1. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Législation fiscale - Impôts sur le revenu - Réglementation nationale excluant la déductibilité des frais de cours d'enseignement universitaire dispensés par des établissements universitaires situés sur le territoire d'un autre État membre - Inadmissibilité - Possibilité de déduire lesdits frais dans la limite du plafond fixé pour les frais correspondants pour des cours similaires dispensés auprès de l'université publique nationale la plus proche du domicile fiscal du contribuable - Admissibilité
L’article 18 CE doit être interprété en ce sens:
- qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit la possibilité, pour les contribuables, de déduire de l’impôt brut les frais de cours d’enseignement universitaire dispensés par les établissements situés sur le territoire de cet État membre, mais qui exclut de manière générale cette possibilité s’agissant de frais d’enseignement universitaire encourus dans un établissement universitaire établi dans un autre État membre;
- qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit la possibilité, pour les contribuables, de déduire de l’impôt brut les frais de cours d’enseignement universitaire encourus dans un établissement universitaire établi dans un autre État membre dans la limite du plafond fixé pour les frais correspondants prévus pour la fréquentation de cours similaires dispensés auprès de l’université publique nationale la plus proche du domicile fiscal du contribuable.
Arrêt du 20 mai 2010, Zanotti (C-56/09, Rec._p._I-4517) (cf. point 78, disp. 2)
2. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Sécurité sociale des citoyens migrants - Titulaires de pensions ou de rentes dues en vertu de la législation d'un État membre autre que le pays de résidence - Fourniture de prestations en nature dans l'État de résidence à la charge de l'État débiteur - Réglementation de l'État débiteur prévoyant l'acquittement d'une cotisation sous forme de retenue sur la pension ou rente même en l'absence d'inscription auprès de l'institution compétente de l'État de résidence - Admissibilité - Condition - Absence de différence de traitement entre les résidents et les non-résidents en ce qui concerne la continuité de la protection globale contre les risques de maladie - Appréciation par le juge national
L’article 21 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d'un État membre, qui prévoit que les titulaires d’une pension ou d’une rente due au titre de la législation de cet État résidant dans un autre État membre dans lequel ils ont droit, en application des articles 28 et 28 bis du règlement nº 1408/71, tel que modifié par le règlement nº 1992/2006, aux prestations de maladie en nature servies par l’institution compétente de ce dernier État membre doivent s’acquitter, sous forme de retenue sur ladite pension ou rente, d’une cotisation au titre desdites prestations, même lorsqu’ils ne sont pas inscrits auprès de l’institution compétente de l’État membre de leur résidence.
En revanche, l’article 21 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une telle réglementation nationale pour autant que celle-ci induit ou comporte, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, une différence de traitement injustifiée entre les résidents et les non-résidents en ce qui concerne la garantie de la continuité de la protection globale contre le risque de maladie dont ceux-ci bénéficiaient dans le cadre de contrats d’assurance conclus avant l’entrée en vigueur de cette réglementation.
Arrêt du 14 octobre 2010, van Delft e.a. (C-345/09, Rec._p._I-9879) (cf. points 130-131, disp. 2)
3. Citoyenneté de l'Union - Dispositions du traité - Inapplicabilité dans une situation purement interne à un État membre - Citoyen de l'Union n'ayant jamais exercé son droit de libre circulation, ayant toujours séjourné dans l'État membre de sa nationalité et jouissant de la nationalité d'un autre État membre - Situation purement interne sauf en cas d'application de mesures ayant pour effet de priver l'intéressé de la jouissance effective de l'essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l'Union ou d'entraver l'exercice de son droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres
L’article 21 TFUE n’est pas applicable à un citoyen de l’Union qui n’a jamais fait usage de son droit de libre circulation, qui a toujours séjourné dans un État membre dont il possède la nationalité et qui jouit, par ailleurs, de la nationalité d’un autre État membre pour autant que la situation de ce citoyen ne comporte pas l’application de mesures d’un État membre qui auraient pour effet de le priver de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l’Union ou d’entraver l’exercice de son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.
La situation d’un citoyen de l’Union qui n’a pas fait usage de son droit de libre circulation ne saurait, de ce seul fait, être assimilée à une situation purement interne. En tant que ressortissant de, au moins, un État membre, une personne jouit du statut de citoyen de l’Union en vertu de l’article 20, paragraphe 1, TFUE et peut donc se prévaloir, y compris à l’égard de son État membre d’origine, des droits afférents à un tel statut, notamment celui de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres tel que conféré par l’article 21 TFUE.
Toutefois, la non-prise en compte, par les autorités de l'État membre de la nationalité et de la résidence d'un citoyen, de la nationalité d'un autre État membre que ce citoyen possède également, lors de la décision sur une demande de droit de séjour au titre du droit de l’Union introduite par celui-ci, n’implique pas l’application de mesures qui auraient pour effet de priver l’intéressé de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l’Union ou d’entraver l’exercice de son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Partant, dans un tel contexte, la circonstance qu'un ressortissant possède, outre la nationalité de l'État membre où il réside, la nationalité d'un autre État membre ne saurait suffire, à elle seule, pour considérer que la situation de la personne intéressée relève de l’article 21 TFUE, ladite situation ne présentant aucun facteur de rattachement à l’une quelconque des situations envisagées par le droit de l’Union et l’ensemble des éléments pertinents de cette situation se cantonnant à l’intérieur d’un seul État membre.
Arrêt du 5 mai 2011, McCarthy (C-434/09, Rec._p._I-3375) (cf. points 46, 48-49, 54-55, 57, disp. 2)
4. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Règles de graphie de la langue officielle d'un État membre applicables aux actes d'état civil - Refus dudit État, en application de ces règles, de modifier, dans les certificats d'état civil, le nom de l'un de ses ressortissants selon les règles de graphie d'un autre État membre - Admissibilité
L’article 21 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il ne s’oppose pas à ce que les autorités compétentes d’un État membre refusent, en application d’une réglementation nationale prévoyant que le nom de famille et les prénoms d’une personne ne peuvent être transcrits dans les actes d’état civil de cet État que sous une forme respectant les règles de graphie de la langue officielle nationale, de modifier dans les certificats de naissance et de mariage de l’un de ses ressortissants le nom de famille et le prénom de celui-ci selon les règles de graphie d’un autre État membre.
Le fait que le nom de famille et le prénom de la personne ne peuvent être modifiés et transcrits dans les actes d'état civil de son État membre d'origine que dans les caractères de la langue de ce dernier ne saurait constituer un traitement moins favorable que celui dont elle bénéficie avant de faire usage des facilités ouvertes par le traité en matière de libre circulation des personnes et, partant, n'est pas susceptible de la dissuader d'exercer les droits de circulation reconnus par ledit article 21 TFUE.
5. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Règles de graphie de la langue officielle d'un État membre applicables aux actes d'état civil - Refus dudit État, en application de ces règles, de modifier, dans les actes d'état civil, le nom de famille commun à un couple marié de citoyens de l'Union selon les règles de graphie de l'État membre d'origine de l'un de ces citoyens - Justification - Conditions - Appréciation par la juridiction nationale
L’article 21 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il ne s’oppose pas à ce que les autorités compétentes d’un État membre refusent, en application d’une réglementation nationale prévoyant que le nom de famille et les prénoms d’une personne ne peuvent être transcrits dans les actes d’état civil de cet État que sous une forme respectant les règles de graphie de la langue officielle nationale, de modifier le nom de famille commun à un couple marié de citoyens de l’Union, tel qu’il figure dans les actes d’état civil délivrés par l’État membre d’origine de l’un de ces citoyens, sous une forme respectant les règles de graphie de ce dernier État, à condition que ce refus ne provoque pas, pour lesdits citoyens de l’Union, de sérieux inconvénients d’ordre administratif, professionnel et privé, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer. Si tel s’avère être le cas, il appartient également à cette juridiction de vérifier si le refus de modification est nécessaire à la protection des intérêts que la réglementation nationale vise à garantir et est proportionné à l’objectif légitimement poursuivi.
L'objectif poursuivi par une telle réglementation nationale visant à protéger la langue officielle nationale par l'imposition des règles de graphie prévues par cette langue constitue, en principe, un objectif légitime susceptible de justifier des restrictions aux droits de libre circulation et de séjour prévus à l'article 21 TFUE et peut être pris en compte lors de la mise en balance d'intérêts légitimes avec lesdits droits reconnus par le droit de l'Union.
6. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Règles de graphie de la langue officielle d'un État membre applicables aux actes d'état civil - Refus dudit État, en application de ces règles, de transcrire, sur le certificat de mariage d'un citoyen de l'Union ressortissant d'un autre État membre, le nom de celui-ci avec les signes diacritiques figurant sur les actes d'état civil délivrés par son État membre d'origine - Admissibilité
L’article 21 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il ne s’oppose pas à ce que les autorités compétentes d’un État membre refusent, en application d’une réglementation nationale prévoyant que le nom de famille et les prénoms d’une personne ne peuvent être transcrits dans les actes d’état civil de cet État que sous une forme respectant les règles de graphie de la langue officielle nationale, de modifier le certificat de mariage d’un citoyen de l’Union ressortissant d’un autre État membre afin que les prénoms dudit citoyen soient transcrits dans ce certificat avec des signes diacritiques tels qu’ils ont été transcrits dans les actes d’état civil délivrés par son État membre d’origine et sous une forme respectant les règles de graphie de la langue officielle nationale de ce dernier État.
Arrêt du 12 mai 2011, Runevič-Vardyn et Wardyn (C-391/09, Rec._p._I-3787) (cf. point 94, disp. 2)
7. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Conditions du droit de séjour au titre du droit de l'Union - Conditions plus souples au titre du droit national - Admissibilité
L’article 7 de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, énonce les conditions dans lesquelles tout citoyen de l’Union jouit, au titre du droit de l’Union, du droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois, sans faire cependant obstacle à ce qu’un État membre puisse délivrer un titre de séjour à un citoyen de l’Union dans des conditions plus souples.
Arrêt du 28 septembre 2011, Allen / Commission (F-23/10) (cf. point 106)
8. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Conditions du droit de séjour au titre du droit de l'Union - Régime plus favorable au titre du droit national - Admissibilité - Portée
L’article 37 de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, se borne à prévoir que cette dernière ne s’oppose pas à ce que le droit des États membres institue un régime plus favorable que celui établi par les dispositions de cette directive. Toutefois, ce fait n’implique nullement que les dispositions plus favorables doivent être intégrées dans le système mis en œuvre par cette directive.
Cependant, il appartient à chaque État membre de décider non seulement s’il instaure un tel régime, mais également quels sont les conditions et les effets de ce dernier, notamment en ce qui concerne les conséquences juridiques d’un droit de séjour accordé sur le seul fondement du droit national.
9. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Disposition générale du traité trouvant une expression spécifique dans les dispositions consacrant la libre circulation des travailleurs ainsi que la liberté d'établissement
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 12 juillet 2012, Commission / Espagne (C-269/09) (cf. point 49)
10. Citoyenneté de l'Union - Libre circulation des personnes - Liberté d'établissement - Restrictions - Législation fiscale - Transfert de la résidence d'un contribuable dans un autre État membre - Obligation d'inclure tout revenu non imputé dans la base imposable du dernier exercice fiscal - Inadmissibilité - Justification - Recouvrement efficace de la dette fiscale - Préservation de la répartition du pouvoir d'imposition entre les États membres - Cohérence du régime fiscal - Absence
Manque aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 18 CE, 39 CE et 43 CE un État membre qui adopte et maintien en vigueur une législation qui oblige les contribuables transférant leur résidence dans un autre État membre à inclure tout revenu non imputé dans la base imposable du dernier exercice fiscal pour lequel ils ont été considérés comme contribuables résidents.
En effet, même si, selon leur libellé, les dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, elles s'opposent également à des dispositions qui empêchent ou dissuadent un ressortissant d’un État membre de quitter son État d’origine pour exercer son droit à la libre circulation. Tel est le cas de la législation d'un État membre qui entraîne l’obligation, pour le contribuable qui transfère sa résidence dans un autre État membre, d’acquitter l’impôt avant que ne soient tenus de le faire les contribuables qui continuent de résider dans le premier État membre. Cette différence de traitement, qui est de nature à défavoriser, sur le plan financier, les personnes transférant leur résidence à l’étranger, ne s’explique pas par une différence de situation objective. En effet, à l’égard de la législation d’un État membre visant à imposer les revenus réalisés, la situation d’une personne qui transfère sa résidence dans un autre État membre est similaire à celle d’une personne maintenant sa résidence dans le premier État membre. Il s'ensuit qu'une telle différence de traitement constitue une entrave à l'exercice des libertés consacrées par les articles 39 CE et 43 CE.
Cette entrave ne peut être justifiée par la nécessité de garantir un recouvrement efficace de la dette fiscale, dès lors que les mécanismes de coopération existant entre les autorités des États membres au niveau de l’Union, notamment ceux prévus par la directive 2008/55, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certaines cotisations, à certains droits, à certaines taxes et autres mesures, sont suffisants pour permettre à l’État membre d’origine d’effectuer un recouvrement de la dette fiscale dans un autre État membre. L'obligation imposée par ladite réglementation nationale est donc disproportionnée par rapport au but de faciliter le recouvrement de la dette fiscale.
Ladite entrave n'est pas non plus justifiée par la nécessité d'assurer la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres, étant donné que l'État membre d'origine ne perd pas, à l’occasion du transfert de la résidence d’un contribuable dans un autre État membre, le pouvoir d’exercer sa compétence fiscale en relation avec des activités déjà réalisées sur son territoire et, ainsi, ne doit pas renoncer à son droit de déterminer le montant de l’imposition correspondante.
Enfin, en l'absence d’un lien direct, dans la législation nationale, entre, d’une part, l’avantage fiscal que représente la possibilité d’imputer des revenus sur plusieurs périodes d’imposition et, d’autre part, la compensation de cet avantage par une charge fiscale quelconque, cette législation ne peut être justifiée par la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal.
11. Sécurité sociale - Compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale - Limites - Respect du droit de l'Union - Règles du traité relatives à la libre circulation des citoyens de l'Union
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 19 juillet 2012, Reichel-Albert (C-522/10) (cf. point 38)
12. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Pension de vieillesse - Obligation de prendre en compte, aux fins de l'octroi d'une pension de vieillesse, les périodes consacrées à l'éducation d'un enfant accomplies dans un autre État membre - Personne ayant installé temporairement sa résidence dans cet autre État membre sans y avoir exercé d'activité salariée ou non salariée
Dans une situation où une personne a temporairement installé sa résidence dans un État membre autre que son État d'origine, l’article 21 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il fait obligation à l’institution compétente de l'État d'origine de prendre en compte, aux fins de l’octroi d’une pension de vieillesse, les périodes consacrées à l’éducation d’un enfant, accomplies dans un autre État membre, comme si ces périodes avaient été accomplies sur son territoire national, par une personne qui n’a exercé des activités professionnelles que dans ce premier État membre et qui, au moment de la naissance de ses enfants, avait temporairement cessé de travailler et établi sa résidence, pour des motifs strictement familiaux, sur le territoire du second État membre.
Une réglementation nationale qui ne prévoit pas une telle obligation désavantage certains ressortissants nationaux du seul fait qu’ils ont exercé leur liberté de circuler et de séjourner dans un autre État membre et engendre ainsi une inégalité de traitement contraire aux principes qui sous-tendent le statut de citoyen de l’Union, tels que la garantie d’un même traitement juridique dans l’exercice de la liberté de circulation.
Arrêt du 19 juillet 2012, Reichel-Albert (C-522/10) (cf. points 42, 45 et disp.)
13. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Principe d'égalité de traitement - Dérogation - Absence d'obligation de l'État membre d'accueil d'octroyer des aides d'entretien aux études sous la forme de bourses d'études - Limites - Vente de titres de transport à tarif réduit aux étudiants - Exclusion de la dérogation
En tant que dérogation au principe d’égalité de traitement prévu à l’article 18 TFUE et dont l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, ne constitue qu’une expression spécifique, le paragraphe 2 de cet article 24 doit être interprété de manière stricte. Si les réductions sur les tarifs de transport octroyées aux étudiants concernés constituent des aides d’entretien pour ces derniers, elles ne peuvent pas être considérées comme les aides d’entretien aux études "sous la forme de bourses d’études ou de prêts" qui relèvent de la dérogation au principe d’égalité de traitement prévue à l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 et qui peuvent ne pas être accordées à certaines catégories de citoyens de l’Union qui séjournent sur le territoire de l'État membre d'accueil en vertu de la même directive.
Arrêt du 4 octobre 2012, Commission / Autriche (C-75/11) (cf. points 54-55)
14. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Droit de sortie et d'entrée - Champ d'application - Citoyen voulant quitter le territoire de l'État de sa nationalité pour se rendre dans un autre État membre - Inclusion
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 4 octobre 2012, Byankov (C-249/11) (cf. points 30-32)
15. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Personne revêtant les fonctions de chef d'État - Statut particulier régi par des règles du droit international - Limitation au droit de circulation fondée sur ces règles - Admissibilité
Un chef d'État ayant la nationalité d'un État membre bénéficie incontestablement du statut de citoyen de l'Union, qui confère, conformément à l'article 21 TFUE, un droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et des restrictions fixées par les traités et des mesures adoptées en vue de leur application.
De telles limitations peuvent être également fondées sur des règles pertinentes du droit international, ce droit faisant partie de l’ordre juridique de l’Union.
Ainsi, dans la mesure où, sur le fondement des règles coutumières de droit international général ainsi que de celles conventionnelles multilatérales, le chef d’État jouit dans les relations internationales d’un statut particulier qui implique, notamment, des privilèges et des immunités, une telle spécificité est de nature à distinguer la personne qui jouit de ce statut de tous les autres citoyens de l’Union, de sorte que l’accès de cette personne au territoire d’un autre État membre ne relève pas des mêmes conditions que celles applicables aux autres citoyens.
Dès lors, la spécificité du statut de chef d'État est de nature à justifier une limitation, fondée sur le droit international, à l’exercice du droit de circulation que l’article 21 TFUE lui confère.
Arrêt du 16 octobre 2012, Hongrie / Slovaquie (C-364/10) (cf. points 42-44, 46, 50, 51)
16. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Principe d'égalité de traitement - Dérogation - Absence d'obligation de l'État membre d'accueil d'octroyer des aides d'entretien aux études - Limites - Situation d'un étudiant exerçant parallèlement une activité salariée réelle et effective dans l'État membre d'accueil
Les articles 7, paragraphe 1, sous c), et 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, doivent être interprétés en ce sens qu’un citoyen de l’Union qui poursuit des études dans un État membre d’accueil et y exerce en parallèle une activité salariée réelle et effective de nature à lui conférer la qualité de "travailleur" au sens de l’article 45 TFUE ne peut se voir refuser des aides d’entretien aux études accordées aux ressortissants de cet État membre.
Il appartient à la juridiction nationale de procéder aux vérifications de fait nécessaires afin d’apprécier si les activités salariées de l'intéressé sont suffisantes pour lui conférer cette qualité.
La circonstance que l’intéressé est entré sur le territoire de l’État membre d’accueil dans l’intention principale d’y poursuivre ses études n’est pas pertinente pour déterminer s’il a la qualité de "travailleur" au sens de l’article 45 TFUE et, partant, s’il a droit à ces aides dans les mêmes conditions qu’un ressortissant de l’État membre d’accueil conformément à l’article 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté.
Arrêt du 21 février 2013, N. (C-46/12) (cf. point 51, disp.)
17. Droits fondamentaux - Charte des droits fondamentaux - Citoyenneté - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Identité avec le droit garanti par l'article 20, paragraphe 2, TFUE
Le droit de tout citoyen de l'Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, garanti par l'article 45, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, est celui garanti par l’article 20, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), TFUE qui s’exerce, conformément à l’article 20, paragraphe 2, second alinéa, TFUE, dans les conditions et les limites définies par les traités et par les mesures adoptées en application de ceux-ci. La directive 91/477, relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes, qui traite de la libre circulation des détenteurs d’armes, notamment des chasseurs et des tireurs sportifs, constitue une telle mesure.
Arrêt du 4 septembre 2014, Zeman (C-543/12) (cf. point 39)
18. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Interdiction d'entrée et de passage ainsi que gel des fonds de certaines personnes et entités responsables de la répression violente contre la population civile - Restriction au droit au respect de la vie privée et à la libre circulation dans l'Union - Violation du principe de proportionnalité - Absence
S’agissant de la violation alléguée du droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que de la restriction à l’accès au territoire de l’État membre dont le requérant est ressortissant, et à la libre circulation dans l’Union, les dispositions spéciales concernant les ressortissants, à savoir l’article 18, paragraphe 2, de la décision 2011/782, l’article 24, paragraphe 2, de la décision 2012/739 et l’article 27, paragraphe 2, de la décision 2013/255, concernant des mesures restrictives à l'encontre de la Syrie, reconnaissent la compétence exclusive des États membres en ce qui concerne l’application des restrictions en cause à leurs propres ressortissants. Il s’ensuit que, s’agissant d’une personne qui a, outre la nationalité syrienne, la nationalité d’un État membre, le droit de l’Union n’impose pas aux autorités dudit État de lui interdire l’accès à son territoire.
Par contre, un citoyen d’un État membre, et donc également de l’Union, dont le nom figure sur les listes des personnes visées par les dispositions sur les restrictions en matière d’admission relève du champ d’application de celles-ci en ce qui concerne les États membres autres que celui dont il a la nationalité. À l’égard de ces citoyens, lesdits États membres sont tenus d’appliquer les restrictions en question s’agissant de leurs territoires respectifs. En effet, les dispositions concernant les ressortissants ne s’appliquent qu’au territoire de l’État membre dont une telle personne est le ressortissant. Par ailleurs, le droit à la libre circulation des citoyens de l’Union n’est pas inconditionnel. En effet, selon la réserve formulée dans le second membre de phrase de l’article 21, paragraphe 1, TFUE, par l'adoption d'actes relevant de la politique étrangère et de sécurité commune, le Conseil pouvait en principe limiter le droit à la libre circulation dans l’Union du requérant dans le respect du principe de proportionnalité, les considérations quant au caractère approprié, nécessaire et limité dans le temps des mesures portant le gel de fonds étant applicables par analogie aux dispositions sur les restrictions en matière d'admission.
Par ailleurs, les dispositions sur les restrictions en matière d’admission, en ce qu’elles s’appliquent aux citoyens de l’Union, doivent être considérées comme une lex specialis par rapport à la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221, 68/360, 72/194, 73/148, 75/34, 75/35, 90/364, 90/365 et 93/96, de sorte que ces dispositions priment cette dernière dans les situations qu’elles visent spécifiquement à régler. Du reste, cette lex specialis ne fait que refléter, sur un plan commun et dans un contexte particulier, des restrictions à la libre circulation que les États membres peuvent, uti singuli, appliquer à certaines personnes, conformément à l’article 27 de la directive 2004/38. En effet, cette dernière n’accorde pas aux citoyens de l’Union un droit inconditionnel à la libre circulation dans l’Union, mais permet aux États membres de restreindre cette liberté pour des raisons, notamment, d’ordre public ou de sécurité publique, dans le respect du principe de proportionnalité.
19. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Législation fiscale - Impôts sur le revenu - Refus d'accorder aux contribuables non-résidents, tirant la plus grande partie de leurs revenus de l'État source et ayant opté pour le régime d'imposition à la source, les mêmes déductions personnelles que celles accordées aux contribuables résidents - Admissibilité - Condition - Charge fiscale pesant sur les contribuables non-résidents n'étant pas globalement supérieure à celle pesant sur les contribuables résidents
Le refus, dans le cadre de l’imposition sur les revenus, d’accorder aux contribuables non-résidents, qui tirent la plus grande partie de leurs revenus de l’État source et qui ont opté pour le régime d’imposition à la source, les mêmes déductions personnelles que celles qui sont accordées aux contribuables résidents dans le cadre du régime d’imposition ordinaire ne constitue pas une discrimination contraire à l’article 21 TFUE lorsque les contribuables non-résidents ne sont pas soumis à une charge fiscale globalement supérieure à celle qui pèse sur les contribuables résidents et sur les personnes qui leur sont assimilées, dont la situation est comparable à la leur.
En effet, une différence de traitement entre les contribuables non-résidents et les contribuables résidents, consistant en ce que les revenus bruts des premiers sont soumis à une imposition définitive à un taux unique au moyen d’un prélèvement à la source, alors que les revenus nets des seconds sont imposés selon un barème progressif assorti d’un abattement de base, est compatible avec le droit de l’Union à la condition que le taux unique ne soit pas plus élevé que le taux résultant de l’application effective pour l’intéressé du barème progressif aux revenus nets au-delà de l’abattement de base.
Par ailleurs, lorsque le régime d’imposition à la source vise tant à simplifier la tâche de l’administration fiscale qu’à soulager le contribuable non-résident, le refus de reconnaître la déduction personnelle doit être considéré comme un élément inhérent au régime d’imposition à la source. Ainsi, lorsque le contribuable non-résident opte pour un tel régime, ladite administration est dispensée de la tâche de prélever l’impôt auprès dudit contribuable, de telle sorte qu’il n’est pas nécessaire qu’elle ait une vue exacte de la situation personnelle et familiale de celui-ci. Parallèlement, ce même contribuable est déchargé de toute obligation de coopération, en ce sens qu’il n’est pas tenu de remettre une déclaration fiscale dans l’État source pour les revenus qu’il y perçoit et n’est, par conséquent, pas obligé de se familiariser avec le système fiscal d’un État membre autre que l’État de résidence.
Dès lors, il est conforme à l’essence du régime d’imposition à la source que toutes les dépenses réellement exposées par un assujetti ne puissent être prises en considération dans le cadre de ce type d’imposition, étant donné que l’impôt est prélevé auprès du débiteur de prestations nationales dans l’État source. En règle générale, ce débiteur n’est pas censé tenir compte de certaines dépenses et la prise en considération globale de celles-ci irait à l’encontre de la simplification recherchée par ce régime.
Arrêt du 19 novembre 2015, Hirvonen (C-632/13) (cf. points 44, 46, 47, 49 et disp.)
20. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de l'Iran - Interdiction d'entrée et de passage ainsi que gel des fonds de certaines personnes et entités participant ou appuyant la prolifération nucléaire - Restriction à la libre circulation dans l'Union - Violation du principe de proportionnalité - Absence
Arrêt du 4 décembre 2015, Sarafraz / Conseil (T-273/13) (cf. points 194-196)
Arrêt du 4 décembre 2015, Emadi / Conseil (T-274/13) (cf. points 204-206)
21. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Principe d'égalité de traitement - Dérogation - Prestation pour frais de transport octroyée aux étudiants nationaux - Admissibilité
En tant que dérogation au principe d’égalité de traitement prévu à l’article 18 TFUE et dont l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, ne constitue qu’une expression spécifique, le paragraphe 2 de cet article 24 doit être interprété de manière stricte. Si une prestation pour frais de transport octroyée aux étudiants nationaux d’un État membre constitue une aide d’entretien pour les étudiants concernés, seules toutefois les aides d’entretien aux études sous la forme de bourses d’études ou de prêts relèvent de la dérogation au principe d’égalité de traitement prévue à l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38.
À cet égard, la réglementation d'un État membre selon laquelle l’étudiant a droit à un titre de transport lui permettant d’accéder au transport public gratuitement ou à un tarif réduit tout en n'étant pas tenu de rembourser une telle prestation s’il réussit ses études dans un délai de dix ans, alors qu'il doit la rembourser s’il ne réussit pas ses études dans ce délai, établit une prestation pour frais de transport qui présente les caractéristiques et s’apparente soit à une bourse d’études, soit à un prêt, selon que l’étudiant réussit ou non ses études dans un délai de dix ans. Il s’ensuit qu’une telle prestation relève de la dérogation visée à l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38. L’État membre concerné peut donc se prévaloir de cette dérogation, sans commettre de discrimination directe fondée sur la nationalité, pour refuser d’octroyer cette prestation, avant l’acquisition du droit de séjour permanent, à des personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut, ou les membres de leur famille.
Sont, à cet égard, sans pertinence, d’une part, la question de savoir si ladite prestation est une bourse conditionnelle ou un prêt conditionnel et, d’autre part, le fait que, en principe, la prestation pour frais de transport est octroyée sous la forme d’un titre de transport, soit non pas en espèces, mais en nature.
Arrêt du 2 juin 2016, Commission / Pays-Bas (C-233/14) (cf. points 86, 87, 89-92, 94, 95)
22. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Libye - Interdiction d'entrée et de passage ainsi que gel des fonds de personnes et entités ayant participé à la commission de violations graves des droits de l'homme dans cet État - Restriction du droit de propriété et de la libre circulation dans l'Union - Violation du principe de proportionnalité - Absence
Arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi / Conseil (T-485/15) (cf. points 80-85, 89-92)
23. Citoyenneté de l'Union - Libre circulation des personnes - Liberté d'établissement - Restrictions - Législation fiscale - Imposition des personnes physiques sur les plus-values résultant d'un échange de parts sociales - Report d'imposition en cas de résidence sur le territoire national - Transfert de la résidence du contribuable dans un autre État membre - Obligation pour ledit contribuable de compter dans la catégorie des plus-values, aux fins de l'imposition pour l'année de perte de la qualité de résident, le montant n'ayant pas été imposé lors de l'échange des parts sociales - Inadmissibilité également au regard de l'accord créant l'Espace économique européen - Justification - Absence
Manque aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 21, 45 et 49 TFUE ainsi que des articles 28 et 31 de l'accord sur l'Espace économique européen un État membre qui adopte et maintient en vigueur une législation en vertu de laquelle, pour un contribuable qui perd sa qualité de résident sur le territoire national, il y a lieu de compter dans la catégorie des plus-values, aux fins de l’imposition pour l’année de cette perte de la qualité de résident, le montant qui, en vertu de ladite législation nationale n’a pas été imposé lors d’un échange des parts sociales. En effet, l'obligation pour ledit contribuable d'acquitter immédiatement l'impôt sur les plus-values de cet échange des parts sociales crée une différence de traitement par rapport aux contribuables qui continuent de résider sur le territoire national et qui bénéficient dès lors d'un report d'imposition sur lesdites plus-values résultant de l’échange des parts sociales jusqu’à la cession ultérieure des parts sociales reçues lors de l’échange. Cette différence de traitement en ce qui concerne le moment de l'imposition des plus-values en cause constitue un désavantage en matière de trésorerie pour le contribuable qui souhaite transférer sa résidence en dehors du territoire national, par rapport à un contribuable qui maintient sa résidence sur ce territoire.
À cet égard, l'exclusion d’un avantage de trésorerie dans une situation transfrontalière alors qu’il est octroyé dans une situation équivalente sur le territoire national constitue une restriction à la libre circulation des travailleurs et à la liberté d’établissement.
Cette restriction ne peut être justifiée par la nécessité de préserver une répartition équilibrée du pouvoir d'imposition.
Certes, la législation en cause est propre à garantir la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres concernés. En effet, l’imposition du décompte final au moment du transfert de la résidence vise à soumettre à l’impôt sur les bénéfices de l’État membre d’origine les plus-values non réalisées, nées dans le cadre de la compétence fiscale de cet État membre, avant le transfert de ladite résidence. Les plus-values réalisées postérieurement à ce transfert sont exclusivement imposées dans l’État membre d’accueil où elles sont nées, ce qui permet d’éviter une double imposition de celles-ci.
Toutefois, ladite législation va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ledit objectif, dans la mesure où celle-ci ne laisse pas le choix au contribuable qui transfère sa résidence du territoire national vers un autre État membre d’opter entre, d’une part, le paiement immédiat du montant de l’imposition sur les plus-values résultant d’un échange de parts sociales et, d’autre part, le paiement différé dudit montant, qui est nécessairement accompagné d’une charge administrative pour le contribuable, liée au suivi des actifs transférés, et assorti d’une garantie bancaire.
S’agissant d'une justification tirée de la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal national, celle-ci constitue, certes, une raison impérieuse d’intérêt général. Cependant, pour qu’un argument fondé sur une telle justification puisse prospérer, il est nécessaire que l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé soit établie.
Or, si, dans une situation transfrontalière, l’avantage fiscal accordé est compensé par un prélèvement fiscal, car le montant de l’imposition dû est nécessairement recouvré au moment du transfert de la résidence du contribuable en dehors du territoire national, tandis que, dans une situation purement interne, le recouvrement de l’impôt sur les plus-values résultant d’un échange de parts sociales n’intervient que dans l’hypothèse éventuelle d’une cession définitive des parts sociales reçues lors de cet échange, ledit lien reste incertain et la législation nationale ne saurait être objectivement justifiée par la nécessité de maintenir la cohérence du régime fiscal national.
24. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Réglementation nationale relative aux modalités de transcription dans les actes d'état civil du nom patronymique d'une personne - Refus d'un État membre de reconnaître à son ressortissant, possédant également la nationalité d'un autre État membre, le nom patronymique légalement obtenu dans cet autre État membre en dehors d'un séjour habituel et correspondant à son nom de naissance - Inadmissibilité - Limite - Existence d'autres dispositions nationales permettant la reconnaissance dudit nom
L’article 21 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que le bureau de l’état civil d’un État membre refuse de reconnaître et de transcrire dans le registre de l’état civil le nom légalement obtenu par un ressortissant de cet État membre dans un autre État membre, dont il possède également la nationalité, et correspondant à son nom de naissance, sur le fondement d’une disposition du droit national subordonnant la possibilité d’obtenir une telle transcription par déclaration au bureau de l’état civil à la condition que ce nom ait été acquis lors d’un séjour habituel dans cet autre État membre, à moins qu’il existe en droit national d’autres dispositions permettant effectivement la reconnaissance dudit nom.
Il ressort d’une jurisprudence bien établie que, si, en l’état actuel du droit de l’Union, les règles régissant la transcription dans les actes d’état civil du nom patronymique d’une personne relèvent de la compétence des États membres, ces derniers doivent néanmoins, dans l’exercice de cette compétence, respecter le droit de l’Union et, en particulier, les dispositions du traité FUE relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres (arrêts du 2 octobre 2003, Garcia Avello, C-148/02, EU:C:2003:539, point 25; du 14 octobre 2008, Grunkin et Paul, C-353/06, EU:C:2008:559, point 16; du 22 décembre 2010, Sayn-Wittgenstein, C-208/09, EU:C:2010:806, points 38 et 39; du 12 mai 2011, Runevič-Vardyn et Wardyn, C-391/09, EU:C:2011:291, point 63, ainsi que du 2 juin 2016, Bogendorff von Wolffersdorff, C-438/14, EU:C:2016:401, point 32).
À cet égard, pour qu’une réglementation telle que la réglementation allemande relative au nom, prise dans son ensemble, puisse être considérée comme étant compatible avec le droit de l’Union, il faut que les dispositions ou la procédure interne permettant d’introduire une demande de changement de nom ne rendent pas impossible ou excessivement difficile la mise en œuvre des droits conférés par l’article 21 TFUE. En principe, il importe peu de savoir, du point du vue du droit de l’Union, quelle est la disposition nationale ou la procédure interne en vertu de laquelle le requérant peut faire valoir ses droits concernant son nom.
En effet, en l’absence de réglementation de l’Union en matière de modification du nom patronymique, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités prévues par le droit national et destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, pour autant, d’une part, que ces modalités ne sont pas moins favorables que celles concernant des droits qui trouveraient leur origine dans l’ordre juridique interne (principe d’équivalence) et, d’autre part, qu’elles ne rendent pas impossible ou excessivement difficile, en pratique, l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (voir notamment, par analogie, arrêts du 12 septembre 2006, Eman et Sevinger, C-300/04, EU:C:2006:545, point 67; du 3 juillet 2014, Kamino International Logistics et Datema Hellmann Worldwide Logistics, C-129/13 et C-130/13, EU:C:2014:2041, point 75, ainsi que du 8 mars 2017, Euro Park Service, C-14/16, EU:C:2017:177, point 36).
Arrêt du 8 juin 2017, Freitag (C-541/15) (cf. points 33, 41, 42, 47 et disp.)
25. Citoyenneté de l'Union - Dispositions du traité - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Citoyen de l'Union n'ayant jamais exercé son droit de libre circulation - Droit de séjour dérivé des membres de sa famille, ressortissants d'un pays tiers - Ressortissant faisant l'objet d'une décision de retour, assortie d'une interdiction d'entrée, et ayant introduit une demande de séjour aux fins d'un regroupement familial - Pratique nationale ne prenant pas en considération une telle demande, en raison de l'interdiction d'entrée - Inadmissibilité
À titre liminaire, il importe, tout d’abord, d’indiquer que les situations en cause au principal concernent toutes le refus de l’autorité nationale compétente de prendre en considération une demande de séjour aux fins d’un regroupement familial, introduite en Belgique, par un ressortissant d’un pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant belge, en tant que descendant, parent ou partenaire cohabitant légal de ce dernier, au motif que ledit ressortissant d’un pays tiers fait l’objet d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire. La juridiction de renvoi indique que, selon le droit national, les parties requérantes au principal doivent, en principe, introduire, dans leur pays d’origine, une demande de levée ou de suspension de l’interdiction d’entrée sur le territoire qui les frappe avant de pouvoir introduire valablement une demande de séjour aux fins d’un regroupement familial.
L’article 20 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique d’un État membre consistant à ne pas prendre en considération une telle demande pour ce seul motif, sans qu’il ait été examiné s’il existe une relation de dépendance entre ce citoyen de l’Union et ce ressortissant d’un pays tiers d’une nature telle que, en cas de refus d’octroi d’un droit de séjour dérivé à ce dernier, ledit citoyen de l’Union serait, dans les faits, contraint de quitter le territoire de l’Union pris dans son ensemble et serait ainsi privé de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par son statut.
En effet, il serait contraire à l’objectif poursuivi par l’article 20 TFUE de contraindre le ressortissant d’un pays tiers à quitter, pour une durée indéterminée, le territoire de l’Union afin d’obtenir la levée ou la suspension de l’interdiction d’entrée sur ce territoire dont il fait l’objet sans qu’il ait été vérifié, au préalable, s’il n’existe pas, entre ledit ressortissant d’un pays tiers et le citoyen de l’Union, membre de sa famille, une relation de dépendance telle qu’elle contraindrait ce dernier d’accompagner le ressortissant d’un pays tiers dans son pays d’origine, alors même que, précisément en raison de cette relation de dépendance, un droit de séjour dérivé devrait, en principe, être reconnu audit ressortissant d’un pays tiers en vertu de l’article 20 TFUE.
À cet égard, la Cour a déjà constaté qu’il existe des situations très particulières dans lesquelles, en dépit du fait que le droit secondaire relatif au droit de séjour des ressortissants de pays tiers n’est pas applicable et que le citoyen de l’Union concerné n’a pas fait usage de sa liberté de circulation, un droit de séjour doit néanmoins être accordé à un ressortissant d’un pays tiers, membre de la famille dudit citoyen, sous peine de méconnaître l’effet utile de la citoyenneté de l’Union, si, comme conséquence du refus d’un tel droit, ce citoyen se voyait obligé, en fait, de quitter le territoire de l’Union pris dans son ensemble, en le privant ainsi de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par ce statut (voir, en ce sens, arrêts du 8 mars 2011, Ruiz Zambrano, C-34/09, EU:C:2011:124, points 43 et 44, ainsi que du 10 mai 2017, Chavez-Vilchez e.a., C-133/15, EU:C:2017:354, point 63). Toutefois, le refus d’accorder un droit de séjour à un ressortissant d’un pays tiers n’est susceptible de mettre en cause l’effet utile de la citoyenneté de l’Union que s’il existe, entre ce ressortissant d’un pays tiers et le citoyen de l’Union, membre de sa famille, une relation de dépendance telle qu’elle aboutirait à ce que ce dernier soit contraint d’accompagner le ressortissant d’un pays tiers en cause et de quitter le territoire de l’Union, pris dans son ensemble (voir, en ce sens, arrêts du 15 novembre 2011, Dereci e.a., C-256/11, EU:C:2011:734, points 65 à 67 ; du 6 décembre 2012, O e.a., C-356/11 et C-357/11, EU:C:2012:776, point 56, ainsi que du 10 mai 2017, Chavez-Vilchez e.a., C-133/15, EU:C:2017:354, point 69).
26. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Interdiction d'entrée et de passage ainsi que gel des fonds de certaines personnes et entités responsables de la répression violente contre la population civile - Restriction à la libre circulation dans l'Union - Dérogations pour raisons urgentes d'ordre humanitaire - Violation du principe de proportionnalité - Absence
Arrêt du 11 septembre 2019, HX / Conseil (C-540/18 P) (cf. point 61)
27. Contrôles aux frontières, asile et immigration - Politique d'immigration - Statut des ressortissants britanniques après la date du retrait du Royaume-Uni de l'Union - Adoption de mesures provisoires - Compétence de la Commission - Demande en référé visant à obtenir une injonction à la Commission d'adopter des actes maintenant la citoyenneté de l'Union des requérants au-delà de ladite date ou d'établir un statut alternatif - Rejet
Ordonnance du 31 janvier 2020, Shindler e.a. / Commission (T-627/19 R) (cf. point 24)
28. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises à l'encontre de la République démocratique du Congo - Interdiction d'entrée et de passage, ainsi que gel des fonds, des personnes portant atteinte à l'État de droit ou contribuant à la commission d'actes constitutifs de graves violations des droits de l'homme - Restriction au droit au respect de la vie privée et familiale et à la libre circulation dans l'Union - Violation du principe de proportionnalité - Absence
Dans les arrêts Amisi Kumba/Conseil (T-163/18) et Kande Mupompa/Conseil (T-170/18), prononcés le 12 février 2020, le Tribunal a rejeté les recours en annulation introduits par les requérants respectifs, à savoir le commandant militaire de la première zone de défense des forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et le gouverneur du Kasaï Central, à l’encontre des actes du Conseil de l’Union européenne{1} par lesquels, essentiellement, leurs noms avaient été maintenus sur la liste des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République démocratique du Congo en vue de l’instauration d’une paix durable dans ce pays, figurant à l’annexe II de la décision 2010/788 (ci-après la « liste litigieuse »).
Ces arrêts s’inscrivent dans le contexte de l’aggravation de la situation politique en République démocratique du Congo, du fait de la non-convocation des élections présidentielles à la fin de l’année 2016 et de la détérioration de la situation sécuritaire qui s’en est suivie. Conformément à l’article 3, paragraphe 2, de la décision 2010/788, des mesures restrictives avaient été adoptées par le Conseil à l’encontre des personnes ayant contribué à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo. Les FARDC ayant participé au recours disproportionné à la force et à la répression violente de manifestations qui s’étaient tenues en septembre 2016 à Kinshasa, le commandant militaire de la première zone de défense des FARDC avait vu son nom inscrit sur la liste litigieuse au motif qu’il avait, au titre de ses fonctions, contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme. Le gouverneur du Kasaï Central avait, pour sa part, vu son nom inscrit sur la liste litigieuse au motif que, du fait de ses fonctions, il était « responsable du recours disproportionné à la force, de la répression violente et des exécutions extrajudiciaires » commis par les forces de sécurité dans cette région depuis 2016, y compris des assassinats illégaux présumés en février 2017. Par la décision 2017/2282, le Conseil a prolongé, le 11 décembre 2017, l’inscription des noms des requérants sur la liste litigieuse en maintenant les mêmes motifs à leur encontre. La motivation retenue à l’encontre du gouverneur du Kasaï Central a par la suite été modifiée le 12 avril 2018.
À l’appui de leurs recours, les requérants invoquaient plusieurs moyens, tirés, notamment, d’une violation de l’obligation de motivation et des droits de la défense, ainsi que d’une erreur de droit.
S’agissant de la violation de l’obligation de motivation, le Tribunal a relevé que la motivation adoptée dans la décision 2017/2282, ainsi que dans la décision d’exécution 2018/569, exposait les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles les critères d’inscription étaient applicables aux requérants, dans la mesure où une telle motivation se rapportait à leurs fonctions et à leur implication, du fait de telles fonctions, dans des actes qualifiés de graves violations des droits de l’homme. À cet égard, le Tribunal a précisé que les requérants ne pouvaient pas ignorer que, au vu de leurs fonctions, ils disposaient du pouvoir d’influencer de façon directe les militaires des FARDC et les forces de sécurité dans la province du Kasaï Central, lesquelles étaient tenues, dans la motivation en question, pour responsables de la commission des graves violations des droits de l’homme précitées. Le Tribunal a conclu que la motivation des actes attaqués permettait ainsi, d’une part, aux requérants de contester la validité du maintien de l’inscription de leurs noms sur la liste litigieuse et, d’autre part, au Tribunal d’exercer son contrôle de légalité. Il a donc écarté le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation.
S’agissant ensuite des droits de la défense, le Tribunal a considéré que, bien que la prorogation des mesures adoptées contre les requérants dans la décision 2017/2282 fût fondée sur les mêmes motifs que ceux qui avaient justifié l’adoption des mesures initiales, cela n’exonérait pas le Conseil du respect des droits de la défense des requérants et, en particulier, de leur donner la possibilité de faire connaître utilement leur point de vue sur les éléments pris en compte pour l’adoption des actes attaqués. À cet égard, le Tribunal a souligné que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé, ce qu’il appartient au Conseil d’apprécier lors du réexamen périodique desdites mesures, en procédant à une appréciation actualisée de la situation et en établissant un bilan de l’impact desdites mesures. Le Tribunal a ainsi rappelé que le respect des droits de la défense implique que le Conseil communique à la partie requérante, avant d’adopter une décision portant prorogation des mesures restrictives à son égard, les éléments par lesquels il a procédé, lors du réexamen périodique des mesures en cause, à une réactualisation des informations qui avaient justifié leur adoption initiale. En l’espèce, au regard de l’objectif initial visé par les mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo, consistant à assurer un climat propice à la tenue d’élections et à faire cesser toute violation des droits de l’homme, le Conseil était tenu, lors du réexamen périodique des mesures restrictives imposées aux requérants, de leur communiquer les éléments nouveaux dont il disposait et par lesquels il avait réactualisé les informations concernant non seulement leur situation personnelle, mais également la si
tuation politique et sécuritaire en République démocratique du Congo. Le Tribunal a constaté à cet égard que, en ne recueillant pas les observations des requérants sur ces éléments avant l’adoption des actes attaqués, le Conseil avait méconnu les droits de la défense de ces derniers.
Cependant, le Tribunal a rappelé qu’il incombe au juge de l’Union européenne de vérifier, lorsqu’il est en présence d’une irrégularité affectant les droits de la défense, si, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l’espèce, la procédure en cause aurait pu aboutir à un résultat différent dans la mesure où les requérants auraient pu mieux assurer leur défense en l’absence de cette irrégularité. Le Tribunal a alors conclu qu’aucun élément ne pouvait laisser supposer que, si les requérants s’étaient vu communiquer les éléments nouveaux en question, les mesures restrictives concernées auraient pu ne pas être maintenues à leur égard. Sur la base de ce qui précède, le Tribunal a écarté le moyen pris d’une violation des droits de la défense.
Enfin, les requérants soutenaient que le Conseil avait commis une erreur de droit en adoptant les actes attaqués sur la base de faits qui avaient cessé au moment d’une telle adoption, au mépris du critère d’inscription qui employait le participe présent et visait les personnes « contribuant […] à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ». À cet égard, le Tribunal a considéré que l’emploi du participe présent dans la définition des critères d’inscription sur la liste des personnes visées par des mesures restrictives n’implique pas que les faits à l’origine de l’inscription du nom d’une personne ou d’une entité sur cette liste doivent perdurer au moment où l’inscription ou le maintien de cette inscription sont décidés, étant donné que le participe présent renvoie au sens général propre aux définitions légales et non à une période temporelle donnée. Le Tribunal a ajouté que, dans la mesure où le Conseil avait décidé de se référer, dans les motifs d’inscription des requérants, à des faits et à des situations concrètes impliquant les forces de sécurité ayant opéré sous leur responsabilité, il ne pouvait être question que d’agissements dans le passé. Le Tribunal a finalement observé que, sauf à priver cette disposition d’effet utile, l’article 9, paragraphe 2, de la décision 2010/788, telle que modifiée par la décision 2017/2282, aux termes duquel « les mesures restrictives sont prorogées, ou modifiées le cas échéant, si le Conseil estime que leurs objectifs n’ont pas été atteints », corroborait cette interprétation. Le Tribunal a dès lors écarté le moyen tiré de l’erreur de droit et a rejeté les recours dans leur intégralité.
{1 Décision (PESC) 2017/2282 du Conseil, du 11 décembre 2017, modifiant la décision 2010/788/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (JO 2017, L 328, p. 19) ainsi que, pour Alex Kande Mupompa, la décision d’exécution (PESC) 2018/569 du Conseil, du 12 avril 2018, mettant en œuvre la décision 2010/788/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (JO 2018, L 95, p. 21) et le règlement d’exécution (UE) 2018/566, mettant en œuvre l’article 9 du règlement no 1183/2005 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo (JO 2018, L 95, p. 9).}
Arrêt du 12 février 2020, Kande Mupompa / Conseil (T-170/18) (cf. points 155, 156)
Arrêt du 12 février 2020, Kahimbi Kasagwe / Conseil (T-165/18) (cf. points 137, 138)
Arrêt du 12 février 2020, Ilunga Luyoyo / Conseil (T-166/18) (cf. points 155, 156)
Arrêt du 12 février 2020, Kanyama / Conseil (T-167/18) (cf. points 131-132)
Arrêt du 12 février 2020, Boshab / Conseil (T-171/18) (cf. points 138, 139)
Arrêt du 12 février 2020, Ruhorimbere / Conseil (T-175/18) (cf. points 141, 142)
Arrêt du 12 février 2020, Mende Omalanga / Conseil (T-176/18) (cf. points 152, 153)
29. Citoyenneté de l'Union - Dispositions du traité - Champ d'application personnel - Ressortissant d'un État tiers membre de l'Association européenne de libre-échange - Exclusion
Dans l’arrêt Ruska Federacija (C-897/19 PPU), rendu le 2 avril 2020 dans le cadre de la procédure préjudicielle d’urgence, la grande chambre de la Cour s’est prononcée sur les obligations d’un État membre appelé à statuer sur une demande d’extradition adressée par un État tiers et concernant un ressortissant d’un État qui n’est pas membre de l’Union européenne mais membre de l’Association européenne de libre-échange (AELE) et partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE){1}. La Cour a jugé que l’État membre requis doit d’abord vérifier, conformément à l’article 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), que, en cas d’extradition, l’intéressé ne court pas le risque d’être soumis à la peine de mort, à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Or, dans le cadre de cette vérification, constitue un élément particulièrement sérieux le fait que l’intéressé, avant d’acquérir la nationalité de l’État de l’AELE concerné, s’est vu octroyer l’asile par celui-ci, précisément en raison des poursuites à l’origine de la demande d’extradition. Par ailleurs, la Cour a jugé que, avant d’envisager d’exécuter cette demande, ledit État membre doit en informer l’État de l’AELE pour permettre à celui-ci de solliciter la remise de son ressortissant, pourvu que ledit État de l’AELE soit compétent, en vertu de son droit national, pour poursuivre ce ressortissant pour des faits commis en dehors de son territoire national.
En l’espèce, le 20 mai 2015, un ressortissant russe a fait l’objet d’un avis de recherche international publié par le bureau d’Interpol de Moscou. Le 30 juin 2019, ce ressortissant, ayant entretemps acquis la nationalité islandaise, a été arrêté en Croatie sur le fondement dudit avis de recherche international. Le 6 août 2019, les autorités croates ont été saisies d’une demande d’extradition émanant de la Russie. La juridiction croate chargée de se prononcer sur l’extradition a estimé que les conditions légales étaient remplies et a autorisé celle-ci.
L’intéressé a alors demandé l’annulation de cette décision devant le Vrhovni sud (Cour suprême, Croatie). Il a invoqué dans ce cadre l’existence d’un risque de torture et de traitements inhumains et dégradants en cas d’extradition vers la Russie et le fait que, avant qu’il n’obtienne la nationalité islandaise, l’Islande lui avait reconnu le statut de réfugié, précisément en raison des poursuites dont il faisait l’objet en Russie. Il a également allégué une méconnaissance de l’arrêt Petruhhin{2}, dans lequel la Cour a jugé qu’un État membre qui se voit adresser une demande d’extradition concernant un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre et se trouvant sur son territoire, doit en informer ce dernier État membre et, à la demande de celui-ci, lui remettre ledit citoyen, conformément à la décision-cadre 2002/584{3}, pourvu que l’État membre dont ce citoyen a la nationalité soit compétent pour le poursuivre pour des faits commis en dehors de son territoire national.
Dans la présente affaire, le Vrhovni sud (Cour suprême) a demandé à la Cour s’il y avait lieu de suivre l’interprétation retenue dans l’arrêt Petruhhin dans une situation concernant non pas un citoyen de l’Union mais un ressortissant islandais, l’Islande étant un État de l’AELE partie à l’accord EEE.
En premier lieu, la Cour a examiné l’applicabilité du droit de l’Union à cette situation. À cet égard, elle a indiqué que, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un citoyen de l’Union s’étant déplacé dans un État membre autre que celui de sa nationalité, mais d’un ressortissant d’un État tiers, les articles 18 (non-discrimination fondée sur la nationalité) et 21 (liberté de circulation et de séjour des citoyens de l’Union) TFUE, interprétés dans l’arrêt Petruhhin, ne sont pas applicables en l’espèce. Toutefois, la situation en cause relève bien du champ d’application du droit de l’Union et, plus précisément, de celui de l’accord EEE, lequel fait partie intégrante du droit de l’Union en tant qu’accord international conclu par l’Union. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a d’abord souligné les relations privilégiées que l’Islande entretient avec l’Union puisque, en plus d’être membre de l’espace Schengen et partie à l’accord EEE, cet État tiers participe au système d’asile européen commun et a conclu avec l’Union un accord relatif à la procédure de remise{4}. La Cour a ensuite relevé que l’article 36 de l’accord EEE garantit la libre prestation de services et ce de manière identique, en substance, à l’article 56 TFUE. Enfin, elle a jugé que la libre prestation de services, tant au sens de l’article 56 TFUE que de l’accord EEE, inclut la liberté de se rendre dans un autre État pour y bénéficier d’un service, ce qui était le cas en l’espèce, le ressortissant islandais concerné souhaitant passer ses vacances en Croatie et, partant, y bénéficier de services liés au tourisme.
En deuxième lieu, après avoir indiqué que les dispositions de la Charte ont également vocation à être appliquées, dès lors que la situation en cause est régie par le droit de l’Union, la Cour a précisé la portée de la protection offerte par l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, aux termes duquel nul ne peut être extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. Ainsi, la Cour a jugé que l’État membre ayant reçu la demande d’extradition doit vérifier, avant de procéder à son éventuelle exécution, que celle-ci ne portera pas atteinte aux droits visés à cet article. À cette fin, elle a souligné que, en l’espèce, le fait que l’intéressé se soit vu accorder l’asile en Islande constitue un élément particulièrement sérieux aux fins de cette vérification. Il en va d’autant plus ainsi lorsque cet octroi a précisément été fondé sur les poursuites pénales à l’origine de la demande d’extradition. Dès lors, en l’absence de circonstances spécifiques, telles qu’une évolution importante de la situation en Russie ou des éléments démontrant que l’intéressé avait dissimulé lesdites poursuites pénales au moment de sa demande d’asile, la décision des autorités islandaises faisant droit à cette demande doit conduire la Croatie à refuser l’extradition.
En troisième lieu, dans l’hypothèse, notamment, où l’État membre ayant reçu la demande d’extradition estimerait que la Charte ne s’oppose pas à l’exécution de celle-ci, la Cour a rappelé que des règles nationales interdisant l’extradition des ressortissants nationaux, comme c’est le cas en Croatie, introduisent une différence de traitement en ce qu’elles conduisent à ne pas accorder aux ressortissants des autres États de l’AELE, parties à l’accord EEE, la même protection contre l’extradition. Ainsi, ces règles sont susceptibles d’affecter la libre prestation de services, au sens de l’article 36 de l’accord EEE. La Cour a ensuite relevé qu’une telle restriction ne saurait être justifiée que si elle est fondée sur des considérations objectives et proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national. En l’occurrence, l’objectif d’éviter le risque d’impunité des personnes se trouvant sur un territoire autre que celui sur lequel elles ont prétendument commis l’infraction reprochée présente un caractère légitime. De plus, des règles permettant l’extradition de ces personnes vers un État tiers apparaissent appropriées pour atteindre ledit objectif. Toutefois, en ce qui concerne le caractère proportionné d’une telle restriction, la Cour a considéré qu’il convenait de privilégier l’échange d’informations avec l’État de l’AELE dont la personne concernée a la nationalité, afin de lui donner l’opportunité d’émettre une demande de remise de son ressortissant à des fins de poursuites. S’agissant de l’Islande, la décision cadre 2002/584 n’étant pas applicable, une telle remise serait envisageable sur le fondement de l’accord relatif à la procédure de remise, dont les dispositions sont très semblables à celles de la décision-cadre.
Ainsi, en conclusion, la Cour a jugé que la solution retenue dans l’arrêt Petruhhin devait être appliquée par analogie à un ressortissant islandais qui se trouve, à l’égard de l’État tiers sollicitant son extradition, dans une situation objectivement comparable à celle d’un citoyen de l’Union auquel, selon l’article 3, paragraphe 2, TUE, l’Union offre un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes.
{1 Accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3).}
{2 Arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C-182/15, EU:C:2016:630) ; voir également communiqué de presse 84/2016.}
{3 Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24).}
{4 Accord entre l’Union européenne et la République d’Islande et le Royaume de Norvège, relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne et l’Islande et la Norvège (JO 2006 L 292, p. 2), approuvé, au nom de l’Union, par l’article 1er de la décision 2014/835/UE du Conseil, du 27 novembre 2014, relative à la conclusion de l’accord entre l’Union européenne, d’une part, et la République d’Islande et le Royaume de Norvège, d’autre part, relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne et l’Islande et la Norvège (JO 2014, L 343, p. 1) et entré en vigueur le 1er novembre 2019.}
Arrêt du 2 avril 2020, Ruska Federacija (C-897/19 PPU) (cf. points 39, 41)
30. Libre circulation des personnes - Travailleurs - Égalité de traitement - Avantages sociaux - Réglementation nationale excluant du bénéfice de prestations visant à assurer leur subsistance un ancien travailleur migrant et ses enfants pouvant se prévaloir d'un droit de séjour autonome au titre de la scolarisation des enfants dans l'État membre d'accueil - Inadmissibilité - Justification - Dérogation au principe d'égalité de traitement des citoyens de l'Union en matière d'assistance sociale - Inapplicabilité - Citoyen de l'Union concerné bénéficiant également d'un droit de séjour en tant que demandeur d'emploi - Absence d'incidence
JD est un ressortissant polonais qui, depuis 2013, réside avec ses deux filles mineures en Allemagne, où celles-ci sont scolarisées. En 2015 et 2016, JD a exercé plusieurs activités salariées dans cet État membre avant de se retrouver au chômage. De septembre 2016 à juin 2017, la famille a perçu, notamment, des prestations de protection sociale de base prévues par la réglementation allemande, à savoir des « allocations subsidiaires de chômage » pour JD (Arbeitslosengeld II) et des « allocations sociales » pour ses enfants (Sozialgeld). Depuis le 2 janvier 2018, JD exerce à nouveau un emploi à plein temps en Allemagne.
JD a demandé le maintien du versement desdites prestations pour la période allant de juin à décembre 2017 auprès de l’autorité allemande compétente, le Jobcenter Krefeld. Toutefois, celui-ci a rejeté sa demande, au motif que, pendant la période litigieuse, JD n’avait pas conservé sa qualité de travailleur salarié et séjournait en Allemagne en tant que chercheur d’emploi. JD a introduit un recours contre cette décision, lequel a été accueilli. Le Jobcenter Krefeld a alors interjeté appel devant le Landessozialgericht Nordrhein-Westfalen (tribunal supérieur du contentieux social de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Allemagne).
Saisie à titre préjudiciel par cette dernière juridiction, la Cour a, dans un arrêt rendu en formation de grande chambre le 6 octobre 2020, précisé les droits dont bénéficie un ancien travailleur migrant ayant à sa charge des enfants scolarisés dans l’État membre d’accueil, au regard des règlements nº 492/2011{1} et nº 883/2004{2}, ainsi que de la directive 2004/38{3}.
À cet égard, après avoir relevé que les prestations de protection sociale en cause peuvent être qualifiées d’« avantage social » au sens du règlement nº 492/2011, la Cour a jugé, en premier lieu, que ce règlement s’oppose à une réglementation nationale qui exclut, en toutes circonstances et automatiquement, qu’un ancien travailleur migrant et ses enfants reçoivent de telles prestations alors qu’ils bénéficient, en vertu dudit règlement{4}, d’un droit de séjour autonome au titre de la scolarisation des enfants.
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a d’abord rappelé que le droit de séjour reconnu aux enfants d’un (ancien) travailleur migrant pour garantir leur droit d’accès à l’enseignement et, de manière dérivée, au parent assurant leur garde, découle, originairement, de la qualité de travailleur de ce parent. Cependant, une fois acquis, ce droit devient autonome et va pouvoir se prolonger au-delà de la perte de ladite qualité. La Cour a ensuite considéré que les personnes qui disposent d’un tel droit de séjour bénéficient également du droit à l’égalité de traitement avec les ressortissants nationaux en matière d’octroi d’avantages sociaux, prévu par le règlement nº 492/2011{5}, et ce, même lorsqu’elles ne peuvent plus se prévaloir de la qualité de travailleur dont elles ont tiré leur droit de séjour initial. Une telle interprétation évite ainsi à une personne qui a l’intention de quitter son État membre d’origine avec sa famille pour aller travailler dans un autre État membre de s’exposer, en cas de perte d’emploi, au risque de devoir interrompre la scolarité de ses enfants et de rentrer dans son pays d’origine, faute de pouvoir bénéficier des prestations sociales prévues par le droit national qui leur permettraient de disposer de moyens d’existence suffisants.
Enfin, la Cour a jugé que l’État membre d’accueil ne peut pas se prévaloir, dans un cas tel que celui de l’espèce, de la dérogation au principe d’égalité de traitement en matière d’assistance sociale prévue par la directive 2004/38{6}. Cette dérogation permet de refuser l’octroi de prestations d’assistance à certaines catégories de personnes, telles que celles qui bénéficient, en vertu de cette directive, d’un droit de séjour au titre de la recherche d’un emploi dans l’État membre d’accueil, et ce, pour éviter que ces personnes ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de cet État membre. Or, cette dérogation doit être interprétée de manière stricte et ne peut s’appliquer qu’à des personnes dont le droit de séjour est fondé uniquement sur ladite directive. Dans la présente affaire, les intéressés bénéficient, certes, d’un droit de séjour fondé sur cette directive{7}, au titre de la recherche d’un emploi par le parent concerné. Toutefois, dès lors qu’ils peuvent également se prévaloir d’un droit de séjour autonome, au titre du règlement nº 492/2011, ladite dérogation ne peut pas leur être opposée. Ainsi, une réglementation nationale qui les exclut de tout droit aux prestations de protection sociale instaure une différence de traitement en matière d’avantages sociaux par rapport aux ressortissants nationaux, qui est contraire à ce règlement{8}.
En second lieu, la Cour a jugé qu’un (ancien) travailleur migrant et ses enfants, qui jouissent d’un droit de séjour fondé sur le règlement nº 492/2011 et qui sont affiliés au système de sécurité sociale dans l’État membre d’accueil, disposent aussi du droit à l’égalité de traitement découlant du règlement nº 883/2004{9}. Le fait de leur refuser tout droit aux prestations de protection sociale en cause constitue donc une différence de traitement par rapport aux ressortissants nationaux. Cette différence de traitement est contraire à ce dernier règlement{10}, la dérogation prévue à la directive 2004/38{11} ne pouvant pas, pour les mêmes raisons que celles exposées par la Cour dans le contexte du règlement nº 492/2011, s’appliquer à la situation d’un tel travailleur et de ses enfants scolarisés.
{1} Règlement (UE) nº 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (JO 2011, L 141, p. 1).
{2} Règlement (CE) nº 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1).
{3} Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, et rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, et JO 2005, L 197, p. 34).
{4} Article 10 du règlement nº 492/2011.
{5} Article 7, paragraphe 2, du règlement nº 492/2011.
{6} Article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38.
{7} Article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2004/38.
{8} Article 7, paragraphe 2, du règlement nº 492/2011, lu en combinaison avec l’article 10 de ce dernier.
{9} Article 4 du règlement nº 883/2004.
{10} Article 4 du règlement nº 883/2004.
{11} Article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38.
Arrêt du 6 octobre 2020, Jobcenter Krefeld (C-181/19) (cf. points 55, 58-65, 69-73, 77, 79, disp.1)
31. Sécurité sociale - Travailleurs migrants - Égalité de traitement - Réglementation nationale excluant du bénéfice de prestations spéciales en espèces à caractère non contributif un ancien travailleur migrant et ses enfants pouvant se prévaloir d'un droit de séjour autonome au titre de la scolarisation des enfants dans l'État membre d'accueil - Inadmissibilité - Justification - Dérogation au principe d'égalité de traitement des citoyens de l'Union en matière d'assistance sociale - Inapplicabilité
JD est un ressortissant polonais qui, depuis 2013, réside avec ses deux filles mineures en Allemagne, où celles-ci sont scolarisées. En 2015 et 2016, JD a exercé plusieurs activités salariées dans cet État membre avant de se retrouver au chômage. De septembre 2016 à juin 2017, la famille a perçu, notamment, des prestations de protection sociale de base prévues par la réglementation allemande, à savoir des « allocations subsidiaires de chômage » pour JD (Arbeitslosengeld II) et des « allocations sociales » pour ses enfants (Sozialgeld). Depuis le 2 janvier 2018, JD exerce à nouveau un emploi à plein temps en Allemagne.
JD a demandé le maintien du versement desdites prestations pour la période allant de juin à décembre 2017 auprès de l’autorité allemande compétente, le Jobcenter Krefeld. Toutefois, celui-ci a rejeté sa demande, au motif que, pendant la période litigieuse, JD n’avait pas conservé sa qualité de travailleur salarié et séjournait en Allemagne en tant que chercheur d’emploi. JD a introduit un recours contre cette décision, lequel a été accueilli. Le Jobcenter Krefeld a alors interjeté appel devant le Landessozialgericht Nordrhein-Westfalen (tribunal supérieur du contentieux social de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Allemagne).
Saisie à titre préjudiciel par cette dernière juridiction, la Cour a, dans un arrêt rendu en formation de grande chambre le 6 octobre 2020, précisé les droits dont bénéficie un ancien travailleur migrant ayant à sa charge des enfants scolarisés dans l’État membre d’accueil, au regard des règlements nº 492/2011{1} et nº 883/2004{2}, ainsi que de la directive 2004/38{3}.
À cet égard, après avoir relevé que les prestations de protection sociale en cause peuvent être qualifiées d’« avantage social » au sens du règlement nº 492/2011, la Cour a jugé, en premier lieu, que ce règlement s’oppose à une réglementation nationale qui exclut, en toutes circonstances et automatiquement, qu’un ancien travailleur migrant et ses enfants reçoivent de telles prestations alors qu’ils bénéficient, en vertu dudit règlement{4}, d’un droit de séjour autonome au titre de la scolarisation des enfants.
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a d’abord rappelé que le droit de séjour reconnu aux enfants d’un (ancien) travailleur migrant pour garantir leur droit d’accès à l’enseignement et, de manière dérivée, au parent assurant leur garde, découle, originairement, de la qualité de travailleur de ce parent. Cependant, une fois acquis, ce droit devient autonome et va pouvoir se prolonger au-delà de la perte de ladite qualité. La Cour a ensuite considéré que les personnes qui disposent d’un tel droit de séjour bénéficient également du droit à l’égalité de traitement avec les ressortissants nationaux en matière d’octroi d’avantages sociaux, prévu par le règlement nº 492/2011{5}, et ce, même lorsqu’elles ne peuvent plus se prévaloir de la qualité de travailleur dont elles ont tiré leur droit de séjour initial. Une telle interprétation évite ainsi à une personne qui a l’intention de quitter son État membre d’origine avec sa famille pour aller travailler dans un autre État membre de s’exposer, en cas de perte d’emploi, au risque de devoir interrompre la scolarité de ses enfants et de rentrer dans son pays d’origine, faute de pouvoir bénéficier des prestations sociales prévues par le droit national qui leur permettraient de disposer de moyens d’existence suffisants.
Enfin, la Cour a jugé que l’État membre d’accueil ne peut pas se prévaloir, dans un cas tel que celui de l’espèce, de la dérogation au principe d’égalité de traitement en matière d’assistance sociale prévue par la directive 2004/38{6}. Cette dérogation permet de refuser l’octroi de prestations d’assistance à certaines catégories de personnes, telles que celles qui bénéficient, en vertu de cette directive, d’un droit de séjour au titre de la recherche d’un emploi dans l’État membre d’accueil, et ce, pour éviter que ces personnes ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de cet État membre. Or, cette dérogation doit être interprétée de manière stricte et ne peut s’appliquer qu’à des personnes dont le droit de séjour est fondé uniquement sur ladite directive. Dans la présente affaire, les intéressés bénéficient, certes, d’un droit de séjour fondé sur cette directive{7}, au titre de la recherche d’un emploi par le parent concerné. Toutefois, dès lors qu’ils peuvent également se prévaloir d’un droit de séjour autonome, au titre du règlement nº 492/2011, ladite dérogation ne peut pas leur être opposée. Ainsi, une réglementation nationale qui les exclut de tout droit aux prestations de protection sociale instaure une différence de traitement en matière d’avantages sociaux par rapport aux ressortissants nationaux, qui est contraire à ce règlement{8}.
En second lieu, la Cour a jugé qu’un (ancien) travailleur migrant et ses enfants, qui jouissent d’un droit de séjour fondé sur le règlement nº 492/2011 et qui sont affiliés au système de sécurité sociale dans l’État membre d’accueil, disposent aussi du droit à l’égalité de traitement découlant du règlement nº 883/2004{9}. Le fait de leur refuser tout droit aux prestations de protection sociale en cause constitue donc une différence de traitement par rapport aux ressortissants nationaux. Cette différence de traitement est contraire à ce dernier règlement{10}, la dérogation prévue à la directive 2004/38{11} ne pouvant pas, pour les mêmes raisons que celles exposées par la Cour dans le contexte du règlement nº 492/2011, s’appliquer à la situation d’un tel travailleur et de ses enfants scolarisés.
{1} Règlement (UE) nº 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (JO 2011, L 141, p. 1).
{2} Règlement (CE) nº 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1).
{3} Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, et rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, et JO 2005, L 197, p. 34).
{4} Article 10 du règlement nº 492/2011.
{5} Article 7, paragraphe 2, du règlement nº 492/2011.
{6} Article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38.
{7} Article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2004/38.
{8} Article 7, paragraphe 2, du règlement nº 492/2011, lu en combinaison avec l’article 10 de ce dernier.
{9} Article 4 du règlement nº 883/2004.
{10} Article 4 du règlement nº 883/2004.
{11} Article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38.
Arrêt du 6 octobre 2020, Jobcenter Krefeld (C-181/19) (cf. points 84-89, disp. 2)
32. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Législation d'un État membre sanctionnant pénalement le fait, pour un parent, de soustraire un enfant à son curateur, dans le but de le déplacer à l'étranger - Législation ne punissant ce même fait, dans l'hypothèse d'un enfant se trouvant sur le territoire du premier État membre, qu'en cas de recours à la violence, à la menace d'un mal sensible ou à la ruse - Inadmissibilité - Justification - Proportionnalité - Absence
33. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Libye - Interdiction d'entrée et de passage ainsi que gel des fonds de personnes et entités s'étant livrées ou ayant apporté un appui à des actes mettant en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye - Restriction du droit de propriété, du droit au libre exercice d'une activité économique et de la libre circulation dans l'Union - Violation du principe de proportionnalité - Absence
Arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin / Conseil (T-723/20) (cf. points 130-139)
34. Sécurité sociale - Travailleurs migrants - Assurance vieillesse - Périodes à prendre en considération - Périodes d'éducation d'enfants accomplies dans un autre État membre - Règle de la prise en compte desdites périodes établie par l'article 44 du règlement nº 987/2009 - Caractère exclusif - Absence
En novembre 1987, après avoir exercé une activité non salariée en Autriche, CC s’est installée en Belgique où elle a donné naissance à deux enfants, respectivement le 5 décembre 1987 et le 23 février 1990. Dès la naissance de son premier enfant, elle s’est consacrée à leur éducation, sans exercer d’emploi, sans acquérir de période d’assurance et sans percevoir de prestations au titre de leur éducation. Il en a été de même en Hongrie où elle a séjourné en décembre 1991.
À son retour en Autriche en février 1993, CC a continué à éduquer ses enfants pendant treize mois, tout en étant obligatoirement affiliée et en cotisant auprès du régime de sécurité sociale autrichien. Elle a ensuite travaillé et cotisé dans cet État membre jusqu’à son départ à la retraite.
Après avoir sollicité l’octroi d’une pension de retraite, l’office des pensions autrichien lui a reconnu ce droit par décision du 29 décembre 2017. Les périodes d’éducation d’enfants effectuées en Autriche ont été assimilées à des périodes d’assurance et prises en compte aux fins de calcul du montant de sa pension. Celles accomplies en Belgique et en Hongrie, en revanche, n’ont pas été prises en compte.
CC a contesté cette décision en faisant valoir que les périodes d’éducation d’enfants accomplies dans d’autres États membres devaient être assimilées à des périodes d’assurance sur la base de l’article 21 TFUE, qui instaure le droit à la libre circulation des citoyens de l’Union, dès lors qu’elle travaillait et était affiliée à la sécurité sociale autrichienne avant et après ces périodes.
Après le rejet de son recours en appel, CC a introduit un recours en Revision devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche). Ayant des doutes concernant la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants accomplies dans d’autres États membres pour le calcul de la pension de vieillesse, cette juridiction a demandé à la Cour d’interpréter une disposition du droit dérivé de l’Union{1}, applicable ratione temporis en l’espèce. En effet, il ne serait pas exclu que cette disposition prévoie de manière exclusive les conditions pour une telle prise en compte, et CC ne les remplit pas : à la date à laquelle la première période d’éducation d’enfants a commencé, elle n’exerçait pas d’activité salariée ou non salariée en Autriche.
Par son arrêt, la Cour rejette le caractère exclusif de cette disposition en ce qui concerne la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants accomplies par une même personne dans différents États membres et confirme que ces périodes doivent être prises en compte, en l’espèce, au titre de l’article 21 TFUE.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour conclut que, au regard de son libellé, du contexte dans lequel il s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont il fait partie, l’article 44 du règlement nº987/2009 doit être interprété en ce sens qu’il ne régit pas de manière exclusive la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants accomplies par une même personne dans différents États membres.
Concernant son libellé, la Cour relève que cette disposition n’indique pas qu’elle régit cette prise en compte de manière exclusive et que si ladite disposition constitue une codification de sa jurisprudence adoptée à cet égard{2}, à la date de son entrée en vigueur, l’arrêt Reichel-Albert{3} n’avait pas encore été prononcé, les enseignements issus de ce dernier arrêt ne pouvaient donc pas être pris en compte lors de l’adoption du règlement nº987/2009 aux fins de leur codification éventuelle.
En ce qui concerne le contexte dans lequel s’inscrit l’article 44 du règlement nº987/2009, la Cour, en se référant au titre et au chapitre de ce règlement dont il relève, précise que cette disposition instaure une règle additionnelle permettant d’augmenter la probabilité pour les personnes concernées d’obtenir une prise en compte complète de leurs périodes d’éducation d’enfants et, ainsi, d’éviter, dans toute la mesure du possible, que tel ne soit pas le cas.
En ce qui concerne l’objectif du règlement nº987/2009, l’interprétation selon laquelle l’article 44 de ce règlement régirait la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants accomplies dans différents États membres de manière exclusive reviendrait à permettre à l’État membre débiteur de la pension de vieillesse d’une personne, dans lequel celle-ci a exclusivement travaillé et cotisé tant antérieurement que postérieurement au transfert de sa résidence dans un autre État membre où elle s’est consacrée à l’éducation de ses enfants, de refuser la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants accomplies par cette personne dans un autre État membre et, partant, à la désavantager au seul motif qu’elle a exercé son droit à la libre circulation. Dès lors, une telle interprétation irait à l’encontre des objectifs poursuivis par ce règlement, en particulier la finalité de garantir le respect du principe de la libre circulation, consacré à l’article 21 TFUE, et risquerait ainsi de mettre en péril l’effet utile de l’article 44 de ce règlement.
En second lieu, la Cour juge que, afin d’assurer le respect de ce principe, les enseignements de l’arrêt Reichel-Albert sont transposables à une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle la personne concernée ne remplit pas la condition d’exercice d’une activité salariée ou non salariée imposée par cette dernière disposition pour obtenir, aux fins de l’octroi d’une pension de vieillesse, la prise en compte, par l’État membre débiteur de cette pension, des périodes d’éducation d’enfants qu’elle a accomplies dans d’autres États membres. Partant, cet État membre est tenu de prendre en compte ces périodes au titre de l’article 21 TFUE, dès lors que cette personne a exclusivement travaillé et cotisé dans ledit État membre, tant antérieurement que postérieurement au transfert de sa résidence dans un autre État membre où elle a effectué lesdites périodes.
Ainsi, la Cour constate qu’il existe, à l’instar de la situation en cause dans l’arrêt Reichel-Albert, un lien suffisant entre les périodes d’éducation d’enfants accomplies par CC à l’étranger et les périodes d’assurance accomplies du fait de l’exercice d’une activité professionnelle en Autriche. Dès lors, la législation de cet État membre doit s’appliquer aux fins de la prise en compte et de la validation de ces périodes, en vue de l’octroi d’une pension de vieillesse par ce même État membre.
Si CC n’avait pas quitté l’Autriche, ses périodes d’éducation d’enfants auraient été prises en compte aux fins du calcul de sa pension de vieillesse autrichienne. Partant, à l’instar de l’intéressée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Reichel-Albert, elle est désavantagée au seul motif qu’elle a exercé son droit à la libre circulation, ce qui est contraire à l’article 21 TFUE.
{1} Il s’agit de l’article 44, paragraphe 2, du règlement (CE) nº987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) nº883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2009, L 284, p. 1).
Cet article 44, intitulé « Prise en compte des périodes d’éducation d’enfants », prévoit dans son paragraphe 2, que lorsque, au titre de la législation de l’État membre compétent en vertu du titre II du règlement nº883/2004, les périodes d’éducation d’enfants ne sont pas prises en compte, l’institution de l’État membre dont la législation était, conformément au titre II du règlement nº883/2004, applicable à l’intéressé du fait de l’exercice par ce dernier d’une activité salariée ou non salariée à la date à laquelle, en vertu de cette législation, la période d’éducation d’enfants a commencé à être prise en compte pour l’enfant concerné reste tenue de prendre en compte ladite période en tant que période d’éducation d’enfants selon sa propre législation, comme si l’enfant était éduqué sur son propre territoire.
{2} Par les arrêts du 23 novembre 2000, Elsen (C-135/99, EU:C:2000:647), et du 7 février 2002, Kauer (C- 28/00, EU:C:2002:82), la Cour a établi le test du « lien étroit » ou du « lien suffisant » entre les périodes d’assurance accomplies du fait de l’exercice d’une activité professionnelle dans l’État membre à la charge duquel la personne concernée sollicite une pension de vieillesse et les périodes d’éducation d’enfants que cette personne a effectuées dans un autre État membre. La Cour a jugé que la circonstance que les personnes, qui avaient exclusivement travaillé dans l’État membre débiteur de leur pension de vieillesse, exerçaient, au moment de la naissance de leur enfant, une activité salariée sur le territoire de cet État membre permettait d’établir l’existence d’un tel lien étroit ou suffisant et que, partant, la législation dudit État membre était applicable en ce qui concerne la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants accomplies dans un autre État membre aux fins de l’octroi d’une telle pension.
{3} Dans l’arrêt du 19 juillet 2012, Reichel-Albert (C-522/10, EU:C:2012:475), la Cour a jugé que l’article 21 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il fait obligation à l’institution compétente d’un premier État membre de prendre en compte, aux fins de l’octroi d’une pension de vieillesse, les périodes consacrées à l’éducation d’un enfant, accomplies dans un second État membre, comme si ces périodes avaient été accomplies sur son territoire national, par une personne qui n’a exercé des activités professionnelles que dans ce premier État membre et qui, au moment de la naissance de ses enfants, avait temporairement cessé de travailler et établi sa résidence, pour des motifs strictement familiaux, sur le territoire du second État membre.
35. Sécurité sociale - Travailleurs migrants - Assurance vieillesse - Périodes à prendre en considération - Périodes d'éducation d'enfants accomplies dans un autre État membre - Personne ayant installé temporairement sa résidence dans cet autre État membre sans y avoir exercé d'activité salariée ou non salariée et ayant exclusivement travaillé dans l'État membre débiteur de sa pension de vieillesse - Obligation de ce dernier État membre de prendre en compte lesdites périodes au titre de l'article 21 TFUE
En novembre 1987, après avoir exercé une activité non salariée en Autriche, CC s’est installée en Belgique où elle a donné naissance à deux enfants, respectivement le 5 décembre 1987 et le 23 février 1990. Dès la naissance de son premier enfant, elle s’est consacrée à leur éducation, sans exercer d’emploi, sans acquérir de période d’assurance et sans percevoir de prestations au titre de leur éducation. Il en a été de même en Hongrie où elle a séjourné en décembre 1991.
À son retour en Autriche en février 1993, CC a continué à éduquer ses enfants pendant treize mois, tout en étant obligatoirement affiliée et en cotisant auprès du régime de sécurité sociale autrichien. Elle a ensuite travaillé et cotisé dans cet État membre jusqu’à son départ à la retraite.
Après avoir sollicité l’octroi d’une pension de retraite, l’office des pensions autrichien lui a reconnu ce droit par décision du 29 décembre 2017. Les périodes d’éducation d’enfants effectuées en Autriche ont été assimilées à des périodes d’assurance et prises en compte aux fins de calcul du montant de sa pension. Celles accomplies en Belgique et en Hongrie, en revanche, n’ont pas été prises en compte.
CC a contesté cette décision en faisant valoir que les périodes d’éducation d’enfants accomplies dans d’autres États membres devaient être assimilées à des périodes d’assurance sur la base de l’article 21 TFUE, qui instaure le droit à la libre circulation des citoyens de l’Union, dès lors qu’elle travaillait et était affiliée à la sécurité sociale autrichienne avant et après ces périodes.
Après le rejet de son recours en appel, CC a introduit un recours en Revision devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche). Ayant des doutes concernant la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants accomplies dans d’autres États membres pour le calcul de la pension de vieillesse, cette juridiction a demandé à la Cour d’interpréter une disposition du droit dérivé de l’Union{1}, applicable ratione temporis en l’espèce. En effet, il ne serait pas exclu que cette disposition prévoie de manière exclusive les conditions pour une telle prise en compte, et CC ne les remplit pas : à la date à laquelle la première période d’éducation d’enfants a commencé, elle n’exerçait pas d’activité salariée ou non salariée en Autriche.
Par son arrêt, la Cour rejette le caractère exclusif de cette disposition en ce qui concerne la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants accomplies par une même personne dans différents États membres et confirme que ces périodes doivent être prises en compte, en l’espèce, au titre de l’article 21 TFUE.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour conclut que, au regard de son libellé, du contexte dans lequel il s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont il fait partie, l’article 44 du règlement nº987/2009 doit être interprété en ce sens qu’il ne régit pas de manière exclusive la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants accomplies par une même personne dans différents États membres.
Concernant son libellé, la Cour relève que cette disposition n’indique pas qu’elle régit cette prise en compte de manière exclusive et que si ladite disposition constitue une codification de sa jurisprudence adoptée à cet égard{2}, à la date de son entrée en vigueur, l’arrêt Reichel-Albert{3} n’avait pas encore été prononcé, les enseignements issus de ce dernier arrêt ne pouvaient donc pas être pris en compte lors de l’adoption du règlement nº987/2009 aux fins de leur codification éventuelle.
En ce qui concerne le contexte dans lequel s’inscrit l’article 44 du règlement nº987/2009, la Cour, en se référant au titre et au chapitre de ce règlement dont il relève, précise que cette disposition instaure une règle additionnelle permettant d’augmenter la probabilité pour les personnes concernées d’obtenir une prise en compte complète de leurs périodes d’éducation d’enfants et, ainsi, d’éviter, dans toute la mesure du possible, que tel ne soit pas le cas.
En ce qui concerne l’objectif du règlement nº987/2009, l’interprétation selon laquelle l’article 44 de ce règlement régirait la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants accomplies dans différents États membres de manière exclusive reviendrait à permettre à l’État membre débiteur de la pension de vieillesse d’une personne, dans lequel celle-ci a exclusivement travaillé et cotisé tant antérieurement que postérieurement au transfert de sa résidence dans un autre État membre où elle s’est consacrée à l’éducation de ses enfants, de refuser la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants accomplies par cette personne dans un autre État membre et, partant, à la désavantager au seul motif qu’elle a exercé son droit à la libre circulation. Dès lors, une telle interprétation irait à l’encontre des objectifs poursuivis par ce règlement, en particulier la finalité de garantir le respect du principe de la libre circulation, consacré à l’article 21 TFUE, et risquerait ainsi de mettre en péril l’effet utile de l’article 44 de ce règlement.
En second lieu, la Cour juge que, afin d’assurer le respect de ce principe, les enseignements de l’arrêt Reichel-Albert sont transposables à une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle la personne concernée ne remplit pas la condition d’exercice d’une activité salariée ou non salariée imposée par cette dernière disposition pour obtenir, aux fins de l’octroi d’une pension de vieillesse, la prise en compte, par l’État membre débiteur de cette pension, des périodes d’éducation d’enfants qu’elle a accomplies dans d’autres États membres. Partant, cet État membre est tenu de prendre en compte ces périodes au titre de l’article 21 TFUE, dès lors que cette personne a exclusivement travaillé et cotisé dans ledit État membre, tant antérieurement que postérieurement au transfert de sa résidence dans un autre État membre où elle a effectué lesdites périodes.
Ainsi, la Cour constate qu’il existe, à l’instar de la situation en cause dans l’arrêt Reichel-Albert, un lien suffisant entre les périodes d’éducation d’enfants accomplies par CC à l’étranger et les périodes d’assurance accomplies du fait de l’exercice d’une activité professionnelle en Autriche. Dès lors, la législation de cet État membre doit s’appliquer aux fins de la prise en compte et de la validation de ces périodes, en vue de l’octroi d’une pension de vieillesse par ce même État membre.
Si CC n’avait pas quitté l’Autriche, ses périodes d’éducation d’enfants auraient été prises en compte aux fins du calcul de sa pension de vieillesse autrichienne. Partant, à l’instar de l’intéressée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Reichel-Albert, elle est désavantagée au seul motif qu’elle a exercé son droit à la libre circulation, ce qui est contraire à l’article 21 TFUE.
{1} Il s’agit de l’article 44, paragraphe 2, du règlement (CE) nº987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) nº883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2009, L 284, p. 1).
Cet article 44, intitulé « Prise en compte des périodes d’éducation d’enfants », prévoit dans son paragraphe 2, que lorsque, au titre de la législation de l’État membre compétent en vertu du titre II du règlement nº883/2004, les périodes d’éducation d’enfants ne sont pas prises en compte, l’institution de l’État membre dont la législation était, conformément au titre II du règlement nº883/2004, applicable à l’intéressé du fait de l’exercice par ce dernier d’une activité salariée ou non salariée à la date à laquelle, en vertu de cette législation, la période d’éducation d’enfants a commencé à être prise en compte pour l’enfant concerné reste tenue de prendre en compte ladite période en tant que période d’éducation d’enfants selon sa propre législation, comme si l’enfant était éduqué sur son propre territoire.
{2} Par les arrêts du 23 novembre 2000, Elsen (C-135/99, EU:C:2000:647), et du 7 février 2002, Kauer (C- 28/00, EU:C:2002:82), la Cour a établi le test du « lien étroit » ou du « lien suffisant » entre les périodes d’assurance accomplies du fait de l’exercice d’une activité professionnelle dans l’État membre à la charge duquel la personne concernée sollicite une pension de vieillesse et les périodes d’éducation d’enfants que cette personne a effectuées dans un autre État membre. La Cour a jugé que la circonstance que les personnes, qui avaient exclusivement travaillé dans l’État membre débiteur de leur pension de vieillesse, exerçaient, au moment de la naissance de leur enfant, une activité salariée sur le territoire de cet État membre permettait d’établir l’existence d’un tel lien étroit ou suffisant et que, partant, la législation dudit État membre était applicable en ce qui concerne la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants accomplies dans un autre État membre aux fins de l’octroi d’une telle pension.
{3} Dans l’arrêt du 19 juillet 2012, Reichel-Albert (C-522/10, EU:C:2012:475), la Cour a jugé que l’article 21 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il fait obligation à l’institution compétente d’un premier État membre de prendre en compte, aux fins de l’octroi d’une pension de vieillesse, les périodes consacrées à l’éducation d’un enfant, accomplies dans un second État membre, comme si ces périodes avaient été accomplies sur son territoire national, par une personne qui n’a exercé des activités professionnelles que dans ce premier État membre et qui, au moment de la naissance de ses enfants, avait temporairement cessé de travailler et établi sa résidence, pour des motifs strictement familiaux, sur le territoire du second État membre.
36. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Biélorussie - Gel des fonds de certaines personnes et entités au regard de la situation en Biélorussie - Restriction du droit de séjour et de la libre circulation dans l'Union - Mesures restrictives poursuivant un objectif légitime de la politique étrangère et de sécurité commune - Violation du principe de proportionnalité - Absence
Arrêt du 24 mai 2023, Lyubetskaya / Conseil (T-556/21) (cf. points 75-84, 89)
Arrêt du 24 mai 2023, Omeliyanyuk / Conseil (T-557/21) (cf. points 75-84, 89)
Arrêt du 24 mai 2023, Haidukevich / Conseil (T-580/21) (cf. points 58-67, 73)
37. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Droit de sortie et d'entrée - Champ d'application - Citoyen ressortissant d'un État membre souhaitant quitter le territoire de cet État pour se rendre dans un autre État membre - Citoyen ressortissant d'un État membre souhaitant entrer sur le territoire d'un autre État membre - Inclusion
Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, un arrêté ministériel belge a, en juillet 2020, interdit les voyages non essentiels entre la Belgique et les pays de l’Union européenne, les pays de la zone Schengen et le Royaume-Uni, pour autant que ces pays soient classés en zones à haut risque (« zones rouges ») au regard de leur situation épidémiologique ou du niveau des mesures sanitaires restrictives prises par leurs autorités. La réglementation belge prévoyait en outre l’obligation, pour tout voyageur entrant sur le territoire national à partir de l’un de ces pays, de se soumettre à des tests de dépistage et d’observer une quarantaine.
Durant cette période, des contrôles ont été effectués par les autorités belges pour vérifier le respect de ces mesures.
Du 12 au 15 juillet 2020, la Suède a figuré parmi les pays classés en zones à haut risque. Nordic Info BV, une agence spécialisée dans les voyages vers et au départ de la Scandinavie, a, pour se conformer à la réglementation belge, annulé l’ensemble des voyages prévus au départ de la Belgique vers la Suède pendant la saison estivale.
Cette agence de voyages a ensuite introduit un recours devant le Nederlandstalige rechtbank van eerste aanleg Brussel (tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, Belgique), la juridiction de renvoi, pour demander réparation du préjudice qu’elle affirme avoir subi en raison des fautes prétendument commises par l’État belge lors de l’élaboration de la réglementation en cause.
Par son renvoi préjudiciel, la juridiction de renvoi demande à la Cour, d’une part, si une telle réglementation générale d’un État membre est compatible avec les dispositions de la directive 2004/38{1} qui régissent les mesures restrictives de la liberté de circulation adoptées pour des raisons de santé publique{2}. D’autre part, elle interroge la Cour sur le point de savoir si l’interdiction de franchissement des frontières intérieures de cet État membre aux fins d’effectuer des voyages non essentiels au départ ou à destination de pays de l’espace Schengen classés en zones à haut risque est compatible avec les articles du code frontières Schengen{3} relatifs à l’absence de contrôles aux frontières intérieures, à leur possible réintroduction temporaire et à l’exercice des compétences de police{4}.
Par son arrêt, la Cour répond par l’affirmative à ces deux questions, tout en précisant les conditions dans lesquelles une telle réglementation nationale doit s’inscrire.
Appréciation de la Cour
S’agissant de la légalité, au regard de la directive 2004/38, de mesures restrictives de la liberté de circulation édictées par un État membre dans le contexte d’une pandémie telle que celle de la COVID-19, la Cour énonce que la réglementation nationale prévoyant ces mesures doit respecter l’ensemble des conditions et des garanties visées aux articles 30 à 32 de cette directive, les droits et principes consacrés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment le principe d’interdiction des discriminations, ainsi que le principe de proportionnalité.
À cet égard, la Cour précise, en premier lieu, que, même s’ils figurent sous un chapitre de la directive 2004/38 intitulé « Limitation du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique », l’article 27, paragraphe 1, et l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2004/38 mentionnent expressément la « liberté de circulation », si bien qu’ils couvrent les deux composantes de cette liberté, à savoir le droit d’entrée et le droit de sortie, et qu’ils permettent ainsi aux États membres d’adopter des mesures restreignant l’un et l’autre de ces droits pour des raisons de santé publique. Les mesures restrictives de la libre circulation qu’un État membre peut adopter pour des raisons de santé publique au titre de ces dispositions peuvent dès lors consister non seulement en une interdiction de quitter le territoire d’un État membre pour effectuer, comme en l’occurrence, des voyages non essentiels, mais aussi en une obligation pour les voyageurs entrant sur ce territoire de se soumettre à des tests de dépistage et d’observer une quarantaine.
En deuxième lieu, aucune de ces deux dispositions ne s’oppose à ce que de telles mesures restrictives soient édictées sous la forme d’un acte de portée générale concernant indistinctement toute personne relevant d’une situation visée par cet acte. Une telle interprétation est corroborée par le fait que les maladies pouvant justifier de telles mesures - à savoir des maladies infectieuses ou parasitaires contagieuses telles que la COVID-19 - sont susceptibles de toucher, en raison de leurs caractéristiques mêmes, des populations entières indépendamment du comportement des individus les composant.
En troisième lieu, la Cour souligne que, malgré leur formulation qui est, de prime abord, conçue pour des décisions individuelles, l’ensemble des conditions et garanties prévues aux articles 30 à 32 de la directive 2004/38 doivent également être respectées lorsque les mesures restrictives sont adoptées sous la forme d’actes de portée générale. Ainsi, en application de l’article 30, paragraphes 1 et 2, de cette directive, tout acte de portée générale édictant des mesures restrictives de la libre circulation pour des raisons de santé publique doit être porté à la connaissance du public dans le cadre d’une publication officielle de l’État membre qui l’adopte et par le biais d’une médiatisation officielle suffisante de manière à ce que le contenu et les effets de cet acte puissent être compris, tout comme les motifs précis de santé publique invoqués à l’appui de cet acte. Par ailleurs, pour respecter les garanties prévues aux articles 30, paragraphe 3, et 31 de ladite directive, l’acte de portée générale doit pouvoir être contesté dans le cadre d’un recours juridictionnel et, le cas échéant, administratif, dont les modalités d’exercice doivent être communiquées au public. De telles mesures restrictives doivent également respecter le principe d’interdiction des discriminations énoncé par la Charte.
En quatrième et dernier lieu, conformément aux dispositions de l’article 31, paragraphes 1 et 3, de la directive 2004/38, toute mesure restrictive de la libre circulation édictée pour des raisons de santé publique doit être proportionnée au regard de l’objectif de protection de la santé publique poursuivi, la proportionnalité d’une telle mesure devant être appréciée en tenant compte également du principe de précaution. L’exigence du principe de proportionnalité impose concrètement de vérifier, premièrement, que de telles mesures sont aptes à réaliser l’objectif d’intérêt général poursuivi, en l’occurrence la protection de la santé publique, deuxièmement, qu’elles sont limitées au strict nécessaire, ce qui signifie que cet objectif ne doit pas raisonnablement pouvoir être atteint de manière aussi efficace par d’autres moyens moins attentatoires aux droits et libertés garantis aux personnes concernées, et, troisièmement, qu’elles ne sont pas disproportionnées par rapport audit objectif, ce qui implique notamment une pondération de l’importance de celui-ci et de la gravité de l’ingérence dans ces droits et libertés.
S’agissant des contrôles visant à assurer le respect de la réglementation litigieuse, la Cour considère que de tels contrôles ne sont possibles à l’intérieur du territoire national qu’à la condition qu’ils relèvent de l’exercice de compétences de police, au sens de l’article 23, sous a), du code frontières Schengen. Dans le cas où lesdits contrôles s’effectuent directement aux frontières intérieures, il est nécessaire que l’État membre respecte l’ensemble des conditions visées aux articles 25 à 28 de ce code relatifs à la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures, étant précisé que la menace causée par une pandémie telle que celle de la COVID-19 correspond à une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, au sens de l’article 25, paragraphe 1, dudit code.
En ce qui concerne, en premier lieu, l’article 23, sous a), du code frontières Schengen, la Cour rappelle que cette disposition garantit aux États membres le droit d’effectuer, à l’intérieur du territoire national, y compris dans les zones frontalières, des contrôles justifiés par l’exercice de compétences de police pour autant que cet exercice n’ait pas un effet équivalent à celui d’une vérification aux frontières, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier.
À cette fin, l’article 23, sous a), seconde phrase, i) à iv), de ce code fournit des indices permettant de guider les États membres dans la mise en œuvre de telles compétences de police.
À cet égard, s’agissant, premièrement, de l’indice figurant à l’article 23, sous a), seconde phrase, i), dudit code, les objectifs poursuivis par les contrôles doivent se distinguer de ceux poursuivis par les vérifications aux frontières, à savoir ceux tendant à s’assurer que les personnes peuvent être autorisées à entrer sur le territoire de l’État membre ou à le quitter. La Cour estime que cela semble être le cas en l’occurrence, dans la mesure où l’objectif principal des contrôles visant à garantir le respect de la réglementation belge en cause était de limiter, dans l’urgence, la propagation de la COVID-19 au sein de la population belge.
S’agissant, deuxièmement, de l’indice figurant à l’article 23, sous a), seconde phrase, ii), du code frontières Schengen, il suffit que ces contrôles aient été décidés et mis en œuvre au regard de circonstances établissant objectivement un risque d’atteinte grave et sérieux à la santé publique, lequel peut être invoqué par un État membre au titre de cette disposition, et sur la base des connaissances générales que les autorités avaient quant aux zones d’entrée et de sortie du territoire national par lesquelles un grand nombre de voyageurs ciblés par ladite interdiction étaient susceptibles de transiter.
En ce qui concerne, troisièmement, les indices figurant à l’article 23, sous a), seconde phrase, iii) et iv), du code frontières Schengen, l’ensemble des contrôles en cause au principal doivent, d’une part, avoir été réalisés de manière aléatoire et, partant, « à l’improviste » et, d’autre part, avoir été conçus et exécutés d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques effectuées sur les personnes aux frontières extérieures de l’Union. À ce dernier égard, la Cour précise que, dans le cadre d’une pandémie telle que celle de la COVID-19, les États membres disposent d’une certaine marge d’appréciation en ce qui concerne l’intensité, la fréquence et la sélectivité des contrôles.
En second lieu, dans l’hypothèse où il s’avérerait que les contrôles en cause ont été menés aux frontières intérieures, la juridiction de renvoi devra vérifier si le Royaume de Belgique a respecté l’ensemble des conditions visées aux articles 25 à 28 du code frontières Schengen pour la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures en cas de menace grave pour l’ordre public et/ou la sécurité intérieure. La Cour précise à cet égard qu’une pandémie d’une ampleur telle que celle de la COVID-19 peut être qualifiée de menace grave pour l’ordre public et/ou pour la sécurité intérieure, au sens de l’article 25, paragraphe 1, de ce code, dans la mesure où elle est susceptible d’affecter un intérêt fondamental de la société, à savoir celui consistant à assurer la vie des citoyens, et où elle touche à la survie même d’une partie de la population, notamment les personnes les plus vulnérables.
{1} Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p 77 et rectificatif JO 2004, L 229, p. 35).
{2} Il s’agit en particulier des articles 27 et 29 de cette directive.
{3} Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2017/2225 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2017 (JO 2017, L 327, p. 1).
{4} Sont visés, plus particulièrement, les articles 22, 23 et 25 de ce code.
Arrêt du 5 décembre 2023, NORDIC INFO (C-128/22) (cf. point 60)
38. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Pension pour incapacité totale de travail - Obligation de prendre en compte, aux fins de l'octroi d'une telle pension, les périodes consacrées à l'éducation d'enfants accomplies dans un autre État membre - Personne ayant accompli des périodes d'assurance exclusivement dans l'État membre débiteur de la pension - Absence, dans ce dernier État membre, de versement de cotisations avant et immédiatement après ces périodes d'éducation d'enfants - Absence d'incidence sur l'obligation de prendre en compte lesdites périodes
Saisie à titre préjudiciel par le Landessozialgericht Nordrhein-Westfalen (tribunal supérieur du contentieux social de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Allemagne), la Cour apporte des précisions quant à l’interprétation de l’article 21 TFUE dans un litige au principal concernant l’absence de prise en compte, par l’organisme d’assurance de retraite, aux fins du calcul du montant de la pension pour incapacité totale de travail, des périodes d’éducation d’enfants accomplies par la bénéficiaire de cette pension dans un autre État membre.
VA est une ressortissante allemande qui, de l’année 1962 à l’année 2010, a vécu aux Pays-Bas, à proximité de la frontière allemande.
Après avoir suivi une formation professionnelle en Allemagne, terminée au mois de juillet 1980, elle n’a pas exercé d’activité professionnelle dans ce dernier État membre ni aux Pays-Bas.
Entre le 15 novembre 1986 et le 31 mars 1999, VA a accompli des périodes d’éducation de ses deux enfants aux Pays-Bas sans exercer d’activité professionnelle (ci-après les « périodes litigieuses »). À cette époque, elle n’avait pas versé de cotisations au régime légal d’assurance retraite allemand.
Entre le mois d’avril 1999 et le mois d’octobre 2012, elle a occupé en Allemagne un emploi non assujetti à l’assurance obligatoire. À partir du mois d’octobre 2012, elle a exercé une activité rémunérée dans cet État membre, où elle a déménagé en 2010, et, dans ce cadre, a versé des cotisations au régime légal d’assurance retraite allemand.
Depuis le mois de mars 2018, la requérante au principal reçoit de la Deutsche Rentenversicherung Bund (organisme d’assurance de retraite fédéral, Allemagne) une pension pour incapacité totale de travail. Aux fins du calcul du montant de cette pension, outre les périodes durant lesquelles VA a cotisé au régime légal d’assurance retraite allemand, cet organisme a pris en compte celles au cours desquelles elle a suivi une formation professionnelle et une période d’emploi de deux mois accomplie en 1999, mais a refusé de prendre en compte les périodes litigieuses.
VA a attaqué ce refus en justice. Son recours ayant été rejeté en première instance, elle a interjeté appel devant la juridiction de renvoi.
Dans ce contexte, la juridiction de renvoi a décidé de saisir la Cour de questions préjudicielles visant à savoir, en substance, si, dans une situation où une bénéficiaire de la pension ne remplit pas la condition d’exercice d’une activité salariée ou non salariée imposée par l’article 44, paragraphe 2, du règlement nº 987/2009{1}, l’article 21 TFUE, lu à la lumière de la jurisprudence issue de l’arrêt Reichel-Albert{2}, oblige l’État membre débiteur de cette pension à prendre en compte des périodes d’éducation d’enfants accomplies dans un autre État membre dans lequel la bénéficiaire a résidé durant de nombreuses années, même si cette bénéficiaire n’a pas versé de cotisations au régime d’assurance du premier État membre avant ni immédiatement après lesdites périodes d’éducation.
Appréciation de la Cour
Après avoir confirmé l’inapplicabilité de l’article 44, paragraphe 2, du règlement nº 987/2009 dans le litige au principal, la Cour relève que les enseignements de l’arrêt Reichel-Albert sont transposables en l’espèce.
La Cour en déduit que l’article 21 TFUE fait obligation à l’État membre débiteur de la pension en cause de prendre en compte, aux fins de l’octroi de cette pension, les périodes d’éducation d’enfants effectuées par la personne concernée dans un autre État membre dès lors qu’il est établi qu’il existe un lien suffisant entre lesdites périodes d’éducation d’enfants et les périodes d’assurance accomplies par cette personne du fait de l’exercice d’une activité professionnelle dans le premier État membre.
L’existence d’un tel « lien suffisant » doit être considérée comme établie lorsque la personne concernée a exclusivement accompli des périodes d’assurance, au titre de périodes de formation ou d’activité professionnelle, dans l’État membre débiteur de sa pension, tant avant qu’après l’accomplissement des périodes d’éducation de ses enfants dans un autre État membre.
La Cour conclut ensuite de l’article 1er, sous t), du règlement nº 883/2004{3}, également pertinent dans le contexte de l’interprétation de l’article 21 TFUE, que les États membres peuvent prévoir, dans leur législation nationale, que certaines périodes de la vie d’une personne, au cours desquelles elle n’a pas exercé d’activité salariée ou non salariée soumise à l’assurance obligatoire et n’a donc pas versé de cotisations, sont assimilées à des « périodes d’assurance » accomplies dans l’État membre concerné.
En pareil cas, la circonstance que la personne concernée n’ait pas versé de cotisations dans cet État membre durant les périodes ainsi assimilées, par sa législation nationale, à de telles périodes d’assurance n’est pas de nature à écarter l’existence d’un lien suffisant entre les périodes d’éducation d’enfants accomplies par cette personne dans un autre État membre et les périodes d’assurance accomplies dans le premier État membre.
À cet égard, il apparaît, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, qu’il existe, dans l’affaire au principal, un lien suffisant entre les périodes d’éducation d’enfants effectuées par VA aux Pays-Bas et les périodes d’assurance qu’elle a accomplies exclusivement en Allemagne tant avant ces périodes d’éducation, s’agissant des périodes de formation assimilées par le droit allemand à des périodes d’assurance, qu’après ces mêmes périodes, s’agissant des périodes d’emploi, et ce en dépit du fait que cette personne n’a pas versé de cotisations dans ce dernier État membre avant ni immédiatement après lesdites périodes d’éducation.
Selon la Cour, dans une situation telle que celle en cause au principal, la durée de la période de résidence de la personne concernée dans l’État membre dans lequel celle-ci s’est consacrée à l’éducation de ses enfants est indifférente.
Par conséquent, dans une telle situation, l’État membre débiteur de la pension en cause au principal ne saurait, sous peine de désavantager ses ressortissants nationaux ayant fait usage de leur liberté de circulation et de méconnaître ainsi l’article 21 TFUE, exclure la prise en compte de périodes d’éducation d’enfants au seul motif que celles-ci ont été accomplies dans un autre État membre. Partant, l’État membre débiteur de cette pension est tenu, au titre de cette disposition, de prendre en compte, aux fins de l’octroi de cette pension, ces périodes d’éducation en dépit du fait que cette personne n’a pas versé de cotisations dans ce premier État membre avant ni immédiatement après lesdites périodes d’éducation.
{1} L’article 44 du règlement (CE) nº 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) nº 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2009, L 284, p. 1) régit la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants.
{2} Arrêt du 19 juillet 2012, Reichel-Albert (C-522/10, EU:C:2012:475). Dans cet arrêt, la Cour a jugé que, dans une situation où une personne a temporairement installé sa résidence dans un État membre autre que son État membre d’origine, l’article 21 TFUE oblige l’institution compétente de l’État d’origine à prendre en compte, aux fins de l’octroi d’une pension de vieillesse, les périodes consacrées à l’éducation d’un enfant, accomplies dans un autre État membre, comme si ces périodes avaient été accomplies sur son territoire national, par une personne qui n’a exercé des activités professionnelles que dans ce premier État membre et qui, au moment de la naissance de ses enfants, avait temporairement cessé de travailler et établi sa résidence, pour des motifs strictement familiaux, sur le territoire du second État membre.
{3} L’article 1er, sous t), du règlement (CE) nº 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1) définit le terme « période d’assurance » comme les périodes de cotisation, d’emploi ou d’activité non salariée telles qu’elles sont définies ou admises comme périodes d’assurance par la législation sous laquelle elles ont été accomplies ou sont considérées comme accomplies, ainsi que toutes les périodes assimilées dans la mesure où elles sont reconnues par cette législation comme équivalant aux périodes d’assurance.
39. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Délivrance d'une carte d'identité ayant valeur de document de voyage au sein de l'Union - Citoyen de l'Union ayant exercé son droit de libre circulation et de séjour - Refus des autorités de son État membre d'origine de lui délivrer une telle carte d'identité en raison de l'établissement de son domicile dans un autre État membre - Inadmissibilité - Justification - Absence
Saisie à titre préjudiciel, la Cour énonce que le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, consacré par l’article 21 TFUE et l’article 45, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et précisé, dans ses conditions d’exercice, par la directive 2004/38{1}, s’oppose à une législation d’un État membre en vertu de laquelle un citoyen de l’Union européenne, ressortissant de cet État membre ayant exercé son droit de libre circulation et de séjour dans un autre État membre, se voit refuser la délivrance d’une carte d’identité ayant valeur de document de voyage au sein de l’Union européenne, au seul motif qu’il a établi son domicile sur le territoire de cet autre État membre.
Le requérant au principal est un ressortissant roumain, domicilié en France depuis 2014, qui exerce ses activités professionnelles comme avocat tant en France qu’en Roumanie. Les autorités roumaines lui ont délivré un passeport simple électronique, qui constitue un document de voyage lui permettant de voyager à l’étranger, mentionnant le fait qu’il est domicilié en France, ainsi qu’une carte d’identité provisoire. Cette dernière est délivrée aux ressortissants roumains domiciliés dans un autre État membre qui résident temporairement en Roumanie et doit être renouvelée chaque année. Elle ne constitue pas un document de voyage.
En septembre 2017, le requérant au principal a demandé la délivrance d’une carte d’identité, simple ou électronique, constituant un document de voyage qui lui aurait permis de se déplacer en France. Cette demande a été rejetée essentiellement au motif de sa domiciliation à l’étranger.
En décembre 2017, il a alors introduit un recours devant la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), demandant à cette juridiction d’ordonner que le document demandé lui soit délivré. Par un arrêt prononcé en mars 2018, cette juridiction a rejeté ce recours, au motif que la législation roumaine ne prévoyait pas une telle délivrance en cas de domiciliation à l’étranger, ce qui ne serait d’ailleurs pas contraire au droit de l’Union. Qui plus est, cette juridiction a estimé que le requérant au principal n’avait pas été discriminé, dans la mesure où les autorités roumaines lui ont délivré un passeport simple électronique.
Saisie d’un pourvoi en cassation contre cet arrêt, la Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), qui est la juridiction de renvoi, a décidé d’interroger la Cour sur la conformité au droit de l’Union de ce refus de délivrer au requérant au principal cette carte d’identité ayant valeur de document de voyage au sein de l’Union, au motif que ce dernier a établi son domicile dans un autre État membre.
Appréciation de la Cour
À titre liminaire, la Cour relève que la législation roumaine en matière de délivrance des documents de voyage établit une différence de traitement entre les citoyens roumains domiciliés en Roumanie et ceux domiciliés à l’étranger. Les premiers peuvent se voir délivrer un ou deux documents de voyage leur permettant de se déplacer au sein de l’Union, à savoir une carte d’identité et/ou un passeport, tandis que les seconds ne peuvent se voir délivrer qu’un passeport en tant que document de voyage.
Examinant alors la conformité d’une telle différence de traitement au droit de l’Union, premièrement, la Cour note, d’une part, que l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2004/38{2} laisse aux États membres le choix du type de document de voyage, à savoir une carte d’identité ou un passeport, qu’ils sont obligés de délivrer à leurs propres ressortissants. D’autre part, la Cour rappelle néanmoins que l’objet de la directive 2004/38 est de faciliter l’exercice du droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres conféré directement aux citoyens de l’Union par l’article 21, paragraphe 1, TFUE. Ainsi, les États membres, en exerçant leur compétence dans le domaine de la délivrance des cartes d’identité, doivent respecter le droit de l’Union et, notamment, les dispositions du traité relatives à la liberté de circuler et de séjourner sur leur territoire telle que prévue par cette dernière disposition.
Deuxièmement, la Cour constate que la réglementation en cause, en ce qu’elle exige des ressortissants roumains résidant dans d’autres États membres et souhaitant obtenir à la fois un passeport et une carte d’identité d’avoir établi leur domicile en Roumanie, entraîne un traitement moins favorable desdits ressortissants et désavantage ceux-ci en raison du seul fait qu’ils ont exercé leur liberté de circulation et de séjour. En outre, partant du principe que les facilités ouvertes par le traité en matière de circulation des citoyens de l’Union ne pourraient produire leurs pleins effets si un ressortissant d’un État membre pouvait être dissuadé d’en faire usage, par les obstacles dus à son séjour dans un autre État membre, en raison d’une réglementation de son État membre d’origine le pénalisant du seul fait qu’il les a exercées, la Cour estime que la législation en cause au principal est susceptible de dissuader les ressortissants roumains qui se trouvent dans une situation telle que celle du requérant au principal d’exercer leur droit à la libre circulation et au libre séjour au sein de l’Union. En effet, les citoyens roumains placés dans une telle situation doivent subir des charges administratives plus lourdes que les citoyens roumains domiciliés en Roumanie en ce qui concerne la procédure de délivrance des cartes d’identité et/ou des passeports. En conséquence, la législation en cause au principal constitue une restriction au droit de circuler et de séjourner librement prévu tant à l’article 21, paragraphe 1, TFUE qu’à l’article 45, paragraphe 1, de la Charte, cette dernière disposition reflétant la précédente.
Troisièmement, la Cour rappelle qu’une telle restriction ne peut être justifiée au regard du droit de l’Union que si elle est fondée sur des considérations objectives d’intérêt général, indépendantes de la nationalité des personnes concernées, et si elle est proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national. Il ressort de la jurisprudence qu’une mesure est proportionnée lorsque, tout en étant apte à la réalisation de l’objectif poursuivi, elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. À cet égard, le gouvernement roumain avance une justification de la législation nationale en cause au principal tirée de l’existence de certaines considérations d’ordre administratif, tenant principalement à la nécessité de conférer une valeur probante à l’adresse du domicile indiquée sur la carte d’identité et à l’efficacité de l’identification et du contrôle de cette adresse par l’administration nationale compétente. En examinant ces différents arguments, la Cour relève, d’une part, que le gouvernement roumain n’a pas démontré le lien entre l’indication d’une adresse sur la carte d’identité et l’obligation de refuser de délivrer une carte d’identité aux ressortissants roumains domiciliés dans un autre État membre. D’autre part, elle rappelle que, selon une jurisprudence constante, les considérations d’ordre administratif ne sauraient justifier une dérogation, par un État membre, aux règles du droit de l’Union. Dès lors, aucun des arguments avancés par le gouvernement roumain ne permet de considérer que la réglementation en cause est fondée sur des considérations objectives d’intérêt général. Partant, une telle réglementation constitue une restriction non justifiée à la liberté de circuler et de séjourner au sein de l’Union, au sens de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2004/38, lu à la lumière de l’article 21, paragraphe 1, TFUE et de l’article 45, paragraphe 1, de la Charte, à l’égard des ressortissants roumains domiciliés dans un aut
re État membre.
{1} Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77). Cette directive met en œuvre le droit fondamental à la libre circulation consacré par les articles 21 TFUE et 45, paragraphe 1, de la Charte et fixe les conditions de son exercice.
{2} En vertu de cette disposition : « Les États membres, agissant conformément à leur législation, délivrent à leurs citoyens, ou renouvellent, une carte d’identité ou un passeport indiquant leur nationalité. »
40. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises à l'encontre de la République démocratique du Congo - Interdiction d'entrée et de passage, ainsi que gel des fonds, des personnes portant atteinte à l'État de droit ou contribuant à la commission d'actes constitutifs de graves violations des droits de l'homme - Restriction du droit de propriété, du droit au libre exercice d'une activité économique, de la libre circulation dans l'Union et du droit au respect de la vie privée et familiale - Violation du principe de proportionnalité - Absence
Ordonnance du 17 avril 2024, UC / Conseil (T-6/23) (cf. points 113-125)
41. Citoyenneté de l'Union - Dispositions du traité - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Citoyen de l'Union ayant légalement acquis, lors de l'exercice de ce droit et de son séjour dans un autre État membre, le changement de son prénom et de son identité de genre - Obligation pour l'État membre d'origine de reconnaître légalement et d'inscrire ce changement dans l'acte de naissance - Réglementation nationale ne permettant pas une telle reconnaissance et une telle inscription - Réglementation nationale contraignant l'intéressé à engager une nouvelle procédure, de type juridictionnel, de changement d'identité de genre dans l'État membre d'origine - Inadmissibilité - Retrait de l'Union de l'autre État membre - Absence d'incidence
Saisie à titre préjudiciel par la Judecătoria Sectorului 6 Bucureşti (tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest, Roumanie), la Cour, réunie en grande chambre, précise la portée de l’obligation de l’État membre d’origine de reconnaître et d’inscrire dans l’acte de naissance d’un de ses ressortissants le changement de prénom et d’identité de genre légalement acquis par ce citoyen de l’Union européenne lors de l’exercice de sa liberté de circulation et de séjour dans un autre État membre.
M.-A. A. est une personne née en 1992 en Roumanie, qui a été enregistrée à la naissance comme étant de sexe féminin. Après avoir déménagé au Royaume-Uni, en 2008, M.-A. A. a acquis la nationalité britannique par naturalisation.
En février 2017, au Royaume-Uni, M.-A. A. a changé de prénom et de titre de civilité, passant du féminin au masculin, selon la procédure du Deed Poll{1}, et a ensuite procédé au changement de certains documents officiels délivrés par les autorités britanniques. En juin 2020, M.-A. A. a obtenu au Royaume-Uni un Gender Identity Certificate (certificat d’identité de genre), acte qui confirme son identité de genre masculine.
En mai 2021, sur la base de la déclaration effectuée dans le cadre de la procédure du Deed Poll et du certificat d’identité de genre, M.-A. A. a demandé aux autorités roumaines compétentes d’inscrire dans son acte de naissance les mentions relatives au changement de son prénom, de son genre et de son numéro d’identification personnel afin qu’elles correspondent au sexe masculin. Il a également demandé un nouveau certificat de naissance comportant ces nouvelles mentions. Par décision du 21 juin 2021, les autorités roumaines ont rejeté la demande de M.-A. A. au motif notamment que, conformément à la réglementation applicable, la mention relative au changement d’identité de genre d’une personne ne peut être inscrite dans son acte de naissance que lorsqu’elle a été approuvée par une décision de justice devenue définitive.
Saisie d’un recours de M.-A. A. contre cette décision, la juridiction de renvoi se demande, en particulier, si le statut de citoyen de l’Union ainsi que le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres s’opposent à une réglementation nationale qui oblige l’intéressé à entamer une nouvelle procédure de changement d’identité de genre devant les juridictions nationales, alors que celui-ci a déjà achevé avec succès une procédure à cette fin dans un autre État membre dont il a également la nationalité. De plus, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’incidence, pour la solution du litige au principal, du retrait du Royaume-Uni de l’Union{2}.
Appréciation de la Cour
Tout d’abord, la Cour rappelle que si, en l’état actuel du droit de l’Union, l’état des personnes, dont relèvent les règles relatives au changement de prénom et d’identité de genre d’une personne, est une matière relevant de la compétence des États membres, chaque État membre est tenu de respecter le droit de l’Union dans l’exercice de cette compétence.
Dans ce contexte, la Cour a déjà jugé que le refus, par les autorités d’un État membre, de reconnaître le nom d’un ressortissant de cet État ayant exercé son droit de libre circulation et possédant également la nationalité d’un autre État membre, tel que déterminé dans ce dernier État membre, est susceptible d’entraver l’exercice du droit, consacré à l’article 21 TFUE, de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres{3}. Or, une telle entrave est également susceptible de résulter du refus, par ces mêmes autorités, de reconnaître le changement d’identité de genre opéré en application des procédures prévues à cet effet dans l’État membre dans lequel le citoyen de l’Union a exercé sa liberté de circuler et de séjourner, que ce changement soit lié à un changement de prénom, comme en l’occurrence, ou non. En effet, à l’instar du nom, le genre définit l’identité et le statut personnel d’une personne. Partant, le refus de modifier et de reconnaître l’identité de genre qu’un ressortissant d’un État membre a légalement acquise dans un autre État membre est de nature à engendrer pour celui-ci de sérieux inconvénients d’ordre administratif, professionnel et privé. Ainsi, pour un tel citoyen de l’Union, il existe un risque concret, lié au fait de porter deux prénoms différents et de se voir attribuer deux identités de genre différentes, de devoir dissiper des doutes en ce qui concerne son identité ainsi que l’authenticité des documents qu’il présente ou la véracité des données contenues dans ceux-ci.
Par conséquent, le refus de reconnaître et d’inscrire dans les registres de l’état civil d’un État membre le changement de prénom et d’identité de genre légalement acquis par un ressortissant de cet État dans un autre État membre, sur le fondement d’une réglementation nationale qui ne permet pas une telle reconnaissance et une telle inscription, avec pour conséquence de contraindre l’intéressé à engager une nouvelle procédure, de type juridictionnel, de changement d’identité de genre dans ce premier État membre, laquelle fait abstraction du changement acquis dans cet autre État membre, est de nature à restreindre l’exercice du droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire de l’Union.
Ensuite, la Cour rappelle qu’une réglementation nationale de nature à restreindre l’exercice du droit consacré à l’article 21 TFUE ne peut être justifiée que si elle est conforme aux droits fondamentaux garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et, en particulier, au droit au respect de la vie privée visé à son article 7, ce dernier droit ayant le même sens et la même portée que celui garanti à l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales{4}{5}. Or, la Cour européenne des droits de l’homme a constaté que la procédure de reconnaissance de l’identité de genre prévue par la réglementation nationale en cause au principal est incompatible avec l’article 8 de la CEDH, en ce qu’elle ne répond pas aux exigences imposées par cette disposition pour l’examen d’une demande de changement de genre introduite pour la première fois devant une juridiction nationale{6}.
Cette procédure ne saurait non plus constituer un moyen efficace permettant à un citoyen de l’Union qui, lors de son séjour dans un autre État membre et donc dans l’exercice du droit garanti à l’article 21 TFUE et à l’article 45 de la Charte, a déjà légalement acquis le changement de son prénom et de son identité de genre, de faire utilement valoir ses droits conférés par ces articles, lus à la lumière de l’article 7 de la Charte, d’autant plus que la même procédure expose ce citoyen au risque que celle-ci aboutisse à un résultat différent de celui adopté par les autorités de cet autre État membre.
En effet, pour qu’une réglementation nationale relative à l’inscription dans les registres de l’état civil du changement de prénom et d’identité de genre puisse être considérée comme étant compatible avec le droit de l’Union, il est nécessaire que les dispositions ou la procédure interne permettant d’introduire la demande d’une telle inscription ne rendent pas impossible ou excessivement difficile la mise en œuvre des droits conférés par l’article 21 TFUE et, en particulier, du droit à la reconnaissance de ce changement. Or, l’exercice de ce droit est susceptible d’être remis en cause par le pouvoir d’appréciation dont disposent les autorités compétentes dans le cadre de cette procédure, l’existence d’un tel pouvoir pouvant conduire à une divergence entre les deux noms et les deux genres donnés à une même personne pour la preuve de son identité ainsi qu’à de sérieux inconvénients d’ordre administratif, professionnel et privé. Partant, une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, méconnaît les exigences découlant de l’article 21 TFUE.
Enfin, la Cour précise qu’il est sans incidence, à cet égard, que la demande de reconnaissance et d’inscription du changement de prénom et d’identité de genre ait été formée à une date à laquelle le retrait de l’Union de l’État membre où ce changement avait été légalement acquis avait déjà pris effet{7}.
{1} Cette procédure permet aux citoyens britanniques de changer leur nom ou leur prénom par simple déclaration.
{2} Relevant que, en l’occurrence, la procédure de changement d’identité de genre a été engagée au Royaume-Uni avant le retrait de cet État de l’Union, mais qu’elle s’est achevée après celui-ci, au cours de la période de transition, la juridiction de renvoi se demande si, dans de telles circonstances, la Roumanie est tenue de reconnaître les effets juridiques de cette procédure de changement d’identité de genre menée au Royaume-Uni.
{3} Voir arrêt du 8 juin 2017, Freitag (C 541/15, EU:C:2017:432). Dans cet arrêt, la Cour a notamment constaté que des confusions et des inconvénients sont susceptibles de naître d’une divergence entre les deux noms appliqués à une même personne, puisque de nombreuses actions de la vie quotidienne, dans le domaine tant public que privé, exigent de rapporter la preuve de sa propre identité (points 36 et 37).
{4} Convention signée à Rome, le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).
{5} Conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte.
{6} Cour EDH, 19 janvier 2021, X et Y c. Roumanie, CE:ECHR:2021:0119JUD000214516. Dans cet arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé notamment que, en vertu de l’article 8 CEDH, les États sont tenus de prévoir une procédure claire et prévisible de reconnaissance juridique de l’identité de genre permettant le changement de sexe, et donc de nom ou de code numérique personnel, dans les documents officiels, de manière rapide, transparente et accessible.
{7} La Cour relève ainsi que, dans la mesure où M.-A. A., en sa qualité de citoyen de l’Union, revendique dans son État membre d’origine la reconnaissance du changement de son prénom et de son identité de genre obtenu, lors de l’exercice de sa liberté de circulation et de séjour au Royaume-Uni, respectivement avant le retrait de cet État membre de l’Union et avant le 31 décembre 2020, date fixée par l’accord de retrait comme étant la fin de la période de transition, il peut se prévaloir, à l’égard de cet État membre d’origine, des droits afférents à cette qualité, notamment de ceux prévus aux articles 20 et 21 TFUE, et ce également après la fin de cette période.
Arrêt du 4 octobre 2024, Mirin (C-4/23) (cf. points 53-57, 62, 68-71 et disp.)
42. Citoyenneté de l'Union - Dispositions du traité - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Législation fiscale - Impôt sur le revenu - Calcul du montant de la déduction de base à caractère personnel au titre de l'enfant à charge - Réglementation nationale prenant en compte, aux fins de ce calcul, l'aide à la mobilité à des fins d'éducation dans le cadre du programme Erasmus + perçue par cet enfant - Conséquence - Perte du droit à la majoration de cette déduction - Inadmissibilité
Saisie à titre préjudiciel par l’Ustavni sud Republike Hrvatske (Cour constitutionnelle, Croatie), la Cour se prononce sur la mobilité des étudiants dans le contexte de la législation fiscale d’un État membre relative au calcul du montant de la déduction de base à caractère personnel au titre de l’enfant à charge ayant bénéficié de la bourse Erasmus +.
E. P., une ressortissante croate, est redevable de l’impôt sur le revenu et bénéficiaire de certains avantages fiscaux prévus par la législation nationale applicable{1}. L’un de ses enfants à charge a perçu, au titre de l’année universitaire 2014/2015, une aide à la mobilité à des fins d’éducation dans le cadre du programme Erasmus + pour son séjour d’études dans une université en Finlande.
Pour les périodes imposables précédant l’année 2014, E. P. a bénéficié d’une majoration de la déduction de base à caractère personnel pour un enfant à charge. Par un avis d’imposition du 27 juillet 2015, elle a été informée qu’elle devait s’acquitter de l’impôt concerné au motif que cette majoration avait été supprimée pour la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2014. Au cours de cette période, elle avait reçu des montants supérieurs au seuil fixé, en raison de la perception, par cet enfant, de l’aide à la mobilité.
E. P. a introduit une réclamation contre cet avis d’imposition auprès du service autonome en charge de la procédure administrative de second niveau. Cette réclamation ayant été rejetée, elle a formé un recours contre cette décision devant un tribunal administratif croate. À la suite du rejet de ce recours, E. P. a interjeté appel devant le Visoki upravni sud (cour administrative d’appel, Croatie), qui l’a rejeté. Elle a alors formé un recours constitutionnel devant la juridiction de renvoi, en soutenant, notamment, être désavantagée, en violation des articles 20 et 21 TFUE, du fait de l’exercice, par son enfant à charge, de son droit de circuler et de séjourner dans un autre État membre que son État membre d’origine à des fins d’éducation.
Éprouvant des doutes sur la compatibilité de la législation nationale concernée avec le droit de l’Union européenne, la juridiction de renvoi a saisi la Cour à titre préjudiciel.
Appréciation de la Cour
Tout d’abord, la Cour indique que le programme Erasmus + est fondé sur les articles 165 et 166 TFUE et vise, notamment, à promouvoir la mobilité des étudiants au sein de l’Union et à leur permettre d’entamer ou de poursuivre leurs études dans différents États membres, indépendamment de leur lieu d’origine, renforçant ainsi la dimension européenne de l’éducation et de la formation. Or, la mise en œuvre de cet objectif peut se heurter, eu égard aux moyens économiques dont disposent les étudiants et leurs parents, aux coûts supplémentaires qu’engendre cette mobilité. Le soutien financier apporté à travers, notamment, des bourses destinées à faciliter la mobilité des bénéficiaires de ce programme témoigne de la volonté de l’Union de contribuer à surmonter de manière concrète et efficace ces obstacles.
À cet égard, certes, le droit de l’Union ne garantit pas à un citoyen européen que l’exercice de sa liberté de circulation soit neutre en matière d’imposition. Ce principe s’applique a fortiori à une situation dans laquelle la personne concernée prétend être victime d’un traitement désavantageux à la suite de l’exercice de la liberté de circulation d’un membre de sa famille. Cependant, dès lors qu’un État membre participe au programme Erasmus +, il doit veiller à ce que les modalités d’allocation et de taxation des bourses destinées à faciliter la mobilité des bénéficiaires de ce programme ne créent pas une restriction injustifiée au droit de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres.
Ensuite, la Cour constate que, dans ce contexte, des dispositions nationales telles que celles en cause au principal sont de nature à dissuader des ressortissants de l’Union d’exercer leur liberté de circuler et de séjourner dans un autre État membre que leur État membre d’origine. En effet, l’exercice de cette liberté est susceptible d’avoir une incidence sur le calcul de l’impôt sur le revenu des parents contribuables et de telles dispositions peuvent donc nuire à la mobilité des étudiants au sein de l’Union dans le cadre du programme Erasmus +. Partant, la prise en compte de l’aide à la mobilité dont un enfant à charge a bénéficié au titre de ce programme aux fins de déterminer le montant de la déduction de base à laquelle un parent contribuable a droit pour cet enfant, avec pour conséquence la perte du droit à la majoration de cette déduction dans le cadre du calcul de l’impôt sur le revenu, est susceptible de constituer une restriction au droit de libre circulation et de séjour dont jouissent les citoyens de l’Union en vertu de l’article 21 TFUE. L’existence d’une telle restriction ne saurait être remise en cause par le fait que, d’une part, l’enfant à charge, qui a exercé sa liberté de circulation, n’était pas lui-même le contribuable ayant été privé d’un droit à la majoration de la déduction et que, d’autre part, le parent contribuable ainsi désavantagé n’a pas exercé sa liberté de circulation.
Dans de telles circonstances, peuvent se prévaloir des effets de cette restriction non seulement le citoyen de l’Union ayant exercé sa liberté de circulation, mais également le citoyen de l’Union, qui a ce premier citoyen à sa charge et qui est, de ce fait, directement désavantagé par les effets de cette restriction. En définitive, eu égard aux liens économiques unissant l’enfant à son parent résultant du fait que cet enfant dépend de son parent pour subvenir à ses frais et que le législateur national a choisi de tenir compte des revenus de l’enfant à charge pour la détermination de la situation fiscale de ce parent, tant l’enfant à charge que son parent contribuable peuvent, dans des cas tels que celui de l’affaire au principal, se prévaloir de l’article 21 TFUE et des dispositions prises pour son application.
Enfin, la Cour rappelle qu’une restriction au droit de libre circulation et de séjour ne peut être justifiée au regard du droit de l’Union que si elle est fondée sur des considérations objectives d’intérêt général et proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national. D’une part, elle précise que les dispositions nationales en cause visent à prendre en compte la capacité contributive réelle des parents contribuables à l’impôt sur le revenu, afin d’éviter que cette capacité soit sous-évaluée, ce qui doit être considéré comme constituant un objectif d’intérêt général.
D’autre part, concernant le respect du principe de proportionnalité, dans la mesure où le programme Erasmus + a pour objectif de favoriser la mobilité des étudiants à des fins d’éducation, notamment dans le cadre de l’enseignement universitaire, et compte tenu du niveau des montants des aides à la mobilité à des fins d’éducation dans le cadre de ce programme et du coût réel de la vie dans l’État membre d’accueil, ces aides sont censées contribuer à couvrir les coûts supplémentaires qui seraient inexistants en l’absence de cette mobilité. En conséquence, la perception de telles aides ne conduit pas à réduire les dépenses des parents contribuables dans le cadre de leur obligation d’entretien des enfants à charge et n’augmente pas davantage la capacité contributive de ces parents sur le plan fiscal. Le traitement fiscal des aides en cause au principal n’est donc pas apte à prendre en compte d’une manière cohérente et systématique la capacité contributive réelle des parents contribuables à l’impôt sur le revenu ayant à leur charge un enfant participant à ce programme. Dans la mesure où ce traitement peut conduire à des charges fiscales plus lourdes pour ces parents contribuables, sans que les ressources à leur disposition aient été augmentées pour y faire face, la réglementation nationale concernée est même susceptible de produire des effets inverses.
La Cour conclut que les articles 20 et 21 TFUE, lus à la lumière de l’article 165, paragraphe 2, deuxième tiret, TFUE, s’opposent à la réglementation d’un État membre qui, pour déterminer le montant de la déduction de base à caractère personnel à laquelle un parent contribuable a droit au titre de son enfant à charge, prend en compte l’aide à la mobilité à des fins d’éducation dont cet enfant a bénéficié dans le cadre du programme Erasmus +, ayant pour conséquence, le cas échéant, la perte du droit à la majoration de cette déduction dans le cadre du calcul de l’impôt sur le revenu.
{1} Le Zakon o porezu na dohodak (loi relative à l’impôt sur le revenu), du 3 décembre 2004 (NN 177/04).