parlement est tenu de calculer et, le cas échéant, d’actualiser les pensions des anciens députés européens italiens, en tirant les conséquences de la décision nº 14/2018, sauf si l’application de cette décision aboutissait à une violation de la Charte{12} ou de ces principes généraux. Ensuite, se prononçant sur la violation du principe de sécurité juridique, le Tribunal admet que les décisions attaquées ont produit des effets rétroactifs, notamment antérieurs à leur date d’adoption, à savoir au 1er janvier 2019. Toutefois, il souligne que cela s’explique par l’obligation du Parlement d’appliquer la règle de « pension identique »{13}. En effet, en application de cette règle et, par conséquent, des dispositions de la décision no 14/2018, les requérants n’étaient plus en droit de prétendre, à partir de cette date, au bénéfice de leur pension, telle qu’elle était calculée avant cette date. En ce qui concerne le grief tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime, le Tribunal note que le Parlement ne s’est pas écarté de l’assurance précise et inconditionnelle donnée aux requérants lorsqu’ils ont adhéré au régime de pension organisé par l’annexe III, consistant à leur garantir le bénéfice d’une « pension identique » à celle des députés nationaux.
En outre, s’agissant du grief tiré de la violation du droit de propriété{14}, le Tribunal observe que, en réduisant le montant des pensions des requérants, le Parlement n’a ni privé les requérants d’une partie de leurs droits à pension, ni modifié le contenu de ces droits. Ensuite, le Tribunal conclut que cette restriction du droit de propriété des requérants est justifiée, notamment au regard des exigences prévues par la Charte. En ce sens, il note, d’une part, que le droit de propriété ne saurait être interprété comme ouvrant droit à une pension d’un montant déterminé. D’autre part, il souligne que cette restriction, prévue par la loi, peut être justifiée, premièrement, par l’objectif d’intérêt général poursuivi par la décision nº 14/2018, qui est celui de rationaliser les dépenses publiques dans un contexte de rigueur budgétaire, objectif déjà reconnu par la jurisprudence comme justifiant une atteinte aux droits fondamentaux, et, deuxièmement, par l’objectif légitime, explicitement affirmé par l’annexe III, d’accorder aux requérants des pensions dont le niveau et les modalités sont identiques à ceux de la pension que perçoivent les membres de la Chambre des députés.
Enfin, se prononçant sur la violation du principe d’égalité, le Tribunal rejette l’allégation selon laquelle le Parlement aurait, en violation de ce principe, assimilé les requérants aux anciens membres de la Chambre des députés. En ce sens, il retient que les requérants n’ont pas prouvé que leur situation est fondamentalement différente de celle des anciens membres de la Chambre des députés. En outre, le Tribunal rejette l’allégation selon laquelle le Parlement aurait traité les requérants différemment d’autres anciens députés européens, élus en France ou au Luxembourg, qui relèveraient également du régime de pension organisé par l’annexe III{15}. Ainsi, il juge que les requérants ne se trouvent pas dans la même situation que celle des autres anciens députés européens élus en France ou au Luxembourg, puisque, notamment, les pensions de ces derniers n’ont pas vocation à être régies par les règles fixées par le droit italien, mais par d’autres règles nationales qui leur sont spécifiquement applicables.
{1} Décision du 12 juillet 2018, adoptée par l’Ufficio di Presidenza della Camera dei deputati (Office de la présidence de la Chambre des députés, Italie) (ci-après la « décision nº 14/2018 »). La légalité de cette décision est actuellement examinée par le Consiglio di giurisdizione della Camera dei deputati (Conseil de juridiction de la Chambre des députés, Italie).
{2} Article 2, paragraphe 1, de l’annexe III de cette réglementation.
{3} La décision finale concerne uniquement M. Florio, le requérant dans l’affaire T-465/19.
{4} Article 263 TFUE.
{5} Par décisions des 19 mai et 9 juillet 2008, le bureau du Parlement a adopté les mesures d’application du statut des députés (JO 2009, C-159, p. 1).
{6} Article 2, paragraphe 1, de l’annexe III de la réglementation FID.
{7} En vertu de l’article 25, paragraphe 3, du règlement intérieur du Parlement.
{8} Article 74, lu en combinaison avec l’article 75, des mesures d’application.
{9} Article 75, paragraphe 2, 1ère phrase, des mesures d’application.
{10} Article 75, paragraphe 2, 2ème phrase, des mesures d’application.
{11} À savoir, respecter les dispositions pertinentes du droit national applicable en matière d’octroi de la pension de retraite et avoir déposé la demande de liquidation de cette pension.
{12} Article 51, paragraphe 1.
{13} Prévue par l’article 2, paragraphe 1, de l’annexe III de la réglementation FID.
{14} Article 17, paragraphe 1, de la Charte.
{15} Prévu par l’annexe III de la réglementation FID.
79. Droits fondamentaux - Droit à une protection juridictionnelle effective - Droit à un recours effectif - Invocabilité
Repubblika est une association ayant pour objet la promotion de la protection de la justice et de l’État de droit à Malte. À la suite de la nomination de nouveaux juges, intervenue en avril 2019, elle a introduit une action populaire devant la Prim’Awla tal-Qorti Ċivili - Ġurisdizzjoni Kostituzzjonali (première chambre du tribunal civil, siégeant comme juridiction constitutionnelle, Malte), en vue, notamment, de contester la procédure de nomination des juges maltais, telle que régie par la Constitution{1}. Les dispositions constitutionnelles concernées, qui sont restées inchangées depuis leur adoption, en 1964, jusqu’à une réforme en 2016, confèrent au Il-Prim Ministru (Premier ministre, Malte) le pouvoir de présenter au président de la République la nomination d’un candidat à un tel poste. En pratique, le Premier ministre dispose ainsi d’un pouvoir décisif dans la nomination des juges maltais, qui, selon Repubblika, soulève des doutes quant à l’indépendance de ces juges. Néanmoins, les candidats doivent remplir certaines conditions, également prévues par la Constitution, et, depuis la réforme de 2016, une commission des nominations judiciaires a été instituée et est chargée d’évaluer les candidats et de fournir un avis au Premier ministre.
Dans ce contexte, la juridiction saisie a décidé d’interroger la Cour sur la conformité du système maltais de nomination des juges au droit de l’Union et, plus précisément, à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Pour rappel, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE impose aux États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer, dans les domaines couverts par le droit de l’Union, une protection juridictionnelle effective et l’article 47 de la Charte énonce le droit à un recours juridictionnel effectif pour tout justiciable qui se prévaut, dans une espèce donnée, d’un droit qu’il tire du droit de l’Union.
La Cour, réunie en grande chambre, juge que le droit de l’Union ne fait pas obstacle à des dispositions constitutionnelles nationales telles que les dispositions de droit maltais relatives à la nomination des juges. En effet, ces dispositions ne semblent pas susceptibles de conduire à une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité des juges qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit.
Appréciation de la Cour
Dans un premier temps, la Cour juge que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE a vocation à s’appliquer en l’espèce, dès lors que le recours tend à contester la conformité, au droit de l’Union, de dispositions de droit national qui régissent la procédure de nomination de juges appelés à statuer sur des questions d’application ou d’interprétation du droit de l’Union, et dont il est allégué qu’elles sont susceptibles d’affecter leur indépendance. En ce qui concerne l’article 47 de la Charte, la Cour indique que, s’il n’est pas applicable en tant que tel{2} dans la mesure où Repubblika ne se prévaut pas d’un droit subjectif qu’elle tirerait du droit de l’Union, il doit néanmoins être pris en considération aux fins de l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.
Dans un second temps, la Cour juge que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ne s’oppose pas à des dispositions nationales qui confèrent à un Premier ministre un pouvoir décisif dans le processus de nomination des juges, tout en prévoyant l’intervention, dans ce processus, d’un organe indépendant chargé, notamment, d’évaluer les candidats à un poste de juge et de fournir un avis à ce Premier ministre.
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour souligne d’abord, de manière générale, que, parmi les exigences d’une protection juridictionnelle effective auxquelles doivent satisfaire les juridictions nationales susceptibles de statuer sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union, l’indépendance des juges revêt une importance fondamentale, notamment, pour l’ordre juridique de l’Union, et ce, à divers titres. En effet, elle est essentielle au bon fonctionnement du mécanisme de renvoi préjudiciel, prévu à l’article 267 TFUE, qui ne peut être activé que par une instance indépendante. Par ailleurs, elle relève du contenu essentiel du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective et à un procès équitable prévu à l’article 47 de la Charte.
Ensuite, la Cour rappelle sa jurisprudence récente{3}, dans laquelle elle a apporté des précisons sur les garanties d’indépendance et d’impartialité des juges, requises en vertu du droit de l’Union. Ces garanties supposent notamment l’existence de règles qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité des juges à l’égard d’éléments extérieurs, en particulier, d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif, et quant à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent.
Enfin, la Cour souligne que, aux termes de l’article 49 TUE, l’Union regroupe des États qui ont librement et volontairement adhéré aux valeurs communes visées à l’article 2 TUE, telles que l’État de droit, qui respectent ces valeurs et qui s’engagent à les promouvoir. Dès lors, un État membre ne saurait modifier sa législation, particulièrement en matière d’organisation de la justice, de manière à entraîner une régression de la protection de la valeur de l’État de droit, valeur qui est concrétisée, notamment, par l’article 19 TUE. Dans cette perspective, les États membres doivent s’abstenir d’adopter des règles qui viendraient porter atteinte à l’indépendance des juges.
Ces précisions faites, la Cour considère, d’une part, que la création, en 2016, de la commission des nominations judiciaires renforce, au contraire, la garantie de l’indépendance des juges maltais par rapport à la situation qui découlait des dispositions constitutionnelles en vigueur lors de l’adhésion de Malte à l’Union européenne. À cet égard, la Cour indique que, en principe, l’intervention d’un tel organe peut être de nature à contribuer à une objectivisation du processus de nomination des juges, en encadrant la marge de manœuvre dont dispose le Premier ministre en la matière, à condition que cet organe soit lui-même suffisamment indépendant. En l’occurrence, la Cour constate l’existence d’une série de règles qui apparaissent de nature à garantir cette indépendance.
D’autre part, la Cour souligne que, si le Premier ministre dispose d’un pouvoir certain dans la nomination des juges, l’exercice de ce pouvoir est encadré par les conditions d’expérience professionnelle, prévues par la Constitution, devant être remplies par les candidats aux postes de juge. En outre, si le Premier ministre peut décider de présenter au président de la République la nomination d’un candidat non proposé par la commission des nominations judiciaires, il est alors tenu de communiquer ses raisons, notamment au pouvoir législatif. Selon la Cour, pour autant qu’il n’exerce ce pouvoir qu’à titre exceptionnel et qu’il se tienne au respect strict et effectif de l’obligation de motivation, son pouvoir n’est pas de nature à créer des doutes légitimes quant à l’indépendance des candidats choisis.
{1} Articles 96, 96A et 100 de la Constitution maltaise.
{2} Conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.
{3} Voir, par exemple, arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e. a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C-585/18, C-624/18 et C-625/18, EU:C:2019:982), ainsi que du 2 mars 2021, A.B. e. a. (Nomination des juges à la Cour suprême - Recours) (C-824/18, EU:C:2021:153).
Arrêt du 20 avril 2021, Repubblika (C-896/19) (cf. points 41, 42, 44)
80. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Absence d'indication des éléments de rattachement au droit de l'Union - Irrecevabilité manifeste
Ordonnance du 11 mai 2021, XXX et YYY (C-580/20) (cf. points 29-32 et disp.)
Ordonnance du 6 septembre 2023, Vlad Magic (C-230/22) (cf. points 23-25 et disp.)
Ordonnance du 9 janvier 2024, BUL INS (C-387/23) (cf. points 30, 31 et disp.)
81. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Réglementation nationale subordonnant l'octroi d'une aide au logement aux ressortissants de pays tiers résidents de longue durée à la condition de connaissance de la langue nationale - Exclusion - Condition
Voir texte de la décision.
82. Citoyenneté de l'Union - Dispositions du traité - Champ d'application - Citoyen de l'Union sans activité économique et ne disposant pas de ressources suffisantes - Droit de séjour temporaire octroyé audit citoyen sur la base du droit de l'État membre d'accueil - Inclusion - Demande de prestations d'assistance sociale introduite dans cet État membre - Obligation des autorités compétentes d'examiner le respect des droits fondamentaux consacrés par la charte des droits fondamentaux de l'Union - Portée de cet examen
CG, titulaire de la double nationalité croate et néerlandaise, vit au Royaume-Uni depuis l’année 2018 sans y exercer d’activité économique. Elle y vivait avec son partenaire, de nationalité néerlandaise, et leurs deux enfants jusqu’à ce qu’elle déménage dans un centre d’accueil pour femmes battues. CG ne dispose d’aucune ressource.
Le 4 juin 2020, le Home Office (ministère de l’Intérieur, Royaume-Uni) lui a accordé le droit de séjour temporaire au Royaume-Uni, sur le fondement d’un nouveau régime britannique applicable aux citoyens de l’Union résidant dans ce pays, instauré dans le contexte du retrait du Royaume-Uni de l’Union. L’octroi d’un tel droit de séjour n’est pas soumis à une condition de ressources.
Le 8 juin 2020, CG a déposé une demande de prestation d’assistance sociale, dénommée crédit universel (Universal Credit), auprès du ministère des communautés d’Irlande du Nord. Cette demande a été rejetée, au motif que la loi sur le crédit universel exclut les citoyens de l’Union qui disposent d’un droit de séjour octroyé sur la base du nouveau régime de la catégorie des bénéficiaires potentiels du crédit universel.
CG a contesté ce refus devant l’Appeal Tribunal (Northern Ireland) (tribunal d’appel pour l’Irlande du Nord, Royaume-Uni), en invoquant, notamment, une différence de traitement entre les citoyens de l’Union résidant légalement au Royaume-Uni et les ressortissants britanniques. Cette juridiction a décidé d’interroger la Cour sur l’éventuelle incompatibilité de la loi britannique sur le crédit universel avec l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité, prévue par l’article 18, premier alinéa, TFUE.
La Cour, réunie en grande chambre, constate la compatibilité de la réglementation britannique avec le principe d’égalité de traitement prévu par l’article 24 de la directive 2004/38{1}, tout en obligeant les autorités nationales compétentes à vérifier qu’un refus d’octroyer les prestations d’assistance sociale fondé sur cette réglementation n’expose pas le citoyen de l’Union et ses enfants à un risque concret et actuel de violation de leurs droits fondamentaux consacrés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Appréciation de la Cour
La demande de la juridiction de renvoi ayant été présentée avant la fin de la période de transition, à savoir avant le 31 décembre 2020, la Cour est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur cette demande, en application de l’article 86, paragraphe 2, de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique{2}.
La Cour précise, tout d’abord, les dispositions du droit de l’Union applicables en l’espèce et conclut que la question de savoir si CG subit une discrimination sur la base de la nationalité doit être appréciée à la lumière de l’article 24 de la directive 2004/38, et non de l’article 18 TFUE, le premier de ces articles concrétisant le principe de non discrimination sur la base de la nationalité consacré entre autres par le second, à l’égard des citoyens de l’Union exerçant leur liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres.
Après avoir constaté que le crédit universel en cause doit être qualifié de prestation d’assistance sociale, au sens de cette directive, la Cour relève que l’accès auxdites prestations est réservé aux citoyens de l’Union qui respectent les conditions définies par la directive 2004/38. À cet égard, la Cour rappelle que, en vertu de l’article 7 de cette directive, l’obligation, pour un citoyen de l’Union économiquement inactif, de disposer de ressources suffisantes constitue une condition pour que celui-ci bénéficie d’un droit de séjour supérieur à trois mois mais inférieur à cinq ans.
Elle confirme ensuite sa jurisprudence selon laquelle un État membre dispose de la faculté, en application de cet article, de refuser l’octroi de prestations d’assistance sociale à des citoyens de l’Union économiquement inactifs qui, à l’instar de CG, exercent leur liberté de circulation et ne disposent pas de ressources suffisantes pour prétendre au bénéfice d’un droit de séjour au titre de cette directive. La Cour précise que, dans le cadre de l’examen concret de la situation économique de chaque intéressé, les prestations demandées ne sont pas prises en compte pour déterminer la possession de ressources suffisantes.
La Cour souligne du reste que la directive 2004/38 n’empêche pas les États membres d’instaurer un régime plus favorable que celui établi par cette directive, conformément à l’article 37 de cette dernière. Or, un droit de séjour accordé sur la base du seul droit national, comme c’est le cas dans le litige au principal, ne saurait aucunement être considéré comme accordé « en vertu de » ladite directive.
Cela étant, CG a exercé sa liberté fondamentale de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres, prévue par le traité, de sorte que sa situation relève du champ d’application du droit de l’Union, même si elle tire son droit de séjour du droit britannique, qui instaure un régime plus favorable par rapport celui prévu par la directive 2004/38. Or, la Cour juge que, lorsqu’elles accordent un tel droit de séjour que celui en cause au principal, sans se prévaloir des conditions et limitations à ce droit prévues par la directive 2004/38, les autorités de l’État membre d’accueil mettent en œuvre les dispositions du traité FUE relatives au statut de citoyen de l’Union, qui a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres.
Conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, ces autorités sont ainsi tenues, lors de l’examen d’une demande de prestations d’assistance sociale telle que celle formée par CG, de se conformer aux dispositions de cette charte, notamment à ses articles 1er (dignité humaine), 7 (respect de la vie privée et familiale) et 24 (droits de l’enfant). Dans le cadre de cet examen, ces autorités peuvent tenir compte de l’ensemble des dispositifs d’assistance prévus par le droit national dont le citoyen concerné et ses enfants peuvent effectivement bénéficier.
{1} Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, ainsi que rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, JO 2005, L 197, p. 34 et JO 2020, L 191, p. 6).
{2} JO 2020, L 29, p. 7.
83. Questions préjudicielles - Recevabilité - Limites - Question visant à vérifier le respect, du fait de l'adoption d'un mandat d'arrêt européen, des obligations découlant du droit de l'Union - Mise en œuvre du droit de l'Union par l'autorité judiciaire d'émission - Absence de motif d'irrecevabilité
Voir texte de la décision.
Arrêt du 16 décembre 2021, AB e.a. (Révocation d’une amnistie) (C-203/20) (cf. points 52, 54)
84. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Pratiques de l'administration fiscale d'un État membre relatives au contrôle et à la sanction des infractions fiscales en matière d'impôt sur les sociétés - Pratiques ne constituant pas une mesure de mise en œuvre du droit de l'Union - Incompétence de la Cour
Voir texte de la décision.
Arrêt du 13 janvier 2022, MARCAS MC (C-363/20) (cf. points 33-35, 37-39, disp. 1)
85. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Soutien au développement rural par le Feader - Instauration, par les États membres, de régimes accordant des paiements au titre de Natura 2000 - Mise en œuvre du droit de l'Union - Marge d'appréciation accordée aux États membres pour décider des mesures à prendre - Absence d'obligation de prévoir un régime d'indemnisation - Absence d'incidence - Compétence de la Cour
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 27 janvier 2022, Sātiņi-S (C-234/20) (cf. points 51, 55, 57-59)
86. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Instauration, par les États membres, de régimes accordant des paiements au titre de Natura 2000 - Instauration d'un régime d'indemnisation - Mise en œuvre du droit de l'Union - Absence d'obligation de prévoir un régime d'indemnisation - Absence d'incidence
Voir texte de la décision.
Arrêt du 27 janvier 2022, Sātiņi-S (C-238/20) (cf. points 22-28)
87. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Réglementation nationale sanctionnant la sous-rémunération de travailleurs détachés et fixant le délai de prescription applicable à cette infraction - Inclusion
Voir le texte de la décision.
88. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Réglementation nationale précisant les modalités de travail applicables au travail de nuit, relatives à la sécurité et à la santé, et en particulier, la limite de la durée du travail de nuit prévue par la directive 2003/88 - Inclusion
VB, un agent du service des sapeurs-pompiers de la direction générale « Sécurité incendie et protection civile », rattachée au ministère de l’Intérieur bulgare, a effectué du travail de nuit pendant plusieurs années. Estimant qu’il est en droit de bénéficier de la valorisation des heures de travail de nuit, de telle sorte que sept heures de travail de nuit auraient équivalu à huit heures de travail de jour, VB a introduit une demande de rémunération d’heures supplémentaires auprès de son employeur.
Sa demande a été refusée au motif qu’aucune disposition en vigueur ne prévoit pour les agents du ministère de l’Intérieur la conversion des heures de travail de nuit en heures de travail de jour. En effet, la durée normale du travail de nuit de sept heures pour une semaine de cinq jours ouvrables, prévue par le code du travail bulgare pour les travailleurs du secteur privé, ne s’appliquerait pas auxdits agents. La loi relative au ministère de l’Intérieur ne définit que la tranche horaire du travail de nuit et énonce uniquement que le temps de travail desdits agents ne doit pas dépasser en moyenne huit heures par période de vingt-quatre heures, sans toutefois préciser la durée normale et maximale du travail du nuit. VB a contesté ledit refus devant le Rayonen sad Lukovit (tribunal d’arrondissement de Lukovit, Bulgarie).
Saisie à titre préjudicielle par cette juridiction, qui estime que la durée normale de travail de nuit des agents du ministère de l’Intérieur devrait être de sept heures afin qu’ils ne soient pas moins bien traités que les autres travailleurs, la Cour précise les obligations des États membres concernant les mesures de protection en matière de sécurité et de santé des travailleurs de nuit à prendre en vertu de la directive 2003/88{1}, et se prononce sur la compatibilité de la réglementation bulgare en cause avec le principe d’égalité de traitement, consacré à l’article 20 de la de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), et avec le droit de tout travailleur à des conditions de travail justes et équitables, énoncé à l’article 31 de la Charte.
Appréciation de la Cour
S’agissant du rapport entre la durée normale du travail de nuit et celle du travail de jour, la Cour relève, tout d’abord, qu’aucune disposition de la directive 2003/88 ne contient d’indication à cet égard. En effet, cette directive n’établit que des exigences minimales qui comprennent la durée maximale du travail de nuit de huit heures au cours d’une période de vingt-quatre heures{2}. Par ailleurs, la directive prévoit l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour que les travailleurs de nuit bénéficient d'un niveau de protection adapté à la nature de leur travail{3}, en laissant une certaine marge d’appréciation aux États membres à cet égard.
Partant, l’article 8 et l’article 12, sous a), de la directive 2003/88 n’imposent pas l’obligation d’adopter une réglementation nationale prévoyant que la durée normale du travail de nuit pour des travailleurs du secteur public, tels que les policiers et les sapeurs-pompiers, est inférieure à la durée normale du travail de jour prévue pour ces derniers.
Toutefois, les États membres doivent veiller à ce que de tels travailleurs bénéficient d’autres mesures de protection en matière de durée du travail, de salaire, d’indemnités ou d’avantages similaires permettant de compenser la pénibilité particulière qu’implique le travail de nuit qu’ils effectuent. En effet, bien que la réduction de la durée normale du travail de nuit par rapport à celle du travail de jour puisse constituer une solution appropriée en vue d’assurer la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs concernés, cette réduction n’est pas la seule solution possible.
Ensuite, après avoir constaté que les dispositions du code du travail bulgare et de la loi relative au ministère de l’Intérieur en cause constituent une mise en œuvre de la directive 2003/88 et, partant, relèvent du champ d’application du droit de l’Union, la Cour tranche la question de la compatibilité de cette réglementation avec la Charte.
À cet égard, la Cour juge que les articles 20 et 31 de la Charte ne s’opposent pas à ce que la durée normale du travail de nuit fixée à sept heures pour les travailleurs du secteur privé ne s’applique pas aux travailleurs du secteur public, en particulier aux policiers et aux sapeurs-pompiers, si une telle différence de traitement est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire qu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par ladite législation et qu’elle est proportionnée à ce but.
La Cour relève tout d’abord qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’identifier les catégories de personnes se trouvant dans des situations comparables et de les comparer de manière spécifique et concrète, y compris en ce qui concerne les conditions de travail de nuit. Or, en l’occurrence, la juridiction de renvoi a analysé des catégories de travailleurs abstraites, telles que celle des travailleurs du secteur privé bénéficiant du régime prévu par le code du travail et celle des travailleurs du secteur public, comme les agents du ministère de l’Intérieur, qui n’en bénéficient pas.
Concernant la justification d’une éventuelle différence de traitement, la Cour relève que l’absence d’un mécanisme de conversion des heures de travail de nuit en heures de travail de jour pour les agents du ministère de l’Intérieur ne peut pas être justifiée par de seules considérations budgétaires, sans d’autres considérations d’ordre politique, social ou démographique.
À défaut d’être fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire d’être en rapport avec un but légalement admissible, et d’être proportionnée à ce but, une différence instaurée par des dispositions du droit national en matière de travail de nuit entre différentes catégories de travailleurs se trouvant dans des situations comparables serait incompatible avec le droit de l’Union et contraindrait, le cas échéant, le juge national à interpréter le droit national, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité de la disposition de droit primaire concernée, en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, afin de garantir la pleine effectivité de cette disposition et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci.
{1} Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9).
{2} Article 8, sous b), de la directive 2003/88.
{3} Article 12, sous a), de la directive 2003/88.
89. Droits fondamentaux - Droit à une protection juridictionnelle effective - Droit à un recours effectif - Décision de fermeture de l'espace aérien prise par un prestataire de services de la circulation aérienne - Recours contre une telle décision - Obligation pour les États membres de prévoir un recours permettant aux usagers de l'espace aérien de soumettre au contrôle juridictionnel les manquements de l'obligation de prestation de services incombant audit prestataire
Voir texte de la décision.
Arrêt du 2 juin 2022, Skeyes (C-353/20) (cf. points 37-51, 57, disp. 1)
90. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Convention collective prévoyant des règles de majoration de la rémunération des travailleurs pour le travail de nuit - Règles relevant de l'exercice de la compétence des États membres et non du champ d'application de la directive 2003/88 - Absence de mise en œuvre du droit de l'Union - Convention nº 171 de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur le travail de nuit - Absence d'incidence
Voir le texte de la décision.
91. Droit de l'Union européenne - Droits fondamentaux - Principes généraux du droit de l'Union - Respect par les institutions de l'Union s'agissant des actes s'inscrivant dans un cadre contractuel - Compétence du juge de l'Union - Nécessité d'une clause compromissoire attribuant cette compétence
La requérante, VeriGraft AB, est une société suédoise de biotechnologie, spécialisée dans le développement de greffes personnalisées issues de l’ingénierie des tissus humains et destinées à être utilisées en médecine régénérative.
En 2017, VeriGraft et l’Union européenne, représentée par l’Agence exécutive pour les petites et moyennes entreprises (EASME), ont conclu une convention de subvention{1} par laquelle VeriGraft s’est vu attribuer une subvention au titre du projet « Veines personnalisées issues de l’ingénierie des tissus humains comme première cure pour les patients atteints d’insuffisance veineuse chronique - P-TEV ». Cette convention prévoyait que la subvention remboursait 100 % des coûts éligibles.
En vertu de cette convention, VeriGraft était tenue de soumettre périodiquement à l’EASME des rapports techniques et financiers. L’action était divisée en une première période de rapport (ci-après la « PR1 ») et une seconde période (ci-après la « PR2 »).
VeriGraft a soumis à l’EASME les rapports techniques et financiers du projet P-TEV couvrant la PR1 et la PR2. L’EASME a informé VeriGraft que, sur le fondement des rapports préparés par des experts externes concernant ces mêmes périodes, elle considérait que la mise en œuvre dudit projet était satisfaisante. Toutefois, estimant par la suite que certains coûts de sous-traitance n’étaient pas prévus par la convention de subvention et étaient, de ce fait, inéligibles, l’EASME a informé VeriGraft de leur recouvrement. Elle prévoyait de procéder à ce recouvrement en ayant recours, d’une part, à la contribution de VeriGraft au fonds de garantie et, d’autre part, à une note de débit.
Par son recours, VeriGraft demande que les coûts de sous-traitance rejetés par l’EASME soient considérés comme éligibles au titre de la convention de subvention et que la note de débit ainsi que le recouvrement d’une somme correspondante auprès du fonds de garantie soient considérés comme dépourvus de fondement.
Le Tribunal accueille le recours introduit par VeriGraft dans son intégralité. Dans son arrêt, il examine la question inédite de savoir si l’Union, représentée initialement par l’EASME, devenue l’Eismea{2}, peut rejeter comme inéligibles, en raison de leur caractère non prévu, des coûts liés à des contrats de sous-traitance, lorsque le recours à ces contrats n’avait pas été mentionné dans la description de l’action annexée à la convention de subvention, mais a été justifié dans les rapports techniques périodiques, approuvés par l’EASME, conformément à la procédure d’approbation accélérée prévue par cette convention.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal relève que la motivation succincte fournie par l’EASME était suffisante pour permettre à VeriGraft de comprendre quels étaient les coûts rejetés ainsi que la raison de leur rejet, à savoir que ces coûts étaient liés à des activités de sous-traitance qui n’étaient pas mentionnées dans les annexes de la convention de subvention.
Cependant, en second lieu, le Tribunal constate que les coûts déclarés par VeriGraft, correspondant à une sous-traitance mentionnée pour la première fois dans les rapports techniques périodiques pour la PR1 et la PR2 approuvés par l’EASME constituent des coûts éligibles au sens de la convention de subvention.
Dans ce contexte, il observe que la convention de subvention prévoit la possibilité de recourir à la procédure d’approbation simplifiée des contrats de sous-traitance ne figurant pas aux annexes de cette convention. En effet, il ressort de la convention de subvention ainsi que des explications contenues dans le modèle de convention de subvention annoté pour le programme Horizon 2020, accessible à tous les contractants, que l’approbation d’un rapport technique périodique dans lequel le bénéficiaire a justifié le recours à des contrats de sous-traitance non prévus dans la description de l’action de cette convention a pour conséquence de rendre les coûts de sous-traitance correspondants éligibles au sens de ladite convention.
Le Tribunal souligne également que, en se fondant sur les rapports du groupe d’experts externes, l’EASME a elle-même indiqué que la mise en œuvre du projet P-TEV, telle qu’elle est décrite dans les rapports techniques périodiques pour la PR1 et la PR2, était satisfaisante et qu’elle n’a donc pas considéré que le recours à la sous-traitance mentionnée dans ces rapports soulevait un doute sur le fait que le projet était toujours, en substance, le même que celui qui avait été sélectionné ou sur le fait que VeriGraft disposait toujours de la capacité opérationnelle pour réaliser ledit projet.
Partant, le Tribunal considère que l’EASME ne pouvait pas rejeter les coûts de sous-traitance liés à des tâches dont la sous-traitance était justifiée dans les rapports techniques périodiques qu’elle a approuvés, au motif que ces coûts correspondaient à une sous-traitance non prévue au sens de la convention de subvention.
Par ailleurs, comme la note de débit émise par l’EASME et le recouvrement de la somme correspondante auprès du fonds de garantie établi par ladite convention étaient fondés sur le rejet des coûts de sous-traitance correspondant à une sous-traitance imprévue, le Tribunal, en s’appuyant sur le constat du caractère éligible de ces coûts de sous-traitance, conclut à l’absence de fondement de la note et du recouvrement.
{1} Au titre de l’instrument de soutien à l’innovation dans les petites et moyennes entreprises (PME) visé par l’article 22, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1291/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, portant établissement du programme-cadre « Horizon 2020 » (2014-2020) et abrogeant la décision no 1982/2006/CE (JO 2013, L 347, p. 104), et précisé par la décision 2013/743/UE du Conseil, du 3 décembre 2013, établissant le programme spécifique d’exécution du programme-cadre pour la recherche et l’innovation « Horizon 2020 » (2014-2020) et abrogeant les décisions 2006/971/CE, 2006/972/CE, 2006/973/CE, 2006/974/CE et 2006/975/CE (JO 2013, L 347, p. 965).
{2} À compter du 1er avril 2021.
Arrêt du 13 juillet 2022, VeriGraft / Eismea (T-457/20) (cf. points 52-55)
Arrêt du 21 février 2024, Greenspider / Eismea (T-733/21) (cf. points 103, 104)
92. Coopération judiciaire en matière pénale - Protocole intégrant l'acquis de Schengen - Convention d'application de l'accord de Schengen - Principe ne bis in idem - Déclaration d'un État membre relative au fait de ne pas être lié par ce principe en cas d'infractions contre sa sûreté ou d'autres intérêts essentiels - Déclaration incluant la participation à une organisation criminelle ayant exclusivement commis des infractions contre les biens - Admissibilité - Conditions
En septembre 2020, MR, ressortissant israélien, résidant en dernier lieu en Autriche, a été condamné par une juridiction autrichienne à une peine d’emprisonnement de quatre ans pour escroquerie aggravée commise à titre professionnel et blanchiment d’argent. Après avoir partiellement purgé cette peine et bénéficié d’un sursis à l’exécution de la durée restante, il a été placé en détention en Autriche, aux fins de sa remise en exécution d’un mandat d’arrêt européen (MAE), émis quant à lui en décembre 2020 par une juridiction allemande, pour constitution d’une organisation criminelle et escroquerie aux placements financiers.
Par une ordonnance rendue en mars 2021, le recours de MR contre ce MAE a été rejeté au motif que les faits concernés par ces deux procédures étaient différents, de sorte que le principe ne bis in idem, consacré par la CAAS{1}, ne trouvait pas à s’appliquer. À titre subsidiaire, il a été relevé que MR était poursuivi pour une infraction couverte par la déclaration effectuée par la République fédérale d’Allemagne au moment de la ratification de la CAAS. Du fait de cette déclaration, cet État membre n’est pas lié par le principe ne bis in idem dans les situations dans lesquelles les faits visés par le jugement étranger constituent une infraction contre la sûreté de l’État allemand ou d’autres intérêts également essentiels{2}.
Dans ces conditions, la juridiction de renvoi, saisie d’une demande de réexamen de cette ordonnance, s’interroge sur le point de savoir si l’autorisation que la CAAS octroie aux États membres de faire une telle déclaration est compatible avec l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), consacrant le principe ne bis in idem. Dans l’affirmative, elle se demande si cette déclaration peut également couvrir les organisations criminelles qui commettent exclusivement des infractions contre les biens.
La Cour répond par l’affirmative à ces deux questions et précise les conditions dans lesquelles une telle déclaration peut couvrir ce type d’organisation criminelle.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, tout en confirmant la validité de la disposition de la CAAS prévoyant la possibilité d’effectuer la déclaration concernée{3} au regard à l’article 50 de la Charte, la Cour constate tout d’abord que cette première disposition constitue une limitation du droit fondamental garanti à ce dernier article. Toutefois, une telle limitation peut être justifiée dans la mesure où elle est prévue par la loi et respecte le contenu essentiel de ce droit{4}. En outre, dans le respect du principe de proportionnalité, cette limitation doit être nécessaire et répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui{5}.
Dans ce contexte, la Cour rappelle qu’une limitation du principe ne bis in idem respecte le contenu essentiel de l’article 50 de la Charte lorsqu’elle consiste uniquement à permettre de poursuivre et de sanctionner à nouveau les mêmes faits afin de poursuivre un objectif distinct. À cet égard, l’exception que la CAAS{6} prévoit à ce principe ne vaut que lorsque les faits visés par le jugement étranger constituent une infraction contre la sûreté ou d’autres intérêts également essentiels de l’État membre entendant en faire usage. Considérant que la notion de « sûreté de l’État » doit être rapprochée de celle de « sécurité nationale »{7}, la Cour souligne que l’objectif de sauvegarde de la sécurité nationale correspond à l’intérêt primordial de protéger les fonctions essentielles de l’État et les intérêts fondamentaux de la société. Il s’ensuit que les infractions pour lesquelles la CAAS autorise à faire exception audit principe doivent affecter cet État membre lui-même. Il en va de même des infractions contre les autres intérêts de l’État membre. Par conséquent, la disposition contestée de la CAAS{8} respecte le contenu essentiel du principe ne bis in idem, dans la mesure où elle permet à l’État membre l’employant de réprimer des infractions qui l’affectent lui-même et, ce faisant, de poursuivre des objectifs qui sont nécessairement différents de ceux pour lesquels la personne poursuivie a déjà été jugée dans un autre État membre.
Ensuite, en ce qui concerne le principe de proportionnalité, la possibilité de justifier une limitation au principe ne bis in idem doit être appréciée en mesurant la gravité de l’ingérence que comporte une telle limitation et en vérifiant que l’importance de l’objectif d’intérêt général poursuivi par cette limitation est en relation avec cette gravité. À ce titre, la faculté prévue par la disposition précitée de la CAAS{9} est apte à réaliser l’objectif d’intérêt général de répression par un État membre des atteintes à sa sûreté ou d’autres de ses intérêts également essentiels.
Enfin, eu égard à la nature et à la particulière gravité de telles atteintes, l’importance de cet objectif d’intérêt général dépasse celle de la lutte contre la criminalité en général, même grave. Un tel objectif est, dès lors, susceptible de justifier des mesures comportant des ingérences dans les droits fondamentaux qui ne seraient pas autorisées afin de poursuivre et de sanctionner les infractions pénales en général.
En second lieu, la Cour constate que la CAAS{10}, lue à la lumière de la Charte{11}, ne s’oppose pas à l’interprétation par les juridictions d’un État membre de la déclaration effectuée par ce dernier au titre de la CAAS selon laquelle cet État membre n’est pas lié par ses dispositions consacrant le principe ne bis in idem{12} pour ce qui est de l’infraction du chef de constitution d’une organisation criminelle, lorsque l’organisation criminelle à laquelle la personne poursuivie a participé a exclusivement commis des infractions contre les biens, pour autant que de telles poursuites visent, eu égard aux agissements de cette organisation, à sanctionner des atteintes à la sûreté ou à d’autres intérêts également essentiels dudit État membre.
À cet égard, la Cour observe, d’une part, que relèvent au premier chef de l’exception prévue par la CAAS{13} les infractions, telles que l’espionnage, la trahison ou les atteintes graves au fonctionnement des pouvoirs publics, qui, par leur nature même, se rattachent à la sûreté ou à d’autres intérêts également essentiels de l’État membre concerné. Toutefois, il n’en découle pas pour autant que le champ d’application de cette exception se limite nécessairement à de telles infractions. En effet, il ne saurait être exclu que des poursuites au titre d’infractions dont les éléments constitutifs ne comprennent pas spécifiquement une atteinte à la sûreté ou à d’autres intérêts également essentiels de l’État membre soient également susceptibles de relever de cette même exception, lorsque, eu égard aux circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise, il peut être dûment établi que la finalité des poursuites pour les faits en cause vise à réprimer des atteintes à cette sûreté ou à ces autres intérêts également essentiels.
D’autre part, les poursuites menées au titre d’une infraction visée dans une déclaration mettant en œuvre la faculté prévue par la même disposition de la CAAS{14} doivent porter sur des faits qui affectent, avec une particulière gravité, l’État membre concerné lui-même. Or, toute organisation criminelle ne porte pas, nécessairement et en tant que telle, atteinte à la sûreté ou aux autres intérêts également essentiels de l’État membre concerné. Ainsi, l’infraction du chef de constitution d’une organisation criminelle ne peut donner lieu à des poursuites au titre de l’exception au principe ne bis in idem que pour les organisations dont les agissements, en raison d’éléments qui les distinguent, peuvent être considérés comme étant constitutifs de telles atteintes.
Dans ce contexte, quant à la pertinence à accorder au fait qu’une organisation criminelle se livre exclusivement à des infractions contre les biens, la Cour précise que, afin de qualifier les agissements d’une telle organisation comme portant atteinte à la sûreté ou aux autres intérêts également essentiels de l’État membre concerné, il convient de prendre en compte la gravité des préjudices que ses activités ont causés à cet État membre. De plus, ces agissements doivent, quelle que soit l’intention effective de cette organisation et outre les atteintes à l’ordre public qu’emporte toute infraction, affecter l’État membre lui-même.
{1} Acquis de Schengen - Convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée à Schengen le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995 (ci-après la « CAAS »). Le principe ne bis in idem est consacré à l’article 54 de la CAAS, qui énonce qu’« [u]ne personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation ».
{2} La possibilité d’effectuer une telle déclaration est prévue à l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS.
{3} Voir article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS.
{4} Voir article 52, paragraphe 1, première phrase, de la Charte.
{5} Voir article 52, paragraphe 1, seconde phrase, de la Charte.
{6} Voir, en particulier, article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS.
{7} Cette notion est inscrite à l’article 4, paragraphe 2, TUE.
{8} Voir article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS.
{9} Voir article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS.
{10} La Cour se réfère alors à l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS.
{11} Voir article 50 et article 52, paragraphe 1, de la Charte.
{12} Voir article 54 de la CAAS.
{13} Voir article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS.
{14} Voir article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS.
93. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Réglementation nationale prévoyant une mesure d'interdiction d'exercer des fonctions publiques électives pendant une durée préétablie en cas de constatation de l'existence d'un conflit d'intérêts dans l'exercice d'une telle fonction - Inclusion
En 2016, le requérant au principal a été élu maire de la commune de MN (Roumanie). Dans un rapport établi en 2019, l’Agenția Națională de Integritate (ANI) (Agence nationale pour l’intégrité, Roumanie) a constaté que celui-ci n’avait pas respecté les règles régissant les conflits d’intérêts en matière administrative. Dans le cas où ce rapport deviendrait définitif, le mandat du requérant au principal cesserait de plein droit et une interdiction complémentaire d’exercer des fonctions publiques électives pour une période de trois ans lui serait infligée.
Le requérant au principal a formé un recours tendant à l’annulation de ce rapport, en faisant valoir que le droit de l’Union s’opposait à une législation nationale en vertu de laquelle une telle interdiction est imposée, automatiquement et sans possibilité de modulation en fonction de la gravité du manquement commis, à une personne considérée comme ayant agi en situation de conflit d’intérêts{1}. Saisie de ce recours, la juridiction de renvoi a décidé d’interroger la Cour sur la conformité de cette interdiction avec le principe de proportionnalité des peines{2}, le droit de travailler{3} ainsi que le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial{4}, garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après, la « Charte »).
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour dit pour droit que l’article 49, paragraphe 3, de la Charte ne s’applique pas à une législation nationale qui prévoit, à l’issue d’une procédure administrative, une mesure d’interdiction d’exercer toute fonction publique élective pendant une durée préétablie de trois ans contre une personne à l’égard de laquelle a été constatée l’existence d’un conflit d’intérêts dans l’exercice d’une telle fonction, dans le cas où cette mesure ne revêt pas une nature pénale.
À cet égard, trois critères sont pertinents pour apprécier la nature pénale d’une sanction : la qualification juridique de l’infraction en droit interne, la nature même de l’infraction et le degré de sévérité de la sanction.
Tout d’abord, s’agissant du premier critère, ni la cessation de plein droit du mandat en cas de constatation d’un conflit d’intérêts, ni l’interdiction d’exercer toute fonction publique élective ne sont considérées en droit roumain comme étant des sanctions pénales. Ensuite, le deuxième critère implique de vérifier si la mesure en cause poursuit, notamment, une finalité répressive. Or, la législation concernée vise à garantir l’intégrité et la transparence dans l’exercice des fonctions et des charges publiques ainsi qu’à prévenir la corruption institutionnelle. Ainsi, la finalité de cette interdiction, comme celle de la déchéance de plein droit du mandat, est de préserver le bon fonctionnement et la transparence de l’État, en mettant fin durablement aux situations de conflit d’intérêts. Partant, une telle mesure poursuit un objectif essentiellement préventif et non pas répressif. Quant au troisième critère, cette mesure d’interdiction consiste non pas à imposer une peine privative de liberté ou à infliger une amende, mais à interdire l’exercice futur d’activités déterminées, à savoir des fonctions publiques électives, visant un groupe circonscrit de personnes ayant un statut particulier. Elle a une durée limitée et ne porte pas sur le droit de vote.
Or, pour autant qu’elle ne revêtirait pas une nature pénale, ladite mesure ne saurait être appréciée au regard de l’article 49, paragraphe 3, de la Charte.
Cela étant, en ce qu’elle met en œuvre le droit de l’Union, la législation nationale en cause doit, en tout état de cause, être conforme au principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union.
À ce propos, la Cour constate, en deuxième lieu, que ce principe ne s’oppose pas à cette législation pour autant que, au vu de toutes les circonstances pertinentes, son application aboutisse à infliger une sanction en adéquation avec la gravité de la violation qu’elle réprime, compte tenu de l’objectif de garantir l’intégrité et la transparence dans l’exercice des fonctions et des charges publiques ainsi que de prévenir la corruption institutionnelle. Tel ne serait pas le cas lorsque, exceptionnellement, le comportement illicite constaté, eu égard à cet objectif, ne présente pas d’élément de gravité tandis que l’impact de cette mesure sur la situation personnelle, professionnelle et économique de cette personne s’avère particulièrement grave.
Ainsi, l’imposition automatique de la sanction en cause permet de faire cesser durablement la situation de conflit d’intérêts relevée en préservant le fonctionnement de l’État et des organes électifs concernés. En outre, le fait de prévoir tant la cessation de plein droit du mandat qu’une interdiction automatique d’exercer toute fonction publique élective pendant une durée prédéterminée suffisamment longue paraît être de nature à dissuader les personnes exerçant un mandat électif de se placer dans une telle situation et à les inciter à respecter leurs obligations en la matière.
De plus, concernant le caractère nécessaire de l’interdiction en cause, le législateur roumain a fixé sa durée à trois ans en considération de la gravité intrinsèque, tant pour le fonctionnement de l’État que pour la société, des faits constitutifs d’une situation de conflit d’intérêts. Ainsi, cette interdiction est imposée en conséquence du manquement commis par une personne exerçant des fonctions publiques électives et qui présente une gravité certaine. À cet égard, doivent également être pris en compte l’ampleur des conflits d’intérêts et le niveau de corruption observés dans le secteur public national. Par ailleurs, ladite interdiction est limitée dans le temps, ne s’applique qu’à certaines catégories de personnes exerçant des fonctions particulières et ne vise que des activités délimitées, à savoir les fonctions publiques électives, n’empêchant pas l’exercice de toute autre activité professionnelle.
S’agissant, enfin, du caractère proportionné de la mesure en cause, eu égard à la gravité de l’atteinte à l’intérêt public résultant des actes de corruption et des conflits d’intérêts, mêmes les moins importants, de la part des élus dans un contexte national de risque de corruption élevé, cette mesure n’apparaît pas, en principe, disproportionnée par rapport à l’infraction qu’elle vise à sanctionner. Cela étant, la circonstance que la durée de cette interdiction ne soit assortie d’aucune possibilité de modulation ne permet pas d’exclure que, dans certains cas exceptionnels, cette sanction puisse s’avérer disproportionnée.
En troisième lieu, la Cour précise que le droit d’exercer un mandat électif obtenu à l’issue d’un processus électoral démocratique, tel que celui de maire, ne relève pas de l’article 15, paragraphe 1, de la Charte.
Bien que cette disposition soit libellée de manière large, son champ d’application n’inclut pas le droit d’exercer, pendant une durée déterminée, un tel mandat. L’article 15 de la Charte figure en effet dans le titre II de celle-ci, intitulé « Libertés », alors que des dispositions spécifiques visant le droit d’éligibilité à des élections figurent dans un titre distinct, soit le titre V, intitulé « Citoyenneté »{5}. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme corrobore cette interprétation{6}.
En quatrième et dernier lieu, la Cour constate que l’article 47 de la Charte ne s’oppose pas à la législation nationale concernée, pour autant que la personne visée ait effectivement la possibilité de contester la légalité du rapport ayant constaté l’existence d’un conflit d’intérêts et de la sanction infligée sur le fondement de celui-ci, y compris sa proportionnalité.
Le droit à un recours effectif implique notamment que le titulaire de ce droit puisse accéder à un tribunal compétent pour assurer le respect des droits qui lui sont garantis par le droit de l’Union et, à cette fin, pour examiner toutes les questions de droit et de fait pertinentes pour résoudre le litige dont il se trouve saisi. En l’occurrence, ce droit suppose que la juridiction de renvoi puisse contrôler la légalité du rapport d’évaluation mettant en cause le requérant au principal et, le cas échéant, annuler ce rapport ainsi que les sanctions infligées sur le fondement de celui-ci.
{1} Article 25 de la Legea nr. 176/2010 privind integritatea în exercitarea funcțiilor și demnităților publice, pentru modificarea și completarea legii nr. 144/2007 privind înființarea, organizarea și funcționarea Agenției Naționale de Integritate, precum și pentru modificarea și completarea altor acte normative (loi nº 176/2010 relative à l’intégrité dans l’exercice des fonctions et charges publiques, modifiant et complétant la loi nº 144/2007 concernant la création, l’organisation et le fonctionnement de l’Agence nationale pour l’intégrité, ainsi que modifiant et complétant d’autres actes normatifs), du 1er septembre 2010. Cette loi met en œuvre le deuxième objectif de référence figurant à l’annexe de la décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption (JO 2006, L 354, p. 56).
{2} Article 49, paragraphe 3, de la Charte.
{3} Article 15, paragraphe 1, de la Charte.
{4} Article 47 de la Charte.
{5} Voir les articles 39 et 40 de la Charte relatifs au droit de vote et d’éligibilité respectivement aux élections au Parlement européen et aux élections municipales.
{6} Voir Cour EDH, 8 novembre 2016, Savisaar c. Estonie, CE:ECHR:2016:1108DEC000836516.
Arrêt du 4 mai 2023, Agenția Națională de Integritate (C-40/21) (cf. points 22, 24-27)
94. Droits fondamentaux - Droit à une protection juridictionnelle effective - Droit à un recours effectif - Réglementation nationale prévoyant une mesure d'interdiction d'exercer des fonctions publiques électives pendant une durée préétablie en cas de constatation de l'existence d'un conflit d'intérêts dans l'exercice d'une telle fonction - Admissibilité - Condition - Personne visée ayant la possibilité de contester cette constatation et la sanction infligée, y compris sa proportionnalité
En 2016, le requérant au principal a été élu maire de la commune de MN (Roumanie). Dans un rapport établi en 2019, l’Agenția Națională de Integritate (ANI) (Agence nationale pour l’intégrité, Roumanie) a constaté que celui-ci n’avait pas respecté les règles régissant les conflits d’intérêts en matière administrative. Dans le cas où ce rapport deviendrait définitif, le mandat du requérant au principal cesserait de plein droit et une interdiction complémentaire d’exercer des fonctions publiques électives pour une période de trois ans lui serait infligée.
Le requérant au principal a formé un recours tendant à l’annulation de ce rapport, en faisant valoir que le droit de l’Union s’opposait à une législation nationale en vertu de laquelle une telle interdiction est imposée, automatiquement et sans possibilité de modulation en fonction de la gravité du manquement commis, à une personne considérée comme ayant agi en situation de conflit d’intérêts{1}. Saisie de ce recours, la juridiction de renvoi a décidé d’interroger la Cour sur la conformité de cette interdiction avec le principe de proportionnalité des peines{2}, le droit de travailler{3} ainsi que le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial{4}, garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après, la « Charte »).
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour dit pour droit que l’article 49, paragraphe 3, de la Charte ne s’applique pas à une législation nationale qui prévoit, à l’issue d’une procédure administrative, une mesure d’interdiction d’exercer toute fonction publique élective pendant une durée préétablie de trois ans contre une personne à l’égard de laquelle a été constatée l’existence d’un conflit d’intérêts dans l’exercice d’une telle fonction, dans le cas où cette mesure ne revêt pas une nature pénale.
À cet égard, trois critères sont pertinents pour apprécier la nature pénale d’une sanction : la qualification juridique de l’infraction en droit interne, la nature même de l’infraction et le degré de sévérité de la sanction.
Tout d’abord, s’agissant du premier critère, ni la cessation de plein droit du mandat en cas de constatation d’un conflit d’intérêts, ni l’interdiction d’exercer toute fonction publique élective ne sont considérées en droit roumain comme étant des sanctions pénales. Ensuite, le deuxième critère implique de vérifier si la mesure en cause poursuit, notamment, une finalité répressive. Or, la législation concernée vise à garantir l’intégrité et la transparence dans l’exercice des fonctions et des charges publiques ainsi qu’à prévenir la corruption institutionnelle. Ainsi, la finalité de cette interdiction, comme celle de la déchéance de plein droit du mandat, est de préserver le bon fonctionnement et la transparence de l’État, en mettant fin durablement aux situations de conflit d’intérêts. Partant, une telle mesure poursuit un objectif essentiellement préventif et non pas répressif. Quant au troisième critère, cette mesure d’interdiction consiste non pas à imposer une peine privative de liberté ou à infliger une amende, mais à interdire l’exercice futur d’activités déterminées, à savoir des fonctions publiques électives, visant un groupe circonscrit de personnes ayant un statut particulier. Elle a une durée limitée et ne porte pas sur le droit de vote.
Or, pour autant qu’elle ne revêtirait pas une nature pénale, ladite mesure ne saurait être appréciée au regard de l’article 49, paragraphe 3, de la Charte.
Cela étant, en ce qu’elle met en œuvre le droit de l’Union, la législation nationale en cause doit, en tout état de cause, être conforme au principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union.
À ce propos, la Cour constate, en deuxième lieu, que ce principe ne s’oppose pas à cette législation pour autant que, au vu de toutes les circonstances pertinentes, son application aboutisse à infliger une sanction en adéquation avec la gravité de la violation qu’elle réprime, compte tenu de l’objectif de garantir l’intégrité et la transparence dans l’exercice des fonctions et des charges publiques ainsi que de prévenir la corruption institutionnelle. Tel ne serait pas le cas lorsque, exceptionnellement, le comportement illicite constaté, eu égard à cet objectif, ne présente pas d’élément de gravité tandis que l’impact de cette mesure sur la situation personnelle, professionnelle et économique de cette personne s’avère particulièrement grave.
Ainsi, l’imposition automatique de la sanction en cause permet de faire cesser durablement la situation de conflit d’intérêts relevée en préservant le fonctionnement de l’État et des organes électifs concernés. En outre, le fait de prévoir tant la cessation de plein droit du mandat qu’une interdiction automatique d’exercer toute fonction publique élective pendant une durée prédéterminée suffisamment longue paraît être de nature à dissuader les personnes exerçant un mandat électif de se placer dans une telle situation et à les inciter à respecter leurs obligations en la matière.
De plus, concernant le caractère nécessaire de l’interdiction en cause, le législateur roumain a fixé sa durée à trois ans en considération de la gravité intrinsèque, tant pour le fonctionnement de l’État que pour la société, des faits constitutifs d’une situation de conflit d’intérêts. Ainsi, cette interdiction est imposée en conséquence du manquement commis par une personne exerçant des fonctions publiques électives et qui présente une gravité certaine. À cet égard, doivent également être pris en compte l’ampleur des conflits d’intérêts et le niveau de corruption observés dans le secteur public national. Par ailleurs, ladite interdiction est limitée dans le temps, ne s’applique qu’à certaines catégories de personnes exerçant des fonctions particulières et ne vise que des activités délimitées, à savoir les fonctions publiques électives, n’empêchant pas l’exercice de toute autre activité professionnelle.
S’agissant, enfin, du caractère proportionné de la mesure en cause, eu égard à la gravité de l’atteinte à l’intérêt public résultant des actes de corruption et des conflits d’intérêts, mêmes les moins importants, de la part des élus dans un contexte national de risque de corruption élevé, cette mesure n’apparaît pas, en principe, disproportionnée par rapport à l’infraction qu’elle vise à sanctionner. Cela étant, la circonstance que la durée de cette interdiction ne soit assortie d’aucune possibilité de modulation ne permet pas d’exclure que, dans certains cas exceptionnels, cette sanction puisse s’avérer disproportionnée.
En troisième lieu, la Cour précise que le droit d’exercer un mandat électif obtenu à l’issue d’un processus électoral démocratique, tel que celui de maire, ne relève pas de l’article 15, paragraphe 1, de la Charte.
Bien que cette disposition soit libellée de manière large, son champ d’application n’inclut pas le droit d’exercer, pendant une durée déterminée, un tel mandat. L’article 15 de la Charte figure en effet dans le titre II de celle-ci, intitulé « Libertés », alors que des dispositions spécifiques visant le droit d’éligibilité à des élections figurent dans un titre distinct, soit le titre V, intitulé « Citoyenneté »{5}. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme corrobore cette interprétation{6}.
En quatrième et dernier lieu, la Cour constate que l’article 47 de la Charte ne s’oppose pas à la législation nationale concernée, pour autant que la personne visée ait effectivement la possibilité de contester la légalité du rapport ayant constaté l’existence d’un conflit d’intérêts et de la sanction infligée sur le fondement de celui-ci, y compris sa proportionnalité.
Le droit à un recours effectif implique notamment que le titulaire de ce droit puisse accéder à un tribunal compétent pour assurer le respect des droits qui lui sont garantis par le droit de l’Union et, à cette fin, pour examiner toutes les questions de droit et de fait pertinentes pour résoudre le litige dont il se trouve saisi. En l’occurrence, ce droit suppose que la juridiction de renvoi puisse contrôler la légalité du rapport d’évaluation mettant en cause le requérant au principal et, le cas échéant, annuler ce rapport ainsi que les sanctions infligées sur le fondement de celui-ci.
{1} Article 25 de la Legea nr. 176/2010 privind integritatea în exercitarea funcțiilor și demnităților publice, pentru modificarea și completarea legii nr. 144/2007 privind înființarea, organizarea și funcționarea Agenției Naționale de Integritate, precum și pentru modificarea și completarea altor acte normative (loi nº 176/2010 relative à l’intégrité dans l’exercice des fonctions et charges publiques, modifiant et complétant la loi nº 144/2007 concernant la création, l’organisation et le fonctionnement de l’Agence nationale pour l’intégrité, ainsi que modifiant et complétant d’autres actes normatifs), du 1er septembre 2010. Cette loi met en œuvre le deuxième objectif de référence figurant à l’annexe de la décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption (JO 2006, L 354, p. 56).
{2} Article 49, paragraphe 3, de la Charte.
{3} Article 15, paragraphe 1, de la Charte.
{4} Article 47 de la Charte.
{5} Voir les articles 39 et 40 de la Charte relatifs au droit de vote et d’éligibilité respectivement aux élections au Parlement européen et aux élections municipales.
{6} Voir Cour EDH, 8 novembre 2016, Savisaar c. Estonie, CE:ECHR:2016:1108DEC000836516.
95. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Biélorussie - Gel des fonds de certaines personnes et entités au regard de la situation en Biélorussie - Restriction du droit de propriété, de la liberté d'entreprendre et atteinte à la réputation - Violation du principe de proportionnalité - Absence
Arrêt du 6 septembre 2023, Gutseriev / Conseil (T-526/21) (cf. points 153-165)
96. Droits fondamentaux - Principe ne bis in idem - Champ d'application - Réglementation nationale sanctionnant la violation de règles nationales relatives au régime de l'accise assurant la transposition de la directive 2008/118 - Inclusion
Voir texte de la décision.
Voir texte de la décision.
Voir texte de la décision.
Voir texte de la décision.
Voir texte de la décision.
Arrêt du 14 septembre 2023, Vinal (C-820/21) (cf. points 36, 38)
97. Questions préjudicielles - Recevabilité - Questions posées sans suffisamment de précisions sur les raisons justifiant la nécessité d'une réponse aux questions préjudicielles - Absence de lien de rattachement entre le litige au principal et les dispositions de droit de l'Union visées par les questions préjudicielles - Irrecevabilité manifeste
Ordonnance du 3 octobre 2023, PROM-VIDIJA (C-327/22) (cf. points 28, 29, 35, 38-41 et disp.)
98. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Réglementation nationale participant de l'exécution d'obligations d'accords internationaux conclus par l'Union - Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (TRIPs) - Obligation de prévoir des procédures pénales susceptibles de conduire à des sanctions effectives, dissuasives et proportionnées - Inclusion
Voir le texte de la décision.
99. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux - Réglementation nationale constituant une mesure de mise en œuvre du droit de l'Union - Compétence de la Cour
Saisie à titre préjudiciel par la Curtea de Apel Craiova (cour d’appel de Craiova, Roumanie), la Cour apporte des précisions sur les deux composantes « bis » et « idem » du principe ne bis in idem, énoncé à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »){1}, dans le contexte d’une affaire où les poursuites pénales ouvertes à l’encontre d’une personne dans le cadre d’une seconde procédure ont été clôturées en raison de l’existence d’une ordonnance de classement sans suite adoptée par un parquet, dans une première procédure, dont il ne ressort pas, avec évidence, que la situation juridique de cette personne en tant que responsable, sur le plan pénal, des faits constitutifs de l’infraction poursuivie, ait été examinée.
Le 30 avril 2015, lors d’une réunion de la société coopérative BX, la présidente de cette société, NR, aurait demandé à certains de ses employés de payer une somme d’argent dont elle était redevable, sous peine de résiliation de leurs contrats de travail. Sa demande n’ayant pas été satisfaite, elle a émis et signé des décisions de résiliation de ces contrats.
Les employés concernés ont alors introduit deux plaintes pénales contre NR, qui ont été respectivement enregistrées auprès du Parchetul de pe lângă Judecătoria Slatina (parquet près le tribunal de première instance de Slatina, Roumanie), sous la référence 673/P/2016, et auprès du Parchet de pe lângă Tribunalul Olt (parquet près le tribunal de grande instance d’Olt, Roumanie), sous la référence 47/P/2016.
Dans l’affaire 673/P/2016, après avoir engagé des poursuites pénale in rem pour l’infraction de chantage, le procureur en charge de cette affaire a adopté, sur le fondement du rapport de l’organe de police en charge de l’enquête, une ordonnance de classement sans suite (ci-après l’« ordonnance de classement sans suite en cause »). Cette ordonnance n’a pas été contestée par les plaignants dans les délais impartis. En outre, la demande de réouverture de la procédure formulée par le procureur en chef n’a pas été confirmée par la chambre préliminaire de la juridiction compétente.
Dans l’affaire 47/P/2016, des poursuites pénales ont été engagées in personam contre NR, pour l’infraction de corruption passive, qui ont abouti à l’adoption, par le Tribunalul Olt (tribunal de grande instance d’Olt, Roumanie), d’un jugement condamnant celle-ci à une peine privative de liberté avec sursis. À la suite d’un appel interjeté par NR, ce jugement a été annulé par la cour d’appel de Craiova, la juridiction de renvoi, par l’arrêt pénal nº 1207/2020, au motif d’une prétendue violation du principe ne bis in idem consacré à l’article 50 de la Charte.
Saisie d’un pourvoi en cassation formé par le Parchet de pe lângă Curtea de Apel Craiova (parquet près la cour d’appel de Craiova, Roumanie) contre ce dernier arrêt, l’Înalta Curte de Casație şi Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie) a considéré, en substance, que c’était à tort que la juridiction de renvoi avait conclu à l’applicabilité du principe ne bis in idem, étant donné que l’ordonnance de classement sans suite en cause n’avait été précédée d’aucune appréciation portée sur le fond de l’affaire 673/P/2016 et n’avait pas été dûment motivée, de sorte qu’elle ne saurait être considérée comme ayant entraîné l’extinction de l’action publique. Cette juridiction a, dès lors, cassé l’arrêt pénal nº 1207/2020 et renvoyé l’affaire devant la juridiction de renvoi, pour réexamen.
Dans le cadre de ce réexamen, la juridiction de renvoi a décidé d’interroger la Cour sur l’applicabilité du principe ne bis in idem consacré à l’article 50 de la Charte dans des circonstances telles que celles en cause au principal.
Appréciation de la Cour
La Cour rappelle que l’application du principe ne bis in idem est soumise à une double condition, à savoir, d’une part, qu’il y ait une décision antérieure définitive (condition « bis ») et, d’autre part, que les mêmes faits soient visés par la décision antérieure et par les poursuites ou les décisions postérieures (condition « idem »).
S’agissant de la condition « bis », pour qu’une personne puisse être considérée comme ayant fait l’objet d’un « jugement pénal définitif » pour les faits qui lui sont reprochés, au sens de l’article 50 de la Charte, il importe, en premier lieu, que l’action publique ait été définitivement éteinte, conformément au droit national. En l’occurrence, dans la mesure où, d’une part, l’ordonnance de classement sans suite en cause n’a pas été contestée par les plaignants au principal dans les délais impartis et, d’autre part, la demande de confirmation de la réouverture des poursuites pénales ordonnée par le procureur en chef du parquet près le tribunal de première instance de Slatina a été rejetée, il apparaît que, dans l’affaire 673/P/2016, l’action publique a été définitivement éteinte et que l’ordonnance de classement sans suite en cause est devenue définitive, sous réserve des vérifications auxquelles il incombe à la juridiction de renvoi de procéder.
En second lieu, pour qu’une personne puisse être considérée comme ayant fait l’objet d’un « jugement pénal définitif » pour les faits qui lui sont reprochés, au sens de l’article 50 de la Charte, il importe que la décision mettant fin aux poursuites pénales ait été adoptée à la suite d’une appréciation portée sur le fond de l’affaire et non pas sur le fondement de simples motifs procéduraux. En l’occurrence, la condition relative à l’appréciation du fond de l’affaire 673/P/2016 ne saurait être considérée comme étant satisfaite par l’ordonnance de classement sans suite en cause que pour autant que cette ordonnance contienne une appréciation portant sur des éléments matériels de l’infraction alléguée, tels que, notamment, l’analyse de la responsabilité pénale de NR, en tant qu’auteur présumé de cette infraction. Or, l’absence d’audition des témoins présents lors de la réunion de la société coopérative BX du 30 avril 2015 pourrait constituer un indice de l’absence d’une telle analyse, sous réserve des vérifications auxquelles il incombe à la juridiction de renvoi de procéder.
En ce qui concerne la condition « idem », il découle des termes mêmes de l’article 50 de la Charte que celui-ci interdit de poursuivre ou de sanctionner pénalement une même personne plus d’une fois pour une même infraction. À cet égard, la Cour précise que pour déterminer si une personne a fait l’objet d’un « jugement pénal définitif », au sens de cet article 50, il doit ressortir clairement de la décision adoptée à son égard que, lors de l’enquête ayant précédé cette décision, qu’elle ait été ouverte in rem ou in personam, la situation juridique de ladite personne, en tant que responsable sur le plan pénal des faits constitutifs des infractions poursuivies, a été examinée et, dans le cas d’une ordonnance de classement sans suite, écartée. Si tel n’est pas le cas, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, le principe ne bis in idem ne trouve pas à s’appliquer et, par conséquent, une telle personne ne saurait être considérée comme ayant été définitivement acquittée, au sens de l’article 50 de la Charte.
{1} En vertu de cette disposition, « [n]ul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ».
Arrêt du 25 janvier 2024, Parchetul de pe lângă Curtea de Apel Craiova (C-58/22) (cf. points 40-42)
100. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation de la charte des droits fondamentaux et de principes généraux du droit de l'Union - Réglementation nationale n'entrant pas dans le champ d'application du droit de l'Union et ne mettant pas en œuvre ce dernier - Incompétence de la Cour
Ordonnance du 17 mai 2024, VGG (C-190/23) (cf. points 56-60, disp. 3)
101. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Décision portant retrait d'une attestation de sécurité industrielle permettant d'accéder à des informations classifiées par un État membre - Contrôle, par une juridiction nationale, de la légalité d'une telle décision - Acte concerné ne constituant pas une mise en œuvre du droit de l'Union
Saisie à titre préjudiciel par le Najvyšší správny súd Slovenskej republiky (Cour administrative suprême de la République slovaque) dans le cadre d’une affaire portant sur le retrait d’une habilitation de sécurité d’établissement fondé sur des informations classifiées, la Cour, réunie en grande chambre, apporte des précisions sur la pondération devant être opérée entre le droit à un recours effectif et les intérêts justifiant la non-divulgation de certaines informations classifiées .
En septembre 2018, le Bureau national de sécurité de Slovaquie (ci-après le « BNS ») a délivré à protectus s. r. o. une attestation de sécurité industrielle grâce à laquelle, selon le droit de cet État membre, elle a été autorisée à accéder à des informations classifiées en vertu du droit national. En novembre 2018, le BNS lui a par ailleurs délivré un certificat de sécurité industrielle pour le niveau « SECRET UE/EU SECRET ». Grâce à ce certificat, elle a été autorisée à accéder à des informations classifiées de l’Union européenne (ci-après les « ICUE »).
Ultérieurement, le BNS a eu connaissance d’informations non classifiées indiquant, notamment, que protectus ou ses gérants avaient fait l’objet d’une enquête pénale, qu’elle avait conclu des contrats avec des sociétés faisant l’objet d’une telle enquête et qu’il existait des soupçons que la requérante et une autre société, placées sous un contrôle commun, avaient répondu aux mêmes appels d’offres. Le BNS a également obtenu d’autres informations, qui ont été qualifiées de « preuves écrites classifiées ».
Le BNS a permis à protectus de s’exprimer sur les informations non classifiées à sa disposition. Par une décision adoptée en août 2020, fondée, pour partie, sur des informations classifiées, cet organe a, d’une part, annulé l’attestation de sécurité industrielle de la requérante au motif qu’un risque de sécurité avait été établi la concernant et, d’autre part, en conséquence de l’annulation de cette attestation de sécurité industrielle, annulé le certificat de sécurité industrielle de la requérante.
Par une décision du comité du Conseil national de la République slovaque pour le réexamen des décisions du BNS adoptée en novembre 2020, le recours introduit par la requérante contre cette décision du BNS a été rejeté. En septembre 2022, le BNS a transmis à la juridiction de renvoi, saisie du recours contre la décision dudit comité, l’intégralité du dossier, y compris les preuves écrites classifiées.
En octobre 2022, le président de la chambre saisie du recours de la requérante a tout d’abord écarté de la consultation les parties classifiées du dossier, puis rejeté la demande de l’avocat de la requérante de consulter les preuves écrites classifiées, tout en demandant au BNS d’examiner une telle possibilité de communication. En novembre 2022, cet organe a autorisé la communication de deux preuves écrites classifiées, tout en refusant de communiquer les autres preuves écrites classifiées en cause, au motif que cela aurait conduit à la divulgation de sources d’informations.
En janvier 2023, s’appuyant notamment sur l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), l’avocat de la requérante a demandé à nouveau de pouvoir consulter l’ensemble des preuves écrites.
Dans ce contexte, d’une part, la juridiction de renvoi a décidé d’interroger la Cour sur l’applicabilité de la Charte au litige au principal. À ce sujet, elle relève notamment que la décision 2013/488 relative à la protection des ICUE{1} impose certaines obligations concrètes aux États membres en matière d’habilitation des personnes physiques ou morales dotées de la capacité juridique de conclure des contrats, ce qui pourrait impliquer que la réglementation en cause constitue une mise en œuvre de cette décision. D’autre part, dans l’hypothèse où la Charte serait applicable au litige, la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser dans quelle mesure la réglementation et la pratique slovaques relatives à l’accès à des informations classifiées dans le cadre de procédures visant à contester l’annulation d’attestations ou de certificats de sécurité industrielle sont compatibles avec le droit à un recours effectif consacré par l’article 47 de la Charte.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, s’agissant du champ d’application de la Charte, la Cour examine tout d’abord l’applicabilité de celle-ci au retrait d’une attestation de sécurité industrielle permettant d’accéder à des informations classifiées par un État membre. Elle relève à cet égard que le droit de l’Union ne comporte pas, à ce stade de son développement, d’acte établissant des règles générales relatives aux décisions prises par les États membres pour autoriser l’accès à des informations classifiées au titre de réglementations nationales. En particulier, la décision 2013/488, à laquelle la juridiction de renvoi fait référence en ce qui concerne les ICUE, ne contient pas de dispositions régissant un tel accès. Dès lors, il n’apparaît pas que la réglementation nationale régissant le retrait de l’attestation de sécurité industrielle en cause au principal a pour objet ou pour effet de donner suite à une disposition du droit de l’Union. Partant, le retrait d’une attestation de sécurité industrielle telle que celle en cause au principal n’implique pas une mise en œuvre du droit de l’Union au sens de la Charte.
Ensuite, s’agissant de l’applicabilité de la Charte au retrait d’un certificat de sécurité industrielle autorisant l’accès à des ICUE, la Cour précise que les institutions de l’Union ont adopté des actes spécifiques destinés à régir la protection de telles informations dans le cadre de leur fonctionnement. En particulier, au vu des règles établies par la décision 2013/488 imposant des obligations aux États membres{2}, les mesures qu’ils adoptent pour assurer la sécurité industrielle, en encadrant l’accès aux ICUE liées à des contrats passés par le Conseil par la délivrance et le contrôle des habilitations nationales de sécurité d’établissements (HSE), doivent être considérées comme mettant en œuvre le droit de l’Union. Le retrait, par une autorité nationale, d’une HSE au sens de cette décision implique notamment une telle mise en œuvre. En effet, un tel retrait remet en cause une autorisation dont la délivrance et, au moins en partie, les effets sont prévus par la décision 2013/488{3}.
Par conséquent, la Cour dit pour droit que le contrôle, par une juridiction nationale, de la légalité d’une décision portant retrait d’une attestation de sécurité industrielle permettant d’accéder à des informations classifiées par un État membre n’a pas pour objet un acte constituant une mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. En revanche, le contrôle, par une telle juridiction, de la légalité d’une décision portant, en conséquence du retrait de cette attestation de sécurité industrielle, retrait d’un certificat de sécurité industrielle autorisant l’accès à des ICUE, conformément à l’article 11 et à l’annexe V de la décision 2013/488, a pour objet un acte constituant une mise en œuvre du droit de l’Union.
En second lieu, s’agissant de la question de la compatibilité d’une réglementation et d’une pratique telles que celles en cause au principal à l’article 47 de la Charte, la Cour examine tout d’abord si la situation concernée relève du champ d’application de cette disposition. Elle souligne à cet égard qu’il résulte de l’annexe V de la décision 2013/488 que l’accès à des ICUE par un opérateur économique aux fins de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat classifié du Conseil est subordonné à la détention d’une HSE. La Cour expose également le régime applicable, en vertu de cette décision, à la participation des contractants à des contrats classifiés nécessitant l’accès à des ICUE au sein de leurs établissements, lors de l’exécution de ces contrats ou durant la phase précontractuelle, qui suppose la possession d’une HSE. Ainsi, le retrait d’une HSE a pour conséquence que l’opérateur économique concerné perd l’autorisation d’accéder à des ICUE aux fins de la conclusion et de l’exécution d’un contrat classifié. Dès lors, un tel retrait implique notamment que celui-ci sera privé de la faculté, dont il disposait avant ce retrait, de participer à la phase précontractuelle relative à un contrat classifié du Conseil et de se voir attribuer, par cette institution, un tel contrat si son offre est sélectionnée. Par conséquent, un tel opérateur économique doit pouvoir disposer, conformément à l’article 47 de la Charte, d’un recours effectif pour contester le retrait de son HSE.
Ensuite, s’agissant des garanties minimales auxquelles un tel recours devrait satisfaire, la Cour indique que, dans une situation où le retrait d’une HSE est exclusivement fondé sur le retrait d’une autre habilitation de sécurité, le contrôle juridictionnel du retrait de cette HSE ne pourra être effectif que dans la mesure où l’ancien titulaire de ladite HSE peut avoir accès aux motifs ayant justifié le retrait de cette autre habilitation. Si des considérations impérieuses touchant notamment à la protection de la sûreté de l’État ou des relations internationales peuvent s’opposer à la communication à l’ancien titulaire d’une HSE des informations fondant son retrait, il incombe toutefois à la juridiction nationale compétente de mettre en œuvre, dans le cadre de son contrôle juridictionnel, des techniques permettant de concilier ces considérations impérieuses et la nécessité de garantir au justiciable le respect de ses droits procéduraux, tels que le droit d’être entendu ainsi que le principe du contradictoire.
À cette fin, les États membres sont tenus de prévoir un contrôle juridictionnel effectif tant de l’existence et du bien-fondé des raisons invoquées par l’autorité nationale compétente au regard de la sûreté de l’État pour refuser de divulguer tout ou partie des informations qui fondent le retrait de l’HSE, au sens de la décision 2013/488, que de la légalité de ce retrait. La juridiction compétente doit, dans ce cadre, pouvoir prendre connaissance de l’ensemble de ces informations.
Concernant les exigences auxquelles doit répondre le contrôle juridictionnel de l’existence et du bien-fondé des raisons invoquées par l’autorité nationale compétente au regard de la sûreté de l’État membre concerné, il importe qu’une juridiction soit chargée de procéder à un examen indépendant de l’ensemble des éléments de droit et de fait invoqués par l’autorité nationale compétente afin d’apprécier si des considérations impérieuses s’opposent effectivement à la communication de tout ou partie des motifs ayant fondé le retrait en cause et des éléments de preuve qui y sont afférents. Si cette juridiction conclut que la sûreté de l’État ne s’oppose pas à la communication, au moins partielle, de tels motifs ou éléments de preuve, elle doit donner à l’autorité nationale compétente la possibilité de communiquer à l’intéressé les motifs et les éléments de preuve manquants. Si cette autorité n’autorise pas la communication de ceux-ci, ladite juridiction procède à l’examen de la légalité de ce retrait sur la base des seuls motifs et éléments de preuve communiqués. À l’inverse, s’il s’avère que des considérations impérieuses s’opposent effectivement à la communication à l’intéressé de tels motifs ou éléments de preuve, le contrôle juridictionnel de la légalité de ce retrait doit être effectué dans le cadre d’une procédure mettant en balance les exigences découlant de ces considérations impérieuses et celles du droit à une protection juridictionnelle effective, en particulier le droit au respect du principe du contradictoire. En tout état de cause, la substance des motifs sur lesquels est fondé ledit retrait doit être communiquée à l’intéressé.
En conséquence, la Cour énonce, d’une part, que l’article 47 de la Charte ne s’oppose pas à une réglementation et à une pratique nationales en vertu desquelles une décision portant retrait d’une HSE, au sens de la décision 2013/488, n’indique pas les informations classifiées justifiant ce retrait, en raison de considérations impérieuses touchant par exemple à la protection de la sûreté de l’État ou des relations internationales, tout en prévoyant que la juridiction compétente pour apprécier la légalité dudit retrait a accès à ces informations et que l’avocat de l’ancien titulaire de cette HSE ne peut avoir accès auxdites informations qu’avec l’accord des autorités nationales concernées et à condition de garantir leur confidentialité. Cette juridiction doit cependant veiller à ce que la non-divulgation d’informations soit limitée au strict nécessaire et à ce que soit communiquée à l’ancien titulaire de ladite HSE, en tout état de cause, la substance des motifs du même retrait d’une manière qui tienne dûment compte de la confidentialité nécessaire des éléments de preuve.
D’autre part, dans l’hypothèse où l’article 47 de la Charte s’opposerait à une telle réglementation et à une telle pratique, il n’exige pas que la juridiction nationale compétente communique elle-même à l’ancien titulaire de l’HSE, le cas échéant par l’intermédiaire de son avocat, certaines informations classifiées lorsque l’absence de communication de ces informations à cet ancien titulaire ou à son avocat n’apparaît pas justifiée. Il appartient à l’autorité nationale compétente de le faire, le cas échéant. Si celle-ci n’autorise pas cette communication, cette juridiction procède à l’examen de la légalité du retrait de cette HSE sur la base des seuls motifs et éléments de preuve qui ont été communiqués.
{1} Décision 2013/488/UE du Conseil, du 23 septembre 2013, concernant les règles de sécurité aux fins de la protection des informations classifiées de l’Union européenne (JO 2013, L 274, p. 1).
{2} La Cour se réfère en particulier à l’article 1er, paragraphe 2, à l’article 11, paragraphes 2, 5 et 7, à l’article 15, paragraphe 3, sous c), à l’article 16, paragraphe 3, sous a), i), et à l’annexe V de la décision 2013/488.
{3} Plus précisément, la Cour relève que la délivrance de cette autorisation est prévue par l’article 11, paragraphe 5, de ladite décision, lu en combinaison avec l’annexe V, point 8, de celle-ci, ses effets étant quant à eux définis, en partie, notamment à l’article 11, paragraphe 5, ainsi qu’au point 11 de l’annexe V de la même décision.
Arrêt du 29 juillet 2024, protectus (C-185/23) (cf. points 44-47, 68, disp. 1)
102. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Retrait d'une attestation de sécurité industrielle permettant d'accéder à des informations classifiées par un État membre - Décision portant retrait, conformément à la décision 2013/488, en conséquence du retrait d'une telle attestation, d'un certificat de sécurité industrielle autorisant l'accès à des informations classifiées de l'Union européenne - Contrôle, par une juridiction nationale, de la légalité d'une telle décision - Acte concerné constituant une mise en œuvre du droit de l'Union
Saisie à titre préjudiciel par le Najvyšší správny súd Slovenskej republiky (Cour administrative suprême de la République slovaque) dans le cadre d’une affaire portant sur le retrait d’une habilitation de sécurité d’établissement fondé sur des informations classifiées, la Cour, réunie en grande chambre, apporte des précisions sur la pondération devant être opérée entre le droit à un recours effectif et les intérêts justifiant la non-divulgation de certaines informations classifiées .
En septembre 2018, le Bureau national de sécurité de Slovaquie (ci-après le « BNS ») a délivré à protectus s. r. o. une attestation de sécurité industrielle grâce à laquelle, selon le droit de cet État membre, elle a été autorisée à accéder à des informations classifiées en vertu du droit national. En novembre 2018, le BNS lui a par ailleurs délivré un certificat de sécurité industrielle pour le niveau « SECRET UE/EU SECRET ». Grâce à ce certificat, elle a été autorisée à accéder à des informations classifiées de l’Union européenne (ci-après les « ICUE »).
Ultérieurement, le BNS a eu connaissance d’informations non classifiées indiquant, notamment, que protectus ou ses gérants avaient fait l’objet d’une enquête pénale, qu’elle avait conclu des contrats avec des sociétés faisant l’objet d’une telle enquête et qu’il existait des soupçons que la requérante et une autre société, placées sous un contrôle commun, avaient répondu aux mêmes appels d’offres. Le BNS a également obtenu d’autres informations, qui ont été qualifiées de « preuves écrites classifiées ».
Le BNS a permis à protectus de s’exprimer sur les informations non classifiées à sa disposition. Par une décision adoptée en août 2020, fondée, pour partie, sur des informations classifiées, cet organe a, d’une part, annulé l’attestation de sécurité industrielle de la requérante au motif qu’un risque de sécurité avait été établi la concernant et, d’autre part, en conséquence de l’annulation de cette attestation de sécurité industrielle, annulé le certificat de sécurité industrielle de la requérante.
Par une décision du comité du Conseil national de la République slovaque pour le réexamen des décisions du BNS adoptée en novembre 2020, le recours introduit par la requérante contre cette décision du BNS a été rejeté. En septembre 2022, le BNS a transmis à la juridiction de renvoi, saisie du recours contre la décision dudit comité, l’intégralité du dossier, y compris les preuves écrites classifiées.
En octobre 2022, le président de la chambre saisie du recours de la requérante a tout d’abord écarté de la consultation les parties classifiées du dossier, puis rejeté la demande de l’avocat de la requérante de consulter les preuves écrites classifiées, tout en demandant au BNS d’examiner une telle possibilité de communication. En novembre 2022, cet organe a autorisé la communication de deux preuves écrites classifiées, tout en refusant de communiquer les autres preuves écrites classifiées en cause, au motif que cela aurait conduit à la divulgation de sources d’informations.
En janvier 2023, s’appuyant notamment sur l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), l’avocat de la requérante a demandé à nouveau de pouvoir consulter l’ensemble des preuves écrites.
Dans ce contexte, d’une part, la juridiction de renvoi a décidé d’interroger la Cour sur l’applicabilité de la Charte au litige au principal. À ce sujet, elle relève notamment que la décision 2013/488 relative à la protection des ICUE{1} impose certaines obligations concrètes aux États membres en matière d’habilitation des personnes physiques ou morales dotées de la capacité juridique de conclure des contrats, ce qui pourrait impliquer que la réglementation en cause constitue une mise en œuvre de cette décision. D’autre part, dans l’hypothèse où la Charte serait applicable au litige, la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser dans quelle mesure la réglementation et la pratique slovaques relatives à l’accès à des informations classifiées dans le cadre de procédures visant à contester l’annulation d’attestations ou de certificats de sécurité industrielle sont compatibles avec le droit à un recours effectif consacré par l’article 47 de la Charte.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, s’agissant du champ d’application de la Charte, la Cour examine tout d’abord l’applicabilité de celle-ci au retrait d’une attestation de sécurité industrielle permettant d’accéder à des informations classifiées par un État membre. Elle relève à cet égard que le droit de l’Union ne comporte pas, à ce stade de son développement, d’acte établissant des règles générales relatives aux décisions prises par les États membres pour autoriser l’accès à des informations classifiées au titre de réglementations nationales. En particulier, la décision 2013/488, à laquelle la juridiction de renvoi fait référence en ce qui concerne les ICUE, ne contient pas de dispositions régissant un tel accès. Dès lors, il n’apparaît pas que la réglementation nationale régissant le retrait de l’attestation de sécurité industrielle en cause au principal a pour objet ou pour effet de donner suite à une disposition du droit de l’Union. Partant, le retrait d’une attestation de sécurité industrielle telle que celle en cause au principal n’implique pas une mise en œuvre du droit de l’Union au sens de la Charte.
Ensuite, s’agissant de l’applicabilité de la Charte au retrait d’un certificat de sécurité industrielle autorisant l’accès à des ICUE, la Cour précise que les institutions de l’Union ont adopté des actes spécifiques destinés à régir la protection de telles informations dans le cadre de leur fonctionnement. En particulier, au vu des règles établies par la décision 2013/488 imposant des obligations aux États membres{2}, les mesures qu’ils adoptent pour assurer la sécurité industrielle, en encadrant l’accès aux ICUE liées à des contrats passés par le Conseil par la délivrance et le contrôle des habilitations nationales de sécurité d’établissements (HSE), doivent être considérées comme mettant en œuvre le droit de l’Union. Le retrait, par une autorité nationale, d’une HSE au sens de cette décision implique notamment une telle mise en œuvre. En effet, un tel retrait remet en cause une autorisation dont la délivrance et, au moins en partie, les effets sont prévus par la décision 2013/488{3}.
Par conséquent, la Cour dit pour droit que le contrôle, par une juridiction nationale, de la légalité d’une décision portant retrait d’une attestation de sécurité industrielle permettant d’accéder à des informations classifiées par un État membre n’a pas pour objet un acte constituant une mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. En revanche, le contrôle, par une telle juridiction, de la légalité d’une décision portant, en conséquence du retrait de cette attestation de sécurité industrielle, retrait d’un certificat de sécurité industrielle autorisant l’accès à des ICUE, conformément à l’article 11 et à l’annexe V de la décision 2013/488, a pour objet un acte constituant une mise en œuvre du droit de l’Union.
En second lieu, s’agissant de la question de la compatibilité d’une réglementation et d’une pratique telles que celles en cause au principal à l’article 47 de la Charte, la Cour examine tout d’abord si la situation concernée relève du champ d’application de cette disposition. Elle souligne à cet égard qu’il résulte de l’annexe V de la décision 2013/488 que l’accès à des ICUE par un opérateur économique aux fins de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat classifié du Conseil est subordonné à la détention d’une HSE. La Cour expose également le régime applicable, en vertu de cette décision, à la participation des contractants à des contrats classifiés nécessitant l’accès à des ICUE au sein de leurs établissements, lors de l’exécution de ces contrats ou durant la phase précontractuelle, qui suppose la possession d’une HSE. Ainsi, le retrait d’une HSE a pour conséquence que l’opérateur économique concerné perd l’autorisation d’accéder à des ICUE aux fins de la conclusion et de l’exécution d’un contrat classifié. Dès lors, un tel retrait implique notamment que celui-ci sera privé de la faculté, dont il disposait avant ce retrait, de participer à la phase précontractuelle relative à un contrat classifié du Conseil et de se voir attribuer, par cette institution, un tel contrat si son offre est sélectionnée. Par conséquent, un tel opérateur économique doit pouvoir disposer, conformément à l’article 47 de la Charte, d’un recours effectif pour contester le retrait de son HSE.
Ensuite, s’agissant des garanties minimales auxquelles un tel recours devrait satisfaire, la Cour indique que, dans une situation où le retrait d’une HSE est exclusivement fondé sur le retrait d’une autre habilitation de sécurité, le contrôle juridictionnel du retrait de cette HSE ne pourra être effectif que dans la mesure où l’ancien titulaire de ladite HSE peut avoir accès aux motifs ayant justifié le retrait de cette autre habilitation. Si des considérations impérieuses touchant notamment à la protection de la sûreté de l’État ou des relations internationales peuvent s’opposer à la communication à l’ancien titulaire d’une HSE des informations fondant son retrait, il incombe toutefois à la juridiction nationale compétente de mettre en œuvre, dans le cadre de son contrôle juridictionnel, des techniques permettant de concilier ces considérations impérieuses et la nécessité de garantir au justiciable le respect de ses droits procéduraux, tels que le droit d’être entendu ainsi que le principe du contradictoire.
À cette fin, les États membres sont tenus de prévoir un contrôle juridictionnel effectif tant de l’existence et du bien-fondé des raisons invoquées par l’autorité nationale compétente au regard de la sûreté de l’État pour refuser de divulguer tout ou partie des informations qui fondent le retrait de l’HSE, au sens de la décision 2013/488, que de la légalité de ce retrait. La juridiction compétente doit, dans ce cadre, pouvoir prendre connaissance de l’ensemble de ces informations.
Concernant les exigences auxquelles doit répondre le contrôle juridictionnel de l’existence et du bien-fondé des raisons invoquées par l’autorité nationale compétente au regard de la sûreté de l’État membre concerné, il importe qu’une juridiction soit chargée de procéder à un examen indépendant de l’ensemble des éléments de droit et de fait invoqués par l’autorité nationale compétente afin d’apprécier si des considérations impérieuses s’opposent effectivement à la communication de tout ou partie des motifs ayant fondé le retrait en cause et des éléments de preuve qui y sont afférents. Si cette juridiction conclut que la sûreté de l’État ne s’oppose pas à la communication, au moins partielle, de tels motifs ou éléments de preuve, elle doit donner à l’autorité nationale compétente la possibilité de communiquer à l’intéressé les motifs et les éléments de preuve manquants. Si cette autorité n’autorise pas la communication de ceux-ci, ladite juridiction procède à l’examen de la légalité de ce retrait sur la base des seuls motifs et éléments de preuve communiqués. À l’inverse, s’il s’avère que des considérations impérieuses s’opposent effectivement à la communication à l’intéressé de tels motifs ou éléments de preuve, le contrôle juridictionnel de la légalité de ce retrait doit être effectué dans le cadre d’une procédure mettant en balance les exigences découlant de ces considérations impérieuses et celles du droit à une protection juridictionnelle effective, en particulier le droit au respect du principe du contradictoire. En tout état de cause, la substance des motifs sur lesquels est fondé ledit retrait doit être communiquée à l’intéressé.
En conséquence, la Cour énonce, d’une part, que l’article 47 de la Charte ne s’oppose pas à une réglementation et à une pratique nationales en vertu desquelles une décision portant retrait d’une HSE, au sens de la décision 2013/488, n’indique pas les informations classifiées justifiant ce retrait, en raison de considérations impérieuses touchant par exemple à la protection de la sûreté de l’État ou des relations internationales, tout en prévoyant que la juridiction compétente pour apprécier la légalité dudit retrait a accès à ces informations et que l’avocat de l’ancien titulaire de cette HSE ne peut avoir accès auxdites informations qu’avec l’accord des autorités nationales concernées et à condition de garantir leur confidentialité. Cette juridiction doit cependant veiller à ce que la non-divulgation d’informations soit limitée au strict nécessaire et à ce que soit communiquée à l’ancien titulaire de ladite HSE, en tout état de cause, la substance des motifs du même retrait d’une manière qui tienne dûment compte de la confidentialité nécessaire des éléments de preuve.
D’autre part, dans l’hypothèse où l’article 47 de la Charte s’opposerait à une telle réglementation et à une telle pratique, il n’exige pas que la juridiction nationale compétente communique elle-même à l’ancien titulaire de l’HSE, le cas échéant par l’intermédiaire de son avocat, certaines informations classifiées lorsque l’absence de communication de ces informations à cet ancien titulaire ou à son avocat n’apparaît pas justifiée. Il appartient à l’autorité nationale compétente de le faire, le cas échéant. Si celle-ci n’autorise pas cette communication, cette juridiction procède à l’examen de la légalité du retrait de cette HSE sur la base des seuls motifs et éléments de preuve qui ont été communiqués.
{1} Décision 2013/488/UE du Conseil, du 23 septembre 2013, concernant les règles de sécurité aux fins de la protection des informations classifiées de l’Union européenne (JO 2013, L 274, p. 1).
{2} La Cour se réfère en particulier à l’article 1er, paragraphe 2, à l’article 11, paragraphes 2, 5 et 7, à l’article 15, paragraphe 3, sous c), à l’article 16, paragraphe 3, sous a), i), et à l’annexe V de la décision 2013/488.
{3} Plus précisément, la Cour relève que la délivrance de cette autorisation est prévue par l’article 11, paragraphe 5, de ladite décision, lu en combinaison avec l’annexe V, point 8, de celle-ci, ses effets étant quant à eux définis, en partie, notamment à l’article 11, paragraphe 5, ainsi qu’au point 11 de l’annexe V de la même décision.
Arrêt du 29 juillet 2024, protectus (C-185/23) (cf. points 48, 49, 54-57, 59, 60, 62-68, disp. 1)
103. Coopération judiciaire en matière pénale - Accord de commerce et de coopération avec le Royaume-Uni - Remise des personnes condamnées ou soupçonnées aux autorités judiciaires d'émission - Obligation de respecter les droits et principes juridiques fondamentaux - Refus d'exécution d'un mandat d'arrêt en cas de risque de violation d'un droit fondamental - Conditions - Inapplicabilité de la charte des droits fondamentaux au Royaume-Uni - Absence d'incidence
Saisie à titre préjudiciel par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande), la Cour, réunie en grande chambre, précise les obligations de l’autorité judiciaire d’exécution lorsqu’une personne visée par un mandat d’arrêt émis sur le fondement de l’accord de commerce et de coopération conclu avec le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (ci-après l’« ACC){1} invoque un risque de violation d’un droit fondamental en cas de remise au Royaume-Uni.
Le juge de district des Magistrates’ Courts of Northern Ireland (tribunal d’instance d’Irlande du Nord, Royaume-Uni) a délivré quatre mandats d’arrêt à l’encontre de MA pour des infractions relevant du terrorisme qui auraient été commises en juillet 2020 et dont certaines peuvent justifier le prononcé d’une peine d’emprisonnement à vie.
À l’automne 2022, la High Court (Haute Cour, Irlande) a ordonné la remise de MA au Royaume-Uni. MA a formé un pourvoi contre cette décision devant la juridiction de renvoi. Il fait valoir que sa remise au Royaume-Uni serait incompatible avec le principe de légalité des délits et des peines, consacré, notamment, à l’article 7 de la CEDH{2}.
La juridiction de renvoi précise que, en cas de remise et de condamnation de MA au Royaume-Uni, son éventuelle libération conditionnelle sera régie par une réglementation du Royaume-Uni adoptée postérieurement à la commission présumée des infractions en cause. La libération conditionnelle d’une personne condamnée pour des infractions telles que celles dont MA est suspecté doit désormais être approuvée par une autorité spécialisée et ne peut intervenir qu’après que cette personne a purgé les deux tiers de sa peine. Tel n’était pas le cas sous l’ancien régime, qui prévoyait une libération conditionnelle automatique après que la personne condamnée avait purgé la moitié de sa peine.
Dans ce contexte, au regard, notamment, des garanties offertes par le système judiciaire du Royaume-Uni quant à l’application de la CEDH, de l’absence de démonstration de l’existence d’une défaillance systémique qui laisserait supposer une violation probable et flagrante des droits garantis par la CEDH en cas de remise de MA ainsi que de la possibilité pour ce dernier de saisir la Cour européenne des droits de l’homme, la juridiction de renvoi a rejeté l’argumentation de MA tirée d’un risque de violation de l’article 7 de la CEDH.
Cette juridiction se demande toutefois s’il est possible de parvenir à une conclusion similaire en ce qui concerne un risque de violation de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte{3}, lequel énonce, notamment, qu’il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. En outre, elle s’interroge sur la compétence de l’État d’exécution pour se prononcer sur une argumentation tirée de l’incompatibilité avec l’article 49, paragraphe 1, de la Charte de dispositions en matière de peines qui sont susceptibles d’être appliquées dans l’État d’émission, alors que ce dernier n’est pas tenu de respecter la Charte et que la Cour a posé des exigences élevées en ce qui concerne la prise en compte d’un risque de violation des droits fondamentaux dans l’État membre d’émission.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour, après avoir écarté l’applicabilité de la décision-cadre 2002/584{4} à l’exécution des mandats d’arrêt en cause au principal, relève qu’il résulte de la structure du titre VII de la troisième partie de l’ACC, qui porte sur la coopération dans le domaine pénal, et notamment des fonctions respectives des articles 600 à 604 du même accord{5}, qu’un État membre ne peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt émis par le Royaume-Uni que pour des motifs procédant de l’ACC.
Dans ce contexte, comme le rappelle l’article 524, paragraphe 2, de l’ACC, les États membres ont l’obligation de respecter la Charte, étant donné qu’une décision de remise constitue une mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Les autorités judiciaires d’exécution des États membres sont donc tenues de garantir le respect des droits fondamentaux reconnus, entre autres, par l’article 49, paragraphe 1, de la Charte à la personne visée par un mandat d’arrêt émis sur le fondement de l’ACC, sans que la circonstance que la Charte ne soit pas applicable au Royaume-Uni soit pertinente cet égard.
En deuxième lieu, la Cour souligne que l’exigence de procéder à un examen en deux étapes qui ressort de la jurisprudence relative à la décision-cadre 2002/584{6} ne saurait être transposée à l’ACC. En effet, le système simplifié et efficace de remise instauré par cette décision-cadre se fonde sur le principe de confiance mutuelle qui caractérise de manière spécifique les relations entre les États membres et dont découle la présomption de respect des droits fondamentaux par l’État membre d’émission. Certes, il n’est pas exclu qu’un accord international puisse instituer un niveau de confiance élevé entre les États membres et certains pays tiers, tels que certains États membres de l’Espace économique européen. Cette considération ne peut toutefois pas être étendue à l’ensemble des pays tiers et, en particulier, au Royaume-Uni.
Tout d’abord, l’ACC n’établit pas, entre l’Union et le Royaume-Uni, de relations privilégiées qui soient de nature à justifier ce niveau de confiance élevé. En particulier, le Royaume-Uni ne fait pas partie de l’espace européen sans frontières intérieures dont la construction est permise, entre autres, par le principe de confiance mutuelle. Ensuite, s’il ressort de l’ACC que la coopération entre le Royaume-Uni et les États membres est fondée sur le respect de longue date de la protection des libertés et des droits fondamentaux des personnes{7}, cette coopération n’est pas présentée comme reposant sur la préservation de la confiance mutuelle entre les États concernés qui existait avant la sortie de l’Union du Royaume-Uni le 31 janvier 2020. Enfin, il existe des différences substantielles entre les dispositions de l’ACC relatives au mécanisme de remise et les dispositions correspondantes de la décision-cadre 2002/584.
En troisième lieu, la Cour précise, dans ces conditions, l’examen auquel est tenue l’autorité judiciaire d’exécution lorsque la personne concernée invoque devant elle l’existence d’un risque de violation de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte en cas de remise au Royaume-Uni. Elle souligne que l’obligation de respecter les droits fondamentaux impose à cette autorité judiciaire d’exécution de déterminer concrètement, à l’issue d’un examen approprié s’il y a des raisons valables de penser que ladite personne est exposée à un risque réel d’une telle violation. À cette fin, l’autorité judiciaire d’exécution doit examiner l’ensemble des éléments pertinents pour évaluer la situation prévisible de la personne recherchée en cas de remise de celle-ci au Royaume-Uni, ce qui suppose, à la différence de l’examen en deux étapes susmentionné, de tenir compte simultanément tant des règles et des pratiques ayant cours de manière générale dans ce pays que des spécificités de la situation individuelle de cette personne. Elle ne pourra refuser de donner suite à un mandat d’arrêt émis sur le fondement de l’ACC que si elle dispose, au regard de la situation individuelle de la personne recherchée, d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés établissant des raisons valables de penser qu’il existe un risque réel de violation de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte.
En outre, avant de pouvoir refuser d’exécuter un mandat d’arrêt, l’autorité judiciaire d’exécution doit, conformément à l’obligation d’assistance mutuelle en toute bonne foi énoncée à l’article 3, paragraphe 1, de l’ACC, demander préalablement à l’autorité judiciaire d’émission des informations concernant les règles du droit de l’État d’émission et la manière dont celles-ci sont susceptibles d’être appliquées à la situation individuelle de la personne recherchée ainsi que, le cas échéant, des garanties supplémentaires pour écarter le risque de violation de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte.
En dernier lieu, en ce qui concerne la portée de cette dernière disposition, la Cour précise qu’une mesure relative à l’exécution d’une peine ne sera incompatible avec cette disposition que si elle emporte une modification rétroactive de la portée même de la peine encourue au jour de la commission de l’infraction en cause, impliquant ainsi l’infliction d’une peine plus forte. Tel n’est pas le cas lorsque cette mesure se limite à allonger le seuil d’admissibilité à la libération conditionnelle. Toutefois, il peut en aller différemment, notamment, si ladite mesure abroge en sa substance la possibilité d’une libération conditionnelle ou si elle se place dans un ensemble de mesures conduisant à aggraver la nature intrinsèque de la peine initialement encourue.
{1} Accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique, d’une part, et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, d’autre part (JO 2021, L 149, p. 10).
{2} Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).
{3} Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
{4} Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1).
{5} Ces articles concernent, notamment, les cas de refus d’exécution d’un mandat d’arrêt émis sur le fondement de l’ACC ainsi que les garanties devant être fournies par l’État d’émission dans des cas particuliers.
{6} En ce qui concerne l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, l’autorité judiciaire d’exécution doit, dans le cadre d’une première étape, déterminer s’il existe des éléments tendant à démontrer l’existence d’un risque réel de violation, dans l’État membre d’émission, d’un droit fondamental pertinent en raison soit de défaillances systémiques ou généralisées, soit de défaillances affectant plus spécifiquement un groupe objectivement identifiable de personnes. Dans le cadre d’une seconde étape, elle doit vérifier, de manière concrète et précise, dans quelle mesure les défaillances identifiées lors de la première étape sont susceptibles d’avoir une incidence sur la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen et si, eu égard à sa situation personnelle, il existe des motifs sérieux et avérés de croire que cette personne courra un risque réel de violation d’un droit fondamental pertinent en cas de remise à l’État membre d’émission.
{7} Article 524, paragraphe 1, de l’ACC.
Arrêt du 29 juillet 2024, Alchaster (C-202/24) (cf. points 46, 49, 51)
104. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Examen de la légalité d'un acte adopté par une autorité nationale dans le cadre de la mise en œuvre de dérogations à des mesures de gel de fonds - Exclusion
Dans son arrêt, le Tribunal rejette le recours en annulation introduit par la requérante, la société NKO AO National Settlement Depository (NSD), contre les actes par lesquels le nom de cette société a été inscrit en juin 2022{1} puis maintenu en mars{2} et en septembre 2023{3}, par le Conseil de l’Union européenne, sur les listes des personnes et entités visées par des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (ci-après les « listes litigieuses »). Cette affaire permet notamment au Tribunal d’apporter des précisions sur le rôle des autorités nationales dans le cadre de la mise en œuvre des dérogations aux mesures de gel des fonds.
Cet arrêt s’inscrit dans le contexte des mesures restrictives adoptées par l’Union à la suite de l’agression militaire perpétrée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022. La requérante, un établissement financier non bancaire russe, dépositaire central de titres (ci-après « DCT ») en Russie, a vu ses fonds et ses ressources économiques gelés sur le fondement du critère visant les personnes physiques ou morales, les entités ou organismes qui apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement russe, responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine{4}.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, dans le cadre du moyen tiré d’une erreur d’appréciation du Conseil, le Tribunal examine, tout d’abord, la recevabilité des preuves produites par le Conseil, annexées au mémoire en défense et à sa duplique. À cet égard, il rappelle que la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté et que le contrôle de la légalité au fond doit être effectué à l’aune non seulement des éléments figurant dans les exposés des motifs des actes litigieux, mais également de ceux que le Conseil fournit, en cas de contestation, au Tribunal pour établir le bien-fondé des faits allégués dans ces exposés. Le Tribunal précise par ailleurs qu’il n’a pas entendu, dans sa jurisprudence antérieure{5}, exclure toute possibilité de prendre en compte, lors de son contrôle de légalité des actes attaqués, des preuves additionnelles ne figurant pas dans le dossier de preuves et produites aux fins de confirmer le bien-fondé des faits allégués dans les motifs d’inscription, dès lors, d’une part, que ces preuves corroborent des éléments dont le Conseil disposait et, d’autre part, que lesdites preuves se rapportent à des faits antérieurs à l’adoption des actes attaqués.
En l’occurrence, le Tribunal constate que certaines preuves produites par le Conseil en annexes de son mémoire en défense ne peuvent pas être prises en compte pour vérifier le bien-fondé des actes initiaux, mais conclut en revanche à la recevabilité des preuves produites au stade du mémoire en duplique.
Ensuite, le Tribunal juge que le Conseil pouvait valablement considérer que la requérante fournissait un soutien matériel ou financier important, d’un point de vue quantitatif et qualitatif, au gouvernement russe lui permettant de mobiliser ses ressources financières dans le but de poursuivre ses actions de déstabilisation de l’Ukraine. En effet, le Conseil disposait, dès l’adoption des actes initiaux, d’une base factuelle suffisante pour considérer que la requérante était une institution financière importante pour le système financier russe ayant des connexions avec le système financier international. Il pouvait également constater que, par les services qu’elle offrait au gouvernement russe en tant que DCT dans le cadre de l’émission, de la conservation et de la gestion des obligations fédérales, la requérante permettait à ce dernier de mener ses activités et politiques et de mobiliser ses ressources.
Enfin, selon le Tribunal, la constatation selon laquelle la requérante serait contrôlée par le gouvernement russe ne saurait avoir un caractère déterminant pour justifier son inscription sur les listes litigieuses. En effet, le critère du soutien matériel ou financier au gouvernement russe ne nécessite pas d’établir l’exercice d’un contrôle par ledit gouvernement sur la personne, l’entité ou l’organisme qui lui apporte un soutien.
S’agissant, en second lieu, du moyen tiré d’une atteinte aux droits fondamentaux de la requérante, le Tribunal relève, tout d’abord, qu’un requérant ne saurait invoquer au soutien de son recours en annulation un droit de propriété dont il n’est pas titulaire. En outre, dans le cadre d’un recours en annulation, le Tribunal n’est pas compétent pour exercer un contrôle de légalité des décisions adoptées par les autorités nationales ou de jugements rendus par les juridictions nationales. Le Tribunal souligne toutefois que, lorsqu’elle statue sur une demande de déblocage de fonds gelés conformément aux dérogations prévues par la décision 2014/145 modifiée et le règlement no 269/2014 modifié, l’autorité nationale compétente est tenue de respecter la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »){6}. Ainsi, pour les clients de la requérante qui ne sont visés par aucune mesure restrictive et dont les fonds ou les ressources économiques sont gelés en raison des mesures restrictives adoptées à l’égard de la requérante, dans le cadre de l’examen d’une demande de déblocage desdits fonds ou desdites ressources économiques, il incombe aux autorités nationales de s’assurer que l’ingérence dans le droit de propriété de ces clients respecte les conditions prévues à l’article 52 de la Charte.
Ensuite, le Tribunal estime que la requérante n’est pas fondée à faire valoir une atteinte supplémentaire à sa liberté d’entreprise tirée de ce que les dérogations prévues par la décision 2014/145 modifiée et le règlement no 269/2014 modifié n’auraient pas été susceptibles de lui permettre de restituer les titres de ses clients, qu’elle détenait dans ses comptes gelés auprès de dépositaires établis dans l’Union.
Le Tribunal rappelle que les actes attaqués prévoient des dérogations permettant aux autorités nationales d’autoriser le déblocage de certains fonds ou de certaines ressources économiques de la requérante. Ainsi, la décision 2014/145 modifiée et le règlement no 269/2014 modifié prévoient, notamment, la possibilité d’un déblocage de certains fonds propres ou de certaines ressources économiques gelés pour faire face aux besoins essentiels des personnes morales, des entités ou des organismes inscrits sur les listes litigieuses, pour rembourser certaines dépenses{7}, effectuer un paiement dû au titre d’un contrat ou d’un accord conclu avant la date de l’inscription sur les listes litigieuses{8} ou mettre fin aux opérations, aux contrats ou aux autres accords conclus avec la requérante ou l’associant d’une autre façon{9}. La requérante ne contestant pas la légalité de cette dernière dérogation, mais la légalité des mesures adoptées par les autorités nationales dans le cadre de sa mise en œuvre, le Tribunal rappelle cependant qu’il n’est pas compétent, au titre de l’article 263 TFUE, pour connaître de la légalité des actes adoptés par les autorités nationales afin d’assurer la mise en œuvre du droit de l’Union.
Au regard de ce qui précède, le Tribunal rejette le recours dans son intégralité.
{1} Décision (PESC) 2022/883 du Conseil, du 3 juin 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 153, p. 92), et règlement d’exécution (UE) 2022/878 du Conseil, du 3 juin 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 153, p. 15) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »).
{2} Décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 134) et règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 1, ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de mars 2023 »).
{3} Décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 104) et règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 3, ci-après, les « actes de maintien de septembre 2023 »).
{4} Article 2, paragraphe 1, sous f), de la décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16), telle que modifiée par la décision (PESC) 2022/329 du Conseil, du 25 février 2022, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 50, p. 1), et article 3, paragraphe 1, sous f), du règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6), dans sa version modifiée par le règlement (UE) 2022/330 du Conseil, du 25 février 2022 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 51, p. 1).
{5} Arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil (T 723/20, non publié, EU:T:2022:317).
{6} Voir article 51, paragraphe 1, de la Charte.
{7} Voir article 4, paragraphe 1, du règlement no 269/2014.
{8} Voir article 2, paragraphe 5, de la décision 2014/145 et article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014.
{9} Par l’adoption de la décision (PESC) 2022/1907 du Conseil, du 6 octobre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 259 I, p. 98), et du règlement (UE) 2022/1905 du Conseil, du 6 octobre 2022, modifiant le règlement noº 269/2014 (JO 2022, L 259 I, p. 76).
Voir article 2, paragraphe 19, de la décision 2014/145 modifiée et article 6 ter, paragraphe 5, du règlement no 269/2014 modifié.
Arrêt du 11 septembre 2024, NSD / Conseil (T-494/22) (cf. point 131)
105. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Champ d'application - Mise en œuvre du droit de l'Union - Réglementation nationale prévoyant une utilisation du montant de la TVA déposé sur un compte TVA séparé limitée au paiement de la TVA à l'administration fiscale ou aux fournisseurs de biens et prestataires de services - Exclusion du champ d'application
Voir texte de la décision.
Arrêt du 12 septembre 2024, Syndyk Masy Upadłości A (C-709/22) (cf. points 62-64, 66)
106. Droits fondamentaux - Dignité humaine - Interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants - Respect de la vie privée et familiale - Contrôles aux frontières, asile et immigration - Politique d'immigration - Directive 2008/115 - Obligation pour un État membre d'octroyer, pour des motifs humanitaires impérieux, un droit de séjour à un ressortissant d'un pays tiers résidant de manière irrégulière sur son territoire - Absence - Durée du séjour de ce ressortissant sur ce territoire - Absence d'incidence - Possibilité pour ce ressortissant de se prévaloir, avant son éloignement, des droits garantis tant par la charte des droits fondamentaux que par les directives 2008/115 et 2013/33
Voir texte de la décision.
Arrêt du 12 septembre 2024, Changu (C-352/23) (cf. points 67-79, disp. 3)
107. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Situation factuelle et juridique en cause dans le litige au principal ne relevant pas du champ d'application du droit de l'Union - Réglementation nationale ne constituant pas une mesure de mise en œuvre du droit de l'Union - Incompétence manifeste de la Cour
Ordonnance du 7 janvier 2025, DRINKS 52 (C-800/23) (cf. points 16-29 et disp.)