1. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Protection contre l'éloignement - Condition - Séjour pendant les dix années précédant la décision d'éloignement - Éléments à prendre en considération

L’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, doit être interprété en ce sens que, afin de déterminer si un citoyen de l’Union a séjourné dans l’État membre d’accueil pendant les dix années qui précèdent la décision d’éloignement, critère déterminant pour l’octroi de la protection renforcée que cette disposition accorde, il doit être tenu compte de la totalité des aspects pertinents dans chaque cas d’espèce, notamment la durée de chacune des absences de l’intéressé de l’État membre d’accueil, la durée cumulée et la fréquence de ces absences ainsi que les raisons qui ont guidé l’intéressé lorsqu’il a quitté cet État membre et qui sont susceptibles d’établir si ces absences impliquent ou non le déplacement vers un autre État du centre de ses intérêts personnels, familiaux ou professionnels.

Arrêt du 23 novembre 2010, Tsakouridis (C-145/09, Rec._p._I-11979) (cf. point 38, disp. 1)

2. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Décision d'éloignement - Éléments à prendre en considération - Appréciation par la juridiction nationale

Lors de l'application de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, il convient de mettre en balance, d’une part, le caractère exceptionnel de la menace d’atteinte à la sécurité publique en raison du comportement personnel de la personne concernée, évaluée, le cas échéant, à l’époque à laquelle interviendra la décision d’éloignement, à l’aune notamment des peines encourues et de celles retenues, du degré d’implication dans l’activité criminelle, de l’ampleur du préjudice et, le cas échéant, de la tendance à la récidive, avec, d’autre part, le risque de compromettre la réinsertion sociale du citoyen de l’Union dans l’État où il est véritablement intégré, laquelle est dans l’intérêt non seulement de ce dernier, mais également de l’Union européenne en général.

La peine prononcée doit être prise en compte en tant qu’élément de cet ensemble de facteurs. Une condamnation à une peine d'emprisonnement de cinq ans ne saurait déclencher une décision d’éloignement, sans tenir compte des éléments ci-dessus décrits, ce qu’il appartient au juge national de vérifier. Dans le cadre de cette évaluation, il doit être tenu compte des droits fondamentaux dont la Cour assure le respect, dans la mesure où des motifs d’intérêt général ne sauraient être invoqués pour justifier une mesure nationale qui est de nature à entraver l’exercice de la libre circulation des personnes que lorsque la mesure en question tient compte de tels droits, et, en particulier, le droit au respect de la vie privée et familiale tel qu’il est énoncé à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à l’article 8 de la convention européenne des droits de l'homme.

Arrêt du 23 novembre 2010, Tsakouridis (C-145/09, Rec._p._I-11979) (cf. points 50-52)

3. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Protection contre l'éloignement - Dérogations - Raisons impérieuses de sécurité publique - Motifs graves d'ordre public ou de sécurité publique - Notions - Lutte contre la criminalité liée au trafic de stupéfiants en bande organisée - Inclusion

L’article 28, paragraphe 3, de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, doit être interprété en ce sens que la lutte contre la criminalité liée au trafic de stupéfiants en bande organisée est susceptible de relever de la notion de "raisons impérieuses de sécurité publique" pouvant justifier une mesure d’éloignement d’un citoyen de l’Union ayant séjourné dans l’État membre d’accueil pendant les dix années précédentes.

L’article 28, paragraphe 2, de la directive 2004/38 doit être interprété en ce sens que la lutte contre la criminalité liée au trafic de stupéfiants en bande organisée relève de la notion de "motifs graves d’ordre public ou de sécurité publique".

Arrêt du 23 novembre 2010, Tsakouridis (C-145/09, Rec._p._I-11979) (cf. point 56, disp. 2)

4. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Règles de rang constitutionnel nationales interdisant de porter un titre de noblesse - Refus de reconnaître à un ressortissant national un nom patronymique comprenant un titre de noblesse acquis par adoption à l'âge adulte dans un autre État membre - Justification par des raisons d'ordre public - Admissibilité

L’article 21 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que les autorités d’un État membre puissent refuser de reconnaître, dans tous ses éléments, le nom patronymique d’un ressortissant de cet État, tel qu’il a été déterminé dans un second État membre, dans lequel réside ledit ressortissant, lors de son adoption à l’âge adulte par un ressortissant de ce second État membre, lorsque ce nom patronymique comprend un titre de noblesse qui n’est pas admis dans le premier État membre au titre de son droit constitutionnel, dès lors que les mesures prises par ces autorités dans ce contexte sont justifiées par des motifs liés à l’ordre public, c’est-à-dire qu’elles sont nécessaires pour la protection des intérêts qu’elles visent à garantir et proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi.

En effet, il ne paraît pas disproportionné qu’un État membre cherche à réaliser l’objectif de préserver le principe d’égalité en interdisant toute acquisition, possession ou utilisation, par ses ressortissants, de titres de noblesse ou d’éléments nobiliaires susceptibles de faire croire que le porteur du nom est titulaire d’une telle dignité. Dans ces conditions, un tel refus ne saurait être regardé comme une mesure portant une atteinte injustifiée à la libre circulation et au libre séjour des citoyens de l'Union.

Arrêt du 22 décembre 2010, Sayn-Wittgenstein (C-208/09, Rec._p._I-13693) (cf. points 93-95 et disp.)

5. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Droit de sortie et d'entrée - Champ d'application - Citoyen interdit de sortie d'un État membre dont il a la nationalité - Inclusion

Le statut de citoyen de l'Union donne à un ressortissant européen, y compris à l'égard de son État membre d'origine, des droits afférents à ce statut, notamment le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres tel que conféré par l'article 21 TFUE. Le droit à la libre circulation comprend tant le droit pour les citoyens de l'Union européenne d'entrer dans un État membre autre que celui dont ils sont originaires que le droit de quitter ce dernier. En effet, les libertés fondamentales garanties par ce traité seraient vidées de leur substance si l'État membre d'origine pouvait, sans justification valable, interdire à ses propres ressortissants de quitter son territoire en vue d'entrer sur le territoire d'un autre État membre.

Dès lors que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, prévoit expressément que tout citoyen de l’Union muni d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité a le droit de quitter le territoire d’un État membre en vue de se rendre dans un autre État membre, la situation d'une personne interdite de sortie d'un État dont il a la nationalité relève du champ d’application de ladite directive.

Arrêt du 17 novembre 2011, Gaydarov (C-430/10, Rec._p._I-11637) (cf. points 24-27)

6. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Réglementation nationale permettant de restreindre le droit d'un ressortissant d'un État membre de se rendre sur le territoire d'un autre État membre au motif d'une condamnation pénale dans un autre État pour trafic de stupéfiants - Admissibilité - Conditions

Les articles 21 TFUE et 27 de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, ne s’opposent pas à une réglementation nationale permettant de restreindre le droit d’un ressortissant d’un État membre de se rendre sur le territoire d’un autre État membre notamment au motif qu’il a été condamné pénalement dans un autre État pour trafic de stupéfiants, à condition, en premier lieu, que le comportement personnel de ce ressortissant constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société, en deuxième lieu, que la mesure restrictive envisagée soit propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre, et, en troisième lieu, que cette même mesure puisse faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif permettant de vérifier sa légalité en fait et en droit au regard des exigences du droit de l’Union.

Arrêt du 17 novembre 2011, Gaydarov (C-430/10, Rec._p._I-11637) (cf. point 42 et disp.)

7. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Droit de sortie et d'entrée - Champ d'application - Citoyen voulant sortir du territoire de l'État dont il a la nationalité pour se rendre dans un autre État membre - Inclusion

Une personne qui a la nationalité d’un État membre jouit, en vertu de l’article 20 TFUE, du statut de citoyen de l’Union et peut donc se prévaloir, y compris à l’égard de son État membre d’origine, des droits afférents à ce statut, notamment du droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres tel que conféré par l’article 21 TFUE. Le droit à la libre circulation comprend tant le droit pour les citoyens de l’Union européenne d’entrer dans un État membre autre que celui dont ils sont originaires que le droit corrélatif de quitter ce dernier. En effet, les libertés fondamentales garanties par ce traité seraient vidées de leur substance si l’État membre d’origine pouvait, sans justification valable, interdire à ses propres ressortissants de quitter son territoire en vue d’entrer sur le territoire d’un autre État membre.

L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, prévoyant expressément que tout citoyen de l’Union muni d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité a le droit de quitter le territoire d’un État membre en vue de se rendre dans un autre État membre, la situation d'une personne qui entend se rendre, à partir du territoire de l’État dont il est ressortissant, sur le territoire d’un autre État membre relève donc du droit de libre circulation et de libre séjour des citoyens de l’Union dans les États membres.

Arrêt du 17 novembre 2011, Aladzhov (C-434/10, Rec._p._I-11659) (cf. points 24-27)

8. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique - Principes généraux - Effet direct - Droit national ne prévoyant pas leur application à ses propres ressortissants - Inapplicabilité de plein droit des dispositions nationales contraires

Le fait qu’une loi nationale de transposition de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, ne s’applique pas aux ressortissants de l’État membre en cause ne saurait avoir pour effet d’empêcher le juge national d’assurer le plein effet des normes du droit de l’Union applicables et, plus particulièrement, de l’article 27 de ladite directive. Dès lors, il appartient au besoin au juge saisi de laisser inappliquée une disposition de droit national contraire au droit de l’Union, notamment en annulant une décision administrative individuelle prise sur la base d’une telle disposition. Par ailleurs, les dispositions dudit article, inconditionnelles et suffisamment précises, peuvent être invoquées par un particulier vis-à-vis de l’État membre dont il est le ressortissant.

Arrêt du 17 novembre 2011, Aladzhov (C-434/10, Rec._p._I-11659) (cf. points 31-32)

9. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique - Portée

Même si les États membres sont libres de déterminer, conformément à leurs besoins nationaux pouvant varier d’un État membre à l’autre et d’une époque à l’autre, les exigences de l’ordre public et de la sécurité publique, il n’en demeure pas moins que, dans le contexte de l’Union, et notamment en tant que justification d’une dérogation au principe fondamental de la libre circulation des personnes, ces exigences doivent être entendues strictement, de sorte que leur portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des États membres sans contrôle des institutions de l’Union.

Arrêt du 17 novembre 2011, Aladzhov (C-434/10, Rec._p._I-11659) (cf. point 34)

10. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Réglementation nationale permettant de restreindre le droit d'un ressortissant d'un État membre de se rendre sur le territoire d'un autre État membre en raison de l'existence d'une dette fiscale à sa charge - Admissibilité - Conditions - Appréciation par la juridiction nationale

Le droit de l’Union ne s’oppose pas à une disposition législative d’un État membre qui permet à l’autorité administrative d’interdire à un ressortissant de cet État de quitter celui-ci au motif qu’une dette fiscale de la société dont il est l’un des gérants n’a pas été acquittée, à la double condition toutefois que la mesure en cause ait pour objet de répondre, dans certaines circonstances exceptionnelles qui pourraient résulter notamment de la nature ou de l’importance de cette dette, à une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société et que l’objectif ainsi recherché ne réponde pas seulement à des fins économiques. Il appartient au juge national de vérifier que cette double condition est remplie.

En effet, d’une part, il ne saurait être exclu par principe que le non-recouvrement de créances fiscales puisse relever des exigences de l’ordre public. D’autre part, dès lors que le recouvrement des créances publiques, en particulier celui des impôts, vise à assurer le financement des interventions de l’État membre concerné en fonction de choix qui sont notamment l’expression de sa politique générale en matière économique et sociale, les mesures prises par les autorités publiques en vue d’assurer ce recouvrement ne sauraient davantage être considérées, par principe, avoir été adoptées exclusivement à des fins économiques au sens des dispositions de l’article 27, paragraphe 1, de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

Arrêt du 17 novembre 2011, Aladzhov (C-434/10, Rec._p._I-11659) (cf. points 37-38, 40, disp. 1)

11. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Interdiction de sortie du territoire d'un État membre d'un de ses ressortissants en raison de l'existence d'une dette fiscale à sa charge - Conditions d'admissibilité - Appréciation spécifique du comportement personnel de l'individu concerné - Respect du principe de proportionnalité

À supposer même qu’une mesure d’interdiction de sortie du territoire ait été adoptée dans les conditions prévues à l’article 27, paragraphe 1, de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, celles qui sont prévues au paragraphe 2 du même article s’opposent à une telle mesure, si elle se fonde uniquement sur l’existence de la dette fiscale de la société dont la partie concernée est l’une des cogérantes, et à raison de cette seule qualité, à l’exclusion de toute appréciation spécifique du comportement personnel de l’intéressée et sans aucune référence à une quelconque menace que celle-ci constituerait pour l’ordre public, et si l’interdiction de sortie du territoire n’est pas propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et va au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est le cas dans l’affaire dont elle est saisie.

Arrêt du 17 novembre 2011, Aladzhov (C-434/10, Rec._p._I-11659) (cf. point 49, disp. 2)

12. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons impérieuses de sécurité publique - Décision d'éloignement - Éléments à prendre en considération - Accomplissement d'infractions pénales dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontalière, dont l'exploitation sexuelle des enfants - Protection contre l'éloignement - Conditions - Vérification par la juridiction nationale

L’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, doit être interprété en ce sens qu’il est loisible aux États membres de considérer que des infractions pénales telles que celles figurant à l’article 83, paragraphe 1, deuxième alinéa, TFUE constituent une atteinte particulièrement grave à un intérêt fondamental de la société, susceptible de représenter une menace directe pour la tranquillité et la sécurité physique de la population, et, partant, de relever de la notion de "raisons impérieuses de sécurité publique" pouvant justifier une mesure d’éloignement au titre dudit article 28, paragraphe 3, à condition que la façon selon laquelle de telles infractions ont été commises présente des caractéristiques particulièrement graves, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier sur le fondement d’un examen individuel du cas d’espèce dont elle est saisie.

Toute mesure d’éloignement est subordonnée à ce que le comportement de la personne concernée représente une menace réelle et actuelle pour un intérêt fondamental de la société ou de l’État membre d’accueil, constatation qui implique, en général, chez l’individu concerné, l’existence d’une tendance à maintenir ce comportement à l’avenir. Avant de prendre une décision d’éloignement, l’État membre d’accueil doit tenir compte notamment de la durée du séjour de l’intéressé sur son territoire, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle dans cet État et de l’intensité de ses liens avec son pays d’origine.

Arrêt du 22 mai 2012, I. (C-348/09) (cf. points 33-34 et disp.)

13. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Dispositions nationales empêchant ou dissuadant un ressortissant d'un État membre de quitter son État d'origine - Inadmissibilité - Justification devant se fonder sur des considérations objectives d'intérêt général indépendantes de la nationalité des personnes

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 12 juillet 2012, Commission / Espagne (C-269/09) (cf. points 91-92)

14. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Réglementation nationale permettant de limiter le droit d'un ressortissant d'un État membre de circuler librement dans l'Union en raison de l'existence d'une dette privée à sa charge - Inadmissibilité

Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application d’une disposition nationale prévoyant l’imposition d’une limitation du droit d’un ressortissant d’un État membre de circuler librement dans l’Union au seul motif qu’il est redevable, envers une personne morale de droit privé, d’une dette qui dépasse un seuil légal et qui n’est pas garantie par une sûreté.

À supposer qu’il puisse valablement être considéré qu’une certaine idée de la préservation de l’ordre public sous-tende l'objectif de protection des créanciers poursuivi par une telle réglementation, il ne peut être exclu qu'une interdiction de sortie du territoire, adoptée sur le fondement de cette réglementation, poursuive un objectif exclusivement économique. Or, l’article 27, paragraphe 1, de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, exclut expressément la possibilité pour un État membre d’invoquer des raisons liées à l’ordre public à des fins économiques.

S'agissant, en outre, de la proportionnalité d'une telle réglementation, il existe en droit de l’Union des normes juridiques de nature à protéger les droits des créanciers sans pourtant que la liberté de circulation du débiteur soit nécessairement limitée. Il s'ensuit qu'il ne saurait être considéré que, en raison de l’exclusion, dans le cadre de l’article 27, paragraphe 1, de la directive 2004/38, des dérogations invoquées à des fins économiques, l’ordre juridique de l’Union n’offre pas un niveau de protection du droit de propriété d’autrui, en l’occurrence des créanciers, qui est au moins équivalent à celui instauré en vertu de la convention européenne des droits de l'homme.

Arrêt du 4 octobre 2012, Byankov (C-249/11) (cf. points 39, 45-46, 48, disp. 1)

15. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique - Garanties procédurales - Champ d'application

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 4 octobre 2012, Byankov (C-249/11) (cf. points 53-56)

16. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique - Effets dans le temps d'une interdiction de territoire - Droit au réexamen d'une telle mesure - Champ d'application

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 4 octobre 2012, Byankov (C-249/11) (cf. points 67-68)

17. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Obligation de coopération loyale - Principe d'effectivité - Mesure d'interdiction de quitter le territoire n'ayant fait l'objet d'aucun recours juridictionnel et étant devenue définitive - Réglementation nationale limitant strictement la réouverture de la procédure administrative ayant mené à l'adoption d'une telle décision manifestement contraire au droit de l'Union - Inadmissibilité

Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle la procédure administrative ayant mené à l’adoption d’une interdiction de sortie du territoire devenue définitive et qui n’a pas fait l’objet d’un recours juridictionnel ne peut être rouverte, dans le cas où cette interdiction serait manifestement contraire au droit de l’Union, que dans les conditions limitativement énoncées dans cette réglementation, et ce nonobstant le fait qu’une telle interdiction continue de produire des effets juridiques à l’égard de son destinataire.

Une telle réglementation nationale, qui ne prévoit pas de réexamen périodique, perpétue pour une durée illimitée l’interdiction de sortie du territoire et, par là même, la violation du droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres énoncé à l'article 21, paragraphe 1, TFUE. Dans de telles conditions, une telle interdiction territoriale constitue la négation même de la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres conférée par le statut de citoyen de l’Union.

Par ailleurs, par l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, le législateur de l’Union a obligé les États membres à prévoir la possibilité de réexamen de mesures d’interdiction d’entrée sur leur territoire ou de sortie de celui-ci même lorsque ces mesures ont été valablement prises au regard du droit de l’Union et même lorsqu’elles sont devenues définitives. Tel devrait, à plus forte raison, être le cas s’agissant d’interdictions territoriales qui n’ont pas été valablement prises au regard du droit de l’Union et qui constituent la négation même de la liberté énoncée à l’article 21, paragraphe 1, TFUE. Dans une telle situation, le principe de sécurité juridique n’exige pas impérativement qu’un acte imposant une telle interdiction continue de produire des effets juridiques pour une durée illimitée.

Compte tenu également de l’importance que le droit primaire attache au statut de citoyen de l’Union, une réglementation nationale qui empêche des citoyens de l’Union de faire valoir leur droit de libre circulation et de libre séjour, tel que conféré par l’article 21 TFUE, à l’encontre d’interdictions territoriales absolues adoptées pour une durée illimitée et les organes administratifs de tirer les conséquences d’une jurisprudence de la Cour de justice confirmant le caractère illicite, au regard du droit de l’Union, de telles interdictions, ne peut pas être raisonnablement justifiée par le principe de sécurité juridique et doit donc être considérée, dans cette mesure, comme contraire au principe d’effectivité et à l’article 4, paragraphe 3, TUE.

Arrêt du 4 octobre 2012, Byankov (C-249/11) (cf. points 79-82, disp. 2)

18. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Motivation d'une décision refusant l'entrée dans un État membre - Motifs précis et complets, relevant de la sûreté de l'État, non portés à la connaissance de l'intéressé - Admissibilité - Condition - Mise en balance des exigences liées à la sûreté de l'État avec celles du droit à une protection juridictionnelle effective

Les articles 30, paragraphe 2, et 31 de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, lus à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu’ils exigent que le juge national compétent veille à ce que la non-divulgation par l’autorité nationale compétente à l’intéressé des motifs précis et complets sur lesquels est fondée une décision prise en application de l’article 27 de cette directive ainsi que des éléments de preuve y afférents soit limitée au strict nécessaire et que soit communiquée à l’intéressé, en tout état de cause, la substance desdits motifs d’une manière qui tienne dûment compte de la confidentialité nécessaire des éléments de preuve.

Il incombe à l'autorité nationale compétente d’apporter, conformément aux règles de procédure nationales, la preuve que la sûreté de l’État serait effectivement compromise par une communication à l’intéressé des motifs précis et complets qui constituent le fondement d’une décision prise en application de l’article 27 de la directive 2004/38 ainsi que des éléments de preuves y afférents. Il en découle qu’il n’existe pas de présomption en faveur de l’existence et du bien-fondé des raisons invoquées par une autorité nationale. Le juge national compétent doit ensuite procéder à un examen indépendant de l’ensemble des éléments de droit et de fait invoqués par l’autorité nationale compétente et il doit apprécier, conformément aux règles de procédure nationales, si la sûreté de l’État s’oppose à une telle communication.

S’il s’avère que la sûreté de l’État s’oppose effectivement à la communication à l’intéressé desdits motifs, le contrôle juridictionnel de la légalité d’une décision prise en application de l’article 27 de la directive 2004/38, tel que prévu à l’article 31, paragraphe 1, de celle-ci, doit être effectué dans le cadre d’une procédure qui met en balance de manière appropriée les exigences découlant de la sûreté de l’État et celles du droit à une protection juridictionnelle effective tout en limitant les ingérences éventuelles dans l’exercice de ce droit au strict nécessaire.

À cet égard, compte tenu du respect nécessaire de l’article 47 de la charte, ladite procédure doit garantir, dans la mesure la plus large possible, le respect du principe du contradictoire, afin de permettre à l’intéressé de contester les motifs sur lesquels est fondée la décision en cause ainsi que de présenter des observations au sujet des éléments de preuve afférents à celle-ci et, partant, de faire valoir utilement ses moyens de défense. Notamment, il importe que soit communiquée à l’intéressé, en tout état de cause, la substance des motifs sur lesquels est fondée une décision de refus d’entrée prise en application de l’article 27 de la directive 2004/38, la protection nécessaire de la sûreté de l’État ne pouvant avoir pour effet de priver l’intéressé de son droit d’être entendu et, partant, de rendre ineffectif son droit de recours tel que prévu à l’article 31 de cette directive.

Cette pondération du droit à une protection juridictionnelle effective et de l’intérêt de la protection de la sûreté de l’État en cause ne vaut toutefois pas de la même manière pour les éléments de preuve à la base des motifs produits devant le juge national compétent. En effet, dans certains cas, la divulgation de ces éléments de preuve est susceptible de compromettre de manière directe et particulière la sûreté de l’État en ce qu’elle peut notamment mettre en danger la vie, la santé ou la liberté de personnes ou dévoiler les méthodes d’investigation spécifiquement employées par les autorités nationales de sécurité et ainsi entraver sérieusement, voire empêcher, l’accomplissement futur des tâches de ces autorités.

Dans ces conditions, il incombe au juge national compétent, d’une part, de veiller à ce que la substance des motifs qui constituent le fondement de la décision en cause soit communiquée à l’intéressé d’une manière qui tienne dûment compte de la confidentialité nécessaire des éléments de preuve et, d’autre part, de tirer, en vertu du droit national, les conséquences d’une éventuelle méconnaissance de ladite obligation.

Arrêt du 4 juin 2013, ZZ (C-300/11) (cf. points 61-62, 64-66, 68-69 et disp.)

19. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Protection contre l'éloignement - Condition - Séjour pendant les dix années précédant la décision d'éloignement - Période de séjour continue calculée à rebours, à partir de la date de la décision d'éloignement

L’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, doit être interprété en ce sens que la période de séjour de dix années visée à cette disposition doit, en principe, être continue et calculée à rebours, à partir de la date de la décision d’éloignement de la personne concernée.

Arrêt du 16 janvier 2014, G (C-400/12) (cf. point 28, disp. 1)

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 17 avril 2018, B (C-316/16 et C-424/16) (cf. points 64-66)

20. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Protection contre l'éloignement - Condition - Interruption de la continuité du séjour dans l'État membre d'accueil par une période d'emprisonnement - Période de séjour continue de dix années précédant la période d'emprisonnement - Prise en compte de cette circonstance lors de l'appréciation globale des liens d'intégration avec l'État membre

L’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, doit être interprété en ce sens qu’une période d’emprisonnement de la personne concernée est, en principe, de nature à interrompre la continuité du séjour, au sens de cette disposition, et à affecter l’octroi de la protection renforcée qu’elle prévoit, y compris dans le cas où cette personne a séjourné dans l’État membre d’accueil pendant les dix années précédant son emprisonnement. Néanmoins, cette circonstance peut être prise en considération lors de l’appréciation globale exigée pour déterminer si les liens d’intégration tissés précédemment avec l’État membre d’accueil ont ou non été rompus.

Arrêt du 16 janvier 2014, G (C-400/12) (cf. point 38, disp. 2)

21. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Principe d'égalité de traitement - Obligation de l'État membre d'accueil d'accorder le droit aux prestations sociales aux ressortissants des autres États membres sans activité économique - Conditions - Séjour sur le territoire de l'État membre d'accueil respectant les conditions de la directive - Obligation pour un citoyen de l'Union économiquement non actif de disposer, pour lui et les membres de sa famille, de ressources suffisantes

L'article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, lu en combinaison avec l'article 7, paragraphe 1, sous b), de celle-ci, ainsi que l'article 4 du règlement nº 883/2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement nº 1244/2010, doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à la réglementation d'un État membre en vertu de laquelle des ressortissants d'autres États membres sont exclus du bénéfice de certaines "prestations spéciales en espèces à caractère non contributif" au sens de l'article 70, paragraphe 2, du règlement nº 883/2004, alors que ces prestations sont garanties aux ressortissants de l'État membre d'accueil qui se trouvent dans la même situation, dans la mesure où ces ressortissants d'autres États membres ne bénéficient pas d'un droit de séjour en vertu de la directive 2004/38 dans l'État membre d'accueil.

En effet, conformément à l'article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38, tout citoyen de l'Union qui séjourne sur le territoire de l'État membre d'accueil en vertu de la directive bénéficie de l'égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre dans le domaine d'application du traité. Il s'ensuit qu'un citoyen de l'Union, pour ce qui concerne l'accès aux prestations sociales susmentionnées, ne peut réclamer une égalité de traitement avec les ressortissants de l'État membre d'accueil que si son séjour sur le territoire de l'État membre d'accueil respecte les conditions de la directive 2004/38. Admettre que des personnes qui ne bénéficient pas d'un droit de séjour en vertu de la directive 2004/38 puissent réclamer un droit à des prestations sociales dans les mêmes conditions que celles qui sont applicables pour les ressortissants nationaux irait à l'encontre d'un objectif de ladite directive, énoncé à son considérant 10, qui vise à éviter que les citoyens de l'Union ressortissants d'autres États membres deviennent une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale de l'État membre d'accueil.

Ainsi, s'agissant des citoyens de l'Union, économiquement non actifs, dont la durée de séjour dans l'État membre d'accueil a été supérieure à trois mois mais inférieure à cinq ans, il a lieu d'examiner si le séjour desdits citoyens respecte les conditions de l'article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, parmi lesquelles figure l'obligation, visant à empêcher que les citoyens de l'Union économiquement inactifs utilisent le système de protection sociale de l'État membre d'accueil pour financer leurs moyens d'existence, pour le citoyen de l'Union économiquement non actif de disposer, pour lui et les membres de sa famille, de ressources suffisantes. En application de cette disposition, un État membre doit avoir la possibilité de refuser l'octroi de prestations sociales à des citoyens de l'Union économiquement inactifs qui exercent leur liberté de circulation dans le seul but d'obtenir le bénéfice de l'aide sociale d'un autre État membre alors même qu'ils ne disposent pas de ressources suffisantes pour prétendre au bénéfice d'un droit de séjour. À cet égard, il y a lieu d'effectuer un examen concret de la situation économique de chaque intéressé, sans prendre en compte les prestations sociales demandées.

La même conclusion s'impose pour ce qui concerne l'interprétation de l'article 4 du règlement nº 883/2004, les "prestations spéciales en espèces à caractère non contributif" au sens de l'article 70, paragraphe 2, dudit règlement, étant, en vertu du paragraphe 4 de ce même article, octroyées exclusivement dans l'État membre dans lequel l'intéressé réside et conformément à sa législation.

Arrêt du 11 novembre 2014, Dano (C-333/13) (cf. points 68, 69, 74, 76, 78, 80, 83, 84, disp.2)

22. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Loi nationale portant abolition des privilèges et interdiction de décerner de nouveaux titres nobiliaires - Ressortissant d'un État membre possédant également la nationalité d'un autre État membre ayant acquis dans cet autre État un nom librement choisi et contenant plusieurs éléments nobiliaires - Obligation des autorités du premier État membre de reconnaître ledit nom - Absence - Justification par des raisons d'ordre public - Vérification par la juridiction nationale

L’article 21 TFUE doit être interprété en ce sens que les autorités d’un État membre ne sont pas tenues de reconnaître le nom d’un ressortissant de cet État membre lorsque celui-ci possède également la nationalité d’un autre État membre dans lequel il a acquis un nom qu’il a librement choisi et qui contient plusieurs éléments nobiliaires, qui ne sont pas admis par le droit du premier État membre, dès lors qu’il est établi, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier, qu’un tel refus de reconnaissance est, dans ce contexte, justifié par des motifs liés à l’ordre public, en ce qu’il est approprié et nécessaire pour garantir le respect du principe d’égalité en droit de tous les citoyens dudit État membre.

En particulier, il incombe à la juridiction nationale d’apprécier si les autorités compétentes en matière d’état civil du premier État membre, en refusant à l'intéressé de reconnaître le nom acquis dans un autre État membre, au motif que la réalisation de l’objectif de garantir le principe d’égalité en droit de tous les citoyens du premier État membre suppose qu’il soit interdit aux ressortissants de cet État d’acquérir et d’utiliser, dans certaines conditions, des titres de noblesse ou des éléments nobiliaires susceptibles de faire croire que le porteur du nom est titulaire d’une telle dignité, ne sont pas allées au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la réalisation de l’objectif constitutionnel fondamental qu’elles poursuivent.

À cet égard, lors de la mise en balance du droit de libre circulation reconnu aux citoyens de l’Union par l’article 21 TFUE et des intérêts légitimes poursuivis par les limites à l’utilisation de titres nobiliaires et par l’interdiction de la recréation de l’apparence d’une origine nobiliaire posées par le législateur national, différents éléments sont à prendre en considération. Bien que ces éléments ne puissent pas servir de justification en tant que tels, ils doivent être pris en compte lors du contrôle de la proportionnalité.

Ainsi, d’une part, doit être pris en considération le fait que l'intéressé a exercé ce droit et possède la nationalité des premier et second États membres, que les éléments du nom acquis dans le second État membre portant, selon les autorités du premier État membre, atteinte à l’ordre public ne constituent formellement des titres de noblesse ni dans le premier ni dans le second État membre, et que la juridiction du premier État membre qui a enjoint aux autorités compétentes de procéder à la transcription du nom de la fille de l'intéressé qui est composé d’éléments nobiliaires, tel qu’il avait été enregistré par les autorités du second État membre, n’a pas considéré que cette transcription était contraire à l’ordre public. D’autre part, doit également être pris en compte le fait que le changement de nom considéré repose sur un choix de pure convenance personnelle de l'intéressé, que la divergence de noms qui en résulte n’est imputable ni aux circonstances de la naissance de celui-ci, ni à une adoption, ni à l’acquisition de la nationalité du second État membre, et que le nom choisi dans ce second État comporte des éléments qui, sans constituer formellement des titres de noblesse dans le premier ou le second État membre, confèrent l’apparence d’une origine nobiliaire.

En tout état de cause, bien que la raison objective tirée de l’ordre public et du principe d’égalité en droit des ressortissants du premier État membre soit susceptible, si elle est retenue, de justifier le refus de reconnaître le changement de nom patronymique de l'intéressé, elle ne saurait justifier le refus de reconnaître le changement de prénoms de celui-ci.

Arrêt du 2 juin 2016, Bogendorff von Wolffersdorff (C-438/14) (cf. points 79-84 et disp.)

23. Citoyenneté de l'Union - Dispositions du traité - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Réglementation nationale excluant, de manière automatique, en raison uniquement de ses antécédents pénaux, l'octroi d'un permis de séjour à un ressortissant d'un État tiers, parent d'un enfant mineur citoyen de l'Union à sa charge et résidant avec lui dans l'État membre d'accueil - Inadmissibilité

L’article 21 TFUE et la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale imposant de refuser de manière automatique l’octroi d’un permis de séjour au ressortissant d’un État tiers, parent d’un enfant mineur citoyen de l’Union, ressortissant d’un État membre autre que l’État membre d’accueil, qui est à sa charge et qui réside avec lui dans l’État membre d’accueil, au seul motif qu’il a des antécédents pénaux.

En effet, le droit de l’Union s’oppose à une limitation du droit de séjour fondée sur des motifs de prévention générale et décidée dans un but de dissuasion à l’égard d’autres étrangers, en particulier lorsque cette mesure a été prononcée d’une manière automatique à la suite d’une condamnation pénale, sans tenir compte du comportement personnel de l’auteur de l’infraction ni du danger qu’il représente pour l’ordre public. Ainsi, pour apprécier si une mesure d’éloignement est proportionnée au but légitime poursuivi, en l’occurrence la protection de l’ordre public ou de la sécurité publique, il convient de prendre en compte les critères énoncés à l’article 28, paragraphe 1, de la directive 2004/38, à savoir la durée du séjour de l’intéressé sur le territoire de l’État membre d’accueil, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle dans l’État membre d’accueil et l’intensité de ses liens avec son pays d’origine. Il importe que le degré de gravité de l’infraction soit également pris en considération dans le cadre du principe de proportionnalité. À cet égard, le comportement de la personne concernée doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société et la condition relative à l’existence d’une menace actuelle doit, en principe, être remplie au moment où intervient la mesure en cause.

En ce qui concerne, par ailleurs, l’éventuel éloignement du ressortissant d'un État tiers concerné, il incombe, d'une part, de tenir compte des droits fondamentaux dont la Cour assure le respect, en particulier le droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu’il est énoncé à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et, d’autre part, de respecter le principe de proportionnalité. Cet article 7 de la charte doit être lu en corrélation avec l’obligation de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu à l’article 24, paragraphe 2, de la charte.

Arrêt du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C-165/14) (cf. points 61, 62, 65-67, 88 et disp.)

24. Citoyenneté de l'Union - Dispositions du traité - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Réglementation nationale excluant, de manière automatique, en raison uniquement de ses antécédents pénaux, l'octroi d'un permis de séjour à un ressortissant d'un État tiers, parent d'enfants mineurs citoyens de l'Union à sa charge exclusive - Refus de séjour pouvant entraîner l'obligation pour ces enfants de quitter le territoire de l'Union - Inadmissibilité

L’article 20 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale imposant de refuser de manière automatique l’octroi d’un permis de séjour au ressortissant d’un État tiers, parent d’enfants mineurs citoyens de l’Union et dont il assure la garde exclusive, au seul motif qu’il a des antécédents pénaux, lorsque ce refus a pour conséquence d’imposer à ces enfants de quitter le territoire de l’Union européenne.

En effet, bien que l’article 20 TFUE n’affecte pas la possibilité pour les États membres d’invoquer une exception liée, notamment, au maintien de l’ordre public et à la sauvegarde de la sécurité publique, dans la mesure où la situation dudit ressortissant d'un État tiers relève du champ d’application du droit de l’Union, l’appréciation de celle-ci doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu’il est énoncé à l’article 7 de la charte des droit fondamentaux de l'Union européenne, cet article devant être lu, en corrélation avec l’obligation de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu à l’article 24, paragraphe 2, de la charte. De plus, en tant que justification d’une dérogation au droit de séjour des citoyens de l’Union ou des membres de leurs familles, les notions d’"ordre public" et de "sécurité publique" doivent être entendues strictement, de telle sorte que leur portée ne saurait être déterminée unilatéralement par les États membres sans contrôle des institutions de l’Union.

La notion d’"ordre public" suppose, en tout état de cause, l’existence, en dehors du trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société. Quant à la notion de "sécurité publique", elle couvre la sécurité intérieure d’un État membre et sa sécurité extérieure et, partant, l’atteinte au fonctionnement des institutions et des services publics essentiels ainsi que la survie de la population, de même que le risque d’une perturbation grave des relations extérieures ou de la coexistence pacifique des peuples, ou encore l’atteinte aux intérêts militaires, peuvent affecter la sécurité publique. Dans ce contexte, dès lors que le refus du droit de séjour est fondé sur l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’ordre public ou la sécurité publique, compte tenu des infractions pénales commises par un ressortissant d’un État tiers ayant la garde exclusive d’enfants, citoyens de l’Union, un tel refus serait conforme au droit de l’Union.

En revanche, cette conclusion ne saurait être tirée de manière automatique sur la seule base des antécédents pénaux de l’intéressé. Elle ne saurait découler, le cas échéant, que d’une appréciation concrète, par la juridiction nationale de l’ensemble des circonstances actuelles et pertinentes de l’espèce, à la lumière du principe de proportionnalité, de l’intérêt supérieur de l’enfant et des droits fondamentaux dont la Cour assure le respect. Cette appréciation doit ainsi notamment prendre en considération le comportement personnel de l’individu concerné, la durée et le caractère légal du séjour de l’intéressé sur le territoire de l’État membre concerné, la nature et la gravité de l’infraction commise, le degré de dangerosité actuel de l’intéressé pour la société, l’âge des enfants en cause et leur état de santé, ainsi que leur situation familiale et économique.

Arrêt du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C-165/14) (cf. points 81-88 et disp.)

25. Citoyenneté de l'Union - Dispositions du traité - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Réglementation d'un État membre imposant d'expulser du territoire de cet État, vers un État tiers, un ressortissant d'un tel État ayant fait l'objet d'une condamnation pénale, celui-ci assurant la garde effective d'un enfant en bas âge, ressortissant de cet État membre et séjournant dans ledit État depuis sa naissance sans avoir exercé son droit de libre circulation - Mesure d'expulsion dudit ressortissant d'un État tiers imposant à cet enfant de quitter le territoire de l'Union - Inadmissibilité - Limites - Adoption d'une mesure d'expulsion fondée sur le comportement personnel dudit ressortissant - Admissibilité - Conditions - Vérification incombant à la juridiction nationale

L’article 20 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre imposant d’expulser du territoire de cet État membre, vers un État tiers, un ressortissant d’un tel État qui a fait l’objet d’une condamnation pénale, alors même que celui-ci assure la garde effective d’un enfant en bas âge, ressortissant de cet État membre, dans lequel il séjourne depuis sa naissance sans avoir exercé son droit de libre circulation, lorsque l’expulsion de l’intéressé imposerait à cet enfant de quitter le territoire de l’Union européenne, le privant ainsi de la jouissance effective de l’essentiel de ses droits en tant que citoyen de l’Union. Toutefois, dans des circonstances exceptionnelles, un État membre peut adopter une mesure d’expulsion à condition que celle-ci soit fondée sur le comportement personnel de ce ressortissant d’un État tiers, lequel doit constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave portant atteinte à un intérêt fondamental de la société de cet État membre, et qu’elle repose sur une prise en compte des différents intérêts en présence, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

En effet, bien que l’article 20 TFUE n’affecte pas la possibilité pour les États membres d’invoquer une exception liée, notamment, au maintien de l’ordre public et à la sauvegarde de la sécurité publique, dans la mesure où la situation dudit ressortissant d'un État tiers relève du droit de l’Union, l’appréciation de sa situation doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu’il est énoncé à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, cet article devant être lu en corrélation avec l’obligation de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu à l’article 24, paragraphe 2, de la charte. De plus, en tant que justification d’une dérogation au droit de séjour des citoyens de l’Union ou des membres de leurs familles, les notions d’"ordre public" et de "sécurité publique" doivent être entendues strictement, de telle sorte que leur portée ne saurait être déterminée unilatéralement par les États membres sans contrôle des institutions de l’Union.

La notion d’"ordre public" suppose, en tout état de cause, l’existence, en dehors du trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société. Quant à la notion de "sécurité publique", elle couvre la sécurité intérieure d’un État membre et sa sécurité extérieure et, partant, l’atteinte au fonctionnement des institutions et des services publics essentiels ainsi que la survie de la population, de même que le risque d’une perturbation grave des relations extérieures ou de la coexistence pacifique des peuples, ou encore l’atteinte aux intérêts militaires, peuvent affecter la sécurité publique. En outre, la lutte contre la criminalité liée au trafic de stupéfiants en bande organisée ou contre le terrorisme est comprise dans la notion de "sécurité publique". Dans ce contexte, dès lors que la décision d’expulsion est fondée sur l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’ordre public ou la sécurité publique, compte tenu des infractions pénales commises par un ressortissant d’un État tiers ayant la garde exclusive d’enfants, citoyens de l’Union, une telle décision pourrait être conforme au droit de l’Union.

En revanche, cette conclusion ne saurait être tirée de manière automatique sur la seule base des antécédents pénaux de l’intéressé. Elle ne saurait découler, le cas échéant, que d’une appréciation concrète, par le juge national, de l’ensemble des circonstances actuelles et pertinentes de l’espèce, à la lumière du principe de proportionnalité, de l’intérêt supérieur de l’enfant et des droits fondamentaux dont la Cour assure le respect. Cette appréciation doit ainsi notamment prendre en considération le comportement personnel de l’individu concerné, la durée et le caractère légal du séjour de l’intéressé sur le territoire de l’État membre concerné, la nature et la gravité de l’infraction commise, le degré de dangerosité actuel de l’intéressé pour la société, l’âge de l’enfant en cause et son état de santé, ainsi que sa situation familiale et économique.

À cet égard, il incombe à la juridiction nationale d’évaluer, d’une part, le degré de dangerosité pour la société du comportement délictueux du ressortissant d'un État tiers en cause et, d’autre part, les éventuelles conséquences qu’un tel comportement pourrait avoir sur l’ordre public ou la sécurité publique de l’État membre concerné. Dans le cadre de la pondération qu’il lui incombe d’effectuer, la juridiction nationale doit également tenir compte des droits fondamentaux dont la Cour assure le respect, en particulier, le droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu’il est énoncé à l’article 7 de la charte, et veiller au respect du principe de proportionnalité. En l’occurrence, dans la mise en balance des intérêts en présence, il y a lieu de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant. Une attention particulière doit être attachée à son âge, à sa situation dans l’État membre concerné et à son degré de dépendance à l’égard du parent.

Arrêt du 13 septembre 2016, CS (C-304/14) (cf. points 36-42, 47-50 et disp.)

26. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique - Comportement représentant une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société - Notion de menace réelle et actuelle - Personne incarcérée au moment de l'adoption de la décision d'éloignement, sans perspective de libération dans un avenir proche - Inclusion

L’article 27, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, doit être interprété en ce sens que la circonstance qu’une personne est incarcérée au moment de l’adoption de la décision d’éloignement, sans perspective de libération dans un avenir proche, n’exclut pas le caractère réel et actuel de la menace que son comportement représente, le cas échéant, pour un intérêt fondamental de la société de l’État membre d’accueil.

Arrêt du 13 juillet 2017, E (C-193/16) (cf. point 27 et disp.)

27. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Attestation d'enregistrement délivrée à un citoyen de l'Union, malgré une interdiction d'accès au territoire de l'État membre - Retrait de ladite attestation et adoption d'une seconde décision d'éloignement du territoire fondée sur le seul constat de l'existence d'une mesure d'interdiction toujours en vigueur - Admissibilité, également en vertu du principe de protection de la confiance légitime

La directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, ainsi que le principe de protection de la confiance légitime ne s’opposent pas à ce qu’un État membre, d’une part, retire une attestation d’enregistrement délivrée à tort à un citoyen de l’Union européenne qui était toujours sous le coup d’une interdiction du territoire et, d’autre part, prenne à son encontre une décision d’éloignement fondée sur le seul constat que la mesure d’interdiction du territoire était toujours en vigueur.

S’agissant, tout d’abord, du retrait de l’attestation d’enregistrement, il a été jugé par la Cour que le droit des ressortissants d’un État membre d’entrer sur le territoire d’un autre État membre et d’y séjourner, aux fins voulues par le traité CE, constitue un droit directement conféré par celui-ci ou, selon le cas, par les dispositions prises pour la mise en œuvre dudit traité. Ainsi, la délivrance d’un titre de séjour à un ressortissant d’un État membre doit être considérée non comme un acte constitutif de droits, mais comme un acte destiné à constater, de la part d’un État membre, la situation individuelle d’un ressortissant d’un autre État membre au regard des dispositions du droit de l’Union (arrêt du 21 juillet 2011, Dias, C-325/09, EU:C:2011:498, point 48 et jurisprudence citée).

Par conséquent, de même que ce caractère déclaratif empêche de qualifier d’illégal, au sens du droit de l’Union, le séjour d’un citoyen en considération de la seule circonstance qu’il ne dispose pas d’une carte de séjour, il fait obstacle à ce que soit considéré comme légal, au sens du droit de l’Union, le séjour d’un citoyen de celle-ci en raison du seul fait qu’une telle carte lui a été valablement délivrée (arrêt du 21 juillet 2011, Dias, C-325/09, EU:C:2011:498, point 54).

Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 42 de ses conclusions, une telle solution s’applique a fortiori dans le cadre du traité FUE, ainsi que l’énonce d’ailleurs le considérant 11 de la directive 2004/38.

Un tel caractère déclaratif s’attache dès lors, également, à l’attestation d’enregistrement prévue à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2004/38, de sorte que la délivrance de ce document ne saurait, en soi, fonder la confiance légitime de l’intéressé dans son droit à séjourner sur le territoire de l’État membre concerné.

S’agissant des modalités d’adoption d’une décision imposant le retour dans des circonstances telles que celles au principal, il convient de rappeler que l’article 27, paragraphe 1, de la directive 2004/38 prévoit, sous réserve des dispositions de son chapitre VI, la possibilité pour les États membres de restreindre la liberté de circulation et de séjour d’un citoyen de l’Union ou d’un membre de sa famille, quelle que soit sa nationalité, pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

Quant à l’article 28, paragraphe 1, de ladite directive, celui-ci impose aux autorités compétentes de tenir compte notamment de la durée du séjour de l’intéressé sur son territoire, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle dans l’État membre d’accueil et de l’intensité de ses liens avec son pays d’origine, avant de prendre une décision d’éloignement du territoire pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique.

Ces dispositions, qui valent pour toutes les décisions d’éloignement, s’appliquent donc en particulier aux décisions d’interdiction du territoire dont l’article 32 de la directive 2004/38 fait explicitement état.

Si la directive 2004/38 ne comporte pas de dispositions spécifiques pour le cas où une personne qui fait l’objet d’une telle interdiction revient dans l’État membre concerné en violation de celle-ci, il résulte de l’ensemble des dispositions de cette directive et plus particulièrement de celles consacrées à l’éventuelle levée d’une interdiction de ce type que les autorités compétentes disposent de pouvoirs propres à en assurer le respect.

Il y a lieu de relever, à cet égard, que la directive 2004/38 prévoit les conditions dans lesquelles les autorités compétentes peuvent accorder une levée de cette interdiction en raison d’un changement de circonstances.

L’article 32, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2004/38 précise en effet que les personnes faisant l’objet d’une décision d’interdiction du territoire peuvent en demander la levée après un délai raisonnable, en fonction des circonstances, et, en tout cas, après trois ans à compter de son exécution, en apportant des éléments tendant à établir un changement matériel des circonstances qui en avaient justifié l’adoption.

L’article 32, paragraphe 2, de cette directive indique toutefois que ces personnes n’ont "aucun droit d’accès au territoire" de l’État membre concerné pendant l’examen de leur demande.

Il résulte, par conséquent, explicitement du libellé de ces dispositions que la directive 2004/38 n’empêche nullement un État membre d’adopter une décision de retour à l’égard d’une personne qui a demandé la levée de l’interdiction du territoire dont elle fait l’objet, conformément à l’article 32, paragraphe 1, de cette directive, tant que l’examen de cette demande n’a pas abouti favorablement.

Il en va nécessairement de même lorsque, comme dans l’affaire au principal, l’intéressé est revenu sur le territoire de l’État membre concerné sans avoir demandé la levée de l’interdiction de territoire qui le frappe.

S’agissant de la question de savoir si les autorités compétentes doivent de nouveau vérifier si les conditions prévues aux articles 27 et 28 de la directive 2004/38 sont remplies, il découle de la nature même d’une mesure d’interdiction du territoire que celle-ci demeure en vigueur tant qu’elle n’a pas été levée et que le seul constat de sa violation permet à ces autorités de prendre à l’encontre de l’intéressé une nouvelle décision d’éloignement.

Arrêt du 14 septembre 2017, Petrea (C-184/16) (cf. points 32-35, 39-49, disp. 1)

28. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Décision de retour d'un citoyen de l'Union - Adoption de ladite décision par les mêmes autorités et selon la même procédure qu'une décision de retour d'un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier au sens de la directive 2008/115 - Admissibilité - Condition

La directive 2004/38 et la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ne s’opposent pas à ce qu’une décision de retour d’un citoyen de l’Union européenne, telle que celle en cause au principal, soit adoptée par les mêmes autorités et selon la même procédure qu’une décision de retour d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier visée à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/115, dès lors que sont appliquées les mesures de transposition de la directive 2004/38 qui seraient plus favorables audit citoyen de l’Union.

Arrêt du 14 septembre 2017, Petrea (C-184/16) (cf. point 56, disp. 2)

29. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Ressortissant d'un État membre faisant l'objet d'une décision de retour ne pouvant pas se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre cette décision, de l'illégalité de la décision d'interdiction du territoire précédemment prise à son encontre - Violation du principe d'effectivité - Absence - Condition

Le principe d’effectivité ne s’oppose pas à une pratique jurisprudentielle selon laquelle un ressortissant d’un État membre qui fait l’objet d’une décision de retour dans des circonstances telles que celles au principal ne peut pas se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre cette décision, de l’illégalité de la décision d’interdiction du territoire précédemment prise à son encontre, pour autant que l’intéressé a disposé de manière effective de la possibilité de contester en temps utile cette dernière décision au regard des dispositions de la directive 2004/38.

À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que, en l’absence de réglementation du droit de l’Union, il appartient aux États membres de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union. Toutefois, ces modalités ne doivent pas être de nature à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (arrêts du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri, C-482/01 et C-493/01, EU:C:2004:262, point 80, ainsi que du 13 mars 2014, Global Trans Lodzhistik, C-29/13 et C-30/13, EU:C:2014:140, point 33).

Le droit de l’Union ne s’oppose nullement à ce que la loi nationale ne permette pas de se prévaloir, à l’encontre d’un acte individuel, telle une décision de retour, de l’illégalité d’une décision d’interdiction du territoire devenue définitive, soit parce que le délai de recours à l’encontre de cette dernière a expiré, soit parce que le recours formé contre elle a été rejeté.

En effet, ainsi que la Cour l’a jugé à plusieurs reprises, la fixation de délais raisonnables de recours dans l’intérêt de la sécurité juridique, qui protège à la fois le particulier et l’administration concernés, est compatible avec le droit de l’Union (arrêt du 17 novembre 2016, Stadt Wiener Neustad, C-348/15, EU:C:2016:882, point 41 et jurisprudence citée).

Toutefois, l’intéressé doit avoir disposé de manière effective de la possibilité de contester en temps utile la décision initiale d’interdiction du territoire et de se prévaloir des dispositions de la directive 2004/38.

Arrêt du 14 septembre 2017, Petrea (C-184/16) (cf. points 58-61, 65, disp. 3)

30. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Décision de restriction de la liberté de circulation et de séjour d'un citoyen de l'Union - Notification - Obligation de notifier la décision dans une langue comprise par l'intéressé en l'absence de demande de sa part - Absence

L’article 30 de la directive 2004/38 impose aux États membres de prendre toute mesure utile pour que l’intéressé comprenne le contenu et les effets d’une décision adoptée en vertu de l’article 27, paragraphe 1, de cette directive mais n’exige pas que cette décision lui soit notifiée dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend, alors qu’il n’a pas introduit de demande en ce sens.

Il importe, tout d’abord, de relever qu’une telle exigence ne découle pas du libellé de l’article 30, paragraphe 1, de ladite directive, qui prévoit, plus généralement, que toute décision prise en application de l’article 27, paragraphe 1, de cette même directive est notifiée par écrit à l’intéressé "dans des conditions lui permettant d’en saisir le contenu et les effets".

Ensuite, il résulte des travaux préparatoires de la directive 2004/38, en particulier de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres [COM(2001) 257 final], que l’article 30, paragraphe 1, de la directive 2004/38 n’implique pas que la décision d’éloignement soit traduite dans la langue de l’intéressé mais impose en revanche aux États membres de prendre toute mesure utile pour que celui-ci comprenne le contenu et les effets de cette décision, conformément à ce que la Cour avait jugé dans l’arrêt du 18 mai 1982, Adoui et Cornuaille (115/81 et 116/81, EU:C:1982:183, point 13).

Il importe, enfin, de constater que, s’agissant des décisions de retour adoptées à l’encontre des ressortissants de pays tiers, l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2008/115 prévoit que les États membres fournissent, sur demande, une traduction écrite ou orale des principaux éléments des décisions liées au retour, y compris des informations concernant les voies de recours disponibles, dans une langue que le ressortissant d’un pays tiers comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend.

Arrêt du 14 septembre 2017, Petrea (C-184/16) (cf. points 69-72, disp. 4)

31. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Protection contre l'éloignement - Condition - Séjour pendant les dix années précédant la décision d'éloignement - Condition d'application - Intéressé disposant d'un droit de séjour permanent

L’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, doit être interprété en ce sens que le bénéfice de la protection contre l’éloignement du territoire prévue à ladite disposition est subordonné à la condition que l’intéressé dispose d’un droit de séjour permanent au sens de l’article 16 et de l’article 28, paragraphe 2, de cette directive.

Arrêt du 17 avril 2018, B (C-316/16 et C-424/16) (cf. point 61, disp. 1)

L’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas au citoyen de l’Union européenne qui ne dispose pas d’un droit de séjour permanent dans l’État membre d’accueil, au sens de l’article 16 et de l’article 28, paragraphe 2, de cette directive.

Arrêt du 2 mai 2018, K. (Droit de séjour et allégations de crimes de guerre) (C-331/16 et C-366/16) (cf. point 77, disp. 2)

32. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Protection contre l'éloignement - Condition - Interruption de la continuité du séjour dans l'État membre d'accueil par une période d'emprisonnement - Période de séjour continue de dix années précédant la période d'emprisonnement - Appréciation globale des liens d'intégration avec l'État membre

L’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38 doit être interprété en ce sens que, dans le cas d’un citoyen de l'Union qui purge une peine privative de liberté et à l’encontre duquel une décision d’éloignement est adoptée, la condition d’avoir "séjourné dans l’État membre d’accueil pendant les dix années précédentes", énoncée à cette disposition, peut être satisfaite pour autant qu’une appréciation globale de la situation de l’intéressé tenant compte de la totalité des aspects pertinents amène à considérer que, nonobstant ladite détention, les liens d’intégration unissant l’intéressé à l’État membre d’accueil n’ont pas été rompus. Parmi ces aspects figurent, notamment, la force des liens d’intégration tissés avec l’État membre d’accueil avant la mise en détention de l’intéressé, la nature de l’infraction ayant justifié la période de détention encourue et les circonstances dans lesquelles elle a été commise ainsi que la conduite de l’intéressé durant la période de détention.

Arrêt du 17 avril 2018, B (C-316/16 et C-424/16) (cf. point 83, disp. 2)

33. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Protection contre l'éloignement - Condition - Séjour pendant les dix années précédant la décision d'éloignement - Moment de l'appréciation - Date d'adoption de la décision d'éloignement

L’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38 doit être interprété en ce sens que la question de savoir si une personne satisfait à la condition d’avoir "séjourné dans l’État membre d’accueil pendant les dix années précédentes", au sens de ladite disposition, doit être appréciée à la date à laquelle la décision d’éloignement initiale est adoptée.

Arrêt du 17 avril 2018, B (C-316/16 et C-424/16) (cf. point 95, disp. 3)

34. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique - Ordre public - Notion

Ainsi, la notion d’«ordre public», figurant aux articles 27 et 28 de la directive 2004/38, a été interprétée par la jurisprudence de la Cour en ce sens que le recours à cette notion suppose, en tout état de cause, l’existence, en dehors du trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société (arrêt du 24 juin 2015, H. T., C-373/13, EU:C:2015:413, point 79 et jurisprudence citée).

Arrêt du 2 mai 2018, K. (Droit de séjour et allégations de crimes de guerre) (C-331/16 et C-366/16) (cf. point 41)

35. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique - Sécurité publique - Notion

Quant à la notion de «sécurité publique», il ressort de la jurisprudence de la Cour que cette notion couvre à la fois la sécurité intérieure d’un État membre et sa sécurité extérieure (arrêt du 23 novembre 2010, Tsakouridis, C-145/09, EU:C:2010:708, point 43). La sécurité intérieure peut être affectée, notamment, par une menace directe pour la tranquillité et la sécurité physique de la population de l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêt du 22 mai 2012, I, C-348/09, EU:C:2012:300, point 28). Quant à la sécurité extérieure, celle-ci est susceptible d’être affectée, notamment, par le risque d’une perturbation grave des relations extérieures de cet État membre ou de la coexistence pacifique des peuples (voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2010, Tsakouridis, C-145/09, EU:C:2010:708, point 44).

Arrêt du 2 mai 2018, K. (Droit de séjour et allégations de crimes de guerre) (C-331/16 et C-366/16) (cf. point 42)

36. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique - Mesures d'ordre public ou de sécurité publique - Restriction nationale apportée aux libertés de circulation et de séjour d'une personne ayant fait l'objet d'une décision d'exclusion du statut de réfugié au titre de l'article 1er, section F, de la convention relative au statut des réfugiés ou de l'article 12, paragraphe 2, de la directive 2011/95 - Admissibilité

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 2 mai 2018, K. (Droit de séjour et allégations de crimes de guerre) (C-331/16 et C-366/16) (cf. point 47)

37. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique - Comportement représentant une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société - Personne ayant fait l'objet, dans le passé, d'une décision d'exclusion du statut de réfugié au titre de l'article 1er, section F, de la convention relative au statut des réfugiés ou de l'article 12, paragraphe 2, de la directive 2011/95 - Circonstance non déterminante - Obligation de procéder à une appréciation du comportement personnel de l'individu concerné

L’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, doit être interprété en ce sens que le fait qu’un citoyen de l’Union européenne ou un ressortissant d’un pays tiers, membre de la famille d’un tel citoyen, qui sollicite l’octroi d’un droit de séjour sur le territoire d’un État membre, a fait l’objet, dans le passé, d’une décision d’exclusion du statut de réfugié au titre de l’article 1er, section F, de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967, ou de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ne permet pas aux autorités compétentes de cet État membre de considérer automatiquement que sa simple présence sur ce territoire constitue, indépendamment de l’existence ou non d’un risque de récidive, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, susceptible de justifier l’adoption de mesures d’ordre public ou de sécurité publique.

La constatation de l’existence d’une telle menace doit être fondée sur une appréciation, par les autorités compétentes de l’État membre d’accueil, du comportement personnel de l’individu concerné, prenant en considération les constatations de la décision d’exclusion du statut de réfugié et les éléments sur lesquels celle-ci est fondée, tout particulièrement la nature et la gravité des crimes ou des agissements qui lui sont reprochés, le niveau de son implication individuelle dans ceux-ci, l’existence éventuelle de motifs d’exonération de sa responsabilité pénale ainsi que l’existence ou non d’une condamnation pénale. Cette appréciation globale doit également tenir compte du laps de temps qui s’est écoulé depuis la commission présumée de ces crimes ou agissements ainsi que du comportement ultérieur dudit individu, notamment du point de savoir si ce comportement manifeste la persistance, chez celui-ci, d’une attitude attentatoire aux valeurs fondamentales visées aux articles 2 et 3 TUE, d’une manière qui pourrait perturber la tranquillité et la sécurité physique de la population. Le seul fait que le comportement passé de cet individu s’insère dans le contexte historique et social spécifique de son pays d’origine, non susceptible de se reproduire dans l’État membre d’accueil, ne fait pas obstacle à une telle constatation.

Conformément au principe de proportionnalité, les autorités compétentes de l’État membre d’accueil doivent, par ailleurs, mettre en balance, d’une part, la protection de l’intérêt fondamental de la société en cause et, d’autre part, les intérêts de la personne concernée, relatifs à l’exercice de sa liberté de circulation et de séjour en tant que citoyen de l’Union ainsi qu’à son droit au respect de la vie privée et familiale.

Arrêt du 2 mai 2018, K. (Droit de séjour et allégations de crimes de guerre) (C-331/16 et C-366/16) (cf. points 65-67, disp. 1)

38. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Protection contre l'éloignement - Circonstances à prendre en compte avant la prise de décision d'éloignement

L’article 28, paragraphe 1, de la directive 2004/38 doit être interprété en ce sens que, lorsque les mesures envisagées impliquent l’éloignement de l’individu concerné de l’État membre d’accueil, ce dernier doit prendre en compte la nature et la gravité du comportement de cet individu, la durée et, le cas échéant, le caractère légal de son séjour dans cet État membre, la période qui s’est écoulée depuis le comportement qui lui est reproché, sa conduite pendant cette période, le degré de sa dangerosité actuelle pour la société, ainsi que la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec ledit État membre.

Arrêt du 2 mai 2018, K. (Droit de séjour et allégations de crimes de guerre) (C-331/16 et C-366/16) (cf. point 76, disp. 2)

39. Citoyenneté de l'Union - Dispositions du traité - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Citoyen de l'Union n'ayant jamais exercé son droit de libre circulation - Droit de séjour dérivé des membres de sa famille, ressortissants d'un pays tiers - Ressortissant faisant l'objet d'une décision de retour, assortie d'une interdiction d'entrée, et ayant introduit une demande de séjour aux fins d'un regroupement familial - Conditions d'octroi - Existence d'une relation de dépendance pouvant contraindre ledit citoyen à quitter le territoire de l'Union en cas de refus du droit de séjour - Motifs de l'interdiction d'entrée - Absence d'incidence sur le droit de séjour - Limite - Appréciation concrète d'une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l'ordre public

L’article 20 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il est indifférent que la décision d’interdiction d’entrée dont fait l’objet le ressortissant d’un pays tiers ayant introduit une demande de séjour aux fins d’un regroupement familial soit justifiée par le non-respect d’une obligation de retour ; lorsque des raisons d’ordre public ont justifié une telle décision, ces dernières ne peuvent conduire au refus d’octroi à ce ressortissant d’un pays tiers d’un droit de séjour dérivé au titre de cet article que s’il ressort d’une appréciation concrète de l’ensemble des circonstances de l’espèce, à la lumière du principe de proportionnalité, de l’intérêt supérieur du ou des éventuels enfants concernés et des droits fondamentaux, que l’intéressé représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’ordre public.

En ce qui concerne, premièrement, le non-respect de l’obligation de retour, il convient de relever qu’il est indifférent que l’interdiction d’entrée sur le territoire ait été adoptée pour un tel motif. En effet, pour les raisons exposées aux points 53 à 62 ainsi qu’aux points 79 et 80 du présent arrêt, un État membre ne peut refuser de prendre en considération une demande de séjour aux fins d’un regroupement familial, introduite sur son territoire par un ressortissant d’un pays tiers, au seul motif que, n’ayant pas respecté son obligation de retour, ce ressortissant séjourne irrégulièrement sur ledit territoire, sans avoir au préalable examiné s’il n’existe pas entre ce ressortissant d’un pays tiers et le citoyen de l’Union, membre de sa famille, une relation de dépendance telle qu’elle impose de reconnaître audit ressortissant un droit de séjour dérivé au titre de l’article 20 TFUE. En outre, il y a lieu de rappeler, d’une part, que le droit de séjour dans l’État membre d’accueil, reconnu par l’article 20 TFUE au ressortissant d’un pays tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union, découle directement de cet article et ne suppose pas que le ressortissant d’un pays tiers dispose déjà d’un autre titre de séjour sur le territoire de l’État membre concerné et, d’autre part, que, le bénéfice de ce droit de séjour devant être reconnu audit ressortissant d’un pays tiers dès la naissance de la relation de dépendance entre ce dernier et le citoyen de l’Union, ce ressortissant ne peut plus être considéré, dès ce moment et tant que dure cette relation de dépendance, comme en séjour irrégulier sur le territoire de l’État membre concerné, au sens de l’article 3, point 2, de la directive 2008/115.

En ce qui concerne, deuxièmement, la circonstance que l’interdiction d’entrée sur le territoire découle de raisons d’ordre public, la Cour a déjà jugé que l’article 20 TFUE n’affecte pas la possibilité pour les États membres d’invoquer une exception liée, notamment, au maintien de l’ordre public et à la sauvegarde de la sécurité publique. En revanche, cette conclusion ne saurait être tirée de manière automatique sur la seule base des antécédents pénaux de l’intéressé. Cette appréciation doit ainsi notamment prendre en considération le comportement personnel de l’individu concerné, la durée et le caractère légal du séjour de l’intéressé sur le territoire de l’État membre concerné, la nature et la gravité de l’infraction commise, le degré de dangerosité actuel de l’intéressé pour la société, l’âge des enfants éventuellement en cause et leur état de santé, ainsi que leur situation familiale et économique (arrêts du 13 septembre 2016, Rendón Marín, C-165/14, EU:C:2016:675, point 86, et du 13 septembre 2016, CS, C-304/14, EU:C:2016:674, point 42).

Arrêt du 8 mai 2018, K.A. e.a. (Regroupement familial en Belgique) (C-82/16) (cf. points 87-90, 93, 94, 97, disp. 2)

40. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique - Garanties procédurales - Application par analogie des garanties procédurales applicables en cas de limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique - Portée

Dans l’arrêt Chenchooliah (C-94/18), rendu le 10 septembre 2019, la Cour, réunie en grande chambre, a été amenée à interpréter l’article 15 de la directive 2004/38{1}, qui prévoit notamment que certaines procédures prévues au chapitre VI de ladite directive, intitulé « Limitation du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique »{2}, s’appliquent par analogie à toute décision limitant la libre circulation d’un citoyen de l’Union européenne ou des membres de sa famille prise pour des raisons autres que des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. La Cour a jugé que cet article s’applique à une décision d’éloignement prise à l’égard d’un ressortissant d’un État tiers au motif que celui-ci ne dispose plus d’un droit de séjour au titre de cette directive, dans une situation dans laquelle ce ressortissant s’est marié à un citoyen de l’Union à un moment où ce dernier faisait usage de sa liberté de circulation en se rendant et en séjournant avec ledit ressortissant dans l’État membre d’accueil, ce citoyen étant, par la suite, retourné dans l’État membre dont il possède la nationalité. La Cour a ajouté que cela implique que certaines garanties prescrites par la directive dans le cadre de décisions limitant la libre circulation d’un citoyen de l’Union ou des membres de sa famille prises pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique{3} s’imposent lors de l’adoption d’une décision d’éloignement, telle que celle en cause au principal, décision qui ne peut en aucun cas être assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire.

Cet arrêt s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant une ressortissante mauricienne, résidant en Irlande, au Minister for Justice and Equality (ministre de la Justice et de l’Égalité), au sujet d’une décision d’expulsion prise à son égard, en vertu de l’article 3 de la loi irlandaise de 1999 relative à l’immigration, à la suite du retour de son conjoint, citoyen de l’Union, dans l’État membre dont il possède la nationalité, à savoir le Portugal, où il purge une peine d’emprisonnement. La décision d’expulsion était, en vertu du droit national, d’office assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire à durée indéterminée.

La Cour a, tout d’abord, constaté que, dans une situation dans laquelle un citoyen de l’Union est retourné dans l’État membre dont il possède la nationalité et n’exerce donc plus, dans l’État membre d’accueil, son droit de libre circulation au titre du droit de l’Union, le ressortissant d’un État tiers conjoint dudit citoyen de l’Union ne dispose plus de la qualité de « bénéficiaire », au sens de cette directive{4}, lorsqu’il reste dans l’État membre d’accueil et ne séjourne plus avec son conjoint.

Ensuite, la Cour a dit pour droit que, même si la perte de cette qualité a comme conséquence que le ressortissant d’un pays tiers concerné ne bénéficie plus des droits de circulation et de séjour sur le territoire de l’État membre d’accueil dont il était titulaire pendant un certain temps, dès lors qu’il ne remplit plus les conditions auxquelles ces droits sont assujettis, cette perte n’implique cependant pas que la directive 2004/38 ne s’applique plus à la prise d’une décision d’éloignement de ce ressortissant par l’État membre d’accueil, pour un tel motif. En effet, l’article 15 de la directive 2004/38{5}, qui figure au chapitre III de celle-ci, intitulé « Droit de séjour », prévoit le régime qui est applicable lorsqu’un droit de séjour temporaire au titre de cette directive prend fin, en particulier lorsqu’un citoyen de l’Union ou un membre de sa famille qui, par le passé, a bénéficié d’un droit de séjour jusqu’à trois mois ou de plus de trois mois ne remplit plus les conditions du droit de séjour en cause et peut donc, en principe, être éloigné par l’État membre d’accueil.

En outre, la Cour a relevé que l’article 15 de la directive 2004/38 ne se réfère qu’à l’application par analogie de certaines dispositions du chapitre VI de celle-ci, relatives en particulier à la notification des décisions ainsi qu’à l’accès à des voies de recours juridictionnelles{6}. En revanche, d’autres dispositions dudit chapitre{7} ne trouvent pas à s’appliquer dans le cadre de l’adoption d’une décision au titre de l’article 15 de ladite directive. En effet, ces autres dispositions ne s’appliquent que si la personne concernée tire actuellement de cette directive un droit de séjour dans l’État membre d’accueil qui est soit temporaire, soit permanent.

Enfin, la Cour a ajouté que, conformément à l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2004/38, la décision d’éloignement pouvant être prise dans l’affaire au principal ne peut en aucun cas être assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire{8}.

{1 Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, et rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, et JO 2005, L 197, p. 34).}

{2 À savoir les procédures prévues aux articles 30 et 31.}

{3 À savoir, les garanties pertinentes prescrites aux articles 30 et 31.}

{4 Article 3, paragraphe 1.}

{5 Article 15.}

{6 Articles 30 et 31.}

{7 Articles 27 et 28.}

{8 Article 15, paragraphe 3.}

Arrêt du 10 septembre 2019, Chenchooliah (C-94/18) (cf. voir points 80-87)

41. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public - Citoyen de l'Union mineur résidant depuis sa naissance dans l'État membre d'accueil et parent ressortissant d'un État tiers ayant la garde dudit mineur - Ressources constituées de revenus provenant d'un emploi exercé, par le père dudit citoyen, sans titre de séjour ni permis de travail - Réglementation nationale restreignant le droit de séjour dudit citoyen de l'Union au motif de l'origine illégale des ressources fournies - Inadmissibilité

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 2 octobre 2019, Bajratari (C-93/18) (cf. points 49-52)

42. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Décision d'éloignement - Dispositions nationales applicables dans le cadre de l'exécution d'une telle décision - Application de dispositions identiques ou similaires à celles applicables aux ressortissants de pays tiers et visant à transposer dans le droit national la directive 2008/115 - Admissibilité - Condition

La Cour constitutionnelle (Belgique) a été saisie de deux recours en annulation de la loi du 24 février de 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers afin de renforcer la protection de l’ordre public et de la sécurité nationale{1}, introduits, le premier, par l’Ordre des barreaux francophones et germanophone et, le second, par quatre associations sans but lucratif actives dans les domaines de la défense des droits des migrants et de la protection des droits de l’homme.

Cette réglementation nationale prévoit, d’une part, la possibilité d’imposer aux citoyens de l’Union et aux membres de leurs familles, pendant le délai qui leur est imparti pour quitter le territoire belge à la suite de l’adoption d’une décision d’éloignement prise à leur égard pour des raisons d’ordre public ou pendant la prolongation de ce délai, des mesures préventives visant à éviter tout risque de fuite, telles qu’une assignation à résidence. D’autre part, elle permet de placer en rétention, pour une période maximale de huit mois, les citoyens de l’Union et les membres de leurs familles qui ne se sont pas conformés à une telle décision d’éloignement, en vue de garantir son exécution. Ces dispositions sont similaires ou identiques à celles, applicables aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, visant à transposer dans le droit belge la directive retour{2}.

Dans ces conditions, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur la conformité de cette réglementation belge à la liberté de circulation qui est garantie aux citoyens de l’Union et aux membres de leurs familles par les articles 20 et 21 TFUE ainsi que par la directive séjour{3}.

Appréciation de la Cour

La Cour, réunie en grande chambre, constate, à titre liminaire, que, en l’absence de réglementation du droit de l’Union concernant l’exécution d’une décision d’éloignement des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles, le seul fait pour l’État membre d’accueil de prévoir des règles dans le cadre de cette exécution en s’inspirant de celles applicables au retour des ressortissants de pays tiers n’est pas, en soi, contraire au droit de l’Union. Cependant, de telles règles doivent être conformes au droit de l’Union, notamment en matière de liberté de circulation et de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles. La Cour vérifie ensuite si ces règles constituent des restrictions à cette liberté et, dans l’affirmative, si lesdites règles sont justifiées.

Ainsi, la Cour considère, en premier lieu, que les dispositions nationales concernées, en ce qu’elles limitent les mouvements de l’intéressé, constituent des restrictions à la liberté de circulation et de séjour.

En second lieu, en ce qui concerne l’existence de justifications à de telles restrictions, la Cour rappelle tout d’abord que les mesures en cause visent l’exécution de décisions d’éloignement adoptées pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique et doivent donc être appréciées au regard des exigences prévues à l’article 27 de la directive séjour{4}.

D’une part, s’agissant des mesures préventives visant à éviter le risque de fuite, la Cour juge que les articles 20 et 21 TFUE ainsi que la directive séjour ne s’opposent pas à l’application aux citoyens de l’Union et aux membres de leurs familles, pendant le délai qui leur est imparti pour quitter le territoire de l’État membre d’accueil à la suite de l’adoption d’une telle décision d’éloignement, de dispositions qui sont similaires à celles qui, en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers, visent à transposer dans le droit national la directive retour{5}, à condition que les premières dispositions respectent les principes généraux concernant la limitation du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique prévus à la directive séjour{6} et qu’elles ne soient pas moins favorables que les secondes.

En effet, de telles mesures préventives contribuent nécessairement à la protection de l’ordre public, dans la mesure où elles ont pour but d’assurer qu’une personne représentant une menace pour l’ordre public de l’État membre d’accueil soit éloignée du territoire de celui-ci. Ces mesures doivent donc être considérées comme limitant la liberté de circulation et de séjour de celui-ci « pour des raisons d’ordre public », au sens de la directive séjour{7}, de telle sorte qu’elles sont susceptibles, en principe, d’être justifiées au titre de cette directive.

Par ailleurs, ces mesures ne sauraient être considérées comme contraires à la directive séjour au seul motif que celles-ci sont similaires aux mesures qui visent à transposer dans le droit national la directive retour. Cela étant, la Cour souligne que les bénéficiaires de la directive séjour jouissent d’un statut et de droits d’une nature tout autre que ceux dont peuvent se prévaloir les bénéficiaires de la directive retour. Dès lors, eu égard au statut fondamental dont bénéficient les citoyens de l’Union, les mesures qui peuvent leur être imposées en vue d’éviter un risque de fuite ne sauraient être moins favorables que les mesures prévues dans le droit national afin d’éviter un tel risque, pendant le délai de départ volontaire, des ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une procédure de retour pour des raisons d’ordre public.

D’autre part, s’agissant de la rétention à des fins d’éloignement, la Cour juge que les articles 20 et 21 TFUE ainsi que la directive séjour s’opposent à une réglementation nationale qui applique aux citoyens de l’Union et aux membres de leurs familles, qui, après l’expiration du délai imparti ou de la prolongation de ce délai, ne se sont pas conformés à une décision d’éloignement prise à leur égard pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique, une mesure de rétention d’une durée maximale de huit mois, cette durée étant identique à celle applicable, dans le droit national, aux ressortissants de pays tiers ne s’étant pas conformés à une décision de retour prise pour de telles raisons, au titre de la directive retour{8}.

À cet égard, la Cour indique que la durée de la rétention prévue par la disposition nationale concernée, qui est identique à celle applicable à l’éloignement des ressortissants de pays tiers, doit être proportionnée à l’objectif poursuivi, consistant à assurer une politique efficace d’éloignement des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles. Or, s’agissant spécifiquement de la durée de la procédure d’éloignement, les citoyens de l’Union et les membres de leurs familles ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des ressortissants de pays tiers, de telle sorte qu’il n’est pas justifié d’accorder un traitement identique à l’ensemble de ces personnes en ce qui concerne la durée maximale de rétention.

En particulier, les États membres disposent de mécanismes de coopération et de facilités dans le cadre de l’éloignement des citoyens de l’Union ou des membres de leurs familles vers un autre État membre dont ils ne disposent pas nécessairement dans le cadre de l’éloignement d’un ressortissant de pays tiers vers un pays tiers. En effet, les relations entre les États membres étant fondées sur l’obligation de coopération loyale et le principe de confiance mutuelle, elles ne devraient pas donner lieu à des difficultés d’une nature identique à celles qui peuvent se présenter dans le cas de la coopération entre les États membres et les pays tiers. En outre, les difficultés pratiques relatives à l’organisation du trajet de retour ne devraient généralement pas être les mêmes pour ces deux catégories de personnes. Enfin, le retour du citoyen de l’Union sur le territoire de son État membre d’origine est rendu plus aisé par la directive séjour{9}.

Selon la Cour, il s’ensuit qu’une durée de rétention maximale de huit mois à des fins d’éloignement pour les citoyens de l’Union et les membres de leurs familles va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

{1} Moniteur belge du 19 avril 2017, p. 51890.

{2} Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98, ci-après la « directive retour »).

{3} Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, ainsi que rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, et JO 2005, L 197, p. 34, ci-après la « directive séjour »).

{4} Conformément au paragraphe 2 de cet article, les mesures restrictives d’ordre public ou de sécurité publique doivent respecter le principe de proportionnalité et être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu concerné.

{5} Article 7, paragraphe 3, de la directive retour. Selon cette disposition, « [c]ertaines obligations visant à éviter le risque de fuite, comme les obligations de se présenter régulièrement aux autorités, de déposer une garantie financière adéquate, de remettre des documents ou de demeurer en un lieu déterminé, peuvent être imposées pendant le délai de départ volontaire ».

{6} Article 27 de la directive séjour.

{7} Article 27, paragraphe 1, de la directive séjour.

{8} Article 6, paragraphe 1, de la directive retour.

{9} En effet, en vertu de l’article 27, paragraphe 4, l’État membre qui a délivré le passeport ou la carte d’identité doit permettre au titulaire d’un tel document qui a été éloigné d’un autre État membre d’entrer sur son territoire sans aucune formalité.

Arrêt du 22 juin 2021, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (Mesures préventives en vue d’éloignement) (C-718/19) (cf. point 39)

43. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Décision d'éloignement - Dispositions nationales visant à éviter le risque de fuite pendant le délai imparti pour quitter le territoire de l'État membre d'accueil - Application de dispositions identiques ou similaires à celles applicables aux ressortissants de pays tiers et visant à transposer dans le droit national la directive 2008/115 - Admissibilité - Conditions

La Cour constitutionnelle (Belgique) a été saisie de deux recours en annulation de la loi du 24 février de 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers afin de renforcer la protection de l’ordre public et de la sécurité nationale{1}, introduits, le premier, par l’Ordre des barreaux francophones et germanophone et, le second, par quatre associations sans but lucratif actives dans les domaines de la défense des droits des migrants et de la protection des droits de l’homme.

Cette réglementation nationale prévoit, d’une part, la possibilité d’imposer aux citoyens de l’Union et aux membres de leurs familles, pendant le délai qui leur est imparti pour quitter le territoire belge à la suite de l’adoption d’une décision d’éloignement prise à leur égard pour des raisons d’ordre public ou pendant la prolongation de ce délai, des mesures préventives visant à éviter tout risque de fuite, telles qu’une assignation à résidence. D’autre part, elle permet de placer en rétention, pour une période maximale de huit mois, les citoyens de l’Union et les membres de leurs familles qui ne se sont pas conformés à une telle décision d’éloignement, en vue de garantir son exécution. Ces dispositions sont similaires ou identiques à celles, applicables aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, visant à transposer dans le droit belge la directive retour{2}.

Dans ces conditions, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur la conformité de cette réglementation belge à la liberté de circulation qui est garantie aux citoyens de l’Union et aux membres de leurs familles par les articles 20 et 21 TFUE ainsi que par la directive séjour{3}.

Appréciation de la Cour

La Cour, réunie en grande chambre, constate, à titre liminaire, que, en l’absence de réglementation du droit de l’Union concernant l’exécution d’une décision d’éloignement des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles, le seul fait pour l’État membre d’accueil de prévoir des règles dans le cadre de cette exécution en s’inspirant de celles applicables au retour des ressortissants de pays tiers n’est pas, en soi, contraire au droit de l’Union. Cependant, de telles règles doivent être conformes au droit de l’Union, notamment en matière de liberté de circulation et de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles. La Cour vérifie ensuite si ces règles constituent des restrictions à cette liberté et, dans l’affirmative, si lesdites règles sont justifiées.

Ainsi, la Cour considère, en premier lieu, que les dispositions nationales concernées, en ce qu’elles limitent les mouvements de l’intéressé, constituent des restrictions à la liberté de circulation et de séjour.

En second lieu, en ce qui concerne l’existence de justifications à de telles restrictions, la Cour rappelle tout d’abord que les mesures en cause visent l’exécution de décisions d’éloignement adoptées pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique et doivent donc être appréciées au regard des exigences prévues à l’article 27 de la directive séjour{4}.

D’une part, s’agissant des mesures préventives visant à éviter le risque de fuite, la Cour juge que les articles 20 et 21 TFUE ainsi que la directive séjour ne s’opposent pas à l’application aux citoyens de l’Union et aux membres de leurs familles, pendant le délai qui leur est imparti pour quitter le territoire de l’État membre d’accueil à la suite de l’adoption d’une telle décision d’éloignement, de dispositions qui sont similaires à celles qui, en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers, visent à transposer dans le droit national la directive retour{5}, à condition que les premières dispositions respectent les principes généraux concernant la limitation du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique prévus à la directive séjour{6} et qu’elles ne soient pas moins favorables que les secondes.

En effet, de telles mesures préventives contribuent nécessairement à la protection de l’ordre public, dans la mesure où elles ont pour but d’assurer qu’une personne représentant une menace pour l’ordre public de l’État membre d’accueil soit éloignée du territoire de celui-ci. Ces mesures doivent donc être considérées comme limitant la liberté de circulation et de séjour de celui-ci « pour des raisons d’ordre public », au sens de la directive séjour{7}, de telle sorte qu’elles sont susceptibles, en principe, d’être justifiées au titre de cette directive.

Par ailleurs, ces mesures ne sauraient être considérées comme contraires à la directive séjour au seul motif que celles-ci sont similaires aux mesures qui visent à transposer dans le droit national la directive retour. Cela étant, la Cour souligne que les bénéficiaires de la directive séjour jouissent d’un statut et de droits d’une nature tout autre que ceux dont peuvent se prévaloir les bénéficiaires de la directive retour. Dès lors, eu égard au statut fondamental dont bénéficient les citoyens de l’Union, les mesures qui peuvent leur être imposées en vue d’éviter un risque de fuite ne sauraient être moins favorables que les mesures prévues dans le droit national afin d’éviter un tel risque, pendant le délai de départ volontaire, des ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une procédure de retour pour des raisons d’ordre public.

D’autre part, s’agissant de la rétention à des fins d’éloignement, la Cour juge que les articles 20 et 21 TFUE ainsi que la directive séjour s’opposent à une réglementation nationale qui applique aux citoyens de l’Union et aux membres de leurs familles, qui, après l’expiration du délai imparti ou de la prolongation de ce délai, ne se sont pas conformés à une décision d’éloignement prise à leur égard pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique, une mesure de rétention d’une durée maximale de huit mois, cette durée étant identique à celle applicable, dans le droit national, aux ressortissants de pays tiers ne s’étant pas conformés à une décision de retour prise pour de telles raisons, au titre de la directive retour{8}.

À cet égard, la Cour indique que la durée de la rétention prévue par la disposition nationale concernée, qui est identique à celle applicable à l’éloignement des ressortissants de pays tiers, doit être proportionnée à l’objectif poursuivi, consistant à assurer une politique efficace d’éloignement des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles. Or, s’agissant spécifiquement de la durée de la procédure d’éloignement, les citoyens de l’Union et les membres de leurs familles ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des ressortissants de pays tiers, de telle sorte qu’il n’est pas justifié d’accorder un traitement identique à l’ensemble de ces personnes en ce qui concerne la durée maximale de rétention.

En particulier, les États membres disposent de mécanismes de coopération et de facilités dans le cadre de l’éloignement des citoyens de l’Union ou des membres de leurs familles vers un autre État membre dont ils ne disposent pas nécessairement dans le cadre de l’éloignement d’un ressortissant de pays tiers vers un pays tiers. En effet, les relations entre les États membres étant fondées sur l’obligation de coopération loyale et le principe de confiance mutuelle, elles ne devraient pas donner lieu à des difficultés d’une nature identique à celles qui peuvent se présenter dans le cas de la coopération entre les États membres et les pays tiers. En outre, les difficultés pratiques relatives à l’organisation du trajet de retour ne devraient généralement pas être les mêmes pour ces deux catégories de personnes. Enfin, le retour du citoyen de l’Union sur le territoire de son État membre d’origine est rendu plus aisé par la directive séjour{9}.

Selon la Cour, il s’ensuit qu’une durée de rétention maximale de huit mois à des fins d’éloignement pour les citoyens de l’Union et les membres de leurs familles va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

{1} Moniteur belge du 19 avril 2017, p. 51890.

{2} Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98, ci-après la « directive retour »).

{3} Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, ainsi que rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, et JO 2005, L 197, p. 34, ci-après la « directive séjour »).

{4} Conformément au paragraphe 2 de cet article, les mesures restrictives d’ordre public ou de sécurité publique doivent respecter le principe de proportionnalité et être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu concerné.

{5} Article 7, paragraphe 3, de la directive retour. Selon cette disposition, « [c]ertaines obligations visant à éviter le risque de fuite, comme les obligations de se présenter régulièrement aux autorités, de déposer une garantie financière adéquate, de remettre des documents ou de demeurer en un lieu déterminé, peuvent être imposées pendant le délai de départ volontaire ».

{6} Article 27 de la directive séjour.

{7} Article 27, paragraphe 1, de la directive séjour.

{8} Article 6, paragraphe 1, de la directive retour.

{9} En effet, en vertu de l’article 27, paragraphe 4, l’État membre qui a délivré le passeport ou la carte d’identité doit permettre au titulaire d’un tel document qui a été éloigné d’un autre État membre d’entrer sur son territoire sans aucune formalité.

Arrêt du 22 juin 2021, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (Mesures préventives en vue d’éloignement) (C-718/19) (cf. points 48-53, 57, 73 et disp.)

44. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique - Décision d'éloignement - Mesure de rétention d'une durée maximale de huit mois imposée après l'expiration du délai imparti en cas de non-respect de cette décision - Application de dispositions identiques ou similaires à celles applicables aux ressortissants de pays tiers et visant à transposer dans le droit national la directive 2008/115 - Inadmissibilité - Respect du principe de proportionnalité - Absence

La Cour constitutionnelle (Belgique) a été saisie de deux recours en annulation de la loi du 24 février de 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers afin de renforcer la protection de l’ordre public et de la sécurité nationale{1}, introduits, le premier, par l’Ordre des barreaux francophones et germanophone et, le second, par quatre associations sans but lucratif actives dans les domaines de la défense des droits des migrants et de la protection des droits de l’homme.

Cette réglementation nationale prévoit, d’une part, la possibilité d’imposer aux citoyens de l’Union et aux membres de leurs familles, pendant le délai qui leur est imparti pour quitter le territoire belge à la suite de l’adoption d’une décision d’éloignement prise à leur égard pour des raisons d’ordre public ou pendant la prolongation de ce délai, des mesures préventives visant à éviter tout risque de fuite, telles qu’une assignation à résidence. D’autre part, elle permet de placer en rétention, pour une période maximale de huit mois, les citoyens de l’Union et les membres de leurs familles qui ne se sont pas conformés à une telle décision d’éloignement, en vue de garantir son exécution. Ces dispositions sont similaires ou identiques à celles, applicables aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, visant à transposer dans le droit belge la directive retour{2}.

Dans ces conditions, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur la conformité de cette réglementation belge à la liberté de circulation qui est garantie aux citoyens de l’Union et aux membres de leurs familles par les articles 20 et 21 TFUE ainsi que par la directive séjour{3}.

Appréciation de la Cour

La Cour, réunie en grande chambre, constate, à titre liminaire, que, en l’absence de réglementation du droit de l’Union concernant l’exécution d’une décision d’éloignement des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles, le seul fait pour l’État membre d’accueil de prévoir des règles dans le cadre de cette exécution en s’inspirant de celles applicables au retour des ressortissants de pays tiers n’est pas, en soi, contraire au droit de l’Union. Cependant, de telles règles doivent être conformes au droit de l’Union, notamment en matière de liberté de circulation et de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles. La Cour vérifie ensuite si ces règles constituent des restrictions à cette liberté et, dans l’affirmative, si lesdites règles sont justifiées.

Ainsi, la Cour considère, en premier lieu, que les dispositions nationales concernées, en ce qu’elles limitent les mouvements de l’intéressé, constituent des restrictions à la liberté de circulation et de séjour.

En second lieu, en ce qui concerne l’existence de justifications à de telles restrictions, la Cour rappelle tout d’abord que les mesures en cause visent l’exécution de décisions d’éloignement adoptées pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique et doivent donc être appréciées au regard des exigences prévues à l’article 27 de la directive séjour{4}.

D’une part, s’agissant des mesures préventives visant à éviter le risque de fuite, la Cour juge que les articles 20 et 21 TFUE ainsi que la directive séjour ne s’opposent pas à l’application aux citoyens de l’Union et aux membres de leurs familles, pendant le délai qui leur est imparti pour quitter le territoire de l’État membre d’accueil à la suite de l’adoption d’une telle décision d’éloignement, de dispositions qui sont similaires à celles qui, en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers, visent à transposer dans le droit national la directive retour{5}, à condition que les premières dispositions respectent les principes généraux concernant la limitation du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique prévus à la directive séjour{6} et qu’elles ne soient pas moins favorables que les secondes.

En effet, de telles mesures préventives contribuent nécessairement à la protection de l’ordre public, dans la mesure où elles ont pour but d’assurer qu’une personne représentant une menace pour l’ordre public de l’État membre d’accueil soit éloignée du territoire de celui-ci. Ces mesures doivent donc être considérées comme limitant la liberté de circulation et de séjour de celui-ci « pour des raisons d’ordre public », au sens de la directive séjour{7}, de telle sorte qu’elles sont susceptibles, en principe, d’être justifiées au titre de cette directive.

Par ailleurs, ces mesures ne sauraient être considérées comme contraires à la directive séjour au seul motif que celles-ci sont similaires aux mesures qui visent à transposer dans le droit national la directive retour. Cela étant, la Cour souligne que les bénéficiaires de la directive séjour jouissent d’un statut et de droits d’une nature tout autre que ceux dont peuvent se prévaloir les bénéficiaires de la directive retour. Dès lors, eu égard au statut fondamental dont bénéficient les citoyens de l’Union, les mesures qui peuvent leur être imposées en vue d’éviter un risque de fuite ne sauraient être moins favorables que les mesures prévues dans le droit national afin d’éviter un tel risque, pendant le délai de départ volontaire, des ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une procédure de retour pour des raisons d’ordre public.

D’autre part, s’agissant de la rétention à des fins d’éloignement, la Cour juge que les articles 20 et 21 TFUE ainsi que la directive séjour s’opposent à une réglementation nationale qui applique aux citoyens de l’Union et aux membres de leurs familles, qui, après l’expiration du délai imparti ou de la prolongation de ce délai, ne se sont pas conformés à une décision d’éloignement prise à leur égard pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique, une mesure de rétention d’une durée maximale de huit mois, cette durée étant identique à celle applicable, dans le droit national, aux ressortissants de pays tiers ne s’étant pas conformés à une décision de retour prise pour de telles raisons, au titre de la directive retour{8}.

À cet égard, la Cour indique que la durée de la rétention prévue par la disposition nationale concernée, qui est identique à celle applicable à l’éloignement des ressortissants de pays tiers, doit être proportionnée à l’objectif poursuivi, consistant à assurer une politique efficace d’éloignement des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles. Or, s’agissant spécifiquement de la durée de la procédure d’éloignement, les citoyens de l’Union et les membres de leurs familles ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des ressortissants de pays tiers, de telle sorte qu’il n’est pas justifié d’accorder un traitement identique à l’ensemble de ces personnes en ce qui concerne la durée maximale de rétention.

En particulier, les États membres disposent de mécanismes de coopération et de facilités dans le cadre de l’éloignement des citoyens de l’Union ou des membres de leurs familles vers un autre État membre dont ils ne disposent pas nécessairement dans le cadre de l’éloignement d’un ressortissant de pays tiers vers un pays tiers. En effet, les relations entre les États membres étant fondées sur l’obligation de coopération loyale et le principe de confiance mutuelle, elles ne devraient pas donner lieu à des difficultés d’une nature identique à celles qui peuvent se présenter dans le cas de la coopération entre les États membres et les pays tiers. En outre, les difficultés pratiques relatives à l’organisation du trajet de retour ne devraient généralement pas être les mêmes pour ces deux catégories de personnes. Enfin, le retour du citoyen de l’Union sur le territoire de son État membre d’origine est rendu plus aisé par la directive séjour{9}.

Selon la Cour, il s’ensuit qu’une durée de rétention maximale de huit mois à des fins d’éloignement pour les citoyens de l’Union et les membres de leurs familles va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

{1} Moniteur belge du 19 avril 2017, p. 51890.

{2} Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98, ci-après la « directive retour »).

{3} Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, ainsi que rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, et JO 2005, L 197, p. 34, ci-après la « directive séjour »).

{4} Conformément au paragraphe 2 de cet article, les mesures restrictives d’ordre public ou de sécurité publique doivent respecter le principe de proportionnalité et être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu concerné.

{5} Article 7, paragraphe 3, de la directive retour. Selon cette disposition, « [c]ertaines obligations visant à éviter le risque de fuite, comme les obligations de se présenter régulièrement aux autorités, de déposer une garantie financière adéquate, de remettre des documents ou de demeurer en un lieu déterminé, peuvent être imposées pendant le délai de départ volontaire ».

{6} Article 27 de la directive séjour.

{7} Article 27, paragraphe 1, de la directive séjour.

{8} Article 6, paragraphe 1, de la directive retour.

{9} En effet, en vertu de l’article 27, paragraphe 4, l’État membre qui a délivré le passeport ou la carte d’identité doit permettre au titulaire d’un tel document qui a été éloigné d’un autre État membre d’entrer sur son territoire sans aucune formalité.

Arrêt du 22 juin 2021, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (Mesures préventives en vue d’éloignement) (C-718/19) (cf. points 60, 64-69, 72, 73 et disp.)

45. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons de santé publique - Notion de maladie potentiellement épidémique définie dans les instruments pertinents de l'OMS ou d'autres maladies infectieuses ou parasitaires contagieuses - COVID-19 - Inclusion - Conditions - Maladie faisant l'objet d'un ensemble de mesures de protection à l'égard des ressortissants de l'État membre concerné - Mesures adoptées à des fins non économiques - Vérification par la juridiction de renvoi

Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, un arrêté ministériel belge a, en juillet 2020, interdit les voyages non essentiels entre la Belgique et les pays de l’Union européenne, les pays de la zone Schengen et le Royaume-Uni, pour autant que ces pays soient classés en zones à haut risque (« zones rouges ») au regard de leur situation épidémiologique ou du niveau des mesures sanitaires restrictives prises par leurs autorités. La réglementation belge prévoyait en outre l’obligation, pour tout voyageur entrant sur le territoire national à partir de l’un de ces pays, de se soumettre à des tests de dépistage et d’observer une quarantaine.

Durant cette période, des contrôles ont été effectués par les autorités belges pour vérifier le respect de ces mesures.

Du 12 au 15 juillet 2020, la Suède a figuré parmi les pays classés en zones à haut risque. Nordic Info BV, une agence spécialisée dans les voyages vers et au départ de la Scandinavie, a, pour se conformer à la réglementation belge, annulé l’ensemble des voyages prévus au départ de la Belgique vers la Suède pendant la saison estivale.

Cette agence de voyages a ensuite introduit un recours devant le Nederlandstalige rechtbank van eerste aanleg Brussel (tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, Belgique), la juridiction de renvoi, pour demander réparation du préjudice qu’elle affirme avoir subi en raison des fautes prétendument commises par l’État belge lors de l’élaboration de la réglementation en cause.

Par son renvoi préjudiciel, la juridiction de renvoi demande à la Cour, d’une part, si une telle réglementation générale d’un État membre est compatible avec les dispositions de la directive 2004/38{1} qui régissent les mesures restrictives de la liberté de circulation adoptées pour des raisons de santé publique{2}. D’autre part, elle interroge la Cour sur le point de savoir si l’interdiction de franchissement des frontières intérieures de cet État membre aux fins d’effectuer des voyages non essentiels au départ ou à destination de pays de l’espace Schengen classés en zones à haut risque est compatible avec les articles du code frontières Schengen{3} relatifs à l’absence de contrôles aux frontières intérieures, à leur possible réintroduction temporaire et à l’exercice des compétences de police{4}.

Par son arrêt, la Cour répond par l’affirmative à ces deux questions, tout en précisant les conditions dans lesquelles une telle réglementation nationale doit s’inscrire.

Appréciation de la Cour

S’agissant de la légalité, au regard de la directive 2004/38, de mesures restrictives de la liberté de circulation édictées par un État membre dans le contexte d’une pandémie telle que celle de la COVID-19, la Cour énonce que la réglementation nationale prévoyant ces mesures doit respecter l’ensemble des conditions et des garanties visées aux articles 30 à 32 de cette directive, les droits et principes consacrés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment le principe d’interdiction des discriminations, ainsi que le principe de proportionnalité.

À cet égard, la Cour précise, en premier lieu, que, même s’ils figurent sous un chapitre de la directive 2004/38 intitulé « Limitation du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique », l’article 27, paragraphe 1, et l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2004/38 mentionnent expressément la « liberté de circulation », si bien qu’ils couvrent les deux composantes de cette liberté, à savoir le droit d’entrée et le droit de sortie, et qu’ils permettent ainsi aux États membres d’adopter des mesures restreignant l’un et l’autre de ces droits pour des raisons de santé publique. Les mesures restrictives de la libre circulation qu’un État membre peut adopter pour des raisons de santé publique au titre de ces dispositions peuvent dès lors consister non seulement en une interdiction de quitter le territoire d’un État membre pour effectuer, comme en l’occurrence, des voyages non essentiels, mais aussi en une obligation pour les voyageurs entrant sur ce territoire de se soumettre à des tests de dépistage et d’observer une quarantaine.

En deuxième lieu, aucune de ces deux dispositions ne s’oppose à ce que de telles mesures restrictives soient édictées sous la forme d’un acte de portée générale concernant indistinctement toute personne relevant d’une situation visée par cet acte. Une telle interprétation est corroborée par le fait que les maladies pouvant justifier de telles mesures - à savoir des maladies infectieuses ou parasitaires contagieuses telles que la COVID-19 - sont susceptibles de toucher, en raison de leurs caractéristiques mêmes, des populations entières indépendamment du comportement des individus les composant.

En troisième lieu, la Cour souligne que, malgré leur formulation qui est, de prime abord, conçue pour des décisions individuelles, l’ensemble des conditions et garanties prévues aux articles 30 à 32 de la directive 2004/38 doivent également être respectées lorsque les mesures restrictives sont adoptées sous la forme d’actes de portée générale. Ainsi, en application de l’article 30, paragraphes 1 et 2, de cette directive, tout acte de portée générale édictant des mesures restrictives de la libre circulation pour des raisons de santé publique doit être porté à la connaissance du public dans le cadre d’une publication officielle de l’État membre qui l’adopte et par le biais d’une médiatisation officielle suffisante de manière à ce que le contenu et les effets de cet acte puissent être compris, tout comme les motifs précis de santé publique invoqués à l’appui de cet acte. Par ailleurs, pour respecter les garanties prévues aux articles 30, paragraphe 3, et 31 de ladite directive, l’acte de portée générale doit pouvoir être contesté dans le cadre d’un recours juridictionnel et, le cas échéant, administratif, dont les modalités d’exercice doivent être communiquées au public. De telles mesures restrictives doivent également respecter le principe d’interdiction des discriminations énoncé par la Charte.

En quatrième et dernier lieu, conformément aux dispositions de l’article 31, paragraphes 1 et 3, de la directive 2004/38, toute mesure restrictive de la libre circulation édictée pour des raisons de santé publique doit être proportionnée au regard de l’objectif de protection de la santé publique poursuivi, la proportionnalité d’une telle mesure devant être appréciée en tenant compte également du principe de précaution. L’exigence du principe de proportionnalité impose concrètement de vérifier, premièrement, que de telles mesures sont aptes à réaliser l’objectif d’intérêt général poursuivi, en l’occurrence la protection de la santé publique, deuxièmement, qu’elles sont limitées au strict nécessaire, ce qui signifie que cet objectif ne doit pas raisonnablement pouvoir être atteint de manière aussi efficace par d’autres moyens moins attentatoires aux droits et libertés garantis aux personnes concernées, et, troisièmement, qu’elles ne sont pas disproportionnées par rapport audit objectif, ce qui implique notamment une pondération de l’importance de celui-ci et de la gravité de l’ingérence dans ces droits et libertés.

S’agissant des contrôles visant à assurer le respect de la réglementation litigieuse, la Cour considère que de tels contrôles ne sont possibles à l’intérieur du territoire national qu’à la condition qu’ils relèvent de l’exercice de compétences de police, au sens de l’article 23, sous a), du code frontières Schengen. Dans le cas où lesdits contrôles s’effectuent directement aux frontières intérieures, il est nécessaire que l’État membre respecte l’ensemble des conditions visées aux articles 25 à 28 de ce code relatifs à la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures, étant précisé que la menace causée par une pandémie telle que celle de la COVID-19 correspond à une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, au sens de l’article 25, paragraphe 1, dudit code.

En ce qui concerne, en premier lieu, l’article 23, sous a), du code frontières Schengen, la Cour rappelle que cette disposition garantit aux États membres le droit d’effectuer, à l’intérieur du territoire national, y compris dans les zones frontalières, des contrôles justifiés par l’exercice de compétences de police pour autant que cet exercice n’ait pas un effet équivalent à celui d’une vérification aux frontières, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier.

À cette fin, l’article 23, sous a), seconde phrase, i) à iv), de ce code fournit des indices permettant de guider les États membres dans la mise en œuvre de telles compétences de police.

À cet égard, s’agissant, premièrement, de l’indice figurant à l’article 23, sous a), seconde phrase, i), dudit code, les objectifs poursuivis par les contrôles doivent se distinguer de ceux poursuivis par les vérifications aux frontières, à savoir ceux tendant à s’assurer que les personnes peuvent être autorisées à entrer sur le territoire de l’État membre ou à le quitter. La Cour estime que cela semble être le cas en l’occurrence, dans la mesure où l’objectif principal des contrôles visant à garantir le respect de la réglementation belge en cause était de limiter, dans l’urgence, la propagation de la COVID-19 au sein de la population belge.

S’agissant, deuxièmement, de l’indice figurant à l’article 23, sous a), seconde phrase, ii), du code frontières Schengen, il suffit que ces contrôles aient été décidés et mis en œuvre au regard de circonstances établissant objectivement un risque d’atteinte grave et sérieux à la santé publique, lequel peut être invoqué par un État membre au titre de cette disposition, et sur la base des connaissances générales que les autorités avaient quant aux zones d’entrée et de sortie du territoire national par lesquelles un grand nombre de voyageurs ciblés par ladite interdiction étaient susceptibles de transiter.

En ce qui concerne, troisièmement, les indices figurant à l’article 23, sous a), seconde phrase, iii) et iv), du code frontières Schengen, l’ensemble des contrôles en cause au principal doivent, d’une part, avoir été réalisés de manière aléatoire et, partant, « à l’improviste » et, d’autre part, avoir été conçus et exécutés d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques effectuées sur les personnes aux frontières extérieures de l’Union. À ce dernier égard, la Cour précise que, dans le cadre d’une pandémie telle que celle de la COVID-19, les États membres disposent d’une certaine marge d’appréciation en ce qui concerne l’intensité, la fréquence et la sélectivité des contrôles.

En second lieu, dans l’hypothèse où il s’avérerait que les contrôles en cause ont été menés aux frontières intérieures, la juridiction de renvoi devra vérifier si le Royaume de Belgique a respecté l’ensemble des conditions visées aux articles 25 à 28 du code frontières Schengen pour la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures en cas de menace grave pour l’ordre public et/ou la sécurité intérieure. La Cour précise à cet égard qu’une pandémie d’une ampleur telle que celle de la COVID-19 peut être qualifiée de menace grave pour l’ordre public et/ou pour la sécurité intérieure, au sens de l’article 25, paragraphe 1, de ce code, dans la mesure où elle est susceptible d’affecter un intérêt fondamental de la société, à savoir celui consistant à assurer la vie des citoyens, et où elle touche à la survie même d’une partie de la population, notamment les personnes les plus vulnérables.

{1} Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p 77 et rectificatif JO 2004, L 229, p. 35).

{2} Il s’agit en particulier des articles 27 et 29 de cette directive.

{3} Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2017/2225 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2017 (JO 2017, L 327, p. 1).

{4} Sont visés, plus particulièrement, les articles 22, 23 et 25 de ce code.

Arrêt du 5 décembre 2023, NORDIC INFO (C-128/22) (cf. points 52-54)

46. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons de santé publique - Champ d'application - Inclusion des mesures limitant également le droit de sortie - Notion de restrictions à la libre circulation - Interdiction de franchissement des frontières - Obligation pour les voyageurs entrant sur le territoire d'un État membre de se soumettre à des tests de dépistage et d'observer une quarantaine - Inclusion

Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, un arrêté ministériel belge a, en juillet 2020, interdit les voyages non essentiels entre la Belgique et les pays de l’Union européenne, les pays de la zone Schengen et le Royaume-Uni, pour autant que ces pays soient classés en zones à haut risque (« zones rouges ») au regard de leur situation épidémiologique ou du niveau des mesures sanitaires restrictives prises par leurs autorités. La réglementation belge prévoyait en outre l’obligation, pour tout voyageur entrant sur le territoire national à partir de l’un de ces pays, de se soumettre à des tests de dépistage et d’observer une quarantaine.

Durant cette période, des contrôles ont été effectués par les autorités belges pour vérifier le respect de ces mesures.

Du 12 au 15 juillet 2020, la Suède a figuré parmi les pays classés en zones à haut risque. Nordic Info BV, une agence spécialisée dans les voyages vers et au départ de la Scandinavie, a, pour se conformer à la réglementation belge, annulé l’ensemble des voyages prévus au départ de la Belgique vers la Suède pendant la saison estivale.

Cette agence de voyages a ensuite introduit un recours devant le Nederlandstalige rechtbank van eerste aanleg Brussel (tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, Belgique), la juridiction de renvoi, pour demander réparation du préjudice qu’elle affirme avoir subi en raison des fautes prétendument commises par l’État belge lors de l’élaboration de la réglementation en cause.

Par son renvoi préjudiciel, la juridiction de renvoi demande à la Cour, d’une part, si une telle réglementation générale d’un État membre est compatible avec les dispositions de la directive 2004/38{1} qui régissent les mesures restrictives de la liberté de circulation adoptées pour des raisons de santé publique{2}. D’autre part, elle interroge la Cour sur le point de savoir si l’interdiction de franchissement des frontières intérieures de cet État membre aux fins d’effectuer des voyages non essentiels au départ ou à destination de pays de l’espace Schengen classés en zones à haut risque est compatible avec les articles du code frontières Schengen{3} relatifs à l’absence de contrôles aux frontières intérieures, à leur possible réintroduction temporaire et à l’exercice des compétences de police{4}.

Par son arrêt, la Cour répond par l’affirmative à ces deux questions, tout en précisant les conditions dans lesquelles une telle réglementation nationale doit s’inscrire.

Appréciation de la Cour

S’agissant de la légalité, au regard de la directive 2004/38, de mesures restrictives de la liberté de circulation édictées par un État membre dans le contexte d’une pandémie telle que celle de la COVID-19, la Cour énonce que la réglementation nationale prévoyant ces mesures doit respecter l’ensemble des conditions et des garanties visées aux articles 30 à 32 de cette directive, les droits et principes consacrés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment le principe d’interdiction des discriminations, ainsi que le principe de proportionnalité.

À cet égard, la Cour précise, en premier lieu, que, même s’ils figurent sous un chapitre de la directive 2004/38 intitulé « Limitation du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique », l’article 27, paragraphe 1, et l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2004/38 mentionnent expressément la « liberté de circulation », si bien qu’ils couvrent les deux composantes de cette liberté, à savoir le droit d’entrée et le droit de sortie, et qu’ils permettent ainsi aux États membres d’adopter des mesures restreignant l’un et l’autre de ces droits pour des raisons de santé publique. Les mesures restrictives de la libre circulation qu’un État membre peut adopter pour des raisons de santé publique au titre de ces dispositions peuvent dès lors consister non seulement en une interdiction de quitter le territoire d’un État membre pour effectuer, comme en l’occurrence, des voyages non essentiels, mais aussi en une obligation pour les voyageurs entrant sur ce territoire de se soumettre à des tests de dépistage et d’observer une quarantaine.

En deuxième lieu, aucune de ces deux dispositions ne s’oppose à ce que de telles mesures restrictives soient édictées sous la forme d’un acte de portée générale concernant indistinctement toute personne relevant d’une situation visée par cet acte. Une telle interprétation est corroborée par le fait que les maladies pouvant justifier de telles mesures - à savoir des maladies infectieuses ou parasitaires contagieuses telles que la COVID-19 - sont susceptibles de toucher, en raison de leurs caractéristiques mêmes, des populations entières indépendamment du comportement des individus les composant.

En troisième lieu, la Cour souligne que, malgré leur formulation qui est, de prime abord, conçue pour des décisions individuelles, l’ensemble des conditions et garanties prévues aux articles 30 à 32 de la directive 2004/38 doivent également être respectées lorsque les mesures restrictives sont adoptées sous la forme d’actes de portée générale. Ainsi, en application de l’article 30, paragraphes 1 et 2, de cette directive, tout acte de portée générale édictant des mesures restrictives de la libre circulation pour des raisons de santé publique doit être porté à la connaissance du public dans le cadre d’une publication officielle de l’État membre qui l’adopte et par le biais d’une médiatisation officielle suffisante de manière à ce que le contenu et les effets de cet acte puissent être compris, tout comme les motifs précis de santé publique invoqués à l’appui de cet acte. Par ailleurs, pour respecter les garanties prévues aux articles 30, paragraphe 3, et 31 de ladite directive, l’acte de portée générale doit pouvoir être contesté dans le cadre d’un recours juridictionnel et, le cas échéant, administratif, dont les modalités d’exercice doivent être communiquées au public. De telles mesures restrictives doivent également respecter le principe d’interdiction des discriminations énoncé par la Charte.

En quatrième et dernier lieu, conformément aux dispositions de l’article 31, paragraphes 1 et 3, de la directive 2004/38, toute mesure restrictive de la libre circulation édictée pour des raisons de santé publique doit être proportionnée au regard de l’objectif de protection de la santé publique poursuivi, la proportionnalité d’une telle mesure devant être appréciée en tenant compte également du principe de précaution. L’exigence du principe de proportionnalité impose concrètement de vérifier, premièrement, que de telles mesures sont aptes à réaliser l’objectif d’intérêt général poursuivi, en l’occurrence la protection de la santé publique, deuxièmement, qu’elles sont limitées au strict nécessaire, ce qui signifie que cet objectif ne doit pas raisonnablement pouvoir être atteint de manière aussi efficace par d’autres moyens moins attentatoires aux droits et libertés garantis aux personnes concernées, et, troisièmement, qu’elles ne sont pas disproportionnées par rapport audit objectif, ce qui implique notamment une pondération de l’importance de celui-ci et de la gravité de l’ingérence dans ces droits et libertés.

S’agissant des contrôles visant à assurer le respect de la réglementation litigieuse, la Cour considère que de tels contrôles ne sont possibles à l’intérieur du territoire national qu’à la condition qu’ils relèvent de l’exercice de compétences de police, au sens de l’article 23, sous a), du code frontières Schengen. Dans le cas où lesdits contrôles s’effectuent directement aux frontières intérieures, il est nécessaire que l’État membre respecte l’ensemble des conditions visées aux articles 25 à 28 de ce code relatifs à la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures, étant précisé que la menace causée par une pandémie telle que celle de la COVID-19 correspond à une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, au sens de l’article 25, paragraphe 1, dudit code.

En ce qui concerne, en premier lieu, l’article 23, sous a), du code frontières Schengen, la Cour rappelle que cette disposition garantit aux États membres le droit d’effectuer, à l’intérieur du territoire national, y compris dans les zones frontalières, des contrôles justifiés par l’exercice de compétences de police pour autant que cet exercice n’ait pas un effet équivalent à celui d’une vérification aux frontières, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier.

À cette fin, l’article 23, sous a), seconde phrase, i) à iv), de ce code fournit des indices permettant de guider les États membres dans la mise en œuvre de telles compétences de police.

À cet égard, s’agissant, premièrement, de l’indice figurant à l’article 23, sous a), seconde phrase, i), dudit code, les objectifs poursuivis par les contrôles doivent se distinguer de ceux poursuivis par les vérifications aux frontières, à savoir ceux tendant à s’assurer que les personnes peuvent être autorisées à entrer sur le territoire de l’État membre ou à le quitter. La Cour estime que cela semble être le cas en l’occurrence, dans la mesure où l’objectif principal des contrôles visant à garantir le respect de la réglementation belge en cause était de limiter, dans l’urgence, la propagation de la COVID-19 au sein de la population belge.

S’agissant, deuxièmement, de l’indice figurant à l’article 23, sous a), seconde phrase, ii), du code frontières Schengen, il suffit que ces contrôles aient été décidés et mis en œuvre au regard de circonstances établissant objectivement un risque d’atteinte grave et sérieux à la santé publique, lequel peut être invoqué par un État membre au titre de cette disposition, et sur la base des connaissances générales que les autorités avaient quant aux zones d’entrée et de sortie du territoire national par lesquelles un grand nombre de voyageurs ciblés par ladite interdiction étaient susceptibles de transiter.

En ce qui concerne, troisièmement, les indices figurant à l’article 23, sous a), seconde phrase, iii) et iv), du code frontières Schengen, l’ensemble des contrôles en cause au principal doivent, d’une part, avoir été réalisés de manière aléatoire et, partant, « à l’improviste » et, d’autre part, avoir été conçus et exécutés d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques effectuées sur les personnes aux frontières extérieures de l’Union. À ce dernier égard, la Cour précise que, dans le cadre d’une pandémie telle que celle de la COVID-19, les États membres disposent d’une certaine marge d’appréciation en ce qui concerne l’intensité, la fréquence et la sélectivité des contrôles.

En second lieu, dans l’hypothèse où il s’avérerait que les contrôles en cause ont été menés aux frontières intérieures, la juridiction de renvoi devra vérifier si le Royaume de Belgique a respecté l’ensemble des conditions visées aux articles 25 à 28 du code frontières Schengen pour la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures en cas de menace grave pour l’ordre public et/ou la sécurité intérieure. La Cour précise à cet égard qu’une pandémie d’une ampleur telle que celle de la COVID-19 peut être qualifiée de menace grave pour l’ordre public et/ou pour la sécurité intérieure, au sens de l’article 25, paragraphe 1, de ce code, dans la mesure où elle est susceptible d’affecter un intérêt fondamental de la société, à savoir celui consistant à assurer la vie des citoyens, et où elle touche à la survie même d’une partie de la population, notamment les personnes les plus vulnérables.

{1} Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p 77 et rectificatif JO 2004, L 229, p. 35).

{2} Il s’agit en particulier des articles 27 et 29 de cette directive.

{3} Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2017/2225 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2017 (JO 2017, L 327, p. 1).

{4} Sont visés, plus particulièrement, les articles 22, 23 et 25 de ce code.

Arrêt du 5 décembre 2023, NORDIC INFO (C-128/22) (cf. points 55, 56, 58, 59)

47. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons de santé publique - Lutte contre la pandémie de COVID-19 - Mesures restrictives imposées aux citoyens de l'Union voyageant, pour des raisons non essentielles, au départ d'un État membre vers un autre État membre classé en zone à haut risque ou en provenance d'un tel État membre - Réglementation nationale de portée générale imposant de telles mesures - Admissibilité - Conditions - Respect des conditions et garanties visées aux articles 30 à 32 de cette directive, des droits et principes consacrés par la charte des droits fondamentaux, ainsi que du principe de proportionnalité

Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, un arrêté ministériel belge a, en juillet 2020, interdit les voyages non essentiels entre la Belgique et les pays de l’Union européenne, les pays de la zone Schengen et le Royaume-Uni, pour autant que ces pays soient classés en zones à haut risque (« zones rouges ») au regard de leur situation épidémiologique ou du niveau des mesures sanitaires restrictives prises par leurs autorités. La réglementation belge prévoyait en outre l’obligation, pour tout voyageur entrant sur le territoire national à partir de l’un de ces pays, de se soumettre à des tests de dépistage et d’observer une quarantaine.

Durant cette période, des contrôles ont été effectués par les autorités belges pour vérifier le respect de ces mesures.

Du 12 au 15 juillet 2020, la Suède a figuré parmi les pays classés en zones à haut risque. Nordic Info BV, une agence spécialisée dans les voyages vers et au départ de la Scandinavie, a, pour se conformer à la réglementation belge, annulé l’ensemble des voyages prévus au départ de la Belgique vers la Suède pendant la saison estivale.

Cette agence de voyages a ensuite introduit un recours devant le Nederlandstalige rechtbank van eerste aanleg Brussel (tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, Belgique), la juridiction de renvoi, pour demander réparation du préjudice qu’elle affirme avoir subi en raison des fautes prétendument commises par l’État belge lors de l’élaboration de la réglementation en cause.

Par son renvoi préjudiciel, la juridiction de renvoi demande à la Cour, d’une part, si une telle réglementation générale d’un État membre est compatible avec les dispositions de la directive 2004/38{1} qui régissent les mesures restrictives de la liberté de circulation adoptées pour des raisons de santé publique{2}. D’autre part, elle interroge la Cour sur le point de savoir si l’interdiction de franchissement des frontières intérieures de cet État membre aux fins d’effectuer des voyages non essentiels au départ ou à destination de pays de l’espace Schengen classés en zones à haut risque est compatible avec les articles du code frontières Schengen{3} relatifs à l’absence de contrôles aux frontières intérieures, à leur possible réintroduction temporaire et à l’exercice des compétences de police{4}.

Par son arrêt, la Cour répond par l’affirmative à ces deux questions, tout en précisant les conditions dans lesquelles une telle réglementation nationale doit s’inscrire.

Appréciation de la Cour

S’agissant de la légalité, au regard de la directive 2004/38, de mesures restrictives de la liberté de circulation édictées par un État membre dans le contexte d’une pandémie telle que celle de la COVID-19, la Cour énonce que la réglementation nationale prévoyant ces mesures doit respecter l’ensemble des conditions et des garanties visées aux articles 30 à 32 de cette directive, les droits et principes consacrés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment le principe d’interdiction des discriminations, ainsi que le principe de proportionnalité.

À cet égard, la Cour précise, en premier lieu, que, même s’ils figurent sous un chapitre de la directive 2004/38 intitulé « Limitation du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique », l’article 27, paragraphe 1, et l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2004/38 mentionnent expressément la « liberté de circulation », si bien qu’ils couvrent les deux composantes de cette liberté, à savoir le droit d’entrée et le droit de sortie, et qu’ils permettent ainsi aux États membres d’adopter des mesures restreignant l’un et l’autre de ces droits pour des raisons de santé publique. Les mesures restrictives de la libre circulation qu’un État membre peut adopter pour des raisons de santé publique au titre de ces dispositions peuvent dès lors consister non seulement en une interdiction de quitter le territoire d’un État membre pour effectuer, comme en l’occurrence, des voyages non essentiels, mais aussi en une obligation pour les voyageurs entrant sur ce territoire de se soumettre à des tests de dépistage et d’observer une quarantaine.

En deuxième lieu, aucune de ces deux dispositions ne s’oppose à ce que de telles mesures restrictives soient édictées sous la forme d’un acte de portée générale concernant indistinctement toute personne relevant d’une situation visée par cet acte. Une telle interprétation est corroborée par le fait que les maladies pouvant justifier de telles mesures - à savoir des maladies infectieuses ou parasitaires contagieuses telles que la COVID-19 - sont susceptibles de toucher, en raison de leurs caractéristiques mêmes, des populations entières indépendamment du comportement des individus les composant.

En troisième lieu, la Cour souligne que, malgré leur formulation qui est, de prime abord, conçue pour des décisions individuelles, l’ensemble des conditions et garanties prévues aux articles 30 à 32 de la directive 2004/38 doivent également être respectées lorsque les mesures restrictives sont adoptées sous la forme d’actes de portée générale. Ainsi, en application de l’article 30, paragraphes 1 et 2, de cette directive, tout acte de portée générale édictant des mesures restrictives de la libre circulation pour des raisons de santé publique doit être porté à la connaissance du public dans le cadre d’une publication officielle de l’État membre qui l’adopte et par le biais d’une médiatisation officielle suffisante de manière à ce que le contenu et les effets de cet acte puissent être compris, tout comme les motifs précis de santé publique invoqués à l’appui de cet acte. Par ailleurs, pour respecter les garanties prévues aux articles 30, paragraphe 3, et 31 de ladite directive, l’acte de portée générale doit pouvoir être contesté dans le cadre d’un recours juridictionnel et, le cas échéant, administratif, dont les modalités d’exercice doivent être communiquées au public. De telles mesures restrictives doivent également respecter le principe d’interdiction des discriminations énoncé par la Charte.

En quatrième et dernier lieu, conformément aux dispositions de l’article 31, paragraphes 1 et 3, de la directive 2004/38, toute mesure restrictive de la libre circulation édictée pour des raisons de santé publique doit être proportionnée au regard de l’objectif de protection de la santé publique poursuivi, la proportionnalité d’une telle mesure devant être appréciée en tenant compte également du principe de précaution. L’exigence du principe de proportionnalité impose concrètement de vérifier, premièrement, que de telles mesures sont aptes à réaliser l’objectif d’intérêt général poursuivi, en l’occurrence la protection de la santé publique, deuxièmement, qu’elles sont limitées au strict nécessaire, ce qui signifie que cet objectif ne doit pas raisonnablement pouvoir être atteint de manière aussi efficace par d’autres moyens moins attentatoires aux droits et libertés garantis aux personnes concernées, et, troisièmement, qu’elles ne sont pas disproportionnées par rapport audit objectif, ce qui implique notamment une pondération de l’importance de celui-ci et de la gravité de l’ingérence dans ces droits et libertés.

S’agissant des contrôles visant à assurer le respect de la réglementation litigieuse, la Cour considère que de tels contrôles ne sont possibles à l’intérieur du territoire national qu’à la condition qu’ils relèvent de l’exercice de compétences de police, au sens de l’article 23, sous a), du code frontières Schengen. Dans le cas où lesdits contrôles s’effectuent directement aux frontières intérieures, il est nécessaire que l’État membre respecte l’ensemble des conditions visées aux articles 25 à 28 de ce code relatifs à la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures, étant précisé que la menace causée par une pandémie telle que celle de la COVID-19 correspond à une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, au sens de l’article 25, paragraphe 1, dudit code.

En ce qui concerne, en premier lieu, l’article 23, sous a), du code frontières Schengen, la Cour rappelle que cette disposition garantit aux États membres le droit d’effectuer, à l’intérieur du territoire national, y compris dans les zones frontalières, des contrôles justifiés par l’exercice de compétences de police pour autant que cet exercice n’ait pas un effet équivalent à celui d’une vérification aux frontières, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier.

À cette fin, l’article 23, sous a), seconde phrase, i) à iv), de ce code fournit des indices permettant de guider les États membres dans la mise en œuvre de telles compétences de police.

À cet égard, s’agissant, premièrement, de l’indice figurant à l’article 23, sous a), seconde phrase, i), dudit code, les objectifs poursuivis par les contrôles doivent se distinguer de ceux poursuivis par les vérifications aux frontières, à savoir ceux tendant à s’assurer que les personnes peuvent être autorisées à entrer sur le territoire de l’État membre ou à le quitter. La Cour estime que cela semble être le cas en l’occurrence, dans la mesure où l’objectif principal des contrôles visant à garantir le respect de la réglementation belge en cause était de limiter, dans l’urgence, la propagation de la COVID-19 au sein de la population belge.

S’agissant, deuxièmement, de l’indice figurant à l’article 23, sous a), seconde phrase, ii), du code frontières Schengen, il suffit que ces contrôles aient été décidés et mis en œuvre au regard de circonstances établissant objectivement un risque d’atteinte grave et sérieux à la santé publique, lequel peut être invoqué par un État membre au titre de cette disposition, et sur la base des connaissances générales que les autorités avaient quant aux zones d’entrée et de sortie du territoire national par lesquelles un grand nombre de voyageurs ciblés par ladite interdiction étaient susceptibles de transiter.

En ce qui concerne, troisièmement, les indices figurant à l’article 23, sous a), seconde phrase, iii) et iv), du code frontières Schengen, l’ensemble des contrôles en cause au principal doivent, d’une part, avoir été réalisés de manière aléatoire et, partant, « à l’improviste » et, d’autre part, avoir été conçus et exécutés d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques effectuées sur les personnes aux frontières extérieures de l’Union. À ce dernier égard, la Cour précise que, dans le cadre d’une pandémie telle que celle de la COVID-19, les États membres disposent d’une certaine marge d’appréciation en ce qui concerne l’intensité, la fréquence et la sélectivité des contrôles.

En second lieu, dans l’hypothèse où il s’avérerait que les contrôles en cause ont été menés aux frontières intérieures, la juridiction de renvoi devra vérifier si le Royaume de Belgique a respecté l’ensemble des conditions visées aux articles 25 à 28 du code frontières Schengen pour la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures en cas de menace grave pour l’ordre public et/ou la sécurité intérieure. La Cour précise à cet égard qu’une pandémie d’une ampleur telle que celle de la COVID-19 peut être qualifiée de menace grave pour l’ordre public et/ou pour la sécurité intérieure, au sens de l’article 25, paragraphe 1, de ce code, dans la mesure où elle est susceptible d’affecter un intérêt fondamental de la société, à savoir celui consistant à assurer la vie des citoyens, et où elle touche à la survie même d’une partie de la population, notamment les personnes les plus vulnérables.

{1} Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p 77 et rectificatif JO 2004, L 229, p. 35).

{2} Il s’agit en particulier des articles 27 et 29 de cette directive.

{3} Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2017/2225 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2017 (JO 2017, L 327, p. 1).

{4} Sont visés, plus particulièrement, les articles 22, 23 et 25 de ce code.

Arrêt du 5 décembre 2023, NORDIC INFO (C-128/22) (cf. points 62, 69-76, 98, disp. 1)

48. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons de santé publique - Respect du principe de proportionnalité - Portée - Mesures aptes à répondre à l'objectif de protection de la santé publique, limitées au strict nécessaire et non disproportionnées par rapport à cet objectif - Vérification par la juridiction de renvoi

Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, un arrêté ministériel belge a, en juillet 2020, interdit les voyages non essentiels entre la Belgique et les pays de l’Union européenne, les pays de la zone Schengen et le Royaume-Uni, pour autant que ces pays soient classés en zones à haut risque (« zones rouges ») au regard de leur situation épidémiologique ou du niveau des mesures sanitaires restrictives prises par leurs autorités. La réglementation belge prévoyait en outre l’obligation, pour tout voyageur entrant sur le territoire national à partir de l’un de ces pays, de se soumettre à des tests de dépistage et d’observer une quarantaine.

Durant cette période, des contrôles ont été effectués par les autorités belges pour vérifier le respect de ces mesures.

Du 12 au 15 juillet 2020, la Suède a figuré parmi les pays classés en zones à haut risque. Nordic Info BV, une agence spécialisée dans les voyages vers et au départ de la Scandinavie, a, pour se conformer à la réglementation belge, annulé l’ensemble des voyages prévus au départ de la Belgique vers la Suède pendant la saison estivale.

Cette agence de voyages a ensuite introduit un recours devant le Nederlandstalige rechtbank van eerste aanleg Brussel (tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, Belgique), la juridiction de renvoi, pour demander réparation du préjudice qu’elle affirme avoir subi en raison des fautes prétendument commises par l’État belge lors de l’élaboration de la réglementation en cause.

Par son renvoi préjudiciel, la juridiction de renvoi demande à la Cour, d’une part, si une telle réglementation générale d’un État membre est compatible avec les dispositions de la directive 2004/38{1} qui régissent les mesures restrictives de la liberté de circulation adoptées pour des raisons de santé publique{2}. D’autre part, elle interroge la Cour sur le point de savoir si l’interdiction de franchissement des frontières intérieures de cet État membre aux fins d’effectuer des voyages non essentiels au départ ou à destination de pays de l’espace Schengen classés en zones à haut risque est compatible avec les articles du code frontières Schengen{3} relatifs à l’absence de contrôles aux frontières intérieures, à leur possible réintroduction temporaire et à l’exercice des compétences de police{4}.

Par son arrêt, la Cour répond par l’affirmative à ces deux questions, tout en précisant les conditions dans lesquelles une telle réglementation nationale doit s’inscrire.

Appréciation de la Cour

S’agissant de la légalité, au regard de la directive 2004/38, de mesures restrictives de la liberté de circulation édictées par un État membre dans le contexte d’une pandémie telle que celle de la COVID-19, la Cour énonce que la réglementation nationale prévoyant ces mesures doit respecter l’ensemble des conditions et des garanties visées aux articles 30 à 32 de cette directive, les droits et principes consacrés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment le principe d’interdiction des discriminations, ainsi que le principe de proportionnalité.

À cet égard, la Cour précise, en premier lieu, que, même s’ils figurent sous un chapitre de la directive 2004/38 intitulé « Limitation du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique », l’article 27, paragraphe 1, et l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2004/38 mentionnent expressément la « liberté de circulation », si bien qu’ils couvrent les deux composantes de cette liberté, à savoir le droit d’entrée et le droit de sortie, et qu’ils permettent ainsi aux États membres d’adopter des mesures restreignant l’un et l’autre de ces droits pour des raisons de santé publique. Les mesures restrictives de la libre circulation qu’un État membre peut adopter pour des raisons de santé publique au titre de ces dispositions peuvent dès lors consister non seulement en une interdiction de quitter le territoire d’un État membre pour effectuer, comme en l’occurrence, des voyages non essentiels, mais aussi en une obligation pour les voyageurs entrant sur ce territoire de se soumettre à des tests de dépistage et d’observer une quarantaine.

En deuxième lieu, aucune de ces deux dispositions ne s’oppose à ce que de telles mesures restrictives soient édictées sous la forme d’un acte de portée générale concernant indistinctement toute personne relevant d’une situation visée par cet acte. Une telle interprétation est corroborée par le fait que les maladies pouvant justifier de telles mesures - à savoir des maladies infectieuses ou parasitaires contagieuses telles que la COVID-19 - sont susceptibles de toucher, en raison de leurs caractéristiques mêmes, des populations entières indépendamment du comportement des individus les composant.

En troisième lieu, la Cour souligne que, malgré leur formulation qui est, de prime abord, conçue pour des décisions individuelles, l’ensemble des conditions et garanties prévues aux articles 30 à 32 de la directive 2004/38 doivent également être respectées lorsque les mesures restrictives sont adoptées sous la forme d’actes de portée générale. Ainsi, en application de l’article 30, paragraphes 1 et 2, de cette directive, tout acte de portée générale édictant des mesures restrictives de la libre circulation pour des raisons de santé publique doit être porté à la connaissance du public dans le cadre d’une publication officielle de l’État membre qui l’adopte et par le biais d’une médiatisation officielle suffisante de manière à ce que le contenu et les effets de cet acte puissent être compris, tout comme les motifs précis de santé publique invoqués à l’appui de cet acte. Par ailleurs, pour respecter les garanties prévues aux articles 30, paragraphe 3, et 31 de ladite directive, l’acte de portée générale doit pouvoir être contesté dans le cadre d’un recours juridictionnel et, le cas échéant, administratif, dont les modalités d’exercice doivent être communiquées au public. De telles mesures restrictives doivent également respecter le principe d’interdiction des discriminations énoncé par la Charte.

En quatrième et dernier lieu, conformément aux dispositions de l’article 31, paragraphes 1 et 3, de la directive 2004/38, toute mesure restrictive de la libre circulation édictée pour des raisons de santé publique doit être proportionnée au regard de l’objectif de protection de la santé publique poursuivi, la proportionnalité d’une telle mesure devant être appréciée en tenant compte également du principe de précaution. L’exigence du principe de proportionnalité impose concrètement de vérifier, premièrement, que de telles mesures sont aptes à réaliser l’objectif d’intérêt général poursuivi, en l’occurrence la protection de la santé publique, deuxièmement, qu’elles sont limitées au strict nécessaire, ce qui signifie que cet objectif ne doit pas raisonnablement pouvoir être atteint de manière aussi efficace par d’autres moyens moins attentatoires aux droits et libertés garantis aux personnes concernées, et, troisièmement, qu’elles ne sont pas disproportionnées par rapport audit objectif, ce qui implique notamment une pondération de l’importance de celui-ci et de la gravité de l’ingérence dans ces droits et libertés.

S’agissant des contrôles visant à assurer le respect de la réglementation litigieuse, la Cour considère que de tels contrôles ne sont possibles à l’intérieur du territoire national qu’à la condition qu’ils relèvent de l’exercice de compétences de police, au sens de l’article 23, sous a), du code frontières Schengen. Dans le cas où lesdits contrôles s’effectuent directement aux frontières intérieures, il est nécessaire que l’État membre respecte l’ensemble des conditions visées aux articles 25 à 28 de ce code relatifs à la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures, étant précisé que la menace causée par une pandémie telle que celle de la COVID-19 correspond à une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, au sens de l’article 25, paragraphe 1, dudit code.

En ce qui concerne, en premier lieu, l’article 23, sous a), du code frontières Schengen, la Cour rappelle que cette disposition garantit aux États membres le droit d’effectuer, à l’intérieur du territoire national, y compris dans les zones frontalières, des contrôles justifiés par l’exercice de compétences de police pour autant que cet exercice n’ait pas un effet équivalent à celui d’une vérification aux frontières, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier.

À cette fin, l’article 23, sous a), seconde phrase, i) à iv), de ce code fournit des indices permettant de guider les États membres dans la mise en œuvre de telles compétences de police.

À cet égard, s’agissant, premièrement, de l’indice figurant à l’article 23, sous a), seconde phrase, i), dudit code, les objectifs poursuivis par les contrôles doivent se distinguer de ceux poursuivis par les vérifications aux frontières, à savoir ceux tendant à s’assurer que les personnes peuvent être autorisées à entrer sur le territoire de l’État membre ou à le quitter. La Cour estime que cela semble être le cas en l’occurrence, dans la mesure où l’objectif principal des contrôles visant à garantir le respect de la réglementation belge en cause était de limiter, dans l’urgence, la propagation de la COVID-19 au sein de la population belge.

S’agissant, deuxièmement, de l’indice figurant à l’article 23, sous a), seconde phrase, ii), du code frontières Schengen, il suffit que ces contrôles aient été décidés et mis en œuvre au regard de circonstances établissant objectivement un risque d’atteinte grave et sérieux à la santé publique, lequel peut être invoqué par un État membre au titre de cette disposition, et sur la base des connaissances générales que les autorités avaient quant aux zones d’entrée et de sortie du territoire national par lesquelles un grand nombre de voyageurs ciblés par ladite interdiction étaient susceptibles de transiter.

En ce qui concerne, troisièmement, les indices figurant à l’article 23, sous a), seconde phrase, iii) et iv), du code frontières Schengen, l’ensemble des contrôles en cause au principal doivent, d’une part, avoir été réalisés de manière aléatoire et, partant, « à l’improviste » et, d’autre part, avoir été conçus et exécutés d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques effectuées sur les personnes aux frontières extérieures de l’Union. À ce dernier égard, la Cour précise que, dans le cadre d’une pandémie telle que celle de la COVID-19, les États membres disposent d’une certaine marge d’appréciation en ce qui concerne l’intensité, la fréquence et la sélectivité des contrôles.

En second lieu, dans l’hypothèse où il s’avérerait que les contrôles en cause ont été menés aux frontières intérieures, la juridiction de renvoi devra vérifier si le Royaume de Belgique a respecté l’ensemble des conditions visées aux articles 25 à 28 du code frontières Schengen pour la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures en cas de menace grave pour l’ordre public et/ou la sécurité intérieure. La Cour précise à cet égard qu’une pandémie d’une ampleur telle que celle de la COVID-19 peut être qualifiée de menace grave pour l’ordre public et/ou pour la sécurité intérieure, au sens de l’article 25, paragraphe 1, de ce code, dans la mesure où elle est susceptible d’affecter un intérêt fondamental de la société, à savoir celui consistant à assurer la vie des citoyens, et où elle touche à la survie même d’une partie de la population, notamment les personnes les plus vulnérables.

{1} Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p 77 et rectificatif JO 2004, L 229, p. 35).

{2} Il s’agit en particulier des articles 27 et 29 de cette directive.

{3} Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2017/2225 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2017 (JO 2017, L 327, p. 1).

{4} Sont visés, plus particulièrement, les articles 22, 23 et 25 de ce code.

Arrêt du 5 décembre 2023, NORDIC INFO (C-128/22) (cf. points 77, 81-84, 87, 90-97)

49. Citoyenneté de l'Union - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Directive 2004/38 - Limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique - Comportement représentant une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société - Personne ayant fait l'objet, dans le passé, d'une arrestation - Circonstances pouvant être retenues par l'autorité nationale - Obligation de procéder à une appréciation globale du comportement de l'individu concerné reprenant les faits ayant mené à l'arrestation

Voir texte de la décision.

Arrêt du 13 juin 2024, Pedro Francisco (C-62/23) (cf. points 32-42 et disp.)