1. Recours en annulation - Moyens - Moyen inopérant - Notion
Dans le cadre d'un recours en annulation, le juge de l'Union peut rejeter un moyen ou un grief comme étant inopérant lorsqu'il constate que celui-ci n'est pas apte, dans l'hypothèse où il serait fondé, à entraîner l'annulation poursuivie.
Arrêt du 23 avril 2015, BX / Commission (T-352/13 P) (cf. point 85)
2. Recours en annulation - Moyens - Erreur manifeste d'appréciation - Erreur sans influence déterminante quant au résultat - Moyen inopérant
Arrêt du 6 mars 2014, Anapurna / OHMI - Annapurna (ANNAPURNA) (T-71/13) (cf. point 22)
Arrêt du 13 décembre 2018, Wahlström / Frontex (T-591/16) (cf. points 92, 121-123)
3. Recours en annulation - Moyens - Recours dirigé contre une nouvelle décision d'une institution prise en exécution d'un arrêt d'annulation du Tribunal - Remise en cause des conclusions du Tribunal dans l'arrêt d'annulation ayant acquis l'autorité de la chose jugée - Moyen manifestement non fondé
4. Recours en annulation - Moyens - Possibilité pour les requérants d'invoquer tous les moyens en annulation - Limitation uniquement sur le fondement d'une prévision expresse et dans le respect du principe de proportionnalité - Moyens fondés sur des informations occultées dans la version publique d'une décision en matière d'aides d'État - Admissibilité - Violation des droits de la défense de la Commission - Absence
Une personne physique ou morale qui, en application du quatrième alinéa de l’article 263 TFUE, est recevable à attaquer un acte visé par le premier alinéa de cette disposition, peut invoquer sans limitation tous les moyens mentionnés au deuxième alinéa du même article.
Par conséquent, toute limitation du droit de la partie requérante d’invoquer les moyens d’annulation qu’elle estime appropriés doit, compte tenu du fait qu’elle constituerait également une limitation du droit à un recours effectif consacré par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, être prévue par le droit de l’Union, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la même charte et être conforme aux exigences de cette dernière disposition. Plus particulièrement, elle doit, dans le respect du principe de proportionnalité, être nécessaire et répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.
En ce qui concerne l'obligation de la Commission, prévue par l’article 339 TFUE, de ne pas divulguer les informations qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel et, notamment, les renseignements relatifs aux entreprises et concernant leurs relations commerciales ou les éléments de leur prix de revient, obligation confirmée par l’article 24 du règlement nº 659/1999 portant modalités d'application de l'article 88 CE, aucune de ces dispositions ne prévoit de façon expresse le rejet, comme étant irrecevables, de moyens tirés d’éléments de la décision faisant l’objet du recours qui auraient été occultés dans la version de cette décision rendue publique et auxquels une partie requérante n’aurait pu avoir accès qu’en obtenant, sans l’autorisation de la Commission, la version confidentielle complète de la même décision.
Par ailleurs, l'obligation de la Commission de respect du secret professionnel devient sans objet dès lors que tant la partie requérante que les autres intéressés ont déjà connaissance des informations en question et que l'audience de plaidoirie, devant le Tribunal, est tenue à huis clos.
Arrêt du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt / Commission (T-511/09) (cf. points 67-71, 82, 83, 87, 89, 90)
5. Recours en annulation - Moyens - Moyens susceptibles d'être soulevés à l'encontre d'une décision de la Commission en matière d'aides étatiques - Moyens non soulevés au cours de la procédure administrative - Distinction entre moyens de droit, recevables, et moyens de fait, irrecevables
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 24 septembre 2015, TV2/Danmark / Commission (T-674/11) (cf. points 229-231)
6. Recours en annulation - Moyens - Notion - Éléments d'une requête en annulation figurant dans la partie consacrée au résumé de la décision - Inclusion - Condition - Mise en cause claire et univoque de la validité des constatations retenues dans la décision attaquée
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 28 juin 2016, Portugal Telecom / Commission (T-208/13) (cf. point 71)
7. Recours en annulation - Moyens - Recours dirigé contre une décision d'une institution accordant l'accès à des documents émanant d'un État membre - Moyens invocables par cet État membre
Les États membres peuvent contester, par la voie du recours en annulation, tout acte décisoire de la Commission, de nature réglementaire ou individuelle, et invoquer à cette occasion à l’appui de leurs conclusions tout moyen tiré, notamment, de la violation des formes substantielles ou de la violation des règles de droit prises pour l’application des traités.
Il en résulte, en premier lieu, qu’un État membre est recevable à contester, par la voie du recours en annulation, une décision de la Commission adoptée sur le fondement du règlement nº 1049/2001, relatif à l'accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, et autorisant une personne physique ou morale à accéder à des documents détenus par cette dernière et émanant de cet État membre, sans qu’il y ait lieu d’identifier une décision distincte de la Commission, qui serait seule attaquable, de ne pas donner suite à l’opposition dudit État membre à la divulgation des documents concernés. En second lieu, un État membre est recevable à invoquer, à l’appui d’un tel recours, tout moyen se rattachant à l’un des quatre cas d’ouverture du recours en annulation prévus par l’article 263 TFUE et, en particulier, tout moyen tiré de la violation d’une règle procédurale ou matérielle jugée par lui pertinente, sans préjudice du caractère opérant ou non de ce moyen. Ainsi, s’agissant de la recevabilité d’un moyen invoqué à l’encontre d’une telle décision, il n’y a pas lieu de distinguer selon que la règle dont la méconnaissance est alléguée est prévue par le règlement nº 1049/2001 ou par un autre instrument juridique.
Par ailleurs, l’encadrement du pouvoir de participation à la décision de l’Union conféré à l’État membre concerné par l’article 4, paragraphe 5, du règlement nº 1049/2001 ne saurait interdire à cet État membre de solliciter l’annulation de la décision de la Commission accordant l’accès aux documents en cause et d’invoquer à cet effet d’autres illégalités que celles tirées de la violation de l’article 4 dudit règlement.
Arrêt du 3 mai 2018, Malte / Commission (T-653/16) (cf. points 35-37, 41)
8. Recours en annulation - Moyens - Recours dirigé contre une décision de la Commission constatant l'incompatibilité d'une aide d'État avec le marché commun - Moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation - Charge de la preuve incombant à la partie requérante
Arrêt du 18 septembre 2018, Duferco Long Products / Commission (T-93/17) (cf. point 90)
9. Recours en annulation - Objet - Décision reposant sur plusieurs piliers de raisonnement, chacun suffisant pour fonder son dispositif - Annulation d'une telle décision - Conditions
Arrêt du 12 décembre 2018, Teva UK e.a. / Commission (T-679/14) (cf. points 314-318)
Arrêt du 12 décembre 2018, Lupin / Commission (T-680/14) (cf. points 251-255)
Arrêt du 12 décembre 2018, Mylan Laboratories et Mylan / Commission (T-682/14) (cf. points 236-240)
Arrêt du 12 décembre 2018, Niche Generics / Commission (T-701/14) (cf. points 323-327)
Arrêt du 12 décembre 2018, Unichem Laboratories / Commission (T-705/14) (cf. points 394-398)
Arrêt du 15 septembre 2021, France / ECHA (T-127/20) (cf. point 33)
Arrêt du 15 décembre 2021, Lück / EUIPO - R. H. Investment (MALLE) (T-188/21) (cf. point 15)
10. Recours en annulation - Objet - Motifs d'une décision - Exclusion sauf exception - Moyen dirigé contre les motifs d'une décision constatant une infraction aux règles de concurrence - Motifs ne venant pas au soutien du constat des infractions identifiées - Moyen inopérant
Seul le dispositif d’une décision constatant une infraction aux règles de la concurrence étant susceptible de produire des effets juridiques et de faire grief, les appréciations formulées dans les motifs ne sont pas susceptibles de faire, en tant que telles, l’objet d’un recours en annulation. Ces appréciations ne peuvent être soumises au contrôle de légalité du juge de l’Union que dans la mesure où, en tant que motifs d’un acte faisant grief, elles constituent le support nécessaire du dispositif de cet acte et si, plus particulièrement, ces motifs sont susceptibles de changer la substance de ce qui a été décidé dans le dispositif de l’acte en question.
Ainsi, le moyen en annulation dirigé contre des motifs d'une décision de la Commission qui portent non pas sur les comportements et les pratiques constitutifs de l'infraction aux règles de concurrence sanctionnée par cette décision, mais sur le contexte dans lequel intervient cette infraction, doit être écarté comme inopérant.
Arrêt du 12 décembre 2018, Servier e.a. / Commission (T-691/14) (cf. points 188, 198)
11. Recours en annulation - Moyens - Recours dirigé contre une décision de rejet de l'offre d'un soumissionnaire dans le cadre de la passation d'un marché public par une institution de l'Union - Moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation du pouvoir adjudicateur - Charge de la preuve incombant à la partie requérante
Par avis de marché du 15 mai 2018{1}, l’Agence spatiale européenne (ESA), agissant au nom et pour le compte de la Commission, avait lancé une procédure d’appel d’offres relative à la fourniture de satellites de transition dans le contexte du programme Galileo, qui vise à mettre en place et à exploiter un système européen de radionavigation et de positionnement par satellite à des fins civiles. Cette procédure avait été lancée sous la forme d’un dialogue compétitif, dès lors que la Commission avait déjà identifié et défini ses besoins, mais n’avait pas encore défini les moyens précis les plus appropriés pour y répondre. L’ESA était chargée d’organiser la procédure d’appel d’offres tandis que la Commission demeurait le pouvoir adjudicateur{2}. Il avait été décidé que deux attributaires pourraient être sélectionnés et que l’attribution du marché se fondait sur l’offre économiquement la plus avantageuse.
Au terme de la première phase du dialogue compétitif, invitant à introduire une demande de participation, l’ESA a sélectionné trois soumissionnaires, à savoir OHB System AG, la requérante, Airbus Defence and Space GmbH (ci-après « ADS ») et Thales Alenia Space Italia (ci-après « TASI »). À la suite de la deuxième phase, qui visait l’identification et la définition des moyens propres à satisfaire les besoins du pouvoir adjudicateur et de la troisième, au cours de laquelle l’ESA a invité les soumissionnaires à soumettre leur « offre finale », les offres finales ont été évaluées par un comité d’évaluation qui a présenté ses résultats dans un rapport d’évaluation. Sur la base de ce rapport, la Commission a pris la décision de ne pas retenir l’offre de la requérante ainsi que celle d’attribuer le marché à TASI et à ADS (ci-après les « décisions attaquées »), lesquelles ont été communiquées à la requérante par lettre du 19 janvier 2021.
Préalablement à l’adoption des décisions attaquées, la requérante avait, par lettre du 23 décembre 2020, informé la Commission et l’ESA qu’un de ses anciens employés, directeur général administratif, qui avait eu un accès étendu aux données du projet et avait participé à la préparation de son offre, avait été engagé en décembre 2019 par ADS. Elle faisait valoir qu’il existait des indices que cet ancien employé avait obtenu des informations sensibles et qu’une enquête pénale nationale avait été ouverte, à la suite d’une plainte qu’elle avait déposée contre lui. Partant, elle avait demandé à la Commission de suspendre le dialogue compétitif litigieux, d’enquêter sur la question et, le cas échéant, d’exclure ADS de ce dialogue. Par lettre du 20 janvier 2021, la Commission a informé la requérante qu’il n’y avait pas de motifs suffisants pour justifier une telle suspension et que, les allégations faisant l’objet d’une enquête par les autorités nationales, faute d’un jugement définitif ou d’une décision administrative définitive les concernant, il n’existait pas de motif pour exclure ADS du dialogue compétitif litigieux.
Saisi d’un recours en annulation contre les décisions attaquées, qu’il rejette dans son intégralité, le Tribunal apporte notamment des précisions quant à l’application des critères d’exclusion d’un soumissionnaire et à la saisine de l’instance en vertu du règlement financier de 2018{3}. Il fait de même pour ce qui est de l’obligation de vérification de la composition d’une offre réputée anormalement basse et de l’autonomie de la décision d’adjudication, dans les cas où le pouvoir adjudicateur se limite à faire sienne la motivation du rapport d’évaluation.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal rejette le grief pris d’une prétendue violation des critères d’exclusion d’un soumissionnaire prévus par le règlement financier de 2018.
Au préalable, il rappelle qu’un pouvoir adjudicateur exclut un soumissionnaire de la participation à une procédure d’appel d’offres lorsqu’il se trouve dans une ou plusieurs des situations correspondant aux trois critères d’exclusion prévus par le règlement financier de 2018.
En l’espèce, il constate que, en l’absence, au moment du dialogue compétitif, d’un jugement définitif ou d’une décision administrative définitive établissant que le soumissionnaire concerné ou une personne physique ou morale, membre de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance de ce soumissionnaire ou qui en possède des pouvoirs de représentation, décision ou contrôle, avait commis une faute professionnelle grave, les deux premiers critères ne sont pas applicables. En vertu du troisième critère d’exclusion, seul critère susceptible d’être appliqué en l’espèce, en l’absence d’un jugement définitif ou d’une décision administrative définitive, le pouvoir adjudicateur ne peut prendre une décision d’exclure un soumissionnaire d’une procédure d’appel d’offres que sur la base d’une qualification préliminaire{4}, et ce uniquement après avoir obtenu une recommandation de l’instance visée à l’article 143 du règlement financier de 2018, aux termes de laquelle il est établi, compte tenu des faits et des constatations, que le soumissionnaire a commis une faute professionnelle grave.
Pour commencer, le Tribunal examine si, en n’ayant pas saisi cette instance en l’espèce, la Commission a manqué à ses obligations en violation du troisième critère d’exclusion.
À cet égard, il relève que la finalité sous-jacente à la saisine de l’instance est la protection des intérêts financiers de l’Union, et que la qualification juridique préliminaire, qui appartient exclusivement à l’instance, porte, d’une part, nécessairement sur les conduites des soumissionnaires eux-mêmes et, d’autre part, sur des faits ou constations établis, en substance, dans le cadre d’audits ou d’enquêtes menés par les autorités compétentes de l’Union ou, le cas échéant, des États membres. Le Tribunal en conclut que le pouvoir adjudicateur ne doit saisir l’instance que lorsque les faits établis dont il dispose constituent des indices, et pas de simples soupçons, suffisants pour soutenir une présomption de culpabilité du soumissionnaire. Or, en l’espèce, il constate que, premièrement, la lettre du 23 décembre 2020 était le seul élément dont disposait la Commission, concernant un prétendu comportement fautif de ADS. Deuxièmement, les allégations que la requérante a formulées dans cette lettre ne relevaient pas des faits et des constatations dans le cadre d’audits ou d’enquêtes menés par les autorités compétentes de l’Union ou par les États membres. Troisièmement, aucun élément de preuve susceptible d’étayer les allégations mentionnées n’accompagnait cette lettre. Quatrièmement, les griefs formulés ne concernaient pas la conduite de ADS mais le comportement allégué de l’ancien employé de la requérante.
Le Tribunal en conclut que ces allégations ne pouvaient pas être considérées comme des faits ou des constatations susceptibles de constituer des indices suffisants pour soutenir une présomption de culpabilité de ADS, justifiant la saisine de l’instance.
Une fois parvenu à cette conclusion, le Tribunal vérifie si la Commission était toutefois tenue d’enquêter sur ces allégations. À cet égard, il relève que le seul comportement reproché à ADS était le fait d’avoir engagé, au cours de la procédure d’appel d’offres en cause, un ancien employé de la requérante. Or, en principe, ce fait ne constitue pas, à lui seul, un indice d’un comportement susceptible de constituer une faute professionnelle grave.
De même, s’agissant du grief de la requérante pris de ce que son ancien employé avait violé le secret de ses affaires en ce qu’il avait illégalement obtenu des informations sensibles la concernant, susceptibles d’apporter à ADS un avantage indu lors du dialogue compétitif litigieux, le Tribunal considère qu’une telle violation ne constituerait pas, en tout état de cause, l’indice d’une conduite de ADS elle-même et ne serait donc pas susceptible d’établir une présomption de culpabilité de celle-ci. Au surplus, faute d’arguments et d’éléments concrets produits par la requérante dans sa lettre de décembre 2020, il constate que l’allégation quant à l’obtention d’informations sensibles, susceptibles d’avoir apporté un avantage indu à ADS, était vague et hypothétique, de sorte qu’elle ne saurait constituer un indice. Du reste, le Tribunal relève que l’ancien employé avait quitté la requérante peu après le dépôt de son offre révisée dans le cadre de la deuxième phase du dialogue compétitif, de sorte qu’il n’était pas, en tout état de cause, en mesure d’avoir des informations sur le dialogue qui avait eu lieu entre la requérante et l’ESA lors de la troisième phase, ni sur le contenu de l’offre finale de la requérante.
Par conséquent, les allégations contenues dans la lettre de décembre 2020 n’étant pas de nature à constituer des indices suffisants pour établir une présomption de culpabilité de ADS justifiant la saisine de l’instance, la Commission n’était pas tenue d’enquêter à leur sujet.
En deuxième lieu, le Tribunal rejette le grief pris de la violation des obligations relatives à l’examen des offres anormalement basses. Il rappelle que, en vertu des dispositions du règlement financier de 2018, l’appréciation par le pouvoir adjudicateur de l’existence d’offres anormalement basses, notion appréciée par rapport à la composition de l’offre et à la prestation en cause, s’opère en deux temps{5}. Dans un premier temps, le pouvoir adjudicateur doit apprécier si les offres soumises contiennent un indice de nature à éveiller le soupçon qu’elles pourraient être anormalement basses. C’est notamment le cas s’il apparaît incertain, d’une part, que l’offre respecte la législation en vigueur et, d’autre part, que le prix proposé intègre tous les coûts induits par les aspects techniques de l’offre. Il en va de même lorsque le prix proposé est considérablement inférieur à celui des autres offres ou au prix habituel du marché. Dans un second temps, si de tels indices existent, le pouvoir adjudicateur doit procéder à la vérification de la composition de l’offre en donnant au soumissionnaire concerné la possibilité de justifier son prix. Si, malgré les explications fournies, le pouvoir adjudicateur détermine que l’offre présente un caractère anormalement bas, il doit la rejeter.
En l’occurrence, le Tribunal constate que l’écart entre le prix de l’offre finale de ADS et celui des autres offres ne saurait constituer, à lui seul, un indice de son caractère anormalement bas, compte tenu des particularités du marché en cause. D’une part, la procédure d’appel d’offres a été lancée sous la forme d’un dialogue compétitif, puisque la Commission n’avait pas encore défini les moyens précis pour répondre à ses besoins. Ainsi, les prix des offres dépendaient des différents solutions et moyens techniques proposés par chaque soumissionnaire. D’autre part, il découle des caractéristiques particulières des satellites en cause qu’ils ne sont pas des biens pour lesquels il existe un prix standard ou un prix de marché. En outre au-delà de la différence de prix, la requérante n’a pas avancé d’argument concret à l’appui de son allégation selon laquelle l’offre de ADS aurait dû apparaître anormalement basse.
Le Tribunal conclut qu’il n’a pas été démontré qu’il existait des indices de nature à éveiller le soupçon de la Commission selon lequel l’offre de ADS pouvait être anormalement basse. Par conséquent, la Commission n’était pas tenue de procéder à une vérification de la composition de l’offre de ADS afin de s’assurer que celle-ci n’était pas anormalement basse.
En troisième lieu, le Tribunal rejette le grief pris de ce que, en se limitant à confirmer les résultats figurant dans le rapport d’évaluation, la Commission a violé son obligation d’adopter une décision autonome quant à l’attribution du marché.
D’une part, certes, la Commission assume la responsabilité générale du programme Galileo et, pour la phase de déploiement de ce programme, elle doit conclure une convention de délégation avec l’ESA précisant les tâches de cette dernière, notamment en ce qui concerne la passation des marchés se rapportant au système. C’est précisément dans le cadre de la convention de délégation qui a été conclue entre la Commission et l’ESA que celle-ci, agissant au nom et pour le compte de la Commission, était chargée d’organiser le dialogue compétitif litigieux, alors que la Commission demeurait le pouvoir adjudicateur. Toutefois, la responsabilité du programme Galileo ne saurait modifier, voire accroître, les obligations de la Commission en tant que pouvoir adjudicateur.
D’autre part, dans les cas où un comité d’évaluation a été nommé par le pouvoir adjudicateur, conformément au règlement financier de 2018, c’est à ce comité qu’il appartient de faire l’évaluation des offres dans son rapport d’évaluation. Bien que le pouvoir adjudicateur n’est pas lié par ce rapport, il a le droit de se baser sur celui-ci pour attribuer le marché en cause. Partant, le fait que les décisions attaquées ont été motivées par le renvoi au rapport d’évaluation, la Commission faisant sienne l’opinion du comité d’évaluation chargé d’évaluer les offres soumises, n’enlève rien au fait qu’elles ont été adoptées de façon autonome.
{1} Avis de marché publié au Supplément au Journal officiel de l’Union européenne du 15 mai 2018 (JO 2018/S 091-206089).
{2} Conformément à l’article 15, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1285/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, relatif à la mise en place et à l’exploitation des systèmes européens de radionavigation par satellite et abrogeant le règlement (CE) no 876/2002 du Conseil et le règlement (CE) no 683/2008 du Parlement européen et du Conseil (JO 2013, L 347, p. 1), la Commission avait conclu une convention de délégation avec l’ESA pour la phase de déploiement du programme Galileo.
{3} Règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1), et plus précisément en vertu des articles 136 et 145 de ce règlement.
{4} Au sens de l’article 136, paragraphe 2, du règlement financier de 2018.
{5} Annexe I, chapitre 1, section 2, points 23.1, premier alinéa, et point 23.2 du règlement financier de 2018.
Arrêt du 26 avril 2023, OHB System / Commission (T-54/21) (cf. point 140)
Arrêt du 8 mai 2019, Enrico Colombo et Corinti Giacomo / Commission (T-690/16) (cf. point 82)
Arrêt du 13 juin 2019, Strabag Belgium / Parlement (T-299/18) (cf. point 66)
Arrêt du 9 février 2022, Companhia de Seguros Índico / Commission (T-672/19) (cf. point 52)
Arrêt du 15 février 2023, RH / Commission (T-175/21) (cf. point 31)
12. Recours en annulation - Moyens - Moyen dirigé contre un motif surabondant - Moyen inopérant
Arrêt du 6 octobre 2021, Sipcam Oxon / Commission (T-518/19) (cf. point 112)
Arrêt du 8 juin 2022, Darment / Commission (T-92/21) (cf. point 90)
Ordonnance du 20 juin 2023, NO / Commission (T-771/22) (cf. points 39-41)
13. Recours en annulation - Moyens - Moyens et griefs relatifs au déroulement d'une inspection au soutien de conclusions visant à l'annulation de la décision ordonnant une inspection - Moyens et griefs ne pouvant conduire à l'annulation de l'acte attaqué - Moyens inopérants
Ayant reçu des informations relatives à des échanges d’informations entre plusieurs entreprises et associations d’entreprises du secteur de la distribution alimentaire et non alimentaire, la Commission européenne a adopté, en février 2017, une série de décisions ordonnant à plusieurs sociétés de se soumettre à des inspections{1} (ci-après les « décisions d’inspection »). Ces décisions ont été adoptées en application de l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement nº 1/2003 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence (ci-après le « règlement nº 1/2003 »){2}, qui détermine les pouvoirs de la Commission en matière d’inspections.
Dans le cadre de ses inspections, la Commission a notamment procédé à des visites des bureaux des sociétés visées où des copies du contenu du matériel informatique ont été effectuées. Compte tenu de leurs réserves sur les décisions d’inspection et sur le déroulement des inspections, plusieurs sociétés inspectées{3} ont introduit des recours en annulation contre ces décisions. Au soutien de leurs recours, les sociétés requérantes ont soulevé, notamment, une exception d’illégalité de l’article 20 du règlement nº 1/2003, une violation de l’obligation de motivation des décisions d’inspection ainsi qu’une violation de leur droit à l’inviolabilité du domicile. Certaines requérantes contestaient, en outre, la légalité de la saisie et de la copie de données relevant de la vie privée de leurs salariés et dirigeants ainsi que le refus de restitution de ces données{4}.
S’agissant de cette dernière contestation soulevée dans l’affaire T-255/17, le Tribunal la déclare irrecevable. Dans son raisonnement, il souligne que toute entreprise a l’obligation de veiller à la protection des personnes qu’elle emploie ainsi qu’à celle de leur vie privée notamment s’agissant du traitement des données à caractère personnel. Ainsi, une entreprise inspectée peut être amenée à demander à la Commission de ne pas saisir certaines données pouvant porter atteinte à la vie privée de ses salariés ou dirigeants ou à solliciter de la Commission la restitution de ces données. Dès lors, lorsqu’une entreprise invoque la protection au titre du droit au respect de la vie privée de ses salariés ou de ses dirigeants pour s’opposer à la saisie du matériel informatique ou d’outils de communication et à la copie des données qui y sont contenues, la décision par laquelle la Commission rejette cette demande produit des effets juridiques à l’égard de cette entreprise. En l’espèce toutefois, en l’absence de demande de protection préalable formulée par les requérantes, la saisie du matériel en cause et la copie des données contenues dans ce matériel n’ont pas pu donner lieu à l’adoption d’une décision susceptible de recours par laquelle la Commission aurait rejeté, même implicitement, une telle demande de protection. En outre, selon le Tribunal, la demande de restitution des données privées en cause n’a pas été formulée de manière suffisamment précise pour permettre à la Commission de prendre utilement position à son égard, de sorte que les requérantes n’avaient pas reçu, à la date d’introduction du recours, de réponse de la Commission susceptible de constituer un acte attaquable.
S’agissant du bien-fondé des recours, le Tribunal, après avoir rappelé et précisé les règles et principes qui encadrent les décisions d’inspection de la Commission en droit de la concurrence, annule partiellement celles faisant l’objet des recours des requérantes.
En premier lieu, le Tribunal rejette l’exception d’illégalité visant les paragraphes 1 et 4 de l’article 20 du règlement nº 1/2003, qui portent, respectivement, sur le pouvoir général de la Commission de procéder à des inspections et sur l’obligation des entreprises et associations d’entreprises de se soumettre à ces inspections lorsqu’elles sont ordonnées par voie de décision. Au soutien de cette exception d’illégalité, dans chaque affaire, les requérantes invoquaient une méconnaissance du droit à un recours effectif. Dans les affaires T-249/17 et T-254/17 était également invoquée une violation du principe d’égalité des armes et des droits de la défense.
S’agissant du grief tiré d’une violation du droit à un recours effectif, le Tribunal rappelle que ce droit, garanti à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), correspond à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») , de telle sorte que les dispositions de cette dernière et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH) doivent être prises en compte lors de l’interprétation et de l’application de cette disposition de la Charte{5}. Selon la jurisprudence de la Cour EDH, l’existence d’un droit à un recours effectif suppose la réunion de quatre conditions : l’existence d’un contrôle juridictionnel effectif en fait comme en droit (condition d’effectivité), la possibilité pour le justiciable d’obtenir un redressement approprié en cas d’irrégularité (condition d’efficacité), l’accessibilité certaine du recours (condition de certitude) et un contrôle juridictionnel dans un délai raisonnable (condition du délai raisonnable). À cet égard, il ressort de l’examen du Tribunal que le système de contrôle du déroulement des opérations d’inspection, constitué de l’ensemble des voies de droit mises à la disposition des entreprises inspectées{6}, satisfait à ces quatre conditions. Le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours effectif est donc rejeté comme étant non fondé.
Le grief tiré de la violation du principe d’égalité des armes et des droits de la défense est, quant à lui, écarté sur la base d’une jurisprudence constante selon laquelle, au stade de la phase d’instruction préliminaire, la Commission ne peut se voir imposer d’indiquer les indices qui justifient l’inspection d’une entreprise suspectée de pratique anticoncurrentielle. En effet, une telle obligation remettrait en cause l’équilibre que la jurisprudence a établi entre la préservation de l’efficacité de l’enquête et la préservation des droits de la défense de l’entreprise.
En deuxième lieu, dans l’examen du moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation, le Tribunal rappelle que les décisions d’inspection doivent indiquer les présomptions que la Commission entend vérifier, à savoir ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter l’inspection (description de l’infraction suspectée, c’est-à-dire marché présumé en cause, nature des restrictions de concurrence suspectées et secteurs couverts par la prétendue infraction). Cette obligation de motivation spécifique vise à faire apparaître le caractère justifié de l’inspection et à permettre aux entreprises concernées de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant, dans le même temps, les droits de la défense. Dans chaque affaire, le Tribunal constate notamment que les décisions d’inspection font apparaître de manière circonstanciée que la Commission estimait disposer d’indices suffisamment sérieux l’ayant amenée à suspecter des pratiques anticoncurrentielles.
En troisième lieu, s’agissant du moyen relatif à la violation du droit à l’inviolabilité du domicile, le Tribunal rappelle que, pour s’assurer qu’une décision d’inspection ne présente pas un caractère arbitraire, le juge de l’Union doit vérifier que la Commission disposait d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence par l’entreprise concernée.
Afin de pouvoir procéder à cette vérification, le Tribunal avait invité la Commission, par l’adoption de mesures d’organisation de la procédure, à lui communiquer les documents contenant les indices ayant justifié les inspections et la Commission a déféré à cette demande dans le délai imparti. Une « réponse complémentaire » de la Commission, comportant d’autres documents relatifs à de tels indices, a été néanmoins écartée comme étant irrecevable en raison de l’absence de justification valable du caractère tardif de son dépôt.
S’agissant de la forme des indices ayant justifié les décisions d’inspection, le Tribunal souligne que si les indices obtenus avant une inspection étaient soumis au même formalisme que le recueil de preuves d’une infraction dans le cadre d’une enquête ouverte, la Commission devrait respecter des règles qui régissent ses pouvoirs d’enquête alors qu’aucune enquête, au sens du règlement nº 1/2003{7}, n’a encore été formellement ouverte et qu’elle n’a pas fait usage de ses pouvoirs d’enquête, c’est-à-dire qu’elle n’a pas adopté de mesure impliquant le reproche d’avoir commis une infraction, notamment une décision d’inspection. C’est pourquoi, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le Tribunal juge que la réglementation relative à l’obligation d’enregistrement des entretiens{8} n’est pas applicable avant l’ouverture d’une enquête par la Commission. Ainsi, des entretiens avec des fournisseurs, menés avant l’ouverture d’une enquête, sont susceptibles de constituer des indices même s’ils n’ont pas fait l’objet d’un enregistrement. En effet, s’il en était autrement, il serait gravement porté atteinte à la détection de pratiques anticoncurrentielles en raison de l’effet dissuasif que peut avoir un interrogatoire formel devant être enregistré sur la propension des témoins à fournir des informations et à dénoncer des infractions. En outre, selon le Tribunal, ces entretiens avec des fournisseurs constituent des indices à la disposition de la Commission dès la date où ils ont eu lieu et non à partir du moment où ils ont fait l’objet d’un compte rendu, comme le soutiennent les requérantes.
S’agissant de la teneur des indices ayant justifié les décisions d’inspection, le Tribunal relève que, compte tenu de la nécessaire distinction entre preuves d’une pratique concertée et indices justifiant des inspections aux fins du recueil de telles preuves, le seuil de reconnaissance de la détention par la Commission d’indices suffisamment sérieux doit nécessairement se situer en deçà de celui permettant de constater l’existence d’une pratique concertée. À la lumière de ces considérations, il estime que la Commission détenait des indices suffisamment sérieux pour suspecter une pratique concertée concernant les échanges d’informations relatifs aux rabais obtenus sur les marchés de l’approvisionnement de certains produits de consommation courante et les prix sur le marché de la vente de services aux fabricants de produits de marque. En revanche, en l’absence de tels indices en ce qui concerne les échanges d’informations portant sur les stratégies commerciales futures des entreprises suspectées, le Tribunal accueille le moyen tiré de la violation du droit à l’inviolabilité du domicile en ce qui concerne cette deuxième infraction, et annule donc partiellement les décisions d’inspection.
{1} Dans l’affaire T-249/17 est visée la décision C(2017) 1054 final de la Commission, du 9 février 2017, ordonnant à Casino, Guichard-Perrachon ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elles de se soumettre à une inspection (affaire AT.40466 - Tute 1). Dans l’affaire T-254/17 (affaire non publiée) est visée la décision C(2017) 1056 final de la Commission, du 9 février 2017, ordonnant à Intermarché Casino Achats ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre à une inspection (affaire AT.40466 - Tute 1). Dans l’affaire T-255/17 sont visées, à titre principal, la décision C(2017) 1361 final de la Commission, du 21 février 2017, ordonnant aux Mousquetaires ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par eux de se soumettre à une inspection (affaire AT.40466 - Tute 1) ainsi que la décision C(2017) 1360 final de la Commission, du 21 février 2017, visant les mêmes sociétés (affaire AT.40467 - Tute 2), et, à titre subsidiaire, la décision C(2017) 1057 final de la Commission, du 9 février 2017, ordonnant à Intermarché ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre à une inspection (affaire AT.40466 - Tute 1) ainsi que la décision C(2017) 1061 final de la Commission, du 9 février 2017, visant les mêmes sociétés (affaire AT.40467 - Tute 2).
{2} Règlement (CE) nº 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).
{3} Les sociétés requérantes sont Casino, Guichard-Perrachon et Achats Marchandises Casino SAS (AMC) (affaire T-249/17) ; Intermarché Casino Achats (affaire T 254/17) et Les Mousquetaires et ITM Entreprises (affaire T-255/17).
{4} Il s’agit des Mousquetaires et d’ITM Entreprises dans l’affaire T-255/17.
{5} Article 52 de la Charte et explications relatives à cet article.
{6} Recours en annulation, action en référé, recours en responsabilité non contractuelle.
{7} Chapitre V du règlement (CE) nº 1/2003.
{8} Article 19 du règlement (CE) nº 1/2003 et article 3 du règlement (CE) nº 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18).
14. Recours en annulation - Moyens - Insuffisance de motivation - Moyen distinct de celui portant sur la légalité au fond
À la suite de la guerre en Libye en 2011 et de la chute du régime de Muammar Khadafi, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, le 26 février 2011, la résolution 1970 (2011) instaurant des mesures restrictives à l’encontre de la Libye ainsi que des personnes et des entités ayant participé à la commission de violations graves des droits de l’homme, y compris à des attaques contre des populations civiles{1}. Le Conseil de l’Union européenne a, pour sa part, adopté, les 28 février et 2 mars 2011, des mesures restrictives en raison de la situation en Libye{2}, lesquelles prévoient que les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes visées par la résolution 1970 (2011) ainsi que le gel de leurs fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques. Après l’adoption, en 2014 et 2015, par le Conseil de sécurité des Nations unies, de nouvelles mesures restrictives à l’encontre des personnes et entités qui mettent en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou la réussite de sa transition politique{3}, le Conseil a adopté de nouveaux actes{4} aux fins, notamment, d’étendre les critères de désignation initiaux.
La requérante, ressortissante libyenne, est la fille de l’ancien dirigeant libyen M. Muammar Kadhafi. Elle a été inscrite sur les listes annexées aux actes du Conseil d’abord en raison de son association étroite avec le régime, puis de voyages effectués en violation de la résolution 1970 (2011). Après avoir procédé au réexamen des listes de noms des personnes et entités concernées, le Conseil a, par la décision 2017/497 et le règlement 2017/489{5}, puis, en maintenant les mêmes motifs à l’encontre de la requérante, par la décision 2020/374 et le règlement 2020/371{6}, maintenu l’inscription du nom de la requérante sur ces listes, en application de la résolution 1970 (2011) stipulant l’interdiction de voyager et le gel des avoirs. La requérante a attaqué ces actes.
Le Tribunal annule ces actes en tant qu’ils concernent la requérante, au motif que les actes attaqués sont dépourvus de base factuelle. Concernant la recevabilité du recours, le Tribunal juge notamment qu’il revient au Conseil de communiquer aux personnes concernées les décisions modificatives d’une inscription sur les listes, même en l’absence d’une obligation dérivant directement des actes attaqués en l’espèce.
Appréciation du Tribunal
Concernant la recevabilité du recours, dont la tardiveté était alléguée par le Conseil, le Tribunal rappelle tout d’abord que, si l’entrée en vigueur des actes attaqués a lieu en vertu de leur publication au Journal officiel de l’Union européenne, le délai pour l’introduction d’un recours en annulation contre les actes attaqués en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, court, pour chacune des personnes visées, à compter de la date de communication qui doit lui être faite. Le Tribunal précise à ce sujet que, si la décision 2015/1333 et le règlement 2016/44, sur la base desquels les actes attaqués ont été adoptés, ne prévoient pas l’obligation expresse pour le Conseil de notifier aux personnes concernées les actes par lesquels il a maintenu l’inscription de leur nom sur les listes, l’obligation de notification résulte du principe de protection juridictionnelle effective, y compris dans le cas d’une décision de maintien de l’inscription, et ce indépendamment de la question de savoir si des éléments nouveaux fondaient ladite décision de maintien. En l’espèce, les actes attaqués ne sont pas adoptés à des intervalles réguliers et, compte tenu du défaut de prévisibilité quant à leur adoption, si le délai de recours devait courir à compter de leur seule publication, les personnes concernées devraient vérifier continuellement le Journal officiel, ce qui serait de nature à entraver leur accès au juge de l’Union. Le Tribunal en conclut que le Conseil ne peut pas valablement prétendre que le délai de recours en l’espèce avait commencé à courir, pour la requérante, à partir de la date de publication des actes attaqués au Journal officiel.
S’agissant des modalités selon lesquelles le Conseil était tenu de communiquer les actes à la requérante aux fins d’établir le point de départ du délai de recours, le Tribunal rappelle ensuite que la communication indirecte de tels actes par la publication d’un avis au Journal officiel n’est autorisée que dans les cas où il est impossible pour le Conseil de procéder à une communication individuelle. Les actes attaqués n’ayant pas fait l’objet d’un avis publié au Journal officiel et le Conseil n’ayant pas été dans l’impossibilité de communiquer lesdits actes à la requérante ou à son avocate, dûment mandatée pour recevoir une telle notification pour le compte de sa cliente, le Tribunal considère, au vu du dossier, que la communication individuelle des actes de 2017 a eu lieu par une lettre du 25 mars 2019 et que la requérante a pu prendre connaissance des actes de 2020, au plus tôt, par une réponse du Conseil du 13 juillet 2020, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure du Tribunal. Le Tribunal en conclut que le recours n’était dès lors pas tardif.
Sur le fond, s’agissant, en premier lieu, du défaut allégué de motivation des actes attaqués, le Tribunal constate que les actes attaqués font état de la raison pour laquelle le Conseil a maintenu le nom de la requérante sur les listes litigieuses en mars 2017 et en mars 2020, qui correspond aux justifications qui avaient été mentionnées pour procéder à l’inscription de son nom sur les listes annexées aux actes de 2011 et ensuite sur lesdites listes litigieuses. Le Tribunal retient que le Conseil a fourni des informations à la requérante en faisant référence, d’une part, aux déclarations que celle-ci aurait effectuées publiquement en 2011 et en 2013, appelant à renverser les autorités libyennes légitimes et à venger la mort de son père, et, d’autre part, à la situation d’instabilité existant encore en Libye, tout en réaffirmant la nécessité d’empêcher des individus associés à l’ancien régime de M. Kadhafi de continuer à fragiliser la situation en Libye. Le Tribunal en conclut que la requérante a pu comprendre que son nom avait été maintenu sur les listes litigieuses en raison de son inscription en vertu de la résolution 1970 (2011), des déclarations qui font partie du contexte dans lequel les actes attaqués s’inséraient et du fait que le Conseil jugeait ces mesures encore nécessaires.
S’agissant, en second lieu, du défaut allégué de base factuelle justifiant le maintien du nom de la requérante sur les listes, le Tribunal constate que les actes attaqués ne font pas état d’autres justifications pour le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses en mars 2017 et en mars 2020 que celles mises en avant pour procéder à l’inscription de son nom sur les listes annexées aux actes de 2011 et à l’application de la résolution 1970 (2011). Il relève que bien que les motifs sur lesquels les actes attaqués s’appuient, à savoir le fait d’être la fille de Muammar Kadhafi et son association étroite avec le régime de ce dernier, n’ont pas été contestés en temps utile devant le juge de l’Union, le Conseil n’était aucunement déchargé de son obligation d’établir que le maintien de son nom sur les listes litigieuses reposait sur une base factuelle suffisamment solide.
En outre, le Tribunal observe que le Conseil se borne à renvoyer aux déclarations que la requérante aurait effectuées publiquement en 2011, immédiatement après la divulgation des rapports concernant la mort de M. Kadhafi et de M. Mutassim Kadhafi, et en 2013. Le Tribunal relève que plusieurs années se sont écoulées depuis que ces déclarations ont été rapportées dans la presse et portées à la connaissance du Conseil, sans que ce dernier avance la moindre indication quant aux raisons pour lesquelles le contenu desdites déclarations aurait attesté que la requérante représentait encore une menace, sanctionnée dans le cadre des objectifs de la résolution 1970 (2011), nonobstant les changements intervenus entre-temps concernant sa situation individuelle. À cet égard, il observe que, depuis les actes d’inscription de 2011 et les actes d’inscription subséquents, la requérante ne résidait plus en Libye et le dossier ne fait état ni d’une quelconque participation de sa part à la vie politique libyenne ni de déclarations autres que celles qui lui ont été attribuées en 2011 et en 2013. Malgré ces changements concernant sa situation individuelle, le Conseil n’explique pas les raisons pour lesquelles celle-ci représentait, en 2017 et en 2020, soit lors de l’adoption des actes attaqués, une menace pour la paix et la sécurité internationales dans la région. Le Tribunal conclut que, compte tenu de l’ensemble de ces considérations, les critiques de la requérante, tirées du fait que les actes attaqués sont dépourvus de base factuelle justifiant le maintien de son nom sur les listes litigieuses, sont fondées et que le Conseil a commis une erreur d’appréciation de nature à entraîner l’annulation des décisions 2017/497 et 2020/374 et des règlements 2017/489 et 2020/371.
{1} Résolution 1970 (2011) du Conseil de sécurité des Nations unies, du 26 février 2011.
{2} Décision 2011/137/PESC du Conseil, du 28 février 2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2011, L 58, p. 53), et règlement (UE) nº 204/2011 du Conseil, du 2 mars 2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2011, L 58, p. 1).
{3} Résolution 2174 (2014) du Conseil de sécurité des Nations unies, du 27 août 2014, et résolution 2213 (2015) du Conseil de sécurité des Nations unies, du 27 mars 2015.
{4} Décision (PESC) 2015/818 du Conseil, du 26 mai 2015, modifiant la décision 2011/137 (JO 2015, L 129, p. 13), et règlement (UE) 2015/813 du Conseil, du 26 mai 2015, modifiant le règlement 204/2011 (JO 2015, L 129, p. 1).
{5} Décision d’exécution (PESC) 2017/497 du Conseil, du 21 mars 2017, mettant en œuvre la décision (PESC) 2015/1333 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2017, L 76, p. 25), et règlement d’exécution (UE) 2017/489 du Conseil, du 21 mars 2017, mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 5, du règlement (UE) 2016/44 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2017, L 76, p. 3).
{6} Décision (PESC) 2020/374 du Conseil, du 5 mars 2020, mettant en œuvre la décision 2015/1333 (JO 2020, L 71, p. 14), et règlement d’exécution (UE) 2020/371 du Conseil, du 5 mars 2020, mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 5, du règlement 2016/44 (JO 2020, L 71, p. 5).
Arrêt du 21 avril 2021, El-Qaddafi / Conseil (T-322/19) (cf. points 76, 77)
15. Recours en annulation - Moyens - Moyens et griefs ne pouvant conduire à l'annulation de l'acte attaqué - Moyens inopérants
Arrêt du 15 septembre 2021, France / ECHA (T-127/20) (cf. point 32)
Arrêt du 15 décembre 2021, Lück / EUIPO - R. H. Investment (MALLE) (T-188/21) (cf. point 14)
Arrêt du 21 décembre 2022, Vialto Consulting / Commission (T-537/18) (cf. point 53)
Arrêt du 20 mars 2024, Nehera e.a. / EUIPO - Zdút (nehera) (T-334/23 À T-337/23) (cf. point 37)
16. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision de la commission de recours de l'agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) - Acte instituant l'ACER excluant la possibilité d'avancer devant le Tribunal des moyens non présentés devant ladite commission - Exception d'illégalité soulevée pour la première fois dans le cadre du recours en annulation - Recevabilité
En 2015, FGSZ Földgázszállító Zrt., gestionnaire du réseau de transport de gaz hongrois (ci après « FGSZ »), ainsi que ses homologues bulgare, roumain et autrichien se sont lancés dans un projet de coopération régionale visant à accroître l’indépendance énergétique en introduisant le gaz de la mer Noire. Ce projet prévoyait l’augmentation des capacités supplémentaires à deux points d’interconnexion, dont celui existant entre la Hongrie et l’Autriche (ci-après le « projet HUAT »). À ce titre, FGSZ et son homologue autrichien, Gas Connect Austria GmbH (ci-après « GCA »), ont publié un rapport d’évaluation conjoint, conformément au règlement 2017/459 établissant un code de réseau sur les mécanismes d’attribution des capacités dans les systèmes de transport de gaz{1}.
En application du même règlement{2}, FGSZ a formellement soumis à l’autorité de régulation de l’énergie et des services publics hongroise, Magyar Energetikai és Közmű-szabályozási Hivatal (MEKH), la proposition de projet HUAT, tout en soulignant qu’elle n’était pas en faveur de la mise en œuvre de ce projet. GCA a, quant à elle, soumis la proposition à l’autorité de régulation des secteurs de l’électricité et du gaz naturel autrichienne, Energie-Control Austria für die Regulierung der Elektrizitäts- und Erdgaswirtschaft (E-Control).
E-Control a approuvé la proposition de projet HUAT, tandis que MEKH l’a rejetée. Les autorités de régulation nationales n’étant pas parvenues à un accord, l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) a adopté, à son tour, une décision portant approbation de la proposition de projet HUAT (ci-après la « décision initiale »).
MEKH et FGSZ ont chacune introduit un recours contre la décision initiale devant la commission de recours de l’ACER. Leurs recours ayant été rejetés par ladite commission, MEKH (affaire T-684/19) et FGSZ (affaire T-704/19) ont saisi le Tribunal de deux recours en annulation de cette décision de rejet, le recours de MEKH tendant également à l’annulation de la décision initiale. Au soutien de son recours, MEKH excipait notamment de l’illégalité du chapitre V du règlement 2017/459.
Dans son arrêt, la deuxième chambre élargie du Tribunal, tout en déclarant irrecevable le recours en annulation de MEKH pour autant qu’il est dirigé contre la décision initiale, fait droit à l’exception d’illégalité soulevée par cette dernière et annule, en conséquence, la décision de rejet de la commission de recours de l’ACER.
Appréciation du Tribunal
À titre liminaire, le Tribunal déclare irrecevable le recours en annulation de MEKH en ce qu’il est dirigé contre la décision initiale. À cet égard, il relève que la recevabilité d’un recours en annulation formé par des personnes physiques ou morales contre des actes d’ACER destinés à produire des effets juridiques à leur égard est à examiner au regard des modalités particulières prévues par l’acte instituant cette agence, à savoir le règlement 2019/942{3}. Or, conformément audit règlement, seule la décision de la commission de recours de l’ACER est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation devant le Tribunal{4}.
En revanche, nonobstant le fait que MEKH n’avait pas soulevé d’exception d’illégalité du chapitre V du règlement 2017/459 devant la commission de recours de l’ACER, cette exception, invoquée par MEKH devant le Tribunal, est déclarée recevable par celui-ci. En effet, dès lors que seul le juge de l’Union est habilité à constater l’illégalité d’un acte de portée générale{5}, MEKH était en droit de soulever cette exception pour la première fois devant le Tribunal en vue de contester la validité de la décision de rejet de la commission de recours de l’ACER.
Quant au bien-fondé de cette exception d’illégalité, le Tribunal relève d’abord que le règlement 2017/459, qui établit un code de réseau sur les mécanismes d’attribution des capacités dans les systèmes de transport de gaz, instaure, par son chapitre V, un processus relatif aux capacités supplémentaires qui est susceptible d’imposer une obligation, à la charge des gestionnaires de réseau de transport, de consacrer les investissements nécessaires à la création de capacités supplémentaires sur le réseau. En effet, il ressort des termes mêmes dudit chapitre V{6} qu’un projet de capacités supplémentaires est lancé lorsque les différentes conditions y prévues sont réunies, ce qui implique que les gestionnaires du réseau de transport sont tenus de procéder aux investissements nécessaires à cette fin.
Ensuite, le Tribunal examine si, en élaborant un code de réseau prévoyant un tel processus de création de capacités supplémentaires, la Commission a dépassé les limites de l’habilitation attribuée par le règlement de base, à savoir le règlement nº 715/2009 concernant les conditions d’accès aux réseaux de transport de gaz naturel{7}.
Compte tenu du fait que, en vertu dudit règlement de base, la Commission est seulement habilitée à adopter des codes de réseau dans certains domaines limitativement énumérés et à condition que le réseau européen des gestionnaires de réseau de transport pour le gaz (ci-après le « REGRT ») n’ait pas encore élaboré un tel code dans le domaine concerné{8}, le Tribunal vérifie, en premier lieu, si le chapitre V du règlement 2017/459 est rattachable à l’un des domaines visés.
À cet égard, il découle d’une interprétation littérale du règlement de base que les domaines y énumérés ne sont pas susceptibles d’inclure la question de la création des capacités supplémentaires sur le réseau. De même, l’interprétation contextuelle dudit règlement révèle une distinction entre, d’une part, les domaines pour lesquels le REGRT est compétent pour élaborer des codes de réseau et, d’autre part, l’encadrement des investissements nécessaires à la création de capacités supplémentaires sur le réseau, pour lesquels le REGRT coordonne l’exercice par les États membres de leur propre compétence. En outre, le Tribunal relève que c’est au titre de la directive 2009/73 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel{9} que les gestionnaires de réseau de transport sont soumis, le cas échéant, à l’obligation de consacrer les investissements nécessaires à la création de telles capacités supplémentaires. Dans ce cadre, il appartient aux États membres de veiller au respect de cette obligation, sans qu’il soit reconnu au REGRT ou à la Commission une compétence normative à cet égard. Enfin, aucun des motifs du règlement de base ne permet de déceler une finalité consistant à habiliter le REGRT et, par voie de conséquence, la Commission à élaborer un code de réseau s’étendant à la question des investissements nécessaires à la création des capacités supplémentaires.
Le chapitre V du règlement 2017/459 n’étant pas rattachable à l’un des domaines limitativement énumérés dans le règlement de base, le Tribunal examine, en second lieu, si la Commission était habilitée à adopter les règles régissant le processus relatif aux capacités supplémentaires en vertu d’autres dispositions dudit règlement de base, autorisant la Commission à en modifier les éléments non essentiels à l’occasion de l’adoption d’un code de réseau{10}.
Or, en vertu d’une jurisprudence constante, les éléments essentiels d’une réglementation de base sont ceux dont l’adoption nécessite d’effectuer des choix politiques relevant des responsabilités propres du législateur de l’Union. En l’espèce, le législateur de l’Union a fait le choix politique de confier la mise en œuvre des règles relatives à la création des capacités supplémentaires aux seuls États membres, l’habilitation reconnue au REGRT et, par extension, à la Commission dans le domaine des règles d’attribution des capacités{11} ne concernant que les capacités existantes sur le réseau. Il s’ensuit que la modification apportée par le chapitre V, consistant à étendre cette habilitation à la création de capacités supplémentaires, concerne un élément essentiel du règlement de base.
Concluant, ainsi, que la Commission n’était pas habilitée à instaurer un processus relatif aux capacités supplémentaires, le Tribunal fait droit à l’exception d’illégalité et déclare inapplicable le chapitre V du règlement 2017/459. Comme la décision de rejet de la commission de recours de l’ACER faisait application dudit chapitre, le Tribunal accueille, en outre, les recours en annulation en ce qu’ils sont dirigés contre cette décision, en l’annulant avec effet erga omnes.
{1} Article 26 du règlement (UE) 2017/459 de la Commission, du 16 mars 2017, établissant un code de réseau sur les mécanismes d’attribution des capacités dans les systèmes de transport de gaz et abrogeant le règlement (UE) nº 984/2013 (JO 2017, L 72, p. 1).
{2} Article 28, paragraphe 1, du règlement 2017/459.
{3} Règlement (UE) 2019/942 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, instituant une agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (refonte) (JO 2019, L 158, p. 22).
{4} Considérant 34 et articles 28 et 29 du règlement 2019/942.
{5} Article 277 TFUE.
{6} Article 22, paragraphe 3, du règlement 2017/459.
{7} Règlement (CE) nº 715/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant les conditions d’accès aux réseaux de transport de gaz naturel et abrogeant le règlement (CE) nº 1775/2005 (JO 2009, L 211, p. 36) (ci-après le « règlement de base »).
{8} Article 6 du règlement de base.
{9} Directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE (JO 2009, L 211, p. 94).
{10} Article 6, paragraphe 11, second alinéa, et 7, paragraphe 3, du règlement de base.
{11} Article 8, paragraphe 6, sous g), du règlement de base.
Arrêt du 16 mars 2022, MEKH / ACER (T-684/19 et T-704/19) (cf. points 47-51)
17. Agriculture - Financement par le FEAGA et par le Feader - Système intégré de gestion et de contrôle relatif à certains régimes d'aides - Taux d'augmentation des contrôles sur place en cas de non-conformités significatives - Marge de manœuvre des États membres concernant les modalités de contrôle - Vérification par la Commission - Valeur juridique des documents de travail de la Commission - Décision de la Commission, fondée sur de tels documents, excluant certaines dépenses du financement par l'Union - Annulation
Voir le texte de la décision.
18. Recours en annulation - Moyens - Recours dirigé contre une décision de la Banque centrale européenne (BCE) de retrait de l'agrément d'un établissement de crédit - Compétence de la BCE pour adopter cette décision - Moyen tiré d'une erreur de base juridique sans influence sur l'appréciation du fond opérée par la BCE - Moyen inopérant
Depuis 2010, l’Österreichische Finanzmarktbehörde (autorité autrichienne de surveillance des marchés financiers, ci-après la « FMA ») a adopté un grand nombre d’injonctions et de sanctions à l’égard d’AAB Bank, un établissement de crédit établi en Autriche. Sur ce fondement, en 2019, la FMA a soumis à la Banque centrale européenne (BCE) un projet de décision visant à retirer l’agrément d’AAB Bank pour l’accès aux activités d’un établissement de crédit. Par sa décision{1}, la BCE a procédé au retrait de cet agrément. En substance, elle a considéré que, sur la base des constats de la FMA, effectués dans le cadre de l’exercice de sa mission de surveillance prudentielle et portant sur l’inobservation continue et répétée des exigences relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ainsi qu’à la gouvernance interne par AAB Bank, celui-ci n’était pas apte à assurer une gestion saine de ses risques.
Le recours tendant à l’annulation de la décision de la BCE est rejeté par la neuvième chambre élargie du Tribunal. Dans son arrêt, le Tribunal se prononce, pour la première fois, sur un retrait d’agrément d’un établissement de crédit en raison d’infractions graves à la législation de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme et de la violation des règles portant sur la gouvernance des établissements de crédit.
Appréciation du Tribunal
Tout d’abord, le Tribunal constate que, en l’espèce, les critères justifiant le retrait de l’agrément prévus à la directive 2013/36{2} et transposés en droit national étaient remplis.
D’une part, sur le constat de la BCE selon lequel AAB Bank était déclaré responsable d’infractions graves aux dispositions nationales visant la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme adoptées en vertu de la directive 2005/60{3}, {4}, le Tribunal juge que la BCE n’a commis aucune erreur manifeste d’appréciation.
À titre liminaire, le Tribunal observe que, en exerçant sa compétence relative au retrait des agréments des établissements de crédit, la BCE est tenue d’appliquer, entre autres, les dispositions du droit national transposant la directive 2013/36.
En l’occurrence, il relève que, en tenant compte notamment des décisions de la FMA et des arrêts des juridictions autrichiennes, la BCE a estimé que AAB Bank avait violé, depuis plusieurs années, les dispositions nationales transposant la directive 2013/36. En effet, il ne disposait pas d’une procédure appropriée de gestion des risques aux fins de la prévention du blanchiment et avait été déclaré responsable de violations graves, répétées ou systématiques de la législation nationale sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Le Tribunal estime que, compte tenu de l’importance de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, un établissement de crédit peut être déclaré responsable d’infractions graves sur le fondement de décisions administratives adoptées par une autorité nationale compétente, suffisantes, en soi, pour justifier un retrait de son agrément. Le fait que les infractions seraient anciennes ou auraient été corrigées n’a pas d’incidence sur l’engagement d’une telle responsabilité. En effet, le droit national pertinent n’impose pas un délai à observer pour tenir compte des décisions antérieures établissant la responsabilité. Il n’exige non plus que des infractions graves ne soient pas interrompues ou existent toujours au moment de l’adoption de la décision de retrait d’agrément, d’autant plus que, en l’espèce, les infractions ont été constatées seulement quelques années avant l’adoption de la décision attaquée. Quant à la position d’AAB Bank que les infractions auraient été corrigées et, par conséquent, ne pourraient plus justifier un retrait d’agrément, le Tribunal précise qu’une telle approche remettrait en cause l’objectif de sauvegarde du système bancaire européen car elle permettrait aux établissements de crédit ayant commis des infractions graves de continuer leurs activités tant que les autorités compétentes ne démontrent pas à nouveau qu’ils ont commis de nouvelles infractions. De plus, un établissement de crédit déclaré responsable d’infractions graves par une décision devenue définitive ne saurait se prévaloir de l’éventuelle prescription de telles infractions.
Le Tribunal rejette également les arguments d’AAB Bank visant à contester la gravité des infractions constatées.
À cet égard, il souligne, en particulier, que la gravité des infractions ne saurait être contestée au stade de la procédure administrative devant la BCE dès lors que, dans les décisions antérieures à la proposition de retrait de la FMA, devenues définitives à la date de la décision attaquée, les autorités compétentes ont considéré AAB Bank responsable desdites infractions. En outre, au regard de l’objectif d’assurer la sauvegarde du marché bancaire européen, il ne saurait être reproché à la BCE d’avoir considéré que des violations systématiques, graves et continues de la législation nationale sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme devaient être qualifiées d’infractions graves justifiant un retrait d’agrément.
D’autre part, le Tribunal entérine la position de la BCE selon laquelle AAB Bank n’a pas mis en place les dispositifs de gouvernance exigés par les autorités compétentes conformément aux dispositions nationales transposant la directive 2013/36{5}. Dans ce contexte, il écarte les arguments d’AAB Bank selon lesquels, à la date de la décision attaquée, il ne commettait pas d’infractions à la législation relative aux dispositifs de gouvernance. Il relève que l’interprétation selon laquelle des infractions passées ou qui ont été atténuées ne pourraient pas justifier un retrait d’agrément ne ressort ni de la directive 2013/36 ni du droit national pertinent.
Ensuite, le Tribunal conclut que, en refusant de suspendre l’application de la décision attaquée, la BCE n’a commis aucune erreur. Il observe notamment que le refus de cette dernière de suspendre l’application immédiate de cette décision n’a pas empêché AAB Bank d’introduire un recours en annulation et une demande de mesures provisoires. De plus, le président du Tribunal a ordonné le sursis à l’exécution de la décision attaquée six jours après son adoption, le temps qu’il soit statué sur la demande de mesures provisoires. Ainsi, aucune violation du droit à une protection juridictionnelle effective ne pouvait être constatée.
Par la suite, le Tribunal juge que la décision attaquée a été adoptée en assurant le respect des droits de la défense d’AAB Bank. Dans ce contexte, il précise qu’AAB Bank a été correctement entendu lors de l’adoption de la décision attaquée. En effet, ce dernier a été mis en mesure de présenter ses observations sur le projet de cette décision. En revanche, la BCE n’était pas tenue de communiquer à AAB Bank le projet de décision de la FMA et ainsi permettre à ce dernier d’y réagir.
En outre, le Tribunal constate que, en l’espèce, la BCE n’a pas omis de déterminer, d’examiner et d’apprécier avec soin et impartialité tous les éléments matériels pertinents pour le retrait de l’agrément. Concrètement, la BCE a valablement déclaré, à la suite de sa propre évaluation, qu’elle était d’accord avec les constats de la FMA sur la commission d’infractions par AAB Bank, confirmée tant par les décisions administratives de la FMA que par les décisions des juridictions nationales. Au terme de sa propre évaluation, la BCE a qualifié les faits en cause comme établissant qu’AAB Bank avait été déclaré responsable d’une infraction grave à la législation nationale sur la lutte contre le blanchissement et le financement du terrorisme. De même, elle ne s’est pas limitée à reproduire les constats opérés par la FMA quant à la non-mise en place, par AAB Bank, des dispositifs de gouvernance nécessaires. Au contraire, la BCE s’est fondée sur sa propre appréciation du respect des dispositions nationales pertinentes à cet égard.
Enfin, le Tribunal rejette le moyen d’AAB Bank selon lequel la décision attaquée aurait détruit la valeur économique des actions que son actionnaire détenait dans son capital et aurait porté une atteinte à la substance du droit de propriété de cet actionnaire. En effet, AAB Bank n’est pas titulaire de ce droit de propriété, il ne saurait donc l’invoquer au soutien de son recours en annulation.
{1} Décision ECB-SSM-2019-AT 8 WHD-2019 0009, du 14 novembre 2019.
{2} Directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE (JO 2013, L 176, p. 338).
{3} Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (JO 2005, L 309, p. 15).
{4} Critère aboutissant à la révocation de l’agrément, visé à l’article 67, paragraphe 1, sous o), de la directive 2013/36.
{5} Critère aboutissant à la révocation de l’agrément, visé à l’article 67, paragraphe 1, sous d), de la directive 2013/36.
19. Recours en annulation - Moyens - Recours dirigé contre une décision de la Banque centrale européenne (BCE) de retrait de l'agrément d'un établissement de crédit - Moyen tiré d'une violation du droit de propriété de l'actionnaire - Impossibilité pour l'établissement de crédit concerné de se prévaloir du droit de propriété de son actionnaire
Depuis 2010, l’Österreichische Finanzmarktbehörde (autorité autrichienne de surveillance des marchés financiers, ci-après la « FMA ») a adopté un grand nombre d’injonctions et de sanctions à l’égard d’AAB Bank, un établissement de crédit établi en Autriche. Sur ce fondement, en 2019, la FMA a soumis à la Banque centrale européenne (BCE) un projet de décision visant à retirer l’agrément d’AAB Bank pour l’accès aux activités d’un établissement de crédit. Par sa décision{1}, la BCE a procédé au retrait de cet agrément. En substance, elle a considéré que, sur la base des constats de la FMA, effectués dans le cadre de l’exercice de sa mission de surveillance prudentielle et portant sur l’inobservation continue et répétée des exigences relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ainsi qu’à la gouvernance interne par AAB Bank, celui-ci n’était pas apte à assurer une gestion saine de ses risques.
Le recours tendant à l’annulation de la décision de la BCE est rejeté par la neuvième chambre élargie du Tribunal. Dans son arrêt, le Tribunal se prononce, pour la première fois, sur un retrait d’agrément d’un établissement de crédit en raison d’infractions graves à la législation de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme et de la violation des règles portant sur la gouvernance des établissements de crédit.
Appréciation du Tribunal
Tout d’abord, le Tribunal constate que, en l’espèce, les critères justifiant le retrait de l’agrément prévus à la directive 2013/36{2} et transposés en droit national étaient remplis.
D’une part, sur le constat de la BCE selon lequel AAB Bank était déclaré responsable d’infractions graves aux dispositions nationales visant la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme adoptées en vertu de la directive 2005/60{3}, {4}, le Tribunal juge que la BCE n’a commis aucune erreur manifeste d’appréciation.
À titre liminaire, le Tribunal observe que, en exerçant sa compétence relative au retrait des agréments des établissements de crédit, la BCE est tenue d’appliquer, entre autres, les dispositions du droit national transposant la directive 2013/36.
En l’occurrence, il relève que, en tenant compte notamment des décisions de la FMA et des arrêts des juridictions autrichiennes, la BCE a estimé que AAB Bank avait violé, depuis plusieurs années, les dispositions nationales transposant la directive 2013/36. En effet, il ne disposait pas d’une procédure appropriée de gestion des risques aux fins de la prévention du blanchiment et avait été déclaré responsable de violations graves, répétées ou systématiques de la législation nationale sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Le Tribunal estime que, compte tenu de l’importance de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, un établissement de crédit peut être déclaré responsable d’infractions graves sur le fondement de décisions administratives adoptées par une autorité nationale compétente, suffisantes, en soi, pour justifier un retrait de son agrément. Le fait que les infractions seraient anciennes ou auraient été corrigées n’a pas d’incidence sur l’engagement d’une telle responsabilité. En effet, le droit national pertinent n’impose pas un délai à observer pour tenir compte des décisions antérieures établissant la responsabilité. Il n’exige non plus que des infractions graves ne soient pas interrompues ou existent toujours au moment de l’adoption de la décision de retrait d’agrément, d’autant plus que, en l’espèce, les infractions ont été constatées seulement quelques années avant l’adoption de la décision attaquée. Quant à la position d’AAB Bank que les infractions auraient été corrigées et, par conséquent, ne pourraient plus justifier un retrait d’agrément, le Tribunal précise qu’une telle approche remettrait en cause l’objectif de sauvegarde du système bancaire européen car elle permettrait aux établissements de crédit ayant commis des infractions graves de continuer leurs activités tant que les autorités compétentes ne démontrent pas à nouveau qu’ils ont commis de nouvelles infractions. De plus, un établissement de crédit déclaré responsable d’infractions graves par une décision devenue définitive ne saurait se prévaloir de l’éventuelle prescription de telles infractions.
Le Tribunal rejette également les arguments d’AAB Bank visant à contester la gravité des infractions constatées.
À cet égard, il souligne, en particulier, que la gravité des infractions ne saurait être contestée au stade de la procédure administrative devant la BCE dès lors que, dans les décisions antérieures à la proposition de retrait de la FMA, devenues définitives à la date de la décision attaquée, les autorités compétentes ont considéré AAB Bank responsable desdites infractions. En outre, au regard de l’objectif d’assurer la sauvegarde du marché bancaire européen, il ne saurait être reproché à la BCE d’avoir considéré que des violations systématiques, graves et continues de la législation nationale sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme devaient être qualifiées d’infractions graves justifiant un retrait d’agrément.
D’autre part, le Tribunal entérine la position de la BCE selon laquelle AAB Bank n’a pas mis en place les dispositifs de gouvernance exigés par les autorités compétentes conformément aux dispositions nationales transposant la directive 2013/36{5}. Dans ce contexte, il écarte les arguments d’AAB Bank selon lesquels, à la date de la décision attaquée, il ne commettait pas d’infractions à la législation relative aux dispositifs de gouvernance. Il relève que l’interprétation selon laquelle des infractions passées ou qui ont été atténuées ne pourraient pas justifier un retrait d’agrément ne ressort ni de la directive 2013/36 ni du droit national pertinent.
Ensuite, le Tribunal conclut que, en refusant de suspendre l’application de la décision attaquée, la BCE n’a commis aucune erreur. Il observe notamment que le refus de cette dernière de suspendre l’application immédiate de cette décision n’a pas empêché AAB Bank d’introduire un recours en annulation et une demande de mesures provisoires. De plus, le président du Tribunal a ordonné le sursis à l’exécution de la décision attaquée six jours après son adoption, le temps qu’il soit statué sur la demande de mesures provisoires. Ainsi, aucune violation du droit à une protection juridictionnelle effective ne pouvait être constatée.
Par la suite, le Tribunal juge que la décision attaquée a été adoptée en assurant le respect des droits de la défense d’AAB Bank. Dans ce contexte, il précise qu’AAB Bank a été correctement entendu lors de l’adoption de la décision attaquée. En effet, ce dernier a été mis en mesure de présenter ses observations sur le projet de cette décision. En revanche, la BCE n’était pas tenue de communiquer à AAB Bank le projet de décision de la FMA et ainsi permettre à ce dernier d’y réagir.
En outre, le Tribunal constate que, en l’espèce, la BCE n’a pas omis de déterminer, d’examiner et d’apprécier avec soin et impartialité tous les éléments matériels pertinents pour le retrait de l’agrément. Concrètement, la BCE a valablement déclaré, à la suite de sa propre évaluation, qu’elle était d’accord avec les constats de la FMA sur la commission d’infractions par AAB Bank, confirmée tant par les décisions administratives de la FMA que par les décisions des juridictions nationales. Au terme de sa propre évaluation, la BCE a qualifié les faits en cause comme établissant qu’AAB Bank avait été déclaré responsable d’une infraction grave à la législation nationale sur la lutte contre le blanchissement et le financement du terrorisme. De même, elle ne s’est pas limitée à reproduire les constats opérés par la FMA quant à la non-mise en place, par AAB Bank, des dispositifs de gouvernance nécessaires. Au contraire, la BCE s’est fondée sur sa propre appréciation du respect des dispositions nationales pertinentes à cet égard.
Enfin, le Tribunal rejette le moyen d’AAB Bank selon lequel la décision attaquée aurait détruit la valeur économique des actions que son actionnaire détenait dans son capital et aurait porté une atteinte à la substance du droit de propriété de cet actionnaire. En effet, AAB Bank n’est pas titulaire de ce droit de propriété, il ne saurait donc l’invoquer au soutien de son recours en annulation.
{1} Décision ECB-SSM-2019-AT 8 WHD-2019 0009, du 14 novembre 2019.
{2} Directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE (JO 2013, L 176, p. 338).
{3} Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (JO 2005, L 309, p. 15).
{4} Critère aboutissant à la révocation de l’agrément, visé à l’article 67, paragraphe 1, sous o), de la directive 2013/36.
{5} Critère aboutissant à la révocation de l’agrément, visé à l’article 67, paragraphe 1, sous d), de la directive 2013/36.
20. Recours en annulation - Acte susceptible de recours - Actes attaquables par l'auteur d'une plainte dénonçant une infraction aux règles de concurrence - Décision de la Commission de rejeter la plainte - Inclusion - Recevabilité
21. Recours en annulation - Moyens - Argument tiré d'éléments de fait ou de droit non contestés au cours de la procédure formelle d'examen d'une aide d'État - Recevabilité
Afin de promouvoir le développement régional et la diversification de la structure économique de l’île de Madère, la République portugaise a mis en place un régime d’aides en faveur d’une zone délimitée sur cette île, appelée la zone franche de Madère (ZFM).
Ce régime, initialement approuvé par la Commission européenne en 1987 en tant qu’aide à finalité régionale compatible, a été modifié en 2002 (ci-après le « régime II »). En 2007, la Commission a autorisé un troisième régime qui a de nouveau été modifié en 2013{1}, (ci-après le « régime III »).
Le régime III, tel qu’approuvé par la Commission, prenait la forme d’une réduction de l’impôt sur le revenu applicable aux personnes morales sur les bénéfices issus d’activités effectivement et matériellement réalisées à Madère, d’une exonération de taxes municipales et locales ainsi que d’une exonération de l’impôt sur la transmission de biens immobiliers pour la création d’une entreprise dans la ZFM, à concurrence de montants d’aide maximaux basés sur des plafonds fixés en fonction du nombre de postes de travail maintenus par le bénéficiaire.
À la suite d’un exercice de surveillance dudit régime portant sur les années 2012 et 2013, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue par l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
À l’issue de cette procédure, elle a constaté, par décision du 4 décembre 2020{2}, que le régime III, tel que mis en œuvre par le Portugal, était substantiellement différent de celui autorisé par les décisions de 2007 et de 2013. Qualifiant ce régime d’« aide nouvelle » exécutée illégalement et incompatible avec le marché intérieur, la Commission a ordonné sa récupération auprès des bénéficiaires.
Le recours en annulation introduit par la République portugaise à l’encontre de cette décision est rejeté par le Tribunal.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal écarte les différents griefs contestant la qualification d’« aide nouvelle » du régime III, tel que mis en œuvre par la République portugaise.
D’une part, la République portugaise faisait valoir que la ZFM avait été créée avant son adhésion, le 1er janvier 1986, à la Communauté économique européenne (CEE) et que le régime d’aides adopté en faveur de cette zone n’avait pas fait l’objet de modifications substantielles depuis cette date. Dès lors, elle estimait que la Commission aurait dû qualifier le régime III, tel que mis en œuvre, d’« aide existante », à savoir une aide mise à exécution avant son adhésion et toujours applicable après.
À cet égard, le Tribunal rappelle que doit être considéré comme une « aide nouvelle » tout régime d’aides ou toute aide individuelle qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification substantielle d’une aide existante. Afin d’apprécier le caractère substantiel de telles modifications, il y a lieu d’examiner si celles-ci portent atteinte aux éléments constitutifs du régime en cause, tels que le cercle des bénéficiaires, l’objectif du soutien financier ou encore la source de ce soutien et son montant.
En l'occurrence, les modifications apportées par les régimes II et III au régime initial d’aides étaient de nature substantielle, en ce qu'elles portaient, entre autres, sur l’exclusion de certaines activités du champ d’application de ce régime et sur une augmentation des plafonds de la base d’imposition auxquels s’appliquait la réduction d’impôts.
En réponse à l’argument de la République portugaise selon lequel les modifications en cause s’étaient limitées à restreindre la portée du régime initial de la ZFM, le Tribunal relève, en outre, que l’appréciation du caractère substantiel d’une modification est indépendante de la question de savoir si cette dernière conduit à étendre ou à restreindre le champ d’application de l’aide en cause. Seul importe, aux fins de cette appréciation, de savoir si la modification est susceptible d’affecter la substance même du régime initial.
Dès lors, le Tribunal confirme que les modifications substantielles apportées au régime d’aides initial après le 1er janvier 1986 excluaient la qualification d’« aide existante », sans qu’il soit nécessaire de déterminer si ce régime avait effectivement été mis à exécution avant l’adhésion du Portugal à la CEE.
D’autre part, la République portugaise contestait la conclusion de la Commission selon laquelle le régime III avait été mis en œuvre en méconnaissance des décisions de 2007 et de 2013 et constituait, de ce fait, une aide nouvelle exécutée illégalement.
À cet égard, le Tribunal rappelle qu’un régime d’aides autorisé n’est plus couvert par la décision l’ayant autorisé et, partant, constitue une « aide nouvelle », lorsque l’État membre concerné procède à la mise en œuvre du régime d’aides selon des modalités substantiellement différentes de celles prévues dans le projet de régime d’aides notifié à la Commission et, donc, de celles prises en considération par cette dernière pour constater la compatibilité du régime notifié avec le marché intérieur.
Dans ce contexte, la République portugaise alléguait plus particulièrement que la Commission avait commis des erreurs de fait et de droit et violé son obligation de motivation en constatant, dans la décision attaquée, que les décisions de 2007 et de 2013 permettaient d’octroyer les aides prévues par le régime III uniquement en ce qui concernait les bénéfices résultant d’activités réalisées à Madère, à l’exclusion des bénéfices résultant d’activités réalisées en dehors de cette région par des sociétés enregistrées dans la ZFM.
Cette argumentation est rejetée par le Tribunal, qui confirme que la Commission a pu valablement considérer que seules les « activités effectivement et matériellement réalisées à Madère » ouvraient droit aux aides autorisées par les décisions de 2007 et de 2013.
Par ailleurs, le Tribunal souligne que les lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale pour la période 2007-2013{3}, au regard desquelles la Commission avait approuvé le régime III, énoncent que des aides au fonctionnement peuvent être octroyées exceptionnellement dans des régions ultrapériphériques, telles que la région autonome de Madère, à condition qu’elles soient justifiées par leur contribution au développement régional et par leur nature et que leur niveau soit proportionnel aux handicaps qu’elles visent à pallier. Les activités affectées par les handicaps et donc par les surcouts propres à ces régions sont, dès lors, les seules à pouvoir bénéficier de telles aides. Les activités exercées en dehors desdites régions qui, de ce fait, ne sont pas affectées par ces surcouts, et cela même si elles sont exercées par des sociétés établies dans ces mêmes régions, doivent quant à elles être exclues du bénéfice de ces aides.
Le Tribunal écarte également l’argument de la République portugaise tiré du fait que l’interprétation retenue par la Commission était contraire à un commentaire du comité des affaires fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ainsi qu’à la pratique décisionnelle antérieure de la Commission. En effet, si la Commission est susceptible de prendre en considération des textes adoptés dans le cadre de l’OCDE, elle ne saurait aucunement être liée par ceux-ci, notamment dans l’application des règles de l’Union relatives aux aides d’État. De même, c’est dans le seul cadre de l’article 107 TFUE que doit être appréciée la légalité d’une décision de la Commission et non au regard d’une prétendue pratique décisionnelle antérieure de celle-ci.
En deuxième lieu, le Tribunal rejette le moyen tiré par la République portugaise de la prétendue impossibilité de récupérer les aides octroyées illégalement au motif, essentiellement, que la décision attaquée ne lui permettait pas de déterminer les montants à récupérer « sans difficulté excessive ».
En effet, même si la République portugaise a le droit de se prévaloir du principe selon lequel « à l’impossible nul n’est tenu », elle n’a pas établi à suffisance de droit l’impossibilité objective et absolue, dès l’adoption de la décision attaquée, de procéder à la récupération des aides en cause. Par ailleurs, les difficultés d’ordre administratif et pratique qu’entraîne le grand nombre de bénéficiaires des aides ne permettent pas de considérer la récupération comme étant techniquement impossible à réaliser.
En troisième lieu, concernant le grief tiré de la prescription de certaines aides versées, le Tribunal relève que le seul fait que certaines aides individuelles versées en application d’un régime d’aides, dont une décision de la Commission constate le caractère illégal et incompatible avec le marché intérieur, soient prescrites ne saurait emporter l’annulation de cette décision. À cet égard, il appartient aux autorités nationales sur lesquelles pèse l’obligation de récupération immédiate et effective desdites aides de déterminer, au regard des circonstances particulières propres à chaque bénéficiaire d’un régime d’aides, si chacun des bénéficiaires doit effectivement restituer ladite aide.
{1} Décisions de la Commission du 27 juin 2007, rendue dans l’affaire N421/2006, et du 2 juillet 2013, rendue dans l’affaire SA.34160 (2011/N) (ci-après les « décisions de 2007 et de 2013 ».
{2} Décision C(2020) 8550 final de la Commission européenne, du 4 décembre 2020, relative au régime d’aides SA.21259 (2018/C) (ex 2018/NN) mis à exécution par le Portugal en faveur de la zone franche de Madère (ZFM) - Régime III (ci-après la « décision attaquée »).
{3} Lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale pour la période 2007-2013, (JO 2006, C 54, p. 13).
Arrêt du 21 septembre 2022, Portugal / Commission (Zone Franche de Madère) (T-95/21) (cf. point 182)
22. Recours en annulation - Moyens - Impossibilité absolue d'exécution d'une décision de la Commission constatant l'incompatibilité d'un régime d'aide avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération - Recevabilité
Afin de promouvoir le développement régional et la diversification de la structure économique de l’île de Madère, la République portugaise a mis en place un régime d’aides en faveur d’une zone délimitée sur cette île, appelée la zone franche de Madère (ZFM).
Ce régime, initialement approuvé par la Commission européenne en 1987 en tant qu’aide à finalité régionale compatible, a été modifié en 2002 (ci-après le « régime II »). En 2007, la Commission a autorisé un troisième régime qui a de nouveau été modifié en 2013{1}, (ci-après le « régime III »).
Le régime III, tel qu’approuvé par la Commission, prenait la forme d’une réduction de l’impôt sur le revenu applicable aux personnes morales sur les bénéfices issus d’activités effectivement et matériellement réalisées à Madère, d’une exonération de taxes municipales et locales ainsi que d’une exonération de l’impôt sur la transmission de biens immobiliers pour la création d’une entreprise dans la ZFM, à concurrence de montants d’aide maximaux basés sur des plafonds fixés en fonction du nombre de postes de travail maintenus par le bénéficiaire.
À la suite d’un exercice de surveillance dudit régime portant sur les années 2012 et 2013, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue par l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
À l’issue de cette procédure, elle a constaté, par décision du 4 décembre 2020{2}, que le régime III, tel que mis en œuvre par le Portugal, était substantiellement différent de celui autorisé par les décisions de 2007 et de 2013. Qualifiant ce régime d’« aide nouvelle » exécutée illégalement et incompatible avec le marché intérieur, la Commission a ordonné sa récupération auprès des bénéficiaires.
Le recours en annulation introduit par la République portugaise à l’encontre de cette décision est rejeté par le Tribunal.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal écarte les différents griefs contestant la qualification d’« aide nouvelle » du régime III, tel que mis en œuvre par la République portugaise.
D’une part, la République portugaise faisait valoir que la ZFM avait été créée avant son adhésion, le 1er janvier 1986, à la Communauté économique européenne (CEE) et que le régime d’aides adopté en faveur de cette zone n’avait pas fait l’objet de modifications substantielles depuis cette date. Dès lors, elle estimait que la Commission aurait dû qualifier le régime III, tel que mis en œuvre, d’« aide existante », à savoir une aide mise à exécution avant son adhésion et toujours applicable après.
À cet égard, le Tribunal rappelle que doit être considéré comme une « aide nouvelle » tout régime d’aides ou toute aide individuelle qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification substantielle d’une aide existante. Afin d’apprécier le caractère substantiel de telles modifications, il y a lieu d’examiner si celles-ci portent atteinte aux éléments constitutifs du régime en cause, tels que le cercle des bénéficiaires, l’objectif du soutien financier ou encore la source de ce soutien et son montant.
En l'occurrence, les modifications apportées par les régimes II et III au régime initial d’aides étaient de nature substantielle, en ce qu'elles portaient, entre autres, sur l’exclusion de certaines activités du champ d’application de ce régime et sur une augmentation des plafonds de la base d’imposition auxquels s’appliquait la réduction d’impôts.
En réponse à l’argument de la République portugaise selon lequel les modifications en cause s’étaient limitées à restreindre la portée du régime initial de la ZFM, le Tribunal relève, en outre, que l’appréciation du caractère substantiel d’une modification est indépendante de la question de savoir si cette dernière conduit à étendre ou à restreindre le champ d’application de l’aide en cause. Seul importe, aux fins de cette appréciation, de savoir si la modification est susceptible d’affecter la substance même du régime initial.
Dès lors, le Tribunal confirme que les modifications substantielles apportées au régime d’aides initial après le 1er janvier 1986 excluaient la qualification d’« aide existante », sans qu’il soit nécessaire de déterminer si ce régime avait effectivement été mis à exécution avant l’adhésion du Portugal à la CEE.
D’autre part, la République portugaise contestait la conclusion de la Commission selon laquelle le régime III avait été mis en œuvre en méconnaissance des décisions de 2007 et de 2013 et constituait, de ce fait, une aide nouvelle exécutée illégalement.
À cet égard, le Tribunal rappelle qu’un régime d’aides autorisé n’est plus couvert par la décision l’ayant autorisé et, partant, constitue une « aide nouvelle », lorsque l’État membre concerné procède à la mise en œuvre du régime d’aides selon des modalités substantiellement différentes de celles prévues dans le projet de régime d’aides notifié à la Commission et, donc, de celles prises en considération par cette dernière pour constater la compatibilité du régime notifié avec le marché intérieur.
Dans ce contexte, la République portugaise alléguait plus particulièrement que la Commission avait commis des erreurs de fait et de droit et violé son obligation de motivation en constatant, dans la décision attaquée, que les décisions de 2007 et de 2013 permettaient d’octroyer les aides prévues par le régime III uniquement en ce qui concernait les bénéfices résultant d’activités réalisées à Madère, à l’exclusion des bénéfices résultant d’activités réalisées en dehors de cette région par des sociétés enregistrées dans la ZFM.
Cette argumentation est rejetée par le Tribunal, qui confirme que la Commission a pu valablement considérer que seules les « activités effectivement et matériellement réalisées à Madère » ouvraient droit aux aides autorisées par les décisions de 2007 et de 2013.
Par ailleurs, le Tribunal souligne que les lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale pour la période 2007-2013{3}, au regard desquelles la Commission avait approuvé le régime III, énoncent que des aides au fonctionnement peuvent être octroyées exceptionnellement dans des régions ultrapériphériques, telles que la région autonome de Madère, à condition qu’elles soient justifiées par leur contribution au développement régional et par leur nature et que leur niveau soit proportionnel aux handicaps qu’elles visent à pallier. Les activités affectées par les handicaps et donc par les surcouts propres à ces régions sont, dès lors, les seules à pouvoir bénéficier de telles aides. Les activités exercées en dehors desdites régions qui, de ce fait, ne sont pas affectées par ces surcouts, et cela même si elles sont exercées par des sociétés établies dans ces mêmes régions, doivent quant à elles être exclues du bénéfice de ces aides.
Le Tribunal écarte également l’argument de la République portugaise tiré du fait que l’interprétation retenue par la Commission était contraire à un commentaire du comité des affaires fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ainsi qu’à la pratique décisionnelle antérieure de la Commission. En effet, si la Commission est susceptible de prendre en considération des textes adoptés dans le cadre de l’OCDE, elle ne saurait aucunement être liée par ceux-ci, notamment dans l’application des règles de l’Union relatives aux aides d’État. De même, c’est dans le seul cadre de l’article 107 TFUE que doit être appréciée la légalité d’une décision de la Commission et non au regard d’une prétendue pratique décisionnelle antérieure de celle-ci.
En deuxième lieu, le Tribunal rejette le moyen tiré par la République portugaise de la prétendue impossibilité de récupérer les aides octroyées illégalement au motif, essentiellement, que la décision attaquée ne lui permettait pas de déterminer les montants à récupérer « sans difficulté excessive ».
En effet, même si la République portugaise a le droit de se prévaloir du principe selon lequel « à l’impossible nul n’est tenu », elle n’a pas établi à suffisance de droit l’impossibilité objective et absolue, dès l’adoption de la décision attaquée, de procéder à la récupération des aides en cause. Par ailleurs, les difficultés d’ordre administratif et pratique qu’entraîne le grand nombre de bénéficiaires des aides ne permettent pas de considérer la récupération comme étant techniquement impossible à réaliser.
En troisième lieu, concernant le grief tiré de la prescription de certaines aides versées, le Tribunal relève que le seul fait que certaines aides individuelles versées en application d’un régime d’aides, dont une décision de la Commission constate le caractère illégal et incompatible avec le marché intérieur, soient prescrites ne saurait emporter l’annulation de cette décision. À cet égard, il appartient aux autorités nationales sur lesquelles pèse l’obligation de récupération immédiate et effective desdites aides de déterminer, au regard des circonstances particulières propres à chaque bénéficiaire d’un régime d’aides, si chacun des bénéficiaires doit effectivement restituer ladite aide.
{1} Décisions de la Commission du 27 juin 2007, rendue dans l’affaire N421/2006, et du 2 juillet 2013, rendue dans l’affaire SA.34160 (2011/N) (ci-après les « décisions de 2007 et de 2013 ».
{2} Décision C(2020) 8550 final de la Commission européenne, du 4 décembre 2020, relative au régime d’aides SA.21259 (2018/C) (ex 2018/NN) mis à exécution par le Portugal en faveur de la zone franche de Madère (ZFM) - Régime III (ci-après la « décision attaquée »).
{3} Lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale pour la période 2007-2013, (JO 2006, C 54, p. 13).
23. Recours en annulation - Moyens - Recours dirigé contre une décision de rejet d'une proposition dans le cadre d'une procédure de sélection de partenaires par une institution de l'Union - Moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation - Charge de la preuve incombant à la partie requérante
Arrêt du 28 septembre 2022, Oi Dromoi tis Elias / Commission (T-352/21) (cf. point 47)
24. Recours en annulation - Moyens - Moyens susceptibles d'être soulevés à l'encontre d'une décision attaquée - Moyen non soulevé au stade de la procédure administrative - Admissibilité
Depuis 2012, en vertu du régime « Tout sauf les armes » visant à favoriser le développement des pays les moins avancés, les importations de riz Indica originaire du Cambodge et du Myanmar/de la Birmanie bénéficiaient d’une suspension totale des droits du tarif douanier commun.
Aux termes d’une enquête de sauvegarde, la Commission européenne a conclu en 2018 que le riz Indica blanchi ou semi-blanchi originaire du Cambodge et du Myanmar/de la Birmanie était importé dans des volumes et à des prix qui causaient de graves difficultés à l’industrie de l’Union. Ainsi, par son règlement 2019/67{1}, la Commission a rétabli les droits du tarif douanier commun sur les importations de ce riz pour une période de trois ans et a mis en place une réduction progressive du taux des droits applicables.
Saisi par le Royaume du Cambodge et Cambodia Rice Federation, le Tribunal accueille le recours en annulation introduit à l’encontre du règlement attaqué. Dans son arrêt, il interprète, pour la première fois, les articles 22 et 23 du règlement SPG{2} et, en particulier, les notions relatives aux « producteurs de l’Union fabriquant des produits similaires ou directement concurrents » ainsi que les conditions entourant la preuve de l’existence de graves difficultés causées à l’industrie de l’Union.
Appréciation du Tribunal
S’agissant, tout d’abord, de la notion de « produits similaires ou directement concurrents » et de la définition de l’industrie de l’Union, le Tribunal relève à titre liminaire que, dans les enquêtes de sauvegarde, tant les producteurs de l’Union de « produits similaires » que les producteurs de produits « directement concurrents » doivent être pris en compte.
Puis, il constate que la Commission a, en l’occurrence, considéré, aux fins de l’évaluation de l’existence de difficultés graves rencontrées par les producteurs de l’Union, que le riz Indica blanchi ou semi-blanchi transformé à partir de riz paddy cultivé ou récolté dans l’Union constituait le « produit similaire ou directement concurrent ».
À cet égard, le Tribunal relève, en premier lieu, que c'est à tort que la Commission considère que les « produits similaires ou directement concurrents », au sens de l’article 22, paragraphe 1, du règlement SPG, doivent se voir appliquer la condition d’origine des produits importés de pays bénéficiant de préférences tarifaires, au sens de l’article 33 du règlement SPG et du règlement délégué 2015/2446{3}.
En effet, le législateur de l’Union renvoie aux règles d’origine à l’égard des seuls produits importés. Par ailleurs, l’article 22, paragraphes 1 et 2, du règlement SPG n’indique pas que l’analyse de l’incidence des importations d’un produit originaire d’un pays bénéficiaire sur la situation économique ou financière des producteurs de l’Union doit prendre en compte l’origine des produits fabriqués par ces derniers et ainsi limiter ceux des producteurs de l’Union pouvant bénéficier de la protection prévue par cette disposition.
En deuxième lieu, le Tribunal estime que le riz Indica blanchi ou semi-blanchi produit dans l’Union doit être qualifié de produit similaire ou directement concurrent du riz Indica blanchi ou semi-blanchi originaire du Cambodge, indépendamment de l’origine de la matière première à partir de laquelle il a été transformé.
En effet, le riz Indica blanchi ou semi-blanchi, quelle que soit l’origine de cette matière première, présente les mêmes caractéristiques physiques, techniques et chimiques essentielles et a le même usage. Il est donc interchangeable ou substituable avec un autre riz Indica blanchi ou semi-blanchi, tant pour les usiniers de l’Union que pour les consommateurs.
Partant, la Commission était tenue, dans le cadre de l’analyse des effets des importations du riz Indica en provenance du Cambodge sur les prix de l’industrie de l’Union, de prendre en considération l’ensemble des usiniers de l’Union fabriquant du riz Indica blanchi ou semi-blanchi, indépendamment de l’origine du riz paddy qu’ils transforment.
Dans la mesure où la Commission a exclu une partie des producteurs de l’évaluation du préjudice, le Tribunal note alors que la définition erronée des producteurs de l’Union a également entaché d’erreur l’analyse de l’existence de difficultés graves.
En troisième lieu, le Tribunal constate que, en limitant la définition des producteurs de l’Union devant être pris en compte aux fins de l’évaluation du préjudice par référence à l’origine de la matière première transformée en riz Indica blanchi ou semi-blanchi, la Commission a de facto étendu le champ de protection aux riziculteurs de l’Union, seuls ces derniers étant réellement concernés par le riz cultivé dans l’Union. Or, une telle interprétation ne peut se justifier au regard de la définition de l’industrie de l’Union figurant aux considérants 22 et 23 du règlement attaqué, qui ne vise explicitement que les usiniers de l’Union.
Au regard de ce qui précède, le Tribunal juge que la Commission a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation en limitant arbitrairement le champ de son enquête portant sur le préjudice causé à l’industrie de l’Union aux seuls usiniers de riz Indica blanchi ou semi-blanchi transformé à partir de riz paddy cultivé ou récolté dans l’Union.
S’agissant, ensuite, de l’analyse de la sous-cotation, le Tribunal constate que la Commission ne s’est pas fondée sur des éléments de preuve, ou des indices, fiables et pertinents permettant d’étayer sa décision d’effectuer des ajustements.
Premièrement, la répartition géographique sous-tendant le « fait évident » selon lequel la concurrence du riz Indica blanchi ou semi-blanchi dans l’Union s’exercerait au nord de l’Europe n’est pas étayée par des éléments de preuve fiables et pertinents. Il en va de même du choix de la Commission d’appliquer à l’intégralité de la production de riz Indica dans l’Union le taux uniforme de 49 euros par tonne au titre de coûts de transport, sans limiter l’ajustement à une certaine proportion des ventes de riz Indica blanchi et semi-blanchi de l’Union nécessitant effectivement un tel transport du sud vers le nord de l’Europe.
Deuxièmement, les éléments dont se prévaut la Commission pour justifier de l’ajustement des prix à l’importation ne sont pas suffisamment convaincants, ou sont inexistants, et ne peuvent pas être considérés comme des preuves, ni comme des indices convergents, permettant d’établir l’existence du facteur au titre duquel l’ajustement des prix à l’importation a été opéré et de déterminer son incidence sur la comparabilité des prix.
Troisièmement, la Commission n’a produit aucun élément de preuve au soutien de l’ajustement de l’analyse de la sous-cotation afin de tenir compte des différences de stade commercial et de comparer les prix du riz blanchi vendu en vrac à ceux du riz vendu en conditionnements, ni aucun indice permettant d’établir l’existence des facteurs au titre desquels cet ajustement a été opéré et de déterminer son incidence sur la comparabilité des prix.
S’agissant, enfin, de l’obligation de la Commission de communiquer les détails sous-tendant les faits et considérations essentiels ou les faits et considérations différents sur la base desquels elle prend ses décisions, le Tribunal relève que l’article 17 du règlement délégué no 1083/2013{4} ne la conditionne nullement à une quelconque demande émanant des parties intéressées. Cette obligation est à distinguer tant du droit qu’ont les parties intéressées en vertu de l’article 16 du règlement délégué no 1083/2013 et de l’article 12, paragraphe 1, de la décision 2019/339{5} de demander un accès par écrit au dossier pendant la phase administrative que de la question de l’intervention éventuelle d’un conseiller-auditeur en cas de refus ou de litige portant sur la confidentialité de certains documents. Aussi, le Tribunal précise que l’article 17 du règlement délégué no 1083/2013 ne comporte aucune indication permettant de conférer à cette communication un caractère purement indicatif. Si cette disposition prévoit ainsi l’obligation pour la Commission de communiquer les détails sous-tendant les faits et considérations essentiels sur la base desquels elle prend ses décisions, une telle obligation s’impose, a fortiori, à l’égard des faits et considérations essentiels eux-mêmes.
{1} Règlement d'exécution (UE) 2019/67 de la Commission, du 16 janvier 2019, instituant des mesures de sauvegarde en ce qui concerne les importations de riz Indica originaire du Cambodge et du Myanmar/de la Birmanie (JO 2019, L 15, p. 5).
{2} Règlement (UE) no 978/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 201,2 appliquant un schéma de préférences tarifaires généralisées et abrogeant le règlement (CE) no 732/2008 du Conseil (JO 2012, L 303, p. 1, ci-après le « règlement SPG »).
{3} Règlement délégué (UE) 2015/2446 de la Commission, du 28 juillet 2015, complétant le règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil au sujet des modalités de certaines dispositions du code des douanes de l’Union (JO 2015, L 343, p. 1).
{4} Règlement délégué (UE) no 1083/2013 de la Commission, du 28 août 2013, établissant les règles relatives à la procédure de retrait temporaire des préférences tarifaires et à la procédure d’adoption de mesures de sauvegarde générales au titre du règlement (UE) no 978/2012 du Parlement européen et du Conseil appliquant un schéma de préférences tarifaires généralisées (JO 2013, L 293, p. 16).
{5} Décision (UE) 2019/339 du président de la Commission européenne, du 21 février 2019, relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans le cadre de certaines procédures commerciales (JO 2019, L 60, p. 20).
Arrêt du 9 novembre 2022, Cambodge et CRF / Commission (T-246/19) (cf. point 38)
25. Recours en annulation - Moyens - Impossibilité absolue d'exécution d'une décision de la Commission constatant l'incompatibilité d'un régime d'aide avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération - Moyen soulevé par l'entité infra-étatique responsable du recouvrement - Recevabilité
Arrêt du 21 juin 2023, Região Autónoma da Madeira / Commission (T-131/21) (cf. points 169, 170)
26. Recours en annulation - Objet - Décision reposant sur plusieurs piliers de raisonnement, chacun suffisant pour fonder son dispositif - Décision en matière de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques - Critères de l'existence d'une simple incertitude quant à la présence d'un risque pour la santé - Moyen non fondé
Le chlorpyriphos-méthyl (ci-après le « CHP-méthyl ») est une substance active utilisée dans les produits phytopharmaceutiques pour lutter contre les organismes nuisibles et pour traiter les céréales stockées ainsi que les entrepôts vides. Le CHP-méthyl fait partie du groupe des organophosphorés, auquel appartient également une autre substance active dénommée chlorpyriphos.
La directive 91/414 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques{1} a établi le régime juridique applicable à l’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques dans l’Union européenne. Le CHP-méthyl et le chlorpyriphos ont été inscrits à l’annexe I de ladite directive par la directive 2005/72{2}. L’approbation du CHP-méthyl par la Commission a été prorogée à trois reprises, avant d’expirer le 31 janvier 2020 .
Ascenza Agro, SA{3} et Dow AgroSciences Ltd, deux entreprises produisant du CHP-méthyl (ci-après les « demandeurs »), ont chacune présenté une demande de renouvellement{4} de l’approbation du CHP-méthyl. Dans son projet de rapport d’évaluation relatif audit renouvellement, le Royaume d’Espagne, en tant qu’État membre rapporteur, n’a pas conclu à l’existence d’effet nocif du CHP-méthyl sur la santé des êtres humains et a donc proposé le renouvellement de l’approbation de cette substance active.
L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a organisé une première consultation d’experts afin d’évaluer les risques du CHP-méthyl pour la santé humaine. Elle a rendu compte de ces évaluations dans une déclaration du 31 juillet 2019, dans laquelle elle a précisé que l’approche adoptée par les experts était largement fondée sur les similarités structurelles entre le CHP-méthyl et le chlorpyriphos.
Les experts avaient, en outre, relevé qu’il n’existait pas de littérature publique disponible concernant le potentiel génotoxique du CHP-méthyl alors que plusieurs publications étaient disponibles pour le chlorpyriphos, pour lequel des préoccupations avaient été soulevées. Ils s’étaient alors accordés pour considérer que ces incertitudes devaient être prises en compte dans l’évaluation du risque du CHP-méthyl et qu’il ne pouvait donc être exclu qu’il existe un risque potentiel d’atteintes à l’ADN. Aucune valeur de référence ne pouvait donc être établie tant pour la génotoxité que pour la neurotoxicité du développement, ce qui rendait impossible l’évaluation du risque pour les consommateurs, les opérateurs, les travailleurs, les personnes présentes et les résidents.
À la suite d’une seconde consultation d’experts, l’EFSA a adopté, le 8 novembre 2019, une version mise à jour de sa déclaration du 31 juillet 2019, dans laquelle elle a conclu que les critères relatifs à la santé humaine prévus à l’article 4 du règlement nº 1107/2009 n’étaient pas remplis pour le renouvellement de l’approbation du CHP-méthyl. Sur ce fondement, la Commission a adopté, le 10 janvier 2020, le règlement d’exécution 2020/17 portant sur le non-renouvellement de l’approbation de la substance active CHP-méthyl conformément au règlement nº 1107/2009{5} (ci-après le « règlement attaqué »).
La Commission a, dans le règlement attaqué, fondé le refus de renouveler l’approbation du CHP-méthyl sur trois motifs. Premièrement, le fait que « le potentiel génotoxique du [CHP]-méthyl ne saurait être exclu », deuxièmement, l’existence de « préoccupations concernant [s]a neurotoxicité pour le développement » et, troisièmement, le fait qu’il « pouvait être approprié de classer le [CHP]-méthyl comme substance toxique pour la reproduction de la catégorie 1B ».
Par leur recours, les requérantes, Ascenza Agro et Industrias Afrasa, SA, demandent l’annulation du règlement attaqué.
Le Tribunal, statuant en chambre élargie, rejette ledit recours et se prononce, à cette occasion, sur un certain nombre de questions inédites au sujet du règlement nº 1107/2009 et du règlement d’exécution nº 844/2012. Ainsi, sur le plan procédural, il clarifie la notion de « conclusions » au sens de l’article 13 du règlement d’exécution nº 844/2012 et précise l’incidence, sur la légalité du règlement attaqué, des motifs d’un vote d’un État membre adopté dans le cadre de l’avis rendu par le comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux (ci-après le « comité permanent ») avant que la Commission ne se prononce sur le renouvellement d’une substance active. Par ailleurs, sur le fond, le Tribunal apporte des précisions sur l’application de l’obligation de transparence et du principe de précaution dans le domaine des produits phytopharmaceutiques. Il se prononce, en outre, sur la portée des méthodes d’évaluation des « références croisées » et de l’approche fondée sur la « force probante » dans le cadre de l’application du règlement nº 1107/2009.
Appréciation du Tribunal
- Existence de « conclusions »
S’agissant du grief des requérantes tiré de l’absence de conclusions adoptées par l’EFSA, le Tribunal constate qu’aucune définition de la notion de « conclusions » ne figure au sein du règlement d’exécution nº 844/2012{6} et du règlement nº 1107/2009{7}. Néanmoins, il ressort de ces textes, d’une part, que, sur le plan formel, les conclusions doivent être adoptées par l’EFSA et communiquées au demandeur, aux États membres et à la Commission.
D’autre part, en ce qui concerne le contenu des conclusions, l’EFSA est notamment tenue de préciser « si la substance active est susceptible de satisfaire aux critères d’approbation de l’article 4 » du règlement nº 1107/2009. Ainsi, l’élément déterminant permettant de caractériser l’existence de conclusions est l’expression d’un avis de l’EFSA quant à l’aptitude d’une substance active à satisfaire aux conditions et critères posés par ce règlement.
En l’occurrence, l’EFSA ayant estimé, dans ses deux déclarations du 31 juillet et du 8 novembre 2019, que le CHP-méthyl ne remplissait pas lesdites conditions en ce qui concerne la santé humaine, celle-ci a bien adopté des conclusions au sens de l’article 13 du règlement d’exécution nº 844/2012. Un tel constat ne saurait être remis en cause par la seule désignation des documents en question, intitulés « déclarations », la caractérisation de l’existence de conclusions dépendant, en premier lieu, du contenu de ces documents.
- Obligation de transparence
Le Tribunal rappelle qu’il incombe à la partie affectée qui invoque la violation d’une obligation de transparence au soutien de conclusions en annulation dirigées contre un acte de l’Union de portée générale de se prévaloir d’une disposition expresse lui conférant un droit procédural et relevant du cadre juridique régissant l’adoption dudit acte.
Le Tribunal considère, premièrement, que le règlement attaqué constitue un acte de portée générale, sans que l’affectation individuelle d’Ascenza Agro par cet acte soit susceptible de remettre en cause une telle qualification. En effet, il y a lieu de distinguer, d’une part, la question de la portée générale ou individuelle d’un acte, laquelle dépend de l’acte pris en tant que tel, et, d’autre part, la question de l’affectation individuelle d’une partie requérante ordinaire, laquelle dépend de sa situation par rapport à cet acte. Ainsi, si, au regard des critères de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, certains actes ont, de par leur nature et leur portée, un caractère normatif, en ce qu’ils s’appliquent à la généralité des opérateurs économiques intéressés, ils peuvent, sans perdre leur caractère réglementaire, concerner, dans certaines circonstances, individuellement certains opérateurs économiques qui ont, s’ils sont également affectés directement par ces actes, qualité pour introduire un recours en annulation à leur encontre.
Deuxièmement, le respect de l’obligation de transparence est, en matière phytopharmaceutique, assuré par des dispositions spécifiques prévues par le cadre juridique régissant l’adoption du règlement attaqué, à savoir le règlement nº 1107/2009, visant les dispositions générales relatives, notamment, à la procédure de renouvellement de l’approbation d’une substance active et le règlement d’exécution nº 844/2012, prévoyant les dispositions spécifiques relatives à la mise en œuvre de la procédure de renouvellement de l’approbation d’une telle substance.
Toutefois, le Tribunal relève que les requérantes n’ont invoqué, en l’espèce, aucune disposition spécifique conférant un droit procédural à Ascenza Agro et relevant du cadre juridique régissant l’adoption du règlement attaqué.
- Modalités d’adoption de l’avis du comité permanent
Le Tribunal rappelle que, en l’espèce, il est constant qu’un avis favorable du comité permanent sur le projet de règlement attaqué a pu être obtenu avec le vote également favorable du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Nonobstant ce qui précède, le Tribunal relève que les requérantes contestent, en réalité, les motifs du règlement attaqué et non sa procédure d’adoption.
Or, il ressort des motifs du règlement attaqué que son adoption n’a pas été fondée sur les éléments pris en compte par le Royaume-Uni pour son choix de vote, de sorte que le grief invoqué par les requérantes est inopérant.
- Principe de précaution
Le Tribunal rappelle que le principe de précaution permet, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, l’adoption de mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Une application correcte du principe de précaution présuppose, notamment, une évaluation complète du risque pour la santé fondée sur les données scientifiques disponibles les plus fiables et les résultats les plus récents de la recherche internationale. Lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour la santé humaine persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives.
En l’espèce, les experts et l’EFSA ont procédé à une évaluation du risque pour la santé de l’utilisation proposée du CHP-méthyl faisant apparaître des incertitudes. Une telle approche est donc conforme au principe de précaution, lequel implique que les autorités chargées de l’évaluation des risques, telles que l’EFSA, communiquent à la Commission non seulement les conclusions certaines auxquelles elles parviennent, mais également les incertitudes qui subsistent, afin qu’elle adopte, le cas échéant, des mesures restrictives.
- Méthodes d’évaluation des risques retenues par l’EFSA et par la Commission
Le Tribunal constate, dans un premier temps, que l’EFSA pouvait, à bon droit, faire usage de la méthode des références croisées et de celle fondée sur la force probante aux fins d’évaluer une substance active.
En effet, en ce qui concerne, tout d’abord, le contenu de ces deux méthodes, la méthode des références croisées{8} permet de prédire les propriétés de certaines substances sur le fondement des données existantes relatives à d’autres substances de référence ayant une similarité structurelle avec les premières. S’agissant de l’approche fondée sur la force probante, elle permet de prédire les propriétés de certaines substances sur le fondement de données provenant de plusieurs sources d’informations indépendantes{9}.
Concernant, ensuite, la finalité desdites méthodes, le règlement REACH prévoit{10} que, en ce qui concerne la toxicité pour l’espèce humaine, les informations sur les propriétés intrinsèques des substances sont produites autant que possible par d’autres moyens que des essais sur des animaux vertébrés. Le recours aux études et aux essais peut ainsi être évité par l’usage de diverses méthodes{11}, parmi lesquelles figurent notamment la méthode des références croisées et l’approche fondée sur la force probante. Ainsi, la méthode des références croisées permet d’éviter de tester chaque substance pour chaque effet et peut être utilisée en cas d’absence de données concernant les substances soumises à l’évaluation des risques. Quant à l’approche fondée sur la force probante, lorsqu’elle permet de rassembler des éléments de preuve suffisants pour confirmer l’existence ou l’absence d’une propriété dangereuse particulière, cette approche conduit à renoncer à des essais supplémentaires sur des animaux. Le Tribunal en conclut que les deux méthodes visent, notamment, à limiter le recours aux essais sur des animaux vertébrés et qu’elles permettent donc, toutes deux, d’éviter de tester chaque substance pour chaque effet.
S’agissant, par ailleurs, de la légalité de l’usage des deux méthodes par l’EFSA, le Tribunal relève que les dispositions du règlement nº 1107/2009{12} et du règlement d’exécution nº 844/2012 laissent à l’EFSA une large marge d’appréciation dans le choix des modalités d’évaluation qu’elle applique, sous réserve du caractère scientifique de son évaluation. De plus, le Tribunal rappelle qu’un large pouvoir d’appréciation est également reconnu à la Commission, compte tenu des appréciations scientifiques complexes qui doivent être opérées en la matière. Ainsi, dès lors que la Commission est amenée à se fonder sur l’évaluation des risques effectuée par l’EFSA, le contrôle opéré par le juge de l’Union sur cette évaluation doit également être limité à l’erreur manifeste d’appréciation.
À cet égard, le Tribunal estime que, dans la mesure où l’usage des deux méthodes est prévu tant par le règlement nº 1272/2008 que par le règlement REACH, le législateur de l’Union a considéré que ces méthodes étaient suffisamment fiables, d’un point de vue scientifique, pour être utilisées aux fins de l’évaluation de substances chimiques dans d’autres domaines que celui des produits phytopharmaceutiques.
Enfin, les deux méthodes, qui permettent d’éviter de tester chaque substance pour chaque effet, participent toutes deux à la réduction des essais sur les animaux et donc à la réalisation de l’un des objectifs poursuivis par le règlement nº 1107/2009 et, par voie de conséquence, par son règlement d’application, le règlement d’exécution nº 844/2012.
Dans un second temps, en ce qui concerne les modalités concrètes d’application des deux méthodes, le Tribunal observe, s’agissant de la méthode des références croisées, qu’il n’est pas contesté que le CHP-méthyl et le chlorpyriphos appartiennent à un même groupe de substances chimiques et que, globalement, ces substances disposent d’une structure chimique similaire.
Quant à l’approche fondée sur la force probante, le Tribunal relève que l’EFSA s’est bornée à constater que les essais et les études produits par les demandeurs ne permettaient pas de constater l’existence de risques pour la santé humaine, sans faire référence à la documentation accessible validée par la communauté scientifique au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous m), du règlement d’exécution nº 844/2012. Elle n’a donc pas considéré que les données produites par les demandeurs étaient suffisantes pour formuler des conclusions adéquates et définitives et, en particulier, pour conclure à une absence de risque génotoxique présenté par le CHP-méthyl.
Au contraire, l’EFSA a indiqué, dans ses déclarations des 31 juillet et 8 novembre 2019, que les experts avaient relevé qu’il n’existait pas de littérature publique disponible concernant le potentiel génotoxique du CHP-méthyl, alors que plusieurs publications étaient disponibles pour le chlorpyriphos. Elle a ajouté que, comme des préoccupations avaient été soulevées pour le chlorpyriphos concernant des aberrations chromosomiques et des atteintes à l’ADN, les experts avaient conclu à l’existence de lacunes en matière de données pour le CHP-méthyl. Elle avait alors indiqué que les experts s’étaient accordés pour considérer que les incertitudes qui en résultaient devaient être prises en compte dans l’évaluation du risque du CHP-méthyl et qu’il ne pouvait donc pas être exclu qu’il y ait un risque potentiel d’atteintes à l’ADN. Par ailleurs, les experts et l’EFSA n’ont pas considéré que les articles scientifiques relatifs à la génotoxicité du CHP-méthyl devaient avoir une incidence plus importante sur leurs conclusions que l’ensemble des autres éléments relatifs à la génotoxicité du CHP-méthyl. Sans faire reposer l’évaluation des risques liés au CHP-méthyl sur les seuls essais et études que la réglementation imposait au demandeur de produire, ils ont également tenu compte de l’ensemble de la littérature scientifique pertinente disponible.
{1} Directive 91/414/CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO 1991, L 230, p. 1).
{2} Directive 2005/72/CE de la Commission, du 21 octobre 2005, modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil, en vue d’y inscrire les substances actives chlorpyriphos et chlorpyriphos-méthyl, mancozèbe, manèbe et métirame (JO 2005, L 279, p. 63). La directive 91/414 a été remplacée par le règlement (CE) nº 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414 du Conseil (JO 2009, L 309, p. 1), en vertu duquel les substances actives inscrites à l’annexe I de la directive 91/414 ont été réputées approuvées. Ces substances sont désormais énumérées dans la partie A de l’annexe du règlement d’exécution (UE) nº 540/2011 de la Commission, du 25 mai 2011, portant application du règlement (CE) nº 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, en ce qui concerne la liste des substances actives approuvées (JO 2011, L 153, p. 1).
{3} Alors dénommée Sapec Agro SA.
{4} L’approbation d’une substance active est renouvelée, sur demande, s’il est établi qu’il est satisfait aux critères d’approbation énoncés à l’article 4 et à l’annexe II du règlement nº 1107/2009, lesquels portent notamment sur l’incidence prévisible desdites substances actives sur la santé humaine. La mise en œuvre de la procédure de renouvellement des substances actives est régie par le règlement d’exécution (UE) nº 844/2012 de la Commission, du 18 septembre 2012, établissant les dispositions nécessaires à la mise en œuvre de la procédure de renouvellement des substances actives, conformément au règlement nº 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO 2012, L 252, p. 26).
{5} Règlement d’exécution (UE) 2020/17 de la Commission portant sur le non-renouvellement de l’approbation de la substance active [CHP-méthyl] conformément au règlement nº 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, et modifiant l’annexe du règlement d’exécution (UE) nº 540/2011 de la Commission (JO 2020, L 7, p. 11). La Commission a également adopté, le 10 janvier 2020, le règlement d’exécution (UE) 2020/18, portant sur le non-renouvellement de l’approbation de la substance active chlorpyriphos, conformément au règlement nº 1107/2009, et modifiant l’annexe du règlement d’exécution nº 540/2011 (JO 2020, L 7, p. 14).
{6} Voir article 13, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement d’exécution nº 844/2012.
{7} Voir article 12, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement nº 1107/2009.
{8} Règlement (CE) nº 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) nº 793/93 du Conseil et le règlement (CE) nº 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1), annexe XI, point 1.5.
{9} Voir annexe I, point 1.1.1.3., du règlement (CE) nº 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) nº 1907/2006 (JO 2008, L 353, p. 1).
{10} Règlement REACH, article 13, paragraphe 1.
{11} Répertoriées à la section 1 de l’annexe XI du règlement REACH.
{12} Voir article 4.
27. Recours en annulation - Moyens - Moyen dirigé contre un acte administratif ayant fait l'objet d'une demande de réexamen interne - Irrecevabilité - Moyen visant à démontrer des erreurs de droit dans la décision sur la demande de réexamen interne - Recevabilité
Arrêt du 18 octobre 2023, TestBioTech / Commission (T-605/21) (cf. points 91-93)
Arrêt du 18 octobre 2023, TestBioTech / Commission (T-606/21) (cf. points 81, 82, 96)
28. Aides accordées par les États - Procédure administrative - Obligations de la Commission - Respect d'un délai raisonnable - Décision adoptée dans le cadre de l'exercice de surveillance d'un régime d'aide antérieurement approuvé en raison d'une durée excessive de la procédure - Atteinte aux droits de la défense des entreprises concernées - Invocabilité de cette atteinte par les entreprises bénéficiaires des aides dans le cadre d'un recours en annulation - Absence - Entreprises bénéficiaires pouvant introduire un recours en indemnité - Invocabilité des dispositions de la convention européenne des droits de l'homme - Absence
29. Procédure juridictionnelle - Intervention - Moyens différents de ceux de la partie principale soutenue - Moyens ne pouvant pas être rattachés à ceux de la partie principale soutenue - Irrecevabilité
30. Recours en annulation - Contrôle de légalité - Critères - Prise en compte des seuls éléments de fait et de droit existant à la date d'adoption de l'acte litigieux - Argumentaire visant une analyse établie après l'adoption dudit acte mais fondée sur des données existant à la date d'adoption de ce même acte - Recevabilité - Conditions
En mars 2018, les sociétés de droit allemand RWE AG et E.ON SE ont annoncé vouloir procéder à un échange complexe d’actifs par trois opérations de concentration (ci-après l’« opération globale »).
Par la première opération, RWE, qui intervient dans l’ensemble de la chaîne de fourniture d’énergie dans plusieurs pays européens, souhaitait acquérir le contrôle exclusif ou le contrôle en commun de certains actifs de production d’E.ON, fournisseur d’électricité qui opère dans plusieurs pays européens. La deuxième opération consistait en l’acquisition par E.ON du contrôle exclusif des activités de distribution et de commerce de détail d’énergie ainsi que de certains actifs de production d’innogy SE, une filiale de RWE. Quant à la troisième opération, elle prévoyait l’acquisition par RWE de 16,67 % des parts d’E.ON.
La première et la deuxième opérations de concentration ont fait l’objet d’un contrôle par la Commission européenne, tandis que la troisième opération de concentration a été contrôlée par le Bundeskartellamt (Office fédéral des ententes, Allemagne).
En avril 2018, l’entreprise allemande EVH GmbH, qui produit de l’électricité sur le territoire allemand, à partir de sources d’énergie tant conventionnelles que renouvelables, a communiqué à la Commission son souhait de participer à la procédure relative aux première et deuxième opérations de concentration et, par conséquent, de recevoir les documents afférents à celles-ci.
La deuxième opération de concentration a été notifiée à la Commission le 31 janvier 2019. Par décision du 7 mars 2019, la Commission a estimé que la concentration en cause soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur et l’accord sur l’Espace Économique Européen (EEE), et, partant, qu’il y avait lieu d’ouvrir une procédure d’examen approfondi, conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement nº 139/2004{1}. Dans le cadre de cette dernière, la Commission a toutefois considéré, au vu de l’offre d’engagements présentée par E.ON afin de remédier aux problèmes de concurrence identifiés par la Commission, que ces engagements étaient suffisants pour écarter les doutes sérieux quant à la compatibilité de la concentration avec le marché intérieur. Par décision du 17 septembre 2019, elle a, en conséquence, déclaré la concentration compatible avec le marché intérieur et l’accord EEE{2}.
EVH{3} a saisi le Tribunal d’un recours visant à l’annulation de la décision litigieuse. En rejetant ce recours dans son intégralité, le Tribunal se fonde, pour partie, sur des considérations analogues à celles l’ayant conduit à rejeter, par arrêt du 17 mai 2023{4}, le recours introduit par EVH contre la décision de la Commission déclarant la première opération de concentration compatible avec le marché intérieur, en particulier, en ce qui concerne le moyen tiré d’une scission erronée de l’analyse de l’opération globale, le moyen tiré de la violation du droit de la requérante à une protection juridictionnelle effective, ainsi que ses griefs portant sur la délimitation de la période d’analyse. Appelé, par ailleurs, à se prononcer sur différentes erreurs identifiées par EVH comme de nature à vicier l’analyse présentée par la Commission ainsi que les conclusions qui en ont été tirées par cette dernière, en particulier dans la définition des marchés pertinents ainsi que dans l’analyse des effets de l’opération en cause sur la concurrence, le Tribunal exerce le contrôle juridictionnel lui appartenant à cet égard en tenant compte des spécificités de l’analyse à effectuer par la Commission au titre de ses prérogatives en matière de contrôle des concentrations.
Appréciation du Tribunal
Dans un premier temps, le Tribunal écarte une série de moyens tirés d’une scission erronée de l’analyse de l’opération globale, de la violation de l’obligation de motivation, de la violation du droit de la requérante d’être entendue ainsi que de la violation du droit de cette dernière à une protection juridictionnelle effective. En ce qui concerne, plus particulièrement, la participation à la procédure à laquelle EVH pouvait prétendre en vertu du règlement (CE) sur les concentrations, le Tribunal relève que, dans le cadre d’une procédure de contrôle des concentrations, lorsqu’un tiers demande à être entendu et justifie d’un intérêt suffisant à cet effet, il appartient à la Commission d’informer ce dernier de la nature et de l’objet de la procédure, dans la mesure nécessaire pour lui permettre de faire connaître utilement son point de vue sur la concentration, sans pour autant lui conférer un droit d’accès à l’intégralité des pièces du dossier. Or, en l’occurrence, il n’est pas contesté que la requérante avait bien connaissance de la nature et de l’objet de la procédure en cause. Dans ces conditions, celle-ci ne saurait reprocher à la Commission d’avoir omis de lui communiquer toutes les informations en sa possession ni, en conséquence, d’avoir méconnu son droit d’être entendue.
Dans un second temps, le Tribunal examine le moyen tiré d’erreurs manifestes de la Commission dans l’appréciation de la compatibilité de la concentration en cause avec le marché intérieur. À cet égard, le Tribunal commence par rappeler que, dans l’exercice des compétences qui lui sont attribuées par le règlement (CE) sur les concentrations, la Commission dispose d’un certain pouvoir discrétionnaire, notamment en ce qui concerne les appréciations économiques complexes qu’elle est appelée à faire à ce titre. En conséquence, le contrôle exercé par le juge de l’Union sur l’exercice d’un tel pouvoir doit tenir compte de la marge d’appréciation ainsi reconnue à la Commission.
Cela ayant été précisé, le Tribunal constate, tout d’abord, que l’examen des conditions dans lesquelles la Commission a instruit le dossier ne révèle aucun élément propre à étayer la thèse d’EVH selon laquelle la Commission aurait fondé son analyse en omettant de tenir compte de l’ensemble des données pertinentes. À cet égard, le Tribunal souligne que la Commission doit concilier la nécessité de mener une enquête complète afin de disposer de l’ensemble des éléments pertinents pour son appréciation avec l’impératif de célérité qui s’impose à elle, dans toute procédure de contrôle des concentrations. Dans ces conditions, le Tribunal considère, d’une part, qu’il ne saurait être reproché à la Commission de s’être fondée exclusivement sur les informations fournies par les parties à la concentration, à défaut d’indices de leur inexactitude, et pour autant qu’elles constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe. En outre, le Tribunal rappelle que la requérante est recevable à présenter des études élaborées spécifiquement en vue de contester la légalité de la décision attaquée, pour autant qu’elles ne constituent pas une tentative de modifier le cadre juridique et factuel précédemment soumis à la Commission en vue de l’adoption de la décision attaquée. Or, en l’espèce, les études produites par la requérante se basent sur des données différentes de celles qui existaient lors de l’adoption de la décision attaquée, de sorte qu’elles ne peuvent pas démontrer que la Commission a omis de prendre en compte certaines données. D’autre part, le Tribunal considère que la première enquête de marché a été correctement menée, avant de conclure à l’absence de fondement du grief tiré d’un prétendu défaut de prise en compte de certaines données.
Ensuite, après avoir constaté qu’EVH n’était pas fondée à reprocher à la Commission une délimitation erronée de la période d’analyse pour des raisons tenant essentiellement au caractère prospectif de l’analyse requise de la part de cette dernière, conformément aux considérations exposées à ce sujet dans son arrêt du 17 mai 2023, le Tribunal aborde l’examen des griefs tirés d’une définition erronée des marchés pertinents{5}.
À cet égard, le Tribunal se prononce, en premier lieu, sur la délimitation des marchés de fourniture au détail d’électricité et de gaz, contestée, en l’occurrence, tant quant aux produits qu’au regard de leur étendue géographique. Relevant, d’emblée, que, pour établir une distinction dans le marché de produits entre les clients bénéficiant de l’approvisionnement de base et ceux bénéficiant de contrats spéciaux, la Commission s’est fondée sur une analyse concurrentielle de la substituabilité entre les contrats de base et les contrats spéciaux d’approvisionnement de la clientèle concernée, concluant, en l’occurrence, à l’insuffisance de son niveau, le Tribunal considère qu’EVH n’est pas parvenue à démontrer l’erreur d’appréciation prétendument commise par la Commission, en opérant, au regard du constat qui précède, une distinction entre ces deux modes d’approvisionnement. De même, dans la définition du marché géographique, c’est sans davantage commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a estimé que la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de l’approvisionnement de base avait une dimension locale, limitée à la zone d’approvisionnement de base concernée, et que la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux avait une dimension nationale avec des éléments locaux.
En second lieu, quant aux marchés des services de comptage et de l’électromobilité, le Tribunal retient que la requérante n’est pas fondée à reprocher, inversement, à la Commission d’avoir laissé ouverte la question de la définition du marché des produits respectivement en cause, dès lors qu’elle avait indiqué de façon explicite qu’aucune des définitions du marché ne permettait de constater l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective à la suite de la concentration, sans qu’une erreur manifeste d’appréciation n’ait été démontrée sur ce point. Il en va également ainsi, selon le Tribunal, si la Commission constate l’existence d’effets anticoncurrentiels quelle que soit la définition retenue, pour autant que, à la suite des modifications apportées par les entreprises concernées, la concentration n’est plus susceptible d’entraver de manière significative une concurrence effective, quelle que soit la définition du marché en cause.
Enfin, le Tribunal examine les griefs tirés d’une appréciation erronée des effets de la concentration.
En ce qui concerne, en premier lieu, les effets sur les marchés de fourniture au détail d’électricité et de gaz, l’examen des éléments sur lesquels la Commission a fondé son analyse ne révèle aucune erreur manifeste d’appréciation dans le chef de la Commission, dans la mesure où celle-ci a considéré que la concentration n’entraverait pas de manière significative l’exercice d’une concurrence effective sur les marchés considérés, dans le cadre de l’approvisionnement de base en Allemagne. Il ressort également de cet examen que la Commission a analysé à suffisance les effets de la concentration sur les marchés considérés dans le cadre de contrats spéciaux sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, en particulier quant à la création d’une capacité ou d’incitations pour une éventuelle stratégie de prix avec des marges négatives pour évincer les petits concurrents ou pour occuper toutes les premières places dans les classements des sites Internet de comparaison des prix.
En ce qui concerne, en deuxième lieu, les effets sur les marchés de la distribution d’électricité et de gaz, la requérante n’est pas davantage fondée à reprocher à la Commission d’avoir insuffisamment examiné les effets des activités développées sur ces marchés et d’en avoir manifestement donné une appréciation erronée, au vu des éléments exposés par la Commission à ce sujet.
En troisième lieu, le Tribunal parvient à une conclusion analogue au sujet des effets de la concentration sur les marchés des services de comptage et de l’électromobilité. S’agissant, plus particulièrement, de ce dernier, le Tribunal constate que la Commission a procédé à une analyse cohérente et complète, y compris hors autoroute, des éléments concurrentiels du point de vue du plus petit marché concevable, notamment à la lumière des parts de marché des parties à la concentration, de leur proximité concurrentielle, de la structure du marché et des barrières à l’entrée, sans que la requérante ne démontre que les données utilisées par la Commission étaient incorrectes.
En quatrième et dernier lieu, le Tribunal écarte le grief tiré de l’appréciation erronée des effets des solutions clients fondées sur les données desdits clients. Dans ces conditions, le Tribunal estime, enfin, qu’il ne saurait pas davantage être reproché à la Commission d’avoir méconnu, à quelque titre que ce soit, l’obligation de diligence qui lui incombait dans l’exercice de ses prérogatives.
À la lumière de l’ensemble de ces considérations, le Tribunal rejette, en conséquence, le recours dans son intégralité.
{1} Règlement (CE) nº 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« le règlement CE sur les concentrations ») (JO 2004, L 24, p. 1).
{2} Décision C(2019) 6530 final, du 17 septembre 2019, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.8870 - E.ON/Innogy).
{3} Il convient de signaler que dix autres entreprises ont également introduit des recours en annulation contre cette même décision. L’ensemble de ces recours sont rejetés, soit comme étant irrecevable (arrêt du 20 décembre 2023, Stadtwerke Frankfurt am Main/Commission, T-63/21), soit sur le fond [arrêts du 20 décembre 2023, Stadtwerke Leipzig/Commission (T-55/21), TEAG/Commission (T-56/21), Stadtwerke Hameln Weserbergland/Commission (T-58/21), eins energie in sachsen/Commission (T-59/21), Naturstrom/Commission (T-60/21), EnergieVerbund Dresden/Commission (T-61/21), GGEW/Commission (T-62/21), Mainova/Commission (T-64/21) et enercity/Commission (T-65/21)].
{4} Arrêt du 17 mai 2023, EVH/Commission (T-312/20, EU:T:2023:252).
{5} En l’occurrence, les activités exercées par les parties à l’opération de concentration concernée ont amené la Commission à distinguer, aux fins de son analyse, entre quatre marchés d’ensemble, à savoir les marchés respectifs de l’électricité et du gaz, le marché des services de comptage ainsi que celui de l’électromobilité.
Arrêt du 20 décembre 2023, EVH / Commission (T-53/21) (cf. points 194, 195, 198-201)
31. Recours en annulation - Contrôle de légalité - Critères - Prise en compte des seuls éléments de fait et de droit existant à la date d'adoption de l'acte litigieux - Argumentaire de la partie requérante visant une analyse établie par la Commission après l'adoption dudit acte mais fondée sur des données existant à la date d'adoption de ce même acte - Recevabilité - Conditions
Arrêt du 20 décembre 2023, Stadtwerke Leipzig / Commission (T-55/21) (cf. points 194-201)
Arrêt du 20 décembre 2023, TEAG / Commission (T-56/21) (cf. points 195-202)
Arrêt du 20 décembre 2023, eins energie in sachsen / Commission (T-59/21) (cf. points 188-195)
Arrêt du 20 décembre 2023, Naturstrom / Commission (T-60/21) (cf. points 179-186)
Arrêt du 20 décembre 2023, EnergieVerbund Dresden / Commission (T-61/21) (cf. points 192-199)
Arrêt du 20 décembre 2023, GGEW / Commission (T-62/21) (cf. points 192-199)
Arrêt du 20 décembre 2023, Mainova / Commission (T-64/21) (cf. points 137-143)
Arrêt du 20 décembre 2023, enercity / Commission (T-65/21) (cf. points 135-141)
32. Recours en annulation - Moyens - Moyen inopérant - Notion - Moyens soulevés au soutien d'un recours contre un règlement instituant des droits antidumping - Moyens remettant en cause la marge de dumping - Marge de dumping n'ayant pas été retenue aux fins du calcul des droits antidumping - Moyens inopérants - Critères d'appréciation
Saisi par un producteur-exportateur chinois, le Tribunal rejette le recours tendant à l’annulation du règlement d’exécution 2020/1336 de la Commission européenne, instituant des droits antidumping définitifs sur les importations de certains alcools polyvinyliques (ci-après les « PVAL ») originaires de la République populaire de Chine{1}. À cette occasion, la juridiction précise la notion de données « aisément disponibles » dans le cadre de la sélection du pays représentatif approprié pour le calcul de la valeur normale du produit concerné par une enquête antidumping en présence de distorsions significatives du marché dans le pays exportateur. Elle apporte également des précisions quant à la notion d’« informations nécessaires » à fournir par les parties intéressées à la Commission dans le cadre de l’enquête antidumping. En l’espèce, la Commission, saisie d’une plainte déposée par Kuraray Europe GmbH, le principal producteur de PVAL de l’Union européenne, a ouvert une enquête antidumping à l’issue de laquelle elle a adopté le règlement attaqué.
C’est dans ce contexte que Inner Mongolia Shuangxin Environment-Friendly Material Co. Ltd, une société chinoise produisant et exportant des PVAL vers l’Union européenne, s’estimant lésée par les droits antidumping institués par la Commission, a saisi le Tribunal d’un recours en annulation du règlement d’exécution 2020/1336 pour autant qu’il la concerne{2}.
Appréciation du Tribunal
À l’appui de son recours, la requérante fait valoir, en premier lieu, que la Commission a interprété de manière erronée l’article 2, paragraphe 6 bis, sous a), du règlement de base{3}. Cet article prévoit que, lorsqu’il est jugé inapproprié de se fonder sur les prix et les coûts sur le marché intérieur du pays exportateur du fait de l’existence de distorsions significatives sur ce marché, la valeur normale du produit concerné est calculée exclusivement sur la base de coûts de production et de vente représentant des prix ou des valeurs de référence non faussés. À cette fin, la Commission peut utiliser comme sources d’information, notamment, les coûts de production et de vente correspondants dans un pays représentatif approprié, qui a un niveau de développement économique semblable à celui du pays exportateur, pour autant que les données pertinentes soient aisément disponibles. Si le choix de plusieurs pays est envisageable, la préférence est accordée au pays appliquant un niveau adéquat de protection sociale et environnementale.
À cet égard, le Tribunal relève que la Commission n’a pas commis d’erreur en choisissant la Turquie, et non le Mexique, comme pays représentatif pour construire la valeur normale du produit concerné. En effet, la Commission ne pouvait se fonder que sur les données fournies par une société établie en Turquie, les données fournies par les sociétés établies au Mexique ne pouvant être qualifiées de données « aisément disponibles ».
Ainsi, s’agissant, tout d’abord, de la notion de données « aisément disponibles », le Tribunal confirme l’interprétation littérale retenue par la Commission dans le règlement attaqué au terme de laquelle « accessible au public » signifiait disponible pour le grand public tandis que « aisément disponible » signifiait disponible pour tous pour peu que certaines conditions, telles que le paiement d’un droit, soient remplies. Or, les données fournies par les sociétés établies au Mexique avaient soit été transmises uniquement sous une forme confidentielle non accessible au public, soit n’étaient disponibles que pour une période différente de celle visée par l’enquête.
S’appuyant sur une interprétation contextuelle et téléologique, la juridiction estime que cette notion doit être interprétée au regard des exigences découlant des dispositions du règlement de base consacrées au traitement confidentiel et à l’information des parties, pour protéger les droits de la défense de ces dernières. Ainsi, le règlement de base poursuit deux objectifs, à savoir, d’une part, permettre aux parties intéressées de défendre utilement leurs intérêts et, d’autre part, préserver la confidentialité des informations recueillies au cours de l’enquête{4}. Ainsi, lorsqu’elle cherche à obtenir des données « aisément disponibles », la Commission est, au vu de ces objectifs, en droit de refuser d’utiliser des données qui sont considérées, par la partie qui les a fournies, comme étant confidentielles et dont elle n’arrive pas à obtenir un résumé non confidentiel sur la base duquel les autres parties intéressées par l’enquête pourraient exercer leurs droits de la défense.
Ensuite, le Tribunal précise que, en acceptant les données fournies par la société établie en Turquie, la Commission n’a pas violé son devoir de diligence en calculant la valeur normale du produit concerné d’une manière inappropriée ou déraisonnable. En effet, les arguments de la requérante visant à contester la pertinence des données choisies - au regard de la période d’enquête ainsi que des informations contenues dans ces données - ne sont pas étayés en l’espèce. Partant, elle n’apporte pas d’éléments suffisants privant de plausibilité les appréciations des faits retenues dans le règlement attaqué.
Enfin, ayant conclu que la Turquie était le seul pays représentatif approprié, c’est à bon droit que la Commission a conclu qu’elle ne devait pas procéder à l’évaluation du niveau de protection sociale et environnementale prévue à l’article 2, paragraphe 6 bis, sous a), du règlement de base.
S’agissant, en second lieu, de la violation de l’article 18 du règlement de base, le Tribunal rejette l’allégation de la requérante selon laquelle la Commission, pour calculer la valeur normale, aurait utilisé à tort les données disponibles au sens de l’article 18 du règlement de base en dépit du fait que la requérante aurait coopéré au mieux de ses possibilités.
En effet, l’objectif de l’article 18 du règlement de base est de permettre à la Commission de poursuivre l’enquête antidumping quand bien même les parties intéressées refuseraient de coopérer ou coopéreraient de manière insuffisante. C’est ainsi que le premier paragraphe de cette disposition permet à la Commission de recourir aux données disponibles si les renseignements demandés ne sont finalement pas obtenus. Pour être considérées comme coopérantes au titre de cette disposition, les parties doivent fournir toutes les informations dont elles disposent et que les institutions estiment nécessaires afin d’établir leurs conclusions.
Quant à la notion d’« informations nécessaires », il découle des termes, du contexte et de la finalité de l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base que cette notion renvoie aux renseignements détenus par les parties intéressées que les institutions de l’Union leur demandent de fournir afin d’établir les conclusions qui s’imposent dans le cadre d’une enquête antidumping. Ainsi, les informations relatives aux volumes de production et aux coûts de fabrication du produit concerné par une enquête antidumping constituent des informations nécessaires au sens de cette disposition.
En l’espèce, le Tribunal note, tout d’abord, que la requérante n’a pas fourni les éléments que la Commission lui avait demandés quant aux intrants des facteurs de production autoproduits, ces informations étant nécessaires au vu de la détermination de la valeur normale. En effet, dans la mesure où la valeur normale a été construite suivant une méthode fondée sur les coûts de production, il était nécessaire de connaître les volumes de consommation de tous les intrants utilisés pour produire les PVAL, y compris les intrants nécessaires pour la production des facteurs de production autoproduits. La requérante n’ayant pas démontré la prétendue impossibilité de fournir lesdites informations, la Commission n’a pas violé l’article 18, paragraphe 1, en recourant aux données disponibles pour remplacer ces informations.
Ensuite, quant à la prétendue violation de l’article 18, paragraphe 3, du règlement de base, le Tribunal rappelle que les paragraphes 1 et 3 de celui-ci visent des situations différentes. Ainsi, alors que l’article 18, paragraphe 1, décrit, de façon générale, des cas dans lesquels les informations qui sont nécessaires aux institutions, aux fins de l’enquête, n’ont pas été fournies, le paragraphe 3 de cet article envisage les cas dans lesquels les données nécessaires, aux fins de l’enquête, ont été fournies, mais ne sont pas pertinentes, de sorte que les données disponibles ne doivent pas nécessairement être utilisées. Or, dans la mesure où la requérante n’a pas communiqué les informations requises, l’article 18, paragraphe 3, du règlement de base n’est pas applicable, la Commission ne pouvant utiliser que les données disponibles pour remplacer les informations manquantes.
Enfin, la Commission n’a pas non plus violé les droits de la défense de la requérante, en ce qu’elle ne lui aurait pas communiqué en temps utile le « rapport de vérification », qui devait lui être transmis avant la lettre par laquelle la Commission l’informait de son intention d’utiliser les données disponibles au sens de l’article 18 du règlement de base. À cet égard, il ressort d’une jurisprudence bien établie qu’une violation des droits de la défense n’entraîne l’annulation d’une décision adoptée au terme d’une procédure que si, en l’absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent. Or, la requérante n’a pas invoqué le moindre élément susceptible de démontrer qu’il n’était pas exclu que la procédure ait pu aboutir à un résultat différent si elle avait reçu ledit rapport plus tôt.
En ce qui concerne les autres moyens contestant la marge de dumping retenue par la Commission dans le règlement attaqué, il ressort de l’analyse desdits moyens qu’il n’y a pas d’erreur dans le calcul de la marge de dumping, de sorte que celle-ci reste supérieure à la marge du préjudice, cette dernière ayant été prise en compte pour déterminer le taux antidumping en application de la règle de droit moindre. Ainsi, comme ces autres moyens ne sont pas de nature à mettre en cause cette conclusion, le Tribunal les rejette comme étant inopérants.
{1} Règlement d’exécution (UE) 2020/1336 de la Commission, du 25 septembre 2020, instituant des droits antidumping définitifs sur les importations de certains alcools polyvinyliques originaires de la République populaire de Chine (ci-après le « règlement attaqué ») (JO 2020, L 315, p. 1).
{2} Il convient de signaler deux autres arrêts prononcés le même jour statuant sur deux recours en annulation à l’encontre du règlement attaqué : l’arrêt Sinopec Chongqing SVW Chemical e.a./Commission (T-762/20) et l’arrêt Anhui Wanwei Updated High-Tech Material Industry et Inner Mongolia Mengwei Technology/Commission (T-764/20).
{3} Règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21, ci-après le « règlement de base »).
{4} Voir en ce sens article 6, paragraphe 7, et articles 19 et 20 du règlement de base.
Voir texte de la décision.
33. Recours en annulation - Moyens - Recours contre une décision de rejet d'une demande de réexamen - Moyen non présenté dans la demande de réexamen - Irrecevabilité - Arguments constituant une simple ampliation d'un moyen présenté dans la demande de réexamen - Recevabilité - Limites - Moyen ne modifiant pas l'objet de la procédure de réexamen interne
Dans le cadre d’un recours en annulation lié au renouvellement de l’approbation de la substance active cyperméthrine, le Tribunal précise les règles de recevabilité d’un tel recours introduit par une organisation non gouvernementale sur la base du règlement nº 1367/2006{1}, ainsi que l’étendue de la marge d’appréciation de la Commission européenne en tant que gestionnaire des risques au regard du principe de précaution.
La cyperméthrine est un insecticide utilisé au sein de l’Union européenne, dont l’incorporation dans des produits phytopharmaceutiques a été autorisée en 2005{2}.
Dans le cadre de la procédure de renouvellement de l’approbation de la cyperméthrine, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a identifié, dans ses conclusions scientifiques de juillet 2018, quatre domaines critiques de préoccupation (critical areas of concern) concernant cette substance active. Puis, elle a publié, en septembre 2019, une déclaration sur les mesures de réduction des risques pour la cyperméthrine.
Suite à cette évaluation des risques, la Commission a adopté, le 24 novembre 2021, le règlement d’exécution 2021/2049{3} qui renouvelle l’approbation de la cyperméthrine, assorti d’une série de dispositions spécifiques.
Le 20 janvier 2022, la requérante, l’organisation environnementale Pesticide Action Network Europe (PAN Europe), a adressé à la Commission une demande de réexamen interne{4} du règlement d’exécution 2021/2049.
Par sa décision du 23 juin 2022, la Commission a rejeté cette demande.
La requérante demande au Tribunal l’annulation de cette décision de rejet. À l’appui de son recours, elle invoque la violation du principe de précaution et de l’obligation pour l’Union d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement. Elle allègue, entre autres, que, dès lors que l’EFSA avait identifié certains domaines critiques de préoccupation concernant la cyperméthrine, la Commission n’aurait pas dû renouveler l’approbation de cette substance. Dans ce contexte, la Commission ne disposerait plus d’aucun pouvoir d’appréciation et ne saurait se prévaloir de son rôle de gestionnaire de risque à cet égard.
Par son arrêt, le Tribunal rejette le recours dans son intégralité.
Appréciation du Tribunal
Le Tribunal apporte en premier lieu des précisions d’ordre procédural concernant la portée de la règle de concordance entre la demande de réexamen et le recours en annulation introduit contre la décision adoptée en réponse à cette demande.
À cet égard, il rappelle qu’un tel recours en annulation n’est recevable que s’il est dirigé contre la réponse à ladite demande et que les moyens invoqués au soutien de l’annulation visent spécifiquement cette réponse.
Un tel recours ne saurait être fondé sur des motifs nouveaux ou des éléments de preuve qui n’apparaissent pas dans la demande de réexamen, sous peine de priver l’exigence relative à la motivation d’une telle demande de son effet utile et de modifier l’objet de la procédure engagée par cette demande{5}.
Néanmoins, d’une part, une partie requérante au titre du règlement nº 1367/2006 doit pouvoir soulever, au stade du recours devant le Tribunal, des arguments qui visent à critiquer, en droit, le bien-fondé de la réponse à sa demande de réexamen, à condition que ces arguments ne modifient pas l’objet de la procédure engagée par cette demande. D’autre part, un argument qui n’a pas été soulevé au stade de la demande de réexamen ne saurait être considéré comme nouveau s’il ne constitue que l’ampliation d’une argumentation déjà développée dans le cadre de cette demande, c’est-à-dire s’il présente, avec les moyens ou les griefs initialement exposés, un lien suffisamment étroit pour pouvoir être considéré comme résultant de l’évolution normale du débat au sein d’une procédure contentieuse.
En second lieu, le Tribunal relève que, afin de pouvoir poursuivre efficacement les objectifs qui lui sont assignés par le règlement nº 1107/2009, un large pouvoir d’appréciation doit être reconnu à la Commission. Cela vaut notamment pour les décisions en matière de gestion du risque qu’elle doit prendre en application dudit règlement{6}.
La gestion du risque correspond à l’ensemble des actions entreprises par une institution qui doit faire face à un risque afin de le ramener à un niveau jugé acceptable pour la société eu égard à son obligation, en vertu du principe de précaution, d’assurer un niveau élevé de protection de la santé publique, de la sécurité et de l’environnement{7}.
Cela implique de procéder à une évaluation préalable des risques qui consiste, d’une part, à apprécier de manière scientifique lesdits risques, en se fondant sur les meilleures données scientifiques disponibles, et, d’autre part, à déterminer s’ils dépassent le niveau de risque jugé acceptable pour la société, ce qui relève du choix politique que constitue la fixation d’un niveau de protection approprié pour ladite société.
Ainsi, si, dans le cadre de la procédure de renouvellement des substances actives, la Commission doit « tenir compte », notamment, des conclusions scientifiques de l’EFSA{8}, elle n’est pas liée, en tant que gestionnaire des risques, par les constats opérés par l’EFSA. Une telle prise en compte ne peut en effet s’interpréter comme une obligation pour la Commission de suivre en tous points les conclusions de l’EFSA.
Cependant, le large pouvoir d’appréciation de la Commission en tant que gestionnaire des risques demeure encadré par le nécessaire respect des dispositions du règlement nº 1107/2009, en particulier son article 4{9}, lu conjointement avec l’annexe II de ce règlement, ainsi que par le principe de précaution qui sous-tend l’ensemble des dispositions de ce règlement.
Dans ces conditions, la Commission ne saurait renouveler l’approbation d’une substance active que s’il est démontré à suffisance que, nonobstant l’identification de domaines critiques de préoccupation, des mesures d’atténuation des risques permettent de conclure que les critères de l’article 4 du règlement nº 1107/2009 sont respectés. Ainsi, le rôle de la Commission est précisément la détermination des risques qui sont acceptables pour la société, avec un seuil de tolérance plus élevé en ce qui concerne la protection de l’environnement qu’en ce qui concerne la santé humaine ou animale, et en prenant en considération des mesures de gestion pour mitiger des risques déterminés.
En l’occurrence, le seul fait que l’EFSA ait identifié quatre domaines critiques de préoccupation dans ses conclusions s’agissant de la cyperméthrine ne permet pas de considérer que la Commission ne disposait plus d’aucune marge d’appréciation, en tant que gestionnaire des risques, sous réserve qu’elle assure que les critères indiqués à l’article 4 du règlement nº 1107/2009 étaient satisfaits. En d’autres termes, il n’est pas exclu pour la Commission de vérifier, dans le respect du principe de précaution, si le risque aurait pu devenir acceptable en imposant certaines mesures.
{1} Règlement nº 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de l’Union européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13), notamment sur la base de son article 12.
{2} Ladite substance a été inscrite à l’annexe I de la directive 91/414/CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO 1991, L 230, p. 1), par la directive 2005/53/CE de la Commission, du 16 septembre 2005, modifiant la directive 91/414 en vue d’y inscrire les substances actives chlorothalonil, chlorotoluron, cyperméthrine, daminozide et thiophanate-méthyl (JO 2005, L 241, p. 51).
{3} Règlement d’exécution (UE) 2021/2049 de la Commission, du 24 novembre 2021, renouvelant l’approbation de la substance active « cyperméthrine » comme substance dont la substitution est envisagée, conformément au règlement (CE) nº 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, et modifiant l’annexe du règlement d’exécution (UE) nº 540/2011 de la Commission (JO 2021, L 420, p. 6).
{4} Sur le fondement de l’article 10, paragraphe 1, du règlement nº 1367/2006.
{5} Arrêt du 12 septembre 2019, TestBioTech e.a./Commission (C-82/17 P, EU:C:2019:719, point 39).
{6} Arrêt du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission (T-429/13 et T-451/13, EU:T:2018:280, point 143).
{7} Arrêts du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission (T-31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 148 ; du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission (T-429/13 et T-451/13, EU:T:2018:280, point 125), et du 17 mars 2021, FMC/Commission (T-719/17, EU:T:2021:143, point 78).
{8} Selon les termes de l’article 14, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement d’exécution (UE) nº 844/2012 de la Commission, du 18 septembre 2012, établissant les dispositions nécessaires à la mise en œuvre de la procédure de renouvellement des substances actives, conformément au règlement nº 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO 2012, L 252, p. 26).
{9} Selon cet article, l’approbation d’une substance active ne saurait être accordée que s’il est démontré que les conditions d’approbation prévues à ses paragraphes 2 et 3 sont satisfaites, dans des conditions réalistes d’utilisation. Une présomption est instaurée selon laquelle ces conditions d’approbation sont réputées respectées s’il a été établi que tel est le cas pour au moins une utilisation représentative d’au moins un produit phytopharmaceutique contenant cette substance active.
Arrêt du 21 février 2024, PAN Europe / Commission (T-536/22) (cf. points 41, 43, 46, 47)
34. Recours en annulation - Moyens - Recours contre une décision de rejet d'une demande de réexamen interne - Moyen né de cette décision de rejet et visant à en contester le bien-fondé - Recevabilité - Limites - Moyen ne modifiant pas l'objet de la procédure de réexamen interne
Dans le cadre d’un recours en annulation lié au renouvellement de l’approbation de la substance active cyperméthrine, le Tribunal précise les règles de recevabilité d’un tel recours introduit par une organisation non gouvernementale sur la base du règlement nº 1367/2006{1}, ainsi que l’étendue de la marge d’appréciation de la Commission européenne en tant que gestionnaire des risques au regard du principe de précaution.
La cyperméthrine est un insecticide utilisé au sein de l’Union européenne, dont l’incorporation dans des produits phytopharmaceutiques a été autorisée en 2005{2}.
Dans le cadre de la procédure de renouvellement de l’approbation de la cyperméthrine, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a identifié, dans ses conclusions scientifiques de juillet 2018, quatre domaines critiques de préoccupation (critical areas of concern) concernant cette substance active. Puis, elle a publié, en septembre 2019, une déclaration sur les mesures de réduction des risques pour la cyperméthrine.
Suite à cette évaluation des risques, la Commission a adopté, le 24 novembre 2021, le règlement d’exécution 2021/2049{3} qui renouvelle l’approbation de la cyperméthrine, assorti d’une série de dispositions spécifiques.
Le 20 janvier 2022, la requérante, l’organisation environnementale Pesticide Action Network Europe (PAN Europe), a adressé à la Commission une demande de réexamen interne{4} du règlement d’exécution 2021/2049.
Par sa décision du 23 juin 2022, la Commission a rejeté cette demande.
La requérante demande au Tribunal l’annulation de cette décision de rejet. À l’appui de son recours, elle invoque la violation du principe de précaution et de l’obligation pour l’Union d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement. Elle allègue, entre autres, que, dès lors que l’EFSA avait identifié certains domaines critiques de préoccupation concernant la cyperméthrine, la Commission n’aurait pas dû renouveler l’approbation de cette substance. Dans ce contexte, la Commission ne disposerait plus d’aucun pouvoir d’appréciation et ne saurait se prévaloir de son rôle de gestionnaire de risque à cet égard.
Par son arrêt, le Tribunal rejette le recours dans son intégralité.
Appréciation du Tribunal
Le Tribunal apporte en premier lieu des précisions d’ordre procédural concernant la portée de la règle de concordance entre la demande de réexamen et le recours en annulation introduit contre la décision adoptée en réponse à cette demande.
À cet égard, il rappelle qu’un tel recours en annulation n’est recevable que s’il est dirigé contre la réponse à ladite demande et que les moyens invoqués au soutien de l’annulation visent spécifiquement cette réponse.
Un tel recours ne saurait être fondé sur des motifs nouveaux ou des éléments de preuve qui n’apparaissent pas dans la demande de réexamen, sous peine de priver l’exigence relative à la motivation d’une telle demande de son effet utile et de modifier l’objet de la procédure engagée par cette demande{5}.
Néanmoins, d’une part, une partie requérante au titre du règlement nº 1367/2006 doit pouvoir soulever, au stade du recours devant le Tribunal, des arguments qui visent à critiquer, en droit, le bien-fondé de la réponse à sa demande de réexamen, à condition que ces arguments ne modifient pas l’objet de la procédure engagée par cette demande. D’autre part, un argument qui n’a pas été soulevé au stade de la demande de réexamen ne saurait être considéré comme nouveau s’il ne constitue que l’ampliation d’une argumentation déjà développée dans le cadre de cette demande, c’est-à-dire s’il présente, avec les moyens ou les griefs initialement exposés, un lien suffisamment étroit pour pouvoir être considéré comme résultant de l’évolution normale du débat au sein d’une procédure contentieuse.
En second lieu, le Tribunal relève que, afin de pouvoir poursuivre efficacement les objectifs qui lui sont assignés par le règlement nº 1107/2009, un large pouvoir d’appréciation doit être reconnu à la Commission. Cela vaut notamment pour les décisions en matière de gestion du risque qu’elle doit prendre en application dudit règlement{6}.
La gestion du risque correspond à l’ensemble des actions entreprises par une institution qui doit faire face à un risque afin de le ramener à un niveau jugé acceptable pour la société eu égard à son obligation, en vertu du principe de précaution, d’assurer un niveau élevé de protection de la santé publique, de la sécurité et de l’environnement{7}.
Cela implique de procéder à une évaluation préalable des risques qui consiste, d’une part, à apprécier de manière scientifique lesdits risques, en se fondant sur les meilleures données scientifiques disponibles, et, d’autre part, à déterminer s’ils dépassent le niveau de risque jugé acceptable pour la société, ce qui relève du choix politique que constitue la fixation d’un niveau de protection approprié pour ladite société.
Ainsi, si, dans le cadre de la procédure de renouvellement des substances actives, la Commission doit « tenir compte », notamment, des conclusions scientifiques de l’EFSA{8}, elle n’est pas liée, en tant que gestionnaire des risques, par les constats opérés par l’EFSA. Une telle prise en compte ne peut en effet s’interpréter comme une obligation pour la Commission de suivre en tous points les conclusions de l’EFSA.
Cependant, le large pouvoir d’appréciation de la Commission en tant que gestionnaire des risques demeure encadré par le nécessaire respect des dispositions du règlement nº 1107/2009, en particulier son article 4{9}, lu conjointement avec l’annexe II de ce règlement, ainsi que par le principe de précaution qui sous-tend l’ensemble des dispositions de ce règlement.
Dans ces conditions, la Commission ne saurait renouveler l’approbation d’une substance active que s’il est démontré à suffisance que, nonobstant l’identification de domaines critiques de préoccupation, des mesures d’atténuation des risques permettent de conclure que les critères de l’article 4 du règlement nº 1107/2009 sont respectés. Ainsi, le rôle de la Commission est précisément la détermination des risques qui sont acceptables pour la société, avec un seuil de tolérance plus élevé en ce qui concerne la protection de l’environnement qu’en ce qui concerne la santé humaine ou animale, et en prenant en considération des mesures de gestion pour mitiger des risques déterminés.
En l’occurrence, le seul fait que l’EFSA ait identifié quatre domaines critiques de préoccupation dans ses conclusions s’agissant de la cyperméthrine ne permet pas de considérer que la Commission ne disposait plus d’aucune marge d’appréciation, en tant que gestionnaire des risques, sous réserve qu’elle assure que les critères indiqués à l’article 4 du règlement nº 1107/2009 étaient satisfaits. En d’autres termes, il n’est pas exclu pour la Commission de vérifier, dans le respect du principe de précaution, si le risque aurait pu devenir acceptable en imposant certaines mesures.
{1} Règlement nº 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de l’Union européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13), notamment sur la base de son article 12.
{2} Ladite substance a été inscrite à l’annexe I de la directive 91/414/CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO 1991, L 230, p. 1), par la directive 2005/53/CE de la Commission, du 16 septembre 2005, modifiant la directive 91/414 en vue d’y inscrire les substances actives chlorothalonil, chlorotoluron, cyperméthrine, daminozide et thiophanate-méthyl (JO 2005, L 241, p. 51).
{3} Règlement d’exécution (UE) 2021/2049 de la Commission, du 24 novembre 2021, renouvelant l’approbation de la substance active « cyperméthrine » comme substance dont la substitution est envisagée, conformément au règlement (CE) nº 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, et modifiant l’annexe du règlement d’exécution (UE) nº 540/2011 de la Commission (JO 2021, L 420, p. 6).
{4} Sur le fondement de l’article 10, paragraphe 1, du règlement nº 1367/2006.
{5} Arrêt du 12 septembre 2019, TestBioTech e.a./Commission (C-82/17 P, EU:C:2019:719, point 39).
{6} Arrêt du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission (T-429/13 et T-451/13, EU:T:2018:280, point 143).
{7} Arrêts du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission (T-31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 148 ; du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission (T-429/13 et T-451/13, EU:T:2018:280, point 125), et du 17 mars 2021, FMC/Commission (T-719/17, EU:T:2021:143, point 78).
{8} Selon les termes de l’article 14, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement d’exécution (UE) nº 844/2012 de la Commission, du 18 septembre 2012, établissant les dispositions nécessaires à la mise en œuvre de la procédure de renouvellement des substances actives, conformément au règlement nº 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO 2012, L 252, p. 26).
{9} Selon cet article, l’approbation d’une substance active ne saurait être accordée que s’il est démontré que les conditions d’approbation prévues à ses paragraphes 2 et 3 sont satisfaites, dans des conditions réalistes d’utilisation. Une présomption est instaurée selon laquelle ces conditions d’approbation sont réputées respectées s’il a été établi que tel est le cas pour au moins une utilisation représentative d’au moins un produit phytopharmaceutique contenant cette substance active.
Arrêt du 21 février 2024, PAN Europe / Commission (T-536/22) (cf. point 45)
35. Recours en annulation - Moyens - Erreur manifeste d'appréciation - Charge de la preuve - Erreur sans influence déterminante quant au résultat - Moyen non fondé
Arrêt du 10 avril 2024, Columbus Stainless / Commission (T-445/22) (cf. points 103-108)
36. Recours en annulation - Moyens - Erreur de droit - Erreur sans influence déterminante quant au résultat - Moyen non fondé
Interprétant pour la première fois le règlement sur les marchés numériques{1} (ci-après le « DMA »), le Tribunal rejette le recours en annulation introduit par Bytedance Ltd contre la décision de la Commission européenne{2} désignant cette entreprise ainsi que les sociétés qu’elle contrôle directement ou indirectement (ci-après, prises ensemble, « ByteDance ») comme contrôleur d’accès au sens dudit règlement.
Étant donné que certains services numériques, dénommés « services de plateforme essentiels » (ci-après « SPE »), présentent souvent des caractéristiques qui, combinées à des pratiques déloyales de la part des entreprises fournissant ces services, peuvent sensiblement compromettre la contestabilité des SPE, ainsi que nuire à l’équité de la relation commerciale entre les entreprises fournissant ces services et leurs entreprises utilisatrices et leurs utilisateurs finaux, le législateur de l’Union européenne a décidé d’adopter le DMA.
Ainsi, le DMA vise à contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en établissant des règles tendant à garantir la contestabilité et l’équité des marchés dans le secteur numérique en général et pour les entreprises utilisatrices et les utilisateurs finaux des SPE fournis par les entreprises désignées comme « contrôleurs d’accès » en particulier. À ces fins, le DMA prévoit un ensemble ciblé d’obligations que les entreprises ayant été désignées par la Commission comme contrôleurs d’accès doivent respecter en ce qui concerne chacun des SPE énumérés dans la décision de désignation.
Conformément à l’article 3, paragraphe 1, du DMA, la Commission désigne une entreprise comme contrôleur d’accès lorsqu’elle remplit les trois exigences cumulatives suivantes :
a) elle a un poids important sur le marché intérieur ;
b) elle fournit un SPE qui constitue un point d’accès majeur permettant aux entreprises utilisatrices d’atteindre leurs utilisateurs finaux (ci-après un « point d’accès majeur »), et
c) elle jouit d’une position solide et durable, dans ses activités, ou jouira, selon toute probabilité, d’une telle position dans un avenir proche.
Aux termes de l’article 3, paragraphe 2, du DMA, une entreprise est réputée satisfaire auxdites exigences lorsqu’elle atteint certains seuils quantitatifs, qui sont articulés autour notamment du chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise concernée dans l’Union ou de sa valeur marchande mondiale, du nombre d’utilisateurs finaux et d’entreprises utilisatrices du SPE concerné établis ou situés dans l’Union, et du nombre d’années au cours desquelles ce dernier seuil portant sur le nombre d’utilisateurs a été atteint.
Aux termes de l’article 3, paragraphe 5, premier alinéa, du DMA, l’entreprise concernée peut présenter, avec sa notification au titre de l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, du DMA, des arguments suffisamment étayés pour démontrer que, exceptionnellement, bien qu’elle atteigne tous les seuils prévus à l’article 3, paragraphe 2, du DMA et en raison des circonstances dans lesquelles le SPE concerné opère, elle ne satisfait pas aux exigences énumérées au paragraphe 1 dudit article. Si l’entreprise présente de tels arguments suffisamment étayés, remettant manifestement en cause les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, la Commission peut ouvrir une enquête de marché au titre de l’article 17, paragraphe 3, du DMA.
Bytedance Ltd, fondée en Chine en 2012 et constituée selon le droit des Îles Caïmans, exploite, avec les sociétés qu’elle contrôle directement ou indirectement, notamment la plateforme numérique TikTok. Cette plateforme numérique, qui a été lancée dans l’Union, dans sa version actuelle, en août 2018, permet à ses utilisateurs de rechercher, visionner et diffuser des vidéos, ainsi que d’interagir, communiquer et partager des contenus avec d’autres utilisateurs.
Saisie d’une notification présentée par Bytedance Ltd au titre de l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, du DMA, la Commission a, premièrement, considéré que TikTok était un service de réseau social en ligne au sens du DMA et, par conséquent, un SPE. Deuxièmement, la Commission a constaté que ByteDance atteignait les seuils prévus à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, en ce qui concerne Tiktok, ce qui permettait de présumer que les exigences de l’article 3, paragraphe 1, du DMA, relatives à sa désignation en tant que contrôleur d’accès, étaient satisfaites. Troisièmement, la Commission a estimé que les arguments présentés par Bytedance Ltd pour renverser les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA n’étaient pas suffisamment étayés pour les remettre manifestement en cause. La Commission a ainsi désigné ByteDance comme contrôleur d’accès, sans ouvrir une enquête de marché, et a considéré que le service de réseau social en ligne TikTok était un point d’accès majeur au sens du DMA{3}.
Bytedance Ltd a saisi le Tribunal d’un recours en annulation de cette décision. Le Tribunal, sur demande de Bytedance Ltd, a décidé de statuer sur le recours selon la procédure accélérée.
Appréciation du Tribunal
À l’appui de son recours, la requérante soulève trois moyens tirés, le premier, d’une violation de l’article 3, paragraphes 1 et 5, du DMA, le deuxième, d’une violation des droits de la défense et, le troisième, d’une violation du principe d’égalité de traitement.
Sur le moyen tiré d’une violation de l’article 3, paragraphes 1 et 5, du DMA
À titre liminaire, le Tribunal constate que la requérante ne conteste pas que TikTok constitue un service de réseau social en ligne au sens du DMA. Elle ne conteste pas non plus que les seuils prévus à l’article 3, paragraphe 2, sous a à c), du DMA étaient atteints et que, par conséquent, ByteDance était réputée satisfaire aux exigences respectives de l’article 3, paragraphe 1, du DMA aux fins de sa désignation comme contrôleur d’accès.
En revanche, la requérante estime que la Commission a commis des erreurs en considérant que les arguments qu’elle avait présentés, conformément à l’article 3, paragraphe 5, premier alinéa, du DMA, n’étaient pas suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, en ce qui concerne TikTok.
A. Sur le critère juridique appliqué par la Commission lors de l’examen des arguments présentés pour renverser les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA
Le Tribunal rejette tout d’abord les griefs selon lesquels la Commission aurait appliqué un critère juridique erroné lors de son examen des arguments et des éléments de preuve présentés par la requérante pour renverser les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA.
Dans ce cadre, le Tribunal relève, d’une part, que si l’article 3, paragraphe 5, du DMA permet à l’entreprise concernée de présenter, pour renverser les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, des arguments et des éléments de preuve exprimés ou non dans des valeurs chiffrées, ceux-ci doivent néanmoins être directement liés à une ou plusieurs de ces présomptions, lesquelles prennent la forme de seuils quantitatifs. En l’espèce, la Commission pouvait écarter certains arguments de la requérante consistant notamment en des affirmations générales sur les objectifs poursuivis par le DMA et l’objet et l’effet utile de l’article 3, paragraphe 5, du DMA, car ceux-ci ne visaient pas à renverser concrètement et spécifiquement l’une des trois présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA et, partant, n’étaient pas directement liés à celles-ci.
D’autre part, le Tribunal indique que le niveau de preuve requis pour remettre en cause lesdites présomptions découle directement de l’article 3, paragraphe 5, du DMA, qui exige que l’entreprise concernée, sur laquelle pèse la charge de la preuve, présente des arguments suffisamment étayés, remettant manifestement en cause ces présomptions. Il s’ensuit que les arguments présentés par cette entreprise doivent être susceptibles de démontrer, avec un haut degré de plausibilité, que les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA sont remises en cause. Le Tribunal ajoute que, en l’espèce, la Commission avait affirmé avoir appliqué le niveau de preuve prévu à l’article 3, paragraphe 5, du DMA, et rien dans son analyse ne suggérait que le niveau de preuve qu’elle avait réellement appliqué était plus élevé que celui déterminé à cette disposition.
B. Sur la présomption selon laquelle ByteDance a un poids important sur le marché intérieur
À l’aune de ces précisions, le Tribunal examine ensuite les griefs de la requérante selon lesquels la Commission aurait enfreint l’article 3, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 5, du DMA, en rejetant ses arguments visant à démontrer que ByteDance n’avait pas un poids important sur le marché intérieur. La requérante faisait valoir en substance que le poids de ByteDance sur le marché intérieur n’était pas important, comme démontré notamment par le fait que son chiffre d’affaires dans l’Union était faible et que la valeur marchande globale de ByteDance était due principalement à ses activités en Chine, de sorte que celle-ci ne serait pas représentative de son poids sur le marché intérieur.
Dans ce cadre, la Commission avait notamment écarté, comme dépourvu de pertinence, l’argument tiré du fait que les revenus de ByteDance dans l’Union étaient inférieurs au seuil de chiffre d’affaires réalisé dans l’Union prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA.
Sur ce point, le Tribunal rappelle que l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA permet de présumer qu’une entreprise a un poids important sur le marché intérieur au sens du paragraphe 1, sous a), du même article, lorsque l’entreprise fournit le SPE en cause dans au moins trois États membres et que soit son chiffre d’affaires annuel réalisé dans l’Union est supérieur ou égal à 7,5 milliards d’euros au cours de chacun des trois derniers exercices, soit sa capitalisation boursière moyenne ou sa juste valeur marchande équivalente a atteint au moins 75 milliards d’euros au cours du dernier exercice.
Le Tribunal observe, en outre, qu’il n’était pas contesté que ByteDance n’atteignait pas le seuil de chiffre d’affaires réalisé dans l’Union. En revanche, il était acquis que ByteDance atteignait le seuil alternatif de la valeur marchande mondiale et que, de ce fait, elle était réputée avoir un poids important sur le marché intérieur.
En ce qui concerne la relation entre les deux seuils susvisés, le Tribunal précise que ceux-ci reflètent des hypothèses proches, mais distinctes. Tandis qu’un chiffre d’affaires élevé réalisé dans l’Union tend à démontrer que l’entreprise en cause jouit déjà d’une capacité de monétiser ses utilisateurs dans le marché intérieur, une capitalisation boursière ou une juste valeur marchande au niveau mondial élevée tend plutôt à indiquer que ladite entreprise dispose du potentiel de monétiser ses utilisateurs dans le marché intérieur dans un avenir proche. En outre, le chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise en cause dans l’Union a été spécifiquement retenu par le législateur de l’Union en tant qu’indicateur du poids de celle-ci sur le marché intérieur.
Ainsi, il ne peut pas être exclu que l’entreprise concernée puisse démontrer, sur la base de plusieurs arguments suffisamment étayés, dont son faible chiffre d’affaires réalisé dans l’Union, que, malgré sa valeur marchande mondiale très importante, elle n’a qu’une présence limitée sur le marché intérieur, de sorte que ladite valeur marchande ne traduit pas un potentiel de monétiser ses utilisateurs dans l’Union dans un avenir proche et que, dès lors, elle n’a pas un poids important sur le marché intérieur au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du DMA.
Au regard de ce qui précède, le Tribunal constate que la Commission a commis une erreur en écartant comme dépourvu de pertinence, pour remettre en cause la présomption relative au poids important de ByteDance sur le marché intérieur, l’argument de la requérante relatif au faible chiffre d’affaires de ByteDance réalisé dans l’Union.
Cela étant, conformément à la jurisprudence, cette erreur n’entraîne l’annulation de la décision attaquée que si elle a pu avoir une influence déterminante, dans les circonstances particulières du cas d’espèce, sur le rejet, par la Commission, des arguments présentés par la requérante pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA.
Or, tel n’est pas le cas, dès lors que l’ensemble des autres éléments pris en compte par la Commission pour conclure que ByteDance avait un potentiel important de monétiser ses utilisateurs dans l’Union dans un avenir proche demeurent valides. En effet, à l’appui de cette conclusion, la Commission a également rappelé que le chiffre d’affaires de ByteDance dans l’Union, bien que sous le seuil prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA, n’avait tout de même pas cessé d’augmenter, que la juste valeur marchande de ByteDance était largement supérieure au seuil de 75 milliards d’euros et que le nombre d’utilisateurs finaux et d’entreprises utilisatrices de TikTok dans l’Union avait continué d’augmenter au cours des trois derniers exercices, dépassant de loin les seuils énoncés à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
C. Sur la présomption selon laquelle TikTok est un point d’accès majeur
Le Tribunal écarte en outre les griefs de la requérante selon lesquels la Commission aurait enfreint l’article 3, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 5, du DMA, en qualifiant TikTok de point d’accès majeur en application de la présomption prévue par l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, en dépit des arguments contraires avancés par la requérante.
Conformément à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, une entreprise est réputée fournir un SPE constituant un point d’accès majeur si elle fournit un SPE qui, au cours du dernier exercice, a compté au moins 45 millions d’utilisateurs finaux actifs par mois établis ou situés dans l’Union et au moins 10 000 entreprises utilisatrices actives par an établies dans l’Union.
a. Sur l’absence alléguée d’écosystème et d’effets de réseau importants
Afin de contester la qualification de TikTok de point d’accès majeur en application de la présomption prévue par l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, la requérante soutenait, en premier lieu, que, contrairement à d’autres entreprises actives dans le secteur numérique, ByteDance ne dispose pas d’un écosystème et ne bénéficie pas d’effets de réseau importants.
Tout d’abord, le Tribunal précise qu’un écosystème de plateformes numériques peut consister en un, voire plusieurs SPE ainsi que d’autres services connectés à ceux-ci, par exemple par des liens technologiques ou l’interopérabilité, ce qui est susceptible d’exacerber les barrières à l’entrée pour les concurrents de ces entreprises et d’augmenter les coûts de changement de fournisseur pour les utilisateurs finaux, rendant ces entreprises plus difficiles à concurrencer ou à contester par des opérateurs du marché existants ou nouveaux.
Ensuite, le Tribunal constate que la requérante n’a pas étayé son argument selon lequel ByteDance ne disposait pas d’un écosystème dont TikTok faisait partie.
Enfin, selon le Tribunal, à supposer même que ByteDance ne dispose pas d’écosystème, la conclusion de la Commission quant à la qualification de TikTok de point d’accès majeur demeure valide, dès lors qu’il résulte de la décision attaquée que, depuis le lancement dans l’Union, en 2018, de sa version actuelle, TikTok a réussi en peu de temps à attirer un nombre très élevé d’utilisateurs finaux ainsi que d’entreprises utilisatrices, dépassant de loin les seuils prévus à cet égard à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA et atteignant la moitié de la taille de Facebook et de celle d’Instagram.
Par ailleurs, contrairement à ce que prétend la requérante, aucun élément du DMA ne laisse entendre qu’un SPE ne peut produire des effets de réseau importants qu’en présence d’un écosystème. De même, la requérante n’a présenté aucun argument autonome susceptible de suggérer que TikTok serait dépourvu d’effets de réseau importants.
b. Sur l’existence de multihébergement et l’absence alléguée d’effets de verrouillage
En deuxième lieu, le Tribunal confirme la conclusion de la Commission selon laquelle l’existence d’un certain degré de multihébergement{4} par les utilisateurs finaux et les entreprises utilisatrices concernant TikTok et d’autres réseaux sociaux en ligne était insuffisante pour remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
À cet égard, le Tribunal relève que si l’existence ou l’absence de multihébergement et d’effets de verrouillage pourraient constituer, selon le cas, des éléments pertinents pour apprécier si cette présomption est susceptible d’être manifestement remise en cause, il faut tenir compte des caractéristiques spécifiques et concrètes dudit multihébérgement et des effets de verrouillage telles qu’elles se manifestent dans les circonstances dans lesquelles le SPE concerné opère.
Or, la prévalence du multihébergement parmi les utilisateurs des réseaux sociaux en ligne étant illustrée par les données présentées par la requérante elle-même, le Tribunal conclut que, compte tenu des caractéristiques du SPE concerné, la simple existence de multihébergement, même dans des proportions importantes, ne suffit pas en elle-même pour remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA en l’espèce.
Qui plus est, les arguments et les éléments de preuve présentés par la requérante, sur qui pèse la charge de la preuve, au cours de la procédure administrative, ne concernaient que l’existence de multihébergement en général, et non l’intensité de l’usage des différentes plateformes de réseaux sociaux en ligne, étant précisé que TikTok bénéficiait d’un taux d’engagement plus élevé que les autres réseaux sociaux, les utilisateurs finaux, notamment les jeunes, passant plus de temps sur TikTok que sur d’autres réseaux sociaux.
En ce qui concerne les arguments de la requérante tirés du fait qu’environ 82 % et 77 % des utilisateurs finaux de TikTok utiliseraient aussi, respectivement, Instagram et Facebook, alors que seulement 38 % et 48 % des utilisateurs finaux, respectivement, de Facebook et d’Instagram, utiliseraient aussi TikTok, le Tribunal constate que la requérante n’a, en tout état de cause, pas démontré que la nature asymétrique du multihébergement pratiqué par les utilisateurs de TikTok, d’une part, et de Facebook et Instagram, d’autre part, était due non au contexte économique et historique dans lequel opèrent les réseaux sociaux en ligne dans l’Union, mais à l’absence d’effets de réseau et de verrouillage sur TikTok.
c. Sur l’échelle plus petite de TikTok en comparaison avec celle d’autres plateformes et le grand nombre de concurrents
En troisième lieu, le Tribunal estime que la Commission a considéré à juste titre que les arguments présentés par la requérante, relatifs à l’échelle petite de TikTok en comparaison avec celle de certains autres services de réseaux sociaux en ligne, ainsi qu’à l’existence d’un grand nombre de concurrents, n’étaient pas non plus suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
Parmi les éléments pouvant être pris en compte par la Commission lors de son examen des arguments tendant à renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA figure, selon le considérant 23 du DMA, l’« importance du [SPE] de [l’entreprise concernée], compte tenu de l’échelle globale des activités du [SPE] concerné ». Ce considérant du DMA ne précise toutefois pas les paramètres sur la base desquels l’importance et l’échelle du SPE en cause doivent être mesurées.
Dans ce contexte, la requérante soutenait que TikTok ne constitue pas un point d’accès majeur, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du DMA, au motif que TikTok aurait une taille plus réduite que celles d’autres plateformes bien établies, telles que Facebook et Instagram, notamment en termes de nombre d’utilisateurs finaux.
Toutefois, la requérante ayant avancé, aux fins de démontrer la prétendue petite échelle de TikTok, des arguments et des données qu’elle n’avait pas présentés au cours de la procédure administrative, le Tribunal les déclare irrecevables.
Il écarte ces nouveaux arguments également comme étant non fondés et, dans ce cadre, confirme notamment que la taille de TikTok en termes de nombre d’utilisateurs finaux ne saurait être examinée de manière statique, mais doit tenir compte de la croissance rapide et significative du nombre d’utilisateurs finaux dans l’Union, qui a atteint en quelques années environ la moitié de la taille de Facebook et de celle d’Instagram.
d. Sur les recettes publicitaires et le niveau d’interaction des entreprises utilisatrices enregistrées sur TikTok
En revanche, en ce qui concerne les arguments de la requérante tirés du fait que les recettes publicitaires de ByteDance, son revenu moyen par utilisateur ou encore le niveau d’interaction des annonceurs et des entreprises utilisatrices enregistrées sur TikTok seraient faibles et plus bas que ceux de certaines autres plateformes, le Tribunal constate, en quatrième lieu, que la Commission a commis une erreur en écartant ces arguments comme étant dépourvus de toute pertinence pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
À cet égard, le Tribunal souligne, d’une part, que si la Commission a qualifié TikTok de service de réseau social en ligne et non pas de service de publicité en ligne au sens du DMA, il n’en reste pas moins que Tiktok constitue une plateforme unique, sur laquelle des utilisateurs interagissent notamment en partageant et en visualisant des vidéos, alors que des annonceurs payent pour faire publier des annonces qui généralement s’intercalent entre les vidéos visualisées par lesdits utilisateurs.
D’autre part, il ne saurait être nié que les revenus publicitaires ou le revenu moyen par utilisateur générés par TikTok pourraient, en principe, constituer un indice parmi d’autres de l’importance que cette plateforme représente pour les entreprises utilisatrices de ladite plateforme pour atteindre les utilisateurs finaux, dans la mesure où la publicité est l’un des moyens communément utilisés par ces entreprises utilisatrices pour atteindre leurs clients.
Cela étant, dès lors que la Commission avait, en tout état de cause, également établi que les arguments et éléments de preuve de la requérante relatifs à la publicité en ligne n’étaient pas suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, le Tribunal constate que l’erreur commise par la Commission demeure sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. Sur ce point, le Tribunal relève notamment que la Commission avait à juste titre constaté que les arguments et éléments de preuve avancés par la requérante n’étaient pas suffisamment représentatifs de l’ensemble des entreprises utilisatrices de TikTok.
D. Sur la présomption selon laquelle ByteDance jouit d’une position solide et durable
Le Tribunal écarte, enfin, les griefs de la requérante selon lesquels la Commission aurait enfreint l’article 3, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 5, du DMA, en rejetant ses arguments visant à contester la conclusion que, au regard de la présomption prévue par l’article 3, paragraphe 2, sous c), du DMA, TikTok jouit d’une position solide et durable dans ses activités. La requérante faisait valoir en substance qu’elle était un nouvel entrant sur le marché et que sa position avait été contestée avec succès par de...
Arrêt du 17 juillet 2024, Bytedance / Commission (T-1077/23) (cf. points 111-118)
37. Recours en annulation - Recours dirigé contre une décision de la commission de recours de l'agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) - Acte instituant l'ACER excluant la possibilité d'avancer devant le Tribunal des moyens non présentés devant la commission de recours - Invocation des griefs déjà formulés devant ladite commission - Recevabilité
Rejetant le recours en annulation introduit par un gestionnaire de réseau de transport d’électricité (ci-après le « GRT »), le Tribunal précise l’étendue de la compétence de l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) pour adopter une méthodologie de coordination régionale de la sécurité d’exploitation du réseau de transport de l’électricité, avant de confirmer la légalité du champ d’application de la méthodologie adoptée par cette agence.
Le 2 août 2017, la Commission européenne a adopté le règlement 2017/1485{1}, qui énonce une série d’exigences en matière de sécurité d’exploitation du réseau de transport de l’électricité.
En application de ce règlement, les GRT de la région « CORE »{2} ont soumis à l’approbation de l’ensemble des autorités de régulation nationales (ci-après les « ARN ») de cette région une proposition de méthodologie commune de coordination régionale de la sécurité d’exploitation.
Sur demande conjointe des ARN, l’ACER a statué sur la proposition des GRT et adopté une décision sur une méthodologie de coordination régionale de la sécurité d’exploitation pour la région CORE [ci-après la « méthodologie sécurité (ROSC) contestée »] s’écartant de la proposition des GRT concernant le champ d’application de cette méthodologie.
La requérante, Polskie sieci elektroenergetyczne S.A., en sa qualité de GRT responsable de la gestion, de l’entretien et du développement du réseau en Pologne, a alors formé un recours devant la commission de recours de l’ACER (ci-après la « commission de recours ») à l’encontre de cette décision de l’ACER. Celui-ci ayant été rejeté, elle a saisi le Tribunal d’un recours en annulation contre la décision de la commission de recours.
Appréciation du Tribunal
À titre liminaire, le Tribunal rappelle que, selon la méthodologie sécurité (ROSC) contestée, la coordination régionale de la sécurité d’exploitation régie par ladite méthodologie comprend, d’une part, l’analyse régionale de la sécurité d’exploitation et, d’autre part, le processus d’évaluation régionale de la sécurité d’exploitation (ci-après le « processus CROSA »). Ce processus a notamment pour objectif de coordonner et de mettre en œuvre des actions correctives{3} ayant une incidence transfrontalière, telles que, entre autres, le redispatching{4} et les échanges de contrepartie{5}, qui sont activées pour soulager les congestions physiques sur le réseau de transport d’électricité et limiter ainsi les risques pour la sécurité d’exploitation qui en résultent. Au sens de la méthodologie sécurité (ROSC) contestée, constituent des actions correctives ayant une incidence transfrontalière celles qui peuvent, au moins parfois, résoudre une congestion sur tous les éléments critiques de réseau pris en compte pour le calcul de la capacité d’échanges entre zones ainsi que tous les autres éléments de réseau avec une tension supérieure ou égale à 220 kilovolts (kV).
C’est à la lumière de ces précisions que le Tribunal examine les moyens soulevés par la requérante.
Sur le moyen relatif à la compétence de l’ACER
Le Tribunal rejette comme irrecevable le moyen de la requérante tiré de l’incompétence de l’ACER pour s’écarter de la proposition des GRT concernant le champ d’application de la méthodologie sécurité (ROSC) contestée, au motif que ce moyen ne semble pas avoir été expressément contesté par la requérante devant la commission de recours. Or, des moyens non présentés devant cette dernière ne peuvent être avancés pour la première fois devant le Tribunal à l’occasion d’un recours en annulation, qui doit se faire au regard du cadre factuel et juridique des litiges, tels qu’ils ont été portés devant pareille commission.
En tout état de cause, le Tribunal considère ce moyen comme non fondé, dans la mesure où l’article 6, paragraphe 10, du règlement 2019/942{6} et l’article 6, paragraphe 8, du règlement 2017/1485 habilitent l’ACER à statuer ou à adopter des décisions individuelles sur des questions ou des problèmes de réglementation ayant un effet sur les échanges transfrontaliers ou sur la sécurité du réseau transfrontalier relevant de la compétence des ARN, telles que l’adoption de la méthodologie sécurité (ROSC) contestée, notamment lorsque les ARN compétentes lui ont adressé, comme en l’espèce, une demande conjointe en ce sens, sans être liée par la position prise par lesdites ARN. Il s’ensuit que l’ACER était compétente, sur le fondement de ces dispositions, pour s’écarter de la proposition des GRT concernant le champ d’application de la méthodologie sécurité (ROSC) contestée.
Sur le moyen relatif au champ d’application de la méthodologie sécurité (ROSC) contestée
La requérante reproche à la commission de recours d’avoir commis une erreur de droit en considérant que la méthodologie sécurité (ROSC) contestée, en vertu de laquelle toutes les congestions sur les éléments de réseau avec une tension supérieure ou égale à 220 kV doivent être gérées de manière coordonnée par le processus CROSA, était conforme au cadre juridique applicable. Ainsi, s’il est constant entre les parties que les éléments de réseau avec une tension supérieure ou égale à 220 kV pourraient avoir une incidence transfrontalière, elles s’opposent sur la question de savoir quelles congestions précises, sur de tels éléments, devraient être gérées de manière coordonnée par le processus CROSA.
Dans ce cadre, en premier lieu, le Tribunal rejette le grief de la requérante selon lequel seules les congestions causées par les échanges transfrontaliers prévus, à savoir les flux alloués, devraient être gérées de manière coordonnée. À cet égard, l’article 76, paragraphe 2, du règlement 2017/1485, prévoit que, « pour déterminer si la congestion est liée à des échanges transfrontaliers, les GRT tiennent compte de la congestion qui surviendrait en l’absence d’échanges d’énergie entre zones de contrôle ». En interprétant cette disposition au regard du contexte réglementaire dans lequel elle s’insère, le Tribunal constate que la méthodologie sécurité (ROSC) ne doit pas prévoir la coordination des actions correctives en fonction de l’origine de la congestion que ces actions visent à soulager, mais de l’incidence transfrontalière que ces actions peuvent avoir.
Or, ainsi qu’il ressort de la méthodologie sécurité (ROSC) contestée, eu égard au réseau interconnecté hautement maillé de la région CORE, il n’était généralement pas possible d’identifier un élément de réseau qui aurait été affecté uniquement par des actions correctives n’ayant aucune incidence sur d’autres éléments de réseau ayant une incidence transfrontalière, de sorte que toutes les actions correctives qui étaient, au moins parfois, en mesure de soulager une congestion sur les éléments de réseau d’une tension égale ou supérieure à 220 kV devaient être considérées comme ayant une incidence transfrontalière et, par conséquent, être coordonnées par le processus CROSA.
Partant, c’est sans commettre d’erreur de droit que la commission de recours a pu considérer, en se fondant sur cette appréciation technique, que toutes les congestions sur les éléments de réseau avec une tension supérieure ou égale à 220 kV devaient être gérées de manière coordonnée par le processus CROSA, conformément à la méthodologie sécurité (ROSC).
En deuxième lieu, le Tribunal considère que la définition du champ d’application de la méthodologie sécurité (ROSC) contestée ne porte pas atteinte aux compétences des GRT en matière de sécurité d’exploitation de leurs réseaux, telles qu’établies à l’article 35, paragraphe 5, du règlement 2019/943{7} et à l’article 40, paragraphe 1, sous d), de la directive 2019/944{8}, dans la mesure où il n’inclut pas des actions correctives qui ne nécessitent pas une gestion coordonnée par le processus CROSA.
De surcroît, tous les éléments de réseau et toutes les actions correctives dont disposent les GRT ne sont pas inclus, par défaut, dans la méthodologie sécurité (ROSC) contestée. Il est, de plus, possible pour ces derniers d’exclure certains éléments de réseau ou certaines actions correctives n’ayant pas d’incidence transfrontalière du champ d’application de ladite méthodologie.
Enfin, les GRT restent les seuls responsables de l’activation des actions correctives ayant une incidence transfrontalière pour assurer la sécurité d’exploitation de leurs réseaux, dès lors qu’ils peuvent rejeter une action corrective recommandée par le processus CROSA susceptible d’entraîner une atteinte à ladite sécurité ou qu’ils peuvent activer une action corrective lorsqu’une atteinte imprévue se produit.
En troisième lieu, le Tribunal constate que le champ d’application de la méthodologie sécurité (ROSC) contestée est compatible avec l’article 16 de la méthodologie de coordination des analyses de la sécurité d’exploitation (CSAM), qui exige des GRT de la région CORE d’élaborer conjointement une proposition de méthodologie sécurité (ROSC), incluant des règles pour la détermination de l’incidence transfrontalière des actions correctives et des GRT affectés par ces actions correctives de manière générale. En effet, la procédure établie par la méthodologie sécurité (ROSC) contestée prévoit les critères pour l’élaboration par les GRT d’une liste d’éléments de réseau ayant une incidence transfrontalière et pour l’identification de l’incidence transfrontalière d’une action corrective potentielle ainsi que les règles spécifiques concernant l’exclusion des éléments de réseau et des actions correctives n’ayant pas d’incidence transfrontalière.
Sur le moyen relatif à l’absence de règles équitables pour les échanges transfrontaliers d’électricité et d’incitations appropriées pour des actions correctives liées aux équipements
La requérante fait également valoir que la commission de recours a commis une erreur de droit en ne constatant pas l’absence, dans la méthodologie sécurité (ROSC) contestée, de règles équitables pour les échanges transfrontaliers d’électricité et d’incitations appropriées pour des actions correctives liées aux équipements, tels que les transformateurs déphaseurs{9}.
À cet égard, le Tribunal reconnaît que la méthodologie sécurité (ROSC) contestée peut générer des coûts supplémentaires pour certains GRT ayant déjà investi dans des équipements tels que des transformateurs déphaseurs, lorsque la gestion d’une congestion dans le cadre du processus CROSA exige tant la modification de la configuration des transformateurs déphaseurs que l’activation d’actions correctives coûteuses, telles que le redispatching. Or, d’une part, le seul fait qu’un GRT puisse supporter des coûts plus élevés en raison de la coordination régionale ne saurait signifier que les règles établies par la méthodologie sécurité (ROSC) contestée seraient inéquitables ou qu’elles seraient inaptes à promouvoir la coordination régionale de l’exploitation du réseau. En effet, les coûts qui surviennent en raison de l’application de la solution régionale sélectionnée par le processus CROSA sont inhérents à la coordination régionale et constituent une émanation concrète du principe de solidarité énergétique. D’autre part, il n’est pas démontré que la méthodologie sécurité (ROSC) contestée a pour conséquence de décourager les GRT d’investir dans des équipements, tels que des transformateurs déphaseurs, qui peuvent effectivement réduire les coûts encourus par les GRT pour résoudre des congestions locales avant le commencement du processus CROSA.
Sur les autres moyens invoqués par la requérante
Le Tribunal considère par ailleurs que, contrairement aux allégations de la requérante, la commission de recours n’a pas commis d’erreur de droit en ne constatant pas une violation des dispositions garantissant aux GRT de pouvoir utiliser le modèle d’appel centralisé{10} pour gérer les congestions internes ou pour effectuer des tâches d’équilibrage du système électrique. En effet, la requérante n’a pas démontré que la méthodologie sécurité (ROSC) contestée l’empêche d’utiliser ledit modèle d’appel centralisé pour assurer la sécurité d’exploitation de son réseau.
Le Tribunal rejette également le moyen tiré d’une violation des dispositions garantissant le respect des limites de sécurité d’exploitation, en particulier celles de tension{11}, aux niveaux local et régional, après avoir constaté que la requérante n’était pas parvenue à démontrer que la commission de recours avait commis une erreur de droit en considérant que la méthodologie sécurité (ROSC) contestée n’entravait pas, aux niveaux local et régional, le respect de telles limites.
Finalement, le Tribunal constate que la décision de la commission de recours est suffisamment motivée et rejette le moyen de la requérante tiré d’un défaut de motivation.
Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, le Tribunal rejette le recours dans son intégralité.
{1} Règlement (UE) 2017/1485 de la Commission, du 2 août 2017, établissant une ligne directrice sur la gestion du réseau de transport de l’électricité (JO 2017, L 220, p. 1).
{2} La région CORE est la zone géographique comprenant la Belgique, la République tchèque, l’Allemagne, la France, la Croatie, le Luxembourg, la Hongrie, les Pays-Bas, l’Autriche, la Pologne, la Roumanie, la Slovénie et la Slovaquie, établie pour le calcul de la capacité, conformément à l’article 15 du règlement (UE) 2015/1222 de la Commission, du 24 juillet 2015, établissant une ligne directrice relative à l’allocation de la capacité et à la gestion de la congestion (JO 2015, L 197, p. 24).
{3} En vertu de l’article 2, point 13, du règlement 2015/1222, l’action corrective s’entend de toute mesure appliquée par un ou plusieurs GRT, afin de préserver la sécurité d’exploitation
{4} En vertu de l’article 2, point 26, du règlement (UE) 2019/943 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, sur le marché intérieur de l’électricité (JO 2019, L 158, p. 54), le redispatching se définit comme une mesure qui est activée par un ou plusieurs GRT ou gestionnaires de réseau de distribution et consistant à modifier le modèle de production, de charge, ou les deux, de manière à modifier les flux physiques sur le système électrique et soulager ainsi une congestion physique ou assurer autrement la sécurité du système.
{5} En vertu de l’article 2, point 27, du règlement 2019/943, l’échange de contrepartie renvoie à un échange entre zones entrepris par des gestionnaires de réseau entre deux zones de dépôt des offres pour soulager une congestion physique.
{6} Règlement (UE) 2019/942 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, instituant une agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (JO 2019, L 158, p. 22).
{7} En vertu de l’article 35, paragraphe 5, du règlement 2019/943, les GRT sont chargés de gérer les flux d’électricité et de garantir un système électrique sûr, fiable et efficace, conformément à l’article 40, paragraphe 1, point d), de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE (JO 2019, L 158, p. 125).
{8} Aux termes de l’article 40, paragraphe 1, sous d), de la directive 2019/944, chaque GRT est chargé de gérer les flux d’électricité sur le réseau en tenant compte des échanges avec d’autres réseaux interconnectés. À cet effet, le GRT est tenu de garantir un système électrique sûr, fiable et efficace et, dans ce contexte, de veiller à la disponibilité de tous les services auxiliaires nécessaires, y compris ceux fournis par la participation active de la demande et les installations de stockage d’énergie, dans la mesure où cette disponibilité est indépendante d’autres réseaux de transport avec lesquels son réseau est interconnecté.
{9} Les transformateurs déphaseurs permettent de soulager une congestion en « forçant » le passage de l’électricité d’une ligne électrique saturée vers une ligne électrique moins empruntée.
{10} En vertu de l’article 2, point 18, du règlement (UE) 2017/2195 de la Commission, du 23 novembre 2017, concernant une ligne directrice sur l’équilibrage du système électrique (JO 2017, L 312, p. 6), le modèle d’appel centralisé se définit comme « un modèle de programmation et d’appel dans lequel les programmes de production et les programmes de consommation ainsi que l’appel des installations de production et des installations de consommation, en référence aux installations appelables, sont déterminés par un GRT dans le cadre d’un processus de programmation intégré ».
{11} Articles 76 et 77 du règlement 2017/1485, lus conjointement avec l’article 25 et l’article 4, paragraphe 1, sous d) et h), et paragraphe 2, sous e), de ce règlement.
38. Recours en annulation - Moyens - Recours dirigé contre une décision prise au terme de la procédure administrative - Irrégularité procédurale - Possibilité d'obtenir l'annulation de ladite décision par la démonstration de la probabilité d'une décision différente en l'absence de cette irrégularité
Statuant en formation élargie à cinq juges, le Tribunal rejette le recours introduit par une organisation syndicale ou professionnelle du personnel (OSP), tendant à l’annulation d’une décision du Conseil de l’Union européenne constatant la perte de représentativité de la requérante au sein de cette institution. Le Tribunal confirme ainsi implicitement sa compétence pour statuer sur des mesures prises en application d’un accord conclu entre une institution et une OSP et affectant directement l’intérêt collectif défendu par cette dernière. En outre, il précise la portée des obligations qui incombent au Conseil en vue de la mise en œuvre d’une mesure de représentativité.
En 2006, la requérante et d’autres OSP (ci-après les « OSP cosignataires ») ont signé un accord avec le Conseil en vue de fixer les critères de reconnaissance et de représentativité des OSP du Conseil (ci-après l’« Accord »), dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 10 quater du statut des fonctionnaires de l’Union.
L’Accord prévoit que les OSP doivent, afin d’être reconnues, disposer d’au moins 60 adhérents (ci-après le « seuil de reconnaissance »). Pour constituer une OSP représentative au sein du secrétariat général du Conseil (ci-après le « SGC »), le seuil est fixé à 300 adhérents (ci-après le « seuil de représentativité »). Les OSP représentatives bénéficient d’avantages plus importants que les OSP reconnues. Selon l’Accord, le respect de ces seuils par les OSP cosignataires doit être vérifié, tous les trois ans, par un organisme indépendant (ci-après la « procédure de vérification »).
En mars 2022, le SGC a informé les OSP cosignataires de la mise en œuvre d’une procédure de vérification. Ces dernières ont demandé que la date de référence à prendre en compte pour l’établissement des listes de leurs adhérents soit fixée au 31 juillet 2022 (ci-après la « première date de référence »). Toutefois, cette date a été fixée au 31 mai 2022.
À la suite d’une première procédure de vérification, l’huissier de justice a dressé un procès-verbal (ci après le « premier procès-verbal ») selon lequel la requérante n’avait pas atteint le seuil de reconnaissance, ni, par conséquent, le seuil de représentativité à la date arrêtée. Par note du 24 novembre 2022, la requérante a été invitée, conformément à l’Accord, à se conformer aux seuils de reconnaissance et de représentativité dans un délai de trois mois.
Selon un procès-verbal établi dans le cadre d’une seconde procédure de vérification (ci-après le « second procès-verbal »), la requérante remplissait, à une nouvelle date de référence, le seuil de reconnaissance, mais pas le seuil de représentativité.
Par note du 3 avril 2023, le SGC a informé la requérante de la suspension de ses droits en tant qu’OSP représentative et du maintien à son bénéfice des ressources en qualité d’OSP reconnue.
La requérante a sollicité du Tribunal l’annulation de cette décision sur le fondement de l’article 263 TFUE, en ce qu’elle suspendait ses droits d’OSP représentative (ci après la « décision attaquée »).
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, s’agissant de la motivation de la décision attaquée, le Tribunal relève que ni cette dernière ni le second procès-verbal ne précisent le nombre exact d’adhérents que l’huissier de justice a retenu. Toutefois, le Tribunal rejette le moyen comme non fondé dès lors qu’il ressortait clairement de la décision attaquée que ce nombre devait être à la fois égal ou supérieur au seuil de reconnaissance et inférieur au seuil de représentativité, sans que l’écart constaté soit inférieur à vingt adhérents (entre 60 et 280).
En deuxième lieu, le Tribunal écarte le moyen tiré d’une violation de l’Accord lors de la première procédure de vérification ayant conduit à l’adoption de la note du 24 novembre 2022 et d’irrégularités affectant le premier procès-verbal. D’emblée, il indique que, cette note revêtant le caractère d’une mesure purement préparatoire, la requérante est recevable à critiquer, à titre incident, la première procédure de vérification ainsi que son bien-fondé. En effet, conformément à une jurisprudence constante, les éventuelles illégalités entachant les mesures de nature purement préparatoire peuvent être invoquées à l’appui du recours dirigé contre l’acte définitif dont elles constituent un stade d’élaboration.
En particulier, s’agissant du grief selon lequel la décision attaquée est intervenue tardivement au regard du calendrier triennal de mesure de la représentativité des OSP prévu par l’Accord, le Tribunal observe, d’une part, que l’objectif de ce calendrier vise à garantir la vérification, à intervalles réguliers, des conditions de reconnaissance et de représentativité des OSP du Conseil et, d’autre part, que l’Accord ne prévoit pas de sanctions pour son non-respect. Ainsi, il a considéré que le non-respect de ce calendrier devait être regardé comme une irrégularité procédurale et non comme la violation d’une formalité substantielle. Or, en l’espèce, la requérante n’a pas apporté un commencement de preuve qu’elle aurait disposé d’un nombre suffisant d’adhérents pour remplir le seuil de représentativité aux dates respectant le calendrier triennal et, partant, n’établit pas que la décision attaquée aurait pu avoir un contenu différent.
En outre, en ce qui concerne le grief tiré d’une erreur concernant la première date de référence, le Tribunal souligne que la détermination des dates de référence pour les opérations de vérification n’est pas régie par l’Accord. Or, les principes de sécurité juridique et d’égalité de traitement imposaient au Conseil de fixer, comme c’était le cas en l’espèce, une première date de référence qui soit, non seulement la même pour toutes les OSP cosignataires, mais également claire et prévisible.
En troisième lieu, le Tribunal rejette le moyen tiré d’une violation de l’esprit de coopération loyale découlant de l’Accord et des principes de bonne administration, de proportionnalité et d’exécution de bonne foi des conventions.
Tout d’abord, en réponse à l’argumentation tirée de la violation de ce dernier principe, il relève que, selon la jurisprudence, les mesures affectant directement l’intérêt collectif que défend une OSP dans le cadre de ses relations avec une institution peuvent faire l’objet d’un recours en annulation de la part de cette OSP sur le fondement de l’article 263 TFUE, y compris lorsque ces mesures sont prises en application d’un accord conclu entre l’institution concernée et des OSP. En outre, en saisissant le Tribunal sur le fondement de cette disposition du TFUE, les parties au litige ont implicitement mais nécessairement considéré que l’appréciation de la légalité de la décision attaquée ne relevait pas de la compétence du juge du contrat.
Ensuite, le Tribunal écarte l’argumentation de la requérante tirée de la violation de l’obligation de diligence, en ce que, notamment, le Conseil aurait refusé de décaler la première date de référence au 31 juillet 2022. En particulier, le Tribunal a constaté que les OSP concernées par la première procédure de vérification avaient disposé d’un délai suffisant pour s’y préparer. D’ailleurs, la requérante n’avançait aucun élément tendant à établir que, à la date de la seconde date de référence, elle aurait été en mesure d’atteindre le seuil de représentativité, alors même que la seconde procédure de vérification lui avait offert un délai supplémentaire et une nouvelle occasion d’atteindre ce seuil.
En outre, le Tribunal rejette, en se référant à la clause de confidentialité contenue dans l’Accord et au règlement 2018/1725{1}, le grief selon lequel le Conseil aurait dû, aux fins des procédures de vérification, communiquer à la requérante certaines informations relatives aux grades et à la rémunération des fonctionnaires, agents et pensionnés de cette institution, ces données revêtant un caractère personnel.
Enfin, il rejette l’argumentation tirée de la violation du principe de coopération loyale au motif, notamment, que l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE, prévoyant le respect et l’assistance mutuelle entre l’Union et les États membres dans l’accomplissement des missions découlant des traités, ne fait pas peser sur le Conseil une obligation de coopération loyale dans ses relations avec une personne morale telle que la requérante.
En quatrième lieu, le Tribunal écarte, au regard, notamment, de l’article 12, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que de ses articles 27 et 28, le moyen tiré d’une violation du droit fondamental à la liberté syndicale. En effet, le Tribunal constate que la décision attaquée ne vise pas à pénaliser ou entraver l’exercice de la liberté syndicale de la requérante, qui conserve la possibilité d’exercer ses missions de représentation et de concertation. Cette décision ne l’empêche pas non plus de recouvrer le statut d’OSP représentative.
{1} Règlement (UE) 2018/1725 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2018, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions, organes et organismes de l’Union et à la libre circulation de ces données, et abrogeant le règlement (CE) no 45/2001 et la décision no 1247/2002/CE (JO 2018, L 295, p. 39).
Arrêt du 11 décembre 2024, FFPE Section Conseil / Conseil (T-179/23) (cf. points 64, 108)
39. Recours en annulation - Moyens - Recours dirigé contre des règlements du Conseil adoptant des mesures restrictives au regard de la situation en Ukraine - Moyen tiré d'une violation du droit à la liberté d'expression et d'information des utilisateurs des services d'un fournisseur de services Internet - Impossibilité pour l'opérateur concerné de se prévaloir du droit à la liberté d'expression et d'information de ses utilisateurs
Dans son arrêt, le Tribunal rejette le recours en annulation introduit par les sociétés requérantes contre les actes par lesquels le Conseil interdit à tout opérateur établi dans l’Union européenne, d’une part, de diffuser, d’autoriser ou de faciliter la diffusion, par les personnes morales, entités ou organismes énumérés aux annexes des actes attaqués, de contenus ou d’y contribuer et, d’autre part, de faire la publicité de produits ou de services dans des contenus diffusés par celles-ci{1}. Cette affaire permet notamment au Tribunal de se prononcer sur les conditions de la reconnaissance de sa compétence pour connaître de la légalité des décisions adoptées dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) à l’égard des parties requérantes auxquelles s’imposent ces interdictions.
Cet arrêt s’inscrit dans le contexte d’une série de mesures restrictives adoptées par l’Union à la suite de l’agression militaire perpétrée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022. Les requérantes, qui sont établies aux Pays-Bas et dont les noms ne figurent pas sur les listes annexées aux actes litigieux, sont des fournisseurs de services d’accès à Internet pour les particuliers ou pour les entreprises.
À l’appui de leur recours, les requérantes invoquent l’absence de compétence du Conseil pour adopter les actes attaqués et la violation du droit à la liberté d’expression et d’information{2} et du droit à une bonne administration{3} garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
Appréciation du Tribunal
Examinant d’office la question de sa compétence pour examiner la légalité des actes litigieux, le Tribunal conclut, en premier lieu, qu’il n’y a lieu de statuer que sur la légalité des règlements attaqués. À cet égard, il rappelle tout d’abord que, conformément à l’article 275, second alinéa, TFUE, c’est la nature individuelle des actes adoptés sur le fondement des dispositions relatives à la PESC qui ouvre l’accès aux juridictions de l’Union. Une décision prévoyant des mesures restrictives peut être considérée comme individuelle si la personne concernée est nommément visée par cette décision. Or, dans la mesure où les noms des requérantes ne figurent ni dans le corps de la décision 2014/512 telle que modifiée, ni à son annexe IX telle que modifiée, le Tribunal constate que les décisions attaquées ne constituent pas des mesures restrictives à l’encontre des requérantes. Les mesures restrictives en cause doivent être comprises, en effet, comme ayant une portée générale à l’encontre des requérantes, dans la mesure où elles font partie des entités appartenant à la catégorie générale et abstraite des « opérateurs » auxquels il est interdit de diffuser les contenus provenant des « personnes morales, entités ou organismes » énumérés à l’annexe IX de la décision 2014/512 telle que modifiée, et une portée individuelle à l’égard de ces derniers.
Dès lors, les requérantes ne sauraient se prévaloir de la nature individuelle des mesures restrictives en cause à l’égard des médias identifiés dans le corps de la décision 2014/512 telle que modifiée pour fonder la compétence du Tribunal pour connaître de leur recours en annulation. En revanche, le Tribunal doit assurer un contrôle complet de la légalité des actes de l’Union, tels que les règlements attaqués, qui ont été adoptés sur le fondement de l’article 215 TFUE.
S’agissant, en deuxième lieu, de la compétence du Conseil pour adopter les règlements concernés, le Tribunal rappelle, d’une part, que, aux termes de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, la condition préalable à la vérification de la compétence du Conseil pour adopter les règlements attaqués est que celui-ci soit compétent pour adopter les décisions attaquées, lesquelles lui confèrent ce pouvoir, et, d’autre part, que, dans ses relations avec le reste du monde, l’Union promeut ses valeurs et ses intérêts, et contribue à la protection de ses citoyens{4}, à la paix, à la sécurité ainsi qu’au strict respect du droit international. Le Tribunal relève ensuite qu’il résulte d’une lecture combinée des articles 21, 23, de l’article 24, paragraphe 1, de l’article 25, de l’article 28, paragraphe 1, premier alinéa, et de l’article 29 TUE, que la notion de « position de l’Union » peut se prêter à une interprétation large, de sorte que peuvent notamment être adoptées, sur le fondement de l’article 29 TUE, des décisions prévoyant des mesures de nature à modifier directement la situation juridique de particuliers. Par ailleurs, le Conseil dispose d’une grande latitude aux fins de définir l’objet des mesures restrictives que l’Union adopte dans le domaine de la PESC. Partant, celui-ci a pu considérer, à bon droit, que, face à la crise internationale provoquée par l’agression de l’Ukraine par la Fédération de Russie, pouvaient figurer parmi les mesures utiles pour réagir à la grave menace contre la paix aux frontières de l’Union et à la violation du droit international l’interdiction de diffusion de contenus de certains médias, placés sous le contrôle des dirigeants de la Fédération de Russie, au motif qu’ils soutiendraient cette agression par des actions de propagande continues et concertées à destination de la société civile dans l’Union et dans les pays voisins, et l’interdiction de faire la publicité de produits ou de services dans des contenus produits ou diffusés par les médias
concernés.
Le Tribunal observe à ce sujet, étant donné que la propagande et les campagnes de désinformation menées par lesdits médias sont de nature à remettre en cause les fondements des sociétés démocratiques et font partie intégrante de l’arsenal de guerre moderne, que les mesures restrictives en cause s’inscrivent dans le cadre de la poursuite par l’Union des objectifs qui lui ont été assignés à l’article 3, paragraphes 1 et 5, TUE. Les actions en cause constituant, à cet égard, une menace importante et directe pour l’ordre et la sécurité publics de l’Union, ces mesures, en visant à sauvegarder les valeurs de l’Union, ses intérêts fondamentaux, sa sécurité, son indépendance et en visant à préserver la paix sont, en effet, directement liées aux finalités de la PESC{5}.
En outre, le Tribunal souligne que la circonstance que les autorités de régulation nationales ont le pouvoir de sanctionner un média audiovisuel pour un contenu éditorial inapproprié ne s’oppose pas à la compétence reconnue au Conseil pour adopter des mesures restrictives visant à interdire provisoirement et de manière réversible la diffusion de certains contenus médiatiques . En effet, la compétence attribuée aux autorités administratives nationales par les législations internes ne poursuit pas les mêmes objectifs, ne repose pas sur les mêmes valeurs et ne saurait garantir les mêmes résultats qu’une intervention uniforme et immédiate sur l’ensemble du territoire de l’Union, telle que celle réalisable au titre de la PESC.
Enfin, le Tribunal note que l’adoption des actes attaqués ne peut pas être remise en cause par la possibilité pour l’Union d’intervenir, dans le domaine des services audiovisuels, sur la base d’autres catégories de compétences régies par le traité FUE{6}. En effet, la mise en œuvre des politiques visées aux articles 3 à 6 TFUE ne doit pas affecter l’application des procédures et l’étendue des attributions des institutions prévues par les traités pour l’exercice des compétences de l’Union au titre de la PESC{7}.
Concernant, en troisième lieu, la prétendue violation du droit à une bonne administration, le Tribunal constate que le Conseil a suffisamment motivé les règlements attaqués . Il rappelle à cet égard que, s’agissant de dispositions de portée générale, la motivation peut se borner à indiquer, d’une part, la situation d’ensemble qui a conduit à leur adoption et, d’autre part, les objectifs généraux qu’elles se proposent d’atteindre et que le droit de l’Union n’impose aucune obligation au Conseil de divulguer la documentation relative à son processus décisionnel.
S’agissant, en quatrième et dernier lieu, de la méconnaissance alléguée de la liberté d’expression et d’information, en particulier de la liberté de communiquer des informations, le Tribunal rappelle que les droits et libertés consacrés à l’article 11 de la Charte ne sont pas des prérogatives absolues, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société. Ainsi, à supposer, d’une part, que des fournisseurs de services Internet, tels que les requérantes, puissent être considérés comme étant titulaires d’un droit autonome à la liberté de communiquer des informations et, d’autre part, que l’interdiction temporaire de contribuer à la diffusion des contenus des médias visés par les mesures restrictives en cause et celle de faire la publicité de produits ou de services dans des contenus diffusés par ces médias puissent constituer une ingérence dans l’exercice de ladite liberté, le Tribunal rappelle que des limitations à l’exercice des droits consacrés par la Charte peuvent être admises{8}.
En l’occurrence, le Tribunal estime, au regard de la nature et du but des interdictions en cause, qu’il était approprié pour le Conseil de prendre en compte des fournisseurs de services Internet, tels que les requérantes, à l’instar de l’un des quelconques moyens de transmission ou de distribution de contenus, en tant qu’opérateurs censés assurer la mise en œuvre, et donc l’efficacité, sur le territoire de l’Union, de ces interdictions.
Enfin, le Tribunal constate que les requérantes ne sauraient se prévaloir, au soutien de leur recours en annulation, du droit des utilisateurs de leurs services de recevoir des informations, étant donné qu’elles ne sont pas elles-mêmes titulaires de ce droit.
{1} Décision (PESC) 2022/351 du Conseil, du 1er mars 2022, modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 65, p. 5), règlement (UE) 2022/350 du Conseil, du 1er mars 2022, modifiant le règlement (UE) no 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 65, p. 1), décision (PESC) 2022/884 du Conseil, du 3 juin 2022, modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 153, p. 128), et règlement (UE) 2022/879 du Conseil, du 3 juin 2022, modifiant le règlement (UE) no 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 153, p. 53).
{2} Article 11 de la Charte.
{3} Article 41 de la Charte.
{4} Article 3, paragraphe 5, TUE.
{5} Article 21, paragraphe 2, sous a) et c), TUE.
{6} Article 4, paragraphe 2, TFUE.
{7} Conformément à l’article 40, second alinéa, TUE.
{8} Article 52, paragraphe 1, de la Charte.
Arrêt du 26 mars 2025, A2B Connect e.a. / Conseil (T-307/22) (cf. points 136-140)