1. Actes des institutions - Application dans le temps - Expiration du traité CECA - Décision de la Commission adoptée à l'encontre d'une entreprise après l'expiration du traité CECA et visant des faits antérieurs à l'expiration dudit traité - Principe de légalité des délits et de peines - Principe de la confiance légitime - Portée - Responsabilité des entreprises pour leurs comportements violant les règles de concurrence, dans le contexte de la succession du cadre juridique du traité CE à celui du traité CECA - Règles de fond - Règles de procédure
Le principe de légalité des délits et des peines, tel que consacré notamment à l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, exige qu’une réglementation de l’Union définisse clairement les infractions et les sanctions. En outre, le principe de sécurité juridique exige qu’une telle réglementation permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose et que ces derniers puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence. À cet égard, dans la mesure où les traités définissent clairement les infractions ainsi que la nature et l’importance des sanctions pouvant être infligées aux entreprises pour infraction aux règles de concurrence, le principe de légalité des délits et des peines et le principe de sécurité juridique ne visent pas à garantir aux entreprises que des modifications ultérieures des bases juridiques et des dispositions procédurales leur permettent d’échapper à toute sanction relative à leurs comportements infractionnels passés.
S'agissant d'une décision de la Commission concernant une situation juridique définitivement acquise antérieurement à l'expiration du traité CECA et ayant été adoptée à l'encontre d'une entreprise, après l'expiration dudit traité, le Tribunal ne commet pas d'erreur en concluant, d'une part, que le respect des principes gouvernant l’application de la loi dans le temps ainsi que les exigences relatives aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime imposent l’application des règles matérielles prévues à l’article 65, paragraphes 1 et 5, CA à des faits ayant eu lieu avant l'expiration du traité CECA et relevant du champ d’application ratione materiae et ratione temporis de ce traité. À cet égard, l’article 65, paragraphes 1 et 5, CA prévoyait une base légale claire pour infliger une sanction pour infraction aux règles de concurrence, de sorte qu'une entreprise diligente ne pouvait à aucun moment ignorer les conséquences de son comportement ni compter sur le fait que la succession du cadre juridique du traité CE à celui du traité CECA aurait pour conséquence de la faire échapper à toute sanction pour les infractions à l’article 65 CA commises dans le passé.
En ce qui concerne, d'autre part, les dispositions procédurales applicables, c'est à bon droit que le Tribunal a conclu que la Commission est compétente pour conduire la procédure conformément aux articles 7, paragraphe 1, et 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003. En effet, la disposition constituant la base juridique d’un acte et habilitant l’institution de l’Union à adopter l’acte en cause doit être en vigueur au moment de l’adoption de celui-ci et les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer au moment où elles entrent en vigueur.
2. Concurrence - Règles communautaires - Infractions - Imputation - Société mère et filiales - Unité économique - Violation du principe de légalité des peines - Absence
Le principe de légalité des peines exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qu’elle réprime. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.
Or, en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003, la Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises qui commettent notamment une infraction aux dispositions de l’article 81 CE. Dans la mesure où une société mère et sa filiale ont été considérées comme formant une entreprise, au sens de ce dernier article, c'est sans violer le principe de légalité des peines que la Commission peut imposer une amende aux personnes morales faisant partie de ladite entreprise.
Arrêt du 17 mai 2011, Elf Aquitaine / Commission (T-299/08, Rec._p._II-2149) (cf. points 187-189)
3. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Application des lignes directrices pour le calcul des amendes - Violation du principe de non-rétroactivité des lois pénales - Absence
Le principe de non-rétroactivité des lois pénales, consacré à l'article 7 de la convention européenne des droits de l'homme, constitue un principe général du droit de l'Union dont le respect s'impose lorsque des amendes sont infligées pour infraction aux règles de la concurrence, et exige que les sanctions prononcées correspondent à celles qui étaient fixées à l'époque où l'infraction a été commise. L’adoption de lignes directrices susceptibles de modifier la politique générale de concurrence de la Commission en matière d’amendes peut, en principe, relever du champ d’application du principe de non-rétroactivité.
En ce qui concerne le respect du principe de non-rétroactivité par les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, l'augmentation du niveau des amendes demeure dans le cadre légal fixé par l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003, en ce que les lignes directrices prévoient expressément, en leur point 5, sous a), que les amendes imposées ne peuvent en aucun cas dépasser le plafond de 10 % du chiffre d’affaires prévu par lesdites dispositions.
La principale innovation desdites lignes directrices consiste à prendre comme point de départ du calcul un montant de base, déterminé à partir de fourchettes prévues à cet égard, ces fourchettes reflétant les différents degrés de gravité des infractions, mais n’ayant, comme telles, pas de rapport avec le chiffre d’affaires pertinent. Cette méthode repose ainsi essentiellement sur une tarification, quoique relative et souple, des amendes.
Le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par les règlements nº 17 et nº 1/2003, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique de la concurrence de l'Union. Au contraire, l’application efficace des règles de la concurrence exige que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique.
Il en découle que les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne sauraient acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement ni dans une méthode de calcul de ces dernières. Par conséquent, lesdites entreprises doivent tenir compte de la possibilité que, à tout moment, la Commission décide d’élever le niveau du montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé.
Dans ces conditions, lesdites lignes directrices ne violent pas le principe de non-rétroactivité en ce qu’elles auraient conduit à l’imposition d’amendes plus élevées que celles imposées dans le passé ou que les limites de la prévisibilité auraient été dépassées. Les lignes directrices et, en particulier, la nouvelle méthode de calcul des amendes qu’elles comportent, à supposer que cette dernière ait eu un effet aggravant quant au niveau des amendes infligées, étaient en effet raisonnablement prévisibles.
4. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Application de la communication sur la coopération - Violation des principes de non-rétroactivité et de protection de la confiance légitime - Absence
Ne viole ni le principe de non-rétroactvité ni celui de protection de la confiance légitime la prise en compte, lors de la détermination du montant d'amendes infligées pour infraction aux règles de la concurrence de l'Union, de la communication sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes. En effet, de ces deux principes, le premier ne s'oppose pas à l'application de lignes directrices ayant, par hypothèse, un effet aggravant quant au niveau des amendes à condition que la politique qu'elles mettent en œuvre soit raisonnablement prévisible. Quant au second, les opérateurs économiques ne sauraient placer leur confiance légitime dans le maintien d'une situation existante qui peut être modifiée par les institutions dans le cadre de leur pouvoir d’appréciation.
5. Droit de l'Union - Principes généraux du droit - Sécurité juridique - Légalité des peines - Portée
Le principe de légalité des peines est un corollaire du principe de sécurité juridique, lequel constitue un principe général du droit de l'Union et exige, notamment, que toute réglementation de l'Union, en particulier lorsqu’elle impose ou permet d’imposer des sanctions, soit claire et précise, afin que les personnes concernées puissent connaître sans ambiguïté les droits et obligations qui en découlent et puissent prendre leurs dispositions en conséquence.
Le principe de légalité des peines, qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union se trouvant à la base des traditions constitutionnelles communes aux États membres, a également été consacré par différents traités internationaux, et notamment à l’article 7 de la convention européenne des droits de l'homme.
Ce principe exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale. En outre, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, la clarté de la loi s’apprécie au regard non seulement du libellé de la disposition pertinente, mais également des précisions apportées par une jurisprudence constante et publiée.
Ce principe s’impose tant aux normes de caractère pénal qu’aux instruments administratifs spécifiques imposant ou permettant d’imposer des sanctions administratives. Il s’applique non seulement aux normes qui établissent les éléments constitutifs d’une infraction, mais également à celles qui définissent les conséquences qui découlent d’une infraction aux premières.
L’article 7, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l'homme n’exige pas que les termes des dispositions en vertu desquelles sont infligées ces sanctions soient à ce point précis que les conséquences pouvant découler d’une infraction à ces dispositions soient prévisibles avec une certitude absolue. En effet, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, le fait qu’une loi confère un pouvoir d’appréciation ne se heurte pas en soi à l’exigence de prévisibilité, à condition que l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir se trouvent définies avec une netteté suffisante, eu égard au but légitime en jeu, pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire. À cet égard, outre le texte de la loi elle-même, la Cour européenne des droits de l'homme tient compte de la question de savoir si les notions indéterminées utilisées ont été précisées par une jurisprudence constante et publiée.
6. Droit de l'Union européenne - Principes généraux du droit - Sécurité juridique - Légalité des peines - Portée
Le recours à des concepts juridiques indéterminés aux fins de la formulation de règles dont la violation entraîne la responsabilité civile, administrative, voire même pénale, du contrevenant n’entraîne pas l’impossibilité d’imposer les mesures correctives prévues par la loi, à condition que le justiciable puisse savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les juridictions, quels actes et omissions engagent sa responsabilité.
Arrêt du 27 juin 2012, Microsoft / Commission (T-167/08) (cf. point 84)
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 16 septembre 2013, Dornbracht / Commission (T-386/10) (cf. points 59-63)
Arrêt du 16 septembre 2013, Duravit e.a. / Commission (T-364/10) (cf. points 67-69)
Arrêt du 16 septembre 2013, Hansa Metallwerke e.a. / Commission (T-375/10) (cf. points 49-52)
7. Concurrence - Règles de l'Union - Infractions - Imputation - Société mère et filiales - Unité économique - Violation du principe de légalité des délits et des peines - Absence
Le principe de légalité des délits et des peines exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale. À cet égard, la notion de "droit" au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l'homme correspond à celle de "loi" utilisée dans d’autres dispositions de la même convention et englobe le droit d’origine tant législative que jurisprudentielle.
Ainsi, la décision de la Commission, qui impose à une entreprise une sanction au motif qu’elle était la société mère d’un participant à une entente avec lequel elle formait une unité économique, ne viole nullement le principe de légalité des délits et des peines, dès lors que l’infraction relevée par la Commission est clairement définie à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l'Espace économique européen et que l’imputation à la société mère de l’infraction commise par la filiale, motif pris que ces sociétés forment une seule entreprise au sens du droit de la concurrence de l’Union et, donc, que la société mère est considérée comme ayant participé à l’infraction au même titre que sa filiale, ressort clairement du droit de l’Union, selon une jurisprudence déjà ancienne de la Cour et du Tribunal.
Arrêt du 27 juin 2012, Bolloré / Commission (T-372/10) (cf. points 35-37, 42)
8. Actes des institutions - Directives - Exécution par les États membres - Nécessité d'assurer l'efficacité des directives - Obligations des juridictions nationales - Obligation d'interprétation conforme - Limites - Principe de légalité des délits et des peines
Dans l’hypothèse où le droit d'un État membre n’impose pas aux pharmaciens une obligation de détenir l'autorisation particulière pour la distribution de médicaments en gros et ne contient pas de disposition expresse prévoyant, à l’égard des pharmaciens exerçant une activité de grossiste, une responsabilité pénale, le principe de la légalité des peines, tel que consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, interdit de sanctionner pénalement un tel comportement, même dans le cas où la règle nationale est contraire au droit de l’Union.
L’interprétation de la directive 2001/83, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, telle que modifiée par la directive 2009/120, selon laquelle un pharmacien autorisé à exercer une activité de grossiste en médicaments doit disposer d'une autorisation de distribution en gros de médicaments et satisfaire à l’ensemble des exigences imposées aux demandeurs et aux titulaires d’une telle autorisation, ne saurait, à elle seule et indépendamment d’une loi adoptée par un État membre, créer ou aggraver la responsabilité pénale d’un pharmacien qui a exercé l’activité de distribution en gros sans disposer de l’autorisation y afférente.
Arrêt du 28 juin 2012, Caronna (C-7/11) (cf. points 41, 50, 55-56, disp. 3)
9. Concurrence - Règles de l'Union - Infractions - Imputation - Société mère et filiales - Unité économique - Marge d'appréciation de la Commission - Violation des principes de légalité des délits et des peines et de sécurité juridique - Absence
Arrêt du 27 septembre 2012, Total / Commission (T-344/06) (cf. points 86-87)
10. Concurrence - Règles de l'Union - Infractions - Imputation - Société mère et filiales - Unité économique - Marge d'appréciation de la Commission - Violation des principes de légalité des délits et des peines et d'autonomie des personnes morales - Absence
Arrêt du 27 septembre 2012, Koninklijke BAM Groep / Commission (T-355/06) (cf. points 44-48, 52-53)
11. Pêche - Conservation des ressources de la mer - Régime de quotas de pêche - Déductions sur les quotas attribués pour une année donnée en raison de dépassements des quotas lors d'années précédentes - Règlement nº 1004/2010 - Base juridique - Article 105 du règlement nº 1224/2009 - Déductions fondées sur la réglementation antérieure au règlement nº 1224/2009 - Violation du principe de légalité des peines - Absence
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 21 novembre 2012, Espagne / Commission (T-76/11) (cf. points 67-68, 78, 80-83)
12. Pêche - Conservation des ressources de la mer - Régime de quotas de pêche - Déductions sur les quotas attribués pour une année donnée en raison de dépassements des quotas lors d'années précédentes - Déductions ne constituant pas des sanctions - Soumission au principe de légalité des peines - Absence
Les déductions prévues par l’article 23, paragraphe 4, du règlement nº 2371/2002, relatif à la conservation et à l'exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche, et l’article 5, paragraphe 1, du règlement nº 847/96, établissant des conditions additionnelles pour la gestion interannuelle des totaux admissibles des captures et quotas, ne constituent pas des sanctions et ne sont donc pas soumises au principe de légalité des peines.
En effet, le système des quotas de pêche de l'Union poursuit l’objectif de garantir la conservation et l’exploitation durable des ressources halieutiques. Les déductions sur les quotas visent à faire respecter les quotas et ont donc la même finalité.
Le seul fait que les déductions ont un tel objectif ne permet pas d’exclure qu’il s’agisse de sanctions au sens du principe susmentionné, puisque des mesures répressives peuvent également poursuivre ces objectifs. Toutefois, une mesure qui se limite à prévoir une compensation pour un dommage causé et qui se borne donc à restituer le statu quo ante ne constitue pas une mesure répressive au sens du principe de légalité des sanctions.
À cet égard, l’article 23, paragraphe 4, du règlement nº 2371/2002 et l’article 5, paragraphe 1, du règlement nº 847/96 se limitent à prévoir des déductions consistant en la simple compensation du dépassement des quotas et ne prévoient donc pas de sanction, c’est-à-dire de mesure excédant cette compensation.
Il est, certes, vrai que ces articles prévoient des coefficients multiplicateurs pour le calcul des déductions. Toutefois, ces coefficients multiplicateurs ne peuvent être considérés comme des sanctions excédant l’objectif d’une compensation, dès lors qu'ils visent à garantir une restitution intégrale du dommage causé par le dépassement des quotas. En effet, la surpêche a une incidence négative sur la capacité de reproduction du stock concerné, qui est susceptible de ralentir son rétablissement et d’entraîner sa décroissance.
Arrêt du 21 novembre 2012, Espagne / Commission (T-76/11) (cf. points 70-72, 76, 78)
13. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation conféré à la Commission par l'article 23 du règlement nº 1/2003 - Violation du principe de légalité des peines - Absence
14. Concurrence - Règles de l'Union - Infractions - Imputation - Société mère et filiales - Unité économique - Critères d'appréciation - Présomption d'une influence déterminante exercée par la société mère sur les filiales détenues à 100 % par celle-ci - Violation des principes d'individualité et de légalité des peines - Absence - Violation du principe de bonne administration - Absence
Arrêt du 13 septembre 2013, Total / Commission (T-548/08) (cf. points 155, 156, 159-162, 168-170)
15. Droit de l'Union européenne - Principes - Non-rétroactivité des dispositions pénales - Champ d'application - Amendes infligées en raison d'une violation des règles de concurrence - Inclusion - Violation éventuelle en raison de l'application à une infraction antérieure à leur introduction des lignes directrices pour le calcul des amendes - Caractère prévisible des modifications introduites par les lignes directrices - Absence de violation
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 16 septembre 2013, Wabco Europe e.a. / Commission (T-380/10) (cf. points 175-179)
Arrêt du 16 septembre 2013, Dornbracht / Commission (T-386/10) (cf. points 84-90)
Arrêt du 15 juillet 2015, SLM / Commission (T-389/10 et T-419/10) (cf. points 92-107, 109)
Arrêt du 16 septembre 2013, Hansa Metallwerke e.a. / Commission (T-375/10) (cf. points 154-159)
16. Ententes - Accords et pratiques concertées constitutifs d'une infraction unique - Notion - Qualification d'infraction unique - Marge d'appréciation de la Commission - Violation du principe de légalité des délits et des peines - Absence
17. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Cadre juridique - Article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 1/2003 - Pouvoir d'appréciation conféré à la Commission par ledit article - Introduction par la Commission de lignes directrices pour le calcul des amendes - Violation des principes de légalité des peines et de sécurité juridique - Absence
En matière de concurrence, l’adoption par la Commission des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 1/2003, dans la mesure où elle s’est inscrite dans le cadre légal imposé par l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 1/2003, a contribué à préciser les limites de l’exercice du pouvoir d’appréciation de la Commission résultant de cette disposition et n’a pas enfreint le principe de légalité des peines, mais a contribué à son respect.
En effet, en premier lieu, par essence, l’adoption par la Commission de lignes directrices contribue à assurer le respect du principe de légalité des peines. À ce titre, les lignes directrices déterminent, de manière générale et abstraite, la méthodologie que la Commission s’est imposée aux fins de la fixation du montant des amendes et assurent, par conséquent, la sécurité juridique des entreprises. En deuxième lieu, il découle du paragraphe 2 des lignes directrices que ces dernières s’inscrivent dans le cadre légal imposé par l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 1/2003, article qui satisfait aux exigences découlant des principes de légalité des peines et de sécurité juridique. Enfin, en troisième lieu, en adoptant les lignes directrices, la Commission n’a pas dépassé les limites de la marge d’appréciation qui lui est attribuée par l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 1/2003.
Arrêt du 16 septembre 2013, Dornbracht / Commission (T-386/10) (cf. points 68-70, 78, 146)
Arrêt du 16 septembre 2013, Hansa Metallwerke e.a. / Commission (T-375/10) (cf. points 53-56, 60-70)
18. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation conféré à la Commission par l'article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003 - Violation du principe de légalité des peines - Absence
Arrêt du 6 février 2014, Elf Aquitaine / Commission (T-40/10) (cf. points 332-342)
19. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Égypte - Gel des fonds des personnes impliquées dans des détournements de fonds publics en Égypte et des personnes physiques ou morales, entités ou organismes leur étant associés - Divergence entre les différentes versions linguistiques de l'article 1er de la décision 2011/172 - Interprétation large ne violant pas les principes de légalité des délits et des peines et de la présomption d'innocence
Au vu des disparités existant entre les versions linguistiques française et anglaise de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/172 concernant des mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de la situation en Égypte, cette disposition doit être interprétée à la lumière de l'ensemble des versions linguistiques et du contexte et de la finalité dans lesquels elle s'insère. Or, d'une part, dans la plupart des langues de l'Union autres que l'anglais et le français, la rédaction de ladite disposition est analogue à celle de la version anglaise. D'autre part, l’effet utile de la décision en question serait sérieusement compromis si son article 1er visait seulement les personnes contre lesquelles des condamnations pénales ont été prononcées, puisque ces personnes pourraient, au cours de la procédure pénale, transférer leurs avoirs dans des États ne pratiquant aucune forme de coopération avec les autorités égyptiennes. Dès lors, l'article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/172 doit être interprété en ce sens qu'il couvre, entre autres, les personnes ayant pu, le cas échéant à leur insu, bénéficier du produit de détournement de fonds publics égyptiens et faisant l'objet, à ce titre, de mesures conservatoires édictées dans un cadre judiciaire et destinées à préserver les avoirs issus desdits détournements.
Au demeurant, d'une part, ce gel d’avoirs ne constitue pas une sanction administrative, ni n’entre dans le champ d’application de l’article 49, paragraphe 1, première phrase, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne de telle sorte que le principe selon lequel les dispositions instaurant des sanctions administratives sont d’interprétation stricte n’interdit pas une interprétation large de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/172. D'autre part, en adoptant la décision 2011/172, le Conseil n’a pas reconnu, lui-même, les personnes visées à l’article 1er, paragraphe 1, coupables de faits réprimés par le droit pénal égyptien ou par le droit d’un État membre de l’Union. En outre, il n’a pas incité le public à croire, à tort, en la culpabilité de ces personnes et n’a pas préjugé non plus de l’appréciation des faits par le juge compétent. Il s'ensuit que le principe de la présomption d’innocence ne s’oppose pas non plus à l’interprétation large de cette disposition.
Arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a. / Conseil (T-256/11) (cf. points 64-67, 80, 81, 83, 84)
20. Droit de l'Union européenne - Principes - Non-rétroactivité des dispositions pénales - Champ d'application - Amendes infligées en raison d'une violation des règles de concurrence - Inclusion - Violation en raison de l'application des lignes directrices pour le calcul des amendes s'agissant d'une infraction antérieure à leur introduction - Absence
Voir le texte de la décision.
21. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Critères - Lignes directrices arrêtées par la Commission - Montant de base de l'amende - Calcul en fonction de la valeur des ventes des entreprises participant à l'infraction dans le secteur géographique concerné - Accords mondiaux de répartition de marché - Prise en compte des ventes agrégées des entreprises concernées sur le marché mondial et des meilleures données disponibles - Violation du principe de proportionnalité - Absence
Arrêt du 21 mai 2014, Toshiba / Commission (T-519/09) (cf. points 272, 274-276, 283-286, 288-291)
22. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Cadre juridique - Article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 1/2003 - Pouvoir d'appréciation conféré à la Commission par ledit article - Introduction par la Commission de nouvelles lignes directrices pour le calcul des amendes - Violation des principes de légalité des peines et de sécurité juridique - Absence
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 12 juin 2014, Intel / Commission (T-286/09) (cf. point 1598)
23. Droit de l'Union européenne - Principes - Non-rétroactivité des dispositions pénales - Champ d'application - Décision de la Commission constatant une pratique anticoncurrentielle - Inclusion - Application rétroactive d'une nouvelle interprétation d'une norme établissant une infraction - Caractère prévisible de la nouvelle interprétation - Principes de légalité des peines et de sécurité juridique - Absence de violation
Voir le texte de la décision.
24. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation conféré à la Commission par l'article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003 - Violation du principe de légalité des peines - Absence - Caractère prévisible des modifications introduites par les nouvelles lignes directrices - Violation du principe de non-rétroactivité - Absence
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 11 juillet 2014, Sasol e.a. / Commission (T-541/08) (cf. points 202-214)
25. Actes des institutions - Application dans le temps - Règles de procédure - Règles de fond - Distinction - Expiration du traité CECA - Décision d'application des règles de concurrence adoptée après cette expiration et visant des faits antérieurs à celle-ci - Principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et de la légalité des peines - Situations juridiques acquises antérieurement à l'expiration du traité CECA - Soumission au régime juridique du traité CECA
L’application des règles du traité CE dans un domaine initialement régi par le traité CECA doit intervenir dans le respect des principes gouvernant l’application de la loi dans le temps. À cet égard, si les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, les règles de fond doivent être interprétées, en vue de garantir le respect des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, comme ne visant des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, finalités ou économie qu’un tel effet doit leur être attribué.
Dans cette perspective, s’agissant de la question des dispositions matérielles applicables à une situation juridique définitivement acquise antérieurement à l’expiration du traité CECA, la continuité de l’ordre juridique de l’Union et les exigences relatives aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime imposent l’application des dispositions matérielles prises en application du traité CECA aux faits relevant de leur champ d’application ratione materiae et ratione temporis. À cet égard, le principe de légalité des délits et des peines n'exige pas, à l'égard d'une décision infligeant une amende pour infraction aux règles de concurrence, que l'acte en cause soit illicite non seulement au moment de sa commission, mais également au moment de sa sanction formelle.
Arrêt du 9 décembre 2014, SP / Commission (T-472/09 et T-55/10) (cf. points 140, 141, 143-145)
L’application des règles du traité CE dans un domaine initialement régi par le traité CECA doit intervenir dans le respect des principes gouvernant l’application de la loi dans le temps. À cet égard, si les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, les règles de fond doivent être interprétées, en vue de garantir le respect des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, comme ne visant des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, finalités ou économie qu’un tel effet doit leur être attribué.
Dans cette perspective, s’agissant de la question des dispositions matérielles applicables à une situation juridique définitivement acquise antérieurement à l’expiration du traité CECA, la continuité de l’ordre juridique de l’Union et les exigences relatives aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime imposent l’application des dispositions matérielles prises en application du traité CECA aux faits relevant de leur champ d’application ratione materiae et ratione temporis. À cet égard, le principe de légalité des délits et des peines n'implique pas que la norme matérielle pour la violation de laquelle une sanction est infligée soit en vigueur non seulement au moment de la commission d’une illégalité, mais aussi au moment de l’adoption de la décision prononçant la sanction.
Arrêt du 9 décembre 2014, Lucchini / Commission (T-91/10) (cf. points 147, 148, 150-153)
Arrêt du 9 décembre 2014, IRO / Commission (T-69/10) (cf. points 116-119)
Arrêt du 9 décembre 2014, Feralpi / Commission (T-70/10) (cf. points 117, 118, 120-122)
Arrêt du 9 décembre 2014, Ferriere Nord / Commission (T-90/10) (cf. points 81, 82, 85-87, 121)
26. Droit de l'Union européenne - Principes - Principe de l'application rétroactive de la peine plus légère - Principe comptant parmi les principes généraux du droit de l'Union et inscrit à la charte des droits fondamentaux de l'Union - Détermination de la lex mitior - Critères - Loi la plus favorable in concreto
Arrêt du 9 décembre 2014, Riva Fire / Commission (T-83/10) (cf. points 83, 85)
27. Droit de l'Union européenne - Principes - Principe de l'application rétroactive de la peine plus légère - Principe comptant parmi les principes généraux du droit de l'Union et inscrit à la charte des droits fondamentaux de l'Union
Le principe de rétroactivité de la loi pénale plus favorable, tel que consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, fait partie du droit primaire de l’Union. Même avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui a conféré à la charte la même valeur juridique que les traités, il a été jugé que ce principe découlait des traditions constitutionnelles communes aux États membres et, partant, devait être considéré comme faisant partie des principes généraux du droit de l’Union que le juge national doit respecter lorsqu’il applique le droit national.
Arrêt du 6 octobre 2016, Paoletti e.a. (C-218/15) (cf. point 25)
Arrêt du 9 décembre 2014, Ferriere Nord / Commission (T-90/10) (cf. point 90)
28. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Critères - Gravité de l'infraction - Fixation de l'amende proportionnellement aux éléments d'appréciation de la gravité de l'infraction
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 12 décembre 2014, Eni / Commission (T-558/08) (cf. points 165-170, 175, 186)
29. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation conféré à la Commission par l'article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003 - Caractère prévisible des modifications introduites par les nouvelles lignes directrices - Violation des principes de non-rétroactivité et de protection de la confiance légitime - Absence
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 12 décembre 2014, H&R ChemPharm / Commission (T-551/08) (cf. points 294-304)
30. Harmonisation des législations fiscales - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres - Livraison intracommunautaire - Opération impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée - Assujetti ayant connu ou ayant dû connaître l'existence de la fraude - Réglementation nationale ne prévoyant pas de refus du bénéfice des droits à déduction, à exonération ou à remboursement dans le cas de l'existence d'une fraude - Obligation incombant aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice de tels droits
La sixième directive 77/388, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, telle que modifiée par la directive 95/7, doit être interprétée en ce sens qu’il incombe aux autorités et aux juridictions nationales d’opposer à un assujetti, dans le cadre d’une livraison intracommunautaire, un refus du bénéfice des droits à déduction, à exonération ou à remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, même en l’absence de dispositions du droit national prévoyant un tel refus, s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que, par l’opération invoquée pour fonder le droit concerné, il participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée commise dans le cadre d’une chaîne de livraisons.
En effet, il incombe, en principe, aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice d’un droit prévu par la sixième directive invoqué frauduleusement ou abusivement, qu’il s’agisse des droits à déduction, à exonération ou à remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée afférente à une livraison intracommunautaire. En l’absence de dispositions spécifiques en ce sens dans l’ordre juridique national, il incombe au juge national d’établir s’il existe dans le droit de l'État membre concerné des règles de droit, que ce soit une disposition ou un principe général, selon lesquelles l’abus de droit est prohibé ou bien d’autres dispositions relatives à la fraude ou à l’évasion fiscale qui pourraient être interprétées conformément aux exigences du droit de l’Union en matière de lutte contre la fraude fiscale.
S’il s’avérait cependant que le droit national ne comporte pas de telles règles susceptibles d’une interprétation conforme, il ne saurait néanmoins en être déduit que les autorités et les juridictions nationales seraient empêchées de respecter lesdites exigences et, ainsi, de refuser l’avantage tiré d’un droit prévu par la sixième directive dans l’hypothèse d’une fraude.
En effet, s'il est vrai qu'une directive ne peut être invoquée, en tant que telle, par l'État membre à l'encontre d'un assujetti, dans la mesure où des faits abusifs ou frauduleux ne sauraient fonder un droit prévu par l’ordre juridique de l’Union, le refus d’un avantage au titre de la sixième directive ne revient pas à imposer une obligation au particulier concerné en vertu de cette directive, mais n’est que la simple conséquence de la constatation selon laquelle les conditions objectives requises aux fins de l’obtention de l’avantage recherché, prévues par ladite directive en ce qui concerne ce droit, ne sont, en réalité, pas satisfaites.
Dans un tel cas de figure, une autorisation expresse ne saurait être requise afin que les autorités et les juridictions nationales puissent refuser un avantage au titre du système commun de la taxe sur la valeur ajoutée, cette conséquence devant être considérée comme inhérente audit système.
Par ailleurs, un assujetti qui n’a créé les conditions afférentes à l’obtention d’un droit qu’en participant à des opérations frauduleuses n’est manifestement pas fondé à se prévaloir des principes de protection de la confiance légitime ou de sécurité juridique afin de s’opposer au refus d’octroi du droit concerné.
Enfin, dès lors que le refus du bénéfice d’un droit découlant du système commun de la taxe sur la valeur ajoutée en cas d’implication de l’assujetti dans une fraude n’est que la simple conséquence de l’absence de réunion des conditions requises à cet égard par les dispositions pertinentes de la sixième directive, ce refus ne revêt pas le caractère d’une peine ou sanction, au sens de l’article 7 de la convention européenne des droits de l’homme ou de l’article 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
31. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Fixation du montant de base - Gravité de l'infraction - Critères d'appréciation - Marge d'appréciation réservée à la Commission - Limites - Respect des principes de proportionnalité et d'individualité des peines et des sanctions
Il ressort de l’article 49, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne que l’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction.
À cet égard, lors de la détermination du montant d'amendes infligées pour infraction aux règles de la concurrence, il y a lieu de tenir compte de tous les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité des accords et pratiques déclarés incompatibles avec le marché intérieur par l'article 101, paragraphe 1, TFUE et l'article 53, paragraphe 1, de l'accord EEE, tel que, notamment, le rôle joué par chacune des parties dans l’infraction et le risque que des infractions de ce type représentent pour les objectifs de l’Union. De même, le fait qu’une entreprise n’a pas participé à tous les éléments constitutifs d’une entente ou qu’elle a joué un rôle mineur dans les aspects auxquels elle a participé doit être pris en considération lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction et, le cas échéant, de la détermination de l’amende. En présence notamment d’une infraction unique, au sens d’infraction complexe, qui réunit un ensemble d’accords et de pratiques concertés sur des marchés distincts où les contrevenants ne sont pas tous présents ou peuvent n’avoir qu’une connaissance partielle du plan d’ensemble, les sanctions doivent être individualisées, en ce sens qu’elles doivent se rapporter aux comportements et aux caractéristiques propres aux entreprises concernées. Dans ce contexte, le principe de proportionnalité implique que l’amende soit fixée proportionnellement aux éléments à prendre en compte tant pour apprécier la gravité objective de l’infraction, en tant que telle, que pour apprécier la gravité relative de la participation à l’infraction de l’entreprise sanctionnée. Ainsi, en matière de sanction infligée pour violation du droit de la concurrence relatif aux ententes, la Commission doit veiller à individualiser les peines par rapport à l’infraction en tenant compte de la situation particulière de chaque contrevenant. À cet égard, un contrevenant qui n’est pas tenu pour responsable de certaines branches d’une infraction unique ne saurait avoir eu de
rôle dans la mise en œuvre desdits volets. Du fait de l’étendue limitée de l’infraction retenue à son égard, la violation du droit de la concurrence est nécessairement moins grave que celle imputée aux contrevenants ayant participé à l’ensemble des volets de l’infraction.
En conséquence, le principe de proportionnalité impose notamment à la Commission de prendre en considération, lors du calcul du montant de l'amende, le fait qu'une entreprise n'a participé, par l'intermédiaire d'un agent, qu'à un seul volet d'une infraction unique et que, pour ce volet, il ne peut être considéré, en l'absence de participation au niveau européen de l'entente globale, que tant l'objet que les effets de cette participation aient pu excéder le territoire d'un seul État membre. Lorsqu'une telle entreprise se voit infliger une amende identique à celle qu'elle aurait dû supporter si une participation à tous les volets de l'infraction unique lui avait été imputée, la décision de la Commission doit être annulée, faute d'avoir pris en compte la particularité de la situation de l'entreprise concernée. À cet égard, le simple fait que cette entreprise a pu avoir connaissance de la dimension paneuropéenne de l'entente globale, alors qu'une telle connaissance n'a pas été établie, ne saurait suffire pour prendre en considération, aux fins du calcul de l'amende, la valeur des ventes réalisées sur ces marchés, étant donné qu'il n'est pas établi pour ces derniers que ladite entreprise ait eu un comportement anticoncurrentiel.
32. Droit de l'Union européenne - Principes - Non-rétroactivité des dispositions pénales - Champ d'application - Amendes infligées en raison d'une violation des règles de concurrence - Inclusion - Portée - Modification des dispositions appliquées étant raisonnablement prévisible à l'époque de la commission des infractions concernées - Absence de violation du principe de non-rétroactivité
Arrêt du 9 septembre 2015, Philips / Commission (T-92/13) (cf. points 136-138)
33. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Limitation de l'exercice des droits et libertés consacrés par la charte - Conditions - Droit de vote et d'éligibilité - Rétroactivité de la loi pénale plus douce - Législation nationale prévoyant une interdiction du droit de vote en cas de condamnation pénale prononcée en dernier ressort avant le 1er mars 1994 - Admissibilité
Les articles 39, paragraphe 2, et 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s’opposent pas à ce qu’une législation d’un État membre exclue de plein droit du nombre des bénéficiaires du droit de vote aux élections au Parlement européen les personnes qui ont fait l’objet d’une condamnation pénale pour crime grave devenue définitive avant le 1er mars 1994.
Il est, certes, manifeste qu'une telle interdiction du droit de vote représente une limitation à l’exercice du droit garanti à l’article 39, paragraphe 2, de la charte. Toutefois, l’article 52, paragraphe 1, de la charte admet que des limitations peuvent être apportées à l’exercice de droits tels que ceux consacrés à l’article 39, paragraphe 2, de celle-ci, pour autant que ces limitations soient prévues par la loi, qu’elles respectent le contenu essentiel desdits droits et libertés et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles soient nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui. À cet égard, l’interdiction du droit de vote en cause résultant de l’application des dispositions combinées du droit national, il y a lieu de considérer que celle-ci est prévue par la loi. En outre, ladite limitation respecte le contenu essentiel du droit de vote visé à l’article 39, paragraphe 2, de la charte. En effet, cette limitation ne remet pas en cause ce droit en tant que tel, puisqu’elle a pour effet d’exclure, dans des conditions spécifiques et en raison de leur comportement, certaines personnes du groupe des bénéficiaires du droit de vote aux élections au Parlement, pour autant que lesdites conditions soient remplies. Enfin, une telle limitation s’avère proportionnée, dès lors, d'une part, qu’elle prend en compte la nature et la gravité de l’infraction pénale commise ainsi que la durée de la peine et, d'autre part, que le droit national offre la possibilité à une personne faisant l’objet d'une interdiction du droit de vote de demander et d’obtenir le relèvement de cette dernière.
S’agissant de la règle de la rétroactivité de la loi pénale plus douce, figurant à l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la charte, cette règle énonce que, si, postérieurement à une infraction, la loi prévoit une peine plus légère, celle-ci doit être appliquée. Or, cette règle n’est pas de nature à s’opposer à la législation nationale en cause, dès lors que cette législation se limite à maintenir l’interdiction du droit de vote résultant de plein droit d’une condamnation pénale uniquement pour des condamnations définitives, prononcées en dernier ressort sous l’empire de l’ancien code pénal.
Arrêt du 6 octobre 2015, Delvigne (C-650/13) (cf. points 45-49, 51, 53, 56, 58 et disp.)
34. Droit de l'Union européenne - Principes généraux du droit - Principe de légalité des peines - Portée
Le principe de légalité des délits et des peines ne saurait être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause.
La portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. La prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de l’affaire, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte.
Arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand / Commission (C-194/14 P) (cf. points 41, 42)
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest / Commission (T-704/14) (cf. points 377-394)
En 2016, Canon Inc. (ci-après « la requérante »), société multinationale japonaise spécialisée dans la fabrication de produits optiques et de traitement de l’image, a repris Toshiba Medical Systems Corporation (ci-après « TMSC »), une filiale à 100 % de Toshiba Corporation (ci-après « Toshiba »).
Cette acquisition a été réalisée en deux étapes, par le biais d’un véhicule de titrisation (MS Holding) créé spécifiquement à cette fin. Dans un premier temps, le 17 mars 2016, MS Holding a acquis certaines actions avec droit de vote de TMSC pour un montant d’environ 800 euros, alors que la requérante, en contrepartie du paiement de l’intégralité du prix convenu pour l’achat de TMSC (environ 5 280 000 000 euros), a acquis des options d’achat sur toutes les actions avec droit de vote restantes de TMSC. La requérante a, en outre, acquis l’unique action sans droit de vote de TMSC pour un montant d’environ 40 euros (ci-après l’« opération provisoire »).
Dans un second temps, le 19 décembre 2016, après avoir obtenu l’autorisation de la concentration par la Commission, la requérante a exercé ses options pour acquérir les actions avec droit de vote sous-jacentes de TMSC, tandis que TMSC a acheté ses actions avec droit de vote détenues par MS Holding ainsi que l’action sans droit de vote détenue par la requérante (ci-après l’« opération finale »). Par ces deux opérations, TMSC est devenue une filiale à 100 % de la requérante.
La raison d’être de cette acquisition échelonnée était que la vente de TMSC soit reconnue comme un apport en capital dans les comptes de Toshiba au plus tard le 31 mars 2016, sans que la requérante n’en acquière formellement le contrôle avant d’avoir obtenu les autorisations nécessaires auprès des autorités de concurrence compétentes.
Après une pré-notification envoyée par la requérante en mars 2016, la concentration a été notifiée à la Commission en août et autorisée par cette dernière en septembre de la même année.
Cependant, en parallèle, la Commission a ouvert une enquête en raison de possibles violations des obligations de notification et de suspension prévues par le règlement sur les concentrations{1}. En vertu de ces obligations, les entreprises parties à une concentration de dimension européenne doivent notifier à la Commission leurs projets pour examen avant leur mise à exécution (« obligation de notification »){2} et ne peuvent mettre à exécution l’opération notifiée avant d’avoir obtenu une autorisation de la part de cette dernière (« obligation de suspension »){3}.
Par sa décision du 27 juin 2019{4}, la Commission a constaté une violation desdites obligations par la requérante en ce que celle-ci aurait prématurément mis en œuvre son acquisition de TMSC. En substance, la Commission a considéré que, en procédant à l’opération provisoire, la requérante avait partiellement réalisé la concentration unique consistant en l’acquisition de TMSC et avait de ce fait violé les obligations de notification et de suspension. Pour cette raison, la Commission lui a infligé deux amendes d’un total de 28 millions d’euros.
La requérante a introduit un recours en annulation contre cette décision, lequel est rejeté intégralement par la sixième chambre du Tribunal.
Appréciation du Tribunal
Le Tribunal commence par rejeter l’argument de la requérante selon lequel l’opération provisoire n’aurait pas abouti à l’acquisition de contrôle de TMSC et ne serait dès lors pas constitutive d’une violation des obligations de notification et de suspension prévues par le règlement sur les concentrations.
En se référant à une jurisprudence de la Cour bien établie{5}, le Tribunal rappelle, à ce propos, que la réalisation d’une concentration a lieu dès que les parties à la concentration mettent en œuvre des opérations contribuant à changer durablement le contrôle sur l’entreprise cible. Toute réalisation partielle d’une concentration relève, ainsi, du champ d’application de l’obligation de suspension, ce qui répond à l’exigence d’assurer un contrôle efficace des concentrations. C’est dans cette optique que le règlement sur les concentrations traite comme une concentration unique des opérations étroitement liées, à la seule exception des cas où de telles opérations ne sont pas nécessaires pour parvenir à un changement du contrôle de l’entreprise cible et ne présentent donc pas un lien fonctionnel direct avec la réalisation de l’opération de concentration.
C’est ainsi à bon droit que la Commission avait observé que la jurisprudence de la Cour opère une distinction entre les notions de « concentration » et de « réalisation d’une concentration ». En effet, si une « concentration » n’est réputée réalisée que lorsqu’un changement durable du contrôle a lieu, la « réalisation » d’une concentration peut avoir lieu dès que les parties à une concentration mettent en œuvre des opérations contribuant à changer durablement le contrôle de l’entreprise cible, c’est-à-dire éventuellement avant l’acquisition du contrôle d’une telle entreprise.
Dès lors, le critère pour déterminer si les obligations de notification et de suspension ont été violées par la requérante n’est pas celui de savoir s’il y a eu acquisition du contrôle de TMSC avant l’autorisation de la concentration, mais celui de savoir si les actions contestées ont contribué, en tout ou en partie, en fait ou en droit, au changement de contrôle de cette entreprise avant cette date.
Dans ce contexte, le Tribunal récuse également l’argument de la requérante tiré du fait que le contrôle de l’opération de concentration par la Commission n’aurait à aucun moment et en aucune façon été entravé, étant donné que la requérante n’aurait acquis le contrôle sur TMSC qu’après avoir obtenu toutes les autorisations des autorités de concurrence concernées. Selon la requérante, tant que le contrôle n’est pas acquis, il n’y aurait pas de réalisation anticipée de la concentration. Une réalisation partielle d’une concentration exigerait ainsi l’acquisition d’un contrôle partiel. Toutefois, selon le Tribunal, soit le contrôle est acquis, dès lors qu’une entité a la possibilité d’exercer une influence déterminante sur la société cible, soit il ne l’est pas. Partant, un prétendu « contrôle partiel » ne peut être la condition d’une réalisation partielle de la concentration. Le Tribunal rappelle en outre que, pour être effectif, le contrôle de la Commission doit être réalisé avant la réalisation, même partielle, de la concentration.
En se référant à sa propre jurisprudence{6}, le Tribunal écarte, en outre, l’argumentation de la requérante selon laquelle l’opération provisoire n’aurait pas constitué une réalisation partielle de la concentration.
À cet égard, le Tribunal relève qu’une opération de concentration peut se réaliser en présence d’une pluralité de transactions juridiques formellement distinctes et que dans un tel cas de figure il revient à la Commission d’apprécier si ces transactions constituent une seule opération de concentration en ce qu’elles présentent un caractère unitaire. En présence de plusieurs transactions juridiquement distinctes, il incombe ainsi à la Commission d’identifier, en fonction des circonstances de fait et de droit propres à chaque cas d’espèce, la finalité économique poursuivie par les parties, en examinant si les entreprises concernées auraient été disposées à conclure chaque transaction prise isolément ou si, au contraire, chaque transaction ne constitue qu’un élément d’une opération plus complexe, sans laquelle elle n’aurait pas été conclue par les parties.
Dans ce contexte, la Commission n’a pas commis d’erreur en qualifiant l’opération provisoire de réalisation partielle de la concentration. En effet, c’est à bon droit qu’elle a constaté qu’à partir de la date de l’opération provisoire, et indépendamment des résultats de l’autorisation de concentration, la requérante avait acquis la possibilité d’exercer un certain degré d’influence sur TMSC puisque, suite à la réalisation de ladite opération, elle détenait la compétence exclusive de déterminer l’identité de l’acquéreur final de cette dernière.
Le Tribunal conteste également l’argument de la requérante tiré du fait que l’opération provisoire ne présenterait pas un lien fonctionnel direct avec le changement de contrôle de TMSC et n’aurait donc pas contribué au changement dudit contrôle. Le Tribunal estime que, sans la structure de transaction en deux étapes proposée par la requérante, Toshiba aurait été dans l’impossibilité de renoncer au contrôle de TMSC et de percevoir de manière irréversible le paiement de TMSC avant la fin du mois de mars 2016. De plus, dans le cadre de cette structure en deux étapes, l’opération provisoire constituait une étape nécessaire pour parvenir à une modification du contrôle de TMSC. En fait, l’objectif de cette structure en deux étapes était que l’opération provisoire permette, d’une part, à un acheteur intermédiaire d’acheter tous les titres de vote de TMSC et, d’autre part, à la requérante de verser le prix de TMSC à Toshiba de manière irréversible tout en obtenant le plus de certitudes quant au fait qu’elle acquerrait finalement le contrôle de TMSC.
Le Tribunal rejette le recours dans son intégralité et condamne la requérante au paiement des dépens.
{1} Règlement (CE) nº 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« le règlement CE sur les concentrations ») (JO 2004, L 24, p. 1, ci-après le « règlement sur les concentrations »).
{2} Règlement sur les concentrations, article 4, paragraphe 1.
{3} Règlement sur les concentrations, article 7, paragraphe 1.
{4} Décision C(2019) 4559 final de la Commission, du 27 juin 2019, infligeant des amendes pour défaut de notification d’une concentration en violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) nº 139/2004 et pour réalisation d’une concentration en violation de l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement (affaire M.8179 - Canon/Toshiba Medical Systems Corporation).
{5} Arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C-633/16, EU:C:2018:371).
{6} Arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T-282/02, EU:T:2006:64).
Arrêt du 18 mai 2022, Canon / Commission (T-609/19) (cf. points 382-391)
35. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Fixation du montant de base - Critères - Gravité de l'infraction - Fixation de l'amende proportionnellement aux éléments d'appréciation de la gravité de l'infraction - Facteurs à prendre en considération
36. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Fixation du montant de base - Détermination de la valeur des ventes - Gravité de l'infraction - Fixation de l'amende proportionnellement aux éléments d'appréciation de la gravité de l'infraction - Chiffre d'affaires global de l'entreprise concernée - Chiffre d'affaires réalisé avec les marchandises faisant l'objet de l'infraction - Prise en considération respective - Limites
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 29 février 2016, Schenker / Commission (T-265/12) (cf. points 244-248, 276)
Arrêt du 29 février 2016, UTi Worldwide e.a. / Commission (T-264/12) (cf. points 244-250, 270, 271)
Arrêt du 29 février 2016, Deutsche Bahn e.a. / Commission (T-267/12) (cf. points 175-179)
37. Droit de l'Union européenne - Principes - Principe de l'application rétroactive de la peine plus légère - Conditions d'application
L’application de la loi pénale plus favorable implique nécessairement une succession de lois dans le temps et repose sur la constatation que le législateur a changé d’avis soit sur la qualification pénale des faits soit sur la peine à appliquer à une infraction.
Arrêt du 6 octobre 2016, Paoletti e.a. (C-218/15) (cf. point 27)
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 7 août 2018, Clergeau e.a. (C-115/17) (cf. points 26, 33)
38. Contrôles aux frontières, asile et immigration - Politique d'immigration - Répression de l'aide à l'entrée, au transit et au séjour irréguliers - Sanction pénale infligée à des personnes ayant commis le délit d'aide à l'immigration illégale en faveur de ressortissants d'un État membre - Faits accomplis avant l'adhésion de cet État membre à l'Union européenne - Violation du principe de légalité des délits et des peines - Absence
L’article 6 TUE et l’article 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doivent être interprétés en ce sens que l’adhésion d’un État à l’Union ne fait pas obstacle à ce qu’un autre État membre puisse infliger une sanction pénale à des personnes ayant commis, avant cette adhésion, le délit d’assistance à l’immigration illégale en faveur de ressortissants du premier État.
En effet, une législation pénale nationale sanctionnant l’aide à l’immigration illégale d’une peine d’emprisonnement, conformément à l’article 3 de la directive 2002/90, définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers, et à l’article 1er de la décision-cadre 2002/946, visant à renforcer le cadre pénal pour la répression de l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers, qui prévoient qu’une telle infraction doit faire l’objet d’une sanction effective, proportionnée et dissuasive, vise, non pas les ressortissants de pays tiers qui entrent illégalement sur le territoire de cet État membre et y séjournent sans disposer d’un titre de résidence, mais les personnes qui aident à l’entrée et au séjour irréguliers desdits ressortissants sur le territoire de cet État. Le simple fait que, après leur entrée illégale, ces ressortissants sont devenus citoyens de l’Union en raison de l’adhésion de leur État d’origine à l’Union n’est pas susceptible d’influencer le déroulement des procédures pénales ouvertes contre ces personnes qui apportent une aide à l’immigration illégale.
Cette acquisition de la citoyenneté de l’Union constitue une situation de fait qui n’est pas de nature à modifier les éléments constitutifs du délit d’aide à l’immigration illégale.
Aucune disposition de la directive précitée ou d’un autre texte du droit de l’Union ne permet de considérer que l’acquisition de la citoyenneté de l’Union devrait entraîner la disparition de l’infraction commise par des prévenus qui se sont livrés au trafic de main-d’œuvre. Statuer dans un sens contraire reviendrait à encourager ce trafic dès qu’un État aurait engagé le processus d’adhésion à l’Union, puisque les trafiquants seraient assurés de bénéficier ensuite de l’immunité. Le but atteint serait, alors, contraire à celui recherché par le législateur de l’Union.
Arrêt du 6 octobre 2016, Paoletti e.a. (C-218/15) (cf. points 32-34, 36, 42 et disp.)
39. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Gel des fonds de certaines personnes et entités au regard de la situation en Ukraine - Validité des mesures restrictives à l'encontre de personnes physiques ou morales, prévues par la décision 2014/512/PESC et le règlement nº 833/2014 - Imposition, par un État membre, de sanctions pénales applicables en cas d'infraction aux dispositions du règlement nº 833/2014 - Violation des principes de sécurité juridique et de précision de la loi applicable - Absence - Conditions
L’examen de la deuxième question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 1er, paragraphe 2, sous b) à d), et paragraphe 3, de l’article 7 et de l’annexe III de la décision 2014/512, telle que modifiée par la décision 2014/872, ou des articles 3 et 3 bis, de l’article 4, paragraphes 3 et 4, de l’article 5, paragraphe 2, sous b) à d), et paragraphe 3, de l’article 11 ainsi que des annexes II et VI du règlement (UE) nº 833/2014 du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine, tel que modifié par le règlement (UE) nº 1290/2014 du Conseil, du 4 décembre 2014. Les principes de sécurité juridique et de précision de la loi applicable (nulla poena sine lege certa) doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne font pas obstacle à ce qu’un État membre impose des sanctions pénales devant s’appliquer en cas d’infraction aux dispositions du règlement nº 833/2014, tel que modifié par le règlement nº 1290/2014, conformément à l’article 8, paragraphe 1, de celui-ci, avant que la portée desdites dispositions et, partant, des sanctions pénales y afférentes, n’ait été précisée par la Cour de justice de l’Union européenne.
S’agissant, en premier lieu, du principe général de sécurité juridique, il y a lieu de rappeler que ce principe fondamental du droit de l’Union exige, notamment, qu’une réglementation soit claire et précise, afin que les justiciables puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C-344/04, EU:C:2006:10, point 68 ainsi que jurisprudence citée). Pour ce qui est, en second lieu, du principe de précision de la loi applicable (nulla poena sine lege certa), cité par la juridiction de renvoi, il convient de constater que ce principe, qui relève de l'article 49 de la Charte, intitulé "Principes de légalité et de proportionnalité des délits et peines", et qui, selon la jurisprudence de la Cour, constitue une expression particulière du principe général de sécurité juridique (voir arrêt du 3 juin 2008, Intertanko e.a., C-308/06, EU:C:2008:312, point 70, implique, notamment, que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (arrêt du 3 mai 2007, Advocaten voor de Wereld, C-303/05, EU:C:2007:261, point 50). En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le principe de précision de la loi applicable ne saurait être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par des interprétations jurisprudentielles, pour autant que celles-ci sont raisonnablement prévisibles (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, EU:C:2005:408, points 217 et 218).
Arrêt du 28 mars 2017, Rosneft (C-72/15) (cf. points 161, 162, 167, 170, disp. 2)
40. Droit de l'Union européenne - Principes - Principe de l'application rétroactive de la peine plus légère - Conditions d'application - Adoption d'une décision de sanction administrative sans prendre en considération les dispositions rétroactivement applicables d'un régime moins sévère - Inadmissibilité
Le principe de l’application rétroactive de la loi répressive moins sévère fait partie des traditions constitutionnelles communes aux États membres, de sorte qu’il doit être considéré comme un principe général du droit de l’Union dont le juge assure le respect. Il est plus particulièrement exprimé à l’article 2, paragraphe 2, seconde phrase, du règlement nº 2988/95, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes. Selon cette disposition, il incombe aux autorités compétentes d’appliquer de manière rétroactive, à un comportement constitutif d’une irrégularité qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget de l’Union ou à des budgets gérés par celle-ci, les modifications ultérieures apportées par des dispositions contenues dans une réglementation sectorielle de l’Union instituant des sanctions administratives moins sévères. À cet égard, en présence d’une évolution de la réglementation concernant des sanctions administratives qui conduirait à ce que, sur certains aspects, la nouvelle réglementation soit moins sévère, mais sur d’autres aspects plus sévère que l’ancienne, il y a lieu, afin de déterminer la réglementation la plus clémente, non de procéder à une analyse abstraite, mais de déterminer celle qui, in concreto, est la plus favorable à l’entreprise en cause, compte tenu de sa situation.
L’article 106, paragraphe 7, sous a), du règlement nº 966/2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, dans la version applicable à compter du 1er janvier 2016, qui établit l’impossibilité d’exclure des marchés et des subventions de l’Union un opérateur qui a pris certaines mesures correctrices démontrant sa fiabilité, constitue clairement une disposition moins sévère que celle précédemment applicable. En effet, la réunion de ces conditions, même si elle peut nécessiter une démonstration exigeante, permet désormais de bénéficier d’une exonération totale de sanction d’exclusion, alors qu’auparavant elle ne débouchait pas nécessairement sur une telle exonération. Doit, dès lors, être annulée une décision de la Commission portant sanction administrative d’exclusion d’une entreprise des procédures d’attribution de marchés et de subventions financés par le budget général de l’Union, laquelle a été adoptée sans qu’apparaissent avoir été prises en considération des dispositions d’un régime répressif moins sévère qui, appliqué aux faits de l’espèce, aurait pu aboutir à une décision plus clémente.
Arrêt du 27 juin 2017, NC / Commission (T-151/16) (cf. points 53-55, 57, 63)
41. Droit de l'Union européenne - Principes - Principe de légalité des peines - Portée
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 10 novembre 2017, Icap e.a. / Commission (T-180/15) (cf. points 193-196)
S’agissant des exigences découlant du principe de légalité des délits et des peines, il convient de relever, premièrement, que la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, à propos de l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH, que, en vertu de ce principe, les dispositions pénales doivent respecter certaines exigences d’accessibilité et de prévisibilité en ce qui concerne tant la définition de l’infraction que la détermination de la peine (voir Cour EDH, 15 novembre 1996, Cantoni c. France, CE:ECHR:1996:1115JUD001786291, § 29 ; Cour EDH, 7 février 2002, E.K. c. Turquie, CE:ECHR:2002:0207JUD002849695, § 51 ; Cour EDH, 29 mars 2006, Achour c. France, CE:ECHR:2006:0329JUD006733501, § 41, et Cour EDH, 20 septembre 2011, OAO Neftyanaya Kompaniya Yukos c. Russie, CE:ECHR:2011:0920JUD001490204, § 567 à 570). Deuxièmement, il convient de souligner que l’exigence de précision de la loi applicable, qui est inhérente audit principe, implique que la loi définisse de manière claire les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C-72/15, EU:C:2017:236, point 162). Troisièmement, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale s’oppose notamment à ce qu’un juge puisse, au cours d’une procédure pénale, soit sanctionner pénalement un comportement qui n’est pas interdit par une règle nationale adoptée avant la commission de l’infraction reprochée, soit aggraver le régime de responsabilité pénale de ceux qui font l’objet d’une telle procédure (voir, par analogie, arrêt du 8 novembre 2016, Ognyanov, C-554/14, EU:C:2016:835, points 62 à 64 ainsi que jurisprudence citée).
Arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C-42/17) (cf. points 55-57)
Au cours de l’année 2010, C.I., C.O., K.A., L.N. et S.P. (ci-après les « intéressés ») ont omis d’indiquer dans leurs documents comptables les opérations commerciales et les revenus afférents à la vente, à des bénéficiaires internes, de gazole acquis en régime de suspension de droits d’accise, portant ainsi préjudice au budget de l’État, notamment en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et les droits d’accise sur le gazole.
Par un arrêt publié le 25 juin 2018, la Curtea Constitutională (Cour constitutionnelle, Roumanie) a déclaré inconstitutionnelle une disposition nationale gouvernant l’interruption du délai de prescription de la responsabilité pénale au motif qu’elle méconnaissait le principe de légalité des délits et des peines{1}. Cette même juridiction a ensuite précisé, dans un arrêt publié le 9 juin 2022, que, eu égard à l’absence d’intervention du législateur roumain immédiatement après cet arrêt de 2018, le droit positif roumain ne prévoyait aucune cause d’interruption dudit délai de prescription entre la date de publication de ce dernier arrêt et celle de l’entrée en vigueur, le 30 mai 2022, de la disposition remplaçant la disposition invalidée{2}.
Par un arrêt rendu le 30 juin 2020, la Curtea de Apel Brașov (cour d’appel de Brașov, Roumanie), qui est la juridiction de renvoi, a ordonné la condamnation des intéressés, ou la confirmation de celle-ci, à des peines d’emprisonnement pour des infractions de fraude fiscale et d’association de malfaiteurs. Les intéressés ont introduit contre cet arrêt des recours extraordinaires en annulation, au motif qu’ils avaient été condamnés alors même que le délai de prescription de leur responsabilité pénale avait déjà expiré. Plus particulièrement, ils ont fait valoir que le fait que, durant la période susmentionnée, le droit positif ne prévoyait aucune possibilité d’interrompre les délais de prescription constituait, en soi, une loi pénale plus favorable qui devrait leur être appliquée conformément au principe de l’application rétroactive de la loi pénale plus favorable (lex mitior). Ils ont invoqué dans ce contexte un arrêt du 25 octobre 2022 de l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), par lequel celle-ci avait jugé qu’une condamnation définitive peut, en principe, faire l’objet d’un recours extraordinaire en annulation fondé sur les effets des arrêts de la Cour constitutionnelle en tant que loi pénale plus favorable (lex mitior){3}.
La juridiction de renvoi constate que, si une telle interprétation devait être retenue, le délai de prescription aurait, en l’occurrence, expiré avant que la décision de condamnation des intéressés ne soit devenue définitive, ce qui entraînerait la clôture de la procédure pénale et l’impossibilité de condamner ces derniers.
Cette juridiction s’interroge sur la compatibilité avec le droit de l’Union de cette interprétation, en ce qu’elle aurait pour effet d’exonérer les intéressés de leur responsabilité pénale pour des infractions de fraude grave portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Par ailleurs, elle souligne qu’elle pourrait être amenée, s’il s’avère qu’une interprétation conforme au droit de l’Union n’est pas possible, à devoir laisser inappliqués les arrêts de la Cour constitutionnelle et/ou de la Haute Cour de cassation et de justice. Or, le nouveau régime disciplinaire permet de sanctionner les juges qui auraient, de mauvaise foi ou par négligence grave, méconnu des arrêts de ces juridictions.
Dans le cadre de la procédure préjudicielle d’urgence enclenchée d’office, la Cour, réunie en grande chambre, précise les obligations qui résultent pour les États membres, d’une part, des exigences de lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union et, d’autre part, de l’impératif de respect des droits fondamentaux, tels que protégés en droit de l’Union et en droit national.
Appréciation de la Cour
La Cour constate que ni l’article 325, paragraphe 1, TFUE, ni l’article 2, paragraphe 1, de la convention PIF{4} n’obligent les juridictions d’un État membre à laisser inappliqués les arrêts de la Cour constitutionnelle invalidant la disposition législative nationale qui régit les causes d’interruption du délai de prescription en matière pénale, même si ces arrêts impliquent qu’un nombre considérable d’affaires pénales, relatives notamment à des infractions de fraude grave portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, seront clôturées en raison de la prescription de la responsabilité pénale.
À cet égard, la Cour précise tout d’abord que, bien que l’adoption des règles gouvernant la prescription de la responsabilité pénale pour infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union relevait, à la date des faits au principal, de la compétence des États membres, ces derniers sont tenus, dans l’exercice de cette compétence, de respecter les obligations découlant du droit de l’Union. Ainsi, ils se doivent de lutter contre la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union par des mesures dissuasives et effectives ainsi que de prendre les mesures nécessaires pour que les comportements constitutifs d’une fraude portant atteinte à des tels intérêts, y compris les fraudes à la TVA, soient passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives. À ce titre, ces États doivent veiller à ce que les règles de prescription prévues par le droit national permettent une répression effective des infractions liées à de telles fraudes.
Or, l’application des arrêts de la Cour constitutionnelle invalidant la disposition législative nationale qui régit les causes d’interruption du délai de prescription de la responsabilité pénale entraînerait la clôture de la procédure pénale et l’impossibilité de condamner les intéressés. Cette application pourrait, en outre, conduire à la suppression de la responsabilité pénale dans un nombre considérable d’autres affaires, entraînant ainsi un risque systémique d’impunité pour les infractions de fraude grave portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Un tel risque est incompatible avec les obligations imposées aux États membres par l’article 325, paragraphe 1, TFUE et l’article 2, paragraphe 1, de la convention PIF.
Ces dispositions étant d’effet direct, en vertu du principe de primauté du droit de l'Union, il incombe, en principe, aux juridictions nationales de donner plein effet aux obligations découlant de celles-ci, en laissant au besoin inappliquées des dispositions internes qui, dans le cadre d’une procédure concernant des fraudes graves portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, font obstacle à l’application de sanctions effectives et dissuasives pour lutter contre de telles infractions. Il apparaît ainsi que, en principe, ces juridictions sont tenues de laisser inappliqués lesdits arrêts.
Cela étant, dès lors que les procédures pénales concernant les infractions en matière de TVA constituent une mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), il est encore nécessaire de vérifier si l’obligation de laisser inappliqués de tels arrêts se heurte à la protection des droits fondamentaux et, en l’occurrence, de ceux consacrés, dans l’ordre juridique de l’Union, à l’article 49, paragraphe 1, de la Charte{5}. Dans la mesure où les règles gouvernant la prescription en matière pénale ne relèvent pas du champ d’application de cette disposition, l’obligation de laisser inappliqués lesdits arrêts n’est pas de nature à porter atteinte aux droits fondamentaux tels qu’ils sont garantis à ladite disposition.
Toutefois, lorsqu’une juridiction d’un État membre est appelée à contrôler la conformité aux droits fondamentaux d’une disposition ou d’une mesure nationale qui, dans une situation dans laquelle l’action des États membres n’est pas entièrement déterminée par le droit de l’Union, met en œuvre ce droit au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, il reste loisible aux autorités et aux juridictions nationales d’appliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pourvu que cette application ne compromette pas le niveau de protection prévu par la Charte, ni la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union. Dans la mesure où, en droit roumain, les règles relatives à l’interruption du délai de prescription de la responsabilité pénale relèvent du droit pénal matériel et, par conséquent, sont soumises au principe de légalité des délits et des peines ainsi qu’au principe de l’application rétroactive de la loi pénale plus favorable (lex mitior), ces principes doivent être considérés comme des standards nationaux de protection des droits fondamentaux.
À cet égard, la Cour, en premier lieu, rappelle l’importance, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, que revêt le principe de légalité des délits et des peines, dans ses exigences relatives à la prévisibilité, à la précision et à la non-rétroactivité de la loi pénale. Ces exigences constituent une expression particulière du principe de sécurité juridique qui est un élément essentiel de l’État de droit, lequel est identifié à l’article 2 TUE à la fois en tant que valeur fondatrice de l’Union et en tant que valeur commune aux États membres.
En l’occurrence, la Cour constitutionnelle a fait application d’un standard national de protection du principe de légalité des délits et des peines, dans ses exigences relatives à la prévisibilité et à la précision de la loi pénale, qui complète la protection contre l’arbitraire en matière pénale telle qu’offerte par le droit de l’Union, au titre du principe de sécurité juridique. Au regard de l’importance de cette protection contre l’arbitraire, un tel standard peut faire obstacle à l’obligation incombant aux juridictions nationales en vertu de l’article 325, paragraphes 1 et 2, TFUE de laisser inappliquées des dispositions nationales gouvernant la prescription en matière pénale.
En deuxième lieu, la Cour dit pour droit que, en vertu de l’article 325, paragraphe 1, TFUE et de l’article 2, paragraphe 1, de la convention PIF, les juridictions d’un État membre sont, en revanche, tenues de laisser inappliqué un standard national de protection relatif au principe de l’application rétroactive de la loi pénale plus favorable (lex mitior) qui permet de remettre en cause, y compris dans le cadre de recours dirigés contre des jugements définitifs, l’interruption du délai de prescription de la responsabilité pénale dans les affaires relatives à des infractions de fraude grave portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union par des actes de procédure intervenus avant le constat d’invalidité de la disposition législative nationale qui régit les causes d’interruption du délai de prescription en matière pénale.
En effet, contrairement au standard national de protection relatif au principe de légalité des délits et des peines, dans ses exigences relatives à la prévisibilité et à la précision de la loi pénale, qui se limite à neutraliser l’effet interruptif d’actes de procédure survenus durant la période allant du 25 juin 2018, date de la publication de l'arrêt constatant l’invalidité de la disposition législative nationale en cause, au 30 mai 2022, date de l’entrée en vigueur de la disposition remplaçant cette disposition, le standard national de protection relatif au principe de l’application rétroactive de la loi pénale plus favorable (lex mitior) permettrait de neutraliser l’effet interruptif d’actes de procédure survenus avant même le 25 juin 2018. L’application d’un tel standard national de protection aggrave ainsi le risque systémique d’impunité pour des infractions de fraude grave portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, en méconnaissance des exigences établies à l’article 325 TFUE et à l’article 2, paragraphe 1, de la convention PIF.
Dans de telles circonstances, compte tenu de la nécessaire mise en balance de ce dernier standard national de protection avec les dispositions de l’article 325 TFUE et de l’article 2, paragraphe 1, de la convention PIF, l’application, par un juge national, dudit standard est de nature à compromettre la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union.
En dernier lieu, la Cour constate que le principe de primauté s’oppose à une réglementation ou à une pratique nationale en vertu de laquelle les juridictions nationales de droit commun d’un État membre sont liées par les décisions de la Cour constitutionnelle et de celles de la juridiction suprême de cet État membre et ne peuvent, pour cette raison, au risque d’engager la responsabilité disciplinaire des juges concernés, laisser inappliquée d’office la jurisprudence résultant de ces décisions, même si elles considèrent, à la lumière d’un arrêt de la Cour, que cette jurisprudence est contraire à des dispositions du droit de l’Union d’effet direct. En effet, le fait, pour une juridiction nationale, d’exercer les missions qui lui sont confiées par les traités et de respecter les obligations qui pèsent sur elle en vertu de ceux-ci, en donnant, conformément au principe de primauté du droit de l’Union, effet à une disposition de ce droit telle que l’article 325, paragraphe 1, TFUE ou l’article 2, paragraphe 1, de la convention PIF, et à l’interprétation qu’en a donné la Cour ne saurait, par définition, être érigé en infraction disciplinaire dans le chef des juges siégeant dans une telle juridiction sans que ladite disposition et ce principe s’en trouvent ipso facto enfreints.
{1} Cette disposition, à savoir l’article 155, paragraphe 1, du code pénal roumain, prévoyait l’interruption du délai de prescription de la responsabilité pénale par la réalisation de « tout acte de procédure ». Selon la Cour constitutionnelle, cette disposition était dépourvue de prévisibilité et méconnaissait le principe de légalité des délits et des peines, eu égard au fait que l’expression « tout acte de procédure » visait également les actes qui n’étaient pas communiqués au suspect ou au prévenu, l’empêchant ainsi de prendre connaissance de la circonstance qu’un nouveau délai de prescription de sa responsabilité pénale avait commencé à courir.
{2} L’article 155, paragraphe 1, du code pénal a été modifié en ce sens que le délai de prescription de la responsabilité pénale est interrompu par tout acte de procédure devant être communiqué au suspect ou au prévenu.
{3} Dans cet arrêt du 25 octobre 2022, la Haute Cour de cassation et de justice a précisé que, en droit roumain, les règles relatives à l’interruption du délai de prescription de la responsabilité pénale relèvent du droit pénal matériel et que, par conséquent, elles sont soumises au principe de non-rétroactivité de la loi pénale, sans préjudice du principe de l’application rétroactive de la loi pénale plus favorable (lex mitior).
{4} La convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, signée à Bruxelles le 26 juillet 1995 et annexée à l’acte du Conseil du 26 juillet 1995 (JO 1995, C 316, p. 48, ci-après la « convention PIF »).
{5} Cette disposition, qui consacre en droit de l’Union le principe de légalité des délits et des peines et le principe de l’application rétroactive de la loi pénale plus favorable (lex mitior), est libellée comme suit : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou le droit international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit une peine plus légère, celle-ci doit être appliquée ».
Arrêt du 24 juillet 2023, Lin (C-107/23 PPU) (cf. points 104-108)
42. Ressources propres de l'Union européenne - Protection des intérêts financiers de l'Union - Lutte contre la fraude et autres activités illégales - Obligation des États membres de mettre en place des sanctions effectives et dissuasives - Portée - Infractions fiscales en matière de taxe sur la valeur ajoutée - Législation nationale faisant obstacle à l'infliction de sanctions pénales effectives et dissuasives - Inadmissibilité - Obligation du juge national de laisser inappliquées les dispositions nationales concernées - Condition - Respect du principe de légalité des délits et des peines
L’article 325, paragraphes 1 et 2, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il impose au juge national de laisser inappliquées, dans le cadre d’une procédure pénale concernant des infractions relatives à la taxe sur la valeur ajoutée, des dispositions internes en matière de prescription relevant du droit matériel national qui font obstacle à l’infliction de sanctions pénales effectives et dissuasives dans un nombre considérable de cas de fraude grave portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne ou qui prévoient des délais de prescription plus courts pour les cas de fraude grave portant atteinte auxdits intérêts que pour ceux portant atteinte aux intérêts financiers de l’État membre concerné, à moins qu’une telle inapplication entraîne une violation du principe de légalité des délits et des peines, en raison d’un défaut de précision de la loi applicable, ou au motif de l’application rétroactive d’une législation imposant des conditions d’incrimination plus sévères que celles en vigueur au moment de la commission de l’infraction.
Il en résulte, d’une part, qu’il incombe au juge national de vérifier si le constat requis par le point 58 de l’arrêt Taricco, selon lequel les dispositions du code pénal en cause empêchent l’infliction de sanctions pénales effectives et dissuasives dans un nombre considérable de cas de fraude grave portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, conduit à une situation d’incertitude dans l’ordre juridique italien, quant à la détermination du régime de prescription applicable, qui méconnaîtrait le principe de précision de la loi applicable. Si tel est effectivement le cas, le juge national n’est pas tenu de laisser inappliquées les dispositions du code pénal en cause. D’autre part, les exigences mentionnées au point 58 du présent arrêt font obstacle à ce que, dans des procédures concernant des personnes accusées d’avoir commis des infractions en matière de TVA avant le prononcé de l’arrêt Taricco, le juge national laisse inappliquées les dispositions du code pénal en cause. En effet, la Cour a déjà souligné, au point 53 dudit arrêt, que ces personnes pourraient, en raison de la non-application de ces dispositions, se voir infliger des sanctions auxquelles, selon toute probabilité, elles auraient échappé si lesdites dispositions avaient été appliquées. Ainsi, lesdites personnes pourraient être rétroactivement soumises à des conditions d’incrimination plus sévères que celles en vigueur au moment de la commission de l’infraction.
Arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C-42/17) (cf. points 59, 60, 62 et disp.)
43. Droit de l'Union européenne - Principes - Non-rétroactivité des dispositions pénales - Champ d'application - Amendes infligées à un État membre dans le cadre de la surveillance économique et budgétaire de la zone euro - Inclusion
Le principe de non-rétroactivité des dispositions pénales constitue un principe général du droit de l’Union. Ce principe général de droit exige que l’infraction imputée à une personne et la sanction infligée à ce titre correspondent à celles qui étaient prévues au moment où l’action ou l’omission qui constitue cette infraction a été commise. Plus particulièrement, ledit principe général de droit trouve à s’appliquer également à des amendes qui revêtent une nature administrative. En conséquence, l’infliction d’une amende, au titre de l’article 8, paragraphe 1, du règlement nº 1173/2011, sur la mise en œuvre efficace de la surveillance budgétaire dans la zone euro, ne saurait être soustraite à l’application du même principe général de droit, nonobstant le fait que l’article 9 de ce règlement précise qu’une telle sanction revêt un caractère administratif.
Arrêt du 20 décembre 2017, Espagne / Conseil (C-521/15) (cf. points 145, 146)
44. Droit de l'Union européenne - Principes - Non-rétroactivité des dispositions pénales - Invocation par un État membre - Admissibilité
Les États membres sont en droit d’invoquer le principe général de non-rétroactivité des dispositions pénales, pour mettre en cause la légalité des amendes qui leur sont infligées en cas de méconnaissance du droit de l’Union.
Arrêt du 20 décembre 2017, Espagne / Conseil (C-521/15) (cf. point 147)
45. Transports - Transports par route - Dispositions sociales - Repos hebdomadaire - Prise du temps de repos hebdomadaire normal à bord du véhicule - Exclusion - Violation du principe de légalité en matière pénale - Absence
L’article 8, paragraphes 6 et 8, du règlement (CE) nº 561/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, modifiant les règlements (CEE) nº 3821/85 et (CE) nº 2135/98 du Conseil et abrogeant le règlement (CEE) nº 3820/85 du Conseil, doit être interprété en ce sens qu’un conducteur ne peut pas prendre, à bord de son véhicule, les temps de repos hebdomadaires normaux visés audit article 8, paragraphe 6.
L’examen de la deuxième question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement nº 561/2006 eu égard au principe de légalité en matière pénale tel qu’énoncé à l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Arrêt du 20 décembre 2017, Vaditrans (C-102/16) (cf. disp. 1, 2)
46. Droit de l'Union européenne - Principes - Principe de l'application rétroactive de la peine plus légère - Adoption d'une sanction à l'égard d'une personne ayant commis de fausses déclarations ou manœuvres afin d'obtenir des restitutions à l'exportation de certaines viandes désossées - Modification ultérieure des conditions d'éligibilité des restitutions de manière à ouvrir droit au bénéfice de celles-ci pour les marchandises visées par la demande initiale - Violation - Absence
Le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce, consacré à l’article 49, paragraphe 1, troisième phrase, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une personne soit condamnée pour avoir indûment obtenu des restitutions particulières à l’exportation prévues par le règlement (CEE) nº 1964/82 de la Commission, du 20 juillet 1982, arrêtant les conditions d’octroi de restitutions particulières à l’exportation pour certaines viandes bovines désossées, par le moyen de manœuvres ou de fausses déclarations portant sur la nature des marchandises pour lesquelles les restitutions étaient demandées, alors que, à la suite d’une modification de ce règlement intervenue postérieurement aux faits incriminés, les marchandises qu’elle a exportées sont devenues éligibles à ces restitutions.
Or, il y a lieu de relever, d’une part, que, comme il ressort du dossier soumis à la Cour, depuis la commission de l’infraction en cause au principal, l’incrimination prévue à l’article 426.4º du code des douanes n’a fait l’objet d’aucune modification par le législateur français. Les fausses déclarations ou les manœuvres ayant pour effet d’obtenir un avantage attaché à l’exportation, tel qu’une restitution particulière à l’exportation prévue par le règlement nº 1964/82, demeurent donc pénalement répréhensibles de la même manière qu’à la date des faits en cause au principal. D’autre part, s’agissant de la modification intervenue dans le cadre de la réglementation de l’Union rappelée au point 31 du présent arrêt, il convient de souligner que, ainsi qu’il ressort du deuxième considérant du règlement nº 2469/97, l’introduction d’une restitution particulière à l’exportation des morceaux désossés provenant de quartiers avant des gros bovins mâles visait à adapter ladite réglementation aux réalités changeantes du marché de la viande, et notamment à l’évolution de la situation du marché mondial qui a suivi la mise en œuvre des accords conclus dans le cadre des négociations commerciales multilatérales du cycle d’Uruguay. Partant, le choix du législateur de l’Union de modifier les critères d’éligibilité prévus à l’article 1er du règlement nº 1964/82 s’est fondé sur une appréciation purement économique et technique de la situation du marché global de la viande.
Arrêt du 7 août 2018, Clergeau e.a. (C-115/17) (cf. points 34, 36, 37, 41 et disp.)
47. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Restrictions à l'exportation et à l'accès au marché des capitaux de l'Union - Imposition, par un État membre, de sanctions pénales applicables en cas d'infraction aux dispositions du règlement nº 833/2014 - Violation des principes de sécurité juridique et de précision de la loi applicable - Absence - Conditions
Arrêt du 13 septembre 2018, NK Rosneft e.a. / Conseil (T-715/14) (cf. points 225, 226, 228-231, 235)
48. Droits fondamentaux - Principe de proportionnalité des délits et des peines - Portée
Le principe de proportionnalité impose aux États membres d’adopter des mesures propres à réaliser les objectifs poursuivis et n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (voir, en ce sens, arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C-414/16, EU:C:2018:257, point 68 et jurisprudence citée). Ce principe qui est également garanti par l’article 49, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la "Charte"), lequel prévoit que l’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction, s’impose aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Ainsi, la sévérité d’une sanction doit correspondre à la gravité de l’infraction concernée, une telle exigence découlant tant de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte que du principe de proportionnalité des peines inscrit à l’article 49, paragraphe 3, de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 20 mars 2018, Garlsson Real Estate e.a., C-537/16, EU:C:2018:193, point 56). Il s’ensuit que le principe de proportionnalité exige, d’une part, que la sanction infligée corresponde à la gravité de l’infraction et, d’autre part, que, lors de la détermination de la sanction ainsi que de la fixation du montant de l’amende, il soit tenu compte des circonstances individuelles du cas d’espèce.
Arrêt du 4 octobre 2018, Link Logistik N&N (C-384/17) (cf. points 40-42, 45)
49. Agriculture - Financement par le FEAGA et le Feader - Système intégré de gestion et de contrôle relatif à certains régimes d'aides - Réductions et exclusions en cas de non-respect des règles de la conditionnalité - Calcul - Applicabilité de deux réglementations prévoyant des modalités de calcul différentes - Principe de l'application rétroactive de la peine plus légère - Application des dispositions plus favorables au bénéficiaire
Arrêt du 4 octobre 2018, Grèce / Commission (T-272/16) (cf. points 224-227, 231)
50. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Principe de légalité des délits et des peines - Portée - Prévisibilité du caractère infractionnel du comportement sanctionné - Accord à l'amiable en matière de brevets conclu entre un laboratoire de princeps et une entreprise de médicaments génériques - Accord de licence et de fourniture conclu entre une filiale du laboratoire de princeps et l'entreprise de médicaments génériques - Accords contraires au droit de la concurrence - Filiale ne pouvant ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement et de celui de sa société mère
La répression efficace des infractions en matière de droit de la concurrence ne peut aller jusqu’à méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, tel que consacré à l’article 49 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ce principe ne saurait, toutefois, être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause.
La portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. La prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de l’affaire, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte.
À cet égard, une société de génériques peut supposer que sa société mère, une société de princeps, en incitant d'autres sociétés de génériques à se soumettre, dans le cadre d'un accord de règlement amiable en matière de brevets, à des clauses de non-commercialisation et de non-contestation, par elles-mêmes restrictives de la concurrence, fait perdre toute légitimité à l’insertion de telles clauses dans l'accord de règlement amiable. En effet, une telle insertion ne repose plus alors sur la reconnaissance par les parties aux accords de la validité du brevet et révèle ainsi un usage anormal du brevet, sans rapport avec son objet spécifique. La filiale peut également supposer que le fait qu'elle ait donné une incitation supplémentaire à une société de génériques, par le biais d'un accord de licence et de fourniture conclu avec cette dernière, est de nature à renforcer les effets restrictifs de l’accord conclu par sa société mère. Dans de telles circonstances, la filiale peut donc raisonnablement prévoir qu’elle adopte un comportement relevant de l’interdiction édictée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
Si, du fait que les accords en cause sont conclus sous la forme de règlements amiables relatifs à un brevet, le caractère infractionnel de ces accords peut ne pas apparaître, de manière claire, à un observateur extérieur tel que la Commission ou des juristes spécialisés dans les domaines en cause, il n’en va pas de même pour les parties à l’accord.
Arrêt du 12 décembre 2018, Biogaran / Commission (T-677/14) (cf. points 251, 252, 255, 260)
51. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Principe de légalité des délits et des peines - Portée - Prévisibilité du caractère infractionnel du comportement sanctionné - Accord à l'amiable en matière de brevets conclu entre un laboratoire de princeps et une entreprise de médicaments génériques - Accord contraire au droit de la concurrence - Entreprise de médicaments génériques ne pouvant ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement
Voir texte de la décision.
Voir texte de la décision.
Voir texte de la décision.
Voir texte de la décision.
Voir texte de la décision.
Arrêt du 27 juin 2024, Lupin / Commission (C-144/19 P) (cf. points 99-107)
Arrêt du 27 juin 2024, Mylan Laboratories et Mylan / Commission (C-197/19 P) (cf. points 155-161)
Arrêt du 12 décembre 2018, Teva UK e.a. / Commission (T-679/14) (cf. points 349-381)
Arrêt du 12 décembre 2018, Lupin / Commission (T-680/14) (cf. points 272-287)
Arrêt du 12 décembre 2018, Mylan Laboratories et Mylan / Commission (T-682/14) (cf. points 243-255)
Arrêt du 12 décembre 2018, Niche Generics / Commission (T-701/14) (cf. points 428-454)
Arrêt du 12 décembre 2018, Unichem Laboratories / Commission (T-705/14) (cf. points 510-537)
52. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Principe de légalité des délits et des peines - Portée - Prévisibilité du caractère infractionnel du comportement sanctionné - Accord à l'amiable en matière de brevets conclu entre un laboratoire de princeps et une entreprise de médicaments génériques - Accord contraire au droit de la concurrence - Société de princeps ne pouvant ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement
La répression efficace des infractions en matière de droit de la concurrence ne peut aller jusqu’à méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, tel que consacré à l’article 49 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ce principe ne saurait, toutefois, être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause.
La portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. La prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de l’affaire, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte.
À cet égard, une société de princeps peut supposer que, en incitant des sociétés de génériques à se soumettre, dans le cadre d'un accord de règlement amiable en matière de brevets, à des clauses de non-commercialisation et de non-contestation, par elles-mêmes restrictives de la concurrence, elle fait perdre toute légitimité à l’insertion de telles clauses dans l'accord de règlement amiable. En effet, une telle insertion ne repose plus alors sur la reconnaissance par les parties aux accords de la validité du brevet et révèle ainsi un usage anormal du brevet, sans rapport avec son objet spécifique. La société de princeps peut donc raisonnablement prévoir qu’elle adopte un comportement relevant de l’interdiction édictée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
Si, du fait que les accords en cause sont conclus sous la forme de règlements amiables relatif à un brevet, le caractère infractionnel de ces accords peut ne pas apparaître, de manière claire, à un observateur extérieur tel que la Commission ou des juristes spécialisés dans les domaines en cause, il n’en va pas de même pour les parties à l’accord.
Par sept arrêts, la Cour rejette pour l’essentiel les pourvois formés par plusieurs fabricants de médicaments contre les arrêts du Tribunal{1} rejetant partiellement leurs recours en annulation de la décision par laquelle la Commission européenne leur a imposé des amendes pour avoir participé à des ententes sur le marché du produit pharmaceutique périndopril et, pour l’un d’entre eux, pour avoir commis un abus de position dominante sur ce marché{2}. Ce faisant, la Cour précise la ligne de démarcation entre, d’une part, les démarches légitimes des fabricants de médicaments consistant à régler à l’amiable de véritables litiges brevetaires dans le secteur pharmaceutique et, d’autre part, les accords qui retardent de manière illégale l’entrée de fabricants de médicaments génériques sur le marché d’un produit pharmaceutique sous couvert d’un règlement amiable de litiges en matière de brevets.
Le groupe pharmaceutique Servier, dont la société mère, Servier SAS, est établie en France (ci-après, prises individuellement ou ensemble, « Servier »), a mis au point le périndopril, médicament relevant de la classe des inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), indiqué en médecine cardiovasculaire et principalement destiné à lutter contre l’hypertension et l’insuffisance cardiaque. Le brevet relatif à la molécule du périndopril, déposé devant l’Office européen des brevets (OEB) en 1981, est arrivé à expiration au cours des années 2000.
L’ingrédient pharmaceutique actif du périndopril se présente sous la forme d’un sel, l’erbumine. En 1988, Servier a déposé devant l’OEB plusieurs brevets relatifs aux procédés de fabrication dudit principe actif qui expiraient le 16 septembre 2008.
Deux nouveaux brevets relatifs au périndopril et à son procédé de fabrication ont été déposés devant l’OEB par Servier en 2001 et délivrés en 2004 (ci-après les « brevets 947 et 948 »). Servier a, en outre, obtenu des brevets nationaux correspondant au brevet 947 dans plusieurs États membres avant que ceux-ci ne soient parties à la convention sur la délivrance de brevets européens.
À partir de 2003, plusieurs litiges ont opposé Servier à des fabricants de médicaments génériques qui s’apprêtaient à commercialiser une version générique du périndopril. Dans ce contexte, dix fabricants de génériques ont formé opposition contre le brevet 947 devant l’OEB, dont la chambre de recours technique a révoqué le brevet contesté en mai 2009. Plusieurs fabricants de médicaments génériques ont également contesté la validité du brevet 947 devant certaines juridictions nationales. De son côté, Servier a introduit des actions en contrefaçon ainsi que des demandes d’injonctions provisoires contre les fabricants de médicaments génériques en cause.
Afin de mettre fin auxdits litiges, Servier a conclu, entre 2005 et 2007, des accords de règlement amiable avec plusieurs fabricants de génériques, en particulier avec Niche Generics Ltd et sa société mère Unichem Laboratories Ltd (ci-après l’« accord Niche »), Matrix Laboratories Ltd (ci-après l’« accord Matrix »), Teva UK Ltd (ci-après l’« accord Teva »), KRKA, tovarna zdravil, d.d. (ci-après les « accords Krka ») et Lupin Ltd (ci-après l’« accord Lupin »).
Conformément auxdits accords, les fabricants de génériques s’engageaient notamment, selon le cas, à limiter ou à cesser la fabrication, la fourniture ou la commercialisation des formes de périndopril protégées par les brevets susmentionnés de Servier et à ne plus contester ces brevets. En contrepartie de ces engagements ainsi que d’autres clauses prévues par les accords précités, Servier s’engageait notamment à verser des paiements importants auxdites entreprises.
Dans ce contexte, Biogaran SAS, filiale de Servier spécialisée dans le développement de médicaments génériques, a, en outre, conclu un accord de licence et d’approvisionnement avec Niche Generics (ci-après l’« accord Biogaran »).
Par décision du 9 juillet 2014, la Commission a constaté que les accords Niche, Matrix, Teva, Krka, Lupin et Biogaran constituaient des restrictions de la concurrence interdites par l’article 101 TFUE. Elle a, en outre, considéré que Servier avait commis un abus de position dominante en violation de l’article 102 TFUE, dès lors que ces accords s’inscrivaient dans une stratégie visant à retarder l’entrée de versions génériques sur le marché du périndopril, sur lequel cette entreprise détenait une position dominante.
Ainsi, la Commission a infligé à Servier des amendes d’un montant total de 289 727 200 euros au titre des infractions à l’article 101 TFUE, ainsi qu’une amende de 41 270 000 euros au titre de l’infraction à l’article 102 TFUE. Les fabricants de médicaments génériques impliqués se sont également vu imposer des amendes importantes pour avoir enfreint l’article 101 TFUE en participant aux accords en cause.
Saisi de recours introduits par Servier et les fabricants de médicaments génériques concernés, le Tribunal a annulé la décision de la Commission pour autant qu’elle a retenu une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE en relation avec les accords Krka ainsi qu’une infraction à l’article 102 TFUE, de même que les amendes respectivement infligées à Servier et à Krka au titre de ces infractions{3}. Il a, en outre, réduit le montant de l’amende infligée à Servier en raison de sa participation à l’accord Matrix{4}. En revanche, le Tribunal a validé toutes les autres amendes imposées.
Servier et les fabricants de médicaments génériques dont les recours avaient été rejetés ont introduit des pourvois contre les arrêts du Tribunal.
Appréciation de la Cour
Sur les notions de concurrence potentielle et de restriction de la concurrence par objet
La Cour examine, en premier lieu, les moyens en annulation selon lesquels le Tribunal a commis des erreurs de droit en confirmant l’existence d’une concurrence potentielle entre Servier et les fabricants de médicaments génériques en cause ainsi qu’en qualifiant les accords litigieux de restrictions de la concurrence par objet.
À titre liminaire, la Cour relève que, aux fins de l’examen, au regard de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de pratiques collusoires prenant la forme d’accords de coopération horizontale entre entreprises, tels que les accords en cause, il convient de déterminer, dans un premier stade, si ces pratiques peuvent être qualifiées de restriction de la concurrence par des entreprises se trouvant dans une situation de concurrence, ne serait-ce que potentielle.
Si tel est le cas, il y a lieu de vérifier, dans un second stade, si, eu égard à leurs caractéristiques économiques, lesdites pratiques relèvent de la qualification de restriction de la concurrence par objet. En présence d’une restriction par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence. En revanche, lorsque l’objet anticoncurrentiel d’un accord d’entreprises ou d’une pratique concertée n’est pas établi, il convient d’en examiner les effets.
À la lumière de ces considérations, la Cour rejette, premièrement, les griefs selon lesquels le Tribunal aurait appliqué une conception extensive de la notion de concurrence potentielle et opéré un renversement de la charge de la preuve qui incombe à la Commission.
La Cour commence par rappeler que, dans le contexte spécifique de l’ouverture du marché d’un médicament aux fabricants de médicaments génériques, elle a déjà jugé que, afin d’apprécier si l’un de ces fabricants, bien qu’absent d’un marché, se trouve dans un rapport de concurrence potentielle avec un fabricant de médicaments princeps présent sur ce marché, il convient de déterminer s’il existe des possibilités réelles et concrètes que le premier intègre ledit marché et concurrence le second. À cette fin, il y a lieu d’apprécier si le fabricant de médicaments génériques avait effectué des démarches préparatoires suffisantes pour faire peser une pression concurrentielle sur le fabricant de médicaments princeps. Il doit, en outre, être vérifié que l’entrée sur le marché du fabricant de médicaments génériques ne se heurte pas à des obstacles insurmontables.
Sur ce dernier point, la Cour précise que, si l’existence de brevets protégeant un médicament princeps ou l’un de ses procédés de fabrication fait incontestablement partie du contexte économique et juridique caractérisant les rapports de concurrence entre les titulaires de ces brevets et les fabricants de médicaments génériques, il n’en reste pas moins que l’existence d’un brevet protégeant le procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public ne saurait, en tant que telle, être regardée comme un obstacle insurmontable à l’entrée sur le marché d’un fabricant de médicaments génériques. Il s’ensuit que l’existence d’un tel brevet n’empêche pas de qualifier de concurrent potentiel du fabricant du médicament princeps concerné un fabricant de médicaments génériques qui a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché et qui, par ses démarches, se montre prêt à contester la validité de ce brevet et à assumer le risque de se voir, lors de son entrée sur le marché, confronté à une action en contrefaçon introduite par le titulaire de ce brevet.
Par ailleurs, si la perception par un fabricant de médicaments génériques de la force d’un brevet constitue l’un des facteurs pertinents parmi d’autres, tels que les démarches préparatoires entreprises en vue d’une entrée sur le marché, pour apprécier les intentions de ce fabricant et, partant, son éventuelle détermination ferme d’effectuer une telle entrée, cette perception n’est en principe pas pertinente pour apprécier la capacité propre d’un tel fabricant d’entrer effectivement sur le marché, ni d’ailleurs l’existence objective d’obstacles insurmontables à une telle entrée.
Contrairement aux allégations de certaines requérantes, le Tribunal n’a, dans ce contexte, pas renversé la charge de la preuve en considérant que, la Commission ayant établi, sur la base d’un faisceau d’indices concordants, l’existence d’une concurrence potentielle entre Servier et les fabricants de médicaments génériques en cause, il incombait à ceux-ci d’en réfuter l’existence en rapportant la preuve contraire. Par ailleurs, une telle charge de la preuve ne constitue pas une probatio diabolica, car il suffit aux entreprises en cause de prouver un fait positif, à savoir l’existence de difficultés techniques, réglementaires, commerciales ou financières constituant des obstacles insurmontables à l’entrée de l’une d’elles sur le marché.
Secondement, la Cour rejette les moyens selon lesquels le Tribunal aurait qualifié les accords litigieux de restrictions de la concurrence par objet sur le fondement de critères erronés.
Après avoir relevé que cette qualification de restrictions de la concurrence par objet ne saurait être écartée au motif de l’absence de pratique décisionnelle antérieure de la Commission dans ce domaine, la Cour écarte les griefs contestant la non-prise en compte par le Tribunal des prétendus effets positifs des accords litigieux sur la concurrence, dès lors que l’examen des effets de ces accords n’était pas nécessaire, ni même pertinent, aux fins de déterminer s’ils peuvent être qualifiés de restriction de la concurrence par objet.
Le Tribunal n’a pas non plus commis d’erreur en écartant l’application de la jurisprudence en vertu de laquelle une restriction accessoire à un accord légitime ne relève pas du principe d’interdiction prévu à l’article 101, paragraphe 1, TFUE si elle est objectivement nécessaire à la mise en œuvre de l’accord légitime et proportionnée à ses objectifs. En effet, cette jurisprudence exige que l’accord principal soit dépourvu de caractère anticoncurrentiel, ce qui n’est pas le cas des accords litigieux.
En réponse aux griefs selon lesquels le Tribunal aurait refusé de prendre en considération l’intention des parties requérantes de mettre un terme à des litiges brevetaires, la Cour rappelle que, si les buts objectifs d’accords à l’égard de la concurrence sont pertinents pour apprécier leur éventuel objet anticoncurrentiel, la circonstance que les entreprises impliquées auraient agi sans avoir l’intention de restreindre la concurrence et le fait qu’elles auraient poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Ainsi, le fait que la négociation des accords litigieux reflète éventuellement une stratégie économiquement rationnelle du point de vue des parties requérantes ne démontre aucunement que la poursuite de cette stratégie soit justifiable du point de vue du droit de la concurrence.
La Cour écarte, enfin, les arguments visant l’importance qu’il convient d’accorder aux paiements inversés prévus par les accords litigieux, à savoir ceux effectués par Servier au profit des fabricants de médicaments génériques, pour qualifier ces accords de restriction de la concurrence par objet.
À cet égard, la Cour rappelle que, si un accord de règlement amiable d’un litige relatif à un brevet peut, sous certaines conditions, être conclu en toute légalité sur le fondement de la reconnaissance par les parties de la validité dudit brevet, la qualification d’un tel accord de restriction de la concurrence par objet dépend également d’autres caractéristiques de l’accord et des circonstances dans lesquelles il a été conclu, permettant, le cas échéant, de considérer que cet accord présente un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence.
Ainsi, la présence de clauses de non-contestation et de non-commercialisation dans un accord de règlement amiable est susceptible de donner lieu à la qualification de restriction de la concurrence par objet lorsqu’il apparaît que la soumission du fabricant de médicaments génériques à ces clauses n’est pas fondée sur la reconnaissance par celui-ci de la validité du brevet du fabricant de médicaments princeps, mais sur le versement par ce dernier d’un paiement en sa faveur.
Par conséquent, lorsqu’un accord de règlement amiable d’un litige en matière de brevets comportant des clauses de non-contestation et de non-commercialisation est assorti de transferts de valeur du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques, il y a lieu de vérifier, dans un premier temps, si le solde net positif de ces transferts peut se justifier de manière intégrale par la nécessité de compenser des frais ou des désagréments liés au litige visé par l’accord ou par celle de rémunérer la fourniture effective et avérée de biens ou de services de celui-ci au fabricant du médicament princeps. Si tel n’est pas le cas, il importe de vérifier, dans un second temps, si ces transferts s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial de ces fabricants de médicaments à ne pas se livrer une concurrence par les mérites. Aux fins de cet examen, il convient d’apprécier si le solde positif net des transferts de valeur était suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nécessairement supérieur aux bénéfices qu’il aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause dans la procédure en matière de brevets.
Dans ce cadre, la Cour précise, en outre, que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en considérant que certains frais remboursés par Servier, tels que les indemnités éventuellement dues à des tiers par les fabricants de médicaments génériques, ne pouvaient être considérés comme étant inhérents au règlement amiable du litige. À cet égard, le Tribunal n’a pas non plus renversé la charge de la preuve en exigeant que les parties aux accords litigieux démontrent que ces frais étaient inhérents au règlement amiable en cause.
Sur l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE aux accords litigieux
Ayant ainsi confirmé l’interprétation des notions de concurrence potentielle et de restriction de la concurrence par objet retenue par le Tribunal, la Cour examine, en deuxième lieu, les accords litigieux en détail à la lumière de ces enseignements.
A. Les accords Niche et Matrix
En ce qui concerne les accords Niche et Matrix, la Cour rappelle que Niche Generics (ci-après « Niche »), sa société mère Unichem Laboratories (ci-après « Unichem ») et Matrix Laboratories (ci-après « Matrix ») avaient pour stratégie commune le développement d’une version générique du périndopril et sa commercialisation sur le territoire de l’Union. Dans ce cadre, Matrix était chargée de produire le principe actif tandis que Unichem assurait la production, à partir de ce principe actif, de comprimés d’une version générique du périndopril. La commercialisation de ce médicament, y compris dans ses aspects réglementaires, était confiée à Niche.
S’agissant de Matrix, la Cour précise, en outre, que la société Mylan Inc a augmenté sa participation dans le capital de Matrix à 71,5 % en janvier 2007 et à plus de 97 % en 2011. Depuis le 5 octobre 2011, Matrix est dénommée Mylan Laboratories.
Au regard de ce qui précède, la Cour relève que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en constatant que les transferts de valeur effectués par Servier en exécution des accords Niche et Matrix visaient à inciter Niche, Unichem et Matrix à renoncer à entrer sur le marché du périndopril dans l’Union. En outre, dès lors que les obstacles brevetaires à l’entrée desdits fabricants de médicaments génériques sur le marché du périndopril n’étaient pas insurmontables, ces obstacles ne sauraient remettre en cause le caractère incitatif des transferts de valeur constatés. Par ailleurs, l’absence alléguée d’intention anticoncurrentielle des parties aux accords Niche et Matrix n’est pas déterminante aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
La Cour rejette également les griefs selon lesquels le Tribunal aurait commis une erreur de droit en confirmant que Niche et Matrix n’ont pas participé à une infraction unique, mais à deux infractions distinctes, pour lesquelles la Commission a pu imposer des amendes individuelles. En effet, comme la qualification d’infraction unique exige que chacun des comportements anticoncurrentiels concernés s’inscrive dans le cadre d’un même plan d’ensemble, en raison de leur objet anticoncurrentiel identique, le Tribunal a fait une exacte application de ce critère en considérant que, vu l’absence de plan commun entre Niche et Matrix, les accords Niche et Matrix constituaient deux infractions distinctes.
Quant à la responsabilité de Mylan pour l’infraction découlant de l’accord Matrix et celle d’Unichem pour l’infraction découlant de l’accord Niche, la Cour estime que le Tribunal a correctement considéré que la responsabilité des comportements de Matrix et de Niche pouvait être imputée respectivement à Mylan et à Unichem en leur qualité de sociétés mères, dès lors que Matrix et Niche ne déterminaient pas de façon autonome leur comportement sur le marché, mais appliquaient pour l’essentiel les instructions qui leur étaient données par leurs sociétés mères, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques les unissant.
Pour ce qui concerne Unichem, la Cour souligne, en outre, qu’il ressort des constatations opérées par le Tribunal que tant Unichem que sa filiale Niche ont directement pris part à l’infraction découlant de l’accord Niche. Dès lors qu’Unichem n’avait pas valablement contesté les éléments établissant cette participation directe devant le Tribunal, ces éléments suffisaient, conformément au principe de la responsabilité personnelle, à lui imputer la responsabilité pour cette infraction.
Par ailleurs, le fait pour Unichem d’être située dans un État tiers ne fait pas non plus obstacle à l’application de l’article 101 TFUE à son égard, dès lors que l’accord Niche a été mis en œuvre dans l’Union tant par Servier que par Niche.
B. Les accords Teva et Lupin
S’agissant de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE à l’accord Teva, la Cour entérine l’appréciation du Tribunal selon laquelle le solde net positif des transferts de valeur prévus par cet accord a incité Teva UK à renoncer à entrer sur le marché du périndopril, ce qui justifie la qualification dudit accord de restriction de la concurrence par objet. Par ailleurs, l’argumentation selon laquelle l’accord Teva avait pour objectif légitime de permettre à Teva d’entrer sur le marché au Royaume-Uni en commercialisant une version générique du périndopril fournie par Servier n’est pas susceptible de remettre en cause cette qualification, dès lors que la circonstance que ces entreprises auraient agi sans avoir l’intention d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence ou qu’elles auraient poursuivi certains objectifs légitimes n’est pas déterminante aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
Pour ce qui est de l’accord Lupin, la Cour accueille, en revanche, le grief de Servier selon lequel le Tribunal a commis des erreurs de droit en confirmant la conclusion de la Commission selon laquelle l’infraction relative à cet accord aurait continué sur les marchés belge, tchèque, irlandais et hongrois après la commercialisation d’une version générique du périndopril par le fabricant de médicaments Sandoz, alors que l’introduction de cette même version générique sur le marché français avait été retenue par la Commission comme marquant la fin de l’infraction découlant de l’accord Lupin sur ce marché national.
C. L’accord Biogaran
Aux termes de l’accord Biogaran, Niche s’est notamment engagée à transférer à Biogaran des dossiers d’autorisations de mise sur le marché pour trois médicaments autres que le périndopril, ainsi qu’une autorisation de mise sur le marché obtenue en France pour l’un de ces trois médicaments. En contrepartie, Biogaran devait verser à Niche la somme de 2,5 millions de livres sterling (GBP), laquelle n’était pas remboursable, même en cas de non-obtention de ces autorisations de mise sur le marché.
Estimant que l’accord Biogaran avait constitué une incitation supplémentaire destinée à convaincre Niche de renoncer à entrer sur le marché du périndopril et révélait la participation directe de Biogaran à l’infraction commise par Servier, la Commission a infligé à Servier et à Biogaran, conjointement et solidairement, une amende importante au titre de l’infraction à l’article 101 TFUE.
Le Tribunal ayant entériné cette analyse ainsi que l’amende imposée par la Commission, la Cour relève qu’il est indispensable d’examiner l’ensemble des arrangements contractuels en cause comme formant un tout. Au regard notamment des transferts de valeur économiquement inexplicables qui résultent de l’accord Biogaran au profit de Niche, la Cour constate ainsi que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en considérant que l’accord Biogaran était un accord accessoire à l’accord Niche visant à verser à Niche une rémunération supplémentaire afin de l’inciter à renoncer à entrer sur le marché du périndopril au moyen de l’accord Niche.
Sur l’imposition des amendes
En dernier lieu, la Cour rejette les différents griefs relatifs à l’imposition et au calcul des amendes, à l’exception de ceux de Servier portant sur la durée de l’infraction découlant de l’accord Lupin. En particulier, la Cour écarte les arguments selon lesquels, en présence d’une situation nouvelle telle que celle de l’espèce, caractérisée par une absence de décisions et de jurisprudence antérieures, et complexe, la Commission ne pouvait imposer des amendes sans enfreindre le principe de légalité des délits et des peines.
À ce dernier égard, la Cour rappelle que le principe de légalité des délits et des peines exige certes que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment, mais ...
Arrêt du 27 juin 2024, Servier e.a. / Commission (C-201/19 P) (cf. points 386-390)
53. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Fixation du montant de base - Gravité de l'infraction - Critères d'appréciation - Nature de l'infraction - Respect du principe de proportionnalité
Arrêt du 11 juillet 2019, CCPL e.a. / Commission (T-522/15) (cf. points 26-32)
Arrêt du 11 juillet 2019, Italmobiliare e.a. / Commission (T-523/15) (cf. points 109-116)
54. Environnement - Pollution atmosphérique - Directive 2003/87 - Système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre - Amende en l'absence de restitution de quotas suffisants au terme du délai - Absence de possibilité pour le juge national de moduler l'amende - Violation des principes d'égalité en droit et de proportionnalité - Absence
Voir le texte de la décision.
Ordonnance du 26 mars 2020, Luxaviation (C-113/19) (cf. point 42, disp. 1)
55. Coopération judiciaire en matière pénale - Décision-cadre établissant des dispositions minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et des sanctions applicables dans le domaine du trafic de drogue - Sanctions aggravées - Infractions portant sur de « grandes quantités de drogue » - Marge d'appréciation des États membres concernant la mise en œuvre de cette notion - Limites - Respect des principes d'égalité de traitement, de non-discrimination et de légalité des délits et des peines - Réglementation nationale prévoyant une sanction aggravée en cas de détention d'une « quantité importante » de drogue, sans définir cette notion et en laissant son interprétation à l'appréciation des juridictions nationales - Admissibilité - Condition - Respect des exigences de prévisibilité
Voir le texte de la décision.
56. Droit de l'Union européenne - Principes - Principe de l'application rétroactive de la peine plus légère - Conditions d'application - Sanction pécuniaire administrative imposée par la Banque centrale européenne (BCE) - Sanction imposée antérieurement à l'adoption d'une législation répressive moins sévère - Exclusion - Contrôle juridictionnel - Pouvoir du Tribunal de réformer le montant de la sanction imposée - Conditions
Dans l’arrêt Crédit agricole/BCE (T-576/18), prononcé le 8 juillet 2020, le Tribunal, statuant en chambre élargie, a fait droit au recours introduit par le Crédit agricole SA, un établissement de crédit sous surveillance prudentielle, tendant à l’annulation de la décision de la Banque centrale européenne (BCE){1}, dans la seule mesure où elle avait imposé à la requérante une sanction pécuniaire administrative d’un montant de 4 300 000 euros.
En l’espèce, la BCE avait adopté à l’encontre de la requérante une décision imposant, en vertu du règlement nº 1024/2013{2}, une sanction pécuniaire administrative pour violation continue des exigences de fonds propres prévues par le règlement no 575/2013{3}. En particulier, cette dernière avait répertorié des instruments de capital comme instruments de fonds propres de base de catégorie 1 (CET 1) sans avoir obtenu l’autorisation préalable de l’autorité compétente. Retenant une infraction commise par négligence, la BCE avait considéré qu’une sanction pécuniaire administrative d’un montant de 4 300 000 euros qui représentait, selon elle, 0,0015 % du chiffre d’affaires annuel du groupe dont relevait la requérante constituait une sanction proportionnée. La requérante, qui contestait à la fois la légalité de la décision en ce que la BCE avait retenu l’existence d’une infraction à son encontre et en ce qu’elle lui avait imposé une sanction pécuniaire administrative, a saisi le Tribunal d’un recours en annulation à l’encontre de cette décision.
En premier lieu, dans le cadre du contrôle de légalité de la décision attaquée, en ce qu’elle a constaté une infraction à l’encontre de la requérante, le Tribunal a procédé à l’interprétation de l’expression « accord des autorités compétentes » figurant à l’article 26, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement nº 575/2013, mais non définie par celui-ci. Selon le Tribunal, il ressort de l’interprétation contextuelle et téléologique de cette disposition que l’accord de l’autorité compétente devait être obtenu par l’établissement de crédit avant de répertorier chacune de ses émissions d’instruments de capital parmi ses CET 1.
Par ailleurs, en réponse aux griefs de la requérante qui invoquait le fait que son comportement ne présentait plus de caractère infractionnel à la suite de la modification ultérieure de cette même disposition en vertu de l’application du principe de l’application rétroactive de la loi répressive moins sévère, le Tribunal a reconnu que ce principe, qui constitue un principe général du droit de l’Union désormais inscrit dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, peut conduire à l’annulation d’une décision de sanction pénale ou administrative , dans l’éventualité où une modification du cadre juridique serait intervenue après les faits de l’espèce, mais antérieurement à la décision attaquée. Cependant, il a souligné que ce principe ne saurait être invocable lors du contrôle de légalité d’un acte adopté antérieurement à ladite modification du cadre juridique. En effet, il ne pourrait être reproché à une institution d’avoir méconnu, lors de sa décision, des règles juridiques non encore applicables. C’est uniquement dans l’hypothèse de l’exercice par le Tribunal de son pouvoir de réformation du montant de la sanction imposée qu’une évolution postérieure du cadre juridique à la décision attaquée pourrait, éventuellement, être prise en compte par le Tribunal aux fins d’apprécier le caractère approprié dudit montant à la date où il rend sa décision. Or, en l’espèce, une telle demande de réformation n’avait pas été effectuée.
En outre, après avoir rappelé que, selon la jurisprudence, la négligence vise une action ou une omission involontaire par laquelle la personne responsable viole son obligation de diligence{4} et qu’aux fins d’apprécier l’existence d’une telle négligence, il convient de tenir compte, notamment, de la complexité des dispositions en cause ainsi que de l’expérience professionnelle et de la diligence de l’entreprise concernée{5}, le Tribunal a constaté que, en sa qualité d’établissement de crédit, la requérante se devait de faire preuve d’une grande prudence à l’occasion de la mise en œuvre des dispositions du règlement nº 575/2013. Selon le Tribunal, la requérante aurait pu déduire la portée exacte de ses obligations au titre dudit règlement en procédant à une analyse attentive de ses dispositions et le Tribunal a donc conclu que c’est à juste titre que la BCE a retenu le caractère négligeant du comportement infractionnel de la requérante.
Enfin, s’agissant du grief invoqué par la requérante tiré du non-respect des exigences de protection des droits de la défense, le Tribunal, procédant à une application, par analogie, de la jurisprudence relative au respect des droits de la défense au cours des procédures de répression des infractions en matière de concurrence{6}, a considéré que ces exigences sont respectées dès lors que la BCE transmet à la partie intéressée une communication des griefs, exposant de manière claire l’ensemble des éléments essentiels sur lesquels elle se fonde préalablement à l’adoption d’une décision de surveillance prudentielle. La décision ne doit pas mettre à la charge de l’intéressée des infractions différentes de celles qui lui ont été communiquées au cours de la procédure administrative et ne doit retenir que des faits sur lesquels celle-ci a pu s’exprimer. En revanche, le Tribunal a rappelé que la décision finale ne doit pas nécessairement être une copie de la communication des griefs, car les appréciations de fait ou de droit s’y trouvant ont un caractère purement provisoire. Néanmoins, une violation des droits de la défense sera caractérisée lorsque, en raison d’une irrégularité commise par la BCE, la procédure administrative menée par celle-ci aurait pu aboutir à un résultat différent, notamment lorsque l’intéressée aurait pu assurer plus efficacement sa défense en l’absence d’irrégularités. À la lumière de ces constatations, le Tribunal a considéré que la requérante n’avait pas été en mesure de démontrer l’illégalité de la décision attaquée ayant retenu une infraction à son encontre.
En second lieu, lors du contrôle de la légalité de la décision attaquée, en ce qu’elle a infligé une sanction pécuniaire administrative à la requérante, le Tribunal a particulièrement insisté sur le caractère fondamental de l’obligation de motivation des décisions de la BCE en matière de surveillance prudentielle. En effet, il a relevé que, compte tenu du large pouvoir d’appréciation conféré à la BCE par le règlement nº 1024/2013, s’agissant de la détermination de la sanction pécuniaire ainsi que du montant très élevé des sanctions encourues, il est essentiel qu’un contrôle juridictionnel portant sur le caractère efficace, proportionné et dissuasif de la sanction et de son montant puisse être effectué. À cet effet, le Tribunal a souligné qu’il est nécessaire que la motivation de la décision fasse ressortir la méthodologie suivie par la BCE ainsi que tous les éléments pertinents retenus pour la détermination du montant de la sanction.
Or, il ressort des circonstances de l’espèce que, bien que la BCE ait indiqué dans son mémoire en défense et lors de l’audience la méthodologie appliquée ainsi que les éléments retenus pour déterminer le montant de la sanction, de telles précisions faisaient défaut dans la décision initiale infligeant la sanction administrative pécuniaire. Celle-ci se trouvait alors entachée d’une insuffisance de motivation qui, en vertu d’une jurisprudence constante, ne pouvait être régularisée par la communication ultérieure des éléments manquants.
Partant, le Tribunal a annulé, pour motivation insuffisante, la décision de la BCE dans la seule mesure où elle imposait une sanction pécuniaire administrative d’un montant de 4 300 000 euros à la requérante.
{1} Décision ECB/SSM/2018-FRCAG-75 de la Banque centrale européenne, du 16 juillet 2018
{2} Article 18, paragraphe 1 du règlement (UE) nº 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63)
{3} Article 26, paragraphe 3, du règlement (UE) nº 575/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) nº 648/2012 (JO 2013, L 176, p. 1, et rectificatifs JO 2013, L 208, p. 68, et JO 2013, L 321, p. 6)
{4} Arrêt du 3 juin 2008, Intertanko e.a. (C 308/06, EU:C:2008:312, point 75)
{5} Arrêt du 11 novembre 1999, Söhl & Söhlke (C 48/98, EU:C:1999:548, point 56)
{6} Arrêt du 24 mai 2012, MasterCard e.a./Commission (T-111/08, EU:T:2012:260, points 266 à 269 et jurisprudence citée)
Arrêt du 8 juillet 2020, Crédit agricole / BCE (T-576/18) (cf. points 69-74)
57. Transports - Transports par route - Dispositions sociales - Règlement nº 561/2006 - Sanctions effectives, dissuasives et non discriminatoires - Infractions au règlement nº 3821/85 - Infraction commise sur le territoire d'un État membre mais constatée sur le territoire d'un autre État membre - Possibilité pour les autorités nationales de ce dernier État membre d'infliger une sanction - Sanction extraterritoriale - Inadmissibilité - Respect du principe de légalité des délits et des peines
Voir texte de la décision.
58. Libre circulation des capitaux - Restrictions - Interdiction de réaliser les paiements dépassant un certain montant en espèces - Obligation de procéder à un virement ou à un versement sur un compte de paiement - Violation - Amende calculée sur la base d'un pourcentage fixe applicable au montant total du paiement - Sanction de nature pénale au sens de l'article 49 de la charte des droits fondamentaux - Admissibilité - Justification - Lutte contre la fraude et l'évasion fiscale - Condition - Respect du principe de proportionnalité
Voir texte de la décision.
59. Libre prestation des services - Restrictions - Jeux de hasard - Mise à disposition de loteries interdites - Sanctions - Amendes d'un montant minimal et peines privatives de liberté de substitution imposées par machine à sous non autorisée - Cumul des amendes et des peines - Absence de plafond - Contribution proportionnelle aux frais de procédure - Admissibilité - Conditions - Respect du principe de proportionnalité - Respect du droit d'accès aux tribunaux
En 2016, dans un établissement situé en Autriche, une société a mis à disposition dix machines à sous à des fins commerciales, contrevenant ainsi au monopole des jeux de hasard. En effet, selon la loi autrichienne fédérale sur les jeux de hasard, sont interdites les loteries pour lesquelles aucune concession ou autorisation n’a été donnée et qui ne sont pas exclues du monopole de l’État fédéral sur les jeux de hasard. L’organisation de jeux de hasard automatisés en l’absence de la concession requise est incriminée et est passible d’une amende à laquelle s’ajoutent une peine privative de liberté de substitution ainsi qu’une contribution aux frais de la procédure de sanction, fixée à 10 % de cette sanction. S’agissant du respect des dispositions en cause par une personne morale, est, en principe, considéré comme responsable celui qui est appelé à représenter la société vis-à-vis des tiers.
C’est ainsi que, reconnu coupable de ces infractions, le représentant de ladite société s’est d’abord vu imposer une amende de 100 000 euros (soit 10 000 euros pour chaque infraction) et une peine privative de liberté de substitution de 30 jours (soit trois jours pour chaque infraction), outre le paiement de 10 000 euros à titre de contribution aux frais de procédure. Dans le cadre des voies de recours formés à l’encontre de cette décision, ces sanctions ont été réduites, respectivement, à 40 000 euros, 10 jours et 4 000 euros.
Appelé à apprécier la légalité de cette nouvelle sanction, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) a décidé de saisir la Cour de plusieurs questions préjudicielles portant sur la compatibilité de la réglementation nationale concernée avec la libre prestation des services, consacrée à l’article 56 TFUE.
Dans son arrêt, la Cour précise notamment la portée du devoir des juridictions nationales d’examiner, au regard de la libre prestation des services, le régime de sanction prévu en matière de jeux de hasard.
Appréciation de la Cour
À titre liminaire, la Cour précise qu’il convient d’examiner séparément pour chacune des restrictions imposées par la législation nationale en matière de jeux de hasard, y compris les sanctions prévues par celle-ci, si elle est apte à garantir la réalisation du ou des objectifs invoqués par l’État membre en cause et si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.
Partant, le juge national devant se prononcer sur la légalité d’une sanction dans cette matière doit spécifiquement apprécier la compatibilité de celle-ci, eu égard aux modalités concrètes de sa détermination, avec la libre prestation des services, au sens de l’article 56 TFUE. Cette appréciation doit être effectuée même si les autres restrictions entourant l’établissement du monopole des jeux de hasard ont déjà été jugées compatibles avec ladite disposition.
Ensuite, la Cour considère notamment que, lorsque les restrictions établies par les États membres aux jeux de hasard répondent à des raisons impérieuses d’intérêt général, garantissent la réalisation de l’objectif poursuivi et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre, l’imposition de sanctions répond aux mêmes raisons impérieuses d’intérêt général que lesdites restrictions. Toutefois, la rigueur des sanctions doit être en adéquation avec la gravité des violations réprimées et respecter le principe de proportionnalité des peines, consacré à l’article 49, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Ainsi, s’agissant, en premier lieu, de l’imposition d’une amende minimale par machine à sous non autorisée, sans plafond du montant total des amendes, la Cour constate qu’une telle mesure n’apparaît pas, en soi, disproportionnée au regard de la gravité des infractions en cause. Certes, elle peut conduire à des sanctions d’un montant considérable, mais elle permet de contrecarrer l’avantage économique que pourraient procurer les infractions sanctionnées. Il incombe toutefois à la juridiction de renvoi de s’assurer que le montant minimal imposé et le montant total des amendes infligées ne soient pas démesurés par rapport à cet avantage.
En deuxième lieu, en ce qui concerne la peine privative de liberté de substitution, la Cour relève que celle-ci vise à garantir une sanction effective des infractions en cas d’impossibilité de recouvrer l’amende et n’apparaît pas non plus, en soi, comme étant disproportionnée au regard de la nature et de la gravité des infractions en cause. Toutefois, en l’espèce, chaque machine à sous est susceptible de fonder l’imposition d’une telle peine et aucun plafond de la durée totale des peines n’est prévu. Ainsi, dès lors que le cumul de ces peines peut aboutir à une peine privative de liberté d’une durée considérable, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier que la durée de la peine infligée ne soit pas excessive au regard de la gravité des infractions constatées.
Enfin, s’agissant, en troisième lieu, de l’imposition d’une contribution aux frais de procédure s’élevant à 10 % des amendes infligées, la Cour souligne que la perception de frais de justice contribue au bon fonctionnement du système juridictionnel en tant que source de financement de l’activité juridictionnelle des États membres. La juridiction de renvoi doit toutefois s’assurer que cette contribution ne soit pas excessive au regard du coût réel de la procédure et ne méconnaisse pas le droit d’accès aux tribunaux, consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
60. Droits fondamentaux - Principe ne bis in idem - Conditions d'application - Existence d'une même infraction - Critère d'appréciation - Identité des faits matériels - Limitation de l'exercice du principe - Justification - Conditions - Respect des principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines - Portée
BV, une personne physique ayant sa résidence fiscale en France, a exercé la profession d’expert-comptable en tant qu’entrepreneur individuel jusqu’au 14 juin 2011. À ce titre, il était assujetti de plein droit à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). À la suite d’opérations de vérification de comptabilité, l’administration fiscale a déposé plainte contre lui auprès du procureur de la République d’Annecy (France), lui reprochant d’avoir notamment éludé, par le biais d’irrégularités de comptabilité et de déclarations, un montant de 82 507 euros de TVA. Renvoyé devant le tribunal correctionnel d’Annecy (France) pour y être jugé pour des délits de fraude fiscale, BV a été condamné à 12 mois d’emprisonnement ainsi qu’à la publication de la décision à ses frais.
BV a fait appel de ce jugement en faisant valoir que sa condamnation pénale se heurte au principe selon lequel nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi (ne bis in idem), garanti à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne{1}. Il estime qu’il avait déjà fait l’objet d’une procédure de redressement fiscal ayant donné lieu à l’application de pénalités fiscales définitives pour les mêmes faits, ces pénalités s’élevant à 40 % des droits éludés. Devant la Cour de cassation (France), la juridiction de renvoi dans la présente affaire, BV soutient que la réglementation nationale en cause au principal ne remplit pas l’exigence de clarté et de prévisibilité que doit respecter un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale. En outre, il considère que ladite réglementation ne prévoit pas de règles permettant d’assurer que la sévérité de l’ensemble des sanctions imposées n’excède pas la gravité de l’infraction constatée.
Cette juridiction relève que, en application des réserves d’interprétation prévues par la jurisprudence constitutionnelle{2}, la réglementation française limite les poursuites pénales aux infractions présentant une certaine gravité, pour lesquelles le législateur national a prévu, outre une peine d’amende, une peine privative de liberté. Elle souligne en outre que la faculté de cumuler des sanctions est limitée par l’impossibilité de dépasser le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues. Toutefois, cette limitation ne concerne que les sanctions de même nature, à savoir les sanctions pécuniaires, de sorte qu’elle ne s’appliquerait pas en cas de cumul de sanctions pécuniaires fiscales et d’une peine privative de liberté.
Saisie de la présente espèce, la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser si la réglementation en cause, telle qu’interprétée par les juridictions nationales, remplit l’exigence de clarté et de prévisibilité des circonstances dans lesquelles les dissimulations déclaratives en matière de TVA peuvent faire l’objet d’un cumul de poursuites et de sanctions pénales, prévue par le droit de l’Union, et si l’exigence de nécessité et de proportionnalité du cumul de telles sanctions est remplie par ladite réglementation.
Par son arrêt, la Cour dit pour droit que le droit fondamental garanti à l’article 50 de la Charte, lu en combinaison avec l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci{3}, ne s’oppose pas à ce que la limitation du cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale prévue pour les cas les plus graves de dissimulations frauduleuses ou d’omissions déclaratives en matière de TVA ne résulte que d’une jurisprudence établie, pour autant que ce cumul soit raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise. En revanche, lesdits articles de la Charte s’opposent à ce que la réglementation nationale n’assure pas, dans les cas du cumul d’une sanction pécuniaire et d’une peine privative de liberté, par des règles claires et précises, le cas échéant telles qu’interprétées par les juridictions nationales, que l’ensemble des sanctions infligées n’excède pas la gravité de l’infraction constatée.
Appréciation de la Cour
La Cour rappelle tout d’abord que, selon une jurisprudence constante, la Charte, et notamment le principe de ne bis in idem prévu par son article 50, s’applique à des sanctions administratives infligées par les autorités fiscales nationales et des procédures pénales ouvertes pour des infractions en matière de TVA. À cet égard, la Cour constate qu’en l’espèce, le cumul de poursuites consistant dans une procédure pénale et une sanction administrative définitive de nature pénale constitue une limitation du droit fondamental consacré par ce principe.
La Cour vérifie alors si cette limitation du droit fondamental concerné peut être justifiée. Elle constate que, en l’occurrence, la possibilité de cumuler des poursuites et des sanctions pénales ainsi que des poursuites et des sanctions administratives de nature pénale est prévue par la loi. Dans ce cadre, le principe de proportionnalité exige que cette loi soit d’un caractère strictement nécessaire, prévoyant des règles suffisamment claires et précises permettant au justiciable de prévoir les conséquences légales de son comportement.
En outre, toute disposition autorisant une double répression doit respecter les exigences liées au principe de légalité des délits et des peines garanti à l’article 49, paragraphe 1, de la Charte, pour éviter que la charge répressive résultant du cumul de sanctions de nature pénale aille au-delà de celle prévue par la loi pour un comportement incriminé. Cela étant, ce principe est compatible avec le fait que les conditions exigées pour un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale ne découlent pas exclusivement de dispositions législatives, mais également de leur interprétation par les juridictions nationales. Une telle clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire n’est donc pas exclue, pour autant que le résultat soit raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise. La portée de la prévisibilité ainsi exigée dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires.
À cet égard, le Conseil constitutionnel français a jugé que le cumul de poursuites et de sanctions prévues par le droit français ne peut s’appliquer que dans les cas les plus graves de dissimulation frauduleuse ou d’omissions déclaratives, tout en précisant que cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention. La Cour constate que cette interprétation n’apparaît pas, en soi, imprévisible, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier en l’espèce. Toutefois, la Cour rappelle que l’exigence de proportionnalité n’est pas respectée par une réglementation prévoyant, pour le cumul d’une amende pénale et d’une sanction administrative pécuniaire de nature pénale, que le recouvrement de la première est limité à la partie excédant le montant de la seconde, sans prévoir une telle règle également pour le cumul d’une sanction administrative pécuniaire de nature pénale et d’une peine privative de liberté.
{1} Ci-après la « Charte ».
{2} Conseil constitutionnel (France), décisions du 24 juin 2016, nº 2016-545 QPC et nº 2016-546 QPC, du 22 juillet 2016, nº 2016-556 QPC, ainsi que du 23 novembre 2018, nº 2018-745 QPC.
{3} En vertu de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte : « Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la [...] Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. »
61. Droits fondamentaux - Présomption d'innocence - Légalité et proportionnalité des délits et des peines - Consécration, respectivement, à l'article 48, paragraphe 1, et à l'article 49 de la charte des droits fondamentaux, d'une part, et à l'article 6, paragraphe 2, et à l'article 7, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l'homme, d'autre part - Sens et portée identiques
Voir texte de la décision.
Arrêt du 10 novembre 2022, DELTA STROY 2003 (C-203/21) (cf. points 44-48)
62. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme - Décision de gel des fonds - Nature conservatoire des mesures adoptées - Principe de légalité des délits et des peines - Applicabilité - Absence
Depuis 2002, le Kurdistan Workers’ Party (PKK) est inscrit, en tant qu’organisation impliquée dans des actes de terrorisme, sur les listes des personnes ou entités faisant l’objet de mesures de gel des fonds, annexées à la position commune 2001/931/PESC et au règlement no 2580/2001{1}. Dans les actes qu’il avait adoptés en 2014 à l’encontre de cette organisation, le Conseil s’était fondé sur des décisions nationales adoptées, respectivement, par une autorité britannique et par des autorités américaines, auxquelles s’étaient ajoutées, à partir de 2015, des décisions judiciaires adoptées par les juridictions françaises .
Par un arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK (C 46/19 P){2}, la Cour avait annulé l’arrêt rendu par le Tribunal le 15 novembre 2018, dans l’affaire PKK/Conseil (T 316/14){3}, lequel avait lui-même annulé plusieurs actes adoptés par le Conseil de l’Union européenne entre 2014 et 2017{4} qui avaient maintenu l’inscription du PKK sur les listes litigieuses. Cette affaire a été renvoyée devant le Tribunal (T 316/14 RENV) et jointe à l’affaire PKK/Conseil (T 148/19), dans laquelle le PKK a également demandé l’annulation des actes adoptés à son encontre par le Conseil entre 2019 et 202{5}.
Par son arrêt rendu dans les deux affaires, le Tribunal annule les règlements adoptés par le Conseil en 2014, en ce qui concerne le maintien du PKK sur les listes litigieuses, au motif que le Conseil a méconnu son obligation de procéder à une actualisation de l’appréciation de la persistance du risque d’implication terroriste du PKK . Concernant les actes ultérieurs du Conseil, le Tribunal conclut en revanche que les moyens soulevés par le requérant au sujet des décisions nationales américaines et britanniques ne permettent pas de remettre en cause l’appréciation du Conseil, notamment fondée sur la prise en compte d’incidents et de faits ultérieurs, quant à la persistance de ce risque. À cette occasion, le Tribunal précise également sa jurisprudence relative à la portée de l’article 266 TFUE en matière de mesures restrictives.
Appréciation du Tribunal
Le Tribunal rappelle, tout d’abord, les principes qui commandent l’adoption initiale des mesures restrictives et leur réexamen par le Conseil au titre de la position commune 2001/931/PESC{6}. Ainsi, en l’absence de moyens de l’Union pour mener elle-même des investigations, la procédure susceptible d’aboutir à l’adoption d’une mesure initiale de gel des fonds se déroule à deux niveaux : l’un national, par l’adoption par une autorité nationale compétente d’une décision à l’égard de l’intéressé, l’autre européen, par la décision du Conseil incluant l’intéressé dans la liste en cause, sur la base d’informations précises ou d’éléments de dossier qui montrent qu’une telle décision a été prise au niveau national . Une telle décision préalable a pour fonction d’établir l’existence de preuves ou d’indices sérieux et crédibles de l’implication de la personne concernée dans des activités terroristes, considérés comme fiables par lesdites autorités nationales . En conséquence, il n’appartient pas au Conseil de vérifier la réalité ou l’imputation des faits retenus dans les décisions nationales de condamnation ayant fondé une inscription initiale et la charge de la preuve qui lui incombe à cet égard a dès lors un objet relativement restreint .
Le Tribunal note ensuite qu’il convient de distinguer, pour chacun des actes contestés, selon qu’ils sont fondés sur les décisions des autorités nationales compétentes ayant justifié l’inscription initiale du requérant ou selon qu’ils s’appuient sur des décisions ultérieures de ces autorités nationales ou des éléments retenus de manière autonome par le Conseil{7}. Ainsi, s’agissant des éléments sur lesquels le Conseil est susceptible de s’appuyer afin de démontrer la persistance du risque d’implication dans des activités terroristes au stade du réexamen périodique des mesures précédemment adoptées{8}, il appartient au Conseil, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des constatations factuelles mentionnées dans les actes de maintien de l’entité concernée sur les listes et au juge de l’Union de vérifier leur exactitude matérielle .
Le Tribunal relève, par ailleurs, que le Conseil reste également soumis à l’obligation de motivation en ce qui concerne tant les incidents retenus dans les décisions nationales prises en compte au stade de l’adoption initiale des actes en cause que les incidents retenus dans des décisions nationales ultérieures ou les incidents pris éventuellement en compte par le Conseil à titre autonome .
En ce qui concerne l’ordonnance du ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni du 29 mars 2001 visant à interdire le PKK, le Tribunal rappelle qu’il a déjà considéré cette décision, dans sa jurisprudence, comme émanant d’une « autorité compétente » au sens de la position commune 2001/931/PESC, cette dernière n’excluant pas la prise en compte de décisions émanant d’autorités administratives, lorsque ces autorités peuvent être considérées comme « équivalentes » aux autorités judiciaires dès lors que leurs décisions sont susceptibles d’un recours juridictionnel portant sur les éléments de fait comme de droit. En effet, les ordonnances du ministre de l’intérieur du Royaume-Uni peuvent faire l’objet d’un recours devant la Proscribed Organisations Appeal Commission (commission de recours pour les organisations interdites) et, le cas échéant, devant une juridiction d’appel .
En l’espèce, après avoir précisé que la position commune ne requiert pas que la décision de l’autorité compétente en question s’inscrive nécessairement dans le cadre d’une procédure pénale stricto sensu , le Tribunal constate que l’ordonnance de 2001 intervient bien dans le champ de la lutte contre le terrorisme et s’inscrit dans une procédure nationale visant à l’imposition de mesures de type préventif ou répressif à l’encontre du PKK . Le Tribunal conclut que les actes attaqués respectent les conditions posées à cet égard par la position commune{9}.
Le Tribunal considère, en revanche, qu’il appartenait au Conseil de vérifier la qualification des faits opérée par l’autorité nationale compétente et la correspondance des actes pris en compte par celle-ci avec la définition de l’acte terroriste établie par la position commune . Il juge suffisante à cet égard l’indication, dans les exposés des motifs adoptés par le Conseil à l’appui des actes attaqués, selon laquelle il a vérifié que les motifs ayant présidé aux décisions prises par les autorités nationales compétentes relevaient de la définition du terrorisme figurant dans la position commune 2001/931 /PESC. Le Tribunal précise que cette obligation de vérification porte uniquement sur les incidents retenus dans les décisions des autorités nationales ayant fondé l’inscription initiale de l’entité concernée. En effet, lorsqu’il maintient le nom d’une entité sur les listes de gel des fonds dans le cadre d’un réexamen périodique{10}, le Conseil doit seulement établir que le risque que cette entité soit impliquée dans de tels actes persiste .
Ainsi, dans le cadre de ce réexamen, le Conseil est tenu de vérifier si, depuis l’inscription initiale du nom de la personne ou de l'entité concernée, la situation factuelle n’a pas changé au regard de l’implication de la celle-ci dans des activités terroristes , et, en particulier, si la décision nationale n’a pas été abrogée ou retirée en raison d’éléments nouveaux ou d’une modification de l’appréciation de l’autorité nationale compétente . À ce propos, le seul fait que la décision nationale ayant servi de fondement à l’inscription initiale demeure en vigueur peut, à la lumière du temps écoulé et en fonction de l’évolution des circonstances de l’espèce, ne pas suffire pour conclure à la persistance du risque. Dans une telle situation, le Conseil est alors tenu de fonder le maintien des mesures restrictives sur une appréciation actualisée de la situation démontrant que ce risque subsiste . Dans ce cas, le Conseil peut s’appuyer sur des éléments récents tirés non seulement de décisions nationales adoptées par des autorités compétentes, mais également d’autres sources, et donc sur ses propres appréciations .
Le Tribunal relève que, dans cette hypothèse, le juge de l’Union est tenu de vérifier, au titre du respect de l’obligation de motivation, le caractère suffisamment précis et concret des motifs invoqués dans l’exposé des motifs qui sous-tend le maintien sur les listes de gel des fonds et, au titre du contrôle de la légalité au fond, si ces motifs sont étayés et reposent sur une base factuelle suffisamment solide . Ainsi, indépendamment de la question de savoir si ces éléments sont tirés d’une décision nationale adoptée par une autorité compétente ou d’autres sources, il appartient au Conseil, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des constatations factuelles retenues et au juge de l’Union de vérifier l’exactitude matérielle des faits concernés.
Enfin, concernant l’article 266 TFUE, invoqué par le PKK dans la seule affaire T 148/19, en vertu duquel l’institution dont émane l’acte annulé est tenue de prendre les mesures que comporte l’exécution de tout arrêt d’annulation{11}, le Tribunal rappelle que cette obligation s’impose dès le prononcé de l’arrêt en cause lorsque celui-ci annule une décision, à la différence d’un arrêt annulant un règlement{12}. Ainsi, à la date d’adoption des décisions de 2019 concernant le PKK, le Conseil était tenu soit de retirer le PKK de la liste, soit d’adopter un acte de réinscription conforme aux motifs de l’arrêt du 15 novembre 2018 (T 316/14). Le Tribunal souligne que sans cette obligation, l’annulation prononcée par le juge de l’Union serait privée d’effet utile .
Le Tribunal observe, à cet égard, que le Conseil a reproduit dans les décisions de 2019 les mêmes motifs que ceux qu’il avait retenus dans les actes de 2015 à 2017 qui avaient été censurés dans l’arrêt du 15 novembre 2018. Bien que le Conseil ait formé un pourvoi contre cet arrêt, lequel n’était pas suspensif, un tel refus par le Conseil de tirer les conséquences de la chose jugée était de nature à nuire à la confiance que les justiciables placent dans le respect des décisions de justice . Cependant, l’arrêt du 15 novembre 2018 (T-316/14) ayant été annulé par l’arrêt de la Cour du 22 avril 2021 (C 46/19 P), notamment en ce qu’il avait lui-même annulé les actes de 2015 à 2017, et compte tenu du caractère rétroactif de cette annulation par la Cour, le Tribunal considère que la méconnaissance par le Conseil de ses obligations ne saurait conduire à l’annulation des décisions de 2019 . Le requérant ayant pu néanmoins se croire fondé à introduire le recours dans l’affaire T-148/19, le Tribunal prend en conséquence cet élément en compte dans le cadre du règlement des dépens entre les parties.
Au regard de ce qui précède, le Tribunal conclut, au sujet du réexamen périodique opéré par le Conseil{13}, à la violation par celui-ci de son obligation de procéder à une actualisation de l’appréciation de la persistance du risque d’implication terroriste du PKK concernant les actes de 2014. Le Tribunal annule en conséquence les règlements d’exécution no 125/2014 et no 790/2014 du Conseil dans l’affaire T 316/14 RENV. En revanche, en ce qui concerne les actes ultérieurs de 2015 à 2017 et les décisions de 2019, le Tribunal conclut que les moyens soulevés par le requérant ne permettent pas de remettre en cause l’appréciation du Conseil relative à la persistance d’un risque d’implication terroriste du PKK, laquelle demeure valablement fondée sur le maintien en vigueur de l’ordonnance du ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni ainsi que, selon le cas, sur d’autres incidents ultérieurs . Partant, le Tribunal rejette le recours pour le surplus dans l’affaire T 316/14 RENV, ainsi que le recours dans l’affaire T 148/19 .
{1} Position commune 2001/931/PESC du Conseil, du 27 décembre 2001, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (JO 2001, L 344, p. 93), et règlement (CE) du Conseil no 2580/2001, du 27 décembre 2001, concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (JO 2001, L 344, p. 70). Ces actes ont été régulièrement mis à jour.
{2} Arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK (C 46/19 P, EU:T:2021:316).
{3} Arrêt du 15 novembre 2018, PKK/Conseil (T 316/14, EU:T:2018:788).
{4} Règlement d’exécution (UE) no 125/2014 du Conseil du 10 février 2014 (JO 2014, L 40, p. 9) ; règlement d’exécution (UE) no 790/2014 du Conseil, du 22 juillet 2014 (JO 2014, L 217, p. 1) ; décision (PESC) 2015/521 du Conseil du 26 mars 2015 (JO 2015, L 82, p. 107) ; règlement d’exécution (UE) 2015/513 du Conseil du 26 mars 2015 (JO 2015, L 82, p. 1) ; décision (PESC) 2015/1334 du Conseil du 31 juillet 2015 (JO 2015, L 206, p. 61) ; règlement d’exécution (UE) 2015/1325 du Conseil du 31 juillet 2015 (JO 2015, L 206, p. 12) ; règlement d’exécution (UE) 2015/2425 du Conseil du 21 décembre 2015 (JO 2015, L 334, p. 1) ; règlement d’exécution (UE) 2016/1127 du Conseil du 12 juillet 2016 (JO 2016, L 188, p. 1) ; règlement d’exécution (UE) 2017/150 du Conseil du 27 janvier 2017 (JO 2017, L 23, p. 3) ; décision (PESC) 2017/1426 du Conseil du 4 août 2017 (JO 2017, L 204, p. 95) ; règlement d’exécution (UE) 2017/1420 du Conseil du 4 août 2017 (JO 2017, L 204, p. 3).
{5} Décision (PESC) 2019/25 du Conseil du 8 janvier 2019 (JO 2019, L 6, p. 6) ; décision (PESC) 2019/1341 du Conseil du 8 août 2019 (JO 2019, L 209, p. 15) ; règlement d’exécution (UE) 2019/1337 du Conseil du 8 août 2019 (JO 2019, L 209, p. 1) ; règlement d’exécution (UE) 2020/19 du Conseil du 13 janvier 2020 (JO 2020, L 8I, p. 1) ; décision (PESC) 2020/1132 du Conseil du 30 juillet 2020 (JO 2020, L 247, p. 18) ; règlement d’exécution (UE) 2020/1128 du Conseil du 30 juillet 2020 (JO 2020, L 247, p. 1).
{6} Voir article 1er, paragraphes 4 et 6, de la position commune 2001/931/PESC.
{7} Ces deux types de fondements sont régis par des dispositions différentes de la position commune 2001/931/PESC, les premiers relevant de l’article 1er, paragraphe 4, de cette position et les seconds de son article 1er, paragraphe 6.
{8} Voir article 1er, paragraphe 6, de la position commune 2001/931/PESC.
{9} Article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931/PESC.
{10} Au titre de l’article 1er, paragraphe 6, de la position commune 2001/931/PESC.
{11} Article 266 TFUE : « L’institution, l’organe ou l’organisme dont émane l’acte annulé, ou dont l’abstention a été déclarée contraire aux traités, est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne. Cette obligation ne préjuge pas celle qui peut résulter de l’application de l’article 340, deuxième alinéa. »
{12}En vertu de l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, les arrêts d’annulation des règlements ne prennent effet qu’à l’expiration du délai de pourvoi ou après le rejet de celui-ci.
{13} Au titre de l’article 1er, paragraphe 6, de la position commune 2001/931/PESC.
Arrêt du 30 novembre 2022, PKK / Conseil (T-316/14 RENV et T-148/19) (cf. point 136)
Arrêt du 14 décembre 2022, PKK / Conseil (T-182/21) (cf. point 120)
63. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Principe de proportionnalité des peines - Champ d'application - Mesure d'interdiction d'exercer des fonctions publiques électives pendant une durée préétablie en cas de constatation de l'existence d'un conflit d'intérêts dans l'exercice d'une telle fonction - Exclusion - Condition - Mesure ne revêtant pas une nature pénale
En 2016, le requérant au principal a été élu maire de la commune de MN (Roumanie). Dans un rapport établi en 2019, l’Agenția Națională de Integritate (ANI) (Agence nationale pour l’intégrité, Roumanie) a constaté que celui-ci n’avait pas respecté les règles régissant les conflits d’intérêts en matière administrative. Dans le cas où ce rapport deviendrait définitif, le mandat du requérant au principal cesserait de plein droit et une interdiction complémentaire d’exercer des fonctions publiques électives pour une période de trois ans lui serait infligée.
Le requérant au principal a formé un recours tendant à l’annulation de ce rapport, en faisant valoir que le droit de l’Union s’opposait à une législation nationale en vertu de laquelle une telle interdiction est imposée, automatiquement et sans possibilité de modulation en fonction de la gravité du manquement commis, à une personne considérée comme ayant agi en situation de conflit d’intérêts{1}. Saisie de ce recours, la juridiction de renvoi a décidé d’interroger la Cour sur la conformité de cette interdiction avec le principe de proportionnalité des peines{2}, le droit de travailler{3} ainsi que le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial{4}, garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après, la « Charte »).
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour dit pour droit que l’article 49, paragraphe 3, de la Charte ne s’applique pas à une législation nationale qui prévoit, à l’issue d’une procédure administrative, une mesure d’interdiction d’exercer toute fonction publique élective pendant une durée préétablie de trois ans contre une personne à l’égard de laquelle a été constatée l’existence d’un conflit d’intérêts dans l’exercice d’une telle fonction, dans le cas où cette mesure ne revêt pas une nature pénale.
À cet égard, trois critères sont pertinents pour apprécier la nature pénale d’une sanction : la qualification juridique de l’infraction en droit interne, la nature même de l’infraction et le degré de sévérité de la sanction.
Tout d’abord, s’agissant du premier critère, ni la cessation de plein droit du mandat en cas de constatation d’un conflit d’intérêts, ni l’interdiction d’exercer toute fonction publique élective ne sont considérées en droit roumain comme étant des sanctions pénales. Ensuite, le deuxième critère implique de vérifier si la mesure en cause poursuit, notamment, une finalité répressive. Or, la législation concernée vise à garantir l’intégrité et la transparence dans l’exercice des fonctions et des charges publiques ainsi qu’à prévenir la corruption institutionnelle. Ainsi, la finalité de cette interdiction, comme celle de la déchéance de plein droit du mandat, est de préserver le bon fonctionnement et la transparence de l’État, en mettant fin durablement aux situations de conflit d’intérêts. Partant, une telle mesure poursuit un objectif essentiellement préventif et non pas répressif. Quant au troisième critère, cette mesure d’interdiction consiste non pas à imposer une peine privative de liberté ou à infliger une amende, mais à interdire l’exercice futur d’activités déterminées, à savoir des fonctions publiques électives, visant un groupe circonscrit de personnes ayant un statut particulier. Elle a une durée limitée et ne porte pas sur le droit de vote.
Or, pour autant qu’elle ne revêtirait pas une nature pénale, ladite mesure ne saurait être appréciée au regard de l’article 49, paragraphe 3, de la Charte.
Cela étant, en ce qu’elle met en œuvre le droit de l’Union, la législation nationale en cause doit, en tout état de cause, être conforme au principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union.
À ce propos, la Cour constate, en deuxième lieu, que ce principe ne s’oppose pas à cette législation pour autant que, au vu de toutes les circonstances pertinentes, son application aboutisse à infliger une sanction en adéquation avec la gravité de la violation qu’elle réprime, compte tenu de l’objectif de garantir l’intégrité et la transparence dans l’exercice des fonctions et des charges publiques ainsi que de prévenir la corruption institutionnelle. Tel ne serait pas le cas lorsque, exceptionnellement, le comportement illicite constaté, eu égard à cet objectif, ne présente pas d’élément de gravité tandis que l’impact de cette mesure sur la situation personnelle, professionnelle et économique de cette personne s’avère particulièrement grave.
Ainsi, l’imposition automatique de la sanction en cause permet de faire cesser durablement la situation de conflit d’intérêts relevée en préservant le fonctionnement de l’État et des organes électifs concernés. En outre, le fait de prévoir tant la cessation de plein droit du mandat qu’une interdiction automatique d’exercer toute fonction publique élective pendant une durée prédéterminée suffisamment longue paraît être de nature à dissuader les personnes exerçant un mandat électif de se placer dans une telle situation et à les inciter à respecter leurs obligations en la matière.
De plus, concernant le caractère nécessaire de l’interdiction en cause, le législateur roumain a fixé sa durée à trois ans en considération de la gravité intrinsèque, tant pour le fonctionnement de l’État que pour la société, des faits constitutifs d’une situation de conflit d’intérêts. Ainsi, cette interdiction est imposée en conséquence du manquement commis par une personne exerçant des fonctions publiques électives et qui présente une gravité certaine. À cet égard, doivent également être pris en compte l’ampleur des conflits d’intérêts et le niveau de corruption observés dans le secteur public national. Par ailleurs, ladite interdiction est limitée dans le temps, ne s’applique qu’à certaines catégories de personnes exerçant des fonctions particulières et ne vise que des activités délimitées, à savoir les fonctions publiques électives, n’empêchant pas l’exercice de toute autre activité professionnelle.
S’agissant, enfin, du caractère proportionné de la mesure en cause, eu égard à la gravité de l’atteinte à l’intérêt public résultant des actes de corruption et des conflits d’intérêts, mêmes les moins importants, de la part des élus dans un contexte national de risque de corruption élevé, cette mesure n’apparaît pas, en principe, disproportionnée par rapport à l’infraction qu’elle vise à sanctionner. Cela étant, la circonstance que la durée de cette interdiction ne soit assortie d’aucune possibilité de modulation ne permet pas d’exclure que, dans certains cas exceptionnels, cette sanction puisse s’avérer disproportionnée.
En troisième lieu, la Cour précise que le droit d’exercer un mandat électif obtenu à l’issue d’un processus électoral démocratique, tel que celui de maire, ne relève pas de l’article 15, paragraphe 1, de la Charte.
Bien que cette disposition soit libellée de manière large, son champ d’application n’inclut pas le droit d’exercer, pendant une durée déterminée, un tel mandat. L’article 15 de la Charte figure en effet dans le titre II de celle-ci, intitulé « Libertés », alors que des dispositions spécifiques visant le droit d’éligibilité à des élections figurent dans un titre distinct, soit le titre V, intitulé « Citoyenneté »{5}. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme corrobore cette interprétation{6}.
En quatrième et dernier lieu, la Cour constate que l’article 47 de la Charte ne s’oppose pas à la législation nationale concernée, pour autant que la personne visée ait effectivement la possibilité de contester la légalité du rapport ayant constaté l’existence d’un conflit d’intérêts et de la sanction infligée sur le fondement de celui-ci, y compris sa proportionnalité.
Le droit à un recours effectif implique notamment que le titulaire de ce droit puisse accéder à un tribunal compétent pour assurer le respect des droits qui lui sont garantis par le droit de l’Union et, à cette fin, pour examiner toutes les questions de droit et de fait pertinentes pour résoudre le litige dont il se trouve saisi. En l’occurrence, ce droit suppose que la juridiction de renvoi puisse contrôler la légalité du rapport d’évaluation mettant en cause le requérant au principal et, le cas échéant, annuler ce rapport ainsi que les sanctions infligées sur le fondement de celui-ci.
{1} Article 25 de la Legea nr. 176/2010 privind integritatea în exercitarea funcțiilor și demnităților publice, pentru modificarea și completarea legii nr. 144/2007 privind înființarea, organizarea și funcționarea Agenției Naționale de Integritate, precum și pentru modificarea și completarea altor acte normative (loi nº 176/2010 relative à l’intégrité dans l’exercice des fonctions et charges publiques, modifiant et complétant la loi nº 144/2007 concernant la création, l’organisation et le fonctionnement de l’Agence nationale pour l’intégrité, ainsi que modifiant et complétant d’autres actes normatifs), du 1er septembre 2010. Cette loi met en œuvre le deuxième objectif de référence figurant à l’annexe de la décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption (JO 2006, L 354, p. 56).
{2} Article 49, paragraphe 3, de la Charte.
{3} Article 15, paragraphe 1, de la Charte.
{4} Article 47 de la Charte.
{5} Voir les articles 39 et 40 de la Charte relatifs au droit de vote et d’éligibilité respectivement aux élections au Parlement européen et aux élections municipales.
{6} Voir Cour EDH, 8 novembre 2016, Savisaar c. Estonie, CE:ECHR:2016:1108DEC000836516.
64. Droit de l'Union européenne - Principes généraux du droit - Sécurité juridique - Légalité des peines - Décision de la Commission constatant une infraction aux règles de la concurrence et imposant une amende - Prévisibilité du caractère infractionnel du comportement sanctionné - Accord à l'amiable en matière de brevets conclu entre un laboratoire de princeps et une entreprise de médicaments génériques - Accord contenant des clauses de non-concurrence et de non-contestation de brevets en faveur du laboratoire de princeps - Entreprises ne pouvant ignorer le caractère problématique de l'accord au regard du droit de la concurrence
En 1993, la société biopharmaceutique américaine Cephalon Inc. a obtenu les droits exclusifs sur le principe pharmaceutique actif dénommé modafinil, commercialisé pour le traitement de certains troubles du sommeil dans plusieurs pays de l’Espace économique européen (EEE).
Les différents brevets nationaux de molécule détenus par Cephalon pour le modafinil dans l’EEE ont expiré au plus tard en 2003. Néanmoins, Cephalon détenait encore des brevets secondaires sur la taille des particules ainsi que d’autres brevets liés au modafinil, qui expiraient en 2015 dans l’EEE.
En 2002, Cephalon a engagé une procédure de contrefaçon de brevet aux États-Unis contre Teva Pharmaceutical Industries Ltd (ci-après « Teva ») et trois autres sociétés du secteur des génériques, afin d’éviter la commercialisation de leurs produits génériques du modafinil aux États-Unis. Teva ayant lancé son produit générique au Royaume-Uni en juin 2005, Cephalon a également engagé une procédure judiciaire en matière de brevets au Royaume-Uni. En réponse, Teva a déposé une demande reconventionnelle en nullité.
Fin 2005, Cephalon et Teva ont conclu un accord de règlement amiable mettant fin à leur contentieux au sujet du modafinil aux États-Unis et au Royaume-Uni (ci-après l’« accord de règlement amiable »). Aux termes de cet accord, Teva s’engageait à ne pas entrer de manière indépendante ni concurrencer Cephalon sur le marché du modafinil (ci-après la « clause de non-concurrence ») et à ne pas contester ses brevets du modafinil (ci-après la « clause de non-contestation ») (ci-après, prises ensemble, les « clauses restrictives »).
L’accord de règlement amiable comportait également un ensemble de transactions commerciales prévoyant, entre autres, l’octroi d’une licence non exclusive par Teva à Cephalon sur ses droits de propriété intellectuelle relatifs au modafinil, la fourniture de modafinil par Teva à Céphalon, ainsi que la distribution de produits de Cephalon au Royaume-Uni par Teva. Les paiements et redevances prévues pour ces transactions impliquaient des transferts de valeurs importants au bénéfice de Teva. De plus, l’accord de règlement amiable accordait à Teva une licence non exclusive pour le lancement de son produit générique du modafinil, y compris dans l’EEE, à partir de 2012 au plus tard.
Estimant que l’accord de règlement amiable enfreignait l’interdiction des ententes prévue à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, la Commission a infligé à Cephalon et à Teva des amendes s’élevant respectivement à 30 480 000 euros et à 30 000 000 euros{1}.
Cephalon et Teva ont introduit un recours en annulation contre cette décision, qui est rejeté par la troisième chambre élargie du Tribunal. Dans ce cadre, le Tribunal apporte des précisions à la jurisprudence récente au sujet de l’examen des accords de règlement amiable de litiges en matière de brevets au regard du droit de la concurrence de l’Union.
Appréciation du Tribunal
Au soutien de leur recours, les requérantes reprochaient notamment à la Commission d’avoir commis une erreur de droit et de fait en qualifiant l’accord de règlement amiable de « restriction de concurrence par objet » au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
À cet égard, le Tribunal rappelle, tout d’abord, qu’il résulte de l’arrêt Generics (UK) de la Cour{2} qu’un accord de règlement amiable en matière de brevets qui comporte tant des clauses restrictives de concurrence que des transactions commerciales constitue une restriction par objet dès lors que les transferts de valeurs découlant des transactions commerciales prévues entre le titulaire du brevet en cause et le contrefacteur allégué s’expliquent uniquement par leur intérêt commercial à ne pas se livrer une concurrence par les mérites. C’est, par conséquent, sans commettre d’erreur de droit que la Commission a examiné, dans la décision attaquée, si les transactions commerciales prévues par l’accord de règlement amiable auraient été conclues sans les clauses restrictives, afin de vérifier si elles constituaient une incitation pour Teva à renoncer à concurrencer Cephalon par ses mérites.
Par ailleurs, le fait d’associer un accord commercial conclu entre un fabricant de médicaments princeps et un fabricant de médicaments génériques à un accord de règlement amiable qui comporte, comme en l’espèce, des clauses de non-concurrence et de non-contestation laisse à craindre que ce montage contractuel complexe vise à inciter la société fabriquant des médicaments génériques à se soumettre, au moyen d’un transfert de valeur prévu par l’accord commercial, à ces clauses restrictives. Dans ce contexte, la question de savoir si un tel accord aurait également été conclu dans des conditions normales de marché fait partie de l’évaluation que la Commission doit effectuer au titre de l’article 101 TFUE. À ces fins, celle-ci doit apprécier si le solde positif net des transferts de valeurs du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques était suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques à ne pas concurrencer par ses mérites le fabricant de médicaments princeps.
À la lumière de ce qui précède, le Tribunal rejette ensuite les griefs des requérantes contestant la conclusion de la Commission selon laquelle les différentes transactions commerciales prévues par l’accord de règlement amiable avaient, en effet, pour seul objet de servir de transfert de valeur de Cephalon à Teva en contrepartie de l’engagement de cette dernière de ne pas entrer de manière indépendante sur les marchés des médicaments génériques et de ne pas concurrencer Cephalon sur le modafinil.
À cet égard, le Tribunal constate que la Commission a établi, dans la décision attaquée, que chacune des transactions commerciales prévues dans l’accord de règlement amiable n’avait eu d’autre but que d’augmenter le niveau du transfert de valeur globalement opéré en faveur de Teva afin de l’inciter à accepter les clauses restrictives. En outre, la Commission a, à juste titre, pu constater que l’ensemble des transactions commerciales était suffisant pour inciter Teva à accepter les engagements de non-concurrence et de non-contestation. En effet, il ressort du déroulement des négociations, tel qu’analysé par la Commission dans la décision attaquée sur la base des éléments de preuve, que tant Cephalon que Teva ont cherché à trouver une combinaison de transactions représentant une certaine valeur globale suffisamment bénéfique pour cette dernière afin qu’elle accepte les clauses restrictives.
Le Tribunal écarte, enfin, les griefs de Cephalon et Teva qui, en se référant à l’arrêt Generics (UK) de la Cour, faisaient valoir que les effets proconcurrentiels engendrés par l’accord de règlement amiable s’opposaient à sa qualification de restriction de concurrence par objet.
À cet égard, le Tribunal rejette, d’une part, l’argumentation tirée du fait que l’accord de règlement amiable aurait accéléré l’entrée indépendante de Teva sur le marché au regard du cas de figure où celle-ci n’aurait pas gagné dans la procédure judiciaire en matière de brevets au Royaume-Uni. Sur ce point, le Tribunal relève que, pour déterminer si des effets proconcurrentiels s’opposaient à la constatation d’une restriction de concurrence par objet, la Commission ne devait pas examiner des scénarios selon lesquels l’une ou l’autre partie aurait gain de cause dans le litige en matière de brevets.
D’autre part, le Tribunal souligne que, alors que Teva avait des possibilités concrètes d’entrer sur le marché du modafinil en 2005 en tant qu’entrante indépendante, l’accord de règlement amiable et les droits génériques de Teva qui s’y rapportent ne prévoyaient l’entrée de Teva sur ce marché qu’en 2012. Partant, cet accord a retardé l’entrée sur le marché de Teva de sept années, en donnant la garantie à Cephalon qu’elle ne subirait aucune concurrence de sa part durant cette période. De plus, l’entrée prévue de Teva sur le marché du modafinil n’était pas indépendante, en ce qu’elle était fondée sur une licence et soumise à des redevances importantes. De ce fait, il était peu probable qu’il y ait une forte concurrence par les prix entre Teva et Cephalon.
Les autres griefs soulevés par Cephalon et Teva s’étant également révélés non fondés, le Tribunal rejette leur recours dans son intégralité.
{1} Décision C(2020) 8153 final de la Commission européenne, du 26 novembre 2020, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.39686-CEPHALON) (ci-après la « décision attaquée »).
{2} Arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C-307/18, EU:C:2020:52).
65. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Principe de légalité des délits et des peines - Usage non consenti d'une marque dans la vie des affaires - Législation nationale qualifiant le même comportement d'infraction pénale et d'infraction administrative - Infraction décrite dans des termes similaires, voire identiques, dans la loi pénale et dans la loi sur les marques - Absence de critères de délimitation - Admissibilité
Voir le texte de la décision.
66. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Principe de proportionnalité des peines - Usage non consenti d'une marque dans la vie des affaires - Législation nationale prévoyant, en cas d'un tel usage répété ou avec des conséquences préjudiciables importantes, une peine plancher de cinq ans d'emprisonnement - Inadmissibilité
Voir le texte de la décision.
67. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Principe de légalité des délits et des peines - Usage non consenti d'une marque dans la vie des affaires - Législation nationale qualifiant le même comportement d'infraction pénale et d'infraction administrative - Infraction décrite dans des termes identiques dans la loi pénale et dans la loi sur les marques - Absence de critères de délimitation - Admissibilité
Ordonnance du 8 avril 2024, Dramanova (C-558/23) (cf. points 38-40, disp. 2)
68. Fonctionnaires - Absences irrégulières ou injustifiées - Imposition d'une révocation, d'une retenue sur salaire et d'une suspension de l'acquisition de droits à pension d'ancienneté pour les périodes d'absence - Violation des principes ne bis in idem et de la légalité des délits et des peines - Absence
Arrêt du 19 juin 2024, PV / Commission (T-78/21) (cf. points 207-218, 299)
69. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Principe de légalité des délits et des peines - Portée - Prévisibilité du caractère infractionnel du comportement sanctionné - Accord à l'amiable en matière de brevets conclu entre un laboratoire de princeps et une entreprise de médicaments génériques - Accord accessoire conclu entre une filiale du fabricant de médicaments princeps et le fabricant de médicaments génériques - Accords contraires au droit de la concurrence - Filiale du fabricant de médicament de princeps ne pouvant ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement
Voir texte de la décision.
Voir texte de la décision.
Voir texte de la décision.
Voir texte de la décision.
Arrêt du 27 juin 2024, Biogaran / Commission (C-207/19 P) (cf. points 123-132)
70. Rapprochement des législations - Coopération administrative dans le domaine fiscal - Directive 2011/16 - Échange automatique et obligatoire d'informations - Obligation de déclaration des dispositifs transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif - Notions de dispositif, dispositif transfrontière, dispositif commercialisable, dispositif sur mesure, intermédiaire et entreprise associée - Notions suffisamment claires et précises - Violation des principes de sécurité juridique et de légalité en matière pénale - Absence - Ingérence dans la vie privée de l'intermédiaire et du contribuable concerné définie de manière suffisamment précise
Dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité, la Cour juge que l’obligation de déclaration des dispositifs fiscaux transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif auprès des autorités compétentes instituée par la directive 2011/16 modifiée{1} n’enfreint pas les droits fondamentaux, notamment le principe d’égalité de traitement et le droit au respect de la vie privée, ni le principe de sécurité juridique.
En l’espèce, une loi du 20 décembre 2019 avait transposé dans l’ordre juridique belge la directive 2011/16 modifiée.
Plusieurs associations et professionnels, intervenant dans le domaine des services juridiques, fiscaux ou de conseil, ont demandé à la Cour constitutionnelle (Belgique) l’annulation totale ou partielle de cette loi. Elles contestaient, en substance, tant le manque de précision de cette loi quant à l’étendue du champ d’application et la portée de l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières qu’elle comprend, que certains effets de cette obligation.
Dans la mesure où les dispositions nationales ainsi contestées trouvent leur source dans les dispositions de la directive 2011/16 modifiée, la Cour constitutionnelle a saisi la Cour de plusieurs questions préjudicielles portant sur l’appréciation de la validité de l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières, prévue à l’article 8 bis ter, paragraphes 1, 6 et 7 de cette directive, ainsi que de l’obligation de notification subsidiaire, prévue à l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de cette même directive, au regard des articles 7, 20, 21 et de l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), ainsi que du principe général de sécurité juridique.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, s’agissant d’apprécier l’existence d’une éventuelle violation du principe d’égalité de traitement prévu à l’article 20 de la Charte par la directive 2011/16 modifiée en ce que cette directive ne limite pas l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières au domaine de l’impôt sur les sociétés, mais la rend applicable à l’égard de tous les impôts rentrant dans son champ d’application, la Cour indique, tout d’abord, que le critère de référence à prendre en compte est celui du risque de planification fiscale agressive et d’évasion et de fraude fiscales par les dispositifs transfrontières concernés contre lequel le législateur de l’Union a, en l’occurrence, entendu lutter. Or, tout type d’impôt ou de taxe est susceptible de faire l’objet d’une planification fiscale agressive, qu’il s’agisse de l’impôt sur les sociétés, des autres impôts directs ou des impôts indirects qui ne font pas l’objet de réglementations spécifiques de l’Union{2}.
Dès lors, les différents types d’impôts soumis à l’obligation de déclaration prévue par la directive 2011/16 modifiée relèvent de situations comparables au regard des objectifs poursuivis par cette directive, une telle soumission ne revêtant pas à cet égard un caractère manifestement inapproprié au regard desdits objectifs.
En deuxième lieu, la Cour considère que les notions{3} et le point de départ du délai de 30 jours imparti pour l’exécution de l’obligation de déclaration, que la directive 2011/16 modifiée emploie et fixe pour déterminer le champ d’application et la portée de cette obligation, sont suffisamment clairs et précis au regard des exigences découlant du principe de sécurité juridique et du principe de légalité en matière pénale consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la Charte.
En outre, l’article 7 de la Charte n’imposant aucune obligation plus stricte que l’article 49 de celle-ci en termes d’exigence de clarté ou de précision des notions employées et des délais fixés, l’ingérence dans la vie privée de l’intermédiaire et du contribuable concerné qu’implique l’obligation de déclaration est elle-même définie de manière suffisamment précise eu égard aux informations que cette déclaration doit contenir.
En troisième lieu, s’agissant d’une éventuelle atteinte au secret professionnel par un intermédiaire autre qu’un avocat, résultant de l’obligation de notification subsidiaire prévue à l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16 modifiée, en ce que cette obligation a pour conséquence de porter à la connaissance d’un tiers, et, ultimement, de l’administration fiscale, l’existence du lien de consultation entre cet intermédiaire et son client, la Cour précise tout d’abord que la faculté des États membres de substituer l’obligation de notification à l’obligation de déclaration n’a été ouverte, par cet article, qu’à l’égard des professionnels qui, à l’instar des avocats, sont habilités, selon le droit national, à assurer la représentation en justice.
Ensuite, ce n’est qu’en raison de la position singulière qu’occupe la profession d’avocat au sein de l’organisation judiciaire des États membres que la Cour, dans l’arrêt Orde van Vlaamse Balies e.a.{4}, a considéré que l’obligation de notification subsidiaire, lorsqu’elle est imposée à l’avocat, viole l’article 7 de la Charte.
Ainsi, la solution dégagée dans cet arrêt vaut seulement à l’égard des personnes qui exercent leurs activités professionnelles sous l’un des titres professionnels mentionnés à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 98/5{5}, et ne s’étend pas aux autres professionnels ne remplissant pas ces caractéristiques, quand bien même ils seraient habilités par les États membres à assurer la représentation en justice.
Enfin, en quatrième lieu, s’agissant de l’éventuelle atteinte, par l’obligation de déclaration, au droit à la protection de la vie privée, lorsque cette obligation concerne un dispositif poursuivant un avantage fiscal, de manière légale et non abusive, laquelle limiterait alors, ainsi que le souligne la juridiction de renvoi, la liberté du contribuable de choisir - et celle de l’intermédiaire de concevoir et de lui conseiller - la voie fiscale la moins imposée, la Cour se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme{6}, de laquelle il ressort que la notion de vie privée est une notion large qui inclut la notion d’autonomie personnelle, laquelle recouvre la liberté de toute personne d’organiser sa vie et ses activités, tant personnelles que professionnelles ou commerciales.
Tenant compte de cette jurisprudence, la Cour considère que l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée garanti à l’article 7 de la Charte, dans la mesure où elle aboutit à révéler à l’administration le résultat de travaux de conception et d’ingénierie fiscale se fondant sur des disparités existant entre les différentes réglementations nationales applicables, menés, dans le contexte d’activités personnelles, professionnelles ou commerciales, par le contribuable lui-même ou par un intermédiaire, et partant, est susceptible de dissuader tant ledit contribuable que ses conseils de concevoir et de mettre en œuvre des mécanismes de planification fiscale transfrontière.
Cependant, une telle ingérence qui ne porte pas atteinte à l’essence du droit au respect de la vie privée et qui est proportionnée et ne revêt pas un caractère démesuré par rapport à l’objectif d’intérêt général de lutte contre la planification fiscale agressive et de la prévention des risques d’évasion et de fraude fiscales en l’occurrence poursuivi par la directive 2011/16 modifiée est justifiée au regard dudit objectif. Il s’ensuit que l’obligation de déclaration en cause ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée, compris comme le droit de toute personne d’organiser sa vie privée, tel que garanti par l’article 7 de la Charte.
{1} Directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (JO 2011, L 64, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2018/822 du Conseil, du 25 mai 2018 (JO 2018, L 139, p. 1, ci-après la « directive 2011/16 modifiée »).
{2} La taxe sur la valeur ajoutée, les droits de douane et les droits d’accises sont exclus du champ d’application de la directive 2011/16 modifiée.
{3} Les notions à l’égard desquelles la juridiction de renvoi exprimait des doutes quant à leur précision et clarté sont celles de « dispositif », de « dispositif transfrontière », de « dispositif commercialisable », de « dispositif sur mesure », d’« intermédiaire », de « participant », d’« entreprise associée », ainsi que le qualificatif « transfrontière », les différents « marqueurs » définis à l’annexe IV et le « critère de l’avantage principal ».
{4} Arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a. (C-694/20, EU:C:2022:963).
{5} Directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (JO 1998, L 77, p. 36).
{6} Voir, en particulier, Cour EDH, 18 janvier 2018, FNASS e.a. c. France, ECLI:CE:ECHR:2018:0118JUD004815111, § 153 et jurisprudence citée. À cet égard, l’article 7 de la Charte correspond à l’article 8, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, la Cour tient compte, dans l’interprétation des droits garantis par cet article 7, des droits correspondants garantis par cet article 8, paragraphe 1, tels qu’interprétés par la Cour EDH.
71. Rapprochement des législations - Coopération administrative dans le domaine fiscal - Directive 2011/16 - Échange automatique et obligatoire d'informations - Obligation de déclaration des dispositifs transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif - Marqueurs de ces dispositifs - Identification suffisamment claire et précise - Violation des principes de sécurité juridique et de légalité en matière pénale - Absence - Ingérence dans la vie privée de l'intermédiaire et du contribuable concerné définie de manière suffisamment précise
Dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité, la Cour juge que l’obligation de déclaration des dispositifs fiscaux transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif auprès des autorités compétentes instituée par la directive 2011/16 modifiée{1} n’enfreint pas les droits fondamentaux, notamment le principe d’égalité de traitement et le droit au respect de la vie privée, ni le principe de sécurité juridique.
En l’espèce, une loi du 20 décembre 2019 avait transposé dans l’ordre juridique belge la directive 2011/16 modifiée.
Plusieurs associations et professionnels, intervenant dans le domaine des services juridiques, fiscaux ou de conseil, ont demandé à la Cour constitutionnelle (Belgique) l’annulation totale ou partielle de cette loi. Elles contestaient, en substance, tant le manque de précision de cette loi quant à l’étendue du champ d’application et la portée de l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières qu’elle comprend, que certains effets de cette obligation.
Dans la mesure où les dispositions nationales ainsi contestées trouvent leur source dans les dispositions de la directive 2011/16 modifiée, la Cour constitutionnelle a saisi la Cour de plusieurs questions préjudicielles portant sur l’appréciation de la validité de l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières, prévue à l’article 8 bis ter, paragraphes 1, 6 et 7 de cette directive, ainsi que de l’obligation de notification subsidiaire, prévue à l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de cette même directive, au regard des articles 7, 20, 21 et de l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), ainsi que du principe général de sécurité juridique.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, s’agissant d’apprécier l’existence d’une éventuelle violation du principe d’égalité de traitement prévu à l’article 20 de la Charte par la directive 2011/16 modifiée en ce que cette directive ne limite pas l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières au domaine de l’impôt sur les sociétés, mais la rend applicable à l’égard de tous les impôts rentrant dans son champ d’application, la Cour indique, tout d’abord, que le critère de référence à prendre en compte est celui du risque de planification fiscale agressive et d’évasion et de fraude fiscales par les dispositifs transfrontières concernés contre lequel le législateur de l’Union a, en l’occurrence, entendu lutter. Or, tout type d’impôt ou de taxe est susceptible de faire l’objet d’une planification fiscale agressive, qu’il s’agisse de l’impôt sur les sociétés, des autres impôts directs ou des impôts indirects qui ne font pas l’objet de réglementations spécifiques de l’Union{2}.
Dès lors, les différents types d’impôts soumis à l’obligation de déclaration prévue par la directive 2011/16 modifiée relèvent de situations comparables au regard des objectifs poursuivis par cette directive, une telle soumission ne revêtant pas à cet égard un caractère manifestement inapproprié au regard desdits objectifs.
En deuxième lieu, la Cour considère que les notions{3} et le point de départ du délai de 30 jours imparti pour l’exécution de l’obligation de déclaration, que la directive 2011/16 modifiée emploie et fixe pour déterminer le champ d’application et la portée de cette obligation, sont suffisamment clairs et précis au regard des exigences découlant du principe de sécurité juridique et du principe de légalité en matière pénale consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la Charte.
En outre, l’article 7 de la Charte n’imposant aucune obligation plus stricte que l’article 49 de celle-ci en termes d’exigence de clarté ou de précision des notions employées et des délais fixés, l’ingérence dans la vie privée de l’intermédiaire et du contribuable concerné qu’implique l’obligation de déclaration est elle-même définie de manière suffisamment précise eu égard aux informations que cette déclaration doit contenir.
En troisième lieu, s’agissant d’une éventuelle atteinte au secret professionnel par un intermédiaire autre qu’un avocat, résultant de l’obligation de notification subsidiaire prévue à l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16 modifiée, en ce que cette obligation a pour conséquence de porter à la connaissance d’un tiers, et, ultimement, de l’administration fiscale, l’existence du lien de consultation entre cet intermédiaire et son client, la Cour précise tout d’abord que la faculté des États membres de substituer l’obligation de notification à l’obligation de déclaration n’a été ouverte, par cet article, qu’à l’égard des professionnels qui, à l’instar des avocats, sont habilités, selon le droit national, à assurer la représentation en justice.
Ensuite, ce n’est qu’en raison de la position singulière qu’occupe la profession d’avocat au sein de l’organisation judiciaire des États membres que la Cour, dans l’arrêt Orde van Vlaamse Balies e.a.{4}, a considéré que l’obligation de notification subsidiaire, lorsqu’elle est imposée à l’avocat, viole l’article 7 de la Charte.
Ainsi, la solution dégagée dans cet arrêt vaut seulement à l’égard des personnes qui exercent leurs activités professionnelles sous l’un des titres professionnels mentionnés à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 98/5{5}, et ne s’étend pas aux autres professionnels ne remplissant pas ces caractéristiques, quand bien même ils seraient habilités par les États membres à assurer la représentation en justice.
Enfin, en quatrième lieu, s’agissant de l’éventuelle atteinte, par l’obligation de déclaration, au droit à la protection de la vie privée, lorsque cette obligation concerne un dispositif poursuivant un avantage fiscal, de manière légale et non abusive, laquelle limiterait alors, ainsi que le souligne la juridiction de renvoi, la liberté du contribuable de choisir - et celle de l’intermédiaire de concevoir et de lui conseiller - la voie fiscale la moins imposée, la Cour se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme{6}, de laquelle il ressort que la notion de vie privée est une notion large qui inclut la notion d’autonomie personnelle, laquelle recouvre la liberté de toute personne d’organiser sa vie et ses activités, tant personnelles que professionnelles ou commerciales.
Tenant compte de cette jurisprudence, la Cour considère que l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée garanti à l’article 7 de la Charte, dans la mesure où elle aboutit à révéler à l’administration le résultat de travaux de conception et d’ingénierie fiscale se fondant sur des disparités existant entre les différentes réglementations nationales applicables, menés, dans le contexte d’activités personnelles, professionnelles ou commerciales, par le contribuable lui-même ou par un intermédiaire, et partant, est susceptible de dissuader tant ledit contribuable que ses conseils de concevoir et de mettre en œuvre des mécanismes de planification fiscale transfrontière.
Cependant, une telle ingérence qui ne porte pas atteinte à l’essence du droit au respect de la vie privée et qui est proportionnée et ne revêt pas un caractère démesuré par rapport à l’objectif d’intérêt général de lutte contre la planification fiscale agressive et de la prévention des risques d’évasion et de fraude fiscales en l’occurrence poursuivi par la directive 2011/16 modifiée est justifiée au regard dudit objectif. Il s’ensuit que l’obligation de déclaration en cause ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée, compris comme le droit de toute personne d’organiser sa vie privée, tel que garanti par l’article 7 de la Charte.
{1} Directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (JO 2011, L 64, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2018/822 du Conseil, du 25 mai 2018 (JO 2018, L 139, p. 1, ci-après la « directive 2011/16 modifiée »).
{2} La taxe sur la valeur ajoutée, les droits de douane et les droits d’accises sont exclus du champ d’application de la directive 2011/16 modifiée.
{3} Les notions à l’égard desquelles la juridiction de renvoi exprimait des doutes quant à leur précision et clarté sont celles de « dispositif », de « dispositif transfrontière », de « dispositif commercialisable », de « dispositif sur mesure », d’« intermédiaire », de « participant », d’« entreprise associée », ainsi que le qualificatif « transfrontière », les différents « marqueurs » définis à l’annexe IV et le « critère de l’avantage principal ».
{4} Arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a. (C-694/20, EU:C:2022:963).
{5} Directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (JO 1998, L 77, p. 36).
{6} Voir, en particulier, Cour EDH, 18 janvier 2018, FNASS e.a. c. France, ECLI:CE:ECHR:2018:0118JUD004815111, § 153 et jurisprudence citée. À cet égard, l’article 7 de la Charte correspond à l’article 8, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, la Cour tient compte, dans l’interprétation des droits garantis par cet article 7, des droits correspondants garantis par cet article 8, paragraphe 1, tels qu’interprétés par la Cour EDH.
72. Rapprochement des législations - Coopération administrative dans le domaine fiscal - Directive 2011/16 - Échange automatique et obligatoire d'informations - Obligation de déclaration des dispositifs transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif - Point de départ du délai de trente jours pour l'exécution de cette obligation - Détermination suffisamment claire et précise - Violation des principes de sécurité juridique et de légalité en matière pénale - Absence - Ingérence dans la vie privée de l'intermédiaire et du contribuable concerné définie de manière suffisamment précise
Dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité, la Cour juge que l’obligation de déclaration des dispositifs fiscaux transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif auprès des autorités compétentes instituée par la directive 2011/16 modifiée{1} n’enfreint pas les droits fondamentaux, notamment le principe d’égalité de traitement et le droit au respect de la vie privée, ni le principe de sécurité juridique.
En l’espèce, une loi du 20 décembre 2019 avait transposé dans l’ordre juridique belge la directive 2011/16 modifiée.
Plusieurs associations et professionnels, intervenant dans le domaine des services juridiques, fiscaux ou de conseil, ont demandé à la Cour constitutionnelle (Belgique) l’annulation totale ou partielle de cette loi. Elles contestaient, en substance, tant le manque de précision de cette loi quant à l’étendue du champ d’application et la portée de l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières qu’elle comprend, que certains effets de cette obligation.
Dans la mesure où les dispositions nationales ainsi contestées trouvent leur source dans les dispositions de la directive 2011/16 modifiée, la Cour constitutionnelle a saisi la Cour de plusieurs questions préjudicielles portant sur l’appréciation de la validité de l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières, prévue à l’article 8 bis ter, paragraphes 1, 6 et 7 de cette directive, ainsi que de l’obligation de notification subsidiaire, prévue à l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de cette même directive, au regard des articles 7, 20, 21 et de l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), ainsi que du principe général de sécurité juridique.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, s’agissant d’apprécier l’existence d’une éventuelle violation du principe d’égalité de traitement prévu à l’article 20 de la Charte par la directive 2011/16 modifiée en ce que cette directive ne limite pas l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières au domaine de l’impôt sur les sociétés, mais la rend applicable à l’égard de tous les impôts rentrant dans son champ d’application, la Cour indique, tout d’abord, que le critère de référence à prendre en compte est celui du risque de planification fiscale agressive et d’évasion et de fraude fiscales par les dispositifs transfrontières concernés contre lequel le législateur de l’Union a, en l’occurrence, entendu lutter. Or, tout type d’impôt ou de taxe est susceptible de faire l’objet d’une planification fiscale agressive, qu’il s’agisse de l’impôt sur les sociétés, des autres impôts directs ou des impôts indirects qui ne font pas l’objet de réglementations spécifiques de l’Union{2}.
Dès lors, les différents types d’impôts soumis à l’obligation de déclaration prévue par la directive 2011/16 modifiée relèvent de situations comparables au regard des objectifs poursuivis par cette directive, une telle soumission ne revêtant pas à cet égard un caractère manifestement inapproprié au regard desdits objectifs.
En deuxième lieu, la Cour considère que les notions{3} et le point de départ du délai de 30 jours imparti pour l’exécution de l’obligation de déclaration, que la directive 2011/16 modifiée emploie et fixe pour déterminer le champ d’application et la portée de cette obligation, sont suffisamment clairs et précis au regard des exigences découlant du principe de sécurité juridique et du principe de légalité en matière pénale consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la Charte.
En outre, l’article 7 de la Charte n’imposant aucune obligation plus stricte que l’article 49 de celle-ci en termes d’exigence de clarté ou de précision des notions employées et des délais fixés, l’ingérence dans la vie privée de l’intermédiaire et du contribuable concerné qu’implique l’obligation de déclaration est elle-même définie de manière suffisamment précise eu égard aux informations que cette déclaration doit contenir.
En troisième lieu, s’agissant d’une éventuelle atteinte au secret professionnel par un intermédiaire autre qu’un avocat, résultant de l’obligation de notification subsidiaire prévue à l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16 modifiée, en ce que cette obligation a pour conséquence de porter à la connaissance d’un tiers, et, ultimement, de l’administration fiscale, l’existence du lien de consultation entre cet intermédiaire et son client, la Cour précise tout d’abord que la faculté des États membres de substituer l’obligation de notification à l’obligation de déclaration n’a été ouverte, par cet article, qu’à l’égard des professionnels qui, à l’instar des avocats, sont habilités, selon le droit national, à assurer la représentation en justice.
Ensuite, ce n’est qu’en raison de la position singulière qu’occupe la profession d’avocat au sein de l’organisation judiciaire des États membres que la Cour, dans l’arrêt Orde van Vlaamse Balies e.a.{4}, a considéré que l’obligation de notification subsidiaire, lorsqu’elle est imposée à l’avocat, viole l’article 7 de la Charte.
Ainsi, la solution dégagée dans cet arrêt vaut seulement à l’égard des personnes qui exercent leurs activités professionnelles sous l’un des titres professionnels mentionnés à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 98/5{5}, et ne s’étend pas aux autres professionnels ne remplissant pas ces caractéristiques, quand bien même ils seraient habilités par les États membres à assurer la représentation en justice.
Enfin, en quatrième lieu, s’agissant de l’éventuelle atteinte, par l’obligation de déclaration, au droit à la protection de la vie privée, lorsque cette obligation concerne un dispositif poursuivant un avantage fiscal, de manière légale et non abusive, laquelle limiterait alors, ainsi que le souligne la juridiction de renvoi, la liberté du contribuable de choisir - et celle de l’intermédiaire de concevoir et de lui conseiller - la voie fiscale la moins imposée, la Cour se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme{6}, de laquelle il ressort que la notion de vie privée est une notion large qui inclut la notion d’autonomie personnelle, laquelle recouvre la liberté de toute personne d’organiser sa vie et ses activités, tant personnelles que professionnelles ou commerciales.
Tenant compte de cette jurisprudence, la Cour considère que l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée garanti à l’article 7 de la Charte, dans la mesure où elle aboutit à révéler à l’administration le résultat de travaux de conception et d’ingénierie fiscale se fondant sur des disparités existant entre les différentes réglementations nationales applicables, menés, dans le contexte d’activités personnelles, professionnelles ou commerciales, par le contribuable lui-même ou par un intermédiaire, et partant, est susceptible de dissuader tant ledit contribuable que ses conseils de concevoir et de mettre en œuvre des mécanismes de planification fiscale transfrontière.
Cependant, une telle ingérence qui ne porte pas atteinte à l’essence du droit au respect de la vie privée et qui est proportionnée et ne revêt pas un caractère démesuré par rapport à l’objectif d’intérêt général de lutte contre la planification fiscale agressive et de la prévention des risques d’évasion et de fraude fiscales en l’occurrence poursuivi par la directive 2011/16 modifiée est justifiée au regard dudit objectif. Il s’ensuit que l’obligation de déclaration en cause ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée, compris comme le droit de toute personne d’organiser sa vie privée, tel que garanti par l’article 7 de la Charte.
{1} Directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (JO 2011, L 64, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2018/822 du Conseil, du 25 mai 2018 (JO 2018, L 139, p. 1, ci-après la « directive 2011/16 modifiée »).
{2} La taxe sur la valeur ajoutée, les droits de douane et les droits d’accises sont exclus du champ d’application de la directive 2011/16 modifiée.
{3} Les notions à l’égard desquelles la juridiction de renvoi exprimait des doutes quant à leur précision et clarté sont celles de « dispositif », de « dispositif transfrontière », de « dispositif commercialisable », de « dispositif sur mesure », d’« intermédiaire », de « participant », d’« entreprise associée », ainsi que le qualificatif « transfrontière », les différents « marqueurs » définis à l’annexe IV et le « critère de l’avantage principal ».
{4} Arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a. (C-694/20, EU:C:2022:963).
{5} Directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (JO 1998, L 77, p. 36).
{6} Voir, en particulier, Cour EDH, 18 janvier 2018, FNASS e.a. c. France, ECLI:CE:ECHR:2018:0118JUD004815111, § 153 et jurisprudence citée. À cet égard, l’article 7 de la Charte correspond à l’article 8, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, la Cour tient compte, dans l’interprétation des droits garantis par cet article 7, des droits correspondants garantis par cet article 8, paragraphe 1, tels qu’interprétés par la Cour EDH.
73. Coopération judiciaire en matière pénale - Accord de commerce et de coopération avec le Royaume-Uni - Remise des personnes condamnées ou soupçonnées aux autorités judiciaires d'émission - Obligation de respecter les droits et principes juridiques fondamentaux - Refus d'exécution d'un mandat d'arrêt en cas de risque de violation de l'article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux - Conditions - Modification rétroactive de la portée de la peine encourue - Risque réel d'une peine plus forte que celle initialement encourue - Éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés établissant l'existence d'un tel risque
Saisie à titre préjudiciel par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande), la Cour, réunie en grande chambre, précise les obligations de l’autorité judiciaire d’exécution lorsqu’une personne visée par un mandat d’arrêt émis sur le fondement de l’accord de commerce et de coopération conclu avec le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (ci-après l’« ACC){1} invoque un risque de violation d’un droit fondamental en cas de remise au Royaume-Uni.
Le juge de district des Magistrates’ Courts of Northern Ireland (tribunal d’instance d’Irlande du Nord, Royaume-Uni) a délivré quatre mandats d’arrêt à l’encontre de MA pour des infractions relevant du terrorisme qui auraient été commises en juillet 2020 et dont certaines peuvent justifier le prononcé d’une peine d’emprisonnement à vie.
À l’automne 2022, la High Court (Haute Cour, Irlande) a ordonné la remise de MA au Royaume-Uni. MA a formé un pourvoi contre cette décision devant la juridiction de renvoi. Il fait valoir que sa remise au Royaume-Uni serait incompatible avec le principe de légalité des délits et des peines, consacré, notamment, à l’article 7 de la CEDH{2}.
La juridiction de renvoi précise que, en cas de remise et de condamnation de MA au Royaume-Uni, son éventuelle libération conditionnelle sera régie par une réglementation du Royaume-Uni adoptée postérieurement à la commission présumée des infractions en cause. La libération conditionnelle d’une personne condamnée pour des infractions telles que celles dont MA est suspecté doit désormais être approuvée par une autorité spécialisée et ne peut intervenir qu’après que cette personne a purgé les deux tiers de sa peine. Tel n’était pas le cas sous l’ancien régime, qui prévoyait une libération conditionnelle automatique après que la personne condamnée avait purgé la moitié de sa peine.
Dans ce contexte, au regard, notamment, des garanties offertes par le système judiciaire du Royaume-Uni quant à l’application de la CEDH, de l’absence de démonstration de l’existence d’une défaillance systémique qui laisserait supposer une violation probable et flagrante des droits garantis par la CEDH en cas de remise de MA ainsi que de la possibilité pour ce dernier de saisir la Cour européenne des droits de l’homme, la juridiction de renvoi a rejeté l’argumentation de MA tirée d’un risque de violation de l’article 7 de la CEDH.
Cette juridiction se demande toutefois s’il est possible de parvenir à une conclusion similaire en ce qui concerne un risque de violation de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte{3}, lequel énonce, notamment, qu’il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. En outre, elle s’interroge sur la compétence de l’État d’exécution pour se prononcer sur une argumentation tirée de l’incompatibilité avec l’article 49, paragraphe 1, de la Charte de dispositions en matière de peines qui sont susceptibles d’être appliquées dans l’État d’émission, alors que ce dernier n’est pas tenu de respecter la Charte et que la Cour a posé des exigences élevées en ce qui concerne la prise en compte d’un risque de violation des droits fondamentaux dans l’État membre d’émission.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour, après avoir écarté l’applicabilité de la décision-cadre 2002/584{4} à l’exécution des mandats d’arrêt en cause au principal, relève qu’il résulte de la structure du titre VII de la troisième partie de l’ACC, qui porte sur la coopération dans le domaine pénal, et notamment des fonctions respectives des articles 600 à 604 du même accord{5}, qu’un État membre ne peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt émis par le Royaume-Uni que pour des motifs procédant de l’ACC.
Dans ce contexte, comme le rappelle l’article 524, paragraphe 2, de l’ACC, les États membres ont l’obligation de respecter la Charte, étant donné qu’une décision de remise constitue une mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Les autorités judiciaires d’exécution des États membres sont donc tenues de garantir le respect des droits fondamentaux reconnus, entre autres, par l’article 49, paragraphe 1, de la Charte à la personne visée par un mandat d’arrêt émis sur le fondement de l’ACC, sans que la circonstance que la Charte ne soit pas applicable au Royaume-Uni soit pertinente cet égard.
En deuxième lieu, la Cour souligne que l’exigence de procéder à un examen en deux étapes qui ressort de la jurisprudence relative à la décision-cadre 2002/584{6} ne saurait être transposée à l’ACC. En effet, le système simplifié et efficace de remise instauré par cette décision-cadre se fonde sur le principe de confiance mutuelle qui caractérise de manière spécifique les relations entre les États membres et dont découle la présomption de respect des droits fondamentaux par l’État membre d’émission. Certes, il n’est pas exclu qu’un accord international puisse instituer un niveau de confiance élevé entre les États membres et certains pays tiers, tels que certains États membres de l’Espace économique européen. Cette considération ne peut toutefois pas être étendue à l’ensemble des pays tiers et, en particulier, au Royaume-Uni.
Tout d’abord, l’ACC n’établit pas, entre l’Union et le Royaume-Uni, de relations privilégiées qui soient de nature à justifier ce niveau de confiance élevé. En particulier, le Royaume-Uni ne fait pas partie de l’espace européen sans frontières intérieures dont la construction est permise, entre autres, par le principe de confiance mutuelle. Ensuite, s’il ressort de l’ACC que la coopération entre le Royaume-Uni et les États membres est fondée sur le respect de longue date de la protection des libertés et des droits fondamentaux des personnes{7}, cette coopération n’est pas présentée comme reposant sur la préservation de la confiance mutuelle entre les États concernés qui existait avant la sortie de l’Union du Royaume-Uni le 31 janvier 2020. Enfin, il existe des différences substantielles entre les dispositions de l’ACC relatives au mécanisme de remise et les dispositions correspondantes de la décision-cadre 2002/584.
En troisième lieu, la Cour précise, dans ces conditions, l’examen auquel est tenue l’autorité judiciaire d’exécution lorsque la personne concernée invoque devant elle l’existence d’un risque de violation de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte en cas de remise au Royaume-Uni. Elle souligne que l’obligation de respecter les droits fondamentaux impose à cette autorité judiciaire d’exécution de déterminer concrètement, à l’issue d’un examen approprié s’il y a des raisons valables de penser que ladite personne est exposée à un risque réel d’une telle violation. À cette fin, l’autorité judiciaire d’exécution doit examiner l’ensemble des éléments pertinents pour évaluer la situation prévisible de la personne recherchée en cas de remise de celle-ci au Royaume-Uni, ce qui suppose, à la différence de l’examen en deux étapes susmentionné, de tenir compte simultanément tant des règles et des pratiques ayant cours de manière générale dans ce pays que des spécificités de la situation individuelle de cette personne. Elle ne pourra refuser de donner suite à un mandat d’arrêt émis sur le fondement de l’ACC que si elle dispose, au regard de la situation individuelle de la personne recherchée, d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés établissant des raisons valables de penser qu’il existe un risque réel de violation de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte.
En outre, avant de pouvoir refuser d’exécuter un mandat d’arrêt, l’autorité judiciaire d’exécution doit, conformément à l’obligation d’assistance mutuelle en toute bonne foi énoncée à l’article 3, paragraphe 1, de l’ACC, demander préalablement à l’autorité judiciaire d’émission des informations concernant les règles du droit de l’État d’émission et la manière dont celles-ci sont susceptibles d’être appliquées à la situation individuelle de la personne recherchée ainsi que, le cas échéant, des garanties supplémentaires pour écarter le risque de violation de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte.
En dernier lieu, en ce qui concerne la portée de cette dernière disposition, la Cour précise qu’une mesure relative à l’exécution d’une peine ne sera incompatible avec cette disposition que si elle emporte une modification rétroactive de la portée même de la peine encourue au jour de la commission de l’infraction en cause, impliquant ainsi l’infliction d’une peine plus forte. Tel n’est pas le cas lorsque cette mesure se limite à allonger le seuil d’admissibilité à la libération conditionnelle. Toutefois, il peut en aller différemment, notamment, si ladite mesure abroge en sa substance la possibilité d’une libération conditionnelle ou si elle se place dans un ensemble de mesures conduisant à aggraver la nature intrinsèque de la peine initialement encourue.
{1} Accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique, d’une part, et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, d’autre part (JO 2021, L 149, p. 10).
{2} Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).
{3} Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
{4} Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1).
{5} Ces articles concernent, notamment, les cas de refus d’exécution d’un mandat d’arrêt émis sur le fondement de l’ACC ainsi que les garanties devant être fournies par l’État d’émission dans des cas particuliers.
{6} En ce qui concerne l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, l’autorité judiciaire d’exécution doit, dans le cadre d’une première étape, déterminer s’il existe des éléments tendant à démontrer l’existence d’un risque réel de violation, dans l’État membre d’émission, d’un droit fondamental pertinent en raison soit de défaillances systémiques ou généralisées, soit de défaillances affectant plus spécifiquement un groupe objectivement identifiable de personnes. Dans le cadre d’une seconde étape, elle doit vérifier, de manière concrète et précise, dans quelle mesure les défaillances identifiées lors de la première étape sont susceptibles d’avoir une incidence sur la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen et si, eu égard à sa situation personnelle, il existe des motifs sérieux et avérés de croire que cette personne courra un risque réel de violation d’un droit fondamental pertinent en cas de remise à l’État membre d’émission.
{7} Article 524, paragraphe 1, de l’ACC.
Arrêt du 29 juillet 2024, Alchaster (C-202/24) (cf. points 70-82, 84-91, 97, 98 et disp.)
74. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Principe de légalité des délits et des peines - Consécration tant par la charte des droits fondamentaux que par la convention européenne des droits de l'homme - Sens et portée identiques - Niveau de protection assuré par la charte ne méconnaissant pas celui garanti par ladite convention
Saisie à titre préjudiciel par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande), la Cour, réunie en grande chambre, précise les obligations de l’autorité judiciaire d’exécution lorsqu’une personne visée par un mandat d’arrêt émis sur le fondement de l’accord de commerce et de coopération conclu avec le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (ci-après l’« ACC){1} invoque un risque de violation d’un droit fondamental en cas de remise au Royaume-Uni.
Le juge de district des Magistrates’ Courts of Northern Ireland (tribunal d’instance d’Irlande du Nord, Royaume-Uni) a délivré quatre mandats d’arrêt à l’encontre de MA pour des infractions relevant du terrorisme qui auraient été commises en juillet 2020 et dont certaines peuvent justifier le prononcé d’une peine d’emprisonnement à vie.
À l’automne 2022, la High Court (Haute Cour, Irlande) a ordonné la remise de MA au Royaume-Uni. MA a formé un pourvoi contre cette décision devant la juridiction de renvoi. Il fait valoir que sa remise au Royaume-Uni serait incompatible avec le principe de légalité des délits et des peines, consacré, notamment, à l’article 7 de la CEDH{2}.
La juridiction de renvoi précise que, en cas de remise et de condamnation de MA au Royaume-Uni, son éventuelle libération conditionnelle sera régie par une réglementation du Royaume-Uni adoptée postérieurement à la commission présumée des infractions en cause. La libération conditionnelle d’une personne condamnée pour des infractions telles que celles dont MA est suspecté doit désormais être approuvée par une autorité spécialisée et ne peut intervenir qu’après que cette personne a purgé les deux tiers de sa peine. Tel n’était pas le cas sous l’ancien régime, qui prévoyait une libération conditionnelle automatique après que la personne condamnée avait purgé la moitié de sa peine.
Dans ce contexte, au regard, notamment, des garanties offertes par le système judiciaire du Royaume-Uni quant à l’application de la CEDH, de l’absence de démonstration de l’existence d’une défaillance systémique qui laisserait supposer une violation probable et flagrante des droits garantis par la CEDH en cas de remise de MA ainsi que de la possibilité pour ce dernier de saisir la Cour européenne des droits de l’homme, la juridiction de renvoi a rejeté l’argumentation de MA tirée d’un risque de violation de l’article 7 de la CEDH.
Cette juridiction se demande toutefois s’il est possible de parvenir à une conclusion similaire en ce qui concerne un risque de violation de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte{3}, lequel énonce, notamment, qu’il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. En outre, elle s’interroge sur la compétence de l’État d’exécution pour se prononcer sur une argumentation tirée de l’incompatibilité avec l’article 49, paragraphe 1, de la Charte de dispositions en matière de peines qui sont susceptibles d’être appliquées dans l’État d’émission, alors que ce dernier n’est pas tenu de respecter la Charte et que la Cour a posé des exigences élevées en ce qui concerne la prise en compte d’un risque de violation des droits fondamentaux dans l’État membre d’émission.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour, après avoir écarté l’applicabilité de la décision-cadre 2002/584{4} à l’exécution des mandats d’arrêt en cause au principal, relève qu’il résulte de la structure du titre VII de la troisième partie de l’ACC, qui porte sur la coopération dans le domaine pénal, et notamment des fonctions respectives des articles 600 à 604 du même accord{5}, qu’un État membre ne peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt émis par le Royaume-Uni que pour des motifs procédant de l’ACC.
Dans ce contexte, comme le rappelle l’article 524, paragraphe 2, de l’ACC, les États membres ont l’obligation de respecter la Charte, étant donné qu’une décision de remise constitue une mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Les autorités judiciaires d’exécution des États membres sont donc tenues de garantir le respect des droits fondamentaux reconnus, entre autres, par l’article 49, paragraphe 1, de la Charte à la personne visée par un mandat d’arrêt émis sur le fondement de l’ACC, sans que la circonstance que la Charte ne soit pas applicable au Royaume-Uni soit pertinente cet égard.
En deuxième lieu, la Cour souligne que l’exigence de procéder à un examen en deux étapes qui ressort de la jurisprudence relative à la décision-cadre 2002/584{6} ne saurait être transposée à l’ACC. En effet, le système simplifié et efficace de remise instauré par cette décision-cadre se fonde sur le principe de confiance mutuelle qui caractérise de manière spécifique les relations entre les États membres et dont découle la présomption de respect des droits fondamentaux par l’État membre d’émission. Certes, il n’est pas exclu qu’un accord international puisse instituer un niveau de confiance élevé entre les États membres et certains pays tiers, tels que certains États membres de l’Espace économique européen. Cette considération ne peut toutefois pas être étendue à l’ensemble des pays tiers et, en particulier, au Royaume-Uni.
Tout d’abord, l’ACC n’établit pas, entre l’Union et le Royaume-Uni, de relations privilégiées qui soient de nature à justifier ce niveau de confiance élevé. En particulier, le Royaume-Uni ne fait pas partie de l’espace européen sans frontières intérieures dont la construction est permise, entre autres, par le principe de confiance mutuelle. Ensuite, s’il ressort de l’ACC que la coopération entre le Royaume-Uni et les États membres est fondée sur le respect de longue date de la protection des libertés et des droits fondamentaux des personnes{7}, cette coopération n’est pas présentée comme reposant sur la préservation de la confiance mutuelle entre les États concernés qui existait avant la sortie de l’Union du Royaume-Uni le 31 janvier 2020. Enfin, il existe des différences substantielles entre les dispositions de l’ACC relatives au mécanisme de remise et les dispositions correspondantes de la décision-cadre 2002/584.
En troisième lieu, la Cour précise, dans ces conditions, l’examen auquel est tenue l’autorité judiciaire d’exécution lorsque la personne concernée invoque devant elle l’existence d’un risque de violation de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte en cas de remise au Royaume-Uni. Elle souligne que l’obligation de respecter les droits fondamentaux impose à cette autorité judiciaire d’exécution de déterminer concrètement, à l’issue d’un examen approprié s’il y a des raisons valables de penser que ladite personne est exposée à un risque réel d’une telle violation. À cette fin, l’autorité judiciaire d’exécution doit examiner l’ensemble des éléments pertinents pour évaluer la situation prévisible de la personne recherchée en cas de remise de celle-ci au Royaume-Uni, ce qui suppose, à la différence de l’examen en deux étapes susmentionné, de tenir compte simultanément tant des règles et des pratiques ayant cours de manière générale dans ce pays que des spécificités de la situation individuelle de cette personne. Elle ne pourra refuser de donner suite à un mandat d’arrêt émis sur le fondement de l’ACC que si elle dispose, au regard de la situation individuelle de la personne recherchée, d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés établissant des raisons valables de penser qu’il existe un risque réel de violation de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte.
En outre, avant de pouvoir refuser d’exécuter un mandat d’arrêt, l’autorité judiciaire d’exécution doit, conformément à l’obligation d’assistance mutuelle en toute bonne foi énoncée à l’article 3, paragraphe 1, de l’ACC, demander préalablement à l’autorité judiciaire d’émission des informations concernant les règles du droit de l’État d’émission et la manière dont celles-ci sont susceptibles d’être appliquées à la situation individuelle de la personne recherchée ainsi que, le cas échéant, des garanties supplémentaires pour écarter le risque de violation de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte.
En dernier lieu, en ce qui concerne la portée de cette dernière disposition, la Cour précise qu’une mesure relative à l’exécution d’une peine ne sera incompatible avec cette disposition que si elle emporte une modification rétroactive de la portée même de la peine encourue au jour de la commission de l’infraction en cause, impliquant ainsi l’infliction d’une peine plus forte. Tel n’est pas le cas lorsque cette mesure se limite à allonger le seuil d’admissibilité à la libération conditionnelle. Toutefois, il peut en aller différemment, notamment, si ladite mesure abroge en sa substance la possibilité d’une libération conditionnelle ou si elle se place dans un ensemble de mesures conduisant à aggraver la nature intrinsèque de la peine initialement encourue.
{1} Accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique, d’une part, et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, d’autre part (JO 2021, L 149, p. 10).
{2} Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).
{3} Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
{4} Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1).
{5} Ces articles concernent, notamment, les cas de refus d’exécution d’un mandat d’arrêt émis sur le fondement de l’ACC ainsi que les garanties devant être fournies par l’État d’émission dans des cas particuliers.
{6} En ce qui concerne l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, l’autorité judiciaire d’exécution doit, dans le cadre d’une première étape, déterminer s’il existe des éléments tendant à démontrer l’existence d’un risque réel de violation, dans l’État membre d’émission, d’un droit fondamental pertinent en raison soit de défaillances systémiques ou généralisées, soit de défaillances affectant plus spécifiquement un groupe objectivement identifiable de personnes. Dans le cadre d’une seconde étape, elle doit vérifier, de manière concrète et précise, dans quelle mesure les défaillances identifiées lors de la première étape sont susceptibles d’avoir une incidence sur la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen et si, eu égard à sa situation personnelle, il existe des motifs sérieux et avérés de croire que cette personne courra un risque réel de violation d’un droit fondamental pertinent en cas de remise à l’État membre d’émission.
{7} Article 524, paragraphe 1, de l’ACC.
Arrêt du 29 juillet 2024, Alchaster (C-202/24) (cf. point 92)
Saisie à titre préjudiciel par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande), la Cour, réunie en grande chambre, précise, dans le cadre de la procédure accélérée et dans le contexte d’un mandat d’arrêt émis sur le fondement de l’accord de commerce et de coopération conclu avec le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord{1}, la notion d’imposition d’une peine plus forte, à la lumière du principe de légalité des délits et des peines consacré à l’article 49, paragraphe 1, deuxième phrase, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne{2}.
Le District Judge (juge de district) des Magistrates’ Courts of Northern Ireland (tribunal d’instance d’Irlande du Nord, Royaume-Uni) a délivré quatre mandats d’arrêt à l’encontre de MA pour des infractions relevant du terrorisme qui auraient été commises en 2020.
En 2022, la High Court (Haute Cour, Irlande) a ordonné la remise de MA au Royaume-Uni. MA a formé un pourvoi contre cette décision devant la juridiction de renvoi, qui a saisi la Cour d’une question préjudicielle relative à l’interprétation de l’ACC, à laquelle la Cour a répondu par l’arrêt Alchaster{3}.
Dans cet arrêt, la Cour a énoncé qu’une autorité judiciaire d’exécution doit, lorsqu’une personne visée par un mandat d’arrêt émis sur le fondement de l’ACC invoque un risque de violation de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte en cas de remise au Royaume-Uni, en raison d’une modification des conditions de libération conditionnelle, intervenue postérieurement à la commission présumée de l’infraction pour laquelle ladite personne est poursuivie, procéder à un examen autonome quant à l’existence de ce risque avant de se prononcer sur l’exécution de ce mandat d’arrêt. Au vu de cette réponse, la juridiction de renvoi a demandé{4} aux autorités du Royaume-Uni des informations complémentaires sur la réglementation qui, en cas de remise, serait applicable à MA en matière de libération conditionnelle.
Il ressort de la réponse du juge de district du tribunal d’instance d’Irlande du Nord que, selon la réglementation qui était applicable en Irlande du Nord à la date de la commission présumée des infractions en cause au principal, la juridiction prononçant une condamnation à une peine d’emprisonnement d’une durée déterminée devait fixer une « période de détention », qui ne pouvait excéder la moitié de la peine prononcée et au terme de laquelle la personne condamnée devait obligatoirement bénéficier d’une libération conditionnelle. En revanche, en vertu de la nouvelle réglementation applicable à compter du 30 avril 2021, y compris aux infractions commises avant cette date, une peine d’emprisonnement d’une durée déterminée pour une « infraction terroriste spécifiée » est composée d’une « période de détention appropriée », déterminée par le juge, et d’une période supplémentaire d’un an, pendant laquelle la personne condamnée bénéficie d’une libération conditionnelle, la durée cumulée de ces périodes ne pouvant excéder la durée maximale de la peine d’emprisonnement encourue. Cette personne peut, en outre, bénéficier d’une libération conditionnelle après avoir exécuté les deux tiers de la « période de détention appropriée » et à la condition que les Parole Commissioners (commissaires à la libération conditionnelle, Royaume-Uni) considèrent que son maintien en détention n’est pas nécessaire à la protection de la société.
Nourrissant des doutes quant au fait de savoir si ces modifications peuvent être regardées comme se rapportant uniquement à l’exécution des peines ou si elles doivent, au contraire, être considérées comme modifiant de manière rétroactive la portée même de la peine encourue et si, en conséquence, il faudrait considérer que la personne concernée se voit infliger une peine plus forte que celle encourue au jour de la commission des infractions présumées, de telle sorte qu’il y aurait violation de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte, la juridiction de renvoi a saisi la Cour d’une question préjudicielle.
Appréciation de la Cour
À titre liminaire, la Cour rappelle que l’article 49 de la Charte comporte, à tout le moins, les mêmes garanties que celles prévues à l’article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales{5}, dont il convient de tenir compte, en vertu de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, en tant que seuil de protection minimale.
Aux fins de l’application de l’article 7 de la CEDH, il convient de distinguer une mesure constituant une « peine » et une mesure relative à l’« exécution » ou à l’« application » de la peine.
Une mesure relative à l’exécution d’une peine ne sera incompatible avec l’article 49, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Charte que si elle emporte une modification rétroactive de la portée même de la peine encourue à la date de la commission présumée de l’infraction en cause, impliquant ainsi l’infliction d’une peine plus forte que celle qui était initialement encourue. Si tel n’est pas le cas lorsque cette mesure se limite à allonger le seuil d’admissibilité à la libération conditionnelle, il peut en aller différemment, notamment, si ladite mesure abroge en sa substance la possibilité d’une libération conditionnelle ou si elle se place dans un ensemble de mesures conduisant à aggraver la nature intrinsèque de la peine initialement encourue.
Dès lors, la circonstance qu’une réglementation nationale prévoit, s’agissant des infractions commises avant son entrée en vigueur, l’extension de la part d’une peine d’emprisonnement devant nécessairement être exécutée en détention avant qu’une libération conditionnelle puisse être ordonnée ne saurait, prise isolément, emporter une violation de l’article 49, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Charte.
Cependant, la question posée porte sur des modifications d’un régime de libération conditionnelle qui remettent également en cause une règle en vertu de laquelle une telle libération devait intervenir de façon automatique lorsque la moitié de la peine a été exécutée. Or, si cette modification du régime de libération conditionnelle entraîne en l’espèce un durcissement de la situation de détention, cette circonstance ne doit pas nécessairement être regardée comme impliquant l’imposition d’une peine plus forte, au sens de l’article 49, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Charte.
Cette considération tire son origine dans la séparation entre la notion de « peine », comprise comme la condamnation prononcée ou susceptible de l’être, et celle de mesures relatives à l’« exécution » ou à l’« application » de la peine. Elle vaut non seulement pour l’allongement du seuil d’admissibilité à la libération conditionnelle, mais également pour les modifications d’autres conditions auxquelles le prononcé d’une libération conditionnelle est subordonné.
Ainsi, pour autant que ces modifications n’abrogent pas en substance la possibilité d’une telle libération et qu’elles ne conduisent pas à une aggravation de la nature de la peine encourue à la date de la commission présumée des infractions en cause, leur application à des infractions commises antérieurement à leur entrée en vigueur ne contrevient pas à l’article 49, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Charte.
S’agissant de la première de ces deux conditions, la modification introduite ne conduit pas en l’espèce, que ce soit aux termes de la loi ou en pratique, à une abrogation en substance de la possibilité d’une libération conditionnelle.
S’agissant de la seconde condition, il n’apparaît pas que la modification du régime de libération conditionnelle en cause, qui ne prolonge pas la durée maximale de la peine d’emprisonnement encourue, conduise à aggraver la nature intrinsèque de la peine initialement encourue. En effet, la durée de la peine d’emprisonnement qui serait prononcée par le juge pénal constituerait, aussi bien au titre du nouveau régime qu’en vertu de celui applicable à la date de la commission présumée des infractions en cause, la durée maximale durant laquelle la personne condamnée pourrait, en définitive, être placée en détention. Ces deux régimes de libération impliquent, l’un comme l’autre, la possibilité que la personne ayant bénéficié d’une telle libération soit à nouveau placée en détention si son comportement justifie une révocation de cette libération. Aucun de ces régimes ne garantit donc à cette personne de demeurer en liberté pour une partie prédéterminée de la peine d’emprisonnement prononcée par le juge pénal.
En outre, le critère tiré de la dangerosité de la personne condamnée telle qu’appréciée au moment de la possible libération conditionnelle constitue un critère usuel dans les politiques pénitentiaires et implique une appréciation d’une nature différente de celle qui a été conduite initialement lors du prononcé de sa condamnation et se rattache, par là même, à l’exécution de la peine.
La Cour conclut que, en application de l’article 49, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Charte, ne constitue pas l’imposition d’une peine plus forte l’application, à une personne qui serait condamnée à une peine d’emprisonnement d’une durée déterminée, d’un régime prévoyant que cette personne doit exécuter au moins deux tiers d’une période fixée de détention avant de pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle, qu’une telle libération est subordonnée à ce qu’une autorité spécialisée estime que le maintien en détention de ladite personne n’est plus nécessaire à la protection de la société et que la même personne bénéficie nécessairement d’une libération conditionnelle une année avant la fin de la peine prononcée, alors que, en vertu des règles applicables à la date de la commission présumée des infractions en cause, elle aurait dû automatiquement bénéficier d’une libération conditionnelle après avoir exécuté la moitié de cette peine.
{1} Accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique, d’une part, et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, d’autre part (JO 2021, L 149, p. 10, ci-après l’« ACC »).
{2} Ci-après la « Charte ».
{3} Arrêt du 29 juillet 2024, Alchaster (C-202/24, EU:C:2024:649).
{4}En application de l’article 613, paragraphe 2, de l’ACC.
{5} Convention signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).
Arrêt du 3 avril 2025, Alchaster II (C-743/24) (cf. point 24)
75. Protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel en matière pénale - Directive 2016/680 - Information de la personne concernée - Droit à un recours juridictionnel effectif - Enquête policière en matière de trafic de stupéfiants - Réglementation nationale autorisant les autorités compétentes à tenter d'accéder aux données contenues dans un téléphone portable sans informer la personne concernée des motifs d'une telle autorisation - Inadmissibilité - Obligation des autorités compétentes d'informer la personne concernée de ces motifs - Portée
Saisie à titre préjudiciel par le Landesverwaltungsgericht Tirol (tribunal administratif régional du Tyrol, Autriche), la grande chambre de la Cour précise, d’une part, les conditions dans lesquelles les autorités nationales compétentes peuvent accéder aux données contenues dans un téléphone portable à des fins de prévention, de recherche, de détection et de poursuite d’infractions pénales en général, au regard de la directive 2016/680{1}. D’autre part, elle reconnaît le droit de la personne concernée d’être informée des motifs sur lesquels repose l’autorisation d’accès à de telles données et ceci, à partir du moment où la communication de cette information n’est plus susceptible de compromettre les missions incombant à ces autorités.
Le 23 février 2021, à l’occasion d’un contrôle en matière de stupéfiants, des agents douaniers autrichiens ont saisi un colis adressé à CG, contenant 85 grammes de cannabis. Ce colis a été transmis, pour examen, aux autorités de police autrichiennes. Le 6 mars 2021, dans le cadre d’une enquête policière en matière de trafic de stupéfiants, deux agents de police ont effectué une perquisition au domicile de CG et l’ont interrogé au sujet de l’expéditeur du colis. À la suite du refus de CG de donner accès aux agents de police aux données de connexion de son téléphone portable, ces derniers ont procédé à la saisie du téléphone.
Par la suite, le téléphone portable de CG a fait l’objet de plusieurs tentatives de déverrouillage effectuées par différents agents de police. En l’espèce, tant la saisie du téléphone que les tentatives d’exploitation ultérieures de celui-ci ont été effectuées par les agents de police sans autorisation du ministère public ou d’un juge.
Le 31 mars 2021, CG a introduit un recours devant la juridiction de renvoi afin de contester la légalité de la saisie de son téléphone portable, qui lui a été restitué le 20 avril 2021. CG n’a pas été immédiatement informé des tentatives d’exploitation de son téléphone et en a pris connaissance dans le cadre de la procédure pendante devant la juridiction de renvoi.
Dans ce contexte, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, au regard de la directive « vie privée et communications électroniques »{2}, un accès complet et non contrôlé à l’ensemble des données contenues dans un téléphone portable constitue une ingérence tellement grave dans les droits fondamentaux{3} que cet accès doit être limité à la lutte contre les infractions graves. Elle s’interroge également sur le fait de savoir, d’une part, si cette directive{4} s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle la police judiciaire peut, au cours d’une procédure d’enquête pénale, se procurer un accès complet et non contrôlé à l’ensemble des données contenues dans un téléphone portable, sans l’autorisation d’un juge ou d’une entité administrative indépendante, et, d’autre part, si cette même réglementation nationale est compatible avec le droit à un recours juridictionnel effectif, dans la mesure où elle n’oblige pas les autorités de police à informer le propriétaire d’un téléphone portable des mesures d’exploitation numérique de ce téléphone.
Appréciation de la Cour
À titre liminaire, la Cour relève qu’une tentative d’accès aux données à caractère personnel contenues dans un téléphone portable directement par les autorités de police sans aucune intervention d’un fournisseur de services de communications électroniques, telle que celle concernant CG, ne relève pas du champ d’application de la directive « vie privée et communications électroniques ».
En premier lieu, la Cour constate qu’une telle tentative d’accès relève du champ d’application de la directive 2016/680. À cet égard, elle précise que, au vu de la portée large que le législateur de l’Union européenne a entendu donner à la notion de « traitement »{5}, lorsque des autorités de police saisissent un téléphone et le manipulent à des fins d’extraction et de consultation des données à caractère personnel contenues dans ce téléphone, elles entament un « traitement », même si ces autorités ne parvenaient pas, pour des raisons techniques, à accéder à ces données. En effet, l’effectivité du principe de limitation des finalités{6} exige nécessairement que la finalité de la collecte soit déterminée dès le stade où les autorités compétentes tentent d’accéder à des données à caractère personnel puisqu’une telle tentative, si elle s’avère fructueuse, est de nature à leur permettre, notamment, de collecter, d’extraire ou de consulter immédiatement les données en cause. Si une telle tentative ne pouvait pas être qualifiée de « traitement » des données, le niveau élevé de protection des données à caractère personnel des personnes physiques serait remis en cause. De même, si l’applicabilité de la directive 2016/680 dépendait du succès de la tentative d’accès à des données à caractère personnel contenues dans un téléphone portable, cela créerait tant pour les autorités nationales compétentes que pour les justiciables une incertitude incompatible avec le principe de sécurité juridique.
En deuxième lieu, la Cour analyse si le principe de « minimisation des données »{7}, en tant qu’expression du principe de proportionnalité, s’oppose à une règlementation nationale qui octroie aux autorités compétentes la possibilité d’accéder aux données contenues dans un téléphone portable, à des fins de prévention, de recherche, de détection et de poursuite d’infractions pénales en général, sans soumettre l’exercice de cette possibilité à un contrôle préalable par un juge ou une entité administrative indépendante. Ainsi, la Cour rappelle que les limitations des droits fondamentaux en matière de vie privée et familiale et de protection des données à caractère personnel{8} doivent respecter le principe de proportionnalité et ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union. En ce sens, d’une part, la Cour constate qu’un traitement de données à caractère personnel dans le cadre d’une enquête policière visant la répression d’une infraction pénale, tel qu’une tentative d’accès aux données contenues dans un téléphone portable, doit être considéré, en principe, comme répondant effectivement à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union. D’autre part, elle note que le caractère proportionné des limitations à l’exercice des droits fondamentaux en matière de respect de la vie privée et de protection des données à caractère personnel, découlant d’un tel traitement, implique une pondération de l’ensemble des éléments pertinents de l’espèce.
Ainsi, premièrement, s’agissant de la gravité d’une limitation de ces droits fondamentaux résultant d’une réglementation permettant aux autorités de police compétentes d’accéder, sans autorisation préalable, aux données contenues dans un téléphone portable, la Cour précise qu’un tel accès est susceptible de porter, en fonction du contenu du téléphone portable en cause et des choix opérés par ces autorités, sur une palette très large de données, et pourrait ainsi permettre de tirer des conclusions très précises concernant la vie privée de la personne concernée. Dès lors, une telle ingérence dans les droits fondamentaux en matière de respect de la vie privée et de protection des données à caractère personnel doit être considérée comme étant grave, voire particulièrement grave.
Deuxièmement, la Cour indique que la gravité de l’infraction qui fait l’objet de l’enquête est un élément central lors de l’examen de la proportionnalité de l’ingérence grave que constitue l’accès aux données à caractère personnel contenues dans un téléphone portable. Toutefois, considérer que seule la lutte contre la criminalité grave est susceptible de justifier l’accès à de telles données limiterait les pouvoirs d’enquête des autorités compétentes à l’égard des infractions pénales en général, méconnaîtrait la nature spécifique des missions accomplies par ces autorités et nuirait à l’objectif de réalisation d’un espace de liberté, de sécurité et de justice au sein de l’Union. Cela étant, afin de répondre à l’exigence selon laquelle toute limitation à l’exercice d’un droit fondamental doit être « prévue par la loi »{9}, il incombe au législateur national de définir de manière suffisamment précise les éléments, notamment la nature ou les catégories des infractions concernées, devant être pris en compte.
Troisièmement, la Cour note que, afin d’assurer le respect du principe de proportionnalité, lorsque l’accès des autorités nationales compétentes aux données à caractère personnel comporte le risque d’une ingérence grave, voire particulièrement grave, dans les droits fondamentaux de la personne concernée, cet accès doit être subordonné à un contrôle préalable effectué par une juridiction ou par une entité administrative indépendante. Ce contrôle doit intervenir préalablement à toute tentative d’accès aux données concernées, sauf en cas d’urgence dûment justifié, auquel cas ce contrôle doit intervenir dans de brefs délais. Dans le cadre de ce contrôle, la juridiction ou l’entité administrative indépendante doit être habilitée à refuser ou à restreindre une demande d’accès relevant du champ d’application de la directive 2016/680 lorsqu’elle constate que l’ingérence dans les droits fondamentaux que constituerait cet accès serait disproportionnée. En l’occurrence, un refus ou une restriction d’accès aux données contenues dans un téléphone portable, par les autorités de police compétentes, doit être opéré si, tenant compte de la gravité de l’infraction et des besoins de l’enquête, un accès au contenu des communications ou à des données sensibles n’apparaît pas justifié.
Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que le principe de minimisation des données, lu à la lumière des droits à la protection des données à caractère personnel et au respect de la vie privée, ne s’oppose pas à une règlementation nationale octroyant aux autorités compétentes la possibilité d’accéder aux données contenues dans un téléphone portable, à des fins de prévention, de recherche, de détection et de poursuite d’infractions pénales en général. Une telle admissibilité est toutefois conditionnée par le respect des principes de légalité et de proportionnalité ainsi que par l’existence d’un contrôle préalable de l’exercice du droit d’accès à de telles données opéré par un juge ou par une entité administrative indépendante.
En troisième lieu, la Cour se prononce sur la question de savoir si CG aurait dû être informé des tentatives d’accès aux données contenues dans son téléphone portable{10}. Elle constate à cet égard que les autorités nationales compétentes ayant été autorisées par un juge ou une entité administrative indépendante à accéder à des données conservées doivent informer les personnes concernées des motifs sur lesquels cette autorisation repose, dès le moment où la communication de cette information n’est plus susceptible de compromettre les enquêtes menées par ces autorités. Ces mêmes autorités doivent mettre à la disposition des personnes concernées l’ensemble des informations prévues par la directive 2016/680{11} afin que ces dernières puissent exercer, notamment, leur droit à un recours effectif{12}. Ainsi, une réglementation nationale qui exclurait de manière générale tout droit à obtenir de telles informations ne serait pas conforme au droit de l’Union. En l’occurrence, la Cour constate que CG aurait dû être informé au préalable des tentatives d’accès aux données contenues dans son téléphone portable. En effet, le téléphone portable de CG ayant déjà été saisi au moment des tentatives de déverrouillage des autorités de police, il n’apparaît pas que l’informer de ces tentatives d’accès était susceptible de nuire à l’enquête. Partant, la Cour conclut que les dispositions de la directive 2016/680, lues à la lumière de la Charte{13}, s’opposent à une réglementation nationale autorisant les autorités compétentes à accéder à des données contenues dans un téléphone portable sans informer la personne concernée des motifs sur lesquels repose l’autorisation par un juge ou une entité administrative indépendante d’accéder à de telles données, à partir du moment où la communication de cette information n’est plus susceptible de compromettre les missions incombant à ces autorités.
{1} Directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la décision-cadre 2008/977/JAI du Conseil (JO 2016, L 119, p. 89).
{2} Et plus précisément de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques) (JO 2002, L 201, p. 37), telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009 (JO 2009, L 337, p. 11) (ci-après la « directive ‟vie privée et communications électroniques" »).
{3} Prévus aux articles 7 et 8 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
{4} Et plus précisément l’article 15, paragraphe 1, de la directive « vie privée et communications électroniques ».
{5} En vertu de l’article 3, point 2, de la directive 2016/680, la notion de « traitement » est définie comme « toute opération ou tout ensemble d’opérations effectuées ou non à l’aide de procédés automatisés et appliquées à des données à caractère personnel ou des ensembles de données à caractère personnel […] ».
{6} Article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 2016/680.
{7} Tel que prévu par l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la directive 2016/680, en vertu duquel les États membres doivent prévoir que les données à caractère personnel sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées.
{8} Articles 7 et 8 de la Charte.
{9} Article 52, paragraphe 1, de la Charte.
{10} Article 47 de la Charte.
{11} Visées à l’article 13, au paragraphe 1, de la directive 2016/680.
{12} Article 54 de la directive 2016/680.
{13} Plus particulièrement, les articles 13 et 54 de la directive 2016/680, lus à la lumière des articles 47 et 52, paragraphe 1, de la Charte.
76. Protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel en matière pénale - Directive 2016/680 - Principes relatifs au traitement des données à caractère personnel - Principes de minimisation des données et de proportionnalité - Enquête policière en matière de trafic de stupéfiants - Réglementation nationale octroyant aux autorités compétentes la possibilité d'accéder aux données contenues dans un téléphone portable à des fins de prévention, de recherche, de détection et de poursuite d'infractions pénales en général - Admissibilité - Conditions
Saisie à titre préjudiciel par le Landesverwaltungsgericht Tirol (tribunal administratif régional du Tyrol, Autriche), la grande chambre de la Cour précise, d’une part, les conditions dans lesquelles les autorités nationales compétentes peuvent accéder aux données contenues dans un téléphone portable à des fins de prévention, de recherche, de détection et de poursuite d’infractions pénales en général, au regard de la directive 2016/680{1}. D’autre part, elle reconnaît le droit de la personne concernée d’être informée des motifs sur lesquels repose l’autorisation d’accès à de telles données et ceci, à partir du moment où la communication de cette information n’est plus susceptible de compromettre les missions incombant à ces autorités.
Le 23 février 2021, à l’occasion d’un contrôle en matière de stupéfiants, des agents douaniers autrichiens ont saisi un colis adressé à CG, contenant 85 grammes de cannabis. Ce colis a été transmis, pour examen, aux autorités de police autrichiennes. Le 6 mars 2021, dans le cadre d’une enquête policière en matière de trafic de stupéfiants, deux agents de police ont effectué une perquisition au domicile de CG et l’ont interrogé au sujet de l’expéditeur du colis. À la suite du refus de CG de donner accès aux agents de police aux données de connexion de son téléphone portable, ces derniers ont procédé à la saisie du téléphone.
Par la suite, le téléphone portable de CG a fait l’objet de plusieurs tentatives de déverrouillage effectuées par différents agents de police. En l’espèce, tant la saisie du téléphone que les tentatives d’exploitation ultérieures de celui-ci ont été effectuées par les agents de police sans autorisation du ministère public ou d’un juge.
Le 31 mars 2021, CG a introduit un recours devant la juridiction de renvoi afin de contester la légalité de la saisie de son téléphone portable, qui lui a été restitué le 20 avril 2021. CG n’a pas été immédiatement informé des tentatives d’exploitation de son téléphone et en a pris connaissance dans le cadre de la procédure pendante devant la juridiction de renvoi.
Dans ce contexte, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, au regard de la directive « vie privée et communications électroniques »{2}, un accès complet et non contrôlé à l’ensemble des données contenues dans un téléphone portable constitue une ingérence tellement grave dans les droits fondamentaux{3} que cet accès doit être limité à la lutte contre les infractions graves. Elle s’interroge également sur le fait de savoir, d’une part, si cette directive{4} s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle la police judiciaire peut, au cours d’une procédure d’enquête pénale, se procurer un accès complet et non contrôlé à l’ensemble des données contenues dans un téléphone portable, sans l’autorisation d’un juge ou d’une entité administrative indépendante, et, d’autre part, si cette même réglementation nationale est compatible avec le droit à un recours juridictionnel effectif, dans la mesure où elle n’oblige pas les autorités de police à informer le propriétaire d’un téléphone portable des mesures d’exploitation numérique de ce téléphone.
Appréciation de la Cour
À titre liminaire, la Cour relève qu’une tentative d’accès aux données à caractère personnel contenues dans un téléphone portable directement par les autorités de police sans aucune intervention d’un fournisseur de services de communications électroniques, telle que celle concernant CG, ne relève pas du champ d’application de la directive « vie privée et communications électroniques ».
En premier lieu, la Cour constate qu’une telle tentative d’accès relève du champ d’application de la directive 2016/680. À cet égard, elle précise que, au vu de la portée large que le législateur de l’Union européenne a entendu donner à la notion de « traitement »{5}, lorsque des autorités de police saisissent un téléphone et le manipulent à des fins d’extraction et de consultation des données à caractère personnel contenues dans ce téléphone, elles entament un « traitement », même si ces autorités ne parvenaient pas, pour des raisons techniques, à accéder à ces données. En effet, l’effectivité du principe de limitation des finalités{6} exige nécessairement que la finalité de la collecte soit déterminée dès le stade où les autorités compétentes tentent d’accéder à des données à caractère personnel puisqu’une telle tentative, si elle s’avère fructueuse, est de nature à leur permettre, notamment, de collecter, d’extraire ou de consulter immédiatement les données en cause. Si une telle tentative ne pouvait pas être qualifiée de « traitement » des données, le niveau élevé de protection des données à caractère personnel des personnes physiques serait remis en cause. De même, si l’applicabilité de la directive 2016/680 dépendait du succès de la tentative d’accès à des données à caractère personnel contenues dans un téléphone portable, cela créerait tant pour les autorités nationales compétentes que pour les justiciables une incertitude incompatible avec le principe de sécurité juridique.
En deuxième lieu, la Cour analyse si le principe de « minimisation des données »{7}, en tant qu’expression du principe de proportionnalité, s’oppose à une règlementation nationale qui octroie aux autorités compétentes la possibilité d’accéder aux données contenues dans un téléphone portable, à des fins de prévention, de recherche, de détection et de poursuite d’infractions pénales en général, sans soumettre l’exercice de cette possibilité à un contrôle préalable par un juge ou une entité administrative indépendante. Ainsi, la Cour rappelle que les limitations des droits fondamentaux en matière de vie privée et familiale et de protection des données à caractère personnel{8} doivent respecter le principe de proportionnalité et ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union. En ce sens, d’une part, la Cour constate qu’un traitement de données à caractère personnel dans le cadre d’une enquête policière visant la répression d’une infraction pénale, tel qu’une tentative d’accès aux données contenues dans un téléphone portable, doit être considéré, en principe, comme répondant effectivement à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union. D’autre part, elle note que le caractère proportionné des limitations à l’exercice des droits fondamentaux en matière de respect de la vie privée et de protection des données à caractère personnel, découlant d’un tel traitement, implique une pondération de l’ensemble des éléments pertinents de l’espèce.
Ainsi, premièrement, s’agissant de la gravité d’une limitation de ces droits fondamentaux résultant d’une réglementation permettant aux autorités de police compétentes d’accéder, sans autorisation préalable, aux données contenues dans un téléphone portable, la Cour précise qu’un tel accès est susceptible de porter, en fonction du contenu du téléphone portable en cause et des choix opérés par ces autorités, sur une palette très large de données, et pourrait ainsi permettre de tirer des conclusions très précises concernant la vie privée de la personne concernée. Dès lors, une telle ingérence dans les droits fondamentaux en matière de respect de la vie privée et de protection des données à caractère personnel doit être considérée comme étant grave, voire particulièrement grave.
Deuxièmement, la Cour indique que la gravité de l’infraction qui fait l’objet de l’enquête est un élément central lors de l’examen de la proportionnalité de l’ingérence grave que constitue l’accès aux données à caractère personnel contenues dans un téléphone portable. Toutefois, considérer que seule la lutte contre la criminalité grave est susceptible de justifier l’accès à de telles données limiterait les pouvoirs d’enquête des autorités compétentes à l’égard des infractions pénales en général, méconnaîtrait la nature spécifique des missions accomplies par ces autorités et nuirait à l’objectif de réalisation d’un espace de liberté, de sécurité et de justice au sein de l’Union. Cela étant, afin de répondre à l’exigence selon laquelle toute limitation à l’exercice d’un droit fondamental doit être « prévue par la loi »{9}, il incombe au législateur national de définir de manière suffisamment précise les éléments, notamment la nature ou les catégories des infractions concernées, devant être pris en compte.
Troisièmement, la Cour note que, afin d’assurer le respect du principe de proportionnalité, lorsque l’accès des autorités nationales compétentes aux données à caractère personnel comporte le risque d’une ingérence grave, voire particulièrement grave, dans les droits fondamentaux de la personne concernée, cet accès doit être subordonné à un contrôle préalable effectué par une juridiction ou par une entité administrative indépendante. Ce contrôle doit intervenir préalablement à toute tentative d’accès aux données concernées, sauf en cas d’urgence dûment justifié, auquel cas ce contrôle doit intervenir dans de brefs délais. Dans le cadre de ce contrôle, la juridiction ou l’entité administrative indépendante doit être habilitée à refuser ou à restreindre une demande d’accès relevant du champ d’application de la directive 2016/680 lorsqu’elle constate que l’ingérence dans les droits fondamentaux que constituerait cet accès serait disproportionnée. En l’occurrence, un refus ou une restriction d’accès aux données contenues dans un téléphone portable, par les autorités de police compétentes, doit être opéré si, tenant compte de la gravité de l’infraction et des besoins de l’enquête, un accès au contenu des communications ou à des données sensibles n’apparaît pas justifié.
Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que le principe de minimisation des données, lu à la lumière des droits à la protection des données à caractère personnel et au respect de la vie privée, ne s’oppose pas à une règlementation nationale octroyant aux autorités compétentes la possibilité d’accéder aux données contenues dans un téléphone portable, à des fins de prévention, de recherche, de détection et de poursuite d’infractions pénales en général. Une telle admissibilité est toutefois conditionnée par le respect des principes de légalité et de proportionnalité ainsi que par l’existence d’un contrôle préalable de l’exercice du droit d’accès à de telles données opéré par un juge ou par une entité administrative indépendante.
En troisième lieu, la Cour se prononce sur la question de savoir si CG aurait dû être informé des tentatives d’accès aux données contenues dans son téléphone portable{10}. Elle constate à cet égard que les autorités nationales compétentes ayant été autorisées par un juge ou une entité administrative indépendante à accéder à des données conservées doivent informer les personnes concernées des motifs sur lesquels cette autorisation repose, dès le moment où la communication de cette information n’est plus susceptible de compromettre les enquêtes menées par ces autorités. Ces mêmes autorités doivent mettre à la disposition des personnes concernées l’ensemble des informations prévues par la directive 2016/680{11} afin que ces dernières puissent exercer, notamment, leur droit à un recours effectif{12}. Ainsi, une réglementation nationale qui exclurait de manière générale tout droit à obtenir de telles informations ne serait pas conforme au droit de l’Union. En l’occurrence, la Cour constate que CG aurait dû être informé au préalable des tentatives d’accès aux données contenues dans son téléphone portable. En effet, le téléphone portable de CG ayant déjà été saisi au moment des tentatives de déverrouillage des autorités de police, il n’apparaît pas que l’informer de ces tentatives d’accès était susceptible de nuire à l’enquête. Partant, la Cour conclut que les dispositions de la directive 2016/680, lues à la lumière de la Charte{13}, s’opposent à une réglementation nationale autorisant les autorités compétentes à accéder à des données contenues dans un téléphone portable sans informer la personne concernée des motifs sur lesquels repose l’autorisation par un juge ou une entité administrative indépendante d’accéder à de telles données, à partir du moment où la communication de cette information n’est plus susceptible de compromettre les missions incombant à ces autorités.
{1} Directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la décision-cadre 2008/977/JAI du Conseil (JO 2016, L 119, p. 89).
{2} Et plus précisément de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques) (JO 2002, L 201, p. 37), telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009 (JO 2009, L 337, p. 11) (ci-après la « directive ‟vie privée et communications électroniques" »).
{3} Prévus aux articles 7 et 8 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
{4} Et plus précisément l’article 15, paragraphe 1, de la directive « vie privée et communications électroniques ».
{5} En vertu de l’article 3, point 2, de la directive 2016/680, la notion de « traitement » est définie comme « toute opération ou tout ensemble d’opérations effectuées ou non à l’aide de procédés automatisés et appliquées à des données à caractère personnel ou des ensembles de données à caractère personnel […] ».
{6} Article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 2016/680.
{7} Tel que prévu par l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la directive 2016/680, en vertu duquel les États membres doivent prévoir que les données à caractère personnel sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées.
{8} Articles 7 et 8 de la Charte.
{9} Article 52, paragraphe 1, de la Charte.
{10} Article 47 de la Charte.
{11} Visées à l’article 13, au paragraphe 1, de la directive 2016/680.
{12} Article 54 de la directive 2016/680.
{13} Plus particulièrement, les articles 13 et 54 de la directive 2016/680, lus à la lumière des articles 47 et 52, paragraphe 1, de la Charte.
77. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Critères d'adoption des mesures restrictives - Femmes et hommes d'affaires influents exerçant des activités en Russie et personnes leur étant associées - Femmes ou hommes d'affaires, personnes morales, entités ou organismes ayant une activité dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie et personnes leur étant associées - Respect du principe de légalité des délits et des peines
Arrêt du 20 novembre 2024, Zubitskiy / Conseil (T-1074/23) (cf. points 34, 35, 38)
78. Coopération judiciaire en matière pénale - Accord de commerce et de coopération avec le Royaume-Uni - Remise des personnes condamnées ou soupçonnées aux autorités judiciaires d'émission - Obligation de respecter les droits et principes juridiques fondamentaux - Refus d'exécution d'un mandat d'arrêt en cas de risque de violation de l'article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux - Conditions - Modification rétroactive de la portée de la peine encourue - Risque réel d'une peine plus forte que celle initialement encourue - Imposition d'une peine plus forte en cas de modification du régime de libération conditionnelle - Conditions
Saisie à titre préjudiciel par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande), la Cour, réunie en grande chambre, précise, dans le cadre de la procédure accélérée et dans le contexte d’un mandat d’arrêt émis sur le fondement de l’accord de commerce et de coopération conclu avec le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord{1}, la notion d’imposition d’une peine plus forte, à la lumière du principe de légalité des délits et des peines consacré à l’article 49, paragraphe 1, deuxième phrase, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne{2}.
Le District Judge (juge de district) des Magistrates’ Courts of Northern Ireland (tribunal d’instance d’Irlande du Nord, Royaume-Uni) a délivré quatre mandats d’arrêt à l’encontre de MA pour des infractions relevant du terrorisme qui auraient été commises en 2020.
En 2022, la High Court (Haute Cour, Irlande) a ordonné la remise de MA au Royaume-Uni. MA a formé un pourvoi contre cette décision devant la juridiction de renvoi, qui a saisi la Cour d’une question préjudicielle relative à l’interprétation de l’ACC, à laquelle la Cour a répondu par l’arrêt Alchaster{3}.
Dans cet arrêt, la Cour a énoncé qu’une autorité judiciaire d’exécution doit, lorsqu’une personne visée par un mandat d’arrêt émis sur le fondement de l’ACC invoque un risque de violation de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte en cas de remise au Royaume-Uni, en raison d’une modification des conditions de libération conditionnelle, intervenue postérieurement à la commission présumée de l’infraction pour laquelle ladite personne est poursuivie, procéder à un examen autonome quant à l’existence de ce risque avant de se prononcer sur l’exécution de ce mandat d’arrêt. Au vu de cette réponse, la juridiction de renvoi a demandé{4} aux autorités du Royaume-Uni des informations complémentaires sur la réglementation qui, en cas de remise, serait applicable à MA en matière de libération conditionnelle.
Il ressort de la réponse du juge de district du tribunal d’instance d’Irlande du Nord que, selon la réglementation qui était applicable en Irlande du Nord à la date de la commission présumée des infractions en cause au principal, la juridiction prononçant une condamnation à une peine d’emprisonnement d’une durée déterminée devait fixer une « période de détention », qui ne pouvait excéder la moitié de la peine prononcée et au terme de laquelle la personne condamnée devait obligatoirement bénéficier d’une libération conditionnelle. En revanche, en vertu de la nouvelle réglementation applicable à compter du 30 avril 2021, y compris aux infractions commises avant cette date, une peine d’emprisonnement d’une durée déterminée pour une « infraction terroriste spécifiée » est composée d’une « période de détention appropriée », déterminée par le juge, et d’une période supplémentaire d’un an, pendant laquelle la personne condamnée bénéficie d’une libération conditionnelle, la durée cumulée de ces périodes ne pouvant excéder la durée maximale de la peine d’emprisonnement encourue. Cette personne peut, en outre, bénéficier d’une libération conditionnelle après avoir exécuté les deux tiers de la « période de détention appropriée » et à la condition que les Parole Commissioners (commissaires à la libération conditionnelle, Royaume-Uni) considèrent que son maintien en détention n’est pas nécessaire à la protection de la société.
Nourrissant des doutes quant au fait de savoir si ces modifications peuvent être regardées comme se rapportant uniquement à l’exécution des peines ou si elles doivent, au contraire, être considérées comme modifiant de manière rétroactive la portée même de la peine encourue et si, en conséquence, il faudrait considérer que la personne concernée se voit infliger une peine plus forte que celle encourue au jour de la commission des infractions présumées, de telle sorte qu’il y aurait violation de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte, la juridiction de renvoi a saisi la Cour d’une question préjudicielle.
Appréciation de la Cour
À titre liminaire, la Cour rappelle que l’article 49 de la Charte comporte, à tout le moins, les mêmes garanties que celles prévues à l’article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales{5}, dont il convient de tenir compte, en vertu de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, en tant que seuil de protection minimale.
Aux fins de l’application de l’article 7 de la CEDH, il convient de distinguer une mesure constituant une « peine » et une mesure relative à l’« exécution » ou à l’« application » de la peine.
Une mesure relative à l’exécution d’une peine ne sera incompatible avec l’article 49, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Charte que si elle emporte une modification rétroactive de la portée même de la peine encourue à la date de la commission présumée de l’infraction en cause, impliquant ainsi l’infliction d’une peine plus forte que celle qui était initialement encourue. Si tel n’est pas le cas lorsque cette mesure se limite à allonger le seuil d’admissibilité à la libération conditionnelle, il peut en aller différemment, notamment, si ladite mesure abroge en sa substance la possibilité d’une libération conditionnelle ou si elle se place dans un ensemble de mesures conduisant à aggraver la nature intrinsèque de la peine initialement encourue.
Dès lors, la circonstance qu’une réglementation nationale prévoit, s’agissant des infractions commises avant son entrée en vigueur, l’extension de la part d’une peine d’emprisonnement devant nécessairement être exécutée en détention avant qu’une libération conditionnelle puisse être ordonnée ne saurait, prise isolément, emporter une violation de l’article 49, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Charte.
Cependant, la question posée porte sur des modifications d’un régime de libération conditionnelle qui remettent également en cause une règle en vertu de laquelle une telle libération devait intervenir de façon automatique lorsque la moitié de la peine a été exécutée. Or, si cette modification du régime de libération conditionnelle entraîne en l’espèce un durcissement de la situation de détention, cette circonstance ne doit pas nécessairement être regardée comme impliquant l’imposition d’une peine plus forte, au sens de l’article 49, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Charte.
Cette considération tire son origine dans la séparation entre la notion de « peine », comprise comme la condamnation prononcée ou susceptible de l’être, et celle de mesures relatives à l’« exécution » ou à l’« application » de la peine. Elle vaut non seulement pour l’allongement du seuil d’admissibilité à la libération conditionnelle, mais également pour les modifications d’autres conditions auxquelles le prononcé d’une libération conditionnelle est subordonné.
Ainsi, pour autant que ces modifications n’abrogent pas en substance la possibilité d’une telle libération et qu’elles ne conduisent pas à une aggravation de la nature de la peine encourue à la date de la commission présumée des infractions en cause, leur application à des infractions commises antérieurement à leur entrée en vigueur ne contrevient pas à l’article 49, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Charte.
S’agissant de la première de ces deux conditions, la modification introduite ne conduit pas en l’espèce, que ce soit aux termes de la loi ou en pratique, à une abrogation en substance de la possibilité d’une libération conditionnelle.
S’agissant de la seconde condition, il n’apparaît pas que la modification du régime de libération conditionnelle en cause, qui ne prolonge pas la durée maximale de la peine d’emprisonnement encourue, conduise à aggraver la nature intrinsèque de la peine initialement encourue. En effet, la durée de la peine d’emprisonnement qui serait prononcée par le juge pénal constituerait, aussi bien au titre du nouveau régime qu’en vertu de celui applicable à la date de la commission présumée des infractions en cause, la durée maximale durant laquelle la personne condamnée pourrait, en définitive, être placée en détention. Ces deux régimes de libération impliquent, l’un comme l’autre, la possibilité que la personne ayant bénéficié d’une telle libération soit à nouveau placée en détention si son comportement justifie une révocation de cette libération. Aucun de ces régimes ne garantit donc à cette personne de demeurer en liberté pour une partie prédéterminée de la peine d’emprisonnement prononcée par le juge pénal.
En outre, le critère tiré de la dangerosité de la personne condamnée telle qu’appréciée au moment de la possible libération conditionnelle constitue un critère usuel dans les politiques pénitentiaires et implique une appréciation d’une nature différente de celle qui a été conduite initialement lors du prononcé de sa condamnation et se rattache, par là même, à l’exécution de la peine.
La Cour conclut que, en application de l’article 49, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Charte, ne constitue pas l’imposition d’une peine plus forte l’application, à une personne qui serait condamnée à une peine d’emprisonnement d’une durée déterminée, d’un régime prévoyant que cette personne doit exécuter au moins deux tiers d’une période fixée de détention avant de pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle, qu’une telle libération est subordonnée à ce qu’une autorité spécialisée estime que le maintien en détention de ladite personne n’est plus nécessaire à la protection de la société et que la même personne bénéficie nécessairement d’une libération conditionnelle une année avant la fin de la peine prononcée, alors que, en vertu des règles applicables à la date de la commission présumée des infractions en cause, elle aurait dû automatiquement bénéficier d’une libération conditionnelle après avoir exécuté la moitié de cette peine.
{1} Accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique, d’une part, et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, d’autre part (JO 2021, L 149, p. 10, ci-après l’« ACC »).
{2} Ci-après la « Charte ».
{3} Arrêt du 29 juillet 2024, Alchaster (C-202/24, EU:C:2024:649).
{4}En application de l’article 613, paragraphe 2, de l’ACC.
{5} Convention signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).
Arrêt du 3 avril 2025, Alchaster II (C-743/24) (cf. points 25-47 et disp.)