1. Recours en carence - Mise en demeure de l'institution - Conditions - Demande explicite et précise

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 23 novembre 2017, Bionorica / Commission (C-596/15 P et C-597/15 P) (cf. point 54)



Ordonnance du 30 juin 2011, Tecnoprocess / Commission et Délégation de l'Union au Maroc (T-264/09, Rec._p._II-208*) (cf. points 84-85)

Ordonnance du 30 juin 2011, Tecnoprocess / Commission (T-367/09, Rec._p._II-209*) (cf. point 48)

Ordonnance du 5 octobre 2015, Grigoriadis e.a. / Parlement e.a. (T-413/14) (cf. points 28, 29)

Arrêt du 21 juillet 2016, Nutria / Commission (T-832/14) (cf. point 43)

Ordonnance du 14 février 2019, Comprojecto-Projectos e Construções e.a. / BCE (T-768/17) (cf. points 43, 44)



Ordonnance du 13 avril 2022, Alauzun e.a. / Commission (T-695/21) (cf. point 25)

2. Recours en carence - Mise en demeure de l'institution - Caractère obligatoire - Recours introduit avant l'expiration du délai de réponse de l'institution - Irrecevabilité



Ordonnance du 30 juin 2011, Tecnoprocess / Commission (T-367/09, Rec._p._II-209*) (cf. points 52-53)

Ordonnance du 16 septembre 2015, VSM Geneesmiddelen / Commission (T-578/14) (cf. point 28)

Ordonnance du 16 septembre 2015, Bionorica / Commission (T-619/14) (cf. point 21)

Ordonnance du 16 septembre 2015, Diapharm / Commission (T-620/14) (cf. point 21)

3. Recours en carence - Mise en demeure de l'institution - Conditions - Demande explicite et précise - Lettre de mise en demeure adressée à la Commission listant et dénonçant l'existence de différentes mesures d'aides incompatibles avec le marché commun - Recevabilité



Arrêt du 29 septembre 2011, Ryanair / Commission (T-442/07, Rec._p._II-333*) (cf. points 22-26, 41)

4. Recours en carence - Mise en demeure de l'institution - Conditions - Demande explicite et précise - Absence de règles de forme particulière - Lettre permettant à l'institution concernée de connaître de manière concrète le contenu de la décision demandée



Arrêt du 4 juillet 2012, Laboratoires CTRS / Commission (T-12/12) (cf. points 38, 40)

Ordonnance du 2 juillet 2020, Klein / Commission (T-562/19) (cf. points 61, 62)

5. Recours en carence - Mise en demeure de l'institution - Absence - Irrecevabilité

Voir le texte de la décision.

Ordonnance du 24 juin 2016, Onix Asigurări / AEAPP (T-590/15) (cf. point 32)

Le 23 juin 2016, les citoyens du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord se sont prononcés par référendum en faveur du retrait de leur pays de l’Union européenne. Le 29 mars 2017, le Royaume-Uni a notifié au Conseil européen son intention de se retirer de l’Union en application de l’article 50, paragraphe 2, TUE. Par la suite, le Conseil européen, en accord avec le Royaume-Uni, a adopté plusieurs décisions{1} prorogeant le délai, prévu par l’article 50, paragraphe 3, TUE, au terme duquel les traités devaient cesser d’être applicables au Royaume-Uni à défaut d’accord fixant les modalités de son retrait. En vertu de l’article 1er de la décision 2019/584, ce délai devait expirer, en principe, le 31 octobre 2019.

Le 31 juillet 2019, plusieurs ressortissants du Royaume-Uni résidant en Italie ou en France (ci-après les « requérants ») ont adressé un courrier au Conseil européen et au Conseil de l’Union européenne. Le 1er août 2019, ils ont adressé un courrier, en substance identique, à la Commission européenne. Dans ces courriers, les requérants ont, notamment, attiré l’attention des trois institutions précitées sur la situation des ressortissants du Royaume-Uni résidant dans d’autres États membres que le Royaume-Uni et y ayant construit une vie privée et familiale, en leur demandant de « constater la carence » résultant de leur « omission illégale à ne pas préserver la citoyenneté européenne des[dits ressortissants] ». En outre, ils ont invité ces trois institutions à prendre, avant le retrait du Royaume-Uni de l’Union prévu le 31 octobre 2019, une décision maintenant la citoyenneté européenne des mêmes ressortissants au-delà de la date de ce retrait, et ce, indépendamment de la conclusion ou non d’un accord fixant les modalités dudit retrait. Par lettre signée le 11 septembre 2019, la Commission a répondu au courrier du 1er août 2019 (ci-après la « lettre du 11 septembre 2019 »). Dans cette lettre, elle a décliné l’invitation à agir contenue dans ce courrier, en relevant que les traités ne lui permettaient pas de prendre une décision telle que celle sollicitée par les requérants.

Les requérants ont alors introduit un recours devant le Tribunal. Celui-ci contient, d’une part, des conclusions en carence fondées sur l’article 265 TFUE. D’autre part, il contient des conclusions sollicitant l’annulation du « refus explicite du [11] septembre 2019 de la Commission […] de reconnaître une carence » que les requérants, à l’invitation du Tribunal, ont qualifiées en tant que conclusions en annulation fondées sur l’article 263 TFUE.

Par son ordonnance du 14 juillet 2020, le Tribunal a rejeté le recours des requérants, après avoir constaté l’irrecevabilité tant des conclusions en carence que des conclusions en annulation.

S’agissant de ces dernières, les requérants avaient demandé au Tribunal d’annuler la décision contenue dans la lettre du 11 septembre 2019, par laquelle la Commission avait, en substance, refusé d’adopter une décision maintenant, à compter du retrait du Royaume-Uni de l’Union et indépendamment de la conclusion ou non d’un accord fixant les modalités de ce retrait, la citoyenneté européenne de certains ressortissants du Royaume-Uni qui n’auraient pas, à ce moment, la nationalité d’un État membre de l’Union. Au soutien de ces conclusions, les requérants avaient présenté trois moyens qui tendaient à contester la perte de la citoyenneté européenne par ces ressortissants.

À titre liminaire, le Tribunal a vérifié d’office que les requérants avaient un intérêt à invoquer ces trois moyens. À cet égard, il a rappelé que, selon une jurisprudence constante, d’une part, un requérant ne saurait avoir un intérêt légitime à l’annulation d’une décision dont il est d’ores et déjà certain qu’elle ne pourrait qu’être confirmée à nouveau à son égard et, d’autre part, un moyen d’annulation est irrecevable, au motif que l’intérêt à agir fait défaut lorsque, à supposer même qu’il soit fondé, l’annulation de l’acte attaqué sur la base de ce moyen ne serait pas de nature à donner satisfaction au requérant. Ainsi, un requérant ne justifie pas d’un intérêt à demander l’annulation d’une décision portant refus d’agir dans une matière donnée sur le fondement d’un moyen déterminé dans le cas où l’institution concernée ne dispose, en tout état de cause, d’aucune compétence pour agir en la matière.

Le Tribunal a ensuite relevé qu’en l’espèce, en cas d’annulation de la décision contenue dans la lettre du 11 septembre 2019 sur le fondement des moyens soulevés par les requérants, ces derniers ne pourraient obtenir satisfaction que si la Commission adoptait ensuite, elle-même, un acte contraignant maintenant, à compter du retrait du Royaume-Uni de l’Union, la citoyenneté européenne de certains ressortissants du Royaume-Uni.

À cet égard, et après avoir rappelé que, en vertu de l’article 13, paragraphe 2, TUE, chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités, le Tribunal a constaté qu’aucune disposition des traités ou du droit dérivé n’autorise la Commission à prendre des actes contraignants ayant pour objet d’attribuer la citoyenneté européenne à certaines catégories de personnes. Ce constat est corroboré par la circonstance que cette institution ne dispose, en principe, que d’un pouvoir de proposition conformément à l’article 17, paragraphe 2, TUE.

Dès lors, le Tribunal a énoncé que, indépendamment de la question de savoir si le retrait du Royaume-Uni de l’Union pouvait ou non entraîner la perte de la citoyenneté européenne par tous les ressortissants du Royaume-Uni n’ayant pas, au moment dudit retrait, la nationalité d’un État membre, la Commission ne disposait, en l’espèce, d’aucune compétence pour adopter un acte contraignant maintenant, à compter de ce retrait, la citoyenneté de l’Union de certaines catégories de personnes et était tenue de refuser d’adopter l’acte sollicité par les requérants. Il s’ensuit que, en cas d’annulation de la décision contenue dans la lettre du 11 septembre 2019 sur le fondement des moyens soulevés par les requérants, la Commission se trouverait en situation d’incompétence manifeste et ne pourrait que prendre une nouvelle décision de refus d’adopter l’acte sollicité par ceux-ci. Le Tribunal a alors précisé que, ainsi, une telle annulation ne serait pas susceptible de donner satisfaction aux requérants, de sorte que ces derniers n’ont pas justifié d’un intérêt légitime à soulever les moyens précités.

Le Tribunal a conclu que ces moyens devaient être écartés comme irrecevables et, par voie de conséquence, que les conclusions en annulation, faute d’être assorties d’aucun moyen recevable, étaient elles-mêmes manifestement irrecevables.

{1} Notamment les décisions (UE) 2019/476, du 22 mars 2019 (JO 2019, L 80 I, p. 1), et (UE) 2019/584, du 11 avril 2019 (JO 2019, L 101, p. 1).

Ordonnance du 14 juillet 2020, Shindler e.a. / Commission (T-627/19) (cf. point 35)



Ordonnance du 27 novembre 2012, H-Holding / Parlement (T-672/11) (cf. points 12-14)

Ordonnance du 15 octobre 2013, Andechser Molkerei Scheitz / Commission (T-13/12) (cf. points 42, 43)

Ordonnance du 5 octobre 2015, Kafetzakis e.a. / Parlement e.a. (T-38/14) (cf. point 26)

Ordonnance du 5 octobre 2015, Arvanitis e.a. / Parlement e.a. (T-350/14) (cf. point 12)

Ordonnance du 26 octobre 2016, Edeka-Handelsgesellschaft Hessenring / Commission (T-611/15) (cf. points 67-70)

6. Recours en carence - Mise en demeure d'un organe ou organisme de l'Union - Absence - Irrecevabilité

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 11 décembre 2014, Heli-Flight / AESA (T-102/13) (cf. points 108, 109, 111)

7. Recours en carence - Mise en demeure de l'institution - Invitation à agir - Absence - Lettre de mise en demeure n'étant pas adressée à l'institution - Irrecevabilité



Ordonnance du 17 mars 2015, Mammoet Salvage / Commission (T-234/14) (cf. points 30-35)

8. Recours en carence - Mise en demeure de l'institution - Invitation à agir - Absence de preuve quant à la réception effective par l'institution concernée - Irrecevabilité



Ordonnance du 9 mars 2017, Comprojecto-Projectos e Construções e.a. / BCE (T-22/16) (cf. points 22-24, 26, 27)

9. Recours en carence - Mise en demeure de l'institution - Invitation à agir - Demande explicite et précise - Absence - Irrecevabilité



Arrêt du 16 décembre 2020, Balti Gaas / Commission et INEA (T-236/17 et T-596/17) (cf. points 112, 113)



Arrêt du 8 mars 2023, Sánchez-Gavito León / Conseil et Commission (T-100/21) (cf. point 39)

10. Recours en carence - Mise en demeure de l'institution - Invitation à agir - Délais - Conditions - Demande explicite et précise - Lettre permettant à l'institution concernée de connaître de manière concrète le contenu de la décision demandée - Caractère tardif du recours - Absence - Recevabilité

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 12 mai 2022, Klein / Commission (C-430/20 P) (cf. points 47-51, 60, 82)

11. Recours en carence - Mise en demeure de l'institution - Invitation à agir - Délais - Procédure de clause de sauvegarde - Inaction de la Commission à la suite de la notification par un État membre d'une décision d'interdiction de mise sur le marché d'un dispositif médical - Respect d'un délai raisonnable - Appréciation en fonction de l'ensemble des circonstances de l'espèce - Recevabilité

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 12 mai 2022, Klein / Commission (C-430/20 P) (cf. points 72, 86-88, 91,93, 99, 101)

12. Recours en carence - Personnes physiques ou morales - Conditions de recevabilité - Invitation préalable à agir - Formalité essentielle - Portée

La société Ekobulkos EEOD est un producteur d’électricité bulgare qui exploite une centrale photovoltaïque mise en service le 19 mai 2012.

Par décision du 4 août 2016{1}, la Commission européenne a considéré que le régime bulgare d’aide à la production d’énergie à partir de sources renouvelables, notifié par les autorités bulgares{2}, était compatible avec le marché intérieur conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et a décidé de ne pas soulever d’objections.

Le régime ainsi approuvé fixait, notamment, les conditions dans lesquelles les producteurs d’électricité à partir de sources renouvelables pouvaient bénéficier de prix d’achat préférentiels. Ces conditions ont connu des modifications en 2015, notamment, par l’introduction de règles anticumul{3} (ci-après la « mesure en cause »). Plus spécifiquement, afin d’éliminer tout risque de surcompensation, ces règles imposaient, lors de la fixation du niveau de soutien, en tant que de besoin, la réduction du prix d’achat préférentiel par déduction du montant des aides à l’investissement perçues en vertu d’une demande déposée avant le 3 mai 2011, date d’entrée en vigueur de la loi ayant institué le régime en question.

Le 21 février 2020, Ekobulkos a adressé une plainte à la Commission, dans laquelle elle soutenait que la République de Bulgarie avait octroyé à certains producteurs d’électricité produite à partir de sources renouvelables une aide d’État illégale et incompatible avec le marché intérieur, en leur accordant le bénéfice de prix préférentiels d’achat exempts de toute réduction au titre de la mesure en cause. Au soutien de ses allégations, Ekobulkos faisait plus particulièrement valoir que la mesure en cause aboutissait à établir un niveau variable de soutien, dans le cadre de la fixation des prix préférentiels d’achat, en fonction de la date d’introduction de la demande d’aide. Dans ces conditions, une telle mesure provoquerait une rupture d’égalité entre les producteurs d’énergie concernés, revêtant, selon la plaignante, un caractère discriminatoire.

Par courrier du 7 octobre 2020, la Commission lui a répondu, en indiquant, d’une part, que la mesure en cause aurait déjà été soumise à son examen, dans le cadre de la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision positive de 2016, en s’appuyant, à cet égard, sur différents éléments d’analyse exposés dans les motifs de cette décision. Dans ces conditions, elle considère avoir déjà approuvé les modifications introduites en 2015, y compris notamment la mesure en cause. D’autre part, la Commission indique que, sur la base des informations fournies dans la plainte, elle n’avait pas identifié d’application erronée de la mesure autorisée, ni de nouvelles mesures susceptibles de constituer une aide d’État. En conséquence, elle l’a invitée à lui faire parvenir, si elle le souhaitait, des éléments utiles supplémentaires, sans quoi la plainte serait considérée comme étant retirée.

Par courrier du 7 novembre 2020, Ekobulkos a réitéré son analyse, maintenant ainsi ses arguments, de même que par un ultime courrier du 22 juin 2021. Dans ce dernier, présenté comme valant invitation à agir au sens de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, Ekobulkos a en outre demandé à la Commission de faire usage des prérogatives dont elle dispose en vertu du règlement 2015/1589{4} afin d’ordonner la suspension de l’application des dispositions critiquées jusqu’à ce qu’elle se soit prononcée définitivement sur leur compatibilité avec le marché intérieur.

C’est dans ce contexte que Ekobulkos a saisi le Tribunal, le 30 octobre 2021, d’un recours en carence visant à faire constater que la Commission s’est illégalement abstenue de prendre position sur sa plainte.

Dans son arrêt du 21 décembre 2022, le Tribunal rejette ce recours comme non fondé.

Cet arrêt présente un double intérêt. En effet, d’une part, il fournit l’occasion au Tribunal d’examiner la question de la recevabilité d’un recours en carence, sous l’angle de la délimitation du cadre du recours par l’invitation à agir, dans l’hypothèse d’une divergence, à tout le moins formelle, entre l’objet de pareille mise en demeure et les conclusions en carence. D’autre part, sur le fond, c’est aussi l’occasion, pour le Tribunal, de préciser dans quelles circonstances la Commission n’est pas tenue de prendre position sur une plainte concernant une prétendue mesure d’aide d’État dont elle a été saisie, notamment dans l’hypothèse où elle considère avoir déjà été amenée à examiner la mesure en cause dans une décision précédente.

Appréciation du Tribunal

Tout d’abord, le Tribunal examine une fin de non-recevoir de la Commission, tirée de la violation d’une formalité substantielle. En effet, selon cette dernière, le courrier du 22 juin 2021 ne saurait valoir invitation à agir, au sens de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, compte tenu de la divergence entre la demande présentée à cette occasion et les conclusions en carence, sous l’angle de leur fondement juridique respectif.

À cet égard, le Tribunal rappelle d’emblée que l’invitation à agir visée à l’article 265, deuxième alinéa, TFUE a pour effet de délimiter le cadre du recours susceptible d’être introduit dans l’hypothèse où l’institution concernée s’abstiendrait de prendre position à son sujet dans un délai de deux mois. Dans ces conditions, la jurisprudence constante exige que la mise en demeure requise à ce titre ait été rédigée de manière suffisamment explicite et précise pour permettre à l’institution concernée d’en appréhender, concrètement, l’objet ainsi que l’exigence d’une prise position à ce sujet.

En l’occurrence, après avoir donné acte à la Commission de la divergence dont elle se prévalait, le Tribunal se refuse néanmoins à admettre, en considération de ces principes jurisprudentiels, que cette divergence soit telle qu’elle doive entraîner l’irrecevabilité du recours. Dans ces conditions, le Tribunal poursuit son examen par une analyse de fond, à l’aune des critères pertinents précédemment rappelés, du courrier du 22 juin 2021, au vu de l’ensemble des éléments exposés par la plaignante au cours de la procédure administrative. Or, cet examen l’amène à constater que, depuis l’envoi de la plainte, Ekobulkos n’avait jamais varié en sa principale demande, qui visait, en l’occurrence, à obtenir une décision sur la compatibilité de la mesure visée, au regard du droit des aides d’État, et était, par ailleurs, suffisamment explicite et précise, au sens de la jurisprudence susvisée. Cela vaut également pour le courrier du 22 juin 2021, malgré la demande formellement différente reprise dans sa conclusion, de sorte qu’il doit être considéré comme valant invitation à agir. Dans ces conditions, le Tribunal juge que le recours doit être déclaré recevable.

Ensuite, en ce qui concerne le bien-fondé des conclusions en carence, le Tribunal rappelle qu’il ne peut se prononcer à cet égard qu’après avoir vérifié si, au moment l’invitation à agir qui lui a été adressée, l’institution en cause avait bien l’obligation d’agir.

En l’occurrence, en matière d’aides d’État, les obligations incombant à la Commission, notamment aux fins de l’examen d’une mesure susceptible de constituer une aide d’État, sont régies par le règlement 2015/1589. Plus spécifiquement, l’article 15, paragraphe 1, de ce règlement prévoit que l’examen d’une éventuelle aide illégale débouche sur l’adoption d’une décision formelle{5}. Ainsi, l’obligation d’agir visée ne pèse sur la Commission que lorsqu’elle a procédé à un examen de la mesure en cause, étant cependant précisé que la Commission n’est pas tenue d’y procéder lorsque, à la suite du dépôt d’une plainte, elle n’est pas parvenue à obtenir d’éléments suffisants aux fins de son examen{6}.

À cet égard, dans un premier temps, le Tribunal constate que, dans sa décision de compatibilité de 2016, que la Commission a pris en compte les modifications législatives intervenues en 2015, y compris la mesure en cause, ainsi qu’il ressort des motifs de cette décision. Dès lors, c’est à juste titre que la Commission a indiqué à la plaignante qu’elle s’était déjà prononcée sur la mesure en cause. Or, aucune disposition du règlement 2015/1589 ne faisait obligation à la Commission d’adopter une nouvelle décision sur la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur sur laquelle elle s’était déjà prononcée, ainsi que le souligne le Tribunal, avant d’ajouter que, s’il devait en aller différemment, cela permettrait à toute partie intéressée de contester les analyses de compatibilité, y compris après l’expiration du délai de recours en annulation.

Dans un second temps, pour autant que la Commission ait estimé, par ailleurs, que, sur la base de la plainte, il n’était possible d’identifier d’application erronée de la mesure en cause ni d’instauration d’une nouvelle mesure autre que celle déjà examinée, le Tribunal constate que Ekobulkos n’a aucunement établi en quoi cette appréciation serait erronée.

Il découle de tout ce qui précède que la Commission n’était soumise à aucune obligation d’agir, au moment où l’invitation à agir lui a été adressée. En l’absence d’obligation d’agir, le plaignant ne saurait davantage se prévaloir utilement de la durée prétendument excessive de la procédure d’examen de sa plainte.

En conclusion, étant donné qu’aucune carence ne peut être reprochée à la Commission, en l’espèce, le Tribunal juge que le recours doit être rejeté.

{1} Décision C(2016) 5205 final, du 4 août 2016, dans l’affaire SA.44840 (2016/NN).

{2} Tel que notifié, ce régime était constitué de la Zakon za energiata ot vazobnovyaemi iztochnitsi (ZEVI) (loi sur l’énergie produite à partir de sources renouvelables), en vigueur depuis le 3 mai 2011 (DV no 35, du 3 mai 2011), ainsi que des deux ordonnances du 18 mars 2013 sur la réglementation des prix de l’électricité et du 20 février 2004 sur la régulation des prix de l’électricité.

{3} Il s’agit, en l’occurrence, de l’article 18 de la Zakon za ismenenie i dopalnenie na Zakona za energetikata (ZID-ZE) (loi modifiant et complétant la loi sur l’énergie produite à partir de sources renouvelables), du 24 juillet 2015 (DV no 56, du 24 juillet 2015).

{4} Règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9). La demande visait, en l’occurrence, l’article 13, paragraphe 1, de ce règlement.

{5} Aux termes de l’article 4, paragraphes 2, 3 et 4, du règlement 2015/1589, auquel l’article 15, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 renvoie, une telle décision a pour objet de constater soit que la mesure en cause ne constitue pas une aide, soit que la mesure est compatible avec le marché intérieur, soit, au contraire, qu’il y a lieu d’ouvrir la procédure formelle d’examen, compte tenu des doutes qu’elle suscite.

{6} Article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589, auquel renvoie l’article 12, paragraphe 1, deuxième alinéa, de ce même règlement.

Arrêt du 21 décembre 2022, Ekobulkos / Commission (T-702/21) (cf. point 17)

13. Recours en carence - Conditions de recevabilité - Régularité de la procédure précontentieuse - Mise en demeure de l'institution - Délimitation du cadre du litige - Divergence entre l'invitation à agir et la requête - Appréciation

La société Ekobulkos EEOD est un producteur d’électricité bulgare qui exploite une centrale photovoltaïque mise en service le 19 mai 2012.

Par décision du 4 août 2016{1}, la Commission européenne a considéré que le régime bulgare d’aide à la production d’énergie à partir de sources renouvelables, notifié par les autorités bulgares{2}, était compatible avec le marché intérieur conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et a décidé de ne pas soulever d’objections.

Le régime ainsi approuvé fixait, notamment, les conditions dans lesquelles les producteurs d’électricité à partir de sources renouvelables pouvaient bénéficier de prix d’achat préférentiels. Ces conditions ont connu des modifications en 2015, notamment, par l’introduction de règles anticumul{3} (ci-après la « mesure en cause »). Plus spécifiquement, afin d’éliminer tout risque de surcompensation, ces règles imposaient, lors de la fixation du niveau de soutien, en tant que de besoin, la réduction du prix d’achat préférentiel par déduction du montant des aides à l’investissement perçues en vertu d’une demande déposée avant le 3 mai 2011, date d’entrée en vigueur de la loi ayant institué le régime en question.

Le 21 février 2020, Ekobulkos a adressé une plainte à la Commission, dans laquelle elle soutenait que la République de Bulgarie avait octroyé à certains producteurs d’électricité produite à partir de sources renouvelables une aide d’État illégale et incompatible avec le marché intérieur, en leur accordant le bénéfice de prix préférentiels d’achat exempts de toute réduction au titre de la mesure en cause. Au soutien de ses allégations, Ekobulkos faisait plus particulièrement valoir que la mesure en cause aboutissait à établir un niveau variable de soutien, dans le cadre de la fixation des prix préférentiels d’achat, en fonction de la date d’introduction de la demande d’aide. Dans ces conditions, une telle mesure provoquerait une rupture d’égalité entre les producteurs d’énergie concernés, revêtant, selon la plaignante, un caractère discriminatoire.

Par courrier du 7 octobre 2020, la Commission lui a répondu, en indiquant, d’une part, que la mesure en cause aurait déjà été soumise à son examen, dans le cadre de la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision positive de 2016, en s’appuyant, à cet égard, sur différents éléments d’analyse exposés dans les motifs de cette décision. Dans ces conditions, elle considère avoir déjà approuvé les modifications introduites en 2015, y compris notamment la mesure en cause. D’autre part, la Commission indique que, sur la base des informations fournies dans la plainte, elle n’avait pas identifié d’application erronée de la mesure autorisée, ni de nouvelles mesures susceptibles de constituer une aide d’État. En conséquence, elle l’a invitée à lui faire parvenir, si elle le souhaitait, des éléments utiles supplémentaires, sans quoi la plainte serait considérée comme étant retirée.

Par courrier du 7 novembre 2020, Ekobulkos a réitéré son analyse, maintenant ainsi ses arguments, de même que par un ultime courrier du 22 juin 2021. Dans ce dernier, présenté comme valant invitation à agir au sens de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, Ekobulkos a en outre demandé à la Commission de faire usage des prérogatives dont elle dispose en vertu du règlement 2015/1589{4} afin d’ordonner la suspension de l’application des dispositions critiquées jusqu’à ce qu’elle se soit prononcée définitivement sur leur compatibilité avec le marché intérieur.

C’est dans ce contexte que Ekobulkos a saisi le Tribunal, le 30 octobre 2021, d’un recours en carence visant à faire constater que la Commission s’est illégalement abstenue de prendre position sur sa plainte.

Dans son arrêt du 21 décembre 2022, le Tribunal rejette ce recours comme non fondé.

Cet arrêt présente un double intérêt. En effet, d’une part, il fournit l’occasion au Tribunal d’examiner la question de la recevabilité d’un recours en carence, sous l’angle de la délimitation du cadre du recours par l’invitation à agir, dans l’hypothèse d’une divergence, à tout le moins formelle, entre l’objet de pareille mise en demeure et les conclusions en carence. D’autre part, sur le fond, c’est aussi l’occasion, pour le Tribunal, de préciser dans quelles circonstances la Commission n’est pas tenue de prendre position sur une plainte concernant une prétendue mesure d’aide d’État dont elle a été saisie, notamment dans l’hypothèse où elle considère avoir déjà été amenée à examiner la mesure en cause dans une décision précédente.

Appréciation du Tribunal

Tout d’abord, le Tribunal examine une fin de non-recevoir de la Commission, tirée de la violation d’une formalité substantielle. En effet, selon cette dernière, le courrier du 22 juin 2021 ne saurait valoir invitation à agir, au sens de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, compte tenu de la divergence entre la demande présentée à cette occasion et les conclusions en carence, sous l’angle de leur fondement juridique respectif.

À cet égard, le Tribunal rappelle d’emblée que l’invitation à agir visée à l’article 265, deuxième alinéa, TFUE a pour effet de délimiter le cadre du recours susceptible d’être introduit dans l’hypothèse où l’institution concernée s’abstiendrait de prendre position à son sujet dans un délai de deux mois. Dans ces conditions, la jurisprudence constante exige que la mise en demeure requise à ce titre ait été rédigée de manière suffisamment explicite et précise pour permettre à l’institution concernée d’en appréhender, concrètement, l’objet ainsi que l’exigence d’une prise position à ce sujet.

En l’occurrence, après avoir donné acte à la Commission de la divergence dont elle se prévalait, le Tribunal se refuse néanmoins à admettre, en considération de ces principes jurisprudentiels, que cette divergence soit telle qu’elle doive entraîner l’irrecevabilité du recours. Dans ces conditions, le Tribunal poursuit son examen par une analyse de fond, à l’aune des critères pertinents précédemment rappelés, du courrier du 22 juin 2021, au vu de l’ensemble des éléments exposés par la plaignante au cours de la procédure administrative. Or, cet examen l’amène à constater que, depuis l’envoi de la plainte, Ekobulkos n’avait jamais varié en sa principale demande, qui visait, en l’occurrence, à obtenir une décision sur la compatibilité de la mesure visée, au regard du droit des aides d’État, et était, par ailleurs, suffisamment explicite et précise, au sens de la jurisprudence susvisée. Cela vaut également pour le courrier du 22 juin 2021, malgré la demande formellement différente reprise dans sa conclusion, de sorte qu’il doit être considéré comme valant invitation à agir. Dans ces conditions, le Tribunal juge que le recours doit être déclaré recevable.

Ensuite, en ce qui concerne le bien-fondé des conclusions en carence, le Tribunal rappelle qu’il ne peut se prononcer à cet égard qu’après avoir vérifié si, au moment l’invitation à agir qui lui a été adressée, l’institution en cause avait bien l’obligation d’agir.

En l’occurrence, en matière d’aides d’État, les obligations incombant à la Commission, notamment aux fins de l’examen d’une mesure susceptible de constituer une aide d’État, sont régies par le règlement 2015/1589. Plus spécifiquement, l’article 15, paragraphe 1, de ce règlement prévoit que l’examen d’une éventuelle aide illégale débouche sur l’adoption d’une décision formelle{5}. Ainsi, l’obligation d’agir visée ne pèse sur la Commission que lorsqu’elle a procédé à un examen de la mesure en cause, étant cependant précisé que la Commission n’est pas tenue d’y procéder lorsque, à la suite du dépôt d’une plainte, elle n’est pas parvenue à obtenir d’éléments suffisants aux fins de son examen{6}.

À cet égard, dans un premier temps, le Tribunal constate que, dans sa décision de compatibilité de 2016, que la Commission a pris en compte les modifications législatives intervenues en 2015, y compris la mesure en cause, ainsi qu’il ressort des motifs de cette décision. Dès lors, c’est à juste titre que la Commission a indiqué à la plaignante qu’elle s’était déjà prononcée sur la mesure en cause. Or, aucune disposition du règlement 2015/1589 ne faisait obligation à la Commission d’adopter une nouvelle décision sur la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur sur laquelle elle s’était déjà prononcée, ainsi que le souligne le Tribunal, avant d’ajouter que, s’il devait en aller différemment, cela permettrait à toute partie intéressée de contester les analyses de compatibilité, y compris après l’expiration du délai de recours en annulation.

Dans un second temps, pour autant que la Commission ait estimé, par ailleurs, que, sur la base de la plainte, il n’était possible d’identifier d’application erronée de la mesure en cause ni d’instauration d’une nouvelle mesure autre que celle déjà examinée, le Tribunal constate que Ekobulkos n’a aucunement établi en quoi cette appréciation serait erronée.

Il découle de tout ce qui précède que la Commission n’était soumise à aucune obligation d’agir, au moment où l’invitation à agir lui a été adressée. En l’absence d’obligation d’agir, le plaignant ne saurait davantage se prévaloir utilement de la durée prétendument excessive de la procédure d’examen de sa plainte.

En conclusion, étant donné qu’aucune carence ne peut être reprochée à la Commission, en l’espèce, le Tribunal juge que le recours doit être rejeté.

{1} Décision C(2016) 5205 final, du 4 août 2016, dans l’affaire SA.44840 (2016/NN).

{2} Tel que notifié, ce régime était constitué de la Zakon za energiata ot vazobnovyaemi iztochnitsi (ZEVI) (loi sur l’énergie produite à partir de sources renouvelables), en vigueur depuis le 3 mai 2011 (DV no 35, du 3 mai 2011), ainsi que des deux ordonnances du 18 mars 2013 sur la réglementation des prix de l’électricité et du 20 février 2004 sur la régulation des prix de l’électricité.

{3} Il s’agit, en l’occurrence, de l’article 18 de la Zakon za ismenenie i dopalnenie na Zakona za energetikata (ZID-ZE) (loi modifiant et complétant la loi sur l’énergie produite à partir de sources renouvelables), du 24 juillet 2015 (DV no 56, du 24 juillet 2015).

{4} Règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9). La demande visait, en l’occurrence, l’article 13, paragraphe 1, de ce règlement.

{5} Aux termes de l’article 4, paragraphes 2, 3 et 4, du règlement 2015/1589, auquel l’article 15, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 renvoie, une telle décision a pour objet de constater soit que la mesure en cause ne constitue pas une aide, soit que la mesure est compatible avec le marché intérieur, soit, au contraire, qu’il y a lieu d’ouvrir la procédure formelle d’examen, compte tenu des doutes qu’elle suscite.

{6} Article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589, auquel renvoie l’article 12, paragraphe 1, deuxième alinéa, de ce même règlement.

Arrêt du 21 décembre 2022, Ekobulkos / Commission (T-702/21) (cf. points 19-24)

14. Recours en carence - Mise en demeure de l'institution - Invitation à agir - Délais - Conditions - Recours en carence formé à la suite d'une seconde invitation à agir formulée trois années après une première invitation à agir demeurée sans suite - Caractère tardif du recours - Absence - Recevabilité

En vertu du règlement 2018/1806{1}, lequel fixe la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation, l’Union a érigé en objectif le principe de réciprocité totale en matière de visa, afin d’améliorer la crédibilité et la cohérence de sa politique extérieure à l’égard des pays tiers{2}. À ce titre, ce règlement prévoit qu’un mécanisme permettant la mise en œuvre du principe de réciprocité doit permettre à l’Union d’apporter une réponse solidaire dans le cas où l’un des pays tiers figurant sur la liste de l’annexe II du même règlement déciderait de soumettre à l’obligation de visa les ressortissants d’un ou plusieurs États membres{3}. Le règlement délègue à la Commission le pouvoir d’adopter des actes conformément à l’article 290 TFUE, portant notamment sur la suspension temporaire de l’exemption de visa à l’égard des ressortissants d’un tel pays tiers{4}.

En avril 2016, la Commission a présenté au Parlement et au Conseil une communication{5} qui indiquait qu’une situation de non-réciprocité persistait à l’égard de trois pays tiers, dont les États Unis d’Amérique, lesquels soumettaient alors à l’obligation de visa les ressortissants de cinq États membres. Après que la Commission a constaté{6} que la non-réciprocité en matière de visas ne concernait plus que deux pays tiers, dont les États-Unis d’Amérique, le Parlement a adopté, en mars 2017, une résolution{7} dans laquelle il estimait que la Commission était « juridiquement tenue d’adopter un acte délégué […] suspend[ant] temporairement l’exemption de visa pour les ressortissants de pays tiers qui n’ont pas levé l’obligation de visa pour les citoyens de certains États membres » et a invité la Commission à adopter un tel acte. La Commission a répondu négativement à cette demande en mai 2017{8}. À la suite de la présentation, par la Commission, de sa sixième communication de suivi en mars 2020, le Parlement a réitéré son invitation à agir{9}, les États-Unis d’Amérique continuant d’imposer une obligation de visa aux ressortissants de quatre États membres. À nouveau, la Commission n’a pas répondu favorablement à cette invitation{10}.

Estimant que l’article 7, premier alinéa, sous f), du règlement 2018/1806 impose à la Commission d’adopter un acte délégué dès lors que sont remplies les conditions d’adoption d’un tel acte prévues par cette disposition, le Parlement a introduit un recours en carence contre la Commission, en vertu de l’article 265 TFUE.

Dans son arrêt, la Cour se prononce sur la recevabilité du recours en carence, à savoir, d’une part, sur le délai de recours prévu par cette dernière disposition et, d’autre part, sur la notion de prise de position au sens de ladite disposition dans un contexte interinstitutionnel. Sur le fond, la Cour rejette le recours au motif qu’en respectant les critères dudit règlement, la Commission n’a pas outrepassé sa marge d’appréciation lorsqu’elle a estimé ne pas être tenue d’adopter l’acte délégué sollicité.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, la Cour se prononce sur la recevabilité du recours{11}.

La première fin de non-recevoir est tirée de la tardiveté de ce dernier, le Parlement ayant formé son recours en carence après avoir adressé à la Commission, par une résolution d’octobre 2020, une seconde invitation à agir, alors qu’il n’avait pas formé un tel recours à la suite de la résolution de mars 2017. À ce sujet, la Cour constate que la question de savoir si le Parlement a ainsi méconnu le délai de recours prévu par l’article 265, deuxième alinéa, TFUE dépend du point de savoir si cette seconde invitation à agir est, au regard d’éléments objectifs ayant trait à son contenu ou à son contexte, distincte de la première. À cet égard, dans la communication qui a suivi la résolution de mars 2017, la Commission avait notamment estimé que l’adoption d’un acte délégué suspendant temporairement l’exemption de visa serait « pour le moment » contre-productive et ne contribuerait pas à atteindre l’objectif de l’exemption de visa pour tous les citoyens de l’Union. Par sa résolution d’octobre 2020, le Parlement avait invité la Commission à reconsidérer la voie choisie trois ans plus tôt, compte tenu des évolutions intervenues dans l’intervalle. La Cour note, à ce propos, que divers motifs, d’ordre tant juridique que politique, ont pu conduire le Parlement à renoncer, dans un premier temps, à la voie contentieuse suite à l’adoption de cette communication par la Commission. Il apparaît, par ailleurs, que c’est après avoir évalué l’évolution de la situation depuis l’adoption de la première invitation à agir que le Parlement a adopté la résolution d’octobre 2020. Les invitations à agir contenues dans les deux résolutions étant distinctes au regard tant de leur contenu que du contexte dans lequel elles ont été adoptées, la Cour conclut que la résolution d’octobre 2020 n’a pas pu avoir pour objet de contourner le délai de recours prévu à l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, qui avait commencé à courir par l’invitation à agir contenue dans la résolution de mars 2017.

En ce qui concerne la seconde fin de non-recevoir, tirée de l’existence d’une prise de position de la Commission par sa communication de décembre 2020, la Cour rappelle que, en vertu de l’article 265, premier alinéa, TFUE, elle peut être saisie en vue de faire constater que, en violation des traités, l’institution concernée s’abstient de statuer. À cet égard, la Cour rappelle que la circonstance qu’une réponse d’une institution à une invitation à agir ne donne pas satisfaction à la personne qui la lui a adressée ne signifie pas que cette réponse ne constitue pas une prise de position, dont l’adoption met fin à la carence. Toutefois, cette solution ne saurait s’appliquer dans un contexte interinstitutionnel, dans des cas où l’irrecevabilité du recours en carence permettrait à l’institution concernée de perpétuer un état d’inaction. Or, il en irait ainsi si la communication en cause de la Commission devait être qualifiée de « prise de position », au sens de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE. Un refus d’agir faisant suite à une invitation à agir peut ainsi être déféré à la Cour sur la base de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE dès lors que ce refus, si explicite soit-il, ne met pas fin à la carence. Dans ces conditions, dans un contexte interinstitutionnel, la réponse d’une institution consistant, comme en l’espèce, en un exposé des raisons pour lesquelles il convient, selon cette institution, de ne pas adopter la mesure sollicitée doit nécessairement être considérée comme étant un refus d’agir de la part de cette institution et doit donc pouvoir être déférée à la Cour dans le cadre d’un recours introduit au titre de l’article 265 TFUE.

En second lieu, s’agissant du moyen unique soulevé, au fond, par le Parlement, selon lequel la Commission aurait violé les traités en n’ayant pas adopté, en vertu de l’article 7, premier alinéa, sous f), du règlement 2018/1806, d’acte délégué suspendant temporairement l’exemption de l’obligation de visa à l’égard des ressortissants des États-Unis d’Amérique, la Cour observe que, certes, il semble ressortir des termes de cette disposition que la Commission est tenue d’adopter un tel acte lorsque les conditions requises pour son adoption sont remplies. Toutefois, cette interprétation doit être exclue au regard de l’économie générale de l’article 7, premier alinéa, du règlement 2018/1806, caractérisée notamment par la structure en plusieurs étapes du mécanisme de réciprocité qu’il institue. Il ressort ainsi, notamment, de la lecture combinée des dispositions figurant à cet article, lu à la lumière du considérant 17 du même règlement, que la Commission dispose d’une marge d’appréciation pour adopter ou non un acte délégué fondé sur cet article. La Commission n’a dès lors pas l’obligation d’adopter l’acte délégué en question après l’expiration de la période de 24 mois à compter de la date de publication de la notification visée à l’article 7, premier alinéa, sous a), de ce règlement.

En revanche, la Commission doit tenir compte des trois critères énoncés à l’article 7, premier alinéa, sous d), du règlement 2018/1806 aux fins de déterminer s’il y a lieu, au regard de l’objectif de réciprocité totale, de suspendre l’exemption de l’obligation de visa à l’égard des ressortissants du pays tiers concerné ou s’il y a lieu, au contraire, de s’abstenir de prendre une telle mesure, au regard d’intérêts tenant, en particulier, aux relations extérieures des États membres, des pays associés à l’espace Schengen et de l’Union{12}. Après avoir examiné ces trois critères, la Cour parvient à la conclusion que la Commission n’a pas outrepassé la marge d’appréciation dont elle disposait en l’occurrence en ayant estimé, à la suite de l’invitation à agir qui lui avait été adressée par le Parlement en octobre 2020, qu’elle n’était pas tenue d’adopter l’acte délégué en question. Elle rejette en conséquence le recours comme étant non fondé.

{1} Règlement (UE) 2018/1806 du Parlement européen et du Conseil, du 14 novembre 2018, fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation (texte codifié) (JO 2018, L 303, p. 39).

{2} Voir considérant 14 du règlement 2018/1806.

{3} Voir considérant 15 du règlement 2018/1806.

{4} Voir considérant 17 et article 7, e), f) et h) du règlement 2018/1806. En particulier, en vertu de l’article 7 : « L’application, par un pays tiers figurant sur la liste de l’annexe II, de l’obligation de visa à l’égard des ressortissants d’au moins un État membre donne lieu à l’application des dispositions suivantes :

[…] f) si, dans les vingt-quatre mois à compter de la date de publication visée au point a), troisième alinéa, le pays tiers concerné n’a pas levé l’obligation de visa, la Commission adopte, conformément à l’article 10, un acte délégué portant suspension temporaire de l’exemption de l’obligation de visa, pour une période de douze mois, à l’égard des ressortissants dudit pays tiers […]. Sans préjudice de l’application de l’article 6, au cours de ces périodes de suspension, les ressortissants du pays tiers concerné par l’acte délégué sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres ; […] ».

{5} Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, du 12 avril 2016, « État des lieux de la situation de non-réciprocité avec certains pays tiers dans le domaine de la politique des visas et éventuelles voies à suivre à cet égard » [COM(2016) 221 final].

{6} Par sa deuxième communication de suivi, du 21 décembre 2016.

{7} Résolution du Parlement européen, du 2 mars 2017, sur les obligations de la Commission quant à la réciprocité en matière de visas, en application de l’article 1er, paragraphe 4, du règlement (CE) nº 539/2001 [2016/2986(RSP)] (JO 2018, C 263, p. 2, ci-après la « résolution de mars 2017 »).

{8} Par sa communication de suivi, du 2 mai 2017 [COM(2017) 227 final].

{9} Résolution du Parlement européen, du 22 octobre 2020, sur les obligations de la Commission quant à la réciprocité en matière de visas, en application de l’article 7 du règlement (UE) 2018/1806 [2020/2605(RSP)] (JO 2021, C 404, p. 157, ci-après la « résolution d’octobre 2020 »).

{10} Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil définissant la position de la Commission à la suite de la résolution du Parlement européen du 22 octobre 2020 sur les obligations de la Commission quant à la réciprocité en matière de visas et dressant l’état des lieux [COM(2020) 851 final] (ci-après la « communication de décembre 2020 »).

{11} Aux termes de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, le recours en carence n’est recevable que si l’institution, l’organe ou l’organisme en cause a été préalablement invité à agir. Si, à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de cette invitation, cette institution, cet organe ou cet organisme n’a pas pris position, ce recours peut être formé dans un nouveau délai de deux mois.

{12} Selon l’article 7, d) règlement 2018/1806 : « L’application, par un pays tiers figurant sur la liste de l’annexe II, de l’obligation de visa à l’égard des ressortissants d’au moins un État membre donne lieu à l’application des dispositions suivantes : […] d) lorsqu’elle envisage de nouvelles mesures conformément au point e), f) ou h), la Commission tient compte des effets des mesures prises par l’État membre concerné en vue d’assurer l’exemption de l’obligation de visa avec le pays tiers en cause, des démarches entamées conformément au point b), et des conséquences de la suspension de l’exemption de l’obligation de visa pour les relations externes de l’Union et de ses États membres avec le pays tiers en cause ; […] ».

Arrêt du 5 septembre 2023, Parlement / Commission (Exemption de visa pour les ressortissants des États-Unis) (C-137/21) (cf. points 27-35)

15. Recours en carence - Mise en demeure de l'institution - Invitation à agir - Demande explicite et précise - Nécessaire identité entre le requérant et la personne ayant formulé l'invitation à agir - Absence - Irrecevabilité



Ordonnance du 28 novembre 2023, ST / Frontex (T-600/22) (cf. points 14, 15, 17)