1. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Incompétence du juge communautaire - Irrecevabilité
Quand bien même une lettre portant sur le remboursement d'une partie des avances versées à une association sans but lucratif dans le cadre de certains projets de coopération au développement et d'aide humanitaire devrait être comprise en ce sens qu'elle met un terme à la procédure d'audit relative aux contrats de subvention liés aux projets en question et qu'elle valide les conclusions du réviseur externe en adoptant le rapport final, elle n'est pas dissociable du cadre contractuel constitué par ces contrats. En effet, l'audit effectué par le réviseur externe choisi par la Commission relève de l'exercice, par cette dernière, de ses droits découlant desdits contrats et s'inscrit, donc, dans le cadre contractuel défini par ces contrats. La demande en annulation de la décision prétendument contenue dans cette lettre, pour autant qu'elle vise ces contrats, est, donc, irrecevable.
Ordonnance du 8 février 2010, Alisei / Commission (T-481/08, Rec._p._II-117) (cf. points 54-55)
Ordonnance du 30 juin 2011, Cross Czech / Commission (T-252/10, Rec._p._II-211*) (cf. points 38-49)
2. Recours en annulation - Compétence du juge communautaire - Conclusions tendant à obtenir une injonction adressée à une institution - Irrecevabilité
Ordonnance du 3 juin 2010, Z / Commission (T-173/09, Rec._p._II-105*) (cf. points 29-32)
3. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Requalification du recours - Conditions
Lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation ou d’un recours en indemnité, alors que le litige est, en réalité, de nature contractuelle, le Tribunal requalifie le recours, si les conditions d’une telle requalification sont réunies. En présence d’un litige de nature contractuelle, le Tribunal s’estime dans l’impossibilité de requalifier un recours en annulation soit lorsque la volonté expresse de la requérante de ne pas fonder sa demande sur l’article 238 CE s’oppose à une telle requalification, soit lorsque le recours ne s’appuie sur aucun moyen tiré de la violation des règles régissant la relation contractuelle en cause, qu’il s’agisse des clauses contractuelles ou des dispositions de la loi nationale désignée dans le contrat.
Il suffit que l’un des moyens caractéristiques d’un recours fondé sur l’article 238 CE soit invoqué dans la requête conformément aux dispositions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal pour que ledit recours puisse être requalifié, sans qu’il soit porté atteinte aux droits de la défense de l’institution défenderesse.
Lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation ou d’un recours en indemnité, alors que le litige est, en réalité, de nature contractuelle, le juge de l'Union requalifie le recours, si les conditions d’une telle requalification sont réunies.
Toutefois, en présence d’un litige de nature contractuelle, le juge de l'Union s’estime dans l’impossibilité de requalifier un recours en annulation soit lorsque la volonté expresse du requérant de ne pas fonder sa demande sur l’article 272 TFUE s’oppose à une telle requalification, soit lorsque le recours ne s’appuie sur aucun moyen tiré de la violation des règles régissant la relation contractuelle en cause, qu’il s’agisse des clauses contractuelles ou des dispositions de la loi nationale désignée dans le contrat.
La requalification d'un recours en annulation ou en indemnité en recours fondé sur l'article 272 TFUE (clause compromissoire) est subordonnée à deux conditions cumulatives. Ainsi, cette requalification est possible pour autant que la volonté expresse de la partie requérante ne s’y oppose pas et qu’au moins un moyen tiré de la violation des règles régissant la relation contractuelle en cause soit invoqué dans la requête conformément aux dispositions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure.
Arrêt du 24 octobre 2014, Technische Universität Dresden / Commission (T-29/11) (cf. points 42, 44)
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 10 avril 2013, GRP Security / Cour des comptes (T-87/11) (cf. points 29-32)
Arrêt du 5 mars 2015, Rose Vision et Seseña / Commission (T-45/13) (cf. points 50-56, 58, 59)
Ordonnance du 6 avril 2016, GABO:mi / Commission (T-10/16 R) (cf. point 28)
Arrêt du 17 février 2017, European Dynamics Luxembourg e.a. / EMA (T-441/15) (cf. points 28, 29)
Arrêt du 20 juin 2018, KV / EACEA (T-306/15 et T-484/15) (cf. points 44, 45, 47, 49)
Ordonnance du 14 mai 2019, Ayuntamiento de Enguera / Commission (T-602/18) (cf. points 28-31)
Arrêt du 10 octobre 2019, Help - Hilfe zur Selbsthilfe / Commission (T-335/17) (cf. points 78, 80)
Ordonnance du 15 février 2022, eSlovensko / Commission (T-295/21) (cf. point 31)
4. Recours en annulation - Compétence du juge communautaire - Compétence de pleine juridiction - Injonction adressée à une institution - Inadmissibilité
Ordonnance du 17 juin 2010, Jurašinović / Conseil (T-359/09, Rec._p._II-114*) (cf. points 42-44)
5. Recours en annulation - Compétence du juge communautaire - Examen de la légalité d'un acte adopté par une autorité nationale - Exclusion
6. Recours en annulation - Compétence du juge communautaire - Conclusions tendant à obtenir une injonction de réexaminer une plainte - Irrecevabilité
7. Recours en annulation - Compétence du juge communautaire - Demande d'annulation d'un acte individuel faisant grief - Incompétence du juge communautaire pour constater l'illégalité d'une disposition de portée générale dans le dispositif de ses arrêts
Si, dans le cadre d’une demande d’annulation d’un acte individuel faisant grief, le juge communautaire est effectivement compétent pour constater incidemment l’illégalité d’une disposition de portée générale sur laquelle l’acte attaqué est fondé, il n’est, en revanche, pas compétent pour opérer de telles constatations dans le dispositif de ses arrêts.
Arrêt du 30 septembre 2010, De Luca / Commission (F-20/06) (cf. point 44)
8. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Exceptions - Actes adoptés en vertu de pouvoirs délégués imputables à l'institution délégante - Conditions
Ordonnance du 23 octobre 2014, SACBO / INEA (T-692/13) (cf. point 18)
Ordonnance du 23 octobre 2014, ENAC / INEA (T-695/13) (cf. point 19)
9. Recours en annulation - Compétence du juge communautaire - Décès d'une personne physique ou cessation d'existence d'une personne morale destinataire d'une décision d'une institution communautaire - Action en annulation pouvant être poursuivie et droit d'introduire un recours pouvant être exercé par l'ayant cause à titre universel
10. Procédure - Recours d'une personne physique ou morale dirigé contre un État membre et visant à obtenir l'annulation de dispositions du droit national - Incompétence manifeste du juge de l'Union
Ordonnance du 19 novembre 2010, Uznański / Pologne (C-143/10 P, Rec._p._I-153*) (cf. points 12-13)
11. Recours en annulation - Recours introduits séparément par une société mère et par sa filiale à l'encontre d'une décision de la Commission imputant le comportement infractionnel de cette dernière à la société mère - Prise en compte, par le Tribunal, dans le cadre du recours de la société mère, du résultat du recours introduit par la filiale - Violation de l'interdiction de statuer ultra petita - Absence
En ce qui concerne un recours en annulation, le juge de l’Union européenne ne pouvant statuer ultra petita, l’annulation qu’il prononce ne saurait excéder celle sollicitée par la partie requérante. Si le destinataire d’une décision décide d’introduire un recours en annulation, le juge de l’Union n’est saisi que des éléments de la décision le concernant. En revanche, ceux concernant d’autres destinataires, qui n’ont pas été attaqués, n’entrent pas dans l’objet du litige que le juge de l’Union est appelé à trancher.
En droit de la concurrence, s'agissant d'une décision de la Commission qui impute à la société mère le comportement infractionnel de sa filiale et la condamne solidairement au paiement de l’amende infligée à cette dernière, l’imputation retenue par la Commission à l’encontre de la société mère implique que cette dernière bénéficie de l’annulation partielle de cette décision à la suite d'un recours en annulation introduit par sa filiale dans une affaire parallèle.
Il s'ensuit que le Tribunal, saisi de recours en annulation introduits séparément par une société mère et par sa filiale, ne statue pas ultra petita lorsqu’il tient compte, pour se prononcer sur le recours introduit par la société mère, du résultat du recours introduit par la filiale, dès lors que les conclusions du recours introduit par la société mère ont le même objet.
Arrêt du 24 mars 2011, Tomkins / Commission (T-382/06, Rec._p._II-1157) (cf. points 35, 40-42, 44)
12. Recours en annulation - Compétence du juge communautaire - Décision de la Commission portant suppression d'un concours financier communautaire - Compétence de substituer une autre décision ou de réformer la décision litigieuse - Absence - Conclusions tendant à la réduction du montant à restituer - Irrecevabilité
Arrêt du 31 mars 2011, Grèce / Commission (T-214/07, Rec._p._II-79*) (cf. point 136)
13. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union
S’agissant du contrôle exercé par le juge de l'Union sur les décisions de la Commission en matière de concurrence, au-delà du simple contrôle de légalité, qui ne permet que de rejeter le recours en annulation ou d’annuler l’acte attaqué, la compétence de pleine juridiction conférée, en application de l’article 229 CE, au Tribunal par l’article 31 du règlement nº 1/2003 habilite cette juridiction à réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, en tenant compte de toutes les circonstances de fait, afin de modifier, par exemple, le montant de l’amende.
Arrêt du 17 mai 2011, Elf Aquitaine / Commission (T-299/08, Rec._p._II-2149) (cf. point 379)
14. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées - Dispositions d'une décision de la Commission élargissant la surface d'un site d'importance communautaire - Annulation entraînant une modification de la substance de la décision - Irrecevabilité
15. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision confirmative d'une décision antérieure non attaquée dans les délais - Irrecevabilité - Notion de décision confirmative - Décision adoptée à la suite d'un réexamen de la décision antérieure et sur la base d'éléments nouveaux - Exclusion
16. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Prise en considération d'un argument soulevé par une entreprise requérante, lors de l'audience, aux fins de l'examen du caractère justifié de la majoration du montant de l'amende infligée à ladite entreprise
S’agissant du contrôle exercé par le juge de l'Union sur les décisions de la Commission en matière de concurrence, la compétence de pleine juridiction conférée, en application de l’article 229 CE, au Tribunal par l’article 31 du règlement nº 1/2003, habilite cette juridiction à réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, en tenant compte de toutes les circonstances de fait, afin de modifier, par exemple, le montant de l’amende infligée.
Les dispositions de l’article 48 du règlement du procédure du Tribunal ne sauraient s’opposer à ce que le Tribunal prenne en considération, au titre de sa pleine juridiction, un argument soulevé par une partie requérante, lors de l’audience, afin d’examiner si la majoration de l'amende infligée à l'entreprise requérante, au titre de l’effet dissuasif, était justifiée au regard de l’élément factuel invoqué par celle-ci, d'autant plus quand la Commission a eu la possibilité de présenter des observations sur cette question.
17. Recours en annulation - Objet - Motifs d'une décision - Exclusion sauf exception
Le dispositif d’un acte est indissociable de sa motivation, de sorte qu’il doit être interprété, si besoin est, en tenant compte des motifs qui ont conduit à son adoption. S’il est vrai que seul le dispositif d’une décision est susceptible de produire des effets juridiques, il n’en reste pas moins que les appréciations formulées dans les motifs d’une décision peuvent être soumises au contrôle de légalité du juge de l’Union dans la mesure où, en tant que motifs d’un acte faisant grief, elles constituent le support nécessaire du dispositif de cet acte ou si ces motifs sont susceptibles de modifier la substance de ce qui a été décidé dans le dispositif de l’acte en cause.
Arrêt du 16 juin 2011, Verhuizingen Coppens / Commission (T-210/08, Rec._p._II-3713) (cf. point 34)
Arrêt du 16 septembre 2013, Galp Energia España e.a. / Commission (T-462/07) (cf. points 281, 282)
18. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir une injonction adressée à une institution - Conclusions tendant à obtenir un arrêt déclaratoire - Irrecevabilité
Le juge de l’Union n’est pas compétent, dans le cadre du contrôle de légalité, pour prononcer des arrêts déclaratoires ou des injonctions, et ce quel que soit la nature ou le contenu de l’acte attaqué. Dès lors, l’argument consistant à limiter l’impossibilité pour le juge de l’Union d’adresser des injonctions à l’institution aux cas où celle-ci dispose d’un pouvoir décisionnel n’est pas de nature à remettre en cause cette conclusion.
Ordonnance du 20 juin 2011, Marcuccio / Commission (T-256/10 P) (cf. points 27, 66)
Voir le texte de la décision.
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 9 avril 2019, Sopra Steria Group/Parlement (T-182/15), le Tribunal a rejeté le recours en annulation contre des décisions du Parlement européen de rejeter les offres des consortiums IBI IUS et STEEL, dont la requérante faisait partie, pour les lots nos 2 et 3. La procédure d’appel d’offres concernait la fourniture de services informatiques auprès du Parlement ainsi que d’autres institutions et organes de l’Union européenne.
L’appel d’offres était divisé en huit lots. Le cahier des charges prévoyait que la présentation d’une offre pour le lot nº 2 ou le lot nº 3 entraînait une interdiction pour le soumissionnaire de soumissionner, en tant que contractant unique, membre d’un consortium ou sous-traitant, pour le lot nº 4. Les consortiums IBI IUS et STEEL, dont la requérante faisait partie, ont soumis, le 22 mai 2014, des offres pour les lots nos 2 et 3. Le même jour, le consortium TEPting, dont la société Steria Benelux faisait partie, a présenté une offre pour le lot nº 4. Les trois offres ont été sélectionnées à des rangs différents au sein de leurs lots respectifs.
Le 5 septembre 2014, dans le cadre d’un processus de rapprochement (fusion), la requérante a acquis 90,52 % des parts de la société Groupe Steria, dont Steria Benelux était une filiale indirecte détenue à près de 100 %. Le 12 novembre 2014, après l’attribution du marché, mais avant la signature des contrats, le Parlement a été informé, par les intervenantes, du processus de rapprochement. Celui-ci a suspendu la procédure de passation des marchés pour les lots nos 2, 3 et 4. Le 15 décembre 2014, le consortium TEPting s’est retiré du lot nº 4.
Par les décisions attaquées, dont chacune a été fondée sur les deux mêmes motifs distincts, le Parlement a conclu, d’une part, que l’interdiction, contenue au cahier des charges, de soumissionner pour des lots incompatibles a été violée, et d’autre part, qu’il n’avait pas été informé de l’opération de fusion en temps voulu, en violation de l’article 107, paragraphe 1, sous b), du règlement financier{1}. Partant, le Parlement a rejeté les offres des consortiums IBI IUS et STEEL.
Dans le cadre d’examen du second motif des décisions attaquées qui était en soi susceptible de fonder le rejet des offres des consortiums IBI IUS et STEEL, le Tribunal a considéré que la détention indirecte importante par la requérante des parts de Steria Benelux était susceptible d’entraîner le risque d’exécution biaisée du lot nº 4 par cette dernière dans la mesure où ce lot consiste dans l’évaluation des services fournis pour l’exécution des lots nos 2 et 3. Partant, le Tribunal a conclu que le Parlement n’avait pas commis d’erreur en considérant que, à partir du 5 septembre 2014, il existait des éléments susceptibles de créer une situation pouvant donner lieu à un conflit d’intérêts.
Selon le Tribunal, il ressort du cahier des charges que les soumissionnaires se sont engagés à informer sans délai le pouvoir adjudicateur de toute situation de conflit d’intérêts ou qui pourrait y donner lieu.
Le Tribunal a estimé, dès lors, que, en l’espèce, les informations sur la procédure de rapprochement entre la requérante et Groupe Steria, dont Sopra Benelux était une filiale, doivent être considérées comme faisant partie des « renseignements exigés par le pouvoir adjudicateur pour leur participation au marché » au sens de l’article 107, paragraphe 1, sous b), du règlement financier.
Le Tribunal a conclu que, conformément à l’article 107, paragraphe 1, sous b), du règlement financier, et comme cela ressort également du cahier des charges, il appartenait à la requérante, directement ou par le biais des consortiums dont elle faisait partie, de faire preuve de diligence et d’informer le Parlement de sa propre initiative et sans délai de l’acquisition par Sopra Group des parts de Groupe Steria, réalisée le 5 septembre 2014, afin de lui permettre d’avoir tous les éléments nécessaires pour évaluer la situation de la requérante et prendre les mesures appropriées, le cas échéant.
Or, le Parlement n’a été informé par les consortiums IBI IUS et STEEL, dont la requérante faisait partie, du processus d’acquisition de Groupe Steria par Sopra Group, pour la première fois, que le 21 novembre 2014, à la suite de l’annonce du Parlement, le 19 novembre 2014, de la suspension de la procédure de passation du marché.
Le retard avec lequel ces éléments ont été fournis au Parlement, dépourvu de toute justification appropriée, ne peut pas être admis, en dépit des arguments avancés par celle-ci devant le Tribunal.
{1 Règlement (UE, Euratom) nº 966/2012 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l'Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) nº 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1).}
Arrêt du 9 avril 2019, Sopra Steria Group / Parlement (T-182/15) (cf. point 52)
Le 24 octobre 2019, dans l’arrêt CdT/EUIPO (T-417/18), le Tribunal a eu, en premier lieu, l’occasion de se prononcer sur une exception d’incompétence et d’irrecevabilité soulevée par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) dans le cadre d’un recours en annulation, introduit par le Centre de traduction des organes de l’Union européenne{1} (CdT).
Ce recours visait une lettre du 26 avril 2018 par laquelle l’EUIPO avait, d’une part, notifié son intention de ne pas proroger l’arrangement conclu le 13 décembre 2016 avec le CdT{2}, portant sur les modalités de leur coopération pour l’année 2017 dans le domaine des travaux de traduction nécessaires au fonctionnement de l’EUIPO, en raison de son mécontentement à l’égard des services rendus et, d’autre part, informé le CdT de son intention de prendre, à titre préventif, les mesures nécessaires afin de garantir la continuité des services de traduction. Le recours visait également la décision de l’EUIPO de publier, le 16 juin 2018, au Journal officiel de l’Union européenne un appel d’offres pour les services de traduction concernés.
En deuxième lieu, le Tribunal s’est prononcé sur une demande visant à interdire à l’EUIPO de signer des contrats dans le cadre de cet appel d’offres, et, en troisième lieu, sur une demande visant à ce que soit déclarée illégale la publication d’un appel d’offres pour des services de traduction par une agence ou tout autre organe ou organisme de l’Union dont un règlement fondateur{3} prévoit que les services de traduction sont fournis par le CdT.
Se déclarant compétent pour statuer sur le présent recours, le Tribunal a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions du recours tendant à l’annulation de la décision de résiliation de l’arrangement conclu entre le CdT et l’EUIPO et a rejeté le recours comme étant irrecevable pour le surplus.
En effet, le Tribunal a considéré, premièrement, contrairement à ce que soutenait l’EUIPO, qu’il était compétent pour statuer sur le litige, dès lors que celui-ci ne relevait pas d’un cadre purement contractuel, l’arrangement en cause s’inscrivant dans le cadre de l’article 2, paragraphe 1, du règlement nº 2965/94, ainsi que dans celui de l’article 148 du règlement 2017/1001.
Deuxièmement, s’agissant de la recevabilité du recours en ce qu’il était dirigé contre la lettre du 26 avril 2018, le Tribunal a considéré que, en tout état de cause, l’éventuel intérêt qu’aurait initialement eu le CdT à obtenir l’annulation de la décision de l’EUIPO de résilier l’arrangement de 2016, prétendument contenue dans cette lettre, n’avait pas perduré à la suite de la signature d’un nouvel arrangement entre ces deux agences, à savoir l’arrangement de 2018 portant sur les modalités de coopération pour les années 2019 et 2020.
Troisièmement, s’agissant des autres demandes du CdT, visant notamment la décision de l’EUIPO de s’autoriser à prendre unilatéralement certaines mesures aux fins d’assurer ses services de traduction, incluant la publication des appels d’offres et une signature, le cas échéant, de contrats avec les soumissionnaires potentiellement retenus, le Tribunal les a rejetés comme irrecevables, du fait, en substance, de l’absence d’effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du CdT en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique.
Quatrièmement, le Tribunal a rejeté comme irrecevable la demande du CdT visant à déclarer illégale la publication d’un appel d’offres pour des services de traduction par une agence ou tout autre organe ou organisme de l’Union dont le règlement fondateur prévoit que les services de traduction sont fournis par le CdT, en raison du fait que cette demande vise soit à ce que le Tribunal adresse des injonctions à l’EUIPO, soit à obtenir un arrêt déclaratoire.
Par ailleurs, le Tribunal a néanmoins condamné l’EUIPO à supporter, outre ses propres dépens, la moitié des dépens du CdT, en raison de son attitude lors des négociations avec le CdT portant sur leur coopération réciproque dans le domaine des services de traduction et de l’incertitude dans laquelle ce dernier avait été placé, l’ayant mené à introduire le recours.
{1 Le Centre de traduction des organes de l’Union européenne (CdT) est un organisme institué par le règlement (CE) no 2965/94 du Conseil, du 28 novembre 1994 (JO 1994, L 314, p. 1). Il a pour mission de fournir des services de traduction aux organismes visés à l’article 2, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement ainsi qu’aux institutions et aux organes de l’Union conformément au paragraphe 3 dudit article ; selon les termes de l’article 2, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 2965/94, le CdT « fournit les services de traduction nécessaires au fonctionnement » de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI), devenu l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) conformément aux dispositions du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).}
{2 Il est prévu à l’article 2, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 2965/94 que le CdT et les organismes mentionnés au premier alinéa du même paragraphe, et donc l’EUIPO, « concluent des arrangements définissant les modalités de leur coopération ».}
{3 Voir, à titre d’exemple, article 148 du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l'Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).}
Arrêt du 24 octobre 2019, CdT / EUIPO (T-417/18) (cf. points 76, 79, 82-84)
Arrêt du 18 janvier 2012, Djebel - SGPS / Commission (T-422/07) (cf. point 50)
Arrêt du 30 mai 2013, Morte Navarro / Parlement (T-280/09) (cf. point 27)
Ordonnance du 12 mars 2014, PAN Europe / Commission (T-192/12) (cf. points 14, 15)
Arrêt du 9 septembre 2014, MasterCard e.a. / Commission (T-516/11) (cf. points 94, 95)
Arrêt du 12 février 2015, Akhras / Conseil (T-579/11) (cf. points 50, 51)
Ordonnance du 17 décembre 2020, IM / BEI et FEI (T-80/20) (cf. point 15)
Ordonnance du 15 février 2022, eSlovensko / Commission (T-295/21) (cf. point 40)
Ordonnance du 15 février 2022, eSlovensko Bratislava / Commission (T-304/21) (cf. point 37)
Ordonnance du 15 février 2022, eSlovensko Bratislava / Commission (T-425/21) (cf. points 30, 31)
19. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Requalification du recours - Exclusion
Ordonnance du 30 juin 2011, Cross Czech / Commission (T-252/10, Rec._p._II-211*) (cf. points 61-64)
Ordonnance du 31 août 2011, IEM / Commission (T-435/10, Rec._p._II-249*) (cf. point 29)
Arrêt du 15 septembre 2011, CEVA / Commission (T-285/09, Rec._p._II-289*) (cf. points 34-35)
20. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 4 juillet 2017, Systema Teknolotzis / Commission (T-234/15) (cf. points 86, 87)
Ordonnance du 31 août 2011, IEM / Commission (T-435/10, Rec._p._II-249*) (cf. points 27-28)
Arrêt du 17 octobre 2012, Fondation IDIAP / Commission (T-286/10) (cf. points 113-114)
Ordonnance du 30 septembre 2014, Bitiqi e.a. / Commission e.a. (T-410/13) (cf. points 26-28, 36, 37)
Arrêt du 16 octobre 2014, Federación Española de Hostelería / EACEA (T-340/13) (cf. points 26-33)
21. Recours en annulation - Recevabilité - Personnes physiques ou morales - Obligation d'une entreprise destinataire d'une communication des griefs d'en contester les éléments de fait ou de droit au cours de la procédure administrative - Limitation de l'exercice du droit de recours - Violation des principes fondamentaux de légalité et de respect des droits de la défense
Dans le domaine des règles de concurrence, aucune disposition du droit de l’Union n’impose au destinataire d’une communication des griefs de contester ses différents éléments de fait ou de droit au cours de la procédure administrative, sous peine de ne plus pouvoir le faire ultérieurement au stade de la procédure juridictionnelle. En effet, si la reconnaissance explicite ou implicite d’éléments de fait ou de droit par une entreprise durant la procédure administrative devant la Commission peut constituer un élément de preuve complémentaire lors de l’appréciation du bien-fondé d’un recours juridictionnel, elle ne saurait limiter l’exercice même du droit de recours devant le Tribunal dont dispose une personne physique ou morale en vertu du traité.
En l’absence de base légale expressément prévue à cet effet, une telle limitation est contraire aux principes fondamentaux de légalité et de respect des droits de la défense. Le droit à un recours effectif et à l’accès à un tribunal impartial est, au demeurant, garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
22. Recours en annulation - Actes susceptibles de recours - Actes produisant des effets juridiques obligatoires - Décisions prises par l'Agence européenne pour la reconstruction dans le cadre de procédures de passation de marchés publics - Inclusion
23. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision confirmative d'une décision antérieure non attaquée dans les délais - Irrecevabilité - Notion de décision confirmative - Décision adoptée à la suite d'une demande invoquant des faits nouveaux et substantiels - Exclusion
Arrêt du 17 novembre 2016, Fedtke / CESE (T-157/16 P) (cf. points 17-21)
Arrêt du 26 juin 2019, NRW. Bank / CRU (T-466/16) (cf. points 67-69)
24. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Annulation de lettres de rappel de la Commission visant à obtenir le remboursement d'une subvention - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
Arrêt du 15 septembre 2011, CEVA / Commission (T-285/09, Rec._p._II-289*) (cf. points 45-48)
25. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision de refus de retirer ou de modifier un acte antérieur - Recevabilité s'appréciant par rapport à la possibilité d'attaquer l'acte en cause
Arrêt du 10 avril 2018, Alcogroup et Alcodis / Commission (T-274/15) (cf. point 76)
26. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Recours dirigé contre une décision de la Commission de recouvrer partiellement un montant versé pour la réalisation d'un projet dans le domaine de l'environnement - Absence de compétence de pleine juridiction
Arrêt du 12 octobre 2011, Dimos Peramatos / Commission (T-312/07, Rec._p._II-358*) (cf. point 121)
27. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Annulation d'une note de débit émise par la Commission - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
En vertu de l’article 263 TFUE, les juridictions de l’Union contrôlent la légalité des actes adoptés par les institutions destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers, en modifiant de façon caractérisée leur situation juridique. Cette compétence ne concerne que les actes visés par l’article 288 TFUE que ces institutions sont amenées à prendre dans les conditions prévues par le traité FUE, en faisant usage de leurs prérogatives de puissance publique.
En revanche, les actes adoptés par les institutions qui s’inscrivent dans un cadre purement contractuel dont ils sont indissociables ne figurent pas, en raison de leur nature même, au nombre des actes visés par l’article 288 TFUE, dont l’annulation peut être demandée en vertu de l’article 263 TFUE.
Le juge de l'Union ne peut donc être valablement saisi, sur le fondement de l’article 263 TFUE, d'un recours concernant une note de débit émise par la Commission dans le cadre d'un contrat la liant au requérant que si ladite note vise à produire des effets juridiques contraignants qui vont au-delà de ceux découlant du contrat et qui impliquent l’exercice des prérogatives de puissance publique conférées à la Commission en sa qualité d’autorité administrative.
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 11 décembre 2013, EMA / Commission (T-116/11) (cf. points 72, 74, 75)
S’il est vrai qu’il serait contraire à l’objectif du recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE d’interpréter restrictivement les conditions de recevabilité du recours en limitant sa portée aux seules catégories d’actes visés à l’article 288 TFUE, il n’en demeure pas moins que cette compétence d’interprétation et d’application des dispositions du traité par le juge de l’Union ne trouve pas à s’appliquer lorsque la situation juridique du requérant s’inscrit dans le cadre de relations contractuelles dont le régime juridique est régi par la loi nationale désignée par les parties contractantes.
En effet, si le juge de l’Union se reconnaissait compétent pour statuer en annulation sur des actes s’inscrivant dans un cadre purement contractuel, il risquerait non seulement de vider de son sens l’article 272 TFUE, lequel permet d’attribuer la compétence juridictionnelle de l’Union en vertu d’une clause compromissoire, mais encore, dans les cas où le contrat ne contiendrait pas pareille clause, d’étendre sa compétence juridictionnelle au-delà des limites tracées par l’article 274 TFUE, lequel confie aux juridictions nationales la compétence de droit commun pour connaître des litiges auxquels l’Union est partie. Il en découle que, en présence d’un contrat liant le requérant à l'une des institutions, les juridictions de l’Union ne peuvent être saisies d’un recours sur le fondement de l’article 263 TFUE que si l’acte attaqué vise à produire des effets juridiques contraignants qui se situent en dehors de la relation contractuelle liant les parties et qui impliquent l’exercice de prérogatives de puissance publique conférées à l’institution contractante en sa qualité d’autorité administrative.
À cet égard, une note de débit émise par la Commission dans le cadre d'un concours financier communautaire s’inscrit dans le contexte d’une relation contractuelle, en ce qu’elle a pour objet le recouvrement d’une créance qui trouve son fondement dans les stipulations d’un contrat conclu entre ladite institution et le bénéficiaire dudit concours financier. En effet, cette note de débit doit être comprise comme une mise en demeure comportant l'indication de la date d’échéance ainsi que les conditions de paiement qui ne saurait être assimilée à un titre exécutoire, bien qu’elle mentionne la voie exécutoire de l’article 299 TFUE comme étant une option possible parmi d’autres s’offrant à la Commission dans l’hypothèse où le débiteur ne s’exécuterait pas à la date d’échéance fixée. Par ailleurs, dans l’hypothèse où une institution, et plus particulièrement la Commission, choisit, pour allouer des contributions financières, la voie contractuelle dans le cadre de l’article 272 TFUE, elle est tenue de rester à l’intérieur de ce cadre. Ainsi, il lui incombe, notamment, d'éviter l’utilisation, dans le cadre des relations avec ses cocontractants, de formulations ambiguës susceptibles d’être perçues par les contractants comme relevant de pouvoirs de décision unilatéraux dépassant les stipulations contractuelles.
Arrêt du 25 septembre 2018, GABO:mi / Commission (T-10/16) (cf. points 41-43, 47)
Ordonnance du 15 février 2022, eSlovensko / Commission (T-295/21) (cf. points 28-30)
28. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Exercice de droits contractuels par une institution, au nom et pour le compte de l'une des parties au contrat - Incompétence du juge communautaire - Irrecevabilité
En vertu de l’article 230 CE, les juridictions communautaires contrôlent la légalité des actes adoptés par les institutions destinés à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers, en modifiant de façon caractérisée leur situation juridique. Cette compétence ne concerne que les actes visés par l’article 249 CE que les institutions sont amenées à prendre dans les conditions prévues par le traité.
En revanche, les actes adoptés par les institutions qui s’inscrivent dans un cadre purement contractuel dont ils sont indissociables ne figurent pas, en raison de leur nature même, au nombre des actes visés par l’article 249 CE, dont l’annulation peut être demandée à la juridiction communautaire aux termes de l’article 230 CE.
Toutefois, l’acte adopté par une institution dans un contexte contractuel doit être considéré comme détachable de ce dernier lorsque, d’une part, il a été adopté par cette institution dans l’exercice de ses compétences propres et, d’autre part, il produit par lui-même des effets juridiques obligatoires susceptibles d’affecter les intérêts de son destinataire et peut donc faire l’objet d’un recours en annulation. Dans ces circonstances, un recours en annulation introduit par le destinataire de l’acte doit être considéré comme recevable. Dans ce contexte, les "compétences propres d’une institution" doivent être comprises comme celles, tirées des traités ou du droit dérivé, qui participent de ses prérogatives de puissance publique et lui permettent ainsi de créer ou de modifier, de manière unilatérale, des droits et des obligations à l’égard d’un tiers. En revanche, l’exercice de droits contractuels par une institution, dans l’hypothèse où l’Union a reçu mandat d’agir au nom et pour le compte de l’une des parties au contrat, ne constitue pas un exercice de ses compétences propres.
29. Recours en annulation - Recevabilité - Décision infligeant une amende pour violation des règles de concurrence - Recours visant à obtenir le remboursement des intérêts par défaut supportés par une entreprise en raison du paiement de l'amende - Irrecevabilité
30. Recours en annulation - Règlement du Conseil instituant un droit antidumping définitif - Recours dirigé contre la Commission - Irrecevabilité
Le rôle de la Commission dans les procédures antidumping s’intègre dans le cadre du processus de décision du Conseil. Elle est chargée de mener les enquêtes et de décider, sur la base de celles-ci, de clôturer la procédure ou au contraire de la poursuivre en adoptant des mesures provisoires et en proposant au Conseil l’adoption de mesures définitives telles qu'un règlement instituant un droit antidumping. Le pouvoir de décision revient cependant au Conseil, qui peut s’abstenir de toute décision s’il est en désaccord avec la Commission ou, au contraire, prendre une décision sur la base des propositions de celle-ci. Dans ces conditions, un recours en annulation d'un règlement adopté uniquement par le Conseil est irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre la Commission.
31. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Règlement concernant des mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes, entités ou organismes au regard de la situation en Tunisie - Compétence pour substituer un autre acte à l'acte litigieux ou pour le réformer - Absence - Conclusions tendant au déblocage ou à la mise à disposition de certains fonds ou ressources économiques gelés - Irrecevabilité
Ordonnance du 11 janvier 2012, Ben Ali / Conseil (T-301/11) (cf. point 62)
32. Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Actes les concernant directement et individuellement - Possibilité de fonder un recours introduit avant l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne sur l'article 263, quatrième alinéa, TFUE - Absence
Ordonnance du 14 février 2012, Grasso / Commission (T-319/08) (cf. point 16)
Ordonnance du 14 février 2012, AJD Tuna / Commission (T-329/08) (cf. point 28)
Ordonnance du 14 février 2012, Federcoopesca e.a. / Commission (T-366/08) (cf. point 16)
33. Recours en annulation - Recours contre une décision de la Commission rejetant une demande visant à la non-prise en compte a posteriori et à la remise d'une dette douanière constatée par les autorités douanières nationales - Annulation, par une décision juridictionnelle nationale définitive, de la décision de prise en compte à postériori des autorités douanières nationales - Recours devenu sans objet - Non-lieu à statuer
Est dépourvu d'objet le recours tendant à obtenir l'annulation d'une décision de la Commission rejetant la demande du requérant visant à la non-prise en compte a posteriori et à la remise de la dette douanière mise à sa charge par plusieurs décisions des autorités douanières nationales, dès lors que, à la suite de l’annulation de ses décisions de prise en compte à posteriori par une décision juridictionnelle définitive d'une juridiction nationale, le paiement des droits en cause ne peut plus être réclamé au requérant et que, en conséquence, l’annulation de la décision attaquée n'est plus susceptible de procurer un bénéfice au requérant.
Cette conclusion ne saurait être infirmée par le fait que la décision de la Commission est susceptible de produire des effets à l'égard des autres importateurs. En effet, l’intérêt pour agir doit être personnel et une partie requérante ne peut pas introduire un recours en annulation dans l’intérêt général des tiers ou de la légalité. Cet intérêt propre, en outre, doit être suffisamment direct. Le seul fait que persiste l’intérêt de tiers par rapport au requérant à obtenir l’annulation de la décision attaquée ne saurait suffire, dans ces conditions, pour conclure que le recours n’a pas perdu son objet.
34. Aides accordées par les États - Décision de la Commission - Contrôle juridictionnel - Limites - Appréciation de la légalité en fonction des éléments d'information disponibles au moment de l'adoption de la décision
Arrêt du 15 mars 2012, Ellinika Nafpigeia / Commission (T-391/08) (cf. point 175)
35. Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Entité absorbée par une autre personne morale - Disparition de cette entité - Substitution de l'ayant cause à titre universel dans les actions légales de son prédécesseur
Arrêt du 7 mars 2013, Acino / Commission (T-539/10) (cf. point 21)
36. Recours en annulation - Qualité de partie défenderesse - Délégation de l'Union - Absence de qualité d'organe ou d'organisme de l'Union - Actes adoptés par le chef d'une délégation de l'Union dans le cadre d'une procédure de marché public de fournitures - Actes imputables à la Commission - Irrecevabilité du recours
Il résulte de l’article 221 TFUE, de la décision 2010/427, fixant l'organisation et le fonctionnement du service européen pour l'action extérieure (SEAE), et des articles 51, deuxième alinéa, 59, 60 bis et 85 du règlement nº 1605/2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes, que le statut juridique des délégations de l’Union se caractérise par une double dépendance organique et fonctionnelle à l’égard du SEAE et de la Commission, qui ne permet pas de les considérer comme un organe au sens de l’article 263 TFUE.
Par ailleurs, des actes adoptés en vertu de pouvoirs délégués sont normalement imputés à l’institution délégante, à laquelle il appartient de défendre en justice l’acte en cause. Cette solution vaut a fortiori pour les délégations de signature et dans l’hypothèse d’une subdélégation. Ainsi, les actes adoptés par le chef d'une délégation de l’Union, agissant en sa qualité d’ordonnateur subdélégué de la Commission, dans le cadre d'une procédure de marché public de fournitures, ne permettent pas de reconnaître à ladite délégation la qualité de partie défenderesse et sont, en l’occurrence, imputables à la Commission.
Il en résulte qu'une délégation de l’Union ne peut être considérée comme un organe ou un organisme de l’Union et se voir reconnaître la qualité de partie défenderesse, et qu'un recours introduit contre une telle délégation est irrecevable.
37. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir une injonction adressée à une institution - Irrecevabilité
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans / Commission (T-135/09) (cf. point 136)
Arrêt du 6 décembre 2012, Strobl / Commission (T-630/11 P) (cf. point 46)
Arrêt du 29 janvier 2013, Cosepuri / EFSA (T-339/10 et T-532/10) (cf. point 77)
Arrêt du 28 mai 2013, Trabelsi e.a. / Conseil (T-187/11) (cf. points 40, 41)
Arrêt du 18 juin 2013, Portugal / Commission (T-509/09) (cf. point 28)
Arrêt du 9 septembre 2015, SV Capital / ABE (T-660/14) (cf. point 53)
Arrêt du 30 septembre 2015, Anagnostakis / Commission (T-450/12) (cf. point 12)
Arrêt du 4 février 2016, Italian International Film / EACEA (T-676/13) (cf. point 67)
Arrêt du 22 avril 2016, Italie / Commission (T-60/06 RENV II et T-62/06 RENV II) (cf. point 43)
Arrêt du 15 septembre 2016, K Chimica / ECHA (T-675/13) (cf. point 20)
Arrêt du 20 juillet 2017, ADR Center / Commission (T-644/14) (cf. point 56)
Arrêt du 10 novembre 2017, Icap e.a. / Commission (T-180/15) (cf. point 35)
Arrêt du 5 février 2018, Pari Pharma / EMA (T-235/15) (cf. point 31)
Arrêt du 9 octobre 2018, 1&1 Telecom / Commission (T-43/16) (cf. point 64)
Dans l’arrêt ClientEarth/Commission (T-108/17), rendu le 4 avril 2019, le Tribunal a rejeté le recours contre la décision de la Commission européenne rejetant une demande de réexamen interne de la décision autorisant l’utilisation du chlorure de polyvinyle (PVC) souple recyclé contenant du phtalate de bis(2-éthylhexyle) (DEHP).
En adoptant le règlement nº 143/2011{1}, la Commission a inclus le DEHP, un composé organique essentiellement utilisé pour assouplir les plastiques à base de PVC, dans l’annexe XIV du règlement nº 1907/2006{2} (ci-après le « règlement REACH »), en raison des propriétés toxiques de cette substance pour la reproduction. Par la suite, trois sociétés de recyclage de déchets ont, conformément au règlement REACH, présenté une demande d’autorisation conjointe en vue de la mise sur le marché du DEHP pour certaines utilisations. Le 16 juin 2016, la Commission a adopté une décision en vertu de l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH, par laquelle elle a, en substance, accordé à ces trois sociétés l’autorisation d’utiliser du PVC souple recyclé contenant du DEHP.
Le 2 août 2016, ClientEarth, qui est un organisme ayant pour objet notamment la protection de l’environnement, a demandé à la Commission d’effectuer un réexamen interne de la décision d’autorisation du 16 juin 2016 en vertu de l’article 10 du règlement nº 1367/2006{3}. Le 7 décembre 2016, la Commission a rejeté cette demande.
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 février 2017, ClientEarth a introduit un recours visant à l’annulation de la décision sur la demande de réexamen interne du 7 décembre 2016. Le Tribunal a rejeté ce recours.
Dans son arrêt, premièrement, le Tribunal a apporté des précisions quant à la notion d’« utilisation » visée notamment à l’article 56, paragraphe 1, sous a), et à l’article 62, paragraphe 4, sous c), du règlement REACH. En particulier, il a constaté que, compte tenu de la définition large prévue à l’article 3, point 24, dudit règlement et contrairement à ce qu’a fait valoir la requérante, la notion d’« utilisation » n’implique pas nécessairement qu’une certaine substance soit introduite ou déployée « activement » dans un processus industriel. En revanche, il suffit que la substance en cause soit contenue dans un mélange qui est, à son tour, utilisé de manière active.
Deuxièmement, le Tribunal a indiqué, dans son arrêt, que l’article 60, paragraphe 7, du règlement REACH, selon lequel, en substance, une autorisation n’est octroyée que si la demande est introduite conformément aux prescriptions de l’article 62 du même règlement, soumet la Commission à une obligation d’ordre formel et procédural. En revanche, contrairement à ce qu’a fait valoir la requérante, le bien-fondé des éléments visés à l’article 62 du règlement REACH n’est pas examiné sur la base dudit article 60, paragraphe 7, mais sur le fondement de l’article 60, paragraphes 2, 4 et 5, du règlement.
Troisièmement, la requérante a invoqué que, dans le cadre de l’examen des risques découlant de l’utilisation du DEHP, la Commission était tenue de prendre en compte également le fait que cette substance avait été identifiée en tant que perturbateur endocrinien extrêmement préoccupant au sens de l’article 57, sous f), du règlement REACH et avait donc, pour ce motif, été incluse à la « liste des substances candidates », à savoir la liste visée à l’article 59, paragraphe 1, du règlement REACH. Le Tribunal a expliqué, dans son arrêt, qu’une telle identification ne doit pas nécessairement être prise en considération par la Commission lorsqu’elle évalue les risques posés par l’utilisation d’une substance aux fins de l’octroi d’une autorisation à moins que cette identification ait été suivie par une inclusion de cette substance également dans l’annexe XIV du règlement. Tel est, en substance, le cas car l’inclusion d’une substance dans la liste des substances candidates, d’une part, et l’inclusion dans l’annexe XIV du règlement REACH, d’autre part, constituent deux phases différentes de la procédure d’autorisation, qui sont régies par leurs propres règles, concernent des objectifs qui ne se recoupent qu’en partie et procèdent, pour partie, de critères d’évaluation différents.
Quatrièmement et enfin, le Tribunal a indiqué les raisons pour lesquelles le simple fait qu’une substance puisse nuire à la santé humaine ne suffit pas pour conclure que son utilisation doit rester interdite après son inclusion dans l’annexe XIV du règlement REACH, et ce en dépit d’une application du principe de précaution. Tel est le cas, en substance, car lorsqu’elle adopte une mesure restrictive ayant pour but la protection de l’environnement ou de la santé humaine, la Commission est tenue de procéder à une juste articulation entre le principe de précaution et le principe de proportionnalité. Il serait contraire non seulement au règlement REACH en tant que tel, mais également au principe de proportionnalité, de refuser l’octroi d’une autorisation au seul motif que la substance en cause peut nuire à la santé humaine.
{1 Règlement (UE) nº 143/2011 de la Commission, du 17 février 2011, modifiant l’annexe XIV du règlement (CE) nº 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH) (JO 2011, L 44, p. 2).}
{2 Règlement (CE) nº 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) nº 793/93 du Conseil et le règlement (CE) nº 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, rectificatif JO 2007, L 136, p. 3).}
{3 Règlement (CE) nº 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13).}
Arrêt du 4 avril 2019, ClientEarth / Commission (T-108/17) (cf. point 30)
Par décision d’autorisation du 5 août 2013{1}, la Commission a approuvé, sous réserve de conditions et d’obligations, une concentration entre US Airways Group et AMR Corporation (ci-après « les parties à la fusion »), la seconde étant la société mère de la compagnie aérienne American Airlines.
Afin de répondre aux doutes sérieux exprimés au stade de l’enquête préliminaire par la Commission au sujet de la compatibilité de cette opération avec le marché intérieur, les parties à la fusion avaient proposé une série d’engagements visant à abaisser les barrières à l’entrée à l’aéroport de London Heathrow (ci-après « LHR ») et à faciliter l’entrée d’un concurrent sur la liaison Londres-Philadelphie. Ainsi, elles s’étaient engagées à mettre des créneaux horaires LHR à disposition d’un nouvel entrant sur la liaison Londres-Philadelphie. Ces engagements (ci-après les « engagements relatifs aux créneaux ») ont été annexés à la décision d’autorisation.
Bien que les créneaux horaires LHR à libérer devaient, en principe, être utilisés sur la liaison Londres-Philadelphie, les engagements relatifs aux créneaux prévoyaient la possibilité pour le nouvel entrant d’obtenir des droits d’antériorité lui permettant d’utiliser ces créneaux sur n’importe quelle liaison en provenance et en direction de LHR. L’acquisition desdits droits d’antériorité était toutefois soumise à l’obligation pour le nouvel entrant d’effectuer un « usage approprié » des créneaux libérés pendant six saisons au sens de l’Association internationale du transport aérien (IATA) consécutives (ci-après la « période d’usage »).
En exécution de ces engagements, un accord de libération de créneaux a été conclu entre American Airlines et Delta Air Lines, qui a commencé à exploiter la liaison Londres - Philadelphie au début de l’été 2015.
Estimant que Delta Air Lines avait fait un usage approprié des créneaux durant la période d’usage, la Commission lui a accordé des droits d’antériorité par décision du 30 avril 2018{2} (ci-après « la décision attaquée »). Pour affirmer l’usage approprié des créneaux libérés, la Commission a constaté l’absence d’usage abusif par Delta Air Lines pendant la période d’usage.
American Airlines a saisi le Tribunal d’un recours en annulation de cette décision, en invoquant, notamment, des erreurs de droit commises par la Commission dans l’interprétation de l’obligation de Delta Air Lines d’effectuer un « usage approprié » des créneaux libérés. Selon American Airlines, l’« usage approprié » doit être entendu comme visant un « usage conforme à l’offre » et non pas comme visant une absence d’« usage abusif » des créneaux libérés, comme soutenu par la Commission.
Ce recours en annulation est, toutefois, rejeté par la première chambre élargie du Tribunal.
Appréciation du Tribunal
Dans son arrêt, le Tribunal procède à une interprétation littérale et systématique de l’obligation de Delta Air Lines d’effectuer un « usage approprié » des créneaux horaires LHR libérés par American Airlines, tout en tenant compte de son objectif et de son contexte.
S’agissant de l’interprétation littérale des termes « usage approprié », le Tribunal relève que, dans la langue originale des engagements relatifs aux créneaux, à savoir l’anglais, la notion de « misuse » (« usage abusif ») n’a pas nécessairement une connotation négative. La Commission n’avait, par conséquent, pas commis d’erreur en considérant que le terme « misuse » peut être défini comme « le fait d’utiliser quelque chose d’une manière inadaptée ou d’une manière qui n’était pas prévue ». Selon le Tribunal, l’assimilation, opérée dans la décision attaquée, entre « usage approprié » et « absence d’usage abusif » est, par conséquent, conciliable avec le libellé des dispositions concernées.
Cela étant, l’interprétation avancée par American Airlines, selon laquelle l’usage approprié vise, en principe, un usage « conforme à l’offre », tout en réservant à la Commission une certaine marge d’appréciation à cet égard, est, selon le Tribunal, également conciliable avec les termes « usage approprié ».
La seule interprétation littérale des engagements relatifs aux créneaux n’étant pas concluante, le Tribunal rappelle que, pour interpréter une disposition du droit de l’Union, il faut tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie. Comme les engagements relatifs aux créneaux font partie intégrante de la décision d’autorisation, ces principes s’appliquent à leur interprétation. Ainsi, le Tribunal affirme que les engagements relatifs aux créneaux doivent être interprétés à la lumière de la décision d’autorisation, dans le cadre général du droit de l’Union, en particulier à la lumière du règlement sur les concentrations{3}, et par référence à la communication de la Commission concernant les mesures correctives recevables conformément au règlement sur les concentrations et au règlement d’application{4}.
À cet égard, le Tribunal met en évidence l’importance des indications du « formulaire RM », que les parties à la fusion avaient fourni à la Commission en accompagnement de leurs propositions d’engagements relatifs aux créneaux. Conformément au règlement d’application{5}, ce formulaire RM contient les renseignements et les documents qui sont nécessaires pour permettre à la Commission d'examiner si les engagements soumis par des parties à une fusion sont de nature à rendre la concentration compatible avec le marché intérieur. Dans la mesure où ledit formulaire RM dérive du règlement sur les concentrations, les engagements relatifs aux créneaux, tels qu’annexés à la décision d’autorisation, doivent être interprétés également au regard dudit formulaire RM.
En ce qui concerne les droits d’antériorité sur les créneaux horaires LHR à libérer, il résulte du formulaire RM fourni par les parties à la fusion que les engagements proposés par ces parties sont largement similaires à ceux souscrits dans l’affaire IAG/bmi{6}. Toutefois, contrairement aux engagements de l’affaire IAG/bmi, les engagements relatifs aux créneaux horaires LHR requièrent que les créneaux libérés soient utilisés pendant la période d’usage d’une manière « conforme à l’offre ». Ainsi, American Airlines avançait une série d’arguments visant à démontrer la pertinence de l’incise « conforme à l’offre » dans les engagements relatifs aux créneaux pour l’interprétation de l’expression « usage approprié » et, de ce fait, pour l’octroi de droits d’antériorité.
Ses arguments sont, toutefois, tous rejetés par le Tribunal, qui qualifie la référence à l’usage des créneaux « conforme à l’offre » figurant dans les engagements relatifs aux créneaux horaires LHR de simple variante linguistique mineure par rapport aux engagements de l’affaire IAG/bmi, qui n’induit aucune modification des exigences dues à l’antériorité par rapport à cette affaire. Selon le Tribunal, cette interprétation ne pouvait être remise en cause que si les parties à la fusion avaient porté à la connaissance de la Commission que l’écart dans le texte des engagements proposés constituait un changement substantiel par rapport aux engagements consacrés dans l’affaire IAG/bmi. Or, le formulaire RM était muet sur ce point. De plus, American Airlines n’avait apporté aucun autre élément utile visant à démontrer que les parties à la fusion ont porté cet écart à la connaissance de la Commission.
Enfin, le Tribunal confirme que l’interprétation retenue par la Commission dans la décision attaquée, selon laquelle il convient d’interpréter la notion d’« usage approprié » comme visant l’absence d’« usage abusif », est confortée tant par l’interprétation systématique des engagements relatifs aux créneaux que par leur objectif et par leur contexte.
Au regard de ce qui précède, le Tribunal rejette le recours en annulation en sa totalité.
{1} Décision C(2013) 5232 final, du 5 août 2013 (affaire COMP/M.6607 - US Airways/American Airlines) (JO 2013, C 279, p. 6, ci-après la « décision d’autorisation »).
{2} Décision C(2018) 2788 final, du 30 avril 2018 (affaire M.6607 US Airways/American Airlines).
{3} Règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1).
{4} Communication de la Commission concernant les mesures correctives recevables conformément au règlement (CE) no 139/2004 du Conseil et au règlement (CE) no 802/2004 de la Commission (JO 2008, C 267, p. 1).
{5} Annexe 4 du règlement (CE) no 802/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 133, p. 1, rectificatif JO 2004, L 172, p. 9, ci-après le « règlement d’application »).
{6} Affaire COMP/M.6447 - IAG/bmi (ci-après l’« affaire IAG/bmi »), ayant abouti à la décision C(2012) 2320 de la Commission, du 30 mars 2012 (JO 2012, C 161, p. 2).
Arrêt du 16 décembre 2020, American Airlines / Commission (T-430/18) (cf. point 312)
Arrêt du 12 septembre 2012, Grèce / Commission (T-356/08) (cf. point 118)
Arrêt du 17 octobre 2012, Fondation IDIAP / Commission (T-286/10) (cf. point 111)
Ordonnance du 24 octobre 2012, Evropaïki Dynamiki / Commission (T-442/11) (cf. point 146)
Ordonnance du 7 mars 2013, Henkel et Henkel France / Commission (T-64/12) (cf. point 71)
Arrêt du 30 mai 2013, Omnis Group / Commission (T-74/11) (cf. point 26)
Arrêt du 12 novembre 2013, North Drilling / Conseil (T-552/12) (cf. point 17)
Arrêt du 12 décembre 2013, Nabipour e.a. / Conseil (T-58/12) (cf. point 17)
Arrêt du 20 mars 2014, Reagens / Commission (T-181/10) (cf. point 49)
Ordonnance du 17 septembre 2014, Afepadi e.a. / Commission (T-354/12) (cf. points 40, 41)
Arrêt du 4 décembre 2015, Sarafraz / Conseil (T-273/13) (cf. points 61, 62)
Arrêt du 16 décembre 2015, Air Canada / Commission (T-9/11) (cf. point 88)
Arrêt du 28 juin 2016, AF Steelcase / EUIPO (T-652/14) (cf. points 36, 37)
Arrêt du 15 juin 2017, Bay / Parlement (T-302/16) (cf. point 45)
Ordonnance du 10 octobre 2017, Alex / Commission (T-841/16) (cf. points 80, 83)
Ordonnance du 17 octobre 2017, Andreassons Åkeri e.a. / Commission (T-746/16) (cf. points 19-21)
Ordonnance du 1er février 2018, Collins / Parlement (T-919/16) (cf. point 32)
Ordonnance du 25 mars 2019, Abaco Energy e.a. / Commission (T-186/18) (cf. point 25)
Arrêt du 10 avril 2019, Allemagne / Commission (T-229/17) (cf. point 46)
Arrêt du 8 mai 2019, Enrico Colombo et Corinti Giacomo / Commission (T-690/16) (cf. point 69)
Ordonnance du 21 mai 2019, Pint / Commission (C-770/18 P) (cf. points 5, 6)
Arrêt du 12 septembre 2019, XI / Commission (T-528/18) (cf. point 41)
Arrêt du 12 mars 2020, LL-Carpenter / Commission (T-531/18) (cf. points 120, 121)
Ordonnance du 3 juillet 2020, Falqui / Parlement (T-347/19 et T-348/19) (cf. point 66)
Ordonnance du 4 février 2021, Germann Avocats / Commission (T-352/18) (cf. point 50)
Ordonnance du 10 août 2021, Jakeliūnas / AEMF (T-760/20) (cf. point 40)
Arrêt du 2 mars 2022, Huhtamaki / Commission (T-134/20) (cf. point 18)
Arrêt du 2 mars 2022, D & A Pharma / Commission et EMA (T-556/20) (cf. point 17)
Arrêt du 28 septembre 2022, Oi Dromoi tis Elias / Commission (T-352/21) (cf. point 18)
Arrêt du 5 octobre 2022, Múka / Commission (T-214/21) (cf. point 19)
Arrêt du 12 octobre 2022, Vasallo Andrés / Parlement (T-496/21) (cf. point 62)
Arrêt du 8 février 2023, PBL et WA / Commission (T-538/21) (cf. point 11)
Arrêt du 14 juin 2023, Covington & Burling et Van Vooren / Commission (T-201/21) (cf. points 22, 23)
Arrêt du 26 juillet 2023, SMA Mineral / Commission (T-215/21) (cf. point 10)
Ordonnance du 11 août 2023, Flynn / BCE (T-675/22) (cf. points 18, 19, 45)
38. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Requalification du recours - Conditions - Requérant n'ayant pas expressément demandé la requalification - Recours ne s'appuyant sur aucun moyen tiré de la violation des règles régissant la relation contractuelle - Exclusion de la requalification
Arrêt du 16 octobre 2014, Federación Española de Hostelería / EACEA (T-340/13) (cf. points 34-37)
39. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Recours dirigé contre l'organe de l'institution compétent pour arrêter la décision attaquée - Irrecevabilité - Recours devant être dirigé contre l'institution auteur de l'acte
Ordonnance du 5 septembre 2012, Farage / Parlement et Buzek (T-564/11) (cf. point 18)
40. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Lettre annonçant l'intention de la Commission de recouvrer des sommes versées à une entreprise dans le cadre d'un contrat de financement de recherche, à la suite d'un audit financier - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
41. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Requalification du recours - Conditions - Recours ne s'appuyant sur aucun moyen tiré de la violation des règles régissant la relation contractuelle - Exclusion de la requalification
Ordonnance du 6 janvier 2015, St'art e.a. / Commission (T-36/14) (cf. points 44, 46-48)
Ordonnance du 6 janvier 2015, St'art e.a. / Commission (T-93/14) (cf. points 35, 37)
42. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Décision de la Commission portant suppression d'un concours financier de l'Union - Compétence pour substituer une autre décision à la décision attaquée ou pour procéder à la réformation de cette dernière - Absence
Arrêt du 10 octobre 2012, Grèce / Commission (T-158/09) (cf. point 176)
43. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Pouvoir de réformation - Exclusion
Arrêt du 11 octobre 2012, Novatex / Conseil (T-556/10) (cf. points 152-154)
Arrêt du 30 mai 2013, Omnis Group / Commission (T-74/11) (cf. point 27)
44. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision, dans le cadre de la procédure de passation d'un marché public de services, de ne pas retenir une offre - Annulation, pour défaut de motivation, de la décision litigieuse - Moyen subsidiaire d'annulation tiré d'une violation du principe de non-discrimination - Réalité de la discrimination dépendant de l'examen de moyens devant être dirigés contre la décision remplaçant la décision annulée - Caractère prématuré de la demande d'annulation
Arrêt du 17 octobre 2012, Evropaïki Dynamiki / Cour de justice (T-447/10) (cf. point 116)
45. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Intérêt à agir - Introduction d'un seul et même recours par deux requérants - Recevabilité du recours de l'un des requérants - Nécessité d'examiner la recevabilité du recours s'agissant du second requérant - Absence
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 29 novembre 2012, Thesing et Bloomberg Finance / BCE (T-590/10) (cf. point 19)
Arrêt du 1er février 2018, European Dynamics Luxembourg e.a. / ECHA (T-477/15) (cf. point 22)
46. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Compétence de pleine juridiction - Injonction adressée à une institution - Inadmissibilité
Arrêt du 29 novembre 2012, Thesing et Bloomberg Finance / BCE (T-590/10) (cf. point 21)
47. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de l'Iran - Gel des fonds de personnes, entités ou organismes participant ou appuyant la prolifération nucléaire - Recours en annulation d'une entité visée par une décision de gel des fonds - Répartition de la charge de la preuve - Contrôle juridictionnel
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 29 janvier 2013, Bank Mellat / Conseil (T-496/10) (cf. point 111)
Arrêt du 5 février 2013, Bank Saderat Iran / Conseil (T-494/10) (cf. points 105, 115-116)
Arrêt du 5 décembre 2012, Qualitest / Conseil (T-421/11) (cf. point 55)
Arrêt du 17 avril 2013, TCMFG / Conseil (T-404/11) (cf. points 30, 33-38)
48. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir une injonction adressée à une institution - Inadmissibilité
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 22 janvier 2013, Salzgitter / Commission (T-308/00 RENV) (cf. point 19)
Voir texte de la décision.
Ordonnance du 28 mars 2023, Primicerj / Commission (T-612/22) (cf. point 26)
Le Tribunal, réuni en chambre élargie, confirme pour l’essentiel la décision de la Commission européenne{1} constatant que les banques Crédit agricole SA et Crédit agricole Corporate and Investment Bank (ci-après « Crédit agricole ») ainsi que Credit Suisse Group AG et Credit Suisse Securities (Europe) Ltd (ci-après « Credit Suisse ») ont participé à un cartel dans le secteur des obligations supra-souveraines, des obligations souveraines et des obligations d’organismes publics libellées en dollars des États-Unis (ci-après les « OSSA »). Ainsi, le Tribunal maintient les amendes imposées auxdites banques pour violation de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE).
En 2015, Deutsche Bank a saisi la Commission d’une demande de clémence en l’informant de l’existence d’un cartel sur le marché secondaire des OSSA. Les OSSA constituent des titres de créance permettant à leur émetteur de lever des fonds pour financer certaines dépenses ou certains investissements. Elles sont proposées à la vente pour la première fois par, ou pour le compte de, leur émetteur sur le marché primaire. Ensuite, elles sont échangées « de gré à gré » entre investisseurs sur le marché secondaire, sans bourse centrale.
Sur ce marché secondaire, les banques tentent de générer des revenus en captant la différence entre le cours acheteur et le cours vendeur des OSSA.
Ayant ouvert une enquête en vue d’examiner les pratiques dénoncées par Deutsche Bank, la Commission a constaté que les traders de plusieurs banques, parmi lesquelles figurent Crédit agricole et Credit Suisse, avaient collaboré et échangé des informations afin d’obtenir un avantage concurrentiel sur le marché secondaire des OSSA. Estimant, en outre, que ces comportements faisaient partie d’un plan global poursuivant un même objectif anticoncurrentiel, la Commission a considéré que les banques concernées avaient commis une infraction unique et continue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE par la conclusion d’accords ou par la mise en œuvre de pratiques concertées ayant pour objet de restreindre ou de fausser la concurrence dans le secteur des OSSA dans l’EEE. Par conséquent, des amendes à hauteur de 3 993 000 euros et 11 859 000 euros ont été respectivement imposées à Crédit agricole et à Credit Suisse.
UBS Group AG, venant aux droits de Credit Suisse, ainsi que Crédit agricole ont saisi le Tribunal de deux recours en annulation de la décision de la Commission en ce qu’elle les concerne. Crédit agricole a également demandé au Tribunal de réduire le montant de l’amende qui lui avait été imposée, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction prévue à l’article 261 TFUE et à l’article 31 du règlement no 1/2003.
Appréciation du Tribunal
À titre liminaire, le Tribunal relève que, dans la décision attaquée, la Commission a retenu l’existence d’une seule infraction unique et continue commise par Crédit agricole. Ainsi, il écarte les arguments de cette banque tirés du fait que la Commission aurait constaté l’existence de cinq infractions autonomes revêtant la qualification de « restriction par objet », comme étant fondés sur une lecture erronée de la décision attaquée.
Ensuite, le Tribunal précise que les moyens en annulation des requérantes s’articulent, en substance, autour de trois catégories de critiques qui sont tirées :
- premièrement, d’erreurs dans la qualification des comportements en cause d’« infraction unique et continue » à l’article 101, paragraphe 1, TFUE ainsi que de l’étendue de leur participation à cette infraction,
- deuxièmement, d’erreurs dans la qualification de cette infraction de « restriction par objet » et,
- troisièmement, d’erreurs dans la détermination du montant des amendes imposées.
Avant d’aborder ces trois séries de moyens communs aux deux recours, le Tribunal examine au préalable le moyen de Crédit agricole tiré d’une violation du principe de la présomption d’innocence.
Sur le respect de la présomption d’innocence
S’agissant du respect de la présomption d’innocence, le Crédit agricole avançait, d’une part, que la Commission aurait à tort présumé que les traders impliqués et, en particulier, le sien avaient connaissance de toutes les informations échangées sur les forums de discussions permanents auxquels ils étaient connectés, indépendamment de leur participation active auxdits échanges.
Ce grief est rejeté par le Tribunal, qui souligne que les forums en cause étaient caractérisés par la délivrance en temps réel des messages à toutes les personnes connectées. Au regard de cette particularité, la Commission était en droit d’estimer que Crédit agricole avait eu connaissance des discussions tenues sur ces forums dès que son trader y était connecté, quand bien même ce dernier n’aurait pas participé activement à ces discussions ou encore quand bien même il aurait eu à sa disposition de nombreuses autres sources d’informations concomitantes. Il n’aurait pu en être différemment que si Crédit agricole avait démontré, au moyen d’éléments de preuve certains et précisément horodatés, que son trader n’avait effectivement pas pris connaissance du ou des messages incriminés. Or, une telle preuve n’avait pas été apportée par Crédit agricole. En ce sens, les modalités des discussions concernées diffèrent de celles ayant donné lieu à l’arrêt Eturas e.a.{2}.
En revanche, et d’autre part, le Tribunal constate que la Commission a violé le principe de la présomption d’innocence en fixant le point de départ de la participation de Crédit agricole à l’infraction à la date de la première connexion de son trader au forum de discussions litigieux avec les identifiants de cette banque, intervenue le 10 janvier 2013.
En effet, afin de retenir cette première connexion comme preuve d’un comportement anticoncurrentiel marquant le début de la participation de Crédit agricole à l’infraction, il appartenait à la Commission de démontrer que, le jour même de cette première connexion, le trader de Crédit agricole avait à tout le moins assisté passivement à une discussion anticoncurrentielle. Or, en l’espèce, il ne ressort ni de la décision attaquée ni du dossier à la disposition du Tribunal que des messages de nature anticoncurrentielle ont été échangés sur le forum de discussions en cause le 10 janvier 2013 après la première connexion du trader de Crédit agricole.
Sur la participation des requérantes à une infraction unique et continue
En ce qui concerne les moyens contestant la qualification des comportements en cause d’« infraction unique et continue » imputable aux requérantes, le Tribunal observe, dans un premier temps, que seuls des comportements relevant d’un « plan d’ensemble » poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique peuvent être qualifiés d’infraction unique et continue.
Concernant le caractère unique de l’infraction, le Tribunal estime que la Commission a correctement considéré que l’objectif anticoncurrentiel unique poursuivi par les traders des banques concernées était de maximiser les revenus de ces dernières tout en limitant les pertes qui pouvaient résulter de l’incertitude liée aux comportements des autres traders.
La Commission ayant démontré à suffisance de droit que les comportements adoptés par les traders des banques concernées entre le mois de janvier 2010 et le mois de février 2013 s’inscrivaient dans un plan d’ensemble poursuivant cet objectif anticoncurrentiel unique, le Tribunal considère, en outre, que l’interdiction adressée par Deutsche Bank, en février 2013, à ses traders d’utiliser des forums de discussions multilatéraux permanents n’a pas empêché les traders des banques concernées de réaliser ledit objectif. Sur ce point, le Tribunal indique que le caractère unique d’une infraction résulte de l’unicité de l’objectif poursuivi par les participants à l’entente. Or, il n’était pas contesté que les traders des banques concernées avaient contourné l’interdiction adressée aux traders de Deutsche Bank en février 2013 au moyen d’un réseau de discussions bilatérales, qui fonctionnaient de la même manière que les forums de discussions multilatéraux permanents.
Concernant le caractère continu de l’infraction, le Tribunal confirme que le contexte du fonctionnement de l’entente constatée permet de soutenir la conclusion de la Commission selon laquelle les banques concernées avaient participé à une infraction continue entre janvier 2010 et mars 2015. En effet, si les échanges entre les traders desdites banques sont devenus moins fréquents après février 2013, il n’en reste pas moins qu’ils ont poursuivi leurs discussions à caractère anticoncurrentiel d’une manière récurrente, en échangeant librement des informations sur leurs activités de négociation en cours.
L’argument de Crédit agricole tiré de son absence de participation à l’infraction au cours de certaines périodes n’est pas non plus de nature à remettre en cause le caractère continu de l’infraction dans son ensemble dès lors que les interruptions invoquées par cette banque ne tiennent pas compte du comportement des autres participants.
Concernant l’imputabilité aux requérantes de l’infraction unique et continue, le Tribunal rappelle, dans un second temps, que cette imputabilité doit être appréciée au regard de deux éléments, à savoir, premièrement, leur contribution intentionnelle aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des banques concernées et, deuxièmement, leur connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par ces banques dans la poursuite des mêmes objectifs ou le fait qu’elles avaient pu raisonnablement les prévoir et avaient été prêtes à en accepter le risque.
Cette précision étant faite, le Tribunal écarte l’ensemble des arguments avancés par les requérantes afin de contester tant leur contribution intentionnelle au plan d’ensemble identifié par la Commission que leur connaissance de l’ensemble des comportements infractionnels en cause ou, le cas échéant, leur capacité de les prévoir.
Dans ce contexte, le Tribunal note que la conclusion de la Commission selon laquelle Crédit agricole pouvait, à tout le moins, raisonnablement prévoir l’ensemble des comportements infractionnels des autres banques est notamment corroborée par le fait que, avant de prendre ses fonctions chez Crédit agricole, son trader avait, en qualité de trader d’une autre banque, participé directement aux comportements infractionnels en cause.
Sur ce point, le Tribunal souligne que les connaissances acquises par un employé antérieurement à son arrivée au service d’une nouvelle entreprise et que celui-ci met de fait à la disposition de ce nouvel employeur peuvent être considérées comme des connaissances partagées par son nouvel employeur. Il est, en outre, de jurisprudence constante que la Commission peut s’appuyer sur des contacts antérieurs ou postérieurs à la période de l’infraction afin de construire une image globale et de montrer les étapes préparatoires de l’entente ainsi que pour corroborer l’interprétation de certains éléments de preuve.
À la lumière de ce qui précède, le Tribunal rejette l’ensemble des griefs des requérantes contestant, d’une part, la qualification des comportements en cause d’« infraction unique et continue » et, d’autre part, l’imputabilité de cette infraction aux requérantes.
Sur la qualification des comportements en cause de « restriction par objet »
En se référant à la jurisprudence de la Cour, le Tribunal rappelle que, aux fins de la qualification des comportements en cause de « restriction par objet », il appartenait à la Commission de démontrer que ces comportements présentaient non un seuil extrêmement élevé de nocivité à l’égard de la concurrence, comme le faisait valoir Crédit agricole, mais seulement un degré suffisant de nocivité à l’égard de celle-ci.
Le Tribunal précise, en outre, que l’appréciation du degré de nocivité d’un comportement à l’égard de la concurrence doit être effectuée au regard des caractéristiques objectives dudit comportement et sans considération de la situation particulière de chaque entreprise y ayant participé. Ainsi, le rôle mineur d’une entreprise dans une entente n’est pas de nature à influencer la qualification de « restriction par objet » de cette entente à l’égard de l’ensemble des entreprises y ayant participé. Pour les mêmes raisons, Crédit agricole ne saurait utilement se prévaloir, pour contester la qualification des comportements en cause de « restriction par objet », du fait qu’elle n’a pas participé à certaines discussions.
Au regard de ces précisions, le Tribunal rejette ensuite les griefs des requérantes tirés d’erreurs commises par la Commission, premièrement, dans l’appréciation du contexte économique des comportements en cause, deuxièmement, dans l’appréciation de leur nocivité à l’égard de la concurrence ainsi que, troisièmement, dans l’appréciation de leur caractère justifié en raison de leurs effets proconcurrentiels.
En ce qui concerne, en premier lieu, l’appréciation du contexte économique des comportements en cause, le Tribunal constate que si, dans un marché complexe comme en l’espèce, la Commission ne peut pas limiter son analyse de ce contexte à ce qui s’avère strictement nécessaire en vue de conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, les requérantes sont restées en défaut de démontrer une quelconque insuffisance de l’analyse du contexte économique et juridique effectuée par la Commission.
S’agissant, en deuxième lieu, de l’appréciation de la nocivité des comportements en cause à l’égard de la concurrence, le Tribunal entérine la conclusion de la Commission selon laquelle, sur le marché secondaire des OSSA, les échanges d’informations commerciales sensibles intervenus entre les banques concernées, qui étaient tous des « teneurs de marchés »{3}, présentaient un caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence pour contribuer à la qualification des comportements examinés, dans leur ensemble, de « restriction par objet ».
Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’allégation de Crédit agricole tirée du fait que le marché secondaire des OSSA serait un marché connaissant une importante asymétrie d’information entre les teneurs de marchés, de sorte que l’accroissement de cette asymétrie préexistante du fait des échanges d’informations en cause ne présenterait pas une nocivité suffisante à l’égard de la concurrence. En effet, même à supposer que cette asymétrie d’information existe, l’argumentation de Crédit agricole se heurte à l’effet utile qu’il convient de garantir à la notion de « restriction par objet » et plus largement de l’article 101 TFUE.
Pour ce qui est, en troisième lieu, des arguments des requérantes selon lesquels les comportements en cause seraient justifiés au regard de leurs effets proconcurrentiels, le Tribunal rappelle que les effets proconcurrentiels allégués par les requérantes n’ont pas lieu, en tant que tels, d’être pris en considération au stade de la qualification des comportements en cause en tant que « restriction par objet ».
En tout état de cause, même à supposer que les effets « favorables » allégués des comportements en cause puissent ou doivent être pris en considération, à un titre ou à un autre, aux fins de leur qualification de « restriction par objet », les requérantes n’ont pas démontré l’existence d’implications favorables de nature à remettre en cause la qualification de « restriction par objet » desdits comportements.
En ce que les requérantes présentaient les comportements en cause également comme des « restrictions accessoires » à l’exécution de leur fonction de teneur de marché d’OSSA, le Tribunal observe que la jurisprudence relative à l’exception des restrictions accessoires à des accords légitimes n’est, en tout état de cause, pas applicable en l’espèce vu que les requérantes n’avaient pas démontré que leur activité de teneur de marché aurait été impossible en l’absence des comportements infractionnels.
De surcroît, le Tribunal écarte les arguments tirés du fait que les teneurs de marché d’OSSA seraient systématiquement désavantagées sur le plan informationnel par rapport aux contreparties qui n’assuraient pas une présence permanente sur le marché, de sorte qu’elles devaient compenser ce déficit d’informations en recherchant des informations auprès d’un certain nombre de sources.
En effet, il ne saurait être accepté que des entreprises essaient de pallier les effets de situations factuelles qu’elles considèrent comme excessivement défavorables, telles que d’éventuelles asymétries de risques existants entre les opérateurs d’un marché, par des pratiques collusoires ayant pour objet de corriger ces désavantages. De telles situations factuelles ne sauraient légitimer une violation de l’article 101 TFUE, d’autant plus que les requérantes n’agissaient pas sur le marché secondaire des OSSA uniquement en tant que teneurs de marché et qu’elles exerçaient cette activité de manière volontaire.
Sur la détermination du montant des amendes imposées aux requérantes
Pour déterminer le montant des amendes imposées aux requérantes, la Commission a, en substance, suivi la méthode prévue par les lignes directrices de 2006{4}. Néanmoins, en ce qui concerne le calcul des montants de base, la Commission a décidé d’utiliser une valeur de remplacement au lieu de la valeur des ventes prévue au point 13 desdites lignes directrices. Comme point de départ du calcul de cette valeur de remplacement, la Commission a retenu les volumes et les valeurs notionnels annualisés des OSSA (ci-après les « montants notionnels annualisés ») que les banques concernées ont échangés au cours de leur période individuelle de participation à l’infraction litigieuse. Ces montants notionnels annualisés ont ensuite été multipliés par un facteur d’ajustement que la Commission a construit en utilisant 33 catégories d’OSSA représentatives, émises par huit émetteurs.
Dans ce contexte, les requérantes reprochaient notamment à la Commission d’avoir violé les lignes directrices de 2006 en s’appuyant sur un jeu d’OSSA représentatives et non pas sur les données de leurs propres transactions pour le calcul du facteur d’ajustement ainsi qu’en utilisant des données publiques issues de la plateforme Bloomberg, qui gonfleraient ce facteur d’ajustement (ci-après les « données BGN »).
Credit Suisse reprochait, en outre, à la Commission d’avoir surestimé la valeur de remplacement en incluant dans les montants notionnels retenus à son égard les opérations relatives à l’achat de liquidités (hedging).
À titre liminaire, le Tribunal constate que, si, en adoptant les lignes directrices de 2006, la Commission s’est autolimitée dans l’exercice du large pouvoir d’appréciation dont elle bénéficie pour ce qui est de la méthode de calcul des amendes, elle dispose de la faculté de s’en écarter, à condition de motiver et de justifier son choix à suffisance de droit.
Toutefois, lorsque la Commission s’écarte des lignes directrices de 2006 non dans leur ensemble - comme le point 37 l’y autorise - mais uniquement, comme en l’espèce, du point 13, elle ne saurait s’affranchir des principes directeurs ainsi que de la logique sous jacente desdites lignes directrices. Ainsi, dans la mise en œuvre de la méthodologie qu’elle définit, il lui appartient, notamment, de veiller à prendre en considération les meilleures données disponibles, sous le contrôle approfondi, en droit comme en fait, du juge de l’Union.
À la lumière de ces précisions, le Tribunal note, en premier lieu, que, dans la décision attaquée, la Commission a motivé et justifié à suffisance de droit son choix d’écarter la méthodologie prévue au point 13 des lignes directrices et de fonder son calcul du montant de base sur une valeur de remplacement de la valeur des ventes qui a été élaboré en multipliant les montants notionnels annualisés de chacune des banques concernées par un facteur d’ajustement, calculé sur la base de l’échantillon de 33 catégories d’OSSA.
Dans ce cadre, le Tribunal rejette les arguments des requérantes selon lesquels la Commission aurait dû retenir une méthodologie de calcul du facteur d’ajustement fondée sur leurs propres transactions.
À cet égard, le Tribunal indique qu’une méthodologie fondée sur les données de transactions des banques concernées supposerait d’effectuer des calculs d’une complexité bien supérieure à ceux déjà complexes effectués en l’espèce, alors même que le caractère représentatif des OSSA retenues garantit justement que les données prises en considération conservent un caractère pertinent pour le calcul de l’amende et permettent de refléter l’importance économique de l’infraction litigieuse avec le degré de précision requis par la jurisprudence. Or, une telle méthodologie alternative ferait peser sur la Commission une charge administrative disproportionnée.
En deuxième lieu, le Tribunal écarte les arguments des requérantes tirés du fait que les données BGN que la Commission avait utilisées étaient inadéquates aux fins du calcul de la valeur de remplacement en ce qu’elles gonfleraient le facteur d’ajustement.
Après avoir rappelé qu’il appartenait à la Commission de veiller à prendre en considération les meilleures données disponibles, le Tribunal relève que, dans la décision attaquée, la Commission avait écarté de façon motivée les arguments dont se sont prévalues les banques concernées au cours de la procédure administrative pour contester le recours aux données BGN. Il s’ensuit que les requérantes ne sauraient se limiter à faire valoir devant le Tribunal que les données utilisées par la Commission souffrent d’une ou plusieurs insuffisances, mais, au contraire, doivent démontrer que, dans le cadre de la méthodologie que cette institution a légalement déterminée, il existe effectivement des données meilleures que celles retenues par cette institution et que celles-ci sont effectivement disponibles.
En constatant que les requérantes n’ont pas été en mesure de présenter des données meilleures que celles retenues par la Commission, le Tribunal rejette, en outre, la critique de Credit Suisse tirée du caractère inconnu du mode d’élaboration des données BGN. Sur ce point, le Tribunal souligne que les données BGN constituent des données de référence parmi les traders, qui sont élaborées par un tiers à la procédure sur la base des prix de plusieurs opérateurs. Dès lors, il ne saurait valablement être soutenu que, au motif du caractère partiellement inconnu de leur mode d’élaboration, de telles données de référence ne sauraient être employées par la Commission, tout particulièrement lorsque Credit Suisse n’a nullement fait état de plateformes de marché fournissant des informations plus exactes ou plus pertinentes que la plateforme Bloomberg.
Selon le Tribunal, la Commission ne pouvait pas non plus se voir opposer le fait d’avoir utilisé des données ne reflétant pas à tous égards la situation de Credit Suisse, lorsque justement cette institution ne disposait pas de données exactes suffisamment représentatives et que, en conséquence, elle a été dans l’obligation de recourir à une méthodologie s’appuyant sur des données alternatives nécessairement moins précises, afin de reconstituer une valeur de remplacement.
En troisième lieu, le Tribunal rejette le grief de Credit Suisse selon lequel la Commission aurait surestimé la valeur de remplacement de la valeur des ventes en incluant dans les montants notionnels retenus à son égard les opérations relatives à l’achat de liquidités.
Sur ce point, le Tribunal rappelle que, dans le cadre des lignes directrices de 2006, la notion de « valeur de remplacement », à l’instar de celle de « valeur des ventes », vise à retenir comme point de départ pour le calcul de l’amende infligée à une entreprise un montant qui reflète l’importance économique de l’infrac...
Arrêt du 15 janvier 2013, Strack / Commission (T-392/07) (cf. point 90)
Ordonnance du 22 septembre 2016, Gaki / Commission (C-130/16 P) (cf. point 14)
Ordonnance du 27 septembre 2017, Gaki / Europol (T-366/16) (cf. point 34)
Ordonnance du 22 décembre 2021, D & A Pharma / EMA (T-381/21) (cf. points 30, 31)
Arrêt du 8 mars 2023, Prigozhina / Conseil (T-212/22) (cf. point 19)
49. Recours en annulation - Acte attaqué - Appréciation de la légalité en fonction des éléments d'information disponibles au moment de l'adoption de l'acte
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 26 septembre 2014, Flying Holding e.a. / Commission (T-91/12 et T-280/12) (cf. point 86)
Arrêt du 19 juin 2015, Italie / Commission (T-358/11) (cf. point 77)
Arrêt du 10 septembre 2015, Parlement / Conseil (C-363/14) (cf. point 59)
Arrêt du 13 novembre 2015, ClientEarth / Commission (T-424/14 et T-425/14) (cf. point 117)
Arrêt du 27 avril 2016, Österreichische Post / Commission (T-463/14) (cf. points 64, 146)
Arrêt du 22 septembre 2016, Parlement / Conseil (C-14/15 et C-116/15) (cf. point 48)
Arrêt du 1er mars 2018, Pologne / Commission (T-402/15) (cf. point 41)
La légalité d’un acte d’une institution doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont elle pouvait disposer au moment où elle l’a arrêté. Nul ne saurait ainsi se prévaloir devant le juge de l’Union d’éléments de fait qui n’ont pas été avancés au cours de la procédure administrative.
Arrêt du 27 février 2018, CEE Bankwatch Network / Commission (T-307/16) (cf. point 133)
Saisi sur renvoi, le Tribunal rejette dans son intégralité le recours formé par la société Nord Stream 2 AG contre la directive (UE) 2019/692{1} modifiant la directive 2009/73 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel. Ce faisant, il écarte la thèse centrale de Nord Stream 2 selon laquelle, en substance, la directive attaquée était spécifiquement dirigée contre elle, en violation notamment du principe de sécurité juridique, du principe d’égalité de traitement et du principe de proportionnalité.
Nord Stream 2 est une société de droit suisse dont l’actionnaire unique est la société publique russe par actions Gazprom. Elle a été chargée de la planification, de la construction et de l’exploitation du gazoduc marin Nord Stream 2, destiné à assurer l’acheminement du gaz entre Oust-Louga (Russie) et Lubmin (Allemagne).
Le 17 avril 2019, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté la directive attaquée, qui est entrée en vigueur le 23 mai 2019. Elle vise à garantir que les règles prévues par la directive 2009/73 pour les conduites de transport de gaz reliant deux États membres ou plus sont également applicables, au sein de l’Union européenne, aux conduites de transport de gaz à destination et en provenance de pays tiers, telles que le gazoduc Nord Stream 2.
Dans ce contexte, l’article 49 bis, paragraphe 1, de la directive 2009/73, telle que modifiée, (ci-après l’« article 49 bis ») prévoit néanmoins que les gazoducs entre un État membre et un pays tiers achevés avant le 23 mai 2019 peuvent se voir octroyer une dérogation aux obligations prévues par ladite directive (ci-après la « dérogation litigieuse »). En outre, l’article 36, tel que modifié, prévoit que les nouvelles infrastructures gazières peuvent bénéficier d’une exemption à certaines conditions (ci-après l’« exemption litigieuse »). Cependant, le gazoduc Nord Stream 2 ne peut bénéficier ni de la dérogation ni de l’exemption précitées.
Par ordonnance du 20 mai 2020{2}, le Tribunal a rejeté comme irrecevable le recours tendant à l’annulation de la directive attaquée introduit par Nord Stream 2. Saisie d’un pourvoi formé par cette dernière, la Cour a annulé l’ordonnance du Tribunal{3}, déclaré le recours partiellement recevable et renvoyé l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur le fond.
Au vu des conclusions de Nord Stream 2, telles que précisées lors de l’audience, le Tribunal a considéré que le recours était recevable en ce qu’il visait l’annulation de l’article 1er, point 9, de la directive attaquée, qui a inséré un article 49 bis dans la directive 2009/73.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal juge que la circonstance que Nord Stream 2 ne pouvait bénéficier ni de l’exemption litigieuse ni de la dérogation litigieuse à la date d’adoption de la directive attaquée n’est pas susceptible de démontrer que le législateur de l’Union a méconnu le principe de sécurité juridique et son corollaire, le principe de protection de la confiance légitime.
À cet égard, le Tribunal rappelle que le respect desdits principes doit être examiné au regard des connaissances qu’un opérateur économique avisé et averti pouvait raisonnablement avoir quant à l’évolution du cadre juridique et des conséquences qu’il devait en tirer pour définir son comportement. Ce respect doit également être examiné au regard des circonstances qui ont entouré cette évolution et, notamment, du comportement des institutions compétentes.
Or, s’agissant de l’impossibilité de bénéficier de l’exemption litigieuse, le Tribunal constate que Nord Stream 2 a décidé d’investir dans un contexte caractérisé de longue date par une volonté ferme et répétée, notamment de plusieurs États membres, du Parlement et de la Commission, de soumettre les gazoducs entre un État membre et un pays tiers, en général, et le gazoduc Nord Stream 2, en particulier, aux obligations prévues par la directive 2009/73.
Qui plus est, Nord Stream 2 a poursuivi ses investissements sans interruption après que cette volonté s’est concrétisée au moyen de propositions présentées par la Commission et malgré le fait qu’elle pouvait donc raisonnablement prévoir une telle application de la directive 2009/73. De plus, elle n’a pas démontré qu’elle s’était trouvée dans l’impossibilité de s’adapter afin de pouvoir bénéficier de l’exemption litigieuse lors de l’entrée en vigueur de la directive attaquée.
Par conséquent, la circonstance que Nord Stream 2 ne pouvait pas bénéficier de cette exemption n’obligeait pas le législateur de l’Union à adapter le champ d’application de l’article 49 bis à la situation particulière de cette dernière afin qu’elle bénéficie de la dérogation litigieuse.
Quant à la circonstance que Nord Stream 2 ne pouvait pas bénéficier de la dérogation litigieuse dès lors que la construction de son gazoduc n’a été achevée qu’après le 23 mai 2019, le Tribunal relève tout d’abord que le critère de l’achèvement du gazoduc avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée figurait déjà dans la proposition de directive et que Nord Stream 2 était en mesure de prévoir que son gazoduc ne serait pas achevé à cette date.
Le Tribunal ajoute que ce critère est conforme au principe de sécurité juridique et au principe de protection de la confiance légitime, dans la mesure où il est clair, précis et objectif et qu’il reflète le principe selon lequel une règle de droit nouvelle s’applique à compter de l’entrée en vigueur de l’acte qui l’instaure. Ce critère objectif démontre, en outre, que le législateur a tenu compte de la situation particulière des gazoducs achevés.
Par ailleurs, Nord Stream 2 a disposé d’un délai supplémentaire pour modifier les modalités envisagées d’exploitation de son gazoduc, étant donné que le délai de transposition de la directive attaquée avait été fixé à dix mois après son adoption. De surcroît, l’impossibilité de bénéficier de la dérogation litigieuse ne l’empêche pas d’exploiter son gazoduc d’une manière économiquement acceptable.
En deuxième lieu, le Tribunal rejette le moyen de Nord Stream 2 tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement dans la mesure où l’article 49 bis entraînerait une différence de traitement injustifiée entre des situations comparables.
À cet égard, il constate que les gazoducs achevés au 23 mai 2019, d’une part, et les gazoducs non achevés à cette date, et notamment ceux en cours de construction comme le gazoduc Nord Stream 2, d’autre part, ne se trouvent pas dans une situation comparable. En effet, un gazoduc en service à ladite date a nécessairement donné lieu à un investissement préalable auquel il n’est plus possible de renoncer, et aura commencé à être exploité dans le cadre d’un régime juridique qui ne prévoyait pas l’application, à sa situation, des obligations prévues par la directive 2009/73.
En revanche, un investisseur dans un gazoduc qui n’était pas achevé à la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée pouvait avoir engagé des dépenses de plus faible importance ou disposer de possibilités accrues d’adapter son investissement. En outre, même si le gazoduc en question pouvait avoir donné lieu à des investissements importants et à des travaux de construction, ceux-ci pouvaient avoir été décidés en connaissance de cause, dans un contexte prévisible de modification de la réglementation applicable, comme dans le cas de Nord Stream 2. Enfin, un investisseur dans un tel gazoduc a le temps de s’ajuster aux changements législatifs prévus par la directive attaquée, étant donné qu’il en a été informé de nombreux mois à l’avance et que les États membres ont disposé d’un délai de transposition.
Le Tribunal précise que la situation des deux catégories de gazoducs susvisées est différente à la lumière non seulement de l’objet de l’article 49 bis, mais également des objectifs de la directive attaquée ainsi que des principes et objectifs de la politique de l’Union dans le domaine de l’énergie.
En effet, l’incidence d’un gazoduc déjà achevé sur le fonctionnement du marché intérieur peut être évaluée ex post, sur la base de l’expérience acquise lors de l’exploitation du gazoduc en cause. De plus, l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 à de tels gazoducs risque de perturber les capacités et les flux de l’approvisionnement, ce qui justifie un examen rapide de leur situation au regard des conditions prévues à l’article 49 bis.
Cependant, en présence d’un gazoduc qui n’est pas achevé à la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée, l’évaluation de son incidence sur le marché intérieur et la sécurité de l’approvisionnement peut uniquement être prospective et exige des appréciations plus approfondies et complexes. En outre, un tel gazoduc n’étant pas capable d’être exploité, l’application de la directive attaquée à celui-ci ne présente pas de risque de perturbation des flux de l’approvisionnement.
Au vu de ce qui précède, l’article 49 bis aboutit à traiter de manière différente des situations différentes.
Le Tribunal ajoute que, même si l’article 49 bis entraînait une différence de traitement entre des situations comparables, celle-ci serait justifiée. En ce sens, il relève, premièrement que le critère de l’achèvement avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée, prévu par cet article, est objectif et raisonnable. Deuxièmement, l’éventuelle différence de traitement résultant de ce critère est apte à réaliser l’objectif, poursuivi par cet article, de tenir compte de l’absence de règles applicables aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée. Il permet effectivement à la fois aux propriétaires de gazoducs et aux États membres d’apprécier aisément si un gazoduc entre ou non dans le champ d’application de l’article 49 bis. Troisièmement, l’éventuelle différence de traitement résultant du critère susvisé ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi par cet article, dès lors notamment que l’importance de cet objectif justifie les contraintes supportées par des investisseurs tels que Nord Stream 2 du fait de l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 à un gazoduc non achevé avant le 23 mai 2019.
En troisième lieu, le Tribunal estime que Nord Stream 2 n’a pas démontré que l’extension du champ d’application des obligations prévues par la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers méconnaît le principe de proportionnalité.
Le Tribunal note, tout d’abord, que la directive attaquée est apte à réaliser les objectifs de sécurité juridique et de cohérence du cadre juridique qu’elle poursuit essentiellement, en ce qu’elle étend le champ d’application de la directive 2009/73 et donc des obligations que cette dernière prévoit. La circonstance que Nord Stream 2 serait la seule à ne pouvoir bénéficier ni de l’exemption litigieuse ni de la dérogation litigieuse est sans incidence sur ce constat.
Ensuite, le Tribunal souligne que l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers, en général, et au gazoduc Nord Stream 2, en particulier, est également apte à réaliser l’objectif d’achèvement du marché intérieur du gaz naturel en évitant les distorsions de concurrence et les effets négatifs sur la sécurité de l’approvisionnement. En effet, la directive 2009/73 prévoit notamment une obligation de dissociation (unbundling) du réseau de transport et du gestionnaire de réseau de transport, une obligation d’accès des tiers au réseau ainsi que d’autres obligations portant en particulier sur la transparence tarifaire et non tarifaire. Or, compte tenu de leur objet, le fait que ces obligations s’appliquent uniquement à un tronçon des gazoducs entre un État membre et un pays tiers n’affecte aucunement leur aptitude à réaliser l’objectif susvisé.
De même, la circonstance que la directive attaquée s’applique uniquement à une fraction de la capacité d’importation des pays tiers, à savoir la capacité du gazoduc Nord Stream 2, n’est pas susceptible de remettre en cause cette aptitude. En effet, le projet de gazoduc Nord Stream 2 a été lancé dans un contexte particulier, dans lequel de nombreux États membres avaient été confrontés à des pénuries de gaz en raison de différends impliquant la Fédération de Russie. De plus, la directive attaquée s’applique à l’ensemble des gazoducs existants et futurs, terrestres ou en mer. Enfin, elle a été adoptée dans un contexte dans lequel de nombreux gazoducs achevés entre un État membre et un pays tiers étaient déjà soumis aux obligations prévues par la directive 2009/73, de sorte qu’elle accroît la capacité d’importation des pays tiers couverte par les obligations prévues par cette dernière, et ce même si le gazoduc Nord Stream 2 est le seul à ne pas pouvoir bénéficier d’une exemption ou d’une dérogation.
Enfin, le Tribunal juge que la directive attaquée ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ses objectifs.
Nord Stream 2 n’a notamment démontré ni que la directive attaquée lui impose des obligations qui ne sont pas nécessaires au regard de l’objectif d’achèvement du marché intérieur ni que les inconvénients, pour elle ou pour l’Union et ses États membres, résultant de l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 sont manifestement démesurés par rapport à l’importance des objectifs poursuivis et des avantages tirés par l’Union de ces obligations. En ce sens, le fait que Nord Stream 2 ne puisse pas exploiter son gazoduc comme elle l’avait initialement envisagé ne démontre pas que la directive attaquée lui impose des contraintes démesurées. Par ailleurs, elle n’a pas démontré les conséquences financières liées à l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 à son gazoduc, gazoduc qu’elle peut continuer d’exploiter de manière économiquement acceptable.
En quatrième lieu, le Tribunal écarte le moyen de Nord Stream 2 tiré d’un détournement de pouvoir. Il rappelle, tout d’abord, que la base juridique de la directive attaquée, que celle-ci ne conteste pas, est l’article 194 TFUE. Or, la seule circonstance que cette directive affecte négativement le gazoduc Nord Stream 2 ne suffit pas à démontrer que le législateur voulait poursuivre un objectif différent de ceux visés à l’article 194, paragraphe 1, TFUE.
En outre, Nord Stream 2 n’a pas démontré que la directive attaquée a été adoptée afin de poursuivre des objectifs autres que ceux mentionnés dans ladite directive, qui vise bien à remédier à des problèmes plus larges que ceux liés à son projet de gazoduc, à savoir, notamment, l’existence d’obstacles à l’achèvement du marché intérieur du gaz naturel.
Par ailleurs, Nord Stream 2 n’est pas davantage fondée à faire valoir que la directive attaquée a pour objet de contourner les difficultés juridiques posées par la demande de mandat adressée par la Commission au Conseil en vue de négocier un accord international avec la Fédération de Russie au sujet du gazoduc Nord Stream 2. En effet, la directive attaquée et la négociation d’un tel accord sont des instruments complémentaires et non substituables.
Le dernier moyen de Nord Stream 2, tiré d’une violation des formes substantielles, n’étant pas non plus retenu, le Tribunal rejette le recours dans son intégralité.
{1} Directive (UE) 2019/692 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, modifiant la directive 2009/73/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (JO 2019, L 117, p. 1, ci-après la « directive attaquée »).
{2} Ordonnance du 20 mai 2020, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (T 526/19, EU:T:2020:210).
{3} Arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C 348/20 P, EU:C:2022:548).
Arrêt du 27 novembre 2024, Nord Stream 2 / Parlement et Conseil (T-526/19 RENV) (cf. points 38, 39)
Ordonnance du 22 janvier 2013, Cooperativa Mare Azzurro e.a. / Commission (T-218/00) (cf. point 48)
Arrêt du 16 mai 2013, Iran Transfo / Conseil (T-392/11) (cf. point 48)
Arrêt du 11 juillet 2013, BVGD / Commission (T-104/07 et T-339/08) (cf. point 291)
Arrêt du 16 septembre 2013, Pays-Bas / Commission (T-343/11) (cf. point 92)
Arrêt du 15 juillet 2014, Italie / Commission (T-463/07) (cf. point 108)
Arrêt du 30 avril 2015, VTZ e.a. / Conseil (T-432/12) (cf. point 118)
Arrêt du 21 mai 2015, Rubinum / Commission (T-201/13) (cf. point 84)
Arrêt du 14 janvier 2016, Doux / Commission (T-434/13) (cf. points 195, 340)
Arrêt du 19 octobre 2017, Espagne / Commission (T-502/15) (cf. point 107)
Arrêt du 1er mars 2018, Pologne / Commission (T-316/15) (cf. point 46)
Arrêt du 16 mai 2018, Troszczynski / Parlement (T-626/16) (cf. point 39)
Arrêt du 11 septembre 2018, Apimab Laboratoires e.a. / Commission (T-14/16) (cf. point 124)
Arrêt du 9 octobre 2018, Pint / Commission (T-634/17) (cf. point 38)
Arrêt du 8 novembre 2018, Troszczynski / Parlement (T-550/17) (cf. point 101)
50. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Interprétation de la motivation d'un acte administratif - Limites
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice / Commission (C-73/11 P) (cf. points 87-90 )
Arrêt du 16 décembre 2015, Grèce / Commission (T-241/13) (cf. point 57)
Arrêt du 28 juin 2016, Telefónica / Commission (T-216/13) (cf. point 87)
Arrêt du 26 mars 2020, Larko / Commission (C-244/18 P) (cf. points 102, 104-106)
En 2007, à la suite de plusieurs questions écrites posées par des membres du Parlement européen, ainsi que d’une plainte d’un opérateur privé, la Commission a ouvert une procédure formelle d’examen de la compatibilité, avec les dispositions du traité FUE en matière d’aides d’État, de la législation fiscale espagnole relative à l’amortissement de la survaleur financière (goodwill) en cas de prises de participations par des sociétés résidentes dans d’autres entreprises.
En vertu d’une mesure fiscale introduite en 2001 dans la loi espagnole relative à l’impôt sur les sociétés (ci-après la « mesure fiscale en cause »), la survaleur financière résultant d’une prise de participations d’au moins 5 % d’une entreprise résidente dans une société étrangère peut être déduite, sous forme d’amortissement, de l’assiette de l’impôt sur les sociétés dû par l’entreprise résidente, à condition qu’elle détienne cette prise de participations de manière ininterrompue pendant au moins un an. En revanche, les prises de participations des entreprises imposables en Espagne dans d’autres entreprises résidentes ne donnent pas lieu à un amortissement de la survaleur financière, sauf en cas de regroupement d’entreprises.
Par décisions du 28 octobre 2009{1} et du 12 janvier 2011{2} (ci-après les « décisions litigieuses »), la Commission a déclaré que la mesure fiscale en cause constituait un régime d’aides incompatible avec le marché intérieur, et a imposé à l’Espagne de récupérer les aides accordées.
Saisi de plusieurs recours en annulation introduits par des entreprises établies en Espagne{3}, le Tribunal a annulé lesdites décisions par arrêts du 7 novembre 2014{4}, considérant que la Commission n’avait pas établi le caractère sélectif de la mesure fiscale en cause - la sélectivité étant l’un des critères nécessaires et cumulatifs permettant de qualifier une mesure nationale d’aide d’État.
À la suite des pourvois introduits par la Commission, la Cour a annulé lesdits arrêts, au motif, en substance, que ceux-ci reposaient sur une conception erronée de la condition de sélectivité d’un avantage, et renvoyé les affaires devant le Tribunal{5}. Sur renvoi, ce dernier a confirmé le caractère sélectif de la mesure fiscale en cause et a rejeté les recours en annulation introduits contre les décisions litigieuses{6}.
Saisie sur pourvois interjetés cette fois par les entreprises requérantes et par le Royaume d’Espagne (ci-après les « requérantes »), la Cour, réunie en grande chambre, rejette ceux-ci en précisant sa jurisprudence en matière de sélectivité de mesures fiscales.
Appréciation de la Cour
Tout d’abord, la Cour rejette les motifs d’irrecevabilité soulevés par la Commission, selon laquelle certains arguments avancés par les requérantes dans le cadre de leurs pourvois n’avaient pas été soulevés devant le Tribunal.
À cet égard, la Cour rappelle que les moyens et les arguments nés de l’arrêt contesté lui-même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé, ne peuvent être considérés comme modifiant l’objet du litige devant le Tribunal. Ainsi, les arguments par lesquels les requérantes mettent en cause les conséquences tirées de la solution légale apportée par le Tribunal aux moyens débattus devant lui sont recevables.
En ce qui concerne la sélectivité de la mesure fiscale en cause, la Cour précise, ensuite, que la seule circonstance que ladite mesure présente un caractère général, en ce qu’elle peut a priori bénéficier à l’ensemble des entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés, selon qu’elles réalisent ou non certaines opérations, n’exclut pas qu’elle puisse être de nature sélective. En effet, il est établi que la condition de la sélectivité est remplie lorsque la Commission parvient à démontrer qu’une telle mesure déroge au régime fiscal normal applicable dans l’État membre concerné, introduisant ainsi, par ses effets concrets, un traitement différencié entre opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal normal, dans une situation factuelle et juridique comparable.
Pour pouvoir qualifier une mesure fiscale nationale de sélective, la Commission doit suivre une méthode en trois étapes. D’abord, elle doit identifier le régime fiscal commun ou normal applicable dans l’État membre. Ensuite, elle doit démontrer que la mesure fiscale en cause déroge à ce système de référence en introduisant des différenciations entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal commun ou normal, dans une situation factuelle et juridique comparable. Enfin, elle doit vérifier si la différenciation introduite est justifiée dès lors qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel elle s’inscrit.
Au regard de ces considérations, dans le cadre des affaires C-51/19P et C-64/19P, C-52/19P, C-53/19P et C-65/19P, C-54/19P et C-55/19P, la Cour se penche sur le grief des requérantes tiré d’une prétendue erreur commise par le Tribunal dans la détermination du système de référence.
Dans ce cadre, la Cour relève que la détermination du système de référence doit découler d’un examen objectif du contenu, de l’articulation et des effets concrets des normes applicables en vertu du droit national. Par conséquent, lorsque la mesure fiscale en question est inséparable du système général d’imposition de l’État membre concerné, c’est à ce système qu’il convient de se référer. En revanche, lorsqu’il apparaît que la mesure en cause est clairement détachable dudit système général, il ne peut être exclu que le cadre de référence devant être pris en compte soit plus restreint que ce système général, voire qu’il s’identifie à cette mesure même, lorsque celle-ci se présente comme une règle dotée d’une logique juridique autonome. Par ailleurs, lors de la détermination du système de référence, la Commission doit tenir compte des caractéristiques constitutives de l’impôt, telles qu’elles sont définies par l’État membre concerné. En revanche, il n’y a pas lieu, lors de cette première étape de l’examen de la sélectivité, de tenir compte des objectifs poursuivis par le législateur lors de l’adoption de la mesure soumise à examen.
En l’espèce, la Cour considère, d’abord, qu’il ressort clairement des décisions litigieuses que le système de référence retenu par la Commission est constitué des dispositions générales du régime de l’impôt sur les sociétés régissant la survaleur en général.
Ensuite, elle rejette l’argument des requérantes selon lequel, afin de déterminer le système de référence, le Tribunal se serait fondé sur la technique réglementaire choisie par le législateur national pour adopter la mesure fiscale en cause, à savoir l’introduction d’une dérogation à la règle générale.
À cet égard, la Cour relève que le recours, par le législateur national, à une technique réglementaire donnée, comme celle de l’introduction d’une dérogation à une règle générale, ne saurait suffire à définir le système de référence pertinent aux fins de l’analyse de la sélectivité. Un tel caractère dérogatoire peut néanmoins se révéler pertinent lorsqu’il en découle, comme dans les cas d’espèce, que deux catégories d’opérateurs sont distinguées et font a priori l’objet d’un traitement différencié, à savoir ceux relevant de la mesure dérogatoire et ceux qui continuent de relever du régime fiscal commun. Ainsi, c’est à juste titre que le Tribunal a pris en compte, entre autres considérations, le caractère dérogatoire de la mesure fiscale en cause aux fins de l’examen de son caractère sélectif.
Dans le cadre de l’affaire C-50/19P, la Cour confirme, en outre, qu’une mesure nationale peut être sélective même dans l’hypothèse où le bénéfice de l’avantage qu’elle prévoit dépend non pas des caractéristiques de l’entreprise bénéficiaire mais de l’opération que celle-ci décide ou non de réaliser. Ainsi, une mesure peut être considérée comme étant sélective même lorsqu’elle n’identifie pas ex ante une catégorie particulière de bénéficiaires et que toutes les entreprises établies sur le territoire de l’État membre concerné, quels que soient leur taille, leur forme juridique, leur secteur d’activité ou d’autres caractéristiques qui leur sont propres, ont potentiellement accès à l’avantage prévu par cette mesure à condition de procéder à un certain type d’investissement. En effet, un constat de sélectivité ne résulte pas nécessairement d’une impossibilité pour certaines entreprises de bénéficier de l’avantage prévu par la mesure en cause du fait de ses caractéristiques propres, mais peut résulter de la seule constatation qu’il existe une opération qui, alors qu’elle est comparable à celle qui conditionne l’octroi de l’avantage en cause, n’ouvre pas droit à celui-ci, en favorisant, par conséquent, seulement les entreprises qui choisissent de réaliser cette dernière opération.
Enfin, la Cour constate que, dans toutes les affaires en cause, en identifiant, dans le cadre de la deuxième étape de l’analyse sur la sélectivité, le maintien d’une certaine cohérence entre le traitement fiscal et le traitement comptable de la survaleur en tant qu’objectif du système de référence, le Tribunal a substitué sa propre motivation à celle des décisions litigieuses et a commis, de ce fait, une erreur de droit.
Cette erreur n’est toutefois pas de nature à entraîner l’annulation des arrêts attaqués, dans la mesure où leurs dispositifs sont fondés sur d’autres motifs de droit. À cet égard, la Cour relève que le Tribunal s’est, à bon droit, référé à sa jurisprudence selon laquelle l’examen de comparabilité à effectuer lors de la deuxième étape de l’analyse de la sélectivité doit être réalisé au regard de l’objectif du système de référence, et non de celui de la mesure litigieuse. C’est ainsi à juste titre que le Tribunal a constaté que les entreprises qui prennent des participations dans des sociétés non-résidentes se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le traitement fiscal de la survaleur, dans une situation juridique et factuelle comparable à celle des entreprises qui prennent des participations dans des sociétés résidentes. À cet égard, les requérantes n’avaient pas réussi, plus particulièrement, à établir que les entreprises effectuant des prises de participations dans des sociétés non résidentes se trouvent dans une situation juridique et factuelle différente et, donc, non comparable à celle des entreprises effectuant des prises de participations en Espagne.
{1} Décision 2011/5/CE de la Commission, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 7, p. 48).
{2} Décision 2011/282/UE de la Commission, du 12 janvier 2011, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 135, p. 1). Cette décision a fait l’objet de deux correctifs publiés au Journal officiel de l’Union européenne le 3 mars 2011 et le 26 novembre 2011.
{3} Notamment Autogrill España, SA (actuellement World Duty Free Group, SA), Banco Santander, SA, et Santusa Holding, SL.
{4} Arrêts du 7 novembre 2014, Autogrill España/Commission (T-219/10, EU:T:2014:939) et Banco Santander et Santusa/Commission (T-399/11, EU:T:2014:938, CP 145/14).
{5} Arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C-20/15 P et C-21/15 P, EU:C:2016:981, CP 139/16).
{6} Arrêts du 15 novembre 2018, Banco Santander/Commission (T-227/10, non publié, EU:T:2018:785), Sigma Alimentos Exterior/Commission (T-239/11, non publié, EU:T:2018:781), Axa Mediterranean/Commission (T-405/11, non publié, EU:T:2018:780), Prosegur Compañía de Seguridad/Commission (T-406/11, non publié, EU:T:2018:793), World Duty Free Group/Commission (T-219/10 RENV, EU:T:2018:784), et Banco Santander et Santusa/Commission (T-399/11 RENV, EU:T:2018:787, CP 175/18).
Arrêt du 6 octobre 2021, Banco Santander / Commission (C-52/19 P) (cf. points 52, 53, 60-62, 65)
Arrêt du 6 octobre 2021, Axa Mediterranean / Commission (C-54/19 P) (cf. points 53, 54, 61-63, 66)
Par décision du 27 juin 2017{1}, la Commission européenne a constaté que, dans treize pays de l’Espace économique européen (EEE){2}, Google LLC avait abusé de sa position dominante détenue sur le marché de la recherche générale sur Internet en favorisant son propre comparateur de produits, un service de recherche spécialisée, par rapport aux comparateurs de produits concurrents.
D’une part, la Commission a considéré que les résultats d’une recherche de produits lancée à partir du moteur de recherche générale de Google étaient positionnés et présentés de manière plus attractive lorsqu’il s’agissait des propres résultats du comparateur de produits de Google que lorsqu’il s’agissait des résultats issus des comparateurs de produits concurrents. D’autre part, ces derniers, qui apparaissaient comme de simples résultats génériques (présentés sous forme de liens bleus), étaient, de ce fait, susceptibles d’être rétrogradés par des algorithmes d’ajustement dans les pages de résultats générales, contrairement aux résultats du comparateur de produits de Google. De cette manière, Google avait, en substance, réduit le trafic en provenance de ses pages de résultats générales vers les comparateurs de produits concurrents tout en augmentant ce trafic vers son propre comparateur de produits (ci-après la « pratique litigieuse »).
Selon la Commission, cette pratique avait produit des effets anticoncurrentiels tant sur les treize marchés nationaux de la recherche spécialisée pour la comparaison de produits que sur les treize marchés nationaux de la recherche générale.
Concluant ainsi à une violation de l’interdiction d’abus de position dominante prévue par l’article 102 TFUE et par l’article 54 de l’accord EEE, la Commission a infligé à Google une amende d’un montant de 2 424 495 000 euros, dont 523 518 000 euros solidairement avec Alphabet, Inc., sa société mère.
Le recours introduit par Google et Alphabet contre cette décision est rejeté pour l’essentiel par le Tribunal, qui confirme également le montant de l’amende infligée par la Commission.
Appréciation du Tribunal
S’agissant, en premier lieu, du caractère anticoncurrentiel de la pratique litigieuse, le Tribunal considère que la seule constatation de l’existence d’une position dominante d’une entreprise, fût-elle de l’ampleur de celle de Google, n’implique par elle-même aucun reproche à l’égard de l’entreprise concernée, même si cette dernière projette de s’étendre sur un marché voisin. En effet, c’est l’« exploitation abusive » d’une position dominante que l’article 102 TFUE interdit. La responsabilité particulière qui pèse, dans ce contexte, sur une entreprise dominante doit être appréciée au regard des circonstances spécifiques de chaque espèce, démontrant un affaiblissement de la concurrence.
Or, eu égard à l’importance du trafic généré par le moteur de recherche générale de Google pour les comparateurs de produits, au comportement des utilisateurs qui se focalisent en général sur les premiers résultats, ainsi qu’à la proportion importante et au caractère non effectivement remplaçable du trafic « détourné », le Tribunal juge que la pratique litigieuse constitue, en effet, une différence de traitement s’écartant de la concurrence par les mérites, et de nature à conduire à un affaiblissement de la concurrence sur le marché, susceptible d’être contraire à l’article 102 TFUE.
Dans ce cadre, le Tribunal souligne que, compte tenu de la vocation universelle du moteur de recherche générale de Google, conçu pour indexer des résultats comprenant tous les contenus possibles, la promotion, sur ses pages de résultats générales, d’un seul type de résultats spécialisés, à savoir les siens, revêt une certaine forme d’anormalité.
Le Tribunal relève, en outre, que, même si la page de résultats générale de Google présente des caractéristiques qui la rapprochent d’« une facilité essentielle », au sens de service indispensable pour lequel il n’existe aucun substitut réel ou potentiel, la pratique litigieuse se distingue, dans ses éléments constitutifs, du refus de fourniture d’une facilité essentielle. De ce fait, l’analyse développée par la Cour dans son arrêt Bronner{3}, par rapport à un tel refus, ne saurait être appliquée en l’espèce.
Enfin, le Tribunal observe que, comme le traitement différencié appliqué par Google s’opère en fonction de l’origine des résultats, à savoir selon qu’ils proviennent de son propre comparateur ou des comparateurs concurrents, il en découle que les résultats des comparateurs concurrents ne peuvent jamais bénéficier d’un traitement similaire à celui des résultats du comparateur Google en ce qui concerne leur positionnement et leur présentation. Ainsi, Google favorise son propre comparateur par rapport aux comparateurs concurrents et non pas le meilleur des résultats.
S’agissant, en deuxième lieu, des effets anticoncurrentiels engendrés par la pratique litigieuse, le Tribunal rappelle qu’un abus de position dominante existe lorsque l’entreprise dominante, en recourant à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale, fait obstacle au maintien du degré de concurrence ou au développement de celle-ci. Dans ce contexte, pour établir une infraction à l’article 102 TFUE, la Commission n’est pas tenue de démontrer que les pratiques visées ont eu des effets réels d’éviction, la preuve de l’existence d’effets potentiels étant suffisante.
À cet égard, le Tribunal confirme la conclusion de la Commission selon laquelle la pratique litigieuse pouvait engendrer des effets potentiellement anticoncurrentiels sur le marché de la recherche spécialisée pour la comparaison de produits. La Commission avait, plus particulièrement, établi, d’une part, qu’il existait des effets concrets sur le trafic issu des pages de résultats générales de Google au détriment des comparateurs de produits concurrents et au bénéfice du comparateur de produits de Google et, d’autre part, que le trafic des comparateurs de produits concurrents issu de ces pages représentait une large part de leur trafic total et ne pouvait pas être effectivement remplacé par d’autres sources, telles que les publicités (AdWords) ou les applications mobiles, de sorte que la pratique litigieuse pouvait entraîner la disparition de concurrents, une baisse de l’innovation sur le marché et un moindre choix pour les consommateurs, éléments caractéristiques d’un affaiblissement de la concurrence.
En revanche, le Tribunal estime que la Commission n’a pas établi que le comportement litigieux de Google avait eu des effets anticoncurrentiels, même potentiels, sur le marché de la recherche générale et il annule en conséquence le constat d’infraction pour ce seul marché.
En ce qui concerne les effets potentiellement anticoncurrentiels sur le marché de la recherche spécialisée pour la comparaison de produits, le Tribunal rejette, par ailleurs, l’argument de Google d’après lequel la concurrence serait restée vive en raison de la présence des plates-formes marchandes sur ce marché, en confirmant l’analyse de la Commission selon laquelle ces plates-formes ne sont pas actives sur le même marché.
Les justifications invoquées par Google pour contester le caractère abusif de son comportement sont également écartées par le Tribunal. À cet égard, il relève que, si les algorithmes de classement des résultats génériques ou les critères de positionnement et de présentation des résultats spécialisés pour les produits de Google peuvent en tant que tels représenter des améliorations de son service à teneur proconcurrentielle, cette circonstance ne justifie pas la pratique litigieuse, à savoir une inégalité de traitement entre les résultats du comparateur de produits de Google et ceux des comparateurs de produits concurrents. De plus, Google était resté en défaut de démontrer des gains d’efficience liés à cette pratique qui compenseraient ses effets négatifs pour la concurrence.
Au terme d’une nouvelle appréciation de l’infraction, le Tribunal confirme, enfin, le montant de l’amende imposée par la Commission, tout en rejetant les arguments de Google tirés du fait que le comportement litigieux avait été analysé pour la première fois par la Commission au regard des règles de concurrence et que, au stade de la procédure, elle avait accepté de tenter de résoudre le cas par la voie d’engagements.
En procédant à une appréciation propre des faits en vue de déterminer le niveau de la sanction, le Tribunal constate, d’une part, que l’annulation partielle de la décision attaquée pour ce qui concerne le marché de la recherche générale n’a pas d’impact sur le montant de l’amende, dès lors que la Commission n’a pas pris en compte la valeur des ventes sur ce marché pour déterminer le montant de base de l’amende imposée. D’autre part, le Tribunal souligne que, s’il tient compte de ce que l’abus n’a pas été démontré sur le marché de la recherche générale, il prend également en considération le fait que le comportement litigieux constitue une infraction particulièrement grave et qu’il a été adopté de manière délibérée et non par négligence.
Au terme de cette analyse, le Tribunal confirme le montant de la sanction pécuniaire infligée à Google
{1} Décision C(2017) 4444 final de la Commission, du 27 juin 2017, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE [affaire AT.39740 - Moteur de recherche Google (Shopping)].
{2} Belgique, République tchèque, Danemark, Allemagne, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Autriche, Pologne, Suède, Royaume-Uni et Norvège.
{3} Arrêt du 26 novembre 1998, Bronner (C 7/97, EU:C:1998:569).
Arrêt du 28 février 2013, Portugal / Commission (C-246/11 P) (cf. points 85-91)
51. Recours en annulation - Recevabilité - Autorité de la chose jugée - Limites
Arrêt du 26 février 2013, Espagne / Commission (T-65/10, T-113/10 et T-138/10) (cf. points 60-64)
52. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées - Critère objectif - Dispositions d'une directive prévoyant des conditions à l'inscription d'une substance à l'annexe I de la directive 91/414 - Caractère non détachable - Irrecevabilité
Arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a. / Commission (T-31/07) (cf. points 83-88)
53. Recours en annulation - Contrôle juridictionnel - Limites de la saisine
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 12 avril 2013, Stowarzyszenie Autorów ZAiKS / Commission (T-398/08) (cf. point 158)
Arrêt du 12 avril 2013, SOZA / Commission (T-413/08) (cf. point 174)
Arrêt du 12 avril 2013, Irish Music Rights Organisation / Commission (T-415/08) (cf. point 175)
Arrêt du 12 avril 2013, Eesti Autorite Ühing / Commission (T-416/08) (cf. point 175)
Arrêt du 12 avril 2013, Sociedade Portuguesa de Autores / Commission (T-417/08) (cf. point 173)
Arrêt du 12 avril 2013, OSA / Commission (T-418/08) (cf. point 175)
Arrêt du 12 avril 2013, LATGA-A / Commission (T-419/08) (cf. point 175)
Arrêt du 12 avril 2013, SAZAS / Commission (T-420/08) (cf. point 175)
Arrêt du 12 avril 2013, Koda / Commission (T-425/08) (cf. point 67)
Arrêt du 12 avril 2013, STEF / Commission (T-428/08) (cf. point 156)
Arrêt du 12 avril 2013, SIAE / Commission (T-433/08) (cf. point 165)
Arrêt du 12 avril 2013, Tono / Commission (T-434/08) (cf. point 159)
54. Recours en annulation - Contrôle de légalité - Critères - Prise en compte des seuls éléments de fait et de droit existant à la date d'adoption de l'acte litigieux
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 25 septembre 2014, Spirlea / Commission (T-669/11) (cf. point 102)
Arrêt du 25 septembre 2014, Spirlea / Commission (T-306/12) (cf. point 100)
Arrêt du 11 mai 2017, Suède / Commission (C-562/14 P) (cf. point 63)
Arrêt du 11 mai 2017, Dyson / Commission (C-44/16 P) (cf. point 57)
Arrêt du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis / Commission (C-403/18 P) (cf. points 45, 46)
Arrêt du 12 avril 2013, SOZA / Commission (T-413/08) (cf. point 69)
Arrêt du 12 avril 2013, Irish Music Rights Organisation / Commission (T-415/08) (cf. point 70)
Arrêt du 12 avril 2013, Eesti Autorite Ühing / Commission (T-416/08) (cf. point 70)
Arrêt du 12 avril 2013, Sociedade Portuguesa de Autores / Commission (T-417/08) (cf. point 68)
Arrêt du 12 avril 2013, OSA / Commission (T-418/08) (cf. point 70)
Arrêt du 12 avril 2013, LATGA-A / Commission (T-419/08) (cf. point 70)
Arrêt du 12 avril 2013, SAZAS / Commission (T-420/08) (cf. point 70)
Arrêt du 12 avril 2013, Performing Right Society / Commission (T-421/08) (cf. point 76)
Arrêt du 12 avril 2013, SACEM / Commission (T-422/08) (cf. point 70)
Arrêt du 26 janvier 2017, TV1 / Commission (T-700/14) (cf. point 70)
Arrêt du 3 octobre 2017, PM / ECHA (T-656/16) (cf. point 36)
Arrêt du 10 avril 2018, Alcogroup et Alcodis / Commission (T-274/15) (cf. point 61)
Arrêt du 19 juin 2018, Le Pen / Parlement (T-86/17) (cf. point 42)
Arrêt du 11 juillet 2018, CLF / Parlement (T-54/17) (cf. point 69)
Arrêt du 11 juillet 2018, Pegasus / Parlement (T-57/17) (cf. point 69)
Arrêt du 5 décembre 2018, Sumner / Commission (T-152/17) (cf. point 42)
Arrêt du 24 mars 2021, Bennahmias / Parlement (T-798/19) (cf. point 18)
Arrêt du 28 avril 2021, Sharif / Conseil (T-540/19) (cf. point 94, 96, 126)
Arrêt du 14 juillet 2021, Arnautu / Parlement (T-740/20) (cf. point 73)
Arrêt du 29 septembre 2021, Ryanair e.a. / Commission (T-448/18) (cf. point 69)
Ordonnance du 24 mars 2022, Di Taranto / Parquet européen (T-368/21) (cf. point 27)
Arrêt du 14 septembre 2022, SŽ - Tovorni promet / Commission (T-575/20) (cf. point 17)
Arrêt du 8 mars 2023, Novasol / ECHA (T-70/22) (cf. point 22)
Arrêt du 6 septembre 2023, Foodwatch / Commission (T-643/21) (cf. points 82, 83)
55. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de l'Iran - Gel des fonds de personnes, entités ou organismes participant ou appuyant la prolifération nucléaire - Appréciation de la légalité en fonction des éléments d'information disponibles au moment de l'adoption de la décision
Arrêt du 16 mai 2013, Iran Transfo / Conseil (T-392/11) (cf. points 48-53)
56. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie - Gel des fonds des personnes impliquées dans des détournements de fonds publics et des personnes physiques ou morales, entités ou organismes leur étant associés - Appréciation de la légalité en fonction des éléments d'information disponibles au moment de l'adoption de la décision
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 28 mai 2013, Trabelsi e.a. / Conseil (T-187/11) (cf. point 115)
À la suite des événements politiques survenus en Tunisie au cours des mois de décembre 2010 et de janvier 2011, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2011/72 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie{1}, mise en œuvre par la décision d’exécution 2011/79{2}. Cette décision a pour objet de geler au sein de l’Union les avoirs des personnes et entités responsables de détournement de fonds publics tunisiens et des personnes associées. La désignation du requérant sur la liste des personnes et entités visées par ces mesures, intervenue initialement en 2011, a été maintenue d’année en année au motif qu’il faisait l’objet d’une enquête judiciaire des autorités tunisiennes pour des infractions en lien, selon le Conseil, avec des détournements de fonds publics tunisiens.
Le requérant a introduit un recours en annulation contre, notamment, la décision 2018/141{3} et la décision 2019/135{4}, par lesquelles le Conseil a prolongé l’inscription de son nom sur la liste litigieuse en maintenant les mêmes motifs à son encontre. Le Tribunal annule ces deux décisions en tant qu’elles concernent le requérant.
Appréciation du Tribunal
Avant de statuer sur le fond, le Tribunal se prononce sur la recevabilité du recours en tant qu’il est dirigé contre la décision 2019/135, et plus particulièrement sur la question de savoir si, pour l’appréciation du respect du délai de recours, il convient de considérer que la suspension des délais de recours, résultant de la demande d’aide juridictionnelle visant la décision 2018/141, s’applique également à l’égard de la décision 2019/135, dans la mesure où le recours tend à l’annulation des deux décisions. À cet égard, il relève que, lorsque le requérant a déposé sa demande d’aide juridictionnelle, il n’était pas en mesure de désigner la décision remplaçant la décision 2018/141 dans la mesure où elle n’avait pas encore été adoptée. En revanche, cette circonstance ne s’opposait pas à ce que, une fois son recours déposé, il adapte celui-ci pour tenir compte de l’adoption de la décision 2019/135. Cependant, le Tribunal observe que, à la date d’expiration des délais de recours contre la décision 2019/135, dans l’hypothèse où ces délais de recours ne seraient pas suspendus, la procédure d’aide juridictionnelle était toujours en cours et le requérant n’avait pas encore été en mesure de déposer son recours contre la décision 2018/141. En outre, la période de huit mois s’étant écoulée entre l’ordonnance admettant le requérant au bénéfice de l’aide juridictionnelle et celle désignant un avocat et mettant fin à la procédure relative à cette aide, n’était pas imputable, pour l’essentiel, à ce dernier. Or, les délais de traitement de la demande d’aide juridictionnelle du requérant ne sauraient avoir pour effet de limiter l’accès au juge de l’Union. Le Tribunal en conclut que la suspension des délais de recours s’applique également aux conclusions dirigées contre la décision 2019/135.
En ce qui concerne le fond, le requérant alléguant notamment une erreur d’appréciation relative au respect, par les autorités tunisiennes, de son droit à être jugé dans un délai raisonnable, le Tribunal souligne, en premier lieu, que, en application des considérations de l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil{5}, le Conseil était tenu, d’une part de vérifier que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant avaient été respectés dans le cadre des procédures judiciaires le visant en Tunisie, et, d’autre part, de motiver les raisons pour lesquelles il considérait que ces droits avaient été respectés. L’obligation de vérification incombant au Conseil revêt un caractère inconditionnel.
Certes, dans des arrêts antérieurs{6}, le Tribunal avait relevé que, pour maintenir la désignation d’une personne sur une liste, le Conseil devait seulement réunir des preuves de l’existence d’une procédure judiciaire en cours la concernant. Ainsi, il ne devait procéder à des vérifications supplémentaires qu’en présence d’éléments suscitant des interrogations concernant le respect des droits du requérant dans le cadre de l’enquête judiciaire servant de fondement aux mesures restrictives adoptées. Toutefois, les moyens examinés dans ces arrêts ne soulevaient pas la question de savoir si le Conseil devait, d’office, opérer des vérifications, sans attendre que les personnes concernées aient présenté des observations susceptibles de les justifier, ni celle de savoir s’il devait motiver les conclusions tirées de ces vérifications. Surtout, la Cour n’avait alors pas encore prononcé l’arrêt Azarov/Conseil précité.
En second lieu, le Tribunal rappelle que le droit du requérant à être jugé dans un délai raisonnable est une composante du droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, selon le Tribunal, il appartient au Conseil, d’une part, de s’assurer qu’il dispose d’éléments suffisants concernant l’état et l’évolution de cette procédure pour évaluer le risque d’une violation de ce droit et, d’autre part, de procéder à une telle évaluation avec soin et impartialité, afin d’en tirer les conséquences appropriées.
En l’espèce, le Tribunal constate, d’une part, que l’enquête judiciaire sur laquelle reposait la désignation du requérant sur la liste litigieuse était ouverte depuis l’année 2011 sans avoir donné lieu à une décision juridictionnelle. D’autre part, les informations fournies par les autorités tunisiennes, en octobre 2017 et en octobre 2018, sur l’état d’avancement de l’affaire ne faisaient mention d’aucun acte de procédure concernant spécifiquement le requérant. En l’absence de telles informations, le Conseil n’était pas en mesure de procéder à une évaluation correcte du respect, par les autorités tunisiennes, du droit du requérant à être jugé dans un délai raisonnable. Le Tribunal en conclut, dès lors, que le Conseil a commis une erreur d’appréciation à cet égard, de nature à entraîner l’annulation des décisions 2018/141 et 2019/135.
{1} Décision 2011/72/PESC du Conseil, du 31 janvier 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie (JO 2011, L 28, p. 62).
{2} Décision d’exécution 2011/79/PESC du Conseil, du 4 février 2011, mettant en œuvre la décision 2011/72/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie (JO 2011, L 31, p. 40).
{3} Décision (PESC) 2018/141 du Conseil, du 29 janvier 2018, modifiant la décision 2011/72/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie (JO 2018, L 25, p. 38).
{4} Décision (PESC) 2019/135 du Conseil, du 28 janvier 2019, modifiant la décision 2011/72/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie (JO 2019, L 25, p. 23).
{6} Arrêt de la Cour du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C-530/17 P, ECLI:EU:C:2018:1031).
{7} À cet égard, voir arrêts du Tribunal du 5 octobre 2017, Mabrouk/Conseil (T-175/15, ECLI:EU:T:2017:694) et du 27 septembre 2018, Ezz e.a./Conseil (T-288/15, ECLI:EU:T:2018:619).
Arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali / Conseil (T-151/18) (cf. point 119)
57. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir une protection pour un des requérants ou une autorisation d'un droit de réponse à un ou à plusieurs requérants - Irrecevabilité
Aucune disposition des traités ni aucun principe ne donne compétence au Tribunal pour statuer sur une demande de protéger un requérant ou d'autoriser un droit de réponse à un ou plusieurs requérants. Dans ces conditions, une telle demande doit être rejetée comme portée devant une juridiction manifestement incompétente pour en connaître.
Arrêt du 28 mai 2013, Trabelsi e.a. / Conseil (T-187/11) (cf. points 36-38)
58. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions dirigées contre un État membre et présentées sur le fondement des dispositions du droit national - Irrecevabilité
Le droit né du traité UE et du traité FUE, issu d’une source autonome, ne peut, en raison de sa nature, se voir judiciairement opposer des règles de droit national quelles qu’elles soient, sans que soit mise en cause la base juridique de l’Union elle-même. Dès lors, une disposition nationale ne saurait être invoquée utilement au soutien d’un recours en annulation dirigé contre un acte de l’Union.
Arrêt du 28 mai 2013, Trabelsi e.a. / Conseil (T-187/11) (cf. points 50, 61)
59. Recours en annulation - Qualité de partie défenderesse - Mission de politique de sécurité et de défense de l'Union non dotée de personnalité juridique - Absence de qualité d'organe ou d'organisme de l'Union - Actes adoptés par le chef d'une telle mission dans le cadre d'une procédure de marché public de services - Imputabilité à la Commission - Irrecevabilité du recours
Une mission instituée par une action commune du Conseil dans le cadre de la politique de sécurité et de défense de l'Union, qui ne dispose pas de personnalité juridique et pour laquelle il n’est pas prévu qu’elle puisse être partie à une procédure devant les juridictions de l’Union, ne constitue qu'une simple action qui ne peut être considérée comme un organe ou un organisme de l’Union au sens de l’article 263, premier alinéa, TFUE.
Par ailleurs, les actes adoptés en vertu de pouvoirs délégués sont normalement imputés à l’institution délégante, à laquelle il appartient de défendre en justice l’acte en cause. Dès lors que, d'une part, la Commission a délégué certaines tâches d’exécution du budget d'une mission de politique de sécurité et de défense de l'Union au chef de celle-ci en application de l’article 54, paragraphe 2, sous d), du règlement nº 1605/2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes, tel que modifié, et que, d'autre part, ledit chef de mission ne peut conclure des accords techniques portant sur la fourniture d’équipements, de services et de locaux que sous réserve d’approbation par la Commission, les actes adoptés par le chef de ladite mission dans le cadre d'une procédure de passation d'un marché de services sont imputables à la Commission qui dispose de la qualité de partie défenderesse, en vertu de l’article 263, premier alinéa, TFUE. Ces actes sont donc susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel conforme aux exigences du principe général selon lequel tout acte émanant d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union destiné à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers doit être susceptible d’un contrôle juridictionnel.
Ordonnance du 4 juin 2013, Elitaliana / Eulex Kosovo (T-213/12) (cf. points 26, 31-35)
60. Recours en indemnité - Conclusions étroitement liées à celles d'un recours en annulation déclaré irrecevable - Irrecevabilité du recours indemnitaire
Voir le texte de la décision.
Ordonnance du 4 juin 2013, Elitaliana / Eulex Kosovo (T-213/12) (cf. point 45)
61. Procédure juridictionnelle - Délais de recours - Forclusion - Dérogations - Erreur excusable - Notion
Dans le cadre du contrôle du respect des délais pour l'introduction d'un recours en annulation, la notion d'erreur excusable ne vise que des circonstances exceptionnelles dans lesquelles, notamment, l'institution concernée a adopté un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminée, à provoquer une confusion admissible dans l'esprit du justiciable de bonne foi et faisant preuve de toute diligence requise d'une personne normalement avertie, par exemple, lorsque la partie requérante est confrontée à une difficulté d'interprétation particulière d'identifier l'autorité compétente ou la durée du délai.
Arrêt du 18 juin 2013, Fluorsid et Minmet / Commission (T-404/08) (cf. point 61)
62. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Demande d'annulation d'une note de débit émise par la Commission - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
63. Recours en annulation - Recevabilité - Rejet d'un recours sur le fond sans statuer sur la recevabilité - Pouvoir d'appréciation du juge de l'Union
Le juge de l'Union est en droit d'apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond le recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité.
Voir le texte de la décision.
Dans les arrêts du 12 juillet 2019, Keolis CIF e.a./Commission (T-289/17) Transdev e.a./Commission (T-291/17), Région Île-de-France/Commission (T-292/17), Optile/Commission (T-309/17), Ceobus e.a./Commission (T-330/17) et STIF-IDF/Commission (T-738/17), le Tribunal a rejeté plusieurs demandes d’annulation partielle de la décision de la Commission du 2 février 2017 concernant deux régimes d’aides mis à exécution par la France en faveur des entreprises de transport par autobus dans la région Île-de-France{1}.
Toutes ces affaires s’inscrivent dans le cadre de l’octroi de deux régimes d’aides en faveur des entreprises de transport par autobus dans la région Île-de-France, le premier, mis en œuvre par la Région Île-de-France, entre 1994 et 2008, et, le second, mis en œuvre par le Syndicat Transport Île de France (STIF-IDF), à compter de 2008. Les aides versées au titre de ces régimes visaient à favoriser l’acquisition de matériel par les entreprises de transport public régulier de la région Île-de-France et à compenser les charges d’investissement supportées par ces dernières.
Dans la décision attaquée devant le Tribunal, la Commission a, dans un premier temps, estimé que ces deux régimes d’aides étaient compatibles avec le marché intérieur. Dans un deuxième temps, elle a, néanmoins, conclu que les aides financières octroyées au titre de ces régimes avaient été illégalement mises à exécution, dans la mesure où elles constituaient des « aides nouvelles » et ne lui avaient pas été notifiées. À cet égard, la Commission a, plus particulièrement, constaté une violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qui interdit aux États membres qui envisagent d’octroyer ou de modifier une aide d’État de mettre à exécution les mesures projetées avant que la Commission n’ait effectué un contrôle préalable sur ses projets. L’article 108, paragraphe 3, TFUE prévoit, ainsi, une obligation de « standstill » qui s’applique aux aides nouvelles, mais non aux aides existantes.
Par les arrêts Keolis CIF e.a./Commission, Transdev e.a./Commission, Optile/Commission et Ceobus e.a./Commission, le Tribunal a rejeté les recours introduits par plusieurs exploitants de réseaux de transport routier de voyageurs sur le territoire de cette région, tendant à l’annulation de la décision attaquée dans la mesure où celle-ci porte sur le régime d’aide mis en œuvre par la Région Île-de-France entre 1994 et 2008. Dans ce cadre, plusieurs parties requérantes avaient avancé des griefs tirés de diverses violations de l’obligation de motivation par la Commission, qui ont néanmoins tous été rejetés par le Tribunal. À l’appui de leurs recours, les requérantes contestaient, en outre, la qualification d’aides nouvelles des subventions à l’investissement reçues par les entreprises de transport au titre du régime d’aide mis en cause. Les exploitants de réseaux de transport routier invoquaient, de plus, une violation des règles de prescription prévues par l’article 17 du règlement 2015/1589{2}.
S’agissant de la qualification d’aide nouvelle du régime d’aide mis en œuvre par la Région Île-de-France entre 1994 et 2008, le Tribunal a, d’un côté, rejeté les griefs tirés d’une violation de l’article 1er, sous b), i), du règlement 2015/1589, selon lequel les aides introduites avant l’entrée en vigueur du traité FUE dans l’État membre concerné sont considérées comme existantes. Les requérantes n’avaient, en effet, pas produit devant le Tribunal les éléments de preuve suffisants aux fins d’établir que le régime d’aide en cause avait été introduit à une date antérieure à celle de l’entrée en vigueur du traité instituant la Communauté économique européenne en France, le 1er janvier 1958. Le Tribunal a, de l’autre côté, rejeté les griefs tirés d’une violation de l’article 1er, sous b), v), du règlement 2015/1589, aux termes duquel toute aide qui ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur, mais qui l’est devenue par la suite, en raison de l’évolution du marché intérieur, et sans avoir été modifiée par l’État membre, est réputée existante. À cet égard, le Tribunal a mis en évidence que les entreprises de transport bénéficiant des aides octroyées avaient été susceptibles d’utiliser, à compter de l’introduction du régime d’aide en cause, l’équipement financé par ces aides dans le cadre d’activités de transport ouvertes à la concurrence. En ce qui concerne la période 1994-2008, les entreprises de transport concernées n’avaient, en outre, pas contesté la qualification des subventions octroyées d’aides d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. De surcroît, la conclusion de la Commission selon laquelle l’ensemble des critères prévus à cette disposition était satisfait pour cette période était conforme à l’analyse figurant dans plusieurs décisions des juridictions nationales rendues en cette matière.
Le Tribunal a, en outre, rejeté les griefs tirés d’une violation de l’article 17 du règlement 2015/1589, qui prévoit un délai de prescription de dix ans en matière de récupération de l’aide. À cet égard, le Tribunal a relevé que les règles en matière de prescription définies à cette disposition se rapportent uniquement aux pouvoirs de la Commission, de sorte qu’elles n’ont pas vocation à s’appliquer dans un cas où, comme en l’espèce, la Commission a reconnu la compatibilité des aides illégalement versées avec le marché intérieur postérieurement à leur octroi. Le Tribunal a, toutefois, rappelé que les pouvoirs des autorités nationales concernant une éventuelle récupération de telles aides restent soumis aux seules règles de prescription du droit national applicables devant le juge national.
Par l’arrêt Région Île-de-France/Commission, le Tribunal a rejeté le recours introduit par la Région Île-de-France. Le Tribunal a considéré que la requérante ne saurait reprocher à la Commission d’avoir commis une violation de l’obligation de motivation dans le cadre de ses appréciations relatives au caractère sélectif du régime d’aide qu’elle a mis en place entre 1994 et 2008 et à l’avantage économique indu accordé aux bénéficiaires de ce régime. En outre, le Tribunal a estimé qu’il n’y avait pas lieu de remettre en cause le bien-fondé des appréciations, dans la décision attaquée, concernant l’existence d’un avantage économique et la sélectivité du régime. À cet égard, le Tribunal a précisé que les entreprises issues d’autres États membres ou d’autres régions françaises n’étaient pas éligibles à l’octroi des subventions litigieuses dont seules les entreprises actives sur le marché du transport régulier de voyageurs et exerçant leurs activités sur le territoire de la requérante pouvaient bénéficier. Le Tribunal a, par ailleurs, conclu au rejet du moyen tiré de la violation de l’article 1er, sous b), i) et v), du règlement 2015/1589.
Par l’arrêt STIF-IDF/Commission, le Tribunal a rejeté le recours introduit par le STIF-IDF tendant à l’annulation de la décision attaquée dans la mesure où celle-ci porte sur le régime d’aide mis en œuvre par ce dernier à compter de 2008. Ce volet de la décision attaquée visait, plus particulièrement, une série de contrats conclus entre le STIF-IDF et des entreprises privées exerçant des activités de transport public régulier sur le territoire de la Région Île-de-France, qui prévoyaient le versement d’une contribution financière par le STIF-IDF aux entreprises signataires en compensation de l’exécution des obligations de service public auxquelles ces dernières était contractuellement soumises.
À l’appui de son recours en annulation, le STIF-IDF invoquait la jurisprudence constante selon laquelle une intervention étatique ne constitue pas une aide d’état au sens de l’article 107 TFUE lorsqu’elle représente la contrepartie de prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public, de telle sorte que ces entreprises ne profitent pas, en réalité, d’un avantage financier et que ladite intervention n’a donc pas pour effet de placer ces entreprises dans une position concurrentielle plus favorable au regard des entreprises concurrentes. Pour que, dans un cas concret, une telle compensation puisse échapper à la qualification d’aide d’État, les critères dits « Altmark »{3} doivent être réunis. Le quatrième de ces critères stipule que le niveau de l’intervention étatique doit être déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises aurait encourus pour exécuter ces obligations. Dans son recours, le STIF-IDF reprochait, plus particulièrement, à la Commission d’avoir considéré à tort, dans la décision attaquée, que le régime d’aide litigieux ne remplissait pas ce critère et d’avoir violé son obligation de motivation à cet égard.
Après avoir confirmé que la Commission avait suffisamment détaillé les raisons pour lesquelles elle estimait que le régime d’aide litigieux ne remplissait pas le quatrième critère Altmark, le Tribunal a relevé que les éléments de preuve avancés par le STIF-IDF au soutien de ses griefs étaient, en substance, composés de références à des outils méthodologiques qu’il avait utilisés en amont de la fixation du montant des contributions financières à verser aux entreprises signataires, ainsi qu’aux différents contrôles ex post effectués pour vérifier les investissements réalisés par ces dernières. Or, comme ces éléments de preuve n’étaient pas pertinents ou, à tout le moins, suffisants aux fins de déterminer si le montant de la compensation avait été fixé conformément au quatrième critère Altmark, le Tribunal a constaté que les informations fournies par le STIF-IDF ne permettaient pas d’établir que l’appréciation du régime d’aide litigieux effectuée, dans la décision attaquée, au regard de ce critère était entachée d’une erreur de droit ou d’appréciation.
{1 Décision (UE) 2017/1470 de la Commission, du 2 février 2017, concernant les régimes d’aides SA.26763 2014/C (ex 2012/NN) mis à exécution par la France en faveur des entreprises de transport par autobus dans la région Île-de-France (JO 2017, L 209, p. 24).}
{2 Règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 249, p. 9).}
{3 Il s’agit de quatre critères d’application de cette jurisprudence, qui ont été énoncés dans l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C-280/00, EU:C:2003:415, points 88-93.}
Arrêt du 12 juillet 2019, Keolis CIF e.a. / Commission (T-289/17) (cf. points 26, 27)
Arrêt du 12 juillet 2019, Transdev e.a. / Commission (T-291/17) (cf. points 26, 27)
Arrêt du 12 juillet 2019, Région Île-de-France / Commission (T-292/17) (cf. points 25, 26)
Arrêt du 12 juillet 2019, Optile / Commission (T-309/17) (cf. points 24, 25)
Arrêt du 12 juillet 2019, Ceobus e.a. / Commission (T-330/17) (cf. points 26, 27)
Arrêt du 12 juillet 2019, STIF-IDF / Commission (T-738/17) (cf. points 18, 19)
Par l’arrêt Eurofer/Commission (T-835/17), prononcé le 12 mars 2020, le Tribunal a rejeté le recours introduit par Eurofer, Association européenne de l’acier, AISBL, tendant à l’annulation partielle du règlement d’exécution 2017/1795 de la Commission, du 5 octobre 2017, en ce que ce dernier portait, notamment, clôture de l’enquête sur les importations des produits visés en provenance de Serbie{1}.
Par le règlement d’exécution 2017/1795, la Commission a, d’une part, institué un droit antidumping définitif sur les importations de certains produits plats laminés à chaud en fer, en aciers non alliés ou en autres aciers alliés originaires du Brésil, d’Iran, de Russie et d’Ukraine. Elle a, d’autre part, décidé de clore l’enquête sur les importations des mêmes produits en provenance de Serbie{2}, estimant que leur volume, de l’ordre de 1,04 % des parts de marché dans l’Union européenne, était négligeable et que, partant, l’institution d’une mesure de défense à leur égard n’apparaissait pas nécessaire{3}.
Eurofer, association représentant plus de 90 % de la production totale de l'Union à l’origine de la plainte ayant conduit à l’ouverture de l’enquête antidumping, faisait notamment valoir que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant qu’il n’y avait pas lieu, aux fins de l’évaluation du préjudice causé à l’industrie européenne, de cumuler les importations en provenance de Serbie et les importations en provenance des autres pays concernés, alors même que le volume des premières dépassait le seuil de 1 % en deçà duquel il peut être décidé de ne pas ouvrir une procédure{4}.
À cet égard, le Tribunal a tout d’abord rappelé que les effets des importations en provenance de plus d’un pays ne pouvaient faire l’objet d’une évaluation cumulative que si trois conditions, elles-mêmes cumulatives, étaient réunies{5}. Premièrement, la marge de dumping établie en relation avec les importations en provenance de chaque pays doit être supérieure à 2 %. Deuxièmement, le volume des importations en provenance de chaque pays ne doit pas être « négligeable ». Troisièmement, une telle évaluation cumulative doit être appropriée compte tenu des conditions de concurrence entre les produits importés et entre ceux-ci et les produits de l’Union similaires. Relevant ensuite que, faute de toute précision à cet égard dans le règlement antidumping de base, il était logique pour la Commission d’utiliser le seuil de 1 % invoqué par Eurofer comme point de référence aux fins d’apprécier le caractère négligeable du volume des importations en provenance de Serbie, le Tribunal a cependant précisé que cette appréciation devait intégrer des éléments à la fois quantitatifs et qualitatifs, tenant compte des effets qu’un volume d’importation est susceptible de produire. En l’espèce, il a jugé que la Commission avait pu conclure à bon droit que le volume des importations en provenance de Serbie était négligeable, dès lors qu’il était très proche du seuil de 1 % et que les prix associés auxdites importations étaient plus élevés que ceux des autres pays visés.
Eurofer faisait également valoir que la décision de clore la procédure concernant les importations en provenance de Serbie était fondée sur un examen superficiel et partiel de ces dernières. À cet égard, le Tribunal a jugé que la Commission n’avait pas outrepassé la marge d’appréciation dont elle dispose pour conclure à la clôture de la procédure lorsqu’aucune mesure de défense ne se révèle nécessaire{6}. En effet, dès lors que, d’une part, le volume des importations en provenance de Serbie représentait une part de marché de 1,04 %, très proche du seuil en deçà duquel un préjudice est considéré comme normalement négligeable{7}, et d’autre part, les prix de vente moyens serbes étaient plus élevés que ceux des quatre autres pays concernés, il pouvait être conclu qu’un volume d’importation aussi faible ne pouvait porter préjudice à l’industrie de l’Union et qu’il n’était, dès lors, pas requis de procéder à une analyse détaillée de l’existence d’un dumping et d’un préjudice.
Enfin, le Tribunal a jugé que le refus de la Commission de communiquer certaines informations à Eurofer, en sa qualité de plaignante, n’emportait, eu égard aux motifs justifiant la clôture de la procédure, ni une violation de ses droits de la défense, ni une méconnaissance du principe de bonne administration{8}.
{1 Règlement d’exécution (UE) 2017/1795 de la Commission, du 5 octobre 2017, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certains produits plats laminés à chaud en fer, en aciers non alliés ou en autres aciers alliés, originaires du Brésil, d’Iran, de Russie et d’Ukraine et clôturant l’enquête sur les importations de certains produits plats laminés à chaud en fer, en aciers non alliés ou en autres aciers alliés, originaires de Serbie (JO 2017, L 258, p. 24).}
{2 Conformément à l’article 9, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21), (ci-après le « règlement antidumping de base »).}
{3 Règlement d’exécution 2017/1795, considérants 228 à 240 et article 2.}
{4 En vertu de l’article 5, paragraphe 7, du règlement antidumping de base, aucune procédure n’est ouverte à l’encontre de pays dont les importations représentent une part de marché inférieure à 1 %, à moins que collectivement ces pays représentent 3 %, ou davantage, de la consommation de l'Union.}
{5 Conformément à l’article 3, paragraphe 4, du règlement antidumping de base.}
{6 Au titre de l’article 9, paragraphe 2, du règlement antidumping de base.}
{7 En vertu de l’article 9, paragraphe 3, lu en combinaison de l’article 5, paragraphe 7, du règlement antidumping de base.}
{8 Article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.}
Arrêt du 12 mars 2020, Eurofer / Commission (T-835/17) (cf. point 32)
Arrêt du 11 juillet 2013, Hangzhou Duralamp Electronics / Conseil (T-459/07) (cf. points 60, 61)
Arrêt du 1er octobre 2014, Italie / Commission (T-256/13) (cf. point 39)
Arrêt du 10 octobre 2014, Marchiani / Parlement (T-479/13) (cf. point 23)
Arrêt du 14 septembre 2015, Brouillard / Cour de justice (T-420/13) (cf. point 18)
Ordonnance du 15 février 2016, Ezz e.a. / Conseil (T-279/13) (cf. point 38)
Ordonnance du 27 février 2019, Miserini Johansson / BEI (T-870/16) (cf. point 30)
Arrêt du 8 mai 2019, Lucchini / Commission (T-185/18) (cf. point 24)
Arrêt du 14 mai 2019, Marinvest et Porting / Commission (T-728/17) (cf. points 76, 77)
Arrêt du 20 octobre 2021, Novolipetsk Steel / Commission (T-790/19) (cf. point 30)
Arrêt du 16 mars 2022, BSEF / Commission (T-113/20) (cf. point 14)
Arrêt du 27 avril 2022, QA / Commission (T-68/21) (cf. point 21)
Arrêt du 8 juin 2022, Darment / Commission (T-92/21) (cf. point 40)
Arrêt du 14 septembre 2022, PB / Commission (T-775/20) (cf. point 79)
Arrêt du 18 octobre 2023, Ryanair / Commission (Alitalia I ; COVID-19) (T-225/21) (cf. point 10)
Arrêt du 21 février 2024, Grodno Azot et Khimvolokno Plant / Conseil (T-117/22) (cf. point 70)
Arrêt du 11 septembre 2024, Polynt / ECHA (T-192/22) (cf. point 24)
64. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Portée - Pouvoir du Tribunal de substituer sa propre motivation à celle de l'auteur de l'acte attaqué - Exclusion
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 18 juillet 2013, UEFA / Commission (C-201/11 P) (cf. point 65)
Arrêt du 18 juillet 2013, FIFA / Commission (C-204/11 P) (cf. points 79, 80)
Arrêt du 18 juillet 2013, FIFA / Commission (C-205/11 P) (cf. point 95)
Arrêt du 24 novembre 2015, Pays-Bas / Commission (T-126/14) (cf. point 121)
En 2016, le promoteur d’un projet de construction d’une centrale biomasse de production d’électricité alimentée par des déchets forestiers, mené dans la commune de Curtis en Galice (Espagne), a cherché un financement auprès de la Banque européenne d’investissement (BEI). Par délibération du 12 avril 2018 (ci-après la « délibération litigieuse »), le conseil d’administration de la BEI a approuvé, de manière préliminaire, la proposition de financement dudit projet, sous la forme d’un prêt. La BEI a informé le promoteur de cette délibération, tout en précisant que l’approbation ne créait aucune obligation à la charge de la BEI d’octroyer le prêt, mais permettait au promoteur de prendre les mesures nécessaires en vue de sa formalisation.
ClientEarth, une organisation non gouvernementale de protection de l’environnement, a introduit auprès de la BEI une demande de réexamen interne de la délibération litigieuse, en application de l’article 10 du règlement Aarhus{1} et de la décision établissant les modalités d’application dudit règlement{2}. ClientEarth contestait, en substance, l’appréciation du conseil d’administration de la BEI selon laquelle le projet en cause contribuait à la réalisation des objectifs environnementaux européens.
La BEI a rejeté la demande de réexamen interne comme étant irrecevable au motif que la délibération litigieuse ne constituait pas un « acte administratif » susceptible de faire l’objet d’un réexamen interne en vertu du règlement Aarhus.
À l’appui de son recours en annulation introduit contre cette décision de rejet, ClientEarth a invoqué deux moyens tirés, d’une part, d’une violation de l’obligation de motivation et, d’autre part, d’une application erronée des conditions requises pour la qualification d’un acte d’« acte administratif » au sens du règlement Aarhus.
Ce recours est accueilli par la deuxième chambre élargie du Tribunal. Dans son arrêt, celui-ci examine la question inédite tenant à la qualification d’une délibération du conseil d’administration de la BEI approuvant le financement d’un projet d’acte administratif au sens du règlement Aarhus.
Appréciation du Tribunal
Tout d’abord, le Tribunal écarte, comme étant irrecevable, le moyen de défense, invoqué par la BEI, tiré de l’incompatibilité de la demande de réexamen interne avec l’indépendance de la BEI dans le domaine de ses opérations financières. En effet, dans la mesure où ce motif ne figurait pas de manière autonome dans la motivation de la décision de rejet de la demande de réexamen interne, son examen au fond amènerait le Tribunal à substituer sa propre motivation à celle retenue par la BEI, ce qui est interdit dans le cadre du contrôle de la légalité visé à l’article 263 TFUE.
S’agissant du premier moyen soulevé par ClientEarth, portant sur la violation de l’obligation de motivation, le Tribunal rappelle que la décision de rejet de la demande de réexamen interne était soumise à l’obligation de motivation selon l’article 296 TFUE. Toutefois, comme la BEI avait exposé à suffisance les raisons l’ayant conduite à conclure que la délibération litigieuse ne remplissait pas les conditions exigées pour être qualifiée d’acte administratif, le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation est rejeté comme étant non fondé.
S’agissant du second moyen soulevé par ClientEarth, tiré d’une application erronée des conditions requises pour qualifier la délibération litigieuse d’acte administratif au sens du règlement Aarhus, le Tribunal souligne, à titre liminaire, la nécessité de préserver l’effet utile de la convention d’Aarhus {3}lors de interprétation de ces conditions. Selon ce règlement{4}, la notion d’acte administratif englobe toute mesure de portée individuelle au titre du droit de l’environnement arrêtée par une institution ou un organe de l’Union et ayant un effet juridiquement contraignant et extérieur.
Quant à la première condition tenant à l’adoption d’un acte au titre du droit de l’environnement, le Tribunal énonce que cette notion comprend toute mesure de portée individuelle soumise à des exigences du droit dérivé de l’Union qui, indépendamment de leur base juridique, visent directement à la réalisation des objectifs de la politique environnementale de l’Union. Pour parvenir à cette conclusion, il renvoie, notamment, à la définition large donnée à la notion de « droit de l’environnement » par le règlement Aarhus{5}, comme incluant toute disposition législative de l’Union contribuant à la poursuite des objectifs de la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement, tels que prévus par le traité FUE. Le Tribunal précise que les dispositions législatives visées par cette définition incluent les règles internes de portée générale encadrant l’activité de prêt de la BEI, en particulier les critères de nature environnementale d’éligibilité des projets à un financement fixés par celle-ci. En outre, conformément à la convention d’Aarhus, l’accès à la justice en matière environnementale ne saurait être cantonné aux seuls actes des autorités publiques fondés sur une disposition du droit de l’environnement. Partant, le Tribunal estime que la délibération litigieuse, en ce qu’elle constatait que le projet en cause satisfaisait aux critères d’éligibilité de nature environnementale fixés par la BEI, constituait une mesure individuelle adoptée au titre du droit de l’environnement.
Quant à la seconde condition relative à l’effet juridiquement contraignant et extérieur qui doit résulter de l’acte administratif, conformément au règlement Aarhus, le Tribunal relève que l’interprétation de cette notion doit être cohérente avec la notion d’acte produisant des effets juridiques à l’égard des tiers, au sens de l’article 263 TFUE. À cet égard, le Tribunal considère que la délibération litigieuse contenait une prise de position définitive du conseil d’administration de la BEI sur l’éligibilité du projet en cause à un financement au regard de ses aspects environnementaux et sociaux. Dans cette mesure, elle produisait des effets juridiques définitifs à l’égard, notamment, du promoteur du projet, en ce que le constat de l’éligibilité lui permettait de prendre des mesures nécessaires pour la formalisation du prêt, et ce malgré le fait que d’autres aspects du projet restaient à examiner. Dans ce contexte, le Tribunal conclut que, dès lors que la demande de réexamen interne de ClientEarth portait sur les aspects environnementaux du projet, celle-ci se rapportait, au moins partiellement, aux effets juridiques définitifs produits à l’égard des tiers par la délibération litigieuse.
Au vu des constats qui précèdent, le Tribunal annule la décision de la BEI rejetant, comme étant irrecevable, la demande de réexamen interne introduite par ClientEarth.
{1} Règlement (CE) nº 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13) (ci-après le « règlement Aarhus).
{2} Décision 2008/50/CE de la Commission, du 13 décembre 2007, établissant les modalités d’application du règlement (CE) nº 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil relatif à la convention d’Aarhus en ce qui concerne les demandes de réexamen interne d’actes administratifs (JO 2008, L 13, p. 24).
{3} Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005 (JO 2005, L 124, p. 1).
{4} Article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement Aarhus.
{5} Article 2, paragraphe 1, sous f), du règlement Aarhus.
Arrêt du 27 janvier 2021, ClientEarth / BEI (T-9/19) (cf. points 88, 91)
65. Recours en annulation - Acte attaqué - Appréciation de la légalité en fonction des éléments d'information disponibles au moment de l'adoption de l'acte - Considérations rétrospectives - Absence d'incidence
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a. / Commission (C-501/11 P) (cf. points 31, 56, 65)
66. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité - Requalification du recours - Exclusion
Ordonnance du 9 septembre 2013, Planet / Commission (T-489/12) (cf. points 51-54)
67. Droit de l'Union européenne - Principes - Droit à une protection juridictionnelle effective - Applicabilité aux actes adoptés par des agences établies sur la base du droit dérivé produisant des effets juridiques vis-à-vis de tiers - Actes du président de l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur - Champ d'application de l'article 122 du règlement nº 207/2009
L’article 122, paragraphe 1, du règlement nº 207/2009 sur la marque communautaire prévoit que "[l]a Commission contrôle la légalité des actes du président de l’Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) à l’égard desquels le droit communautaire ne prévoit pas de contrôle de la légalité par un autre organe […]". Ainsi, le champ d’application de cette disposition est expressément conditionné par l’absence de contrôle de la légalité des actes du président de l’Office par un autre organe. Or, le Tribunal, en tant qu’organe judiciaire de la Cour de justice selon l’article 19, paragraphe 1, première phrase, TUE, constitue un tel "autre organe", dans la mesure où il exerce un tel contrôle de la légalité conformément à l’article 263, premier alinéa, seconde phrase, TFUE.
Il en résulte qu'un acte du président de l'Office n’entre pas dans le champ d’application de l’article 122 du règlement nº 207/2009 et que, partant, notamment, le paragraphe 3, deuxième phrase, de cet article selon lequel « [l]a Commission doit être saisie dans un délai d’un mois à compter du jour où l’intéressé a eu pour la première fois connaissance de l’acte en question » n’est pas applicable. Dès lors, l’Office ne saurait faire valoir que soit la saisine de la Commission d’une plainte contre un acte du président de l’Office, soit la conduite d’une procédure administrative à cet effet, soit une éventuelle décision explicite ou implicite de la Commission sur ladite plainte constituent, sous quelque forme que ce soit, des conditions préalables obligatoires, voire de recevabilité, d’un recours formé devant le juge de l’Union contre un tel acte, en vertu de l’article 263, premier alinéa, seconde phrase, et quatrième alinéa, TFUE.
Cette appréciation est confirmée par une interprétation téléologique de l’article 122 du règlement marques nº 207/2009. En effet, lorsque l'article 230, premier alinéa, CE régissant le système de protection juridictionnelle du traité souffrait encore d'une lacune concernant les actes des organes et organismes de l'Union, la reconnaissance à la Commission d’une tâche de contrôle de la légalité, telle que celle prévue à l’article 122 du même règlement, répondait à la nécessité perçue par le législateur de l’Union de susciter une décision de la Commission afin de rendre les actes adoptés par des organes ou par des organismes de l’Union, du moins indirectement, susceptibles de recours devant le juge de l’Union. Ainsi, la formulation "actes […] à l’égard desquels le droit communautaire ne prévoit pas de contrôle de la légalité par un autre organe" confirme qu’il s’agissait de conférer à la Commission un pouvoir de contrôle résiduel et subsidiaire afin d’assurer l’accès au juge de l’Union du moins par l’intermédiaire d’une décision explicite ou implicite de la Commission au sens de l’article 122, paragraphe 3, troisième et quatrième phrases, du règlement marques nº 207/2009. Cependant, au plus tard depuis l’entrée en vigueur de l’article 263, premier alinéa, seconde phrase, TFUE, cet objectif a perdu sa raison d’être et ne saurait justifier un prétendu caractère obligatoire de la procédure au titre de l’article 122 dudit règlement en tant qu’étape préalable à la saisine du juge de l’Union.
68. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Pouvoir de réformation - Exclusion - Substitution de la motivation d'une décision d'une institution - Inadmissibilité
69. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Exercice de droits contractuels par une institution, au nom et pour le compte de l'une des parties au contrat - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
Ordonnance du 1er octobre 2013, Evropaïki Dynamiki / Commission (T-554/11) (cf. points 29, 30, 35)
70. Recours en annulation - Objet - Demande d'annulation d'une décision étroitement liée à une décision précédente - Rejet de la demande en annulation de la décision précédente entraînant le rejet de la demande d'annulation de la décision subséquente
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 8 juillet 2015, European Dynamics Luxembourg e.a. / Commission (T-536/11) (cf. point 378)
Arrêt du 15 octobre 2013, Evropaïki Dynamiki / Commission (T-457/10) (cf. point 223)
Arrêt du 15 octobre 2013, Evropaïki Dynamiki / Commission (T-474/10) (cf. point 212)
71. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Intérêt à agir - Personnes physiques ou morales - Actes les concernant directement et individuellement - Recours dirigé contre un acte instituant des mesures restrictives à l'égard du requérant - Organisation gouvernementale invoquant les protections et les garanties liées aux droits fondamentaux - Question ne concernant pas la recevabilité du moyen mais son bien-fondé
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 21 avril 2016, Conseil / Bank Saderat Iran (C-200/13 P) (cf. points 46-49)
Dans le cadre d’un recours fondé sur l’article 275, second alinéa, TFUE, toute personne physique ou toute entité peut faire valoir des moyens tirés d’une violation de ses droits de la défense ou de son droit à une protection juridictionnelle effective, ainsi que des moyens tirés d’une violation des formes substantielles, tel celui tiré d’une violation de l’obligation de motivation d’un acte. En revanche, s’agissant des moyens tirés d’une erreur manifeste d’appréciation ou d’une violation du principe général de proportionnalité, la possibilité, pour une entité étatique, de les invoquer est une question qui a trait au fond du litige.
Arrêt du 18 février 2016, Conseil / Bank Mellat (C-176/13 P) (cf. points 48-51)
72. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Portée - Interdiction de statuer ultra petita - Obligation de respecter le cadre du litige défini par les parties - Obligation de statuer à partir des seuls arguments invoqués par les parties - Absence
Dans la mesure où le juge de l’Union saisi d’un recours en annulation ne peut pas statuer ultra petita, il n’est pas habilité à redéfinir l’objet principal du recours, ni à relever un moyen d’office en dehors des cas particuliers dans lesquels l’intérêt public exige son intervention. Dans le cadre du litige circonscrit par les parties, le juge de l’Union, tout en ne devant statuer que sur la demande des parties, ne saurait être tenu par les seuls arguments invoqués par celles-ci au soutien de leurs prétentions, sauf à se voir contraint, le cas échéant, de fonder sa décision sur des considérations juridiques erronées.
Arrêt du 4 décembre 2013, ETF / Schuerings (T‑107/11 P) (cf. points 41, 50)
Arrêt du 4 décembre 2013, ETF / Michel (T‑108/11 P) (cf. points 42, 51)
Dans le cadre du litige circonscrit par les parties, le juge de l’Union, tout en ne devant statuer que sur la demande des parties, ne saurait être tenu par les seuls arguments invoqués par celles-ci au soutien de leurs prétentions, sauf à se voir contraint, le cas échéant, de fonder sa décision sur des considérations juridiques erronées. En particulier, dans un litige opposant les parties en ce qui concerne l’interprétation et l’application d’une disposition du droit de l’Union, il incombe au juge de l’Union d’appliquer les règles de droit pertinentes pour la solution du litige aux faits qui lui sont présentés par les parties. En effet, en vertu du principe iura novit curia, la détermination du sens de la loi ne relève pas du champ d’application d’un principe de libre disposition du litige entre les mains des parties.
Il en ressort que la recevabilité d’un moyen ne dépend pas de l’utilisation d’une terminologie particulière. Il suffit que la substance d’un moyen se dégage, avec suffisamment de netteté, du texte de la requête. En outre, la recevabilité d’un moyen ne dépend pas non plus de l’invocation de règles ou de principes de droit concrets. En effet, il appartient au juge de l’Union d’identifier les dispositions pertinentes et de les appliquer aux faits qui lui sont présentés par les parties, quand bien même les parties ne se seraient pas référées aux dispositions en cause ou auraient même invoqué des dispositions différentes. Il en résulte également que, si la partie requérante a soulevé, de manière recevable, un moyen, le juge ne saurait, lors de l’examen de ce moyen, se limiter aux seuls arguments invoqués par ladite partie, mais doit procéder à une analyse complète de celui-ci, en tenant compte de toutes les règles et tous les principes de droit applicables, précisément pour ne pas fonder sa décision sur des considérations juridiques erronées.
Arrêt du 24 septembre 2015, Italie et Espagne / Commission (T-124/13 et T-191/13) (cf. points 35-37)
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 21 septembre 2023, Fachverband Spielhallen et LM / Commission (C-831/21 P) (cf. 44-46)
73. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées - Dispositions d'une décision du Conseil relative aux aides destinées à faciliter la fermeture des mines de charbon non compétitives - Annulation entraînant une modification de la substance de la décision - Condition non remplie - Irrecevabilité
Ordonnance du 10 décembre 2013, Carbunión / Conseil (T-176/11) (cf. points 31, 32, 36-40, 48, 51)
Ordonnance du 11 décembre 2014, Carbunión / Conseil (C-99/14 P) (cf. points 26-32, 41, 42)
74. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision, dans le cadre de la procédure de passation d'un marché public de services, de ne pas retenir une offre - Annulation, pour défaut de motivation, de la décision litigieuse - Moyen subsidiaire d'annulation tiré d'une violation du principe interdisant la modification des documents contractuels au cours de la procédure d'appel d'offres - Réalité de la violation dépendant de l'examen de moyens devant être dirigés contre la décision remplaçant la décision annulée - Caractère prématuré du moyen
Voir le texte de la décision.
75. Recours en annulation - Qualité pour agir - Personnes morales - Notion - Possession de la personnalité juridique selon le droit national ou reconnaissance par les institutions communautaires en tant qu'entité juridique indépendante
La recevabilité d’un recours en annulation, introduit par une entité en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dépend avant tout de la qualité de personne morale de cette dernière.
L’article 44, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal dispose à cet égard que, si la requérante est une personne morale de droit privé, elle joint à sa requête ses statuts ou un extrait récent du registre du commerce ou un extrait récent du registre des associations ou toute autre preuve de son existence juridique, ainsi que la preuve que le mandat donné à son avocat a été régulièrement établi par un représentant qualifié à cet effet.
Un droit d’agir, au titre d'une législation sectorielle, limité et spécifique devant une seule instance, dont, au surplus, le caractère juridictionnel n’est pas pleinement établi, est insuffisant pour établir que la requérante est dotée, en vertu de son droit national, d’une personnalité juridique de droit commun l’habilitant, en l’absence de toute preuve documentaire de son existence juridique, à saisir les juridictions de l’Union d’un recours fondé sur l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
La preuve de l'existence juridique n’est pas davantage établie par l’inscription de la requérante sur le registre de transparence de l’Union établi en vertu de l’accord entre le Parlement européen et la Commission européenne sur l’établissement d’un registre de transparence pour les organisations et les personnes agissant en qualité d’indépendants qui participent à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques de l’Union européenne, dans la mesure où une inscription sur ledit registre n’est pas conditionnée par l’existence de la personnalité juridique de l’entité en cause.
Dans le système juridictionnel de l’Union, une requérante a la qualité de personne morale si elle a été traitée par les institutions de l’Union comme une entité juridique indépendante. À cet égard, les éléments à prendre en considération afin d’apprécier la question de savoir si une requérante a été traitée par une institution comme une entité juridique indépendante sont, premièrement, la représentativité de l’entité en cause, deuxièmement, son autonomie, nécessaire pour agir comme une entité responsable dans les rapports juridiques, telle que garantie par sa structure interne conformément à ses statuts, et, troisièmement, le fait qu’une institution de l’Union a reconnu l’entité en cause comme interlocutrice. Toutefois, le fait que la Commission ait traité la requérante comme une entité juridique indépendante dans la décision attaquée ne saurait être de nature à démontrer sa qualité de personne morale, dans la mesure où ce traitement a été occasionné par la communication, par la requérante elle-même, d’informations erronées.
Ordonnance du 21 janvier 2014, EPAW / Commission (T-168/13) (cf. points 9, 10, 16, 17, 19, 23-26)
76. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 18 mars 2014, Commission / Parlement et Conseil (C-427/12) (cf. points 16-19)
Arrêt du 12 novembre 2015, Royaume-Uni / Parlement et Conseil (C-121/14) (cf. points 20-24)
Arrêt du 7 septembre 2016, Allemagne / Parlement et Conseil (C-113/14) (cf. point 27)
Arrêt du 28 octobre 2020, Dehousse / Cour de justice de l'Union européenne (T-857/19) (cf. point 36)
77. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées - Critère objectif - Condition non remplie
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 3 avril 2014, Commission / Pays-Bas et ING Groep (C-224/12 P) (cf. points 57-64)
78. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Portée - Interdiction de statuer ultra petita
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 3 avril 2014, Commission / Pays-Bas et ING Groep (C-224/12 P) (cf. points 97, 98)
Arrêt du 17 mars 2015, RFA International / Commission (T-466/12) (cf. points 77, 78)
Arrêt du 16 décembre 2015, British Airways / Commission (T-48/11) (cf. point 88)
79. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Interprétation de la motivation d'un acte administratif - Limites - Substitution de la motivation du Tribunal à celle de la Commission dans le cadre de l'examen des éléments invoqués par les requérants - Admissibilité - Violation des droits de la défense - Absence
Dans le cadre du contrôle de la légalité, visé à l’article 263 TFUE, le juge de l’Union ne peut, en toute hypothèse, substituer sa propre motivation à celle de l’auteur de l’acte attaqué.
Toutefois, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir substitué sa propre motivation, quant à l’imputabilité à une société mère de l’infraction commise par sa filiale, à celle de la Commission, si les motifs de l’arrêt en cause concernent des éléments invoqués par les requérants devant le Tribunal, visant à renverser la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante, que le Tribunal est tenu d’examiner dans le cadre du contrôle de la légalité de la décision litigieuse.
Par ailleurs, les droits de la défense de l'une des parties requérantes ne sont pas violés lorsque le Tribunal développe la motivation de la décision litigieuse en réponse à des arguments soulevés par des parties requérantes appartenant au même groupe de sociétés.
Arrêt du 10 avril 2014, Areva e.a. / Commission (C-247/11 P et C-253/11 P) (cf. points 56, 57, 78)
80. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Recours dirigé contre une décision concernant la signature et la conclusion d'un accord international, adoptée sur le fondement d'une seule base juridique matérielle relevant de la politique étrangère et de sécurité commune et ayant comme base juridique procédurale l'article 218, paragraphes 5 et 6, TFUE - Inclusion
Il résulte des articles 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE et 275, premier alinéa, TFUE que la Cour n’est, en principe, pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ainsi que les actes adoptés sur leur base. Toutefois, ces dispositions introduisent une dérogation à la règle de la compétence générale que l’article 19 TUE confère à la Cour pour assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités et, par conséquent, elles doivent être interprétées restrictivement. Dès lors, bien que la décision 2011/640, concernant la signature et la conclusion de l’accord entre l’Union européenne et la République de Maurice relatif aux conditions de transfert, de la force navale placée sous la direction de l’Union européenne à la République de Maurice, des personnes suspectées d’actes de piraterie et des biens associés saisis, et aux conditions des personnes suspectées d’actes de piraterie après leur transfert, ait été adoptée sur le fondement d’une seule base juridique matérielle relevant de la PESC, à savoir l’article 37 TUE, il résulte du préambule de cette décision que sa base juridique procédurale est l’article 218, paragraphes 5 et 6, TFUE, réglant la procédure de signature et de conclusion des accords internationaux.
Or, la procédure visée à l’article 218 TFUE a une portée générale et a dès lors vocation à s’appliquer, en principe, à tous les accords internationaux négociés et conclus par l’Union dans tous les domaines d’action de celle-ci, y inclus la PESC qui, contrairement à d’autres domaines, n’est soumise à aucune procédure spéciale. Dans ces conditions, il ne saurait être soutenu que la portée de la limitation dérogatoire à la compétence de la Cour prévue aux articles 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE et 275 TFUE s’étend jusqu’à exclure que la Cour soit compétente pour interpréter et appliquer une disposition telle que l’article 218 TFUE, qui ne relève pas de la PESC, alors même qu’elle prévoit la procédure sur la base de laquelle un acte relevant de la PESC a été adopté.
Arrêt du 24 juin 2014, Parlement / Conseil (C-658/11) (cf. points 69-73)
81. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir un arrêt déclaratoire - Irrecevabilité
Voir le texte de la décision.
Ordonnance du 16 octobre 2014, Mallis et Malli / Commission et BCE (T-327/13) (cf. point 64)
Arrêt du 11 décembre 2017, Léon Van Parys / Commission (T-125/16) (cf. point 44)
Arrêt du 13 septembre 2018, DenizBank / Conseil (T-798/14) (cf. point 135)
Dans le cadre d’un recours en annulation, il n’existe pas de voie de droit permettant au juge de prendre position par le biais d’une déclaration générale ou de principe.
Dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 263 TFUE, des demandes tendant uniquement à ce que soient constatés des points de droit ou de fait sans contenir une demande d’annulation ne peuvent, par elles-mêmes, constituer des demandes valables.
Arrêt du 17 février 2017, Mayer / EFSA (T-493/14) (cf. point 37)
Ordonnance du 24 juin 2014, Léon Van Parys / Commission (T-603/13) (cf. point 12)
Ordonnance du 16 octobre 2014, Chatzithoma / Commission et BCE (T-329/13) (cf. point 64)
Ordonnance du 16 octobre 2014, Chatziioannou / Commission et BCE (T-330/13) (cf. point 64)
Ordonnance du 16 octobre 2014, Nikolaou / Commission et BCE (T-331/13) (cf. point 64)
Ordonnance du 26 novembre 2014, Léon Van Parys / Commission (T-171/14) (cf. point 15)
Arrêt du 25 janvier 2017, Almaz-Antey Air and Space Defence / Conseil (T-255/15) (cf. point 31)
Arrêt du 14 septembre 2017, Università del Salento / Commission (T-393/15) (cf. point 68)
Arrêt du 4 mai 2018, Skyleader / EUIPO - Sky International (SKYLEADER) (T-34/17) (cf. point 19)
Arrêt du 13 septembre 2018, PSC Prominvestbank / Conseil (T-739/14) (cf. points 41, 43)
Ordonnance du 3 décembre 2019, WB / Commission (C-271/19 P) (cf. points 21-23)
Arrêt du 29 avril 2020, Intercontact Budapest / CdT (T-640/18) (cf. points 18, 20)
Arrêt du 13 mai 2020, Agmin Italy / Commission (T-290/18) (cf. point 43)
Ordonnance du 19 novembre 2020, Buxadé Villalba e.a. / Parlement (T-32/20) (cf. point 64)
Ordonnance du 16 juin 2021, Green Power Technologies / Entreprise (T-533/20) (cf. points 37, 39)
Arrêt du 12 octobre 2022, Vasallo Andrés / Parlement (T-496/21) (cf. point 63)
Arrêt du 12 octobre 2022, Serrano Velázquez / Parlement (T-589/21) (cf. point 9)
Arrêt du 19 octobre 2022, Sistem ecologica / Commission (T-81/21) (cf. point 27)
Ordonnance du 11 décembre 2023, UY / Commission (T-108/23) (cf. point 27)
Ordonnance du 11 décembre 2023, UY / Commission (T-109/23) (cf. point 27)
Arrêt du 17 avril 2024, NLVOW / Commission (T-331/22) (cf. points 47-50)
Arrêt du 17 avril 2024, Föreningen Svenskt Landskapsskydd / Commission (T-346/22) (cf. points 47-50)
Arrêt du 23 octobre 2024, Rivellini / Parlement (T-465/23) (cf. point 94)
82. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Gel des fonds et des ressources économiques - Recours en annulation d'un ex-dirigeant du gouvernement syrien visé par une décision de gel des fonds - Répartition de la charge de la preuve - Décision fondée sur la présomption de liens avec le régime syrien - Admissibilité - Conditions - Obligation d'avancer des indices suffisamment probants de persistance de tels liens - Obligation d'examiner avec soin et impartialité tous les éléments à décharge fournis par l'intéressé
Arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar / Conseil (T-203/12) (cf. points 144-156, 161-170)
83. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Recours dirigé contre des actes adoptés par le chef de la Mission de police de l'Union européenne dans le cadre d'un détachement d'un expert national auprès de ladite mission - Actes relevant de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union - Exclusion
Ordonnance du 10 juillet 2014, H / Conseil (T-271/10) (cf. points 34, 35)
84. Recours en annulation - Qualité de partie défenderesse - Mission de police de l'Union européenne - Actes adoptés par le chef d'une telle mission dans le cadre d'un détachement d'un expert national - Imputabilité aux autorités nationales - Irrecevabilité du recours - Compétence des juridictions nationales
Ordonnance du 10 juillet 2014, H / Conseil (T-271/10) (cf. points 44-52)
85. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Intérêt à agir - Personnes physiques ou morales - Actes les concernant directement et individuellement - Recours dirigé contre un acte instituant des mesures restrictives à l'égard du requérant - Organisation gouvernementale invoquant les protections et les garanties liées aux droits fondamentaux - Absence de disposition excluant un État tiers du droit de recours - Recevabilité
Arrêt du 16 juillet 2014, National Iranian Oil Company / Conseil (T-578/12) (cf. points 35, 36)
86. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Recours dirigé contre une décision d'un comité de suivi institué par un État membre en vertu du règlement nº 1083/2006 - Irrecevabilité - Compétence des juridictions nationales
L’article 263 TFUE doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un programme opérationnel relevant des règlements nº 1083/2006, portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement nº 1260/1999, et nº 1080/2006, relatif au Fonds européen de développement régional et abrogeant le règlement nº 1783/1999, et visant à promouvoir la coopération territoriale européenne, un recours contre une décision d’un comité de suivi rejetant une demande de subvention ne relève pas de la compétence du Tribunal de l’Union.
En effet, un comité de suivi institué dans le cadre d’un programme opérationnel destiné à promouvoir la coopération territoriale européenne ne constitue ni une institution ni un organe ou organisme de l’Union institués par le législateur de l’Union et dotés de pouvoirs pour adopter des actes juridiquement contraignants à l’égard de personnes physiques ou morales dans des domaines spécifiques. Chaque comité de suivi établit son règlement intérieur dans le cadre institutionnel, juridique et financier de l’État membre concerné conformément à l’article 63, paragraphes 1 et 2, du règlement nº 1083/2006. Or, le juge de l’Union n’est pas compétent pour statuer sur la légalité d’un acte pris par une autorité nationale.
Arrêt du 17 septembre 2014, Liivimaa Lihaveis (C-562/12) (cf. points 46-49, 52, disp. 1)
87. Recours en annulation - Recevabilité - Exception de litispendance - Caractère d'ordre public - Examen d'office par le juge de l'Union
Arrêt du 18 septembre 2014, Central Bank of Iran / Conseil (T-262/12) (cf. point 38)
88. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir une injonction adressée à une institution - Inadmissibilité - Violation du droit à une protection juridictionnelle effective - Absence
Le juge de l’Union ne saurait, en principe, adresser des injonctions à une institution sans empiéter sur les prérogatives de l’autorité administrative. Ainsi, conformément à l’article 264 TFUE, celui-ci n’a que la possibilité d’annuler un acte attaqué. Par ailleurs, l’article 266 TFUE ne prévoit pas non plus de possibilité d’adresser une injonction aux institutions. Ce constat ne saurait être infirmé par un argument fondé sur l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dès lors que cet article n’a pas pour objet de modifier le système de contrôle juridictionnel prévu par les traités.
Arrêt du 2 octobre 2014, Strack / Commission (C-127/13 P) (cf. points 145-147)
89. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Intérêt à agir - Examen d'office par le juge
Les conditions de recevabilité d'un recours, notamment le défaut d'intérêt à agir, relevant des fins de non-recevoir d'ordre public, il appartient au Tribunal de vérifier d'office si le requérant conserve un intérêt à obtenir l'annulation de la décision attaquée.
90. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Examen de la légalité d'une décision de la Cour européenne des droits de l'homme - Exclusion
91. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Annulation d'une note de débit émise par la Commission - Irrecevabilité
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 9 juin 2021, HIM / Commission (T-235/19) (cf. points 53, 54)
92. Recours en annulation - Qualité de partie défenderesse - Office des publications de l'Union européenne - Absence de qualité d'organe ou d'organisme de l'Union - Actes adoptés dans le cadre d'une procédure de marché public de services - Imputabilité à la Commission - Irrecevabilité du recours
Ordonnance du 3 novembre 2014, Secolux / Commission (T-90/14) (cf. point 16)
93. Recours en annulation - Décision de la Commission, dans le cadre de la procédure de passation d'un marché public de services, de ne pas retenir une offre - Recours dirigé contre le Centre de traduction des organes de l'Union européenne - Irrecevabilité
Ordonnance du 3 novembre 2014, Secolux / Commission (T-90/14) (cf. point 17)
94. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Limites - Compétence pour contrôler la légalité des actes n'émanant pas des institutions, organes ou organismes de l'Union - Exclusion
Voir le texte de la décision.
Ordonnance du 10 novembre 2014, Ledra Advertising / Commission et BCE (T-289/13) (cf. points 56, 58)
Ordonnance du 10 novembre 2014, CMBG / Commission et BCE (T-290/13) (cf. points 56, 58)
Ordonnance du 10 novembre 2014, Evangelou / Commission et BCE (T-292/13) (cf. points 56, 58)
Ordonnance du 10 novembre 2014, Theophilou / Commission et BCE (T-293/13) (cf. points 56, 58)
Ordonnance du 10 novembre 2014, Fialtor / Commission et BCE (T-294/13) (cf. points 56, 58)
95. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Demande d'annulation d'une décision de résilier une convention de financement - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
Ordonnance du 6 janvier 2015, St'art e.a. / Commission (T-36/14) (cf. points 28-30, 33, 35)
96. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Demande d'annulation d'une décision d'émettre une note de débit à la suite de la résiliation d'une convention de financement - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
Ordonnance du 6 janvier 2015, St'art e.a. / Commission (T-93/14) (cf. points 27-29, 31, 33)
97. Recours en annulation - Recours dirigé contre un acte confirmatif d'un acte antérieur non attaqué dans les délais - Irrecevabilité - Notion d'acte confirmatif - Acte portant modification d'une disposition d'un acte antérieur - Exclusion
Un recours en annulation formé contre une décision purement confirmative d’une décision antérieure non attaquée dans les délais est irrecevable. Toutefois, une décision est purement confirmative d’une décision antérieure lorsqu’elle ne contient aucun élément nouveau par rapport à un acte antérieur et qu’elle n’a pas été précédée d’un réexamen de la situation du destinataire de cet acte antérieur. À cet égard, lorsqu’une disposition d’un règlement est modifiée, le délai de recours est à nouveau ouvert, non seulement contre la disposition modifiée, mais aussi contre toutes celles qui, même non modifiées, forment avec elle un ensemble.
Ainsi, s’agissant d’un recours dirigé contre un cadre de surveillance, publié par la Banque centrale européenne, fixant une politique de localisation applicable aux contreparties centrales établies dans des États membres ne faisant pas partie de l’Eurosystème, la circonstance que la Banque ait pu exprimer dans des actes antérieurs le principe d’une politique de localisation qui pourrait s’appliquer aux contreparties centrales n’implique pas que la qualification d’acte confirmatif soit retenue à l’égard du cadre de surveillance, dès lors que la politique de localisation en cause y figure sous une forme modifiée.
Arrêt du 4 mars 2015, Royaume-Uni / BCE (T-496/11) (cf. points 59-62)
98. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Demande d'annulation des courriers envoyés par une institution à un contractant et proposant le remplacement d'un expert intervenant dans l'exécution d'un contrat-cadre - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
Ordonnance du 25 mars 2015, Borde et Carbonium / Commission (T-314/14) (cf. points 28-30, 33, 35)
Ordonnance du 21 avril 2016, Borde et Carbonium / Commission (C-279/15 P) (cf. points 37-39, 43)
99. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Gel des fonds et des ressources économiques - Recours en annulation d'une personne bénéficiant des politiques menées par le régime syrien visée par une décision de gel des fonds - Répartition de la charge de la preuve - Décision fondée sur un faisceau d'indices - Admissibilité - Conditions
Compte tenu de la situation en Syrie, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime combattu.
Arrêt du 21 avril 2015, Anbouba / Conseil (C-605/13 P) (cf. point 52)
Arrêt du 21 avril 2015, Anbouba / Conseil (C-630/13 P) (cf. point 53)
Compte tenu de la difficulté pour le Conseil d’apporter des éléments de preuve en raison de la situation de guerre qui prévaut en Syrie, celui-ci satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gels de ses fonds et le régime syrien.
Ainsi, à la lumière du contexte entourant les éléments de preuve dont se prévaut le Conseil, le Tribunal était en droit de considérer que la position du requérant dans la vie économique syrienne et ses importantes fonctions, passées ou actuelles, au sein de la chambre de commerce et d’industrie de la ville de Homs ainsi que du conseil d’administration de la fédération des chambres de commerces syriennes constituaient un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir que le requérant apportait un soutien économique au régime syrien ou bénéficiait de celui-ci. Il ne saurait être exclu que d'autres indices suffisamment concrets et précis soient de nature à remettre en cause la réalité du soutien économique que le requérant aurait apporté à ce régime ou des bénéfices qu’il aurait tirés de celui-ci.
En ce qui concerne l'obligation du Tribunal d’examiner les éléments de preuve non pas de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent, elle n’interdit pas au Tribunal d’examiner individuellement la matérialité des différentes allégations d’un requérant, pour autant qu’il est tenu compte, lors de l’examen de chacune de celles-ci et de leur appréciation globale en tant que faisceau d’indices, du contexte constitué par la situation spécifique de la Syrie.
Il s'ensuit que, dès lors que le Tribunal a contrôlé le bien-fondé de l’inscription d'une personne sur les listes des personnes faisant l’objet de mesures restrictives sur la base d’un faisceau d’indices relatifs à la situation, aux fonctions et aux relations de celle-ci dans le contexte du régime syrien qui n’ont pas été réfutés par l’intéressée, la référence, dans l’arrêt attaqué, à une présomption de soutien audit régime, alors que les actes attaqués devant le Tribunal concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie n'instaurent pas une telle présomption, n’est pas de nature à affecter la légalité de l’arrêt attaqué dans la mesure où il ressort des constatations du Tribunal que celui-ci a contrôlé à suffisance de droit l’existence d’une base factuelle suffisamment solide au soutien de l’inscription de ladite personne sur les listes considérées.
Arrêt du 7 avril 2016, Akhras / Conseil (C-193/15 P) (cf. points 61, 62, 65, 79, 80, 82)
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 2 juin 2016, HX / Conseil (T-723/14) (cf. points 39-41)
Arrêt du 26 octobre 2016, Hamcho et Hamcho International / Conseil (T-153/15) (cf. points 96, 97)
Arrêt du 9 septembre 2016, Tri-Ocean Trading / Conseil (T-709/14) (cf. point 42)
Arrêt du 26 octobre 2016, Jaber / Conseil (T-154/15) (cf. points 97, 98)
Arrêt du 26 octobre 2016, Kaddour / Conseil (T-155/15) (cf. points 96, 97)
Arrêt du 22 mars 2017, Haswani / Conseil (T-231/15) (cf. points 59-61)
Arrêt du 6 avril 2017, Alkarim for Trade and Industry / Conseil (T-35/15) (cf. point 40)
Arrêt du 11 mai 2017, Barqawi / Conseil (T-303/15) (cf. point 39)
Arrêt du 11 mai 2017, Abdulkarim / Conseil (T-304/15) (cf. point 38)
Arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf / Conseil (T-410/16) (cf. points 77, 98)
Arrêt du 19 juin 2018, HX / Conseil (T-408/16) (cf. points 62, 82)
Arrêt du 12 décembre 2018, Syriatel Mobile Telecom / Conseil (T-411/16) (cf. point 91)
Arrêt du 12 décembre 2018, Othman / Conseil (T-416/16) (cf. point 88)
Arrêt du 16 janvier 2019, Bena Properties / Conseil (T-412/16) (cf. point 90)
Arrêt du 16 janvier 2019, Cham / Conseil (T-413/16) (cf. point 92)
Arrêt du 31 janvier 2019, Abdulkarim / Conseil (T-559/17) (cf. points 44, 60)
Arrêt du 28 février 2019, Drex Technologies / Conseil (T-414/16) (cf. point 88)
Arrêt du 28 février 2019, Almashreq Investment Fund / Conseil (T-415/16) (cf. point 90)
Arrêt du 28 février 2019, Souruh / Conseil (T-440/16) (cf. point 89)
100. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Décès d'une personne physique destinataire d'une décision d'une institution de l'Union - Action en annulation pouvant être poursuivie par l'ayant cause à titre universel
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 22 avril 2015, Tomana e.a. / Conseil et Commission (T-190/12) (cf. point 50)
Ordonnance du 12 juillet 2016, Yanukovych / Conseil (T-347/14) (cf. point 67)
101. Recours en annulation - Qualité de partie défenderesse - Mission de politique de sécurité et de défense de l'Union non dotée de personnalité juridique - Absence de qualité d'organe ou d'organisme de l'Union - Actes adoptés par le chef d'une telle mission dans le cadre d'une procédure disciplinaire - Absence de qualité de partie défenderesse - Irrecevabilité du recours
Ordonnance du 23 avril 2015, Chatzianagnostou / Conseil e.a. (T-383/13) (cf. points 23-29)
102. Recours en annulation - Qualité de partie défenderesse - Mission de politique de sécurité et de défense de l'Union - Actes adoptés par le chef d'une telle mission dans le cadre d'un détachement d'un expert national - Imputabilité aux autorités nationales - Irrecevabilité du recours - Compétence des juridictions nationales
Ordonnance du 23 avril 2015, Chatzianagnostou / Conseil e.a. (T-383/13) (cf. points 35-42)
103. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à faire constater une infraction pénale - Irrecevabilité
Si le juge de l’Union est compétent pour apprécier si certains agissements des institutions peuvent engager la responsabilité de l’Union, il n’est pas compétent pour constater, sur la base de ces agissements, une infraction pénale. Partant, une allégation impliquant la constatation par le juge de l’Union que le Médiateur européen s’est rendu coupable de l’infraction pénale de faux et usage de faux est irrecevable.
Arrêt du 29 avril 2015, Staelen / Médiateur (T-217/11) (cf. point 165)
104. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Intérêt à agir - Personnes physiques ou morales - Actes les concernant directement et individuellement - Recours dirigé contre un acte instituant des mesures restrictives à l'égard du requérant - Entité publique invoquant les protections et les garanties liées aux droits fondamentaux - Question ne concernant pas la recevabilité du moyen mais son bien-fondé
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 29 avril 2015, Bank of Industry and Mine / Conseil (T-10/13) (cf. points 48, 49)
Arrêt du 29 avril 2015, National Iranian Gas Company / Conseil (T-9/13) (cf. points 32, 33)
105. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Personnes physiques ou morales - Recours introduit par plusieurs requérants à l'encontre de la même décision - Qualité pour agir de l'un d'entre eux - Recevabilité du recours dans son ensemble
Pour des raisons d’économie procédurale, si une même décision est attaquée par plusieurs requérants dans le cadre d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE et s’il est établi que l’un d’eux dispose de la qualité pour agir, il n’y a plus lieu pour le juge de l’Union d’examiner la qualité pour agir des autres requérants.
Arrêt du 30 avril 2015, Hitachi Chemical Europe e.a. / ECHA (T-135/13) (cf. point 39)
S’agissant d’un seul et même recours, dès lors qu’une des parties requérantes dispose de la qualité pour agir, il n’y a pas lieu d’examiner la qualité pour agir des autres parties requérantes, sauf à se fonder sur des considérations d’économie de procédure.
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 17 mai 2018, Bayer CropScience / Commission (T-429/13 et T-451/13) (cf. point 96)
Arrêt du 17 mai 2018, BASF Agro e.a. / Commission (T-584/13) (cf. point 49)
Arrêt du 30 avril 2015, Polynt et Sitre / ECHA (T-134/13) (cf. point 39)
Arrêt du 9 juin 2016, Magic Mountain Kletterhallen e.a. / Commission (T-162/13) (cf. point 41)
Arrêt du 20 octobre 2016, August Wolff et Remedia / Commission (T-672/14) (cf. point 18)
Arrêt du 13 septembre 2018, NK Rosneft e.a. / Conseil (T-715/14) (cf. point 92)
Arrêt du 24 avril 2024, Naass et Sea-Watch / Frontex (T-205/22) (cf. point 33)
106. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Examen de la légalité d'un accord international ou d'un acte national - Exclusion
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 5 mai 2015, Espagne / Parlement et Conseil (C-146/13) (cf. points 101, 102)
107. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Exceptions - Actes adoptés en vertu de pouvoirs délégués imputables à l'institution délégante - Décision de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) de publier certaines informations fournies par une entreprise ayant demandé un traitement confidentiel - Compétence de l'EFSA pour adopter ladite décision - Recours dirigé contre la Commission - Irrecevabilité
108. Recours en annulation - Qualité de partie défenderesse - Autorité européenne de sécurité des aliments - Qualité d'organe ou d'organisme de l'Union
109. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir une injonction adressée à une institution - Irrecevabilité - Violation du droit à une protection juridictionnelle effective - Absence
Arrêt du 11 juin 2015, McCullough / Cedefop (T-496/13) (cf. points 16, 18-22)
Arrêt du 16 décembre 2020, Haswani / Conseil (T-521/19) (cf. points 50-55)
110. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Examen de la légalité de la procédure pénale suivie devant la juridiction d'un État membre - Absence
Arrêt du 11 juin 2015, McCullough / Cedefop (T-496/13) (cf. point 26)
111. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Demande en annulation d'un acte de la Commission formée contre un organe de l'Union - Irrecevabilité
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 12 juin 2015, Plantavis et NEM / Commission et EFSA (T-334/12) (cf. point 20)
112. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère divisible de l'acte attaqué - Dispositions contestées consubstantielles à l'obtention des équilibres recherchés par la directive 2013/34 - Annulation entraînant une modification de la substance de la directive - Condition non remplie - Irrecevabilité
L’annulation partielle d’un acte de l’Union n’est possible que dans la mesure où les éléments dont l’annulation est demandée sont détachables du reste de l’acte. Il n’est pas satisfait à cette exigence de divisibilité de l'acte attaqué lorsque l’annulation partielle de cet acte aurait pour effet de modifier sa substance.
Dès lors, doit être considéré comme irrecevable le recours d'un État membre visant à l'annulation partielle de l’article 4, paragraphes 6 et 8, et à l’annulation totale des articles 6, paragraphe 3, et 16, paragraphe 3, de la directive 2013/34, relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises.
En effet, il résulte des considérants 4, 8 et 10 de ladite directive que la législation de l’Union harmonisant la comptabilité doit, d’une part, instaurer un juste équilibre entre les exigences contradictoires des utilisateurs de l’information financière et de leurs producteurs que sont les entreprises, et, d’autre part, tenir compte de la charge spéciale que représente la production de cette information pour les entreprises les plus petites.
Ainsi, le législateur de l’Union a, en adoptant la directive, cherché en substance à atteindre un double équilibre, à la fois entre entreprises et utilisateurs d’information financière, ainsi qu’entre grandes et petites entreprises, ces dernières supportant une charge administrative relativement supérieure aux premières lorsque les unes comme les autres doivent répondre en tous points aux mêmes exigences.
Or, les dispositions attaquées précitées, pour les unes, limitent la marge de manœuvre laissée aux États membres pour alourdir ladite charge administrative, et, pour les autres, prévoient une dérogation à l’harmonisation s’agissant d’un principe général de l’information financière. Il s’agit par conséquent de dispositions consubstantielles à l’obtention des équilibres recherchés par le législateur de l’Union mentionnés ci-dessus.
Il s’ensuit que l’annulation éventuelle des dispositions attaquées ne pourrait qu’affecter la substance de la directive et que, par conséquent, lesdites dispositions ne sauraient être regardées comme étant divisibles du cadre législatif qu’elle établit.
Arrêt du 18 juin 2015, Estonie / Parlement et Conseil (C-508/13) (cf. points 11-16)
113. Aides accordées par les États - Décision de la Commission constatant l'incompatibilité d'une aide avec le marché intérieur et ordonnant sa restitution - Présomption de légalité - Absence d'effet suspensif d'un recours en annulation devant le Tribunal contre une décision ordonnant la récupération d'une aide
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 9 juillet 2015, Commission / France (C-63/14) (cf. points 44, 47)
Voir texte de la décision.
114. Recours en annulation - Recevabilité - Personnes physiques ou morales - Entreprise destinataire d'une communication des griefs n'en ayant pas contesté les éléments de fait ou de droit au cours de la procédure administrative - Limitation de l'exercice du droit de recours - Absence
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 15 juillet 2015, SLM / Commission (T-389/10 et T-419/10) (cf. points 391-393)
115. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Exceptions - Actes adoptés en vertu de pouvoirs délégués imputables à l'institution délégante - Actes signés par l'Agence exécutive "Éducation, audiovisuel et culture" (EACEA) - Compétence de l'EACEA pour adopter lesdits actes - Recours dirigé contre la Commission - Irrecevabilité
Ordonnance du 23 octobre 2019, Universität Koblenz-Landau / EACEA (T-108/18) (cf. points 20-47)
116. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Compétence du juge de l'Union - Examen d'office
La compétence du juge de l’Union étant une question d’ordre public, elle peut être examinée d’office par lui.
Ordonnance du 16 septembre 2015, Calestep / ECHA (T-89/13) (cf. point 16)
Dans la mesure où la question de la compétence de la Cour pour connaître d’un litige est d’ordre public, une telle question peut à tout moment être examinée, même d’office, par la Cour.
Arrêt du 12 novembre 2015, Elitaliana / Eulex Kosovo (C-439/13 P) (cf. point 37)
Les dispositions des articles 256 et 263 TFUE prévoient que le Tribunal contrôle la légalité des actes des organes ou organismes de l'Union destinés à produire des effets juridiques à l'égard des tiers, sous réserve de conditions de recevabilité, tenant en particulier au fait que les recours doivent être formés dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l'acte, de sa notification à la partie requérante ou, à défaut, du jour où celle-ci en a eu connaissance. Or, la recevabilité est un des éléments d'appréciation d'un recours relevant de la compétence du juge, et ce d'autant plus qu'il doit l'examiner d'office.
Arrêt du 8 juin 2016, Monster Energy / EUIPO (GREEN BEANS) (T-585/15) (cf. point 40)
117. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Recours dirigé contre une décision de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) refusant à un demandeur d'enregistrement la réduction de redevance prévue pour les petites entreprises - Recevabilité
Le juge de l’Union est compétent pour connaître d’un recours formé contre une décision de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) prise au titre de l’article 13, paragraphe 4, du règlement nº 340/2008, relatif aux redevances et aux droits dus à l’ECHA en application du règlement nº 1907/2006, concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), constatant qu’un demandeur de l’enregistrement de substances au titre du règlement nº 1907/2006 ne remplit pas les conditions pour bénéficier de la réduction de redevance, prévue pour les petites entreprises, visée à l’article 6, paragraphe 4, de ce règlement, et lui imposant un droit administratif.
En effet, l’article 94, paragraphe 1, du règlement nº 1907/2006 dispose que le Tribunal ou la Cour de justice peuvent être saisis, conformément à l’article 263 TFUE, d’une contestation d’une décision de la chambre de recours ou, dans le cas où il n’existe pas de droit de recours auprès de ladite chambre, d’une décision de l’ECHA. À cet égard, l’article 91, paragraphe 1, dudit règlement prévoit la contestation devant la chambre de recours des seules décisions prises par l’ECHA au titre des articles 9 et 20, de l’article 27, paragraphe 6, de l’article 30, paragraphes 2 et 3, ainsi que de l’article 51 du règlement nº 1907/2006. Ces dispositions concernent des décisions qui n'ont pas de lien avec la redevance, prévue pour les petites entreprises, visée à l’article 6, paragraphe 4, dudit règlement.
Ordonnance du 16 septembre 2015, Calestep / ECHA (T-89/13) (cf. points 17-20, 22)
118. Recours en annulation - Qualité de partie défenderesse - Délégation de l'Union - Absence de qualité d'organe ou d'organisme de l'Union - Actes adoptés par le chef d'une délégation de l'Union dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres - Actes imputables à la Commission
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 13 octobre 2015, Intrasoft International / Commission (T-403/12) (cf. point 34)
Ordonnance du 14 novembre 2018, Spinoit / Commission e.a. (T-711/17) (cf. points 28, 29)
Ordonnance du 14 novembre 2018, Bruel / Commission e.a. (T-793/17) (cf. points 27, 28)
119. Politique étrangère et de sécurité commune - Compétence du juge de l'Union - Actes adoptés par une mission de l'Union relevant des dispositions du règlement financier de l'Union en matière de passation de marchés publics - Inclusion
Le Tribunal et, dans le cas d’un pourvoi, la Cour sont compétents pour connaître d’un recours formé contre les actes adoptés par une mission de nature civile menée par l’Union européenne sur la base d’une action commune dans un pays tiers par un soumissionnaire évincé dans le cadre d’une procédure en matière de marchés publics.
En effet, par application de l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE et de l’article 275, premier alinéa, TFUE, la Cour n’est en principe pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune ainsi que les actes adoptés sur leur base. Toutefois, lesdites dispositions introduisent une dérogation à la règle de la compétence générale que l’article 19 TUE confère à la Cour pour assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités et, par conséquent, ils doivent être interprétés restrictivement. À cet égard, une décision d’adjudication d’un marché public prise par une mission de l’Union de nature civile, dont l’annulation est demandée en raison d’une violation des règles de droit applicables aux marchés publics de l’Union, se rapporte à une passation de marché public qui a engendré des dépenses à la charge du budget de l’Union, conformément à l’article 41, paragraphe 2, premier alinéa, TUE et à l’article 16, paragraphe 2, de l’action commune 2008/124, relative à la mission "État de droit" menée par l'Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo. Il s’ensuit que le marché en cause relève des dispositions du règlement nº 1605/2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes.
Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que la portée de la limitation dérogatoire à la compétence de la Cour prévue à l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE et à l’article 275 TFUE s’étend jusqu’à exclure que la Cour soit compétente pour interpréter et appliquer les dispositions du règlement nº 1605/2002 en matière de passation de marchés publics.
Arrêt du 12 novembre 2015, Elitaliana / Eulex Kosovo (C-439/13 P) (cf. points 41-43, 46, 48, 49, 50)
120. Recours en annulation - Qualité de partie défenderesse - Mission de politique de sécurité et de défense de l'Union non dotée de personnalité juridique - Absence de qualité d'organe ou d'organisme de l'Union - Actes adoptés par le chef d'une telle mission en matière budgétaire et financière - Imputabilité à la Commission - Irrecevabilité du recours
L’article 263 TFUE prévoit que la Cour contrôle la légalité des actes des organes et des organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques. Or, s’agissant de la mission instituée sur la base de l’action commune 2008/124, relative à la mission "État de droit" menée par l'Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo, cette dernière ne pouvait être considérée comme disposant de la personnalité juridique, dès lors que ladite action commune qualifiait cette entité de "mission" et que, d’une part, en matière politique et stratégique, ladite mission était placée sous l’autorité et le contrôle du Conseil et du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité commune et, d’autre part, en matière budgétaire et financière, le chef de mission exerçait ses attributions sous la surveillance et l’autorité de la Commission. Partant, Eulex Kosovo n’étant pas dotée de la personnalité juridique et n’étant pas prévu qu’elle puisse être partie à une procédure devant les juridictions de l’Union, il y a lieu d’en déduire qu’Eulex Kosovo était une mission dont la durée était limitée, qui ne pouvait pas être un organe ou un organisme au sens de l’article 263, premier alinéa, TFUE.
Arrêt du 12 novembre 2015, Elitaliana / Eulex Kosovo (C-439/13 P) (cf. points 54, 58, 59)
121. Recours en annulation - Qualité de partie défenderesse - Mission de politique de sécurité et de défense de l'Union - Actes adoptés en matière de passation de marchés publics en vertu de pouvoirs délégués - Imputabilité à l'institution délégante - Recours dirigé contre la mission de l'Union - Irrecevabilité
Dès lors que les actes adoptés par la mission instituée sur la base de l’action commune 2008/124, relative à la mission "État de droit" menée par l'Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo, dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public, sont imputables à la Commission, Eulex Kosovo ne possède de ce fait pas la qualité de partie défenderesse aux fins d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE concernant ladite procédure.
En effet, la Commission a, par le contrat qu’elle a signé avec le chef de mission d’Eulex Kosovo conformément aux articles 8, paragraphe 5, et 16, paragraphe 4, de l’action commune 2008/124, et de l’article 54, paragraphe 2, sous d), du règlement nº 1605/2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes, délégué à ce dernier son pouvoir d’exécution budgétaire. Dans le cadre de cette délégation, le chef de la mission Eulex Kosovo est tenu, en tant que délégataire de la Commission, de se conformer aux règles budgétaires du droit de l’Union, en ce compris les règles régissant la passation de marchés publics, telles que prévues au titre V de la première partie du règlement nº 1605/2002. À cet égard, les actes adoptés en vertu de pouvoirs délégués sont normalement imputés à l’institution délégante, à laquelle il appartient de défendre en justice l’acte en cause.
Cette conclusion n’est pas de nature à contrevenir aux principes selon lesquels le système du traité est d’ouvrir un recours direct contre toutes dispositions prises par les institutions et visant à produire un effet juridique. En effet, une décision prise par Eulex Kosovo en matière de marchés publics est susceptible de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, à la condition toutefois que ce soit non pas Eulex Kosovo, mais la Commission, en tant qu’autorité délégante, qui soit citée dans la requête tendant à l’annulation de ladite décision.
Arrêt du 12 novembre 2015, Elitaliana / Eulex Kosovo (C-439/13 P) (cf. points 62-64, 66, 67)
122. Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Qualité pour agir - Recours d'une association professionnelle de défense et de représentation de ses membres - Recevabilité - Conditions
Voir le texte de la décision.
Ordonnance du 23 novembre 2015, EREF / Commission (T-694/14) (cf. points 13, 14)
123. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Introduction d'un seul et même recours par deux requérants - Recevabilité du recours de l'un des requérants - Nécessité d'examiner la recevabilité du recours s'agissant du second requérant - Absence
Voir le texte de la décision.
En avril 2020, la République française a notifié à la Commission européenne un projet d’aide en faveur de la compagnie aérienne Air France, filiale de la société holding Air France-KLM. L’aide notifiée consistait, d’une part, en une garantie d’État à hauteur de 90 % sur un prêt accordé par un consortium de banques d’un montant de 4 milliards d’euros et, d’autre part, en un prêt d’actionnaire d’un montant de 3 milliards d’euros au maximum.
Par la suite, en mars 2021, la République française a notifié à la Commission un projet d’aide en faveur d’Air France et de la holding Air France-KLM, tendant à la recapitalisation, à hauteur de 4 milliards d’euros, de ces deux sociétés, par le biais d’une augmentation de capital et de la conversion du prêt d’actionnaire visé ci-dessus en un instrument hybride, assimilé à une participation en fonds propres de la holding.
Ces mesures, qui s’inscrivent dans le contexte d’une série d’autres mesures d’aide visant à soutenir les sociétés faisant partie du groupe Air France-KLM, avaient pour objectif de financer les besoins de liquidité immédiats d’Air France et de la holding Air France-KLM afin de les aider à surmonter les conséquences négatives de la pandémie de COVID-19.
Par décision du 4 mai 2020 (ci-après la « décision Air France »){1}, corrigée à deux reprises en décembre 2020 et en juillet 2021, et par décision du 5 avril 2021 (ci-après la « décision Air France-KLM et Air France »){2}, la Commission a conclu que les mesures notifiées constituent des aides d’État compatibles avec le marché intérieur au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE{3} et de sa communication du 19 mars 2020 intitulée « Encadrement temporaire des mesures d’aides d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 »{4}.
Dans la décision Air France, la Commission a considéré que les bénéficiaires de l’aide notifiée étaient Air France et ses filiales. Ainsi, ni la holding Air France-KLM ni ses autres filiales, y compris KLM et les sociétés que cette dernière contrôlait, n’ont été considérées comme étant des bénéficiaires de cette mesure. Dans la décision Air France-KLM et Air France, la Commission a identifié tant Air France et ses filiales que la holding Air France-KLM et ses filiales comme bénéficiaires de l’aide notifiée, à l’unique exception de KLM et des filiales de cette dernière.
Les compagnies aériennes Ryanair et Malta Air ont introduit des recours tendant à l’annulation des décisions précitées de la Commission. Ces recours sont accueillis par la huitième chambre élargie du Tribunal, qui constate que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation dans la détermination des bénéficiaires des aides notifiées et, partant, a violé l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE. Dans ce cadre, le Tribunal apporte des précisions quant à la détermination des bénéficiaires d’une mesure d’aide dans le contexte d’un groupe de sociétés.
Appréciation du Tribunal
Au soutien de leurs recours, les requérantes contestaient notamment l’exclusion de la holding Air France-KLM et de KLM (décision Air France), d’une part, et de KLM (décision Air France-KLM et Air France), d’autre part, du périmètre des bénéficiaires des mesures notifiées.
À cet égard, le Tribunal rappelle que, si la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation lorsqu’elle est appelée à identifier les bénéficiaires d’une mesure d’aide notifiée, il n’en reste pas moins que le juge de l’Union doit vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées.
Il ressort, en outre, de la jurisprudence ainsi que de la communication de la Commission relative à la notion d’aide d’État{5} que plusieurs entités juridiques distinctes peuvent être considérées comme formant une seule unité économique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État. Parmi les éléments pris en compte pour déterminer l’existence d’une telle unité économique figurent notamment les liens capitalistiques, organiques, fonctionnels et économiques entre les entités concernées, les contrats prévoyant l’octroi de l’aide notifiée et le contexte dans lequel celle-ci s’inscrit.
Au regard de ces précisions, le Tribunal relève, tout d’abord, que les liens capitalistiques et organiques au sein du groupe Air France-KLM, tels que décrits dans les décisions attaquées, tendent à démontrer que les entités juridiques distinctes au sein dudit groupe forment une seule unité économique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État. À cet égard, le Tribunal souligne qu’il résulte des constats de la Commission que la holding Air France-KLM exerce effectivement un contrôle sur Air France et sur KLM en s’immisçant directement ou indirectement dans leur gestion et prend ainsi part à l’activité économique exercée par elles. De plus, selon lesdits constats, il existe, au niveau du groupe Air France-KLM, une procédure de prise de décision centralisée et une certaine coordination, assurées par le biais d’organes mixtes regroupant des représentants de haut niveau de la holding Air France-KLM, d’Air France et de KLM, à tout le moins en ce qui concerne la prise de certaines décisions importantes.
La conclusion de la Commission, selon laquelle la holding Air France-KLM, Air France et KLM ne constituent pas une unité économique aux fins de l’identification des bénéficiaires des mesures d’aide notifiées, est, en outre, infirmée par les liens fonctionnels et économiques qui existent entre ces entités. En effet, la description desdits liens dans les décisions attaquées ainsi que les différents exemples invoqués à cet égard par Ryanair et Malta Air témoignent d’une certaine intégration et coopération fonctionnelles, commerciales et financières entre lesdites entités.
Ensuite, le Tribunal relève que, contrairement à l’argumentation de la Commission, le cadre contractuel sur la base duquel sont octroyées les mesures notifiées ainsi que les engagements pris par la République française dans le contexte de la décision Air France-KLM et Air France ne s’opposent pas à la qualification d’unité économique de la holding Air France-KLM, d’Air France et de KLM. Sur ce point, le Tribunal précise que ni les clauses contractuelles citées par la Commission, ni les engagements pris par la République française ne permettent de restreindre le cercle de bénéficiaires des mesures notifiées à Air France respectivement à la holding Air France-KLM et à Air France. Par rapport à la décision Air France-KLM et Air France, le Tribunal souligne, par ailleurs, que l’amélioration de la position financière de la holding Air France-KLM à la suite de la mesure notifiée aurait, en tout état de cause, comme conséquence d’exclure le risque de défaillance de celle-ci et, par là même, de sa filiale KLM et les sociétés que cette dernière contrôlait.
Au regard du lien chronologique et structurel existant entre les mesures faisant l’objet des décisions attaquées, et en soulignant que la décision Air France-KLM et Air France a été adoptée avant l’adoption de la seconde décision corrective de la décision Air France, le Tribunal constate, en outre, que l’existence de chacune de ces décisions aurait dû être prise en compte par la Commission lors de son examen des mesures notifiées. Ainsi, la Commission est restée en défaut d’expliquer la raison pour laquelle elle a défini les bénéficiaires des mesures d’aide notifiées de manière différente dans les décisions attaquées.
Enfin, le Tribunal rejette l’argumentation de la Commission selon laquelle les mesures d’aide notifiées n’ont, tout au plus, que de simples effets économiques secondaires à l’égard de la holding Air France-KLM et de ses autres filiales (décision Air France) et à l’égard de KLM et de ses filiales (décision Air France-KLM et Air France). Sur ce point, le Tribunal rappelle que les effets prévisibles desdites mesures d’un point de vue ex ante suggèrent que la solution de financement prévue était susceptible de profiter au groupe Air France-KLM dans son ensemble, en améliorant sa position financière globale. Or, conformément à la communication de la Commission relative à la notion d’aide d’État, une telle solution de financement indique l’existence, à tout le moins, d’un avantage indirect au profit du groupe Air France-KLM, y compris KLM et les filiales de cette dernière.
Eu égard à l’ensemble de ces éléments, le Tribunal conclut que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en excluant la holding Air France-KLM et ses autres filiales, y compris KLM et les filiales de cette dernière (décision Air France), d’une part, et KLM et ses filiales (décision Air France-KLM et Air France), d’autre part, du périmètre des bénéficiaires des mesures d’aide notifiées. Cette identification erronée des bénéficiaires étant susceptible d’avoir une incidence sur l’ensemble de l’analyse de la compatibilité des mesures notifiées avec le marché intérieur au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE et de l’encadrement temporaire, le Tribunal annule les décisions attaquées.
{1} Décision C(2020) 2983 final de la Commission, du 4 mai 2020, relative à l’aide d’État SA.57082 (2020/N) - France - COVID 19 - Encadrement temporaire 107(3)(b) - Garantie et prêt d’actionnaire au bénéfice d’Air France, telle que corrigée par les décisions C(2020) 9384 final, du 17 décembre 2020, et C(2021) 5701 final, du 26 juillet 2021.
{2} Décision C(2021) 2488 final de la Commission, du 5 avril 2021, relative à l’aide d’État SA.59913 - France - COVID 19 - Recapitalisation d’Air France et d’Air France-KLM et décision C(2020) 2983 final de la Commission, du 4 mai 2020, relative à l’aide d’État SA.57082 (2020/N) - France - COVID 19 - Encadrement temporaire 107(3)(b) - Garantie et prêt d’actionnaire au bénéfice d’Air France, telle que corrigée par les décisions C(2020) 9384 final, du 17 décembre 2020, et C(2021) 5701 final, du 26 juillet 2021 (ci-après les « décisions attaquées »).
{3} En vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, les aides destinées à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre peuvent, sous certaines conditions, être considérées comme compatibles avec le marché intérieur.
{4} Communication de la Commission, du 20 mars 2020, sur l’encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID 19 (JO 2020, C 91 I, p. 1), modifiée le 4 avril 2020 (JO 2020, C 112 I, p. 1), le 13 mai 2020 (JO 2020, C 164, p. 3) et le 29 juin 2020 (JO 2020, C 218, p. 3) (ci-après l’« encadrement temporaire »).
{5} Communication de la Commission relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2016, C 262, p. 1).
En avril 2020, la République française a notifié à la Commission européenne un projet d’aide en faveur de la compagnie aérienne Air France, filiale de la société holding Air France-KLM. L’aide notifiée consistait, d’une part, en une garantie d’État à hauteur de 90 % sur un prêt accordé par un consortium de banques d’un montant de 4 milliards d’euros et, d’autre part, en un prêt d’actionnaire d’un montant de 3 milliards d’euros au maximum.
Par la suite, en mars 2021, la République française a notifié à la Commission un projet d’aide en faveur d’Air France et de la holding Air France-KLM, tendant à la recapitalisation, à hauteur de 4 milliards d’euros, de ces deux sociétés, par le biais d’une augmentation de capital et de la conversion du prêt d’actionnaire visé ci-dessus en un instrument hybride, assimilé à une participation en fonds propres de la holding.
Ces mesures, qui s’inscrivent dans le contexte d’une série d’autres mesures d’aide visant à soutenir les sociétés faisant partie du groupe Air France-KLM, avaient pour objectif de financer les besoins de liquidité immédiats d’Air France et de la holding Air France-KLM afin de les aider à surmonter les conséquences négatives de la pandémie de COVID-19.
Par décision du 4 mai 2020 (ci-après la « décision Air France »){1}, corrigée à deux reprises en décembre 2020 et en juillet 2021, et par décision du 5 avril 2021 (ci-après la « décision Air France-KLM et Air France »){2}, la Commission a conclu que les mesures notifiées constituent des aides d’État compatibles avec le marché intérieur au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE{3} et de sa communication du 19 mars 2020 intitulée « Encadrement temporaire des mesures d’aides d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 »{4}.
Dans la décision Air France, la Commission a considéré que les bénéficiaires de l’aide notifiée étaient Air France et ses filiales. Ainsi, ni la holding Air France-KLM ni ses autres filiales, y compris KLM et les sociétés que cette dernière contrôlait, n’ont été considérées comme étant des bénéficiaires de cette mesure. Dans la décision Air France-KLM et Air France, la Commission a identifié tant Air France et ses filiales que la holding Air France-KLM et ses filiales comme bénéficiaires de l’aide notifiée, à l’unique exception de KLM et des filiales de cette dernière.
Les compagnies aériennes Ryanair et Malta Air ont introduit des recours tendant à l’annulation des décisions précitées de la Commission. Ces recours sont accueillis par la huitième chambre élargie du Tribunal, qui constate que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation dans la détermination des bénéficiaires des aides notifiées et, partant, a violé l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE. Dans ce cadre, le Tribunal apporte des précisions quant à la détermination des bénéficiaires d’une mesure d’aide dans le contexte d’un groupe de sociétés.
Appréciation du Tribunal
Au soutien de leurs recours, les requérantes contestaient notamment l’exclusion de la holding Air France-KLM et de KLM (décision Air France), d’une part, et de KLM (décision Air France-KLM et Air France), d’autre part, du périmètre des bénéficiaires des mesures notifiées.
À cet égard, le Tribunal rappelle que, si la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation lorsqu’elle est appelée à identifier les bénéficiaires d’une mesure d’aide notifiée, il n’en reste pas moins que le juge de l’Union doit vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées.
Il ressort, en outre, de la jurisprudence ainsi que de la communication de la Commission relative à la notion d’aide d’État{5} que plusieurs entités juridiques distinctes peuvent être considérées comme formant une seule unité économique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État. Parmi les éléments pris en compte pour déterminer l’existence d’une telle unité économique figurent notamment les liens capitalistiques, organiques, fonctionnels et économiques entre les entités concernées, les contrats prévoyant l’octroi de l’aide notifiée et le contexte dans lequel celle-ci s’inscrit.
Au regard de ces précisions, le Tribunal relève, tout d’abord, que les liens capitalistiques et organiques au sein du groupe Air France-KLM, tels que décrits dans les décisions attaquées, tendent à démontrer que les entités juridiques distinctes au sein dudit groupe forment une seule unité économique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État. À cet égard, le Tribunal souligne qu’il résulte des constats de la Commission que la holding Air France-KLM exerce effectivement un contrôle sur Air France et sur KLM en s’immisçant directement ou indirectement dans leur gestion et prend ainsi part à l’activité économique exercée par elles. De plus, selon lesdits constats, il existe, au niveau du groupe Air France-KLM, une procédure de prise de décision centralisée et une certaine coordination, assurées par le biais d’organes mixtes regroupant des représentants de haut niveau de la holding Air France-KLM, d’Air France et de KLM, à tout le moins en ce qui concerne la prise de certaines décisions importantes.
La conclusion de la Commission, selon laquelle la holding Air France-KLM, Air France et KLM ne constituent pas une unité économique aux fins de l’identification des bénéficiaires des mesures d’aide notifiées, est, en outre, infirmée par les liens fonctionnels et économiques qui existent entre ces entités. En effet, la description desdits liens dans les décisions attaquées ainsi que les différents exemples invoqués à cet égard par Ryanair et Malta Air témoignent d’une certaine intégration et coopération fonctionnelles, commerciales et financières entre lesdites entités.
Ensuite, le Tribunal relève que, contrairement à l’argumentation de la Commission, le cadre contractuel sur la base duquel sont octroyées les mesures notifiées ainsi que les engagements pris par la République française dans le contexte de la décision Air France-KLM et Air France ne s’opposent pas à la qualification d’unité économique de la holding Air France-KLM, d’Air France et de KLM. Sur ce point, le Tribunal précise que ni les clauses contractuelles citées par la Commission, ni les engagements pris par la République française ne permettent de restreindre le cercle de bénéficiaires des mesures notifiées à Air France respectivement à la holding Air France-KLM et à Air France. Par rapport à la décision Air France-KLM et Air France, le Tribunal souligne, par ailleurs, que l’amélioration de la position financière de la holding Air France-KLM à la suite de la mesure notifiée aurait, en tout état de cause, comme conséquence d’exclure le risque de défaillance de celle-ci et, par là même, de sa filiale KLM et les sociétés que cette dernière contrôlait.
Au regard du lien chronologique et structurel existant entre les mesures faisant l’objet des décisions attaquées, et en soulignant que la décision Air France-KLM et Air France a été adoptée avant l’adoption de la seconde décision corrective de la décision Air France, le Tribunal constate, en outre, que l’existence de chacune de ces décisions aurait dû être prise en compte par la Commission lors de son examen des mesures notifiées. Ainsi, la Commission est restée en défaut d’expliquer la raison pour laquelle elle a défini les bénéficiaires des mesures d’aide notifiées de manière différente dans les décisions attaquées.
Enfin, le Tribunal rejette l’argumentation de la Commission selon laquelle les mesures d’aide notifiées n’ont, tout au plus, que de simples effets économiques secondaires à l’égard de la holding Air France-KLM et de ses autres filiales (décision Air France) et à l’égard de KLM et de ses filiales (décision Air France-KLM et Air France). Sur ce point, le Tribunal rappelle que les effets prévisibles desdites mesures d’un point de vue ex ante suggèrent que la solution de financement prévue était susceptible de profiter au groupe Air France-KLM dans son ensemble, en améliorant sa position financière globale. Or, conformément à la communication de la Commission relative à la notion d’aide d’État, une telle solution de financement indique l’existence, à tout le moins, d’un avantage indirect au profit du groupe Air France-KLM, y compris KLM et les filiales de cette dernière.
Eu égard à l’ensemble de ces éléments, le Tribunal conclut que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en excluant la holding Air France-KLM et ses autres filiales, y compris KLM et les filiales de cette dernière (décision Air France), d’une part, et KLM et ses filiales (décision Air France-KLM et Air France), d’autre part, du périmètre des bénéficiaires des mesures d’aide notifiées. Cette identification erronée des bénéficiaires étant susceptible d’avoir une incidence sur l’ensemble de l’analyse de la compatibilité des mesures notifiées avec le marché intérieur au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE et de l’encadrement temporaire, le Tribunal annule les décisions attaquées.
{1} Décision C(2020) 2983 final de la Commission, du 4 mai 2020, relative à l’aide d’État SA.57082 (2020/N) - France - COVID 19 - Encadrement temporaire 107(3)(b) - Garantie et prêt d’actionnaire au bénéfice d’Air France, telle que corrigée par les décisions C(2020) 9384 final, du 17 décembre 2020, et C(2021) 5701 final, du 26 juillet 2021.
{2} Décision C(2021) 2488 final de la Commission, du 5 avril 2021, relative à l’aide d’État SA.59913 - France - COVID 19 - Recapitalisation d’Air France et d’Air France-KLM et décision C(2020) 2983 final de la Commission, du 4 mai 2020, relative à l’aide d’État SA.57082 (2020/N) - France - COVID 19 - Encadrement temporaire 107(3)(b) - Garantie et prêt d’actionnaire au bénéfice d’Air France, telle que corrigée par les décisions C(2020) 9384 final, du 17 décembre 2020, et C(2021) 5701 final, du 26 juillet 2021 (ci-après les « décisions attaquées »).
{3} En vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, les aides destinées à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre peuvent, sous certaines conditions, être considérées comme compatibles avec le marché intérieur.
{4} Communication de la Commission, du 20 mars 2020, sur l’encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID 19 (JO 2020, C 91 I, p. 1), modifiée le 3 avril 2020 (JO 2020, C 112 I, p. 1), le 13 mai 2020 (JO 2020, C 164, p. 3) et le 29 juin 2020 (JO 2020, C 218, p. 3) (ci-après l’« encadrement temporaire »).
{5} Communication de la Commission relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2016, C 262, p. 1).
124. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées - Condition non remplie - Décision de la Commission de ne pas soulever d'objections à l'égard d'une aide notifiée et prenant acte simultanément des engagements pris par l'État membre - Caractère indissociable des engagements présentés par l'État membre et de la mesure notifiée - Demande d'annulation de certains des engagements - Irrecevabilité
Ordonnance du 1er décembre 2015, Banco Espírito Santo / Commission (T-814/14) (cf. points 24-34)
125. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision, dans le cadre de la procédure de passation d'un marché public de services, de ne pas retenir une offre - Décision d'adjudication du marché étroitement liée à la décision d'attribution dudit marché - Rejet de la demande d'annulation de la décision d'adjudication entraînant le rejet de la demande d'annulation de la décision d'attribution
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 27 avril 2016, European Dynamics Luxembourg e.a. / EUIPO (T-556/11) (cf. point 261)
Arrêt du 7 juin 2017, Blaž Jamnik et Blaž / Parlement (T-726/15) (cf. point 68)
126. ecours en annulation - Contrôle de pleine juridiction - Portée - Éléments à prendre en considération - Éléments antérieurs et postérieurs à la décision attaquée - Éléments présentés dans le cadre de la procédure administrative ou présentés pour la première fois dans le cadre du recours en annulation - Inclusion
e système de contrôle juridictionnel des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 TFUE et 102 TFUE consiste en un contrôle de la légalité des actes des institutions établi à l’article 263 TFUE, lequel peut être complété, en application de l’article 261 TFUE et sur demande des requérants, par l’exercice par le Tribunal d’une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions infligées en ce domaine par la Commission.
À cet égard, la portée du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE s’étend à l’ensemble des éléments des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 TFUE et 102 TFUE dont le Tribunal assure un contrôle approfondi, en droit comme en fait, à la lumière des moyens soulevés par les parties requérantes et compte tenu de l’ensemble des éléments soumis par ces dernières, que ceux-ci soient antérieurs ou postérieurs à la décision entreprise, qu’ils aient été préalablement présentés dans le cadre de la procédure administrative ou, pour la première fois, dans le cadre du recours dont le Tribunal est saisi, dans la mesure où ces derniers éléments sont pertinents pour le contrôle de la légalité de la décision de la Commission.
Arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energia España e.a. / Commission (C-603/13 P) (cf. points 71, 72)
127. Recours en annulation - Recours introduit par la personne physique ou morale destinataire de l'acte attaqué - Notion de personne destinataire - Personne destinataire d'une copie dudit acte - Exclusion
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 8 mai 2018, Esso Raffinage / ECHA (T-283/15) (cf. points 88, 89)
Arrêt du 21 janvier 2016, SACBO / Commission et INEA (C-281/14 P) (cf. point 34)
128. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées - Critère objectif
L’annulation partielle d’un acte de l’Union n’est possible que pour autant que les éléments dont l’annulation est demandée soient détachables du reste de l’acte. Il n’est pas satisfait à cette exigence de séparabilité lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la substance de l’acte. À cet égard, la question de savoir si une annulation partielle modifierait la substance de l’acte attaqué constitue un critère objectif et non un critère subjectif lié à la volonté politique de l’autorité qui a adopté ledit acte.
En outre, la vérification du caractère détachable des dispositions dont l’annulation est demandée suppose l’examen de la portée desdites dispositions, afin de pouvoir évaluer si leur annulation modifierait l’esprit et la substance de l’acte dans lequel elles s’insèrent.
Ordonnance du 1er février 2016, SolarWorld e.a. / Conseil (T-141/14) (cf. points 48-51)
Ordonnance du 1er février 2016, SolarWorld e.a. / Conseil (T-142/14) (cf. points 48-51)
129. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées - Disposition d'un règlement du Conseil exonérant de droits antidumping certaines importations faisant l'objet d'un engagement accepté par la Commission - Annulation entraînant une modification de la substance du règlement - Condition non remplie
Doit être rejeté comme irrecevable un recours en annulation dirigé contre l’article 3 du règlement nº 1238/2013, instituant un droit antidumping définitif et collectant définitivement le droit antidumping provisoire institué sur les importations de modules photovoltaïques en silicium cristallin et leurs composants essentiels (cellules) originaires ou en provenance de la République populaire de Chine. En effet, l’annulation de cet article, qui exonère de droits antidumping les importations du produit concerné provenant des producteurs-exportateurs chinois ayant souscrit des engagements de prix, entraînerait une modification des effets du règlement nº 1238/2013, puisque lesdites importations ne seraient plus exonérées, dans certaines limites annuelles, des droits antidumping prévus par son article 1er, paragraphe 2. S’il était fait droit à la demande d’annulation de la disposition attaquée, il résulte de l’examen de la portée de ladite disposition que l’esprit et la substance mêmes du règlement nº 1238/2013 seraient modifiés.
À cet égard, l’article 3 du règlement nº 1238/2013 accorde, dans une certaine limite quantitative, une exonération de droits antidumping à des opérateurs économiques nommément désignés, sous réserve que les conditions qu’il prévoit soient respectées. L’annulation de cet article aurait pour conséquence, en éliminant l’exonération de droits applicable dans cette limite quantitative, de conférer une portée plus large aux droits antidumping que celle ressortant de l’application du règlement nº 1238/2013 tel qu’il a été adopté par le Conseil, puisque, dans cette hypothèse, lesdits droits frapperaient toutes les importations du produit concerné en provenance de Chine, alors que, en application de l’ensemble dudit règlement, ces droits ne frappent que les importations provenant des exportateurs chinois qui n’ont pas souscrit l’engagement accepté par la Commission. Un tel résultat constituerait une modification de la substance de l’acte dans lequel s’insère la disposition dont l’annulation est demandée.
Par ailleurs, la question de savoir si tous les articles du règlement nº 1238/2013 peuvent s’appliquer sans l’article 3 n’a pas d’incidence sur l’appréciation de la portée de la modification apportée audit règlement en cas d’annulation de cette disposition, appréciation qui constitue le test à effectuer pour déterminer si la substance de l’acte juridique contenant les dispositions dont l’annulation est demandée est modifiée. Il en est de même de la circonstance que les articles du règlement nº 1238/2013 ne seraient pas ambigus, ce qui rendrait inutile leur interprétation par référence aux considérants, du fait que rien dans ledit règlement ne fait dépendre l’imposition de droits antidumping de l’article 3 et du fait que l’engagement offert n’a pas été une condition de l’adoption du règlement nº 1238/2013.
Ordonnance du 1er février 2016, SolarWorld e.a. / Conseil (T-141/14) (cf. points 54, 55, 60, 61)
Le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, dans le cadre de son examen de la recevabilité d'un recours en annulation dirigé contre l’article 3 du règlement d’exécution nº 1238/2013, instituant un droit antidumping définitif et collectant définitivement le droit antidumping provisoire institué sur les importations de modules photovoltaïques en silicium cristallin et leurs composants essentiels (cellules) originaires ou en provenance de la République populaire de Chine, que ledit article n'était pas détachable du reste des dispositions de ce règlement.
En effet, l’annulation partielle d’un acte de l’Union n’étant possible que dans la mesure où les éléments dont l’annulation est demandée sont détachables du reste de l’acte, il n’est pas satisfait à cette exigence lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la substance de celui-ci.
À cet égard, il résulte des dispositions contenues aux articles 1er et 3 du règlement d’exécution nº 1238/2013 que ce dernier article établit, au moyen de l’engagement relatif à un prix minimal à l’importation, une exemption du paiement des droits antidumping institués en vertu de cet article 1er, dans les limites d’un certain volume annuel d’importations. Le législateur de l’Union, lors de l’adoption de ce règlement, a mis en place des mesures de défense commerciale constituant un ensemble ou un « paquet ». Ledit règlement impose, ainsi, deux mesures distinctes et complémentaires, qui visent à atteindre un résultat commun, à savoir l’élimination de l’effet préjudiciable sur l’industrie de l’Union du dumping chinois relatif aux produits concernés tout en préservant l’intérêt de cette industrie.
Le règlement d'exécution nº 1238/2013 étant fondé sur la possibilité d’appliquer alternativement ces deux mesures de nature distincte, les producteurs-exportateurs chinois peuvent se prévaloir de l’engagement relatif à un prix minimal à l’importation accepté par la Commission, au sens de l’article 3 dudit règlement, et ainsi éviter qu’un droit antidumping ad valorem, tel que prévu à l’article 1er du même règlement, ne soit imposé sur leurs produits. Or, l’annulation de cet article 3 éliminerait une telle possibilité et ferait disparaître l’alternative que le législateur de l’Union a voulu offrir aux producteurs-exportateurs chinois lors de l’adoption du règlement litigieux. Compte tenu des différences quant aux conséquences économiques liées à ces deux types de mesures de défense commerciale, une telle annulation affecterait ainsi la substance même du règlement litigieux.
L’application de l’engagement relatif à un prix minimal concernait la grande majorité des cas dès l’adoption du règlement d'exécution nº 1238/2013. Cet engagement apparaît donc comme ayant vocation à s’appliquer de manière principale dans le cadre des importations en provenance de Chine concernées par ledit règlement d'exécution. Dans de telles circonstances, l’annulation dudit engagement affecterait nécessairement la substance de ce règlement.
Arrêt du 9 novembre 2017, SolarWorld / Conseil (C-204/16 P) (cf. points 36, 40, 44, 50, 53, 55)
Ordonnance du 1er février 2016, SolarWorld e.a. / Conseil (T-142/14) (cf. points 54, 55, 60, 61)
130. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision purement confirmative d'une décision précédente - Irrecevabilité - Notion de décision confirmative
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 4 février 2016, Italian International Film / EACEA (T-676/13) (cf. point 35)
Arrêt du 15 septembre 2016, La Ferla / Commission et ECHA (T-392/13) (cf. points 54, 55)
Arrêt du 15 septembre 2016, K Chimica / ECHA (T-675/13) (cf. points 25, 26)
Un acte qui se contente de confirmer la décision initiale ne modifie pas la situation de l’intéressé et, dès lors, ne constitue pas une décision susceptible de recours en annulation. Un recours formé contre un acte purement confirmatif d’une autre décision devenue définitive est irrecevable. Un acte est considéré comme purement confirmatif d’une décision antérieure s’il ne contient aucun élément nouveau par rapport à la décision antérieure et n’a pas été précédé d’un réexamen de la situation du destinataire de cette décision.
S’agissant d’un recours dirigé par le bénéficiaire d’un projet financé par l’Union contre une décision de la Commission formant titre exécutoire au sens de l’article 299 TFUE pour le recouvrement des sommes indûment payées, il ne saurait être valablement soutenu que le recours est irrecevable au motif que ladite décision constitue une décision confirmative par rapport aux refus antérieurs de la Commission d’accorder des facilités de paiement à la partie requérante lors de l’exécution d’un contrat conclu avec cette institution. En effet, à la différence d’une décision formant titre exécutoire, de tels refus n’impliquent pas l’exercice de prérogatives de puissance publique conférées à la Commission en sa qualité d’autorité administrative et ne produisent pas d’effets juridiques contraignants qui se situent en dehors des relations contractuelles liant cette institution et la partie requérante. Par ailleurs, il ne peut être question d’un contournement du délai de recours en annulation, puisque les refus en question relèvent des relations contractuelles entre la Commission et la partie requérante et que les contestations devant le juge de l’Union, en application de l’article 272 TFUE, des droits et des obligations contractuelles ne sont pas soumises au même délai de recours.
Arrêt du 4 juillet 2017, Systema Teknolotzis / Commission (T-234/15) (cf. points 84, 94, 95)
131. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Demande d'annulation d'une décision de conclure un contrat pour l'exécution d'un marché public - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
Arrêt du 4 février 2016, PRIMA / Commission (T-722/14) (cf. point 19)
132. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Demande d'annulation d'un acte individuel faisant grief - Incompétence du juge de l'Union pour constater l'illégalité d'une disposition de portée générale dans le dispositif de ses arrêts
Si, dans le cadre d'une demande d'annulation d'un acte individuel faisant grief, le juge de l'Union est effectivement compétent pour constater incidemment l'illégalité d'une disposition de portée générale sur laquelle l'acte attaqué est fondé, il n'est, en revanche, pas compétent pour opérer de telles constatations dans le dispositif de ses arrêts.
Arrêt du 2 mars 2016, Frieberger et Vallin / Commission (F-3/15) (cf. point 31)
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 14 décembre 2018, GQ e.a. / Commission (T-525/16) (cf. points 35-38)
Arrêt du 14 décembre 2018, FZ e.a. / Commission (T-526/16) (cf. points 38-41)
Ordonnance du 14 décembre 2018, GM e.a. / Commission (T-539/16) (cf. points 41-44)
Arrêt du 14 décembre 2018, FZ e.a. / Commission (T-540/16) (cf. points 39-42)
Ordonnance du 10 mai 2022, Girardi / EUIPO (T-497/21) (cf. point 36)
133. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Substitution de la motivation d'une décision d'une institution - Inadmissibilité
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 16 mars 2016, Frucona Košice / Commission (T-103/14) (cf. points 105, 106)
Arrêt du 27 avril 2016, Österreichische Post / Commission (T-463/14) (cf. point 44)
Arrêt du 26 octobre 2016, PT Musim Mas / Conseil (C-468/15 P) (cf. point 64)
Arrêt du 10 octobre 2017, Kolachi Raj Industrial / Commission (T-435/15) (cf. points 64-66, 68)
Arrêt du 15 décembre 2016, Gul Ahmed Textile Mills / Conseil (T-199/04 RENV) (cf. points 141, 161)
Arrêt du 18 janvier 2017, Toshiba / Commission (C-623/15 P) (cf. point 43)
Arrêt du 19 juillet 2017, Dessi / BEI (T-510/16) (cf. point 78)
Arrêt du 18 septembre 2018, Duferco Long Products / Commission (T-93/17) (cf. point 50)
Arrêt du 27 avril 2022, Giant Electric Vehicle Kunshan / Commission (T-242/19) (cf. points 119, 120)
Arrêt du 27 avril 2022, Giant Electric Vehicle Kunshan / Commission (T-243/19) (cf. points 111-112)
134. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Annulation d'un acte s'inscrivant dans un cadre contractuel - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
S’il est vrai qu’il serait contraire à l’objectif du recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE d’interpréter restrictivement les conditions de recevabilité du recours en limitant sa portée aux seules catégories d’actes visés à l’article 288 TFUE, il n’en demeure pas moins que cette compétence d’interprétation et d’application des dispositions du traité par le juge de l’Union ne trouve pas à s’appliquer lorsque la situation juridique du requérant s’inscrit dans le cadre de relations contractuelles dont le régime juridique est régi par la loi nationale désignée par les parties contractantes.
En effet, si le juge de l’Union se reconnaissait compétent pour statuer en annulation sur des actes s’inscrivant dans un cadre purement contractuel, il risquerait non seulement de vider de son sens l’article 272 TFUE, lequel permet d’attribuer la compétence juridictionnelle de l’Union en vertu d’une clause compromissoire, mais encore, dans les cas où le contrat ne contiendrait pas pareille clause, d’étendre sa compétence juridictionnelle au-delà des limites tracées par l’article 274 TFUE, lequel confie aux juridictions nationales la compétence de droit commun pour connaître des litiges auxquels l’Union est partie. Il en découle que, en présence d’un contrat liant le requérant à l'une des institutions, les juridictions de l’Union ne peuvent être saisies d’un recours sur le fondement de l’article 263 TFUE que si l’acte attaqué vise à produire des effets juridiques contraignants qui se situent en dehors de la relation contractuelle liant les parties et qui impliquent l’exercice de prérogatives de puissance publique conférées à l’institution contractante en sa qualité d’autorité administrative.
À cet égard, dans l’hypothèse où une institution, et plus particulièrement la Commission, choisit, pour allouer des contributions financières, la voie contractuelle dans le cadre de l’article 272 TFUE, elle est tenue de rester à l’intérieur de ce cadre. Ainsi, il lui incombe, notamment, d’éviter l’utilisation, dans le cadre des relations avec ses cocontractants, de formulations ambiguës susceptibles d’être perçues par ceux-ci comme relevant de pouvoirs de décision unilatéraux dépassant les stipulations contractuelles.
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 25 octobre 2018, KF / CSUE (T-286/15) (cf. point 125)
Ordonnance du 14 novembre 2018, Spinoit / Commission e.a. (T-711/17) (cf. points 31-36)
Ordonnance du 14 novembre 2018, Bruel / Commission e.a. (T-793/17) (cf. points 30-35)
Ordonnance du 14 décembre 2022, ICA Traffic / Commission (T-717/21) (cf. points 34, 36)
135. Droits fondamentaux - Droit à une protection juridictionnelle effective - Contrôle de la légalité des actes de l'Union - Modalités - Protection de ce droit par le juge de l'Union ou par les juridictions nationales selon la nature juridique de l'acte attaqué
Ordonnance du 19 avril 2018, Allergopharma / Commission (T-354/15) (cf. point 71)
136. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives à l'encontre de l'Iran - Mesures prises dans le cadre de la lutte contre la prolifération nucléaire - Compétence du juge de l'Union - Acte adopté en vertu de l'article 215 TFUE - Inclusion
La dérogation à la compétence du juge de l’Union prévue à l’article 275 TFUE ne saurait être interprétée comme s’étendant jusqu’à exclure le contrôle de légalité d’un acte adopté en vertu de l’article 215 TFUE, tel que l’article 1er, point 15, du règlement nº 1263/2012, modifiant le règlement nº 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, qui ne relève pas de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), pour la seule raison que l’adoption valable dudit acte est conditionnée par l’adoption préalable d’une décision relevant de la PESC. En effet, une telle interprétation de la dérogation en question se heurterait tant à la compétence générale conférée à la Cour à l’article 19 TUE qu’à la compétence spécifique qui lui est conférée expressément à l’article 263, premier, deuxième et quatrième alinéas, TFUE.
Arrêt du 2 juin 2016, Bank Mellat / Conseil (T-160/13) (cf. point 39)
137. Recours en annulation - Recours devenu sans objet à la suite d'un arrêt définitif du juge de l'Union dans une autre affaire portant, après une requalification de l'objet du recours, sur le même objet - Non-lieu à statuer
Un recours en annulation est devenu sans objet et il n’y a plus lieu de statuer, lorsque l’objet d’un arrêt rendu par le juge de l’Union dans une autre affaire est devenu, après la requalification de l’objet du recours dans cette affaire, le même que celui du recours en cause, l’identité des parties dans l’une et l’autre affaire étant la même et l’arrêt précité étant passé en force de chose jugée et donc devenu définitif.
En effet, le principe du respect de l’autorité de la chose jugée revêtant une importance fondamentale dans l’ordre juridique de l’Union, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que des décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause.
Ordonnance du 7 juin 2016, Verile / Commission (F-108/12) (cf. points 36-39)
138. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir un arrêt déclaratoire - Incompétence manifeste
Arrêt du 30 juin 2016, CW / Conseil (T-224/14) (cf. point 219)
139. Politique étrangère et de sécurité commune - Compétence du juge de l'Union - Actes adoptés par une mission de police de l'Union européenne relatifs à l'allocation des ressources humaines affectées à celle-ci par les États membres et les institutions de l'Union - Inclusion
Le Tribunal et, dans le cas d’un pourvoi, la Cour, sont compétents pour contrôler des actes de gestion du personnel relatifs aux opérations « sur le terrain » adoptés par une mission de police de l’Union européenne concernant des agents détachés par les États membres. Cette compétence découle, respectivement, s’agissant du contrôle de la légalité desdits actes, de l’article 263 TFUE, et, s’agissant des litiges en matière de responsabilité non contractuelle, de l’article 268 TFUE, lu en combinaison avec l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, en prenant en considération l’article 19, paragraphe 1, TUE et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, il est vrai que, par l’application de l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE et de l’article 275, premier alinéa, TFUE, la Cour n’est, en principe, pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ainsi que les actes adoptés sur leur base. Toutefois, lesdites dispositions introduisent une dérogation à la règle de compétence générale que l’article 19 TUE confère à la Cour pour assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités et, par conséquent, elles doivent être interprétées restrictivement. À cet égard, ainsi qu’il résulte tant de l’article 2 TUE, figurant dans les dispositions communes du traité UE, que de l’article 21 TUE, concernant l’action extérieure de l’Union, auquel renvoie l’article 23 TUE, relatif à la PESC, l’Union est fondée, notamment, sur les valeurs d’égalité et de l’État de droit. Or, l’existence même d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect des dispositions du droit de l’Union est inhérente à l’existence d’un tel État de droit.
Dans ces conditions, la circonstance qu’un acte de gestion du personnel d’une mission de police se rattache à une action opérationnelle de l’Union arrêtée et menée dans le cadre de la PESC ne saurait nécessairement conduire à exclure la compétence du juge de l’Union. Or, les juridictions de l’Union sont compétentes, conformément à l’article 270 TFUE, pour statuer sur tout recours introduit par des agents de l’Union ayant été détachés auprès d’une mission de police de l’Union européenne. En effet, ces derniers restent soumis, pendant la période de leur détachement auprès de ladite mission, au statut des fonctionnaires et, partant, relèvent de la compétence du juge de l’Union, conformément à l’article 91 de ce statut. Dans ces conditions, lorsque les agents détachés par les États membres et ceux détachés par les institutions de l’Union sont soumis aux mêmes règles en ce qui concerne l’exercice de leurs fonctions sur le théâtre des opérations, il ne saurait être considéré que la portée de la limitation dérogatoire à la compétence de la Cour prévue à l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE et à l’article 275, premier alinéa, TFUE s’étend jusqu’à exclure que le juge de l’Union soit compétent pour contrôler des actes de gestion du personnel relatifs à des agents détachés par les États membres ayant pour objet de répondre aux besoins de ladite mission sur le théâtre des opérations, alors même que le juge de l’Union est, en tout état de cause, compétent pour contrôler de tels actes lorsqu’ils concernent des agents détachés par les institutions de l’Union.
Arrêt du 19 juillet 2016, H / Conseil et Commission (C-455/14 P) (cf. points 39-44, 50, 55, 58)
140. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre du Zimbabwe - Gel des fonds et des ressources économiques - Recours en annulation d'une personne faisant partie du gouvernement du Zimbabwe ou y étant liée, visée par une décision de gel des fonds - Répartition de la charge de la preuve - Décision fondée sur un faisceau d'indices - Admissibilité - Conditions
Arrêt du 28 juillet 2016, Tomana e.a. / Conseil et Commission (C-330/15 P) (cf. points 81, 82)
141. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Demande en annulation d'un acte de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) formée contre la Commission - Irrecevabilité
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 15 septembre 2016, La Ferla / Commission et ECHA (T-392/13) (cf. point 60)
142. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Recours dirigé contre une décision de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) refusant à un demandeur d'enregistrement la réduction de redevance prévue pour les moyennes entreprises - Recevabilité - Recours parallèle pendant devant la chambre de recours de l'ECHA - Absence d'incidence
Le juge de l’Union est compétent pour connaître d'un recours formé contre une décision de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) prise au titre de l’article 13, paragraphe 4, du règlement nº 340/2008, relatif aux redevances et aux droits dus à l’ECHA en application du règlement nº 1907/2006, concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), constatant que la partie requérante ne remplit pas les conditions pour bénéficier de la réduction de redevance prévue pour les moyennes entreprises et lui imposant un droit administratif, et ce nonobstant le fait qu’un recours introduit par la partie requérante contre la décision attaquée est pendant devant la chambre de recours de l’ECHA.
En effet, l’article 94, paragraphe 1, du règlement nº 1907/2006 dispose que le Tribunal ou la Cour de justice peuvent être saisis, conformément à l’article 263 TFUE, d’une contestation d’une décision de la chambre de recours ou, dans les cas où il n’existe pas de droit de recours auprès de la chambre de recours, d’une décision de l’ECHA. À cet égard, l’article 91, paragraphe 1, de ce règlement prévoit que les décisions prises par l’ECHA au titre des articles 9 et 20, de l’article 27, paragraphe 6, de l’article 30, paragraphes 2 et 3, ainsi que de l’article 51 dudit règlement peuvent faire l’objet de recours devant la chambre de recours. Ces dispositions n’ont pas de lien avec la redevance devant être payée par les entreprises déclarantes.
Arrêt du 15 septembre 2016, Marchi Industriale / ECHA (T-620/13) (cf. points 18, 19, 21, 23)
143. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées - Disposition d'un règlement imposant des droits antidumping définitifs - Annulation entraînant une modification de la substance du règlement
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 15 septembre 2016, Unitec Bio / Conseil (T-111/14) (cf. points 74-76)
Arrêt du 15 septembre 2016, PT Ciliandra Perkasa / Conseil (T-120/14) (cf. points 80-82)
Arrêt du 15 septembre 2016, PT Musim Mas / Conseil (T-80/14) (cf. points 100-102)
Arrêt du 15 septembre 2016, Cargill / Conseil (T-117/14) (cf. points 74-76)
Arrêt du 15 septembre 2016, Louis Dreyfus Commodities / Conseil (T-118/14) (cf. points 66-68)
Arrêt du 15 septembre 2016, PT Pelita Agung Agrindustri / Conseil (T-121/14) (cf. points 80-82)
144. Recours en annulation - Recours contre des actes concernant l'adoption de mesures restrictives au regard de la situation en Ukraine - Défaut de représentation par un avocat - Inaction du requérant - Non-lieu à statuer
Il n'y a pas lieu de statuer sur un recours, conformément à l'article 131, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, lorsque le requérant cesse de répondre aux sollicitations du Tribunal. Tel est le cas, au vu de l’inaction du requérant, lorsque celui-ci ne donne plus d’instructions à ses représentants, ceux-ci ayant décidé dès lors de cesser de le représenter, et ne défère pas non plus à la demande formulée par le Tribunal de désigner un nouvel avocat ni ne répond à la question du Tribunal posée dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure.
Ordonnance du 15 septembre 2016, Kurchenko / Conseil (T-339/14) (cf. points 21-23 et disp.)
145. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Recours contre une décision de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) refusant à un demandeur d'enregistrement la réduction de redevance prévue pour les petites entreprises - Recevabilité - Recours parallèle introduit devant la chambre de recours de l'Agence - Absence d'incidence
Le juge de l’Union est compétent pour connaître d’un recours en annulation formé contre une décision de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) prise au titre de l’article 13, paragraphe 4, du règlement nº 340/2008, relatif aux redevances et aux droits dus à l’ECHA en application du règlement nº 1907/2006, concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), constatant qu’un demandeur de l’enregistrement de substances au titre du règlement nº 1907/2006 ne remplit pas les conditions pour bénéficier de la réduction de redevance prévue pour les petites entreprises par l’article 6, paragraphe 4, de ce règlement, et lui imposant un droit administratif.
En effet, l’article 94, paragraphe 1, du règlement nº 1907/2006 dispose que le Tribunal ou la Cour de justice peuvent être saisis, conformément à l’article 263 TFUE, d’une contestation d’une décision de la chambre de recours ou, dans le cas où il n’existe pas de droit de recours auprès de ladite chambre, d’une décision de l’ECHA. À cet égard, l’article 91, paragraphe 1, dudit règlement prévoit la contestation devant la chambre de recours des seules décisions prises par l’ECHA au titre des articles 9 et 20, de l’article 27, paragraphe 6, de l’article 30, paragraphes 2 et 3, ainsi que de l’article 51 du règlement nº 1907/2006. Ces dispositions concernent des décisions qui n'ont pas de lien avec la redevance prévue pour les petites entreprises, prévue à l’article 6, paragraphe 4, dudit règlement. Le fait que la partie requérante a introduit un recours contre la même décision également devant la chambre de recours de l’ECHA est à cet égard sans incidence.
Arrêt du 15 septembre 2016, Crosfield Italia / ECHA (T-587/14) (cf. points 18-23)
146. Recours en annulation - Qualité de partie défenderesse - Eurogroupe - Absence de qualité d'organe ou d'organisme de l'Union
Dès lors que non seulement le qualificatif "informel" est employé dans le libellé du protocole nº 14 sur l’Eurogroupe annexé au traité FUE, mais également que l’Eurogroupe ne figure pas parmi les différentes formations du Conseil, énumérées à l’annexe I du règlement intérieur de celui-ci, adopté par la décision 2009/937, dont la liste est visée à l’article 16, paragraphe 6, TUE, l’Eurogroupe évoqué à l’article 137 TFUE ne peut ni être assimilé à une formation du Conseil ni être qualifié d’organe ou d’organisme de l’Union au sens de l’article 263 TFUE.
147. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Annulation d'une lettre de préinformation et d'une note de débit émises par l'Agence exécutive "Éducation, audiovisuel et culture" (EACEA) - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
148. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Exceptions - Actes adoptés en vertu de pouvoirs délégués imputables à l'institution délégante - Décision de l'Agence exécutive pour l'innovation et les réseaux (INEA) de rejeter une proposition soumise en réponse à un appel à propositions lancé dans le cadre du mécanisme pour l'interconnexion en Europe - Compétence de l'INEA pour adopter ladite décision - Recours dirigé contre la Commission - Irrecevabilité
149. Droits fondamentaux - Droit à une protection juridictionnelle effective - Limites - Respect des conditions de recevabilité d'un recours - Recours en annulation à l'encontre d'un acte de l'Union présupposant l'adoption de mesures nationales déclaré irrecevable par le Tribunal - Violation du droit à une protection juridictionnelle effective - Absence - Possibilité de proposer au juge national de procéder à un renvoi préjudiciel
150. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Annulation de la demande de la Commission ordonnant à un contractant de procéder à des mesures d'audit renforcé et de monitoring dans le cadre de l'exécution du contrat - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
Arrêt du 2 février 2017, IMG / Commission (T-381/15) (cf. points 58-61)
151. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Demande en annulation d'un acte de l'Agence exécutive de la recherche (REA) formée contre la Commission - Irrecevabilité
Ordonnance du 7 février 2017, Uniwersytet Wrocławski / REA (T-137/16) (cf. points 18-24)
152. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir une injonction d'adopter des mesures spécifiques - Irrecevabilité
Se substituer à une agence de l’Union ou adresser des injonctions à celle-ci excède manifestement les compétences du Tribunal dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 263 TFUE. Cette limitation du contrôle de légalité s’applique dans tous les domaines contentieux que le Tribunal est susceptible de connaître, et donc également en matière de détachement d’experts nationaux.
Arrêt du 17 février 2017, Mayer / EFSA (T-493/14) (cf. point 34)
Ordonnance du 15 novembre 2017, Pilla / Commission et EACEA (T-784/16) (cf. point 48)
153. Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Défaut éventuel de voies de recours - Absence d'incidence sur le système des voies de recours et sur les conditions de recevabilité des recours en annulation
L’absence éventuelle de voies de recours ne saurait en aucun cas justifier une modification, par la voie d’une interprétation juridictionnelle, du système des voies de recours et des procédures établies par le traité FUE.
Arrêt du 17 février 2017, Mayer / EFSA (T-493/14) (cf. point 41)
S’agissant de la supposée ineffectivité relative du renvoi préjudiciel au regard du recours direct en annulation pour contester des actes de l’Union, une telle allégation, à la supposer établie, ne saurait autoriser le juge de l’Union à se substituer au pouvoir constituant de l’Union en vue de procéder à une modification du système des voies de recours et des procédures établi par les traités et destiné à confier à la Cour et au Tribunal le contrôle de la légalité des actes des institutions. En aucun cas elle ne permet de rendre attaquables des actes qui ne le sont pas, faute de produire des effets juridiques obligatoires au sens de l’article 263, premier alinéa, TFUE.
Ordonnance du 21 juin 2017, Inox Mare / Commission (T-289/16) (cf. point 41)
Ordonnance du 21 juin 2017, Inox Mare / Commission (T-347/16) (cf. point 56)
154. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Demande d'annulation d'une décision écartant des candidats proposés dans le cadre d'un contrat-cadre - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
Arrêt du 17 février 2017, European Dynamics Luxembourg e.a. / EMA (T-441/15) (cf. points 18-27)
155. Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Conditions de recevabilité - Règlement instituant des droits antidumping - Recours d'une entreprise ayant vu ses engagements acceptés dans le règlement faisant l'objet du recours - Recevabilité
Arrêt du 28 février 2017, JingAo Solar e.a. / Conseil (T-157/14) (cf. points 42-45, 47)
Arrêt du 28 février 2017, Yingli Energy (China) e.a. / Conseil (T-160/14) (cf. points 42-45, 47)
Arrêt du 28 février 2017, Canadian Solar Emea e.a. / Conseil (T-162/14) (cf. points 41-44, 46)
156. Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Conditions de recevabilité - Règlement instituant un droit compensateur définitif - Recours d'une entreprise ayant vu ses engagements acceptés - Recevabilité
157. Agriculture - Législations uniformes - Système des spécialités traditionnelles garanties (STG) - Règlement nº 1151/2012 - Demande d'inscription au registre des STG de la dénomination d'un produit ou d'une denrée alimentaire - Refus par la Commission d'engager une procédure d'opposition - Recours en annulation introduit contre ce refus - Absence d'effet suspensif sur la procédure d'enregistrement
Ordonnance du 20 mars 2017, Kohrener Landmolkerei et DHG / Commission (T-199/16) (cf. point 43)
158. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Exceptions - Actes adoptés en vertu de pouvoirs délégués imputables à l'institution délégante - Décision de l'Agence exécutive du Conseil européen de la recherche (ERCEA) de rejet d'une proposition soumise en réponse à un appel à propositions - Compétence de l'ERCEA pour adopter ladite décision - Recours dirigé contre la Commission - Irrecevabilité
Ordonnance du 27 mars 2017, Frank / Commission (T-603/15) (cf. points 67-72)
159. Droits fondamentaux - Droit à une protection juridictionnelle effective - Contrôle de la légalité des actes de l'Union - Modalités - Protection de ce droit par le juge de l'Union ou par les juridictions nationales selon la nature juridique de l'acte attaqué - Possibilité d'utiliser la voie du recours en annulation ou du renvoi préjudiciel en appréciation de validité - Contrôle de la légalité des décisions prévoyant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de personnes physiques ou morales dans le cadre de la PESC
Ainsi, le renvoi préjudiciel en appréciation de validité constitue, au même titre que le recours en annulation, une modalité du contrôle de la légalité des actes de l’Union (voir arrêts du 22 octobre 1987, Foto-Frost, 314/85, EU:C:1987:452, point 16; du 21 février 1991, Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest, C-143/88 et C-92/89, EU:C:1991:65, point 18; du 6 décembre 2005, ABNA e.a., C-453/03, C-11/04, C-12/04 et C-194/04, EU:C:2005:741, point 103, ainsi que du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C-583/11 P, EU:C:2013:625, point 95).
Cette caractéristique essentielle du système de protection juridictionnelle de l’Union s’étend au contrôle de la légalité des décisions prévoyant l’adoption des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales dans le cadre de la PESC. En effet, il ne résulte ni du traité UE ni du traité FUE que le recours en annulation formé devant le Tribunal, en application des dispositions combinées des articles 256 et 263 TFUE, constitue la seule modalité pour le contrôle de légalité de décisions prévoyant des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales, à l’exclusion, notamment, du renvoi préjudiciel en appréciation de validité. À cet égard, l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE renvoie à l’article 275, second alinéa, TFUE afin de déterminer non pas le type de procédure dans le cadre de laquelle la Cour peut contrôler la légalité de certaines décisions, mais le type de décisions dont la légalité peut être contrôlée par la Cour, dans le cadre de toute procédure ayant pour objet un tel contrôle de légalité. Or, étant donné que la mise en œuvre d’une décision prévoyant des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales relève pour partie de la responsabilité des États membres, le renvoi préjudiciel en appréciation de validité remplit une fonction essentielle pour assurer la protection juridictionnelle effective, notamment, lorsque, comme dans l’affaire au principal, tant la légalité des mesures nationales de mise en œuvre que celle de la décision sous-jacente adoptée en matière de PESC elle-même sont remises en cause dans le cadre d’une procédure juridictionnelle nationale. En effet, eu égard au fait que les États membres doivent veiller à la conformité de leurs politiques nationales avec les positions de l’Union arrêtées par des décisions du Conseil, adoptées en vertu de l’article 29 TUE, l’accès au contrôle juridictionnel desdites décisions s’avère indispensable lorsque celles-ci prévoient
l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales.
Arrêt du 28 mars 2017, Rosneft (C-72/15) (cf. points 68-71)
160. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Appréciation de la répartition des compétences entre les autorités nationales d'un État membre - Exclusion
Il n’appartient pas aux institutions de l’Union, en particulier aux juridictions de l’Union, de se prononcer sur la répartition des compétences opérée par les règles institutionnelles de droit interne entre les différentes entités nationales et sur les obligations qui leur incombent respectivement. Dès lors, un argument tiré de l’incompétence alléguée d’une entité infra-étatique pour octroyer une aide d’État ne saurait être retenu.
Arrêt du 6 avril 2017, Regione autonoma della Sardegna / Commission (T-219/14) (cf. points 52, 65)
161. Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Personne morale - Notion autonome du droit de l'Union - Exigence d'une personnalité juridique et de la capacité d'ester en justice - Examen par rapport au droit national applicable
Si la notion de personne morale, qui figure à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, ne coïncide pas nécessairement avec celles propres aux différents ordres juridiques des États membres, elle implique, en principe, l’existence d’une personnalité juridique constituée en vertu du droit d’un État membre ou d’un pays tiers et d’une capacité à ester en justice reconnue par ce droit. Ainsi, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque les exigences d’assurer une protection juridictionnelle effective l’imposent, que la recevabilité d’un recours d’une entité qui ne dispose pas, en vertu d’un droit national particulier, de la capacité à ester en justice peut être admise. L’existence d’une personnalité juridique et la capacité à ester en justice doivent être examinées au regard du droit national pertinent.
Arrêt du 6 avril 2017, Saremar / Commission (T-220/14) (cf. point 45)
162. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Recours contre une décision d'une institution refusant l'octroi d'une prestation prévue par le droit de l'Union selon des conditions issues du droit national d'un État membre - Vérification par le juge de l'Union de la réunion desdites conditions, le cas échéant, en tenant compte de la jurisprudence nationale pertinente - Admissibilité
Arrêt du 12 mai 2017, Costa / Parlement (T-15/15 et T-197/15) (cf. points 48, 60)
163. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision confirmative d'une décision antérieure non attaquée dans les délais - Irrecevabilité
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 17 mai 2017, Portugal / Commission (C-337/16 P) (cf. point 51)
Arrêt du 17 mai 2017, Portugal / Commission (C-338/16 P) (cf. point 51)
Arrêt du 17 mai 2017, Portugal / Commission (C-339/16 P) (cf. point 51)
164. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées - Disposition d'un règlement du Conseil exonérant de droits compensateurs certaines importations faisant l'objet d'un engagement accepté par la Commission - Annulation entraînant une modification de la substance du règlement - Condition non remplie
Le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, dans le cadre de son examen de la recevabilité d'un recours en annulation dirigé contre l’article 2 du règlement d’exécution nº 1239/2013, instituant un droit compensateur définitif sur les importations de modules photovoltaïques en silicium cristallin et leurs composants essentiels (cellules) originaires ou en provenance de la République populaire de Chine, que ledit article n'était pas détachable du reste des dispositions de ce règlement.
En effet, l’annulation partielle d’un acte de l’Union n’étant possible que dans la mesure où les éléments dont l’annulation est demandée sont détachables du reste de l’acte, il n’est pas satisfait à cette exigence lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la substance de celui-ci.
À cet égard, il résulte des dispositions contenues aux articles 1er et 2 du règlement d’exécution nº 1239/2013 que ce dernier article établit, au moyen de l’engagement relatif à un prix minimal à l’importation, une exemption du paiement des droits compensateurs institués en vertu de cet article 1er, dans les limites d’un certain volume annuel d’importations. Le législateur de l’Union, lors de l’adoption de ce règlement, a mis en place des mesures de défense commerciale constituant un ensemble ou un « paquet ». Ledit règlement impose, ainsi, deux mesures distinctes et complémentaires, qui visent à atteindre un résultat commun, à savoir l’élimination de l’effet préjudiciable sur l’industrie de l’Union de la subvention chinoise relative aux produits concernés tout en préservant l’intérêt de cette industrie.
Le règlement d'exécution nº 1239/2013 étant fondé sur la possibilité d’appliquer alternativement ces deux mesures de nature distincte, les producteurs-exportateurs chinois peuvent se prévaloir de l’engagement relatif à un prix minimal à l’importation accepté par la Commission, au sens de l’article 2 dudit règlement, et ainsi éviter qu’un droit compensateur ad valorem, tel que prévu à l’article 1er du même règlement, ne soit imposé sur leurs produits. Or, l’annulation de cet article 2 éliminerait une telle possibilité et ferait disparaître l’alternative que le législateur de l’Union a voulu offrir aux producteurs-exportateurs chinois lors de l’adoption du règlement litigieux. Compte tenu des différences quant aux conséquences économiques liées à ces deux types de mesures de défense commerciale, une telle annulation affecterait ainsi la substance même du règlement litigieux.
L’application de l’engagement relatif à un prix minimal à l’importation concernait la grande majorité des cas dès l’adoption du règlement d'exécution nº 1239/2013. Cet engagement apparaît donc comme ayant vocation à s’appliquer de manière principale dans le cadre des importations en provenance de Chine concernées par ledit règlement d'exécution. Dans de telles circonstances, l’annulation dudit engagement affecterait nécessairement la substance de ce règlement.
165. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Interprétation du droit de l'Union - Orientations d'une autorité administrative - Caractère contraignant - Absence
L’interprétation de la législation pertinente par une autorité administrative ne saurait lier le juge de l’Union, lequel demeure seul compétent aux fins d’interpréter le droit de l’Union, en application de l’article 19 TUE.
Arrêt du 13 décembre 2017, Crédit mutuel Arkéa / BCE (T-712/15) (cf. point 75)
Arrêt du 13 décembre 2017, Crédit mutuel Arkéa / BCE (T-52/16) (cf. point 74)
Arrêt du 8 juillet 2020, CA Consumer Finance / BCE (T-578/18) (cf. point 59)
166. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir une interprétation conciliatrice d'un acte de l'Union - Irrecevabilité
167. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Examen de la légalité d'une décision de la Cour européenne des droits de l'homme - Exclusion - Examen de la légalité d'une décision d'une juridiction nationale - Exclusion
168. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à faire constater le statut de petite et moyenne entreprise d'un requérant souhaitant bénéficier d'une réduction de redevance auprès de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) - Irrecevabilité
Lorsqu’il est saisi d’une demande contestant la redevance et le droit administratif réclamés à une entreprise par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) à la suite d’une erreur sur la taille déclarée, le juge de l’Union ne peut se prononcer sur la qualification de cette entreprise en tant que petite et moyenne entreprise, car une telle déclaration impliquerait qu’il se substitue à l’ECHA en contravention avec les articles 263 TFUE, 264 TFUE et 266 TFUE.
Arrêt du 7 mars 2018, Fertisac / ECHA (T-855/16) (cf. point 31)
169. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Corée du Nord - Gel des fonds et des ressources économiques - Recours en annulation d'une entité susceptible de contribuer aux activités de prolifération nucléaire - Répartition de la charge de la preuve - Décision fondée sur un faisceau d'indices - Admissibilité - Conditions
Le Conseil n'est pas tenu de présenter les preuves établissant que les ressources d'une entité concernée auraient été utilisées directement aux fins des programmes de la République populaire démocratique de Corée se rapportant à la prolifération nucléaire, mais il lui incombe d'étayer sa décision de manière la plus plausible possible par un faisceau de preuves selon lesquelles ces ressources peuvent contribuer à cette fin.
Arrêt du 14 mars 2018, Kim e.a. / Conseil et Commission (T-533/15 et T-264/16) (cf. point 152)
170. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision purement confirmative d'une décision précédente - Irrecevabilité - Notion de décision confirmative - Décision de l'Agence européenne des médicaments refusant de valider une demande de désignation d'un médicament en tant que médicament orphelin - Existence d'une décision de refus d'une demande antérieure de désignation du même médicament fondée sur des motifs différents - Absence de caractère confirmatif de l'acte attaqué
171. Recours en annulation - Qualité pour agir - Personnes morales - Notion - Possession de la personnalité juridique selon le droit national
Ordonnance du 17 avril 2018, NeoCell / EUIPO (BIOACTIVE NEOCELL COLLAGEN) (T-666/17) (cf. point 15)
172. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir une injonction adressée à une institution - Exclusion
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 8 mai 2018, Esso Raffinage / ECHA (T-283/15) (cf. point 39)
Ordonnance du 6 novembre 2018, Chioreanu / ERCEA (T-717/17) (cf. point 43)
Arrêt du 21 décembre 2021, Bustos / EUIPO - Bicicletas Monty (motwi) (T-159/21) (cf. point 16)
Arrêt du 28 février 2024, Drinks Prod / EUIPO - Wolff et Illg (IGISAN) (T-164/23) (cf. point 14)
Arrêt du 8 mai 2024, Daimler Truck / EUIPO (CERTIFIED) (T-436/23) (cf. point 10)
Ordonnance du 3 juillet 2024, UC Rusal / Conseil (T-292/23) (cf. point 20)
Ordonnance du 3 juillet 2024, EuroChem Group / Conseil (T-293/23) (cf. point 25)
Ordonnance du 3 juillet 2024, Suek / Conseil (T-294/23) (cf. point 25)
173. Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Qualité pour agir - Recours d'une entité dénommée "initiative citoyenne européenne" et dépourvue de personnalité juridique - Irrecevabilité
Il ressort du libellé même de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE que seules les personnes physiques et les entités dotées de la personnalité juridique peuvent former un recours en annulation en vertu de cette disposition. Cependant, dans certains cas particuliers, une entité qui ne dispose pas de la personnalité juridique selon le droit d’un État membre ou d’un État tiers peut néanmoins être considérée comme une personne morale, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, et être admise à former un recours en annulation sur le fondement de cette disposition. Tel est notamment le cas lorsque, dans leurs actes ou agissements, l’Union et ses institutions traitent l’entité en question comme étant un sujet distinct, qui peut posséder des droits qui lui sont propres ou être soumis à des obligations ou à des restrictions.
Doit, dès lors, être déclaré irrecevable un recours introduit par une entité dénommée "initiative citoyenne européenne", qui ne dispose pas de la personnalité juridique en vertu du droit d’un État membre ou d’un État tiers et qui n’a pas été traitée comme étant un sujet distinct. À cet égard, il ne ressort pas du règlement nº 211/2011, relatif à l’initiative citoyenne, que celui-ci confère la personnalité juridique à une initiative citoyenne européenne en la traitant comme un sujet distinct. Une telle entité ne dispose pas de la capacité d’ester en justice devant le juge de l’Union.
Arrêt du 23 avril 2018, One of Us e.a. / Commission (T-561/14) (cf. points 58-63)
174. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées - Décision de la Commission d'ouvrir une procédure formelle d'examen d'une mesure étatique assortie d'une injonction de suspension de l'exécution de la mesure - Caractère détachable de l'injonction
Lorsque la Commission décide par un seul acte d’ouvrir une procédure formelle d’examen et d’adopter une injonction de suspension, cette injonction est détachable du reste de l’acte et peut donc, à elle seule, faire l’objet d’un recours en annulation. En effet, même lorsqu’elles interviennent en même temps, la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen d’aide d’État prévue à l’article 13 du règlement nº 659/1999, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE, et l’injonction de suspension d’une mesure susceptible de constituer une aide d’État prévue à l’article 11, paragraphe 1, dudit règlement constituent des actes distincts et régis par des dispositions différentes du règlement nº 659/1999. En outre, le législateur de l’Union a entendu donner à l’injonction de suspension la forme de décision au sens de l’article 288 TFUE, un tel acte devant être considéré comme un acte qui produit des effets de droit obligatoires et qui, par conséquent, est susceptible de recours.
Arrêt du 25 avril 2018, Hongrie / Commission (T-554/15 et T-555/15) (cf. points 37-39)
175. Recours en annulation - Objet - Demande d'annulation d'une décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen d'une mesure étatique assortie d'une injonction de suspension de l'exécution de la mesure - Intervention d'une décision clôturant la procédure formelle d'examen - Maintien de l'objet du recours à l'encontre de l'injonction
Lorsque des recours sont introduits, d’une part, contre une décision d’ouvrir une procédure formelle d’examen à l’égard d’une mesure nationale et, d’autre part, contre une décision finale, clôturant ladite procédure et déclarant que la mesure nationale examinée constitue une aide d’État incompatible avec le marché intérieur, le rejet du recours contre cette dernière décision entraîne la disparition de l’objet du recours introduit contre la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen. À cet égard, dès lors que l’appréciation de la Commission contenue dans une décision finale est validée par le juge de l’Union, y compris au regard de la qualification de la mesure nationale examinée d’aide d’État nouvelle, cette mesure doit être supprimée et les aides récupérées ab initio. Par conséquent, dans un tel cas, il n’y a plus lieu de statuer sur la question de savoir si la même mesure, qui devait être suspendue à la suite de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, avait ou non à l’être à juste titre.
Toutefois, il en va différemment s’agissant d’un recours introduit contre une décision d’ouvrir une procédure formelle d’examen et une injonction de suspension au titre de l’article 11, paragraphe 1, du règlement nº 659/1999, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE. En effet, il ne saurait être exclu qu’une telle injonction puisse être entachée d’illégalités autres que celles liées à la qualification erronée de la mesure examinée par la Commission d’aide d’État illégale. Si l’adoption d’une décision clôturant la procédure formelle d’examen devait entraîner la perte de l’objet du recours introduit contre l’injonction de suspension, le contrôle juridictionnel de telles illégalités serait entravé. Or, dans une communauté de droit, telle que l’Union, ni les États membres ni les institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité FUE.
Arrêt du 25 avril 2018, Hongrie / Commission (T-554/15 et T-555/15) (cf. points 47, 50)
176. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Disparition d'une personne morale destinataire d'une décision d'une institution de l'Union - Action en annulation pouvant être poursuivie par l'ayant cause à titre universel
Arrêt du 31 mai 2018, Groningen Seaports e.a. / Commission (T-160/16) (cf. point 59)
177. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Gel des fonds et des ressources économiques - Recours en annulation d'une personne bénéficiant des politiques menées par le régime syrien visée par une décision de gel des fonds - Preuve du bien-fondé de l'inscription sur les listes - Décision fondée sur un faisceau d'indices - Admissibilité - Conditions
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 31 mai 2018, Kaddour / Conseil (T-461/16) (cf. points 91, 118, 121, 122)
178. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Gel des fonds des personnes impliquées dans des détournements de fonds publics - Appréciation de la légalité en fonction des éléments d'information disponibles au moment de l'adoption de la décision
Arrêt du 6 juin 2018, Lukash / Conseil (T-210/16) (cf. point 192)
179. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Demande en annulation d'un acte du Conseil de résolution unique formée contre le Parlement et le Conseil - Irrecevabilité
Ordonnance du 14 juin 2018, Cambra Abaurrea / CRU (T-553/17) (cf. points 12-16)
180. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision purement confirmative d'une décision précédente - Irrecevabilité - Notion de décision confirmative - Décision fondée sur des éléments nouveaux par rapport à la décision précédente - Exclusion
Ordonnance du 26 juin 2018, Strabag Belgium / Parlement (T-784/17 RII) (cf. points 23-25)
181. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Limites - Compétence pour contrôler la légalité des actes n'émanant pas des institutions, organes ou organismes de l'Union - Exclusion - Recours dirigé contre un territoire d'outre-mer en qualité de pouvoir adjudicateur d'un marché public régi par le droit de l'Union - Irrecevabilité
Ordonnance du 27 août 2018, Boyer / Wallis-et-Futuna (T-475/18 R) (cf. points 19-21, 26, 27)
182. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir une injonction adressée à une institution - Irrecevabilité - Saisine de la Cour en vertu du règlement nº 1367/2006 - Absence d'incidence
Dans le cadre d’un recours en annulation, la compétence du juge de l’Union est limitée au contrôle de la légalité de l’acte attaqué et le Tribunal ne peut, dans l’exercice de ses compétences, adresser une injonction aux institutions de l’Union. Ceci vaut également en cas de recours dirigé contre une décision de refus de réexamen interne d'un acte administratif au titre du droit de l'environnement. En effet, en donnant au demandeur le droit de saisir la Cour de justice de l’Union européenne, l’article 12 du règlement nº 1367/2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, ne vise que la décision que la Commission a adoptée en réponse à la demande de réexamen interne. Bien qu’il soit inhérent à une demande de réexamen interne d’un acte administratif que le demandeur conteste la légalité ou le bien-fondé de l’acte visé, cela ne signifie pas que la partie requérante est habilitée à soulever, dans le cadre de son recours en annulation dirigé contre le refus de réexamen, des arguments contestant directement la légalité ou le bien-fondé de l’acte visé.
Arrêt du 27 septembre 2018, Mellifera / Commission (T-12/17) (cf. points 33, 35)
183. Recours en annulation - Acte attaqué - Appréciation de la légalité en fonction des éléments d'information disponibles au moment de l'adoption de l'acte - Recours mettant en cause une décision adoptée sur le fondement d'une disposition postérieurement annulée par le juge de l'Union - Rejet - Violation du droit à un recours juridictionnel effectif - Absence
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 25 octobre 2018, KF / CSUE (T-286/15) (cf. points 164-166)
184. Politique étrangère et de sécurité commune - Compétence du juge de l'Union - Actes adoptés par le Centre satellitaire de l'Union européenne ayant pour effet de mettre un terme au contrat de l'un de ses agents - Inclusion
Le juge de l’Union est compétent pour statuer sur un litige entre le Centre satellitaire de l’Union européenne (CSUE) et un ancien agent contractuel dans le cadre duquel ce dernier demande l’annulation de plusieurs décisions prises à son encontre, dont notamment des décisions de suspension, d’ouverture d’une procédure disciplinaire et de révocation, ainsi qu’une indemnisation. Cette compétence découle, respectivement, s’agissant du contrôle de la légalité des décisions attaquées, de l’article 263 TFUE et, s’agissant des conclusions tendant à la mise en œuvre de la responsabilité non contractuelle de l’Union, de l’article 268 TFUE, lu en combinaison avec l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, en prenant en considération l’article 19, paragraphe 1, TUE et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
En effet, la circonstance que les décisions attaquées s’inscrivent dans le cadre du fonctionnement d’un organisme agissant dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ne saurait, à elle seule, impliquer que les juridictions de l’Union soient incompétentes pour statuer sur le litige. À cet égard, l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE et l’article 275, premier alinéa, TFUE introduisent une dérogation à la règle de compétence générale que l’article 19 TUE confère à la Cour de justice de l’Union européenne pour assurer le respect du droit dans l’interprétation des traités et doivent, de ce fait, être interprétés restrictivement. De même, si l’article 47 de la charte ne peut créer une compétence pour la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque les traités l’excluent, le principe de protection juridictionnelle effective implique toutefois que l’exclusion de la compétence des juridictions de l’Union en matière de PESC soit interprétée de manière restrictive. En outre, les décisions de suspension, d’ouverture d’une procédure disciplinaire et de révocation constituent des actes de pure gestion du personnel qui, au regard de leurs motifs et de leurs objectifs, ainsi que du contexte de leur adoption, n’avaient pas pour objet de contribuer à la conduite, à la définition ou à la mise en œuvre du PESC au sens de l’article 24, paragraphe 2, TUE, ni, plus particulièrement, de répondre aux missions du CSUE relevant de la PESC. Dans ce contexte, la décision 2009/747, concernant le règlement du personnel du CSUE, prévoit, en son chapitre VII et en son annexe IX, un régime disciplinaire semblable à celui prévu au titre VI et à l’annexe IX du statut des fonctionnaires.
Il y a donc lieu de considérer que le litige s’apparente aux litiges entre une institution, un organe ou un organisme de l’Union ne relevant pas de la PESC et l’un de ses fonctionnaires ou agents, lesquels peuvent être portés devant les juridictions de l’Union en vertu de l’article 270 TFUE. Or, il ne saurait être considéré que la dérogation à la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de PESC s’étend jusqu’à exclure la compétence du juge de l’Union pour contrôler la légalité des décisions attaquées qui relèvent d’un organisme de l’Union, alors même que le juge de l’Union est compétent pour contrôler la légalité d’actes identiques quant à leur contenu, aux objectifs qu’ils poursuivent, à la procédure conduisant à leur adoption et au contexte entourant cette adoption, lorsque de tels actes concernent une institution, un organe ou un organisme de l’Union dont la mission est étrangère à la PESC. Toute autre interprétation reviendrait à exclure l’agent d’un organisme de l’Union relevant de la PESC du système de protection juridictionnelle offert aux agents de l’Union, en méconnaissance du principe d’égalité de traitement.
Arrêt du 25 octobre 2018, KF / CSUE (T-286/15) (cf. points 83-85, 91, 93, 95-97, 99)
Dans l’arrêt CSUE/KF (C-14/19 P), prononcé le 25 juin 2020, la Cour a confirmé, sur pourvoi, l’arrêt du Tribunal{1} qui avait, d’une part, annulé deux décisions du directeur du Centre satellitaire de l’Union européenne (CSUE){2}, portant respectivement suspension et révocation de KF, agent contractuel, et la décision de la commission de recours du CSUE rendue dans le même contentieux (ci-après, ensemble, les « décisions litigieuses ») ainsi que, d’autre part, condamné le CSUE à verser à KF la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral subi.
KF avait été recrutée par le CSUE à compter du 1er août 2009 en qualité de cheffe de la division administrative. Lorsque des dysfonctionnements dans les rapports humains au sein de cette division ont été relevés, et à la suite d’une plainte concernant le comportement et la conduite de KF, une enquête administrative a été ouverte à son encontre. À l’issue de cette enquête, le directeur adjoint du CSUE a conclu que les faits reprochés à KF étaient confirmés et constitutifs de harcèlement moral. En conséquence, le directeur du CSUE a décidé d’ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre de KF et de suspendre celle-ci de ses fonctions. Au terme de cette procédure, le directeur du CSUE a révoqué KF pour motif disciplinaire ; la réclamation administrative présentée par KF contre cette décision auprès du directeur du Centre a été rejetée, ainsi que le recours formé devant la commission de recours du CSUE, instance dont les décisions, exécutoires pour les deux parties, sont sans appel{3}.
KF a introduit un recours devant le Tribunal tendant à l’annulation, notamment, des décisions litigieuses et à la condamnation du CSUE à lui verser les salaires non perçus et la somme de 500 000 euros au titre du préjudice moral subi. Au soutien de son recours, elle a, notamment, invoqué des moyens tirés des violations du principe de bonne administration, du principe d’impartialité et du principe du respect des droits de la défense. En outre, elle a soulevé, sur le fondement de l’article 277 TFUE, une exception d’illégalité de l’article 28, paragraphe 6, du règlement du personnel du CSUE, au motif que cette disposition ferait de la commission de recours la seule instance de contrôle de légalité des décisions du directeur du CSUE, soustrayant ainsi ces décisions à tout contrôle juridictionnel. Le Tribunal ayant accueilli l’exception d’illégalité et ayant fait partiellement droit au recours, le CSUE a introduit un pourvoi contre l’arrêt attaqué. À l’appui, il a soulevé quatre moyens, tirés respectivement de l’incompétence du Tribunal pour connaître du recours de première instance, de l’irrecevabilité de ce recours, d’une dénaturation des faits et d’une méconnaissance du principe de bonne administration et du principe du respect des droits de la défense.
Examinant, en premier lieu, les moyens tirés de l’incompétence du Tribunal pour connaître du recours en première instance et de l’irrecevabilité de ce dernier, la Cour a jugé, premièrement, que l’article 263, cinquième alinéa, TFUE, n’autorise pas à une institution de l’Union à introduire des conditions et modalités particulières qui soustraient des litiges impliquant l’interprétation ou l’application du droit de l’Union à la compétence tant des juridictions des États membres que du juge de l’Union. Or, tel est l’effet de la disposition attribuant à la commission de recours des compétences exclusives pour appliquer et interpréter, sans possibilité d’appel, le règlement du personnel du CSUE, qui est contenu dans une décision adoptée par le Conseil et comporte de ce fait des dispositions du droit de l’Union. Partant, l’attribution exclusive de ces compétences à ladite commission est contraire à la jurisprudence de la Cour{4} selon laquelle l’article 19 TUE confie aux juridictions nationales et à la Cour la charge de garantir la pleine application du droit de l’Union.
Deuxièmement, la Cour a jugé que les décisions litigieuses remplissaient les conditions requises pour être regardées comme étant des actes attaquables, au sens de l’article 263 TFUE. En effet, elles fixent définitivement la position du CSUE et visent à produire des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts de KF, qui est sa destinataire et à qui elles font grief, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique. Par ailleurs, la Cour a relevé que le lien d’emploi existant entre KF et le CSUE, auquel l’article 270 TFUE n’est pas applicable, ne permet pas de considérer que le litige n’oppose pas le CSUE à un tiers au sens de l’article 263, premier alinéa, TFUE. Ce lien d’emploi n’exclut donc pas ce litige du champ d’application de cette disposition.
Troisièmement, la Cour a rappelé que la préservation de la cohérence du système juridictionnel exige, en principe, que le juge de l’Union renonce à l’exercice des compétences que lui confère l’article 263 TFUE, lorsque la situation juridique du requérant s’inscrit dans le cadre de relations contractuelles qui relèvent des compétences prévues aux articles 272 ou 274 TFUE. Cependant, dans un contexte où est exclu tout contrôle juridictionnel, au titre des articles 272 ou 274 TFUE, par les juridictions nationales et par le juge de l’Union des décisions adoptées par le CSUE, cette renonciation du juge de l’Union n’est pas justifiée par l’objectif de la préservation de la cohérence du système juridictionnel. Dans de telles conditions, afin d’assurer l’existence d’un contrôle juridictionnel effectif, il incombe au juge de l’Union d’exercer les compétences qui lui sont conférées par l’article 263 TFUE.
Quatrièmement, la Cour a souligné que, si le rattachement initial du CSUE à l’Union de l’Europe occidentale, qui est une organisation internationale intergouvernementale, avait impliqué, par le passé, que la situation du personnel du CSUE n’eût pu être assimilée à celle des agents de la Communauté européenne, tel n’est plus le cas depuis l’entrée en vigueur, le 1er décembre 2009, du traité de Lisbonne, les litiges entre le CSUE et son personnel faisant apparaître depuis cette date une situation comparable à celle des litiges opposant les agents de l’Union à leur employeur. De même, la dérogation à la compétence du juge de l’Union concernant les dispositions des traités relatives à la politique étrangère et de sécurité commune{5} n’exclut pas la compétence du juge de l’Union pour contrôler la légalité d’actes de gestion du personnel tels que les décisions litigieuses.
Examinant, en second lieu, le moyen fondé sur la méconnaissance du principe de bonne administration et du principe du respect des droits de la défense, la Cour a affirmé qu’il ressort tant du principe de bonne administration, qui comporte le droit à être entendu, que du règlement du personnel du CSUE{6} que le directeur adjoint du CSUE, avant de tirer des conclusions à l’issue de l’enquête interne et, en tout état de cause, le directeur du CSUE, avant d’ouvrir la procédure disciplinaire à l’encontre de KF, étaient tenus de respecter le droit de celle-ci d’être entendue. Ceux-ci devaient, à cette fin, communiquer à l’intéressée les faits la concernant et lui accorder un délai raisonnable pour préparer ses observations. Cette communication doit se faire, à tout le moins, au moyen d’un résumé des déclarations utilisées, établi dans le respect des éventuels intérêts légitimes de confidentialité des témoins consultés.
{1} Arrêt du Tribunal du 25 octobre 2018, KF/CSUE (T-286/15, EU:T:2018:718)
{2} Le 27 juin 1991, le Conseil des ministres de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) a adopté une décision portant création d’un centre d’exploitation de données satellites. Le 10 novembre 2000, le Conseil de l’Union européenne a décidé de créer, sous la forme d’une agence de l’Union européenne, un centre satellitaire incorporant les éléments pertinents de celui établi au sein de l’UEO. Ce centre a été institué par l’action commune 2001/555/PESC du Conseil, du 20 juillet 2001, relative à la création d’un centre satellitaire de l’Union européenne (JO 2001, L 200, p. 5). Par la suite, le Conseil a adopté la décision 2014/401/PESC, du 26 juin 2014, relative au CSUE et abrogeant l’action commune 2001/555, relative à la création d’un centre satellitaire de l’Union européenne (JO 2014, L 188, p. 73), qui constitue désormais le cadre juridique applicable au CSUE
{3} En vertu de l’article 28, paragraphe 6, de la décision 2009/747/PESC du Conseil, du 14 septembre 2009, concernant le règlement du personnel du Centre satellitaire de l’Union européenne (JO 2009, L 276, p. 1) (ci après le « règlement du personnel du CSUE »). La composition, le fonctionnement et la procédure propres à cette instance sont décrits dans l’annexe X de la décision 2009/747
{4} Avis 1/17, du 30 avril 2019, EU:C:2019:341, point 111, et arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C-585/18, C-624/18 et C-625/18, EU:C:2019:982, point 167
{5} Article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE et article 275, premier alinéa, TFUE
{6} Article 1er, paragraphe 1, et 2 de l’annexe IX du règlement du personnel du CSUE
Arrêt du 25 juin 2020, CSUE / KF (C-14/19 P) (cf. points 92-95)
185. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées - Condition non remplie
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 8 novembre 2018, Dyson / Commission (T-544/13 RENV) (cf. points 78-82)
Arrêt du 12 décembre 2018, Freistaat Bayern / Commission (T-683/15) (cf. points 77-90)
186. Recours en annulation - Qualité de partie défenderesse - Office européen de lutte antifraude (OLAF) - Absence de personnalité juridique - Décisions de l'OLAF - Imputabilité à la Commission
187. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées - Critère objectif - Condition non remplie - Irrecevabilité
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 15 novembre 2018, World Duty Free Group / Commission (T-219/10 RENV) (cf. point 221)
Arrêt du 15 novembre 2018, Banco Santander et Santusa / Commission (T-399/11 RENV) (cf. point 223)
La directive 96/71, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services{1}, a partiellement été modifiée par la directive 2018/957{2}. En adoptant cette dernière, le législateur de l’Union a cherché à assurer la libre prestation des services sur une base équitable en garantissant une concurrence qui ne soit pas fondée sur l’application, dans un même État membre, de conditions de travail et d’emploi d’un niveau substantiellement différent selon que l’employeur est ou non établi dans cet État membre, tout en offrant une plus grande protection aux travailleurs détachés. À cette fin, la directive 2018/957 vise à rendre les conditions de travail et d’emploi des travailleurs détachés les plus proches possibles de celles des travailleurs employés par des entreprises établies dans l’État membre d’accueil.
Dans cette logique, la directive 2018/957 a, entre autres, apporté des modifications à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71, portant sur les conditions de travail et d’emploi des travailleurs détachés. Ces modifications, guidées par le principe de l’égalité de traitement, impliquent notamment que s’applique à ces travailleurs non plus le « taux de salaire minimal » fixé par la législation de l’État membre d’accueil, mais la « rémunération » prévue par cette législation, qui est une notion plus large que celle de salaire minimal. En outre, dans le cas où la durée effective d’un détachement est supérieure à douze mois ou, exceptionnellement, à dix-huit mois, la directive 2018/957 a imposé, au moyen de l’insertion d’un article 3, paragraphe 1 bis, dans la directive 96/71, l’application de la quasi-totalité des conditions de travail et d’emploi de l’État membre d’accueil.
La Hongrie (affaire C-620/18) et la République de Pologne (affaire C-626/18) ont chacune introduit un recours tendant à l’annulation de la directive 2018/957. Ces États membres soulevaient notamment des moyens tirés du choix d’une base juridique erronée pour adopter cette directive, d’une violation de l’article 56 TFUE, garantissant la libre prestation des services, ainsi que d’une méconnaissance du règlement « Rome I »{3}. Par ses arrêts, la Cour rejette les deux recours dans leur intégralité.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour relève que le législateur de l’Union pouvait se fonder, lors de l’adoption de la directive 2018/957, sur la même base juridique que celle utilisée pour adopter la directive 96/71, à savoir l’article 53, paragraphe 1, et l’article 62 TFUE{4}, qui permettent notamment d’adopter des directives visant à faciliter l’exercice de la liberté de prestation des services.
En effet, s’agissant d’une réglementation qui, comme la directive 2018/957, modifie une réglementation existante, il importe de prendre en compte, pour déterminer la base juridique appropriée, la réglementation existante qu’elle modifie et, notamment, son objectif et son contenu. Par ailleurs, lorsqu’un acte législatif a déjà coordonné les législations des États membres dans un domaine donné d’action de l’Union, le législateur de l’Union ne saurait être privé de la possibilité d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances. La Cour se réfère, à cet égard, aux élargissements successifs de l’Union ayant eu lieu depuis l’entrée en vigueur de la directive 96/71, ainsi qu’à une analyse d’impact, élaborée dans le contexte de la modification de cette directive. Cette analyse constate que la directive 96/71 avait été à l’origine de conditions de concurrence inéquitables entre les entreprises établies dans un État membre d’accueil et les entreprises détachant des travailleurs dans cet État membre, ainsi que d’une segmentation du marché du travail, en raison d’une différenciation structurelle des règles salariales applicables à leurs travailleurs respectifs{5}.
La Cour relève que le fait que l’article 53, paragraphe 1, et l’article 62 TFUE habilitent le législateur de l’Union à coordonner les réglementations nationales susceptibles, par leur disparité même, d’entraver la libre prestation des services entre les États membres, ne saurait impliquer que ce législateur ne doive pas également veiller au respect, notamment, des objectifs transversaux consacrés à l’article 9 TFUE. Parmi ces objectifs figurent les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé ainsi qu’à la garantie d’une protection sociale adéquate.
Ainsi, afin d’atteindre au mieux l’objectif poursuivi par la directive 96/71 dans un contexte qui avait changé, il était loisible au législateur de l’Union d’adapter l’équilibre sur lequel reposait cette directive en renforçant les droits des travailleurs détachés dans l’État membre d’accueil afin que la concurrence entre les entreprises détachant des travailleurs dans cet État membre et les entreprises établies dans celui-ci se développe dans des conditions plus équitables.
La Cour précise également, dans ce contexte, que l’article 153 TFUE, qui vise seulement la protection des travailleurs et non pas la libre prestation des services au sein de l’Union, ne pouvait constituer la base juridique de la directive 2018/957. Cette directive ne contenant aucune mesure d’harmonisation mais se limitant à coordonner les réglementations des États membres en cas de détachement de travailleurs, en imposant l’application de certaines conditions de travail et d’emploi prévues par les règles obligatoires de l’État membre d’accueil, elle ne saurait méconnaître l’exception qu’édicte l’article 153, paragraphe 5, TFUE aux compétences de l’Union découlant des premiers paragraphes de cet article.
En deuxième lieu, la Cour examine le moyen tiré d’une violation de l’article 56 TFUE, et plus particulièrement du fait que la directive 2018/957 supprimerait l’avantage concurrentiel, en termes de coûts, dont auraient bénéficié les prestataires de services établis dans certains États membres. La Cour relève que la directive 2018/957, afin d’atteindre son objectif, procède à un rééquilibrage des facteurs au regard desquels les entreprises établies dans les différents États membres peuvent entrer en concurrence. Pour autant, cette directive ne supprime pas l’éventuel avantage concurrentiel dont bénéficieraient les prestataires de service de certains États membres, dès lors qu’elle n’a aucunement pour effet d’éliminer toute concurrence fondée sur les coûts. Elle prévoit, en effet, d’assurer aux travailleurs détachés l’application d’un ensemble de conditions de travail et d’emploi dans l’État membre d’accueil, dont les éléments constitutifs de la rémunération rendus obligatoires dans cet État. Cette directive n’a donc pas d’effet sur les autres éléments de coûts des entreprises qui détachent de tels travailleurs, tels que la productivité ou l’efficacité de ces travailleurs, qui sont mentionnés à son considérant 16.
En troisième lieu, en ce qui concerne l’examen de la légalité des règles relatives à la notion de « rémunération » et de celles relatives au détachement de longue durée, respectivement prévues à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), et à l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée, la Cour rappelle que le juge de l’Union, saisi d’un recours en annulation contre un acte législatif tel que la directive 2018/957, doit s’assurer uniquement, du point de vue de la légalité interne de cet acte, que celui-ci ne méconnaît pas les traités UE et FUE ou les principes généraux du droit de l’Union et qu’il n’est pas entaché d’un détournement de pouvoir. En ce qui concerne le contrôle juridictionnel du respect de ces conditions, le législateur de l’Union dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans les domaines, tels que la réglementation relative au détachement des travailleurs, où son action implique des choix de nature tant politique qu’économique ou sociale, et où il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes. Au regard de ce large pouvoir d’appréciation, la Cour juge que, s’agissant de la règle relative au détachement de longue durée, c’est sans commettre d’erreur manifeste que le législateur de l’Union a pu considérer qu’un détachement d’une durée de plus de douze mois devait avoir pour conséquence de rapprocher sensiblement la situation personnelle des travailleurs détachés concernés de celle des travailleurs employés par des entreprises établies dans l’État membre d’accueil.
En quatrième lieu, la Cour relève que l’analyse d’impact, ayant été prise en compte par le législateur de l’Union pour considérer que la protection des travailleurs détachés prévue par la directive 96/71 n’était plus appropriée, a mis en lumière, en particulier, deux circonstances qui ont raisonnablement pu conduire ce législateur à considérer que l’application du « taux de salaire minimal » de l’État membre d’accueil n’était plus à même d’assurer la protection de ces travailleurs. D’une part, la Cour avait retenu une interprétation large de cette notion dans l’arrêt Sähköalojen ammattiliitto{6}, incluant, au-delà du salaire minimal prévu par la législation de l’État membre d’accueil, un certain nombre d’éléments. Dès lors, il a pu être constaté, dans l’analyse d’impact, que la notion de « taux de salaire minimal », telle qu’interprétée par la Cour, s’écartait grandement de la pratique répandue des entreprises détachant des travailleurs dans un autre État membre, consistant à ne verser à ceux-ci que le salaire minimal. D’autre part, il ressort de l’analyse d’impact que, au cours de l’année 2014, des différences importantes de rémunération s’étaient fait jour, dans plusieurs États membres d’accueil, entre les travailleurs employés par des entreprises établies dans ces États membres et les travailleurs qui y étaient détachés.
En cinquième lieu, la Cour examine la prétendue méconnaissance du règlement « Rome I » par l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée, qui prévoit que, en cas de détachement de plus de douze mois, la quasi-totalité des obligations découlant de la législation de l’État membre d’accueil s’appliquent impérativement aux travailleurs détachés, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail. À cet égard, la Cour note que l’article 8 du règlement « Rome I » établit, à son paragraphe 2, que, à défaut d’un choix des parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail, ce pays n’étant pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail temporairement dans un autre pays. Pour autant, le règlement « Rome I » prévoit, à son article 23, qu’il puisse être dérogé aux règles de conflit de lois qu’il établit lorsque des dispositions du droit de l’Union fixent des règles relatives à la loi applicable aux obligations contractuelles dans certaines matières. Or, par sa nature et son contenu, l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée constitue une règle spéciale de conflit de lois, au sens de l’article 23 du règlement « Rome I ».
{1} Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1).
{2} Directive (UE) 2018/957 du Parlement européen et du Conseil, du 28 juin 2018, modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 2018, L 173, p. 16, et rectificatif JO 2019, L 91, p. 77).
{3} Règlement (CE) nº 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6) (ci-après le « règlement "Rome I" »).
{4} La directive 96/71 a été adoptée sur le fondement de l’article 57, paragraphe 2, et de l’article 66 CE, qui ont été remplacés par les articles du traité FUE précités.
{5} Document de travail SWD (2016) 52 final, du 8 mars 2016, intitulé « Analyse d’impact accompagnant la proposition de directive du Parlement et du Conseil modifiant la directive 96/71 ».
{6} Arrêt de la Cour du 12 février 2015, Sähköalojen ammattiliitto (C-396/13, EU:C:2015:86, points 38 à 70).
Arrêt du 8 décembre 2020, Pologne / Parlement et Conseil (C-626/18) (cf. points 28-34)
La directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique{1} a établi un nouveau mécanisme de responsabilité spécifique pour les fournisseurs de services de partage de contenu en ligne (ci-après les « fournisseurs »). L’article 17 de cette directive pose le principe selon lequel les fournisseurs sont directement responsables lorsque des œuvres et autres objets protégés sont téléversés illégalement par les utilisateurs de leurs services. Les fournisseurs concernés peuvent néanmoins être exonérés de cette responsabilité. À cette fin, ils sont notamment tenus, conformément aux dispositions de cet article{2}, de surveiller activement les contenus téléversés par les utilisateurs, pour prévenir la mise en ligne des objets protégés que les titulaires de droits ne souhaitent pas rendre accessibles sur ces mêmes services.
La République de Pologne a introduit un recours tendant, à titre principal, à l’annulation du point b) et du point c), in fine, de l’article 17, paragraphe 4, de la directive 2019/790, et, à titre subsidiaire, à l’annulation de cet article dans son intégralité. Elle soutient, en substance, que ces dispositions imposent aux fournisseurs de procéder, de manière préventive, à une surveillance de l’ensemble des contenus que leurs utilisateurs souhaitent mettre en ligne, par des outils informatiques de filtrage automatique, sans prévoir de garanties assurant le respect du droit à la liberté d’expression et d’information{3}.
Statuant en grande chambre, la Cour se prononce pour la première fois sur l’interprétation de la directive 2019/790. Elle rejette le recours de la Pologne en jugeant que l’obligation des fournisseurs qui est prévue par cette directive, consistant en un contrôle automatique préalable des contenus mis en ligne par les utilisateurs, est entourée de garanties appropriées pour assurer le respect du droit à la liberté d’expression et d’information de ces derniers, ainsi que le juste équilibre entre celui-ci et le droit de propriété intellectuelle.
Appréciation de la Cour
Examinant, tout d’abord, la recevabilité du recours, la Cour constate que le point b) et le point c), in fine, de l’article 17, paragraphe 4, de la directive 2019/790 ne sont pas détachables du reste de cet article et que les conclusions tendant à la seule annulation de ces dispositions sont ainsi irrecevables. En effet, l’article 17 instaure, à l’égard des fournisseurs, un nouveau régime de responsabilité, dont les différentes dispositions forment un ensemble et visent à établir l’équilibre entre les droits et intérêts de ces fournisseurs, ceux des utilisateurs de leurs services et ceux des titulaires de droits. Par conséquent, une telle annulation partielle modifierait la substance dudit article.
Sur le fond, ensuite, la Cour examine le moyen unique soulevé par la Pologne, tiré d’une limitation de l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information, découlant du régime de responsabilité introduit par l’article 17 de la directive 2019/790. À titre liminaire, la Cour rappelle que le partage d’informations sur Internet par l’intermédiaire de plateformes de partage de contenus en ligne relève de l’application de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l’article 11 de la Charte. Elle constate que pour éviter d’être tenus pour responsables lorsque des utilisateurs téléversent des contenus illicites sur leurs plateformes pour lesquels les fournisseurs n’ont pas d’autorisation de la part des titulaires des droits, ces fournisseurs doivent démontrer, qu’ils satisfont à l’ensemble des conditions d’exonération, prévues à l’article 17, paragraphe 4, sous a), b) et c), de la directive 2019/790, à savoir qu’ils ont :
- fourni leurs meilleurs efforts pour obtenir une telle autorisation [point a)] ; et
- agi promptement pour faire cesser, sur leurs plateformes, des atteintes concrètes au droit d’auteur après que celles-ci se sont produites et leur ont été notifiées de manière suffisamment motivée par les titulaires de droits [point c)] ; et
- fourni, après réception d’une telle notification ou lorsque ces titulaires leur ont apporté les informations pertinentes et nécessaires avant la survenance d’une atteinte au droit d’auteur, « leurs meilleurs efforts, conformément aux normes élevées du secteur en matière de diligence professionnelle » pour éviter que de telles atteintes ne se produisent ou ne se reproduisent [points b) et c)].
Ces dernières obligations imposent dès lors de facto à ces fournisseurs d’effectuer un contrôle préalable des contenus que des utilisateurs souhaitent téléverser sur leurs plateformes, pour autant qu’ils ont reçu, de la part des titulaires de droits, les informations ou les notifications prévues à l’article 17, paragraphe 4, sous b) et c), de cette directive. À cette fin, les fournisseurs sont contraints de recourir à des outils de reconnaissance et de filtrage automatiques. Or, un tel contrôle et un tel filtrage préalables sont de nature à apporter une restriction à un moyen important de diffusion de contenus en ligne et à constituer, ainsi, une limitation du droit à la liberté d’expression et d’information, garanti à l’article 11 de la Charte. En outre, cette limitation est imputable au législateur de l’Union, dès lors qu’elle est la conséquence directe dudit régime de responsabilité spécifique. Partant, la Cour conclut que ce régime comporte une limitation de l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information des utilisateurs concernés.
Enfin, s’agissant de la question de savoir si la limitation en cause est justifiée au regard de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, la Cour relève, d’une part, que cette limitation est prévue par la loi, dès lors qu’elle résulte des obligations imposées aux fournisseurs de ces services par une disposition d’un acte de l’Union, à savoir, l’article 17, paragraphe 4, sous b), et sous c), in fine, de la directive 2019/790, et respecte le contenu essentiel du droit à la liberté d’expression et d’information des utilisateurs d’Internet. D’autre part, dans le cadre du contrôle de proportionnalité, la Cour constate que ladite limitation répond au besoin de protection de la propriété intellectuelle garantie à l’article 17, paragraphe 2, de la Charte, qu’elle apparaît comme étant nécessaire à satisfaire ce besoin et que les obligations imposées aux fournisseurs ne restreignent pas le droit à la liberté d’expression et d’information des utilisateurs de manière disproportionnée.
En effet, premièrement, le législateur de l’Union a posé une limite claire et précise aux mesures pouvant être prises dans la mise en œuvre de ces obligations, en excluant, en particulier, des mesures filtrant et bloquant des contenus licites lors du téléversement. Deuxièmement, la directive 2019/790 impose aux États membres de veiller à ce que les utilisateurs soient autorisés à téléverser et à mettre à disposition les contenus générés par eux aux fins spécifiques de la citation, de la critique, de la revue, de la caricature, de la parodie ou du pastiche. En outre, les fournisseurs doivent informer leurs utilisateurs qu’ils peuvent utiliser des œuvres et autres objets protégés dans le cadre des exceptions ou des limitations au droit d’auteur et aux droits voisins prévues par le droit de l’Union{4}. Troisièmement, la responsabilité des fournisseurs ne saurait être engagée qu’à la condition que les titulaires de droits concernés leur transmettent les informations pertinentes et nécessaires à l’égard des contenus en cause. Quatrièmement, l’article 17 de cette directive, dont l’application ne donne lieu à aucune obligation générale de surveillance, implique que les fournisseurs ne sauraient être tenus de prévenir le téléversement et la mise à la disposition du public de contenus dont la constatation du caractère illicite nécessiterait, de leur part, une appréciation autonome du contenu{5}. À cet égard, il se peut que la disponibilité de contenus non autorisés ne puisse être évitée que sur notification des titulaires de droits. Cinquièmement, la directive 2019/790 introduit plusieurs garanties de nature procédurale, notamment la possibilité pour les utilisateurs d’introduire une plainte lorsqu’ils considèrent que c’est à tort que l’accès à un contenu téléversé a été bloqué, ainsi que l’accès à des mécanismes de recours extrajudiciaires et à des voies de recours judiciaires efficaces{6}. Sixièmement, cette directive charge la Commission européenne d’organiser des dialogu
es entre les parties intéressées afin d’examiner les meilleures pratiques pour la coopération entre les fournisseurs et les titulaires de droits et d’émettre des orientations relatives à l’application de ce régime{7}.
Partant, la Cour conclut que l’obligation, pour les fournisseurs, de contrôler les contenus que des utilisateurs souhaitent téléverser sur leurs plateformes préalablement à leur diffusion au public, découlant du régime de responsabilité spécifique, instauré à l’article 17, paragraphe 4, de la directive 2019/790, a été entourée, par le législateur de l’Union, de garanties appropriées pour assurer le respect du droit à la liberté d’expression et d’information des utilisateurs, ainsi que le juste équilibre entre celui-ci, d’une part, et le droit de propriété intellectuelle, d’autre part. Il incombe aux États membres, lors de la transposition de l’article 17 de cette directive, de veiller à se fonder sur une interprétation de cette disposition qui permette d’assurer un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux protégés par la Charte. En outre, lors de la mise en œuvre des mesures de transposition de cet article, il incombe aux autorités et aux juridictions des États membres non seulement d’interpréter leur droit national d’une manière conforme audit article, mais également de veiller à ne pas se fonder sur une interprétation de celui-ci qui entrerait en conflit avec lesdits droits fondamentaux ou avec les autres principes généraux du droit de l’Union, tels que le principe de proportionnalité.
{1} Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE (JO 2019, L 130, p. 92).
{2} Voir article 17, paragraphe 4, sous b) et c), in fine, de la directive 2019/790.
{3} Telle que garantie à l’article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
{4} Article 17, paragraphes 7 et 9, de la directive 2019/790.
{5} Article 17, paragraphe 8, de la directive 2019/790.
{6} Article 17, paragraphe 9, premier et deuxième alinéas, de la directive 2019/790.
{7} Article 17, paragraphe 10, de la directive 2019/790.
Arrêt du 26 avril 2022, Pologne / Parlement et Conseil (C-401/19) (cf. points 17-21)
Arrêt du 15 novembre 2018, Banco Santander / Commission (T-227/10) (cf. point 208)
Arrêt du 15 novembre 2018, Axa Mediterranean / Commission (T-405/11) (cf. point 218)
Arrêt du 15 novembre 2018, Prosegur Compañía de Seguridad / Commission (T-406/11) (cf. point 212)
188. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Demande en annulation d'un acte du Conseil de résolution unique formée contre la Commission - Irrecevabilité - Invocation par le requérant d'une exception d'illégalité à l'encontre d'un règlement de la Commission - Absence d'incidence
Un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE doit être porté contre l’institution, l’organe ou l’organisme de l’Union européenne qui a adopté l’acte en cause. À cet égard, dès lors que l’invocation de l’inapplicabilité d’un acte de portée générale en vertu de l’article 277 TFUE ne constitue pas un droit d’action autonome et ne peut être exercé que de manière incidente, l’invocation par le requérant d’une exception d’illégalité à l’encontre d’un règlement de la Commission ne saurait permettre d’attraire cette dernière devant le juge de l’Union, dans le cas où la décision attaquée n’émane pas de cette institution.
Ordonnance du 19 novembre 2018, Iccrea Banca / Commission e.a. (T-494/17) (cf. points 19, 21)
189. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Examen d'office
Voir le texte de la décision.
À la suite d’une plainte déposée par des producteurs européens d’articles en fonte, la Commission européenne a adopté, à l’issue de son enquête antidumping, le règlement d’exécution 2018/140{1}, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certains articles en fonte originaires de la République populaire de Chine (ci-après le « produit concerné »).
L’association de droit chinois China Chamber of Commerce for Import and Export of Machinery and Electronic Products (ci-après la « CCCME »), qui compte parmi ses membres des producteurs-exportateurs chinois du produit concerné, ainsi que d’autres producteurs-exportateurs chinois, ont introduit un recours tendant à l’annulation du règlement attaqué.
Par arrêt du 19 mai 2021{2}, le Tribunal a déclaré recevable le recours introduit par la CCCME en estimant que cette dernière avait qualité pour agir en justice en son propre nom, en vue d’assurer la sauvegarde de ses droits procéduraux, ainsi qu’au nom de ses membres. Il a, en revanche, rejeté le recours sur le fond.
Saisie d’un pourvoi formé par la CCCME, la Cour se prononce sur la fin de non-recevoir soulevée par la Commission tirée du défaut de qualité pour agir de la CCCME. À cet égard, la Cour confirme que la CCCME a qualité pour agir en justice au nom de ses membres, mais conclut à l’absence d’une telle qualité pour agir en son nom propre en vue d’assurer la sauvegarde de ses droits procéduraux. Cela étant acquis, la Cour confirme pour le surplus l’arrêt du Tribunal et, partant, rejette le pourvoi dans son intégralité.
Appréciation de la Cour
À titre liminaire, la Cour rappelle que, conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former un recours contre un acte dont elle n’est pas le destinataire dans deux hypothèses alternatives, à savoir, d'une part, si l'acte en cause la concerne directement et individuellement et, d'autre part, s'il s'agit d'un acte réglementaire qui la concerne directement et qui ne comporte pas de mesures d'exécution.
Au regard de cette distinction, la Cour analyse si le Tribunal, en examinant le premier de ces deux cas de figure, a jugé à bon droit que la CCCME était recevable à agir en justice en son propre nom afin de sauvegarder ses droits procéduraux.
En ce qui concerne l’affectation individuelle, il ressort de la jurisprudence que, parmi les personnes susceptibles d’être individualisées par un acte de l’Union au même titre que les destinataires d’une décision, figurent celles qui ont participé au processus d’adoption de cet acte, uniquement dans le cas où, toutefois, des garanties de procédure ont été prévues au profit de cette personne par la réglementation de l’Union. En effet, la portée exacte du droit de recours d’un particulier contre un acte de l’Union dépend de la position juridique définie en sa faveur par le droit de l’Union visant à protéger les intérêts légitimes ainsi reconnus.
En l’espèce, le Tribunal a estimé que la CCCME était individuellement concernée par le règlement attaqué au motif que, durant toute la procédure ayant conduit à l’adoption de ce règlement, la Commission l’avait considérée comme une partie intéressée représentant notamment l’industrie chinoise du produit concerné et lui avait accordé des droits procéduraux tels le droit d’accéder au dossier de l’enquête, le droit de se voir communiquer les conclusions provisoires et finales, le droit de soumettre des observations sur celles-ci ainsi que le droit de participer à des auditions organisées dans le cadre de cette procédure. Toutefois, en omettant de vérifier si ces droits procéduraux ont été légalement octroyés à la CCCME, le Tribunal a commis une erreur de droit lors de l’examen de l’affectation individuelle et réitéré ultérieurement cette erreur lors de l’examen de l’affectation directe de celle-ci.
Cela étant, la Cour observe que ces erreurs ne sont de nature à entraîner l’irrecevabilité du recours de la CCCME en son nom propre que s’il est établi qu’elle ne pouvait légalement pas se voir attribuer les droits procéduraux en question. Dans ces conditions, il y a lieu d’examiner au regard du règlement antidumping de base{3} si la CCCME pouvait légalement se voir attribuer lesdits droits.
À cet égard, la Cour note que, bien que certaines dispositions du règlement antidumping de base{4} confèrent aux associations représentatives des importateurs ou exportateurs du produit faisant l’objet d’un dumping certains droits procéduraux, celui-ci ne définit pas la notion d’« association représentative des importateurs ou exportateurs ».
En tenant compte non seulement des termes des dispositions où cette notion figure, mais aussi du contexte dans lequel celles-ci s’inscrivent et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elles font partie, la Cour relève, en premier lieu, que ladite notion ne désigne pas des personnes ou des entités représentant des intérêts autres que ceux d’importateurs ou d’exportateurs, tels que, en particulier, des intérêts étatiques. En effet, il découle du règlement antidumping de base que le législateur de l’Union a voulu opérer une distinction entre les « associations représentatives des importateurs ou des exportateurs », d’un côté, et les « autorités » ou les « représentants » du pays exportateur, de l’autre. Ainsi, ces associations ne peuvent être considérées comme une association représentative au sens de ce règlement que si elles ne sont pas soumises à une ingérence de l’État exportateur, mais jouissent, au contraire, de l’indépendance nécessaire par rapport à cet État afin qu’elles puissent effectivement agir en qualité de représentants des intérêts généraux et collectifs des importateurs ou des exportateurs et non en tant que prête-noms dudit État.
En second lieu, l’objet d’une telle association représentative doit comprendre la représentation des importateurs ou des exportateurs du produit faisant l’objet de l’enquête antidumping, ce qui requiert que ce groupement compte parmi ses membres un nombre important d’importateurs ou d’exportateurs dont les importations ou les exportations de ce produit sont significatives.
Compte tenu du fait qu’il appartient à la partie requérante d’apporter la preuve de sa qualité pour agir en justice, il incombait, en l’espèce, à la CCCME de démontrer qu’elle était une association représentative des importateurs ou des exportateurs du produit concerné.
Or, bien que la CCCME compte parmi ses membres des producteurs-exportateurs du produit concerné et est habilitée à protéger leurs intérêts, elle ne dispose pas d’une indépendance suffisante par rapport aux instances étatiques chinoises pour pouvoir être considérée comme étant une « association représentative » des exportateurs du produit concerné.
En outre, la CCCME n’a démontré ni qu’elle comptait parmi ses membres un nombre important d’importateurs ou d’exportateurs du produit concerné ni que les exportations de ce produit par ses membres étaient significatives.
À la lumière de ces considérations, la Cour conclut que la CCCME ne disposait pas de la qualité pour agir au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, de telle sorte que le recours qu’elle a introduit en son propre nom doit être rejeté comme étant irrecevable et que le Tribunal a examiné à tort les moyens tirés de la violation des droits procéduraux de la CCCME avancés à l’appui de ce recours. En revanche, la Cour confirme que la CCCME avait le droit d’agir en justice au nom de ses membres, étant donné que ce droit n’est pas subordonné à une condition tenant au caractère démocratique de l’organisation d’une telle entité. Quant au fond, la Cour juge que le Tribunal était fondé à considérer que la Commission n’avait pas commis d’erreurs lors de la détermination de l’existence d’un préjudice à l’industrie de l’Union. Par ailleurs, le Tribunal n’a ni appliqué un critère juridique erroné ni commis d’erreur de qualification en considérant que la CCCME était irrecevable à invoquer des violations des droits procéduraux de ses membres et des autres requérantes.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour rejette le pourvoi dans son intégralité.
{1} Règlement d'exécution (UE) 2018/140 de la Commission du 29 janvier 2018 instituant un droit antidumping définitif, portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de certains articles en fonte originaires de la République populaire de Chine et clôturant l'enquête sur les importations de certains articles en fonte originaires de l'Inde (JO 2018, L 25, p. 6, ci-après le « règlement attaqué »).
{2} Arrêt du 19 mai 2021, China Chamber of Commerce for Import and Export of Machinery and Electronic Products e.a./Commission (T-254/18, EU:T:2021:278, ci-après l’« arrêt attaqué »).
{3} Règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21, ci-après le « règlement antidumping de base »).
{4} Règlement antidumping de base, article 5, paragraphe 11, article 6, paragraphe 7, article 20, paragraphes 1 et 2, et article 21, paragraphe 2.
Arrêt du 22 novembre 2018, Saleh Thabet / Conseil (T-274/16 et T-275/16) (cf. point 31)
Ordonnance du 13 décembre 2018, Euracoal e.a. / Commission (T-739/17) (cf. point 44)
Arrêt du 21 décembre 2021, HB / Commission (T-795/19) (cf. point 53)
Arrêt du 21 décembre 2021, HB / Commission (T-796/19) (cf. point 48)
190. Recours en annulation - Qualité de partie défenderesse - Bureau du Parlement européen - Absence de qualité d'organe ou d'organisme de l'Union - Décisions adoptées par le bureau - Imputabilité au Parlement
Le juge de l’Union est compétent pour connaître des recours introduits, au titre de l’article 263 TFUE, à l’encontre des seuls actes des institutions, des organes ou des organismes de l’Union européenne. À cet égard, une demande d’annulation d’une décision adoptée par le bureau du Parlement européen est nécessairement dirigée contre le Parlement, auteur de l’acte.
191. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Examen de la légalité d'un acte national s'insérant dans une procédure administrative composite - Prise en compte de la marge d'appréciation de l'institution de l'Union lors de l'adoption de l'acte de l'Union résultant du processus
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 19 décembre 2018, Berlusconi et Fininvest (C-219/17) (cf. points 43-46)
Ordonnance du 24 mars 2022, Di Taranto / Parquet européen (T-368/21) (cf. point 30)
Ordonnance du 8 mai 2024, YS / Conseil et Commission (T-411/23) (cf. point 37)
192. Recours en annulation - Recours introduit par la personne physique ou morale destinataire de l'acte attaqué - Notion de personne destinataire - Personne n'ayant pas été désignée dans l'acte - Exclusion
Dans l’ordonnance Associazione GranoSalus/Commission (T-125/18), rendue le 14 février 2019, le Tribunal a rejeté une demande tendant à l’annulation du règlement d’exécution 2017/2324{1}.
La présente affaire trouve son origine dans le renouvellement par la Commission européenne de l’approbation du glyphosate, une substance active utilisée notamment en tant qu’herbicide. La requérante, une association composée de producteurs de blé, de consommateurs et de leurs associations de protection, a demandé au Tribunal d’annuler le règlement d’exécution 2017/2324 et d’ordonner une mesure d’instruction visant à la production des passages du rapport de 1’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), où sont réexaminées les études sur les effets potentiels du glyphosate sur la santé humaine, aux fins de les comparer avec d’autres documents portant sur le sujet en cause.
S’agissant, d’abord, de la question de l’existence d’un intérêt propre que pourrait faire valoir la requérante, le Tribunal a jugé que, n’ayant pas indiqué avoir joué un rôle dans l’élaboration du règlement d’exécution 2017/2324 ou disposer de droits spécifiques dans le cadre de la procédure ayant conduit à l’adoption de cet acte, la requérante ne présentait pas un tel intérêt qui lui aurait permis d’introduire, en son nom, un recours en annulation devant le Tribunal.
S’agissant, ensuite, de la qualité pour agir des membres de la requérante, le Tribunal a constaté que, en l’espèce, les membres de la requérante ne pouvaient être considérés comme les destinataires du règlement d’exécution 2017/2324, puisqu’ils n’étaient pas désignés dans cet acte comme destinataires de celui-ci. Le Tribunal a estimé, en ce qui concerne l’affectation individuelle prétendue de certains membres de la requérante par cet acte, en leur qualité générale de consommateurs et de citoyens de l’Union, que ledit acte atteignait les membres de la requérante en raison de leur qualité objective de consommateurs, de citoyens de l’Union ou de producteurs de blé au même titre que tout autre consommateur, citoyen de l’Union ou producteur de blé se trouvant, actuellement, ou potentiellement, dans une situation identique. S’agissant de la qualification du règlement d’exécution 2017/2324 comme étant un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution, le Tribunal a relevé que l’évaluation du glyphosate se faisait en deux temps. Dans un premier temps, la substance est soumise à l’approbation de la Commission. Dans un second temps, chaque État membre autorise la mise sur le marché des produits contenant cette substance. Il en est de même pour le renouvellement de l’approbation de la substance. Il résulte de cette procédure que les effets du règlement d’exécution 2017/2324 se déploient par l’intermédiaire du renouvellement des autorisations de mise sur le marché émanant des autorités nationales, qui constituent, dès lors, des mesures d’exécution.
{1 Règlement d’exécution (UE) 2017/2324, de la Commission, du 12 décembre 2017, renouvelant l’approbation de la substance active « glyphosate » conformément au règlement (CE) no 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et modifiant l’annexe du règlement d’exécution (UE) no 540/2011 de la Commission (JO 2017, L 333, p. 10).}
Ordonnance du 14 février 2019, Associazione GranoSalus / Commission (T-125/18) (cf. points 49, 50)
Ordonnance du 19 novembre 2020, Buxadé Villalba e.a. / Parlement (T-32/20) (cf. points 32-38)
Ordonnance du 30 septembre 2021, Mariani e.a. / Parlement (T-124/21) (cf. points 14, 15)
Ordonnance du 11 août 2023, Flynn / BCE (T-675/22) (cf. points 25-27, 29, 30, 32, 36, 37)
193. Banque centrale européenne - Système européen de banques centrales - Relèvement de fonctions d'un gouverneur d'une banque centrale nationale - Compétence de la Cour pour contrôler la légalité d'une décision de relèvement prise par une autorité nationale - Objet - Qualification du recours en tant que recours en annulation
Dans l’arrêt Rimšēvičs et BCE/Lettonie (C-202/18 et C-238/18), rendu le 26 février 2019, la grande chambre de la Cour a accueilli deux recours au titre de l’article 14.2, second alinéa, du protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne (ci-après les « statuts du SEBC et de la BCE »). Ces recours, qui étaient les premiers à être introduits sur ce fondement, avaient été formés par la BCE et M. Rimšēvičs contre la décision par laquelle ce dernier, soupçonné d’avoir sollicité et accepté un pot-de-vin en sa qualité de gouverneur de la Banque centrale de Lettonie, a été suspendu de ses fonctions de gouverneur de ladite Banque par le Korupcijas novēršanas un apkarošanas birojs (Bureau de prévention et de lutte contre la corruption, Lettonie).
Tout d’abord, la République de Lettonie a excipé de l’incompétence de la Cour pour connaître des recours en faisant valoir que les seules décisions susceptibles de faire l’objet d’un tel recours sont celles qui mettent définitivement fin au lien juridique et institutionnel entre le gouverneur d’une banque centrale nationale et ladite banque. À cet égard, la Cour a souligné l’objectif d’indépendance des gouverneurs des banques centrales nationales poursuivi par l’article 14.2 des statuts du SEBC et de la BCE. S’il pouvait être décidé sans justification de relever les gouverneurs des banques centrales nationales de leurs fonctions, leur indépendance serait gravement compromise et, par voie de conséquence, celle de la BCE elle-même. Or, l’interdiction temporaire, faite à un gouverneur d’une banque centrale nationale, d’exercer ses fonctions est susceptible de constituer un moyen de pression sur ce dernier. D’une part, une telle interdiction peut revêtir une toute particulière gravité pour le gouverneur qu’elle vise lorsqu’elle n’est pas assortie d’un terme précis. D’autre part, elle est susceptible, par son caractère temporaire, d’offrir un moyen de pression d’autant plus efficace lorsqu’elle peut être retirée à tout moment en fonction non seulement de l’évolution de l’enquête, mais également du comportement du gouverneur concerné. Par conséquent, la Cour s’est déclarée compétente pour connaître d’un recours dirigé contre une mesure telle que l’interdiction provisoire d’exercice des fonctions de gouverneur d’une banque centrale nationale.
S’agissant ensuite de la nature du recours prévu à l’article 14.2, second alinéa, des statuts du SEBC et de la BCE, la Cour l’a qualifié de recours en annulation de la décision de relever un gouverneur de banque centrale nationale de ses fonctions. Elle a, entre autres, relevé à cet égard, que, à l’instar du recours prévu à l’article 263 TFUE, celui prévu à l’article 14.2, second alinéa, des statuts du SEBC et de la BCE peut être exercé par un particulier, en l’occurrence par le gouverneur relevé de ses fonctions, contre une décision dont il est le destinataire, et que chacun de ces deux recours doit être introduit dans le même délai de deux mois.
Certes, l’article 14.2, second alinéa, de ces statuts déroge à la répartition générale des compétences entre le juge national et le juge de l’Union telle que prévue par les traités et, notamment, par l’article 263 TFUE, un recours au titre de cet article ne pouvant porter que sur des actes de droit de l’Union. Cette dérogation s’explique toutefois par le contexte institutionnel particulier du SEBC dans lequel elle s’inscrit. En effet, le SEBC représente, dans le droit de l’Union, une construction juridique originale qui associe et fait coopérer étroitement des institutions nationales, à savoir les banques centrales nationales, et une institution de l’Union, à savoir la BCE, et au sein de laquelle prévaut une articulation différente et une distinction moins marquée de l’ordre juridique de l’Union et des ordres juridiques internes. Or, l’article 14.2 des statuts du SEBC et de la BCE tire les conséquences de ce système très intégré voulu par les auteurs des traités pour le SEBC et, en particulier, du dédoublement fonctionnel du gouverneur d’une banque centrale nationale, certes autorité nationale, mais agissant dans le cadre du SEBC et siégeant, lorsqu’il est gouverneur d’une banque centrale d’un État membre dont la monnaie est l’euro, au principal organe de direction de la BCE. C’est en raison de ce statut hybride et en vue de garantir l’indépendance fonctionnelle des gouverneurs des banques centrales nationales au sein du SEBC que, par exception, une décision prise par une autorité nationale et relevant l’un d’eux de ses fonctions peut être déférée à la Cour.
S’agissant enfin du fond de l’affaire, la Cour a d’emblée précisé qu’il ne lui appartenait pas de se substituer aux juridictions nationales compétentes pour statuer sur la responsabilité pénale du gouverneur mis en cause ni même d’interférer avec l’enquête pénale préliminaire diligentée contre ce dernier. En revanche, il incombe à la Cour, dans le cadre des compétences qu’elle tire de l’article 14.2, second alinéa, des statuts du SEBC et de la BCE, de vérifier qu’une interdiction provisoire, faite au gouverneur concerné, d’exercer ses fonctions n’est prise que s’il existe des indices suffisants que celui-ci a commis une faute grave de nature à justifier une telle mesure. En l’espèce, la Cour a constaté que, au regard des éléments produits par la République de Lettonie, cette dernière n’a pas établi que le relèvement de M. Rimšēvičs de ses fonctions reposait sur de tels indices et, partant, a annulé la décision litigieuse.
194. Recours en annulation - Recours introduit par la personne physique ou morale destinataire de l'acte attaqué - Notion de personne destinataire
Ordonnance du 28 février 2019, Région de Bruxelles-Capitale / Commission (T-178/18) (cf. point 38)
195. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la République démocratique du Congo - Gel des fonds et des ressources économiques - Recours en annulation de personnes portant atteinte à l'État de droit ou contribuant à la commission d'actes constituant de graves violations des droits de l'homme - Répartition de la charge de la preuve - Décision fondée sur un faisceau d'indices - Admissibilité - Conditions
Arrêt du 26 mars 2019, Boshab e.a. / Conseil (T-582/17) (cf. points 64, 88, 111, 165, 199, 213)
196. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision, dans le cadre de la procédure de passation d'un marché public de travaux, de ne pas retenir une offre - Recours dirigé contre une décision antérieure non attaquée dans les délais - Irrecevabilité
Arrêt du 26 mars 2019, Clestra Hauserman / Parlement (T-725/17) (cf. point 35)
197. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Annulation d'une lettre et d'une note de débit émises par la Commission - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
Ordonnance du 14 mai 2019, Ayuntamiento de Enguera / Commission (T-602/18) (cf. points 24-27)
198. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Compétence de pleine juridiction - Contrôle juridictionnel d'une décision de la Commission constatant une infraction aux règles de la concurrence et imposant une amende - Absence de recours autonome de pleine juridiction
Dans l’arrêt Hitachi-LG Data Storage et Hitachi-LG Data Storage Korea/Commission (T-1/16), prononcé le 12 juillet 2019, le Tribunal a rejeté la demande de Hitachi-LG Data Storage, Inc. et sa filiale Hitachi-LG Data Storage Korea Inc. (ci-après : « les requérantes ») tendant à la réduction du montant de l’amende qui leur avait été infligée par la décision C(2015) 7135 final de la Commission, du 21 octobre 2015{1} en raison d’une violation des règles de concurrence dans le secteur de la production et la fourniture de lecteurs de disques optiques (ci-après « LDO »).
À la suite d’une enquête administrative ouverte sur dénonciation, la Commission a conclu que treize sociétés avaient participé à une entente sur le marché des LDO. Aux termes de la décision attaquée, la Commission a établi que, au moins du 23 juin 2004 au 25 novembre 2008, les participants à cette entente interdite avaient coordonné leur comportement par rapport aux procédures d’appel d’offres organisées par les fabricants d’ordinateurs Dell et Hewlett Packard. Selon la Commission, les sociétés impliquées avaient cherché, au moyen d’un réseau de contacts bilatéraux parallèles, à faire en sorte que les prix des produits LDO restent à des niveaux plus élevés que ce qu’ils auraient été en l’absence de ces contacts bilatéraux . Ainsi, la Commission a infligé une amende de 37 121 000 euros aux requérantes pour violation de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE .
Les requérantes ont soulevé deux moyens au soutien de leur recours en réduction de cette amende, tirés, d’une part, d’une violation du principe de bonne administration ainsi que de l’obligation de motivation et, d’autre part, d’une erreur de droit, en ce que la Commission n’a pas dérogé à la méthode générale indiquée dans les lignes directrices sur le calcul des amendes pour réduire celle des requérantes eu égard aux particularités de l’espèce et à leur rôle sur le marché des LDO. En réponse aux mesures d’organisation de la procédure adoptées par le Tribunal, les requérantes ont précisé qu’elles invitaient le Tribunal à exercer son pouvoir de pleine juridiction en révisant la décision implicite de la Commission de rejeter leur demande de réduction du montant de l’amende et en examinant le fond de cette demande .
À cet égard, le Tribunal a, en premier lieu, rappelé que le traité ne consacre pas comme voie de recours autonome le « recours de pleine juridiction », si bien que cette compétence de pleine juridiction ne peut être exercée par les juridictions de l’Union que dans le cadre du contrôle des actes des institutions, et plus particulièrement du recours en annulation . Ainsi, le Tribunal a d’abord établi que le recours comportait, d’une part, des conclusions à fin d’annulation partielle de la décision attaquée, en tant que la Commission avait rejeté la demande des requérantes de réduction du montant de l’amende infligée, et, d’autre part, des conclusions à fin de réformation de cette décision tendant à ce que le Tribunal accueille lui-même cette demande et réduise en conséquence ledit montant .
Ensuite, s’agissant du premier moyen, le Tribunal a, d’une part, rejeté les arguments des requérantes selon lesquels la Commission avait violé son obligation de motiver le refus d’avoir recours à l’exception prévue au point 37 des lignes directrices sur le calcul des amendes{2}, qui permet à la Commission de s’écarter de la méthodologie desdites lignes directrices et dont les requérantes avaient demandé l’application. À cet égard, le Tribunal a considéré que la Commission n’était tenue que de motiver dans la décision attaquée la méthodologie appliquée pour le calcul du montant de l’amende et non les éléments qu’elle n’avait pas pris en compte lors dudit calcul et, en particulier, les raisons pour lesquelles elle n’avait pas eu recours à l’exception prévue au point 37 desdites lignes directrices .
D’autre part, le Tribunal a rejeté les griefs tirés d’une violation du principe de bonne administration. À cet égard, il a, notamment, confirmé que la Commission avait été diligente au cours de la procédure administrative dans la mesure où elle avait, premièrement, entendu les requérantes et examiné leurs observations avant que le comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes ait émis un avis écrit sur l’avant-projet de décision et, deuxièmement, transmis à ce comité les informations les plus importantes pour le calcul du montant de l’amende en vertu de l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 1/2003{3}.
Enfin, s’agissant du deuxième moyen, le Tribunal a rappelé que la réduction du montant d’une amende ne peut être accordée au titre du point 37 des lignes directrices sur le calcul des amendes que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque les particularités d’une affaire donnée ou la nécessité d’atteindre un niveau dissuasif dans une affaire particulière peuvent justifier que la Commission s’écarte de la méthodologie générale pour le calcul du montant de l’amende prévue par ces lignes directrices. Le Tribunal a considéré à cet égard qu’aucune des circonstances alléguées par les requérantes n’étaient pas pertinentes pour justifier une telle réduction de l’amende au titre de l’exception prévue au point 37 des lignes directrices.
{1} Décision C(2015) 7135 final de la Commission, du 21 octobre 2015, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.39639 - Lecteurs de disques optiques).
{2} Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2).
{3} Règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).
199. Recours en annulation - Actes susceptibles de recours - Refus de la Commission d'engager une procédure en manquement - Exclusion
Ordonnance du 1er octobre 2019, Clarke / Commission (C-284/19 P) (cf. points 27-31)
200. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Annulation d'une décision de la Commission de recouvrement d'une subvention ainsi que d'une note de débit émise par cette institution - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
201. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Exceptions - Actes adoptés en vertu de pouvoirs délégués imputables à l'institution délégante - Portée
Ordonnance du 22 octobre 2019, BMC / Entreprise commune Clean Sky 2 (T-71/19) (cf. point 23)
202. Tribunal - Compétence - Litige né de contrats d'engagement conclus en dehors du champ d'application du statut des fonctionnaires et du régime applicable aux autres agents et ne contenant pas de clause compromissoire - Incompétence du Tribunal
Ordonnance du 16 décembre 2019, Kipper / Commission (T-394/18) (cf. points 17, 18, 20)
203. Droits fondamentaux - Droit à une protection juridictionnelle effective - Contrôle de la légalité des actes de l'Union - Modalités - Protection de ce droit par le juge de l'Union ou par les juridictions nationales selon la nature juridique de l'acte attaqué - Possibilité d'utiliser la voie du recours en annulation ou du renvoi préjudiciel en appréciation de validité
204. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées - Dispositions concernant la pêche récréative du bar européen dans des zones déterminées - Annulation n'entraînant pas de modification de la substance du règlement - Recevabilité
Dans l’arrêt IFSUA/Conseil (T-251/18), rendu le 10 mars 2020, le Tribunal a rejeté le recours tendant à l’annulation partielle du règlement 2018/120 du Conseil{1}, en tant qu’il limite la pêche récréative du bar européen dans certaines zones déterminées. Ce recours a été introduit par l’International Forum for Sustainable Underwater Activities (IFSUA), association de droit espagnol rassemblant, d’une part, des fédérations, des associations et des clubs sportifs de différents États membres de l’Union européenne actifs dans le domaine des activités sous-marines et de la pêche maritime récréative et, d’autre part, des entreprises de différents États membres de l’Union fabriquant ou commercialisant du matériel de pêche sous-marine.
Sur le fondement de l’article 43, paragraphe 3, TFUE, le Conseil procède annuellement à la fixation et à la répartition des possibilités de pêche. Le règlement 2018/120, qui établit, pour l’année 2018, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, est applicable à la pêche commerciale et à la pêche récréative, laquelle est définie comme les « activités de pêche non commerciales exploitant les ressources marines biologiques à des fins notamment récréatives, touristiques ou sportives ». L’article 9, paragraphes 4 et 5, du règlement attaqué réglemente la pêche récréative du bar européen dans deux zones géographiques déterminées. Dans la première, seule la capture du bar européen suivie d’un relâcher est autorisée. Dans la seconde, la pêche est limitée à trois spécimens de bar européen par jour et par pêcheur.
À l’appui de son recours contre les dispositions du règlement relatives à la pêche récréative du bar européen, la requérante soulevait plusieurs moyens tirés d’une incompétence de l’Union pour agir dans le domaine de la pêche récréative et d’une violation des principes de protection de la confiance légitime, d’égalité de traitement et de proportionnalité, ainsi que de la liberté d’entreprise.
Le Conseil, soutenu par la Commission, ayant invoqué l’irrecevabilité du recours, le Tribunal a d’abord examiné si les dispositions litigieuses du règlement attaqué étaient détachables du reste de cet acte, d’une part, et si la requérante avait qualité pour agir, d’autre part. Il a jugé que la demande en annulation partielle était recevable car les dispositions attaquées étaient détachables du reste de l’acte, en ce sens qu’une annulation de ces dispositions ne modifierait pas la substance des dispositions du règlement non visées par le recours. Par ailleurs, le Tribunal a précisé que la requérante remplissait les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE pour la formation d’un recours par une personne physique ou morale. En effet, le Tribunal a jugé que les dispositions attaquées avaient un caractère règlementaire, ne comportaient pas de mesures d’exécution et affectaient directement la situation de certains membres de la requérante.
Le Tribunal a ensuite examiné les moyens invoqués par la requérante à l’appui de son recours et les a tous rejetés.
En particulier, en ce qui concerne la prétendue incompétence de l’Union pour agir dans le domaine de la pêche récréative, le Tribunal a constaté que les mesures adoptées dans le cadre de la politique commune de la pêche relèvent de la compétence exclusive de l’Union lorsqu’elles ont trait à la conservation des ressources biologiques de la mer. Or, c’est pour réaliser cet objectif que, dans le cadre de mesures relatives à la fixation et à la répartition des possibilités de pêche au sens de l’article 43, paragraphe 3, TFUE, le Conseil a adopté les dispositions attaquées. L’article 43, paragraphe 3, TFUE visant, d’une part, à répartir entre les pêcheurs les possibilités de pêche, mais aussi, d’autre part, à gérer le stock disponible pour garantir le caractère durable de cette activité, le Tribunal a estimé que, pour assurer la réalisation de ce double objectif, il était nécessaire que le Conseil, lorsqu’il a adopté les dispositions attaquées, prenne en compte toutes les activités pouvant avoir une incidence sur l’état du stock de bar européen et la reconstitution de ce dernier, indépendamment du caractère commercial ou non de ces activités.
En ce qui concerne la prétendue violation du principe de protection de la confiance légitime, le Tribunal a rappelé qu’une confiance légitime ne peut être placée dans le maintien d’une situation existante lorsque cette situation relève d’un domaine où elle est susceptible d’être modifiée. Or, la possibilité de modifier les règles concernant les opérations de pêche est inhérente à la politique commune de la pêche qui est un domaine dans lequel un pouvoir d’appréciation est confié aux institutions de l’Union afin de leur permettre d’adapter les mesures en vigueur aux variations de la situation économique et à l’évolution du stock de poisson concerné. Face à une situation où le stock de bar européen était préoccupant et où la pêche récréative contribuait à la mortalité de ce poisson, il était légitime, pour le législateur de l’Union, d’adopter les dispositions attaquées.
Quant au moyen tiré d’une discrimination entre la pêche récréative et la pêche commerciale du bar européen, le Tribunal a constaté que le règlement attaqué introduit une différence de traitement entre ces deux types de pêche. Mais il a jugé qu’une telle différence de traitement n’est pas manifestement inappropriée pour une activité de loisir, lorsque le but de la réglementation est de préserver les ressources biologiques de la mer et de garantir que cette activité puisse, dès lors que les stocks seront reconstitués, être reprise sans limitation. S’agissant de la prétendue discrimination entre les diverses formes de pêche récréative découlant du fait que, en autorisant seulement le pêcher-relâcher, le législateur aurait interdit, en pratique, la pêche sous-marine et maintenu les autres formes de pêche récréative, le Tribunal a jugé que, étant objectivement différentes quant à leur effet mortifère sur le stock de poisson, la pêche sous-marine et les autres formes de pêche récréative dans le cadre desquelles le pêcher-relâcher peut être pratiqué peuvent être traitées de manière différente.
Après avoir jugé que les dispositions attaquées respectaient la liberté d’entreprise et étaient conformes au principe de proportionnalité, le Tribunal a rejeté le recours dans son ensemble.
{1 Règlement (UE) 2018/120 du Conseil, du 23 janvier 2018, établissant, pour 2018, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union et modifiant le règlement (UE) 2017/127 (JO 2018, L 27, p. 1).}
Arrêt du 10 mars 2020, IFSUA / Conseil (T-251/18) (cf. points 26-29)
205. Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Qualité pour agir - Recours d'une association de fait, dépourvue de personnalité juridique et n'ayant pas l'autonomie nécessaire pour agir comme une entité responsable dans les rapports juridiques - Irrecevabilité
206. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision de refus de retirer ou de modifier un acte antérieur - Recevabilité s'appréciant par rapport à la possibilité d'attaquer l'acte en cause - Rapport de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) relatif à une enquête administrative externe - Irrecevabilité
Ordonnance du 12 mai 2020, Dragnea / Commission (T-738/18) (cf. points 39-41)
207. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Interprétation du droit de l'Union - Interprétation des règles en matière de concentrations entre entreprises - Lignes directrices arrêtées par la Commission - Pratique décisionnelle antérieure de la Commission - Caractère contraignant - Absence - Faculté pour le juge de s'approprier les orientations et appréciations économiques ou juridiques de la Commission
Par l’arrêt CK Telecoms UK Investments/Commission européenne (T-399/16), prononcé le 28 mai, le Tribunal a annulé la décision par laquelle la Commission {1} s’était opposée à la réalisation d’un projet de concentration entre deux des quatre opérateurs de téléphonie mobile actifs sur le marché de détail des services de télécommunications mobiles au Royaume-Uni.
Ce projet, notifié à la Commission le 11 septembre 2015, devait permettre à la requérante, CK Telecoms UK Investments Ltd (ci-après « Three »), filiale indirecte de CK Hutchison Holdings Ltd, de prendre le contrôle exclusif de Telefónica Europe Plc (ci-après « O2 ») et de constituer ainsi le principal acteur de ce marché, devant les deux autres opérateurs restants, EE Ltd, filiale de BT Group plc (ci-après « BT/EE »), ancien opérateur historique, et Vodafone.
Par la décision attaquée, la Commission avait, en application du règlement sur les concentrations{2} et de ses propres lignes directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales (ci-après les « lignes directrices »){3}, déclaré l’opération de concentration incompatible avec le marché intérieur sur le fondement de trois « théories du préjudice ». En effet, elle a considéré que l’opération créerait des entraves significatives à une concurrence effective du fait de l’existence d’effets non coordonnés liés, premièrement, à l’élimination de fortes contraintes concurrentielles sur le marché de détail (première « théorie du préjudice »), qui aurait vraisemblablement entraîné une hausse des prix des services de téléphonie mobile et une limitation du choix pour les consommateurs. Deuxièmement, le marché en cause se caractérisant par le fait que BT/EE et Three, d’une part, et Vodafone et O2, d’autre part, avaient conclu des accords de partage de réseau, l’opération aurait influé négativement sur la qualité des services pour les consommateurs, en entravant le développement de l’infrastructure de réseau mobile au Royaume-Uni (deuxième « théorie du préjudice »). Troisièmement, dès lors que trois opérateurs de réseaux mobiles virtuels ne disposant pas de leur propre réseau, Tesco Mobile, Virgin Mobile et TalkTalk (ci-après les « non-ORM »), avaient conclu des accords leur donnant accès au réseau d’un autre opérateur à des prix de gros, la concentration risquait d’avoir des effets non coordonnés significatifs sur le marché de gros (troisième « théorie du préjudice »).
Le Tribunal était ainsi appelé à se prononcer, pour la première fois, sur les conditions d’application du règlement sur les concentrations à une concentration sur un marché oligopolistique n’emportant ni création ni renforcement d’une position dominante individuelle ou collective, mais donnant lieu à des effets non coordonnés.
Après avoir rappelé les limites du contrôle de légalité qu’il lui appartient d’opérer sur les appréciations complexes qu’implique le contrôle des concentrations, le Tribunal a tout d’abord entrepris de définir les critères applicables pour établir qu’une telle opération créerait une « entrave significative à une concurrence effective », comme le requiert l’article 2, § 3, du règlement sur les concentrations, et fourni des précisions sur la charge et le niveau de preuve pesant sur la Commission dans un tel contexte{4}. Il a notamment précisé que, pour que des effets non coordonnés résultant d’une concentration puissent avoir pour conséquence une entrave significative à une concurrence effective, deux conditions cumulatives devaient être remplies : la concentration devait impliquer, d’une part, l’élimination des fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exerçaient l’une sur l’autre et, d’autre part, une réduction des pressions concurrentielles sur les autres concurrents. Il a par ailleurs souligné que, dans le cadre de l’analyse prospective en deux étapes qu’il incombait à la Commission de mener à cet égard, il lui appartenait non pas d’apporter la preuve que les scénarios et les théories du préjudice qu’elle avait retenus se produiraient inévitablement, mais de produire suffisamment de preuves pour démontrer avec une probabilité sérieuse l’existence d’entraves significatives à la suite de la concentration.
En l’occurrence, le Tribunal a jugé que la Commission n’était pas parvenue à rapporter la preuve que la concentration notifiée génèreraient des effets non coordonnés susceptibles de constituer des entraves significatives à une concurrence effective, que ce soit sur le marché de détail, au titre de la première et de la deuxième théories du préjudice, ou sur le marché de gros, au titre de la troisième théorie.
Ainsi, le Tribunal a constaté, en premier lieu, que la Commission avait commis plusieurs erreurs en concluant, au titre de la première théorie du préjudice, à l’existence probable d’effets non coordonnés sur le marché de détail de la téléphonie mobile liés à l’élimination de fortes contraintes concurrentielles. Il a tout d’abord jugé que la Commission n’avait pas établi que Three était un « important moteur de la concurrence », dont l’élimination entraînerait une baisse de la pression concurrentielle suffisante pour établir l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective. D’une part, en confondant les notions d’« entrave significative à une concurrence effective »{5}, d’« élimination d’une forte contrainte concurrentielle »{6}, ainsi que d’« élimination d’un important moteur de la concurrence »{7}, la Commission a considérablement élargi le champ d’application des règles en matière de concentrations d’entreprises et dénaturé la notion d’« important moteur de la concurrence ». Sont, d’autre part, jugés insuffisants les différents éléments retenus par la Commission pour conclure que Three constituait un important moteur de la concurrence ou exerçait, à tout le moins, une forte contrainte concurrentielle sur le marché, qu’il s’agisse de l’augmentation de la part brute de ses nouveaux abonnés au regard de ses parts de marché, de l’accroissement du nombre de ses abonnés, de la politique agressive de prix qu’elle avait pu mener ou encore du rôle de perturbateur qu’elle avait historiquement pu jouer sur le marché.
De même, le Tribunal a constaté que si, certes, le marché de détail de la téléphonie mobile en cause se caractérisait par un faible degré de différenciation des produits, de sorte que les parties à la concentration, ainsi que les autres opérateurs actifs sur ledit marché, pouvaient être considérés comme des concurrents relativement proches, ce seul élément n’était toutefois pas suffisant pour prouver l’élimination des fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exerçaient l’une sur l’autre et donc l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective.
Par ailleurs, tout en reconnaissant que la Commission pouvait prendre en considération les indicateurs de pressions à la hausse sur les prix{8}, en ce qu’ils traduisent les incitations des parties à la concentration à augmenter leurs prix, le Tribunal a néanmoins jugé que son analyse quantitative manquait de force probante, dès lors qu’elle n’avait pas démontré avec une probabilité suffisante que les prix subiraient une hausse « significative » à la suite de l’élimination des fortes contraintes concurrentielles. Il a également constaté que la Commission n’avait pas intégré à son analyse quantitative les gains d’efficacité que la concentration pouvait entraîner. Il a, enfin, jugé que la Commission n’avait, dans le cadre de son appréciation globale des effets non coordonnés, à aucun moment précisé s’ils seraient « significatifs » ou aboutiraient à une entrave significative à une concurrence effective.
Le Tribunal a jugé, en deuxième lieu, que la Commission avait également commis des erreurs, de droit et d’appréciation, en concluant, au titre de la deuxième théorie du préjudice, à l’existence d’effets non coordonnés résultant du bouleversement des accords de partage de réseau.
Partant du principe que les accords de partage de réseau peuvent avoir des effets favorables à une concurrence effective au bénéfice des consommateurs, la Commission avait examiné dans quelle mesure la concentration, en bouleversant les accords existants, était susceptible de supprimer leur dynamique concurrentielle. Au terme de son examen des plans de consolidation des réseaux présentés par les parties notifiantes, ainsi que de cinq autres scénarios d’intégration des réseaux existants, elle avait conclu que l’opération était susceptible d’entraîner des effets anticoncurrentiels non coordonnés sur le marché de détail, marché oligopolistique avec des barrières importantes à l’entrée. D’une part, elle pouvait affaiblir la position concurrentielle des concurrents partenaires des accords de partage de réseau et donc réduire leur pression compétitive. D’autre part, il était probable qu’elle conduise à une baisse des investissements à l’échelle du secteur de l’infrastructure des réseaux, et donc une réduction du degré de concurrence effective.
À cet égard, le Tribunal a tout d’abord souligné que la nouveauté de cette théorie, par rapport à la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, n’impliquait pas qu’elle soit improbable ou dépourvue de fondement, et déclaré y souscrire dans une certaine mesure. Il a cependant souligné que la capacité concurrentielle et les incitations à investir de BT/EE et de Vodafone ne dépendraient pas d’une manière décisive des décisions d’investissement de l’entité fusionnée ou d’une augmentation des coûts, mais notamment du niveau de concurrence auquel elles seraient confrontées, de leurs ressources financières et de leurs stratégies. Il en a déduit que le possible désalignement des intérêts entre les partenaires des accords de partage de réseau, leur bouleversement à l’issue de la concentration, voire leur résiliation, ne constituaient pas, dans le cas d’espèce et en tant que tels, une entrave significative à une concurrence effective dans le cadre d’une théorie du préjudice fondée sur des effets non coordonnés.
Rappelant que les règles de concurrence de l’Union étaient principalement destinées à protéger le processus concurrentiel en tant que tel, et non les concurrents, le Tribunal a ensuite examiné l’appréciation par la Commission des effets de la concentration sur les deux concurrents, BT/EE et Vodafone, en tenant compte des plans de consolidation des réseaux les concernant respectivement.
Dans le cas de BT/EE, il a jugé que la Commission n’était pas parvenue à établir que la concentration, en augmentant les coûts de maintenance et d’amélioration du réseau et en dégradant sa qualité, affecterait sa position concurrentielle, au point de constituer une entrave significative à une concurrence effective. À cet égard, le Tribunal a en particulier constaté que la Commission n’avait pas rapporté la preuve que sa théorie du préjudice était fondée sur un lien de causalité entre l’augmentation supposée des coûts fixes et celle des coûts différentiels, qui mènerait à moins d’investissements, à une détérioration dans la qualité des services offerts sur le marché ou, s’ils étaient répercutés sur les consommateurs, par le biais d’une augmentation des prix, à la réduction de la pression compétitive de BT/EE et de Vodafone sur le marché.
Dans le cas de Vodafone, après avoir rappelé que la réduction de la pression concurrentielle que cette entreprise était susceptible d’exercer n’était pas, à elle seule, suffisante pour établir une entrave significative à une concurrence effective dans le cas d’espèce, le Tribunal a notamment jugé que la Commission n’avait pas prouvé à suffisance de droit que la décision éventuelle de celle-ci de restreindre ses investissements dans son propre réseau résulterait de manière suffisamment réaliste et plausible de la concentration, modifierait les facteurs déterminant l’état de la concurrence sur les marchés affectés et entraverait, dans le cas d’espèce, de manière « significative », la concurrence effective sur le marché concerné.
Enfin, le Tribunal a jugé que la Commission avait commis une erreur de droit en considérant que la transparence renforcée des investissements globaux des opérateurs de réseaux mobiles, induite par les accords de partage de réseau, réduirait leur incitation à investir dans leur réseau et, par conséquent, leur pression concurrentielle, sans toutefois définir le cadre temporel approprié dans lequel elle entendait établir l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective. En effet, la Commission a analysé, d’une part, les effets immédiats de la concentration à court et à moyen terme au regard du chevauchement temporaire des deux accords de partage des réseaux, et, d’autre part, ses effets à moyen et à long terme au regard des plans de consolidation du réseau. Elle n’a en revanche pas pris en considération le fait que les parties à la concentration ne maintiendraient pas sur le long terme deux réseaux séparés, alors même qu’elle avait évoqué cette éventualité à plusieurs reprises dans la décision attaquée. Or, l’examen des effets d’une opération de concentration sur un marché oligopolistique dans le secteur des télécommunications, qui nécessite des investissements à long terme et où les consommateurs sont souvent liés par des contrats sur plusieurs années, supposait une analyse prospective dynamique appelant la prise en compte d’éventuels effets coordonnés ou unilatéraux sur un laps de temps relativement étendu dans l’avenir. La Commission a donc commis une erreur de droit en qualifiant l’incidence d’une transparence renforcée sur l’investissement global dans les réseaux d’effets non coordonnés.
Enfin, en troisième lieu, le Tribunal a jugé que la Commission n’était pas parvenue à établir, au titre de la troisième théorie du préjudice, l’existence d’effets non coordonnés sur le marché de gros.
À cet égard, il a relevé, tout d’abord, que la réduction du nombre d’opérateurs de réseau mobile de quatre à trois n’était pas en soi de nature à établir l’existence d’une entrave significative à la concurrence, un grand nombre de marchés oligopolistiques montrant un degré de concurrence pouvant être qualifié de sain. Il a ensuite considéré que, nonobstant le fait que l’indice Herfindahl-Hirschmann, utilisé pour mesurer le degré de concentration d’un marché, dépassait en l’espèce les seuils en-dessous desquels il était, en principe{9}, exclu que la concentration posât des problèmes concurrentiels, un dépassement de ces seuils n’impliquait pas, aux termes du point 21 des lignes directrices, une présomption d’existence de problèmes concurrentiels. Cependant, constatant que, pour conclure que Three était un « important moteur de la concurrence » sur le marché de gros, la Commission s’était fondée non pas sur ses parts de marché historiques et le niveau de concentration, mais sur ses parts brutes de nouveaux clients et l’analyse qualitative de son importance sur le marché de gros, il a jugé que l’institution n’avait pas expliqué, de manière crédible, pourquoi les parts brutes de nouveaux clients étaient à ce point déterminantes dans le cas d’espèce, ni partant prouvé, en l’absence d’un examen circonstancié des faits, l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective.
Le Tribunal a, par ailleurs, constaté que, s’il pouvait être considéré, eu égard à sa part brute de nouveaux clients, que Three avait la capacité de rivaliser avec les autres acteurs du marché de gros, qu’elle était un concurrent crédible, qu’elle avait une influence sur la concurrence et qu’elle avait renforcé sa position sur le marché, ce n’était toutefois suffisant ni pour établir l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective, dans un contexte où sa part de marché était, en réalité, très modeste, ni pour conclure qu’elle était un important moteur de la concurrence. Il a, enfin, jugé que la Commission n’avait pas démontré que la concentration entraînerait une suppression des contraintes concurrentielles importantes que les parties exerçaient auparavant l’une sur l’autre.
{1 Décision de la Commission, du 11 mai 2016, déclarant une concentration incompatible avec le marché intérieur (Affaire M.7612 - Hutchison 3G UK/Telefónica UK), notifiée sous le numéro C(2016) 2796, disponible en anglais, dans sa version non confidentielle, à l’adresse suivante :
{2 Règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1).}
{3 Lignes directrices sur l'appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, C 31, p. 5).}
{4 Conformément à l’article 2, § 3, du règlement sur les concentrations, tel qu’interprété à la lumière de son considérant 25.}
{5 Critère juridique visé à l’article 2, paragraphe 3, du règlement sur les concentrations.}
{6 Critère mentionné au considérant 25 du règlement sur les concentrations.}
{7 Critère tiré des lignes directrices utilisées dans la décision attaquée.}
{8 Analyse dite « upward pricing pressure » ou UPP.}
{9 Conformément aux points 19 à 21 des lignes directrices.}
Arrêt du 28 mai 2020, CK Telecoms UK Investments / Commission (T-399/16) (cf. points 100, 101, 163)
208. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Interprétation de la motivation d'un acte administratif - Limites - Substitution de la motivation du juge de l'Union à celle de l'auteur de l'acte attaqué - Inadmissibilité
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 4 juin 2020, Hongrie / Commission (C-456/18 P) (cf. points 70-75)
Voir texte de la décision.
Arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair / Commission (C-209/21 P) (cf. point 49)
Arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair / Commission (C-210/21 P) (cf. points 54, 63)
Arrêt du 29 avril 2021, Fortischem / Commission (C-890/19 P) (cf. points 48-50)
209. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Annulation d'un acte s'inscrivant dans un cadre contractuel - Incompétence du juge de l'Union au titre de l'article 263 TFUE - Irrecevabilité - Exception - Décisions adoptées par le Centre satellitaire de l'Union européenne ayant pour effet de mettre un terme au contrat de l'un de ses agents - Compétence exclusive d'une commission de recours - Nécessité d'assurer un contrôle juridictionnel effectif par une juridiction nationale ou de l'Union
Dans l’arrêt CSUE/KF (C-14/19 P), prononcé le 25 juin 2020, la Cour a confirmé, sur pourvoi, l’arrêt du Tribunal{1} qui avait, d’une part, annulé deux décisions du directeur du Centre satellitaire de l’Union européenne (CSUE){2}, portant respectivement suspension et révocation de KF, agent contractuel, et la décision de la commission de recours du CSUE rendue dans le même contentieux (ci-après, ensemble, les « décisions litigieuses ») ainsi que, d’autre part, condamné le CSUE à verser à KF la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral subi.
KF avait été recrutée par le CSUE à compter du 1er août 2009 en qualité de cheffe de la division administrative. Lorsque des dysfonctionnements dans les rapports humains au sein de cette division ont été relevés, et à la suite d’une plainte concernant le comportement et la conduite de KF, une enquête administrative a été ouverte à son encontre. À l’issue de cette enquête, le directeur adjoint du CSUE a conclu que les faits reprochés à KF étaient confirmés et constitutifs de harcèlement moral. En conséquence, le directeur du CSUE a décidé d’ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre de KF et de suspendre celle-ci de ses fonctions. Au terme de cette procédure, le directeur du CSUE a révoqué KF pour motif disciplinaire ; la réclamation administrative présentée par KF contre cette décision auprès du directeur du Centre a été rejetée, ainsi que le recours formé devant la commission de recours du CSUE, instance dont les décisions, exécutoires pour les deux parties, sont sans appel{3}.
KF a introduit un recours devant le Tribunal tendant à l’annulation, notamment, des décisions litigieuses et à la condamnation du CSUE à lui verser les salaires non perçus et la somme de 500 000 euros au titre du préjudice moral subi. Au soutien de son recours, elle a, notamment, invoqué des moyens tirés des violations du principe de bonne administration, du principe d’impartialité et du principe du respect des droits de la défense. En outre, elle a soulevé, sur le fondement de l’article 277 TFUE, une exception d’illégalité de l’article 28, paragraphe 6, du règlement du personnel du CSUE, au motif que cette disposition ferait de la commission de recours la seule instance de contrôle de légalité des décisions du directeur du CSUE, soustrayant ainsi ces décisions à tout contrôle juridictionnel. Le Tribunal ayant accueilli l’exception d’illégalité et ayant fait partiellement droit au recours, le CSUE a introduit un pourvoi contre l’arrêt attaqué. À l’appui, il a soulevé quatre moyens, tirés respectivement de l’incompétence du Tribunal pour connaître du recours de première instance, de l’irrecevabilité de ce recours, d’une dénaturation des faits et d’une méconnaissance du principe de bonne administration et du principe du respect des droits de la défense.
Examinant, en premier lieu, les moyens tirés de l’incompétence du Tribunal pour connaître du recours en première instance et de l’irrecevabilité de ce dernier, la Cour a jugé, premièrement, que l’article 263, cinquième alinéa, TFUE, n’autorise pas à une institution de l’Union à introduire des conditions et modalités particulières qui soustraient des litiges impliquant l’interprétation ou l’application du droit de l’Union à la compétence tant des juridictions des États membres que du juge de l’Union. Or, tel est l’effet de la disposition attribuant à la commission de recours des compétences exclusives pour appliquer et interpréter, sans possibilité d’appel, le règlement du personnel du CSUE, qui est contenu dans une décision adoptée par le Conseil et comporte de ce fait des dispositions du droit de l’Union. Partant, l’attribution exclusive de ces compétences à ladite commission est contraire à la jurisprudence de la Cour{4} selon laquelle l’article 19 TUE confie aux juridictions nationales et à la Cour la charge de garantir la pleine application du droit de l’Union.
Deuxièmement, la Cour a jugé que les décisions litigieuses remplissaient les conditions requises pour être regardées comme étant des actes attaquables, au sens de l’article 263 TFUE. En effet, elles fixent définitivement la position du CSUE et visent à produire des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts de KF, qui est sa destinataire et à qui elles font grief, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique. Par ailleurs, la Cour a relevé que le lien d’emploi existant entre KF et le CSUE, auquel l’article 270 TFUE n’est pas applicable, ne permet pas de considérer que le litige n’oppose pas le CSUE à un tiers au sens de l’article 263, premier alinéa, TFUE. Ce lien d’emploi n’exclut donc pas ce litige du champ d’application de cette disposition.
Troisièmement, la Cour a rappelé que la préservation de la cohérence du système juridictionnel exige, en principe, que le juge de l’Union renonce à l’exercice des compétences que lui confère l’article 263 TFUE, lorsque la situation juridique du requérant s’inscrit dans le cadre de relations contractuelles qui relèvent des compétences prévues aux articles 272 ou 274 TFUE. Cependant, dans un contexte où est exclu tout contrôle juridictionnel, au titre des articles 272 ou 274 TFUE, par les juridictions nationales et par le juge de l’Union des décisions adoptées par le CSUE, cette renonciation du juge de l’Union n’est pas justifiée par l’objectif de la préservation de la cohérence du système juridictionnel. Dans de telles conditions, afin d’assurer l’existence d’un contrôle juridictionnel effectif, il incombe au juge de l’Union d’exercer les compétences qui lui sont conférées par l’article 263 TFUE.
Quatrièmement, la Cour a souligné que, si le rattachement initial du CSUE à l’Union de l’Europe occidentale, qui est une organisation internationale intergouvernementale, avait impliqué, par le passé, que la situation du personnel du CSUE n’eût pu être assimilée à celle des agents de la Communauté européenne, tel n’est plus le cas depuis l’entrée en vigueur, le 1er décembre 2009, du traité de Lisbonne, les litiges entre le CSUE et son personnel faisant apparaître depuis cette date une situation comparable à celle des litiges opposant les agents de l’Union à leur employeur. De même, la dérogation à la compétence du juge de l’Union concernant les dispositions des traités relatives à la politique étrangère et de sécurité commune{5} n’exclut pas la compétence du juge de l’Union pour contrôler la légalité d’actes de gestion du personnel tels que les décisions litigieuses.
Examinant, en second lieu, le moyen fondé sur la méconnaissance du principe de bonne administration et du principe du respect des droits de la défense, la Cour a affirmé qu’il ressort tant du principe de bonne administration, qui comporte le droit à être entendu, que du règlement du personnel du CSUE{6} que le directeur adjoint du CSUE, avant de tirer des conclusions à l’issue de l’enquête interne et, en tout état de cause, le directeur du CSUE, avant d’ouvrir la procédure disciplinaire à l’encontre de KF, étaient tenus de respecter le droit de celle-ci d’être entendue. Ceux-ci devaient, à cette fin, communiquer à l’intéressée les faits la concernant et lui accorder un délai raisonnable pour préparer ses observations. Cette communication doit se faire, à tout le moins, au moyen d’un résumé des déclarations utilisées, établi dans le respect des éventuels intérêts légitimes de confidentialité des témoins consultés.
{1} Arrêt du Tribunal du 25 octobre 2018, KF/CSUE (T-286/15, EU:T:2018:718)
{2} Le 27 juin 1991, le Conseil des ministres de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) a adopté une décision portant création d’un centre d’exploitation de données satellites. Le 10 novembre 2000, le Conseil de l’Union européenne a décidé de créer, sous la forme d’une agence de l’Union européenne, un centre satellitaire incorporant les éléments pertinents de celui établi au sein de l’UEO. Ce centre a été institué par l’action commune 2001/555/PESC du Conseil, du 20 juillet 2001, relative à la création d’un centre satellitaire de l’Union européenne (JO 2001, L 200, p. 5). Par la suite, le Conseil a adopté la décision 2014/401/PESC, du 26 juin 2014, relative au CSUE et abrogeant l’action commune 2001/555, relative à la création d’un centre satellitaire de l’Union européenne (JO 2014, L 188, p. 73), qui constitue désormais le cadre juridique applicable au CSUE
{3} En vertu de l’article 28, paragraphe 6, de la décision 2009/747/PESC du Conseil, du 14 septembre 2009, concernant le règlement du personnel du Centre satellitaire de l’Union européenne (JO 2009, L 276, p. 1) (ci après le « règlement du personnel du CSUE »). La composition, le fonctionnement et la procédure propres à cette instance sont décrits dans l’annexe X de la décision 2009/747
{4} Avis 1/17, du 30 avril 2019, EU:C:2019:341, point 111, et arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C-585/18, C-624/18 et C-625/18, EU:C:2019:982, point 167
{5} Article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE et article 275, premier alinéa, TFUE
{6} Article 1er, paragraphe 1, et 2 de l’annexe IX du règlement du personnel du CSUE
Arrêt du 25 juin 2020, CSUE / KF (C-14/19 P) (cf. points 78-86)
210. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Gel des fonds et des ressources économiques - Recours en annulation d'un homme d'affaires influent exerçant ses activités en Syrie visé par une décision de gel des fonds - Répartition de la charge de la preuve - Décision fondée sur un faisceau d'indices - Valeur probante
Dans l’arrêt Zubedi/Conseil (T-186/19), prononcé le 8 juillet 2020, le Tribunal a rejeté le recours en annulation d’un homme d’affaires de nationalité syrienne à l’encontre des actes par lesquels le nom de celui-ci avait été inscrit sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne, à savoir, la décision d’exécution (PESC) 2019/87{1} et le règlement d’exécution (UE) 2019/85{2}.
Le requérant avait été inscrit, au regard de ses activités commerciales et de ses investissements dans l’industrie du bâtiment en Syrie, sur lesdites listes, d’une part, sur le fondement du critère d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, défini au paragraphe 2, sous a), des articles 27 et 28 de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836{3}, ainsi qu’au paragraphe 1 bis, sous a), de l’article 15 du règlement nº 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828{4}, et, d’autre part, sur le fondement du critère d’association avec le régime syrien, défini au paragraphe 1 des articles 27 et 28 de ladite décision ainsi qu’au paragraphe 1, sous a), de l’article 15 dudit règlement. Conformément au paragraphe 3 des articles 27 et 28 de la décision 2013/255, ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1 ter, du règlement nº 36/2012, les personnes répondant auxdits critères ne sont pas inscrites ou maintenues sur les listes s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’elles ne sont pas, ou ne sont plus, liées au régime ou qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas associées à un risque réel de contournement. En l’occurrence, le requérant contestait être un homme d’affaires « influent » exerçant ses activités en Syrie et soutenait que le Conseil de l’Union européenne aurait dû démontrer qu’il était associé aux dirigeants du régime syrien.
Après avoir conclu que le Conseil avait apporté un faisceau d’indices, précis et concordants, susceptible de mettre en évidence le fait que le requérant est un homme d’affaires « influent » exerçant ses activités en Syrie, le Tribunal a rappelé que l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause a eu lieu dans le contexte législatif de la décision 2013/255 telle que modifiée par la décision 2015/1836. Ainsi, cette dernière décision ayant introduit le critère d’inscription objectif, autonome et suffisant de « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie », le Conseil n’est plus tenu de démontrer l’existence d’un lien entre cette catégorie de personnes et le régime syrien, ni non plus entre cette catégorie de personnes et le soutien apporté à ce régime ou le bénéfice tiré de ce dernier, étant donné qu’être une femme ou un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie suffit pour l’application des mesures restrictives en cause à une telle personne. Le Tribunal a alors considéré qu’il pouvait être déduit du critère relatif à la qualité de « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » une présomption réfragable de lien avec le régime syrien. Dès lors que le Conseil est parvenu à démontrer l’influence qu’une femme ou un homme d’affaires peut exercer sur le régime syrien, le lien entre ladite personne et ledit régime peut, en effet, être présumé.
À cet égard, le Tribunal a rappelé que la charge de la preuve incombe à l’institution en cas de contestation du bien-fondé des motifs d’inscription, au regard, notamment, de l’existence d’informations suffisantes au sens du paragraphe 3 des articles 27 et 28 de la décision 2013/255. Ainsi, il ne saurait être imposé à la partie requérante un niveau de preuve excessif aux fins de renverser la présomption de lien avec le régime syrien. En ce sens, la partie requérante doit être considérée comme ayant réussi à renverser ladite présomption si elle a été en mesure de faire valoir des arguments ou des éléments susceptibles de remettre sérieusement en cause la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil ou leur appréciation, ou si elle a produit devant le juge de l’Union un faisceau d’indices de l’inexistence ou de la disparition du lien avec ledit régime, de l’absence d’influence sur celui-ci ou de l’absence d’association avec un risque réel de contournement des mesures restrictives. Le Tribunal a constaté, en l’espèce, que le requérant n’était pas parvenu à renverser la présomption de lien avec le régime syrien et que le motif d’inscription du requérant sur les listes en cause, fondé sur le statut d’homme d’affaires influent en Syrie, était suffisamment étayé. Le Tribunal a, en conséquence, rejeté le recours dans son intégralité.
{1} Décision d’exécution (PESC) 2019/87 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 13)
{2} Règlement d’exécution (UE) 2019/85 du Conseil, du 21 janvier 2019, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 4)
{3} Décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75)
{4} Règlement (UE) nº 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) nº 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1)
Arrêt du 8 juillet 2020, Zubedi / Conseil (T-186/19) (cf. points 59, 61, 63, 64)
Arrêt du 16 décembre 2020, Haswani / Conseil (T-521/19) (cf. points 149-151, 153)
Arrêt du 28 avril 2021, Sharif / Conseil (T-540/19) (cf. points 89, 90, 127)
Arrêt du 22 juin 2022, Haswani / Conseil (T-479/21) (cf. points 114-116, 118-119)
211. Recours en annulation - Recours dirigé contre une lettre de la Commission invitant de manière informelle un État membre à mettre des ressources propres traditionnelles à la disposition du budget de l'Union - Contrôle du bien-fondé de l'obligation de cet État de mettre à disposition ces ressources - Méconnaissance du système des ressources propres de l'Union - Inadmissibilité
Le 30 mai 2008, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a adopté un rapport relatif à une enquête qui portait sur des vérifications concernant l’importation de briquets de poche avec pierre en provenance du Laos. Selon ce rapport, qui portait notamment sur 28 cas d’importation de marchandises en République tchèque, les États membres se devaient de réaliser des audits sur les importateurs concernés et ouvrir une procédure administrative de redressement fiscal. Les autorités tchèques ont pris des mesures pour procéder au redressement et au recouvrement fiscal, en signalant toutefois que, dans certains desdits cas, le recouvrement du montant des ressources propres de l’Union n’avait pas été possible. Par lettre du 20 janvier 2015, la Commission européenne a informé ces autorités que la République tchèque ne pouvait être dispensée de son obligation de mettre à disposition les ressources propres de l’Union, en vertu du règlement nº 1150/2000{1}, et les a invitées à procéder au paiement du montant en cause, en précisant que tout retard donnerait lieu au paiement d’intérêts.
En désaccord avec la position exprimée par la Commission dans cette lettre, la République tchèque a introduit devant le Tribunal un recours tendant à l’annulation de la décision de cette institution prétendument contenue dans ladite lettre. Par une ordonnance{2}, le Tribunal a accueilli l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission et a, par conséquent, rejeté le recours. Il a, en effet, jugé que celui-ci était dirigé contre un acte non susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation en ce qu’il ne produisait pas d’effets de droit obligatoires. La République tchèque a saisi la Cour d’un pourvoi, en faisant valoir, en substance, que l’irrecevabilité de son recours en annulation la privait d’une protection juridictionnelle dès lors qu’elle ne disposait d’aucune voie de recours lui permettant d’obtenir un contrôle juridictionnel effectif de la position de la Commission.
Dans son arrêt du 9 juillet 2020, rendu en grande chambre, la Cour s’est prononcée sur les conditions d’accès des États membres à une protection juridictionnelle effective en cas de litige portant sur l’étendue de leur responsabilité financière à l’égard du droit de l’Union en matière de ressources propres de cette dernière.
Tout d’abord, la Cour a constaté que, en l’état actuel du droit de l’Union, les obligations de perception, de constatation et d’inscription au compte des ressources propres de l’Union s’imposent directement aux États membres. Ainsi, la Commission ne dispose d’aucun pouvoir décisionnel lui permettant d’enjoindre à ces derniers de constater et de mettre à sa disposition des montants de ces ressources. La Cour en a conclu que l’ouverture d’un recours en annulation contre une lettre, telle que la lettre litigieuse, aux fins du contrôle du bien-fondé de l’obligation d’un État membre de mettre à la disposition de la Commission de tels montants, reviendrait à méconnaître le système des ressources propres de l’Union, tel que prévu par le droit de l’Union. Or, il n’appartient pas à la Cour de modifier le choix effectué, à cet égard, par le législateur de l’Union.
Ensuite, la Cour a jugé que, en l’état actuel du droit de l’Union, la faculté pour la Commission de soumettre à l’appréciation de la Cour, dans le cadre d’un recours en manquement, un différend l’opposant à un État membre, quant à l’obligation de celui-ci de mettre un certain montant de ressources propres de l’Union à la disposition de cette institution, est inhérente au système de ces ressources. Elle a ajouté que, lorsqu’un État membre procède à une mise à disposition d’un montant desdites ressources tout en l’assortissant de réserves quant à son obligation de procéder ainsi, il incombe à la Commission, conformément au principe de coopération loyale, d’engager avec cet État membre un dialogue constructif afin de déterminer les obligations qui incombent à ce dernier. En cas d’échec de ce dialogue, cette institution a la possibilité d’introduire un recours en manquement à l’égard dudit État membre. En effet, le fait d’assortir de réserves la mise à disposition de ressources propres de l’Union justifierait la constatation d’un manquement, dans l’hypothèse où l’État membre concerné serait effectivement tenu de procéder à une telle mise à disposition.
Toutefois, eu égard au pouvoir discrétionnaire dont jouit la Commission quant à l’introduction d’un recours en manquement, la Cour a conclu que la voie de ce recours n’offre aucune garantie à l’État membre concerné de voir trancher par le juge le différend l’opposant à cette institution au sujet de la mise à disposition de ressources propres de l’Union. Elle a toutefois ajouté que, lorsqu’un État membre a mis à la disposition de la Commission un montant de ressources propres de l’Union tout en formulant des réserves à l’égard du bien-fondé de la position de cette institution et que la procédure de dialogue n’a pas permis de mettre fin au différend entre ladite institution et cet État membre, celui-ci peut demander à être indemnisé en raison d’un enrichissement sans cause de l’Union et, le cas échéant, saisir le Tribunal d’un recours à cet effet.
À cet égard, la Cour a rappelé que l’action fondée sur l’enrichissement sans cause de l’Union, formée au titre de l’article 268 TFUE et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, requiert la preuve d’un enrichissement sans base légale valable du défendeur ainsi que celle d’un appauvrissement du requérant lié audit enrichissement. Ainsi, dans le cadre de l’examen d’une telle action, il appartiendrait au Tribunal d’apprécier, notamment, si l’appauvrissement de l’État membre requérant, correspondant à la mise à la disposition de la Commission d’un montant de ressources propres de l’Union que cet État membre a contesté, et l’enrichissement corrélatif de cette institution trouvent leur justification dans les obligations qui s’imposent audit État membre en vertu du droit de l’Union en matière de ressources propres de l’Union ou sont, au contraire, dénués d’une telle justification. Partant, estimant qu’un État membre n’est pas dépourvu de toute protection juridictionnelle effective en cas de désaccord, avec la Commission, quant à ses obligations en matière de ressources propres de l’Union, la Cour a rejeté le pourvoi dans son intégralité.
{1} Règlement (CE, Euratom) nº 1150/2000 du Conseil, du 22 mai 2000, portant application de la décision 94/728/CE, Euratom relative au système des ressources propres des Communautés (JO 2000, L 130, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE, Euratom) nº 2028/2004 du Conseil, du 16 novembre 2004 (JO 2004, L 352, p. 1) et par le règlement (CE, Euratom) nº 105/2009 du Conseil, du 26 janvier 2009 (JO 2009, L 36, p. 1). Voir notamment l’article 17, paragraphe 2 de ce règlement.
{2} Ordonnance du Tribunal du 28 juin 2018, République tchèque/Commission (T-147/15, non publiée, EU:T:2018:395).
Arrêt du 9 juillet 2020, République tchèque / Commission (C-575/18 P) (cf. points 55-64)
212. Recours en annulation - Acte attaqué - Appréciation de la légalité en fonction des éléments d'information disponibles au moment de l'adoption de l'acte - Application en matière d'antidumping - Appréciation de la validité d'un règlement d'exécution - Circonstances survenues postérieurement à l'adoption de l'acte attaqué - Absence d'incidence
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 9 juillet 2020, Donex Shipping and Forwarding (C-104/19) (cf. points 43, 44)
213. Politique étrangère et de sécurité commune - Compétence du juge de l'Union - Actes adoptés par le Centre satellitaire de l'Union européenne en matière de gestion du personnel - Inclusion
Ordonnance du 10 juillet 2020, KF / CSUE (T-619/19) (cf. points 18, 20-22, 24-28, 30)
214. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Gel des fonds et des ressources économiques - Recours en annulation d'une personne associée à une personnalité clé du régime syrien visée par une décision de gel des fonds - Preuve du bien-fondé de l'inscription sur les listes - Décision fondée sur un faisceau d'indices - Admissibilité - Conditions
Le requérant, M. Khaled Kaddour, est un homme d’affaires de nationalité syrienne qui développe une activité commerciale, notamment, dans le domaine des télécommunications et du pétrole en Syrie.
Le nom du requérant, qui avait été initialement inscrit sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil en 2011{1}, y a été réinscrit en 2015 et maintenu depuis{2}, du fait de ses activités commerciales , lesquelles lui permettaient de tirer avantage du régime syrien et de le soutenir, et du fait de relations d’affaires avec M. Maher Al-Assad, frère du président, M. Bachar Al Assad. Ces motifs s’appuyaient, d’une part, sur le critère d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie , défini à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255{3} et à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), du règlement nº 36/2012{4}, et, d’autre part, sur le critère d’association avec le régime syrien défini à l’article 28, paragraphe 1, de ladite décision et à l’article 15, paragraphe 1, sous a), dudit règlement. Le requérant contestait, pour sa part, être un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, qui aurait entretenu des relations commerciales avec M. Maher Al-Assad, et tirer avantage du régime syrien du fait de ses activités, ou apporter un soutien à celui-ci.
Dans son arrêt du 23 septembre 2020, le Tribunal a rejeté le recours en annulation du requérant à l’encontre de la décision d’exécution 2018/778{5} et du règlement d’exécution 2018/774{6}, par lesquels le nom du requérant avait été maintenu sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives.
Tout en précisant que la multiplicité des catégories de personnes définies par l’article 28 de la décision 2013/255 n’empêche pas qu’une personne puisse appartenir à plusieurs catégories en même temps et donc relever de différents critères retenus par ledit article 28, le Tribunal a tout d’abord rappelé que le critère de « bénéfice tiré du régime syrien et de soutien apporté à celui-ci », celui relatif aux liens étroits avec le régime, prévus à l’article 28, paragraphe 1, de cette décision et celui de « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie », prévu au paragraphe 2 du même article, constituent des critères juridiques autonomes se distinguant les uns des autres. Concernant ce dernier critère, le Tribunal a rappelé qu’il était également objectif et suffisant de sorte qu’être une femme ou un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie suffit pour l’application des mesures en cause, sans que le Conseil n’ait à préciser que la personne en question bénéficie du régime syrien ou qu’elle le soutient. Le Tribunal a considéré à cet égard que si le Conseil précisait ce point, c’est qu’il avait également entendu appliquer à la personne concernée le critère prévu à l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, relatif au bénéfice tiré du régime syrien et de soutien apporté à celui-ci, lequel implique alors de démontrer, au moyen d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants, comment ladite personne soutient ou tire avantage du régime syrien. Le Tribunal en a conclu que l’inscription du nom du requérant reposait bien sur trois motifs d’inscription différents.
Le requérant alléguait, par ailleurs, une erreur d’appréciation quant à la pertinence des éléments de preuve soumis par le Conseil. Le Tribunal a rappelé à cet égard que pour justifier le maintien du nom d’une personne sur les listes en cause, il n’était pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié précédemment l’inscription ou le maintien du nom de cette personne sur les listes en cause, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription soient demeurés inchangés et que, d’autre part, le contexte n’ait pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes. Les motifs d’inscription n’ayant, en l’occurrence, pas été modifiés et la situation factuelle du requérant, ainsi que la situation en Syrie, n’ayant pas évolué d’une manière telle que les éléments de preuve précédemment soumis en 2016 pour justifier du bien-fondé du maintien du nom du requérant sur les listes n’auraient plus été pertinents en 2018, le Tribunal a constaté que le Conseil n’était pas tenu d’apporter des éléments de preuve supplémentaires par rapport à ceux préalablement produits. Il a rejeté, en conséquence, les arguments du requérant visant à contester la pertinence desdites preuves au regard de leur ancienneté ou du manque de preuves nouvelles les corroborant. Le Tribunal a précisé à ce sujet que la circonstance que le Conseil se soit appuyé sur des documents que le Tribunal avait précédemment considérés, dans le cadre d’une autre affaire concernant le requérant{7}, comme ne satisfaisant pas à la charge de la preuve ne prive pas le Conseil de la possibilité d’invoquer ces documents de nouveau, parmi d’autres éléments de preuve, aux fins de la constitution d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants à même de justifier le bien-fondé du maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause.
Le requérant invoquait, enfin, le bénéfice des dispositions des articles 27, paragraphe 3, et 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255 et de l’article 15, paragraphe 1 ter, du règlement nº 36/2012, selon lesquelles les personnes concernées ne sont pas inscrites ou maintenues par le Conseil sur les listes s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’elles ne sont pas, ou ne sont plus, liées au régime syrien ou qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas associées à un risque réel de contournement des mesures adoptées. Le Tribunal a constaté à ce propos que les conditions énumérées par ces dispositions, qu’il convient de lire dans leur contexte et à la lumière des finalités de l’acte en cause , étaient cumulatives et ne s’appliquaient pas aux personnes inscrites sur les listes en cause en raison du critère d’association avec le régime syrien, prévu par l’article 27, paragraphe 1, et l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, ainsi que par l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 36/2012. En tout état de cause, en l’espèce, le Tribunal a constaté que la condition relative à l’absence ou à la disparition du lien avec le régime syrien n’était pas remplie, de sorte qu’il a rejeté les prétentions du requérant à cet égard et le recours dans son intégralité.
{1} À ce sujet, voir arrêt du 13 novembre 2014, Kaddour/Conseil (T-654/11, non publié, EU:T:2014:947).
{2} À ce sujet, voir arrêt du 26 octobre 2016, Kaddour/Conseil (T-155/15, non publié, EU:T:2016:628) et arrêt du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil (T-461/16, non publié, EU:T:2018:316).
{3} Décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75).
{4} Règlement (UE) nº 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) nº 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1).
{5} Décision d’exécution (PESC) 2018/778 du Conseil, du 28 mai 2018, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2018, L 131, p. 16).
{6} Règlement d’exécution (UE) 2018/774 du Conseil, du 28 mai 2018 mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2018, L 131, p. 1).
{7} Arrêt du 13 novembre 2014, Kaddour/Conseil (T-654/11, non publié, EU:T:2014:947).
Arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour / Conseil (T-510/18) (cf. points 116, 120, 123-125)
215. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Gel des fonds et des ressources économiques - Recours en annulation d'un homme d'affaires influent exerçant ses activités en Syrie visé par une décision de gel des fonds - Preuve du bien-fondé de l'inscription sur les listes - Décision fondée sur un faisceau d'indices - Admissibilité - Conditions
Le requérant, M. Khaled Kaddour, est un homme d’affaires de nationalité syrienne qui développe une activité commerciale, notamment, dans le domaine des télécommunications et du pétrole en Syrie.
Le nom du requérant, qui avait été initialement inscrit sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil en 2011{1}, y a été réinscrit en 2015 et maintenu depuis{2}, du fait de ses activités commerciales , lesquelles lui permettaient de tirer avantage du régime syrien et de le soutenir, et du fait de relations d’affaires avec M. Maher Al-Assad, frère du président, M. Bachar Al Assad. Ces motifs s’appuyaient, d’une part, sur le critère d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie , défini à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255{3} et à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), du règlement nº 36/2012{4}, et, d’autre part, sur le critère d’association avec le régime syrien défini à l’article 28, paragraphe 1, de ladite décision et à l’article 15, paragraphe 1, sous a), dudit règlement. Le requérant contestait, pour sa part, être un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, qui aurait entretenu des relations commerciales avec M. Maher Al-Assad, et tirer avantage du régime syrien du fait de ses activités, ou apporter un soutien à celui-ci.
Dans son arrêt du 23 septembre 2020, le Tribunal a rejeté le recours en annulation du requérant à l’encontre de la décision d’exécution 2018/778{5} et du règlement d’exécution 2018/774{6}, par lesquels le nom du requérant avait été maintenu sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives.
Tout en précisant que la multiplicité des catégories de personnes définies par l’article 28 de la décision 2013/255 n’empêche pas qu’une personne puisse appartenir à plusieurs catégories en même temps et donc relever de différents critères retenus par ledit article 28, le Tribunal a tout d’abord rappelé que le critère de « bénéfice tiré du régime syrien et de soutien apporté à celui-ci », celui relatif aux liens étroits avec le régime, prévus à l’article 28, paragraphe 1, de cette décision et celui de « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie », prévu au paragraphe 2 du même article, constituent des critères juridiques autonomes se distinguant les uns des autres. Concernant ce dernier critère, le Tribunal a rappelé qu’il était également objectif et suffisant de sorte qu’être une femme ou un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie suffit pour l’application des mesures en cause, sans que le Conseil n’ait à préciser que la personne en question bénéficie du régime syrien ou qu’elle le soutient. Le Tribunal a considéré à cet égard que si le Conseil précisait ce point, c’est qu’il avait également entendu appliquer à la personne concernée le critère prévu à l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, relatif au bénéfice tiré du régime syrien et de soutien apporté à celui-ci, lequel implique alors de démontrer, au moyen d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants, comment ladite personne soutient ou tire avantage du régime syrien. Le Tribunal en a conclu que l’inscription du nom du requérant reposait bien sur trois motifs d’inscription différents.
Le requérant alléguait, par ailleurs, une erreur d’appréciation quant à la pertinence des éléments de preuve soumis par le Conseil. Le Tribunal a rappelé à cet égard que pour justifier le maintien du nom d’une personne sur les listes en cause, il n’était pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié précédemment l’inscription ou le maintien du nom de cette personne sur les listes en cause, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription soient demeurés inchangés et que, d’autre part, le contexte n’ait pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes. Les motifs d’inscription n’ayant, en l’occurrence, pas été modifiés et la situation factuelle du requérant, ainsi que la situation en Syrie, n’ayant pas évolué d’une manière telle que les éléments de preuve précédemment soumis en 2016 pour justifier du bien-fondé du maintien du nom du requérant sur les listes n’auraient plus été pertinents en 2018, le Tribunal a constaté que le Conseil n’était pas tenu d’apporter des éléments de preuve supplémentaires par rapport à ceux préalablement produits. Il a rejeté, en conséquence, les arguments du requérant visant à contester la pertinence desdites preuves au regard de leur ancienneté ou du manque de preuves nouvelles les corroborant. Le Tribunal a précisé à ce sujet que la circonstance que le Conseil se soit appuyé sur des documents que le Tribunal avait précédemment considérés, dans le cadre d’une autre affaire concernant le requérant{7}, comme ne satisfaisant pas à la charge de la preuve ne prive pas le Conseil de la possibilité d’invoquer ces documents de nouveau, parmi d’autres éléments de preuve, aux fins de la constitution d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants à même de justifier le bien-fondé du maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause.
Le requérant invoquait, enfin, le bénéfice des dispositions des articles 27, paragraphe 3, et 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255 et de l’article 15, paragraphe 1 ter, du règlement nº 36/2012, selon lesquelles les personnes concernées ne sont pas inscrites ou maintenues par le Conseil sur les listes s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’elles ne sont pas, ou ne sont plus, liées au régime syrien ou qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas associées à un risque réel de contournement des mesures adoptées. Le Tribunal a constaté à ce propos que les conditions énumérées par ces dispositions, qu’il convient de lire dans leur contexte et à la lumière des finalités de l’acte en cause , étaient cumulatives et ne s’appliquaient pas aux personnes inscrites sur les listes en cause en raison du critère d’association avec le régime syrien, prévu par l’article 27, paragraphe 1, et l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, ainsi que par l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 36/2012. En tout état de cause, en l’espèce, le Tribunal a constaté que la condition relative à l’absence ou à la disparition du lien avec le régime syrien n’était pas remplie, de sorte qu’il a rejeté les prétentions du requérant à cet égard et le recours dans son intégralité.
{1} À ce sujet, voir arrêt du 13 novembre 2014, Kaddour/Conseil (T-654/11, non publié, EU:T:2014:947).
{2} À ce sujet, voir arrêt du 26 octobre 2016, Kaddour/Conseil (T-155/15, non publié, EU:T:2016:628) et arrêt du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil (T-461/16, non publié, EU:T:2018:316).
{3} Décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75).
{4} Règlement (UE) nº 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) nº 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1).
{5} Décision d’exécution (PESC) 2018/778 du Conseil, du 28 mai 2018, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2018, L 131, p. 16).
{6} Règlement d’exécution (UE) 2018/774 du Conseil, du 28 mai 2018 mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2018, L 131, p. 1).
{7} Arrêt du 13 novembre 2014, Kaddour/Conseil (T-654/11, non publié, EU:T:2014:947).
Arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour / Conseil (T-510/18) (cf. points 127, 134, 135, 140, 141)
216. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Recours dirigé contre la déclaration de la conférence des représentants des gouvernements des États membres - Irrecevabilité
217. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Recours dirigé contre la décision des représentants des gouvernements des États membres de nommer un avocat général à la Cour - Irrecevabilité
218. Recours en annulation - Décision de l'agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) rejetant une demande de dérogation relative aux nouvelles interconnexions électriques - Décision confirmée par la commission de recours de l'agence - Recours dirigé contre la décision de l'agence - Irrecevabilité
La société Aquind Ltd (ci-après la « requérante ») est le promoteur d’un projet d’interconnexion électrique reliant les réseaux de transport d’électricité britannique et français (ci-après l’« interconnexion Aquind »). Pour cette nouvelle interconnexion, elle a introduit auprès de l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) une demande de dérogation temporaire aux principes généraux régissant l’utilisation des recettes, la dissociation des réseaux de transport et des gestionnaires de réseaux de transport ainsi que l’accès de tiers aux réseaux de transport ou de distribution{1}.
Par décision du 19 juin 2018{2}, l’ACER a rejeté la demande de dérogation au motif que la requérante ne satisfaisait pas à la condition selon laquelle le degré de risque associé à l’investissement pour cette nouvelle interconnexion est tel que cet investissement ne serait pas effectué si la dérogation n’était pas accordée{3}. Dans le cadre de l’appréciation dudit risque associé à l’investissement, l’ACER a considéré en particulier que l’existence d’un risque reposant sur l’absence de soutien financier ne pouvait pas être identifié avec certitude, car l’interconnexion Aquind avait obtenu le statut de projet d’intérêt commun lui permettant de bénéficier d’un soutien financier prévu par la réglementation{4}, mais non sollicité par la requérante. Par décision du 17 octobre 2018{5}, la commission de recours de l’ACER a confirmé la décision de l’agence et a rejeté la demande de dérogation pour l’interconnexion Aquind.
Dans le cadre du recours en annulation introduit par la requérante, le Tribunal annule la décision de la commission de recours. Dans cet arrêt, des précisions sont apportées sur l’intensité du contrôle exercé par la commission de recours sur les décisions de l’ACER ainsi que sur l’interprétation du critère relatif au degré de risque associé à un investissement dans une nouvelle interconnexion, dont la satisfaction est nécessaire pour bénéficier d’une dérogation.
En premier lieu, le Tribunal juge que la commission de recours a commis une erreur de droit en n’opérant qu’un contrôle restreint sur la décision de l’ACER. Selon lui, ce faisant, elle a opéré un contrôle d’une intensité insuffisante au regard des pouvoirs que lui a attribués le législateur et n’a fait un usage que limité et incomplet de son pouvoir d’appréciation. En effet, les dispositions qui portent sur l’organisation et les pouvoirs de la commission de recours permettent de constater que cet organe d’appel n’a pas été créé pour se limiter à un contrôle restreint des appréciations d’ordre technique et économique complexes. À cet égard, le Tribunal relève que la commission de recours dispose, en vertu de la réglementation instituant l’agence{6}, non seulement de l’ensemble des pouvoirs dont dispose l’ACER elle-même, mais aussi des pouvoirs qui lui ont été conférés en tant qu’organe d’appel de l’agence. Partant, si la commission de recours choisit de renvoyer l’affaire à l’agence, elle est capable d’orienter les décisions prises par l’ACER qui est liée par la motivation de la commission. En outre , s’agissant des demandes de dérogation, dans la mesure où seules les décisions de la commission de recours peuvent faire l’objet d’un recours en annulation devant le Tribunal, le fait que la requérante soit irrecevable à contester la décision de l’ACER renforce la conclusion que la commission de recours ne peut pas effectuer un contrôle restreint sur la décision de l’agence équivalent au contrôle juridictionnel exercé par le juge de l’Union. En effet, selon le Tribunal, un contrôle limité de la commission de recours sur les appréciations d’ordre technique et économique le conduirait à effectuer un contrôle limité sur une décision qui serait elle-même le résultat d’un contrôle restreint. Or, un système de « contrôle restreint sur un contrôle restreint » n’offre pas les garanties d’une protection juridictionnelle effective dont devraient bénéficier les entreprises qui se s
ont vu refuser une demande de dérogation.
Le Tribunal rappelle également, tel que cela a déjà été jugé à propos de la chambre de recours de l’ECHA{7}, que la jurisprudence selon laquelle les appréciations d’ordre technique et économique complexes sont soumises au contrôle restreint du juge de l’Union n’a pas vocation à s’appliquer au contrôle effectué par les organes d’appel des agences. Selon lui, dans le cadre du contrôle qu’elle est appelée à exercer sur les appréciations d’ordre technique et économique complexes figurant dans une décision de l’ACER relative à une demande de dérogation, la commission de recours doit examiner, en se fondant sur l’expertise scientifique de ses membres, si les arguments avancés par la partie requérante sont susceptibles de démontrer que les considérations sur lesquelles la décision de l’ACER est fondée sont entachées d’erreurs.
En deuxième lieu, le Tribunal juge que la commission de recours, en exigeant l’introduction préalable d’une demande de soutien financier pour les investissements liés à un projet d’intérêt commun avant l’introduction d’une demande de dérogation, a créé à tort une condition supplémentaire, non prévue par la réglementation, à l’octroi de dérogations pour les nouvelles interconnexions{8}. En effet, si l’existence d’un soutien financier accordé pour un projet d’intérêt commun tel que l’interconnexion Aquind, peut valablement constituer un critère d’appréciation pertinent pour déterminer s’il existe un risque associé à l’investissement qui justifierait une dérogation au système réglementé, ce critère ne saurait pas pour autant constituer une condition à part entière devant être remplie pour obtenir cette dérogation. Dès lors, l’absence d’une demande préalable de soutien financier pour un projet d’interconnexion ayant obtenu le statut de projet d’intérêt commun ne saurait constituer un motif, en tant que tel, permettant de conclure que le risque associé à l’investissement n’était pas démontré. Or, dans le cas de l’interconnexion Aquind, la commission de recours a considéré en substance que seule l’obtention d’une réponse négative à une demande de soutien financier pour cette nouvelle interconnexion permettait de considérer qu’il existait un risque associé à l’investissement d’une importance telle qu’il permettait d’accorder le régime dérogatoire.
Selon le Tribunal, le critère essentiel qui doit guider l’examen de la demande de dérogation est celui du « degré de risque associé à l’investissement » prévu par la réglementation{9}. À cet égard, il souligne que la possibilité d’obtenir un soutien financier pour une interconnexion ayant obtenu le statut de projet d’intérêt commun ne permet en aucun cas d’exclure automatiquement le risque financier associé à l’investissement. Or, en l’espèce, la commission de recours et l’ACER, sur le fondement d’un raisonnement hypothétique, ont implicitement présumé que la demande de financement aboutirait à l’octroi d’un avantage financier permettant d’anéantir le risque lié à l’investissement dans l’interconnexion Aquind.
{1} Cette demande a été introduite sur le fondement de l’article 17 du règlement (CE) nº 714/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, sur les conditions d’accès au réseau pour les échanges transfrontaliers d’électricité et abrogeant le règlement (CE) nº 1228/2003 (JO 2009, L 211, p. 15).
{2} Décision de l’ACER nº 05/2018, du 19 juin 2018.
{3} Condition prévue à l’article 17, paragraphe 1, sou b) du règlement (CE) nº 714/2009.
{4} Article 12 du règlement (UE) nº 347/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2013, concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes, et abrogeant la décision nº 1364/2006/CE et modifiant les règlements (CE) nº 713/2009, nº 714/2009 et (CE) nº 715/2009 (JO 2013, L 115, p. 39).
{5} Décision de la commission de recours de l’ACER nº A 001 2018, du 17 octobre 2018.
{6} Article 19 du règlement (CE) nº 713/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, instituant une agence de coopération des régulateurs de l’énergie (JO 2009, L 211, p. 1).
{7} Arrêt du 20 septembre 2019, BASF Grenzach/ECHA, T 125/17, EU:T:2019:638.
{8} Article 17, paragraphe 1, du règlement (CE) nº 714/2009.
{9} Article 17, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) nº 714/2009.
Arrêt du 18 novembre 2020, Aquind / ACER (T-735/18) (cf. points 25-34)
219. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Gel des fonds et des ressources économiques - Recours en annulation d'un homme d'affaire influent lié au régime syrien - Personne visée par une décision de gel des fonds - Répartition de la charge de la preuve - Décision fondée sur un faisceau d'indices - Admissibilité - Conditions
Arrêt du 2 décembre 2020, Kalai / Conseil (T-178/19) (cf. point 115)
220. Recours en annulation - Contrôle de légalité - Critères - Examen d'un acte de l'Union au regard d'un autre acte de même rang normatif - Acte non adopté en application de ce dernier acte - Absence de disposition prévoyant la primauté d'un acte sur l'autre - Inadmissibilité
La directive 96/71, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services{1}, a partiellement été modifiée par la directive 2018/957{2}. En adoptant cette dernière, le législateur de l’Union a cherché à assurer la libre prestation des services sur une base équitable en garantissant une concurrence qui ne soit pas fondée sur l’application, dans un même État membre, de conditions de travail et d’emploi d’un niveau substantiellement différent selon que l’employeur est ou non établi dans cet État membre, tout en offrant une plus grande protection aux travailleurs détachés. À cette fin, la directive 2018/957 vise à rendre les conditions de travail et d’emploi des travailleurs détachés les plus proches possibles de celles des travailleurs employés par des entreprises établies dans l’État membre d’accueil.
Dans cette logique, la directive 2018/957 a, entre autres, apporté des modifications à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71, portant sur les conditions de travail et d’emploi des travailleurs détachés. Ces modifications, guidées par le principe de l’égalité de traitement, impliquent notamment que s’applique à ces travailleurs non plus le « taux de salaire minimal » fixé par la législation de l’État membre d’accueil, mais la « rémunération » prévue par cette législation, qui est une notion plus large que celle de salaire minimal. En outre, dans le cas où la durée effective d’un détachement est supérieure à douze mois ou, exceptionnellement, à dix-huit mois, la directive 2018/957 a imposé, au moyen de l’insertion d’un article 3, paragraphe 1 bis, dans la directive 96/71, l’application de la quasi-totalité des conditions de travail et d’emploi de l’État membre d’accueil.
La Hongrie (affaire C-620/18) et la République de Pologne (affaire C-626/18) ont chacune introduit un recours tendant à l’annulation de la directive 2018/957. Ces États membres soulevaient notamment des moyens tirés du choix d’une base juridique erronée pour adopter cette directive, d’une violation de l’article 56 TFUE, garantissant la libre prestation des services, ainsi que d’une méconnaissance du règlement « Rome I »{3}. Par ses arrêts, la Cour rejette les deux recours dans leur intégralité.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour relève que le législateur de l’Union pouvait se fonder, lors de l’adoption de la directive 2018/957, sur la même base juridique que celle utilisée pour adopter la directive 96/71, à savoir l’article 53, paragraphe 1, et l’article 62 TFUE{4}, qui permettent notamment d’adopter des directives visant à faciliter l’exercice de la liberté de prestation des services.
En effet, s’agissant d’une réglementation qui, comme la directive 2018/957, modifie une réglementation existante, il importe de prendre en compte, pour déterminer la base juridique appropriée, la réglementation existante qu’elle modifie et, notamment, son objectif et son contenu. Par ailleurs, lorsqu’un acte législatif a déjà coordonné les législations des États membres dans un domaine donné d’action de l’Union, le législateur de l’Union ne saurait être privé de la possibilité d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances. La Cour se réfère, à cet égard, aux élargissements successifs de l’Union ayant eu lieu depuis l’entrée en vigueur de la directive 96/71, ainsi qu’à une analyse d’impact, élaborée dans le contexte de la modification de cette directive. Cette analyse constate que la directive 96/71 avait été à l’origine de conditions de concurrence inéquitables entre les entreprises établies dans un État membre d’accueil et les entreprises détachant des travailleurs dans cet État membre, ainsi que d’une segmentation du marché du travail, en raison d’une différenciation structurelle des règles salariales applicables à leurs travailleurs respectifs{5}.
La Cour relève que le fait que l’article 53, paragraphe 1, et l’article 62 TFUE habilitent le législateur de l’Union à coordonner les réglementations nationales susceptibles, par leur disparité même, d’entraver la libre prestation des services entre les États membres, ne saurait impliquer que ce législateur ne doive pas également veiller au respect, notamment, des objectifs transversaux consacrés à l’article 9 TFUE. Parmi ces objectifs figurent les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé ainsi qu’à la garantie d’une protection sociale adéquate.
Ainsi, afin d’atteindre au mieux l’objectif poursuivi par la directive 96/71 dans un contexte qui avait changé, il était loisible au législateur de l’Union d’adapter l’équilibre sur lequel reposait cette directive en renforçant les droits des travailleurs détachés dans l’État membre d’accueil afin que la concurrence entre les entreprises détachant des travailleurs dans cet État membre et les entreprises établies dans celui-ci se développe dans des conditions plus équitables.
La Cour précise également, dans ce contexte, que l’article 153 TFUE, qui vise seulement la protection des travailleurs et non pas la libre prestation des services au sein de l’Union, ne pouvait constituer la base juridique de la directive 2018/957. Cette directive ne contenant aucune mesure d’harmonisation mais se limitant à coordonner les réglementations des États membres en cas de détachement de travailleurs, en imposant l’application de certaines conditions de travail et d’emploi prévues par les règles obligatoires de l’État membre d’accueil, elle ne saurait méconnaître l’exception qu’édicte l’article 153, paragraphe 5, TFUE aux compétences de l’Union découlant des premiers paragraphes de cet article.
En deuxième lieu, la Cour examine le moyen tiré d’une violation de l’article 56 TFUE, et plus particulièrement du fait que la directive 2018/957 supprimerait l’avantage concurrentiel, en termes de coûts, dont auraient bénéficié les prestataires de services établis dans certains États membres. La Cour relève que la directive 2018/957, afin d’atteindre son objectif, procède à un rééquilibrage des facteurs au regard desquels les entreprises établies dans les différents États membres peuvent entrer en concurrence. Pour autant, cette directive ne supprime pas l’éventuel avantage concurrentiel dont bénéficieraient les prestataires de service de certains États membres, dès lors qu’elle n’a aucunement pour effet d’éliminer toute concurrence fondée sur les coûts. Elle prévoit, en effet, d’assurer aux travailleurs détachés l’application d’un ensemble de conditions de travail et d’emploi dans l’État membre d’accueil, dont les éléments constitutifs de la rémunération rendus obligatoires dans cet État. Cette directive n’a donc pas d’effet sur les autres éléments de coûts des entreprises qui détachent de tels travailleurs, tels que la productivité ou l’efficacité de ces travailleurs, qui sont mentionnés à son considérant 16.
En troisième lieu, en ce qui concerne l’examen de la légalité des règles relatives à la notion de « rémunération » et de celles relatives au détachement de longue durée, respectivement prévues à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), et à l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée, la Cour rappelle que le juge de l’Union, saisi d’un recours en annulation contre un acte législatif tel que la directive 2018/957, doit s’assurer uniquement, du point de vue de la légalité interne de cet acte, que celui-ci ne méconnaît pas les traités UE et FUE ou les principes généraux du droit de l’Union et qu’il n’est pas entaché d’un détournement de pouvoir. En ce qui concerne le contrôle juridictionnel du respect de ces conditions, le législateur de l’Union dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans les domaines, tels que la réglementation relative au détachement des travailleurs, où son action implique des choix de nature tant politique qu’économique ou sociale, et où il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes. Au regard de ce large pouvoir d’appréciation, la Cour juge que, s’agissant de la règle relative au détachement de longue durée, c’est sans commettre d’erreur manifeste que le législateur de l’Union a pu considérer qu’un détachement d’une durée de plus de douze mois devait avoir pour conséquence de rapprocher sensiblement la situation personnelle des travailleurs détachés concernés de celle des travailleurs employés par des entreprises établies dans l’État membre d’accueil.
En quatrième lieu, la Cour relève que l’analyse d’impact, ayant été prise en compte par le législateur de l’Union pour considérer que la protection des travailleurs détachés prévue par la directive 96/71 n’était plus appropriée, a mis en lumière, en particulier, deux circonstances qui ont raisonnablement pu conduire ce législateur à considérer que l’application du « taux de salaire minimal » de l’État membre d’accueil n’était plus à même d’assurer la protection de ces travailleurs. D’une part, la Cour avait retenu une interprétation large de cette notion dans l’arrêt Sähköalojen ammattiliitto{6}, incluant, au-delà du salaire minimal prévu par la législation de l’État membre d’accueil, un certain nombre d’éléments. Dès lors, il a pu être constaté, dans l’analyse d’impact, que la notion de « taux de salaire minimal », telle qu’interprétée par la Cour, s’écartait grandement de la pratique répandue des entreprises détachant des travailleurs dans un autre État membre, consistant à ne verser à ceux-ci que le salaire minimal. D’autre part, il ressort de l’analyse d’impact que, au cours de l’année 2014, des différences importantes de rémunération s’étaient fait jour, dans plusieurs États membres d’accueil, entre les travailleurs employés par des entreprises établies dans ces États membres et les travailleurs qui y étaient détachés.
En cinquième lieu, la Cour examine la prétendue méconnaissance du règlement « Rome I » par l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée, qui prévoit que, en cas de détachement de plus de douze mois, la quasi-totalité des obligations découlant de la législation de l’État membre d’accueil s’appliquent impérativement aux travailleurs détachés, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail. À cet égard, la Cour note que l’article 8 du règlement « Rome I » établit, à son paragraphe 2, que, à défaut d’un choix des parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail, ce pays n’étant pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail temporairement dans un autre pays. Pour autant, le règlement « Rome I » prévoit, à son article 23, qu’il puisse être dérogé aux règles de conflit de lois qu’il établit lorsque des dispositions du droit de l’Union fixent des règles relatives à la loi applicable aux obligations contractuelles dans certaines matières. Or, par sa nature et son contenu, l’article 3, paragraphe 1 bis, de la directive 96/71 modifiée constitue une règle spéciale de conflit de lois, au sens de l’article 23 du règlement « Rome I ».
{1} Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1).
{2} Directive (UE) 2018/957 du Parlement européen et du Conseil, du 28 juin 2018, modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 2018, L 173, p. 16, et rectificatif JO 2019, L 91, p. 77).
{3} Règlement (CE) nº 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6) (ci-après le « règlement "Rome I" »).
{4} La directive 96/71 a été adoptée sur le fondement de l’article 57, paragraphe 2, et de l’article 66 CE, qui ont été remplacés par les articles du traité FUE précités.
{5} Document de travail SWD (2016) 52 final, du 8 mars 2016, intitulé « Analyse d’impact accompagnant la proposition de directive du Parlement et du Conseil modifiant la directive 96/71 ».
{6} Arrêt de la Cour du 12 février 2015, Sähköalojen ammattiliitto (C-396/13, EU:C:2015:86, points 38 à 70).
Arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie / Parlement et Conseil (C-620/18) (cf. points 108, 119, 120)
221. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Gel de fonds et restrictions en matière d'admission de personnes, entités ou organismes associés au régime syrien - Recours en annulation d'un homme d'affaires influent exerçant ses activités en Syrie visé par une décision de gel des fonds - Répartition de la charge de la preuve - Décision fondée sur un faisceau d'indices - Valeur probante
Arrêt du 16 décembre 2020, Haikal / Conseil (T-189/19) (cf. points 98, 134-138)
222. Recours en annulation - Compétence de la Cour - Actes adoptés au titre de l'article 7, paragraphe 1, TUE - Résolution du Parlement européen relative à une proposition invitant le Conseil de l'Union européenne à constater l'existence d'un risque clair de violation grave, par un État membre, des valeurs sur lesquelles l'Union est fondée - Compétence générale pour contrôler la légalité des actes des institutions de l'Union - Portée
Le 12 septembre 2018, le Parlement européen a adopté une résolution{1} relative à une proposition invitant le Conseil de l’Union européenne à constater, conformément à l’article 7, paragraphe 1, TUE{2}, l’existence d’un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée. Cette déclaration a déclenché la procédure prévue à l’article 7 TUE, susceptible d’aboutir à la suspension de certains droits résultant de l’appartenance de l’État membre concerné à l’Union.
En vertu de l’article 354, quatrième alinéa, TFUE qui fixe les modalités de vote aux fins de l’application de l’article 7 TUE, l’adoption par le Parlement de la résolution en cause requérait la majorité des deux tiers des suffrages exprimés, représentant la majorité des membres qui le composent. Faisant une application de son règlement intérieur qui prévoit que, pour l’adoption ou le rejet d’un texte, seules les voix « pour » et « contre » sont prises en compte, sauf dans les cas où les traités prévoient une majorité spécifique{3}, le Parlement n’a pris en considération, dans le cadre du calcul des votes sur la résolution en cause, que les votes favorables et défavorables de ses membres et a exclu les abstentions{4}.
Considérant que, lors du calcul des suffrages exprimés, le Parlement aurait dû tenir compte des abstentions, la Hongrie a introduit, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours tendant à l’annulation de cette résolution.
La Cour, réunie en grande chambre, rejette ce recours. Elle constate, en premier lieu, que la résolution attaquée peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel au titre de l’article 263 TFUE. En second lieu, elle considère que les abstentions des parlementaires ne doivent pas être comptabilisées afin de déterminer si la majorité des deux tiers des suffrages exprimés, visée à l’article 354 TFUE, est atteinte.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour se prononce d’abord sur sa compétence afin de statuer sur le présent recours, puis sur la recevabilité de ce dernier.
Tout d’abord, elle constate que l’article 269 TFUE, qui prévoit une possibilité limitée d’introduire un recours en annulation contre les actes adoptés par le Conseil européen ou le Conseil dans le cadre de la procédure visée à l’article 7 TUE, n’est pas de nature à exclure la compétence de la Cour pour connaître du présent recours. En effet, en soumettant ce droit de recours à des conditions plus strictes que celles imposées par l’article 263 TFUE, l’article 269 TFUE comporte une limitation à la compétence générale de la Cour de justice de l’Union européenne pour contrôler la légalité des actes des institutions de l’Union et doit, partant, être interprété de manière restrictive. En outre, les résolutions du Parlement, adoptées au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE, ne sont pas mentionnées à l’article 269 TFUE. Ainsi, les auteurs des traités n’ont pas entendu exclure un acte tel que la résolution attaquée de la compétence générale reconnue à la Cour de justice de l’Union européenne par l’article 263 TFUE. Une telle interprétation est d’ailleurs de nature à contribuer au respect du principe selon lequel l’Union européenne est une Union de droit ayant établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour de justice de l’Union européenne le contrôle de la légalité des actes des institutions de l’Union.
Ensuite, la Cour considère que la résolution attaquée constitue un acte attaquable. En effet, elle produit des effets de droit obligatoires dès son adoption dans la mesure où, tant que le Conseil ne s’est pas prononcé sur les suites à y donner, cette résolution a pour effet immédiat de lever l’interdiction pesant sur les États membres de prendre en considération ou de déclarer admissible pour instruction une demande d’asile introduite par un ressortissant hongrois{5}.
En outre, la résolution attaquée ne constitue pas un acte intermédiaire dont la légalité ne pourrait être contestée qu’à l’occasion d’un litige portant sur l’acte définitif dont il constitue une étape d’élaboration. En effet, d’une part, en adoptant cette résolution, le Parlement n’a pas exprimé une position provisoire, même si la constatation ultérieure par le Conseil de l’existence d’un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs de l’Union est encore subordonnée à l’approbation préalable du Parlement. D’autre part, la résolution en cause produit des effets juridiques autonomes dans la mesure où, même si l’État membre concerné peut invoquer l’illégalité de cette résolution à l’appui de son éventuel recours en annulation contre la constatation ultérieure du Conseil, le succès éventuel de ce dernier recours ne permettrait pas, en tout état de cause, d’effacer l’intégralité des effets obligatoires de ladite résolution.
La Cour souligne toutefois que certaines conditions spécifiques, prévues à l’article 269 TFUE, auxquelles est soumise l’introduction d’un recours en annulation dirigé contre la constatation du Conseil, susceptible d’être adoptée à la suite d’une proposition motivée du Parlement telle que la résolution attaquée, doivent également s’appliquer à un recours en annulation, dirigé, en vertu de l’article 263 TFUE, contre une telle proposition motivée et ce, sous peine de priver l’article 269 TFUE de son effet utile. Ainsi, ce dernier recours ne peut être introduit que par l’État membre faisant l’objet de la proposition motivée et les moyens d’annulation invoqués à l’appui d’un tel recours ne peuvent être pris que de la violation des règles procédurales visées à l’article 7 TUE.
En second lieu, se prononçant sur le fond, la Cour observe que la notion de « suffrages exprimés », figurant à l’article 354, quatrième alinéa, TFUE, n’est pas définie dans les traités et que cette notion autonome du droit de l’Union doit être interprétée conformément à son sens habituel dans le langage courant. Or, cette notion, dans son sens habituel, n’englobe que la manifestation d’un vote positif ou négatif sur une proposition donnée tandis que l’abstention, comprise comme le fait de refuser de prendre position, ne saurait être assimilée à un « suffrage exprimé ». Partant, la règle visée à l’article 354, quatrième alinéa, TFUE, imposant un vote à la majorité des suffrages exprimés, doit être interprétée comme excluant la prise en compte des abstentions.
Cela étant, après avoir rappelé que l’article 354, quatrième alinéa, TFUE comporte une double exigence de majorité, à savoir que les actes adoptés par le Parlement au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE doivent recueillir, d’une part, l’accord des deux tiers des suffrages exprimés et, d’autre part, l’accord de la majorité des membres du Parlement, la Cour relève que, en tout état de cause, les abstentions sont prises en compte pour vérifier que les suffrages favorables représentent la majorité des membres du Parlement.
Enfin, la Cour considère que l’exclusion des abstentions du décompte des suffrages exprimés, au sens de l’article 354, quatrième alinéa, TFUE, n’est contraire ni au principe de démocratie ni à celui d’égalité de traitement au vu, notamment, du fait que les parlementaires qui se sont abstenus à l’occasion du vote ont agi en connaissance de cause, car ils avaient été préalablement informés de la non-prise en compte des abstentions dans le calcul des suffrages exprimés.
{1} Résolution [2017/2131(INL)] (JO 2019, C 433, p. 66).
{2} L’article 7, paragraphe 1, TUE prévoit : « Sur proposition motivée d’un tiers des États membres, du Parlement européen ou de la Commission européenne, le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement européen, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2. Avant de procéder à cette constatation, le Conseil entend l’État membre en question et peut lui adresser des recommandations, en statuant selon la même procédure.
Le Conseil vérifie régulièrement si les motifs qui ont conduit à une telle constatation restent valables. »
{3} Article 178, paragraphe 3, du règlement intérieur du Parlement.
{4} La résolution a été adoptée par 448 voix pour et 197 voix contre, 48 membres présents s’étant abstenus.
{5} En vertu de l’article unique, sous b), du protocole (nº 24) sur le droit d’asile pour les ressortissants des États membres de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 305).
Arrêt du 3 juin 2021, Hongrie / Parlement (C-650/18) (cf. points 31-36)
223. Recours en annulation - Compétence de la Cour - Actes adoptés au titre de l'article 7, paragraphe 1, TUE - Résolution du Parlement européen relative à une proposition invitant le Conseil de l'Union européenne à constater l'existence d'un risque clair de violation grave, par un État membre, des valeurs sur lesquelles l'Union est fondée - Compétence générale pour contrôler la légalité des actes des institutions de l'Union - Limitation de la compétence générale par l'article 269 TFUE - Conditions spécifiques - Application à un recours introduit en vertu de l'article 263 TFUE - Effet utile
Le 12 septembre 2018, le Parlement européen a adopté une résolution{1} relative à une proposition invitant le Conseil de l’Union européenne à constater, conformément à l’article 7, paragraphe 1, TUE{2}, l’existence d’un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée. Cette déclaration a déclenché la procédure prévue à l’article 7 TUE, susceptible d’aboutir à la suspension de certains droits résultant de l’appartenance de l’État membre concerné à l’Union.
En vertu de l’article 354, quatrième alinéa, TFUE qui fixe les modalités de vote aux fins de l’application de l’article 7 TUE, l’adoption par le Parlement de la résolution en cause requérait la majorité des deux tiers des suffrages exprimés, représentant la majorité des membres qui le composent. Faisant une application de son règlement intérieur qui prévoit que, pour l’adoption ou le rejet d’un texte, seules les voix « pour » et « contre » sont prises en compte, sauf dans les cas où les traités prévoient une majorité spécifique{3}, le Parlement n’a pris en considération, dans le cadre du calcul des votes sur la résolution en cause, que les votes favorables et défavorables de ses membres et a exclu les abstentions{4}.
Considérant que, lors du calcul des suffrages exprimés, le Parlement aurait dû tenir compte des abstentions, la Hongrie a introduit, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours tendant à l’annulation de cette résolution.
La Cour, réunie en grande chambre, rejette ce recours. Elle constate, en premier lieu, que la résolution attaquée peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel au titre de l’article 263 TFUE. En second lieu, elle considère que les abstentions des parlementaires ne doivent pas être comptabilisées afin de déterminer si la majorité des deux tiers des suffrages exprimés, visée à l’article 354 TFUE, est atteinte.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour se prononce d’abord sur sa compétence afin de statuer sur le présent recours, puis sur la recevabilité de ce dernier.
Tout d’abord, elle constate que l’article 269 TFUE, qui prévoit une possibilité limitée d’introduire un recours en annulation contre les actes adoptés par le Conseil européen ou le Conseil dans le cadre de la procédure visée à l’article 7 TUE, n’est pas de nature à exclure la compétence de la Cour pour connaître du présent recours. En effet, en soumettant ce droit de recours à des conditions plus strictes que celles imposées par l’article 263 TFUE, l’article 269 TFUE comporte une limitation à la compétence générale de la Cour de justice de l’Union européenne pour contrôler la légalité des actes des institutions de l’Union et doit, partant, être interprété de manière restrictive. En outre, les résolutions du Parlement, adoptées au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE, ne sont pas mentionnées à l’article 269 TFUE. Ainsi, les auteurs des traités n’ont pas entendu exclure un acte tel que la résolution attaquée de la compétence générale reconnue à la Cour de justice de l’Union européenne par l’article 263 TFUE. Une telle interprétation est d’ailleurs de nature à contribuer au respect du principe selon lequel l’Union européenne est une Union de droit ayant établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour de justice de l’Union européenne le contrôle de la légalité des actes des institutions de l’Union.
Ensuite, la Cour considère que la résolution attaquée constitue un acte attaquable. En effet, elle produit des effets de droit obligatoires dès son adoption dans la mesure où, tant que le Conseil ne s’est pas prononcé sur les suites à y donner, cette résolution a pour effet immédiat de lever l’interdiction pesant sur les États membres de prendre en considération ou de déclarer admissible pour instruction une demande d’asile introduite par un ressortissant hongrois{5}.
En outre, la résolution attaquée ne constitue pas un acte intermédiaire dont la légalité ne pourrait être contestée qu’à l’occasion d’un litige portant sur l’acte définitif dont il constitue une étape d’élaboration. En effet, d’une part, en adoptant cette résolution, le Parlement n’a pas exprimé une position provisoire, même si la constatation ultérieure par le Conseil de l’existence d’un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs de l’Union est encore subordonnée à l’approbation préalable du Parlement. D’autre part, la résolution en cause produit des effets juridiques autonomes dans la mesure où, même si l’État membre concerné peut invoquer l’illégalité de cette résolution à l’appui de son éventuel recours en annulation contre la constatation ultérieure du Conseil, le succès éventuel de ce dernier recours ne permettrait pas, en tout état de cause, d’effacer l’intégralité des effets obligatoires de ladite résolution.
La Cour souligne toutefois que certaines conditions spécifiques, prévues à l’article 269 TFUE, auxquelles est soumise l’introduction d’un recours en annulation dirigé contre la constatation du Conseil, susceptible d’être adoptée à la suite d’une proposition motivée du Parlement telle que la résolution attaquée, doivent également s’appliquer à un recours en annulation, dirigé, en vertu de l’article 263 TFUE, contre une telle proposition motivée et ce, sous peine de priver l’article 269 TFUE de son effet utile. Ainsi, ce dernier recours ne peut être introduit que par l’État membre faisant l’objet de la proposition motivée et les moyens d’annulation invoqués à l’appui d’un tel recours ne peuvent être pris que de la violation des règles procédurales visées à l’article 7 TUE.
En second lieu, se prononçant sur le fond, la Cour observe que la notion de « suffrages exprimés », figurant à l’article 354, quatrième alinéa, TFUE, n’est pas définie dans les traités et que cette notion autonome du droit de l’Union doit être interprétée conformément à son sens habituel dans le langage courant. Or, cette notion, dans son sens habituel, n’englobe que la manifestation d’un vote positif ou négatif sur une proposition donnée tandis que l’abstention, comprise comme le fait de refuser de prendre position, ne saurait être assimilée à un « suffrage exprimé ». Partant, la règle visée à l’article 354, quatrième alinéa, TFUE, imposant un vote à la majorité des suffrages exprimés, doit être interprétée comme excluant la prise en compte des abstentions.
Cela étant, après avoir rappelé que l’article 354, quatrième alinéa, TFUE comporte une double exigence de majorité, à savoir que les actes adoptés par le Parlement au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE doivent recueillir, d’une part, l’accord des deux tiers des suffrages exprimés et, d’autre part, l’accord de la majorité des membres du Parlement, la Cour relève que, en tout état de cause, les abstentions sont prises en compte pour vérifier que les suffrages favorables représentent la majorité des membres du Parlement.
Enfin, la Cour considère que l’exclusion des abstentions du décompte des suffrages exprimés, au sens de l’article 354, quatrième alinéa, TFUE, n’est contraire ni au principe de démocratie ni à celui d’égalité de traitement au vu, notamment, du fait que les parlementaires qui se sont abstenus à l’occasion du vote ont agi en connaissance de cause, car ils avaient été préalablement informés de la non-prise en compte des abstentions dans le calcul des suffrages exprimés.
{1} Résolution [2017/2131(INL)] (JO 2019, C 433, p. 66).
{2} L’article 7, paragraphe 1, TUE prévoit : « Sur proposition motivée d’un tiers des États membres, du Parlement européen ou de la Commission européenne, le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement européen, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2. Avant de procéder à cette constatation, le Conseil entend l’État membre en question et peut lui adresser des recommandations, en statuant selon la même procédure.
Le Conseil vérifie régulièrement si les motifs qui ont conduit à une telle constatation restent valables. »
{3} Article 178, paragraphe 3, du règlement intérieur du Parlement.
{4} La résolution a été adoptée par 448 voix pour et 197 voix contre, 48 membres présents s’étant abstenus.
{5} En vertu de l’article unique, sous b), du protocole (nº 24) sur le droit d’asile pour les ressortissants des États membres de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 305).
Arrêt du 3 juin 2021, Hongrie / Parlement (C-650/18) (cf. points 51-59)
224. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de l'Iran - Gel des fonds de personnes, entités ou organismes participant ou appuyant la prolifération nucléaire - Recours en annulation d'une personne visée par une décision de gel des fonds - Répartition de la charge de la preuve - Contrôle juridictionnel
En 2010, le Conseil de l’Union européenne a adopté des mesures restrictives{1} en vue de contraindre la République islamique d’Iran à mettre fin aux activités nucléaires présentant un risque de prolifération ou contribuant à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires, en prévoyant le gel des fonds et des ressources économiques des personnes et des entités concourant audit programme nucléaire. Le requérant, M. Borborudi, avait été inscrit le 1er décembre 2011 sur la liste des personnes et entités visées par ces mesures aux motifs qu’il occupait les fonctions de chef adjoint de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique (OIEA) et, notamment, qu’il participait au programme nucléaire iranien depuis au moins 2002. Le Conseil avait, par la suite, prorogé cette inscription à plusieurs reprises.
À la suite de l’adoption de la décision 2019/870{2} et du règlement 2019/855{3}, par lesquels le Conseil a prorogé son inscription sur la liste en cause en maintenant les mêmes motifs à son encontre, le requérant a introduit un recours en annulation contre ce règlement. Il reprochait notamment au Conseil d’avoir commis une erreur d’appréciation et de ne pas avoir établi le bien-fondé des mesures restrictives.
Le Tribunal annule le règlement 2019/855 en tant qu’il concerne le requérant et examine les conséquences de l’annulation de ce règlement, adopté sur le fondement de l’article 215 TFUE, sur la décision 2019/870, adoptée sur le fondement de l’article 29 TUE.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal considère que la circonstance que l’objet du recours soit limité à une demande d’annulation du règlement 2019/855, en ce qu’il concerne le requérant, et qu’il ne vise pas, également, la décision 2019/870, ne fait pas obstacle à son examen. Il rappelle à cet égard que les décisions adoptées sur le fondement de l’article 29 TUE et les règlements adoptés sur le fondement de l’article 215 TFUE sont deux types d’actes, le premier arrêtant la position de l’Union en ce qui concerne les mesures restrictives à adopter et le second constituant l’instrument pour donner effet à ces mesures à l’échelle de l’Union. Malgré leur étroite connexion, le Tribunal juge que ces actes sont distincts et indépendants, de sorte que rien n’empêche une partie requérante d’attaquer uniquement un règlement d’exécution.
En deuxième lieu, le Tribunal estime que le premier motif d’inscription sur la liste en cause n’est pas fondé dans la mesure où le Conseil n’a pas établi que le requérant, à la date d’adoption de l’acte attaqué, était un chef adjoint de l’OIEA. Le Tribunal relève à cet égard que le Conseil ne pouvait reprocher au requérant, sans renverser la charge de la preuve, de ne pas avoir établi qu’il avait cessé toute activité au sein de l’OIEA, en exigeant qu’il l’informe d’une telle circonstance et qu’il soumette au Conseil des éléments de preuve à ce sujet. Au contraire, le Conseil était tenu d’examiner avec soin, dans le cadre du réexamen annuel des mesures restrictives{4}, les éléments étayant l’inscription du nom du requérant sur la liste en cause, et ce nonobstant la faculté que détient le requérant de présenter, à tout moment, des observations ou de nouveaux éléments de preuve{5}. Le Tribunal observe, en l’espèce, qu’aucun élément n’étaye le motif selon lequel, ainsi que l’exposait l’extrait non confidentiel de la proposition d’inscription, le requérant était un chef adjoint de l’OIEA à la date d’adoption du règlement.
En troisième lieu, le Tribunal estime que le Conseil procède à une substitution des motifs fondant l’acte attaqué en prétendant que le maintien de l’inscription du nom du requérant sur la liste en cause serait justifié par ses activités passées. Le Tribunal rappelle que le critère d’inscription relatif à la fourniture d’un appui aux activités nucléaires iraniennes posant un risque de prolifération implique que soit établie l’existence d’un lien, direct ou indirect, entre les activités de la personne concernée et la prolifération nucléaire. Il précise sur ce point que l'adoption de mesures restrictives à l’égard d’une personne ne présuppose pas nécessairement que celle-ci ait préalablement adopté un comportement répréhensible effectif, le risque que cette personne adopte un tel comportement dans le futur pouvant être suffisant en lui-même. Cependant, l’existence d’un lien, direct ou indirect, entre les activités d’une personne et la prolifération nucléaire est, par contre, une condition nécessaire pour l’inscription du nom de cette personne sur la liste en cause. Le Conseil ne pouvait, dès lors, se fonder, à la date de l’adoption de l’acte attaqué, sur les anciennes fonctions du requérant au sein de l’OIEA et son ancienne participation au programme nucléaire iranien, sans avancer des indices sérieux et concordants permettant de considérer que le requérant maintenait des liens avec l’OIEA et ledit programme, ou, plus généralement, avec des activités posant un risque de prolifération nucléaire.
En dernier lieu, le Tribunal examine les conséquences de l’annulation du règlement 2019/855, en tant qu’il concerne le requérant, sur la décision 2019/870, qui n’a pas été contestée par ce dernier. Il relève, tout d’abord, que le présent arrêt n’entraîne pas de manière automatique l’annulation de la décision 2019/870. Toutefois, dans la mesure où ces deux actes infligent des mesures identiques au requérant, la circonstance que la décision 2019/870 demeure applicable malgré l’annulation de l’acte attaqué risquerait d’entraîner une atteinte sérieuse à la sécurité juridique. Le Tribunal rappelle ensuite que, pour se conformer à l’arrêt d’annulation, le Conseil est tenu de respecter tant le dispositif de l’arrêt que ses motifs. Ces derniers identifient, en effet, les motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste en cause comme étant illégaux et font apparaître les raisons exactes de leur illégalité. Dès lors, le Conseil doit veiller à ce que les éventuelles décisions subséquentes de gel de fonds susceptibles d’intervenir après l’arrêt ne soient pas entachées des mêmes vices. À cet effet, le Tribunal précise, eu égard à l’effet rétroactif des arrêts d’annulation, que la constatation d’illégalité remonte à la date de prise d’effet de l’acte annulé. Dans la mesure où la date de prise d’effet de la décision 2019/870 est la même que celle de l’acte attaqué, le Tribunal en déduit que le Conseil pourrait avoir l’obligation d’éliminer de cette décision les motifs d’inscription du nom du requérant ayant le même contenu que ceux jugés illégaux dans le présent arrêt, si ces motifs sont étayés par les mêmes éléments de preuve.
{1} Décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO 2010, L 195, p. 39) et règlement (UE) nº 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant le règlement (CE) nº 423/2007 (JO 2010, L 281, p. 1).
{2} Décision (PESC) 2019/870 du Conseil, du 27 mai 2019, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (JO 2019, L 140, p. 90).
{3} Règlement d'exécution (UE) 2019/855 du Conseil, du 27 mai 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 267/2012 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (JO 2019, L 140, p. 1).
{4} Article 26, paragraphe 3, de la décision 2010/413 et article 46, paragraphe 7, du règlement nº 267/2012.
{5} Article 24, paragraphe 4, de la décision 2010/413 et article 46, paragraphe 5, du règlement nº 267/2012.
Arrêt du 9 juin 2021, Borborudi / Conseil (T-580/19) (cf. points 45, 46, 55)
225. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives prises au regard de la situation au Venezuela - Portée du contrôle - Inscription des personnes impliquées dans des violations graves des droits de l'homme, des atteintes à la démocratie et à l'État de droit - Documents accessibles au public - Valeur probante
Arrêt du 14 juillet 2021, Benavides Torres / Conseil (T-245/18) (cf. point 67)
226. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir une injonction adressée à une institution - Conclusions tendant à ordonner à la Commission d'ouvrir la procédure formelle d'examen en matière d'aides d'État - Incompétence
Ordonnance du 6 septembre 2021, MKB Multifunds / Commission (T-277/20) (cf. point 57)
227. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Exceptions - Actes adoptés en vertu de pouvoirs délégués imputables à l'institution délégante - Actes signés par l'Agence exécutive pour les petites et moyennes entreprises (EASME) - Compétence de l'EASME pour adopter lesdits actes - Recours dirigé contre la Commission - Irrecevabilité
Ordonnance du 14 septembre 2021, Silex / Eismea (T-654/20) (cf. points 26-33)
228. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Portée du contrôle - Inscription du requérant sur la liste annexée à la décision attaquée du fait de sa qualité d'homme d'affaires influent exerçant ses activités en Syrie - Documents accessibles au public - Valeur probante
Le requérant, M. Maher Al-Imam, est un homme d’affaires de nationalité syrienne ayant des intérêts financiers dans le tourisme, les télécommunications et l’immobilier.
Son nom avait été inscrit en 2020 sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil{1}, puis y avait été maintenu{2}, aux motifs qu’il était un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, qu’il tirait avantage du régime syrien et qu’il soutenait sa politique de financement ainsi que sa politique de construction, en tant que directeur général de Telsa Group LLC et Castro LLC, appuyés par le régime, et du fait de ses autres intérêts financiers. Ces motifs s’appuyaient, d’une part, sur le critère d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, défini à l’article 27, paragraphe 2, sous a), et à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255{3}, telle que modifiée par la décision 2015/1836, ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), du règlement nº 36/2012{4}, tel que modifié par le règlement 2015/1828, et, d’autre part, sur le critère d’association avec le régime syrien défini à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28, paragraphe 1, de ladite décision ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1, sous a), dudit règlement.
Le Tribunal rejette le recours présenté par le requérant tant en annulation des actes attaqués qu’en réparation du préjudice prétendument subi du fait de ces actes, en examinant notamment le caractère raisonnable, au regard du droit d’être entendu, du délai de présentation devant le Conseil des demandes de réexamen des mesures restrictives susceptibles d’être présentées par les personnes inscrites sur les listes.
Appréciation du Tribunal
Concernant, en premier lieu, la question de savoir si le droit d’être entendu du requérant a été violé du fait de la brièveté du délai pour déposer une demande de réexamen, le Tribunal constate, tout d’abord, que ce délai était de huit jours ouvrables, à compter du jour de la publication au Journal officiel de l’Union européenne de l’avis à l’attention des personnes et entités faisant l’objet des mesures en cause jusqu’à la date limite indiquée par cet avis pour la présentation de ladite demande. Il relève ensuite que le règlement nº 36/2012 ne prévoit pas de limite de temps pour la présentation d’une demande de réexamen ou d’observations.
Dans ce contexte, le Tribunal rappelle que l’obligation d’observer un délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives constitue un principe général du droit de l’Union dont le juge de l’Union assure le respect et qui est une composante du droit à une bonne administration consacré par l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il découle également de la jurisprudence que, lorsque la durée de la procédure n’est pas fixée par une disposition du droit de l’Union, le caractère « raisonnable » du délai doit être apprécié en fonction de l’ensemble des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire et du comportement des parties.
En l’espèce, le Tribunal estime que fixer une date limite pour la présentation des demandes de réexamen est un moyen légitime pour le Conseil de s’assurer de recevoir les observations et preuves soumises par les personnes et entités concernées avant la fin de la phase de réexamen et d’avoir le temps suffisant pour les examiner avec la diligence requise. Il considère que le délai, de douze jours, qui découlait de la fixation de la date limite, était, certes, un délai court, puisqu’il impliquait, pour le requérant, de prendre connaissance de l’avis, du contenu des motifs d’inscription et de procéder à la rédaction des observations pouvant être assorties d’éléments de preuve. Toutefois, il note, d’une part, qu’aucun formalisme n’est imposé pour la présentation d’une demande de réexamen et, d’autre part, que le dépôt d’une demande de réexamen ouvre un dialogue entre le Conseil et la personne ou l’entité concernée qui n’est limité ni dans le temps ni dans le nombre de courriers échangés. Dès lors, rien ne s’oppose à ce qu’une demande de réexamen contenant des observations sommaires soit déposée dans le délai imparti, puis soit complétée, le cas échéant, par d’autres observations ou d’autres preuves au cours d’un échange contradictoire subséquent avec le Conseil. Ainsi, le Tribunal conclut que le délai de douze jours imparti par le Conseil dans l’avis publié au Journal officiel du 18 février 2020 pour présenter une demande de réexamen ne permet pas de considérer que le droit d’être entendu du requérant aurait été violé.
En tout état de cause, dans la mesure où le requérant peut, à tout moment, conformément à l’article 32, paragraphe 3, du règlement nº 36/2012, présenter une telle demande ou des observations dans ce sens, le Tribunal souligne que la date limite fixée par le Conseil dans l’avis publié au Journal officiel n’avait qu’une visée purement indicative. En effet, une telle indication est utile afin de permettre aux personnes et entités concernées de déposer leur demande de réexamen avant que la phase de réexamen interne au Conseil ne soit terminée et avant que de nouveaux actes ne soient adoptés par le Conseil.
Concernant, en second lieu, les arguments du requérant tirés, d’une part, du fait que les éventuelles observations présentées ne font pas l’objet d’une analyse immédiate et, d’autre part, du fait que le Conseil décide d’examiner les listes en cause seulement une fois par an, le Tribunal rappelle que le requérant peut, à tout moment, présenter des observations auxquelles le Conseil répondra sans attendre l’échéance annuelle. Il relève en outre que, selon l’article 34 de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, cette décision fait l’objet d’un suivi constant, de sorte qu’elle est prorogée, ou modifiée le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints.
{1} Décision d’exécution (PESC) 2020/212 du Conseil, du 17 février 2020, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 43l, p. 6) et règlement d’exécution (UE) 2020/211 du Conseil, du 17 février 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 43l, p. 1)
{2} Décision (PESC) 2020/719 du Conseil, du 28 mai 2020, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 168, p. 66) et règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil, du 28 mai 2020 mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 168, p. 1).
{3} Décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75).
{4} Règlement (UE) nº 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) nº 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1).
Arrêt du 22 septembre 2021, Al-Imam / Conseil (T-203/20) (cf. points 147, 158-161, 166, 174, 179)
M. Bashar Assi est un homme d’affaires de nationalité syrienne ayant des intérêts et des activités dans de multiples secteurs de l’économie syrienne. Son nom avait été inscrit en janvier 2019, puis maintenu en mai 2019 et en mai 2020, sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil de l’Union européenne{1} en tant que, premièrement, partenaire fondateur d’une compagnie aérienne ; deuxièmement, président du conseil d’administration d’Aman Dimashq, une entreprise active dans la construction d’un projet immobilier et commercial haut de gamme appuyé par le régime syrien ; et, troisièmement, à partir de 2020, du fait de la création de la société Aman Facilities avec M. Samer Foz, lequel est également inscrit sur les listes, et pour le compte de ce dernier. Ces activités avaient été considérées par le Conseil comme permettant à M. Bashar Assi de tirer avantage du régime syrien et de le soutenir.
Ces motifs s’appuyaient, d’une part, sur le critère de l’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, défini au paragraphe 2, sous a), de l’article 27 et de l’article 28 de la décision 2013/255{2}, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et au paragraphe 1 bis, sous a), de l’article 15 du règlement nº 36/2012{3}, tel que modifié par le règlement 2015/1828, et, d’autre part, sur le critère de l’association avec le régime syrien défini au paragraphe 1 de l’article 27 et de l’article 28 de ladite décision et au paragraphe 1, sous a), de l’article 15 dudit règlement.
Le Tribunal accueille le recours en annulation du requérant à l’encontre de la décision (PESC) 2020/719 et du règlement d’exécution (UE) 2020/716 (ci-après les « actes de maintien de 2020 »), le Conseil, qui s’était notamment appuyé sur des activités passées du requérant, n’ayant pas réuni d’indices suffisamment concrets, précis et concordants aux fins d’établir le bien-fondé desdits motifs d’inscription, au regard notamment des éléments de preuve contraires apportés par le requérant.
Appréciation du Tribunal
S’agissant, en premier lieu, du statut prétendu d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, le Tribunal examine les éléments de preuve soumis tant par le Conseil que par le requérant au sujet des activités économiques de ce dernier.
Concernant le statut de président du conseil d’administration d’Aman Dimashq, le Tribunal considère que si le Conseil entendait se fonder sur des activités passées du requérant, dans les actes de maintien de 2020, il devait avancer des indices sérieux et concordants permettant raisonnablement de considérer que l’intéressé, après avoir démissionné de ladite structure en mai 2019, maintenait des liens avec celle-ci, ce que le Conseil n’a pas fait. La société Aman Dimashq ayant été activement impliquée dans le projet immobilier Marota city soutenu par le régime syrien, le Tribunal constate également que le Conseil ne pouvait pas retenir la participation du requérant, en qualité de dirigeant d’Aman Dimashq, dans ledit projet immobilier alors qu’il n’entretenait plus de lien avec cette société.
Enfin, concernant le statut de membre fondateur d’Aman Facilities avec et pour le compte de M. Foz, le Tribunal constate que si le requérant a admis avoir créé cette société, il n’est pas possible d’affirmer, au vu des pièces du dossier, qu’il a agi pour le compte de M. Foz.
Au regard de ce qui précède, le Tribunal conclut que le Conseil n’a pas démontré, à suffisance, le statut du requérant d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie lors de l’adoption des actes de maintien de 2020.
S’agissant, en deuxième lieu, du soutien au régime syrien et de l’avantage qu’aurait tiré le requérant dudit régime en raison de ses activités commerciales, le Tribunal rappelle, tout d’abord, que, pour une personne déterminée, les motifs d’inscription peuvent se recouper et qu’une personne peut, en conséquence, être qualifiée de femme ou d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et être considérée, dans le même temps et au travers des mêmes activités, comme bénéficiant du régime syrien ou comme soutenant celui-ci.
En l’espèce, dès lors qu’il n’était plus président du conseil d’administration d’Aman Dimashq au moment de l’adoption des actes de maintien de 2020, le requérant ne pouvait pas être considéré, du fait de la participation de cette société dans le projet immobilier Marota city, comme bénéficiant du régime syrien ou comme le soutenant. De même, la société Fly Aman n’étant pas encore opérationnelle, aucun élément de preuve ne démontre que le requérant bénéficiait, en sa qualité de partenaire fondateur de celle-ci, du régime syrien ni qu’il le soutenait. Enfin, concernant la société Aman Facilities, le simple fait de constituer une société, et de l’enregistrer pour sa constitution, ne saurait, par ailleurs, être suffisant pour considérer que le requérant tire avantage du régime syrien ou le soutient.
Dès lors, le Tribunal conclut que le second motif d’inscription du nom du requérant en raison de son association avec le régime syrien n’est pas suffisamment étayé par le Conseil et que le maintien du nom du requérant dans les actes de 2020 n’est pas fondé.
Le Tribunal annule en conséquence la décision (PESC) 2020/719 du Conseil et le règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil en tant qu’ils concernent le requérant.
{1} Décision d’exécution (PESC) 2019/87 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 13) et règlement d’exécution (UE) 2019/85 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 4) ; décision (PESC) 2020/719 du Conseil, du 28 mai 2020, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 168, p. 66) et règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil, du 28 mai 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 168, p. 1).
{2} Décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75).
{3} Règlement (UE) nº 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) no 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1).
Arrêt du 24 novembre 2021, Assi / Conseil (T-256/19) (cf. points 96, 104, 107, 109, 114)
M. Khaldoun Al Zoubi est un homme d’affaires de nationalité syrienne ayant, selon le Conseil, des intérêts et des activités dans de multiples secteurs de l’économie syrienne. Son nom avait été inscrit en janvier 2019{1} sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil puis y avait été maintenu en mai 2019 et en mai 2020{2}, en tant qu’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, vice-président d’Aman Holding et actionnaire majoritaire d’une compagnie aérienne, activités au titre desquelles il entretenait des liens avec M. Samer Foz, inscrit lui aussi sur les listes. Le Conseil de l’Union européenne avait également indiqué que la société Aman Holding détenait une participation majoritaire dans Aman Dimashq, une entreprise active dans la construction d’un projet immobilier et commercial haut de gamme appuyé par le régime syrien et que M. Khaldoun Al Zoubi profitait du régime syrien et le soutenait.
Ces motifs s’appuyaient, d’une part, sur le critère de l’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, défini au paragraphe 2, sous a), de l’article 27 et de l’article 28 de la décision 2013/255{3}, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et au paragraphe 1 bis, sous a), de l’article 15 du règlement nº 36/2012{4}, tel que modifié par le règlement 2015/1828, et, d’autre part, sur le critère de l’association avec le régime syrien défini au paragraphe 1 de l’article 27 et de l’article 28 de ladite décision et au paragraphe 1, sous a), de l’article 15 dudit règlement.
Le Tribunal accueille le recours en annulation du requérant à l’encontre des actes attaqués (ci-après les « actes initiaux », les « actes de maintien de 2019 » et les « actes de maintien de 2020 »), la détention d’intérêts dans une seule entité ne démontrant pas, à elle seule, l’existence d’intérêts et d’activités dans de multiples secteurs de l’économie justifiant la qualification d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie.
Appréciation du Tribunal
S’agissant, en premier lieu, du statut prétendu d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, le Tribunal examine les éléments de preuve soumis tant par le Conseil que par le requérant au sujet des activités économiques de ce dernier.
Concernant le statut d’actionnaire majoritaire de la compagnie aérienne Fly Aman, le Tribunal constate, tout d’abord, que ce motif n’est finalement fondé que pour les actes initiaux, le requérant ayant démontré qu’il n’en était plus l’actionnaire majoritaire à la date d’adoption des actes de maintien de 2019 et de 2020. Concernant le statut de vice-président d’Aman Holding, le Tribunal constate également que le requérant a valablement démontré qu’il n’occupait pas un tel poste. Dès lors, concernant la participation de cette société au conseil d’administration d’Aman Dimashq, une entreprise impliquée dans le projet immobilier Marota city soutenu par le régime syrien, le Conseil ne pouvait pas retenir, afin de démontrer le statut d’homme d’affaires influent du requérant, la participation d’Aman Holding dans ledit projet immobilier et la qualité prétendue de vice-président d’Aman Holding du requérant, alors que celui-ci n’était qu’un employé d’Aman Holding et qu’il ne siégeait pas au conseil d’administration d’Aman Dimashq. Concernant les liens du requérant avec M. Samer Foz, le Tribunal constate, par ailleurs, que le Conseil n’a pas apporté d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles d’étayer de manière suffisante les liens existants entre le requérant et M. Foz. Concernant, enfin, la constitution de la société Asas Iron Company, le Tribunal constate que le requérant a valablement démontré qu’il ne détenait, à la date d’adoption des actes de maintien de 2020, aucune part dans cette société et qu’il n’en était pas membre fondateur.
Au regard de ce qui précède, le Tribunal conclut que le Conseil, en ne se fondant, valablement, dans les seuls actes initiaux, que sur la qualité du requérant d’actionnaire majoritaire de Fly Aman, n’est pas parvenu à démontrer que le requérant était un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie. S’agissant des actes de maintien de 2019 et de 2020, il constate que le Conseil n’est également pas parvenu à démontrer que le requérant possédait le statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie à la date d’adoption desdits actes. Partant, le Tribunal conclut que le premier motif d’inscription n’est pas suffisamment étayé.
S’agissant, en deuxième lieu, du soutien au régime syrien et de l’avantage qu’aurait tiré le requérant dudit régime, le Tribunal rappelle, tout d’abord, que, pour une personne déterminée, les motifs d’inscription peuvent se recouper et qu’une personne peut, en conséquence, être qualifiée de femme ou d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et être considérée, dans le même temps et au travers des mêmes activités, comme bénéficiant du régime syrien ou comme soutenant celui-ci.
En l’espèce, dès lors qu’il n’était pas vice-président d’Aman Holding au moment de l’adoption des actes attaqués, le requérant ne pouvait pas être considéré comme bénéficiant du régime syrien à ce titre, ni le soutenir en raison de sa participation au projet Marota city. De même, le requérant n’étant plus actionnaire majoritaire de Fly Aman, le Tribunal constate qu’aucun élément de preuve ne démontre que le requérant bénéficiait, en cette qualité, du régime syrien ou qu’il le soutenait. Le Conseil n’ayant pas apporté un faisceau d’indices concrets, précis et concordants susceptible de mettre en évidence le fait que le requérant soutenait le régime syrien et en tirait avantage, le Tribunal conclut que l’inscription du nom du requérant n’est également pas fondée sous ce motif.
Il annule, en conséquence, les actes attaqués en tant qu’ils concernent le requérant.
{1} Décision d’exécution (PESC) 2019/87 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 13) et règlement d’exécution (UE) 2019/85 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 4).
{2} Décision (PESC) 2019/806 du Conseil, du 17 mai 2019, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2019, L 132, p. 36) et règlement d’exécution (UE) 2019/798 du Conseil, du 17 mai 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2019, L 132, p. 1) ; décision (PESC) 2020/719 du Conseil, du 28 mai 2020, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 168, p. 66) et règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil, du 28 mai 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 168, p. 1).
{3} Décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75).
{4} Règlement (UE) nº 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) nº 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1).
Arrêt du 24 novembre 2021, Al Zoubi / Conseil (T-257/19) (cf. points 55, 70, 73, 80)
Arrêt du 24 novembre 2021, Foz / Conseil (T-258/19) (cf. points 90, 104, 107, 108, 116)
229. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Gel des fonds et des ressources économiques - Recours en annulation d'un homme d'affaires influent exerçant ses activités en Syrie visé par une décision de gel des fonds - Répartition de la charge de la preuve - Décision fondée sur un faisceau d'indices - Valeur probante - Portée
Le requérant, M. Maher Al-Imam, est un homme d’affaires de nationalité syrienne ayant des intérêts financiers dans le tourisme, les télécommunications et l’immobilier.
Son nom avait été inscrit en 2020 sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil{1}, puis y avait été maintenu{2}, aux motifs qu’il était un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, qu’il tirait avantage du régime syrien et qu’il soutenait sa politique de financement ainsi que sa politique de construction, en tant que directeur général de Telsa Group LLC et Castro LLC, appuyés par le régime, et du fait de ses autres intérêts financiers. Ces motifs s’appuyaient, d’une part, sur le critère d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, défini à l’article 27, paragraphe 2, sous a), et à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255{3}, telle que modifiée par la décision 2015/1836, ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), du règlement nº 36/2012{4}, tel que modifié par le règlement 2015/1828, et, d’autre part, sur le critère d’association avec le régime syrien défini à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28, paragraphe 1, de ladite décision ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1, sous a), dudit règlement.
Le Tribunal rejette le recours présenté par le requérant tant en annulation des actes attaqués qu’en réparation du préjudice prétendument subi du fait de ces actes, en examinant notamment le caractère raisonnable, au regard du droit d’être entendu, du délai de présentation devant le Conseil des demandes de réexamen des mesures restrictives susceptibles d’être présentées par les personnes inscrites sur les listes.
Appréciation du Tribunal
Concernant, en premier lieu, la question de savoir si le droit d’être entendu du requérant a été violé du fait de la brièveté du délai pour déposer une demande de réexamen, le Tribunal constate, tout d’abord, que ce délai était de huit jours ouvrables, à compter du jour de la publication au Journal officiel de l’Union européenne de l’avis à l’attention des personnes et entités faisant l’objet des mesures en cause jusqu’à la date limite indiquée par cet avis pour la présentation de ladite demande. Il relève ensuite que le règlement nº 36/2012 ne prévoit pas de limite de temps pour la présentation d’une demande de réexamen ou d’observations.
Dans ce contexte, le Tribunal rappelle que l’obligation d’observer un délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives constitue un principe général du droit de l’Union dont le juge de l’Union assure le respect et qui est une composante du droit à une bonne administration consacré par l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il découle également de la jurisprudence que, lorsque la durée de la procédure n’est pas fixée par une disposition du droit de l’Union, le caractère « raisonnable » du délai doit être apprécié en fonction de l’ensemble des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire et du comportement des parties.
En l’espèce, le Tribunal estime que fixer une date limite pour la présentation des demandes de réexamen est un moyen légitime pour le Conseil de s’assurer de recevoir les observations et preuves soumises par les personnes et entités concernées avant la fin de la phase de réexamen et d’avoir le temps suffisant pour les examiner avec la diligence requise. Il considère que le délai, de douze jours, qui découlait de la fixation de la date limite, était, certes, un délai court, puisqu’il impliquait, pour le requérant, de prendre connaissance de l’avis, du contenu des motifs d’inscription et de procéder à la rédaction des observations pouvant être assorties d’éléments de preuve. Toutefois, il note, d’une part, qu’aucun formalisme n’est imposé pour la présentation d’une demande de réexamen et, d’autre part, que le dépôt d’une demande de réexamen ouvre un dialogue entre le Conseil et la personne ou l’entité concernée qui n’est limité ni dans le temps ni dans le nombre de courriers échangés. Dès lors, rien ne s’oppose à ce qu’une demande de réexamen contenant des observations sommaires soit déposée dans le délai imparti, puis soit complétée, le cas échéant, par d’autres observations ou d’autres preuves au cours d’un échange contradictoire subséquent avec le Conseil. Ainsi, le Tribunal conclut que le délai de douze jours imparti par le Conseil dans l’avis publié au Journal officiel du 18 février 2020 pour présenter une demande de réexamen ne permet pas de considérer que le droit d’être entendu du requérant aurait été violé.
En tout état de cause, dans la mesure où le requérant peut, à tout moment, conformément à l’article 32, paragraphe 3, du règlement nº 36/2012, présenter une telle demande ou des observations dans ce sens, le Tribunal souligne que la date limite fixée par le Conseil dans l’avis publié au Journal officiel n’avait qu’une visée purement indicative. En effet, une telle indication est utile afin de permettre aux personnes et entités concernées de déposer leur demande de réexamen avant que la phase de réexamen interne au Conseil ne soit terminée et avant que de nouveaux actes ne soient adoptés par le Conseil.
Concernant, en second lieu, les arguments du requérant tirés, d’une part, du fait que les éventuelles observations présentées ne font pas l’objet d’une analyse immédiate et, d’autre part, du fait que le Conseil décide d’examiner les listes en cause seulement une fois par an, le Tribunal rappelle que le requérant peut, à tout moment, présenter des observations auxquelles le Conseil répondra sans attendre l’échéance annuelle. Il relève en outre que, selon l’article 34 de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, cette décision fait l’objet d’un suivi constant, de sorte qu’elle est prorogée, ou modifiée le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints.
{1} Décision d’exécution (PESC) 2020/212 du Conseil, du 17 février 2020, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 43l, p. 6) et règlement d’exécution (UE) 2020/211 du Conseil, du 17 février 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 43l, p. 1)
{2} Décision (PESC) 2020/719 du Conseil, du 28 mai 2020, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 168, p. 66) et règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil, du 28 mai 2020 mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 168, p. 1).
{3} Décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75).
{4} Règlement (UE) nº 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) nº 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1).
M. Bashar Assi est un homme d’affaires de nationalité syrienne ayant des intérêts et des activités dans de multiples secteurs de l’économie syrienne. Son nom avait été inscrit en janvier 2019, puis maintenu en mai 2019 et en mai 2020, sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil de l’Union européenne{1} en tant que, premièrement, partenaire fondateur d’une compagnie aérienne ; deuxièmement, président du conseil d’administration d’Aman Dimashq, une entreprise active dans la construction d’un projet immobilier et commercial haut de gamme appuyé par le régime syrien ; et, troisièmement, à partir de 2020, du fait de la création de la société Aman Facilities avec M. Samer Foz, lequel est également inscrit sur les listes, et pour le compte de ce dernier. Ces activités avaient été considérées par le Conseil comme permettant à M. Bashar Assi de tirer avantage du régime syrien et de le soutenir.
Ces motifs s’appuyaient, d’une part, sur le critère de l’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, défini au paragraphe 2, sous a), de l’article 27 et de l’article 28 de la décision 2013/255{2}, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et au paragraphe 1 bis, sous a), de l’article 15 du règlement nº 36/2012{3}, tel que modifié par le règlement 2015/1828, et, d’autre part, sur le critère de l’association avec le régime syrien défini au paragraphe 1 de l’article 27 et de l’article 28 de ladite décision et au paragraphe 1, sous a), de l’article 15 dudit règlement.
Le Tribunal accueille le recours en annulation du requérant à l’encontre de la décision (PESC) 2020/719 et du règlement d’exécution (UE) 2020/716 (ci-après les « actes de maintien de 2020 »), le Conseil, qui s’était notamment appuyé sur des activités passées du requérant, n’ayant pas réuni d’indices suffisamment concrets, précis et concordants aux fins d’établir le bien-fondé desdits motifs d’inscription, au regard notamment des éléments de preuve contraires apportés par le requérant.
Appréciation du Tribunal
S’agissant, en premier lieu, du statut prétendu d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, le Tribunal examine les éléments de preuve soumis tant par le Conseil que par le requérant au sujet des activités économiques de ce dernier.
Concernant le statut de président du conseil d’administration d’Aman Dimashq, le Tribunal considère que si le Conseil entendait se fonder sur des activités passées du requérant, dans les actes de maintien de 2020, il devait avancer des indices sérieux et concordants permettant raisonnablement de considérer que l’intéressé, après avoir démissionné de ladite structure en mai 2019, maintenait des liens avec celle-ci, ce que le Conseil n’a pas fait. La société Aman Dimashq ayant été activement impliquée dans le projet immobilier Marota city soutenu par le régime syrien, le Tribunal constate également que le Conseil ne pouvait pas retenir la participation du requérant, en qualité de dirigeant d’Aman Dimashq, dans ledit projet immobilier alors qu’il n’entretenait plus de lien avec cette société.
Enfin, concernant le statut de membre fondateur d’Aman Facilities avec et pour le compte de M. Foz, le Tribunal constate que si le requérant a admis avoir créé cette société, il n’est pas possible d’affirmer, au vu des pièces du dossier, qu’il a agi pour le compte de M. Foz.
Au regard de ce qui précède, le Tribunal conclut que le Conseil n’a pas démontré, à suffisance, le statut du requérant d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie lors de l’adoption des actes de maintien de 2020.
S’agissant, en deuxième lieu, du soutien au régime syrien et de l’avantage qu’aurait tiré le requérant dudit régime en raison de ses activités commerciales, le Tribunal rappelle, tout d’abord, que, pour une personne déterminée, les motifs d’inscription peuvent se recouper et qu’une personne peut, en conséquence, être qualifiée de femme ou d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et être considérée, dans le même temps et au travers des mêmes activités, comme bénéficiant du régime syrien ou comme soutenant celui-ci.
En l’espèce, dès lors qu’il n’était plus président du conseil d’administration d’Aman Dimashq au moment de l’adoption des actes de maintien de 2020, le requérant ne pouvait pas être considéré, du fait de la participation de cette société dans le projet immobilier Marota city, comme bénéficiant du régime syrien ou comme le soutenant. De même, la société Fly Aman n’étant pas encore opérationnelle, aucun élément de preuve ne démontre que le requérant bénéficiait, en sa qualité de partenaire fondateur de celle-ci, du régime syrien ni qu’il le soutenait. Enfin, concernant la société Aman Facilities, le simple fait de constituer une société, et de l’enregistrer pour sa constitution, ne saurait, par ailleurs, être suffisant pour considérer que le requérant tire avantage du régime syrien ou le soutient.
Dès lors, le Tribunal conclut que le second motif d’inscription du nom du requérant en raison de son association avec le régime syrien n’est pas suffisamment étayé par le Conseil et que le maintien du nom du requérant dans les actes de 2020 n’est pas fondé.
Le Tribunal annule en conséquence la décision (PESC) 2020/719 du Conseil et le règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil en tant qu’ils concernent le requérant.
{1} Décision d’exécution (PESC) 2019/87 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 13) et règlement d’exécution (UE) 2019/85 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 4) ; décision (PESC) 2020/719 du Conseil, du 28 mai 2020, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 168, p. 66) et règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil, du 28 mai 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 168, p. 1).
{2} Décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75).
{3} Règlement (UE) nº 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) no 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1).
M. Khaldoun Al Zoubi est un homme d’affaires de nationalité syrienne ayant, selon le Conseil, des intérêts et des activités dans de multiples secteurs de l’économie syrienne. Son nom avait été inscrit en janvier 2019{1} sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil puis y avait été maintenu en mai 2019 et en mai 2020{2}, en tant qu’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, vice-président d’Aman Holding et actionnaire majoritaire d’une compagnie aérienne, activités au titre desquelles il entretenait des liens avec M. Samer Foz, inscrit lui aussi sur les listes. Le Conseil de l’Union européenne avait également indiqué que la société Aman Holding détenait une participation majoritaire dans Aman Dimashq, une entreprise active dans la construction d’un projet immobilier et commercial haut de gamme appuyé par le régime syrien et que M. Khaldoun Al Zoubi profitait du régime syrien et le soutenait.
Ces motifs s’appuyaient, d’une part, sur le critère de l’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, défini au paragraphe 2, sous a), de l’article 27 et de l’article 28 de la décision 2013/255{3}, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et au paragraphe 1 bis, sous a), de l’article 15 du règlement nº 36/2012{4}, tel que modifié par le règlement 2015/1828, et, d’autre part, sur le critère de l’association avec le régime syrien défini au paragraphe 1 de l’article 27 et de l’article 28 de ladite décision et au paragraphe 1, sous a), de l’article 15 dudit règlement.
Le Tribunal accueille le recours en annulation du requérant à l’encontre des actes attaqués (ci-après les « actes initiaux », les « actes de maintien de 2019 » et les « actes de maintien de 2020 »), la détention d’intérêts dans une seule entité ne démontrant pas, à elle seule, l’existence d’intérêts et d’activités dans de multiples secteurs de l’économie justifiant la qualification d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie.
Appréciation du Tribunal
S’agissant, en premier lieu, du statut prétendu d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, le Tribunal examine les éléments de preuve soumis tant par le Conseil que par le requérant au sujet des activités économiques de ce dernier.
Concernant le statut d’actionnaire majoritaire de la compagnie aérienne Fly Aman, le Tribunal constate, tout d’abord, que ce motif n’est finalement fondé que pour les actes initiaux, le requérant ayant démontré qu’il n’en était plus l’actionnaire majoritaire à la date d’adoption des actes de maintien de 2019 et de 2020. Concernant le statut de vice-président d’Aman Holding, le Tribunal constate également que le requérant a valablement démontré qu’il n’occupait pas un tel poste. Dès lors, concernant la participation de cette société au conseil d’administration d’Aman Dimashq, une entreprise impliquée dans le projet immobilier Marota city soutenu par le régime syrien, le Conseil ne pouvait pas retenir, afin de démontrer le statut d’homme d’affaires influent du requérant, la participation d’Aman Holding dans ledit projet immobilier et la qualité prétendue de vice-président d’Aman Holding du requérant, alors que celui-ci n’était qu’un employé d’Aman Holding et qu’il ne siégeait pas au conseil d’administration d’Aman Dimashq. Concernant les liens du requérant avec M. Samer Foz, le Tribunal constate, par ailleurs, que le Conseil n’a pas apporté d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles d’étayer de manière suffisante les liens existants entre le requérant et M. Foz. Concernant, enfin, la constitution de la société Asas Iron Company, le Tribunal constate que le requérant a valablement démontré qu’il ne détenait, à la date d’adoption des actes de maintien de 2020, aucune part dans cette société et qu’il n’en était pas membre fondateur.
Au regard de ce qui précède, le Tribunal conclut que le Conseil, en ne se fondant, valablement, dans les seuls actes initiaux, que sur la qualité du requérant d’actionnaire majoritaire de Fly Aman, n’est pas parvenu à démontrer que le requérant était un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie. S’agissant des actes de maintien de 2019 et de 2020, il constate que le Conseil n’est également pas parvenu à démontrer que le requérant possédait le statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie à la date d’adoption desdits actes. Partant, le Tribunal conclut que le premier motif d’inscription n’est pas suffisamment étayé.
S’agissant, en deuxième lieu, du soutien au régime syrien et de l’avantage qu’aurait tiré le requérant dudit régime, le Tribunal rappelle, tout d’abord, que, pour une personne déterminée, les motifs d’inscription peuvent se recouper et qu’une personne peut, en conséquence, être qualifiée de femme ou d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et être considérée, dans le même temps et au travers des mêmes activités, comme bénéficiant du régime syrien ou comme soutenant celui-ci.
En l’espèce, dès lors qu’il n’était pas vice-président d’Aman Holding au moment de l’adoption des actes attaqués, le requérant ne pouvait pas être considéré comme bénéficiant du régime syrien à ce titre, ni le soutenir en raison de sa participation au projet Marota city. De même, le requérant n’étant plus actionnaire majoritaire de Fly Aman, le Tribunal constate qu’aucun élément de preuve ne démontre que le requérant bénéficiait, en cette qualité, du régime syrien ou qu’il le soutenait. Le Conseil n’ayant pas apporté un faisceau d’indices concrets, précis et concordants susceptible de mettre en évidence le fait que le requérant soutenait le régime syrien et en tirait avantage, le Tribunal conclut que l’inscription du nom du requérant n’est également pas fondée sous ce motif.
Il annule, en conséquence, les actes attaqués en tant qu’ils concernent le requérant.
{1} Décision d’exécution (PESC) 2019/87 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 13) et règlement d’exécution (UE) 2019/85 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 4).
{2} Décision (PESC) 2019/806 du Conseil, du 17 mai 2019, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2019, L 132, p. 36) et règlement d’exécution (UE) 2019/798 du Conseil, du 17 mai 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2019, L 132, p. 1) ; décision (PESC) 2020/719 du Conseil, du 28 mai 2020, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 168, p. 66) et règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil, du 28 mai 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 168, p. 1).
{3} Décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75).
{4} Règlement (UE) nº 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) nº 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1).
Le requérant, M. Abdelkader Sabra, est un homme d’affaires de nationalités syrienne et libanaise ayant notamment des intérêts économiques dans le secteur maritime et dans celui du tourisme.
Son nom avait été inscrit en 2020 sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil{1}, puis y avait été maintenu{2}, aux motifs qu’il était, selon le Conseil, un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, qu’il tirait avantage de ses liens avec le régime syrien pour étendre ses activités dans le secteur de l’immobilier et qu’il fournissait un soutien financier et économique au régime, en tant que magnat des transports maritimes et proche associé d’affaires de M. Rami Makhlouf, soutien du régime et cousin de Bashar Al-Assad, par le biais de sa participation dans la société Cham Holding. M. Abdelkader Sabra avait également été considéré par le Conseil comme ayant été impliqué dans le blanchiment de capitaux et des activités commerciales en soutien au régime syrien. Ces motifs s’appuyaient, d’une part, sur le critère de l’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, défini à l’article 27, paragraphe 2, sous a), et à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255{3}, telle que modifiée par la décision 2015/1836, ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), du règlement no 36/2012{4}, tel que modifié par le règlement 2015/1828, et, d’autre part, sur le critère de l’association avec le régime syrien défini à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28, paragraphe 1, de ladite décision ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1, sous a), dudit règlement.
Le Tribunal accueille le recours en annulation présenté par le requérant en constatant, pour la première fois, le renversement de la présomption de lien entre les femmes et hommes d’affaires influents exerçant en Syrie et le régime syrien, tout en précisant, au sujet du critère de l’association avec le régime syrien, le standard de preuve exigé pour reconnaître qu’une personne ou une entité soutient ou bénéficie dudit régime.
Appréciation du Tribunal
S’agissant, en premier lieu, de la présomption réfragable de lien avec le régime syrien appliquée aux femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie, le Tribunal examine tout d’abord les preuves fournies par le Conseil afin de déterminer quels sont les liens entre les activités économiques du requérant et le régime syrien. Il observe que les seuls éléments avancés par le Conseil à cet égard, en plus du recours à la présomption de lien avec le régime syrien, concernent, d’une part, la conclusion d’un contrat par la société Phoenicia Tourism Company, appartenant au requérant, avec le ministère du Tourisme syrien, relatif à la réalisation d’un projet touristique. D’autre part, ils se rapportent au fait que la société Cham Holding, appartenant à M. Rami Makhlouf, dont le requérant détenait des parts mais avait démontré avoir quitté le conseil d’administration, entretient des liens avec le régime syrien. Concernant la société Phoenicia Tourism Company, le Tribunal juge que pour démontrer le lien avec le régime syrien, au sens défini par le considérant 6 de la décision 2015/1836, le Conseil ne peut pas se prévaloir d’un contrat, bien que conclu avec un ministère syrien, si les circonstances entourant la conclusion de ce contrat et sa mise en œuvre ne sont pas claires. Concernant Cham Holding et M. Rami Makhlouf, il constate que le Conseil n’explique pas comment le requérant maintiendrait, alors qu’il s’est éloigné de Cham Holding, des liens particuliers avec ces derniers et, plus largement, avec le régime syrien. Le Tribunal conclut que le Conseil ne se prévaut que de la présomption de lien avec le régime syrien pour établir le lien entre le requérant et ledit régime et qu’il lui revient dès lors d’apprécier si les éléments avancés par le requérant sont susceptibles ou non de renverser la présomption de lien avec le régime syrien.
S’agissant des différentes déclarations produites par le requérant à cet égard, le Tribunal rappelle que celles-ci doivent être appréciées au regard des principes de libre administration et de libre appréciation de la preuve, tels que consacrés par la jurisprudence. S’agissant des quatre témoignages favorables au requérant, qui ont été fournis par celui-ci et qui émanent de tierces personnes, le Tribunal constate que les déclarations en cause ont été établies par leurs auteurs à l’attention expresse du Tribunal pour les besoins de la présente procédure, sans qu’il puisse être présumé que ceux-ci se seraient concertés pour ce faire, et qu’elles concordent toutes en décrivant le requérant comme étant ouvertement critique à l’égard du régime syrien et comme ayant fourni des aides financières au bénéfice d’organisations humanitaires et civiles venant en aide aux réfugiés syriens. Des éléments objectifs présents dans le dossier venant corroborer leur contenu, le Tribunal reconnaît un caractère sensé et fiable auxdites déclarations. Le Conseil n’ayant, en outre, avancé aucun élément visant à discréditer le contenu desdites déclarations, le Tribunal conclut que ces déclarations démontrent que le requérant s’est distancié du régime syrien et finance des missions humanitaires venant en aide aux réfugiés syriens.
Le requérant ayant, par ailleurs, utilement mis en doute l’affirmation selon laquelle il serait un proche associé d’affaires de M. Rami Makhlouf, le Tribunal considère qu’il est peu probable que le requérant entretienne des liens avec le régime syrien, de sorte qu’il n’apparait pas certain que le requérant, du fait des mesures restrictives adoptées à son encontre, soit amené à exercer sur le régime syrien l’influence nécessaire pour accroître la pression sur ce dernier afin qu’il modifie sa politique de répression. L’une des possibilités, pour une partie requérante, de renverser la présomption de lien avec le régime syrien étant d’apporter un faisceau d’indices de l’absence d’influence sur le régime syrien, il constate que le requérant est parvenu à renverser ladite présomption et que le premier motif d’inscription du nom du requérant, lié au statut d’homme d’affaires « influent » exerçant ses activités en Syrie, n’est, dès lors, pas établi à suffisance de droit.
S’agissant, en second lieu, du second motif d’inscription relatif à l’association avec le régime syrien, le Tribunal précise qu’il est nécessaire, pour étayer ledit motif, que le Conseil ait démontré à suffisance de droit que c’est bien en raison de liens avec le régime syrien que le requérant a obtenu le contrat avec le ministère du Tourisme syrien. En effet, il ne saurait être admis que le simple fait de remporter un appel d’offres, quand bien même il a abouti à la conclusion d’un contrat avec un ministère du régime syrien, soit suffisant pour conclure à l’existence de liens permettant à la personne intéressée de tirer avantage de ce régime, au sens de l’article 27, paragraphe 1, et de l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836. Le Tribunal conclut que le Conseil n’a pas démontré à suffisance de droit que le requérant avait tiré avantage de ses liens avec le régime syrien pour obtenir ledit contrat et étendre ainsi ses activités dans le secteur du tourisme.
Il annule, en conséquence, les actes attaqués en tant qu’ils concernent le requérant.
{1} Décision d’exécution (PESC) 2020/212 du Conseil, du 17 février 2020, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 43 I, p. 6) et règlement d’exécution (UE) 2020/211 du Conseil, du 17 février 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 43 I, p. 1).
{2} Décision (PESC) 2020/719 du Conseil, du 28 mai 2020, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 168, p. 66) et règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil, du 28 mai 2020 mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 168, p. 1).
{3} Décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75).
{4} Règlement (UE) nº 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) nº 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1).
Arrêt du 16 mars 2022, Sabra / Conseil (T-249/20) (cf. points 53, 56, 81, 82, 85, 96, 107, 127)
230. Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Personne morale - Notion autonome du droit de l'Union - Exigence d'une personnalité juridique et de la capacité d'ester en justice
Les présentes affaires portent sur des recours en annulation introduits par le Front populaire pour la libération de la Saguia el-Hamra et du Rio de oro (Front Polisario) (ci-après le « requérant ») contre deux décisions du Conseil approuvant la conclusion d’accords entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc{1}.
Les accords approuvés par les décisions attaquées (ci-après les « accords litigieux ») sont le résultat de négociations menées au nom de l’Union, avec le Maroc, à la suite de deux arrêts prononcés par la Cour{2}, en vue de modifier des accords antérieurs. D’une part, il s’agissait de conclure un accord modifiant les protocoles de l’accord d’association euro-méditerranéen{3} relatifs au régime applicable à l’importation, dans l’Union européenne, des produits agricoles originaires du Maroc, et à la définition de la notion de « produits originaires », pour étendre aux produits originaires du Sahara occidental exportés sous le contrôle des autorités douanières marocaines, le bénéfice des préférences tarifaires octroyées aux produits d’origine marocaine exportés dans l’Union. D’autre part, le but était de modifier l’accord de pêche entre la Communauté européenne et le Maroc{4} et, notamment, d’inclure dans le champ d’application de cet accord les eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental.
Par requêtes déposées en 2019, le requérant a demandé l’annulation des décisions attaquées. Affirmant agir « au nom du peuple sahraoui », il fait notamment valoir que, en approuvant, par les décisions attaquées, les accords litigieux sans le consentement de ce peuple, le Conseil a violé les obligations qui incombaient à l’Union dans le cadre de ses relations avec le Maroc, en vertu du droit de l’Union et du droit international. En effet, selon le requérant, ces accords s’appliquent au Sahara occidental, prévoient l’exploitation de ses ressources naturelles et favorisent la politique d’annexion de ce territoire par le Maroc. En outre, le second de ces accords s’appliquerait également aux eaux adjacentes à ce territoire. En particulier, le requérant soutient que ces accords ne sont pas conformes à la jurisprudence de la Cour énoncée dans les arrêts Conseil/Front Polisario (C-104/16 P) et Western Sahara Campaign UK (C-266/16), qui aurait exclu une telle application territoriale.
Par ses arrêts dans l’affaire T-279/19, d’une part, et dans les affaires jointes T-344/19 et T-356/19, d’autre part, le Tribunal annule les décisions attaquées, tout en décidant que les effets desdites décisions sont maintenus pendant une certaine période{5}, car leur annulation avec effet immédiat est susceptible d’avoir des conséquences graves sur l’action extérieure de l’Union et de remettre en cause la sécurité juridique des engagements internationaux auxquels elle a consenti. En revanche, le Tribunal rejette comme irrecevable le recours du requérant dans l’affaire T 356/19 contre le règlement relatif à la répartition des possibilités de pêche au titre de l’accord de pêche, pour défaut d’affectation directe{6}.
Appréciation du Tribunal
Sur la recevabilité des recours
En premier lieu, le Tribunal vérifie si le requérant dispose de la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union. En effet, selon le Conseil et les intervenants, le requérant ne possède pas la personnalité juridique en vertu du droit interne d’un État membre, n’est pas un sujet de droit international, et ne satisfait pas aux critères établis par les juridictions de l’Union en vue de reconnaître la capacité d’ester en justice à une entité dépourvue de la personnalité juridique. Selon eux, le requérant ne serait donc pas une personne morale au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
Faisant référence à la jurisprudence antérieure, le Tribunal précise que celle-ci n’exclut pas que la capacité d’agir devant le juge de l’Union soit reconnue à une entité, indépendamment de sa personnalité juridique de droit interne, notamment si les exigences de la protection juridictionnelle effective l’imposent, une interprétation restrictive de la notion de personne morale devant être écartée. Examinant la question de l’existence de la personnalité juridique du requérant en droit international public, le Tribunal estime que le rôle et la représentativité du requérant sont de nature à lui conférer la capacité d’ester en justice devant le juge de l’Union.
À cet égard, le Tribunal constate que le requérant est reconnu sur le plan international en tant que représentant du peuple du Sahara occidental, même à supposer que cette reconnaissance s’inscrive dans le cadre limité du processus d’autodétermination de ce territoire. En outre, sa participation à ce processus implique qu’il dispose de l’autonomie et de la responsabilité nécessaires pour agir dans ce cadre. Enfin, les exigences de la protection juridictionnelle effective imposent de reconnaître au requérant la capacité d’introduire un recours devant le Tribunal pour défendre le droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental. Le Tribunal en conclut donc que le requérant est une personne morale, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE et rejette la fin de non-recevoir du Conseil.
En second lieu, le Tribunal examine la fin de non-recevoir du Conseil tirée du défaut de qualité pour agir du requérant. Quant au point de savoir si le requérant est directement concerné par les décisions attaquées, il relève qu’une décision de conclusion, au nom de l’Union, d’un accord international est un élément constitutif dudit accord et que, partant, les effets de la mise en œuvre de cet accord sur la situation juridique d’un tiers sont pertinents pour apprécier son affectation directe par la décision en cause. En l’espèce, afin de défendre les droits que le peuple du Sahara occidental tire des règles de droit international liant l’Union, le requérant doit pouvoir invoquer les effets des accords litigieux sur ces droits pour établir son affectation directe. Or, le Tribunal estime que, dans la mesure où les accords litigieux s’appliquent explicitement au Sahara occidental ainsi que, en ce qui concerne le second de ces accords, aux eaux adjacentes à celui-ci, ils affectent le peuple de ce territoire et impliquaient de recueillir son consentement. Par conséquent, le Tribunal en conclut que les décisions attaquées produisent des effets directs sur la situation juridique du requérant en tant que représentant de ce peuple et en tant que partie au processus d’autodétermination sur ce territoire. Enfin, le Tribunal relève que la mise en œuvre des accords litigieux, en ce qui concerne leur application territoriale, présente un caractère purement automatique et ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à leurs destinataires.
En ce qui concerne l’affectation individuelle du requérant, le Tribunal constate que, eu égard aux circonstances ayant conduit à conclure à son affectation directe, en particulier à sa situation juridique en tant que représentant du peuple du Sahara occidental et partie au processus d’autodétermination sur ce territoire, le requérant doit être considéré comme affecté par les décisions attaquées en raison de qualités qui lui sont particulières et qui l’individualisent d’une manière analogue à celle dont le serait le destinataire de ces décisions.
Sur le bien-fondé des recours
En ce qui concerne le fond et, plus particulièrement, la question de savoir si le Conseil a violé l’obligation de se conformer à la jurisprudence de la Cour relative aux règles de droit international applicables aux accords litigieux, le Tribunal constate que, dans l’arrêt Conseil/Front Polisario, la Cour a déduit du principe d’autodétermination et du principe de l’effet relatif des traités des obligations claires, précises et inconditionnelles s’imposant à l’égard du Sahara occidental dans le cadre des relations entre l’Union et le Maroc, à savoir, d’une part, le respect de son statut séparé et distinct et, d’autre part, l’obligation de s’assurer du consentement de son peuple en cas de mise en œuvre de l’accord d’association sur ce territoire. Dès lors, le requérant doit pouvoir invoquer la violation desdites obligations à l’encontre des décisions attaquées, dans la mesure où cette violation peut affecter ledit peuple, en tant que tiers à un accord conclu entre l’Union et le Maroc. Dans ce contexte, le Tribunal écarte l’argument avancé par le requérant selon lequel il serait juridiquement impossible pour l’Union et le Maroc de conclure un accord explicitement applicable au Sahara occidental, cette hypothèse n’étant pas exclue par le droit international tel qu’interprété par la Cour.
En revanche, le Tribunal accueille l’argument du requérant par lequel il fait valoir que l’exigence relative au consentement du peuple du Sahara occidental, en tant que tiers aux accords litigieux, au sens du principe de l’effet relatif des traités, n’a pas été respectée.
À cet égard, d’une part, le Tribunal considère que la règle du droit international, selon laquelle le consentement d’un tiers à un accord international peut être présumé, lorsque les parties à cet accord ont entendu lui accorder des droits, n’est pas applicable en l’espèce, les accords litigieux ne visant pas à accorder des droits audit peuple, mais lui imposant, en revanche, des obligations.
D’autre part, le Tribunal relève que, lorsqu’une règle de droit international exige le consentement d’une partie ou d’un tiers, l’expression de ce consentement conditionne la validité de l’acte pour lequel il est requis, la validité dudit consentement lui-même dépend de son caractère libre et authentique et ledit acte est opposable à la partie ou au tiers y ayant valablement consenti. Cependant, les démarches entreprises par les autorités de l’Union avant la conclusion des accords litigieux ne peuvent pas être considérées comme ayant permis de recueillir le consentement du peuple du Sahara occidental à ces accords, conformément au principe de l’effet relatif des traités, tel qu’interprété par la Cour. Le Tribunal précise, à cet égard, que le pouvoir d’appréciation des institutions dans le cadre des relations extérieures ne leur permettait pas, en l’espèce, de décider si elles pouvaient se conformer ou non à cette exigence.
En particulier, le Tribunal constate, tout d’abord, que, eu égard à la portée juridique, en droit international, de la notion de « peuple », d’une part, et de la notion de « consentement », d’autre part, les « consultations » des « populations concernées » organisées par les institutions n’ont pu aboutir à l’expression du consentement du peuple du Sahara occidental. Ainsi cette approche a-t-elle permis, tout au plus, de recueillir l’opinion de parties concernées, sans que cette opinion conditionne la validité des accords litigieux et lie ces parties de sorte que ces accords leur seraient opposables. Ensuite, le Tribunal considère que les différents éléments relatifs à la situation particulière du Sahara occidental, invoqués par le Conseil, ne démontrent pas l’impossibilité de recueillir, en pratique, le consentement du peuple du Sahara occidental aux accords litigieux, en tant que tiers à ceux-ci. Enfin, le Tribunal relève que les institutions ne sauraient valablement se fonder sur la lettre du 29 janvier 2002 du conseiller juridique de l’ONU pour substituer le critère des bénéfices des accords litigieux pour les populations concernées à l’exigence de l’expression dudit consentement. Le Tribunal en conclut que le Conseil n’a pas suffisamment pris en compte tous les éléments pertinents relatifs à la situation du Sahara occidental et a considéré, à tort, qu’il disposait d’une marge d’appréciation pour décider s’il y avait lieu de se conformer à cette exigence.
{1} Décision (UE) 2019/217 du Conseil, du 28 janvier 2019, relative à la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc sur la modification des protocoles nº 1 et nº 4 de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part (JO L 34, p. 1), et décision (UE) 2019/441 du Conseil, du 4 mars 2019, relative à la conclusion de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc, de son protocole de mise en œuvre ainsi que de l’échange de lettres accompagnant l’accord (JO L 77, p. 4), ci-après « les décisions attaquées ».
{2} Arrêts du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C-104/16 P, EU:C:2016:973, voir CP n.º 146/16), et du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C-266/16, EU:C:2018:118, voir CP n.º 21/18). Dans ces arrêts, la Cour a précisé que l’accord d’association ne couvrait que le territoire du Maroc et pas le Sahara occidental, et que ni l’accord de pêche ni son protocole de mise en œuvre ne sont applicables aux eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental.
{3} Accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part (JO L 70, 2000, p. 2).
{4} Accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et le Royaume du Maroc (JO L 141, 2006, p. 4).
{5} À savoir une période ne pouvant excéder le délai de deux mois pour former un pourvoi ou la date de prononcé de l’arrêt de la Cour statuant sur un éventuel pourvoi.
{6} Règlement (UE) 2019/440, relatif à la répartition des possibilités de pêche au titre de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc et de son protocole de mise en œuvre (JO 2019, L 77, p. 1).
Arrêt du 29 septembre 2021, Front Polisario / Conseil (T-279/19) (cf. points 83-85)
Arrêt du 29 septembre 2021, Front Polisario / Conseil (T-344/19 et T-356/19) (cf. points 134-136)
231. Recours en annulation - Recours introduit par la personne physique ou morale destinataire de l'acte attaqué - Notion de personne destinataire - Simple mention du nom de la personne dans ledit acte - Exclusion
Ordonnance du 5 octobre 2021, Junqueras i Vies / Parlement (T-613/20) (cf. points 26, 28)
232. Recours en annulation - Recevabilité - Examen d'un moyen sur le fond sans statuer préalablement sur sa recevabilité - Pouvoir d'appréciation du juge de l'Union
Arrêt du 13 octobre 2021, Aupicon e.a. / SEAE (T-655/18) (cf. points 43, 44)
233. Recours en annulation - Qualité pour agir - Personnes morales - Notion - Possession de la personnalité juridique selon le droit national ou reconnaissance par les institutions de l'Union en tant qu'entité juridique indépendante
234. Agences de l'Union européenne - Centre satellitaire de l'Union européenne (CSUE) - Responsabilité non contractuelle - Réparation d'un dommage causé à un agent - Lien étroit entre les recours en annulation et en indemnité - Irrecevabilité du recours en annulation entraînant celle du recours en indemnité
Arrêt du 14 octobre 2021, KF / CSUE (C-464/20 P) (cf. points 48, 49)
235. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Instrument d'aide à la préadhésion - État tiers - Marché public national - Résiliation du contrat par le pouvoir adjudicateur - Demande de mise à exécution par le pouvoir adjudicateur d'une garantie bancaire - Contreseing par le chef de la délégation de l'Union dans l'État tiers ou par son adjoint - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
236. Procédure juridictionnelle - Recours en annulation ou en carence - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir une injonction adressée à une institution - Inadmissibilité
237. Recours en annulation - Contrôle de légalité - Critères - Décisions adoptées par la Commission en matière de concurrence - Éléments à prendre en considération - Éléments antérieurs et postérieurs à la décision attaquée - Éléments présentés dans le cadre de la procédure administrative ou présentés pour la première fois dans le cadre du recours en annulation - Inclusion
Par décision du 27 juin 2017{1}, la Commission européenne a constaté que, dans treize pays de l’Espace économique européen (EEE){2}, Google LLC avait abusé de sa position dominante détenue sur le marché de la recherche générale sur Internet en favorisant son propre comparateur de produits, un service de recherche spécialisée, par rapport aux comparateurs de produits concurrents.
D’une part, la Commission a considéré que les résultats d’une recherche de produits lancée à partir du moteur de recherche générale de Google étaient positionnés et présentés de manière plus attractive lorsqu’il s’agissait des propres résultats du comparateur de produits de Google que lorsqu’il s’agissait des résultats issus des comparateurs de produits concurrents. D’autre part, ces derniers, qui apparaissaient comme de simples résultats génériques (présentés sous forme de liens bleus), étaient, de ce fait, susceptibles d’être rétrogradés par des algorithmes d’ajustement dans les pages de résultats générales, contrairement aux résultats du comparateur de produits de Google. De cette manière, Google avait, en substance, réduit le trafic en provenance de ses pages de résultats générales vers les comparateurs de produits concurrents tout en augmentant ce trafic vers son propre comparateur de produits (ci-après la « pratique litigieuse »).
Selon la Commission, cette pratique avait produit des effets anticoncurrentiels tant sur les treize marchés nationaux de la recherche spécialisée pour la comparaison de produits que sur les treize marchés nationaux de la recherche générale.
Concluant ainsi à une violation de l’interdiction d’abus de position dominante prévue par l’article 102 TFUE et par l’article 54 de l’accord EEE, la Commission a infligé à Google une amende d’un montant de 2 424 495 000 euros, dont 523 518 000 euros solidairement avec Alphabet, Inc., sa société mère.
Le recours introduit par Google et Alphabet contre cette décision est rejeté pour l’essentiel par le Tribunal, qui confirme également le montant de l’amende infligée par la Commission.
Appréciation du Tribunal
S’agissant, en premier lieu, du caractère anticoncurrentiel de la pratique litigieuse, le Tribunal considère que la seule constatation de l’existence d’une position dominante d’une entreprise, fût-elle de l’ampleur de celle de Google, n’implique par elle-même aucun reproche à l’égard de l’entreprise concernée, même si cette dernière projette de s’étendre sur un marché voisin. En effet, c’est l’« exploitation abusive » d’une position dominante que l’article 102 TFUE interdit. La responsabilité particulière qui pèse, dans ce contexte, sur une entreprise dominante doit être appréciée au regard des circonstances spécifiques de chaque espèce, démontrant un affaiblissement de la concurrence.
Or, eu égard à l’importance du trafic généré par le moteur de recherche générale de Google pour les comparateurs de produits, au comportement des utilisateurs qui se focalisent en général sur les premiers résultats, ainsi qu’à la proportion importante et au caractère non effectivement remplaçable du trafic « détourné », le Tribunal juge que la pratique litigieuse constitue, en effet, une différence de traitement s’écartant de la concurrence par les mérites, et de nature à conduire à un affaiblissement de la concurrence sur le marché, susceptible d’être contraire à l’article 102 TFUE.
Dans ce cadre, le Tribunal souligne que, compte tenu de la vocation universelle du moteur de recherche générale de Google, conçu pour indexer des résultats comprenant tous les contenus possibles, la promotion, sur ses pages de résultats générales, d’un seul type de résultats spécialisés, à savoir les siens, revêt une certaine forme d’anormalité.
Le Tribunal relève, en outre, que, même si la page de résultats générale de Google présente des caractéristiques qui la rapprochent d’« une facilité essentielle », au sens de service indispensable pour lequel il n’existe aucun substitut réel ou potentiel, la pratique litigieuse se distingue, dans ses éléments constitutifs, du refus de fourniture d’une facilité essentielle. De ce fait, l’analyse développée par la Cour dans son arrêt Bronner{3}, par rapport à un tel refus, ne saurait être appliquée en l’espèce.
Enfin, le Tribunal observe que, comme le traitement différencié appliqué par Google s’opère en fonction de l’origine des résultats, à savoir selon qu’ils proviennent de son propre comparateur ou des comparateurs concurrents, il en découle que les résultats des comparateurs concurrents ne peuvent jamais bénéficier d’un traitement similaire à celui des résultats du comparateur Google en ce qui concerne leur positionnement et leur présentation. Ainsi, Google favorise son propre comparateur par rapport aux comparateurs concurrents et non pas le meilleur des résultats.
S’agissant, en deuxième lieu, des effets anticoncurrentiels engendrés par la pratique litigieuse, le Tribunal rappelle qu’un abus de position dominante existe lorsque l’entreprise dominante, en recourant à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale, fait obstacle au maintien du degré de concurrence ou au développement de celle-ci. Dans ce contexte, pour établir une infraction à l’article 102 TFUE, la Commission n’est pas tenue de démontrer que les pratiques visées ont eu des effets réels d’éviction, la preuve de l’existence d’effets potentiels étant suffisante.
À cet égard, le Tribunal confirme la conclusion de la Commission selon laquelle la pratique litigieuse pouvait engendrer des effets potentiellement anticoncurrentiels sur le marché de la recherche spécialisée pour la comparaison de produits. La Commission avait, plus particulièrement, établi, d’une part, qu’il existait des effets concrets sur le trafic issu des pages de résultats générales de Google au détriment des comparateurs de produits concurrents et au bénéfice du comparateur de produits de Google et, d’autre part, que le trafic des comparateurs de produits concurrents issu de ces pages représentait une large part de leur trafic total et ne pouvait pas être effectivement remplacé par d’autres sources, telles que les publicités (AdWords) ou les applications mobiles, de sorte que la pratique litigieuse pouvait entraîner la disparition de concurrents, une baisse de l’innovation sur le marché et un moindre choix pour les consommateurs, éléments caractéristiques d’un affaiblissement de la concurrence.
En revanche, le Tribunal estime que la Commission n’a pas établi que le comportement litigieux de Google avait eu des effets anticoncurrentiels, même potentiels, sur le marché de la recherche générale et il annule en conséquence le constat d’infraction pour ce seul marché.
En ce qui concerne les effets potentiellement anticoncurrentiels sur le marché de la recherche spécialisée pour la comparaison de produits, le Tribunal rejette, par ailleurs, l’argument de Google d’après lequel la concurrence serait restée vive en raison de la présence des plates-formes marchandes sur ce marché, en confirmant l’analyse de la Commission selon laquelle ces plates-formes ne sont pas actives sur le même marché.
Les justifications invoquées par Google pour contester le caractère abusif de son comportement sont également écartées par le Tribunal. À cet égard, il relève que, si les algorithmes de classement des résultats génériques ou les critères de positionnement et de présentation des résultats spécialisés pour les produits de Google peuvent en tant que tels représenter des améliorations de son service à teneur proconcurrentielle, cette circonstance ne justifie pas la pratique litigieuse, à savoir une inégalité de traitement entre les résultats du comparateur de produits de Google et ceux des comparateurs de produits concurrents. De plus, Google était resté en défaut de démontrer des gains d’efficience liés à cette pratique qui compenseraient ses effets négatifs pour la concurrence.
Au terme d’une nouvelle appréciation de l’infraction, le Tribunal confirme, enfin, le montant de l’amende imposée par la Commission, tout en rejetant les arguments de Google tirés du fait que le comportement litigieux avait été analysé pour la première fois par la Commission au regard des règles de concurrence et que, au stade de la procédure, elle avait accepté de tenter de résoudre le cas par la voie d’engagements.
En procédant à une appréciation propre des faits en vue de déterminer le niveau de la sanction, le Tribunal constate, d’une part, que l’annulation partielle de la décision attaquée pour ce qui concerne le marché de la recherche générale n’a pas d’impact sur le montant de l’amende, dès lors que la Commission n’a pas pris en compte la valeur des ventes sur ce marché pour déterminer le montant de base de l’amende imposée. D’autre part, le Tribunal souligne que, s’il tient compte de ce que l’abus n’a pas été démontré sur le marché de la recherche générale, il prend également en considération le fait que le comportement litigieux constitue une infraction particulièrement grave et qu’il a été adopté de manière délibérée et non par négligence.
Au terme de cette analyse, le Tribunal confirme le montant de la sanction pécuniaire infligée à Google
{1} Décision C(2017) 4444 final de la Commission, du 27 juin 2017, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE [affaire AT.39740 - Moteur de recherche Google (Shopping)].
{2} Belgique, République tchèque, Danemark, Allemagne, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Autriche, Pologne, Suède, Royaume-Uni et Norvège.
{3} Arrêt du 26 novembre 1998, Bronner (C 7/97, EU:C:1998:569).
238. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Portée du contrôle - Inscription du requérant sur la liste annexée à la décision attaquée du fait de sa qualité d'homme d'affaires influent exerçant ses activités en Syrie et de son association avec le régime syrien - Documents accessibles au public - Valeur probante
Le requérant, M. Abdelkader Sabra, est un homme d’affaires de nationalités syrienne et libanaise ayant notamment des intérêts économiques dans le secteur maritime et dans celui du tourisme.
Son nom avait été inscrit en 2020 sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil{1}, puis y avait été maintenu{2}, aux motifs qu’il était, selon le Conseil, un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, qu’il tirait avantage de ses liens avec le régime syrien pour étendre ses activités dans le secteur de l’immobilier et qu’il fournissait un soutien financier et économique au régime, en tant que magnat des transports maritimes et proche associé d’affaires de M. Rami Makhlouf, soutien du régime et cousin de Bashar Al-Assad, par le biais de sa participation dans la société Cham Holding. M. Abdelkader Sabra avait également été considéré par le Conseil comme ayant été impliqué dans le blanchiment de capitaux et des activités commerciales en soutien au régime syrien. Ces motifs s’appuyaient, d’une part, sur le critère de l’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, défini à l’article 27, paragraphe 2, sous a), et à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255{3}, telle que modifiée par la décision 2015/1836, ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), du règlement no 36/2012{4}, tel que modifié par le règlement 2015/1828, et, d’autre part, sur le critère de l’association avec le régime syrien défini à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28, paragraphe 1, de ladite décision ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1, sous a), dudit règlement.
Le Tribunal accueille le recours en annulation présenté par le requérant en constatant, pour la première fois, le renversement de la présomption de lien entre les femmes et hommes d’affaires influents exerçant en Syrie et le régime syrien, tout en précisant, au sujet du critère de l’association avec le régime syrien, le standard de preuve exigé pour reconnaître qu’une personne ou une entité soutient ou bénéficie dudit régime.
Appréciation du Tribunal
S’agissant, en premier lieu, de la présomption réfragable de lien avec le régime syrien appliquée aux femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie, le Tribunal examine tout d’abord les preuves fournies par le Conseil afin de déterminer quels sont les liens entre les activités économiques du requérant et le régime syrien. Il observe que les seuls éléments avancés par le Conseil à cet égard, en plus du recours à la présomption de lien avec le régime syrien, concernent, d’une part, la conclusion d’un contrat par la société Phoenicia Tourism Company, appartenant au requérant, avec le ministère du Tourisme syrien, relatif à la réalisation d’un projet touristique. D’autre part, ils se rapportent au fait que la société Cham Holding, appartenant à M. Rami Makhlouf, dont le requérant détenait des parts mais avait démontré avoir quitté le conseil d’administration, entretient des liens avec le régime syrien. Concernant la société Phoenicia Tourism Company, le Tribunal juge que pour démontrer le lien avec le régime syrien, au sens défini par le considérant 6 de la décision 2015/1836, le Conseil ne peut pas se prévaloir d’un contrat, bien que conclu avec un ministère syrien, si les circonstances entourant la conclusion de ce contrat et sa mise en œuvre ne sont pas claires. Concernant Cham Holding et M. Rami Makhlouf, il constate que le Conseil n’explique pas comment le requérant maintiendrait, alors qu’il s’est éloigné de Cham Holding, des liens particuliers avec ces derniers et, plus largement, avec le régime syrien. Le Tribunal conclut que le Conseil ne se prévaut que de la présomption de lien avec le régime syrien pour établir le lien entre le requérant et ledit régime et qu’il lui revient dès lors d’apprécier si les éléments avancés par le requérant sont susceptibles ou non de renverser la présomption de lien avec le régime syrien.
S’agissant des différentes déclarations produites par le requérant à cet égard, le Tribunal rappelle que celles-ci doivent être appréciées au regard des principes de libre administration et de libre appréciation de la preuve, tels que consacrés par la jurisprudence. S’agissant des quatre témoignages favorables au requérant, qui ont été fournis par celui-ci et qui émanent de tierces personnes, le Tribunal constate que les déclarations en cause ont été établies par leurs auteurs à l’attention expresse du Tribunal pour les besoins de la présente procédure, sans qu’il puisse être présumé que ceux-ci se seraient concertés pour ce faire, et qu’elles concordent toutes en décrivant le requérant comme étant ouvertement critique à l’égard du régime syrien et comme ayant fourni des aides financières au bénéfice d’organisations humanitaires et civiles venant en aide aux réfugiés syriens. Des éléments objectifs présents dans le dossier venant corroborer leur contenu, le Tribunal reconnaît un caractère sensé et fiable auxdites déclarations. Le Conseil n’ayant, en outre, avancé aucun élément visant à discréditer le contenu desdites déclarations, le Tribunal conclut que ces déclarations démontrent que le requérant s’est distancié du régime syrien et finance des missions humanitaires venant en aide aux réfugiés syriens.
Le requérant ayant, par ailleurs, utilement mis en doute l’affirmation selon laquelle il serait un proche associé d’affaires de M. Rami Makhlouf, le Tribunal considère qu’il est peu probable que le requérant entretienne des liens avec le régime syrien, de sorte qu’il n’apparait pas certain que le requérant, du fait des mesures restrictives adoptées à son encontre, soit amené à exercer sur le régime syrien l’influence nécessaire pour accroître la pression sur ce dernier afin qu’il modifie sa politique de répression. L’une des possibilités, pour une partie requérante, de renverser la présomption de lien avec le régime syrien étant d’apporter un faisceau d’indices de l’absence d’influence sur le régime syrien, il constate que le requérant est parvenu à renverser ladite présomption et que le premier motif d’inscription du nom du requérant, lié au statut d’homme d’affaires « influent » exerçant ses activités en Syrie, n’est, dès lors, pas établi à suffisance de droit.
S’agissant, en second lieu, du second motif d’inscription relatif à l’association avec le régime syrien, le Tribunal précise qu’il est nécessaire, pour étayer ledit motif, que le Conseil ait démontré à suffisance de droit que c’est bien en raison de liens avec le régime syrien que le requérant a obtenu le contrat avec le ministère du Tourisme syrien. En effet, il ne saurait être admis que le simple fait de remporter un appel d’offres, quand bien même il a abouti à la conclusion d’un contrat avec un ministère du régime syrien, soit suffisant pour conclure à l’existence de liens permettant à la personne intéressée de tirer avantage de ce régime, au sens de l’article 27, paragraphe 1, et de l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836. Le Tribunal conclut que le Conseil n’a pas démontré à suffisance de droit que le requérant avait tiré avantage de ses liens avec le régime syrien pour obtenir ledit contrat et étendre ainsi ses activités dans le secteur du tourisme.
Il annule, en conséquence, les actes attaqués en tant qu’ils concernent le requérant.
{1} Décision d’exécution (PESC) 2020/212 du Conseil, du 17 février 2020, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 43 I, p. 6) et règlement d’exécution (UE) 2020/211 du Conseil, du 17 février 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 43 I, p. 1).
{2} Décision (PESC) 2020/719 du Conseil, du 28 mai 2020, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 168, p. 66) et règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil, du 28 mai 2020 mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 168, p. 1).
{3} Décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75).
{4} Règlement (UE) nº 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) nº 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1).
Arrêt du 16 mars 2022, Sabra / Conseil (T-249/20) (cf. point 46)
Arrêt du 10 novembre 2021, Alkattan / Conseil (T-218/20) (cf. points 112, 117, 121)
239. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Gel des fonds et des ressources économiques - Recours en annulation d'une personne associée au régime syrien visée par une décision de gel des fonds - Répartition de la charge de la preuve - Décision fondée sur un faisceau d'indices - Valeur probante - Portée
Le requérant, M. Abdelkader Sabra, est un homme d’affaires de nationalités syrienne et libanaise ayant notamment des intérêts économiques dans le secteur maritime et dans celui du tourisme.
Son nom avait été inscrit en 2020 sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil{1}, puis y avait été maintenu{2}, aux motifs qu’il était, selon le Conseil, un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, qu’il tirait avantage de ses liens avec le régime syrien pour étendre ses activités dans le secteur de l’immobilier et qu’il fournissait un soutien financier et économique au régime, en tant que magnat des transports maritimes et proche associé d’affaires de M. Rami Makhlouf, soutien du régime et cousin de Bashar Al-Assad, par le biais de sa participation dans la société Cham Holding. M. Abdelkader Sabra avait également été considéré par le Conseil comme ayant été impliqué dans le blanchiment de capitaux et des activités commerciales en soutien au régime syrien. Ces motifs s’appuyaient, d’une part, sur le critère de l’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, défini à l’article 27, paragraphe 2, sous a), et à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255{3}, telle que modifiée par la décision 2015/1836, ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), du règlement no 36/2012{4}, tel que modifié par le règlement 2015/1828, et, d’autre part, sur le critère de l’association avec le régime syrien défini à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28, paragraphe 1, de ladite décision ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1, sous a), dudit règlement.
Le Tribunal accueille le recours en annulation présenté par le requérant en constatant, pour la première fois, le renversement de la présomption de lien entre les femmes et hommes d’affaires influents exerçant en Syrie et le régime syrien, tout en précisant, au sujet du critère de l’association avec le régime syrien, le standard de preuve exigé pour reconnaître qu’une personne ou une entité soutient ou bénéficie dudit régime.
Appréciation du Tribunal
S’agissant, en premier lieu, de la présomption réfragable de lien avec le régime syrien appliquée aux femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie, le Tribunal examine tout d’abord les preuves fournies par le Conseil afin de déterminer quels sont les liens entre les activités économiques du requérant et le régime syrien. Il observe que les seuls éléments avancés par le Conseil à cet égard, en plus du recours à la présomption de lien avec le régime syrien, concernent, d’une part, la conclusion d’un contrat par la société Phoenicia Tourism Company, appartenant au requérant, avec le ministère du Tourisme syrien, relatif à la réalisation d’un projet touristique. D’autre part, ils se rapportent au fait que la société Cham Holding, appartenant à M. Rami Makhlouf, dont le requérant détenait des parts mais avait démontré avoir quitté le conseil d’administration, entretient des liens avec le régime syrien. Concernant la société Phoenicia Tourism Company, le Tribunal juge que pour démontrer le lien avec le régime syrien, au sens défini par le considérant 6 de la décision 2015/1836, le Conseil ne peut pas se prévaloir d’un contrat, bien que conclu avec un ministère syrien, si les circonstances entourant la conclusion de ce contrat et sa mise en œuvre ne sont pas claires. Concernant Cham Holding et M. Rami Makhlouf, il constate que le Conseil n’explique pas comment le requérant maintiendrait, alors qu’il s’est éloigné de Cham Holding, des liens particuliers avec ces derniers et, plus largement, avec le régime syrien. Le Tribunal conclut que le Conseil ne se prévaut que de la présomption de lien avec le régime syrien pour établir le lien entre le requérant et ledit régime et qu’il lui revient dès lors d’apprécier si les éléments avancés par le requérant sont susceptibles ou non de renverser la présomption de lien avec le régime syrien.
S’agissant des différentes déclarations produites par le requérant à cet égard, le Tribunal rappelle que celles-ci doivent être appréciées au regard des principes de libre administration et de libre appréciation de la preuve, tels que consacrés par la jurisprudence. S’agissant des quatre témoignages favorables au requérant, qui ont été fournis par celui-ci et qui émanent de tierces personnes, le Tribunal constate que les déclarations en cause ont été établies par leurs auteurs à l’attention expresse du Tribunal pour les besoins de la présente procédure, sans qu’il puisse être présumé que ceux-ci se seraient concertés pour ce faire, et qu’elles concordent toutes en décrivant le requérant comme étant ouvertement critique à l’égard du régime syrien et comme ayant fourni des aides financières au bénéfice d’organisations humanitaires et civiles venant en aide aux réfugiés syriens. Des éléments objectifs présents dans le dossier venant corroborer leur contenu, le Tribunal reconnaît un caractère sensé et fiable auxdites déclarations. Le Conseil n’ayant, en outre, avancé aucun élément visant à discréditer le contenu desdites déclarations, le Tribunal conclut que ces déclarations démontrent que le requérant s’est distancié du régime syrien et finance des missions humanitaires venant en aide aux réfugiés syriens.
Le requérant ayant, par ailleurs, utilement mis en doute l’affirmation selon laquelle il serait un proche associé d’affaires de M. Rami Makhlouf, le Tribunal considère qu’il est peu probable que le requérant entretienne des liens avec le régime syrien, de sorte qu’il n’apparait pas certain que le requérant, du fait des mesures restrictives adoptées à son encontre, soit amené à exercer sur le régime syrien l’influence nécessaire pour accroître la pression sur ce dernier afin qu’il modifie sa politique de répression. L’une des possibilités, pour une partie requérante, de renverser la présomption de lien avec le régime syrien étant d’apporter un faisceau d’indices de l’absence d’influence sur le régime syrien, il constate que le requérant est parvenu à renverser ladite présomption et que le premier motif d’inscription du nom du requérant, lié au statut d’homme d’affaires « influent » exerçant ses activités en Syrie, n’est, dès lors, pas établi à suffisance de droit.
S’agissant, en second lieu, du second motif d’inscription relatif à l’association avec le régime syrien, le Tribunal précise qu’il est nécessaire, pour étayer ledit motif, que le Conseil ait démontré à suffisance de droit que c’est bien en raison de liens avec le régime syrien que le requérant a obtenu le contrat avec le ministère du Tourisme syrien. En effet, il ne saurait être admis que le simple fait de remporter un appel d’offres, quand bien même il a abouti à la conclusion d’un contrat avec un ministère du régime syrien, soit suffisant pour conclure à l’existence de liens permettant à la personne intéressée de tirer avantage de ce régime, au sens de l’article 27, paragraphe 1, et de l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836. Le Tribunal conclut que le Conseil n’a pas démontré à suffisance de droit que le requérant avait tiré avantage de ses liens avec le régime syrien pour obtenir ledit contrat et étendre ainsi ses activités dans le secteur du tourisme.
Il annule, en conséquence, les actes attaqués en tant qu’ils concernent le requérant.
{1} Décision d’exécution (PESC) 2020/212 du Conseil, du 17 février 2020, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 43 I, p. 6) et règlement d’exécution (UE) 2020/211 du Conseil, du 17 février 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 43 I, p. 1).
{2} Décision (PESC) 2020/719 du Conseil, du 28 mai 2020, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 168, p. 66) et règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil, du 28 mai 2020 mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 168, p. 1).
{3} Décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75).
{4} Règlement (UE) nº 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) nº 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1).
Arrêt du 16 mars 2022, Sabra / Conseil (T-249/20) (cf. point 189, 196, 201-203, 208, 209)
Arrêt du 10 novembre 2021, Alkattan / Conseil (T-218/20) (cf. points 149, 151, 155, 162, 168)
240. Agriculture - Financement par le FEAGA et le Feader - Apurement des comptes - Décision d'exécution imposant une correction financière forfaitaire - Recours en annulation contre cette décision - Empêchement de la Commission d'ajuster cette décision en ce qui concerne le taux de correction appliqué lors de la réévaluation d'une carence déjà constatée - Absence
Arrêt du 18 novembre 2021, Grèce / Commission (C-107/20 P) (cf. point 74)
241. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Portée du contrôle - Inscription de la requérante sur la liste annexée à la décision attaquée du fait de sa qualité d'entité soutenant le régime syrien - Documents accessibles au public - Valeur probante
Aman Dimashq JSC est une personne morale de droit syrien, établie à Damas, active dans le domaine de la construction de bâtiments résidentiels, commerciaux et récréatifs. Son nom avait été inscrit en janvier 2019{1} sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil de l’Union européenne puis y avait été maintenu en mai 2019 et mai 2020{2}, en tant que coentreprise constituée entre Damascus Cham Holding et Aman Holding soutenant le régime syrien et tirant avantage de celui-ci du fait de sa participation à la construction de Marota city, un projet immobilier haut de gamme appuyé par le régime.
À l’appui de son recours en annulation contre les actes en cause (ci-après les « actes initiaux », les « actes de maintien de 2019 » et les « actes de maintien de 2020 »), la requérante contestait les éléments avancés par le Conseil, lesquels n’étaient pas de nature, selon elle, à démontrer qu’elle profitait du régime syrien et qu’elle lui était associée. Elle soutenait également que les actes attaqués violaient ses droits de la défense, son droit à un procès équitable ainsi que son droit à une protection juridictionnelle effective.
Le Tribunal rejette le recours de la requérante tout en précisant, en matière de droits de la défense et de recours juridictionnel effectif, la notion d’accès aux documents de preuve, dans le cas d’une réinscription sur les listes, et la nécessité pour la partie requérante de pouvoir présenter ses observations, utilement, dans un délai raisonnable avant l’adoption de la décision en cause et, dans le cas d’une première inscription sur les listes, la nécessité de l’existence, au moment de l’adoption de la décision en cause, d’un document de preuve étayant cette inscription.
Appréciation du Tribunal
Le Tribunal rappelle, à titre liminaire, que le droit d’être entendu et le droit d’accès au dossier sont consacrés à l’article 41, paragraphe 2, sous a) et b), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et que le droit à une protection juridictionnelle effective, tel que consacré à l’article 47 de la Charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard afin de lui permettre, notamment, de décider, en pleine connaissance de cause, de l’utilité d’un recours et, dans le même temps, de permettre au juge d’exercer son contrôle. Il rappelle que dans le cas d’une décision de réinscription sur les listes, à la différence d’une décision initiale d’inscription, l’effet de surprise n’est plus nécessaire afin d’assurer l’efficacité des mesures, de sorte que l’adoption des actes en cause doit, en principe, être précédée d’une communication des éléments retenus à charge ainsi que de l’opportunité conférée à la personne ou à l’entité concernée d’être entendue.
Au regard de ce qui précède, le Tribunal constate, tout d’abord, que l’adoption des actes de maintien de 2019 devait être précédée, en principe, d’une communication à la requérante des éléments à charge dans un délai raisonnable. Cette communication étant survenue seulement quatre jours avant l’adoption desdits actes, le Tribunal considère que la transmission du document en question à la requérante est intervenue trop tardivement et que ses droits de la défense ont été, de ce fait, violés. Cependant, la requérante n’ayant pas expliqué quels arguments ou éléments elle aurait pu faire valoir si elle avait reçu les documents en cause plus tôt et n’ayant pas non plus démontré comment ces arguments ou ces éléments auraient pu conduire à un résultat différent dans son cas, le Tribunal juge que la violation en question des droits de la défense n’entraîne pas, dans les circonstances de l’espèce, l’annulation des actes de maintien de 2019 en ce qui concerne la requérante.
Le Tribunal constate, ensuite, en ce qui concerne le droit à une protection juridictionnelle effective, que le Conseil a démontré qu’il disposait d’un ensemble de preuves avant l’adoption des actes initiaux permettant d’étayer les motifs d’inscription figurant dans ces actes. Il observe par ailleurs que si le Conseil est tenu, sur demande de l’intéressé, de donner accès à tous les documents administratifs non confidentiels, et ce dans un délai raisonnable, et que le délai écoulé entre la date d’adoption des actes initiaux et la date de la demande d’accès de la requérante ne saurait justifier l’absence de réponse du Conseil dans un délai raisonnable, il existe également, au sein du Conseil, des délais internes nécessaires afin d’obtenir l’approbation des différentes instances pour transmettre ce type de documents. Le Tribunal constate à cet égard que la requérante a elle-même attendu près de vingt et un jours avant l’expiration du délai pour l’introduction de son recours pour envoyer sa première demande d’accès aux documents au Conseil : le fait que le Conseil n’ait pas été en mesure de lui communiquer le document en cause avant l’introduction de son recours n’était dès lors pas entièrement imputable au Conseil. La requérante ayant pu prendre, par ailleurs, position sur les éléments de preuve figurant dans ledit document tant dans son mémoire en réplique que lors de l’audience, le Tribunal conclut à cet égard que la communication dudit document dans le délai en cause était suffisante pour permettre à la requérante d’exercer son droit à un recours juridictionnel effectif.
{1} Décision d’exécution (PESC) 2019/87 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 13) et règlement d’exécution (UE) 2019/85 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 4).
{2} Décision (PESC) 2019/806 du Conseil, du 17 mai 2019, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2019, L 132, p. 36) et règlement d’exécution (UE) 2019/798 du Conseil, du 17 mai 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2019, L 132, p. 1) ; décision (PESC) 2020/719 du Conseil, du 28 mai 2020, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 168, p. 66) et règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil, du 28 mai 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 168, p. 1).
Arrêt du 24 novembre 2021, Aman Dimashq / Conseil (T-259/19) (cf. points 109, 118, 121, 122, 127)
242. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Syrie - Décision 2013/255/PESC et règlement nº 36/2012 - Critères d'adoption des mesures restrictives - Soutien au régime syrien et bénéfice tiré de celui-ci - Notion - Critère juridique autonome - Inscription sur les listes fondée sur un faisceau d'indices précis, concrets et concordants
Aman Dimashq JSC est une personne morale de droit syrien, établie à Damas, active dans le domaine de la construction de bâtiments résidentiels, commerciaux et récréatifs. Son nom avait été inscrit en janvier 2019{1} sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil de l’Union européenne puis y avait été maintenu en mai 2019 et mai 2020{2}, en tant que coentreprise constituée entre Damascus Cham Holding et Aman Holding soutenant le régime syrien et tirant avantage de celui-ci du fait de sa participation à la construction de Marota city, un projet immobilier haut de gamme appuyé par le régime.
À l’appui de son recours en annulation contre les actes en cause (ci-après les « actes initiaux », les « actes de maintien de 2019 » et les « actes de maintien de 2020 »), la requérante contestait les éléments avancés par le Conseil, lesquels n’étaient pas de nature, selon elle, à démontrer qu’elle profitait du régime syrien et qu’elle lui était associée. Elle soutenait également que les actes attaqués violaient ses droits de la défense, son droit à un procès équitable ainsi que son droit à une protection juridictionnelle effective.
Le Tribunal rejette le recours de la requérante tout en précisant, en matière de droits de la défense et de recours juridictionnel effectif, la notion d’accès aux documents de preuve, dans le cas d’une réinscription sur les listes, et la nécessité pour la partie requérante de pouvoir présenter ses observations, utilement, dans un délai raisonnable avant l’adoption de la décision en cause et, dans le cas d’une première inscription sur les listes, la nécessité de l’existence, au moment de l’adoption de la décision en cause, d’un document de preuve étayant cette inscription.
Appréciation du Tribunal
Le Tribunal rappelle, à titre liminaire, que le droit d’être entendu et le droit d’accès au dossier sont consacrés à l’article 41, paragraphe 2, sous a) et b), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et que le droit à une protection juridictionnelle effective, tel que consacré à l’article 47 de la Charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard afin de lui permettre, notamment, de décider, en pleine connaissance de cause, de l’utilité d’un recours et, dans le même temps, de permettre au juge d’exercer son contrôle. Il rappelle que dans le cas d’une décision de réinscription sur les listes, à la différence d’une décision initiale d’inscription, l’effet de surprise n’est plus nécessaire afin d’assurer l’efficacité des mesures, de sorte que l’adoption des actes en cause doit, en principe, être précédée d’une communication des éléments retenus à charge ainsi que de l’opportunité conférée à la personne ou à l’entité concernée d’être entendue.
Au regard de ce qui précède, le Tribunal constate, tout d’abord, que l’adoption des actes de maintien de 2019 devait être précédée, en principe, d’une communication à la requérante des éléments à charge dans un délai raisonnable. Cette communication étant survenue seulement quatre jours avant l’adoption desdits actes, le Tribunal considère que la transmission du document en question à la requérante est intervenue trop tardivement et que ses droits de la défense ont été, de ce fait, violés. Cependant, la requérante n’ayant pas expliqué quels arguments ou éléments elle aurait pu faire valoir si elle avait reçu les documents en cause plus tôt et n’ayant pas non plus démontré comment ces arguments ou ces éléments auraient pu conduire à un résultat différent dans son cas, le Tribunal juge que la violation en question des droits de la défense n’entraîne pas, dans les circonstances de l’espèce, l’annulation des actes de maintien de 2019 en ce qui concerne la requérante.
Le Tribunal constate, ensuite, en ce qui concerne le droit à une protection juridictionnelle effective, que le Conseil a démontré qu’il disposait d’un ensemble de preuves avant l’adoption des actes initiaux permettant d’étayer les motifs d’inscription figurant dans ces actes. Il observe par ailleurs que si le Conseil est tenu, sur demande de l’intéressé, de donner accès à tous les documents administratifs non confidentiels, et ce dans un délai raisonnable, et que le délai écoulé entre la date d’adoption des actes initiaux et la date de la demande d’accès de la requérante ne saurait justifier l’absence de réponse du Conseil dans un délai raisonnable, il existe également, au sein du Conseil, des délais internes nécessaires afin d’obtenir l’approbation des différentes instances pour transmettre ce type de documents. Le Tribunal constate à cet égard que la requérante a elle-même attendu près de vingt et un jours avant l’expiration du délai pour l’introduction de son recours pour envoyer sa première demande d’accès aux documents au Conseil : le fait que le Conseil n’ait pas été en mesure de lui communiquer le document en cause avant l’introduction de son recours n’était dès lors pas entièrement imputable au Conseil. La requérante ayant pu prendre, par ailleurs, position sur les éléments de preuve figurant dans ledit document tant dans son mémoire en réplique que lors de l’audience, le Tribunal conclut à cet égard que la communication dudit document dans le délai en cause était suffisante pour permettre à la requérante d’exercer son droit à un recours juridictionnel effectif.
{1} Décision d’exécution (PESC) 2019/87 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 13) et règlement d’exécution (UE) 2019/85 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 4).
{2} Décision (PESC) 2019/806 du Conseil, du 17 mai 2019, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2019, L 132, p. 36) et règlement d’exécution (UE) 2019/798 du Conseil, du 17 mai 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2019, L 132, p. 1) ; décision (PESC) 2020/719 du Conseil, du 28 mai 2020, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 168, p. 66) et règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil, du 28 mai 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 168, p. 1).
243. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Demande d'annulation d'une décision relative à la réduction des montants dus au titre d'un marché et au recouvrement des montants indûment versés - Contrat comportant une clause attributive de juridiction en faveur du juge national - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
Arrêt du 21 décembre 2021, HB / Commission (T-795/19) (cf. points 54-58, 71, 72)
Arrêt du 21 décembre 2021, HB / Commission (T-796/19) (cf. points 49-53, 66, 67)
244. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Demande en annulation de l'avis de l'Agence européenne des médicaments (EMA) - Irrecevabilité
Ordonnance du 14 janvier 2022, Alauzun e.a. / Commission et EMA (T-418/21) (cf. points 28, 29)
245. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Demande en annulation d'un acte de la Commission formée contre l'Agence européenne des médicaments (EMA) - Irrecevabilité
Arrêt du 2 mars 2022, D & A Pharma / Commission et EMA (T-556/20) (cf. points 20-22)
246. Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Conditions de recevabilité - Décision de l'agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) approuvant la réalisation d'un projet de capacités supplémentaires sur un réseau de transport de gaz naturel - Acte instituant l'ACER prévoyant une voie de recours interne contre la décision de l'ACER - Recours en annulation introduit contre la décision de l'ACER sans épuisement de la voie de recours interne - Irrecevabilité
En 2015, FGSZ Földgázszállító Zrt., gestionnaire du réseau de transport de gaz hongrois (ci après « FGSZ »), ainsi que ses homologues bulgare, roumain et autrichien se sont lancés dans un projet de coopération régionale visant à accroître l’indépendance énergétique en introduisant le gaz de la mer Noire. Ce projet prévoyait l’augmentation des capacités supplémentaires à deux points d’interconnexion, dont celui existant entre la Hongrie et l’Autriche (ci-après le « projet HUAT »). À ce titre, FGSZ et son homologue autrichien, Gas Connect Austria GmbH (ci-après « GCA »), ont publié un rapport d’évaluation conjoint, conformément au règlement 2017/459 établissant un code de réseau sur les mécanismes d’attribution des capacités dans les systèmes de transport de gaz{1}.
En application du même règlement{2}, FGSZ a formellement soumis à l’autorité de régulation de l’énergie et des services publics hongroise, Magyar Energetikai és Közmű-szabályozási Hivatal (MEKH), la proposition de projet HUAT, tout en soulignant qu’elle n’était pas en faveur de la mise en œuvre de ce projet. GCA a, quant à elle, soumis la proposition à l’autorité de régulation des secteurs de l’électricité et du gaz naturel autrichienne, Energie-Control Austria für die Regulierung der Elektrizitäts- und Erdgaswirtschaft (E-Control).
E-Control a approuvé la proposition de projet HUAT, tandis que MEKH l’a rejetée. Les autorités de régulation nationales n’étant pas parvenues à un accord, l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) a adopté, à son tour, une décision portant approbation de la proposition de projet HUAT (ci-après la « décision initiale »).
MEKH et FGSZ ont chacune introduit un recours contre la décision initiale devant la commission de recours de l’ACER. Leurs recours ayant été rejetés par ladite commission, MEKH (affaire T-684/19) et FGSZ (affaire T-704/19) ont saisi le Tribunal de deux recours en annulation de cette décision de rejet, le recours de MEKH tendant également à l’annulation de la décision initiale. Au soutien de son recours, MEKH excipait notamment de l’illégalité du chapitre V du règlement 2017/459.
Dans son arrêt, la deuxième chambre élargie du Tribunal, tout en déclarant irrecevable le recours en annulation de MEKH pour autant qu’il est dirigé contre la décision initiale, fait droit à l’exception d’illégalité soulevée par cette dernière et annule, en conséquence, la décision de rejet de la commission de recours de l’ACER.
Appréciation du Tribunal
À titre liminaire, le Tribunal déclare irrecevable le recours en annulation de MEKH en ce qu’il est dirigé contre la décision initiale. À cet égard, il relève que la recevabilité d’un recours en annulation formé par des personnes physiques ou morales contre des actes d’ACER destinés à produire des effets juridiques à leur égard est à examiner au regard des modalités particulières prévues par l’acte instituant cette agence, à savoir le règlement 2019/942{3}. Or, conformément audit règlement, seule la décision de la commission de recours de l’ACER est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation devant le Tribunal{4}.
En revanche, nonobstant le fait que MEKH n’avait pas soulevé d’exception d’illégalité du chapitre V du règlement 2017/459 devant la commission de recours de l’ACER, cette exception, invoquée par MEKH devant le Tribunal, est déclarée recevable par celui-ci. En effet, dès lors que seul le juge de l’Union est habilité à constater l’illégalité d’un acte de portée générale{5}, MEKH était en droit de soulever cette exception pour la première fois devant le Tribunal en vue de contester la validité de la décision de rejet de la commission de recours de l’ACER.
Quant au bien-fondé de cette exception d’illégalité, le Tribunal relève d’abord que le règlement 2017/459, qui établit un code de réseau sur les mécanismes d’attribution des capacités dans les systèmes de transport de gaz, instaure, par son chapitre V, un processus relatif aux capacités supplémentaires qui est susceptible d’imposer une obligation, à la charge des gestionnaires de réseau de transport, de consacrer les investissements nécessaires à la création de capacités supplémentaires sur le réseau. En effet, il ressort des termes mêmes dudit chapitre V{6} qu’un projet de capacités supplémentaires est lancé lorsque les différentes conditions y prévues sont réunies, ce qui implique que les gestionnaires du réseau de transport sont tenus de procéder aux investissements nécessaires à cette fin.
Ensuite, le Tribunal examine si, en élaborant un code de réseau prévoyant un tel processus de création de capacités supplémentaires, la Commission a dépassé les limites de l’habilitation attribuée par le règlement de base, à savoir le règlement nº 715/2009 concernant les conditions d’accès aux réseaux de transport de gaz naturel{7}.
Compte tenu du fait que, en vertu dudit règlement de base, la Commission est seulement habilitée à adopter des codes de réseau dans certains domaines limitativement énumérés et à condition que le réseau européen des gestionnaires de réseau de transport pour le gaz (ci-après le « REGRT ») n’ait pas encore élaboré un tel code dans le domaine concerné{8}, le Tribunal vérifie, en premier lieu, si le chapitre V du règlement 2017/459 est rattachable à l’un des domaines visés.
À cet égard, il découle d’une interprétation littérale du règlement de base que les domaines y énumérés ne sont pas susceptibles d’inclure la question de la création des capacités supplémentaires sur le réseau. De même, l’interprétation contextuelle dudit règlement révèle une distinction entre, d’une part, les domaines pour lesquels le REGRT est compétent pour élaborer des codes de réseau et, d’autre part, l’encadrement des investissements nécessaires à la création de capacités supplémentaires sur le réseau, pour lesquels le REGRT coordonne l’exercice par les États membres de leur propre compétence. En outre, le Tribunal relève que c’est au titre de la directive 2009/73 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel{9} que les gestionnaires de réseau de transport sont soumis, le cas échéant, à l’obligation de consacrer les investissements nécessaires à la création de telles capacités supplémentaires. Dans ce cadre, il appartient aux États membres de veiller au respect de cette obligation, sans qu’il soit reconnu au REGRT ou à la Commission une compétence normative à cet égard. Enfin, aucun des motifs du règlement de base ne permet de déceler une finalité consistant à habiliter le REGRT et, par voie de conséquence, la Commission à élaborer un code de réseau s’étendant à la question des investissements nécessaires à la création des capacités supplémentaires.
Le chapitre V du règlement 2017/459 n’étant pas rattachable à l’un des domaines limitativement énumérés dans le règlement de base, le Tribunal examine, en second lieu, si la Commission était habilitée à adopter les règles régissant le processus relatif aux capacités supplémentaires en vertu d’autres dispositions dudit règlement de base, autorisant la Commission à en modifier les éléments non essentiels à l’occasion de l’adoption d’un code de réseau{10}.
Or, en vertu d’une jurisprudence constante, les éléments essentiels d’une réglementation de base sont ceux dont l’adoption nécessite d’effectuer des choix politiques relevant des responsabilités propres du législateur de l’Union. En l’espèce, le législateur de l’Union a fait le choix politique de confier la mise en œuvre des règles relatives à la création des capacités supplémentaires aux seuls États membres, l’habilitation reconnue au REGRT et, par extension, à la Commission dans le domaine des règles d’attribution des capacités{11} ne concernant que les capacités existantes sur le réseau. Il s’ensuit que la modification apportée par le chapitre V, consistant à étendre cette habilitation à la création de capacités supplémentaires, concerne un élément essentiel du règlement de base.
Concluant, ainsi, que la Commission n’était pas habilitée à instaurer un processus relatif aux capacités supplémentaires, le Tribunal fait droit à l’exception d’illégalité et déclare inapplicable le chapitre V du règlement 2017/459. Comme la décision de rejet de la commission de recours de l’ACER faisait application dudit chapitre, le Tribunal accueille, en outre, les recours en annulation en ce qu’ils sont dirigés contre cette décision, en l’annulant avec effet erga omnes.
{1} Article 26 du règlement (UE) 2017/459 de la Commission, du 16 mars 2017, établissant un code de réseau sur les mécanismes d’attribution des capacités dans les systèmes de transport de gaz et abrogeant le règlement (UE) nº 984/2013 (JO 2017, L 72, p. 1).
{2} Article 28, paragraphe 1, du règlement 2017/459.
{3} Règlement (UE) 2019/942 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, instituant une agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (refonte) (JO 2019, L 158, p. 22).
{4} Considérant 34 et articles 28 et 29 du règlement 2019/942.
{5} Article 277 TFUE.
{6} Article 22, paragraphe 3, du règlement 2017/459.
{7} Règlement (CE) nº 715/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant les conditions d’accès aux réseaux de transport de gaz naturel et abrogeant le règlement (CE) nº 1775/2005 (JO 2009, L 211, p. 36) (ci-après le « règlement de base »).
{8} Article 6 du règlement de base.
{9} Directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE (JO 2009, L 211, p. 94).
{10} Article 6, paragraphe 11, second alinéa, et 7, paragraphe 3, du règlement de base.
{11} Article 8, paragraphe 6, sous g), du règlement de base.
Arrêt du 16 mars 2022, MEKH / ACER (T-684/19 et T-704/19) (cf. points 29-32, 35-39, 41, 42)
247. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Gel des fonds et des ressources économiques - Recours en annulation d'une personne bénéficiant des politiques menées par le régime syrien visée par une décision de gel des fonds - Répartition de la charge de la preuve - Décision fondée sur un faisceau d'indices - Valeur probante - Portée
Le requérant, M. Abdelkader Sabra, est un homme d’affaires de nationalités syrienne et libanaise ayant notamment des intérêts économiques dans le secteur maritime et dans celui du tourisme.
Son nom avait été inscrit en 2020 sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil{1}, puis y avait été maintenu{2}, aux motifs qu’il était, selon le Conseil, un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, qu’il tirait avantage de ses liens avec le régime syrien pour étendre ses activités dans le secteur de l’immobilier et qu’il fournissait un soutien financier et économique au régime, en tant que magnat des transports maritimes et proche associé d’affaires de M. Rami Makhlouf, soutien du régime et cousin de Bashar Al-Assad, par le biais de sa participation dans la société Cham Holding. M. Abdelkader Sabra avait également été considéré par le Conseil comme ayant été impliqué dans le blanchiment de capitaux et des activités commerciales en soutien au régime syrien. Ces motifs s’appuyaient, d’une part, sur le critère de l’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, défini à l’article 27, paragraphe 2, sous a), et à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255{3}, telle que modifiée par la décision 2015/1836, ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), du règlement no 36/2012{4}, tel que modifié par le règlement 2015/1828, et, d’autre part, sur le critère de l’association avec le régime syrien défini à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28, paragraphe 1, de ladite décision ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1, sous a), dudit règlement.
Le Tribunal accueille le recours en annulation présenté par le requérant en constatant, pour la première fois, le renversement de la présomption de lien entre les femmes et hommes d’affaires influents exerçant en Syrie et le régime syrien, tout en précisant, au sujet du critère de l’association avec le régime syrien, le standard de preuve exigé pour reconnaître qu’une personne ou une entité soutient ou bénéficie dudit régime.
Appréciation du Tribunal
S’agissant, en premier lieu, de la présomption réfragable de lien avec le régime syrien appliquée aux femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie, le Tribunal examine tout d’abord les preuves fournies par le Conseil afin de déterminer quels sont les liens entre les activités économiques du requérant et le régime syrien. Il observe que les seuls éléments avancés par le Conseil à cet égard, en plus du recours à la présomption de lien avec le régime syrien, concernent, d’une part, la conclusion d’un contrat par la société Phoenicia Tourism Company, appartenant au requérant, avec le ministère du Tourisme syrien, relatif à la réalisation d’un projet touristique. D’autre part, ils se rapportent au fait que la société Cham Holding, appartenant à M. Rami Makhlouf, dont le requérant détenait des parts mais avait démontré avoir quitté le conseil d’administration, entretient des liens avec le régime syrien. Concernant la société Phoenicia Tourism Company, le Tribunal juge que pour démontrer le lien avec le régime syrien, au sens défini par le considérant 6 de la décision 2015/1836, le Conseil ne peut pas se prévaloir d’un contrat, bien que conclu avec un ministère syrien, si les circonstances entourant la conclusion de ce contrat et sa mise en œuvre ne sont pas claires. Concernant Cham Holding et M. Rami Makhlouf, il constate que le Conseil n’explique pas comment le requérant maintiendrait, alors qu’il s’est éloigné de Cham Holding, des liens particuliers avec ces derniers et, plus largement, avec le régime syrien. Le Tribunal conclut que le Conseil ne se prévaut que de la présomption de lien avec le régime syrien pour établir le lien entre le requérant et ledit régime et qu’il lui revient dès lors d’apprécier si les éléments avancés par le requérant sont susceptibles ou non de renverser la présomption de lien avec le régime syrien.
S’agissant des différentes déclarations produites par le requérant à cet égard, le Tribunal rappelle que celles-ci doivent être appréciées au regard des principes de libre administration et de libre appréciation de la preuve, tels que consacrés par la jurisprudence. S’agissant des quatre témoignages favorables au requérant, qui ont été fournis par celui-ci et qui émanent de tierces personnes, le Tribunal constate que les déclarations en cause ont été établies par leurs auteurs à l’attention expresse du Tribunal pour les besoins de la présente procédure, sans qu’il puisse être présumé que ceux-ci se seraient concertés pour ce faire, et qu’elles concordent toutes en décrivant le requérant comme étant ouvertement critique à l’égard du régime syrien et comme ayant fourni des aides financières au bénéfice d’organisations humanitaires et civiles venant en aide aux réfugiés syriens. Des éléments objectifs présents dans le dossier venant corroborer leur contenu, le Tribunal reconnaît un caractère sensé et fiable auxdites déclarations. Le Conseil n’ayant, en outre, avancé aucun élément visant à discréditer le contenu desdites déclarations, le Tribunal conclut que ces déclarations démontrent que le requérant s’est distancié du régime syrien et finance des missions humanitaires venant en aide aux réfugiés syriens.
Le requérant ayant, par ailleurs, utilement mis en doute l’affirmation selon laquelle il serait un proche associé d’affaires de M. Rami Makhlouf, le Tribunal considère qu’il est peu probable que le requérant entretienne des liens avec le régime syrien, de sorte qu’il n’apparait pas certain que le requérant, du fait des mesures restrictives adoptées à son encontre, soit amené à exercer sur le régime syrien l’influence nécessaire pour accroître la pression sur ce dernier afin qu’il modifie sa politique de répression. L’une des possibilités, pour une partie requérante, de renverser la présomption de lien avec le régime syrien étant d’apporter un faisceau d’indices de l’absence d’influence sur le régime syrien, il constate que le requérant est parvenu à renverser ladite présomption et que le premier motif d’inscription du nom du requérant, lié au statut d’homme d’affaires « influent » exerçant ses activités en Syrie, n’est, dès lors, pas établi à suffisance de droit.
S’agissant, en second lieu, du second motif d’inscription relatif à l’association avec le régime syrien, le Tribunal précise qu’il est nécessaire, pour étayer ledit motif, que le Conseil ait démontré à suffisance de droit que c’est bien en raison de liens avec le régime syrien que le requérant a obtenu le contrat avec le ministère du Tourisme syrien. En effet, il ne saurait être admis que le simple fait de remporter un appel d’offres, quand bien même il a abouti à la conclusion d’un contrat avec un ministère du régime syrien, soit suffisant pour conclure à l’existence de liens permettant à la personne intéressée de tirer avantage de ce régime, au sens de l’article 27, paragraphe 1, et de l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836. Le Tribunal conclut que le Conseil n’a pas démontré à suffisance de droit que le requérant avait tiré avantage de ses liens avec le régime syrien pour obtenir ledit contrat et étendre ainsi ses activités dans le secteur du tourisme.
Il annule, en conséquence, les actes attaqués en tant qu’ils concernent le requérant.
{1} Décision d’exécution (PESC) 2020/212 du Conseil, du 17 février 2020, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 43 I, p. 6) et règlement d’exécution (UE) 2020/211 du Conseil, du 17 février 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 43 I, p. 1).
{2} Décision (PESC) 2020/719 du Conseil, du 28 mai 2020, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 168, p. 66) et règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil, du 28 mai 2020 mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 168, p. 1).
{3} Décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75).
{4} Règlement (UE) nº 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) nº 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1).
Arrêt du 16 mars 2022, Sabra / Conseil (T-249/20) (cf. points 210, 214-216, 221, 223)
248. Recours en annulation - Recours à titre conservatoire, fondé sur l'hypothétique illégalité constatée au niveau national d'un acte faisant partie de la procédure d'adoption de l'acte attaqué - Incompétence du juge de l'Union - Irrecevabilité
Ordonnance du 24 mars 2022, Di Taranto / Parquet européen (T-368/21) (cf. points 28, 31, 32)
249. Recours en annulation - Objet - Décision constatant une infraction aux règles de la concurrence commise par plusieurs destinataires - Éléments, concernant des destinataires autres que le requérant, non attaqués ou attaqués hors délai - Exclusion - Conséquence - Prise en compte des seuls éléments du dispositif de la décision et des motifs nécessaires à son soutien concernant le requérant
La requérante, Japan Airlines Co. Ltd, anciennement Japan Airlines International Co. Ltd, est une compagnie de transport aérien dont l’une des divisions, dénommée JAL Cargo, fournit des services de fret aérien. À l’époque des faits, la requérante était une filiale de Japan Airlines Corp., qu’elle a absorbée et dont elle assure la succession juridique.
La requérante compte parmi les 19 destinataires de la décision C(2017) 1742 final de la Commission, du 17 mars 2017, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire AT.39258 - Fret aérien) (ci-après la « décision attaquée »). Par cette décision, la Commission européenne a constaté l’existence d’une infraction unique et continue à ces dispositions, par laquelle les entreprises en cause avaient coordonné, au cours de périodes comprises entre 1999 et 2006, leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret dans le monde entier. Elle a infligé à la requérante une amende d’un montant fixé à 35 700 000 euros pour sa participation à cette infraction.
Le 7 décembre 2005, la Commission avait reçu, au titre de sa communication sur la clémence de 2002{1}, une demande d’immunité introduite par Lufthansa et deux de ses filiales. Cette demande faisait état de l’existence de contacts anticoncurrentiels entre plusieurs entreprises actives sur le marché du fret aérien (ci-après les « transporteurs »), portant sur plusieurs éléments constitutifs du prix des services fournis dans le cadre de ce marché, à savoir l’instauration de surtaxes « carburant » et « sécurité » ainsi que, en substance, le refus d’accorder aux transitaires une ristourne sur ces surtaxes. Les éléments recueillis par la Commission et ses investigations l’ont conduite à adresser, le 19 décembre 2007, une communication des griefs à 27 transporteurs, puis à adopter, le 9 novembre 2010, à l’encontre de 21 transporteurs, dont la requérante, une première décision{2}. Celle-ci a toutefois été annulée par le Tribunal, par arrêts du 16 décembre 2015{3}, dans la limite des conclusions en annulation respectives à cette fin, en raison de contradictions entachant la motivation de ladite décision.
Dans son arrêt, le Tribunal accueille partiellement les conclusions en annulation de la décision attaquée, de même que les conclusions tendant à la réduction du montant de l’amende infligée à la requérante. Ainsi, il constate une violation des règles relatives à la prescription en matière d’imposition de sanctions pour infractions aux règles de concurrence, tout en validant l’analyse par laquelle la Commission a établi l’existence d’une infraction unique et continue affectant plusieurs types de liaisons aériennes et en apportant des précisions sur l’étendue de la compétence territoriale de la Commission en présence de pratiques mises en œuvre, pour partie, hors de l’Union, et sur l’application des critères de détermination du montant des amendes dans de telles circonstances.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal examine le moyen tiré d’un défaut de compétence de la Commission pour constater et sanctionner une violation de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons à destination de l’Espace économique européen (EEE) et en provenance de pays tiers. À cet égard, il rappelle que la Commission est compétente pour constater et sanctionner un comportement adopté en dehors du territoire de l’Union ou de l’EEE, pour autant qu’il ait été mis en œuvre sur ce territoire ou qu’il fût prévisible qu’il y produise un effet immédiat et substantiel. En l’occurrence, la Commission était fondée à se reconnaître compétente au regard des effets qualifiés de l’infraction litigieuse. Plus particulièrement, la nocivité inhérente à un accord ou pratique horizontale en matière de prix, telle l’infraction litigieuse, dont découle sa qualification de restriction de concurrence par « objet », la dispensait d’en rechercher les effets concrets au sein de l’EEE. Par ailleurs, c’est sans encourir la censure du Tribunal que la Commission a pu admettre le caractère prévisible, immédiat et substantiel des effets du comportement litigieux au sein de l’EEE, lequel résulte de la répercussion, que le fonctionnement normal du marché permet de raisonnablement escompter, par les transitaires appelés à s’acquitter du coût majoré des services de fret aérien sur les liaisons concernées, du surcoût correspondant sur les expéditeurs, elle-même susceptible de contribuer à une hausse du prix des marchandises importées dans l’EEE.
En deuxième lieu, le Tribunal écarte le moyen, relevé d’office, tiré d’un défaut de compétence de la Commission pour constater et sanctionner une violation de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entre la Suisse, d’une part, et la Norvège et l’Islande, d’autre part. En effet, selon le Tribunal, il ressort tant du dispositif que des motifs de la décision attaquée que la Commission n’a constaté aucune violation de cette disposition sur lesdites liaisons.
En troisième lieu, le Tribunal vérifie si l’écoulement du délai de prescription{4} faisait obstacle à l’exercice, par la Commission, de son pouvoir de sanction, comme le soutenait la requérante. Dans la mesure où la décision attaquée a imputé l’infraction litigieuse à la requérante en ce qui concerne des liaisons ne figurant pas dans le dispositif de la décision du 9 novembre 2010, le Tribunal opère une distinction entre, d’une part, les liaisons reprises dans le dispositif de cette décision, à l’égard desquelles le recours introduit par la requérante à son encontre était susceptible d’avoir un effet suspensif sur le délai de prescription, et, d’autre part, les liaisons visées par le seul dispositif de la décision attaquée, en l’occurrence les liaisons intra-EEE et Union-Suisse, à l’égard desquelles aucun motif de prorogation du délai de prescription ne s’applique. Or, s’agissant de ces dernières, il convient de constater que la décision attaquée a été adoptée plus de dix ans après la cessation des comportements en cause, de sorte que la requérante est fondée à se prévaloir de l’expiration du délai de prescription à leur égard, sans toutefois pouvoir prétendre, à ce titre, à l’annulation de la décision attaquée dans son intégralité.
En quatrième lieu, en réponse aux griefs par lesquels la requérante reprochait à la Commission de l’avoir tenue pour responsable de l’infraction litigieuse sur des liaisons qu’elle ne dessert pas ou qu’elle n’est pas admise à desservir, le Tribunal souligne que l’imputation à une entreprise des comportements anticoncurrentiels composant une infraction unique auxquels elle n’a pas directement participé exige l’existence d’un plan global poursuivant un objectif commun, la contribution intentionnelle de l’entreprise concernée à ce plan et sa connaissance (prouvée ou présumée) de ces comportements. Ces conditions étant satisfaites en l’espèce, la Commission était fondée à tenir la requérante pour responsable de l’infraction unique et continue en tant qu’elle portait sur les liaisons EEE-pays tiers sauf Japon, indépendamment de son éventuelle qualité de concurrente potentielle sur ces liaisons.
En cinquième lieu, le Tribunal examine les griefs de la requérante à l’encontre de la détermination du montant de l’amende qui lui a été infligée, en particulier ceux concernant la détermination de la valeur des ventes et du coefficient de gravité dans les conditions décrites par les lignes directrices de 2006{5}. À cet égard, la Commission n’encourt aucune critique pour avoir déterminé la valeur des ventes par référence au chiffre d’affaires généré par la vente de services de fret, plutôt que par référence aux seules recettes tirées des surtaxes en cause. En effet, selon le Tribunal, la valeur des ventes doit refléter le prix facturé aux clients pour les services de fret, dont les surtaxes ne sont qu’un élément. Par ailleurs, le choix d’un coefficient de gravité de 16 %, sur une échelle de 0 à 30 %, est jugé exempt d’erreur. En effet, d’une part, un tel coefficient de gravité est très favorable à la requérante au vu de la gravité inhérente aux pratiques litigieuses. D’autre part, la requérante n’avait contesté aucun des trois facteurs supplémentaires sur lesquels s’était fondée la Commission pour déterminer le coefficient de gravité, à savoir les parts de marchés cumulées des transporteurs incriminés, la portée géographique de l’infraction unique et continue et la mise en œuvre des pratiques litigieuses. Enfin, pour autant que la requérante jugeait insuffisante la réduction générale de 15 % dont elle a bénéficié au titre de l’existence de circonstances atténuantes, au regard des spécificités du cadre réglementaire japonais, le Tribunal juge son argumentation insuffisamment étayée.
En dernier lieu, le Tribunal fait usage de sa compétence de pleine juridiction pour statuer sur les conclusions tendant à la réduction du montant de l’amende infligée. Sans s’écarter de la méthode de calcul suivie par la Commission dans la décision attaquée, il tire ainsi les conséquences de ses conclusions, en particulier au sujet de l’acquisition de la prescription s’agissant des pratiques relatives aux liaisons intra-EEE et Union-Suisse. Le Tribunal admet, par suite, le caractère limité de la participation de la requérante à l’infraction unique et continue et, partant, l’application d’une réduction supplémentaire à ce titre. En conséquence, le montant de l’amende infligée à la requérante, fixé à 35 700 000 euros par la Commission, est réduit à 28 875 000 euros.
{1} Communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3).
{2} Décision C(2010) 7694 final de la Commission, du 9 novembre 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire COMP/39258 - Fret aérien).
{3} Arrêts du 16 décembre 2015, Air Canada/Commission (T-9/11, non publié, EU:T:2015:994), Koninklijke Luchtvaart Maatschappij/Commission (T-28/11, non publié, EU:T:2015:995), Japan Airlines/Commission (T-36/11, non publié, EU:T:2015:992), Cathay Pacific Airways/Commission (T-38/11, non publié, EU:T:2015:985), Cargolux Airlines/Commission (T-39/11, non publié, EU:T:2015:991), Latam Airlines Group et Lan Cargo/Commission (T-40/11, non publié, EU:T:2015:986), Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo Pte/Commission (T-43/11, non publié, EU:T:2015:989), Deutsche Lufthansa e.a./Commission (T-46/11, non publié, EU:T:2015:987), British Airways/Commission (T-48/11, non publié, EU:T:2015:988), SAS Cargo Group e.a./Commission (T-56/11, non publié, EU:T:2015:990), Air France KLM/Commission (T-62/11, non publié, EU:T:2015:996), Air France/Commission (T-63/11, non publié, EU:T:2015:993), et Martinair Holland/Commission (T-67/11, non publié, EU:T:2015:984).
{4} Il s’agit, en l’occurrence, du délai visé à l’article 25, paragraphes 5 et 6, du règlement nº 1/2003, d’une durée de dix ans à compter de la cessation de l’infraction.
{5} Lignes directrices pour le calcul des montants des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2).
Arrêt du 30 mars 2022, Japan Airlines / Commission (T-340/17) (cf. points 214-218)
Arrêt du 30 mars 2022, Cathay Pacific Airways / Commission (T-343/17) (cf. points 237-242)
250. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées - Décision de la Commission déclarant incompatibles avec le marché intérieur deux mesures d'aide distinctes et indépendantes - Demande d'annulation composée de parties distinctes concernant chacune une mesure d'aide différente
Entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2013, en vertu de l’Income Tax Act de 2010 (ci-après l’« ITA 2010 »){1}, les revenus générés par des redevances n’étaient pas inclus dans les catégories de revenus imposables à Gibraltar.
MJN Holdings (Gibraltar) Ltd (ci-après « MJN GibCo ») était une société du groupe MeadJohnson établie à Gibraltar détenant une participation de 99,99 % dans le capital de la société en commandite simple de droit néerlandais Mead Johnson Three CV (ci-après « MJT CV »), qui concédait, moyennant le versement de redevances, des sous-licences à une autre société du groupe{2}. En 2012, les autorités fiscales de Gibraltar ont octroyé à MJN GibCo une décision fiscale anticipée confirmant, en vertu du régime d’imposition des sociétés de Gibraltar résultant de l’ITA 2010 , la non-imposition à l’égard de MJN GibCo, des revenus de MJT CV générés par les redevances.
En octobre 2013, la Commission européenne a ouvert une procédure formelle d’examen afin, notamment, de vérifier la compatibilité du régime d’imposition des redevances de propriété intellectuelle, prévue par l’ITA 2010, avec les règles de l’Union en matière d’aides d’État . En octobre 2014, elle a décidé d’étendre cette procédure à la pratique des décisions fiscales anticipées à Gibraltar (ci-après la « décision d’étendre la procédure »).
Par sa décision du 19 décembre 2018 (ci-après la « décision attaquée »){3}, la Commission a, d’une part, qualifié la non-inclusion des revenus générés par des redevances dans l’assiette fiscale, entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2013, d’« exonération implicite » et a considéré que cette mesure constituait un régime d’aides illégal et incompatible avec le marché intérieur. Selon la Commission, lesdites exonérations introduisaient un allégement de l’impôt que les entreprises concernées auraient autrement dû payer, compte tenu de l’objectif de l’ITA 2010, consistant à imposer les revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar.
D’autre part, la Commission a estimé que le traitement fiscal octroyé par le gouvernement de Gibraltar dans le cadre de décisions fiscales anticipées accordées à cinq sociétés établies à Gibraltar, détenant une participation dans des sociétés en commandite de droit néerlandais et percevant, pour certaines, des revenus générés par des redevances de propriété intellectuelle, constituait des aides d’État individuelles illégales et incompatibles avec le marché intérieur. Ces décisions, qui confirmaient la non-imposition des revenus générés par des redevances desdites sociétés, auraient continué à s’appliquer postérieurement à la modification de 2013 de l’ITA 2010 , en application de laquelle les redevances ont été incluses parmi les catégories de revenus imposables. MJN GibCo faisait partie des cinq sociétés concernées.
Saisi d’un recours introduit par différentes sociétés du groupe MJN, le Tribunal accueille partiellement le recours. Il rejette le recours en ce qu’il tend à contester la partie de la décision attaquée relative au régime d’aides. Dans ce cadre, le Tribunal valide l’approche suivie par la Commission selon laquelle le « non-assujettissement » et l’« exonération » produisent les mêmes effets, ainsi que le fait que l’absence de règle explicite prévoyant l’imposition des revenus générés par des redevances ne s’oppose pas à ce qu’une mesure confère un avantage. Le Tribunal annule la décision attaquée en ce qu’elle porte sur l’aide individuelle octroyée à MJN GibCo. Dans ce cadre, il précise l’étendue du droit des parties intéressées à être associées à une procédure formelle d’examen en matière d’aides d’État et l’incidence d’une violation de ce droit sur la légalité de la décision finale adoptée au terme d’une telle procédure .
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, s’agissant du régime d’aides, le Tribunal rappelle, tout d'abord, que les interventions des États membres dans les domaines qui n’ont pas fait l’objet d’une harmonisation dans l’Union, tels que la fiscalité directe, ne sont pas exclues du champ d’application de la réglementation relative au contrôle des aides d’État . Par conséquent, la Commission étant compétente pour veiller au respect de l’article 107 TFUE, elle n’a pas outrepassé ses compétences lorsqu’elle a examiné la non-imposition des revenus générés par des redevances afin de vérifier si cette mesure constituait un régime d’aides et, dans l’affirmative, si celle-ci était compatible avec le marché intérieur . En l’espèce, le Tribunal relève qu’en se référant aux dispositions du droit fiscal applicables à Gibraltar et en fondant son appréciation desdites dispositions sur les informations communiquées par les autorités du Royaume-Uni et de Gibraltar, la Commission n’a pas défini de façon autonome l’imposition dite « normale » des dispositions fiscales applicables à Gibraltar dans le cadre de son examen de la non-imposition des revenus générés par des redevances . De plus, il ne ressort pas de la décision attaquée que la Commission aurait cherché à aligner le droit fiscal applicable à Gibraltar sur les droits applicables dans les différents États membres .
Le Tribunal rejette ensuite les moyens tirés, en substance, d’erreurs d’appréciation et de droit dans l’identification des règles normales d’imposition à Gibraltar et dans l’identification d’un avantage sélectif.
À titre liminaire, le Tribunal observe que, dans le cadre de l’analyse des mesures fiscales, sous l’angle du droit de l’Union en matière d’aides d’État, l’examen tant du critère de l’avantage que de la sélectivité implique, au préalable, de déterminer les règles normales d’imposition formant le cadre de référence pertinent pour cet examen .
S’agissant des règles normales d’imposition à Gibraltar, le Tribunal reconnaît que c’est à juste titre que la Commission a considéré que le système d’imposition de Gibraltar était un système d’imposition territorial, selon lequel tous les revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar devaient y être imposés , et que, en vertu dudit système, les revenus générés par les redevances perçus par une société de Gibraltar étaient nécessairement considérés comme générés ou trouvant leur origine sur ce territoire . Ces conclusions reposaient sur une information émanant directement de l’État membre concerné et étaient compatibles avec le contenu des dispositions pertinentes de l’ITA 2010 .
En ce qui concerne l’existence d’un avantage économique, le Tribunal considère que la Commission a démontré que le système de non-imposition des revenus générés par des redevances conduisait à une réduction du montant de l’impôt qui aurait été normalement dû par les entreprises établies à Gibraltar percevant des redevances et, ce, en application des principes directeurs de l’ITA 2010, à savoir le principe de territorialité et le principe selon lequel l’ensemble des revenus comptables des contribuables étaient imposables .
Dans ce cadre, le Tribunal rejette l’argument des requérantes selon lequel, en absence d’une règle explicite dans l’ITA 2010 prévoyant l’imposition des revenus générés par des redevances, les autorités fiscales n’avaient pas pu renoncer à imposer lesdits revenus et n’avaient donc conféré aucun avantage aux requérantes. Le Tribunal rappelle, à cet égard, que le fait qu’une mesure fiscale soit conçue selon une certaine technique réglementaire n’a pas d’incidence aux fins son analyse au regard de l’article 107 TFUE et que la circonstance, en l’espèce, que les revenus générés par des redevances n’étaient pas assujettis à l’impôt sur les revenus, du fait de leur non-inclusion dans les catégories de revenus imposables à Gibraltar, produisait les mêmes effets que si cette catégorie de revenus bénéficiait formellement d’une exonération d’impôt.
En ce qui concerne le caractère sélectif de la non-imposition des revenus générés par des redevances, le Tribunal estime que la Commission était fondée à considérer que celle-ci constituait une dérogation par rapport au principe général de territorialité, en ce qu’elle avait pour conséquence d’appliquer aux entreprises de Gibraltar percevant des revenus générés par des redevances de propriété intellectuelle un traitement fiscal distinct de celui appliqué aux entreprises imposables à Gibraltar percevant des revenus générés ou trouvant leur origine sur ce territoire, alors même que ces deux catégories d’entreprises se trouvaient dans des situations comparables, au regard de l’objectif poursuivi par l’ITA 2010 .
En second lieu, s’agissant de la mesure d’aide individuelle octroyée sur la base de la décision fiscale anticipée accordée à MJN GibCo, le Tribunal estime que les divergences entre l’analyse contenue dans la décision d’étendre la procédure et la décision attaquée, en ce qu’elles portaient sur des éléments d’appréciation déterminants aux fins de la qualification d’aide d’État individuelle de la décision fiscale anticipée adoptée en faveur de MJN GibCo, étaient telles que la Commission aurait dû adopter une décision rectificative ou une seconde décision d’étendre la procédure, afin de mettre les requérantes en mesure de participer de manière efficace à la procédure .
En effet, le raisonnement sur la base duquel la Commission a considéré, dans la décision attaquée, que le maintien de cette décision fiscale anticipée, postérieurement à la modification de 2013 de l’ITA 2010, constituait une aide d’État individuelle incompatible avec le marché intérieur, était fondé sur des éléments déterminants qui ne se retrouvaient pas dans la décision d’étendre la procédure, à savoir le caractère transparent des sociétés en commandite simple de droit néerlandais aux fins de l’application du droit fiscal de Gibraltar et le constat que les sociétés partenaires auraient normalement dû être soumises à l’impôt sur le revenu à Gibraltar à hauteur de leur part dans les bénéfices de leurs sociétés en commandite de droit néerlandais .
Partant, le Tribunal relève que, lorsque la Commission modifie son raisonnement, entre la décision d’ouverture de la procédure et la décision finale, sur des éléments déterminants dans son appréciation de l’existence d’une aide, l’obligation, à la charge de celle-ci, d’étendre la procédure formelle d’examen, aux fins de mettre les intéressés en mesure de présenter leurs observations, revêt le caractère d’une formalité substantielle, dont la violation entraîne l’annulation de l’acte vicié, indépendamment de la question de savoir si cette violation a causé un préjudice à celui qui l’invoque ou si la procédure aurait pu aboutir à un résultat différent . Sur la base de ces constats, le Tribunal annule la décision attaquée en ce qu’elle vise l’aide d’État individuelle octroyée sur la base de la décision fiscale anticipée accordée à MJN GibCo.
{1} Loi relative à l’imposition des sociétés de Gibraltar de 2010.
{2} MJT CV détenait des licences de droits de propriété intellectuelle sur lesquels elle concédait, moyennant le versement de redevances, des sous-licences à Mead Johnson BV, une autre société de droit néerlandais du groupe MJN. Avant sa dissolution en 2018, MJN GibCo appartenaient au groupe international Mead Johnson Nutrition (ci-après le « groupe MJN »). Mead Johnson Nutrition (Asia Pacific) Pte Ltd, établie à Singapour était, quant à elle, la société mère à 100 % de MJN GibCo.
{3} Décision (UE) 2019/700 de la Commission, du 19 décembre 2018, concernant l’aide d’État SA.34914 (2013/C) mise à exécution par le Royaume-Uni en ce qui concerne le régime d’imposition des sociétés de Gibraltar (JO 2019, L 119, p. 151).
251. Recours en annulation - Contrôle de légalité - Critères - Prise en compte des seuls éléments de fait et de droit existant à la date d'adoption de l'acte litigieux - Caractère approprié des mesures - Règles exceptionnelles en matière de santé et de sécurité régissant l'accès aux bâtiments du Parlement - Obligation de disposer d'un certificat COVID valide - Situation épidémiologique et connaissances scientifiques au moment de l'adoption des règles - Protection de la santé des personnes - Admissibilité
Le 27 octobre 2021, le bureau du Parlement européen a introduit des règles exceptionnelles en matière de santé et de sécurité pour l’accès aux bâtiments du Parlement sur ses trois lieux de travail (Bruxelles, Strasbourg et Luxembourg). En substance, cette décision a pour objet de conditionner l’accès auxdits bâtiments à la présentation d’un certificat COVID 19 numérique de vaccination, de test ou de rétablissement{1}, ou d’un certificat équivalent{2}, pour une période s’étendant initialement jusqu’au 31 janvier 2022. Les requérants, tous députés européens, ont saisi le Tribunal de l’Union européenne afin d’en obtenir l’annulation.
Le Tribunal, statuant en chambre élargie, examine pour la première fois la légalité de certaines restrictions imposées par les institutions de l’UE en vue de protéger la santé notamment de leur personnel, dans le contexte de pandémie de COVID 19. Il rejette les recours des députés européens et juge que le Parlement peut leur imposer de présenter un certificat COVID valide pour accéder à ses bâtiments.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal juge que le Parlement n’avait pas besoin d’une autorisation expresse du législateur de l’Union pour adopter la décision attaquée. En effet, en ce qu’elle vise à limiter l’accès aux bâtiments du Parlement aux seules personnes disposant d’un certificat COVID valide, cette décision relève du pouvoir d’organisation interne du Parlement{3} et n’a vocation à s’appliquer que dans ses locaux. En outre, elle peut déterminer des éléments du traitement des données à caractère personnel, car elle constitue une « loi »{4}, cette notion n’étant pas limitée aux textes législatifs adoptés à la suite d’un débat parlementaire.
En deuxième lieu, le Tribunal souligne que la décision attaquée ne porte pas une atteinte disproportionnée ou déraisonnable à l’exercice libre et indépendant du mandat de député. Il reconnait que, certes, en ce qu’elle leur impose une condition supplémentaire pour accéder aux bâtiments du Parlement, cette décision constitue une ingérence dans l’exercice libre et indépendant du mandat des députés. Néanmoins, ladite décision poursuit un but légitime, visant à équilibrer deux intérêts concurrents dans un contexte de pandémie, à savoir, la continuité des activités du Parlement et la santé des personnes présentes dans ses bâtiments.
Concernant une prétendue violation des immunités conférées aux députés, le Tribunal relève qu’il ne ressort ni du Protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne{5} ni du règlement intérieur du Parlement que ce dernier ne pouvait pas adopter les mesures d’organisation interne en cause. Au contraire, ledit règlement prévoit expressément que le droit des députés de participer activement aux travaux du Parlement s’exerce conformément à ses dispositions{6}.
En troisième lieu, le Tribunal juge que le traitement des données à caractère personnel effectué par le Parlement en vertu de la décision attaquée n’est pas illicite ou déloyal. D’une part, la décision attaquée, adoptée sur le fondement du pouvoir d’organisation interne découlant du traité FUE, constitue une base juridique pour le traitement des données contenues dans les certificats COVID{7}. À ce titre, le Tribunal relève que ledit traitement poursuit un objectif d’intérêt public général de l’Union, à savoir la protection de la santé publique. D’autre part, le traitement des données est transparent et loyal, car le Parlement a préalablement fourni aux personnes concernées des informations au sujet du traitement ultérieur des données pour une finalité autre que celle pour laquelle elles avaient été initialement obtenues{8}.
En quatrième lieu, le Tribunal considère que la décision attaquée ne porte pas atteinte ou ne porte pas une atteinte démesurée au droit à l’intégrité physique, aux principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, au droit au consentement libre et éclairé pour toute intervention d’ordre médical sur le corps, au droit à la liberté, et, enfin, au droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles. En outre, il juge que, au vu de la situation épidémiologique et des connaissances scientifiques existant au moment où elles ont été adoptées, les mesures en cause étaient nécessaires et appropriées. En effet, s’il est vrai que ni la vaccination, ni les tests, ni le rétablissement ne permettent d’exclure totalement la transmission de la COVID 19, l’obligation de présenter un certificat COVID valide permet, de manière objective et non discriminatoire, de réduire ce risque et donc d’atteindre l’objectif de protection de la santé.
Le Tribunal constate par ailleurs que les mesures en cause sont également proportionnées par rapport à l’objectif poursuivi. En effet, les requérants n’ont pas établi l’existence de mesures moins contraignantes mais tout aussi efficaces. Ainsi, en l’absence des mesures en cause, une personne qui ne serait ni vaccinée ni guérie, potentiellement porteuse du virus, aurait pu accéder librement aux bâtiments du Parlement, tout en risquant, de ce fait, de contaminer d’autres personnes. En outre, la décision attaquée tient compte de la situation épidémiologique générale en Europe mais aussi des particularités du Parlement, notamment les voyages internationaux fréquents des personnes accédant à ses bâtiments. Par ailleurs, les mesures en cause sont limitées dans le temps et sont régulièrement réexaminées.
Enfin, le Tribunal estime que les inconvénients pratiques générés par la présentation d’un certificat valide ne sauraient l’emporter sur la protection de la santé humaine d’autrui ni être assimilés à des atteintes disproportionnées aux droits fondamentaux des requérants.
Cependant, il rappelle que ces mesures doivent être réévaluées périodiquement à la lumière de la situation sanitaire dans l’Union et dans les trois lieux de travail du Parlement et qu’elles ne doivent s’appliquer que pour autant que les circonstances exceptionnelles qui les justifient perdurent.
{1} Règlement (UE) 2021/953 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2021, relatif à un cadre pour la délivrance, la vérification et l’acceptation de certificats COVID 19 interopérables de vaccination, de test et de rétablissement (certificat COVID numérique de l’UE) afin de faciliter la libre circulation pendant la pandémie de COVID 19 (JO 2021, L 211, p. 1).
{2} Au sens de l’article 8 du règlement 2021/953 (« Certificats COVID 19 et autres documents délivrés par un pays tiers »).
{3} Au sens de l’article 25, paragraphe 2, du règlement intérieur du Parlement européen, lui-même fondé sur l’article 232 TFUE.
{4} Au sens de l’article 8 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
{5} Protocole nº 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne (JO 2012, C 326, p. 1).
{6} Article 5 du règlement intérieur du Parlement européen.
{7} Dans le respect du règlement (UE) 2018/1725 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2018, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions, organes et organismes de l’Union et à la libre circulation de ces données, et abrogeant le règlement (CE) nº 45/2001 et la décision nº 1247/2002/CE (JO 2018, L 295, p. 39).
{8} Conformément à l’article 16, paragraphe 4, du règlement 2018/1725.
252. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Gel des fonds et des ressources économiques - Recours en annulation d'une personne liée à une personne ou une entité visée par une décision de gel des fonds - Répartition de la charge de la preuve - Décision fondée sur un faisceau d'indices - Admissibilité - Conditions
M. Amer Foz est un homme d’affaires de nationalité syrienne. Son nom avait été inscrit en février 2020{1} sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil de l’Union européenne, puis y avait été maintenu en mai 2020 et en mai 2021{2}. Il y avait été inscrit en tant qu’homme d’affaires influent ayant des intérêts commerciaux personnels et familiaux et des activités dans de multiples secteurs de l’économie syrienne, tirant des profits financiers de son accès à des débouchés commerciaux et soutenant le régime syrien, tout en étant associé à son frère M. Samer Foz, lequel est également inscrit sur les listes. En mai 2021, le Conseil avait également indiqué que M. Amer Foz menait de nombreux projets commerciaux avec son frère, notamment dans le secteur de la production de câbles et d’énergie solaire, et que les deux frères exerçaient diverses activités avec l’État islamique en Irak et au Levant (ci-après l’« EIIL ») au nom du régime syrien, y compris la fourniture d’armes et de munitions en échange d’huile et de blé.
Le nom de M. Amer Foz avait été inscrit sur les listes en cause à l’aune de trois critères, à savoir celui de l’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, celui de l’association avec le régime syrien et celui du lien avec une personne ou une entité visée par les mesures restrictives{3}.
Le Tribunal rejette le recours en annulation introduit par M. Amer Foz à l’encontre des actes ayant inscrit son nom sur les listes litigieuses (ci-après les « actes initiaux », les « actes de maintien de 2020 » et les « actes de maintien de 2021 »), en précisant les critères relatifs à ladite inscription dans le cas de l’application simultanée par le Conseil de différents critères d’inscription. Dans ce contexte, le Tribunal spécifie notamment la portée du critère du lien avec une autre personne ou entité déjà visée par des mesures restrictives. Il examine également, de manière inédite, la condition relative à l’existence d’informations suffisantes indiquant que les personnes inscrites sur les listes ne sont pas associées à un risque réel de contournement des mesures adoptées. Si cette condition est remplie, une personne ayant un lien avec une autre personne ou une entité visée par des mesures restrictives n’est alors pas maintenue sur lesdites listes.
Appréciation du Tribunal
Le Tribunal rappelle, tout d’abord, que, pour une même personne, plusieurs motifs d’inscription peuvent se recouper tout en s’appuyant, dans une telle hypothèse, sur des critères différents. En application, par analogie, de l’arrêt Kaddour/Conseil{4}, une personne peut être qualifiée de femme ou d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et être considérée comme étant liée, notamment par des liens d’affaires, à une autre personne visée par les mesures restrictives au travers de ces mêmes activités. De même, cette personne peut être associée au régime syrien tout en étant liée, pour les mêmes raisons, à une personne visée par les mesures restrictives.
Concernant, ensuite, le critère du lien entretenu par M. Amer Foz avec une personne ou une entité visée par les mesures restrictives{5}, le Tribunal rappelle que le frère de M. Amer Foz a été inscrit en raison de son statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et de son association avec le régime syrien. Ce dernier n’ayant pas établi, devant le Tribunal{6}, que les mesures adoptées contre lui devaient être annulées, celles-ci bénéficient de la présomption de légalité attachée aux actes des institutions de l’Union et continuent, dès lors, à produire des effets juridiques aussi longtemps qu’elles n’ont pas été retirées, annulées ou déclarées invalides. Le Conseil ne soutenant pas que l’appartenance à la famille Foz soit un critère d’inscription autonome, à la différence de l’appartenance aux familles Al-Assad ou Makhlouf, selon la décision 2013/255, le Tribunal considère que l’existence de ce lien fraternel doit être examiné comme un élément factuel, dans le cadre notamment de l’examen des liens d’affaires qu’entretiennent MM. Amer et Samer Foz.
Le Tribunal conclut à cet égard que le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants quant aux liens qu’entretiennent MM. Amer et Samer Foz dans le cadre desdites relations d’affaires, à la date d’adoption des actes initiaux, d’une part, par l’intermédiaire de l’entreprise familiale Aman Holding et de la société ASM International General Trading, par l’intermédiaire, d’autre part, de ladite entreprise familiale en ce qui concerne les actes de maintien de 2020, et enfin, s’agissant des actes de maintien de 2021, étant donné que ceux-ci menaient des activités avec l’EIIL au nom du régime syrien. L’existence de liens d’affaires entre les deux hommes se concrétise également par une forme de concertation dans la gestion de leurs portefeuilles d’actions.
Enfin, au regard des dispositions pertinentes de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, compte tenu de la position privilégiée de M. Samer Foz dans l’économie syrienne et de son influence, des liens d’affaires présents ou passés existant entre M. Amer Foz et celui-ci, du fait qu’ils sont frères, de l’importance de l’entreprise familiale dans laquelle ils détenaient des parts et ont occupé des postes à responsabilités ainsi que de l’impossibilité d’écarter une possible concertation entre M. Amer Foz et son frère pour céder leurs parts dans différentes sociétés, le Tribunal juge qu’il est raisonnable de penser que M. Amer Foz est associé à un risque réel de contournement des mesures restrictives.
{1} Décision d’exécution (PESC) 2020/212 du Conseil, du 17 février 2020, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 43 I, p. 6) et règlement d’exécution (UE) 2020/211 du Conseil, du 17 février 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 43 I, p. 1).
{2} Décision (PESC) 2020/719 du Conseil, du 28 mai 2020, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 168, p. 66) et règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil, du 28 mai 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 168, p. 1) ; décision (PESC) 2021/855 du Conseil, du 27 mai 2021, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2021, L 188, p. 90) et règlement d’exécution (UE) 2021/848 du Conseil, du 27 mai 2021, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2021, L 188, p. 18).
{3} Les motifs s’appuyaient, d’une part, sur le critère de l’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, défini au paragraphe 2, sous a), de l’article 27 et de l’article 28 de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et au paragraphe 1 bis, sous a), de l’article 15 du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, d’autre part, sur le critère de l’association avec le régime syrien défini au paragraphe 1 de l’article 27 et de l’article 28 de ladite décision et au paragraphe 1, sous a), de l’article 15 dudit règlement, et enfin, sur le critère du lien avec une personne ou une entité visée par les mesures restrictives, défini à la dernière partie de la phrase du paragraphe 2 de l’article 27 et du paragraphe 2 de l’article 28 de la décision 2013/255 ainsi qu’à la dernière partie de la phrase du paragraphe 1 bis de l’article 15 du règlement no 36/2012.
{4} Arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil (T 510/18, EU:T:2020:436, point 77).
{5} Article 27, paragraphe 2, et article 28, paragraphe 2, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836.
{6} Voir à ce propos arrêt du 24 novembre 2021, Foz/Conseil (T 258/19, non publié, EU:T:2021:820).
253. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Portée du contrôle - Inscription du requérant sur la liste annexée à la décision attaquée du fait de sa qualité d'homme d'affaires influent exerçant ses activités en Syrie - Documents accessibles au public - Valeur probante - Principe de libre appréciation des preuves
M. Amer Foz est un homme d’affaires de nationalité syrienne. Son nom avait été inscrit en février 2020{1} sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil de l’Union européenne, puis y avait été maintenu en mai 2020 et en mai 2021{2}. Il y avait été inscrit en tant qu’homme d’affaires influent ayant des intérêts commerciaux personnels et familiaux et des activités dans de multiples secteurs de l’économie syrienne, tirant des profits financiers de son accès à des débouchés commerciaux et soutenant le régime syrien, tout en étant associé à son frère M. Samer Foz, lequel est également inscrit sur les listes. En mai 2021, le Conseil avait également indiqué que M. Amer Foz menait de nombreux projets commerciaux avec son frère, notamment dans le secteur de la production de câbles et d’énergie solaire, et que les deux frères exerçaient diverses activités avec l’État islamique en Irak et au Levant (ci-après l’« EIIL ») au nom du régime syrien, y compris la fourniture d’armes et de munitions en échange d’huile et de blé.
Le nom de M. Amer Foz avait été inscrit sur les listes en cause à l’aune de trois critères, à savoir celui de l’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, celui de l’association avec le régime syrien et celui du lien avec une personne ou une entité visée par les mesures restrictives{3}.
Le Tribunal rejette le recours en annulation introduit par M. Amer Foz à l’encontre des actes ayant inscrit son nom sur les listes litigieuses (ci-après les « actes initiaux », les « actes de maintien de 2020 » et les « actes de maintien de 2021 »), en précisant les critères relatifs à ladite inscription dans le cas de l’application simultanée par le Conseil de différents critères d’inscription. Dans ce contexte, le Tribunal spécifie notamment la portée du critère du lien avec une autre personne ou entité déjà visée par des mesures restrictives. Il examine également, de manière inédite, la condition relative à l’existence d’informations suffisantes indiquant que les personnes inscrites sur les listes ne sont pas associées à un risque réel de contournement des mesures adoptées. Si cette condition est remplie, une personne ayant un lien avec une autre personne ou une entité visée par des mesures restrictives n’est alors pas maintenue sur lesdites listes.
Appréciation du Tribunal
Le Tribunal rappelle, tout d’abord, que, pour une même personne, plusieurs motifs d’inscription peuvent se recouper tout en s’appuyant, dans une telle hypothèse, sur des critères différents. En application, par analogie, de l’arrêt Kaddour/Conseil{4}, une personne peut être qualifiée de femme ou d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et être considérée comme étant liée, notamment par des liens d’affaires, à une autre personne visée par les mesures restrictives au travers de ces mêmes activités. De même, cette personne peut être associée au régime syrien tout en étant liée, pour les mêmes raisons, à une personne visée par les mesures restrictives.
Concernant, ensuite, le critère du lien entretenu par M. Amer Foz avec une personne ou une entité visée par les mesures restrictives{5}, le Tribunal rappelle que le frère de M. Amer Foz a été inscrit en raison de son statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et de son association avec le régime syrien. Ce dernier n’ayant pas établi, devant le Tribunal{6}, que les mesures adoptées contre lui devaient être annulées, celles-ci bénéficient de la présomption de légalité attachée aux actes des institutions de l’Union et continuent, dès lors, à produire des effets juridiques aussi longtemps qu’elles n’ont pas été retirées, annulées ou déclarées invalides. Le Conseil ne soutenant pas que l’appartenance à la famille Foz soit un critère d’inscription autonome, à la différence de l’appartenance aux familles Al-Assad ou Makhlouf, selon la décision 2013/255, le Tribunal considère que l’existence de ce lien fraternel doit être examiné comme un élément factuel, dans le cadre notamment de l’examen des liens d’affaires qu’entretiennent MM. Amer et Samer Foz.
Le Tribunal conclut à cet égard que le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants quant aux liens qu’entretiennent MM. Amer et Samer Foz dans le cadre desdites relations d’affaires, à la date d’adoption des actes initiaux, d’une part, par l’intermédiaire de l’entreprise familiale Aman Holding et de la société ASM International General Trading, par l’intermédiaire, d’autre part, de ladite entreprise familiale en ce qui concerne les actes de maintien de 2020, et enfin, s’agissant des actes de maintien de 2021, étant donné que ceux-ci menaient des activités avec l’EIIL au nom du régime syrien. L’existence de liens d’affaires entre les deux hommes se concrétise également par une forme de concertation dans la gestion de leurs portefeuilles d’actions.
Enfin, au regard des dispositions pertinentes de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, compte tenu de la position privilégiée de M. Samer Foz dans l’économie syrienne et de son influence, des liens d’affaires présents ou passés existant entre M. Amer Foz et celui-ci, du fait qu’ils sont frères, de l’importance de l’entreprise familiale dans laquelle ils détenaient des parts et ont occupé des postes à responsabilités ainsi que de l’impossibilité d’écarter une possible concertation entre M. Amer Foz et son frère pour céder leurs parts dans différentes sociétés, le Tribunal juge qu’il est raisonnable de penser que M. Amer Foz est associé à un risque réel de contournement des mesures restrictives.
{1} Décision d’exécution (PESC) 2020/212 du Conseil, du 17 février 2020, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 43 I, p. 6) et règlement d’exécution (UE) 2020/211 du Conseil, du 17 février 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 43 I, p. 1).
{2} Décision (PESC) 2020/719 du Conseil, du 28 mai 2020, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 168, p. 66) et règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil, du 28 mai 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 168, p. 1) ; décision (PESC) 2021/855 du Conseil, du 27 mai 2021, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2021, L 188, p. 90) et règlement d’exécution (UE) 2021/848 du Conseil, du 27 mai 2021, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2021, L 188, p. 18).
{3} Les motifs s’appuyaient, d’une part, sur le critère de l’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, défini au paragraphe 2, sous a), de l’article 27 et de l’article 28 de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et au paragraphe 1 bis, sous a), de l’article 15 du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, d’autre part, sur le critère de l’association avec le régime syrien défini au paragraphe 1 de l’article 27 et de l’article 28 de ladite décision et au paragraphe 1, sous a), de l’article 15 dudit règlement, et enfin, sur le critère du lien avec une personne ou une entité visée par les mesures restrictives, défini à la dernière partie de la phrase du paragraphe 2 de l’article 27 et du paragraphe 2 de l’article 28 de la décision 2013/255 ainsi qu’à la dernière partie de la phrase du paragraphe 1 bis de l’article 15 du règlement no 36/2012.
{4} Arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil (T 510/18, EU:T:2020:436, point 77).
{5} Article 27, paragraphe 2, et article 28, paragraphe 2, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836.
{6} Voir à ce propos arrêt du 24 novembre 2021, Foz/Conseil (T 258/19, non publié, EU:T:2021:820).
Arrêt du 18 mai 2022, Foz / Conseil (T-296/20) (cf. points 96, 97, 101, 102, 104-106, 109-112)
Arrêt du 22 juin 2022, Haswani / Conseil (T-479/21) (cf. points 104-105, 107-108, 111-112)
Arrêt du 15 mai 2024, Anbouba / Conseil (T-471/22) (cf. points 59, 60, 62, 63, 122)
Arrêt du 12 juin 2024, Shammout / Conseil (T-649/22) (cf. points 67, 69, 72, 74, 75, 78, 83)
254. Droits fondamentaux - Droit à une protection juridictionnelle effective - Limites - Respect des conditions de recevabilité d'un recours
Ordonnance du 9 juin 2022, UPTR / Parlement et Conseil (C-603/21 P) (cf. points 34, 35)
Ordonnance du 20 octobre 2022, Mendes de Almeida / Conseil (C-576/21 P) (cf. point 55)
255. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Instrument d'aide à la préadhésion - État tiers - Marché public national - Résiliation du contrat par le pouvoir adjudicateur - Demande de mise à exécution par le pouvoir adjudicateur d'une garantie bancaire - Contreseing par le chef de la délégation de l'Union dans l'État tiers ou par son adjoint - Incompétence du juge de l'Union
256. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Instrument d'aide à la préadhésion - Procédure de passation de marchés publics dans le cadre de la gestion décentralisée d'un programme de l'Union - Marché public national - Résiliation du contrat par le pouvoir adjudicateur - Demande de mise à exécution par le pouvoir adjudicateur d'une garantie bancaire - Contreseing par le chef de la délégation de l'Union dans l'État tiers ou par son adjoint - Situation juridique s'inscrivant dans le cadre de relations contractuelles régies par la loi nationale désignée par les parties contractantes - Incompétence du juge de l'Union
257. Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Conditions de recevabilité - Décision de l'agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) adoptant une méthodologie régionale commune pour le calcul coordonné de la capacité journalière et infrajournalière dans le secteur de l'électricité - Acte instituant l'ACER prévoyant une voie de recours interne contre la décision de l'ACER - Recours en annulation introduit contre la décision de l'ACER sans épuisement de la voie de recours interne - Irrecevabilité - Limites - Moyens dirigés contre des motifs retenus par la décision de l'ACER et confirmés par la décision prise après épuisement de la voie de recours interne - Moyens opérants
Le 24 juillet 2015, la Commission européenne a adopté le règlement 2015/1222 établissant une ligne directrice relative à l’allocation de la capacité et à la gestion de la congestion{1} dans le secteur de l’électricité. Ce règlement énonce une série d’exigences relatives à l’allocation de la capacité d’échange entre zones et à la gestion de la congestion sur les marchés journalier et infrajournalier, dont, notamment, la détermination d’une méthodologie commune relative au calcul coordonné de la capacité (ci-après la « CCM ») dans chacune des régions de calcul de la capacité (ci-après les « CCR »){2}.
En application de ce règlement{3}, les gestionnaires de réseau de transport de la CCR Core{4} ont soumis à l’approbation des autorités de régulation nationales de la région concernée deux propositions concernant, respectivement, le projet régional de CCM journalière et le projet régional de CCM infrajournalière, lesquelles ont été amendées à la demande desdites autorités.
Les autorités de régulation n’étant pas parvenues à un accord unanime pour valider les deux propositions amendées, l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) a, en vertu du même règlement{5}, adopté une décision portant sur les CCM journalière et infrajournalière de la CCR Core (ci-après la « décision initiale »).
La requérante, Bundesnetzagentur für Elektrizität, Gas, Telekommunikation, Post und Eisenbahnen (BNetzA), en sa qualité d’autorité de régulation nationale de la République fédérale d’Allemagne, a formé un recours{6} contre la décision initiale devant la commission de recours de l’ACER (ci-après la « commission de recours »). Son recours ayant été rejeté par cette dernière, la requérante a saisi le Tribunal d’un recours tendant, à titre principal, à l’annulation de certaines dispositions de la décision initiale ainsi que de la décision de la commission de recours et, à titre subsidiaire, à l’annulation de ces deux décisions dans leur intégralité.
Dans son arrêt, la deuxième chambre élargie du Tribunal, tout en déclarant irrecevable le recours pour autant qu’il est dirigé contre la décision initiale, annule la décision de rejet de la commission de recours. À cette occasion, le Tribunal précise, d’une part, l’étendue de la compétence de l’ACER par rapport à celle des autorités de régulation nationales dans le cadre de l’adoption des CCM régionales et, d’autre part, le droit matériel applicable en l’espèce.
Appréciation du Tribunal
À titre liminaire, le Tribunal déclare irrecevable le recours en annulation de la requérante en ce qu’il est dirigé contre la décision initiale. À cet égard, il relève que la recevabilité d’un recours en annulation formé par des personnes physiques ou morales contre des actes de l’ACER destinés à produire des effets juridiques à leur égard est à examiner au regard des modalités particulières prévues par l’acte instituant cette agence, à savoir le règlement 2019/942{7}. Ainsi, conformément audit règlement, le recours en annulation d’une décision prise par l’ACER ne peut, en cas de recours interne introduit contre cette décision, être recevable que s’il est dirigé contre la décision de la commission de recours ayant rejeté ce recours interne ou ayant, le cas échéant, confirmé la décision initiale{8}. Par conséquent, pour autant que la décision de la commission de recours repose sur les motifs retenus dans la décision initiale, voire confirme lesdits motifs, les moyens et les arguments dirigés contre ces mêmes motifs doivent être considérés comme pleinement opérants aux fins du contrôle de la légalité de la décision de la commission de recours.
Conformément à la détermination effectuée ci-avant, le Tribunal poursuit son analyse sur le fond. Il examine, en premier lieu, si la commission de recours a commis une erreur de droit en omettant de constater que, en adoptant la décision initiale, l’ACER aurait outrepassé les limites de sa compétence. À cette fin, il vérifie si les dispositions des règlements 2019/942{9} et 2015/1222{10}, en vigueur et applicables au moment de l’adoption de la décision de la commission de recours, habilitaient l’ACER à adopter définitivement les CCM journalière et infrajournalière de la CCR Core. Ainsi, aux termes de ces dispositions, l’ACER est compétente pour statuer ou pour adopter des décisions individuelles sur des questions ou des problèmes de réglementation ayant un effet sur le commerce transfrontalier ou sur la sécurité du réseau transfrontalier, telles que l’adoption des CMM journalière et infrajournalière de chaque CCR, lorsque, comme en l’espèce, les autorités de régulation nationales compétentes ne sont pas parvenues à un accord. En effet, contrairement à l’argumentation avancée par la requérante, il ne ressort pas desdites dispositions que la compétence de l’ACER serait limitée aux seuls points de désaccord entre les autorités concernées. En revanche, les questions de réglementation ou les problèmes relevant initialement de la compétence des autorités de régulation nationales, avant, faute d’accord entre ces dernières, de ressortir de celle de l’ACER{11}, sont appréhendés comme un tout indissociable dont les autorités de régulation nationales, puis l’ACER, se trouvent être globalement saisies sans qu’une distinction soit opérée entre les points d’accord et de désaccord.
Cette interprétation littérale est confortée par le contexte et les objectifs poursuivis par la réglementation dont ces dispositions font partie. À cet égard, il découle de l’exposé des motifs des propositions de règlement 2019/942 et de règlement no 713/2009{12}, antérieurement applicable, une volonté claire du législateur de l’Union de rendre la prise de décisions sur des questions transfrontalières plus efficace et plus rapide, et ce par un renforcement des pouvoirs de décision individuelle de l’ACER qui soit conciliable avec le maintien du rôle central des autorités de régulation nationales en matière de régulation énergétique, conformément aux principes de subsidiarité et de proportionnalité. Il ressort également du préambule du règlement 2019/942{13} que l’ACER a été instituée pour combler le vide réglementaire au niveau de l’Union et pour contribuer au fonctionnement efficace des marchés intérieurs de l’électricité et du gaz naturel.
Dès lors, la finalité des dispositions interprétées et le contexte dans lequel celles-ci s’inscrivent, ainsi que les circonstances propres du cas d’espèce confirment que l’ACER est habilitée à statuer elle-même sur l’élaboration des CCM régionales lorsque les autorités de régulation, au niveau des États membres, n’ont pas réussi à arrêter une décision à cet égard, sans préjudice du maintien du rôle central reconnu aux autorités de régulation nationales à travers l’avis conforme du conseil des régulateurs dans lequel elles sont représentées, et sans que sa compétence se limite aux seuls aspects particuliers sur lesquels le désaccord entre lesdites autorités se serait cristallisé. De même, dans la mesure où des pouvoirs de décision propres ont été attribués à l’ACER pour lui permettre de remplir ses fonctions réglementaires de façon indépendante et efficace, l’ACER est autorisée à modifier les propositions des gestionnaires de réseau de transport afin d’assurer leur conformité au droit de l’Union relatif à l’énergie, et elle ne saurait être liée par les éventuels points d’accord entre les autorités de régulation nationales compétentes.
Partant, le Tribunal conclut que la commission de recours n’a pas commis d’erreur de droit en ne constatant pas que l’ACER aurait outrepassé les limites de sa compétence lorsque celle-ci a statué, dans la décision initiale, sur des points des CCM journalière et infrajournalière de la CCR Core qui auraient fait l’objet d’un accord entre les autorités de régulation nationales de cette CCR.
En second lieu, le Tribunal vérifie si, en n’ayant pas contrôlé la légalité des CCM figurant dans la décision initiale de l’ACER, au regard des exigences encadrant l’adoption des CCM prévues aux articles 14 à 16 du règlement 2019/943, la commission de recours a commis une erreur de droit dans la détermination du droit applicable.
À cet égard, le Tribunal relève que les articles 14 à 16 du règlement 2019/943 encadrent l’allocation de la capacité sur les marchés d’échanges transfrontaliers d’électricité journaliers et infrajournaliers et déterminent, ainsi, les exigences qui doivent être prises en compte aux fins de l’adoption des CCM journalière et infrajournalière. Par ailleurs, il rappelle qu’une règle de droit nouvelle s’applique, en principe, à compter de l’entrée en vigueur de l’acte qui l’instaure et que, si elle ne s’applique pas aux situations juridiques nées et définitivement acquises sous l’empire de la loi ancienne, elle s’applique aux effets futurs de celles-ci, ainsi qu’aux situations juridiques nouvelles. Or, au moment de l’adoption de la décision initiale, à savoir le 21 février 2019, les articles 14 à 16 du règlement 2019/943 n’étaient pas encore entrés en vigueur ni applicables, alors qu’ils l’étaient, avec certaines limites s’agissant de l’article 16, au moment de l’adoption de la décision de la commission de recours, à savoir le 11 juillet 2019. Ainsi, dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, un recours est introduit devant la commission de recours contre une décision de l’ACER portant sur des CCM journalière ou infrajournalière, c’est la décision de la commission de recours confirmant cette décision qui fixe définitivement la position de l’ACER sur cette méthodologie, à la suite d’un examen complet de la situation en cause, en fait et en droit, par ladite commission, au regard du droit applicable au moment où elle statue. Par conséquent, dès lors que les articles 14 à 16 du règlement 2019/943 étaient déjà applicables à cette date, la commission de recours était tenue de vérifier si les CCM approuvées par l’ACER dans la décision initiale étaient conformes aux nouvelles règles issues de ces articles.
Il s’ensuit que, en n’ayant pas contrôlé la légalité des CCM journalière et infrajournalière de la CCR Core au regard des exigences des articles 14 à 16 du règlement 2019/943, la commission de recours a commis une erreur de droit dans la détermination du droit applicable au moment de l’adoption définitive desdites CCM.
Par conséquent, la décision de la commission de recours est annulée.
{1} Règlement (UE) 2015/1222 de la Commission, du 24 juillet 2015, établissant une ligne directrice relative à l'allocation de la capacité et à la gestion de la congestion (JO 2015, L 197, p. 24).
{2} Articles 20 à 26 du règlement 2015/1222.
{3} Article 9, paragraphe 7, et article 20, paragraphe 2, du règlement 2015/1222.
{4} La « CCR Core » est la zone géographique comprenant la Belgique, la République tchèque, l’Allemagne, la France, la Croatie, le Luxembourg, la Hongrie, les Pays-Bas, l’Autriche, la Pologne, la Roumanie, la Slovénie et la Slovaquie, établie pour le calcul de la capacité, conformément à l’article 15 du règlement 2015/1222.
{5} Article 9, paragraphe 12, du règlement 2015/1222.
{6} En vertu de l’article 19 du règlement (CE) no 713/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, instituant une agence de coopération des régulateurs de l’énergie (JO 2009, L 211, p. 1).
{7} Règlement (UE) 2019/942 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, instituant une agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (refonte) (JO 2019, L 158, p. 22, ci-après le « règlement 2019/942 »).
{8} Considérant 34 et articles 28 et 29 du règlement 2019/942.
{9} Article 6, paragraphe 10, du règlement 2019/942, antérieurement article 8, paragraphe 1, du règlement no 713/2009.
{10} Article 9, paragraphe 12, du règlement 2015/1222.
{11} Article 6, paragraphe 10, du règlement 2019/942, antérieurement article 8, paragraphe 1, du règlement no 713/2009.
{12} Règlement (CE) no 713/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, instituant une agence de coopération des régulateurs de l’énergie (JO 2009, L 211, p. 1).
{13} Considérant 10 du règlement 2019/942, antérieurement considérant 5 du règlement no 713/2009.
Arrêt du 7 septembre 2022, BNetzA / ACER (T-631/19) (cf. points 20, 24-28)
258. Agriculture - Financement par le Feader - Apurement des comptes - Procédures d'apurement de conformité consécutives - Mise en œuvre par la Commission desdites procédures sans attendre l'issue d'une éventuelle procédure judiciaire - Violation de l'économie de la procédure - Absence
Arrêt du 7 septembre 2022, Grèce / Commission (T-217/20) (cf. points 47-49)
259. Recours en annulation - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Annulation d'une note de débit émise et une lettre de préinformation adressée par la Commission - Irrecevabilité
Arrêt du 26 octobre 2022, LE / Commission (T-475/20) (cf. points 42, 43)
260. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Gel des fonds de certaines personnes et entités au regard de la situation en Ukraine - Recours en annulation d'une personne visée par une décision de gel des fonds - Répartition de la charge de la preuve - Contrôle juridictionnel
Arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov / Conseil (T-714/20) (cf. points 62-66, 73)
261. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Demande en annulation d'une décision du Conseil portant conclusion d'un accord international - Adoption de cette décision par le Conseil uniquement - Admissibilité
Par la décision 2019/1754{1}, le Conseil de l’Union européenne a approuvé l’adhésion de l’Union à l’acte de Genève{2} de l’arrangement de Lisbonne{3} sur les appellations d’origine et les indications géographiques.
L’arrangement de Lisbonne constitue un arrangement particulier, au sens de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle{4}, auquel tout État partie à cette convention peut adhérer. Sept États membres de l’Union sont membres de celui-ci. Conformément à cet arrangement, les États auxquels il s’applique sont constitués à l’état d’Union particulière dans le cadre de l’Union pour la protection de la propriété industrielle instituée par la convention de Paris. L’acte de Genève a ouvert à l’Union la possibilité de devenir membre de la même Union particulière que les États parties à l’arrangement de Lisbonne, alors que ce dernier ne permettait que l’adhésion d’États.
L’adhésion de l’Union à l’acte de Genève a été approuvée, au nom de l’Union, en vertu de l’article 1er de la décision attaquée. Les articles 2 et 5 de cette décision établissent les modalités pratiques de cette adhésion. L’article 3 de la décision attaquée autorise les États membres qui le souhaitent à ratifier l’acte de Genève ou à y adhérer. Quant à l’article 4 de cette décision, il apporte des précisions au sujet de la représentation de l’Union et des États membres qui ratifieraient l’acte de Genève ou y adhéreraient au sein de l’Union particulière, ainsi que des responsabilités incombant à l’Union en matière d’exercice des droits et de respect des obligations de celle-ci et de ces États membres, découlant dudit acte.
La Commission a introduit un recours tendant à l’annulation partielle de la décision attaquée, à savoir de son article 3 et de son article 4, dans la mesure où ce dernier contient des références aux États membres. Elle a reproché au Conseil d’avoir amendé sa proposition{5}, par l’introduction d’une disposition autorisant les États membres qui le souhaitent à ratifier l’acte de Genève ou à y adhérer. La proposition de la Commission, présentée sur le fondement des dispositions du traité FUE visant la mise en œuvre de la politique commerciale commune{6} et la procédure d’adoption d’une décision portant conclusion de l’accord international dans ce domaine{7}, prévoyait, compte tenu de la compétence exclusive de l’Union, que seule cette dernière adhère à l’acte de Genève.
Statuant en grande chambre, la Cour se prononce sur la recevabilité du recours, au regard des critères de l’auteur de l’acte attaqué et du caractère détachable du reste de l’acte des éléments dont l’annulation est demandée. Par ailleurs, dans le cadre de l’examen du moyen principal, qu’elle accueille, la Cour se prononce sur l’habilitation à adopter des actes juridiquement contraignants, tels qu’une adhésion à un accord international, octroyée aux États membres par le Conseil, dans un domaine relevant de la compétence exclusive de l’Union. La Cour annule partiellement la décision attaquée en constatant qu’elle a été adoptée en violation de l’article 293, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 13, paragraphe 2, TUE.
Appréciation de la Cour
La Cour écarte d’emblée l’argument invoqué par la République italienne, selon lequel le recours serait irrecevable au motif qu’il est dirigé uniquement contre le Conseil et non également contre le Parlement européen. En effet, elle constate que, en vertu de l’article 218, paragraphe 6, TFUE, nonobstant l’approbation préalable du Parlement européen, seul le Conseil est habilité à adopter une décision portant conclusion d’un accord international. C’est donc à bon droit que la décision attaquée a été signée par le seul président du Conseil, cette signature identifiant ainsi l’auteur de cette décision, contre lequel le recours devait être dirigé.
D’autre part, la Cour rejette l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil, qui soutenait que les dispositions de la décision attaquée dont la Commission demande l’annulation ne sont pas détachables du reste de cette décision et que son annulation partielle n’est dès lors pas possible.
Dans ce contexte, la Cour rappelle que la vérification du caractère détachable des dispositions contestées suppose l’examen de la portée de ces dispositions, afin de pouvoir évaluer, de manière objective, si leur annulation modifierait l’esprit et la substance de l’acte attaqué. À cet égard, elle constate que la substance de la décision attaquée consiste en l’adhésion de l’Union à l’acte de Genève, approuvée au nom de l’Union en vertu de l’article 1er de ladite décision. En revanche, les dispositions dont la Commission demande l’annulation visent à permettre aux États membres qui le souhaitent de ratifier l’acte de Genève ou d’y adhérer aux côtés de l’Union. Or, la Cour relève que ni la situation où aucun État membre n’exercerait cette faculté ni les conséquences en découlant n’affecteraient la portée juridique de l’article 1er de la décision attaquée ni ne remettraient en question l’adhésion de l’Union à l’acte de Genève. La Cour précise que le fait que la Commission ait demandé le maintien temporaire, à compter de la date du prononcé de l’arrêt à intervenir, des effets des parties de la décision attaquée dont elle demande l’annulation en ce qui concerne les États membres qui sont parties à l’arrangement de Lisbonne, n’a aucune incidence sur le caractère détachable des dispositions de la décision attaquée dont l’annulation est demandée.
Sur le fond, la Cour examine le moyen principal tiré de ce que le Conseil, en amendant la proposition de la Commission par l’introduction d’une disposition autorisant les États membres qui le souhaitent à ratifier l’acte de Genève ou à y adhérer, aurait agi en dehors de toute initiative de la Commission, violant ainsi l’article 218, paragraphe 6, et l’article 293, paragraphe 1, TFUE et portant préjudice à l’équilibre institutionnel résultant de l’article 13, paragraphe 2, TUE.
En premier lieu, la Cour conclut à l’applicabilité de l’article 293, paragraphe 1, TFUE, lorsque le Conseil, statuant sur proposition de la Commission agissant en tant que négociateur désigné par lui, en vertu de l’article 218, paragraphe 3, TFUE, adopte une décision portant conclusion d’un accord international, au titre de l’article 218, paragraphe 6, TFUE.
En second lieu, la Cour examine l’argument pris de la violation de l’article 293, paragraphe 1, TFUE.
À ces fins, elle rappelle, tout d’abord, que cette disposition doit être lue conformément au principe de l’équilibre institutionnel, caractéristique de la structure institutionnelle de l’Union, qui implique que chacune des institutions exerce ses compétences dans le respect de celles des autres, ainsi qu’au principe de coopération loyale entre lesdites institutions{8}. Dans ce contexte, les actes de l’Union autres que législatifs, tels que la décision attaquée portant conclusion de l’accord international en cause, sont adoptés sur proposition de la Commission. Or, au titre de ce pouvoir d’initiative, la Commission promeut l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées à cette fin. L’article 293 TFUE, en prévoyant, d’une part, un pouvoir d’amendement de la proposition par le Conseil requérant, sauf exception, l’unanimité et, d’autre part, un pouvoir de la Commission de modifier sa proposition tant que le Conseil n’a pas statué, assure le respect du principe de l’équilibre institutionnel entre les compétences de la Commission et celles du Conseil. Ainsi, le pouvoir d’amendement du Conseil ne saurait s’étendre jusqu’à permettre de dénaturer la proposition de la Commission, dans un sens qui ferait obstacle à la réalisation des objectifs poursuivis et la priverait de sa raison d’être.
Partant, la Cour vérifie ensuite si la modification apportée par le Conseil a dénaturé l’objet ou la finalité de la proposition de la Commission dans un sens qui ferait obstacle à la réalisation des objectifs poursuivis par celle-ci.
Elle rappelle à cet égard que l’objet de ladite proposition consistait en l’adhésion de l’Union seule à l’acte de Genève et que sa finalité était de permettre à l’Union d’exercer correctement sa compétence exclusive dans le domaine relevant de cet acte, à savoir la politique commerciale commune, fondée sur des principes uniformes et menée dans le cadre des principes et objectifs de l’action extérieure de l’Union, compétence dont relève la négociation de l’acte de Genève.
La Cour précise, par ailleurs, que, lorsque les traités attribuent à l’Union une compétence exclusive dans un domaine déterminé, seule l’Union peut légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants, sauf si celle-ci habilite les États membres pour ce faire{9}. En outre, le principe d’attribution des compétences ainsi que le cadre institutionnel défini dans le traité UE afin de permettre l’exercice, par l’Union, des compétences que les traités lui ont attribuées constituent des caractéristiques spécifiques de l’Union et de son droit relatives à la structure constitutionnelle de l’Union.
Or, la Cour constate que, en décidant d’octroyer aux États membres une habilitation pour ratifier l’acte de Genève ou pour y adhérer, le Conseil a exprimé un choix politique alternatif à la proposition de la Commission, qui affecte les modalités d’exercice d’une compétence exclusive de l’Union, alors qu’un tel choix relève de l’appréciation de l’intérêt général de l’Union par la Commission, appréciation à laquelle le pouvoir d’initiative de la Commission est indissociablement lié.
La Cour en conclut que cette habilitation octroyée par le Conseil dénature l’objet et la finalité de la proposition de la Commission, exprimant son choix politique de permettre à l’Union d’adhérer seule à l’acte de Genève et, ainsi, d’exercer seule sa compétence exclusive dans le domaine relevant dudit acte.
En outre, elle ajoute que cette conclusion ne saurait être remise en cause par la circonstance que l’autorisation prévue à l’article 3 de la décision attaquée était accordée sous réserve du plein respect de la compétence exclusive de l’Union et que, conformément à l’article 4 de cette décision, pour garantir l’unité de la représentation internationale de l’Union et de ses États membres, le Conseil avait confié à la Commission la représentation de l’Union ainsi que celle de tout État membre souhaitant faire usage de cette autorisation. En effet, malgré cet encadrement, par l’utilisation de cette autorisation, lesdits États exerceraient, en tant que sujets de droit international indépendants aux côtés de l’Union, une compétence exclusive de celle-ci, l’empêchant ainsi de l’exercer seule.
Enfin, les arguments relatifs à la nécessité d’assurer que l’Union dispose de droits de vote à l’Assemblée de l’Union particulière et de préserver l’ancienneté et la continuité de la protection des appellations d’origine enregistrées au titre de l’arrangement de Lisbonne dans les sept États membres qui étaient déjà parties à ce dernier ne sauraient justifier l’amendement du Conseil. En effet, la Cour juge que les difficultés éventuelles que l’Union pourrait rencontrer sur le plan international dans l’exercice de ses compétences exclusives ou les conséquences de cet exercice sur les engagements internationaux des États membres ne sauraient, en tant que telles, autoriser le Conseil à modifier une proposition de la Commission au point d’en dénaturer l’objet ou la finalité, violant ainsi le principe d’équilibre institutionnel dont l’article 293 TFUE vise à assurer le respect.
{1} Décision (UE) 2019/1754 du Conseil, du 7 octobre 2019, relative à l’adhésion de l’Union européenne à l’acte de Genève de l’arrangement de Lisbonne sur les appellations d’origine et les indications géographiques (JO 2019, L 271, p. 12, ci-après la « décision attaquée »).
{2} Acte de Genève de l’arrangement de Lisbonne sur les appellations d’origine et les indications géographiques (JO 2019, L 271, p. 15, ci-après l’« acte de Genève »).
{3} L’arrangement de Lisbonne concernant la protection des appellations d’origine et leur enregistrement international a été signé le 31 octobre 1958, révisé à Stockholm le 14 juillet 1967 et modifié le 28 septembre 1979 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 828, no 13172, p. 205, ci-après l’« arrangement de Lisbonne »).
{4} La convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle a été signée à Paris le 20 mars 1883, révisée en dernier lieu à Stockholm le 14 juillet 1967 et modifiée le 28 septembre 1979 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 828, no 11851, p. 305).
{5} Proposition de la Commission, du 27 juillet 2018, de décision du Conseil relative à l’adhésion de l’Union européenne à l’acte de Genève de l’arrangement de Lisbonne sur les appellations d’origine et les indications géographiques [document COM(2018) 350 final].
{6} Article 207 TFUE.
{7} Article 218, paragraphe 6, sous a), TFUE.
{8} Principes énoncés à l’article 13, paragraphe 2, TUE.
{9} Article 2, paragraphe 1, TFUE.
262. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir un arrêt déclaratoire - Conclusions tendant à obtenir des constatations d'un manquement au droit de l'Union - Irrecevabilité
Ordonnance du 1er décembre 2022, UNIS / Commission (C-324/22 P) (cf. point 22)
263. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Portée - Interdiction de statuer ultra petita - Obligation de respecter le cadre du litige défini par les parties - Obligation de statuer à partir des seuls arguments invoqués par les parties - Absence - Principe jura novit curia
Le 1er septembre 2016, Neoperl AG a présenté une demande d’enregistrement d’une marque représentant un insert sanitaire cylindrique à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en tant que marque de l’Union européenne pour des produits relevant de la classe 11{1}.
La protection revendiquée porte tant sur la structure des régulateurs de jet que sur l’aspect tactile du signe. Cette demande a été rejetée par l’examinatrice au motif que, en substance, celle-ci n’était pas suffisamment précise.
Par décision du 3 juin 2021, la chambre de recours de l’EUIPO a considéré que le signe dont l’enregistrement était demandé en tant que marque était dépourvu de caractère distinctif{2} et a rejeté le recours.
Saisi du recours contre cette décision, le Tribunal annule la décision de la chambre de recours et se prononce, pour la première fois, sur l’application dans le domaine du droit des marques d’un moyen, soulevé d’office, tiré de la violation du champ d’application de la loi, appliquée à l’égard de l’examen de la demande d’enregistrement d’une marque tactile de position.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal relève d’office le moyen tiré de la violation du champ d’application de la loi.
À cet égard, le Tribunal rappelle qu’il ressort de la lecture combinée des dispositions de l’article 4 du règlement nº 207/2009, dans sa version applicable rationae temporis, et de l’article 7, paragraphe 1, sous a) et b), de ce règlement, que le caractère distinctif d’un signe ne saurait être apprécié, aux fins de son enregistrement, qu’une fois qu’il a été constaté que celui-ci constituait une marque au sens de l’article 4 du règlement nº 207/2009, à savoir à partir du moment où il a été constaté qu’il était susceptible d’une représentation graphique.
Or, contrairement à ce qui découle de ces considérations, la chambre de recours a procédé à l’examen du caractère distinctif d’une marque sans avoir examiné au préalable si le signe dont l’enregistrement était demandé était susceptible de constituer une marque. .
Il en ressort que l’interprétation des règles de droit pertinentes, et notamment la question de savoir si le signe dont l’enregistrement est demandé en tant que marque de l’Union européenne remplit les conditions énoncées à l’article 4 du règlement nº 207/2009, dont celle d’être susceptible d’une représentation graphique, et de pouvoir donc constituer une marque, est, en l’espèce, une question préalable dont la résolution est nécessaire pour procéder à l’examen des moyens du recours tirés de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), et de l’article 95, paragraphe 1, du règlement nº 207/2009.
Par conséquent, le Tribunal méconnaîtrait son office de juge de la légalité si, d’une part, il s’abstenait de relever, même en l’absence de contestation des parties sur ce point, que la décision attaquée a été prise sur la base d’une norme, à savoir une disposition portant sur le refus d’enregistrement de marques dépourvues de caractère distinctif, qui pourrait s’avérer insusceptible de trouver application au cas d’espèce dans l’hypothèse, non vérifiée par la chambre de recours, où le signe dont l’enregistrement est demandé ne constituerait pas une marque au sens de l’article 4 du règlement nº 207/2009 et si, d’autre part, il était conduit à statuer sur le litige dont il est saisi en faisant lui-même application de cette norme.
Après avoir relevé d’office le moyen tiré de la violation du champ d’application de la loi, le Tribunal se penche, en second lieu, sur son bien-fondé. À cet égard, il examine si le signe dont l’enregistrement est demandé est susceptible d’une représentation graphique et si, par conséquent, la disposition portant sur le refus d’enregistrement de marques dépourvues de caractère distinctif était applicable en l’espèce.
Le Tribunal constate que la structure du signe en cause est susceptible d’une représentation graphique. En revanche, tel n’est pas le cas de l’impression tactile produite par cette structure. En effet, l’impression tactile produite par le signe dont l’enregistrement est demandé ne ressort pas de manière précise et complète de la représentation graphique de ce signe en elle-même, mais, tout au plus, de la description l’accompagnant. Dès lors, cette description ne précise pas la représentation graphique du signe au sens de la jurisprudence{3}, mais, au contraire, peut susciter des doutes sur l’objet et l’étendue de cette représentation graphique en ce qu’elle tente d’élargir l’objet de la protection demandée.
Le signe en cause ne remplit donc pas les conditions visées à l’article 4 du règlement nº 207/2009 et se heurte au motif absolu de refus visé à l’article 7, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, selon lequel sont refusés à l’enregistrement les signes qui ne sont pas conformes à l’article 4 susvisé. Par conséquent, l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 207/2009 n’était pas susceptible de s’appliquer à l’appréciation de la demande d’enregistrement du signe en cause, lequel n’était pas susceptible de constituer une marque, de sorte que la chambre de recours a adopté la décision attaquée, en refusant l’enregistrement du signe en application de cette disposition, en violation du champ d’application de la loi.
{1} Au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.
{2} Le caractère distinctif d’une marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) nº 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1).
{3} Arrêt du 29 juillet 2019, Red Bull/EUIPO, (C-124/18 P, EU:C:2019:641, point 37 et jurisprudence citée).
264. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées - Disposition d'un règlement de la Commission exonérant de droits antidumping certaines importations faisant l'objet d'une utilisation particulière - Annulation n'entraînant pas de modification de la substance du règlement - Condition remplie - Recevabilité
Par le règlement d’exécution 2020/1336{1}, la Commission européenne a institué un droit antidumping définitif sur les importations de certains alcools polyvinyliques (ci-après le « PVAL ») originaires de la République populaire de Chine. Le règlement prévoit également que les importations de PVAL destiné à la fabrication d’adhésif à base de mélange sec sont exonérées de l’imposition de ce droit antidumping (ci-après l’« exonération en cause »){2}.
Grünig KG et EOC Belgium, deux sociétés qui utilisent le PVAL pour fabriquer de l’adhésif liquide, ont introduit un recours tendant à l’annulation du règlement litigieux pour autant qu’il concerne l’exonération en cause.
La Commission a soulevé plusieurs exceptions d’irrecevabilité à l’encontre de ce recours.
Ces exceptions d’irrecevabilité sont rejetées par le Tribunal qui, à cette occasion, précise la notion d’« acte détachable » dans un contexte où une exonération, et non l’imposition des droits antidumping, est contestée. Cette juridiction conclut également à l’affectation directe des requérantes en appliquant l’arrêt Montessori{3} à une hypothèse autre que celle d’un concurrent des bénéficiaires d’un régime d’aide d’État, à savoir celle d’utilisateurs du produit concerné ne bénéficiant pas, à l’instar d’autres utilisateurs dudit produit, d’une exonération de droits antidumping. Elle précise enfin le champ d’application de la notion d’« acte attaquable », au sens de l’arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission{4}.
Appréciation du Tribunal
Premièrement, s’agissant du caractère détachable de la disposition régissant l’exonération en cause, le Tribunal rappelle que la vérification du caractère détachable d’éléments d’un acte de l’Union suppose l’examen de la portée de ceux-ci, afin de pouvoir évaluer, de manière objective, si l’annulation de ces éléments modifierait l’esprit et la substance de cet acte. À cet égard, l’exonération en cause, dès lors qu’elle prévoit une exception à une règle instituant des droits antidumping, est, en principe, détachable du règlement qui fixe cette règle.
Cela étant, dans l’arrêt du 9 novembre 2017, SolarWorld/Conseil{5}, la Cour a énoncé des indices permettant de déterminer dans quelles hypothèses une exonération de droits antidumping peut ne pas être détachable du règlement qui fixe cette règle, à savoir l’identité des objectifs poursuivis tant par la mesure imposant des droits antidumping que par celle prévoyant une exonération, la complémentarité de ces deux mesures ainsi que l’absence de caractère exceptionnel de l’exonération prévue. Or, le Tribunal constate qu’aucun de ces indices n’est présent en l’espèce et qu’aucun autre indice ne permet de conclure que l’exonération en cause ne constituerait pas une exception à la règle prévoyant l’imposition de droits antidumping.
Deuxièmement, quant à la qualité pour agir des requérantes, le Tribunal relève que celles-ci ne sont pas destinataires du règlement litigieux. Dans ce cadre, il rappelle que, conformément à l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE, toute personne physique ou morale peut former un recours contre un acte dont elle n’est pas le destinataire s’il est dirigé contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution qui la concerne directement.
À cet égard, après avoir établi que le règlement litigieux est un acte réglementaire, le Tribunal constate que celui-ci ne comporte pas de mesures d’exécution à l’égard des requérantes. Il précise que, dans le cas où un requérant ne demande que l’annulation partielle d’un acte, seules les mesures d’exécution que cette partie de l’acte comporte éventuellement doivent, le cas échéant, être prises en considération. Or, à supposer que l’exonération en cause implique l’adoption de mesures d’exécution par les autorités nationales, elles ne pourraient pas s’appliquer aux requérantes, celles-ci n’étant pas les bénéficiaires de l’exonération en cause.
Pour ce qui est de la condition liée à l’affectation directe, celle-ci requiert que deux critères soient remplis, à savoir que l’acte produise directement des effets sur la situation juridique de la personne en cause et qu’il ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre. Ce deuxième critère n’étant pas pertinent dans le cadre d’une mesure qui ne comporte pas de mesures d’exécution à l’égard du requérant, le Tribunal concentre son analyse sur le premier critère.
Dans ce contexte, le Tribunal relève que les requérantes se trouvent dans une situation comparable à celle des requérantes dans l’arrêt Montessori. Dans cet arrêt, la Cour a précisé que les règles relatives aux aides d’État ont pour objectif de préserver la concurrence et que les dispositions du traité FUE en la matière font naître un droit chez le concurrent d’une entreprise bénéficiant d’une mesure nationale à ne pas subir une concurrence faussée par une telle mesure. La Cour en a déduit qu’une décision de la Commission adoptée en matière d’aide d’État et susceptible de placer un opérateur économique dans une situation concurrentielle désavantageuse pouvait être regardée comme affectant directement la situation juridique dudit opérateur. Or, en l’espèce, le Tribunal considère, de la même manière, que les intérêts de certains des utilisateurs du produit concerné à voir leur situation concurrentielle préservée à l’égard des effets d’une éventuelle distorsion introduite par une mesure adoptée par la Commission en application du règlement de base antidumping{6} relèvent de l’intérêt de l’Union, au sens de l’article 21, paragraphe 1, dudit règlement, dès lors que ce règlement n’a pas pour seul objectif de restaurer la situation concurrentielle des producteurs de l’industrie de l’Union, mais également de préserver une concurrence effective au sein du marché intérieur. En conséquence, les utilisateurs du produit concerné, tels que les requérantes, ont droit à ne pas subir une concurrence faussée qui aurait été causée par un acte adopté par la Commission en application du règlement de base. Compte tenu de l’existence de ce droit, l’exonération en cause, qui est susceptible d’y porter atteinte, emporte des effets sur la situation juridique des requérantes et les affecte donc directement.
Troisièmement, en ce qui concerne la qualification d’acte attaquable de la disposition régissant l’exonération en cause, le Tribunal juge que l’exigence, instaurée par l’arrêt IBM, selon laquelle les effets juridiques obligatoires de la mesure attaquée doivent être de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci, n’est pas applicable aux personnes physiques ou morales non destinataires de l’acte attaqué qui remplissent déjà les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE.
Quant au fond, le Tribunal rejette le moyen tiré d’une violation de l’article 9, paragraphe 5, du règlement de base antidumping, en ce que l’exonération en cause serait discriminatoire à l’égard des utilisateurs de PVAL au sein de l’Union. En vertu de cette disposition, les droits antidumping doivent être fixés à un montant approprié à chaque cas et imposés, d’une manière non discriminatoire, sur les importations d’un produit, de quelque source qu’elles proviennent, dont il a été constaté qu’elles font l’objet d’un dumping et causent un préjudice. À cet égard, le Tribunal juge, en tenant compte de l’interprétation, par les organes de l’OMC intervenant dans le processus de règlement des différends, de la disposition correspondante figurant dans l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord antidumping{7}, à savoir son article 9.2, première phrase, que l’article 9, paragraphe 5, du règlement de base antidumping ne saurait être interprété en ce sens que la discrimination à laquelle il se réfère désignerait une différence de traitement applicable à des utilisateurs du produit concerné établis sur le territoire du membre de l’OMC imposant les droits antidumping.
En outre, le Tribunal constate qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que l’exonération en cause serait à l’origine d’une discrimination de fait entre les exportateurs chinois de PVAL.
À la lumière de ces considérations, le Tribunal rejette le recours dans son intégralité.
{1} Règlement d’exécution (UE) 2020/1336 de la Commission, du 25 septembre 2020, instituant des droits antidumping définitifs sur les importations de certains alcools polyvinyliques originaires de la République populaire de Chine (JO 2020, L 315, p. 1, ci-après le « règlement litigieux »).
{2} Article 1, paragraphe 4, du règlement litigieux.
{3} Arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci (C 622/16 P à C 624/16 P, EU:C:2018:873).
{4} Arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission (60/81, EU:C:1981:264).
{5} Arrêt du 9 novembre 2017, SolarWorld/Conseil (C 204/16 P, EU:C:2017:838).
{6} Règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21, ci-après le « règlement de base antidumping »), article 21, § 1.
{7} Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (JO 1994, L 336, p. 103).
Arrêt du 21 décembre 2022, Grünig / Commission (T-746/20) (cf. points 14-41)
Arrêt du 21 décembre 2022, EOC Belgium / Commission (T-747/20) (cf. points 14-41)
265. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir la communication des questions posées à titre préjudiciel - Irrecevabilité
266. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Exceptions - Actes adoptés en vertu de pouvoirs délégués imputables à l'institution délégante - Acte signé par l'Agence exécutive européenne pour le climat, les infrastructures et l'environnement (CINEA) - Compétence de la CINEA pour adopter ledit acte - Recours dirigé contre la Commission - Irrecevabilité
Ordonnance du 6 février 2023, Indetec / CINEA (T-250/22) (cf. points 19-29)
267. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Demande en annulation d'un acte de l'Agence exécutive européenne pour le climat, les infrastructures et l'environnement (CINEA) formée contre l'Agence exécutive pour le Conseil européen de l'innovation et les PME (Eismea) - Irrecevabilité
Voir texte de la décision.
Ordonnance du 6 février 2023, Indetec / CINEA (T-250/22) (cf. points 17-24)
268. Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Conditions de recevabilité - Décision de l'agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) adoptant une méthodologie pour la mise en œuvre d'une plateforme européenne pour l'échange d'énergie d'équilibrage - Acte instituant l'ACER prévoyant une voie de recours interne contre la décision de l'ACER - Recours en annulation introduit contre la décision de l'ACER après épuisement de la voie de recours interne - Irrecevabilité
Le règlement 2017/2195 de la Commission européenne, concernant l’équilibrage du système électrique{1}, prévoit la mise en œuvre de plusieurs plateformes européennes pour l’échange d’énergie d’équilibrage. Parmi ces plateformes figurent, d’une part, la plateforme européenne pour l’échange d’énergie d’équilibrage à partir des réserves de restauration de la fréquence avec activation automatique (ci-après la « plateforme aFRR ») et, d’autre part, la plateforme européenne pour l’échange d’énergie d’équilibrage à partir des réserves de restauration de la fréquence avec activation manuelle (ci-après « la plateforme mFRR »){2}.
Conformément à la procédure prévue par le règlement 2017/2195{3}, tous les gestionnaires de réseau de transport (ci-après les « GRT ») ont soumis à l’approbation des autorités de régulation nationales (ci-après les « ARN »){4} des propositions communes de méthodologie pour la mise en œuvre de la plateforme aFRR et de la plateforme mFRR.
À la suite d’une demande conjointe des ARN, l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ci-après l’« ACER ») a, en vertu du même règlement{5}, statué sur ces propositions, telles que modifiées à l’issue des échanges et des consultations qui avaient eu lieu entre cette dernière, les ARN et les GRT. Ainsi, l’ACER a adopté deux décisions, l’une relative à la méthodologie aFRR et l’autre relative à la méthodologie mFRR (ci-après les « décisions de l’ACER »), auxquelles étaient jointes, en annexe, les méthodologies en cause, telles qu’amendées et approuvées par cette agence.
Austrian Power Grid, ČEPS, a.s., Polskie sieci elektroenergetyczne S.A., Red Eléctrica de España SA, RTE Réseau de transport d’électricité, Svenska kraftnät, TenneT TSO BV et TenneT TSO GmbH ont formé des recours{6} contre ces décisions devant la commission de recours de l’ACER (ci-après la « commission de recours »). Leurs recours ayant été rejetés, elles ont saisi le Tribunal de deux recours tendant à l’annulation des décisions de la commission de recours, pour autant qu’elles les concernent, de certaines dispositions des décisions de l’ACER ainsi que des méthodologies y jointes.
Ces recours sont rejetés par la deuxième chambre élargie du Tribunal, qui, à cette occasion, se prononce, d’une part, sur la répartition des compétences entre l’ACER et les ARN dans le cadre de l’adoption des méthodologies aFRR et mFRR et, d’autre part, sur les fonctions requises pour l’exploitation des plateformes aFRR et mFRR au titre du règlement 2017/2195.
Appréciation du Tribunal
À titre liminaire, le Tribunal déclare irrecevables les recours en annulation en ce qu’ils sont dirigés contre les décisions de l’ACER et leurs annexes. À cet égard, il relève que, conformément à l’article 263, cinquième alinéa, TFUE et à l’acte instituant l’ACER, à savoir le règlement 2019/942{7}, les requérantes, en tant que parties non privilégiées{8}, peuvent uniquement poursuivre devant le Tribunal l’annulation des décisions adoptées par la commission de recours, mais non celle des décisions de l’ACER et de leurs annexes. Par conséquent, le Tribunal se limite, en l’espèce, au contrôle de la légalité des décisions de la commission de recours, notamment en ce qu’elles confirment intégralement les décisions de l’ACER et les méthodologies aFRR et mFRR qui y sont jointes.
Conformément à la détermination effectuée ci-avant, le Tribunal poursuit son analyse sur le fond. En premier lieu, il rejette l’argumentation des requérantes selon laquelle la commission de recours a commis une erreur de droit en omettant de constater que l’ACER avait dépassé les limites de sa compétence en adoptant les décisions concernées.
Sur ce point, le Tribunal relève que, aux termes de l’article 6, paragraphe 10, du règlement 2019/942 et de l’article 5, paragraphe 7, du règlement 2017/2195, tels qu’applicables au moment de l’adoption des décisions de la commission de recours, l’ACER est compétente pour statuer ou adopter des décisions individuelles sur des questions ou des problèmes de réglementation ayant un effet sur le commerce transfrontalier ou sur la sécurité du réseau transfrontalier, telles que les méthodologies aFRR et mFRR, lorsque, comme en l’espèce, les ARN lui adressent une demande conjointe en ce sens. Selon le Tribunal, il ne ressort pas de ces dispositions que la compétence de l’ACER serait limitée aux seuls points de désaccord entre les autorités concernées.
Cette interprétation littérale est confortée par le contexte et les objectifs poursuivis par la réglementation dont ces dispositions font partie. À cet égard, il découle de l’exposé des motifs des propositions de règlement 2019/942 et de règlement 713/2009{9}, antérieurement applicable, une volonté claire du législateur de l’Union de rendre la prise de décisions sur des questions transfrontalières plus efficace et plus rapide, par un renforcement des pouvoirs de décision individuelle de l’ACER qui soit conciliable avec le maintien du rôle central des ARN en matière de régulation énergétique, et ce conformément aux principes de subsidiarité et de proportionnalité. Il ressort également du préambule du règlement 2019/942{10} que l’ACER a été instituée pour combler le vide réglementaire au niveau de l’Union et pour contribuer au fonctionnement efficace des marchés intérieurs de l’électricité et du gaz naturel.
Dès lors, la finalité et le contexte dans lequel s’inscrivent les dispositions pertinentes des règlements 2019/942 et 2017/2195, ainsi que les circonstances propres du cas d’espèce, confirment que l’ACER est habilitée à statuer sur l’élaboration des méthodologies aFRR et mFRR, en cas de demande conjointe des ARN en ce sens. De même, dans la mesure où des pouvoirs de décision propres ont été attribués à l’ACER pour lui permettre de remplir ses fonctions réglementaires de façon indépendante et efficace, cette agence est autorisée à modifier les propositions des GRT afin d’assurer leur conformité au droit de l’Union relatif à l’énergie, sans être liée par les éventuels points d’accord entre les ARN compétentes.
Il s’ensuit que la commission de recours de l’ACER n’a pas commis d’erreur de droit en entérinant la compétence de l’ACER pour statuer sur des points des méthodologies aFRR et mFRR qui auraient fait l’objet d’un accord entre les ARN.
En second lieu, le Tribunal rejette les griefs des requérantes tirés d’une erreur de droit commise par la commission de recours en constatant que l’inclusion de la fonction de gestion de capacité parmi les fonctions requises pour l’exploitation des plateformes aFRR et mFRR n’avait pas été imposée aux GRT par l’ACER, mais découlait directement de l’application du règlement 2017/2195.
Le Tribunal précise d’emblée que cette inclusion est déterminante pour apprécier si les propositions élaborées par les GRT devaient respecter les exigences supplémentaires prévues par le règlement 2017/2195{11} lorsque, comme en l’espèce, les GRT envisagent de désigner plusieurs entités pour assumer les différentes fonctions requises. À cet égard, il observe que, conformément audit règlement, les propositions de méthodologies soumises par les GRT doivent comprendre la définition des fonctions requises pour l’exploitation des plateformes aFRR et mFRR{12}. S’il ressort du règlement 2017/2195 que ces plateformes doivent comporter au moins la fonction d’optimisation de l’activation et la fonction de règlement des GRT-GRT{13}, il n’est pas exclu qu’une autre fonction, telle que la gestion de capacité, soit également considérée comme étant requise pour l’exploitation de ces plateformes, en particulier si l’ajout d’une telle fonction apparaît nécessaire pour assurer une conception de haut niveau de cette plateforme répondant à des principes de gouvernance et à des processus opérationnels communs.
Une interprétation de la notion de fonction requise pour l’exploitation des plateformes aFRR et mFRR, au regard du contexte et des objectifs poursuivis par le règlement 2017/2195, incite à considérer qu’il s’agit d’une fonction qui, tant sur le plan technique que juridique, apparaît comme étant nécessaire pour une mise en place et une exploitation efficaces et sûres desdites plateformes.
Or, selon le Tribunal, la fonction de gestion de capacité répond à une telle condition de nécessité. En effet, sur le plan juridique, le règlement 2017/2195 impose aux GRT de mettre à jour la capacité de transport entre zones disponible en continu aux fins de l’échange d’énergie d’équilibrage ou de la compensation des déséquilibres. Sur le plan technique, comme cela ressort des propositions des méthodologies aFRR et mFRR élaborées en l’espèce, la mise à jour en continu de cette capacité, qui sous-tend la fonction de gestion de capacité, est un intrant essentiel de la fonction d’optimisation de l’activation. La fonction de gestion de capacité a d’ailleurs été ajoutée aux plateformes par les GRT eux-mêmes, afin qu’elles répondent aux exigences d’une conception de haut niveau en termes d’efficacité et de sûreté requises par le règlement 2017/2195.
Au vu notamment des considérations qui précèdent, les décisions de la commission de recours sont confirmées.
{1} Règlement (UE) 2017/2195 de la Commission, du 23 novembre 2017, concernant une ligne directrice sur l'équilibrage du système électrique (JO 2017, L 312, p. 6).
{2} Articles 20 et 21 du règlement 2017/2195, respectivement.
{3} Article 20, paragraphe 1, et article 21, paragraphe 1, du règlement 2017/2195.
{4} Article 5, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/2195.
{5} Article 5, paragraphe 7, du règlement 2017/2195.
{6} En vertu de l’article 28 du règlement (UE) 2019/942 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, instituant une agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (JO 2019, L 158, p. 22).
{7} Considérant 34, article 28, paragraphe 1, et article 29 du règlement 2019/942.
{8} Les parties privilégiées sont les parties visées à l’article 19, premier et deuxième alinéas, du statut de la Cour, à savoir les États membres, les institutions de l’Union, les États parties à l’accord sur l’Espace économique européen, autres que les États membres, ainsi que l’Autorité de surveillance AELE visée par ledit accord.
{9} Règlement (CE) nº 713/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, instituant une agence de coopération des régulateurs de l’énergie (JO 2009, L 211, p. 1).
{10} Considérant 10 du règlement 2019/942, antérieurement considérant 5 du règlement nº 713/2009.
{11} Article 20, paragraphe 3, sous e), i) à iii), et article 21, paragraphe 3, sous e), i) à iii), du règlement 2017/2195.
{12} Article 20, paragraphe 3, sous c), et article 21, paragraphe 3, sous c), du règlement 2017/2195.
{13} Article 20, paragraphe 2, et article 21, paragraphe 2, du règlement 2017/2195.
Arrêt du 15 février 2023, Austrian Power Grid e.a. / ACER (T-606/20) (cf. points 21-25)
Arrêt du 15 février 2023, Austrian Power Grid e.a. / ACER (T-607/20) (cf. points 21-25)
269. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir un jugement confirmatif - Incompétence
270. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir une injonction adressée à une institution - Irrecevabilité - Conclusions tendant à obtenir un arrêt déclaratoire - Irrecevabilité
Arrêt du 29 mars 2023, Universität Bremen / REA (T-660/19 RENV) (cf. points 27)
271. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées - Décision de la Commission autorisant six catégories d'utilisations d'une substance extrêmement préoccupante - Annulation de l'autorisation accordée à quelques utilisations sans effet sur l'autorisation délivrée aux autres utilisations et sans modification de la substance de la partie non annulée de la décision - Condition remplie - Recevabilité
Voir le texte de la décision.
272. Recours en annulation - Intérêt à agir - Notion - Recours susceptible de procurer un bénéfice au requérant - Intérêt devant perdurer jusqu'au prononcé de la décision juridictionnelle - Caducité en cours d'instance de l'acte attaqué - Maintien de l'intérêt à agir
Arrêt du 3 mai 2023, Laboratorios Ern / EUIPO - Biolark (BIOLARK) (T-459/22) (cf. point 16)
273. Recours en annulation - Acte attaqué - Appréciation de la légalité en fonction des éléments d'information disponibles au moment de l'adoption de l'acte - Prise en compte de rapports fournis après l'adoption de l'acte attaqué, mais fondés sur des données existant à la date de l'adoption de celui-ci - Admissibilité
Le 12 juin 2020, la République fédérale d’Allemagne a notifié à la Commission européenne une aide individuelle sous la forme d’une recapitalisation d’un montant de 6 milliards d’euros (ci-après la « mesure en cause ») accordée à Deutsche Lufthansa AG (ci-après « DLH »). Cette recapitalisation, qui s’inscrivait dans le cadre d’une série de mesures de soutien plus vaste en faveur du groupe Lufthansa{1} , visait à rétablir la position bilantaire et les liquidités des entreprises dudit groupe dans la situation exceptionnelle causée par la pandémie de COVID-19.
La mesure en cause comprenait trois éléments distincts, à savoir une participation au capital d’environ 300 millions d’euros, une participation tacite non convertible en actions d’environ 4,7 milliards d’euros (ci-après la « participation tacite I ») et une participation tacite de 1 milliard d’euros avec les caractéristiques d’une obligation convertible (ci-après la « participation tacite II »).
Sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, la Commission a qualifié la mesure en cause d’aide d’État compatible avec le marché intérieur{2} au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE{3} et de sa communication sur l’encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19{4}.
Les compagnies aériennes Ryanair DAC et Condor Flugdienst GmbH (ci-après « Condor ») ont introduit deux recours en annulation de cette décision, qui sont accueillis par la dixième chambre élargie du Tribunal au motif que, en adoptant la décision attaquée, la Commission a méconnu plusieurs conditions et exigences prévues par l’encadrement temporaire.
Appréciation du Tribunal
Sur la recevabilité des recours en annulation
En ce qui concerne la qualité des requérantes pour contester le bien-fondé de la décision attaquée, le Tribunal rappelle que, conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former un recours contre un acte dont elle n’est pas le destinataire dans deux hypothèses alternatives, à savoir, d'une part, si l'acte en cause la concerne directement et individuellement et, d'autre part, s'il s'agit d'un acte réglementaire qui la concerne directement et qui ne comporte pas de mesures d'exécution.
Comme la décision attaquée, qui est adressée à la République fédérale d’Allemagne, ne constitue pas un acte réglementaire, le Tribunal vérifie si les requérantes sont directement et individuellement concernées par cette décision.
S’agissant, d’une part, de l’affectation individuelle, il ressort de la jurisprudence que cette condition peut être satisfaite si les requérantes apportent des éléments permettant de démontrer que la mesure concernée est susceptible de porter substantiellement atteinte à leurs positions sur le marché en cause. Ainsi, Ryanair et Condor ont mis en évidence leur qualité de concurrentes directes du groupe Lufthansa sur une multitude de lignes aériennes, qui constitueraient autant de marchés en cause. Ryanair a également souligné sa qualité de concurrente directe du groupe Lufthansa sur les marchés allemand, belge et autrichien.
Après avoir relevé que, au stade de l’examen de la recevabilité du recours, il suffit de constater que la définition du marché en cause avancée par les requérantes est plausible, sans préjudice de l’examen au fond de cette question, le Tribunal confirme que la mesure en cause était susceptible d’affecter de façon substantielle la position concurrentielle des requérantes sur les marchés de transport aérien de passagers.
En effet, il ressort d’une analyse des données pertinentes et crédibles fournies par les requérantes, lues en combinaison avec la décision attaquée, que la mesure en cause était non seulement susceptible de permettre au groupe Lufthansa de faire face à un risque de sortie des marchés sur lesquels elle se trouvait en concurrence directe avec les requérantes, mais également de renforcer sa position concurrentielle. Ainsi, l’octroi de la mesure en cause était prima facie de nature à provoquer un manque à gagner ou une évolution moins favorable que celle qui aurait été enregistrée par les requérantes en l’absence d’une telle mesure.
S’agissant, d’autre part, de l’affectation directe des requérantes, le Tribunal rappelle qu’un concurrent du bénéficiaire d’une aide est directement concerné par une décision de la Commission autorisant un État membre à verser celle-ci lorsque la volonté dudit État d’y procéder ne fait nul doute, ce qui était le cas en l’espèce.
Eu égard à l'ensemble de ces circonstances, le Tribunal confirme que les requérantes sont recevables à contester le bien-fondé de la décision attaquée par le biais de leurs recours en annulation.
Sur le bien-fondé des recours en annulation
Avant d’examiner le bien-fondé des différents moyens en annulation invoqués par les requérantes, le Tribunal rappelle que la Commission est tenue par les encadrements et les communications qu’elle adopte dans le domaine spécifique des aides d’État, dans la mesure où ils ne s’écartent pas des normes du traité. Il revient, dès lors, au juge de l’Union de vérifier que la Commission a respecté les règles dont elle s’est dotée dans ce domaine.
Le Tribunal souligne, en outre, que, dans le cadre du contrôle qu’il exerce sur les appréciations économiques complexes effectuées par la Commission dans le domaine des aides d’État, il ne lui appartient, certes, pas de substituer son appréciation économique à celle de la Commission. Toutefois, il doit vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées. De plus, le contrôle du juge de l’Union est entier en ce qui concerne les appréciations portées par la Commission n’impliquant pas des évaluations économiques complexes ou encore en ce qui concerne les questions revêtant un caractère strictement juridique.
A. Sur l’éligibilité de DLH à l’aide notifiée
Ces rappels effectués, le Tribunal examine, tout d’abord, les différents griefs contestant l’éligibilité de DLH à l’aide notifiée. À cet égard, les requérantes ont notamment invoqué une méconnaissance du paragraphe 49, sous c), de l’encadrement temporaire, selon lequel, pour être éligible à une mesure de recapitalisation, le bénéficiaire doit être dans l’incapacité de se financer sur les marchés à des conditions abordables.
Selon la décision attaquée, cette condition était remplie dès lors que DLH n’aurait pas disposé de garanties suffisantes pour se financer sur les marchés pour le montant total de l’aide.
Sur ce point, le Tribunal relève, toutefois, que rien dans la décision attaquée n’indique que la Commission ait examiné l’éventuelle disponibilité de garanties, telles que les aéronefs non grevés de DLH, leur valeur et les conditions des éventuels prêts pouvant être dégagés sur les marchés financiers contre de telles garanties. De plus, l’affirmation que les « garanties », non identifiées dans la décision attaquée, ne seraient pas suffisantes pour couvrir le montant total des fonds nécessaires repose sur une prémisse erronée, selon laquelle le financement pouvant être dégagé sur les marchés doit nécessairement couvrir l’ensemble des besoins du bénéficiaire. En effet, ni le libellé ni l’objectif ou le contexte dans lequel s’inscrit le paragraphe 49, sous c), de l’encadrement temporaire ne soutiennent la thèse que le bénéficiaire doit être dans l’incapacité de se financer sur les marchés pour la totalité de ses besoins.
La Commission ayant ainsi omis d’examiner si DLH aurait pu mobiliser une partie non négligeable du financement nécessaire sur les marchés, le Tribunal conclut qu’elle n’a pas tenu compte de tous les éléments pertinents devant être pris en considération pour apprécier la conformité de la mesure en cause avec le paragraphe 49, sous c), de l’encadrement temporaire. Par voie de conséquence, le Tribunal accueille le grief de Ryanair tiré de la méconnaissance dudit paragraphe, et à plus forte raison, celui de Condor tiré de l’existence de doutes sérieux à cet égard.
B. Sur la rémunération et la sortie de l’État
Le Tribunal se penche ensuite sur les griefs tirés d’une violation des conditions prévues dans l’encadrement temporaire en ce qui concerne la rémunération et la sortie de l’État.
À cet égard, Ryanair reprochait notamment à la Commission de ne pas avoir prévu un mécanisme de hausse de la rémunération de l’État allemand en ce qui concerne, d’une part, la participation au capital de DLH et, d’autre part, la participation tacite II après son éventuelle conversion en fonds propres.
En premier lieu, en ce qui concerne la rémunération des instruments de fonds propres, tels que la participation au capital, le paragraphe 61 de l’encadrement temporaire énonce que toute mesure de recapitalisation inclut un mécanisme de hausse de la rémunération, qui augmente la rémunération de l’État afin d’inciter le bénéficiaire à racheter la participation souscrite par l’État. Le paragraphe 62 dudit encadrement prévoit que la Commission peut accepter d’autres mécanismes, à condition qu’ils produisent globalement un résultat similaire en ce qui concerne les effets incitatifs sur la sortie de l’État du capital et qu’ils aient une incidence globalement similaire sur la rémunération de l’État.
La participation de l’État allemand au capital de DLH n’étant assortie d’aucun mécanisme de hausse de la rémunération au sens du paragraphe 61 de l’encadrement temporaire, la Commission a considéré que la structure globale de l’aide notifiée constituait un mécanisme alternatif de hausse de la rémunération au sens du paragraphe 62, en ce qu’elle incluait des effets incitatifs suffisamment forts sur la sortie de l’État du capital de DLH. Au soutien de cette conclusion, la Commission faisait notamment référence à la forte décote avec laquelle l’Allemagne avait acquis les actions de DLH, qui offrirait à l’État une rémunération supérieure à celle qui aurait résulté de l’application d’un mécanisme de hausse de la rémunération.
Cette argumentation est, toutefois, rejetée par le Tribunal, qui relève que le prix des actions souscrites par l’État lors de l’entrée de celui-ci au capital du bénéficiaire est réglementé par le paragraphe 60 de l’encadrement temporaire, selon lequel une injection de fonds propres par l’État est effectuée à un prix qui n’excède pas le prix moyen des actions au cours des quinze jours précédant la demande d’injection de fonds propres. Or, l’objet et l’objectif de cette règle sont différents de ceux sous-tendant le mécanisme de hausse de la rémunération. En effet, alors que ce dernier mécanisme vise à inciter le bénéficiaire concerné à racheter la participation de l’État le plus vite possible, la règle concernant le prix d’achat des actions a pour objectif, en substance, de garantir que le prix auquel l’État acquiert des actions n’excède pas leur prix de marché. Dès lors que le prix des actions peut fluctuer tant à la hausse qu’à la baisse, le prix d’achat n’a pas nécessairement pour vocation d’augmenter, au fil du temps, l’incitation du bénéficiaire concerné à racheter la participation de l’État.
Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutenait la Commission, le niveau du prix des actions lors de l’entrée de l’État allemand dans le capital de DLH ne constituait pas un mécanisme alternatif de hausse de la rémunération de cet État.
En second lieu, en ce qui concerne la participation tacite II, laquelle constitue un instrument hybride, le paragraphe 68 de l’encadrement temporaire exige que, après sa conversion en fonds propres, un mécanisme de hausse de la rémunération doive être prévu pour accroître la rémunération de l’État, afin d’inciter les bénéficiaires concernés à racheter la participation souscrite par l’État. Or, selon le Tribunal, il est constant que la participation tacite II, lors de sa conversion en fonds propres, n’est pas non plus assortie d’un mécanisme de hausse de la rémunération ou d’un mécanisme similaire.
Partant, le Tribunal conclut que la Commission a méconnu l’encadrement temporaire en ce qu’elle a omis d’exiger l’inclusion d’un mécanisme de hausse de la rémunération de l’État ou d’un mécanisme similaire dans la rémunération de la participation au capital et de la participation tacite II, lors de la conversion de cette dernière en fonds propres.
C. Sur l’existence d’un pouvoir de marché significatif du groupe Lufthansa sur les marchés en cause et les engagements structurels
Le Tribunal examine enfin les griefs tirés d’une violation du paragraphe 72 de l’encadrement temporaire selon lequel, lorsque le bénéficiaire d’une mesure de recapitalisation prise dans le contexte de la pandémie de COVID-19 d’un montant supérieur à 250 millions d’euros est une entreprise ayant un pouvoir de marché significatif (ci-après le « PMS ») sur au moins un des marchés en cause sur lesquels elle exerce ses activités, les États membres doivent proposer des mesures supplémentaires pour préserver l’exercice d’une concurrence effective sur lesdits marchés.
À cet égard, les requérantes ont, pour l’essentiel, soulevé trois groupes de griefs relatifs a) à la définition des marchés en cause, b) à l’existence d’un PMS du groupe Lufthansa sur ces marchés et c) au caractère efficace et suffisant des engagements structurels acceptés par la Commission.
a. Sur la définition des marchés pertinents
En premier lieu, s’agissant de la définition des marchés pertinents, la Commission a considéré, dans la décision attaquée, que les marchés sur lesquels le groupe Lufthansa exerçait ses activités étaient les marchés de fourniture de services de transport aérien des passagers au départ et à destination des aéroports desservis par ce groupe. Elle a ainsi identifié les marchés en cause selon l’approche « aéroport par aéroport ». Cette approche est contestée par les requérantes, selon lesquelles la Commission aurait dû définir les marchés de fourniture de services de transport aérien de passagers par paires de villes entre un point d’origine et un point de destination (ci-après les « marchés O & D »).
Le point 72 de l’encadrement temporaire ne précisant pas la méthode selon laquelle les marchés pertinents doivent être définis, le Tribunal rappelle que les mesures de recapitalisation relevant de l’encadrement temporaire visent à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre, en soutenant, en particulier, la viabilité des entreprises touchées par la pandémie de COVID-19 afin de rétablir leur structure de capital au niveau qui était le leur avant celle-ci. Ces mesures d’aide visent ainsi la situation financière globale du bénéficiaire et, plus généralement, celle du secteur économique concerné.
Dans ce cadre, la mesure en cause visait à garantir, en substance, que les sociétés du groupe Lufthansa disposent de suffisamment de liquidités et que les perturbations causées par la pandémie de COVID-19 ne compromettent pas leur viabilité, et non pas à soutenir la présence dudit groupe sur telle ou telle ligne aérienne. Partant, c’est à juste titre que la Commission a relevé que la mesure en cause visait à préserver la capacité globale du groupe Lufthansa à fournir des services de transport aérien et que, par conséquent, il n’était pas approprié d’examiner l’impact de la mesure en cause sur chaque marché O & D pris isolément.
Les arguments des requérantes tirés de l’approche suivie en matière de contrôle des concentrations, dans laquelle les marchés pertinents sont définis selon l’approche O & D, n’emportent pas non plus la conviction, dans la mesure où cette analogie ne tient pas suffisamment compte des spécificités de l’encadrement temporaire et de la mesure en cause, qui n’a pas de lien direct avec certains marchés O & D plutôt qu’avec d’autres.
Partant, aux fins de l’application du paragraphe 72 de l’encadrement temporaire, la Commission pouvait, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, définir les marchés en cause selon l’approche « aéroport par aéroport ».
Le Tribunal écarte, en outre, les griefs avancés à titre subsidiaire par Ryanair selon lesquels la Commission aurait appliqué l’approche « aéroport par aéroport » de façon erronée, en limitant son examen aux seuls aéroports situés au sein de l’Union où le groupe Lufthansa avait une base. Sur ce point, le Tribunal relève que, dès lors que Ryanair n’a pas démontré à suffisance de droit que le groupe Lufthansa était susceptible d’avoir un PMS dans les aéroports dans lesquels il n’avait pas de base, la Commission pouvait à bon escient exclure ces aéroports de son analyse. De plus, en matière d’aides d’État, la Commission n’est pas compétente pour examiner si le groupe Lufthansa dispose d’un PMS dans un aéroport situé en dehors de l’Union.
b. Sur l’existence d’un PMS du groupe Lufthansa dans les aéroports pertinents
L’ensemble des arguments des requérantes concernant la définition des marchés pertinents ayant été rejetés comme non fondés, le Tribunal analyse, en deuxième lieu, les griefs relatifs à l’existence d’un PMS du groupe Lufthansa dans les aéroports examinés par la Commission.
La notion de PMS n’étant pas définie dans l’encadrement temporaire, ni plus généralement dans le domaine des aides d’État, le Tribunal commence par relever que cette notion doit être considérée comme étant, en substance, équivalente à celle de position dominante en droit de la concurrence. Selon une jurisprudence constante, une telle position dominante est définie comme une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs.
Dans la décision attaquée, telle que rectifiée, la Commission a basé son analyse de l’existence d’un PMS du groupe Lufthansa dans les dix aéroports examinés{5} sur la part des créneaux horaires détenus par ce groupe dans ces aéroports, le niveau de congestion dans ces derniers et la part des créneaux horaires détenus par les concurrents, en tenant également compte du nombre d’avions basés dans certains des aéroports par ledit groupe et par ses concurrents.
À cet égard, le Tribunal constate que ces critères, qui se rapportent en substance à la capacité aéroportuaire et concernent l’accès des compagnies aériennes à l’infrastructure aéroportuaire, ne fournissent pas d’informations directes en ce qui concerne les parts de marché du groupe Lufthansa sur le marché de fourniture de services de transport aérien de passagers dans les aéroports examinés. Pourtant, étant donné que le rapport entre les parts de marché détenues par ce dernier et par ses concurrents constitue un indice valable de l’existence d’un PMS, la Commission ne pouvait pas ignorer les facteurs fournissant des informations y relatives, tels que le nombre de vols et de sièges offerts au départ et à destination des aéroports concernés. Il s’ensuit que, en omettant de prendre en considération tous les facteurs pertinents pour apprécier le pouvoir du marché du groupe Lufthansa dans les aéroports concernés, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation.
En outre, et en tout état de cause, la Commission a également commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant, sur la base des seuls critères qu’elle a examinés, que le groupe Lufthansa jouissait d’un PMS dans les aéroports de Francfort et de Munich pendant les saisons d’été 2019 et d’hiver 2019/2020, mais que tel n’était pas le cas en ce qui concerne les autres aéroports pertinents. À cet égard, le Tribunal relève que l’appréciation globale des critères analysés par la Commission pour les aéroports de Düsseldorf et de Vienne pendant la saison d’été 2019 démontre l’existence d’une part des créneaux très élevée du groupe Lufthansa dans l’aéroport de Düsseldorf et d’une part des créneaux élevée dans l’aéroport de Vienne, y compris pendant les heures de pointe, un très haut niveau de congestion des deux aéroports, caractérisé par une congestion presque complète pendant les heures de pointe et une position faible des concurrents dudit groupe. Dès lors, sur la base de ces seuls critères, la Commission ne pouvait pas conclure à bon escient que le groupe Lufthansa ne disposait pas d’un PMS dans les aéroports de Düsseldorf et de Vienne à tout le moins pendant la saison d’été 2019. De plus, et en tout état de cause, les données ayant amené la Commission à conclure que le groupe Lufthansa disposait d’un PMS dans les aéroports de Francfort et de Munich n’étaient pas matériellement différentes de ceux concernant les aéroports de Düsseldorf et de Vienne, à tout le moins en ce qui concerne la saison d’été 2019. Sur cette base, le Tribunal accueille les griefs des requérantes.
c. Sur les engagements structurels
En troisième et dernier lieu, le Tribunal examine les griefs contestant plusieurs aspects des engagements structurels acceptés par la Commission au titre du paragraphe 72 de l’encadrement temporaire, en vue de préserver l’exercice d’une concurrence effective dans les aéroports de Francfort et de Munich.
Aux termes dudit paragraphe 72, les États membres peuvent, lorsqu’ils proposent de telles mesures, offrir des engagements structurels ou comportementaux prévus dans la communication sur les mesures correctives{6}. Conformément à cette communication, les engagements proposés doivent résoudre entièrement les problèmes de concurrence, être complets et efficaces à tous points de vue et doivent, en outre, pouvoir être exécutés de façon effective et dans des délais rapides. Dans ce cadre, il incombe notamment à la Commission d’examiner tous les éléments pertinents relatifs à la mesure proposée proprement dite, comme le type, l’ampleur et la portée de la mesure proposée, appréciés en fonction de la structure et des caractéristiques particulières du marché sur lequel les problèmes de concurrence se posent, y compris la position des parties et d’autres opérateurs sur le marché.
Il convient de tenir également compte des spécificités du droit des aides d’État et, plus particulièrement, de l’encadrement temporaire, dans lequel l’exigence portant sur les mesures supplémentaires s’inscrit. Étant donné que les aides octroyées conformément à cet encadrement ont pour objectif d’assurer la continuité opérationnelle des entreprises viables pendant la pandémie de COVID-19, les engagements énoncés à son paragraphe 72 doivent être conçus de sorte qu’ils garantissent que, après l’octroi de l’aide, le bénéficiaire ne deviendra pas plus puissant sur le marché qu’il ne l’était avant la flambée de COVID-19 et que l’exercice d’une concurrence effective soit préservé sur les marchés concernés.
En l’espèce, la décision attaquée prévoyait, en tant que mesures proposées par l’Allemagne au titre du paragraphe 72 de l’encadrement temporaire, notamment la cession par DLH de 24 créneaux horaires par jour dans chacun des aéroports de Francfort et de Munich ainsi que des actifs supplémentaires, tels qu’exigés par le régulateur des créneaux afin de permettre le transfert de créneaux.
À cet égard, les requérantes contestaient, entre autres, la procédure de cession des créneaux horaires validée dans la décision attaquée, qui était censée se dérouler en deux étapes. Lors de la première étape, les créneaux devaient être offerts « aux nouveaux arrivants » uniquement. Si, après une période déterminée dépassant plusieurs saisons, les créneaux n’étaient pas c...
274. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Biélorussie - Gel des fonds de certaines personnes et entités au regard de la situation en Biélorussie - Recours en annulation d'une personne visée par une décision de gel des fonds - Répartition de la charge de la preuve - Contrôle juridictionnel
Arrêt du 7 juin 2023, Shakutin / Conseil (T-141/21) (cf. point 181)
275. Recours en annulation - Contrôle juridictionnel - Limites - Appréciation d'éléments factuels d'ordre scientifique et technique hautement complexes - Contrôle limité aux erreurs manifestes, au détournement de pouvoir et au dépassement du pouvoir d'appréciation
Arrêt du 28 juin 2023, Polynt / ECHA (T-207/21) (cf. point 84)
276. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Recours dirigé contre une décision de la Banque européenne d'investissement rejetant une demande de réexamen interne d'une délibération de son conseil d'administration - Recevabilité
Voir texte de la décision.
Arrêt du 6 juillet 2023, BEI / ClientEarth (C-212/21 P et C-223/21 P) (cf. points 48-57)
277. Procédure juridictionnelle - Recours en annulation et en indemnité - Objet - Demande d'annulation d'un acte ou de réparation des dommages - Notion d'institutions, d'organes ou d'organismes - Critères d'appréciation - Capacité juridique - Mandat intrinsèquement lié au fonctionnement de l'Union - Entité juridiquement distincte des institutions, organes et organismes de l'Union existants - Inclusion - Représentant spécial de l'Union européenne en Bosnie-Herzégovine - Admissibilité
Le requérant, un ressortissant du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, occupait les fonctions de chef des finances et de l’administration auprès du représentant spécial de l’Union européenne (ci-après le « RSUE ») en Bosnie-Herzégovine entre 2006 et le 31 décembre 2020 et, à ce titre, avait conclu 17 contrats de travail à durée déterminée (CDD) avec ce RSUE. Consécutivement à l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et d’Euratom{1}, entré en vigueur le 1er février 2020, qui prévoyait une période de transition se terminant le 31 décembre 2020, le RSUE en Bosnie-Herzégovine a adopté une décision de résiliation du dernier contrat de travail du requérant à compter de cette date.
Dans le cadre d’un recours en annulation et en indemnité, introduit contre le Conseil de l’Union européenne, la Commission européenne, le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) et le RSUE en Bosnie-Herzégovine, le requérant a demandé, à titre principal, l’annulation de la décision de résiliation, ainsi que la réparation des préjudices qu’il aurait subis du fait de cette décision. Il a également demandé la requalification de sa relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée (CDI) et la réparation des préjudices qu’il aurait subis du fait de la non-adoption d’un statut clair lui étant applicable. Le requérant a, par ailleurs, demandé, à titre subsidiaire, que la responsabilité non contractuelle de l’Union soit engagée en cas de rejet de ses conclusions présentées à titre principal.
Saisi d’exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité soulevées par les parties défenderesses, le Tribunal statue sur ces demandes avant d’engager le débat au fond et les accueille partiellement. À ce titre, le Tribunal se prononce sur plusieurs questions inédites. Tout d’abord, il établit que, lorsqu’un litige de nature contractuelle impliquant l’Union est porté devant le Tribunal, alors que le contrat en cause ne comporte pas de clause compromissoire en sa faveur, il demeure compétent pour contrôler la légalité des actes pris par des entités relevant de l’Union{2} et pour statuer sur la responsabilité de l’Union{3}, si aucune juridiction nationale compétente ne peut être identifiée sur la base du contrat ou du règlement Bruxelles I bis{4}. Ensuite, il identifie le RSUE en Bosnie-Herzégovine comme organe de l’Union qui a adopté la décision de résiliation. Enfin, concernant la demande de réparation des préjudices prétendument causés par l’absence de régime juridique général applicable aux agents relevant de la PESC, le Tribunal considère que c’est le Conseil qui est compétent pour, le cas échéant, adopter un tel régime.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal examine sa compétence pour statuer sur les chefs de conclusions liés respectivement à la décision de résiliation et à la succession des CDD.
À titre liminaire, il constate que les prétentions du requérant formulées dans le cadre de ces chefs de conclusions revêtent une nature contractuelle. En effet, d’une part, la décision de résiliation présente un lien direct avec le contrat en cause et, d’autre part, les demandes de requalification de la relation d’emploi en CDI dérivent de l’ensemble des CDD successifs conclus entre le requérant et le RSUE en Bosnie-Herzégovine. Or, en l’absence de clause compromissoire contenue dans les CDD, le Tribunal se déclare incompétent pour statuer au titre de l’article 272 TFUE, de sorte que, conformément à l’article 274 TFUE, ces chefs de conclusions relèvent, en principe, de la compétence des juridictions nationales.
Toutefois, le Tribunal rappelle que, lorsque, dans le cadre d’un litige de nature contractuelle, le juge de l’Union décline la compétence que lui confèrent les articles 263 et 268 TFUE, c’est afin d’assurer une interprétation cohérente de ces dispositions avec les articles 272 et 274 TFUE et, partant, de préserver la cohérence du système juridictionnel de l’Union, constitué par un ensemble complet de voies de recours et de procédures destinées à assurer, respectivement, le contrôle de la légalité des actes des institutions, des organes et des organismes de l’Union, et la réparation des dommages causés par l’Union. Dès lors, dans le contexte d’un litige de nature contractuelle, le juge de l’Union ne peut décliner une compétence que lui confère le traité FUE, lorsque cela a pour effet de soustraire à tout contrôle juridictionnel, par le juge de l’Union ou par les juridictions des États membres, des actes de l’Union ou une demande tendant à la réparation des dommages causés par l’Union.
Dans ces conditions, en dépit de la nature contractuelle des chefs de conclusions formulés en l’espèce, afin garantir l’existence d’un contrôle juridictionnel effectif, le Tribunal vérifie que le requérant peut soumettre de telles prétentions à une juridiction d’un État membre. C’est la raison pour laquelle, d’emblée, il rejette l’argument des défenderesses selon lequel ces chefs de conclusions pourraient relever de la compétence des juridictions bosniennes. De la même manière, il écarte l’argument selon lequel le requérant avait la possibilité de saisir l’instance arbitrale prévue dans le contrat en cause, la compétence d’une telle instance ne pouvant être envisagée à l’exclusion de celle du juge de l’Union ou des juridictions des États membres.
Par ailleurs, le contenu du contrat en cause ne permettant pas d’identifier une juridiction d’un État membre compétente pour statuer sur les chefs de conclusions en cause, le Tribunal rappelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Bruxelles I bis, qui s’applique en l’espèce. En effet, la décision de résiliation ne constitue pas un acte de puissance publique{5}, mais trouve son fondement dans le contrat en cause. Partant, les chefs de conclusions en cause relèvent de la matière civile et commerciale et, dès lors qu’ils concernent un litige de nature contractuelle, censé relever de la compétence de principe des juridictions nationales, le Tribunal examine si les dispositions du règlement Bruxelles I bis permettent d’identifier une juridiction d’un État membre compétente pour statuer sur ces chefs de conclusions.
À cet égard, le Tribunal relève que l’employeur du requérant était le RSUE en Bosnie-Herzégovine, et qu’aucune juridiction d’un État membre n’étant compétente pour statuer sur les chefs de conclusions en cause, liés au contrat, la disposition générale du règlement Bruxelles I bis selon laquelle, « [s]i le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État […] »{6} devrait en principe s’appliquer.
Cependant, le Tribunal souligne que l’application de cette disposition impliquerait que la compétence éventuelle d’une juridiction nationale présente une nature aléatoire, dans la mesure où c’est la loi de chaque État membre qui déterminerait si les juridictions de celui-ci peuvent être saisies d’un tel litige, avec la conséquence possible que, in fine, aucune juridiction d’un État membre ne soit compétente. Il considère que cette conséquence est particulièrement probable en l’espèce, dès lors que, à l’instar du RSUE en Bosnie-Herzégovine, le requérant a son domicile dans un pays tiers, et qu’il n’apparaît pas manifeste que le présent litige présente un élément de rattachement avec un État membre.
Or, le Tribunal ne pouvant, dans le cadre d’un litige de nature contractuelle auquel l’Union est partie, décliner la compétence que lui confèrent les articles 263 et 268 TFUE, lorsque cela conduit à soustraire à tout contrôle juridictionnel des actes de l’Union ou une demande en réparation de dommages causés par l’Union, il examine si les demandes présentées dans les chefs de conclusions en cause relèvent des compétences qu’il tire de ces dispositions.
À cet égard, premièrement, dans le cadre du premier chef de conclusions, le Tribunal est compétent pour statuer tant, sur le fondement de l’article 263 TFUE, sur la demande de contrôle de la légalité de la décision de résiliation, qui est une décision adoptée par une entité relevant de l’Union et instituée en vertu des traités, à savoir le RSUE en Bosnie-Herzégovine, que, sur le fondement de l’article 268 TFUE, sur la demande la réparation pécuniaire du préjudice moral ainsi que du préjudice matériel prétendument subis du fait de ladite décision.
En revanche, s’agissant de la demande du requérant tendant à ce que le Tribunal ordonne la réintégration du requérant au sein du personnel du RSUE en Bosnie-Herzégovine, le Tribunal décline sa compétence, puisque le juge de l’Union ne saurait, en principe, y compris dans le cadre d’un recours en indemnité, adresser des injonctions à une institution, un organe ou un organisme de l’Union sans empiéter sur les prérogatives de l’autorité administrative. Si les dispositions du traité FUE relatives à la responsabilité non contractuelle de l’Union permettent, sous conditions, l’octroi d’une réparation en nature qui peut prendre la forme d’une injonction de faire ou de ne pas faire, pouvant conduire l’institution défenderesse à adopter un comportement donné, une telle hypothèse ne peut être envisagée que dans des cas particuliers où la partie requérante se prévaut d’un préjudice qui ne saurait être intégralement réparé par le biais d’une indemnité et dont les caractéristiques propres requièrent le prononcé d’une injonction de faire ou de ne pas faire, notamment si une telle injonction vise à faire cesser le fait à l’origine d’un préjudice dont les effets sont continus, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Deuxièmement, s’agissant du deuxième chef de conclusions, le Tribunal le rejette dans son intégralité, en raison de son incompétence. En effet, d’une part, il n’est pas compétent pour statuer sur la demande d’injonction adressée au RSUE en Bosnie-Herzégovine, en sa qualité d’employeur du requérant, visant à obtenir la requalification en CDI de son contrat de travail. D’autre part, la demande tendant à ce que le Tribunal constate que les parties défenderesses ont violé leurs obligations contractuelles n’étant pas présentée au soutien de conclusions en annulation ni en réparation d’un préjudice, elle doit être regardée comme tendant uniquement à ce que le Tribunal prenne position par le biais d’une déclaration générale ou de principe, ce qui ne relève pas des compétences qu’il tire des traités.
En second lieu, sur les fins de non-recevoir relatives à l’identification de la ou des parties défenderesses, s’agissant, premièrement, du premier chef de conclusions, dans la mesure où le Tribunal est compétent pour l’examiner en ce qu’il tend à l’annulation de la décision de résiliation et à la réparation pécuniaire des préjudices moral et matériel prétendument causés par cette décision, il rappelle, d’une part, qu’un recours en annulation doit ainsi être dirigé contre l’institution, l’organe ou l’organisme de l’Union qui a adopté l’acte en cause et, d’autre part, qu’en matière de responsabilité non contractuelle de l’Union, il est compétent pour connaître des litiges relatifs à la réparation des dommages causés par cette dernière, représentée devant le Tribunal par l’institution, l’organe ou l’organisme auquel le fait générateur de responsabilité est reproché.
En l’espèce, le premier chef de conclusions ayant trait à la décision de résiliation, qui est imputable au RSUE en Bosnie-Herzégovine, le Tribunal examine si ce dernier peut être qualifié d’organe ou organisme de l’Union susceptible d’être partie défenderesse dans le cadre des recours en annulation et en responsabilité non contractuelle en cause en l’espèce.
À cet égard, il rappelle qu’une entité ou une structure relevant du schéma organisationnel de l’Union ou œuvrant au sein de celui-ci peut être considérée comme un organe ou un organisme de l’Union si, au regard des dispositions régissant son statut, elle dispose d’une capacité juridique suffisante pour pouvoir être considérée comme un organe autonome de l’Union et se voir reconnaître la qualité de partie défenderesse. En particulier, elle doit être qualifiée d’organe ou organisme de l’Union lorsque, d’une part, elle est investie d’un mandat intrinsèquement lié au fonctionnement de l’Union et, d’autre part, elle est juridiquement distincte des institutions, organes et organismes de l’Union existants.
Or, le RSUE en Bosnie-Herzégovine est investi d’un tel mandat, puisque, tout d’abord, il a été nommé par le Conseil en vue d’exercer un « mandat en liaison avec des questions politiques particulières »{7}. Ensuite, si ce RSUE est responsable de l’exécution de son mandat et agit sous l’autorité du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, cette autorité ne vise pas la gestion administrative dans le cadre d’un pareil mandat, notamment en matière de personnel. En outre, ledit RSUE est juridiquement distinct des autres institutions, organes ou organismes de l’Union dans la mesure où il dispose de la capacité juridique de passer des marchés et d’acheter des biens, de conclure un contrat avec la Commission concernant la gestion de ses dépenses et d’accueillir du personnel détaché par les institutions de l’Union ou par le SEAE. Enfin, en matière de gestion de son personnel contractuel, il dispose d’une capacité juridique lui permettant d’agir de façon autonome et, à ce titre, est responsable de la constitution d’une équipe et peut conclure des contrats pour recruter du personnel international, qu’il choisit sans devoir obtenir l’aval d’autres institutions, organes ou organismes de l’Union, ce personnel étant placé sous son autorité directe.
Le Tribunal conclut que, pour les besoins de la présente affaire, portant sur des questions relatives à la gestion du personnel du RSUE en Bosnie-Herzégovine, ce dernier doit être assimilé aux organes et organismes de l’Union susceptibles d’être parties défenderesses dans le cadre d’un recours en annulation ou en responsabilité non contractuelle et que le premier chef de conclusions est recevable en ce qui concerne ce RSUE.
Deuxièmement, s’agissant du chef de conclusions tendant à la réparation des préjudices que le requérant aurait subis du fait de la non-adoption d’un statut clair lui étant applicable, le Tribunal juge que toute éventuelle carence fautive dans l’adoption d’un régime général applicable au personnel contractuel relevant, en général, de la PESC ou, en particulier, du RSUE en Bosnie-Herzégovine, doit être imputée au Conseil, de sorte que ce chef de conclusions est recevable en ce qui concerne ce dernier.
En effet, c’est au Conseil qu’il incombe d’élaborer la PESC et de prendre les décisions nécessaires à la définition et à la mise en œuvre de cette politique, sur la base des orientations générales et des lignes stratégiques définies par le Conseil européen. Or, l’adoption, le cas échéant, d’un régime juridique applicable au personnel contractuel recruté dans le cadre de la PESC relève de la mise en œuvre de cette dernière et, dès lors, de la compétence du Conseil. Du reste, le Tribunal observe qu’en 2012, la Commission avait suggéré au Conseil d’appliquer le régime applicable aux autres agents de l’Union aux agents contractuels des missions relevant de la PESC et des RSUE. Or, il constate que l’adoption d’un régime juridique applicable au personnel contractuel recruté dans le cadre de la PESC, applicable au personnel contractuel international du RSUE en Bosnie-Herzégovine, relève des compétences et d’un choix du Conseil et que si cette suggestion n’a pas été suivie d’effet, c’est parce que les délégations des États membres ne sont pas parvenues à un accord au sein du Conseil.
{1} Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7).
{2} Au titre de l’article 263 TFUE.
{3} Au titre de l’article 268 TFUE.
{4} Règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1, ci-après le « règlement Bruxelles I bis »).
{5} Au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis.
{6} Article 6, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis.
{7} Aux termes de l’article 33 TUE.
278. Procédure juridictionnelle - Recours en annulation et en indemnité concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Annulation d'un acte s'inscrivant dans un cadre contractuel - Incompétence du juge de l'Union au titre des articles 263 et 268 TFUE - Irrecevabilité - Exception - Nécessité de préserver la cohérence du système juridictionnel de l'Union et d'assurer un contrôle juridictionnel effectif par les juridictions des États membres ou le juge de l'Union
Le requérant, un ressortissant du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, occupait les fonctions de chef des finances et de l’administration auprès du représentant spécial de l’Union européenne (ci-après le « RSUE ») en Bosnie-Herzégovine entre 2006 et le 31 décembre 2020 et, à ce titre, avait conclu 17 contrats de travail à durée déterminée (CDD) avec ce RSUE. Consécutivement à l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et d’Euratom{1}, entré en vigueur le 1er février 2020, qui prévoyait une période de transition se terminant le 31 décembre 2020, le RSUE en Bosnie-Herzégovine a adopté une décision de résiliation du dernier contrat de travail du requérant à compter de cette date.
Dans le cadre d’un recours en annulation et en indemnité, introduit contre le Conseil de l’Union européenne, la Commission européenne, le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) et le RSUE en Bosnie-Herzégovine, le requérant a demandé, à titre principal, l’annulation de la décision de résiliation, ainsi que la réparation des préjudices qu’il aurait subis du fait de cette décision. Il a également demandé la requalification de sa relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée (CDI) et la réparation des préjudices qu’il aurait subis du fait de la non-adoption d’un statut clair lui étant applicable. Le requérant a, par ailleurs, demandé, à titre subsidiaire, que la responsabilité non contractuelle de l’Union soit engagée en cas de rejet de ses conclusions présentées à titre principal.
Saisi d’exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité soulevées par les parties défenderesses, le Tribunal statue sur ces demandes avant d’engager le débat au fond et les accueille partiellement. À ce titre, le Tribunal se prononce sur plusieurs questions inédites. Tout d’abord, il établit que, lorsqu’un litige de nature contractuelle impliquant l’Union est porté devant le Tribunal, alors que le contrat en cause ne comporte pas de clause compromissoire en sa faveur, il demeure compétent pour contrôler la légalité des actes pris par des entités relevant de l’Union{2} et pour statuer sur la responsabilité de l’Union{3}, si aucune juridiction nationale compétente ne peut être identifiée sur la base du contrat ou du règlement Bruxelles I bis{4}. Ensuite, il identifie le RSUE en Bosnie-Herzégovine comme organe de l’Union qui a adopté la décision de résiliation. Enfin, concernant la demande de réparation des préjudices prétendument causés par l’absence de régime juridique général applicable aux agents relevant de la PESC, le Tribunal considère que c’est le Conseil qui est compétent pour, le cas échéant, adopter un tel régime.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal examine sa compétence pour statuer sur les chefs de conclusions liés respectivement à la décision de résiliation et à la succession des CDD.
À titre liminaire, il constate que les prétentions du requérant formulées dans le cadre de ces chefs de conclusions revêtent une nature contractuelle. En effet, d’une part, la décision de résiliation présente un lien direct avec le contrat en cause et, d’autre part, les demandes de requalification de la relation d’emploi en CDI dérivent de l’ensemble des CDD successifs conclus entre le requérant et le RSUE en Bosnie-Herzégovine. Or, en l’absence de clause compromissoire contenue dans les CDD, le Tribunal se déclare incompétent pour statuer au titre de l’article 272 TFUE, de sorte que, conformément à l’article 274 TFUE, ces chefs de conclusions relèvent, en principe, de la compétence des juridictions nationales.
Toutefois, le Tribunal rappelle que, lorsque, dans le cadre d’un litige de nature contractuelle, le juge de l’Union décline la compétence que lui confèrent les articles 263 et 268 TFUE, c’est afin d’assurer une interprétation cohérente de ces dispositions avec les articles 272 et 274 TFUE et, partant, de préserver la cohérence du système juridictionnel de l’Union, constitué par un ensemble complet de voies de recours et de procédures destinées à assurer, respectivement, le contrôle de la légalité des actes des institutions, des organes et des organismes de l’Union, et la réparation des dommages causés par l’Union. Dès lors, dans le contexte d’un litige de nature contractuelle, le juge de l’Union ne peut décliner une compétence que lui confère le traité FUE, lorsque cela a pour effet de soustraire à tout contrôle juridictionnel, par le juge de l’Union ou par les juridictions des États membres, des actes de l’Union ou une demande tendant à la réparation des dommages causés par l’Union.
Dans ces conditions, en dépit de la nature contractuelle des chefs de conclusions formulés en l’espèce, afin garantir l’existence d’un contrôle juridictionnel effectif, le Tribunal vérifie que le requérant peut soumettre de telles prétentions à une juridiction d’un État membre. C’est la raison pour laquelle, d’emblée, il rejette l’argument des défenderesses selon lequel ces chefs de conclusions pourraient relever de la compétence des juridictions bosniennes. De la même manière, il écarte l’argument selon lequel le requérant avait la possibilité de saisir l’instance arbitrale prévue dans le contrat en cause, la compétence d’une telle instance ne pouvant être envisagée à l’exclusion de celle du juge de l’Union ou des juridictions des États membres.
Par ailleurs, le contenu du contrat en cause ne permettant pas d’identifier une juridiction d’un État membre compétente pour statuer sur les chefs de conclusions en cause, le Tribunal rappelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Bruxelles I bis, qui s’applique en l’espèce. En effet, la décision de résiliation ne constitue pas un acte de puissance publique{5}, mais trouve son fondement dans le contrat en cause. Partant, les chefs de conclusions en cause relèvent de la matière civile et commerciale et, dès lors qu’ils concernent un litige de nature contractuelle, censé relever de la compétence de principe des juridictions nationales, le Tribunal examine si les dispositions du règlement Bruxelles I bis permettent d’identifier une juridiction d’un État membre compétente pour statuer sur ces chefs de conclusions.
À cet égard, le Tribunal relève que l’employeur du requérant était le RSUE en Bosnie-Herzégovine, et qu’aucune juridiction d’un État membre n’étant compétente pour statuer sur les chefs de conclusions en cause, liés au contrat, la disposition générale du règlement Bruxelles I bis selon laquelle, « [s]i le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État […] »{6} devrait en principe s’appliquer.
Cependant, le Tribunal souligne que l’application de cette disposition impliquerait que la compétence éventuelle d’une juridiction nationale présente une nature aléatoire, dans la mesure où c’est la loi de chaque État membre qui déterminerait si les juridictions de celui-ci peuvent être saisies d’un tel litige, avec la conséquence possible que, in fine, aucune juridiction d’un État membre ne soit compétente. Il considère que cette conséquence est particulièrement probable en l’espèce, dès lors que, à l’instar du RSUE en Bosnie-Herzégovine, le requérant a son domicile dans un pays tiers, et qu’il n’apparaît pas manifeste que le présent litige présente un élément de rattachement avec un État membre.
Or, le Tribunal ne pouvant, dans le cadre d’un litige de nature contractuelle auquel l’Union est partie, décliner la compétence que lui confèrent les articles 263 et 268 TFUE, lorsque cela conduit à soustraire à tout contrôle juridictionnel des actes de l’Union ou une demande en réparation de dommages causés par l’Union, il examine si les demandes présentées dans les chefs de conclusions en cause relèvent des compétences qu’il tire de ces dispositions.
À cet égard, premièrement, dans le cadre du premier chef de conclusions, le Tribunal est compétent pour statuer tant, sur le fondement de l’article 263 TFUE, sur la demande de contrôle de la légalité de la décision de résiliation, qui est une décision adoptée par une entité relevant de l’Union et instituée en vertu des traités, à savoir le RSUE en Bosnie-Herzégovine, que, sur le fondement de l’article 268 TFUE, sur la demande la réparation pécuniaire du préjudice moral ainsi que du préjudice matériel prétendument subis du fait de ladite décision.
En revanche, s’agissant de la demande du requérant tendant à ce que le Tribunal ordonne la réintégration du requérant au sein du personnel du RSUE en Bosnie-Herzégovine, le Tribunal décline sa compétence, puisque le juge de l’Union ne saurait, en principe, y compris dans le cadre d’un recours en indemnité, adresser des injonctions à une institution, un organe ou un organisme de l’Union sans empiéter sur les prérogatives de l’autorité administrative. Si les dispositions du traité FUE relatives à la responsabilité non contractuelle de l’Union permettent, sous conditions, l’octroi d’une réparation en nature qui peut prendre la forme d’une injonction de faire ou de ne pas faire, pouvant conduire l’institution défenderesse à adopter un comportement donné, une telle hypothèse ne peut être envisagée que dans des cas particuliers où la partie requérante se prévaut d’un préjudice qui ne saurait être intégralement réparé par le biais d’une indemnité et dont les caractéristiques propres requièrent le prononcé d’une injonction de faire ou de ne pas faire, notamment si une telle injonction vise à faire cesser le fait à l’origine d’un préjudice dont les effets sont continus, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Deuxièmement, s’agissant du deuxième chef de conclusions, le Tribunal le rejette dans son intégralité, en raison de son incompétence. En effet, d’une part, il n’est pas compétent pour statuer sur la demande d’injonction adressée au RSUE en Bosnie-Herzégovine, en sa qualité d’employeur du requérant, visant à obtenir la requalification en CDI de son contrat de travail. D’autre part, la demande tendant à ce que le Tribunal constate que les parties défenderesses ont violé leurs obligations contractuelles n’étant pas présentée au soutien de conclusions en annulation ni en réparation d’un préjudice, elle doit être regardée comme tendant uniquement à ce que le Tribunal prenne position par le biais d’une déclaration générale ou de principe, ce qui ne relève pas des compétences qu’il tire des traités.
En second lieu, sur les fins de non-recevoir relatives à l’identification de la ou des parties défenderesses, s’agissant, premièrement, du premier chef de conclusions, dans la mesure où le Tribunal est compétent pour l’examiner en ce qu’il tend à l’annulation de la décision de résiliation et à la réparation pécuniaire des préjudices moral et matériel prétendument causés par cette décision, il rappelle, d’une part, qu’un recours en annulation doit ainsi être dirigé contre l’institution, l’organe ou l’organisme de l’Union qui a adopté l’acte en cause et, d’autre part, qu’en matière de responsabilité non contractuelle de l’Union, il est compétent pour connaître des litiges relatifs à la réparation des dommages causés par cette dernière, représentée devant le Tribunal par l’institution, l’organe ou l’organisme auquel le fait générateur de responsabilité est reproché.
En l’espèce, le premier chef de conclusions ayant trait à la décision de résiliation, qui est imputable au RSUE en Bosnie-Herzégovine, le Tribunal examine si ce dernier peut être qualifié d’organe ou organisme de l’Union susceptible d’être partie défenderesse dans le cadre des recours en annulation et en responsabilité non contractuelle en cause en l’espèce.
À cet égard, il rappelle qu’une entité ou une structure relevant du schéma organisationnel de l’Union ou œuvrant au sein de celui-ci peut être considérée comme un organe ou un organisme de l’Union si, au regard des dispositions régissant son statut, elle dispose d’une capacité juridique suffisante pour pouvoir être considérée comme un organe autonome de l’Union et se voir reconnaître la qualité de partie défenderesse. En particulier, elle doit être qualifiée d’organe ou organisme de l’Union lorsque, d’une part, elle est investie d’un mandat intrinsèquement lié au fonctionnement de l’Union et, d’autre part, elle est juridiquement distincte des institutions, organes et organismes de l’Union existants.
Or, le RSUE en Bosnie-Herzégovine est investi d’un tel mandat, puisque, tout d’abord, il a été nommé par le Conseil en vue d’exercer un « mandat en liaison avec des questions politiques particulières »{7}. Ensuite, si ce RSUE est responsable de l’exécution de son mandat et agit sous l’autorité du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, cette autorité ne vise pas la gestion administrative dans le cadre d’un pareil mandat, notamment en matière de personnel. En outre, ledit RSUE est juridiquement distinct des autres institutions, organes ou organismes de l’Union dans la mesure où il dispose de la capacité juridique de passer des marchés et d’acheter des biens, de conclure un contrat avec la Commission concernant la gestion de ses dépenses et d’accueillir du personnel détaché par les institutions de l’Union ou par le SEAE. Enfin, en matière de gestion de son personnel contractuel, il dispose d’une capacité juridique lui permettant d’agir de façon autonome et, à ce titre, est responsable de la constitution d’une équipe et peut conclure des contrats pour recruter du personnel international, qu’il choisit sans devoir obtenir l’aval d’autres institutions, organes ou organismes de l’Union, ce personnel étant placé sous son autorité directe.
Le Tribunal conclut que, pour les besoins de la présente affaire, portant sur des questions relatives à la gestion du personnel du RSUE en Bosnie-Herzégovine, ce dernier doit être assimilé aux organes et organismes de l’Union susceptibles d’être parties défenderesses dans le cadre d’un recours en annulation ou en responsabilité non contractuelle et que le premier chef de conclusions est recevable en ce qui concerne ce RSUE.
Deuxièmement, s’agissant du chef de conclusions tendant à la réparation des préjudices que le requérant aurait subis du fait de la non-adoption d’un statut clair lui étant applicable, le Tribunal juge que toute éventuelle carence fautive dans l’adoption d’un régime général applicable au personnel contractuel relevant, en général, de la PESC ou, en particulier, du RSUE en Bosnie-Herzégovine, doit être imputée au Conseil, de sorte que ce chef de conclusions est recevable en ce qui concerne ce dernier.
En effet, c’est au Conseil qu’il incombe d’élaborer la PESC et de prendre les décisions nécessaires à la définition et à la mise en œuvre de cette politique, sur la base des orientations générales et des lignes stratégiques définies par le Conseil européen. Or, l’adoption, le cas échéant, d’un régime juridique applicable au personnel contractuel recruté dans le cadre de la PESC relève de la mise en œuvre de cette dernière et, dès lors, de la compétence du Conseil. Du reste, le Tribunal observe qu’en 2012, la Commission avait suggéré au Conseil d’appliquer le régime applicable aux autres agents de l’Union aux agents contractuels des missions relevant de la PESC et des RSUE. Or, il constate que l’adoption d’un régime juridique applicable au personnel contractuel recruté dans le cadre de la PESC, applicable au personnel contractuel international du RSUE en Bosnie-Herzégovine, relève des compétences et d’un choix du Conseil et que si cette suggestion n’a pas été suivie d’effet, c’est parce que les délégations des États membres ne sont pas parvenues à un accord au sein du Conseil.
{1} Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7).
{2} Au titre de l’article 263 TFUE.
{3} Au titre de l’article 268 TFUE.
{4} Règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1, ci-après le « règlement Bruxelles I bis »).
{5} Au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis.
{6} Article 6, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis.
{7} Aux termes de l’article 33 TUE.
279. Procédure juridictionnelle - Recours en annulation et en indemnité - Demande de constatation de nature déclaratoire - Incompétence manifeste
Le requérant, un ressortissant du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, occupait les fonctions de chef des finances et de l’administration auprès du représentant spécial de l’Union européenne (ci-après le « RSUE ») en Bosnie-Herzégovine entre 2006 et le 31 décembre 2020 et, à ce titre, avait conclu 17 contrats de travail à durée déterminée (CDD) avec ce RSUE. Consécutivement à l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et d’Euratom{1}, entré en vigueur le 1er février 2020, qui prévoyait une période de transition se terminant le 31 décembre 2020, le RSUE en Bosnie-Herzégovine a adopté une décision de résiliation du dernier contrat de travail du requérant à compter de cette date.
Dans le cadre d’un recours en annulation et en indemnité, introduit contre le Conseil de l’Union européenne, la Commission européenne, le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) et le RSUE en Bosnie-Herzégovine, le requérant a demandé, à titre principal, l’annulation de la décision de résiliation, ainsi que la réparation des préjudices qu’il aurait subis du fait de cette décision. Il a également demandé la requalification de sa relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée (CDI) et la réparation des préjudices qu’il aurait subis du fait de la non-adoption d’un statut clair lui étant applicable. Le requérant a, par ailleurs, demandé, à titre subsidiaire, que la responsabilité non contractuelle de l’Union soit engagée en cas de rejet de ses conclusions présentées à titre principal.
Saisi d’exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité soulevées par les parties défenderesses, le Tribunal statue sur ces demandes avant d’engager le débat au fond et les accueille partiellement. À ce titre, le Tribunal se prononce sur plusieurs questions inédites. Tout d’abord, il établit que, lorsqu’un litige de nature contractuelle impliquant l’Union est porté devant le Tribunal, alors que le contrat en cause ne comporte pas de clause compromissoire en sa faveur, il demeure compétent pour contrôler la légalité des actes pris par des entités relevant de l’Union{2} et pour statuer sur la responsabilité de l’Union{3}, si aucune juridiction nationale compétente ne peut être identifiée sur la base du contrat ou du règlement Bruxelles I bis{4}. Ensuite, il identifie le RSUE en Bosnie-Herzégovine comme organe de l’Union qui a adopté la décision de résiliation. Enfin, concernant la demande de réparation des préjudices prétendument causés par l’absence de régime juridique général applicable aux agents relevant de la PESC, le Tribunal considère que c’est le Conseil qui est compétent pour, le cas échéant, adopter un tel régime.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal examine sa compétence pour statuer sur les chefs de conclusions liés respectivement à la décision de résiliation et à la succession des CDD.
À titre liminaire, il constate que les prétentions du requérant formulées dans le cadre de ces chefs de conclusions revêtent une nature contractuelle. En effet, d’une part, la décision de résiliation présente un lien direct avec le contrat en cause et, d’autre part, les demandes de requalification de la relation d’emploi en CDI dérivent de l’ensemble des CDD successifs conclus entre le requérant et le RSUE en Bosnie-Herzégovine. Or, en l’absence de clause compromissoire contenue dans les CDD, le Tribunal se déclare incompétent pour statuer au titre de l’article 272 TFUE, de sorte que, conformément à l’article 274 TFUE, ces chefs de conclusions relèvent, en principe, de la compétence des juridictions nationales.
Toutefois, le Tribunal rappelle que, lorsque, dans le cadre d’un litige de nature contractuelle, le juge de l’Union décline la compétence que lui confèrent les articles 263 et 268 TFUE, c’est afin d’assurer une interprétation cohérente de ces dispositions avec les articles 272 et 274 TFUE et, partant, de préserver la cohérence du système juridictionnel de l’Union, constitué par un ensemble complet de voies de recours et de procédures destinées à assurer, respectivement, le contrôle de la légalité des actes des institutions, des organes et des organismes de l’Union, et la réparation des dommages causés par l’Union. Dès lors, dans le contexte d’un litige de nature contractuelle, le juge de l’Union ne peut décliner une compétence que lui confère le traité FUE, lorsque cela a pour effet de soustraire à tout contrôle juridictionnel, par le juge de l’Union ou par les juridictions des États membres, des actes de l’Union ou une demande tendant à la réparation des dommages causés par l’Union.
Dans ces conditions, en dépit de la nature contractuelle des chefs de conclusions formulés en l’espèce, afin garantir l’existence d’un contrôle juridictionnel effectif, le Tribunal vérifie que le requérant peut soumettre de telles prétentions à une juridiction d’un État membre. C’est la raison pour laquelle, d’emblée, il rejette l’argument des défenderesses selon lequel ces chefs de conclusions pourraient relever de la compétence des juridictions bosniennes. De la même manière, il écarte l’argument selon lequel le requérant avait la possibilité de saisir l’instance arbitrale prévue dans le contrat en cause, la compétence d’une telle instance ne pouvant être envisagée à l’exclusion de celle du juge de l’Union ou des juridictions des États membres.
Par ailleurs, le contenu du contrat en cause ne permettant pas d’identifier une juridiction d’un État membre compétente pour statuer sur les chefs de conclusions en cause, le Tribunal rappelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Bruxelles I bis, qui s’applique en l’espèce. En effet, la décision de résiliation ne constitue pas un acte de puissance publique{5}, mais trouve son fondement dans le contrat en cause. Partant, les chefs de conclusions en cause relèvent de la matière civile et commerciale et, dès lors qu’ils concernent un litige de nature contractuelle, censé relever de la compétence de principe des juridictions nationales, le Tribunal examine si les dispositions du règlement Bruxelles I bis permettent d’identifier une juridiction d’un État membre compétente pour statuer sur ces chefs de conclusions.
À cet égard, le Tribunal relève que l’employeur du requérant était le RSUE en Bosnie-Herzégovine, et qu’aucune juridiction d’un État membre n’étant compétente pour statuer sur les chefs de conclusions en cause, liés au contrat, la disposition générale du règlement Bruxelles I bis selon laquelle, « [s]i le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État […] »{6} devrait en principe s’appliquer.
Cependant, le Tribunal souligne que l’application de cette disposition impliquerait que la compétence éventuelle d’une juridiction nationale présente une nature aléatoire, dans la mesure où c’est la loi de chaque État membre qui déterminerait si les juridictions de celui-ci peuvent être saisies d’un tel litige, avec la conséquence possible que, in fine, aucune juridiction d’un État membre ne soit compétente. Il considère que cette conséquence est particulièrement probable en l’espèce, dès lors que, à l’instar du RSUE en Bosnie-Herzégovine, le requérant a son domicile dans un pays tiers, et qu’il n’apparaît pas manifeste que le présent litige présente un élément de rattachement avec un État membre.
Or, le Tribunal ne pouvant, dans le cadre d’un litige de nature contractuelle auquel l’Union est partie, décliner la compétence que lui confèrent les articles 263 et 268 TFUE, lorsque cela conduit à soustraire à tout contrôle juridictionnel des actes de l’Union ou une demande en réparation de dommages causés par l’Union, il examine si les demandes présentées dans les chefs de conclusions en cause relèvent des compétences qu’il tire de ces dispositions.
À cet égard, premièrement, dans le cadre du premier chef de conclusions, le Tribunal est compétent pour statuer tant, sur le fondement de l’article 263 TFUE, sur la demande de contrôle de la légalité de la décision de résiliation, qui est une décision adoptée par une entité relevant de l’Union et instituée en vertu des traités, à savoir le RSUE en Bosnie-Herzégovine, que, sur le fondement de l’article 268 TFUE, sur la demande la réparation pécuniaire du préjudice moral ainsi que du préjudice matériel prétendument subis du fait de ladite décision.
En revanche, s’agissant de la demande du requérant tendant à ce que le Tribunal ordonne la réintégration du requérant au sein du personnel du RSUE en Bosnie-Herzégovine, le Tribunal décline sa compétence, puisque le juge de l’Union ne saurait, en principe, y compris dans le cadre d’un recours en indemnité, adresser des injonctions à une institution, un organe ou un organisme de l’Union sans empiéter sur les prérogatives de l’autorité administrative. Si les dispositions du traité FUE relatives à la responsabilité non contractuelle de l’Union permettent, sous conditions, l’octroi d’une réparation en nature qui peut prendre la forme d’une injonction de faire ou de ne pas faire, pouvant conduire l’institution défenderesse à adopter un comportement donné, une telle hypothèse ne peut être envisagée que dans des cas particuliers où la partie requérante se prévaut d’un préjudice qui ne saurait être intégralement réparé par le biais d’une indemnité et dont les caractéristiques propres requièrent le prononcé d’une injonction de faire ou de ne pas faire, notamment si une telle injonction vise à faire cesser le fait à l’origine d’un préjudice dont les effets sont continus, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Deuxièmement, s’agissant du deuxième chef de conclusions, le Tribunal le rejette dans son intégralité, en raison de son incompétence. En effet, d’une part, il n’est pas compétent pour statuer sur la demande d’injonction adressée au RSUE en Bosnie-Herzégovine, en sa qualité d’employeur du requérant, visant à obtenir la requalification en CDI de son contrat de travail. D’autre part, la demande tendant à ce que le Tribunal constate que les parties défenderesses ont violé leurs obligations contractuelles n’étant pas présentée au soutien de conclusions en annulation ni en réparation d’un préjudice, elle doit être regardée comme tendant uniquement à ce que le Tribunal prenne position par le biais d’une déclaration générale ou de principe, ce qui ne relève pas des compétences qu’il tire des traités.
En second lieu, sur les fins de non-recevoir relatives à l’identification de la ou des parties défenderesses, s’agissant, premièrement, du premier chef de conclusions, dans la mesure où le Tribunal est compétent pour l’examiner en ce qu’il tend à l’annulation de la décision de résiliation et à la réparation pécuniaire des préjudices moral et matériel prétendument causés par cette décision, il rappelle, d’une part, qu’un recours en annulation doit ainsi être dirigé contre l’institution, l’organe ou l’organisme de l’Union qui a adopté l’acte en cause et, d’autre part, qu’en matière de responsabilité non contractuelle de l’Union, il est compétent pour connaître des litiges relatifs à la réparation des dommages causés par cette dernière, représentée devant le Tribunal par l’institution, l’organe ou l’organisme auquel le fait générateur de responsabilité est reproché.
En l’espèce, le premier chef de conclusions ayant trait à la décision de résiliation, qui est imputable au RSUE en Bosnie-Herzégovine, le Tribunal examine si ce dernier peut être qualifié d’organe ou organisme de l’Union susceptible d’être partie défenderesse dans le cadre des recours en annulation et en responsabilité non contractuelle en cause en l’espèce.
À cet égard, il rappelle qu’une entité ou une structure relevant du schéma organisationnel de l’Union ou œuvrant au sein de celui-ci peut être considérée comme un organe ou un organisme de l’Union si, au regard des dispositions régissant son statut, elle dispose d’une capacité juridique suffisante pour pouvoir être considérée comme un organe autonome de l’Union et se voir reconnaître la qualité de partie défenderesse. En particulier, elle doit être qualifiée d’organe ou organisme de l’Union lorsque, d’une part, elle est investie d’un mandat intrinsèquement lié au fonctionnement de l’Union et, d’autre part, elle est juridiquement distincte des institutions, organes et organismes de l’Union existants.
Or, le RSUE en Bosnie-Herzégovine est investi d’un tel mandat, puisque, tout d’abord, il a été nommé par le Conseil en vue d’exercer un « mandat en liaison avec des questions politiques particulières »{7}. Ensuite, si ce RSUE est responsable de l’exécution de son mandat et agit sous l’autorité du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, cette autorité ne vise pas la gestion administrative dans le cadre d’un pareil mandat, notamment en matière de personnel. En outre, ledit RSUE est juridiquement distinct des autres institutions, organes ou organismes de l’Union dans la mesure où il dispose de la capacité juridique de passer des marchés et d’acheter des biens, de conclure un contrat avec la Commission concernant la gestion de ses dépenses et d’accueillir du personnel détaché par les institutions de l’Union ou par le SEAE. Enfin, en matière de gestion de son personnel contractuel, il dispose d’une capacité juridique lui permettant d’agir de façon autonome et, à ce titre, est responsable de la constitution d’une équipe et peut conclure des contrats pour recruter du personnel international, qu’il choisit sans devoir obtenir l’aval d’autres institutions, organes ou organismes de l’Union, ce personnel étant placé sous son autorité directe.
Le Tribunal conclut que, pour les besoins de la présente affaire, portant sur des questions relatives à la gestion du personnel du RSUE en Bosnie-Herzégovine, ce dernier doit être assimilé aux organes et organismes de l’Union susceptibles d’être parties défenderesses dans le cadre d’un recours en annulation ou en responsabilité non contractuelle et que le premier chef de conclusions est recevable en ce qui concerne ce RSUE.
Deuxièmement, s’agissant du chef de conclusions tendant à la réparation des préjudices que le requérant aurait subis du fait de la non-adoption d’un statut clair lui étant applicable, le Tribunal juge que toute éventuelle carence fautive dans l’adoption d’un régime général applicable au personnel contractuel relevant, en général, de la PESC ou, en particulier, du RSUE en Bosnie-Herzégovine, doit être imputée au Conseil, de sorte que ce chef de conclusions est recevable en ce qui concerne ce dernier.
En effet, c’est au Conseil qu’il incombe d’élaborer la PESC et de prendre les décisions nécessaires à la définition et à la mise en œuvre de cette politique, sur la base des orientations générales et des lignes stratégiques définies par le Conseil européen. Or, l’adoption, le cas échéant, d’un régime juridique applicable au personnel contractuel recruté dans le cadre de la PESC relève de la mise en œuvre de cette dernière et, dès lors, de la compétence du Conseil. Du reste, le Tribunal observe qu’en 2012, la Commission avait suggéré au Conseil d’appliquer le régime applicable aux autres agents de l’Union aux agents contractuels des missions relevant de la PESC et des RSUE. Or, il constate que l’adoption d’un régime juridique applicable au personnel contractuel recruté dans le cadre de la PESC, applicable au personnel contractuel international du RSUE en Bosnie-Herzégovine, relève des compétences et d’un choix du Conseil et que si cette suggestion n’a pas été suivie d’effet, c’est parce que les délégations des États membres ne sont pas parvenues à un accord au sein du Conseil.
{1} Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7).
{2} Au titre de l’article 263 TFUE.
{3} Au titre de l’article 268 TFUE.
{4} Règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1, ci-après le « règlement Bruxelles I bis »).
{5} Au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis.
{6} Article 6, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis.
{7} Aux termes de l’article 33 TUE.
280. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine - Gel des fonds - Recours en annulation d'une personne visée par une décision de gel des fonds - Répartition de la charge de la preuve - Décision fondée sur un faisceau d'indices - Valeur probante - Portée
Arrêt du 6 septembre 2023, Pumpyanskiy / Conseil (T-270/22) (cf. points 47-56, 58)
Arrêt du 6 septembre 2023, Pumpyanskaya / Conseil (T-272/22) (cf. points 54, 70, 71, 83, 84)
281. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Recours introduit par un organe de l'Union - Recours introduit par le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) - Qualité pour agir visant à la sauvegarde de ses prérogatives institutionnelles, invoquée à l'appui de ce recours
Le 3 janvier 2022, à la suite d’une enquête d’initiative, le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) a adopté une décision à l’encontre de l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol){1}. Par cette décision, le CEPD a enjoint à Europol, en substance, de procéder, pour chaque contribution reçue à partir du 4 janvier 2022, à la catégorisation des personnes concernées dans un délai de six mois à compter de la date de réception de la contribution et dans un délai de douze mois pour les ensembles de données existant à la date de ladite décision, délais au-delà desquels Europol était tenue d’effacer ces données.
Le 8 juin 2022, le Parlement européen et le Conseil ont adopté le règlement Europol modifié{2}. Ce dernier prévoyait, en substance, en vertu de deux dispositions transitoires{3}, les conditions dans lesquelles Europol procède, dans un délai déterminé, à la catégorisation des ensembles de données en sa possession au moment de l’entrée en vigueur du règlement Europol modifié et précise les conditions et les procédures dans lesquelles le traitement de données à caractère personnel ne portant pas sur des catégories de personnes concernées énumérées à l’annexe II du règlement Europol modifié et qui ont été transférées à Europol avant le 28 juin 2022 est autorisé à l’appui d’une enquête pénale en cours.
Le CEPD estimait que les dispositions attaquées violaient son indépendance et ses pouvoirs en qualité d’autorité de contrôle, dans la mesure où, selon lui, celles-ci légalisaient rétroactivement les pratiques de conservation des données litigieuses d’Europol et annulaient de facto la décision du 3 janvier 2022. Ainsi, en vertu de l’article 263 TFUE, il demandait, devant le Tribunal, leur annulation. Il alléguait que sa qualité pour agir se justifiait par la nécessité de pouvoir disposer d’un recours juridictionnel afin de défendre ses prérogatives institutionnelles et, en particulier, son indépendance en tant qu’autorité de contrôle.
En l’espèce, le Tribunal est saisi, pour la première fois, d’un recours en annulation introduit par le CEPD contre un acte législatif du Conseil et du Parlement, ce qui soulève notamment la question de la compétence du Tribunal pour connaître dudit recours, la question de l’application de l’arrêt Parlement/Conseil (C-70/88){4}, par analogie au cas d’espèce, et celle de l’affectation directe du CEPD, assimilé à une personne morale, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal examine sa compétence pour connaître du recours introduit par le CEPD et observe, tout d’abord, que celui-ci ne figure ni parmi les parties requérantes mentionnées à l’article 263, deuxième et troisième alinéas, TFUE{5}, ni dans la liste des institutions de l’article 13, paragraphe 1, TUE{6}. Ensuite, il relève que si l’article 263, premier alinéa, TFUE vise expressément les organes et organismes de l’Union dans la liste des auteurs des actes dont la légalité peut être remise en cause dans le cadre d’un recours en annulation, il n’en est pas de même en ce qui concerne l’article 263, deuxième et troisième alinéas, TFUE. Ainsi, il précise que si le statut du CEPD, en tant qu’autorité indépendante de contrôle, est consacré tant par le traité FUE que par la Charte{7}, il a été institué en tant qu’organe de l’Union non pas par un acte de droit primaire, mais par un acte de droit dérivé{8}. Partant, si le CEPD est un organe de l’Union ayant un statut particulier, il n’est pas une institution de l’Union et, en tout état de cause, ne peut pas être considéré comme figurant parmi les parties requérantes visées à l’article 263, deuxième et troisième alinéas, TFUE. Enfin, le Tribunal conclut qu’il est compétent pour statuer sur le recours dans la mesure où sont réservés à la Cour les recours visés à l’article 263 TFUE, formés notamment par une institution de l’Union contre un acte législatif{9} et où le CEPD n’est ni une institution ni une partie requérante visée à l’article 263, deuxième et troisième alinéas, TFUE.
En deuxième lieu, le Tribunal apprécie si le CEPD a qualité pour agir en vertu de la jurisprudence issue de l’arrêt Parlement/Conseil (C-70/88). Il note que, dans cet arrêt, invoqué par le CEPD au soutien de sa qualité pour agir particulière visant à la sauvegarde de ses prérogatives institutionnelles, la Cour a constaté que le Parlement n’avait aucune possibilité de contester, devant les juges de l’Union, les actes adoptés par les autres institutions susceptibles de porter atteinte à ses propres prérogatives et elle a choisi de combler cette lacune en recourant au principe général de l’équilibre institutionnel. En revanche, le CEPD peut introduire un recours en annulation sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE dès lors qu’il est un organe créé par un acte de droit dérivé de l’Union qui peut être assimilé à une personne morale. Par ailleurs, le Tribunal précise que si le CEPD a un statut particulier, reconnu tant par le traité FUE que par la Charte, et que la création d’autorités de contrôle indépendantes est un élément essentiel de la protection des individus concernant la protection des données personnelles, l’indépendance dans laquelle le CEPD doit exercer ses fonctions en pratique n’a pas vocation à limiter les pouvoirs du législateur de l’Union{10}. Par conséquent, le CEPD est tenu d’exercer ses missions et pouvoirs en toute indépendance et c’est dans le cadre des actes législatifs adoptés conjointement par le Parlement et le Conseil et conformément à ceux-ci qu’il contrôle le respect des règles relatives à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions, organes et organismes de l’Union. Le Tribunal conclut que l’arrêt Parlement/Conseil (C-70/88) ne saurait être appliqué par analogie à la situation du CEPD, qui ne saurait se voir reconnaître qualité pour agir en vertu de cet arrêt et qui doit être considéré comme une partie requérante devant remplir les conditions de receva
bilité prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
En troisième lieu, dans le cadre de l’examen de la qualité pour agir du CEPD au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, le Tribunal analyse, à titre liminaire, si celui-ci peut, en tant qu’organe de l’Union, être assimilé à une personne morale au sens de cet article. Il relève que, en application d’une interprétation de cette disposition à la lumière des principes de contrôle juridictionnel effectif et de l’État de droit, un organe de l’Union, tel que le CEPD, a, en tant que « personne morale », la qualité pour agir en annulation contre les dispositions attaquées, à condition qu’il soit directement et individuellement concerné par celles-ci au sens de ladite disposition. En effet, une telle personne morale est tout autant susceptible qu’une autre personne ou entité d’être affectée négativement dans ses droits ou intérêts par un acte de l’Union et doit ainsi être en mesure, dans le respect de ces conditions, de poursuivre l’annulation d’un tel acte.
S’agissant de la condition selon laquelle une personne morale doit être directement concernée, le Tribunal rappelle que deux critères doivent être cumulativement satisfaits au titre de celle-ci. En ce qui concerne, premièrement, le critère relatif aux effets des dispositions attaquées sur la situation juridique du CEPD, le Tribunal souligne que le CEPD est chargé du contrôle de l’application par les institutions, les organes ou organismes de l’Union des règles pertinentes relatives à la protection des données à caractère personnel{11}. En l’occurrence, les dispositions attaquées modifient le règlement Europol initial et n’ont pas d’incidence sur la nature ou sur la portée des missions confiées au CEPD par la législation de l’Union. Ainsi, s’il est vrai que le régime juridique que le CEPD est chargé de contrôler a été modifié, ses propres compétences ne l’ont pas été, car la manière dont il peut légalement exercer ces dernières n’a pas été modifiée en tant que telle. Partant, le CEPD n’est pas directement concerné par les dispositions attaquées, dans la mesure où ses droits, obligations ou compétences n’ont pas été affectés par ces dispositions. En outre, s’agissant des effets des dispositions attaquées sur la décision du 3 janvier 2022, le Tribunal précise qu’il s’agit d’une décision administrative qui ne saurait avoir d’incidence sur des actes législatifs, tels que le règlement Europol modifié, ni en affecter le contenu.
Deuxièmement, s’agissant du critère relatif à la marge d’appréciation des destinataires chargés de la mise en œuvre des dispositions attaquées, le Tribunal relève que ces dernières laissent une certaine marge d’appréciation à Europol. Elles n’ont donc pas un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union envers le CEPD, sans application d’autres règles intermédiaires.
En conséquence, étant donné que les dispositions attaquées n’affectent pas directement la situation juridique du CEPD et que les conditions de l’affectation directe et de l’affectation individuelle par l’acte dont l’annulation est demandée sont cumulatives, le Tribunal conclut à l’irrecevabilité du recours.
{1} Au titre de l’article 43, paragraphe 3, sous e), du règlement (UE) 2016/794 du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2016, relatif à l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol) et remplaçant et abrogeant les décisions du Conseil 2009/371/JAI, 2009/934/JAI, 2009/935/JAI, 2009/936/JAI et 2009/968/JAI (JO 2016, L 135, p. 53, ci-après le « règlement Europol initial »).
{2} Règlement (UE) 2022/991 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2022, en ce qui concerne la coopération d’Europol avec les parties privées, le traitement de données à caractère personnel par Europol à l’appui d’enquêtes pénales et le rôle d’Europol en matière de recherche et d’innovation (JO 2022, L 169, p. 1, ci-après le « règlement Europol modifié »), qui modifie le règlement Europol initial.
{3} Articles 74 bis et 74 ter du règlement Europol modifié (ci-après « les dispositions attaquées »).
{4} Arrêt du 22 mai 1990, Parlement/Conseil (C-70/88, EU:C:1990:217).
{5} En vertu de cette disposition, la Cour peut être saisie d’un recours formé, d’une part, par un État membre, par le Parlement, par le Conseil ou par la Commission et, d’autre part, par la Cour des comptes, par la Banque centrale européenne (BCE) et par le Comité des régions.
{6} Les sept institutions mentionnées par cette disposition sont le Parlement, le Conseil européen, le Conseil, la Commission, la Cour de justice de l’Union européenne, la Banque centrale européenne et la Cour des comptes.
{7} En vertu de l’article 16, paragraphe 2, TFUE et de l’article 8, paragraphe 3, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), le respect des règles relatives à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions, organes et organismes de l’Union est soumis au contrôle d’autorités indépendantes.
{8} Article 41, paragraphe 1, du règlement (CE) nº 45/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2000, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes communautaires et à la libre circulation de ces données (JO 2001, L 8, p. 1).
{9} En vertu de l’article 51, sous b), du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.
{10} Tels que prévus à l’article 14, paragraphe 1, et à l’article 16, paragraphe 1, TUE.
{11} En vertu de l’article 1er, paragraphe 3, du règlement (UE) 2018/1725 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2018, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions, organes et organismes de l’Union et à la libre circulation de ces données, et abrogeant le règlement (CE) nº 45/2001 et la décision nº 1247/2002/CE (JO 2018, L 295, p. 39), et de l’article 43, paragraphe 1, du règlement Europol initial.
Ordonnance du 6 septembre 2023, CEPD / Parlement et Conseil (T-578/22) (cf. points 26-36)
282. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Demande en annulation de l'approbation d'une décision du Conseil de résolution unique (CRU) relative à l'adoption d'un dispositif de résolution - Non-participation du Conseil à la procédure de résolution - Recours dirigé contre le Conseil - Irrecevabilité
Ordonnance du 8 septembre 2023, MeSoFa / Commission et CRU (T-523/22) (cf. points 11, 16-19)
Ordonnance du 8 septembre 2023, MeSoFa / Commission et CRU (T-524/22) (cf. points 11, 16-19)
283. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision - Intérêt à agir - Annulation partielle de l'acte attaqué dans le cadre d'un autre recours introduit contre cet acte - Moyens tendant à l'annulation des parties annulées de l'acte attaqué - Moyens devenus sans objet - Non-lieu à statuer
Ordonnance du 11 octobre 2023, Monthisa Residencial / Commission (T-484/14) (cf. points 33, 34)
284. Aides accordées par les États - Récupération d'une aide illégale - Application du droit national - Mesures internes de récupération d'une aide déclarée illégale - Compétence exclusive des juridictions nationales - Juridictions nationales habilitées à saisir la Cour à titre préjudiciel - Violation du principe de protection juridictionnelle - Absence
285. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision - Intérêt à agir - Annulation partielle de l'acte attaqué dans le cadre d'un autre recours introduit contre cet acte - Recours tendant à la fois à l'annulation des parties annulées de l'acte attaqué ainsi qu'à l'annulation de parties non annulées - Recours conservant son objet uniquement au regard des parties non annulées
286. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Conclusions tendant à obtenir une injonction adressée à une institution - Conclusions tendant à obtenir un arrêt déclaratoire - Exclusion
Arrêt du 4 septembre 2024, CMT / EUIPO - Camomilla (CAMOMILLA italia) (T-694/22) (cf. point 22)
287. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision de la Commission en matière d'aides d'État - Intérêt à agir - Annulation partielle de la décision attaquée dans le cadre d'un autre recours introduit contre cette décision - Recours tendant à l'annulation des parties annulées de la décision attaquée - Recours devenu en partie sans objet - Non-lieu à statuer
Par le présent arrêt, le Tribunal rejette les recours en annulation introduits respectivement par Telefónica Gestión Integral de Edificios y Servicios, SL, et Banco Santander, SA, contre la décision par laquelle la Commission européenne a qualifié d’aides d’État plusieurs mesures fiscales composant le « régime espagnol de leasing fiscal » (ci-après le « RELF ») applicable à certains accords de location-financement pour l’acquisition de navires{1}. Ce faisant, il se penche sur l’éventuelle disparition de l’objet du litige à la suite de l’annulation partielle de la décision attaquée par l’arrêt de la Cour Espagne e.a./Commission (C-649/20 P, C-658/20 P et C-662/20 P){2}. Le Tribunal se prononce également sur la question inédite de savoir si la Commission a outrepassé ses compétences en matière d’aides d’État en écartant, dans la décision attaquée, des clauses d’indemnisation figurant dans des contrats conclus entre parties privées, qui protègent les bénéficiaires contre la récupération d’une aide d’État illégale et incompatible avec le marché intérieur{3}.
En l’occurrence la Commission avait été saisie de plusieurs plaintes au sujet de l’application du RELF à certains accords de location-financement, dans la mesure où ce régime permettait aux compagnies maritimes de bénéficier d’une réduction de prix de 20 à 30 % pour l’achat de navires construits par des chantiers navals espagnols. Selon la Commission, l’objectif du RELF était de faire bénéficier d’avantages fiscaux des groupements d’intérêt économique (ci-après les « GIE ») et les investisseurs qui y participaient, lesquels transféraient ensuite une partie de ces avantages aux compagnies maritimes qui avaient acheté un navire neuf.
Dans la décision attaquée, adoptée en juillet 2013, la Commission a considéré que trois des cinq mesures fiscales formant le RELF constituaient une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, prenant la forme d’un avantage fiscal sélectif, partiellement incompatible avec le marché intérieur. Étant donné que l’aide en cause avait été mise à exécution depuis le 1er janvier 2002 en violation de l’obligation de notification{4}, la Commission a enjoint aux autorités nationales de procéder à sa récupération auprès des investisseurs, à savoir les membres des GIE (ci-après l’« injonction de récupération »).
Plusieurs recours en annulation ont été introduits contre la décision attaquée. Ceux introduits par Telefónica Gestión Integral de Edificios y Servicios et Banco Santander ont été suspendus dans l’attente de la résolution définitive des recours introduits par le Royaume d’Espagne, Lico Leasing, SA, et Pequeños y Medianos Astilleros Sociedad de Reconversión, SA (ci-après « PYMAR »). Ainsi, dans son arrêt Espagne e.a./Commission{5}, le Tribunal a annulé la décision attaquée. Saisie d’un pourvoi formé par la Commission à l’encontre de cet arrêt, la Cour l’a annulé, par son arrêt Commission/Espagne e.a. (C-128/16 P){6}, et a renvoyé les affaires devant le Tribunal.
Par son arrêt sur renvoi Espagne e.a./Commission{7}, le Tribunal a rejeté les recours introduits par le Royaume d’Espagne, Lico Leasing et PYMAR. Dans cet arrêt, le Tribunal a écarté le moyen visant à contester la sélectivité du RELF, en jugeant, en substance, que l’existence d’un pouvoir discrétionnaire étendu de l’administration fiscale pour autoriser l’amortissement anticipé était suffisante pour admettre la sélectivité du RELF dans son ensemble. Il a également écarté, notamment, les moyens tirés d’une violation des principes applicables à la récupération de l’aide, à savoir le principe de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique. Sur ce dernier point, en particulier, il a considéré que la Commission n’avait pas commis d’erreur de droit en ordonnant la récupération de l’intégralité de l’aide en cause auprès des seuls investisseurs des GIE, alors même qu’une partie de l’avantage fiscal obtenu avait été transférée à des tiers, à savoir les compagnies maritimes.
Saisie de pourvois distincts à l’encontre de cet arrêt, la Cour, par son arrêt Espagne e.a./Commission (C-649/20 P, C-658/20 P et C-662/20 P){8}, a accueilli le moyen du Royaume d’Espagne tiré d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué en ce qui concerne la récupération de l’aide en cause et a rejeté les pourvois pour le surplus. Ayant ainsi partiellement annulé cet arrêt et estimant être en mesure de statuer elle-même définitivement sur la partie des recours restant à examiner, la Cour a jugé, à l’issue de son examen, qu’il y avait lieu d’annuler la décision attaquée dans la mesure où elle désignait les GIE et leurs investisseurs comme étant les seuls bénéficiaires de l’aide visée et en ce qu’elle ordonnait la récupération de l’intégralité du montant de l’aide visée uniquement auprès des investisseurs des GIE.
Appréciation du Tribunal
Se penchant à titre liminaire sur la question de savoir si, à la suite de l’arrêt de la Cour Espagne e.a./Commission (C-649/20 P, C-658/20 P et C-662/20 P) ayant annulé partiellement la décision attaquée, les recours introduits par les requérantes ne sont pas devenus sans objet, le Tribunal rappelle que l’objet du litige doit perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté.
Ainsi, dans le cadre d’un recours introduit en vertu de l’article 263 TFUE, l’annulation de l’acte attaquée en cours d’instance prive de son objet le recours en ce qui concerne les conclusions tendant à l’annulation de ladite décision. En effet, par l’annulation de cet acte, la partie requérante obtient le seul résultat que son recours peut lui procurer et il n’y a, dès lors, plus matière à décision du juge de l’Union européenne. Il en va de même lorsque l’annulation partielle de l’acte attaqué a donné à la partie requérante le résultat qu’elle visait par une partie de son recours, de sorte qu’il n’y a plus lieu de statuer sur cette partie.
En l’espèce, le Tribunal constate que les recours introduits par les requérantes sont devenus sans objet pour autant qu’ils visent à contester l’identification des GIE et de leurs investisseurs comme étant les seuls bénéficiaires du RELF et desdits investisseurs comme étant les seules entreprises visées par l’injonction de récupération, ainsi que la motivation de la décision attaquée à cet égard, et la méthode décrite dans la décision attaquée afin de calculer le montant qui doit être remboursé par les investisseurs des GIE.
En effet, d’une part, l’arrêt de la Cour, Espagne e.a./Commission (C-649/20 P, C-658/20 P et C-662/20 P) a déjà annulé la décision attaquée pour autant qu’elle désigne les GIE et leurs investisseurs comme étant les seuls bénéficiaires du RELF et ordonne la récupération de l’intégralité du montant de l’aide en cause auprès desdits investisseurs. En outre, les requérantes n’ont pas démontré que leur argumentation contestant l’exclusion des chantiers navals des bénéficiaires du RELF et des entreprises visées par l’injonction de récupération, à la supposer fondée, était susceptible de leur procurer un bénéfice allant au-delà de celui qu’elles tirent de l’arrêt de la Cour.
D’autre part, la méthode décrite dans cette décision afin de calculer le montant qui doit être remboursé par les investisseurs, en reposant sur la prémisse, désormais erronée, selon laquelle l’intégralité de l’avantage doit être récupérée auprès des seuls investisseurs des GIE, est devenue obsolète à la suite de cet arrêt.
Cela étant, il y a toujours lieu de statuer sur les chefs de conclusions des requérantes qui tendent à l’annulation de parties de la décision attaquée n’ayant pas été annulées par la Cour dans l’arrêt Espagne e.a./Commission (C-649/20 P, C-658/20 P et C-662/20 P). En effet, cette décision demeure valide en ce qu’elle déclare illégale et incompatible avec le marché intérieur l’aide qui bénéficie à tout le moins aux GIE et à leurs investisseurs et oblige le Royaume d’Espagne à récupérer ladite aide, ou une partie de celle-ci, auprès de ces derniers. En outre, la circonstance que, pour le calcul des montants à récupérer, la méthode décrite dans la décision attaquée doive être modifiée à la lumière dudit arrêt ne modifie en rien le fait que cette obligation de récupération persiste en tant que telle.
À cet égard, en premier lieu, le Tribunal rejette le moyen tiré de la qualification erronée des mesures fiscales constituant le RELF, prises individuellement, en tant qu’aides nouvelles.
Ainsi, les arguments des requérantes visant à contester la qualification de ces mesures fiscales en tant qu’aides nouvelles, leur caractère sélectif et l’existence d’un avantage se basent sur la prémisse erronée selon laquelle lesdites mesures devraient être appréciées séparément, au regard de l’article 107 TFUE, et non en tenant compte du RELF dans son ensemble.
En effet, ces mesures fiscales sont liées en droit, en substance, parce que l’amortissement anticipé était soumis à l’obtention d’une autorisation par les autorités fiscales, et en fait, parce que l’autorisation administrative pour l’amortissement anticipé était accordée uniquement dans le contexte de contrats de location-vente de navires éligibles au régime de la taxation au tonnage. Ainsi, c’est en raison de ce lien que le Tribunal a jugé, dans son arrêt Espagne e.a./Commission (T-515/13 RENV et T-719/13 RENV), que, étant donné qu’une des mesures permettant de bénéficier du RELF dans son ensemble était sélective, à savoir l’autorisation de l’amortissement anticipé, la Commission avait considéré à bon droit, dans la décision attaquée, que le système était sélectif dans son ensemble. Dans l’arrêt Espagne e.a./Commission (C-649/20 P, C-658/20 P et C-662/20 P), la Cour a confirmé cette conclusion ainsi que, implicitement, la nécessité d’apprécier le RELF dans son ensemble en tant que régime d’aide.
En second lieu, le Tribunal rejette le moyen selon lequel la Commission aurait outrepassé ses compétences en matière d’aides d’État en interdisant les clauses d’indemnisation figurant dans des contrats conclus entre parties privées qui protègent les bénéficiaires contre la récupération d’une aide d’État illégale et incompatible.
À cet égard, le Tribunal constate que la précision apportée à l’article 4, paragraphe 1, du dispositif de la décision attaquée, selon laquelle le Royaume d’Espagne doit récupérer l’aide auprès des bénéficiaires « sans que [ceux-ci] puissent transférer la charge de la récupération à d’autres personnes », est rédigée en termes larges et ne se limite pas expressément aux clauses d’indemnisation. En outre, ces clauses ne visent pas spécifiquement l’hypothèse de la récupération d’une aide d’État illégale et incompatible avec le marché intérieur, mais, de façon plus générale, les conséquences de la possibilité que les autorités compétentes n’approuvent pas les avantages fiscaux découlant du RELF ou que, à la suite de leur approbation, leur validité soit remise en cause.
Cela étant, dans certains considérants de la décision attaquée, la Commission identifie, de façon plus concrète, des aspects spécifiques des clauses d’indemnisation qui s’avèrent, selon elle, problématiques dans le contexte spécifique de la récupération des aides illégales et incompatibles avec le marché intérieur. Ainsi, elle précise que l’objectif de la récupération, qui vise au rétablissement de la situation antérieure, et notamment à l’élimination de la distorsion de concurrence causée par l’avantage concurrentiel procuré par l’aide illégale et incompatible avec le marché intérieur, serait irrémédiablement compromis si les acteurs du secteur privé pouvaient, grâce à des clauses contractuelles, altérer les effets des décisions de récupération arrêtées par la Commission. Il s’ensuit que la précision apportée à l’article 4, paragraphe 1, du dispositif de la décision attaquée doit être comprise comme ne visant que les clauses d’indemnisation dans la mesure où elles peuvent être interprétées comme protégeant les bénéficiaires d’une aide illégale et incompatible avec le marché intérieur contre la récupération de celle-ci.
Par ailleurs, la Commission n’a pas prévu que ces clauses d’indemnisation seraient nulles, une telle compétence revenant, le cas échéant, aux juridictions nationales. En effet, la précision apportée par la Commission dans la décision attaquée ne vise qu’à clarifier la portée de l’obligation incombant au Royaume d’Espagne de récupérer l’aide auprès des bénéficiaires de celle-ci afin que la situation antérieure au versement de ladite aide soit rétablie.
Il s’ensuit que la Commission n’a pas outrepassé les compétences dont elle est investie en matière d’aides d’État{9}. En effet, s’il est vrai que la récupération s’effectue conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné{10}, il n’en reste pas moins que ces dernières doivent permettre l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. Partant, rien ne s’oppose à ce que la Commission précise, dans la décision attaquée, que le Royaume d’Espagne doit faire en sorte que les bénéficiaires remboursent les montants des aides dont ils ont eu la jouissance effective, sans pouvoir transférer la charge de la récupération de ces montants à une autre partie au contrat. Il en va d’autant plus ainsi que ces clauses d’indemnisation étaient prévues dans les contrats-cadres conclus entre les divers participants du RELF, ces contrats étant pris en compte par l’administration fiscale pour autoriser l’amortissement anticipé.
{1} Décision 2014/200/UE de la Commission, du 17 juillet 2013, concernant l’aide d’État SA.21233 C/11 (ex NN/11, ex CP 137/06) mise à exécution par l’Espagne - Régime fiscal applicable à certains accords de location-financement, également appelé « régime espagnol de leasing fiscal » (JO 2014, L 114, p. 1).
{2} Arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C-649/20 P, C-658/20 P et C-662/20 P, EU:C:2023:60).
{3} En vertu des clauses d’indemnisation figurant dans des contrats conclus entre parties privées, les investisseurs pouvaient réclamer auprès des chantiers navals, les montants qu’ils ont dû rembourser à l’État.
{4} Obligation prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
{5} Arrêt du 17 décembre 2015, Espagne e.a./Commission (T-515/13 et T-719/13, EU:T:2015:1004).
{6} Arrêt du 25 juillet 2018, Commission/Espagne e.a. (C-128/16 P, EU:C:2018:591).
{7} Arrêt du 23 septembre 2020, Espagne e.a./Commission (T-515/13 RENV et T-719/13 RENV, EU:T:2020:434).
{8} Arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C-649/20 P, C-658/20 P et C-662/20 P, EU:C:2023:60).
{9} Voir article 14, § 1, du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO 1999, L 83, p. 1).
{10} Article 14, § 3, du règlement no 659/1999.
Voir texte de la décision.
Arrêt du 24 avril 2024, Hispavima / Commission (T-514/14) (cf. points 21-41)
Arrêt du 15 mai 2024, Gas Natural / Commission (T-508/14) (cf. points 21-32)
Arrêt du 29 mai 2024, Decal España / Commission (T-509/14) (cf. points 21-42)
Arrêt du 26 juin 2024, Aluminios Cortizo et Cortizo Cartera / Commission (T-1/14) (cf. 25-39)
288. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision de la Commission en matière d'aides d'État - Intérêt à agir - Annulation partielle de la décision attaquée dans le cadre d'un autre recours introduit contre cette décision - Recours tendant à l'annulation des parties non annulées de la décision attaquée - Persistance de l'intérêt à agir
Par le présent arrêt, le Tribunal rejette les recours en annulation introduits respectivement par Telefónica Gestión Integral de Edificios y Servicios, SL, et Banco Santander, SA, contre la décision par laquelle la Commission européenne a qualifié d’aides d’État plusieurs mesures fiscales composant le « régime espagnol de leasing fiscal » (ci-après le « RELF ») applicable à certains accords de location-financement pour l’acquisition de navires{1}. Ce faisant, il se penche sur l’éventuelle disparition de l’objet du litige à la suite de l’annulation partielle de la décision attaquée par l’arrêt de la Cour Espagne e.a./Commission (C-649/20 P, C-658/20 P et C-662/20 P){2}. Le Tribunal se prononce également sur la question inédite de savoir si la Commission a outrepassé ses compétences en matière d’aides d’État en écartant, dans la décision attaquée, des clauses d’indemnisation figurant dans des contrats conclus entre parties privées, qui protègent les bénéficiaires contre la récupération d’une aide d’État illégale et incompatible avec le marché intérieur{3}.
En l’occurrence la Commission avait été saisie de plusieurs plaintes au sujet de l’application du RELF à certains accords de location-financement, dans la mesure où ce régime permettait aux compagnies maritimes de bénéficier d’une réduction de prix de 20 à 30 % pour l’achat de navires construits par des chantiers navals espagnols. Selon la Commission, l’objectif du RELF était de faire bénéficier d’avantages fiscaux des groupements d’intérêt économique (ci-après les « GIE ») et les investisseurs qui y participaient, lesquels transféraient ensuite une partie de ces avantages aux compagnies maritimes qui avaient acheté un navire neuf.
Dans la décision attaquée, adoptée en juillet 2013, la Commission a considéré que trois des cinq mesures fiscales formant le RELF constituaient une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, prenant la forme d’un avantage fiscal sélectif, partiellement incompatible avec le marché intérieur. Étant donné que l’aide en cause avait été mise à exécution depuis le 1er janvier 2002 en violation de l’obligation de notification{4}, la Commission a enjoint aux autorités nationales de procéder à sa récupération auprès des investisseurs, à savoir les membres des GIE (ci-après l’« injonction de récupération »).
Plusieurs recours en annulation ont été introduits contre la décision attaquée. Ceux introduits par Telefónica Gestión Integral de Edificios y Servicios et Banco Santander ont été suspendus dans l’attente de la résolution définitive des recours introduits par le Royaume d’Espagne, Lico Leasing, SA, et Pequeños y Medianos Astilleros Sociedad de Reconversión, SA (ci-après « PYMAR »). Ainsi, dans son arrêt Espagne e.a./Commission{5}, le Tribunal a annulé la décision attaquée. Saisie d’un pourvoi formé par la Commission à l’encontre de cet arrêt, la Cour l’a annulé, par son arrêt Commission/Espagne e.a. (C-128/16 P){6}, et a renvoyé les affaires devant le Tribunal.
Par son arrêt sur renvoi Espagne e.a./Commission{7}, le Tribunal a rejeté les recours introduits par le Royaume d’Espagne, Lico Leasing et PYMAR. Dans cet arrêt, le Tribunal a écarté le moyen visant à contester la sélectivité du RELF, en jugeant, en substance, que l’existence d’un pouvoir discrétionnaire étendu de l’administration fiscale pour autoriser l’amortissement anticipé était suffisante pour admettre la sélectivité du RELF dans son ensemble. Il a également écarté, notamment, les moyens tirés d’une violation des principes applicables à la récupération de l’aide, à savoir le principe de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique. Sur ce dernier point, en particulier, il a considéré que la Commission n’avait pas commis d’erreur de droit en ordonnant la récupération de l’intégralité de l’aide en cause auprès des seuls investisseurs des GIE, alors même qu’une partie de l’avantage fiscal obtenu avait été transférée à des tiers, à savoir les compagnies maritimes.
Saisie de pourvois distincts à l’encontre de cet arrêt, la Cour, par son arrêt Espagne e.a./Commission (C-649/20 P, C-658/20 P et C-662/20 P){8}, a accueilli le moyen du Royaume d’Espagne tiré d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué en ce qui concerne la récupération de l’aide en cause et a rejeté les pourvois pour le surplus. Ayant ainsi partiellement annulé cet arrêt et estimant être en mesure de statuer elle-même définitivement sur la partie des recours restant à examiner, la Cour a jugé, à l’issue de son examen, qu’il y avait lieu d’annuler la décision attaquée dans la mesure où elle désignait les GIE et leurs investisseurs comme étant les seuls bénéficiaires de l’aide visée et en ce qu’elle ordonnait la récupération de l’intégralité du montant de l’aide visée uniquement auprès des investisseurs des GIE.
Appréciation du Tribunal
Se penchant à titre liminaire sur la question de savoir si, à la suite de l’arrêt de la Cour Espagne e.a./Commission (C-649/20 P, C-658/20 P et C-662/20 P) ayant annulé partiellement la décision attaquée, les recours introduits par les requérantes ne sont pas devenus sans objet, le Tribunal rappelle que l’objet du litige doit perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté.
Ainsi, dans le cadre d’un recours introduit en vertu de l’article 263 TFUE, l’annulation de l’acte attaquée en cours d’instance prive de son objet le recours en ce qui concerne les conclusions tendant à l’annulation de ladite décision. En effet, par l’annulation de cet acte, la partie requérante obtient le seul résultat que son recours peut lui procurer et il n’y a, dès lors, plus matière à décision du juge de l’Union européenne. Il en va de même lorsque l’annulation partielle de l’acte attaqué a donné à la partie requérante le résultat qu’elle visait par une partie de son recours, de sorte qu’il n’y a plus lieu de statuer sur cette partie.
En l’espèce, le Tribunal constate que les recours introduits par les requérantes sont devenus sans objet pour autant qu’ils visent à contester l’identification des GIE et de leurs investisseurs comme étant les seuls bénéficiaires du RELF et desdits investisseurs comme étant les seules entreprises visées par l’injonction de récupération, ainsi que la motivation de la décision attaquée à cet égard, et la méthode décrite dans la décision attaquée afin de calculer le montant qui doit être remboursé par les investisseurs des GIE.
En effet, d’une part, l’arrêt de la Cour, Espagne e.a./Commission (C-649/20 P, C-658/20 P et C-662/20 P) a déjà annulé la décision attaquée pour autant qu’elle désigne les GIE et leurs investisseurs comme étant les seuls bénéficiaires du RELF et ordonne la récupération de l’intégralité du montant de l’aide en cause auprès desdits investisseurs. En outre, les requérantes n’ont pas démontré que leur argumentation contestant l’exclusion des chantiers navals des bénéficiaires du RELF et des entreprises visées par l’injonction de récupération, à la supposer fondée, était susceptible de leur procurer un bénéfice allant au-delà de celui qu’elles tirent de l’arrêt de la Cour.
D’autre part, la méthode décrite dans cette décision afin de calculer le montant qui doit être remboursé par les investisseurs, en reposant sur la prémisse, désormais erronée, selon laquelle l’intégralité de l’avantage doit être récupérée auprès des seuls investisseurs des GIE, est devenue obsolète à la suite de cet arrêt.
Cela étant, il y a toujours lieu de statuer sur les chefs de conclusions des requérantes qui tendent à l’annulation de parties de la décision attaquée n’ayant pas été annulées par la Cour dans l’arrêt Espagne e.a./Commission (C-649/20 P, C-658/20 P et C-662/20 P). En effet, cette décision demeure valide en ce qu’elle déclare illégale et incompatible avec le marché intérieur l’aide qui bénéficie à tout le moins aux GIE et à leurs investisseurs et oblige le Royaume d’Espagne à récupérer ladite aide, ou une partie de celle-ci, auprès de ces derniers. En outre, la circonstance que, pour le calcul des montants à récupérer, la méthode décrite dans la décision attaquée doive être modifiée à la lumière dudit arrêt ne modifie en rien le fait que cette obligation de récupération persiste en tant que telle.
À cet égard, en premier lieu, le Tribunal rejette le moyen tiré de la qualification erronée des mesures fiscales constituant le RELF, prises individuellement, en tant qu’aides nouvelles.
Ainsi, les arguments des requérantes visant à contester la qualification de ces mesures fiscales en tant qu’aides nouvelles, leur caractère sélectif et l’existence d’un avantage se basent sur la prémisse erronée selon laquelle lesdites mesures devraient être appréciées séparément, au regard de l’article 107 TFUE, et non en tenant compte du RELF dans son ensemble.
En effet, ces mesures fiscales sont liées en droit, en substance, parce que l’amortissement anticipé était soumis à l’obtention d’une autorisation par les autorités fiscales, et en fait, parce que l’autorisation administrative pour l’amortissement anticipé était accordée uniquement dans le contexte de contrats de location-vente de navires éligibles au régime de la taxation au tonnage. Ainsi, c’est en raison de ce lien que le Tribunal a jugé, dans son arrêt Espagne e.a./Commission (T-515/13 RENV et T-719/13 RENV), que, étant donné qu’une des mesures permettant de bénéficier du RELF dans son ensemble était sélective, à savoir l’autorisation de l’amortissement anticipé, la Commission avait considéré à bon droit, dans la décision attaquée, que le système était sélectif dans son ensemble. Dans l’arrêt Espagne e.a./Commission (C-649/20 P, C-658/20 P et C-662/20 P), la Cour a confirmé cette conclusion ainsi que, implicitement, la nécessité d’apprécier le RELF dans son ensemble en tant que régime d’aide.
En second lieu, le Tribunal rejette le moyen selon lequel la Commission aurait outrepassé ses compétences en matière d’aides d’État en interdisant les clauses d’indemnisation figurant dans des contrats conclus entre parties privées qui protègent les bénéficiaires contre la récupération d’une aide d’État illégale et incompatible.
À cet égard, le Tribunal constate que la précision apportée à l’article 4, paragraphe 1, du dispositif de la décision attaquée, selon laquelle le Royaume d’Espagne doit récupérer l’aide auprès des bénéficiaires « sans que [ceux-ci] puissent transférer la charge de la récupération à d’autres personnes », est rédigée en termes larges et ne se limite pas expressément aux clauses d’indemnisation. En outre, ces clauses ne visent pas spécifiquement l’hypothèse de la récupération d’une aide d’État illégale et incompatible avec le marché intérieur, mais, de façon plus générale, les conséquences de la possibilité que les autorités compétentes n’approuvent pas les avantages fiscaux découlant du RELF ou que, à la suite de leur approbation, leur validité soit remise en cause.
Cela étant, dans certains considérants de la décision attaquée, la Commission identifie, de façon plus concrète, des aspects spécifiques des clauses d’indemnisation qui s’avèrent, selon elle, problématiques dans le contexte spécifique de la récupération des aides illégales et incompatibles avec le marché intérieur. Ainsi, elle précise que l’objectif de la récupération, qui vise au rétablissement de la situation antérieure, et notamment à l’élimination de la distorsion de concurrence causée par l’avantage concurrentiel procuré par l’aide illégale et incompatible avec le marché intérieur, serait irrémédiablement compromis si les acteurs du secteur privé pouvaient, grâce à des clauses contractuelles, altérer les effets des décisions de récupération arrêtées par la Commission. Il s’ensuit que la précision apportée à l’article 4, paragraphe 1, du dispositif de la décision attaquée doit être comprise comme ne visant que les clauses d’indemnisation dans la mesure où elles peuvent être interprétées comme protégeant les bénéficiaires d’une aide illégale et incompatible avec le marché intérieur contre la récupération de celle-ci.
Par ailleurs, la Commission n’a pas prévu que ces clauses d’indemnisation seraient nulles, une telle compétence revenant, le cas échéant, aux juridictions nationales. En effet, la précision apportée par la Commission dans la décision attaquée ne vise qu’à clarifier la portée de l’obligation incombant au Royaume d’Espagne de récupérer l’aide auprès des bénéficiaires de celle-ci afin que la situation antérieure au versement de ladite aide soit rétablie.
Il s’ensuit que la Commission n’a pas outrepassé les compétences dont elle est investie en matière d’aides d’État{9}. En effet, s’il est vrai que la récupération s’effectue conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné{10}, il n’en reste pas moins que ces dernières doivent permettre l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. Partant, rien ne s’oppose à ce que la Commission précise, dans la décision attaquée, que le Royaume d’Espagne doit faire en sorte que les bénéficiaires remboursent les montants des aides dont ils ont eu la jouissance effective, sans pouvoir transférer la charge de la récupération de ces montants à une autre partie au contrat. Il en va d’autant plus ainsi que ces clauses d’indemnisation étaient prévues dans les contrats-cadres conclus entre les divers participants du RELF, ces contrats étant pris en compte par l’administration fiscale pour autoriser l’amortissement anticipé.
{1} Décision 2014/200/UE de la Commission, du 17 juillet 2013, concernant l’aide d’État SA.21233 C/11 (ex NN/11, ex CP 137/06) mise à exécution par l’Espagne - Régime fiscal applicable à certains accords de location-financement, également appelé « régime espagnol de leasing fiscal » (JO 2014, L 114, p. 1).
{2} Arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C-649/20 P, C-658/20 P et C-662/20 P, EU:C:2023:60).
{3} En vertu des clauses d’indemnisation figurant dans des contrats conclus entre parties privées, les investisseurs pouvaient réclamer auprès des chantiers navals, les montants qu’ils ont dû rembourser à l’État.
{4} Obligation prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
{5} Arrêt du 17 décembre 2015, Espagne e.a./Commission (T-515/13 et T-719/13, EU:T:2015:1004).
{6} Arrêt du 25 juillet 2018, Commission/Espagne e.a. (C-128/16 P, EU:C:2018:591).
{7} Arrêt du 23 septembre 2020, Espagne e.a./Commission (T-515/13 RENV et T-719/13 RENV, EU:T:2020:434).
{8} Arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C-649/20 P, C-658/20 P et C-662/20 P, EU:C:2023:60).
{9} Voir article 14, § 1, du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO 1999, L 83, p. 1).
{10} Article 14, § 3, du règlement no 659/1999.
Voir texte de la décision.
Arrêt du 24 avril 2024, Hispavima / Commission (T-514/14) (cf. points 42, 43, 45-53)
Arrêt du 15 mai 2024, Gas Natural / Commission (T-508/14) (cf. points 33, 34, 36-44)
Arrêt du 29 mai 2024, Decal España / Commission (T-509/14) (cf. points 43, 44, 46-54)
Arrêt du 26 juin 2024, Aluminios Cortizo et Cortizo Cartera / Commission (T-1/14) (cf. 47-58)
289. Recours en annulation - Objet - Annulation partielle - Condition - Caractère détachable des dispositions contestées - Décision de la Commission qualifiant une mesure d'aide d'État et déclarant celle-ci compatible avec le marché intérieur - Caractère détachable de la qualification de la mesure en tant qu'aide d'État
Le Tribunal rejette le recours en annulation partielle introduit par le Royaume de Danemark contre la décision de la Commission européenne du 20 mars 2020{1} par laquelle celle-ci a constaté que les mesures de soutien accordées par le Danemark à l’entreprise publique Femern A/S pour la planification, la construction et l’exploitation d’une liaison fixe rail-route du détroit de Fehmarn entre le Danemark et l’Allemagne constituent une aide d’État compatible avec le marché intérieur. Ce faisant, le Tribunal apporte des précisions relatives à la notion d’« activité de nature économique » soumise au droit de la concurrence de l’Union.
En 2008, le Danemark et l’Allemagne ont signé un traité relatif à un projet de liaison fixe du détroit de Fehmarn consistant, d’une part, en un tunnel ferroviaire et routier immergé sous la mer Baltique entre le Danemark et l’Allemagne (ci-après la « liaison fixe ») et, d’autre part, en des connexions routières et ferroviaires vers l’arrière-pays danois.
L’entreprise publique danoise Femern a été chargée du financement, de la construction et de l’exploitation de la liaison fixe. Ayant bénéficié d’injections de capitaux, de prêts garantis par l’État ainsi que de prêts accordés par le Danemark, Femern percevra les redevances des usagers à partir de la mise en service de la liaison fixe afin de rembourser sa dette.
Fin 2014, les autorités danoises ont notifié à la Commission le modèle de financement du projet de liaison fixe du détroit de Fehmarn. Sans ouvrir la procédure formelle d’examen, la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections à l’égard des mesures notifiées{2}.
Par arrêts du 13 décembre 2018{3}, le Tribunal a partiellement annulé cette décision. En ce qui concerne les financements publics accordés à Femern, le Tribunal a jugé que la Commission avait manqué à l’obligation qui lui incombait en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE d’ouvrir la procédure formelle d’examen en raison de l’existence de difficultés sérieuses.
Ayant ouvert la procédure formelle d’examen à la suite de ces arrêts, la Commission a considéré, par sa décision du 20 mars 2020, que les mesures consistant en des injections de capitaux et en une combinaison de prêts d’État et de garanties d’État accordées à Femern pour la planification, la construction et l’exploitation de la liaison fixe constituaient une aide d’État compatible avec le marché intérieur sur la base de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE{4}.
Le Danemark a saisi le Tribunal d’un recours en annulation de cette décision pour autant qu’elle qualifie les financements publics accordés à Femern d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal rejette l’argumentation du Danemark selon laquelle la Commission aurait commis une erreur de droit en soumettant les activités de Femern aux règles de concurrence de l’Union alors que ses activités se rattacheraient à l’exercice de prérogatives de puissance publique.
Selon la jurisprudence, les activités relevant de l’autorité publique ou qui se rattachent à l’exercice de prérogatives de puissance publique ne présentent pas de caractère économique justifiant l’application des règles de concurrence prévues par le traité FUE.
À cet égard, le Tribunal commence par constater que la Commission n’a pas commis d’erreur de droit en considérant, dans la décision attaquée, qu’une entité exerce des prérogatives de puissance publique lorsque son activité est liée aux fonctions essentielles de l’État par sa nature, son objectif et les règles auxquelles elle est soumise.
Cela étant précisé, le Tribunal relève que les informations soumises à la Commission par les autorités danoises au cours de la procédure formelle d’examen ne constituaient pas des éléments qui, pris isolément ou dans leur ensemble, étaient susceptibles d’aboutir au constat que la construction et l’exploitation de la liaison fixe par Femern se rattachent à l’exercice de prérogatives de puissance publique.
Plus particulièrement, le fait que Femern soit placée sous le contrôle étroit des pouvoirs publics et soumise au respect de certaines obligations de droit public applicables aux administrations publiques ne suffit pas pour conclure que ses activités se rattachent à l’exercice de prérogatives de puissance publique. De plus, si les activités de Femern ont pour objet d’assurer la mise en œuvre d’un accord international, il n’en reste pas moins que le traité sur le détroit de Fehmarn ne contient aucune disposition permettant de constater que, en tant que telles, les activités de construction et d’exploitation de la liaison fixe se rattachent à l’exercice de telles prérogatives. Par ailleurs, l’absence de libéralisation d’un secteur d’activité ne constitue pas un indice permettant de conclure que, par principe, une activité se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique.
Il ne saurait, en outre, être reproché à la Commission de ne pas avoir examiné de manière détaillée si les fonctions déléguées à Femern en tant qu’autorité routière et gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire ainsi qu’en ce qui concerne la préparation des plans de sécurité de la liaison fixe se rattachent à l’exercice de prérogatives de puissance publique, dès lors que le Danemark ne s’était pas explicitement prévalu de cet argument au cours de la procédure formelle d’examen.
Le Tribunal rejette, en second lieu, les différents griefs tirés de ce que la Commission aurait commis une erreur d’appréciation en considérant que l’exploitation de la liaison fixe constitue une activité économique soumise au droit de la concurrence de l’Union.
Conformément à une jurisprudence constante, constitue une entreprise, aux fins de l’application des dispositions du droit de l’Union en matière de concurrence, toute entité exerçant une activité économique et constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné. Pour déterminer si une entité exerce une activité économique, la Commission doit, par conséquent, établir que l’entité offre des biens ou services sur un marché en concurrence avec des opérateurs poursuivant un but lucratif.
À la lumière de cette jurisprudence, le Tribunal écarte, tout d’abord, les critiques formulées par le Danemark à l’encontre du constat qui est fait dans la décision attaquée et selon lequel les services qui seront offerts par Femern après la mise en service de la liaison fixe seront en concurrence directe avec ceux offerts par l’exploitant privé de transbordeurs qui opère déjà, dans un but lucratif, dans le détroit de Fehmarn. En effet, même si Femern et cet exploitant de transbordeurs privé offrent des services dont les caractéristiques sont différentes à certains égards, ils opèrent sur le même marché, à savoir celui des services de transport pour la traversée du détroit de Fehmarn, sur lequel les consommateurs auront le choix entre les services offerts par l’exploitant de transbordeurs et ceux offerts par Femern dans le cadre de l’exploitation de la liaison fixe. Par ailleurs, la Commission avait également identifié un marché de services de transport sur d’autres liaisons qui constituent une alternative pour la traversée du détroit de Fehmarn.
Ensuite, le Tribunal relève que la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que le caractère payant de l’utilisation de la liaison fixe constitue un élément pertinent pour qualifier l’exploitation de cette liaison en tant qu’activité économique. En effet, lorsqu’un État membre décide, comme en l’espèce, de conditionner l’accès à une infrastructure au paiement d’une redevance afin de générer des recettes affectées notamment au remboursement de la dette contractée pour financer la planification et la construction de cette infrastructure, il y a lieu de considérer que celle-ci fait l’objet d’une exploitation économique.
Enfin, le Tribunal entérine la conclusion de la Commission selon laquelle l’activité de construction de la liaison fixe est de nature économique dès lors qu’elle est indissociablement liée à l’exploitation économique de cette infrastructure.
À cet égard, le Tribunal rappelle que l’exploitation commerciale et la construction d’infrastructures de transport en vue d’une telle exploitation commerciale sont susceptibles de constituer des activités économiques. Dans ce contexte, il a notamment été jugé{5} que la Commission pouvait valablement conclure au caractère indissociable de l’activité d’exploitation d’un aéroport commercial et de l’activité de construction d’une nouvelle piste de cet aéroport étant donné que les taxes aéroportuaires constitueraient la principale source de revenus pour le financement de la nouvelle piste et que l’exploitation de cette piste participerait à l’activité économique de l’aéroport. Or, les principes posés dans ces arrêts ne sauraient être limités à la seule hypothèse de l’extension d’une infrastructure de transport préexistante faisant l’objet d’une exploitation économique, mais peuvent également concerner la construction d’une nouvelle infrastructure ayant vocation à faire l’objet d’une exploitation économique future, telle que celle en cause en l’espèce.
S’agissant de l’argument du Danemark selon lequel, en substance, Femern ne serait présente sur aucun marché pendant la phase de construction, le Tribunal souligne que les recettes d’exploitation de la liaison fixe seront notamment utilisées par Femern pour rembourser les emprunts qu’elle a souscrits pour la planification et la construction de la liaison fixe. Or, si l’activité de construction était considérée comme dissociable de l’exploitation et, partant, non économique, les financements préférentiels obtenus pour la construction de la liaison fixe ne pourraient pas être qualifiés d’aides d’État. Il s’ensuivrait que, au stade de l’exploitation de la liaison fixe, Femern bénéficierait de la possibilité d’exploiter une infrastructure subventionnée, ce qui lui procurerait un avantage économique qu’elle n’aurait pas obtenu aux conditions normales de marché. Ainsi, le Tribunal conclut que l’effet utile des règles relatives aux aides d’État s’oppose également à ce que les activités de construction et d’exploitation de la liaison fixe soient dissociées au motif que la mise en service de cette liaison n’interviendra que lorsque sa construction sera achevée.
Par ailleurs, le fait que la loi danoise attribue exclusivement à Femern la construction et l’exploitation de la liaison fixe n’empêche pas non plus que ces activités puissent être qualifiées d’activités économiques, dès lors que l’exploitation de la liaison fixe consistera à offrir des services de transport sur un marché libéralisé et ouvert à la concurrence. En effet, dans le cas contraire, il suffirait qu’un État membre octroie des droits exclusifs à une entité appelée à offrir des services sur un marché libéralisé pour contourner l’application des règles relatives à la concurrence.
Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, le Tribunal rejette le recours en annulation partielle de la décision attaquée.
{1} Décision C(2020) 1683 final de la Commission, du 20 mars 2020, concernant l’aide d’État SA.39078 - 2019/C (ex 2014/N) mise à exécution par le Danemark en faveur de Femern A/S (JO 2020, L 339, p. 1).
{2} Décision C(2015) 5023 final, relative à l’aide d’État SA.39078 (2014/N) (Danemark), concernant le financement du projet de liaison fixe du détroit de Fehmarn (JO 2015, C 325, p. 5).
{3} Arrêts du 13 décembre 2018, Scandlines Danmark et Scandlines Deutschland/Commission (T-630/15, non publié, EU:T:2018:942) et du 13 décembre 2018, Stena Line Scandinavia/Commission (T-631/15, non publié, EU:T:2018:944).
{4} En vertu de cette disposition, les aides destinées à promouvoir la réalisation d’un projet important d’intérêt européen commun peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur.
{5} Arrêts du 19 décembre 2012, Mitteldeutsche Flughafen et Flughafen Leipzig-Halle/Commission (C-288/11 P, EU:C:2012:821), et du 24 mars 2011, Freistaat Sachsen et Land Sachsen-Anhalt/Commission (T-443/08 et T-455/08, EU:T:2011:117).
Arrêt du 28 février 2024, Danemark / Commission (T-364/20) (cf. points 34-37)
290. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Exceptions - Actes adoptés en vertu de pouvoirs délégués imputables à l'institution délégante - Acte adopté formellement par le secrétaire général d'un groupe politique du Parlement européen - Note de débit adoptée par le directeur général des finances du Parlement - Compétence du Parlement pour adopter lesdits actes - Recours dirigé contre ledit groupe politique et son secrétaire général - Irrecevabilité
Ordonnance du 19 mars 2024, Comi / Parlement (T-422/23) (cf. points 23, 26-30)
291. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives à l'encontre de la Biélorussie - Gel des fonds de certaines personnes et entités au regard de la situation en Biélorussie - Portée du contrôle - Inscription sur la liste annexée à la décision attaquée du fait de sa responsabilité dans la répression exercée contre la société civile et l'opposition démocratique - Articles de presse n'émanant pas de sources différentes - Valeur probante - Absence
Dans son arrêt, le Tribunal accueille le recours en annulation introduit par Belshyna AAT contre les actes par lesquels elle a été inscrite, puis maintenue une seconde fois, par le Conseil de l’Union européenne, sur la liste des personnes et entités visées par des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie. Cette affaire donne l’opportunité au Tribunal d’apporter des précisions quant à la recevabilité, au regard de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, d’une demande d’adaptation de la requête dans le contentieux des mesures restrictives.
Cet arrêt s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis 2004 en raison de la situation en Biélorussie en ce qui concerne la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme. Ces mesures prévoient notamment le gel des fonds et des ressources économiques appartenant à des personnes, des entités ou des organismes responsables de violations graves des droits de l’homme ou de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, ou dont les activités nuisent gravement à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie, ainsi que des personnes, des entités ou des organismes qui soutiennent le régime de Loukachenko{1}. La requérante, une entreprise établie en Biélorussie qui produit des pneumatiques, a été inscrite sur ladite liste en 2021{2} par le Conseil, puis maintenue sur celle-ci en 2022{3} et 2023{4}, aux motifs qu’elle représentait une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko et qu’elle avait licencié des employés ayant fait grève à la suite du scrutin présidentiel de 2020. Après avoir demandé l’annulation des actes initiaux, elle avait adapté sa requête pour demander également l’annulation des actes de maintien de 2023 sans pour autant avoir effectué une telle demande pour les actes de maintien de 2022.
Appréciation du Tribunal
S’agissant de l’examen de la recevabilité de l’adaptation de la requête, laquelle est d’ordre public, le Tribunal rappelle que lorsqu’un acte dont l’annulation est demandée est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, la partie requérante peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau{5}.
En l’espèce, il observe, tout d’abord, que tant les actes initiaux que les actes de maintien, en tant qu’ils concernent la requérante, ont pour objet d’imposer à celle-ci des mesures restrictives individuelles consistant en un gel de tous ses fonds et ressources économiques{6}.
Il relève ensuite que ces mesures restrictives individuelles prennent la forme d’une inscription du nom des personnes, des entités ou des organismes ciblés sur les listes litigieuses qui figurent dans les annexes de la décision 2012/642 et du règlement no 765/2006.
Dans ce contexte, les actes initiaux ont modifié les annexes de la décision 2012/642 et du règlement no 765/2006 pour inscrire, notamment, le nom de la requérante sur les listes litigieuses. Quant aux actes de maintien, le Tribunal constate, d’une part, que la décision 2023/421 a prorogé jusqu’au 28 février 2024 l’applicabilité de la décision 2012/642, dont l’annexe I, telle que modifiée par la décision d’exécution 2021/2125, mentionnait le nom de la requérante. D’autre part, le règlement d’exécution no 2023/419 a modifié l’annexe I du règlement no 765/2006, tout en maintenant, à tout le moins implicitement, l’inscription du nom de la requérante sur ladite annexe. Partant, les actes de maintien doivent être vus comme ayant modifié les actes initiaux au sens de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure.
Au vu de ce qui précède, le Tribunal conclut que la requérante ayant demandé l’annulation des actes initiaux dans la requête était en droit d’adapter la requête afin de demander l’annulation des actes de maintien de 2023 quand bien même elle n’avait pas auparavant adapté la requête pour demander l’annulation des actes de 2022.
{1} Article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642/PESC du Conseil, du 15 octobre 2012, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2012, L 285, p. 1) et article 2, paragraphe 4, du règlement (CE) no 765/2006 du Conseil, du 18 mai 2006, concernant des mesures restrictives à l’encontre du président [Loukachenko] et de certains fonctionnaires de Biélorussie (JO 2006, L 134, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 1014/2012 du Conseil, du 6 novembre 2012 (JO 2012, L 307, p. 1).
{2} Décision (PESC) 2021/1001 du Conseil, du 21 juin 2021, modifiant la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2021, L 219 I, p. 67) et règlement d’exécution (UE) 2021/999 du Conseil, du 21 juin 2021, mettant en œuvre l’article 8 bis, paragraphe 1, du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2021, L 219 I, p. 55) (ci-après les « actes initiaux »).
{3} Décision (PESC) 2022/307 du Conseil, du 24 février 2022, modifiant la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2022, L 46, p. 97) et règlement d’exécution (UE) 2022/300 du Conseil, du 24 février 2022, mettant en œuvre l’article 8 bis du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2022, L 46, p. 3) (ci-après les « actes de 2022 »).
{4} Décision (PESC) 2023/421 du Conseil, du 24 février 2023, modifiant la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2023, L 61, p. 41) et règlement d’exécution (UE) 2023/419 du Conseil, du 24 février 2023, mettant en œuvre l’article 8 bis du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2023, L 61, p. 20).
{5} Article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure.
{6} En application de l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642 et de l’article 2, paragraphes 4 et 5, du règlement no 765/2006
Arrêt du 20 mars 2024, Belshyna / Conseil (T-115/22) (cf. points 68, 72, 73)
292. Recours en annulation - Conditions de recevabilité - Recours dirigé contre l'auteur de l'acte attaqué - Demande en annulation d'une décision du Conseil autorisant la signature et l'application provisoire d'un accord international - Adoption de cette décision par le Conseil uniquement - Admissibilité
Saisie d’une demande en annulation, par la Commission européenne, de l’article 2 de la décision 2021/1117, relative à la signature, au nom de l’Union européenne, et à l’application provisoire du protocole de mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République gabonaise et la Communauté européenne{1}, ainsi que de la désignation, par le Conseil de l’Union européenne, de la personne habilitée à signer ce protocole, la Cour, réunie en grande chambre, annule tant cette disposition que la désignation effectuée sur la base de cette dernière. Elle relève que l’article 218, paragraphe 5, TFUE, fait mention d’une compétence du Conseil pour autoriser la signature et l’application provisoire d’un accord international, mais pas pour désigner le signataire de celui-ci, la Commission étant compétente pour assurer la signature de cet accord, en vertu de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE{2}.
Le 22 octobre 2015, le Conseil a adopté, sur recommandation de la Commission, une décision autorisant celle-ci à conduire, au nom de l’Union, des négociations avec la République gabonaise en vue d’un renouvellement, pour la période 2021-2026, du protocole de mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche entre l’Union européenne et la République gabonaise. Il était précisé, à l’article 2 de la proposition de décision du Conseil relative à la signature et à l’application provisoire du protocole de mise en œuvre de l’accord, présentée par la Commission, que le secrétariat général du Conseil établissait « l’instrument de pleins pouvoirs autorisant la personne indiquée par la Commission à signer ledit protocole, sous réserve de sa conclusion ». L’article 2 de la décision 2021/1117 dispose que « [l]e président du Conseil est autorisé à désigner la ou les personnes habilitées à signer le protocole au nom de l’Union. » La République du Portugal exerçant alors la présidence tournante du Conseil, ce dernier désigna finalement le représentant permanent de cet État membre auprès de l’Union comme personne habilitée à signer le protocole au nom de l’Union{3}.
La Commission demande à la Cour l’annulation de l’article 2 de la décision 2021/1117 au motif, notamment, d’une violation de l’article 17, paragraphe 1, TUE, lu en combinaison avec l’article 13, paragraphes 1 et 2, TUE{4}.
Appréciation de la Cour
La Cour rappelle, en premier lieu, que, conformément à la répartition des compétences prévue à l’article 17, paragraphe 1, TUE, ainsi qu’à l’article 218, paragraphes 2 et 5, TFUE, il appartient au Conseil, sur proposition du négociateur, d’autoriser la signature d’un accord international au nom de l’Union, acte qui participe de la définition des politiques de l’Union et d’élaboration de l’action extérieure de celle-ci, au sens de l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, et paragraphe 6, troisième alinéa, TUE. Cependant, la décision autorisant la signature d’un accord international n’inclut pas l’acte ultérieur consistant en la signature même de cet accord. En effet, cette signature doit, à la suite de l’autorisation, être apposée après qu’ont été effectuées toutes les démarches nécessaires à cette fin, notamment à l’égard du pays tiers concerné. Parmi ces démarches figure l’émission des pleins pouvoirs portant désignation de la personne habilitée à signer l’accord au nom de l’Union. À cet égard, la Cour souligne que cette désignation n’exige pas une appréciation qui relève de la « définition des politiques » de l’Union ou des fonctions de « coordination » ou de l’« élabor[ation] de l’action extérieure » de celle-ci, au sens de l’article 16, paragraphes 1 et 6, TUE et ne participe, dès lors, pas de l’appréciation politique sous-tendant une telle décision, au terme de laquelle cette institution a consenti aux effets juridiques qui seront produits par la signature selon les règles pertinentes du droit international.
En deuxième lieu, quant au point de savoir si la désignation du signataire est un acte qui « assure la représentation extérieure de l’Union », au sens de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, la Cour relève que, selon son sens habituel, la notion juridique de « représentation » implique une action au nom d’un sujet auprès d’un tiers, une telle action pouvant être une manifestation de volonté de ce sujet à l’égard de ce tiers. Or, l’apposition, par la personne désignée à cette fin, de sa signature sur un accord international au nom de l’Union exprime justement la manifestation de la volonté de l’Union, telle que définie par le Conseil, à l’égard du pays tiers avec lequel cet accord a été négocié. Ainsi, le libellé de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, selon lequel la Commission « assure la représentation extérieure de l’Union », tend à établir que cette disposition confère à la Commission le pouvoir de prendre, en dehors de la politique étrangère de sécurité commune (PESC) et à moins que les traités ne prévoient, sur ce point, une répartition différente des compétences, toute action qui, à la suite de la décision du Conseil portant autorisation de la signature d’un accord international au nom de l’Union, assure que cette signature soit apposée.
La Cour constate, en troisième lieu, que cette interprétation littérale de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE s’inscrit dans la ligne du droit international coutumier{5}, selon lequel toute personne désignée dans un document émanant de l’autorité compétente d’un État ou de l’organe compétent d’une organisation internationale pour accomplir l’acte de signature doit être considérée, en vertu de ces pleins pouvoirs, comme représentant cet État ou cette organisation internationale. Dès lors, l’apposition, par une telle personne, de sa signature sur un accord international au nom de l’Union relève, sous l’angle des règles du droit international coutumier, de la « représentation » de cette dernière. De ce fait, il y a lieu de considérer, au regard de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, que les démarches nécessaires aux fins de la signature d’un accord international, dont celle consistant à désigner le signataire, après que cette signature a été autorisée par le Conseil, relèvent, en dehors de la PESC, de la compétence de la Commission d’« assurer la représentation extérieure de l’Union », à moins que le traité UE ou le traité FUE n’attribue la compétence d’organiser cette signature à une autre institution de l’Union.
La Cour précise à cet égard que, contrairement à l’article 218, paragraphe 3, TFUE, lequel confère au Conseil, en ce qui concerne la négociation d’accords internationaux, la compétence non seulement pour autoriser l’ouverture des négociations mais également pour désigner le négociateur ou le chef de l’équipe de négociation de l’Union, l’article 218, paragraphe 5, TFUE fait mention d’une compétence du Conseil pour autoriser la signature et l’application provisoire de l’accord international et non d’une compétence pour désigner le signataire de celui-ci, de sorte que cette dernière disposition ne comporte pas de dérogation à l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE. Il s’ensuit que, dans le cas où le Conseil a autorisé la signature d’un accord international qui ne relève pas de la PESC ou d’« autres cas prévus par les traités », il appartient à la Commission, en vertu de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, d’assurer la signature même de cet accord. La Cour observe à ce sujet que, bien que le Conseil ait continué, après l’entrée en vigueur des traités UE et FUE, à désigner les signataires des accords internationaux, une pratique, même constante, ne saurait modifier les règles des traités que les institutions sont tenues de respecter.
En quatrième et dernier lieu, la Cour rappelle que la Commission doit également, conformément à l’article 17, paragraphe 1, première phrase, TUE, exercer sa compétence relative à la signature des accords internationaux dans l’intérêt général de l’Union et qu’elle est tenue de respecter l’obligation de coopération loyale énoncée à l’article 13, paragraphe 2, TUE.
{1} Décision (UE) 2021/1117 du Conseil, du 28 juin 2021, relative à la signature, au nom de l’Union européenne, et à l’application provisoire du protocole de mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République gabonaise et la Communauté européenne (2021-2026) (JO 2021, L 242, p. 3).
{2} L’article 17, paragraphe 1, TUE prévoit : « La Commission promeut l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées à cette fin. Elle veille à l’application des traités ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-ci. Elle surveille l’application du droit de l’Union sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne. Elle exécute le budget et gère les programmes. Elle exerce des fonctions de coordination, d’exécution et de gestion conformément aux conditions prévues par les traités. À l’exception de la politique étrangère et de sécurité commune et des autres cas prévus par les traités, elle assure la représentation extérieure de l’Union. Elle prend les initiatives de la programmation annuelle et pluriannuelle de l’Union pour parvenir à des accords interinstitutionnels. »
{3} Le 29 juin 2021, ce représentant permanent a signé le protocole au nom de l’Union. Le 30 juin 2021, la Commission et les États membres ont été informés de cette signature et de l’application provisoire du protocole à compter du 29 juin 2021.
{4} L’article 13, paragraphe 2, TUE, prévoit : « Chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités, conformément aux procédures, conditions et fins prévues par ceux-ci. Les institutions pratiquent entre elles une coopération loyale. »
{5} Tel que codifié à l’article 2, paragraphe 1, sous c), et à l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331).
293. Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives à l'encontre de la Syrie - Gel des fonds et des ressources économiques - Recours en annulation d'un homme d'affaires influent exerçant ses activités en Syrie visé par une décision de gel des fonds - Répartition de la charge de la preuve - Décision fondée sur un faisceau d'indices - Valeur probante - Portée - Erreur d'appréciation - Absence
294. Recours en annulation - Objet - Demande d'annulation d'une décision fondée sur un droit antérieur disparu après l'adoption de cette décision - Persistance de l'objet du recours - Condition - Absence de retrait de l'acte attaqué
Saisie d’un pourvoi formé par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), qu’elle rejette, la Cour se prononce sur la question de la conservation de l’objet du recours et de la persistance de l’intérêt à agir de l’opposant suite à la disparition, à une date postérieure à la décision confirmant le rejet de l’opposition et à l’introduction d’un recours devant le Tribunal contre cette décision, de la protection conférée au droit antérieur en raison de la fin de la période de transition instaurée par l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union{1}.
Le 14 juin 2017, M. Chakari a demandé, auprès de l’EUIPO, l’enregistrement de la marque de l’Union européenne figurative Abresham Super Basmati Selaa Grade One World’s Best Rice, pour des produits à base de riz. Indo European Foods Ltd a formé opposition{2} sur le fondement de la marque verbale antérieure non enregistrée du Royaume-Uni BASMATI qui, en vertu du droit applicable au Royaume-Uni, lui permettrait d’empêcher l’usage de la marque demandée. La division d’opposition a rejeté celle-ci.
Par la suite, la chambre de recours a confirmé ce rejet, par décision du 2 avril 2020 (ci-après la « décision litigieuse »), au motif qu’Indo European Foods n’avait pas démontré que le nom « basmati » lui permettait d’interdire l’utilisation de la marque demandée au Royaume-Uni.
Par l’arrêt du 6 octobre 2021{3}, le Tribunal a annulé la décision litigieuse. Il a jugé, d’une part, que le retrait du Royaume-Uni de l’Union n’avait pas entraîné la perte de l’objet du litige, étant donné que la décision litigieuse était intervenue durant la période de transition pendant laquelle la marque antérieure concernée continuait de bénéficier de la même protection que celle dont elle aurait bénéficié en l’absence du retrait du Royaume-Uni. D’autre part, il a considéré que l’intérêt à agir d’Indo European Foods perdurait.
L’EUIPO a donc introduit un pourvoi contre cet arrêt, en soulevant un moyen unique tiré de la violation de l’exigence de la persistance de l’intérêt à agir de la partie requérante.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour se prononce sur l’examen, par le Tribunal, de la conservation de l’objet du litige. Ainsi, elle constate que l’argumentation de l’EUIPO selon laquelle le Tribunal a confondu la question de la persistance de l’intérêt à agir avec la date à laquelle la légalité d’une décision contestée doit être appréciée repose sur une lecture erronée de l’arrêt du Tribunal. En effet, s’agissant de l’objet du litige, le Tribunal s’est limité à en examiner la persistance au regard de la fin de la période de transition qui était intervenue au cours de l’instance devant lui.
Par ailleurs, la Cour souligne que, selon une jurisprudence constante, l’objet du litige doit perdurer, de même que l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours ou, le cas échéant, le pourvoi soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté. Elle rappelle également que, dès lors qu’une décision faisant l’objet d’un recours en annulation devant le Tribunal n’a pas été formellement retirée, ce dernier est fondé à constater que le litige conserve son objet. Un tel constat n’est pas remis en cause par la caducité de la décision contestée survenue après l’introduction du recours.
En l’occurrence, la Cour constate que, pour considérer que le recours n’avait pas perdu son objet, le Tribunal s’est fondé sur le constat que l’objet du litige était la décision litigieuse, intervenue avant la fin de la période de transition. Étant donné que l’EUIPO ne conteste ni que, à la date à laquelle le Tribunal a statué, la décision litigieuse n’avait pas été formellement retirée ni que la fin de la période de transition n’a pas eu pour effet de faire disparaître rétroactivement cette décision, elle conclut que son argumentation n’est donc pas fondée.
En deuxième lieu, la Cour examine la question de l’appréciation de la persistance de l’intérêt à agir. À cet égard, elle rejette l’argument de l’EUIPO selon lequel le Tribunal aurait omis de prendre en compte la nature spécifique de la procédure d’opposition, la fonction essentielle de la marque, le principe de territorialité ainsi que le caractère unitaire de la marque de l’Union européenne.
En effet, tout d’abord, cette argumentation est fondée sur la prémisse que, s’agissant d’un recours dirigé contre une décision d’une chambre de recours rejetant une opposition, le maintien d’un intérêt à agir devant le Tribunal doit être apprécié au regard des seuls intérêts juridiques protégés par le règlement sur la marque de l’Union européenne applicable et dépend ainsi du seul point de savoir si un risque de conflit peut encore survenir lorsque le Tribunal statue. Or, cette prémisse supposerait de limiter les éléments pouvant être pris en considération afin d’apprécier la persistance de l’intérêt à agir d’un requérant formant un recours au titre de l’article 72 du règlement 2017/1001{4} par rapport à celui formant un recours au titre de l’article 263 TFUE, et ne trouve d’appui ni dans les textes applicables ni dans la jurisprudence.
Ensuite, la Cour relève que l’existence d’un intérêt à agir en annulation suppose que, par son résultat, le recours soit susceptible de procurer un bénéfice à la personne qui l’a introduit. Ainsi, la question de savoir si, s’agissant d’une décision rejetant une opposition à l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, la personne ayant formé l’opposition est susceptible de retirer un bénéfice d’un recours devant le Tribunal doit être appréciée de manière concrète, à l’aune de l’ensemble des conséquences susceptibles de découler du constat d’une éventuelle illégalité ayant entaché cette décision et de la nature du préjudice prétendument subi. Or, en l’espèce, d’une part, le Tribunal était fondé à constater que l’objet du recours n’avait pas disparu. D’autre part, la décision litigieuse a confirmé le rejet de l’opposition sur la base du constat que les conditions d’application de l’article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001 n’étaient pas satisfaites. Partant, dès lors que c’est la violation de cette disposition par la chambre de recours qu’Indo European Foods a invoquée au soutien de son recours devant le Tribunal, et que la décision litigieuse est préjudiciable à ses intérêts économiques, l’annulation de celle-ci serait susceptible de lui procurer un bénéfice.
Enfin, la circonstance que l’autre partie devant la chambre de recours pourrait, si le recours devant cette instance était accueilli, transformer sa demande de marque en demandes de marques nationales dans tous les États membres à compter de la fin de la période de transition est sans influence sur l’intérêt à agir d’Indo European Foods à l’égard de la décision litigieuse.
En troisième lieu, la Cour analyse l’argumentation par laquelle l’EUIPO allègue que le Tribunal a violé l’article 72, paragraphe 6, du règlement 2017/1001 relatif à l’exécution des arrêts des juridictions de l’Union par l’EUIPO, en ce qu’il lui aurait imposé de ne pas examiner le maintien de l’intérêt à agir ainsi que de ne pas tenir compte des effets juridiques de la fin de la période de transition prévue par l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union.
D’une part, elle précise que, si l’institution, l’organe ou l’organisme dont émane l’acte annulé est tenu, afin de se conformer à un arrêt d’annulation et de lui donner pleine exécution, de respecter son dispositif et les motifs qui en constituent le soutien nécessaire, il n’appartient toutefois pas au Tribunal d’adresser des injonctions à l’EUIPO. D’autre part, elle constate que le Tribunal s’est limité, en substance, à constater l’intérêt d’Indo European Foods à agir devant le Tribunal. Partant, il ne saurait être considéré que le Tribunal aurait imposé à l’EUIPO lesdites prétendues obligations.
{1} Articles 126 et 127 de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7).
{2} Fondée sur l’article 8, paragraphe 4, du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1).
{3} Arrêt du 6 octobre 2021, Indo European Foods/EUIPO - Chakari (Abresham Super Basmati Selaa Grade One World's Best Rice) (T 342/20, EU:T:2021:651).
{4} Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).
Arrêt du 20 juin 2024, EUIPO / Indo European Foods (C-801/21 P) (cf. points 58, 59)
295. Recours en annulation - Contrôle de légalité - Critères - Prise en compte des seuls éléments de fait et d'information disponible à la date d'adoption de l'acte litigieux
Dans cet arrêt, le Tribunal accueille partiellement le recours en annulation introduit par plusieurs membres du Parlement européen contre la décision de la Commission européenne n’accordant qu’un accès partiel aux contrats d’achat anticipé et aux contrats d’achat de vaccins contre la COVID-19{1}.
Au début de l’année 2021, six membres du Parlement avaient demandé l’accès{2} aux différents contrats conclus entre la Commission et les sociétés pharmaceutiques en vue de l’achat de vaccins contre la COVID-19, y compris ceux qui auraient pu être conclus après la date de la demande d’accès (ci-après la « demande initiale »). La Commission avait accordé un accès partiel à neuf documents en indiquant que les versions expurgées desdits documents avaient été rendues publiques sur le site Internet de la Commission et que les passages avaient été occultés sur le fondement des exceptions relatives à la protection de la vie privée et de l’intégrité de l’individu, à la protection des intérêts commerciaux et à la protection du processus décisionnel des institutions{3}.
Par la suite, lesdits membres ont présenté une demande confirmative tendant à la divulgation intégrale des neuf documents identifiés, à l’exclusion des passages relevant de la protection de la vie privée et de l’intégrité de l’individu (ci-après la « demande confirmative »).
Dans la décision attaquée, la Commission a indiqué que, à la suite d’un nouvel examen de la réponse apportée à la demande initiale, treize documents avaient été identifiés comme relevant de la demande d’accès aux documents (ci-après, ensemble, « les contrats en cause »). Elle a accordé un accès plus large aux neuf documents initialement identifiés et un accès partiel aux quatre autres documents qui n’avaient jusqu’alors pas été divulgués publiquement. Elle a invoqué l’exception relative à la protection de la vie privée et de l’intégrité de l’individu et celle relative à la protection des intérêts commerciaux des entreprises concernées pour justifier l’accès uniquement partiel aux contrats en cause.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal accueille partiellement le moyen tiré de l’application erronée par la Commission de l’exception relative à la protection des intérêts commerciaux des entreprises concernées en ce qu’il vise l’occultation des définitions des expressions « faute intentionnelle » et « tous les efforts raisonnables possibles » dans trois des contrats en cause. À cet égard, il relève que la seule lecture des contrats en cause démontre que, si certaines définitions sont identiques, d’autres ont fait l’objet de négociations individuelles et spécifiques. Partant, leur rédaction spécifique ne saurait être considérée, dans tous les cas, comme étant générale et usuelle.
Le Tribunal constate, ensuite, que la décision attaquée ne laisse pas apparaître de manière expresse, ne serait-ce que de manière succincte, les motifs pour lesquels les définitions des expressions mentionnées ont été occultées. Même si la Commission a fourni des explications dans ses écritures et lors de l’audience, celles-ci n’ont pas été invoquées dans la décision attaquée et ne peuvent pas en être déduites. Or, le juge de l’Union n’est pas tenu de prendre en compte les explications complémentaires fournies seulement en cours d’instance par l’auteur de l’acte en cause pour apprécier le respect de l’obligation de motivation.
Ainsi, le Tribunal conclut que les motifs de la décision attaquée ne permettent pas aux requérantes de comprendre les raisons spécifiques qui ont conduit à ces occultations, ni au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur leur légalité. En n’ayant pas fourni d’explications suffisantes permettant de savoir de quelle manière l’accès auxdites définitions pourrait porter concrètement et effectivement atteinte aux intérêts commerciaux des entreprises en question, la Commission a méconnu l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001.
En deuxième lieu, le Tribunal accueille partiellement le moyen critiquant la manière dont la Commission a appliqué l’exception relative à la protection des intérêts commerciaux pour expurger les contrats en cause de certaines informations.
Il rejette comme étant inopérante l’argumentation des requérantes selon laquelle la divulgation des informations relatives à la localisation des sites de production et des sous-traitants des entreprises concernées ne serait pas susceptible de porter atteinte à leurs intérêts commerciaux actuels. À cet égard, il rappelle que l’appréciation du bien-fondé de l’application de l’une des exceptions prévues à l’article 4 du règlement no 1049/2001 doit se faire au regard des informations disponibles et des faits existant à la date de l’adoption de la décision refusant l’accès. Par ailleurs, il constate que la Commission a considéré à juste titre que les informations occultées relevaient des relations commerciales et de la stratégie industrielle et commerciale des entreprises concernées.
En ce qui concerne les stipulations en matière de droit de propriété intellectuelle ainsi que celles relatives aux acomptes ou aux paiements anticipés et à la responsabilité contractuelle, et les calendriers de livraison, le Tribunal conclut que les explications fournies par la Commission dans la décision attaquée sur l’existence d’un risque raisonnablement prévisible et non purement hypothétique d’atteinte à la protection des intérêts commerciaux des entreprises concernées quant à leur divulgation intégrale sont fondées.
En revanche, le Tribunal n’entérine pas la position de la Commission quant au refus d’accorder un accès plus large aux stipulations relatives à l’indemnisation. Dans ce cadre, il fait remarquer, d’une part, que le mécanisme d’indemnisation des entreprises concernées par les États membres prévu par les contrats en cause n’affecte en rien le régime de la responsabilité juridique desdites entreprises au titre de la directive 85/374{4}. En effet, selon cette directive, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit et sa responsabilité ne peut être limitée ou écartée à l’égard de la victime par une clause limitative ou exonératoire de responsabilité. D’autre part, il observe que l’information relative au mécanisme d’indemnisation relevait déjà du domaine public au moment du dépôt de la demande initiale et de l’adoption de la décision attaquée{5}.
Le Tribunal constate que, si les contrats en cause contiennent tous une stipulation relative à l’indemnisation, le contenu détaillé desdites stipulations n’est pas identique.
Néanmoins, le Tribunal constate que les trois motifs invoqués par la Commission pour refuser un accès plus large auxdites stipulations ne démontrent pas l’existence d’un risque prévisible et non purement hypothétique pour les intérêts commerciaux des entreprises concernées.
Premièrement, s’agissant du motif selon lequel une connaissance précise des limites de la responsabilité de l’entreprise concernée pourrait l’exposer à de multiples actions en réparation, le Tribunal relève que le droit des personnes tierces éventuellement lésées par un vaccin défectueux d’introduire des recours en responsabilité repose sur la législation nationale transposant la directive 85/374. Il est donc indépendant de l’existence et du contenu des stipulations relatives à l’indemnisation. En outre, l’intérêt des entreprises concernées d’éviter de telles actions en réparation et des coûts liés à ces procédures ne saurait être qualifié d’intérêt commercial et ne constitue pas un intérêt digne de protection au titre du règlement no 1049/2001. De plus, la décision attaquée ne comporte aucun élément permettant de conclure que la divulgation plus large desdites stipulations pourrait être à l’origine de tels recours.
Deuxièmement, s’agissant du motif selon lequel une divulgation intégrale révélerait inévitablement aux concurrents de l’entreprise concernée les « points faibles » de la couverture de sa responsabilité, en leur procurant un avantage concurrentiel qu’ils pourraient exploiter, par exemple, dans des publicités, le Tribunal rappelle que la raison pour laquelle ces stipulations ont été intégrées aux contrats en cause, à savoir compenser les risques liés au raccourcissement du délai de mise au point des vaccins, relevait du domaine public avant l’adoption de la décision attaquée. Par ailleurs, toutes les entreprises concernées bénéficiaient d’une stipulation relative à l’indemnisation.
Troisièmement, le Tribunal écarte, pour les mêmes raisons, le motif selon lequel une divulgation intégrale aurait des répercussions sur les réputations des entreprises concernées.
De même, le Tribunal accueille l’argumentation des requérantes quant à l’occultation des stipulations relatives aux donations et aux reventes. Il observe que la décision attaquée ne laisse pas apparaître de manière expresse, ne serait-ce que de manière succincte, les motifs de ces occultations. En n’ayant pas fourni d’explications suffisantes permettant de savoir de quelle manière l’accès à ces stipulations pourrait porter concrètement et effectivement atteinte aux intérêts commerciaux des entreprises, la Commission a méconnu l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001.
En troisième lieu, le Tribunal rejette le moyen des requérantes par lequel elles reprochent à la Commission d’avoir occulté de manière incohérente certaines dispositions et informations de même nature, voire identiques, dans certains des contrats en cause. Il rappelle que dans le cas de documents émanant d’un tiers, si la consultation de ce dernier est, certes, obligatoire, il incombe à la Commission d’apprécier les risques pouvant résulter de leur divulgation. En l’espèce, chaque contrat constituait un document autonome et les requérantes n’avaient fourni aucun indice de nature à réfuter les explications de la Commission dans la décision attaquée selon lesquelles elle s’est fondée sur une analyse du contenu spécifique de chaque contrat en cause et de la situation individuelle de chaque entreprise concernée.
Enfin, le Tribunal écarte le moyen des requérantes reprochant à la Commission de ne pas avoir pris en compte l’intérêt public supérieur justifiant la divulgation des informations demandées. Il constate que des considérations aussi générales que celles invoquées par les requérantes, à savoir la nécessité d’instaurer la confiance du public envers les actions de la Commission concernant l’achat de vaccins contre la COVID-19 et dans les vaccins eux-mêmes, ne sauraient établir que l’intérêt tenant à la transparence présentait une acuité particulière qui aurait pu primer les raisons justifiant le refus de divulgation des parties occultées des contrats en cause. Il rappelle également que les contrats en cause s’inscrivent dans le cadre d’une activité administrative, et non législative.
{1} Décision C(2022) 1038 final de la Commission européenne, du 15 février 2022 (ci-après la « décision attaquée »).
{2} En vertu du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43).
{3} Exceptions prévues, respectivement, à l’article 4, paragraphe 1, sous b), et à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, ainsi qu’à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001.
{4} Selon les articles 1er et 12 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (JO 1985, L 210, p. 29).
{5} Voir, notamment, l’article 6, troisième alinéa, de l’accord du 16 juin 2020 sur l’achat de vaccins contre la COVID 19 conclu entre la Commission et les États membres et la communication de la Commission, du 17 juin 2020, intitulée « Stratégie de l’Union européenne concernant les vaccins contre la COVID-19 » [COM(2020) 245 final].
Arrêt du 17 juillet 2024, Auken e.a. / Commission (T-689/21) (cf. points 56, 117)
296. Politique étrangère et de sécurité commune - Compétence du juge de l'Union - Actes adoptés par une mission civile de l'Union européenne en matière de gestion du personnel - Actes relatifs à des agents détachés par les États membres - Actes ayant pour objet de répondre aux besoins de la mission sur le théâtre des opérations - Inclusion
Accueillant partiellement un recours en responsabilité non contractuelle formé par M. Montanari, ancien agent national détaché auprès de la mission de politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne au Niger (ci-après la « Mission »), le Tribunal se prononce, pour la première fois, sur l’imputabilité à cette Mission des agissements de son commandant d’opération civile (COC), qui est hiérarchiquement rattaché au Service européen d’action extérieure (SEAE).
En avril 2015, le requérant a été détaché par le gouvernement italien auprès de la Mission en qualité de conseiller politique.
En mars 2017, il a introduit une première plainte pour harcèlement contre le responsable de la presse et de l’information publique de la Mission, puis une seconde plainte contre ce dernier ainsi que contre le chef de la Mission, pour comportement déloyal envers l’autorité de la Mission et négligence grave mettant en cause le devoir de sollicitude.
En juillet 2017, le requérant a demandé au COC d’ouvrir une enquête pour harcèlement contre le chef de la Mission et son adjoint. Le même jour, le chef de la Mission a adressé un avertissement au requérant pour lui avoir manqué de respect lors d’une réunion. À l’initiative du COC, un médiateur chargé d’examiner la situation sur place a rendu un rapport.
En novembre 2017, le chef de la Mission a rejeté la demande du requérant tendant à la régularisation d’une absence injustifiée et lui a adressé un second avertissement. Le requérant a alors réitéré auprès du COC l’ouverture d’une enquête pour des faits de harcèlement de la part du chef de la Mission et de son adjoint.
Par une décision du 10 avril 2018, le COC a définitivement rejeté la demande d’ouverture d’une enquête administrative présentée par le requérant.
Dans ce contexte, le requérant a saisi le Tribunal, d’une part, d’un recours en annulation de la décision de la Mission rejetant sa demande indemnitaire en réparation des préjudices matériels, physiques et moraux qui auraient résulté de faits de harcèlement moral et de violations du droit à une bonne administration et du devoir de sollicitude et, d’autre part, d’un recours en indemnité.
Appréciation du Tribunal
À titre liminaire, concernant sa compétence, le Tribunal rappelle que, par la décision 2012/392{1}, la Mission a été créée pour soutenir le renforcement des capacités des intervenants nigériens en matière de sécurité en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée. Son personnel est essentiellement composé d’agents détachés par les États membres, les institutions de l’Union et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE){2}. Certes, l’article 7, paragraphe 2, de la décision 2012/392 prévoit qu’il appartient à l’État membre, à l’institution de l’Union ou au SEAE, respectivement, de répondre à toute plainte liée au détachement et d’intenter toute action contre l’agent concerné.
Toutefois, premièrement, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rendue à propos de dispositions régissant l’activité d’autres missions relevant de la politique étrangère et de sécurité commune et rédigées dans des termes analogues à ceux de la décision 2012/392, les agents détachés par les États membres et ceux détachés par les institutions de l’Union étant soumis aux mêmes règles en ce qui concerne l’exercice de leurs fonctions sur le théâtre des opérations, le juge de l’Union est compétent pour contrôler la légalité des actes de gestion du personnel relatifs à des agents détachés par les États membres ayant pour objet de répondre aux besoins de ces missions sur le théâtre des opérations.
Deuxièmement, le requérant soulève la question de la légalité d’actes de gestion du personnel relatifs aux opérations sur le théâtre des opérations, et non des questions liées au détachement, au sens de l’article 7, paragraphe 2, de la décision 2012/392. Par conséquent, l’exception d’incompétence soulevée par la Mission est rejetée.
Le Tribunal examine ensuite les différentes exceptions d’irrecevabilité.
Il rappelle ainsi notamment qu’un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de l’acte visé soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté. En outre, c’est à la partie requérante qu’il appartient d’apporter la preuve de son intérêt à agir.
Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, l’action en indemnité, fondée sur l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, a été instituée comme une voie de recours autonome. Or, des conclusions tendant soit à l’annulation du refus d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union de reconnaître un droit à réparation qu’une partie requérante fait valoir au titre des articles 268 et 340 TFUE, soit à ce que le Tribunal constate l’obligation de l’institution, de l’organe ou de l’organisme en cause d’admettre l’existence d’un tel droit visent à faire constater que l’institution, l’organe ou l’organisme en cause est tenu à réparation et doivent être rejetées comme étant irrecevables, dès lors que la partie requérante ne justifie, en principe, d’aucun intérêt à présenter de telles conclusions en sus de sa demande en réparation.
En l’occurrence, le Tribunal rejette comme étant irrecevables les conclusions en annulation du requérant, estimant que celui-ci n’a pas justifié d’un intérêt à demander, en plus de ses conclusions indemnitaires, l’annulation de la décision de la Mission rejetant sa troisième demande indemnitaire.
Le Tribunal écarte enfin une à une les exceptions d’irrecevabilité soulevées par la Mission.
Ainsi, en premier lieu, le Tribunal constate que les actes reprochés (notamment, l’exclusion du requérant de certaines réunions et l’avertissement qui lui a été adressé) et les manquements imputés à la Mission par le requérant (notamment, l’absence de traitement dans un délai raisonnable de ses plaintes et de ses signalements) se rattachent respectivement à l’exercice, par le chef de la Mission et par le COC, des prérogatives qu’ils tiennent de la décision 2012/392 et, partant, à l’exécution par la Mission de son mandat, dont celle-ci doit être tenue pour responsable conformément à l’article 13, paragraphe 4, de cette décision.
En deuxième lieu, le Tribunal souligne qu’un recours en indemnité doit être déclaré irrecevable lorsqu’il tend, en réalité, au retrait, à l’abrogation ou à la modification d’une décision individuelle devenue définitive et qu’il aurait pour effet, s’il était accueilli, d’annihiler tout ou partie des effets juridiques de cette décision. De même, doit être rejetée comme étant irrecevable une action en réparation qui est formulée comme une injonction et qui vise, non pas à indemniser un préjudice imputable à un acte illicite ou à une omission, mais à amender l’acte litigieux.
En l’occurrence, il ne ressort pas des écritures présentées par le requérant que celui-ci solliciterait une réparation en nature par laquelle la Mission devrait ouvrir une enquête préliminaire ou disciplinaire à l’égard du chef de la Mission et de son adjoint, ce qui équivaudrait à solliciter l’annulation de la décision du 10 avril 2018. Partant, le caractère définitif de cette décision individuelle ne saurait faire obstacle à la recevabilité du recours.
En dernier lieu, le Tribunal constate que l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Mission et tirée d’une prescription quinquennale ou quadriennale n’est pas assortie de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.
Sur le fond, le Tribunal rappelle, de façon préalable, que la responsabilité non contractuelle de l’Union ne peut être engagée que si la personne qui estime avoir subi un préjudice établit l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Néanmoins, lorsqu’elle agit en tant qu’employeur, l’Union est soumise à une responsabilité accrue, la seule constatation d’une illégalité commise étant suffisante pour considérer comme remplie la première des trois conditions nécessaires à l’engagement de sa responsabilité pour les dommages causés à ses fonctionnaires et agents en raison d’une violation du droit de la fonction publique européenne, sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence d’une violation « suffisamment caractérisée » d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers. Or, bien que les agents nationaux détachés auprès de la Mission par les États membres ne soient pas régis par le statut, ils n’en demeurent pas moins soumis aux mêmes règles que celles applicables aux agents détachés par les institutions de l’Union et dont la situation est régie par le statut, en ce qui concerne l’exercice de leurs fonctions sur le théâtre des opérations. Dès lors, la seule constatation d’une illégalité est suffisante pour considérer comme remplie la première des trois conditions nécessaires à l’engagement de la responsabilité de l’Union pour les dommages causés à un agent national détaché auprès de la Mission à l’occasion de l’exercice de ses fonctions sur le théâtre des opérations.
Dans ce contexte, examinant successivement les violations invoquées par le requérant, le Tribunal considère, en premier lieu, que le requérant est fondé à soutenir que, en s’abstenant de diligenter une enquête administrative à la suite de ses allégations de harcèlement moral, la Mission a violé l’article 1er et l’article 31, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que l’article 12 bis du statut.
Pour parvenir à cette conclusion, s’agissant tout d’abord de l’applicabilité des dispositions du statut, et en particulier de son article 12 bis, paragraphe 3, qui définit le harcèlement moral, le Tribunal relève que, en vertu du principe d’égalité de traitement, il est tenu d’appliquer à la situation du requérant, par analogie, les dispositions statutaires relatives au harcèlement moral et à la protection fonctionnelle des fonctionnaires et des agents temporaires ou contractuels ainsi que la jurisprudence rendue sur le fondement de ces dispositions. En effet, la différence de situation entre les agents détachés auprès de la Mission par les États membres et ceux détachés par les institutions ne saurait objectivement justifier que les premiers, lorsqu’ils exercent leurs fonctions sur le théâtre des opérations et sont alors placés dans une situation comparable à celle des seconds, ne bénéficient pas du même niveau et des mêmes règles de protection contre le harcèlement moral.
Le Tribunal rappelle ensuite que, lorsqu’une demande d’assistance est introduite et qu’elle est assortie d’un commencement de preuve suffisant des faits allégués, il incombe à l’autorité saisie{3} de répondre avec la rapidité et la sollicitude requises. Elle doit prendre les mesures appropriées, notamment en faisant procéder à une enquête administrative, afin d’établir les faits à l’origine de la plainte, en collaboration avec l’auteur de celle-ci et, au regard des résultats de l’enquête, d’adopter les mesures qui s’imposent, telles que l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de la personne mise en cause lorsque l’administration conclut, à l’issue de l’enquête administrative, à l’existence d’un harcèlement moral.
En l’occurrence, premièrement, le Tribunal considère que la décision du chef de la Mission prise en mai 2017 d’exclure le requérant des réunions d’état-major ne saurait être regardée, prise isolément, comme un indice de harcèlement moral vis-à-vis du requérant. En effet, aux termes de l’article 6, paragraphes 2 et 3, de la décision 2012/392, le chef de la Mission exerce le commandement et le contrôle des effectifs, des équipes et des unités fournis par les États contributeurs et donne des instructions à l’ensemble du personnel de la Mission en assurant sa coordination et sa gestion au quotidien. En outre, l’administration dispose d’un large pouvoir d’appréciation en matière d’organisation du service.
Deuxièmement, le Tribunal indique que, en l’absence de justification, par la Mission, du caractère tardif de la formulation du premier avertissement adressé au requérant, tant au regard du délai prévu par l’article 11 du code de conduite{4} qu’au regard de l’ancienneté des faits à l’origine de cet avertissement, et en l’absence d’indications quant à la date exacte à laquelle le chef de la Mission a eu connaissance du signalement effectué par le requérant en juillet 2017, la notification de cet avertissement moins d’une heure après ce signalement peut être considérée comme excessive ou critiquable. En effet, celle-ci est susceptible d’être interprétée comme tendant à pénaliser le requérant en raison dudit signalement, contrairement aux exigences prévues par l’article 7 du code de conduite{5}, et, partant, constitue, prise isolément, l’indice d’un harcèlement moral.
Troisièmement, dans les circonstances particulières dans lesquelles elle est intervenue, la décision du service des ressources humaines de la Mission (ci-après le « service RH ») de relancer, le 27 juillet 2017, la procédure d’évaluation du requérant le lendemain même du départ du médiateur, sans attendre ses conclusions, et plus de neuf mois avant le terme du détachement du requérant, est excessive ou critiquable.
En effet, la Mission n’a pas justifié des motifs pour lesquels le service RH a engagé cette démarche administrative à cette date, alors qu’il résulte de l’article 7 de l’annexe IX de l’OPLAN{6}, relative aux ressources humaines, que la procédure d’évaluation des agents qui souhaitaient solliciter le renouvellement de leur détachement auprès de la Mission devait intervenir lors de la présentation d’une demande en ce sens de leur part, au plus tard trois mois avant le terme du détachement. En outre, une obligation d’agir avec prudence s’imposait, conformément au principe de bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte, et, en raison de l’article 7 du code de conduite, à la suite du signalement précité.
Partant, une telle relance peut être interprétée comme visant à évincer le requérant de la Mission au terme de son détachement sans attendre les propositions du médiateur, de sorte que cette décision constitue, prise isolément, un indice de harcèlement moral.
Dernièrement, l’envoi par le service RH au requérant, fin juillet 2017, d’un décompte actualisé de ses congés ne saurait être regardé, pris isolément, comme un acte excessif ou critiquable de nature à caractériser un indice de harcèlement moral à son égard. En effet, sans préjudice de l’obligation de diligence et, notamment, de prudence, s’imposant à la Mission dans l’attente des conclusions du médiateur, ni les articles 1er et 31 de la Charte, ni l’article 12 bis du statut et, en l’espèce, ni les dispositions de l’annexe IX de l’OPLAN et du code de conduite n’imposaient à la Mission de soustraire le requérant aux procédures de gestion des ressources humaines de la Mission au seul motif qu’il avait effectué des signalements pour harcèlement moral à l’encontre du chef de la Mission et de son adjoint.
Par ailleurs, le Tribunal relève que l’environnement global de travail dans lequel s’inscrivaient les faits invoqués par le requérant était caractérisé par l’intention du chef de la Mission de se séparer du requérant sans pour autant mettre en œuvre la procédure prévue à l’article 8 de l’annexe IX de l’OPLAN visant à mettre fin à un détachement avant son terme.
En second lieu, le Tribunal considère que le requérant est fondé à soutenir que la Mission a violé le droit à une bonne administration.
À cet égard, il rappelle que, dans le cadre de litiges en matière de harcèlement impliquant des fonctionnaires ou des agents de l’Union, la personne ayant déposé une plainte pour harcèlement est en droit, afin de pouvoir présenter utilement ses observations à l’institution concernée avant que celle-ci ne prenne une décision, de se faire communiquer, à tout le moins, un résumé des déclarations de la personne accusée de harcèlement et des différents témoins entendus au cours de la procédure d’enquête, la communication de ce résumé devant être effectuée, le cas échéant, dans le respect du principe de confidentialité. Il en va ainsi dans la mesure où ces déclarations ont été utilisées dans le rapport remis à l’autorité qui a pris la décision de ne pas donner suite à la plainte, et qui comprend des recommandations au regard desquelles cette autorité a fondé sa décision.
Or, en l’espèce, dès lors que le COC a rejeté, en avril 2018, la demande d’ouverture d’une enquête administrative présentée par le requérant sur le fondement du rapport du médiateur rendu fin juillet 2017, et compte tenu de la recommandation qui figurait dans ce rapport, il aurait dû assurer le respect du droit d’être entendu du requérant en lui donnant l’occasion de faire valoir ses observations sur ce rapport et de fournir éventuellement des renseignements supplémentaires avant qu’il n’adopte cette décision. En effet, l’audition du requérant aurait pu conduire le COC à adopter une conclusion différente, à savoir la décision de diligenter une enquête administrative.
Après avoir admis que le requérant a établi l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre le préjudice moral allégué et les violations constatées, le Tribunal constate toutefois que celui-ci est en partie, en raison de son comportement négligent, l’un des protagonistes de la situation conflictuelle qu’il qualifie de harcèlement, ayant donné lieu au préjudice moral dont il se plaint. En conséquence, le Tribunal accueille partiellement son recours en indemnité.
{1} Décision 2012/392/PESC du Conseil, du 16 juillet 2012, concernant la mission PSDC de l’Union européenne au Niger (EUCAP Sahel Niger) (JO 2012, L 187, p. 48).
{2} Voir article 7, paragraphe 1, de la décision 2012/392.
{3} Au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut.
{4} Il ressort de l’article 11 du code de conduite et de discipline pour les missions civiles de la politique de sécurité et de défense communes (PSDC) de l’Union (ci-après le « code de conduite ») que, sur la base d’un rapport faisant état d’un manquement éventuel, la décision de l’autorité responsable sur les suites à donner audit manquement, qui peut conduire l’autorité à traiter l’affaire comme une question de management, doit intervenir dans un délai de dix jours ouvrables.
{5} L’article 7, paragraphe 1, du code de conduite dispose que le membre de la Mission qui a signalé un manquement éventuel n’est pas pénalisé du fait ou à la suite de ce signalement, à condition qu’il ait agi de manière raisonnable et de bonne foi.
{6} L’article 7 de l’annexe IX du plan opérationnel révisé de la Mission (OPLAN), relative aux ressources humaines, subordonne la prolongation du détachement d’un agent détaché à l’accord du chef de la Mission, sur la base d’une demande en ce sens de l’agent concerné présentée trois mois avant le terme de la période de détachement en cours et d’un rapport d’évaluation des performances favorable établi par son responsable hiérarchique direct.
Arrêt du 17 juillet 2024, Montanari / EUCAP Sahel Niger (T-371/22) (cf. points 44-49)
297. Recours en annulation - Recours contre une décision de la chambre de recours de l'Office - Défaut de représentation par un avocat - Inaction du requérant - Non-lieu à statuer
Par son ordonnance, le Tribunal clarifie l’incidence d’un non-lieu à statuer sur les effets de la décision attaquée dans des affaires de propriété intellectuelle lorsque la partie requérante ne répond plus aux sollicitations du Tribunal.
Synapsa Med sp. z o.o., la requérante, a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision de la chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) qui avait rejeté son recours contre la décision d’annulation de la marque verbale GRAVITY{1}.
Le 6 février 2024, le représentant de la requérante a informé le Tribunal qu’il cessait de la représenter. Par lettre du 9 février 2024, le Tribunal lui a répondu qu’il resterait toutefois son interlocuteur jusqu’à ce que la requérante désigne un nouveau représentant. Il l’a également invité à informer la requérante qu’il appartenait à cette dernière de désigner un nouveau représentant.
La requérante n’ayant pas désigné de nouveau représentant dans le délai imparti, le Tribunal a demandé aux parties de se prononcer sur la possibilité pour le Tribunal, en vertu de l’article 131, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, de constater d’office, par voie d’ordonnance motivée, qu’il n’y a plus lieu de statuer. La requérante n’a pas non plus répondu à cette question du Tribunal.
Appréciation du Tribunal
Tout d’abord, le Tribunal rappelle que, pour introduire un recours, les parties autres que les États membres, les institutions de l’Union européenne, les États parties à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) autres que les États membres et l’Autorité de surveillance de l’Association européenne de libre-échange (AELE) visée par cet accord doivent recourir aux services d’un tiers habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord EEE. En outre, une telle partie doit assurer la continuité de sa représentation par un avocat pour toute la durée de l’instance, c’est-à-dire de l’introduction du recours jusqu’à la signification de la décision juridictionnelle mettant fin à l’instance. Il s’ensuit que, lorsqu’un avocat cesse de représenter une partie requérante en cours d’instance, celle-ci doit désigner, sans retard, un nouveau représentant afin que soit garantie la continuité de sa représentation.
Ensuite, le Tribunal souligne que l’inaction de la requérante est intervenue en cours d’instance et n’est donc pas de nature à affecter la recevabilité du recours au moment de son introduction. Par ailleurs, l’absence de désignation en bonne et due forme d’un nouveau représentant pouvant constituer une preuve suffisante que la partie requérante n’a plus d’intérêt à agir, elle ne peut conduire qu’au constat qu’il n’y a plus lieu à statuer et non à un rejet du recours comme irrecevable.
Enfin, le Tribunal précise que la circonstance que la requérante a cessé de répondre aux sollicitations du Tribunal, renonçant ainsi à défendre ses intérêts sans toutefois se désister de son recours, n’a pas d’incidence sur la procédure menée devant l’EUIPO et, par conséquent, sur l’objet du recours devant le Tribunal, mais uniquement sur les conditions de poursuite de l’examen du recours devant le Tribunal.
Dans ce contexte, le constat d’un non-lieu à statuer par le Tribunal sur le fondement de l’article 131, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal ne saurait faire obstacle à ce que la décision attaquée puisse déployer ses effets. À cet égard, le seul but du mécanisme mis en place par l’article 71, paragraphe 3, du règlement 2017/1001{2} consiste à ce que les décisions des chambres de recours ne produisent pas d’effets dans l’attente de l’issue de la procédure juridictionnelle, afin de garantir aux parties concernées par les décisions de l’EUIPO une protection juridique adaptée à la particularité du droit des marques. En effet, il serait dénué de toute raison d’enregistrer une marque, puis de la radier du registre et, le cas échéant, de la réenregistrer selon les décisions rendues successivement par les instances de l’EUIPO et le juge de l’Union. Il s’ensuit que, si, certes, le constat d’un non-lieu à statuer ne figure pas expressément à l’article 71, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 en tant que terme de l’effet suspensif des recours formés contre les décisions des chambres de recours, il y a lieu de considérer que, aux fins de l’application de cette disposition, un non-lieu constaté sur le fondement de l’article 131, paragraphe 2, du règlement de procédure doit être assimilé à un rejet de l’action introduite devant le Tribunal au sens de l’article 71, paragraphe 3, du règlement 2017/1001.
Ainsi, le Tribunal constate d’office qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le recours.
{1} Décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 9 janvier 2023 (affaire R 923/2022 5) (ci-après la « décision attaquée »).
{2} Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).
298. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision de la Cour des comptes portant sur le recouvrement de sommes indûment versées à l'un de ses membres - Charge de la preuve
Statuant en formation élargie à cinq juges, le Tribunal se prononce, pour la première fois, sur les conséquences financières des irrégularités alléguées à l’encontre d’une personne occupant de hautes fonctions au sein d’une institution de l’Union européenne dans l’accomplissement des obligations découlant de sa charge, à la suite de l’arrêt de la Cour constatant le non-respect de ces obligations.
Le requérant, CQ, a été membre de la Cour des comptes européenne, en accomplissant deux mandats. À ce titre, CQ a notamment bénéficié du remboursement de divers frais, d’une voiture de fonction et de la mise à disposition d’un chauffeur.
Au cours de son mandat, des informations portant sur plusieurs irrégularités graves imputées au requérant sont parvenues à la Cour des comptes.
Par la suite, le secrétaire général de la Cour des comptes a transmis à l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) un dossier portant sur les activités de CQ ayant entraîné des dépenses possiblement indues à la charge du budget de l’Union.
Après avoir mené une enquête, l’OLAF a envoyé son rapport final à la Cour des comptes, dans lequel il a conclu, entre autres, à un abus des ressources de la Cour des comptes par CQ dans le cadre d’activités étrangères à ses fonctions.
À la suite de la réception du rapport de l’OLAF, la Cour des comptes a constaté la créance du requérant et qualifié la somme de 153 407,58 euros de montant indûment perçu au titre des frais de missions et des indemnités journalières, des frais de représentation ainsi que de l’utilisation des services de chauffeurs. Elle a, à ce titre, ordonné le recouvrement de cette somme (ci-après la « décision attaquée »).
Par son recours, introduit le 24 juin 2019, le requérant demande, d’une part, l’annulation de la décision attaquée, et, d’autre part, la réparation du préjudice moral qu’il aurait subi{1}.
Indépendamment du présent recours en annulation, la Cour des comptes a introduit un recours devant la Cour fondé sur la violation, par CQ, des obligations découlant de sa charge auprès de la Cour des comptes{2}. À cet égard, la Cour a jugé que le requérant avait effectivement enfreint ces obligations et a prononcé la déchéance de deux tiers de son droit à pension.
Appréciation du Tribunal
Sur le bien-fondé de la décision attaquée, en premier lieu, le Tribunal examine le moyen tiré de ce que la Cour des comptes ne pouvait envoyer au requérant une note de débit datant de plus de cinq années après la constatation de créance en raison du délai prévu par l’article 98 du règlement 2018/1046{3}.
Le Tribunal relève que le point de départ de ce délai, c’est-à-dire le moment où l’institution concernée est normalement en mesure de faire valoir sa créance, ne correspond pas nécessairement au moment où une personne telle que le requérant demande à une institution le versement d’une somme d’argent. Il peut correspondre, dans certaines circonstances, au moment où l’OLAF remet un rapport à cette institution.
Ainsi, le Tribunal considère que la majorité des créances, considérées par la Cour des comptes comme indûment perçues par CQ, ne sont pas prescrites, la Cour des comptes ne s’étant trouvée en mesure de faire valoir sa créance qu’après l’enquête de l’OLAF. En revanche, un nombre très limité de créances, d’un montant total de 3 170,19 euros, sont considérées comme prescrites, car, si la Cour des comptes avait agi avec la diligence requise, elle aurait été en mesure de faire valoir sa créance dès l’introduction des demandes de remboursement concernées.
En second lieu, le Tribunal examine le moyen tiré, en substance, de la violation du principe de protection de la confiance légitime et de l’existence d’« erreurs manifestes » dans la décision attaquée, en ce qui concerne la détermination, par la Cour des comptes, de sommes dont le requérant serait redevable.
S’agissant de l’étendue du contrôle du Tribunal, ce dernier souligne d’emblée que, dans l’arrêt Cour des comptes/Pinxten{4}, la Cour a précisé que ses appréciations relatives aux irrégularités alléguées à l’encontre du requérant ne portaient pas sur la détermination de sommes dont il serait redevable et étaient donc sans préjudice de l’appréciation du Tribunal qui devrait être portée sur la décision attaquée dans le cadre d’un recours en annulation.
À cet égard, le Tribunal relève, d’une part, que l’objet du recours introduit sur le fondement de l’article 286, paragraphe 6, TFUE, dans le cadre duquel la Cour a adopté sa position concernant le requérant, est distinct du présent recours. En effet, le premier porte sur la constatation de la violation des obligations découlant de la charge de membre de la Cour des comptes et sur le prononcé éventuel d’une sanction. En revanche, l’objet du présent recours, introduit conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, concerne la question du recouvrement de sommes indûment versées et tenant à l’annulation de la décision attaquée.
D’autre part, la charge de la preuve dans la procédure devant la Cour et dans celle devant le Tribunal est différente. Dans le présent recours, la charge de la preuve pèse sur le requérant pour démontrer, concernant chaque demande de remboursement, qu’il a encouru les frais en cause dans le respect des règles applicables.
En outre, le Tribunal constate que, dans l’arrêt Cour des comptes/Pinxten, la Cour a juridiquement apprécié chacune des activités du requérant considérées par la Cour des comptes comme étant irrégulières. Elle a conclu, pour partie, à leur régularité ou à l’absence de leur irrégularité manifeste et, pour partie, à leur irrégularité ou à leur irrégularité manifeste.
Toutefois, au vu du caractère distinct de l’objet des deux recours, de la nature différente de la charge de la preuve, ainsi que du fait que, en l’espèce, certaines pièces de procédure n’ont été déposées qu’après le prononcé de l’arrêt Cour des comptes/Pinxten, les parties ont pu présenter dans la présente procédure des éclaircissements, des arguments et des éléments de preuve nouveaux.
Ainsi, le Tribunal procède à l’appréciation de chaque activité du requérant liée aux demandes de remboursement en cause, à la lumière des arguments et des explications présentés par les parties devant lui, pour déterminer s’il convient ou non de retenir la même appréciation que celle dans l’arrêt Cour des comptes/Pinxten.
Plus particulièrement, le Tribunal considère comme dépourvus de rattachement avec l’exercice des fonctions du requérant en tant que membre de la Cour des comptes des frais se rapportant aux rencontres avec des responsables politiques, membres d’un parti politique au niveau national. Il conclut à leur irrégularité, se référant notamment au contexte spécifique de telles rencontres ressortant du rapport de l’OLAF. Par conséquent, le Tribunal rejette le recours en ce qui concerne ces frais.
En revanche, le Tribunal annule la décision attaquée en ce qu’elle ordonne le recouvrement de certaines demandes de remboursement de frais, pour un montant total de 16 084,01 euros. En effet, il conclut que ces frais ne sont entachés d’aucune irrégularité.
Au vu de l’ensemble de ces considérations et après avoir rejeté les autres moyens du recours, portant notamment sur l’irrégularité de l’enquête menée par l’OLAF et sur la violation de l’obligation de motivation, le Tribunal annule la décision attaquée en ce qu’elle porte sur un montant de 19 254,2 euros et précise les intérêts moratoires à payer sur ce montant. Par ailleurs, le Tribunal rejette la demande indemnitaire tirée du préjudice moral prétendument subi par le requérant.
{1} Sur le fondement des articles 263 et 268 TFUE.
{2} Au sens de l’article 286, paragraphe 6, TFUE.
{3} Plus précisément, aux termes de l’article 98, paragraphe 2, second alinéa, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1) : « l’ordonnateur envoie la note de débit immédiatement après la constatation de la créance et au plus tard dans un délai de cinq ans à compter du moment où l’institution de l’Union était, dans des circonstances normales, en mesure de faire valoir sa créance. Ce délai ne s’applique pas dans le cas où l’ordonnateur compétent établit que, malgré les diligences entreprises par l’institution de l’Union, le retard à agir incombe au comportement du débiteur ».
{4} Arrêt du 30 septembre 2021, Cour des comptes/Pinxten (C 130/19, EU:C:2021:782).
Arrêt du 11 septembre 2024, CQ / Cour des comptes (T-386/19) (cf. points 193, 201)
299. Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Conditions de recevabilité - Décision de l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) adoptant une méthodologie pour la répartition des coûts des actions correctives mises en œuvre pour soulager les congestions sur le réseau de transport d'électricité - Acte instituant l'ACER prévoyant une voie de recours interne contre la décision de l'ACER - Recours en annulation introduit contre la décision de l'ACER sans épuisement de la voie de recours interne - Irrecevabilité
Arrêt du 25 septembre 2024, RTE / ACER (T-472/21) (cf. points 21-23)
300. Recours en annulation - Contrôle de légalité - Critères - Décision de la Commission imposant des droits antidumping - Prise en compte de la pratique décisionnelle antérieure des institutions - Absence
Rejetant le recours en annulation contre le règlement d’exécution 2022/191 de la Commission européenne{1}, qui institue un droit antidumping définitif sur les importations de certains éléments de fixation en fer ou en acier originaires de la République populaire de Chine (ci-après le « produit concerné »), le Tribunal apporte des précisions quant à la recevabilité d’un recours introduit par une association représentative d’exportateurs. En outre, il se prononce sur les modalités de calcul de la valeur normale du produit concerné, lorsque celle-ci est établie à partir des données d’un pays représentatif approprié, en présence de distorsions significatives du marché du pays exportateur.
En l’espèce, la Commission, saisie d’une plainte déposée par European Industrial Fasteners Institute, au nom de l’industrie de l’Union européenne, a ouvert une enquête antidumping à l’issue de laquelle elle a adopté le règlement attaqué.
C’est dans ce contexte que l’association de droit chinois, China Chamber of Commerce for Import and Export of Machinery and Electronic Products (ci-après la « CCCME »), et différents producteurs-exportateurs chinois ont introduit un recours tendant à l’annulation du règlement attaqué.
Appréciation du Tribunal
S’agissant de la recevabilité du recours en annulation introduit par la CCCME au nom de ses membres, le Tribunal rappelle que, pour qu’une association puisse valablement agir au nom de ces derniers, il importe, premièrement, que les personnes physiques ou morales au nom desquelles elle agit fassent partie de ses membres, deuxièmement, qu’elle ait le pouvoir d’agir en justice en leur nom, troisièmement, que ce recours soit introduit en leur nom, quatrièmement, qu’au moins un des membres au nom desquels elle agit aurait pu lui-même introduire un recours recevable et, cinquièmement, que les membres au nom desquels elle agit n’aient pas introduit de recours en parallèle devant les juridictions de l’Union. Ces exigences étant satisfaites en l’espèce, le recours est recevable en ce qu’il a été introduit par la CCCME au nom de ses membres qui sont des producteurs-exportateurs du produit concerné ayant coopéré avec la Commission, bien que non retenus dans l’échantillon de cette dernière, dans le cadre de l’enquête amenant à l’adoption du règlement attaqué.
Sur le fond, le Tribunal écarte, premièrement, le moyen tiré d’une violation de l’article 2, paragraphe 6 bis, sous a), du règlement de base{2} dans le cadre du calcul de la valeur normale du produit concerné. Cet article prévoit que, lorsqu’il est jugé inapproprié de se fonder sur les prix et les coûts sur le marché intérieur du pays exportateur du fait de l’existence de distorsions significatives sur ce marché, la valeur normale du produit concerné est calculée exclusivement sur la base de coûts de production et de vente représentant des prix ou des valeurs de référence non faussés. À cette fin, la Commission peut utiliser comme sources d’information, notamment, les coûts de production et de vente correspondants dans un pays représentatif approprié, qui a un niveau de développement économique semblable à celui du pays exportateur, pour autant que les données pertinentes soient aisément disponibles.
À cet égard, le Tribunal relève, en premier lieu, que la Commission n’a pas commis d’erreur en choisissant la Thaïlande en tant que pays représentatif approprié pour construire la valeur normale du produit concerné.
La juridiction rejette, tout d’abord, l’argumentation des requérantes selon laquelle les coûts de production pour la fabrication du produit concerné en Thaïlande ne correspondraient pas à ceux des producteurs-exportateurs chinois retenus dans l’échantillon, la Thaïlande utilisant, parmi les matières premières nécessaires à la fabrication de ce produit, un fil machine de haute qualité importé du Japon. Ainsi, dans la mesure où cette matière première ne serait utilisée que pour la production d’éléments de fixation non standard, alors que les producteurs chinois n’exporteraient dans l’Union que des éléments de fixation standard, le prix des importations du fil machine en Thaïlande provenant du Japon aurait dû être écarté des données utilisées par la Commission aux fins de la détermination de la valeur normale.
S’agissant du caractère correspondant des coûts thaïlandais aux coûts des producteurs-exportateurs chinois retenus dans l’échantillon, le Tribunal note que la Commission a constaté que l’industrie chinoise bénéficiait des orientations et des interventions des pouvoirs publics chinois concernant l’acier, qui constituait la principale matière première utilisée dans la fabrication des éléments de fixation, et en a conclu que les coûts de production exposés par les producteurs-exportateurs retenus dans l’échantillon étaient affectés par des distorsions significatives. Dans ce cas, bien que cette institution doive calculer la valeur normale du produit soumis à l’enquête tel qu’il l’aurait été pour les producteurs-exportateurs du pays concerné en l’absence de distorsions, il ressort de l’article 2, paragraphe 6 bis, du règlement de base que la valeur normale est calculée exclusivement sur la base des données du pays représentatif choisi. Dès lors, c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a déterminé la valeur normale en prenant en compte les coûts des matières premières pour les producteurs thaïlandais d’éléments de fixation. Dans ce contexte, la Commission peut, dans le cadre de sa large marge d’appréciation, procéder à certaines approximations pour le calcul de la valeur normale, pour autant que lesdites approximations soient justifiées par les données qu’elle a à sa disposition.
Quant à la nécessité d’écarter les données japonaises du calcul de la valeur normale, la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation en utilisant lesdites données aux fins de ce calcul compte tenu, d’une part, de l’existence d’une demande adéquate de matières premières pour la production d’éléments de fixation standard et non standard en Thaïlande et, d’autre part, de l’absence de données étayées sur la part des matières premières importées du Japon qui seraient destinées à des éléments de fixation non standard et sur la manière de distinguer ces matières premières au sein des codes SH{3}, un même code pouvant couvrir plusieurs qualités d’une matière première.
Ensuite, le Tribunal écarte le grief tiré de l’absence de caractère représentatif des données des producteurs thaïlandais utilisées par la Commission aux fins du calcul des frais de vente, des dépenses administratives et des autres frais généraux (frais VAG) et des bénéfices, ces producteurs ne produisant pas exactement le même produit que les producteurs chinois retenus dans l’échantillon.
À ce propos, le Tribunal constate que tous les éléments de fixation ont été considérés comme un seul et même produit aux fins de l’enquête. Partant, l’argumentation selon laquelle il conviendrait d’écarter les données d’un producteur thaïlandais qui produirait des éléments de fixation soumis à l’enquête, mais qui ne correspondraient pas exactement à ceux produits par les producteurs-exportateurs chinois retenus dans l’échantillon ne saurait prospérer. Par ailleurs, dans le cadre d’enquêtes où la valeur normale est déterminée sur la base de données d’un pays représentatif approprié, il est difficile d’avoir des données qualitatives et disponibles entièrement calibrées à l’échantillon des producteurs-exportateurs.
Enfin, concernant la nécessité de calculer la valeur normale conformément à une pratique décisionnelle de l’organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le Tribunal précise que la Commission n’était pas tenue de procéder à une interprétation conforme de l’article 2, paragraphe 6 bis, sous a), du règlement de base au regard des règles de l’OMC. En effet, même si les textes de l’Union doivent être interprétés, dans la mesure du possible, à la lumière du droit international, en particulier lorsqu’ils visent à mettre en œuvre un accord international conclu par l’Union, il n’en reste pas moins que cette disposition ne saurait être considérée comme une disposition visant à mettre en œuvre des obligations spécifiques des accords conclus dans le cadre de l’OMC, le droit de l’OMC ne contenant pas de règles spécifiques destinées au calcul de la valeur normale dans les situations visées par la disposition en cause.
En second lieu, le Tribunal juge que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation dans le calcul des frais liés au fret{4}, aux consommables{5} et aux frais généraux dans le cadre du calcul de la valeur normale du produit concerné. En effet, dans la mesure où le coût de transport supporté par les producteurs-exportateurs chinois retenus dans l’échantillon pour l’approvisionnement en matières premières, les consommables et les frais généraux étaient affectés par des distorsions significatives, ceux-ci ne peuvent pas servir de référence pour le calcul des frais accessoires. En l’espèce, la Commission a exprimé le coût du transport supporté par les producteurs-exportateurs chinois retenus dans l’échantillon pour l’approvisionnement en matières premières en pourcentage du coût réel de ces matières premières et a ensuite appliqué le même pourcentage au coût non faussé des mêmes matières premières en Thaïlande afin d’obtenir un coût de transport non faussé. C’est donc sans commettre d’erreur que la Commission a calculé le coût de ces frais en appliquant un pourcentage sur le coût des matières premières nécessaires à la fabrication du produit concerné, tout en respectant la structure des coûts producteurs-exportateurs retenus dans l’échantillon.
Deuxièmement, les requérantes font valoir que, en appliquant des ajustements uniquement sur les prix à l’exportation et non sur la valeur normale, la Commission n’aurait pas procédé à une comparaison équitable des prix, violant ainsi l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base. À cet égard, le Tribunal souligne que, en vertu de cette disposition, lorsqu’une partie demande des ajustements aux fins d’une comparaison équitable des prix en vue de la détermination de la marge de dumping, cette partie doit apporter la preuve que sa demande est justifiée. Ainsi, il incombait aux requérantes d’apporter la preuve de la nécessité de l’ajustement sollicité, ce qu’elles n’ont nullement apporté en l’espèce.
Troisièmement, les requérantes contestent le calcul du coût de la main-d’œuvre nécessaire à la fabrication du produit concerné à partir des données d’un seul des trois producteurs-exportateurs retenus dans l’échantillon, dans le cadre du calcul de la valeur normale du produit concerné. Ce faisant, la Commission n’aurait pas tenu compte des différences entre les procédés de fabrication des produits soumis à l’enquête, alors que ceux-ci auraient une influence sur les heures de travail nécessaires à la fabrication du produit. Le Tribunal constate cependant que, dans la mesure où aucun des trois producteurs-exportateurs échantillonnés n’a été en mesure d’apporter de documentation précise définissant les exigences en matière de coût de la main-d’œuvre sur la base de la méthode de fabrication du produit, la Commission pouvait, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, se fonder sur les données vérifiées d’un seul des trois producteurs-exportateurs, celles-ci étant les meilleures données disponibles au sens de l’article 18 du règlement de base.
Quatrièmement, sur la nécessité d’effectuer une analyse par segment du préjudice causé à l’industrie de l’Union, le Tribunal précise qu’une telle analyse peut être justifiée, notamment, lorsque des éléments de preuve démontrent une segmentation particulièrement caractérisée des importations concernées, sous réserve toutefois, que le produit similaire sur le marché de l’Union dans son ensemble soit dûment pris en compte. L’appartenance de produits à des gammes différentes ne suffit pas pour établir, en soi, leur absence d’interchangeabilité et donc l’opportunité d’effectuer une analyse par segment, dès lors que des produits appartenant à des gammes distinctes peuvent avoir des fonctions identiques ou répondre aux mêmes besoins. Or, les requérantes n’ayant pas apporté d’éléments de preuve portant, d’une part, sur la distinction entre les éléments de fixation standard et non standard par rapport aux différents types d’industrie et, d’autre part, sur l’absence de concurrence entre ces deux types de produits, la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant les éléments de fixation standard et non standard comme des produits similaires pour l’analyse du préjudice.
Cinquièmement, en ce qui concerne la prétendue absence de comparaison équitable entre les prix de l’Union et ceux des producteurs-exportateurs chinois, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir pas clarifié à quel stade commercial les ventes des producteurs de l’Union retenus dans l’échantillon étaient effectuées. Cette question ayant été clarifiée par la Commission, le Tribunal conclut à l’absence d’erreur manifeste d’appréciation de cette dernière quant à l’analyse de la sous-cotation de prix, les requérantes n’ayant pas non plus allégué la nécessité d’un quelconque ajustement afin d’assurer une comparaison équitable des prix au même stade commercial.
Sixièmement, le Tribunal déclare irrecevable le moyen tiré de la violation des droits procéduraux des requérantes pendant l’enquête administrative. Il rappelle que les droits procéduraux sont des droits propres à la personne à laquelle ils sont conférés et qu’ils ont un caractère subjectif, si bien que ce sont les parties concernées elles-mêmes qui doivent être en mesure de les exercer effectivement, indépendamment de la nature de la procédure dont elles font l’objet. Or, la possibilité pour une association d’exercer les droits procéduraux de ses membres ne saurait conduire à contourner les conditions que les entreprises en cause auraient dû respecter si elles avaient voulu exercer elles-mêmes leurs droits procéduraux. Ainsi, un producteur-exportateur membre de la CCCME ne saurait se contenter des demandes de cette dernière s’il n’a pas expressément fait valoir ses droits de la défense pendant l’enquête administrative. Cette conclusion n’est pas remise en cause par le moyen de communication choisi par la Commission aux fins de la procédure administrative, à savoir une plateforme électronique, la qualité de partie intéressée au titre du règlement de base et les droits qui y sont attachés ne pouvant en tout état de cause dépendre du moyen de communication de la Commission avec ces parties.
À la lumière de l’ensemble de ces considérations, le Tribunal rejette, en conséquence, le recours dans son intégralité.
{1} Règlement d’exécution (UE) 2022/191 de la Commission, du 16 février 2022, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certains éléments de fixation en fer ou en acier originaires de la République populaire de Chine (JO 2022, L 36, p. 1, ci-après le « règlement attaqué »).
{2} Règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21, ci-après le « règlement de base »).
{3} Codes du système harmonisé de désignation et de codification des marchandises. Ces codes déterminent les matières premières nécessaires à la fabrication du produit concerné.
{4} Il s’agit, en l’espèce, des coûts de transport supportés par le producteur pour une matière première livrée à l’entrée de l’usine.
{5} Les consommables sont des matières premières mineures consommées dans le processus de production.
Arrêt du 2 octobre 2024, CCCME e.a. / Commission (T-263/22) (cf. points 102, 129, 233)
301. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Actes pris par les institutions - Demande d'examen de la compatibilité avec le droit international d'un accord international conclu par l'Union - Recevabilité
La Cour, réunie en grande chambre, rejette, par deux arrêts joignant, pour l’un, les affaires C 778/21 P et C-798/21 P, et pour l’autre, les affaires C-779/21 P et C-799/21 P, les pourvois formés par la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne contre deux arrêts du Tribunal qui avaient annulé les décisions du Conseil approuvant la conclusion d’accords entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc à la suite des recours en annulation déposés par le Front populaire pour la libération de la Saguia-el-Hamra et du Rio de oro (Front Polisario) contre ces décisions.
Par la décision 2019/217{1}, le Conseil avait approuvé la conclusion d’un accord entre l’Union et le Royaume du Maroc sur la modification de certains protocoles de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part{2}. Le Conseil avait également approuvé, par la décision 2019/441{3}, la conclusion d’un accord de partenariat dans le domaine de la pêche entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc et de son protocole de mise en œuvre, ainsi que l’échange de lettres accompagnant l’accord et, par le règlement 2019/440, la répartition des possibilités de pêche au titre dudit accord et de son protocole de mise en œuvre{4}. Ces deux décisions faisaient suite à l’arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C 104/16 P, EU:C:2016:973), par lequel la Cour avait notamment précisé que l’accord d’association euro-méditerranéen ne couvrait que le territoire du Royaume du Maroc et pas celui, non autonome, du Sahara occidental, ainsi qu’à l’arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C 266/16, EU:C:2018:118), dans lequel la Cour avait suivi un raisonnement largement analogue s’agissant d’accords dans le domaine de la pêche avec le Royaume du Maroc en ce qui concerne les eaux adjacentes au Sahara occidental.
L’accord approuvé par la décision 2019/217 modifiait les protocoles de l’accord d’association euro-méditerranéen relatifs au régime applicable à l’importation, dans l’Union européenne, des produits agricoles, des poissons et des produits de la pêche originaires du Maroc, et à la définition de la notion de « produits originaires », étendant aux produits originaires du Sahara occidental exportés sous le contrôle des autorités douanières marocaines, le bénéfice des préférences tarifaires octroyées aux produits d’origine marocaine exportés dans l’Union. L’accord de pêche entre la Communauté européenne et le Maroc{5} a, quant à lui, été modifié en incluant dans le champ d’application de cet accord les eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental.
Par requêtes déposées en 2019 contre ces actes dans trois affaires Front Polisario/Conseil (T 279/19, T 344/19 et T 356/19), le Front Polisario avait demandé l’annulation des décisions et du règlement attaqués.
Le Tribunal, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Front Polisario/Conseil (T-279/19){6}, d’une part, et dans les affaires jointes ayant donné lieu à l’arrêt Front Polisario/Conseil (T 344/19 et T 356/19){7}, d’autre part, a annulé les décisions et le règlement attaqués au motif que l’exigence relative au consentement du peuple du Sahara occidental n’avait pas été respectée. En effet, le Conseil n’avait pas suffisamment pris en compte tous les éléments pertinents relatifs à la situation du Sahara occidental et avait considéré, à tort, qu’il disposait d’une marge d’appréciation quant au respect de l’exigence selon laquelle le peuple de ce territoire devait consentir à l’application des accords litigieux sur ce territoire, en tant que tiers aux accords litigieux au sens du principe de l’effet relatif des traités en lien avec le principe d’autodétermination.
Le Conseil et la Commission ont, chacun, saisi la Cour d’un pourvoi contre ces arrêts.
Appréciation de la Cour
Sur la recevabilité des recours en annulation introduits par le Front Polisario devant le Tribunal
A. Capacité d’ester en justice du Front Polisario
En premier lieu, la Cour rappelle que toute personne physique ou morale peut former, dans certaines conditions, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes règlementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution. Toutefois, la Cour a déjà reconnu la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union à des entités indépendamment de la question de leur constitution en tant que personne morale en droit interne.
Le Front Polisario est un mouvement de libération autoproclamé qui a été créé dans le but de lutter pour l’indépendance, à l’égard du Royaume du Maroc, du territoire non autonome du Sahara occidental et pour la création d’un État sahraoui souverain. Dans la mesure où ce mouvement cherche précisément, en se fondant sur l’exercice du droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental, à établir un ordre juridique étatique pour ce territoire, il ne peut être exigé, afin de lui reconnaître la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union, qu’il soit constitué en tant que personne morale conformément à un ordre juridique national particulier. Par ailleurs, le Front Polisario est l’un des interlocuteurs légitimes dans le cadre du processus mené en vue de la détermination du futur du Sahara occidental sous l’égide du Conseil de sécurité des Nations unies, dont les décisions lient tous les États membres et les institutions de l’Union. Il en résulte que le Front Polisario, qui entretient également des rapports juridiques bilatéraux au niveau international, a une existence juridique suffisante pour pouvoir ester en justice devant les juridictions de l’Union{8}. Par conséquent, la Cour considère que le Tribunal a pu, sans commettre d’erreur de droit, conclure que le Front Polisario avait la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
B. Qualité pour agir en justice du Front Polisario
En second lieu, la Cour examine la qualité pour agir du Front Polisario. Quant au point de savoir si le Front Polisario est directement concerné par les décisions et le règlement attaqué, la Cour rappelle, tout d’abord, les deux conditions devant être cumulativement satisfaites à cet effet, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique de la personne concernée et, d’autre part, qu’elle ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre.
Elle constate, à cet égard, que, par ses recours en annulation devant le Tribunal, le Front Polisario visait à faire protéger le droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental{9} et que c’est, dès lors, à l’aune des effets des actes attaqués et, partant, des accords litigieux sur la situation juridique de ce peuple, qu’il y a lieu d’examiner si le Front Polisario est directement concerné par les actes attaqués.
Elle rappelle que, tout en n’ayant pas été officiellement reconnu comme étant le représentant exclusif du peuple du Sahara occidental, le Front Polisario est, conformément aux résolutions des plus hautes instances des Nations unies, un interlocuteur privilégié en vue de la détermination du futur statut du Sahara occidental. Ces circonstances particulières permettent de considérer que le Front Polisario peut contester devant le juge de l’Union la légalité d’un acte de l’Union qui produit directement des effets sur la situation juridique de ce peuple. À cet égard, les actes attaqués et, par extension, les accords litigieux, satisfont, par l’incidence qu’ils ont sur le droit du peuple du Sahara occidental à l’autodétermination, à la condition légale selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet de son recours. Compte tenu de l’article 73 de la charte des Nations unies et du principe de protection juridictionnelle effective, cette condition doit être appréciée, en l’espèce, par rapport à la situation juridique du peuple du Sahara occidental, lequel est représenté aux fins des présentes affaires par le Front Polisario.
La décision concernant la conclusion d’un accord international constitue, par ailleurs, un acte définitif dans l’ordre juridique interne de l’Union, exprimant la volonté de l’Union d’être liée par cet accord. La Cour, qui n’est pas compétente pour annuler un accord international, rappelle que cette décision constitue un acte attaquable. En revanche, contrairement à ce que soutenaient certaines parties, la notification de l’approbation d’un tel accord à l’autre partie contractante constitue une mesure d’exécution qui, en principe, doit être considérée comme étant un acte qui n’est pas attaquable.
La Cour en conclut que le Front Polisario était directement concerné par les décisions litigieuses et que le Tribunal n’a pas commis d’erreurs de droit à ce sujet.
En ce qui concerne l’affectation individuelle du Front Polisario, la Cour confirme également l’approche retenue par le Tribunal selon laquelle, eu égard aux circonstances ayant conduit à conclure à son affectation directe, il devait être considéré comme individuellement affecté par les décisions attaquées. Elle constate, à cet égard, que le peuple du Sahara occidental, représenté par le Front Polisario, est individuellement concerné par la décision litigieuse dans la mesure où une inclusion expresse du territoire du Sahara occidental dans le champ d’application des accords litigieux, qui lient l’Union en vertu des décisions litigieuses, modifie la situation juridique de ce peuple en raison de sa qualité de titulaire du droit à l’autodétermination par rapport à ce territoire, cette qualité le caractérisant par rapport à toute autre personne ou entité, y compris par rapport à tout autre sujet de droit international.
Sur le consentement du peuple du Sahara occidental aux accords litigieux et sur la portée du contrôle juridictionnel opéré par le Tribunal
Selon les décisions litigieuses, les accords en cause ont été approuvés par l’Union après que la Commission, en lien avec le Service européen pour l’action extérieure, a pris « toutes les mesures raisonnables et possibles […] pour associer de manière appropriée les populations concernées afin de s’assurer de leur consentement aux accords »{10}. Cependant, la Cour relève, à cet égard, que la majeure partie de la population actuelle du Sahara occidental ne fait pas partie du peuple titulaire du droit à l’autodétermination, à savoir le peuple du Sahara occidental, lequel a été en grande partie déplacé. Elle ajoute qu’il existe une différence entre la notion de « population » d’un territoire non autonome et celle de « peuple » de ce territoire. Cette dernière renvoie, en effet, à une unité politique, titulaire du droit à l’autodétermination, alors que la notion de « population » vise les habitants d’un territoire.
La Cour rappelle ensuite que, selon le principe de droit international général de l’effet relatif des traités, ceux-ci ne doivent ni nuire ni profiter à des sujets tiers. Un tiers peut, à cet égard, être affecté par la mise en œuvre d’un accord en cas d’inclusion dans le champ d’application de celui-ci d’un territoire par rapport auquel ledit tiers est souverain ou titulaire du droit à l’autodétermination. La mise en œuvre d’un accord international entre l’Union et le Royaume du Maroc sur le territoire du Sahara occidental doit, dès lors, recevoir le consentement du peuple du Sahara occidental{11}. L’action de l’Union sur la scène internationale devant notamment contribuer au strict respect du droit international et au respect des principes de la charte des Nations unies{12}, la Cour souligne que l’absence de consentement du peuple du Sahara occidental auxdits accords, dont la mise en œuvre s’étend sur le territoire du Sahara occidental ou sur ses eaux adjacentes, est susceptible d’affecter la validité des actes de l’Union portant sur la conclusion de ces accords.
Sur la nécessité du consentement du peuple du Sahara occidental et sur l’identification du Front Polisario comme entité à laquelle il incomberait de l’exprimer
La Cour note, tout d’abord, que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a constaté que les accords litigieux, en ayant accordé aux autorités marocaines certaines compétences dont l’exercice est prévu sur le territoire du Sahara occidental, imposaient une obligation au peuple du Sahara occidental{13}. En effet, si la mise en œuvre des accords litigieux implique que les actes des autorités marocaines accomplis sur le territoire du Sahara occidental ont des effets juridiques modifiant la situation juridique du peuple de ce territoire, ceci ne permet toutefois pas de considérer que lesdits accords créent des obligations juridiques pesant sur ce peuple, en tant que sujet du droit international. À cet égard, les accords litigieux n’impliquent pas la reconnaissance par l’Union de la prétendue souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. De même, le peuple du Sahara occidental n’est pas, par exemple, le destinataire des autorisations de pêche, ou d’autres actes administratifs, établis par les autorités marocaines dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc, qu’il serait tenu de reconnaître, ni des mesures prises par les autorités de l’Union et des États membres à leur égard. La Cour considère, dès lors, que le Tribunal s’est fondé sur une prémisse erronée lorsqu’il a constaté que l’expression du consentement du peuple du Sahara occidental à l’accord litigieux devait être explicite.
Toutefois, la Cour relève que le droit international coutumier ne prévoit pas de forme particulière pour l’expression du consentement d’un sujet tiers à un accord qui lui confère un droit{14} et n’exclut pas qu’un tel consentement puisse être accordé de manière implicite dans certaines circonstances. Ainsi, le consentement d’un peuple d’un territoire non autonome à un accord international par rapport auquel il a la qualité de tiers et dont l’application est prévue sur le territoire auquel se rapporte son droit à l’autodétermination peut être présumé pour autant que deux conditions soient satisfaites. D’une part, l’accord en cause ne doit pas créer d’obligation mise à la charge de ce peuple. D’autre part, il doit, notamment, prévoir que le peuple concerné perçoit lui-même un avantage précis, concret, substantiel et vérifiable découlant de l’exploitation des ressources naturelles de ce territoire, et proportionnel à l’importance de cette exploitation. L’accord en cause doit également prévoir un mécanisme de contrôle régulier permettant de vérifier la réalité de l’avantage accordé au peuple concerné. Le respect de ces conditions s’impose en vue d’assurer la compatibilité d’un tel accord avec le principe, découlant de l’article 73 de la charte des Nations unies et consacré en droit coutumier international, de primauté des intérêts des peuples des territoires non autonomes.
Ces deux conditions satisfaites, le consentement du peuple concerné doit être tenu pour acquis. Partant, la circonstance qu’un mouvement se présentant comme étant le représentant légitime dudit peuple s’oppose à cet accord ne peut, en tant que telle, suffire à remettre en cause l’existence d’un tel consentement. Cette présomption peut néanmoins être renversée pour autant que des représentants légitimes de ce peuple établissent que le régime d’avantage conféré à ce peuple par l’accord en cause, ou encore le mécanisme de contrôle régulier dont il doit être assorti, ne satisfait pas auxdites conditions.
En l’espèce, la Cour constate que les accords litigieux, bien qu’ils modifient la situation juridique du peuple du Sahara occidental en droit de l’Union au regard du droit à l’autodétermination dont il dispose, ne créent pas d’obligations juridiques pesant sur ce peuple, en tant que sujet de droit international. La première des deux conditions est donc satisfaite.
S’agissant de la seconde condition, la Cour conclut qu’un avantage en faveur du peuple du Sahara occidental, répondant aux caractéristiques mentionnées précédemment, fait manifestement défaut dans les accords litigieux. Elle précise encore que, si un accord devait, à l’avenir, bénéficier au peuple du Sahara occidental conformément auxdites exigences, la possibilité que cet accord profite également aux habitants de ce territoire en général ne serait pas susceptible d’empêcher la constatation d’un consentement présumé de ce peuple.
Sur l’invocabilité du droit international
La Cour rappelle que l’Union est tenue d’exercer ses compétences dans le respect du droit international et qu’elle est dès lors compétente, dans le cadre d’un recours en annulation, pour apprécier la compatibilité d’un accord international conclu par l’Union avec les règles de droit international. Conformément aux traités, ces règles lient l’Union, et le contrôle de validité par la Cour de l’acte par lequel l’Union a conclu un tel accord international est susceptible de porter sur la légalité de cet acte au regard du contenu même de l’accord international en cause{15}. Ainsi, le Tribunal a pu, à juste titre, considérer que le principe d’autodétermination et le principe de l’effet relatif des traités étaient invocables dans le cadre du contrôle de validité des décisions litigieuses.
Conclusion
Aucun des moyens soulevés à l’appui des pourvois portés par le Conseil et la Commission n’ayant été accueilli par la Cour, celle-ci les rejette dans leur intégralité.
Sur le maintien des effets des décisions litigieuses en cas de rejet des pourvois présentés par le Conseil et la Commission
Dans les affaires jointes C 778/21 P et C 798/21 P, l’arrêt attaqué avait maintenu les effets de la décision litigieuse jusqu’au prononcé du présent arrêt. Or, le protocole de mise en œuvre de l’accord en cause ayant expiré le 17 juillet 2023 et l’accord de pêche n’autorisant pas lui-même l’accès des navires de l’Union à la « zone de pêche » concernée, la Cour estime que les demandes subsidiaires de la Commission et du Conseil de maintien des effets de la décision litigieuse sont devenues sans objet.
Dans les affaires jointes C 779/21 P et C 799/21 P, l’accord conclu par la décision litigieuse était entré en vigueur le 19 juillet 2019. L’annulation de cette décision, sans que ses effets soient maintenus pour une période limitée, étant susceptible d’entraîner des conséquences négatives graves sur l’action extérieure de l’Union et de remettre en cause la sécurité juridique des engagements internationaux auxquels elle a consenti et qui lient les institutions et les États membres, la Cour décide de maintenir les effets de celle-ci pour une période de douze mois à compter de la date de prononcé de l’arrêt.
{1} Décision (UE) 2019/217 du Conseil, du 28 janvier 2019, relative à la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc sur la modification des protocoles no 1 et no 4 de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part (JO 2019, L 34, p. 1).
{2} Accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part, signé à Bruxelles le 26 février 1996 (JO 2000, L 70, p. 2).
{3} Décision (UE) 2019/441 du Conseil, du 4 mars 2019, relative à la conclusion de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc, de son protocole de mise en œuvre ainsi que de l’échange de lettres accompagnant l’accord (JO 2019, L 77, p. 4)
{4} Règlement (UE) 2019/440 du Conseil, du 29 novembre 2018, relatif à la répartition des possibilités de pêche au titre de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc et de son protocole de mise en œuvre (JO 2019, L 77, p. 1, ci-après « le règlement attaqué »).
{5} Accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et le Royaume du Maroc (JO 2006, L 141, p. 4).
{6} Arrêt du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T 279/19, EU:T:2021:639).
{7} Arrêt du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T 344/19 et T 356/19, EU:T:2021:640).
{8} La Cour précise à cet égard que la question de savoir si cette entité peut légitimement représenter les intérêts du peuple du Sahara occidental concerne sa qualité pour agir dans le cadre d’un recours en annulation concernant la décision litigieuse, et non pas sa capacité d’ester devant le juge de l’Union.
{9} Voir arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C 104/16 P, EU:C:2016:973, points 88, 91 et 105).
{10} Considérant 10 de la décision 2019/217 et considérant 11 de la décision 2019/441.
{11} Voir arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C 104/16 P, EU:C:2016:973, point 106).
{12} Article 3, paragraphe 5, et article 21, paragraphe 1, TUE.
{13} Arrêts du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T 279/19, EU:T:2021:639, points 322 et 323), ainsi que du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T 344/19 et T 356/19, EU:T:2021:640, point 318).
{14} Voir arrêt de la Cour permanente de justice internationale du 7 juin 1932, affaire des « Zones Franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex » (Recueil CPJI 1927, séries A/B, no 46, p. 148).
{15} Arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C 266/16, EU:C:2018:118, points 47 à 51).
La Cour, réunie en grande chambre, rejette, par deux arrêts joignant, pour l’un, les affaires C-778/21 P et C-798/21 P, et pour l’autre, les affaires C-779/21 P et C-799/21 P, les pourvois formés par la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne contre deux arrêts du Tribunal qui avaient annulé les décisions du Conseil approuvant la conclusion d’accords entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc à la suite des recours en annulation déposés par le Front populaire pour la libération de la Saguia-el-Hamra et du Rio de oro (Front Polisario) contre ces décisions.
Par la décision 2019/217{1}, le Conseil avait approuvé la conclusion d’un accord entre l’Union et le Royaume du Maroc sur la modification de certains protocoles de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part{2}. Le Conseil avait également approuvé, par la décision 2019/441{3}, la conclusion d’un accord de partenariat dans le domaine de la pêche entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc et de son protocole de mise en œuvre, ainsi que l’échange de lettres accompagnant l’accord et, par le règlement 2019/440, la répartition des possibilités de pêche au titre dudit accord et de son protocole de mise en œuvre{4}. Ces deux décisions faisaient suite à l’arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C-104/16 P, EU:C:2016:973), par lequel la Cour avait notamment précisé que l’accord d’association euro-méditerranéen ne couvrait que le territoire du Royaume du Maroc et pas celui, non autonome, du Sahara occidental, ainsi qu’à l’arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C-266/16, EU:C:2018:118), dans lequel la Cour avait suivi un raisonnement largement analogue s’agissant d’accords dans le domaine de la pêche avec le Royaume du Maroc en ce qui concerne les eaux adjacentes au Sahara occidental.
L’accord approuvé par la décision 2019/217 modifiait les protocoles de l’accord d’association euro-méditerranéen relatifs au régime applicable à l’importation, dans l’Union européenne, des produits agricoles, des poissons et des produits de la pêche originaires du Maroc, et à la définition de la notion de « produits originaires », étendant aux produits originaires du Sahara occidental exportés sous le contrôle des autorités douanières marocaines, le bénéfice des préférences tarifaires octroyées aux produits d’origine marocaine exportés dans l’Union. L’accord de pêche entre la Communauté européenne et le Maroc{5} a, quant à lui, été modifié en incluant dans le champ d’application de cet accord les eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental.
Par requêtes déposées en 2019 contre ces actes dans trois affaires Front Polisario/Conseil (T 279/19, T 344/19 et T 356/19), le Front Polisario avait demandé l’annulation des décisions et du règlement attaqués.
Le Tribunal, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Front Polisario/Conseil (T 279/19){6}, d’une part, et dans les affaires jointes ayant donné lieu à l’arrêt Front Polisario/Conseil (T 344/19 et T 356/19){7}, d’autre part, a annulé les décisions et le règlement attaqués au motif que l’exigence relative au consentement du peuple du Sahara occidental n’avait pas été respectée. En effet, le Conseil n’avait pas suffisamment pris en compte tous les éléments pertinents relatifs à la situation du Sahara occidental et avait considéré, à tort, qu’il disposait d’une marge d’appréciation quant au respect de l’exigence selon laquelle le peuple de ce territoire devait consentir à l’application des accords litigieux sur ce territoire, en tant que tiers aux accords litigieux au sens du principe de l’effet relatif des traités en lien avec le principe d’autodétermination.
Le Conseil et la Commission ont, chacun, saisi la Cour d’un pourvoi contre ces arrêts.
Appréciation de la Cour
Sur la recevabilité des recours en annulation introduits par le Front Polisario devant le Tribunal
A. Capacité d’ester en justice du Front Polisario
En premier lieu, la Cour rappelle que toute personne physique ou morale peut former, dans certaines conditions, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes règlementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution. Toutefois, la Cour a déjà reconnu la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union à des entités indépendamment de la question de leur constitution en tant que personne morale en droit interne.
Le Front Polisario est un mouvement de libération autoproclamé qui a été créé dans le but de lutter pour l’indépendance, à l’égard du Royaume du Maroc, du territoire non autonome du Sahara occidental et pour la création d’un État sahraoui souverain. Dans la mesure où ce mouvement cherche précisément, en se fondant sur l’exercice du droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental, à établir un ordre juridique étatique pour ce territoire, il ne peut être exigé, afin de lui reconnaître la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union, qu’il soit constitué en tant que personne morale conformément à un ordre juridique national particulier. Par ailleurs, le Front Polisario est l’un des interlocuteurs légitimes dans le cadre du processus mené en vue de la détermination du futur du Sahara occidental sous l’égide du Conseil de sécurité des Nations unies, dont les décisions lient tous les États membres et les institutions de l’Union. Il en résulte que le Front Polisario, qui entretient également des rapports juridiques bilatéraux au niveau international, a une existence juridique suffisante pour pouvoir ester en justice devant les juridictions de l’Union{8}. Par conséquent, la Cour considère que le Tribunal a pu, sans commettre d’erreur de droit, conclure que le Front Polisario avait la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
B. Qualité pour agir en justice du Front Polisario
En second lieu, la Cour examine la qualité pour agir du Front Polisario. Quant au point de savoir si le Front Polisario est directement concerné par les décisions et le règlement attaqué, la Cour rappelle, tout d’abord, les deux conditions devant être cumulativement satisfaites à cet effet, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique de la personne concernée et, d’autre part, qu’elle ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre.
Elle constate, à cet égard, que, par ses recours en annulation devant le Tribunal, le Front Polisario visait à faire protéger le droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental{9} et que c’est, dès lors, à l’aune des effets des actes attaqués et, partant, des accords litigieux sur la situation juridique de ce peuple, qu’il y a lieu d’examiner si le Front Polisario est directement concerné par les actes attaqués.
Elle rappelle que, tout en n’ayant pas été officiellement reconnu comme étant le représentant exclusif du peuple du Sahara occidental, le Front Polisario est, conformément aux résolutions des plus hautes instances des Nations unies, un interlocuteur privilégié en vue de la détermination du futur statut du Sahara occidental. Ces circonstances particulières permettent de considérer que le Front Polisario peut contester devant le juge de l’Union la légalité d’un acte de l’Union qui produit directement des effets sur la situation juridique de ce peuple. À cet égard, les actes attaqués et, par extension, les accords litigieux, satisfont, par l’incidence qu’ils ont sur le droit du peuple du Sahara occidental à l’autodétermination, à la condition légale selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet de son recours. Compte tenu de l’article 73 de la charte des Nations unies et du principe de protection juridictionnelle effective, cette condition doit être appréciée, en l’espèce, par rapport à la situation juridique du peuple du Sahara occidental, lequel est représenté aux fins des présentes affaires par le Front Polisario.
La décision concernant la conclusion d’un accord international constitue, par ailleurs, un acte définitif dans l’ordre juridique interne de l’Union, exprimant la volonté de l’Union d’être liée par cet accord. La Cour, qui n’est pas compétente pour annuler un accord international, rappelle que cette décision constitue un acte attaquable. En revanche, contrairement à ce que soutenaient certaines parties, la notification de l’approbation d’un tel accord à l’autre partie contractante constitue une mesure d’exécution qui, en principe, doit être considérée comme étant un acte qui n’est pas attaquable.
La Cour en conclut que le Front Polisario était directement concerné par les décisions litigieuses et que le Tribunal n’a pas commis d’erreurs de droit à ce sujet.
En ce qui concerne l’affectation individuelle du Front Polisario, la Cour confirme également l’approche retenue par le Tribunal selon laquelle, eu égard aux circonstances ayant conduit à conclure à son affectation directe, il devait être considéré comme individuellement affecté par les décisions attaquées. Elle constate, à cet égard, que le peuple du Sahara occidental, représenté par le Front Polisario, est individuellement concerné par la décision litigieuse dans la mesure où une inclusion expresse du territoire du Sahara occidental dans le champ d’application des accords litigieux, qui lient l’Union en vertu des décisions litigieuses, modifie la situation juridique de ce peuple en raison de sa qualité de titulaire du droit à l’autodétermination par rapport à ce territoire, cette qualité le caractérisant par rapport à toute autre personne ou entité, y compris par rapport à tout autre sujet de droit international.
Sur le consentement du peuple du Sahara occidental aux accords litigieux et sur la portée du contrôle juridictionnel opéré par le Tribunal
Selon les décisions litigieuses, les accords en cause ont été approuvés par l’Union après que la Commission, en lien avec le Service européen pour l’action extérieure, a pris « toutes les mesures raisonnables et possibles […] pour associer de manière appropriée les populations concernées afin de s’assurer de leur consentement aux accords »{10}. Cependant, la Cour relève, à cet égard, que la majeure partie de la population actuelle du Sahara occidental ne fait pas partie du peuple titulaire du droit à l’autodétermination, à savoir le peuple du Sahara occidental, lequel a été en grande partie déplacé. Elle ajoute qu’il existe une différence entre la notion de « population » d’un territoire non autonome et celle de « peuple » de ce territoire. Cette dernière renvoie, en effet, à une unité politique, titulaire du droit à l’autodétermination, alors que la notion de « population » vise les habitants d’un territoire.
La Cour rappelle ensuite que, selon le principe de droit international général de l’effet relatif des traités, ceux-ci ne doivent ni nuire ni profiter à des sujets tiers. Un tiers peut, à cet égard, être affecté par la mise en œuvre d’un accord en cas d’inclusion dans le champ d’application de celui-ci d’un territoire par rapport auquel ledit tiers est souverain ou titulaire du droit à l’autodétermination. La mise en œuvre d’un accord international entre l’Union et le Royaume du Maroc sur le territoire du Sahara occidental doit, dès lors, recevoir le consentement du peuple du Sahara occidental{11}. L’action de l’Union sur la scène internationale devant notamment contribuer au strict respect du droit international et au respect des principes de la charte des Nations unies{12}, la Cour souligne que l’absence de consentement du peuple du Sahara occidental auxdits accords, dont la mise en œuvre s’étend sur le territoire du Sahara occidental ou sur ses eaux adjacentes, est susceptible d’affecter la validité des actes de l’Union portant sur la conclusion de ces accords.
Sur la nécessité du consentement du peuple du Sahara occidental et sur l’identification du Front Polisario comme entité à laquelle il incomberait de l’exprimer
La Cour note, tout d’abord, que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a constaté que les accords litigieux, en ayant accordé aux autorités marocaines certaines compétences dont l’exercice est prévu sur le territoire du Sahara occidental, imposaient une obligation au peuple du Sahara occidental{13}. En effet, si la mise en œuvre des accords litigieux implique que les actes des autorités marocaines accomplis sur le territoire du Sahara occidental ont des effets juridiques modifiant la situation juridique du peuple de ce territoire, ceci ne permet toutefois pas de considérer que lesdits accords créent des obligations juridiques pesant sur ce peuple, en tant que sujet du droit international. À cet égard, les accords litigieux n’impliquent pas la reconnaissance par l’Union de la prétendue souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. De même, le peuple du Sahara occidental n’est pas, par exemple, le destinataire des autorisations de pêche, ou d’autres actes administratifs, établis par les autorités marocaines dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc, qu’il serait tenu de reconnaître, ni des mesures prises par les autorités de l’Union et des États membres à leur égard. La Cour considère, dès lors, que le Tribunal s’est fondé sur une prémisse erronée lorsqu’il a constaté que l’expression du consentement du peuple du Sahara occidental à l’accord litigieux devait être explicite.
Toutefois, la Cour relève que le droit international coutumier ne prévoit pas de forme particulière pour l’expression du consentement d’un sujet tiers à un accord qui lui confère un droit{14} et n’exclut pas qu’un tel consentement puisse être accordé de manière implicite dans certaines circonstances. Ainsi, le consentement d’un peuple d’un territoire non autonome à un accord international par rapport auquel il a la qualité de tiers et dont l’application est prévue sur le territoire auquel se rapporte son droit à l’autodétermination peut être présumé pour autant que deux conditions soient satisfaites. D’une part, l’accord en cause ne doit pas créer d’obligation mise à la charge de ce peuple. D’autre part, il doit, notamment, prévoir que le peuple concerné perçoit lui-même un avantage précis, concret, substantiel et vérifiable découlant de l’exploitation des ressources naturelles de ce territoire, et proportionnel à l’importance de cette exploitation. L’accord en cause doit également prévoir un mécanisme de contrôle régulier permettant de vérifier la réalité de l’avantage accordé au peuple concerné. Le respect de ces conditions s’impose en vue d’assurer la compatibilité d’un tel accord avec le principe, découlant de l’article 73 de la charte des Nations unies et consacré en droit coutumier international, de primauté des intérêts des peuples des territoires non autonomes.
Ces deux conditions satisfaites, le consentement du peuple concerné doit être tenu pour acquis. Partant, la circonstance qu’un mouvement se présentant comme étant le représentant légitime dudit peuple s’oppose à cet accord ne peut, en tant que telle, suffire à remettre en cause l’existence d’un tel consentement. Cette présomption peut néanmoins être renversée pour autant que des représentants légitimes de ce peuple établissent que le régime d’avantage conféré à ce peuple par l’accord en cause, ou encore le mécanisme de contrôle régulier dont il doit être assorti, ne satisfait pas auxdites conditions.
En l’espèce, la Cour constate que les accords litigieux, bien qu’ils modifient la situation juridique du peuple du Sahara occidental en droit de l’Union au regard du droit à l’autodétermination dont il dispose, ne créent pas d’obligations juridiques pesant sur ce peuple, en tant que sujet de droit international. La première des deux conditions est donc satisfaite.
S’agissant de la seconde condition, la Cour conclut qu’un avantage en faveur du peuple du Sahara occidental, répondant aux caractéristiques mentionnées précédemment, fait manifestement défaut dans les accords litigieux. Elle précise encore que, si un accord devait, à l’avenir, bénéficier au peuple du Sahara occidental conformément auxdites exigences, la possibilité que cet accord profite également aux habitants de ce territoire en général ne serait pas susceptible d’empêcher la constatation d’un consentement présumé de ce peuple.
Sur l’invocabilité du droit international
La Cour rappelle que l’Union est tenue d’exercer ses compétences dans le respect du droit international et qu’elle est dès lors compétente, dans le cadre d’un recours en annulation, pour apprécier la compatibilité d’un accord international conclu par l’Union avec les règles de droit international. Conformément aux traités, ces règles lient l’Union, et le contrôle de validité par la Cour de l’acte par lequel l’Union a conclu un tel accord international est susceptible de porter sur la légalité de cet acte au regard du contenu même de l’accord international en cause{15}. Ainsi, le Tribunal a pu, à juste titre, considérer que le principe d’autodétermination et le principe de l’effet relatif des traités étaient invocables dans le cadre du contrôle de validité des décisions litigieuses.
Conclusion
Aucun des moyens soulevés à l’appui des pourvois portés par le Conseil et la Commission n’ayant été accueilli par la Cour, celle-ci les rejette dans leur intégralité.
Sur le maintien des effets des décisions litigieuses en cas de rejet des pourvois présentés par le Conseil et la Commission
Dans les affaires jointes C 778/21 P et C 798/21 P, l’arrêt attaqué avait maintenu les effets de la décision litigieuse jusqu’au prononcé du présent arrêt. Or, le protocole de mise en œuvre de l’accord en cause ayant expiré le 17 juillet 2023 et l’accord de pêche n’autorisant pas lui-même l’accès des navires de l’Union à la « zone de pêche » concernée, la Cour estime que les demandes subsidiaires de la Commission et du Conseil de maintien des effets de la décision litigieuse sont devenues sans objet.
Dans les affaires jointes C 779/21 P et C 799/21 P, l’accord conclu par la décision litigieuse était entré en vigueur le 19 juillet 2019. L’annulation de cette décision, sans que ses effets soient maintenus pour une période limitée, étant susceptible d’entraîner des conséquences négatives graves sur l’action extérieure de l’Union et de remettre en cause la sécurité juridique des engagements internationaux auxquels elle a consenti et qui lient les institutions et les États membres, la Cour décide de maintenir les effets de celle-ci pour une période de douze mois à compter de la date de prononcé de l’arrêt.
{1} Décision (UE) 2019/217 du Conseil, du 28 janvier 2019, relative à la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc sur la modification des protocoles no 1 et no 4 de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part (JO 2019, L 34, p. 1).
{2} Accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part, signé à Bruxelles le 26 février 1996 (JO 2000, L 70, p. 2).
{3} Décision (UE) 2019/441 du Conseil, du 4 mars 2019, relative à la conclusion de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc, de son protocole de mise en œuvre ainsi que de l’échange de lettres accompagnant l’accord (JO 2019, L 77, p. 4)
{4} Règlement (UE) 2019/440 du Conseil, du 29 novembre 2018, relatif à la répartition des possibilités de pêche au titre de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc et de son protocole de mise en œuvre (JO 2019, L 77, p. 1, ci-après « le règlement attaqué »).
{5} Accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et le Royaume du Maroc (JO 2006, L 141, p. 4).
{6} Arrêt du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T 279/19, EU:T:2021:639).
{7} Arrêt du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T 344/19 et T 356/19, EU:T:2021:640).
{8} La Cour précise à cet égard que la question de savoir si cette entité peut légitimement représenter les intérêts du peuple du Sahara occidental concerne sa qualité pour agir dans le cadre d’un recours en annulation concernant la décision litigieuse, et non pas sa capacité d’ester devant le juge de l’Union.
{9} Voir arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C 104/16 P, EU:C:2016:973, points 88, 91 et 105).
{10} Considérant 10 de la décision 2019/217 et considérant 11 de la décision 2019/441.
{11} Voir arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C 104/16 P, EU:C:2016:973, point 106).
{12} Article 3, paragraphe 5, et article 21, paragraphe 1, TUE.
{13} Arrêts du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T 279/19, EU:T:2021:639, points 322 et 323), ainsi que du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T 344/19 et T 356/19, EU:T:2021:640, point 318).
{14} Voir arrêt de la Cour permanente de justice internationale du 7 juin 1932, affaire des « Zones Franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex » (Recueil CPJI 1927, séries A/B, no 46, p. 148).
{15} Arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C 266/16, EU:C:2018:118, points 47 à 51).
302. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Portée - Examen de la légalité d'une décision de la Commission approuvant un plan stratégique national relevant de la politique agricole commune - Examen nécessitant le contrôle de la compatibilité de l'acte national avec le droit de l'Union - Inclusion
Dans le contexte du nouveau cadre juridique régissant la politique agricole commune (PAC) pour la période 2023-2027, le Tribunal précise sa compétence en ce qui concerne le contrôle des décisions de la Commission européenne approuvant les plans stratégiques relevant de la PAC (ci-après le « PSPAC ») et se prononce sur l’imputabilité à l’Union européenne des mesures adoptées par les États membres dans ces PSPAC.
En vertu de l’article 118 du règlement 2021/2115{1}, chaque État membre soumet à la Commission un projet de PSPAC, lequel définit un cadre aux fins de mettre en œuvre les aides de l’Union financées par le FEAGA et le Feader. Le 31 août 2022, la Commission a approuvé une version révisée du projet de PSPAC élaboré par le Royaume d’Espagne pour la période 2023-2027{2}.
Complejo Agrícola Las Lomas, SL, une société espagnole active dans l’acquisition et l’exploitation de terres agricoles, a demandé au Tribunal l’annulation de cette décision d’approbation, en ce que la Commission avait approuvé une mesure contenue dans ce PSPAC selon laquelle le montant maximal de l’aide de base au revenu pour un développement durable à octroyer à un agriculteur en vertu du règlement 2021/2115 ne pourra excéder la somme de 200 000 euros (ci-après la « mesure litigieuse »).
Le Tribunal rejette ce recours comme irrecevable.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal estime que le recours ne saurait être considéré comme ayant été introduit tardivement. En l’espèce, la décision attaquée n’a été ni publiée ni notifiée à la requérante. Dès lors, le délai de recours contre cet acte a commencé à courir, comme le prévoit l’article 263, sixième alinéa, TFUE, lorsque la requérante en a eu connaissance. Dans un tel contexte, le délai de recours ne court qu’à partir du moment où l’intéressé a une connaissance exacte du contenu et des motifs de l’acte en cause, à condition qu’il en demande le texte intégral dans un délai raisonnable à compter de la connaissance de l’existence de l’acte. Ce délai raisonnable pour demander la communication de l’acte n’est pas un délai préfix qui se déduirait automatiquement de la durée du délai de recours en annulation, mais un délai dépendant des circonstances du cas d’espèce.
En deuxième lieu, le Tribunal se déclare compétent pour contrôler la légalité de la décision d’approbation d’un PSPAC en tant qu’acte de l’Union en vertu de l’article 263 TFUE, même si ce contrôle implique nécessairement l’examen notamment de la compatibilité du contenu du PSPAC proposé, qui reste un acte national, avec le droit de l’Union, conformément à l’article 118, paragraphe 4, du règlement 2021/2115{3}.
Le Tribunal constate, à cet égard, que la Commission et les autorités nationales ont des compétences distinctes dans la procédure d’élaboration et d’approbation d’un projet de PSPAC. D’une part, le nouveau mode de gestion de la PAC mis en place par le législateur de l’Union repose sur un système de collaboration qui laisse aux États membres une marge de manœuvre afin d’adapter les interventions aux nécessités et aux besoins spécifiques de leur agriculture nationale tout en prévoyant un contrôle de l’Union pour en assurer la compatibilité avec la PAC. D’autre part, la Commission possède bien un pouvoir décisionnel propre dans le cadre de la procédure d’approbation du projet de PSPAC dont l’exercice emporte nécessairement l’examen du contenu dudit plan. Toutefois, la décision d’approbation d’un projet de PSPAC par la Commission doit être distinguée du projet de PSPAC soumis par un État membre, qui reste un acte national dans le cadre duquel ce dernier exerce sa compétence, notamment, dans le choix des interventions à y intégrer.
Il s’ensuit que le projet de PSPAC espagnol tel qu’approuvé par la Commission ne constitue pas un acte préparatoire de la décision attaquée ou faisant autrement partie de cette dernière. De même, bien que l’acte pris par l’autorité nationale soit une étape nécessaire dans le cadre d’une procédure conduisant à l’adoption d’un acte de l’Union, la Commission n’est pas liée par l’acte national étant donné qu’elle exerce un contrôle de sa conformité avec certaines règles de droit de l’Union et qu’elle peut être amenée à en refuser l’approbation si le projet de PSPAC ne remplit pas des exigences limitativement énumérées par l’article 118, paragraphe 4, du règlement no 2021/2115.
En dernier lieu, le Tribunal accueille l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission, tirée d’un défaut de qualité pour agir de la requérante.
Dans un premier temps, le Tribunal constate que la requérante ne peut pas se fonder sur le troisième cas de figure envisagé par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE pour contester la décision attaquée, dès lors que la décision attaquée comporte à son égard des mesures d’exécution.
En effet, le PSPAC constitue un document sur la base duquel chaque État membre met en œuvre la PAC pour la période allant du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2027. Dans ce cadre, la mise en œuvre de la mesure litigieuse, qui peut produire des effets juridiques sur l’activité économique de la requérante, nécessite des mesures nationales d’exécution. Ainsi, puisque la décision attaquée ne fait qu’approuver le PSPAC espagnol contenant la mesure litigieuse et qu’il incombe au Royaume d’Espagne de la mettre en œuvre ainsi que l’ensemble dudit PSPAC, cette décision ne peut produire ses éventuels effets juridiques à l’égard de la requérante que par l’intermédiaire de mesures nationales d’exécution.
Dans un second temps, le Tribunal estime que la requérante ne peut pas non plus fonder son recours sur le deuxième cas de figure prévu à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans la mesure où elle n’est pas individuellement concernée par la décision attaquée.
Le Tribunal rappelle que, lorsque l’acte affecte un groupe de personnes qui étaient identifiées ou identifiables au moment où cet acte a été pris et en fonction de critères propres aux membres du groupe, ces personnes peuvent être individuellement concernées par cet acte en tant qu’elles font partie d’un cercle restreint d’opérateurs économiques. Il peut en être notamment ainsi lorsque l’acte modifie les droits acquis par le particulier antérieurement à son adoption.
Or, en l’occurrence, le simple fait que la requérante soit une entreprise agricole, bénéficiaire potentielle de contributions financières de l’Union au titre de la PAC, ne suffit pas à l’individualiser et à la caractériser par rapport à toute autre entreprise agricole, dans la mesure où le plafonnement prévu par la mesure litigieuse s’adresse aux entreprises agricoles en raison de leur qualité objective d’agriculteurs au même titre que tout autre opérateur économique se trouvant actuellement ou potentiellement dans une situation identique. De même, le seul fait que la requérante aurait été éligible à percevoir un montant d’aide de base au revenu pour un développement durable supérieur au plafond fixé par la mesure litigieuse n’est pas susceptible de l’individualiser, dans la mesure où ce droit à percevoir l’aide est accordé à une multitude d’opérateurs déterminés objectivement.
De plus, la décision attaquée ne modifie pas les droits acquis de la requérante à percevoir une aide, étant donné qu’elle instaure un nouveau droit pour la PAC pour la période allant du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2027. Par ailleurs, à la date d’adoption de la décision attaquée, les exploitants agricoles à l’égard desquels le plafonnement de la mesure litigeuse devait être appliqué n’étaient nullement identifiables, dès lors que l’application de la mesure litigieuse présupposait que les exploitants concernés introduisent une demande sur le fondement du cadre juridique national établi par le Royaume d’Espagne en application du PSPAC tel qu’approuvé par la Commission.
Dès lors, la requérante n’est concernée par la décision attaquée qu’en raison de sa qualité objective d’entreprise agricole, au même titre que tout autre opérateur économique se trouvant actuellement ou potentiellement dans une situation identique.
Le Tribunal ajoute que l’argument tiré de l’absence d’une protection juridictionnelle effective avancé par la requérante ne permet pas de fonder la recevabilité du recours. En effet, cette protection n’exige pas qu’un justiciable puisse de manière inconditionnelle intenter un recours en annulation, directement devant la juridiction de l’Union, contre des actes de l’Union. En outre, elle doit s’apprécier en tenant compte également de la protection offerte par les juridictions nationales. Or, en l’espèce, la mesure litigieuse requiert des mesures nationales d’exécution.
Par conséquent, le Tribunal déclare le recours irrecevable.
{1} Règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil, du 2 décembre 2021, établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (plans stratégiques relevant de la PAC) et financés par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), et abrogeant les règlements (UE) no 1305/2013 et (UE) no 1307/2013 (JO 2021, L 435, p. 1).
{2} Décision d’exécution C(2022) 6017 final de la Commission, du 31 août 2022, portant approbation du plan stratégique de l’Espagne relevant de la PAC 2023-2027, en vue d’une aide de l’Union financée par le [FEAGA] et le [Feader] (ci-après la « décision attaquée »).
{3} Cette disposition fixe les critères d’approbation des PSPAC, à savoir, notamment, la compatibilité du plan avec l’article 9 et les autres exigences énoncées dans le règlement 2021/2115 et dans le règlement (UE) 2021/2116 du Parlement européen et du Conseil, du 2 décembre 2021, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (UE) no 1306/2013 (JO 2021, L 435, p. 187), ainsi qu’avec les actes délégués et d’exécution adoptés en application de ces actes.
Ordonnance du 17 octobre 2024, Acqua & Sole / Commission (T-39/23) (cf. points 34, 48-53, 56-58)
Ordonnance du 17 octobre 2024, Alan e.a. / Commission (T-69/23) (cf. points 34, 48-53, 56-58)
303. Recours en annulation - Compétence du juge de l'Union - Portée - Interdiction de statuer ultra petita - Obligation de respecter le cadre du litige défini par les parties - Arguments soulevés par la partie requérante au soutien d'un moyen précis - Appréciation desdits arguments également au soutien d'un autre moyen avancé par la partie requérante - Admissibilité
Le Tribunal, réuni en chambre élargie, confirme pour l’essentiel la décision de la Commission européenne{1} constatant que les banques Crédit agricole SA et Crédit agricole Corporate and Investment Bank (ci-après « Crédit agricole ») ainsi que Credit Suisse Group AG et Credit Suisse Securities (Europe) Ltd (ci-après « Credit Suisse ») ont participé à un cartel dans le secteur des obligations supra-souveraines, des obligations souveraines et des obligations d’organismes publics libellées en dollars des États-Unis (ci-après les « OSSA »). Ainsi, le Tribunal maintient les amendes imposées auxdites banques pour violation de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE).
En 2015, Deutsche Bank a saisi la Commission d’une demande de clémence en l’informant de l’existence d’un cartel sur le marché secondaire des OSSA. Les OSSA constituent des titres de créance permettant à leur émetteur de lever des fonds pour financer certaines dépenses ou certains investissements. Elles sont proposées à la vente pour la première fois par, ou pour le compte de, leur émetteur sur le marché primaire. Ensuite, elles sont échangées « de gré à gré » entre investisseurs sur le marché secondaire, sans bourse centrale.
Sur ce marché secondaire, les banques tentent de générer des revenus en captant la différence entre le cours acheteur et le cours vendeur des OSSA.
Ayant ouvert une enquête en vue d’examiner les pratiques dénoncées par Deutsche Bank, la Commission a constaté que les traders de plusieurs banques, parmi lesquelles figurent Crédit agricole et Credit Suisse, avaient collaboré et échangé des informations afin d’obtenir un avantage concurrentiel sur le marché secondaire des OSSA. Estimant, en outre, que ces comportements faisaient partie d’un plan global poursuivant un même objectif anticoncurrentiel, la Commission a considéré que les banques concernées avaient commis une infraction unique et continue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE par la conclusion d’accords ou par la mise en œuvre de pratiques concertées ayant pour objet de restreindre ou de fausser la concurrence dans le secteur des OSSA dans l’EEE. Par conséquent, des amendes à hauteur de 3 993 000 euros et 11 859 000 euros ont été respectivement imposées à Crédit agricole et à Credit Suisse.
UBS Group AG, venant aux droits de Credit Suisse, ainsi que Crédit agricole ont saisi le Tribunal de deux recours en annulation de la décision de la Commission en ce qu’elle les concerne. Crédit agricole a également demandé au Tribunal de réduire le montant de l’amende qui lui avait été imposée, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction prévue à l’article 261 TFUE et à l’article 31 du règlement no 1/2003.
Appréciation du Tribunal
À titre liminaire, le Tribunal relève que, dans la décision attaquée, la Commission a retenu l’existence d’une seule infraction unique et continue commise par Crédit agricole. Ainsi, il écarte les arguments de cette banque tirés du fait que la Commission aurait constaté l’existence de cinq infractions autonomes revêtant la qualification de « restriction par objet », comme étant fondés sur une lecture erronée de la décision attaquée.
Ensuite, le Tribunal précise que les moyens en annulation des requérantes s’articulent, en substance, autour de trois catégories de critiques qui sont tirées :
- premièrement, d’erreurs dans la qualification des comportements en cause d’« infraction unique et continue » à l’article 101, paragraphe 1, TFUE ainsi que de l’étendue de leur participation à cette infraction,
- deuxièmement, d’erreurs dans la qualification de cette infraction de « restriction par objet » et,
- troisièmement, d’erreurs dans la détermination du montant des amendes imposées.
Avant d’aborder ces trois séries de moyens communs aux deux recours, le Tribunal examine au préalable le moyen de Crédit agricole tiré d’une violation du principe de la présomption d’innocence.
Sur le respect de la présomption d’innocence
S’agissant du respect de la présomption d’innocence, le Crédit agricole avançait, d’une part, que la Commission aurait à tort présumé que les traders impliqués et, en particulier, le sien avaient connaissance de toutes les informations échangées sur les forums de discussions permanents auxquels ils étaient connectés, indépendamment de leur participation active auxdits échanges.
Ce grief est rejeté par le Tribunal, qui souligne que les forums en cause étaient caractérisés par la délivrance en temps réel des messages à toutes les personnes connectées. Au regard de cette particularité, la Commission était en droit d’estimer que Crédit agricole avait eu connaissance des discussions tenues sur ces forums dès que son trader y était connecté, quand bien même ce dernier n’aurait pas participé activement à ces discussions ou encore quand bien même il aurait eu à sa disposition de nombreuses autres sources d’informations concomitantes. Il n’aurait pu en être différemment que si Crédit agricole avait démontré, au moyen d’éléments de preuve certains et précisément horodatés, que son trader n’avait effectivement pas pris connaissance du ou des messages incriminés. Or, une telle preuve n’avait pas été apportée par Crédit agricole. En ce sens, les modalités des discussions concernées diffèrent de celles ayant donné lieu à l’arrêt Eturas e.a.{2}.
En revanche, et d’autre part, le Tribunal constate que la Commission a violé le principe de la présomption d’innocence en fixant le point de départ de la participation de Crédit agricole à l’infraction à la date de la première connexion de son trader au forum de discussions litigieux avec les identifiants de cette banque, intervenue le 10 janvier 2013.
En effet, afin de retenir cette première connexion comme preuve d’un comportement anticoncurrentiel marquant le début de la participation de Crédit agricole à l’infraction, il appartenait à la Commission de démontrer que, le jour même de cette première connexion, le trader de Crédit agricole avait à tout le moins assisté passivement à une discussion anticoncurrentielle. Or, en l’espèce, il ne ressort ni de la décision attaquée ni du dossier à la disposition du Tribunal que des messages de nature anticoncurrentielle ont été échangés sur le forum de discussions en cause le 10 janvier 2013 après la première connexion du trader de Crédit agricole.
Sur la participation des requérantes à une infraction unique et continue
En ce qui concerne les moyens contestant la qualification des comportements en cause d’« infraction unique et continue » imputable aux requérantes, le Tribunal observe, dans un premier temps, que seuls des comportements relevant d’un « plan d’ensemble » poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique peuvent être qualifiés d’infraction unique et continue.
Concernant le caractère unique de l’infraction, le Tribunal estime que la Commission a correctement considéré que l’objectif anticoncurrentiel unique poursuivi par les traders des banques concernées était de maximiser les revenus de ces dernières tout en limitant les pertes qui pouvaient résulter de l’incertitude liée aux comportements des autres traders.
La Commission ayant démontré à suffisance de droit que les comportements adoptés par les traders des banques concernées entre le mois de janvier 2010 et le mois de février 2013 s’inscrivaient dans un plan d’ensemble poursuivant cet objectif anticoncurrentiel unique, le Tribunal considère, en outre, que l’interdiction adressée par Deutsche Bank, en février 2013, à ses traders d’utiliser des forums de discussions multilatéraux permanents n’a pas empêché les traders des banques concernées de réaliser ledit objectif. Sur ce point, le Tribunal indique que le caractère unique d’une infraction résulte de l’unicité de l’objectif poursuivi par les participants à l’entente. Or, il n’était pas contesté que les traders des banques concernées avaient contourné l’interdiction adressée aux traders de Deutsche Bank en février 2013 au moyen d’un réseau de discussions bilatérales, qui fonctionnaient de la même manière que les forums de discussions multilatéraux permanents.
Concernant le caractère continu de l’infraction, le Tribunal confirme que le contexte du fonctionnement de l’entente constatée permet de soutenir la conclusion de la Commission selon laquelle les banques concernées avaient participé à une infraction continue entre janvier 2010 et mars 2015. En effet, si les échanges entre les traders desdites banques sont devenus moins fréquents après février 2013, il n’en reste pas moins qu’ils ont poursuivi leurs discussions à caractère anticoncurrentiel d’une manière récurrente, en échangeant librement des informations sur leurs activités de négociation en cours.
L’argument de Crédit agricole tiré de son absence de participation à l’infraction au cours de certaines périodes n’est pas non plus de nature à remettre en cause le caractère continu de l’infraction dans son ensemble dès lors que les interruptions invoquées par cette banque ne tiennent pas compte du comportement des autres participants.
Concernant l’imputabilité aux requérantes de l’infraction unique et continue, le Tribunal rappelle, dans un second temps, que cette imputabilité doit être appréciée au regard de deux éléments, à savoir, premièrement, leur contribution intentionnelle aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des banques concernées et, deuxièmement, leur connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par ces banques dans la poursuite des mêmes objectifs ou le fait qu’elles avaient pu raisonnablement les prévoir et avaient été prêtes à en accepter le risque.
Cette précision étant faite, le Tribunal écarte l’ensemble des arguments avancés par les requérantes afin de contester tant leur contribution intentionnelle au plan d’ensemble identifié par la Commission que leur connaissance de l’ensemble des comportements infractionnels en cause ou, le cas échéant, leur capacité de les prévoir.
Dans ce contexte, le Tribunal note que la conclusion de la Commission selon laquelle Crédit agricole pouvait, à tout le moins, raisonnablement prévoir l’ensemble des comportements infractionnels des autres banques est notamment corroborée par le fait que, avant de prendre ses fonctions chez Crédit agricole, son trader avait, en qualité de trader d’une autre banque, participé directement aux comportements infractionnels en cause.
Sur ce point, le Tribunal souligne que les connaissances acquises par un employé antérieurement à son arrivée au service d’une nouvelle entreprise et que celui-ci met de fait à la disposition de ce nouvel employeur peuvent être considérées comme des connaissances partagées par son nouvel employeur. Il est, en outre, de jurisprudence constante que la Commission peut s’appuyer sur des contacts antérieurs ou postérieurs à la période de l’infraction afin de construire une image globale et de montrer les étapes préparatoires de l’entente ainsi que pour corroborer l’interprétation de certains éléments de preuve.
À la lumière de ce qui précède, le Tribunal rejette l’ensemble des griefs des requérantes contestant, d’une part, la qualification des comportements en cause d’« infraction unique et continue » et, d’autre part, l’imputabilité de cette infraction aux requérantes.
Sur la qualification des comportements en cause de « restriction par objet »
En se référant à la jurisprudence de la Cour, le Tribunal rappelle que, aux fins de la qualification des comportements en cause de « restriction par objet », il appartenait à la Commission de démontrer que ces comportements présentaient non un seuil extrêmement élevé de nocivité à l’égard de la concurrence, comme le faisait valoir Crédit agricole, mais seulement un degré suffisant de nocivité à l’égard de celle-ci.
Le Tribunal précise, en outre, que l’appréciation du degré de nocivité d’un comportement à l’égard de la concurrence doit être effectuée au regard des caractéristiques objectives dudit comportement et sans considération de la situation particulière de chaque entreprise y ayant participé. Ainsi, le rôle mineur d’une entreprise dans une entente n’est pas de nature à influencer la qualification de « restriction par objet » de cette entente à l’égard de l’ensemble des entreprises y ayant participé. Pour les mêmes raisons, Crédit agricole ne saurait utilement se prévaloir, pour contester la qualification des comportements en cause de « restriction par objet », du fait qu’elle n’a pas participé à certaines discussions.
Au regard de ces précisions, le Tribunal rejette ensuite les griefs des requérantes tirés d’erreurs commises par la Commission, premièrement, dans l’appréciation du contexte économique des comportements en cause, deuxièmement, dans l’appréciation de leur nocivité à l’égard de la concurrence ainsi que, troisièmement, dans l’appréciation de leur caractère justifié en raison de leurs effets proconcurrentiels.
En ce qui concerne, en premier lieu, l’appréciation du contexte économique des comportements en cause, le Tribunal constate que si, dans un marché complexe comme en l’espèce, la Commission ne peut pas limiter son analyse de ce contexte à ce qui s’avère strictement nécessaire en vue de conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, les requérantes sont restées en défaut de démontrer une quelconque insuffisance de l’analyse du contexte économique et juridique effectuée par la Commission.
S’agissant, en deuxième lieu, de l’appréciation de la nocivité des comportements en cause à l’égard de la concurrence, le Tribunal entérine la conclusion de la Commission selon laquelle, sur le marché secondaire des OSSA, les échanges d’informations commerciales sensibles intervenus entre les banques concernées, qui étaient tous des « teneurs de marchés »{3}, présentaient un caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence pour contribuer à la qualification des comportements examinés, dans leur ensemble, de « restriction par objet ».
Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’allégation de Crédit agricole tirée du fait que le marché secondaire des OSSA serait un marché connaissant une importante asymétrie d’information entre les teneurs de marchés, de sorte que l’accroissement de cette asymétrie préexistante du fait des échanges d’informations en cause ne présenterait pas une nocivité suffisante à l’égard de la concurrence. En effet, même à supposer que cette asymétrie d’information existe, l’argumentation de Crédit agricole se heurte à l’effet utile qu’il convient de garantir à la notion de « restriction par objet » et plus largement de l’article 101 TFUE.
Pour ce qui est, en troisième lieu, des arguments des requérantes selon lesquels les comportements en cause seraient justifiés au regard de leurs effets proconcurrentiels, le Tribunal rappelle que les effets proconcurrentiels allégués par les requérantes n’ont pas lieu, en tant que tels, d’être pris en considération au stade de la qualification des comportements en cause en tant que « restriction par objet ».
En tout état de cause, même à supposer que les effets « favorables » allégués des comportements en cause puissent ou doivent être pris en considération, à un titre ou à un autre, aux fins de leur qualification de « restriction par objet », les requérantes n’ont pas démontré l’existence d’implications favorables de nature à remettre en cause la qualification de « restriction par objet » desdits comportements.
En ce que les requérantes présentaient les comportements en cause également comme des « restrictions accessoires » à l’exécution de leur fonction de teneur de marché d’OSSA, le Tribunal observe que la jurisprudence relative à l’exception des restrictions accessoires à des accords légitimes n’est, en tout état de cause, pas applicable en l’espèce vu que les requérantes n’avaient pas démontré que leur activité de teneur de marché aurait été impossible en l’absence des comportements infractionnels.
De surcroît, le Tribunal écarte les arguments tirés du fait que les teneurs de marché d’OSSA seraient systématiquement désavantagées sur le plan informationnel par rapport aux contreparties qui n’assuraient pas une présence permanente sur le marché, de sorte qu’elles devaient compenser ce déficit d’informations en recherchant des informations auprès d’un certain nombre de sources.
En effet, il ne saurait être accepté que des entreprises essaient de pallier les effets de situations factuelles qu’elles considèrent comme excessivement défavorables, telles que d’éventuelles asymétries de risques existants entre les opérateurs d’un marché, par des pratiques collusoires ayant pour objet de corriger ces désavantages. De telles situations factuelles ne sauraient légitimer une violation de l’article 101 TFUE, d’autant plus que les requérantes n’agissaient pas sur le marché secondaire des OSSA uniquement en tant que teneurs de marché et qu’elles exerçaient cette activité de manière volontaire.
Sur la détermination du montant des amendes imposées aux requérantes
Pour déterminer le montant des amendes imposées aux requérantes, la Commission a, en substance, suivi la méthode prévue par les lignes directrices de 2006{4}. Néanmoins, en ce qui concerne le calcul des montants de base, la Commission a décidé d’utiliser une valeur de remplacement au lieu de la valeur des ventes prévue au point 13 desdites lignes directrices. Comme point de départ du calcul de cette valeur de remplacement, la Commission a retenu les volumes et les valeurs notionnels annualisés des OSSA (ci-après les « montants notionnels annualisés ») que les banques concernées ont échangés au cours de leur période individuelle de participation à l’infraction litigieuse. Ces montants notionnels annualisés ont ensuite été multipliés par un facteur d’ajustement que la Commission a construit en utilisant 33 catégories d’OSSA représentatives, émises par huit émetteurs.
Dans ce contexte, les requérantes reprochaient notamment à la Commission d’avoir violé les lignes directrices de 2006 en s’appuyant sur un jeu d’OSSA représentatives et non pas sur les données de leurs propres transactions pour le calcul du facteur d’ajustement ainsi qu’en utilisant des données publiques issues de la plateforme Bloomberg, qui gonfleraient ce facteur d’ajustement (ci-après les « données BGN »).
Credit Suisse reprochait, en outre, à la Commission d’avoir surestimé la valeur de remplacement en incluant dans les montants notionnels retenus à son égard les opérations relatives à l’achat de liquidités (hedging).
À titre liminaire, le Tribunal constate que, si, en adoptant les lignes directrices de 2006, la Commission s’est autolimitée dans l’exercice du large pouvoir d’appréciation dont elle bénéficie pour ce qui est de la méthode de calcul des amendes, elle dispose de la faculté de s’en écarter, à condition de motiver et de justifier son choix à suffisance de droit.
Toutefois, lorsque la Commission s’écarte des lignes directrices de 2006 non dans leur ensemble - comme le point 37 l’y autorise - mais uniquement, comme en l’espèce, du point 13, elle ne saurait s’affranchir des principes directeurs ainsi que de la logique sous jacente desdites lignes directrices. Ainsi, dans la mise en œuvre de la méthodologie qu’elle définit, il lui appartient, notamment, de veiller à prendre en considération les meilleures données disponibles, sous le contrôle approfondi, en droit comme en fait, du juge de l’Union.
À la lumière de ces précisions, le Tribunal note, en premier lieu, que, dans la décision attaquée, la Commission a motivé et justifié à suffisance de droit son choix d’écarter la méthodologie prévue au point 13 des lignes directrices et de fonder son calcul du montant de base sur une valeur de remplacement de la valeur des ventes qui a été élaboré en multipliant les montants notionnels annualisés de chacune des banques concernées par un facteur d’ajustement, calculé sur la base de l’échantillon de 33 catégories d’OSSA.
Dans ce cadre, le Tribunal rejette les arguments des requérantes selon lesquels la Commission aurait dû retenir une méthodologie de calcul du facteur d’ajustement fondée sur leurs propres transactions.
À cet égard, le Tribunal indique qu’une méthodologie fondée sur les données de transactions des banques concernées supposerait d’effectuer des calculs d’une complexité bien supérieure à ceux déjà complexes effectués en l’espèce, alors même que le caractère représentatif des OSSA retenues garantit justement que les données prises en considération conservent un caractère pertinent pour le calcul de l’amende et permettent de refléter l’importance économique de l’infraction litigieuse avec le degré de précision requis par la jurisprudence. Or, une telle méthodologie alternative ferait peser sur la Commission une charge administrative disproportionnée.
En deuxième lieu, le Tribunal écarte les arguments des requérantes tirés du fait que les données BGN que la Commission avait utilisées étaient inadéquates aux fins du calcul de la valeur de remplacement en ce qu’elles gonfleraient le facteur d’ajustement.
Après avoir rappelé qu’il appartenait à la Commission de veiller à prendre en considération les meilleures données disponibles, le Tribunal relève que, dans la décision attaquée, la Commission avait écarté de façon motivée les arguments dont se sont prévalues les banques concernées au cours de la procédure administrative pour contester le recours aux données BGN. Il s’ensuit que les requérantes ne sauraient se limiter à faire valoir devant le Tribunal que les données utilisées par la Commission souffrent d’une ou plusieurs insuffisances, mais, au contraire, doivent démontrer que, dans le cadre de la méthodologie que cette institution a légalement déterminée, il existe effectivement des données meilleures que celles retenues par cette institution et que celles-ci sont effectivement disponibles.
En constatant que les requérantes n’ont pas été en mesure de présenter des données meilleures que celles retenues par la Commission, le Tribunal rejette, en outre, la critique de Credit Suisse tirée du caractère inconnu du mode d’élaboration des données BGN. Sur ce point, le Tribunal souligne que les données BGN constituent des données de référence parmi les traders, qui sont élaborées par un tiers à la procédure sur la base des prix de plusieurs opérateurs. Dès lors, il ne saurait valablement être soutenu que, au motif du caractère partiellement inconnu de leur mode d’élaboration, de telles données de référence ne sauraient être employées par la Commission, tout particulièrement lorsque Credit Suisse n’a nullement fait état de plateformes de marché fournissant des informations plus exactes ou plus pertinentes que la plateforme Bloomberg.
Selon le Tribunal, la Commission ne pouvait pas non plus se voir opposer le fait d’avoir utilisé des données ne reflétant pas à tous égards la situation de Credit Suisse, lorsque justement cette institution ne disposait pas de données exactes suffisamment représentatives et que, en conséquence, elle a été dans l’obligation de recourir à une méthodologie s’appuyant sur des données alternatives nécessairement moins précises, afin de reconstituer une valeur de remplacement.
En troisième lieu, le Tribunal rejette le grief de Credit Suisse selon lequel la Commission aurait surestimé la valeur de remplacement de la valeur des ventes en incluant dans les montants notionnels retenus à son égard les opérations relatives à l’achat de liquidités.
Sur ce point, le Tribunal rappelle que, dans le cadre des lignes directrices de 2006, la notion de « valeur de remplacement », à l’instar de celle de « valeur des ventes », vise à retenir comme point de départ pour le calcul de l’amende infligée à une entreprise un montant qui reflète l’importance économique de l’infrac...
304. Recours en annulation - Décision constatant une infraction aux règles de concurrence - Décision adoptée à l'égard de plusieurs entreprises - Décision devant s'analyser comme un faisceau de décisions individuelles - Conséquences
Le Tribunal, réuni en chambre élargie, confirme pour l’essentiel la décision de la Commission européenne{1} constatant que les banques Crédit agricole SA et Crédit agricole Corporate and Investment Bank (ci-après « Crédit agricole ») ainsi que Credit Suisse Group AG et Credit Suisse Securities (Europe) Ltd (ci-après « Credit Suisse ») ont participé à un cartel dans le secteur des obligations supra-souveraines, des obligations souveraines et des obligations d’organismes publics libellées en dollars des États-Unis (ci-après les « OSSA »). Ainsi, le Tribunal maintient les amendes imposées auxdites banques pour violation de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE).
En 2015, Deutsche Bank a saisi la Commission d’une demande de clémence en l’informant de l’existence d’un cartel sur le marché secondaire des OSSA. Les OSSA constituent des titres de créance permettant à leur émetteur de lever des fonds pour financer certaines dépenses ou certains investissements. Elles sont proposées à la vente pour la première fois par, ou pour le compte de, leur émetteur sur le marché primaire. Ensuite, elles sont échangées « de gré à gré » entre investisseurs sur le marché secondaire, sans bourse centrale.
Sur ce marché secondaire, les banques tentent de générer des revenus en captant la différence entre le cours acheteur et le cours vendeur des OSSA.
Ayant ouvert une enquête en vue d’examiner les pratiques dénoncées par Deutsche Bank, la Commission a constaté que les traders de plusieurs banques, parmi lesquelles figurent Crédit agricole et Credit Suisse, avaient collaboré et échangé des informations afin d’obtenir un avantage concurrentiel sur le marché secondaire des OSSA. Estimant, en outre, que ces comportements faisaient partie d’un plan global poursuivant un même objectif anticoncurrentiel, la Commission a considéré que les banques concernées avaient commis une infraction unique et continue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE par la conclusion d’accords ou par la mise en œuvre de pratiques concertées ayant pour objet de restreindre ou de fausser la concurrence dans le secteur des OSSA dans l’EEE. Par conséquent, des amendes à hauteur de 3 993 000 euros et 11 859 000 euros ont été respectivement imposées à Crédit agricole et à Credit Suisse.
UBS Group AG, venant aux droits de Credit Suisse, ainsi que Crédit agricole ont saisi le Tribunal de deux recours en annulation de la décision de la Commission en ce qu’elle les concerne. Crédit agricole a également demandé au Tribunal de réduire le montant de l’amende qui lui avait été imposée, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction prévue à l’article 261 TFUE et à l’article 31 du règlement no 1/2003.
Appréciation du Tribunal
À titre liminaire, le Tribunal relève que, dans la décision attaquée, la Commission a retenu l’existence d’une seule infraction unique et continue commise par Crédit agricole. Ainsi, il écarte les arguments de cette banque tirés du fait que la Commission aurait constaté l’existence de cinq infractions autonomes revêtant la qualification de « restriction par objet », comme étant fondés sur une lecture erronée de la décision attaquée.
Ensuite, le Tribunal précise que les moyens en annulation des requérantes s’articulent, en substance, autour de trois catégories de critiques qui sont tirées :
- premièrement, d’erreurs dans la qualification des comportements en cause d’« infraction unique et continue » à l’article 101, paragraphe 1, TFUE ainsi que de l’étendue de leur participation à cette infraction,
- deuxièmement, d’erreurs dans la qualification de cette infraction de « restriction par objet » et,
- troisièmement, d’erreurs dans la détermination du montant des amendes imposées.
Avant d’aborder ces trois séries de moyens communs aux deux recours, le Tribunal examine au préalable le moyen de Crédit agricole tiré d’une violation du principe de la présomption d’innocence.
Sur le respect de la présomption d’innocence
S’agissant du respect de la présomption d’innocence, le Crédit agricole avançait, d’une part, que la Commission aurait à tort présumé que les traders impliqués et, en particulier, le sien avaient connaissance de toutes les informations échangées sur les forums de discussions permanents auxquels ils étaient connectés, indépendamment de leur participation active auxdits échanges.
Ce grief est rejeté par le Tribunal, qui souligne que les forums en cause étaient caractérisés par la délivrance en temps réel des messages à toutes les personnes connectées. Au regard de cette particularité, la Commission était en droit d’estimer que Crédit agricole avait eu connaissance des discussions tenues sur ces forums dès que son trader y était connecté, quand bien même ce dernier n’aurait pas participé activement à ces discussions ou encore quand bien même il aurait eu à sa disposition de nombreuses autres sources d’informations concomitantes. Il n’aurait pu en être différemment que si Crédit agricole avait démontré, au moyen d’éléments de preuve certains et précisément horodatés, que son trader n’avait effectivement pas pris connaissance du ou des messages incriminés. Or, une telle preuve n’avait pas été apportée par Crédit agricole. En ce sens, les modalités des discussions concernées diffèrent de celles ayant donné lieu à l’arrêt Eturas e.a.{2}.
En revanche, et d’autre part, le Tribunal constate que la Commission a violé le principe de la présomption d’innocence en fixant le point de départ de la participation de Crédit agricole à l’infraction à la date de la première connexion de son trader au forum de discussions litigieux avec les identifiants de cette banque, intervenue le 10 janvier 2013.
En effet, afin de retenir cette première connexion comme preuve d’un comportement anticoncurrentiel marquant le début de la participation de Crédit agricole à l’infraction, il appartenait à la Commission de démontrer que, le jour même de cette première connexion, le trader de Crédit agricole avait à tout le moins assisté passivement à une discussion anticoncurrentielle. Or, en l’espèce, il ne ressort ni de la décision attaquée ni du dossier à la disposition du Tribunal que des messages de nature anticoncurrentielle ont été échangés sur le forum de discussions en cause le 10 janvier 2013 après la première connexion du trader de Crédit agricole.
Sur la participation des requérantes à une infraction unique et continue
En ce qui concerne les moyens contestant la qualification des comportements en cause d’« infraction unique et continue » imputable aux requérantes, le Tribunal observe, dans un premier temps, que seuls des comportements relevant d’un « plan d’ensemble » poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique peuvent être qualifiés d’infraction unique et continue.
Concernant le caractère unique de l’infraction, le Tribunal estime que la Commission a correctement considéré que l’objectif anticoncurrentiel unique poursuivi par les traders des banques concernées était de maximiser les revenus de ces dernières tout en limitant les pertes qui pouvaient résulter de l’incertitude liée aux comportements des autres traders.
La Commission ayant démontré à suffisance de droit que les comportements adoptés par les traders des banques concernées entre le mois de janvier 2010 et le mois de février 2013 s’inscrivaient dans un plan d’ensemble poursuivant cet objectif anticoncurrentiel unique, le Tribunal considère, en outre, que l’interdiction adressée par Deutsche Bank, en février 2013, à ses traders d’utiliser des forums de discussions multilatéraux permanents n’a pas empêché les traders des banques concernées de réaliser ledit objectif. Sur ce point, le Tribunal indique que le caractère unique d’une infraction résulte de l’unicité de l’objectif poursuivi par les participants à l’entente. Or, il n’était pas contesté que les traders des banques concernées avaient contourné l’interdiction adressée aux traders de Deutsche Bank en février 2013 au moyen d’un réseau de discussions bilatérales, qui fonctionnaient de la même manière que les forums de discussions multilatéraux permanents.
Concernant le caractère continu de l’infraction, le Tribunal confirme que le contexte du fonctionnement de l’entente constatée permet de soutenir la conclusion de la Commission selon laquelle les banques concernées avaient participé à une infraction continue entre janvier 2010 et mars 2015. En effet, si les échanges entre les traders desdites banques sont devenus moins fréquents après février 2013, il n’en reste pas moins qu’ils ont poursuivi leurs discussions à caractère anticoncurrentiel d’une manière récurrente, en échangeant librement des informations sur leurs activités de négociation en cours.
L’argument de Crédit agricole tiré de son absence de participation à l’infraction au cours de certaines périodes n’est pas non plus de nature à remettre en cause le caractère continu de l’infraction dans son ensemble dès lors que les interruptions invoquées par cette banque ne tiennent pas compte du comportement des autres participants.
Concernant l’imputabilité aux requérantes de l’infraction unique et continue, le Tribunal rappelle, dans un second temps, que cette imputabilité doit être appréciée au regard de deux éléments, à savoir, premièrement, leur contribution intentionnelle aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des banques concernées et, deuxièmement, leur connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par ces banques dans la poursuite des mêmes objectifs ou le fait qu’elles avaient pu raisonnablement les prévoir et avaient été prêtes à en accepter le risque.
Cette précision étant faite, le Tribunal écarte l’ensemble des arguments avancés par les requérantes afin de contester tant leur contribution intentionnelle au plan d’ensemble identifié par la Commission que leur connaissance de l’ensemble des comportements infractionnels en cause ou, le cas échéant, leur capacité de les prévoir.
Dans ce contexte, le Tribunal note que la conclusion de la Commission selon laquelle Crédit agricole pouvait, à tout le moins, raisonnablement prévoir l’ensemble des comportements infractionnels des autres banques est notamment corroborée par le fait que, avant de prendre ses fonctions chez Crédit agricole, son trader avait, en qualité de trader d’une autre banque, participé directement aux comportements infractionnels en cause.
Sur ce point, le Tribunal souligne que les connaissances acquises par un employé antérieurement à son arrivée au service d’une nouvelle entreprise et que celui-ci met de fait à la disposition de ce nouvel employeur peuvent être considérées comme des connaissances partagées par son nouvel employeur. Il est, en outre, de jurisprudence constante que la Commission peut s’appuyer sur des contacts antérieurs ou postérieurs à la période de l’infraction afin de construire une image globale et de montrer les étapes préparatoires de l’entente ainsi que pour corroborer l’interprétation de certains éléments de preuve.
À la lumière de ce qui précède, le Tribunal rejette l’ensemble des griefs des requérantes contestant, d’une part, la qualification des comportements en cause d’« infraction unique et continue » et, d’autre part, l’imputabilité de cette infraction aux requérantes.
Sur la qualification des comportements en cause de « restriction par objet »
En se référant à la jurisprudence de la Cour, le Tribunal rappelle que, aux fins de la qualification des comportements en cause de « restriction par objet », il appartenait à la Commission de démontrer que ces comportements présentaient non un seuil extrêmement élevé de nocivité à l’égard de la concurrence, comme le faisait valoir Crédit agricole, mais seulement un degré suffisant de nocivité à l’égard de celle-ci.
Le Tribunal précise, en outre, que l’appréciation du degré de nocivité d’un comportement à l’égard de la concurrence doit être effectuée au regard des caractéristiques objectives dudit comportement et sans considération de la situation particulière de chaque entreprise y ayant participé. Ainsi, le rôle mineur d’une entreprise dans une entente n’est pas de nature à influencer la qualification de « restriction par objet » de cette entente à l’égard de l’ensemble des entreprises y ayant participé. Pour les mêmes raisons, Crédit agricole ne saurait utilement se prévaloir, pour contester la qualification des comportements en cause de « restriction par objet », du fait qu’elle n’a pas participé à certaines discussions.
Au regard de ces précisions, le Tribunal rejette ensuite les griefs des requérantes tirés d’erreurs commises par la Commission, premièrement, dans l’appréciation du contexte économique des comportements en cause, deuxièmement, dans l’appréciation de leur nocivité à l’égard de la concurrence ainsi que, troisièmement, dans l’appréciation de leur caractère justifié en raison de leurs effets proconcurrentiels.
En ce qui concerne, en premier lieu, l’appréciation du contexte économique des comportements en cause, le Tribunal constate que si, dans un marché complexe comme en l’espèce, la Commission ne peut pas limiter son analyse de ce contexte à ce qui s’avère strictement nécessaire en vue de conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, les requérantes sont restées en défaut de démontrer une quelconque insuffisance de l’analyse du contexte économique et juridique effectuée par la Commission.
S’agissant, en deuxième lieu, de l’appréciation de la nocivité des comportements en cause à l’égard de la concurrence, le Tribunal entérine la conclusion de la Commission selon laquelle, sur le marché secondaire des OSSA, les échanges d’informations commerciales sensibles intervenus entre les banques concernées, qui étaient tous des « teneurs de marchés »{3}, présentaient un caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence pour contribuer à la qualification des comportements examinés, dans leur ensemble, de « restriction par objet ».
Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’allégation de Crédit agricole tirée du fait que le marché secondaire des OSSA serait un marché connaissant une importante asymétrie d’information entre les teneurs de marchés, de sorte que l’accroissement de cette asymétrie préexistante du fait des échanges d’informations en cause ne présenterait pas une nocivité suffisante à l’égard de la concurrence. En effet, même à supposer que cette asymétrie d’information existe, l’argumentation de Crédit agricole se heurte à l’effet utile qu’il convient de garantir à la notion de « restriction par objet » et plus largement de l’article 101 TFUE.
Pour ce qui est, en troisième lieu, des arguments des requérantes selon lesquels les comportements en cause seraient justifiés au regard de leurs effets proconcurrentiels, le Tribunal rappelle que les effets proconcurrentiels allégués par les requérantes n’ont pas lieu, en tant que tels, d’être pris en considération au stade de la qualification des comportements en cause en tant que « restriction par objet ».
En tout état de cause, même à supposer que les effets « favorables » allégués des comportements en cause puissent ou doivent être pris en considération, à un titre ou à un autre, aux fins de leur qualification de « restriction par objet », les requérantes n’ont pas démontré l’existence d’implications favorables de nature à remettre en cause la qualification de « restriction par objet » desdits comportements.
En ce que les requérantes présentaient les comportements en cause également comme des « restrictions accessoires » à l’exécution de leur fonction de teneur de marché d’OSSA, le Tribunal observe que la jurisprudence relative à l’exception des restrictions accessoires à des accords légitimes n’est, en tout état de cause, pas applicable en l’espèce vu que les requérantes n’avaient pas démontré que leur activité de teneur de marché aurait été impossible en l’absence des comportements infractionnels.
De surcroît, le Tribunal écarte les arguments tirés du fait que les teneurs de marché d’OSSA seraient systématiquement désavantagées sur le plan informationnel par rapport aux contreparties qui n’assuraient pas une présence permanente sur le marché, de sorte qu’elles devaient compenser ce déficit d’informations en recherchant des informations auprès d’un certain nombre de sources.
En effet, il ne saurait être accepté que des entreprises essaient de pallier les effets de situations factuelles qu’elles considèrent comme excessivement défavorables, telles que d’éventuelles asymétries de risques existants entre les opérateurs d’un marché, par des pratiques collusoires ayant pour objet de corriger ces désavantages. De telles situations factuelles ne sauraient légitimer une violation de l’article 101 TFUE, d’autant plus que les requérantes n’agissaient pas sur le marché secondaire des OSSA uniquement en tant que teneurs de marché et qu’elles exerçaient cette activité de manière volontaire.
Sur la détermination du montant des amendes imposées aux requérantes
Pour déterminer le montant des amendes imposées aux requérantes, la Commission a, en substance, suivi la méthode prévue par les lignes directrices de 2006{4}. Néanmoins, en ce qui concerne le calcul des montants de base, la Commission a décidé d’utiliser une valeur de remplacement au lieu de la valeur des ventes prévue au point 13 desdites lignes directrices. Comme point de départ du calcul de cette valeur de remplacement, la Commission a retenu les volumes et les valeurs notionnels annualisés des OSSA (ci-après les « montants notionnels annualisés ») que les banques concernées ont échangés au cours de leur période individuelle de participation à l’infraction litigieuse. Ces montants notionnels annualisés ont ensuite été multipliés par un facteur d’ajustement que la Commission a construit en utilisant 33 catégories d’OSSA représentatives, émises par huit émetteurs.
Dans ce contexte, les requérantes reprochaient notamment à la Commission d’avoir violé les lignes directrices de 2006 en s’appuyant sur un jeu d’OSSA représentatives et non pas sur les données de leurs propres transactions pour le calcul du facteur d’ajustement ainsi qu’en utilisant des données publiques issues de la plateforme Bloomberg, qui gonfleraient ce facteur d’ajustement (ci-après les « données BGN »).
Credit Suisse reprochait, en outre, à la Commission d’avoir surestimé la valeur de remplacement en incluant dans les montants notionnels retenus à son égard les opérations relatives à l’achat de liquidités (hedging).
À titre liminaire, le Tribunal constate que, si, en adoptant les lignes directrices de 2006, la Commission s’est autolimitée dans l’exercice du large pouvoir d’appréciation dont elle bénéficie pour ce qui est de la méthode de calcul des amendes, elle dispose de la faculté de s’en écarter, à condition de motiver et de justifier son choix à suffisance de droit.
Toutefois, lorsque la Commission s’écarte des lignes directrices de 2006 non dans leur ensemble - comme le point 37 l’y autorise - mais uniquement, comme en l’espèce, du point 13, elle ne saurait s’affranchir des principes directeurs ainsi que de la logique sous jacente desdites lignes directrices. Ainsi, dans la mise en œuvre de la méthodologie qu’elle définit, il lui appartient, notamment, de veiller à prendre en considération les meilleures données disponibles, sous le contrôle approfondi, en droit comme en fait, du juge de l’Union.
À la lumière de ces précisions, le Tribunal note, en premier lieu, que, dans la décision attaquée, la Commission a motivé et justifié à suffisance de droit son choix d’écarter la méthodologie prévue au point 13 des lignes directrices et de fonder son calcul du montant de base sur une valeur de remplacement de la valeur des ventes qui a été élaboré en multipliant les montants notionnels annualisés de chacune des banques concernées par un facteur d’ajustement, calculé sur la base de l’échantillon de 33 catégories d’OSSA.
Dans ce cadre, le Tribunal rejette les arguments des requérantes selon lesquels la Commission aurait dû retenir une méthodologie de calcul du facteur d’ajustement fondée sur leurs propres transactions.
À cet égard, le Tribunal indique qu’une méthodologie fondée sur les données de transactions des banques concernées supposerait d’effectuer des calculs d’une complexité bien supérieure à ceux déjà complexes effectués en l’espèce, alors même que le caractère représentatif des OSSA retenues garantit justement que les données prises en considération conservent un caractère pertinent pour le calcul de l’amende et permettent de refléter l’importance économique de l’infraction litigieuse avec le degré de précision requis par la jurisprudence. Or, une telle méthodologie alternative ferait peser sur la Commission une charge administrative disproportionnée.
En deuxième lieu, le Tribunal écarte les arguments des requérantes tirés du fait que les données BGN que la Commission avait utilisées étaient inadéquates aux fins du calcul de la valeur de remplacement en ce qu’elles gonfleraient le facteur d’ajustement.
Après avoir rappelé qu’il appartenait à la Commission de veiller à prendre en considération les meilleures données disponibles, le Tribunal relève que, dans la décision attaquée, la Commission avait écarté de façon motivée les arguments dont se sont prévalues les banques concernées au cours de la procédure administrative pour contester le recours aux données BGN. Il s’ensuit que les requérantes ne sauraient se limiter à faire valoir devant le Tribunal que les données utilisées par la Commission souffrent d’une ou plusieurs insuffisances, mais, au contraire, doivent démontrer que, dans le cadre de la méthodologie que cette institution a légalement déterminée, il existe effectivement des données meilleures que celles retenues par cette institution et que celles-ci sont effectivement disponibles.
En constatant que les requérantes n’ont pas été en mesure de présenter des données meilleures que celles retenues par la Commission, le Tribunal rejette, en outre, la critique de Credit Suisse tirée du caractère inconnu du mode d’élaboration des données BGN. Sur ce point, le Tribunal souligne que les données BGN constituent des données de référence parmi les traders, qui sont élaborées par un tiers à la procédure sur la base des prix de plusieurs opérateurs. Dès lors, il ne saurait valablement être soutenu que, au motif du caractère partiellement inconnu de leur mode d’élaboration, de telles données de référence ne sauraient être employées par la Commission, tout particulièrement lorsque Credit Suisse n’a nullement fait état de plateformes de marché fournissant des informations plus exactes ou plus pertinentes que la plateforme Bloomberg.
Selon le Tribunal, la Commission ne pouvait pas non plus se voir opposer le fait d’avoir utilisé des données ne reflétant pas à tous égards la situation de Credit Suisse, lorsque justement cette institution ne disposait pas de données exactes suffisamment représentatives et que, en conséquence, elle a été dans l’obligation de recourir à une méthodologie s’appuyant sur des données alternatives nécessairement moins précises, afin de reconstituer une valeur de remplacement.
En troisième lieu, le Tribunal rejette le grief de Credit Suisse selon lequel la Commission aurait surestimé la valeur de remplacement de la valeur des ventes en incluant dans les montants notionnels retenus à son égard les opérations relatives à l’achat de liquidités.
Sur ce point, le Tribunal rappelle que, dans le cadre des lignes directrices de 2006, la notion de « valeur de remplacement », à l’instar de celle de « valeur des ventes », vise à retenir comme point de départ pour le calcul de l’amende infligée à une entreprise un montant qui reflète l’importance économique de l’infrac...
Le Tribunal, réuni en chambre élargie, confirme la décision de la Commission européenne{1} constatant que les banques UBS Group AG et UBS AG (ci-après « UBS »), NatWest Group plc, NatWest Markets plc et NatWest Markets NV. (ci après Natwest »), Natixis, UniCredit SpA et UniCredit Bank AG (ci-après « UniCredit »), Nomura International plc et Nomura Holdings, Inc. (ci-après « Nomura »), Bank of America N.A. et Bank of America Corporation (ci-après « BofA ») ainsi que Portigon AG ont participé à un cartel dans le secteur des obligations d’État européennes (ci-après les « OEE »). Néanmoins, en raison d’erreurs commises par la Commission dans la détermination de la durée de la participation d’UniCredit à cette infraction ainsi que dans le calcul de l’amende à payer par Nomura, le Tribunal réduit le montant des amendes imposées à ces banques.
En 2015, à la suite d’une demande de clémence introduite par The Royal Bank of Scotland Group plc et The Royal Bank of Scotland plc (ci-après « RBS »), devenues NatWest, la Commission a ouvert une enquête en vue d’examiner l’existence d’un cartel sur le marché des OEE. Les OEE constituent des titres de créance permettant aux États membres de la zone euro de lever des fonds pour financer certaines dépenses ou certains investissements, notamment pour refinancer une dette existante. Elles sont proposées à la vente pour la première fois par ou pour le compte de leur émetteur sur le marché primaire et sont par la suite échangées sur le marché secondaire.
Sur ce marché secondaire, les banques tentent de générer des revenus en captant la différence entre le cours acheteur et le cours vendeur des OEE.
À l’issue de son enquête, la Commission a considéré que les traders de plusieurs banques, parmi lesquelles figurent UBS, Natixis, UniCredit, Nomura, BofA et Portigon (ci-après « les requérantes »), avaient collaboré et échangé des informations afin d’obtenir des avantages concurrentiels dans le cadre de l’émission, du placement ou du négoce d’OEE. Estimant, en outre, que ces comportements faisaient partie d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique, la Commission a constaté que les banques concernées avaient commis une infraction unique et continue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE par la conclusion d’accords ou par la mise en œuvre de pratiques concertées ayant pour objet de restreindre ou de fausser la concurrence dans le secteur des OEE dans l’Espace économique européen (EEE).
S’agissant des amendes, la Commission a constaté que son pouvoir d’infliger des amendes à BofA et à Natixis était prescrit, dès lors que leurs participations respectives à l’infraction constatée avaient pris fin plus de cinq ans avant l’ouverture de l’enquête. En revanche, des amendes à hauteur de 129 573 000 euros, de 172 378 000 euros et de 69 442 000 euros ont été respectivement imposées à Nomura, à UBS et à UniCredit. Le montant de l’amende infligée à Portigon a en revanche été plafonné à zéro euro, en application du seuil maximal de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent, compte tenu du fait que cette banque mettait progressivement fin à ses activités, et que le chiffre d’affaires net réalisé par Portigon en 2020 était négatif.
Les requérantes ont saisi le Tribunal de six recours en annulation de la décision de la Commission en ce qu’elle les concerne. UBS, UniCredit et Nomura ont également demandé au Tribunal de réduire le montant de l’amende qui leur avait été imposée, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction prévue à l’article 261 TFUE et à l’article 31 du règlement no 1/2003{2}.
Appréciation du Tribunal
À titre liminaire, le Tribunal examine les demandes d’omission de certaines données envers le public introduites par UniCredit, Nomura, BofA et la Commission. Ces demandes portaient notamment sur les noms des employés impliqués dans les comportements incriminés, sur les discussions entre les traders en cause, sur des extraits des discussions non visées dans la décision attaquée ainsi que sur des extraits de documents contenus dans le dossier de procédure du Tribunal.
À cet égard, le Tribunal rappelle que la confidentialité d’un élément n’est pas justifiée dans le cas d’informations qui sont déjà publiques ou auxquelles le grand public ou certains milieux spécialisés peuvent avoir accès. En outre, des informations qui ont été secrètes ou confidentielles, mais qui datent de cinq ans ou plus, doivent, du fait de l’écoulement du temps, être considérées comme historiques et comme ayant perdu, de ce fait, leur caractère secret ou confidentiel, à moins que la partie qui se prévaut de ce caractère ne démontre que ces informations constituent encore des éléments essentiels de sa position commerciale ou de celles de tiers concernés.
Au regard de ces principes, le Tribunal décide de procéder à l’anonymisation des noms des personnes physiques mentionnées dans la décision attaquée ainsi que des experts auxquels les banques concernées ont eu recours, tout comme des sociétés qui les emploient.
En revanche, le contenu des discussions entre les traders des banques concernées ne saurait être occulté, dès lors que ces discussions constituent la quasi-totalité des éléments de preuve sur lesquels repose la décision attaquée et que les messages y contenus révèlent, aux yeux de la Commission, le caractère anticoncurrentiel des comportements desdites banques. En outre, la quasi-totalité de ces messages apparaissent dans la version publique de la décision attaquée et, de ce fait, ne justifie aucune protection. Il en va de même du nom des émetteurs d’obligations dont Nomura demande l’omission.
Le Tribunal rejette également la demande de confidentialiser certains extraits des discussions non visés dans la décision attaquée ainsi que certains extraits de documents contenus dans le dossier de procédure, pour autant qu’elle porte sur des éléments dont la mention est justifiée par l’exigence de fournir une réponse intelligible aux arguments soulevés par les requérantes.
Après avoir ainsi statué sur les demandes d’omission de certaines données envers le public, le Tribunal explique que les moyens en annulation des requérantes, qui se chevauchent dans une large mesure, sont notamment tirés :
de la violation de leurs droits de la défense,
d’erreurs commises par la Commission en retenant la responsabilité des requérantes pour les comportements de leurs traders,
’erreurs de la Commission dans la qualification des comportements en cause d’infraction unique et continue imputable aux requérantes,
’erreurs de la Commission dans la qualification de cette infraction de restriction par objet,
’erreurs commises par la Commission en affirmant l’existence d’un intérêt légitime à constater l’infraction à l’égard des banques qui ne se sont pas vu infliger d’amende, et
’erreurs dans la détermination du montant des amendes imposées.
Sur la violation alléguée des droits de la défense des requérantes
Au soutien de son recours, BofA invoquait notamment une violation de ses droits de la défense au motif que les éléments retenus à sa charge dans la décision attaquée ne seraient pas identiques à ceux énumérés dans la communication des griefs.
À cet égard, le Tribunal constate, toutefois, que la portée matérielle de la participation de BofA à l’infraction retenue dans la décision attaquée a été réduite par rapport à celle envisagée dans la communication des griefs. Or, dès lors qu’une telle réduction de la portée de sa participation est favorable à BofA, elle ne saurait, en principe, nuire à ses intérêts.
Qui plus est, cette réduction du champ matériel de la participation de BofA à l’infraction n’a pas non plus conduit la Commission à constater à son égard, dans la décision attaquée, une infraction à ce point distincte de celle exposée dans la communication des griefs qu’elle devrait être assimilée à un nouveau grief, sur lequel cette banque aurait dû pouvoir faire valoir ses observations écrites et orales, afin de garantir le respect de ses droits de la défense.
Le Tribunal rejette également le grief de Portigon selon lequel la Commission aurait violé ses droits de la défense en modifiant la communication des griefs par l’envoi d’une simple « lettre d’exposé des faits » en lieu et place d’une communication des griefs complémentaire.
Sur ce point, le Tribunal relève que, lorsque, au cours de la procédure administrative, la Commission décide d’ajouter de nouveaux griefs à ceux initialement reprochés à des entreprises ou lorsqu’elle entend modifier sensiblement les éléments de preuve des infractions poursuivies, elle est tenue d’envoyer une communication des griefs complémentaire aux entreprises concernées. Toutefois, lorsque cette institution souhaite seulement s’appuyer sur de nouveaux éléments de preuve corroborant les griefs d’ores et déjà étayés dans la communication des griefs, elle peut se limiter à en informer les entreprises concernées par une lettre d’exposé des faits, en réponse à laquelle ces entreprises peuvent présenter des observations écrites dans un délai déterminé.
En l’espèce, il ressort de la décision attaquée que, le 12 novembre 2020, la Commission a adressé à Portigon une lettre d’exposé des faits, par laquelle, à la suite des réponses des banques concernées à la communication des griefs du 31 janvier 2019, elle a procédé à des « ajouts et corrections factuels concernant certaines discussions qui avaient été présentées dans la communication des griefs (y compris à l’annexe à celle-ci) à l’appui des griefs ». La Commission a ensuite invité Portigon à faire valoir ses observations écrites, qui ont été transmises le 8 janvier 2021.
Au regard de ces précisions, le Tribunal constate que les corrections factuelles et les modifications apportées par la Commission dans sa lettre d’exposé des faits n’ont ni sensiblement modifié les éléments de preuve de l’infraction poursuivie ni conduit la Commission à étendre les contours matériels, temporels ou géographiques de l’infraction qui était reprochée, notamment à Portigon, dans le cadre de la communication des griefs. En conséquence, aucune des corrections ou modifications apportées par la Commission à l’occasion de la lettre d’exposé des faits ne justifiait que la Commission ait dû adresser à Portigon une communication des griefs complémentaire.
Sur la responsabilité des requérantes pour les comportements de leurs traders
En ce qui concerne les moyens tirés d’erreurs de la Commission pour avoir retenu la responsabilité d’UniCredit, de Nomura et de Portigon pour les comportements de leurs traders, le Tribunal rappelle qu’un employé accomplissant ses fonctions en faveur et sous la direction de l’entreprise pour laquelle il travaille est considéré comme s’intégrant dans l’unité économique que constitue cette entreprise.
Il en découle que, aux fins de la constatation des infractions au droit de la concurrence de l’Union, les éventuels agissements anticoncurrentiels d’un employé sont attribuables à l’entreprise dont il fait partie. Dès lors, la Commission pouvait valablement tenir Portigon, UniCredit et Nomura pour responsables du comportement de leurs traders respectifs.
Dans ce contexte, ces banques ne sauraient pas reprocher à la Commission d’avoir tenu compte de la connaissance des comportements infractionnels acquise par leurs traders préalablement à l’entrée en fonction à leur service, afin de qualifier ces comportements d’infraction unique et continue présentant un objet anticoncurrentiel.
En effet, lorsqu’un employé met de telles connaissances à la disposition du nouvel employeur, celles-ci peuvent être considérées comme des connaissances partagées par son nouvel employeur. Il est, en outre, de jurisprudence constante que la Commission peut s’appuyer sur des contacts antérieurs ou postérieurs à la période de l’infraction afin de construire une image globale et de montrer les étapes préparatoires de l’entente ainsi que pour corroborer l’interprétation de certains éléments de preuve.
Par ailleurs, la conclusion de la Commission quant à la responsabilité des requérantes pour le comportement de leurs traders est d’autant plus justifiée que ces banques n’ont pas déposé plainte ni entamé de démarches à l’encontre de leurs traders, et cela en dépit du fait que ces banques estiment avoir été mêlées à leur insu aux comportements en cause.
Sur la qualification des comportements en cause d’infraction unique et continue imputable aux requérantes
Après avoir confirmé le caractère anticoncurrentiel de la quasi-intégralité des discussions des traders intervenues entre janvier 2007 et novembre 2011, le Tribunal examine les moyens contestant leur qualification d’infraction unique et continue imputable aux requérantes.
Dans un premier temps, le Tribunal rappelle que seuls des comportements relevant d’un « plan d’ensemble » poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique peuvent être qualifiés d’infraction unique et continue.
Concernant le caractère unique de l’infraction, le Tribunal estime que la Commission a correctement considéré que l’objectif anticoncurrentiel unique poursuivi par les traders des banques concernées était de s’entendre ou de coordonner leurs stratégies d’acquisition d’OEE sur le marché primaire ou de négociation sur le marché secondaire et d’augmenter les revenus.
La Commission ayant démontré à suffisance de droit que les comportements adoptés par les traders dans deux forums de discussions s’inscrivaient dans un plan d’ensemble poursuivant cet objectif anticoncurrentiel unique, le Tribunal précise que ni la circonstance que le trader de BofA aurait été délibérément exclu d’un des deux forums de discussion et que BofA aurait été lésé par les comportements mis en œuvre, ni l’absence de preuve d’échanges entre le trader de BofA et d’autres traders en dehors des forums de discussion ne sauraient remettre en cause cette conclusion. En outre, plusieurs éléments objectifs confirment que ces forums étaient, par nature, liés et complémentaires et visaient à atteindre les buts poursuivis par le plan d’ensemble constaté par la Commission.
Concernant le caractère continu de l’infraction, le Tribunal entérine la conclusion de la Commission selon laquelle l’infraction unique a présenté un caractère continu entre janvier 2007 et novembre 2011. En effet, si des écarts ont pu être constatés entre les manifestations de l’infraction, il n’en reste pas moins que les traders ont poursuivi leurs discussions à caractère anticoncurrentiel d’une manière régulière.
En ce qui concerne l’imputabilité aux requérantes de l’infraction unique et continue ainsi constatée, le Tribunal rappelle, dans un second temps, que cette imputabilité doit être appréciée au regard de deux éléments, à savoir, premièrement, la contribution intentionnelle des requérantes aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des banques concernées et, deuxièmement, leur connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par ces banques dans la poursuite des mêmes objectifs ou le fait qu’elles avaient pu raisonnablement les prévoir et avaient été prêtes à en accepter le risque.
Cette précision étant faite, le Tribunal écarte la quasi-intégralité des arguments avancés par les requérantes afin de contester tant leur contribution intentionnelle aux objectifs communs que leur connaissance de l’ensemble des comportements infractionnels en cause ou, le cas échéant, leur capacité de les prévoir.
Néanmoins, s’agissant du début de la participation d’UniCredit à l’infraction unique et continue, le Tribunal constate que la Commission a commis une erreur en fixant comme point de départ la première connexion du trader d’UniCredit au forum de discussions litigieux avec les identifiants de cette banque, intervenue le 9 septembre 2011, alors qu’aucune discussion de nature anticoncurrentielle n’a eu lieu entre le 6 septembre et le 26 septembre 2011. À cet égard, le Tribunal précise que l’éventuelle connaissance qu’aurait eue ce trader du fait que les échanges intervenus sur ce forum étaient susceptibles de présenter un caractère anticoncurrentiel ne permet pas à elle seule de considérer qu’UniCredit a commencé à participer à l’infraction unique et continue à la date de cette première connexion.
Sur la qualification des comportements en cause de « restriction par objet »
À titre liminaire, le Tribunal relève que, au stade de l’appréciation de l’objet anticoncurrentiel d’une infraction unique et continue, non seulement le caractère anticoncurrentiel de celle-ci et les éléments qui la composent, mais également l’existence d’un « plan commun » ou d’un « plan d’ensemble » sont établis. À ce stade, seul importe donc de savoir si cette infraction présente un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, justifiant que la Commission n’ait pas à en rechercher ni a fortiori à en démontrer les effets sur la concurrence.
À cet égard, il résulte de la jurisprudence que l’appréciation du degré de nocivité d’une infraction unique et continue doit être effectuée au regard des caractéristiques objectives de celle-ci et sans considération de la situation particulière de chaque entreprise y ayant participé. Doivent ainsi être écartées les critiques des requérantes partant du présupposé que seules les discussions intervenues au cours de leurs périodes respectives de participation à l’infraction litigieuse devaient être prises en considération pour établir l’objet anticoncurrentiel desdites périodes.
En ce qui concerne l’appréciation de la nocivité des comportements en cause, le Tribunal constate, en outre, que la Commission a, à juste titre, mis en évidence que les discussions intervenues entre les traders des banques concernées prenaient la forme non seulement d’échanges d’informations commercialement sensibles, mais également de pratiques de fixation de prix et de répartition de la clientèle tant sur le marché primaire que secondaire des OEE. Dès lors que ces pratiques présentent un degré particulièrement élevé de nocivité à l’égard de la concurrence, c’est sans commettre d’erreur que la Commission a retenu la qualification de « restriction par objet ».
Sur l’intérêt légitime de la Commission à constater l’infraction litigieuse à l’égard des banques qui ne se sont pas vu infliger d’amende
Le Tribunal écarte les moyens mettant en cause l’intérêt légitime de la Commission à constater l’infraction litigieuse à l’égard de Natixis et de BofA, envers lesquelles le pouvoir de la Commission d’infliger une amende était prescrit.
À cet égard, le Tribunal souligne que la constatation de l’infraction litigieuse à l’égard de Natixis et de BofA était pertinente pour démontrer la fréquence des discussions collusoires entre les traders de chaque banque, la nature de leurs relations et le caractère continu de cette infraction. Ainsi, Natixis et BofA ne sauraient valablement soutenir que leur identification dans la décision attaquée n’avait pas contribué, de manière substantielle, à établir l’infraction litigieuse ou à expliquer la portée des comportements infractionnels.
Certes, la Commission aurait pu se servir des éléments ayant trait à la participation de ces banques tout en conservant leur anonymat ou en s’abstenant de constater l’infraction litigieuse à leur égard. Néanmoins, l’existence d’une telle possibilité ne saurait pour autant exclure l’intérêt légitime de la Commission à constater cette infraction, d’autant plus que les comportements de ces banques étaient d’une particulière gravité au regard du secteur concerné et du contexte de crise financière dans lequel ceux-ci sont intervenus.
Dans ce cadre, le Tribunal rejette également l’argumentation de BofA selon laquelle, au regard du temps écoulé entre la fin de sa participation à l’infraction litigieuse à la fin de l’année 2008 et l’adoption de la décision attaquée en mai 2021, la Commission aurait dû conclure à l’absence d’intérêt légitime à constater l’infraction à son égard, sous peine de violation des principes de sécurité juridique et de respect de ses droits de la défense.
En effet, si le constat de l’existence d’un intérêt légitime à constater l’infraction litigieuse doit se faire dans le respect des principes généraux du droit de l’Union et, en particulier, n’autorise pas la Commission à retarder indéfiniment l’exercice de ses pouvoirs, il n’en reste pas moins qu’une période de seulement cinq mois s’est écoulée entre l’introduction de la demande formelle d’immunité d’amende par RBS et l’envoi de la demande de renseignements concernant cette infraction à BofA.
S’agissant du temps écoulé depuis la réception de cette demande par BofA, il ressort d’une jurisprudence constante qu’il incombe à toute entreprise de veiller à la bonne conservation des éléments de preuve permettant de retracer ses activités, afin de disposer des preuves nécessaires dans l’hypothèse d’actions judiciaires et administratives. Or, BofA est restée en défaut d’indiquer les circonstances qui l’auraient empêchée de se conformer à son obligation de diligence ou qui auraient compliqué la collecte d’éléments de preuve à décharge.
De même, BofA n’ayant apporté aucun élément de preuve de nature à démontrer que l’écoulement du temps a complexifié sa défense, la Commission a pu, sans commettre d’erreurs, constater l’infraction litigieuse à son égard.
Sur la détermination du montant des amendes imposées aux requérantes
Pour déterminer le montant des amendes imposées aux requérantes, la Commission a, en substance, appliqué la méthode prévue par les lignes directrices de 2006{3}. Néanmoins, en ce qui concerne le calcul des montants de base, la Commission a décidé d’utiliser une valeur de remplacement au lieu de la valeur des ventes prévue au point 13 desdites lignes directrices. Comme point de départ du calcul de cette valeur de remplacement, la Commission a retenu les volumes et les valeurs notionnels annualisés des OEE (ci-après les « montants notionnels annualisés ») que les banques concernées ont échangés sur le marché secondaire au cours de leur période individuelle de participation à l’infraction litigieuse. Ces montants notionnels annualisés ont ensuite été multipliés par un facteur d’ajustement que la Commission a construit en utilisant 32 catégories d’OEE représentatives, émises par huit émetteurs.
Après avoir rejeté les moyens d’UBS et de Nomura tirés d’une violation de leurs droits de la défense pendant la procédure administrative en ce qu’elles se seraient retrouvées dans l’impossibilité de comprendre la méthodologie utilisée par la Commission pour déterminer la valeur de remplacement, le Tribunal examine les différents moyens tirés d’erreurs commises dans la détermination de cette valeur.
Le Tribunal écarte tout d’abord les critiques d’UBS, d’UniCredit et de Nomura selon lesquelles les valeurs de remplacement retenues à leur égard seraient sans rapport avec leur activité économique, dès lors que les montants notionnels annualisés des OEE pris en compte par la Commission constituaient un indicateur de volume et non un indicateur de prix. À cet égard, le Tribunal estime que les modalités de calcul du facteur d’ajustement appliquées aux montants notionnels de chaque banque concernée ont permis à la Commission de retenir, au titre de la valeur de remplacement, un montant qui reflète l’activité des banques concernées.
C’est également à tort que Nomura fait valoir que la Commission aurait retenu à son égard des montants notionnels dépassant le champ de sa participation à l’infraction litigieuse et, de ce fait, aurait décorrélé la valeur de remplacement retenue à son égard de son activité économique. En effet, la valeur de remplacement - à l’instar de la valeur des ventes - ne saurait être calculée sur la base des seules opérations pour lesquelles il est établi qu’elles...
305. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Mesures restrictives prises au regard de la situation en Moldavie - Portée du contrôle - Inscription du requérant sur la liste annexée à la décision attaquée du fait de sa responsabilité dans des actions ou des politiques compromettant ou menaçant la souveraineté et l'indépendance de la République de Moldavie - Documents accessibles au public - Valeur probante - Principe de libre appréciation des preuves
Par son arrêt, le Tribunal rejette le recours en annulation introduit par Ilan Mironovich Shor contre les actes par lesquels il a été inscrit en 2023{1}, puis maintenu en 2024{2}, par le Conseil de l’Union européenne sur les listes des personnes et entités visées par des mesures restrictives en raison de la situation en République de Moldavie. Cette affaire permet au Tribunal de se prononcer, pour la première fois, sur la légalité du critère d’inscription permettant au Conseil d’adopter des mesures restrictives à l’encontre des personnes organisant, dirigeant ou participant à des manifestations violentes ou à d’autres actes de violence, énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), ii), et à l’article 2, paragraphe 1, sous a), ii), de la décision 2023/891{3} [ci-après le « critère ii) »]. Il s’agit aussi du premier arrêt, prononcé dans le cadre des mesures restrictives instaurées au regard de la situation en République de Moldavie, dans lequel le Tribunal procède à un examen de l’affaire sur le fond.
Face aux actions de déstabilisation auxquelles la République de Moldavie était confrontée, des mesures restrictives ont été adoptées par l’Union européenne pour la première fois en avril 2023. Elles ciblent en particulier les personnes responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent la souveraineté et l’indépendance de ce pays tiers, ainsi que la démocratie, l’État de droit, la stabilité ou la sécurité dudit pays, ou qui soutiennent ou mettent en œuvre ces actions{4}.
Le requérant, un homme politique et homme d’affaires de nationalités moldave et israélienne, a vu ses fonds et ressources économiques gelés en raison notamment de son rôle dans la direction et l’organisation de manifestations violentes. À ce titre, le Conseil reprochait au requérant d’être impliqué dans des incitations à la violence contre le gouvernement actuel de la République de Moldavie et de soutenir une activité pro-russe dans ce pays.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal relève, s’agissant du critère ii), que le Conseil a exposé de manière compréhensible et non équivoque les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles il a considéré que les manifestations dirigées et organisées par le requérant le rendaient responsable d’actions qui compromettaient et menaçaient la souveraineté et l’indépendance de la République de Moldavie, ainsi que la démocratie, l’État de droit, la stabilité et la sécurité de cet État. Dès lors, et compte tenu du contexte dans lequel les actes ont été adoptés, le Tribunal écarte le moyen tiré de violations de l’obligation de motivation.
En deuxième lieu, le Tribunal rejette également comme étant non fondé le moyen tiré d’une exception d’illégalité de la décision 2023/891 et du règlement 2023/888.
À cet égard, tout d’abord, le Tribunal estime que le critère ii) pouvait être introduit dans l’ordre juridique de l’Union par la décision 2023/891 et le règlement 2023/888, fondés, respectivement, sur l’article 29 TUE et l’article 215, paragraphe 2, TFUE. En effet, au regard de la finalité et du contenu de la décision 2023/891, cette décision est directement liée aux finalités de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) énoncées à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, en ce que celle-ci vise à consolider et à soutenir la démocratie et l’État de droit en République de Moldavie. Dans ces conditions, l’organisation, la direction ou la participation à des manifestations violentes ou à d’autres actes de violence peut justifier une action de l’Union dans le cadre de la PESC fondée sur l’objectif de consolider et de soutenir la démocratie et l’État de droit dans un pays tiers. Le Tribunal précise que les manifestations violentes sont susceptibles de porter atteinte aux fondements juridiques et institutionnels du pays concerné et qu’elles ne relèvent pas du droit fondamental à la liberté de réunion pacifique garanti par l’article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales{5} et par l’article 12, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Ensuite, le Tribunal considère que le cercle des personnes potentiellement visées par des mesures restrictives fondées sur le critère ii) n’est pas disproportionné. Pour que des mesures restrictives soient adoptées sur le fondement de ce critère, les actions de l’intéressé doivent en effet être de nature à compromettre ou menacer la souveraineté et l’indépendance de la République de Moldavie, ou la démocratie, l’État de droit, la stabilité ou la sécurité dans cet État. En d’autres termes, ces actions doivent être susceptibles de porter atteinte aux fondements institutionnels et juridiques de ce pays. Ainsi, des mesures restrictives ne peuvent être adoptées à l’encontre de personnes responsables de l’organisation, de la direction ou de la participation à des manifestations couvertes par le droit à la liberté de réunion pacifique.
En dernier lieu, le Tribunal juge que le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que les manifestations violentes dirigées et organisées par le requérant rendaient ce dernier responsable d’actions qui compromettaient ou menaçaient la démocratie et l’État de droit en République de Moldavie.
À ce sujet, le Tribunal constate tout d’abord que les motifs des actes attaqués sont suffisamment étayés pour établir, d’une part, que le requérant a pris part à la formation de personnes dans le but de provoquer des troubles et de l’agitation lors des manifestations en République de Moldavie et, d’autre part, que son parti a organisé des manifestations et des rassemblements violents, principalement dans la capitale Chișinău, avec le concours de manifestants payés, en 2022 et 2023. Plusieurs éléments de preuve font en effet apparaître de façon concrète, précise et concordante que de nombreuses personnes ont été sélectionnées et rémunérées par le parti du requérant pour participer aux manifestations en cause. Il en ressort, notamment, que l’intention du requérant était de faire participer à ces manifestations, en contrepartie d’une rémunération, certaines personnes dotées d’un profil particulier à même de causer des troubles et de l’agitation lors de celles-ci, dans le but d’intimider le gouvernement. Dans cette mesure, il ne saurait être considéré que ces personnes entendaient exercer leur droit à la liberté de réunion pacifique en participant à ces manifestations pour exprimer des opinions personnelles.
Le Tribunal relève en outre que les manifestations violentes en cause ont été organisées dans l’intérêt et avec le concours de la Fédération de Russie, de sorte qu’elles s’inscrivent pleinement dans le cadre des actions de déstabilisation du gouvernement moldave auxquelles les mesures restrictives en cause entendent répondre.
Enfin, le Tribunal considère que, même si le Conseil n’a pas apporté la preuve que le requérant avait organisé, dirigé ou participé, directement ou indirectement, à des manifestations violentes ou à d’autres actes de violence depuis l’inscription de son nom sur les listes en cause, la simple dissolution du parti du requérant ne suffit pas à rendre obsolètes les mesures restrictives adoptées à son égard, étant donné que le Conseil a estimé que persistait la menace qui pesait sur la démocratie et l’État de droit, ainsi que sur la stabilité et la sécurité de la République de Moldavie.
Le Tribunal note à cet égard que l’organisation de manifestations violentes ne dépend pas de l’existence du parti politique dont le requérant était le président.
Par ailleurs, le fait que les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause se réfèrent à une situation factuelle qui existait avant l’adoption des actes initiaux et qui a été très récemment modifiée n’implique pas nécessairement l’obsolescence des mesures restrictives adoptées à son égard par lesdits actes. Cette interprétation est corroborée par l’article 8, deuxième alinéa, de la décision 2023/891, et par l’article 13, paragraphe 4, du règlement 2023/888. Ces dispositions permettent le maintien sur les listes en cause des noms de personnes et d’entités n’ayant commis aucun acte de déstabilisation de la République de Moldavie au cours de la période précédant le réexamen, si ce maintien reste justifié au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, au regard du fait que les objectifs visés par les mesures restrictives n’ont pas été atteints.
Au demeurant, le requérant a créé une nouvelle formation politique immédiatement après la dissolution de son parti et les liens entre le requérant et la Fédération de Russie n’ont pas disparu du seul fait de la dissolution de son parti en juin 2023.
Partant, le contexte ayant justifié l’inscription initiale du nom du requérant sur les listes en cause n’a pas évolué d’une manière telle qu’il empêchait le Conseil de maintenir le nom du requérant sur ces listes en application du critère ii) en se fondant sur les mêmes éléments de preuve que ceux ayant justifié l’inscription initiale de son nom.
Au regard de ce qui précède, le Tribunal rejette le recours en annulation du requérant ainsi que, en l’absence de preuve de l’existence d’un préjudice réel et certain, ses demandes indemnitaires.
{1} Décision (PESC) 2023/1047 du Conseil, du 30 mai 2023, modifiant la décision (PESC) 2023/891 concernant des mesures restrictives en raison des actions déstabilisant la République de Moldavie (JO 2023, L 140 I, p. 9), et règlement d’exécution (UE) 2023/1045 du Conseil, du 30 mai 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) 2023/888 concernant des mesures restrictives en raison des actions déstabilisant la République de Moldavie (JO 2023, L 140 I, p. 1).
{2} Décision (PESC) 2024/1244 du Conseil, du 26 avril 2024, modifiant la décision (PESC) 2023/891 concernant des mesures restrictives en raison des actions déstabilisant la République de Moldavie (JO L, 2024/1242), et règlement d’exécution (UE) 2024/1243 du Conseil, du 26 avril 2024, mettant en œuvre le règlement (UE) 2023/888 concernant des mesures restrictives en raison des actions déstabilisant la République de Moldavie (JO L, 2024/1243).
{3} Décision (PESC) 2023/891 du Conseil, du 28 avril 2023, concernant des mesures restrictives en raison des actions déstabilisant la République de Moldavie (JO 2023, L 114, p. 15).
{4} Voir article 1er, paragraphe 1, de la décision 2023/891, et article 2, paragraphe 3, du règlement 2023/888 du Conseil, du 28 avril 2023, concernant des mesures restrictives en raison des actions déstabilisant la République de Moldavie (JO 2023, L 114, p. 1).
{5} Signée à Rome le 4 novembre 1950.
Arrêt du 18 décembre 2024, Mironovich Shor / Conseil (T-489/23) (cf. points 102-112)
306. Aides accordées par les États - Récupération d'une aide illégale et incompatible - Application du droit national - Mesures internes de récupération d'une aide déclarée illégale et incompatible - Compétence exclusive des juridictions nationales - Juridictions nationales habilitées à saisir la Cour à titre préjudiciel - Violation du principe de protection juridictionnelle - Absence
Voir texte de la décision.
Arrêt du 16 janvier 2025, Scai (C-588/23) (cf. points 51-53, 55, 56)
307. Politique étrangère et de sécurité commune - Compétence du juge de l'Union - Actes adoptés par une mission de police de l'Union européenne relatifs aux dépenses afférentes au personnel détaché à celle-ci par les États membres et les institutions de l'Union - Inclusion
Voir texte de la décision.
Arrêt du 10 avril 2025, Tartisai (C-238/24) (cf. points 19-27)