1. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Compétence des juridictions nationales - Législation nationale conférant un caractère prioritaire à une procédure incidente nationale de contrôle de constitutionnalité - Inadmissibilité - Condition
L’article 234 CE s’oppose à une législation d’un État membre qui instaure une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité des lois nationales, pour autant que le caractère prioritaire de cette procédure a pour conséquence d’empêcher, tant avant la transmission d’une question de constitutionnalité à la juridiction nationale chargée d’exercer le contrôle de constitutionnalité des lois que, le cas échéant, après la décision de cette juridiction sur ladite question, toutes les autres juridictions nationales d’exercer leur faculté ou de satisfaire à leur obligation de saisir la Cour de questions préjudicielles.
Ordonnance du 1er mars 2011, Chartry (C-457/09, Rec._p._I-819) (cf. point 20)
Ordonnance du 22 septembre 2011, Pagnoul (C-314/10, Rec._p._I-136*) (cf. point 21)
Ordonnance du 22 septembre 2011, Lebrun et Howet (C-538/10, Rec._p._I-137*) (cf. point 16)
Ordonnance du 21 février 2013, Ajdini (C-312/12) (cf. point 18)
2. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Obligation de renvoi - Portée - Système juridique national de nature accusatoire ou inquisitoire - Absence d'incidence
L’obligation prévue à l’article 267, paragraphe 3, TFUE ne diffère pas selon qu’il existe, dans l’État membre considéré, un système juridique accusatoire ou un système juridique inquisitoire.
L’article 267 TFUE confère aux juridictions nationales la faculté et, le cas échéant, leur impose l’obligation de renvoi préjudiciel dès que le juge constate soit d’office, soit à la demande des parties, que le fond du litige comporte une question à résoudre relevant du premier alinéa de cet article. Il en résulte que les juridictions nationales ont la faculté la plus étendue de saisir la Cour si elles considèrent qu’une affaire pendante devant elles soulève des questions comportant une interprétation ou une appréciation en validité des dispositions du droit de l’Union nécessitant une décision de leur part.
En outre, le renvoi préjudiciel repose sur un dialogue de juge à juge, dont le déclenchement dépend entièrement de l’appréciation que fait la juridiction nationale de la pertinence et de la nécessité dudit renvoi. Ainsi, s’il appartient à la juridiction nationale d’apprécier si l’interprétation d’une règle de droit de l’Union est nécessaire pour lui permettre de résoudre le litige qui lui est soumis, eu égard au mécanisme de la procédure prévue à l’article 267 TFUE, il incombe à cette même juridiction de décider de quelle manière ces questions doivent être formulées. Si ladite juridiction est libre d’inviter les parties au litige dont elle est saisie à suggérer des formulations susceptibles d’être retenues pour l’énoncé des questions préjudicielles, il n’en demeure pas moins que c’est à elle seule qu’il incombe de décider en dernier lieu tant la forme que le contenu de celles-ci.
Arrêt du 21 juillet 2011, Kelly (C-104/10, Rec._p._I-6813) (cf. points 61, 63-66, disp. 4)
3. Questions préjudicielles - Réponse ne laissant place à aucun doute raisonnable - Application de l'article 104, paragraphe 3, du règlement de procédure
Ordonnance du 18 novembre 2011, Colapietro (C-519/10, Rec._p._I-176*) (cf. point 15)
4. Union européenne - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Actes de portée générale - Nécessité pour les personnes physiques ou morales, ne pouvant attaquer directement ces actes, d'emprunter la voie de l'exception d'illégalité ou du renvoi préjudiciel en appréciation de validité
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 12 juillet 2012, Association Kokopelli (C-59/11) (cf. points 34-35)
5. Questions préjudicielles - Réponse pouvant être clairement déduite de la jurisprudence - Question préjudicielle identique à une question déjà tranchée - Application de l'article 104, paragraphe 3, du règlement de procédure
Ordonnance du 19 septembre 2012, Levy et Sebbag (C-540/11) (cf. point 13)
6. Questions préjudicielles - Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions - Actes de portée générale - Nécessité pour les personnes physiques ou morales d'emprunter la voie de l'exception d'illégalité ou du renvoi préjudiciel en appréciation de validité - Obligation des juridictions nationales d'appliquer les règles procédurales nationales de manière à permettre la contestation de la légalité des actes de l'Union de portée générale - Limites - Question portant sur la validité d'une décision non attaquée sur le fondement de l'article 263 TFUE de manière à faire perdre la qualité pour agir ou à faire expirer les délais pour l'introduction d'un recours en annulation
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 27 novembre 2012, Pringle (C-370/12) (cf. points 39-42)
7. Questions préjudicielles - Recevabilité - Demande n'exposant pas les raisons justifiant le renvoi à la Cour - Irrecevabilité
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 27 novembre 2012, Pringle (C-370/12) (cf. points 84, 86)
Ordonnance du 17 juillet 2014, Yumer (C-505/13) (cf. points 23, 24)
8. Questions préjudicielles - Compétence du juge national - Appréciation de la nécessité et de la pertinence des questions posées
Ordonnance du 13 décembre 2012, Debiasi (C-560/11) (cf. points 22-23)
9. Droit de l'Union européenne - Primauté - Pratique judiciaire restreignant l'obligation de laisser inappliquée une disposition contraire à la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne - Inadmissibilité
Le droit de l’Union s’oppose à une pratique judiciaire qui subordonne l’obligation, pour le juge national, de laisser inappliquée toute disposition contraire à un droit fondamental garanti par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne à la condition que ladite contrariété ressorte clairement du texte de cette charte ou de la jurisprudence y afférente, dès lors qu’elle refuse au juge national le pouvoir d’apprécier pleinement, avec, le cas échéant, la coopération de la Cour de justice, la compatibilité de ladite disposition avec cette même charte.
En effet, une telle pratique a pour effet de diminuer l’efficacité du droit de l’Union par le fait de refuser au juge compétent pour appliquer ce droit le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter les dispositions législatives nationales formant éventuellement obstacle à la pleine efficacité des normes de l’Union.
Arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C-617/10) (cf. points 46, 48, disp. 3)
10. Questions préjudicielles - Réponse pouvant être clairement déduite de la jurisprudence - Application de l'article 99 du règlement de procédure
Voir le texte de la décision.
Ordonnance du 7 mars 2013, Euronics Belgium (C-343/12) (cf. point 15)
Ordonnance du 5 juin 2014, Gmina Międzyzdroje (C-500/13) (cf. points 17, 18)
Ordonnance du 10 mars 2015, Rosa dels Vents Assessoria (C-491/14) (cf. points 18, 19)
Ordonnance du 17 décembre 2015, Bitter (C-580/14) (cf. point 21)
Ordonnance du 22 juin 2016, M.H. (C-173/16) (cf. points 17, 18)
Ordonnance du 21 septembre 2016, Popescu (C-614/15) (cf. points 31, 32)
Ordonnance du 21 septembre 2016, Álvarez Santirso (C-631/15) (cf. points 25, 26)
Ordonnance du 6 février 2019, Solvay Chemicals (C-561/18) (cf. point 22)
Ordonnance du 12 novembre 2020, KLM Royal Dutch Airlines (C-367/20) (cf. points 13, 14)
Voir texte de la décision.
Ordonnance du 18 mars 2024, Giocevi (C-37/23) (cf. point 23)
Ordonnance du 4 juillet 2024, Stegmon (C-288/24) (cf. points 26, 27)
Ordonnance du 4 avril 2014, Flughafen Lübeck (C-27/13) (cf. point 16)
Ordonnance du 30 avril 2014, D'Aniello e.a. (C-89/13) (cf. points 23-25)
Ordonnance du 21 octobre 2014, BestWater International (C-348/13) (cf. point 12)
Ordonnance du 22 octobre 2014, Elcogás (C-275/13) (cf. points 18, 19)
Ordonnance du 11 juin 2015, PST CLC (C-405/14) (cf. point 20)
Ordonnance du 14 juillet 2015, Sociedade Portuguesa de Autores (C-151/15) (cf. points 8, 9)
Ordonnance du 15 juillet 2015, Nuova Invincibile (C-82/14) (cf. points 18, 19)
Ordonnance du 15 juillet 2015, Itales (C-123/14) (cf. points 26, 27)
Ordonnance du 15 juillet 2015, Koela-N (C-159/14) (cf. points 26, 27)
Ordonnance du 6 octobre 2015, Ediltecnica (C-592/13) (cf. points 10, 11)
Ordonnance du 6 octobre 2015, Tamoil Italia (C-156/14) (cf. points 9, 10)
Ordonnance du 21 octobre 2015, Kovozber (C-120/15) (cf. points 16, 17)
Ordonnance du 23 octobre 2015, Cruz & Companhia (C-152/15) (cf. points 14, 15)
Ordonnance du 17 décembre 2015, YARA Brunsbüttel (C-529/14) (cf. points 20, 21)
Ordonnance du 17 mars 2016, Ibercaja Banco (C-613/15) (cf. points 22, 23)
Ordonnance du 7 avril 2016, Tita e.a. (C-495/14) (cf. points 27, 28)
Ordonnance du 21 avril 2016, Beca Engineering (C-285/15) (cf. points 29, 30)
Ordonnance du 28 avril 2016, Pudāns (C-462/15) (cf. points 18, 19)
Ordonnance du 24 mai 2016, Leonmobili et Leone (C-353/15) (cf. points 18, 19)
Ordonnance du 21 juin 2016, Aktiv Kapital Portfolio (C-122/14) (cf. points 22, 23)
Ordonnance du 5 juillet 2016, Banco Popular Español et PL Salvador (C-7/16) (cf. points 16, 17)
Ordonnance du 15 mars 2017, Enedis (C-515/16) (cf. points 14,15)
Ordonnance du 11 mai 2017, Bericap (C-53/17) (cf. points 15, 16)
Ordonnance du 16 novembre 2017, da Silva Rodrigues (C-243/17) (cf. points 23, 24)
Ordonnance du 30 mai 2018, Yanchev (C-481/17) (cf. point 19)
Ordonnance du 20 juin 2019, SATI (C-475/18) (cf. point 26)
Ordonnance du 15 juillet 2019, Galeria Parque Nascente (C-438/18) (cf. points 45, 46)
Ordonnance du 24 octobre 2019, Topaz (C-211/17) (cf. points 41, 42)
Ordonnance du 19 novembre 2019, Syyttäjä (C-486/19) (cf. points 19, 20)
Ordonnance du 11 décembre 2019, Ville de Verviers (C-483/19) (cf. points 18, 19)
Ordonnance du 22 avril 2020, Yodel Delivery Network (C-692/19) (cf. point 21)
Ordonnance du 28 mai 2020, DER Touristik (C-153/19) (cf. points 25, 26)
Ordonnance du 4 février 2021, CDT (C-321/20) (cf. point 21)
Ordonnance du 25 mars 2021, Banco Santander (C-503/20) (cf. points 22, 23)
Ordonnance du 14 avril 2021, BNP Paribas Personal Finance (C-535/20) (cf. points 24-26)
Ordonnance du 1er juin 2021, Banco Santander (C-268/19) (cf. points 23, 24)
Ordonnance du 4 octobre 2022, Teritorialna direktsia na NAP (C-49/20) (cf. point 32)
Ordonnance du 27 mars 2023, Belgische Staat (C-34/22) (cf. points 20, 23, 24)
Ordonnance du 1er décembre 2023, CI e.a. (Précurseurs de drogues) (C-574/22) (cf. points 30, 31)
Ordonnance du 11 janvier 2024, Prezes Urzędu Regulacji Energetyki (C-220/23) (cf. points 19-20)
Ordonnance du 29 mai 2024, Warmeston (C-446/23) (cf. points 27, 28)
11. Questions préjudicielles - Réponse ne laissant place à aucun doute raisonnable - Application de l'article 99 du règlement de procédure
Voir le texte de la décision.
Ordonnance du 21 mars 2013, Novontech-Zala (C-324/12) (cf. point 15)
Ordonnance du 22 octobre 2014, Mineralquelle Zurzach (C-139/14) (cf. point 25)
Ordonnance du 6 octobre 2015, Ford Motor Company (C-500/14) (cf. points 32, 33)
Ordonnance du 10 janvier 2023, Ambisig (C-469/22) (cf. points 20, 21)
Ordonnance du 16 juillet 2015, P (C-507/14) (cf. points 28, 29)
Ordonnance du 30 septembre 2015, Balogh (C-424/14) (cf. point 24)
12. Questions préjudicielles - Compétence du juge national - Appréciation de la législation nationale
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 18 avril 2013, L (C-463/11) (cf. point 29)
13. Questions préjudicielles - Réponse ne laissant place à aucun doute raisonnable - Réponse pouvant être clairement déduite de la jurisprudence - Application de l'article 99 du règlement de procédure
Voir le texte de la décision.
Ordonnance du 16 janvier 2014, Baradics e.a. (C-430/13) (cf. point 27)
Ordonnance du 16 mai 2013, Hardimpex (C-444/12) (cf. point 13)
Ordonnance du 10 octobre 2013, Kovács (C-5/13) (cf. points 15, 16)
Ordonnance du 6 mars 2014, Bloomsbury (C-510/12) (cf. points 13, 14)
Ordonnance du 19 juin 2014, Pharmacontinente - Saúde e Higiene e.a. (C-683/13) (cf. points 9-11)
Ordonnance du 2 juillet 2020, STING Reality (C-853/19) (cf. points 30, 32)
Ordonnance du 26 mars 2021, Fedasil (C-92/21) (cf. points 30, 31)
Ordonnance du 26 mars 2021, Fedasil (C-134/21) (cf. points 30, 31)
Ordonnance du 5 mai 2021, CPAS de Liège (C-641/20) (cf. points 20, 21)
Ordonnance du 6 octobre 2021, TUIfly (C-253/21) (cf. point 16)
Ordonnance du 1er décembre 2021, Pilsētas zemes dienests (C-598/20) (cf. points 22, 23)
Ordonnance du 30 septembre 2022, ĒDIENS & KM.LV (C-592/21) (cf. points 18, 19)
Ordonnance du 28 février 2023, Dalarjo e.a. (C-285/21) (cf. points 17-18)
Ordonnance du 28 février 2023, Kreis Gütersloh (C-596/22) (cf. points 24, 25)
Ordonnance du 12 décembre 2024, United Media Services (C-149/24) (cf. points 20, 21)
14. Droit de l'Union européenne - Principes - Droit à une protection juridictionnelle effective - Recours en annulation à l'encontre d'une décision en matière d'aides d'État déclaré irrecevable par le Tribunal - Possibilité de proposer au juge national de procéder à un renvoi préjudiciel
L'Union est une union de droit dont les institutions sont soumises au contrôle de la conformité de leurs actes avec le traité et les principes généraux du droit dont font partie les droits fondamentaux. Dès lors, les particuliers doivent pouvoir bénéficier d’une protection juridictionnelle effective des droits qu’ils tirent de l’ordre juridique de l’Union.
Un requérant n’est nullement privé de toute protection juridictionnelle effective, dès lors que, même si le recours en annulation est déclaré irrecevable, rien ne s’oppose à ce qu'il conteste devant le juge national les mesures d’exécution de la décision de la Commission interdisant un régime d'aides sectoriel et notamment les avis d’imposition refusant l’octroi du bénéfice dudit régime. Le juge national pourra alors contrôler incidemment la validité de ladite décision et saisir le cas échéant la Cour de justice d’une question préjudicielle en appréciation de validité au titre de l’article 267 TFUE.
Ordonnance du 9 septembre 2013, Altadis / Commission (T-400/11) (cf. point 50)
15. Droit de l'Union européenne - Principes - Droits de la défense - Droit à une protection juridictionnelle effective - Recours en annulation à l'encontre d'une décision en matière d'aides d'État déclaré irrecevable par le Tribunal - Possibilité de proposer au juge national de procéder à un renvoi préjudiciel
Ordonnance du 9 septembre 2013, Telefónica / Commission (T-430/11) (cf. point 53)
16. Procédure juridictionnelle - Procédure orale - Réouverture - Obligation de rouvrir la procédure orale pour permettre aux parties de déposer des observations sur des points de droit soulevés dans les conclusions de l'avocat général - Absence - Demande visant à entendre une personne n'étant pas partie au litige au principal - Inadmissibilité
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 27 février 2014, Pohotovosť (C-470/12) (cf. points 21-23)
17. Procédure juridictionnelle - Procédure orale - Réouverture - Obligation de rouvrir la procédure orale pour permettre aux parties de déposer des observations sur des points de droit soulevés dans les conclusions de l'avocat général - Absence
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 3 avril 2014, Weber (C-438/12) (cf. points 28-30)
18. Questions préjudicielles - Procédure préjudicielle accélérée - Conditions - Circonstances justifiant un traitement rapide - Risque de perte de propriété dans le cadre d'une procédure de saisie hypothécaire - Admissibilité du recours à cette procédure
Si le nombre important de personnes ou de situations juridiques potentiellement concernées par la décision qu’une juridiction nationale doit rendre après avoir saisi la Cour à titre préjudiciel n’est pas susceptible, en tant que tel, de constituer une circonstance exceptionnelle de nature à justifier le recours à une procédure accélérée, toutefois, dans un cas de saisie hypothécaire, au-delà du nombre de débiteurs concernés, le risque, pour le propriétaire, de perdre son logement principal place celui-ci ainsi que sa famille dans une situation particulièrement fragile. Cette circonstance est aggravée par le fait que, selon la juridiction nationale, s’il devait s’avérer que la procédure d’exécution est fondée sur un contrat de prêt comportant des clauses abusives dont la nullité est constatée par le juge national, la nullité de la procédure d’exécution y afférente apporterait au débiteur lésé une protection purement indemnitaire, ne permettant pas le rétablissement de la situation antérieure dans laquelle il avait la qualité de propriétaire de son logement. Il s’ensuit qu’une réponse de la Cour dans les plus brefs délais est susceptible de limiter notablement le risque de perte du logement principal des personnes concernées, de sorte que le recours à la procédure accélérée est justifié.
Ordonnance du 5 juin 2014, Sánchez Morcillo et Abril García (C-169/14) (cf. points 10-13)
19. Questions préjudicielles - Questions identiques à celles déjà tranchées par la jurisprudence - Application de l'article 99 du règlement de procédure
Voir le texte de la décision.
Ordonnance du 16 juillet 2015, Sánchez Morcillo et Abril García (C-539/14) (cf. points 21, 22)
Ordonnance du 4 septembre 2014, Bertazzi e.a. (C-152/14) (cf. point 9)
Ordonnance du 12 février 2015, Lb Group (C-651/13) (cf. point 6)
Ordonnance du 12 février 2015, Saba (C-652/13) (cf. point 8)
Ordonnance du 12 février 2015, Concu et Melis (C-457/14) (cf. point 8)
Ordonnance du 12 février 2015, Siddu (C-478/14) (cf. point 9)
Ordonnance du 12 février 2015, Sogno di Tolosa e.a. (C-480/14) (cf. point 6)
Ordonnance du 22 avril 2015, Guletsou (C-598/13) (cf. points 18-20)
Ordonnance du 22 avril 2015, E.S. (C-646/13) (cf. points 20-24)
Ordonnance du 22 avril 2015, Paraskevopoulou (C-668/13) (cf. points 18-20)
Ordonnance du 3 septembre 2015, Chiş (C-585/14, C-587/14 et C-588/14) (cf. point 14)
Ordonnance du 30 juin 2016, Buzzi Unicem e.a. (C-502/14) (cf. points 11-13)
Ordonnance du 14 juillet 2016, BASF SE (C-456/15) (cf. points 11-13)
Ordonnance du 10 novembre 2016, MB (C-697/15) (cf. points 18-20)
Ordonnance du 10 novembre 2016, Edra Costruzioni et Edilfac (C-140/16) (cf. points 19-21)
Ordonnance du 10 novembre 2016, Spinosa Costruzioni Generali et Melfi (C-162/16) (cf. points 16-18)
Ordonnance du 15 novembre 2016, MIP-TS (C-222/16) (cf. points 27-30)
Ordonnance du 4 avril 2017, D'Andria (C-555/16) (cf. points 7, 8)
Ordonnance du 4 avril 2017, Turco (C-581/16) (cf. points 7, 8)
Ordonnance du 4 avril 2017, Consalvo (C-582/16) (cf. points 7, 8)
Ordonnance du 24 octobre 2017, Belu Dienstleistung et Nikless (C-474/16) (cf. points 14-16)
20. Procédure juridictionnelle - Procédure orale - Réouverture - Demande motivée par l'intérêt à présenter des observations sur des points de droit soulevés dans les conclusions de l'avocat général et n'ayant pas fait l'objet d'un échange entre les parties - Rejet
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 11 septembre 2014, Gruslin (C-88/13) (cf. points 21-23)
21. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions formulées dans le cadre d'un recours en annulation devant le Tribunal - Irrecevabilité
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 15 janvier 2015, MEM / OHMI (MONACO) (T-197/13) (cf. points 37-40)
22. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Contenu d'une demande de décision préjudicielle - Législation nationale prévoyant le dessaisissement de la juridiction de renvoi pour avoir exposé le cadre factuel et juridique de l'affaire au principal
Les articles 267 TFUE et 94 du règlement de procédure de la Cour, lus à la lumière de l’article 47, deuxième alinéa, et de l’article 48, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une règle nationale interprétée d’une manière telle qu’elle oblige la juridiction de renvoi à se dessaisir de l’affaire pendante devant la Cour au motif qu’elle a exposé, dans sa demande de décision préjudicielle, le cadre factuel et juridique de cette affaire.
En effet, en exposant, dans sa demande de décision préjudicielle, le cadre factuel et juridique de l’affaire au principal, une juridiction de renvoi ne fait que se conformer aux exigences découlant des articles 267 TFUE et 94 du règlement de procédure. Dans ces conditions, le fait, pour cette juridiction, de présenter, dans sa demande de décision préjudicielle, le cadre factuel et juridique pertinent de l’affaire au principal répond à l’exigence de coopération inhérente au mécanisme de renvoi préjudiciel et ne saurait enfreindre, en soi, ni le droit à accéder à un tribunal impartial, consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la charte, ni le droit à la présomption d’innocence, garanti par l’article 48, paragraphe 1, de celle-ci. À cet égard, une règle nationale selon laquelle la présentation par un juge national, dans une demande de décision préjudicielle, du cadre factuel et juridique de l’affaire en cause constitue un cas de partialité risque, notamment, d’avoir pour conséquence que ledit juge préfère s’abstenir de poser des questions préjudicielles à la Cour pour éviter soit d’être dessaisi et d’encourir des sanctions disciplinaires, soit d’introduire des demandes de décision préjudicielle irrecevables. Dès lors, une telle règle porte atteinte aux prérogatives reconnues aux juridictions nationales par l’article 267 TFUE et, par conséquent, à l’efficacité de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée par le mécanisme du renvoi préjudiciel.
Arrêt du 5 juillet 2016, Ognyanov (C-614/14) (cf. points 22, 23, 25, 26, disp. 1)
23. Procédure juridictionnelle - Intervention - Procédure préjudicielle - Participation des parties au litige au principal - Qualité de partie au litige - Appréciation par le juge national
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 28 février 2018, ZPT AD (C-518/16) (cf. points 31, 32)
24. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions formulées dans le cadre d'un recours en opposition devant le Tribunal - Irrecevabilité
Arrêt du 26 juin 2018, France.com / EUIPO - France (FRANCE.com) (T-71/17) (cf. points 20, 21)
25. Questions préjudicielles - Procédure préjudicielle accélérée - Conditions - Circonstances justifiant un traitement rapide - Demande d'interprétation quant à la possibilité pour un État membre de révoquer unilatéralement la notification de son intention de se retirer de l'Union - Nécessité d'obtenir une réponse de la Cour avant les débats et le vote au parlement de l'État membre concerné sur l'accord de retrait - Affaire touchant à des questions fondamentales de droit constitutionnel national et de droit de l'Union - Admission de la demande relative au recours à la procédure accélérée
Voir le texte de la décision.
Ordonnance du 19 octobre 2018, Wightman e.a. (C-621/18) (cf. points 7-11)
26. Questions préjudicielles - Recevabilité - Limites - Questions manifestement dénuées de pertinence et questions hypothétiques posées dans un contexte excluant une réponse utile - Nécessité de fournir à la Cour suffisamment de précisions sur le contexte factuel et réglementaire
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 28 mars 2019, Idi (C-101/18) (cf. point 28)
27. Questions préjudicielles - Actes des institutions - Validité - Contestation - Compétences de la Cour - Étendue - Possibilité pour un particulier de se prévaloir des griefs susceptibles d'être avancés dans le cadre d'un recours en annulation - Non-respect des conditions d'adoption d'un acte de l'Union - Inclusion
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 3 juillet 2019, Eurobolt (C-644/17) (cf. points 25, 26, disp. 1)
28. Questions préjudicielles - Procédure préjudicielle accélérée - Conditions - Circonstances justifiant un traitement rapide - Demande d'interprétation présentée dans le cadre d'un recours relatif au bien-fondé d'une décision de refus de lever une mesure de placement en détention provisoire - Admissibilité du recours à cette procédure
Dans l’arrêt préjudiciel Junqueras Vies (C-502/19), rendu le 19 décembre 2019, la Cour, réunie en grande chambre, a précisé la portée personnelle, temporelle et matérielle des immunités accordées aux membres du Parlement européen{1}.
Dans cette affaire, la Cour a été saisie de plusieurs questions préjudicielles relatives à l’interprétation de l’article 9 du protocole par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne). Ces questions ont été formulées dans le cadre d’un recours introduit par un homme politique élu au Parlement européen lors des élections du 26 mai 2019, contre une ordonnance portant refus de lui accorder une autorisation extraordinaire de sortie de prison. L’intéressé avait été placé en détention provisoire avant ces élections dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre lui en raison de sa participation à l’organisation du référendum d’autodétermination qui s’est tenu le 1er octobre 2017 dans la communauté autonome de Catalogne. Il a sollicité l’autorisation visée ci-dessus pour pouvoir accomplir une formalité requise par le droit espagnol à la suite de la proclamation des résultats, formalité consistant à prononcer le serment ou la promesse de respecter la Constitution espagnole devant une commission électorale centrale, et se rendre ultérieurement au Parlement européen en vue de prendre part à la session constitutive de la nouvelle législature. Suite à la saisine de la Cour, le Tribunal Supremo a, le 14 octobre 2019, condamné l’intéressé à une peine de treize années de prison ainsi que, pour la même période, à une peine d’incapacité absolue d’exercer des charges ou fonctions publiques.
La Cour a jugé, en premier lieu, qu’une personne qui est élue au Parlement européen acquiert la qualité de membre du Parlement du fait et au moment de la proclamation des résultats électoraux, de sorte qu’elle bénéficie des immunités garanties par l’article 9 du protocole.
À cet égard, la Cour a relevé que, si la procédure électorale et la proclamation des résultats sont en principe régis par la législation des États membres, conformément aux articles 8 et 12 de l’acte électoral de 1976{2}, l’élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, libre et secret {3} constitue l’expression du principe constitutionnel de démocratie représentative, dont la portée est définie par le droit de l’Union lui-même. Or, il découle des traités et de l’acte électoral de 1976 que la qualité de membre du Parlement européen résulte de la seule élection de l’intéressé et lui est acquise du fait de la proclamation officielle des résultats effectuée par les États membres. En outre, il résulte de l’article 343 TFUE que l’Union, et donc ses institutions ainsi que leurs membres, doivent bénéficier des immunités nécessaires à leurs missions.
En deuxième lieu, la Cour a jugé que les personnes qui, comme M. Junqueras Vies, sont élues membres du Parlement européen bénéficient, dès la proclamation des résultats, de l’immunité de trajet attachée à leur qualité de membre et prévue à l’article 9, deuxième alinéa, du protocole. Or, cette immunité a pour objet de leur permettre, notamment, de se rendre et de prendre part à la session constitutive de la nouvelle législature du Parlement européen. En effet, à la différence de l’immunité de session prévue au premier alinéa, qui ne leur bénéficie qu’à compter de l’ouverture de cette session constitutive et pendant toute la durée des sessions du Parlement européen, l’immunité de trajet couvre les déplacements des membres à destination du lieu de réunion du Parlement européen, en ce compris sa première réunion.
La Cour a rappelé, à cet égard, que les objectifs poursuivis par les immunités prévues par le protocole consistent à assurer la protection du bon fonctionnement et de l’indépendance des institutions. Dans ce cadre, l’immunité de trajet visée à l’article 9, deuxième alinéa, de ce protocole donne effet au droit d’éligibilité garanti par l’article 39, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en permettant à tout membre, dès qu’il a été proclamé élu et indépendamment du point de savoir s’il a ou non accompli d’éventuelles formalités prévues par le droit interne, de participer à la session constitutive du Parlement européen sans pouvoir être entravé dans son déplacement.
La Cour a jugé, en troisième et dernier lieu, que le bénéfice de l’immunité de trajet garantie à tout membre du Parlement européen implique de lever toute mesure de placement en détention provisoire qui aurait été imposée antérieurement à la proclamation de son élection, afin de lui permettre de se rendre et de prendre part à la session constitutive du Parlement européen. En conséquence, si la juridiction nationale compétente jugeait nécessaire de maintenir une telle mesure, il lui incomberait de demander dans les plus brefs délais la levée de cette immunité au Parlement européen, sur le fondement de l’article 9, troisième alinéa, du protocole.
{1} Immunités prévues à l’article 343 TFUE et à l’article 9 du protocole (nº 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne (JO 2012, C 326, p. 266) (ci-après le « protocole »).
{2} Acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 20 septembre 1976 (JO 1976, L 278, p. 1), modifié, en dernier lieu, par la décision 2002/772/CE, Euratom du Conseil, du 25 juin et du 23 septembre 2002 (JO 2002, L 283, p. 1).
{3} Article 14, paragraphe 3, TUE.
Arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies (C-502/19) (cf. points 43-45)
29. Questions préjudicielles - Recevabilité - Limites - Questions manifestement dénuées de pertinence et questions hypothétiques posées dans un contexte excluant une réponse utile - Litige au principal concernant une mesure de placement en détention provisoire - Jugement de condamnation intervenu postérieurement au renvoi préjudiciel - Absence d'incidence
Dans l’arrêt préjudiciel Junqueras Vies (C-502/19), rendu le 19 décembre 2019, la Cour, réunie en grande chambre, a précisé la portée personnelle, temporelle et matérielle des immunités accordées aux membres du Parlement européen{1}.
Dans cette affaire, la Cour a été saisie de plusieurs questions préjudicielles relatives à l’interprétation de l’article 9 du protocole par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne). Ces questions ont été formulées dans le cadre d’un recours introduit par un homme politique élu au Parlement européen lors des élections du 26 mai 2019, contre une ordonnance portant refus de lui accorder une autorisation extraordinaire de sortie de prison. L’intéressé avait été placé en détention provisoire avant ces élections dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre lui en raison de sa participation à l’organisation du référendum d’autodétermination qui s’est tenu le 1er octobre 2017 dans la communauté autonome de Catalogne. Il a sollicité l’autorisation visée ci-dessus pour pouvoir accomplir une formalité requise par le droit espagnol à la suite de la proclamation des résultats, formalité consistant à prononcer le serment ou la promesse de respecter la Constitution espagnole devant une commission électorale centrale, et se rendre ultérieurement au Parlement européen en vue de prendre part à la session constitutive de la nouvelle législature. Suite à la saisine de la Cour, le Tribunal Supremo a, le 14 octobre 2019, condamné l’intéressé à une peine de treize années de prison ainsi que, pour la même période, à une peine d’incapacité absolue d’exercer des charges ou fonctions publiques.
La Cour a jugé, en premier lieu, qu’une personne qui est élue au Parlement européen acquiert la qualité de membre du Parlement du fait et au moment de la proclamation des résultats électoraux, de sorte qu’elle bénéficie des immunités garanties par l’article 9 du protocole.
À cet égard, la Cour a relevé que, si la procédure électorale et la proclamation des résultats sont en principe régis par la législation des États membres, conformément aux articles 8 et 12 de l’acte électoral de 1976{2}, l’élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, libre et secret {3} constitue l’expression du principe constitutionnel de démocratie représentative, dont la portée est définie par le droit de l’Union lui-même. Or, il découle des traités et de l’acte électoral de 1976 que la qualité de membre du Parlement européen résulte de la seule élection de l’intéressé et lui est acquise du fait de la proclamation officielle des résultats effectuée par les États membres. En outre, il résulte de l’article 343 TFUE que l’Union, et donc ses institutions ainsi que leurs membres, doivent bénéficier des immunités nécessaires à leurs missions.
En deuxième lieu, la Cour a jugé que les personnes qui, comme M. Junqueras Vies, sont élues membres du Parlement européen bénéficient, dès la proclamation des résultats, de l’immunité de trajet attachée à leur qualité de membre et prévue à l’article 9, deuxième alinéa, du protocole. Or, cette immunité a pour objet de leur permettre, notamment, de se rendre et de prendre part à la session constitutive de la nouvelle législature du Parlement européen. En effet, à la différence de l’immunité de session prévue au premier alinéa, qui ne leur bénéficie qu’à compter de l’ouverture de cette session constitutive et pendant toute la durée des sessions du Parlement européen, l’immunité de trajet couvre les déplacements des membres à destination du lieu de réunion du Parlement européen, en ce compris sa première réunion.
La Cour a rappelé, à cet égard, que les objectifs poursuivis par les immunités prévues par le protocole consistent à assurer la protection du bon fonctionnement et de l’indépendance des institutions. Dans ce cadre, l’immunité de trajet visée à l’article 9, deuxième alinéa, de ce protocole donne effet au droit d’éligibilité garanti par l’article 39, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en permettant à tout membre, dès qu’il a été proclamé élu et indépendamment du point de savoir s’il a ou non accompli d’éventuelles formalités prévues par le droit interne, de participer à la session constitutive du Parlement européen sans pouvoir être entravé dans son déplacement.
La Cour a jugé, en troisième et dernier lieu, que le bénéfice de l’immunité de trajet garantie à tout membre du Parlement européen implique de lever toute mesure de placement en détention provisoire qui aurait été imposée antérieurement à la proclamation de son élection, afin de lui permettre de se rendre et de prendre part à la session constitutive du Parlement européen. En conséquence, si la juridiction nationale compétente jugeait nécessaire de maintenir une telle mesure, il lui incomberait de demander dans les plus brefs délais la levée de cette immunité au Parlement européen, sur le fondement de l’article 9, troisième alinéa, du protocole.
{1} Immunités prévues à l’article 343 TFUE et à l’article 9 du protocole (nº 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne (JO 2012, C 326, p. 266) (ci-après le « protocole »).
{2} Acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 20 septembre 1976 (JO 1976, L 278, p. 1), modifié, en dernier lieu, par la décision 2002/772/CE, Euratom du Conseil, du 25 juin et du 23 septembre 2002 (JO 2002, L 283, p. 1).
{3} Article 14, paragraphe 3, TUE.
Arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies (C-502/19) (cf. points 51-59)
30. États membres - Obligations - Établissement des voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective - Nécessité de garantir l'effectivité du mécanisme de renvoi préjudiciel et l'unité d'interprétation du droit de l'Union - Réglementation nationale conférant une compétence décisionnelle exclusive à une instance ne satisfaisant pas aux exigences d'indépendance et d'impartialité - Conditions d'admissibilité - Existence de voies de recours juridictionnelles contre les décisions d'une telle instance
Dans l’arrêt Banco de Santander (C-274/14), prononcé le 21 janvier 2020, la Cour, réunie en grande chambre, a jugé irrecevable une demande de décision préjudicielle introduite par le Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central, Espagne) (ci-après l’« organisme de renvoi »), au motif que cet organisme ne satisfaisait pas au critère d’indépendance requis pour pouvoir être qualifié de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE.
La demande de décision préjudicielle adressée à la Cour par l’organisme de renvoi portait en substance sur l’interprétation et la validité de décisions successives adoptées par la Commission{1} en matière d’aides d’État au sujet du régime espagnol d’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères. La Cour a été saisie de cette demande dans le cadre d’une procédure opposant Banco de Santander à l’Inspección Financiera (inspection des Finances, Espagne) au sujet de la déduction de la survaleur résultant de l’acquisition par cette banque de la totalité des parts sociales d’une société holding de droit allemand. Selon la réglementation nationale pertinente, il appartient à l’organisme de renvoi de connaître des réclamations dirigées contre des décisions prises par certaines autorités fiscales centrales, dont celle concernée en l’espèce, ainsi que, en tant qu’organe d’appel, de certaines décisions adoptées par les autres Tribunales Económico-Administrativos (tribunaux économico-administratifs), dont la compétence territoriale est limitée. Une chambre spéciale de l’organisme de renvoi connaît des recours extraordinaires pour l’unification de la doctrine qu’il appartient au seul directeur général des impôts du ministère de l’Économie et des Finances de former, le cas échéant.
La Cour a considéré qu’il y avait lieu, à titre liminaire, d’examiner, à la lumière des derniers développements de sa jurisprudence{2}, si l’organisme de renvoi relevait de la qualification de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE.
La Cour a rappelé d’emblée que cette qualification implique, notamment, que l’organisme de renvoi réponde au critère d’indépendance. En effet, l’indépendance des juridictions nationales chargées d’appliquer le droit de l’Union est essentielle au bon fonctionnement du système de coopération judiciaire qu’incarne le mécanisme du renvoi préjudiciel prévu à l’article 267 TFUE et ce mécanisme ne peut être activé que par une instance, chargée d’appliquer le droit de l’Union, qui répond, notamment, à ce critère d’indépendance.
En ce qui concerne, en premier lieu, l’aspect externe de la notion d’ « indépendance », la Cour a souligné qu’il exige que l’organisme concerné exerce ses fonctions en toute autonomie, sans être soumis à aucun lien hiérarchique ou de subordination et sans recevoir d’ordres ou d’instructions, ce qui implique en particulier de déterminer les cas de révocation de ses membres par des dispositions législatives expresses offrant des garanties répondant aux exigences du principe d’inamovibilité inhérent à l’indépendance des juges. Or, la Cour a constaté que les membres de l’organisme de renvoi peuvent être révoqués par décret royal pris en Conseil des ministres, sur proposition du ministre de l’Économie et des Finances, sans que ce régime de révocation ne soit encadré par une réglementation particulière, de sorte que ces membres ne bénéficient pas de garanties autres que celles prévues par les règles générales du droit administratif.
En ce qui concerne, en second lieu, l’aspect interne de la notion d’« indépendance », la Cour a rappelé qu’il rejoint la notion d’ « impartialité », qui exige le respect de l’objectivité et l’absence de tout intérêt dans la solution du litige en dehors de la stricte application de la règle de droit. Ainsi entendue, la notion d’« indépendance » implique que l’organisme concerné ait la qualité de « tiers » par rapport à l’autorité qui a adopté la décision contestée. Or, les caractéristiques du recours extraordinaire qui peut être formé, devant une chambre spéciale de l’organisme de renvoi, contre les décisions de cet organisme ne permettent pas de considérer que ce dernier a la qualité de « tiers » par rapport aux intérêts qui s’affrontent. La Cour a relevé, en particulier, que l’introduction d’un tel recours appartient exclusivement au directeur général des impôts du ministère de l’Économie et des Finances, lequel fera partie de la formation ayant à connaître de ce recours, tout comme le directeur général ou le directeur du service de l’administration fiscale dont relève l’organe auteur de l’acte visé par la décision faisant l’objet dudit recours.
La Cour a ajouté que le fait que l’organisme de renvoi ne constitue pas une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, ne le dispense pas de l’obligation de garantir l’application du droit de l’Union lors de l’adoption de ses décisions, en laissant inappliquées, au besoin, les dispositions nationales apparaissant contraires à des dispositions du droit de l’Union dotées d’un effet direct. Par ailleurs, l’existence de voies de recours juridictionnelles contre les décisions de l’organisme de renvoi permet de garantir l’effectivité du mécanisme de renvoi préjudiciel, dès lors que les juridictions nationales disposent de la faculté ou sont, le cas échéant, tenues de saisir la Cour à titre préjudiciel lorsqu’une décision sur l’interprétation ou sur la validité du droit de l’Union est nécessaire pour rendre leur jugement.
{1 Décision 2011/5/CE de la Commission, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 7, p. 48) ; décision 2011/282/UE de la Commission, du 12 janvier 2011, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C-45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 135, p. 1), et décision (UE) 2015/314 de la Commission, du 15 octobre 2014, relative à l’aide d’État SA.35550 (13/C) (ex 13/NN) (ex 12/CP) mise à exécution par l’Espagne - régime relatif à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères (JO 2015, L 56, p. 38).}
{2 Dans son appréciation, la Cour s’est en particulier référée aux arrêts du 16 février 2017, Margarit Panicello (C-503/15, EU:C:2017:126), du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C-64/16, EU:C:2018:117), et du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C-619/18, EU:C:2019:531).}
Arrêt du 21 janvier 2020, Banco de Santander (C-274/14) (cf. point 79)
31. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions formulées dans le cadre d'une demande devant le Tribunal tendant au renvoi de l'affaire à la Cour - Incompétence du Tribunal
Ordonnance du 24 juin 2020, Price / Conseil (T-231/20 R) (cf. points 47-51)
32. Questions préjudicielles - Procédure préjudicielle accélérée - Conditions - Circonstances justifiant un traitement rapide
Voir texte de la décision.
33. Questions préjudicielles - Appréciation de validité - Appréciation de la légalité en fonction des éléments d'information disponibles au moment de l'adoption de l'acte
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 4 février 2021, eurocylinder systems (C-324/19) (cf. point 78)
34. Questions préjudicielles - Procédure préjudicielle accélérée - Conditions - Circonstances justifiant un traitement rapide - Incertitude juridique pesant sur les activités des justiciables - Simple intérêt des justiciables à déterminer le plus rapidement possible la portée des droits tirés du droit de l'Union - Nombre important de personnes se trouvant dans la mêmes situation d'incertitude que les justiciables - Nombre important de personnes ou de situations juridiques potentiellement concernées par la décision prise en considération de la décision de la Cour - Exclusion
Voir le texte de la décision.
Ordonnance du 25 février 2021, Sea Watch (C-14/21 et C-15/21) (cf. points 21-24)
35. Questions préjudicielles - Recevabilité - Nécessité de fournir à la Cour suffisamment de précisions sur le contexte factuel et réglementaire - Indication des raisons justifiant la nécessité d'une réponse aux questions préjudicielles - Portée
Frenetikexito est une société commerciale exerçant, au Portugal, des activités de gestion et d’exploitation d’établissements de sport, de bien-être et de culture physiques, ainsi que des activités de suivi et de conseil nutritionnels. En 2014 et en 2015, elle a fourni des services de suivi nutritionnel dans ses locaux par l’intermédiaire d’une nutritionniste qualifiée et certifiée à cet effet. La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) n’a pas été facturée pour ces services.
Frenetikexito proposait dans ses établissements différents programmes, certains comprenant uniquement des services de bien-être et de culture physiques alors que d’autres incluaient en outre un suivi nutritionnel. Chaque client était en mesure de choisir le programme souhaité et de faire usage, ou non, de tous les services mis à sa disposition dans le cadre du programme choisi, le service de suivi nutritionnel étant ainsi facturé, que le client en ait bénéficié ou non. En outre, ce service pouvait être souscrit séparément de tout autre service, moyennant le paiement d’un certain montant.
Frenetikexito opérait, dans ses facturations, une distinction entre les montants liés au service de bien-être et de culture physiques et ceux liés au service de suivi nutritionnel. Il n’y avait pas de correspondance entre les services de suivi nutritionnel facturés et les consultations en nutrition.
Dans le cadre d’un contrôle, l’autorité fiscale a constaté que, pour les exercices fiscaux considérés, les clients de Frenetikexito avaient payé le service de suivi nutritionnel même s’ils n’en bénéficiaient pas. Considérant, dès lors, que la prestation de ce service revêtait un caractère accessoire par rapport à celle du service de bien-être et de culture physiques, cette autorité a appliqué à cette prestation le traitement fiscal de la prestation principale et a procédé à un rappel de TVA assorti des intérêts compensatoires correspondants. Ces sommes n’ayant pas été payées, des procédures d’exécution ont été engagées en vue de leur recouvrement. Néanmoins, estimant que les services de suivi nutritionnel étaient indépendants des services de bien-être et de culture physiques, Frenetikexito a saisi le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif), Portugal] d’un recours visant à faire constater l’illégalité du rappel en cause.
C’est dans ces conditions que la juridiction de renvoi a décidé d’interroger la Cour sur l’interprétation de l’article 132, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112{1}, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, sous c) de la même directive. En vertu de cette dernière disposition, sont soumises à la TVA les prestations de services effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel. Par dérogation à ce principe, en vertu de l’article 132, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA, les États membres exonèrent « les prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de l’exercice des professions médicales et paramédicales telles qu’elles sont définies par l’État membre concerné ».
Dans son arrêt, la Cour examine si un service de suivi nutritionnel, fourni dans des circonstances telles que celles en cause au principal, doit être considéré comme une « prestation accessoire à la prestation principale », soumise à la TVA, ou s’il constitue, au contraire, une prestation de services distincte et indépendante, et, dans l’hypothèse où tel serait le cas, si et à quelles conditions une telle prestation peut être exonérée de TVA.
Appréciation de la Cour
Avant de répondre à la question de savoir si un service de suivi nutritionnel, fourni par un professionnel certifié et habilité au sein d’établissements sportifs, et éventuellement dans le cadre de programmes incluant également des services de bien-être et de culture physiques, constitue une prestation de services indépendante, la Cour recherche, tout d’abord, si ledit service peut entrer dans le champ d’application de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA.
À cet égard, la Cour relève que les « prestations de soins à la personne », au sens de cette disposition, doivent impérativement avoir une finalité thérapeutique, c’est-à-dire être effectuées dans le but de protéger, y compris de maintenir ou de rétablir, la santé des personnes. Pour relever de l’exonération précitée, une prestation doit donc remplir deux conditions : elle doit avoir une finalité thérapeutique et intervenir dans le cadre de l’exercice des professions médicales et paramédicales telles qu’elles sont définies par l’État membre concerné.
En ce qui concerne la seconde condition, il importe de déterminer si un service de suivi nutritionnel, tel que celui en cause au principal, est défini, par le droit de l’État membre concerné, comme étant fourni dans l’exercice d’une profession médicale ou paramédicale. La Cour observe que, en l’occurrence, le service en question était le fait d’une personne qualifiée et habilitée à effectuer des activités paramédicales telles que définies par l’État membre concerné.
Si tel est bien le cas, il convient d’examiner la finalité de la prestation en cause, ce qui correspond à la première condition posée à l’article 132, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA. Dans la mesure où les exonérations prévues à l’article 132 de cette directive s’insèrent dans un chapitre intitulé « Exonérations en faveur de certaines activités d’intérêt général », une activité ne peut pas être exonérée si elle ne répond pas à ladite finalité d’intérêt général.
À cet égard, un service de suivi nutritionnel fourni dans le cadre d’un établissement sportif peut, comme la pratique sportive elle-même, aider à prévenir certaines maladies, comme l’obésité. Un tel service présente donc, en principe, une finalité sanitaire, mais pas nécessairement thérapeutique. En l’absence d’indication qu’il est fourni à une telle fin, le suivi nutritionnel en cause ne répond donc pas au critère de l’activité d’intérêt général, qui est commun à toutes les exonérations prévues à l’article 132 de la directive TVA. Par conséquent, il ne relève pas de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous c), de cette directive, de sorte qu’il est, en principe, assujetti à la TVA.
La Cour examine, ensuite, si le service de suivi nutritionnel est indépendant des services de bien-être et de culture physiques, ce qui conserve un intérêt afin de déterminer le traitement fiscal respectif de ces services. Elle rappelle que, lorsqu’une opération économique est constituée par un faisceau d’éléments et d’actes, il faut prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles se déroule cette opération afin de déterminer s’il s’en dégage une ou plusieurs prestations. En règle générale, chaque prestation doit être considérée comme une prestation distincte et indépendante. Par exception à cette règle, sont considérés comme une prestation unique à caractère complexe les actes fournis par l’assujetti au client si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable. Il existe une autre exception lorsque certains éléments doivent être considérés comme constituant la prestation principale, alors que d’autres éléments doivent être regardés comme des prestations accessoires partageant le sort fiscal de la prestation principale. Les critères pertinents à cet égard sont l’absence de finalité autonome de la prestation du point de vue du consommateur moyen et la prise en compte de la valeur respective de chacune des prestations composant l’opération économique.
Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, aucune de ces exceptions n’est applicable en l’espèce. D’une part, des prestations telles que celles en cause au principal, non indissociablement liées, ne constituent pas une prestation unique à caractère complexe. D’autre part, le suivi diététique a, pour le consommateur moyen, une finalité autonome, d’ordre sanitaire et esthétique, par rapport aux prestations de bien-être et de culture physiques, dont la finalité est d’ordre sportif. Par ailleurs, la facturation de ces prestations, mentionnée par la juridiction de renvoi, montre que 40 % de la contrepartie mensuelle globale à payer est imputable au conseil nutritionnel, en sorte que des prestations de suivi diététique telles que celles en cause au principal ne peuvent être considérées comme accessoires par rapport aux prestations principales que seraient les prestations de bien-être et de culture physiques. Dès lors, de telles prestations sont à considérer comme distinctes et indépendantes les unes des autres aux fins de l’application de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA.
{1} Directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1) (ci-après la « directive TVA »).
Arrêt du 4 mars 2021, Frenetikexito (C-581/19) (cf. points 16, 17)
Ordonnance du 21 décembre 2022, Fallimento Villa di Campo (C-250/22) (cf. points 16, 17)
36. Questions préjudicielles - Procédure préjudicielle d'urgence - Procédure préjudicielle accélérée - Conditions - Circonstances justifiant un traitement rapide - Nécessité de fournir à la Cour suffisamment de précisions sur lesdites circonstances - Absence - Rejet de l'application de ces procédures
En 2014, JR, un ressortissant lituanien, a été condamné, en Norvège, a une peine d’emprisonnement. En application d’un accord bilatéral entre la Norvège et la Lituanie{1}, ce jugement a été reconnu et rendu exécutoire en Lituanie et JR y a été transféré afin d’exécuter le reste de sa peine. En novembre 2016, il a bénéficié d’une mesure de libération conditionnelle mais celle-ci a été révoquée par la suite et l’exécution du reliquat de sa peine a alors été ordonnée. JR ayant pris la fuite vers l’Irlande, les autorités lituaniennes ont émis un mandat d’arrêt européen (MAE) à son encontre. En janvier 2019, JR a été arrêté en Irlande.
Devant la High Court (Haute Cour, Irlande), JR conteste sa remise aux autorités lituaniennes en invoquant, d’une part, le fait que seule la Norvège peut demander son extradition et, d’autre part, le motif de non-exécution facultative d’un MAE lié au caractère extraterritorial de l’infraction{2}. Selon lui, l’infraction à l’origine du MAE ayant été commise dans un autre État (la Norvège) que l’État d’émission du MAE, l’Irlande doit refuser d’exécuter ce MAE.
C’est dans ce contexte que la High Court (Haute Cour) a saisi la Cour. Elle s’interroge sur la possibilité d’émettre un MAE en vue d’exécuter une peine qui a été prononcée par une juridiction d’un État tiers mais qui, en application d’un accord bilatéral, a été reconnue et exécutée partiellement dans l’État membre d’émission. Dans l’affirmative, cette juridiction s’interroge sur la qualification d’« infraction extraterritoriale », pour déterminer si le motif de non-exécution facultative concerné est applicable en l’espèce.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour rappelle qu’un MAE doit être fondé sur une décision judiciaire nationale, distincte de la décision d’émission du MAE. Dans cette perspective, un jugement rendu par une juridiction d’un État tiers, prononçant une peine privative de liberté, ne saurait constituer, en tant que tel, le fondement d’un MAE. En revanche, la Cour juge qu’un MAE peut être fondé sur un acte d’une juridiction de l’État membre d’émission qui reconnaît un tel jugement et qui le rend exécutoire, à condition que la peine privative de liberté en cause soit d’au moins quatre mois.
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour relève, tout d’abord, que de tels actes de reconnaissance et d’exécution d’un État membre constituent des décisions judiciaires, au sens de la décision-cadre relative au MAE{3}, dès lors qu’ils ont été adoptés en vue de l’exécution d’une condamnation. Ensuite, dans la mesure où ces actes permettent l’exécution, dans ce même État membre, d’un jugement, il convient de les qualifier, selon les cas, de « jugement exécutoire » ou de « décision exécutoire ». Enfin, conformément à la décision-cadre relative au MAE{4}, de tels actes relèvent de son champ d’application à condition que la condamnation en question prévoie une peine privative de liberté d’au moins quatre mois. Il n’est pas exigé que la peine à exécuter procède d’un jugement rendu par les juridictions de l’État membre d’émission ou par celles d’un autre État membre.
Toutefois, la Cour ajoute que les autorités judiciaires de l’État membre d’émission sont tenues de veiller au respect des exigences inhérentes au système du MAE en matière de procédure et de droits fondamentaux. Plus précisément, le droit de l’État membre d’émission doit prévoir un contrôle juridictionnel permettant de vérifier que, dans le cadre de la procédure ayant conduit à l’adoption du jugement de condamnation, dans l’État tiers, les droits fondamentaux de la personne concernée aient été respectés. Il en va en particulier du respect des obligations découlant de l’article 47 (droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial) et de l’article 48 (présomption d’innocence et droits de la défense) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
En second lieu, la Cour juge que, pour déterminer si l’infraction à l’origine de la condamnation, prononcée dans un État tiers, et de l’émission ultérieure d’un MAE a été commise « hors du territoire de l’État d’émission »{5}, il est nécessaire de prendre en considération la compétence pénale de cet État tiers (en l’espèce la Norvège), et non celle de l’État membre d’émission.
À cet égard, d’une part, la Cour relève qu’une telle interprétation est compatible avec l’objectif poursuivi par le motif de non-exécution facultative d’un MAE lié à l’extraterritorialité de l’infraction. En effet, ce motif permet d’éviter de faire droit à un MAE visant l’exécution d’une peine prononcée pour une infraction poursuivie sur la base d’une compétence pénale internationale plus large que celle reconnue par le droit de l’État d’exécution. D’autre part, la Cour note que, en revanche, une interprétation contraire compromettrait la réalisation des objectifs généraux de la décision-cadre relative au MAE. En effet, si l’État d’exécution pouvait refuser la remise dans l’hypothèse où le jugement rendu par la juridiction d’un État tiers a été reconnu par l’État d’émission du MAE, ce refus serait non seulement susceptible de retarder l’exécution de la peine, mais risquerait également de conduire à l’impunité de la personne recherchée. De plus, il pourrait décourager les États membres de demander la reconnaissance des jugements et, dans une situation telle que celle en l’espèce, inciter l’État d’exécution d’un jugement reconnu à limiter le recours aux instruments de libération conditionnelle.
{1} Accord bilatéral sur la reconnaissance et l’exécution des jugements en matière pénale imposant des peines d’emprisonnement ou des mesures de privation de liberté, conclu le 5 avril 2011 entre le Royaume de Norvège et la République de Lituanie.
{2} Ce motif est prévu à l’article 4, point 7, sous b), de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre relative au MAE »).
{3} Voir article 1er, paragraphe 1, article 2, paragraphe 1, et article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre relative au MAE.
{4} Voir article 1er, paragraphe 1, et article 2, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE.
{5} Voir article 4, point 7, sous b), de la décision-cadre relative au MAE.
37. Questions préjudicielles - Procédure préjudicielle accélérée - Conditions - Circonstances justifiant un traitement rapide - Risque de violation des droits fondamentaux à l'égard de la requérante au principal et de ses enfants - Admissibilité du recours à cette procédure
CG, titulaire de la double nationalité croate et néerlandaise, vit au Royaume-Uni depuis l’année 2018 sans y exercer d’activité économique. Elle y vivait avec son partenaire, de nationalité néerlandaise, et leurs deux enfants jusqu’à ce qu’elle déménage dans un centre d’accueil pour femmes battues. CG ne dispose d’aucune ressource.
Le 4 juin 2020, le Home Office (ministère de l’Intérieur, Royaume-Uni) lui a accordé le droit de séjour temporaire au Royaume-Uni, sur le fondement d’un nouveau régime britannique applicable aux citoyens de l’Union résidant dans ce pays, instauré dans le contexte du retrait du Royaume-Uni de l’Union. L’octroi d’un tel droit de séjour n’est pas soumis à une condition de ressources.
Le 8 juin 2020, CG a déposé une demande de prestation d’assistance sociale, dénommée crédit universel (Universal Credit), auprès du ministère des communautés d’Irlande du Nord. Cette demande a été rejetée, au motif que la loi sur le crédit universel exclut les citoyens de l’Union qui disposent d’un droit de séjour octroyé sur la base du nouveau régime de la catégorie des bénéficiaires potentiels du crédit universel.
CG a contesté ce refus devant l’Appeal Tribunal (Northern Ireland) (tribunal d’appel pour l’Irlande du Nord, Royaume-Uni), en invoquant, notamment, une différence de traitement entre les citoyens de l’Union résidant légalement au Royaume-Uni et les ressortissants britanniques. Cette juridiction a décidé d’interroger la Cour sur l’éventuelle incompatibilité de la loi britannique sur le crédit universel avec l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité, prévue par l’article 18, premier alinéa, TFUE.
La Cour, réunie en grande chambre, constate la compatibilité de la réglementation britannique avec le principe d’égalité de traitement prévu par l’article 24 de la directive 2004/38{1}, tout en obligeant les autorités nationales compétentes à vérifier qu’un refus d’octroyer les prestations d’assistance sociale fondé sur cette réglementation n’expose pas le citoyen de l’Union et ses enfants à un risque concret et actuel de violation de leurs droits fondamentaux consacrés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Appréciation de la Cour
La demande de la juridiction de renvoi ayant été présentée avant la fin de la période de transition, à savoir avant le 31 décembre 2020, la Cour est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur cette demande, en application de l’article 86, paragraphe 2, de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique{2}.
La Cour précise, tout d’abord, les dispositions du droit de l’Union applicables en l’espèce et conclut que la question de savoir si CG subit une discrimination sur la base de la nationalité doit être appréciée à la lumière de l’article 24 de la directive 2004/38, et non de l’article 18 TFUE, le premier de ces articles concrétisant le principe de non discrimination sur la base de la nationalité consacré entre autres par le second, à l’égard des citoyens de l’Union exerçant leur liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres.
Après avoir constaté que le crédit universel en cause doit être qualifié de prestation d’assistance sociale, au sens de cette directive, la Cour relève que l’accès auxdites prestations est réservé aux citoyens de l’Union qui respectent les conditions définies par la directive 2004/38. À cet égard, la Cour rappelle que, en vertu de l’article 7 de cette directive, l’obligation, pour un citoyen de l’Union économiquement inactif, de disposer de ressources suffisantes constitue une condition pour que celui-ci bénéficie d’un droit de séjour supérieur à trois mois mais inférieur à cinq ans.
Elle confirme ensuite sa jurisprudence selon laquelle un État membre dispose de la faculté, en application de cet article, de refuser l’octroi de prestations d’assistance sociale à des citoyens de l’Union économiquement inactifs qui, à l’instar de CG, exercent leur liberté de circulation et ne disposent pas de ressources suffisantes pour prétendre au bénéfice d’un droit de séjour au titre de cette directive. La Cour précise que, dans le cadre de l’examen concret de la situation économique de chaque intéressé, les prestations demandées ne sont pas prises en compte pour déterminer la possession de ressources suffisantes.
La Cour souligne du reste que la directive 2004/38 n’empêche pas les États membres d’instaurer un régime plus favorable que celui établi par cette directive, conformément à l’article 37 de cette dernière. Or, un droit de séjour accordé sur la base du seul droit national, comme c’est le cas dans le litige au principal, ne saurait aucunement être considéré comme accordé « en vertu de » ladite directive.
Cela étant, CG a exercé sa liberté fondamentale de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres, prévue par le traité, de sorte que sa situation relève du champ d’application du droit de l’Union, même si elle tire son droit de séjour du droit britannique, qui instaure un régime plus favorable par rapport celui prévu par la directive 2004/38. Or, la Cour juge que, lorsqu’elles accordent un tel droit de séjour que celui en cause au principal, sans se prévaloir des conditions et limitations à ce droit prévues par la directive 2004/38, les autorités de l’État membre d’accueil mettent en œuvre les dispositions du traité FUE relatives au statut de citoyen de l’Union, qui a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres.
Conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, ces autorités sont ainsi tenues, lors de l’examen d’une demande de prestations d’assistance sociale telle que celle formée par CG, de se conformer aux dispositions de cette charte, notamment à ses articles 1er (dignité humaine), 7 (respect de la vie privée et familiale) et 24 (droits de l’enfant). Dans le cadre de cet examen, ces autorités peuvent tenir compte de l’ensemble des dispositifs d’assistance prévus par le droit national dont le citoyen concerné et ses enfants peuvent effectivement bénéficier.
{1} Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, ainsi que rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, JO 2005, L 197, p. 34 et JO 2020, L 191, p. 6).
{2} JO 2020, L 29, p. 7.
38. Questions préjudicielles - Procédure préjudicielle accélérée - Conditions - Circonstances justifiant un traitement rapide - Absence
Energieversorgungscenter Dresden-Wilschdorf GmbH & Co. KG (ci-après « EDW ») est une société allemande qui exploite une centrale industrielle de production combinée de chaleur et d’électricité par moteurs à gaz, soumise au système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre à l’échelle de l’Union européenne (ci-après le « SEQE »). Cette centrale de cogénération comprend, en tant qu’unités annexes, des machines frigorifiques à absorption qui transforment la chaleur en froid sans émettre elles-mêmes de gaz à effet de serre.
La centrale de cogénération d’EDW fournit de l’eau chaude, de l’eau froide et de l’eau tiède exclusivement à Global Foundries, une usine de fabrication de semi-conducteurs qui n’est pas soumise au SEQE et dont l’activité relève, en vertu de la réglementation européenne, d’un secteur exposé à un haut risque de fuite de carbone{1}. L’eau tiède fournie par EDW est notamment produite avec la chaleur dégagée par les machines frigorifiques à absorption ainsi qu’en utilisant la chaleur qui revient du circuit réfrigération de Global Foundries vers ces machines.
En 2014, la Deutsche Emissionshandelsstelle (Service allemand d’échange de quotas d’émission, Allemagne, ci-après la « DEHSt ») a accordé à EDW seulement une partie des quotas d’émission à titre gratuit demandés par cette dernière. Dans ce cadre, la DEHSt a considéré, notamment, que les machines frigorifiques à absorption faisaient partie de l’installation d’EDW soumise au SEQE, ce qui avait un impact sur la quantité des quotas d’émission à titre gratuit devant être allouée à EDW. Par ailleurs, elle a refusé le bénéfice du régime applicable aux secteurs exposés à un risque important de fuite de carbone au froid fourni par les machines frigorifiques à Global Foundries. En outre, la DEHSt a refusé d’accorder des droits pour le flux de chaleur constitué d’eau tiède, dans la mesure où la chaleur résulte de l’énergie dégagée par le fonctionnement des machines frigorifiques. La DEHSt a également déduit des quantités de chaleur demandées par EDW l’importation de chaleur du circuit réfrigération de Global Foundries.
EDW a saisi le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin, Allemagne) d’un recours contre les décisions de la DEHSt. Appelée à statuer sur la quantité des quotas d’émission à titre gratuit devant être allouée à EDW, cette juridiction a décidé d’interroger la Cour par la voie préjudicielle sur l’interprétation de différentes dispositions du droit de l’Union applicable en cette matière.
En réponse à ces questions préjudicielles, la Cour précise, notamment, le champ d’application de la directive sur le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre{2}, en interprétant la notion d’« installation » au sens de cette directive.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour confirme que la directive sur le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre ne s’oppose pas à une réglementation nationale permettant l’inclusion, au sein des limites d’une installation soumise au SEQE, des unités annexes qui n’émettent pas de gaz à effet de serre, pour autant qu’elles répondent à la définition d’« installation » au sens de cette directive.
Par conséquent, eu égard à la définition de la notion d’« installation » figurant à l’article 3, sous e), de ladite directive, des unités annexes, telles que les machines frigorifiques annexées à la centrale de cogénération d’EDW, ne sauraient être incluses dans une installation relevant du SEQE qu’à la condition que leur activité se rapporte par un lien technique à une activité indiquée à l’annexe I de la directive qui se déroule dans l’installation et que cette activité est susceptible d’avoir des incidences sur les émissions et la pollution au titre des gaz à effet de serre énumérés à l’annexe II de la directive.
S’agissant du critère tenant aux « incidences sur les émissions et la pollution », la Cour relève, ensuite, que, si une activité ne remplit pas ce critère en raison d’émissions et de pollution qui n’ont pas trait aux gaz à effet de serre, l’article 3, sous e), de la directive n’exige pas que les activités émettent elles-mêmes des gaz à effet de serre, mais seulement qu’existe une incidence potentielle sur les émissions et la pollution au titre de tels gaz. Une activité qui est susceptible d’influer sur le niveau des émissions de gaz à effet de serre d’une activité relevant de l’annexe I de la directive peut, par conséquent, être incluse dans les limites de la même installation que cette dernière activité.
Il s’ensuit que, en l’espèce, les machines frigorifiques annexées à la centrale de cogénération d’EDW et cette centrale thermique pourraient être considérées comme formant une seule et même installation relevant du SEQE à condition que ces machines frigorifiques soient susceptibles d’avoir des incidences sur le niveau des émissions et la pollution générées par cette centrale et que les autres critères fixés à l’article 3, sous e), de la directive sur le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre soient remplis.
En deuxième lieu, la Cour se prononce sur la méthode de calcul du quota d’admissibilité corrigé visé dans le modèle de collecte des données élaboré par la Commission européenne{3}, lequel est utilisé pour déterminer la quantité des quotas d’émission à allouer à titre gratuit.
Conformément à la réglementation applicable{4}, les États membres collectent auprès des exploitants des installations remplissant les conditions d’allocation de quotas d’émission à titre gratuit les informations pertinentes liées à l’activité desdites installations et de leurs sous-installations. En l’occurrence, le modèle de collecte des données élaboré par la Commission prévoyait, pour les sous-installations avec référentiel de chaleur, le calcul de l’ensemble de la chaleur mesurable disponible dans l’installation.
À cet égard, la Cour relève que le quota d’admissibilité corrigé constitue un quota unique calculé et appliqué en fonction d’une approche globale des flux de chaleur de la sous-installation avec référentiel de chaleur. Il s’ensuit que, aux fins du calcul du nombre de quotas d’émission alloués à titre gratuit à une sous-installation avec référentiel de chaleur, ce quota d’admissibilité corrigé doit être calculé et appliqué en fonction d’une approche globale des flux de chaleur de cette sous-installation, même lorsque la chaleur mesurable importée d’une installation qui n’est pas soumise au SEQE peut être imputée à un flux de chaleur particulier dans la sous-installation concernée.
En troisième lieu, la Cour répond par la négative à la question de savoir si, conformément à la réglementation applicable{5}, une installation telle que celle d’EDW peut se voir conférer, aux fins de l’allocation de quotas d’émission à titre gratuit, le bénéfice du régime applicable aux secteurs exposés à un risque important de fuite de carbone{6}pour la partie de chaleur qu’elle n’exporte pas directement à une installation relevant d’un secteur considéré comme étant exposé à un tel risque, telle que Global Foundries, mais qui est consommée au sein des machines frigorifiques à absorption pour la production de l’eau froide qui est acheminée vers cette installation.
{1} Décision 2010/2/UE de la Commission, du 24 décembre 2009, établissant, conformément à la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, la liste des secteurs et sous-secteurs considérés comme exposés à un risque important de fuite de carbone (JO 2010, L 1, p. 10) ; décision 2014/746/UE de la Commission, du 27 octobre 2014, établissant, conformément à la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, la liste des secteurs et sous-secteurs considérés comme exposés à un risque important de fuite de carbone, pour la période 2015-2019 (JO 2014, L 308, p. 114).
{2}Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (JO 2003, L 275, p. 32), telle que modifiée par la directive 2009/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009 (JO 2009, L 140, p. 63) (ci-après la « directive sur le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre »).
{3}Ce modèle était élaboré par la Commission en vertu de l’article 7, paragraphe 5, de la décision 2011/278/UE de la Commission, du 27 avril 2011, définissant des règles transitoires pour l’ensemble de l’Union concernant l’allocation harmonisée de quotas d’émission à titre gratuit conformément à l’article 10 bis de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil (JO 2011, L 130, p. 1) (ci-après la « décision 2011/278 »).
{4} Article 7 de la décision 2011/278.
{5} Article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, de la décision 2011/278.
{6}L’article 10 bis, paragraphe 12, de la directive sur le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre instaurait une exception à la règle générale de la diminution progressive des quantités des quotas alloués gratuitement chaque année aux installations concernées. En application de cette exception, les installations des secteurs ou des sous-secteurs qui étaient exposés à un risque important de fuite de carbone recevaient une quantité de quotas gratuits représentant 100 % de la quantité déterminée.
Arrêt du 11 novembre 2021, Energieversorgungscenter Dresden-Wilschdorf (C-938/19) (cf. points 40-46)
Voir le texte de la décision.
En 2015, la Confédération paysanne, un syndicat agricole français, et huit associations ayant pour objet la protection de l’environnement et la diffusion d’informations concernant les dangers que présentent les organismes génétiquement modifiés (OGM) ont saisi le Conseil d’État (France) d’un recours concernant l’exclusion de certaines techniques ou méthodes de mutagenèse{1} du champ d’application de la réglementation française censée transposer la directive 2001/18{2}, relative à la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement. Dans ce contexte, le Conseil d’État avait adressé à la Cour une demande de décision préjudicielle, laquelle a donné lieu à l’arrêt Confédération paysanne e.a. (C-528/16), prononcé en 2018{3}.
La présente affaire s’inscrit dans le prolongement de cet arrêt, dans lequel la Cour a jugé que ne sont exclus du champ d’application de la directive 2001/18 que les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. Le Conseil d’État a considéré qu’il résulte dudit arrêt que doivent être inclus dans le champ d’application de la directive 2001/18 les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes qui sont apparues ou se sont principalement développées postérieurement à la date de l’adoption de cette directive, notamment au moyen des techniques de « mutagenèse aléatoire in vitro »{4}. Ainsi, le Conseil d’État a prononcé une injonction et, pour en assurer l’exécution, le gouvernement français a, notamment, élaboré un projet de décret relatif à la modification de la liste des techniques d’obtention d’OGM ayant fait l’objet d’une utilisation traditionnelle sans inconvénient avéré pour la santé publique ou l’environnement. Ce projet de décret prévoyait que la mutagenèse aléatoire, à l’exception de la mutagenèse aléatoire in vitro, devait être regardée comme relevant d’une telle utilisation.
À la suite de la notification dudit projet de décret{5}, la Commission européenne a émis un avis circonstancié, dans lequel elle a indiqué qu’il n’était pas justifié, au regard du droit de l’Union et au vu des avancées scientifiques, d’opérer une distinction entre la mutagenèse aléatoire in vivo et la mutagenèse aléatoire in vitro. Le projet de décret n’ayant pas été adopté par les autorités françaises, la Confédération paysanne et le collectif d’associations de protection de l’environnement ont de nouveau saisi le Conseil d’État afin d’obtenir l’exécution de l’injonction prononcée.
La haute juridiction administrative a estimé qu’elle avait besoin de précisions quant à la portée de l’arrêt Confédération paysanne e.a., en vue de déterminer si, au regard des caractéristiques et des usages de la mutagenèse aléatoire in vitro, il y avait lieu de considérer que cette technique/méthode relève du champ d’application de la directive 2001/18. Elle a dès lors saisi la Cour à titre préjudiciel.
Par son arrêt, prononcé en grande chambre, la Cour précise les conditions dans lesquelles les organismes obtenus par l’application d’une technique/méthode de mutagenèse qui est fondée sur les mêmes modalités de modification, par l’agent mutagène, du matériel génétique qu’une technique/méthode de mutagenèse traditionnellement utilisée pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps, mais qui se distingue de cette seconde technique/méthode de mutagenèse par d’autres caractéristiques, sont, en principe, exclus de l’exemption prévue par la directive 2001/18{6}.
Appréciation de la Cour
Tout d’abord, la Cour souligne que la limitation de la portée de l’exemption prévue par la directive 2001/18 quant à l’applicabilité de cette dernière aux techniques/méthodes de mutagenèse, par référence au double critère de l’utilisation traditionnelle pour diverses applications, d’une part, et de la sécurité avérée depuis longtemps, d’autre part{7}, est étroitement liée à l’objectif même de ladite directive{8}, à savoir la protection de la santé humaine et de l’environnement, conformément au principe de précaution. L’application de ce double critère permet ainsi de s’assurer que, en raison de l’ancienneté ainsi que de la variété des utilisations d’une technique/méthode de mutagenèse et des informations disponibles quant à sa sécurité, les organismes obtenus par cette technique/méthode peuvent être disséminés dans l’environnement ou mis sur le marché à l’intérieur de l’Union européenne, sans qu’il apparaisse indispensable, en vue d’éviter la survenance d’effets négatifs sur la santé humaine et l’environnement, de soumettre ces organismes aux procédures d’évaluation des risques{9}.
Dans ce contexte, la Cour constate qu’une extension générale du bénéfice de l’exemption du champ d’application de la directive 2001/18 aux organismes obtenus par l’application d’une technique/méthode de mutagenèse qui est fondée sur les mêmes modalités de modification, par l’agent mutagène, du matériel génétique de l’organisme concerné qu’une technique/méthode de mutagenèse traditionnellement utilisée pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps, mais qui combine ces modalités avec d’autres caractéristiques, distinctes de celles de cette seconde technique/méthode de mutagenèse, ne respecterait pas l’intention du législateur de l’Union.
En effet, la dissémination dans l’environnement ou la mise sur le marché, sans avoir mené à bien une procédure d’évaluation des risques, d’organismes obtenus au moyen d’une telle technique/méthode de mutagenèse est susceptible, dans certains cas, d’impliquer des effets négatifs, le cas échéant irréversibles et affectant plusieurs États membres, sur la santé humaine et l’environnement, même lorsque ces caractéristiques ne tiennent pas aux modalités de modification, par l’agent mutagène, du matériel génétique de l’organisme concerné.
Pour autant, considérer que les organismes obtenus par l’application d’une technique/méthode de mutagenèse traditionnellement utilisée pour diverses applications et dont la sécurité est avérée relèvent nécessairement du champ d’application de la directive 2001/18 lorsque cette technique/méthode a subi une quelconque modification serait de nature à priver largement d’effet utile l’exemption prévue par cette directive. En effet, une telle interprétation pourrait rendre excessivement difficile toute forme d’adaptation des techniques/méthodes de mutagenèse, alors même que cette interprétation n’est pas nécessaire à la réalisation de l’objectif de protection de l’environnement et de la santé humaine poursuivi par ladite directive, conformément au principe de précaution.
Dès lors, la Cour considère que la circonstance qu’une technique/méthode de mutagenèse comprend une ou plusieurs caractéristiques distinctes de celles d’une technique/méthode de mutagenèse traditionnellement utilisée pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ne justifie d’écarter l’exemption prévue par la directive que pour autant qu’il soit établi que ces caractéristiques sont susceptibles d’entraîner des modifications du matériel génétique de l’organisme concerné différentes, par leur nature ou par le rythme auquel elles se produisent, de celles qui résultent de l’application de cette seconde technique/méthode de mutagenèse.
Cela étant, la Cour se penche, dans une dernière partie de son analyse, sur le distinguo entre les techniques de mutagenèse in vivo et in vitro, au cœur du litige au principal. Elle relève à cet égard, à la suite d’une analyse du régime prévu dans la directive 2001/18 concernant les techniques/méthodes impliquant des cultures in vitro, que considérer que, en raison des effets inhérents aux cultures in vitro, un organisme obtenu par l’application in vitro d’une technique/méthode de mutagenèse initialement utilisée in vivo est exclu de l’exemption prévue par la directive 2001/18 méconnaîtrait le fait que le législateur de l’Union n’a pas estimé que ces effets inhérents étaient pertinents en vue de définir le champ d’application de cette directive. En particulier, la Cour relève que la directive 2001/18 prévoit l’exclusion de plusieurs techniques de modification génétique impliquant le recours à des cultures in vitro du régime de contrôle des OGM prévu par cette directive.
{1} Technique permettant de provoquer artificiellement, à l’aide de facteurs chimiques ou physiques, des mutations à un rythme bien plus rapide (de 1 000 à 10 000 fois) que celui des mutations spontanées.
{2} Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil (JO 2001, L 106, p. 1).
{3} Arrêt du 25 juillet 2018, Confédération paysanne e.a. (C-528/16, EU:C:2018:583).
{4} La mutagenèse aléatoire désigne un processus au cours duquel, après avoir provoqué artificiellement, à l’aide de facteurs chimiques ou physiques, des mutations à un rythme bien plus rapide que celui des mutations spontanées, les mutations sont induites dans les organismes d’une manière aléatoire. La mutagenèse aléatoire in vitro est une technique soumettant des cellules de plantes cultivées in vitro à des agents mutagènes chimiques ou physiques, contrairement à la mutagenèse aléatoire in vivo, qui est pratiquée sur les plantes entières ou sur des parties de plantes.
{5} En application de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 2015, L 241, p. 1).
{6} Exemption prévue par l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/18, lu conjointement avec l’annexe I B, point 1, de celle-ci. Aux termes de cette disposition, cette directive ne s’applique pas aux organismes obtenus par les techniques de modification génétique énumérées à l’annexe I B de celle-ci, parmi lesquelles figurent la mutagenèse.
{7} Ce double critère a été dégagé par la Cour dans l’arrêt Confédération paysanne e.a. (C-528/16).
{8} En vertu de l’article 1er de la directive 2001/18, celle-ci vise, conformément au principe de précaution, à protéger la santé humaine et l’environnement, d’une part, lorsqu’il est procédé à la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement à toute autre fin que la mise sur le marché à l’intérieur de l’Union et, d’autre part, lorsque sont placés sur le marché à l’intérieur de l’Union des OGM en tant que produits ou éléments de produits.
{9} Visées respectivement dans la partie B et dans la partie C de la directive 2001/18.
39. Coopération judiciaire en matière pénale - Décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres - Questions préjudicielles - Effets - Suspension de la procédure pénale - Portée - Suspension de l'exécution du mandat d'arrêt européen
40. Questions préjudicielles - Procédure préjudicielle accélérée - Conditions - Circonstances justifiant un traitement rapide - Absence - Nombre important de personnes ou de situations juridiques potentiellement concernées par la décision prise en considération de la décision de la Cour - Nombre important d'affaires suspendues jusqu'à la décision de la Cour - Simple intérêt des justiciables à déterminer le plus rapidement possible la portée des droits tirés du droit de l'Union - Divergence d'interprétation d'une disposition du droit de l'Union au sein des juridictions nationales - Affaire ne touchant pas à des questions fondamentales de droit constitutionnel national et de droit de l'Union
Voir le texte de la décision.
41. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Contenu d'une demande de décision préjudicielle - Réglementation nationale prévoyant le dessaisissement de la juridiction nationale pénale pour avoir pris position sur le cadre factuel de l'affaire dans la demande de décision préjudicielle sous peine d'annulation de la décision à intervenir sur le fond - Inadmissibilité
42. Questions préjudicielles - Procédure préjudicielle accélérée - Conditions - Circonstances justifiant un traitement rapide - Nombre important de personnes ou de situations juridiques potentiellement concernées par la décision prise en considération de la décision de la Cour - Caractère important et sensible du marché public - Simple intérêt des justiciables à déterminer le plus rapidement possible la portée des droits tirés du droit de l'Union - Existence de délais de procédure courts devant la juridiction de renvoi - Exclusion
Voir texte de la décision.
Arrêt du 15 septembre 2022, Veridos (C-669/20) (cf. points 24-26, 28, 29)
43. Questions préjudicielles - Procédure préjudicielle accélérée - Application de l'article 99 du règlement de procédure - Non-lieu à statuer sur la demande de procédure préjudicielle accélérée
Voir le texte de la décision.
Ordonnance du 10 janvier 2023, Ambisig (C-469/22) (cf. points 18, 19)
Voir texte de la décision.
Ordonnance du 9 janvier 2024, Parchetul de pe lângă Tribunalul Braşov (C-75/23) (cf. points 43, 44)
44. Questions préjudicielles - Procédure préjudicielle accélérée - Conditions - Circonstances justifiant un traitement rapide - Absence - Suspension de la procédure pendante devant la juridiction de renvoi dans l'attente de la réponse de la Cour - Personnes visées par la procédure pénale au principal ne se trouvant pas actuellement en détention
À la suite de l’adoption des lois portant sur l’indépendance de la communauté autonome de Catalogne (Espagne) et sur la tenue d’un référendum à cette fin, une procédure pénale a été engagée contre différentes personnes devant le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), la juridiction de renvoi. À l’automne 2019, plusieurs mandats d’arrêt européens (MAE) ont ainsi été émis par cette juridiction. Les procédures d’exécution des MAE émis contre MM. Puigdemont Casamajó et Comín Oliveres ont été suspendues après l’élection de ces derniers au Parlement européen. S’agissant du MAE émis contre M. Puig Gordi, le Nederlandstalige rechtbank van eerste aanleg Brussel (tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, Belgique) a, par une ordonnance adoptée en août 2020, refusé son exécution au motif que, selon lui, la juridiction de renvoi n’était pas compétente pour émettre ce MAE. Par un arrêt prononcé en janvier 2021, la cour d’appel de Bruxelles (Belgique) a rejeté l’appel interjeté contre cette ordonnance.
Dans ce contexte, la juridiction de renvoi pose à la Cour une série de questions visant, pour l’essentiel, à déterminer si une autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter un MAE en alléguant le défaut de compétence de l’autorité judiciaire d’émission pour délivrer ce mandat ou pour juger la personne poursuivie, et si la décision-cadre relative au MAE{1} s’oppose à l’émission d’un nouveau MAE après que l’exécution d’un premier MAE a été refusée.
Par son arrêt, la Cour, réunie en grande chambre, précise notamment les conditions permettant à l’autorité judiciaire d’exécution de refuser de donner suite à un MAE en raison du risque de violation, en cas de remise de la personne recherchée, du droit fondamental de cette personne à un procès équitable{2}, en lien avec un tel défaut de compétence.
Appréciation de la Cour
Dans un premier temps, la Cour énonce qu’une autorité judiciaire d’exécution ne peut pas refuser l’exécution d’un MAE en se fondant sur un motif de non-exécution qui procède non pas de la décision-cadre 2002/584, mais du seul droit de l’État membre d’exécution. À cet égard, la Cour relève que les motifs retenus dans sa jurisprudence comme obligeant ou autorisant à ne pas donner suite à un MAE procèdent tous de la décision-cadre 2002/584. Par ailleurs, admettre qu’un État membre puisse ajouter auxdits motifs d’autres motifs, tirés du droit national, permettant de ne pas exécuter un MAE ferait obstacle au bon fonctionnement du système simplifié de remise des personnes institué par cette décision-cadre. La Cour ajoute cependant qu’un État membre est en droit, à titre exceptionnel, d’invoquer un motif de non-exécution pris de l’obligation de garantir le respect des droits fondamentaux reconnus à la personne concernée par le droit de l’Union{3}, dans le respect des conditions strictes énoncées dans la jurisprudence de la Cour à cet égard.
Dans un deuxième temps, la Cour dit pour droit que l’autorité judiciaire d’exécution ne peut pas vérifier si un MAE a été émis par une autorité judiciaire qui était compétente à cette fin et refuser l’exécution de ce MAE lorsqu’elle estime que tel n’est pas le cas{4}. À cet égard, l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 prévoit que l’autorité judiciaire d’émission est l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission compétente pour délivrer un MAE en vertu du droit de cet État. Si l’autorité judiciaire d’exécution doit s’assurer, avant d’exécuter un MAE, que celui-ci a bien été émis par une autorité judiciaire, elle ne saurait en revanche vérifier que l’autorité en question est compétente pour émettre un tel mandat au regard des règles du droit de l’État membre d’émission. Dans le cadre de l’autonomie procédurale qui lui est reconnue, il appartient en effet à chaque État membre de désigner les autorités judiciaires compétentes pour émettre un MAE, ces autorités judiciaires ayant ensuite à apprécier elles-mêmes leur compétence à cette fin au regard du droit de l’État membre d’émission.
Dans un troisième temps, la Cour indique que l’autorité judiciaire d’exécution appelée à décider de la remise d’une personne faisant l’objet d’un MAE ne peut pas refuser d’exécuter ce dernier au motif que cette personne risque, à la suite de sa remise à l’État membre d’émission, d’être jugée par une juridiction dépourvue de compétence à cette fin sauf si,
- d’une part, cette autorité judiciaire dispose d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés témoignant de l’existence de défaillances systémiques ou généralisées du fonctionnement du système juridictionnel de l’État membre d’émission ou de défaillances affectant la protection juridictionnelle d’un groupe objectivement identifiable de personnes auquel appartiendrait la personne concernée, au regard de l’exigence d’un tribunal établi par la loi, qui impliquent que les justiciables concernés sont, de manière générale, privés, dans cet État membre, d’une voie de droit effective permettant de contrôler la compétence de la juridiction pénale appelée à les juger, et
- d’autre part, ladite autorité judiciaire constate qu’il existe, dans les circonstances particulières de l’affaire en cause, des motifs sérieux et avérés de croire que, compte tenu des éléments fournis par la personne faisant l’objet de ce MAE, la juridiction appelée à connaître de la procédure dont cette personne fera l’objet est, de manière manifeste, dépourvue de compétence à cette fin.
En particulier, la Cour rappelle que la compétence d’une juridiction pour connaître d’une affaire participe de l’exigence d’un « tribunal établi par la loi », découlant de l’article 47 de la Charte. Par conséquent, dès lors qu’une personne faisant l’objet d’un MAE allègue qu’elle sera exposée, à la suite de sa remise, à une violation de son droit à un recours effectif devant un tribunal impartial, en raison d’un défaut de compétence de la juridiction appelée à la juger, il appartient à l’autorité judiciaire d’exécution d’apprécier le bien-fondé de cette allégation dans le cadre de cet examen en deux étapes. Lorsque l’autorité judiciaire d’exécution considère que les éléments dont elle dispose ne tendent pas à démontrer l’existence des défaillances précitées, cette autorité ne saurait refuser d’exécuter ce MAE pour ce motif. En effet, lorsque, dans l’État membre d’émission, des voies de droit permettent de contrôler la compétence de la juridiction appelée à juger une telle personne (sous la forme d’un examen de sa propre compétence par cette juridiction ou d’un recours ouvert devant une autre juridiction), le risque, pour cette même personne, d’être jugée par une juridiction de cet État membre dépourvue de compétence à cette fin peut, en principe, être écarté par l’exercice, par ladite personne, de ces voies de droit. En l’absence d’éléments tendant à démontrer l’existence des défaillances précitées, l’autorité judiciaire d’exécution ne saurait présumer que de telles voies de droit font défaut, cette autorité étant à l’inverse tenue, conformément au principe de confiance mutuelle, de fonder son analyse sur l’existence et l’effectivité desdites voies de droit.
Dans un quatrième et dernier temps, la Cour considère que plusieurs MAE successifs peuvent être émis contre une personne recherchée en vue d’obtenir sa remise par un État membre après que l’exécution d’un premier MAE visant cette personne a été refusée par cet État membre, pour autant que l’exécution d’un nouveau MAE n’aboutirait pas à une violation des droits et des principes juridiques fondamentaux consacrés par l’article 6 TUE{5}, et que l’émission de ce dernier MAE revêt un caractère proportionné. L’émission d’un nouveau MAE peut en effet s’avérer nécessaire, notamment après que les éléments ayant fait obstacle à l’exécution du précédent MAE ont été écartés. Dans le cadre de l’examen du caractère proportionné de l’émission d’un nouveau MAE, l’autorité judiciaire d’émission doit néanmoins tenir compte de la nature et de la gravité de l’infraction pour laquelle la personne recherchée est poursuivie, des conséquences sur cette personne du ou des MAE précédemment émis contre elle ou encore des perspectives d’exécution d’un éventuel nouveau MAE.
{1} Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2002/584 »).
{2} Ce droit est consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
{3} Article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584.
{4} La Cour se prononce sur le fondement de l’article 1er, paragraphes 1 et 2, et de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584.
{5} Cette obligation est prévue à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584
Arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a. (C-158/21) (cf. points 26-30)
45. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Conditions - Respect des droits fondamentaux - Établissement par la juridiction nationale statuant en matière pénale, avant tout jugement sur le fond, de la matérialité de certains faits afin de pouvoir saisir la Cour - Respect des garanties procédurales prévues par le droit national - Admissibilité
Voir texte de la décision.
46. Questions préjudicielles - Procédure préjudicielle accélérée - Conditions - Circonstances justifiant un traitement rapide - Absence - Simple intérêt des justiciables à déterminer le plus rapidement possible la portée des droits tirés du droit de l'Union - Simples intérêts économiques
Voir texte de la décision.
Arrêt du 20 avril 2023, Starkinvest (C-291/21) (cf. point 33)
47. Questions préjudicielles - Procédure préjudicielle accélérée - Conditions - Circonstances justifiant un traitement rapide - Caractère sensible et complexe des problèmes juridiques posés ne se prêtant pas à l'application d'une telle procédure
L’affaire C-615/20
Sur la base d’un acte d’accusation émanant de la Prokuratura Okręgowa w Warszawie (parquet régional de Varsovie, Pologne), YP et d’autres prévenus ont été poursuivis devant le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne) du chef d’une série d’infractions pénales. Cette affaire a été attribuée à une formation à juge unique de cette juridiction, composée du juge I. T.
Alors que cette affaire se trouvait à un stade très avancé de la procédure, la Prokuratura Krajowa Wydział Spraw Wewnętrznych (parquet national, section des affaires intérieures, Pologne) a, le 14 février 2020, saisi la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne){1} d’une demande d’autorisation de poursuivre pénalement le juge I. T. pour avoir, en décembre 2017, autorisé des représentants des médias à capter des images et des sons pendant une audience ainsi que pendant le prononcé d’une décision dans l’affaire concernée et l’exposé oral de ses motifs et, ce faisant, prétendument divulgué des informations provenant de la procédure d’instruction du parquet régional de Varsovie dans l’affaire en cause.
Par une résolution du 18 novembre 2020 (ci-après la « résolution litigieuse »), la chambre disciplinaire a autorisé l’ouverture d’une procédure pénale contre le juge I. T., suspendu celui-ci de ses fonctions et réduit le montant de sa rémunération à concurrence de 25 % pour la durée de cette suspension.
La juridiction de renvoi, qui est la formation du tribunal régional de Varsovie en charge de la procédure pénale engagée notamment à l’encontre de YP et au sein de laquelle le juge I. T. siège en tant que juge unique, relève que la résolution litigieuse est de nature à faire obstacle à ce qu’elle puisse poursuivre cette procédure. Elle a, dans ce contexte, décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour, en substance, sur la compatibilité avec le droit de l’Union de dispositions nationales qui confèrent à une instance dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas garanties, la compétence pour autoriser l’ouverture de procédures pénales contre des juges des juridictions de droit commun et, en cas de délivrance d’une telle autorisation, pour suspendre les fonctions des juges concernés et pour réduire la rémunération de ceux-ci durant ladite suspension. Ses questions visent, en substance, à déterminer si, eu égard aux dispositions et principes du droit de l’Union{2}, le juge unique composant cette juridiction demeure fondé à poursuivre l’examen de l’affaire au principal nonobstant la résolution litigieuse ayant suspendu celui-ci de ses fonctions.
L’affaire C-671/20
Une autre procédure pénale oppose le parquet régional de Varsovie à M. M., inculpé également du chef de diverses infractions pénales, au sujet d’une décision de ce parquet ayant ordonné la constitution d’une hypothèque forcée sur un immeuble appartenant à M. M. Ce dernier a formé un recours contre cette décision devant le tribunal régional de Varsovie, juridiction au sein de laquelle l’affaire liée à ce recours a d’abord été attribuée au juge I. T.
À la suite de l’adoption de la résolution litigieuse ayant notamment suspendu le juge I. T. de ses fonctions, le président du tribunal régional de Varsovie a chargé la présidente de la section dans laquelle siégeait le juge I. T. de modifier la composition de la formation de jugement dans les affaires qui avaient été attribuées à ce juge, à l’exception de l’affaire dans laquelle le juge I. T. avait saisi la Cour de la demande préjudicielle faisant l’objet de l’affaire C-615/20. En conséquence, cette présidente de section a adopté une ordonnance procédant à la réattribution des affaires initialement attribuées au juge I. T., parmi lesquelles l’affaire relative à M. M.
Selon la juridiction de renvoi, à savoir une autre formation à juge unique du tribunal régional de Varsovie à laquelle cette affaire a été réattribuée, ces événements témoignent de ce que le président de ce tribunal a reconnu une force contraignante à la résolution litigieuse en considérant que la suspension des fonctions du juge I. T. faisait obstacle à ce que ladite affaire soit examinée par ce juge ou qu’il existait un obstacle durable à un tel examen.
Or, cette juridiction s’interroge sur le caractère contraignant d’un acte tel que la résolution litigieuse et sur la légitimité des autres formations de jugement désignées à la suite de l’exécution de cette résolution. Elle indique, par ailleurs, que des dispositions nationales récentes lui interdisent, sous peine de sanctions disciplinaires, d’examiner le caractère contraignant de ladite résolution. Ses questions à la Cour visent, en substance, à déterminer si, eu égard aux dispositions et aux principes du droit de l’Union{3}, elle peut, sans risquer d’engager la responsabilité disciplinaire du juge unique siégeant en son sein, tenir la résolution litigieuse pour dépourvue de force contraignante, de sorte qu’elle ne serait pas fondée à juger l’affaire au principal lui ayant été réattribuée à la suite de cette résolution, et si cette affaire doit, partant, être à nouveau attribuée au juge initialement en charge de celle-ci.
Dans son arrêt, rendu dans ces affaires jointes, la Cour, réunie en grande chambre, se réfère aux enseignements contenus dans sa jurisprudence{4}, notamment dans l’arrêt du 5 juin 2023, Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges){5}. Elle dit pour droit, en substance, que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE s’oppose à des dispositions nationales qui permettent à une instance, telle que la chambre disciplinaire, dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas garanties de lever l’immunité d’un juge, de le suspendre de ses fonctions ainsi que de réduire sa rémunération. Elle précise également, à la lumière du principe de primauté du droit de l’Union et du principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, les conséquences d’une telle conclusion pour la juridiction nationale à l’égard d’un acte tel que la résolution litigieuse impliquant, en méconnaissance de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, la suspension des fonctions d’un juge siégeant en tant que juge unique, ainsi que pour les organes judiciaires compétents en matière de détermination et de modification de la composition des formations de jugement de ladite juridiction nationale.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour dit pour droit que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE s’oppose à des dispositions nationales qui confèrent à une instance dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas garanties la compétence pour autoriser l’ouverture de procédures pénales contre des juges des juridictions de droit commun et, en cas de délivrance d’une telle autorisation, pour suspendre les fonctions des juges concernés et pour réduire la rémunération de ceux-ci durant ladite suspension.
À cet égard, la Cour relève que, depuis l’introduction de ces deux affaires préjudicielles, elle a rendu l’arrêt Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges) dans lequel elle a notamment jugé que, en habilitant la chambre disciplinaire, dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas garanties{6}, à statuer sur des affaires ayant une incidence directe sur le statut et l’exercice des fonctions de juge, telles que des demandes d’autorisation d’ouvrir une procédure pénale contre des juges, la Pologne avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE{7}.
Dans l’arrêt précité, la Cour a souligné que la simple perspective, pour les juges, d’encourir le risque qu’une autorisation de les poursuivre pénalement puisse être demandée et obtenue auprès d’une instance dont l’indépendance ne serait pas garantie est susceptible d’affecter leur propre indépendance et qu’il en va de même s’agissant des risques de voir une telle instance décider de la suspension éventuelle de ceux-ci de leurs fonctions et d’une réduction de leur rémunération{8}.
En l’occurrence, la résolution litigieuse a été adoptée à l’égard du juge I. T.{9}, sur le fondement des dispositions nationales que la Cour a, dans l’arrêt précité, jugées contraires à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, en ce qu’elles confèrent la compétence pour adopter des actes tels que cette résolution à une telle instance.
Si les autorités de l’État membre concerné sont tenues de modifier les dispositions nationales ayant fait l’objet d’un arrêt en manquement pour les rendre conformes aux exigences du droit de l’Union, les juridictions de cet État membre ont, de leur côté, l’obligation d’assurer le respect de cet arrêt dans l’exercice de leur mission, ce qui implique, notamment, que ces juridictions doivent tenir compte, s’il y a lieu, des éléments juridiques contenus dans celui-ci en vue de déterminer la portée des dispositions du droit de l’Union qu’elles ont pour mission d’appliquer. Par conséquent, la juridiction de renvoi dans l’affaire C-615/20 est appelée à tirer, dans l’affaire au principal, toutes les conséquences découlant des enseignements de l’arrêt Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges).
En deuxième lieu, la Cour interprète l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, le principe de primauté du droit de l’Union et le principe de coopération loyale en ce sens :
- d’une part, qu’une formation de jugement d’une juridiction nationale, saisie d’une affaire et composée d’un juge unique à l’encontre duquel une instance dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas garanties a adopté une résolution autorisant l’ouverture de poursuites pénales et ordonnant la suspension des fonctions de celui-ci ainsi que la réduction de sa rémunération, est fondée à écarter l’application d’une telle résolution faisant obstacle à l’exercice de sa compétence dans cette affaire, et,
- d’autre part, que les organes judiciaires compétents en matière de détermination et de modification de la composition des formations de jugement de cette juridiction nationale doivent également écarter l’application de cette résolution faisant obstacle à l’exercice de cette compétence par ladite formation de jugement.
À cet égard, elle rappelle que, en vertu d’une jurisprudence constante{10}, le principe de primauté du droit de l’Union impose, notamment, à tout juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union, l’obligation d’assurer le plein effet des exigences de ce droit dans le litige dont il est saisi en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute réglementation ou pratique nationale qui est contraire à une disposition du droit de l’Union d’effet direct, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de cette réglementation ou pratique nationale par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel. Le respect de cette obligation constitue une expression du principe de coopération loyale.
Or, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, interprété à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux{11}, bénéficie d’un effet direct qui implique de laisser inappliquée toute disposition nationale, jurisprudence ou pratique nationale contraire à ces dispositions du droit de l’Union, telles qu’interprétées par la Cour{12}.
Même en l’absence de mesures législatives nationales ayant mis fin à un manquement constaté par la Cour, les juridictions nationales doivent prendre toutes les mesures pour faciliter la réalisation du plein effet du droit de l’Union conformément aux enseignements contenus dans l’arrêt constatant ce manquement. Elles doivent, par ailleurs, en vertu du principe de coopération loyale, effacer les conséquences illicites d’une violation du droit de l’Union.
Pour satisfaire auxdites obligations, une juridiction nationale doit écarter l’application d’un acte tel que la résolution litigieuse ayant, en méconnaissance de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ordonné la suspension des fonctions d’un juge lorsque cela est indispensable au regard de la situation procédurale en cause pour garantir la primauté du droit de l’Union{13}.
Enfin, la Cour souligne que, lorsqu’un acte tel que la résolution litigieuse a été adopté par une instance ne constituant pas un tribunal indépendant et impartial au sens du droit de l’Union, aucune considération tirée du principe de sécurité juridique ou liée à une prétendue autorité de chose jugée de cette résolution ne saurait être utilement invoquée afin d’empêcher la juridiction de renvoi et les organes judiciaires compétents en matière de détermination et de modification de la composition des formations de jugement de la juridiction nationale d’écarter l’application d’une telle résolution{14}.
À cet égard, la Cour observe que la procédure au principal dans l’affaire C-615/20 a été suspendue par la juridiction de renvoi, dans l’attente du présent arrêt. Dans ce contexte, la poursuite de cette procédure par le juge composant la formation à juge unique de la juridiction de renvoi, en particulier au stade avancé auquel se trouve ladite procédure qui serait particulièrement complexe, ne paraît pas pouvoir nuire à la sécurité juridique. Elle semble, au contraire, de nature à permettre que le traitement de l’affaire au principal puisse aboutir à une décision qui soit conforme, d’une part, aux exigences découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et, d’autre part, au droit des justiciables concernés à un procès équitable dans un délai raisonnable.
Dans ces conditions, la juridiction de renvoi dans l’affaire C-615/20 est fondée à écarter l’application de la résolution litigieuse, afin de pouvoir poursuivre l’examen de l’affaire au principal dans sa composition actuelle sans que les organes judiciaires compétents en matière de détermination et de modification de la composition des formations de jugement de la juridiction nationale puissent y faire obstacle.
En troisième lieu, la Cour interprète l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que les principes de primauté du droit de l’Union et de coopération loyale en lien avec la situation d’une formation de jugement d’une juridiction nationale, telle que la juridiction de renvoi dans l’affaire C-671/20, à laquelle une affaire jusqu’alors attribuée à une autre formation de jugement de cette juridiction nationale a été réattribuée en conséquence d’un acte de la chambre disciplinaire tel que la résolution litigieuse, pour déterminer, notamment, si cette juridiction de renvoi doit, en l’espèce, écarter l’application de cette résolution et s’abstenir de poursuivre l’examen de ladite affaire.
Elle souligne, à cet égard, que l’obligation, pour les juridictions nationales, d’écarter l’application d’une résolution entraînant, en méconnaissance de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, la suspension des fonctions d’un juge, lorsque cela est indispensable au regard de la situation procédurale en cause pour garantir la primauté du droit de l’Union, s’impose, notamment, à la formation de jugement à laquelle l’affaire aurait été réattribuée en raison d’une telle résolution. Cette formation de jugement doit, en conséquence, s’abstenir de connaître de cette affaire. Ladite obligation lie aussi les organes compétents en matière de détermination et de modification de la composition des formations de jugement de la juridiction nationale, lesquels doivent, partant, réattribuer la même affaire à la formation de jugement qui en était initialement saisie.
En l’occurrence, aucune considération tirée du principe de sécurité juridique ou liée à une prétendue autorité de chose jugée de ladite résolution ne saurait être utilement invoquée.
À cet égard, la Cour relève que, dans l’affaire C-671/20, et à la différence d’autres affaires attribuées au juge I. T. qui auraient, entre-temps, également été réattribuées à d’autres formations de jugement, mais dont l’examen aurait été poursuivi voire, le cas échéant, clôturé par l’adoption d’une décision par ces nouvelles formations, la procédure au principal a été suspendue dans l’attente du présent arrêt. Dans ces conditions, une reprise de cette procédure par le juge I. T. paraît de nature à permettre que ladite procédure puisse, nonobstant le retard causé par la résolution litigieuse, aboutir à une décision qui soit conforme à la fois aux exigences découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à celles découlant du droit du justiciable concerné à un procès équitable.
Partant, la Cour interprète l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que les principes de primauté du droit de l’Union et de coopération loyale en ce sens que :
- d’une part, une formation de jugement d’une juridiction nationale qui, s’étant vu réattribuer une affaire jusqu’alors attribuée à une autre formation de jugement de cette juridiction en conséquence d’une résolution adoptée par une instance dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas garanties et qui a autorisé l’ouverture de poursuites pénales contre le juge unique composant cette dernière formation de jugement et ordonné la suspension des fonctions de celui-ci ainsi que la réduction de sa rémunération, a décidé de suspendre le traitement de cette affaire dans l’attente d’une décision préjudicielle de la Cour, doit écarter l’application de cette résolution et s’abstenir de poursuivre l’examen de ladite affaire, et,
- d’autre part, les organes judiciaires compétents en matière de détermination et de modification de la composition des formations de jugement de la juridiction nationale sont, en pareil cas, tenus de réattribuer cette même affaire à la formation de jugement initialement en charge de celle-ci.
En ce qui concerne, en quatrième lieu, les dispositions nationales et la jurisprudence d’une juridiction constitutionnelle mentionnées par la juridiction de renvoi dans l’affaire C-671/20{15}, qui feraient obstacle à ce que cette dernière juridiction puisse, alors même qu’elle y serait tenue eu égard aux réponses apportées par la Cour à ses autres questions, se prononcer sur l’absence de force contraignante d’un acte tel que la résolution litigieuse et écarter, le cas échéant, l’application de celui-ci, la Cour relève que le fait, pour une juridiction nationale, d’exercer les missions qui lui sont confiées par les traités et de respecter les obligations qui pèsent sur elle en vertu de ceux-ci, en donnant effet à une disposition telle que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ne saurait ni lui être interdit ni être érigé en infraction disciplinaire dans le chef des juges siégeant dans une telle juridiction{16}.
De même, eu égard à l’effet direct dont est revêtu l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, le principe de primauté du droit de l’Union impose aux juridictions nationales de laisser inappliquée toute jurisprudence nationale contraire à cette disposition du droit de l’Union telle qu’interprétée par la Cour. Ainsi, dans l’hypothèse où, à la suite d’arrêts rendus par la Cour, une juridiction nationale serait amenée à considérer que la jurisprudence d’une juridiction constitutionnelle est contraire au droit de l’Union, le fait, pour une telle juridiction nationale, de laisser inappliquée ladite jurisprudence constitutionnelle, conformément au principe de primauté de ce droit, ne saurait être de nature à engager sa responsabilité disciplinaire{17}.
Par conséquent, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que les principes de primauté du droit de l’Union et de coopération loyale s’opposent :
- d’une part, à des dispositions nationales qui interdisent à une juridiction nationale, sous peine de sanctions disciplinaires infligées aux juges composant celle-ci, d’examiner le caractère contraignant d’un acte adopté par une instance dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas garanties et qui a autorisé l’ouverture de poursuites pénales contre un juge et ordonné la suspension des fonctions de celui-ci ainsi que la réduction de sa rémunération, et, le cas échéant, d’écarter l’application de cet acte, et,
- d’autre part, à la jurisprudence d’une cour constitutionnelle en vertu de laquelle les actes de nomination des juges ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, dans la mesure où ladite jurisprudence est de nature à faire obstacle à ce même examen.
{1} La loi sur la Cour suprême, du 8 décembre 2017, a institué, au sein du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), une nouvelle chambre disciplinaire dénommée Izba Dyscyplinarna (ci-après la « chambre disciplinaire »). Par une loi du 20 décembre 2019 ayant modifié la loi sur la Cour suprême, entrée en vigueur en 2020, cette chambre s’est vu attribuer de nouvelles compétences, notamment, pour autoriser l’ouverture d’une procédure pénale contre les juges ou leur placement en détention provisoire (article 27, paragraphe 1, point 1a).
{2} À savoir l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’article 2 TUE et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE consacrant le principe de l’État de droit et les exigences de protection juridictionnelle effective, ainsi que les principes de primauté, de coopération loyale et de sécurité juridique.
{3} À savoir l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ainsi que les principes de primauté, de coopération loyale et de sécurité juridique.
{4} Relative au défaut d’indépendance et d’impartialité de la chambre disciplinaire instituée par la loi sur la Cour suprême de 2017, telle que modifiée dans le cadre de la réforme de la justice polonaise de 2019.
{5} Arrêt du 5 juin 2023, Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges) (C-204/21, EU:C:2023:442).
{6} Au point 102 de l’arrêt Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges), la Cour, s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure [point 112 de l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C-791/19, EU:C:2021:596)], a réitéré son appréciation selon laquelle la chambre disciplinaire ne satisfait pas à l’exigence d’indépendance et d’impartialité requise.
{7} Arrêt Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges), dispositif 1.
{8} Arrêt Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges), point 101.
{9} À savoir une juridiction de droit commun susceptible d’être appelée à statuer, au titre de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation du droit de l’Union.
{10} Voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle) (C-430/21, EU:C:2022:99, point 53 et jurisprudence citée, ainsi que point 55 et jurisprudence citée).
{11} Qui met à la charge des États membres une obligation de résultat claire et précise et qui n’est assortie d’aucune condition, notamment en ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité des juridictions appelées à interpréter et à appliquer le droit de l’Union et l’exigence que celles-ci soient préalablement établies par la loi.
{12} Arrêt Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges), point 78 et jurisprudence citée.
{13} Voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême - Nomination) (C-487/19, EU:C:2021:798, points 159 et 161).
{14} Voir, en ce sens, arrêt W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême - Nomination), point 160.
{15} L’article 42a, paragraphes 1 et 2, de la loi relative aux juridictions de droit commun du 27 juillet 2001, telle que modifiée par la loi du 20 décembre 2019, prévoit, notamment, à charge desdites juridictions, des interdictions de remettre en cause la légitimité des juridictions ou d’apprécier la légalité de ...
48. Aides accordées par les États - Récupération d'une aide illégale - Application du droit national - Mesures internes de récupération d'une aide déclarée illégale - Compétence exclusive des juridictions nationales - Juridictions nationales habilitées à saisir la Cour à titre préjudiciel - Violation du principe de protection juridictionnelle - Absence
49. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Actes pris par les institutions - Interprétation des motifs d'un arrêt antérieur de la Cour - Inclusion
Ordonnance du 27 novembre 2023, Groupama Asigurări (C-310/23) (cf. points 18, 19, disp. 1)
50. uestions préjudicielles - Réponse pouvant être clairement déduite de la jurisprudence - Application de l'article 99 du règlement de procédure
Ordonnance du 1er décembre 2023, EV (Précurseurs de drogues) (C-174/22) (cf. points 35,36)
51. Questions préjudicielles - Procédure préjudicielle accélérée - Conditions - Circonstances justifiant un traitement rapide - Absence - Nombre important de personnes ou de situations juridiques potentiellement concernées par les questions posées - Incertitude quant aux conséquences de la décision mettant un terme à la procédure au principal sur la garde des enfants du requérant
En juin 2020, les autorités belges ont émis un mandat d’arrêt européen (MAE) à l’encontre de GN aux fins de l’exécution d’une peine d’emprisonnement prononcée pour des infractions de trafic d’êtres humains et de facilitation de l’immigration clandestine, commises en 2016 et en 2017.
Le 2 septembre 2021, GN a été arrêtée à Bologne (Italie). Au moment de son arrestation, elle était enceinte et accompagnée de son fils de moins de trois ans qui vivait avec elle. Au regard de sa situation, la Corte d’appello di Bologna (cour d’appel de Bologne, Italie) a demandé, en vain, aux autorités belges de lui fournir des informations portant, entre autres, sur les modalités d’exécution, en Belgique, des peines prononcées contre les mères vivant avec leurs enfants mineurs, ainsi que sur les mesures envisagées à l’égard de ces enfants.
Par un arrêt du 15 octobre 2021, cette juridiction a refusé la remise de GN au motif que, en l’absence de réponse satisfaisante à cette demande d’informations, il n’y avait aucune certitude que le droit belge connaisse un régime de détention protégeant les droits des mères et de leurs enfants en bas âge dans une mesure comparable à celui en vigueur en Italie.
Saisie d’un pourvoi contre cette décision de refus, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), la juridiction de renvoi, indique que ni les dispositions de la loi italienne en vigueur{1} ni la décision-cadre 2002/584{2} ne prévoient, comme motif de refus d’exécution d’un MAE, l’hypothèse où la personne recherchée est la mère d’enfants en bas âge vivant avec elle. Elle se demande toutefois si elle peut refuser d’exécuter un MAE en raison du fait que la remise de la mère d’enfants en bas âge à l’État membre d’émission risquerait de porter atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale ainsi qu’à l’intérêt supérieur de ses enfants, tels que protégés, respectivement, par les articles 7 et 24 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »){3}.
Dans son arrêt, la Cour, réunie en grande chambre, dit pour droit que la décision-cadre 2002/584{4}, lue à la lumière de la Charte{5}, s’oppose à ce que l’autorité judiciaire d’exécution refuse la remise de la personne faisant l’objet d’un MAE au motif que cette personne est la mère d’enfants en bas âge vivant avec elle, à moins que, premièrement, cette autorité dispose d’éléments qui démontrent l’existence d’un risque réel de violation du droit fondamental au respect de la vie privée et familiale de cette personne et de l’intérêt supérieur de ses enfants en raison de défaillances systémiques ou généralisées en ce qui concerne les conditions de détention des mères d’enfants en bas âge et de prise en charge de ces enfants dans l’État membre d’émission et, deuxièmement, qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que, eu égard à leur situation personnelle, les personnes concernées courront ce risque en raison de telles conditions.
Appréciation de la Cour
Tout d’abord, la Cour indique que la décision-cadre 2002/584 ne prévoit pas la possibilité de refuser l’exécution d’un MAE au seul motif que la personne recherchée est la mère d’enfants en bas âge vivant avec elle. En effet, eu égard au principe de confiance mutuelle entre les États membres, il existe une présomption que les conditions de détention d’une mère de tels enfants et la prise en charge de ces derniers dans l’État membre d’émission du MAE sont adaptées à une telle situation.
Néanmoins, la décision-cadre 2002/584{6} ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux garantis par la Charte et, en l’occurrence, plus particulièrement, ceux consacrés à ses articles 7 et 24, paragraphes 2 et 3. Ainsi, d’une part, l’obligation de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant s’applique également dans le contexte d’un MAE émis à l’égard de la mère d’enfants en bas âge qui, même s’il n’a pas pour destinataires ces enfants, emporte des conséquences importantes pour ces derniers. D’autre part, tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt, ce dernier devant être apprécié en prenant en compte l’ensemble des circonstances de l’espèce. La possibilité pour un parent et son enfant d’être ensemble représente d’ailleurs un élément fondamental de la vie familiale.
Il s’ensuit que l’autorité judiciaire d’exécution peut, à titre exceptionnel, s’abstenir de donner suite au MAE s’il existe un risque réel que l’exécution de celui-ci entraîne une violation des droits fondamentaux susmentionnés. Cependant, une absence de certitude de cette autorité quant à l’existence, dans l’État membre d’émission, de conditions comparables à celles qui existent dans l’État membre d’exécution en ce qui concerne la détention de mères d’enfants en bas âge et la prise en charge de ces derniers, ne saurait permettre de considérer ce risque comme étant établi. Ladite autorité est tenue de vérifier, dans le cadre d’un examen en deux étapes, d’une part, s’il existe des défaillances systémiques ou généralisées en ce qui concerne ces conditions dans l’État membre d’émission, ou de défaillances concernant lesdites conditions et affectant plus spécifiquement un groupe objectivement identifiable de personnes et, d’autre part, s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que, en raison de telles conditions et eu égard à leur situation personnelle, les personnes concernées par un MAE courront un risque réel de violation de leurs droits fondamentaux.
Si l’autorité judiciaire d’exécution estime qu’elle ne dispose pas de toutes les informations nécessaires pour prendre une décision sur la remise, elle doit demander à l’autorité judiciaire d’émission la fourniture d’informations complémentaires et cette dernière est tenue de les lui fournir. En effet, afin de ne pas paralyser le fonctionnement du MAE, ces autorités doivent coopérer loyalement{7}.
Par conséquent, c’est uniquement lorsque l’autorité judiciaire d’exécution considère que, au regard des informations dont elle dispose, y compris l’éventuelle absence de garanties fournies par l’autorité judiciaire d’émission, l’exécution du MAE est susceptible de créer un risque réel de violation des droits fondamentaux en cause des personnes concernées, que cette autorité doit s’abstenir de donner suite à ce MAE.
{1} Legge n. 69 - Disposizioni per conformare il diritto interno alla decisione quadro 2002/584/GAI del Consiglio, del 13 giugno 2002, relativa al mandato d’arresto europeo e alle procedure di consegna tra Stati membri (loi no 69 portant dispositions visant à mettre le droit interne en conformité avec la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres), du 22 avril 2005 (GURI nº 98, du 29 avril 2005, p. 6), dans sa version issue du decreto legislativo n. 10 (décret législatif nº 10), du 2 février 2021 (GURI nº 30, du 5 février 2021), et applicable aux faits au principal.
{2} Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2002/584 »).
{3} L’article 7 de la Charte concerne le droit au respect de la vie privée et familiale, tandis que l’article 24, paragraphe 2, prévoit que « dans tous les actes relatifs aux enfants […] l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Le paragraphe 3 du même article dispose que « [t]out enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt ».
{4} Article 1er, paragraphes 2 et 3, de cette décision-cadre.
{5} Article 7 et article 24, paragraphes 2 et 3, de la Charte.
{6} Article 1er, paragraphe 3, de cette décision-cadre.
{7} Le principe de coopération loyale est prévu à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE.
52. Questions préjudicielles - Procédure préjudicielle accélérée - Conditions - Circonstances justifiant un traitement rapide - Intérêt des justiciables à déterminer le plus rapidement possible la portée des droits tirés du droit de l'Union - Exclusion - Litige national présentant un caractère urgent - Exclusion
Ordonnance du 20 février 2024, Getin Noble Bank (C-34/23) (cf. point 24)
53. Questions préjudicielles - Recevabilité - Questions posées sans suffisamment de précisions sur les raisons justifiant la nécessité d'une réponse aux questions préjudicielles - Absence de lien de rattachement entre le litige au principal et les dispositions de droit de l'Union visées par les questions préjudicielles - Irrecevabilité manifeste
Voir texte de la décision.
54. Questions préjudicielles - Appréciation de validité - Demande visant à constater la carence d'une institution de l'Union - Inadmissibilité
Saisie à titre préjudiciel par le Landesverwaltungsgericht Tirol (tribunal administratif régional du Tyrol, Autriche), la Cour, d’une part, confirme la validité de l’article 12 et de l’annexe IV de la directive « habitats »{1}, qui instaurent un système de protection stricte de certaines espèces animales, et, d’autre part, précise les conditions d’application du régime dérogatoire à cette protection, tel que prévu à l’article 16 de cette même directive.
En 2022, un spécimen d’animal sauvage appartenant à l’espèce canis lupus (loup) s’est révélé être à l’origine de plusieurs attaques de moutons au sein du Land du Tyrol. Estimant que ce loup représentait un important danger immédiat pour les animaux au pâturage et les cultures agricoles, la Tiroler Landesregierung (gouvernement du Land du Tyrol, Autriche) a ainsi autorisé le prélèvement dudit loup, en l’excluant de la protection stricte dont bénéficie cette espèce animale en vertu de l’article 12 et l’annexe IV de la directive « habitats ».
Dans ce contexte, plusieurs organisations de protection animale et de l’environnement ont introduit un recours devant la juridiction de renvoi en faisant valoir que la décision de prélèvement ne répondait pas aux conditions de dérogation prévues à l’article 16 de cette directive.
Considérant que la population de loups en Autriche s’est développée depuis l’entrée en vigueur de la directive « habitats », cette juridiction s’interroge, d’une part, sur la validité de l’article 12, paragraphe 1, de cette directive, lu en combinaison avec son annexe IV, au regard du principe d’égalité entre États membres, dans la mesure où cette annexe excepte certaines populations de loups situées sur le territoire d’autres États membres du système de protection stricte mis en place à l’article 12 de cette directive, mais n’excepte pas la population de loups en Autriche. D’autre part, la juridiction s’interroge également sur les conditions d’octroi d’une dérogation à cette protection stricte au titre de l’article 16 de la même directive.
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour rappelle que la validité d’un acte de l’Union doit être appréciée par rapport aux éléments dont dispose le législateur de l’Union à la date d’adoption de la réglementation en cause. En l’occurrence, lors de son adhésion à l’Union le 1er janvier 1995, la République d’Autriche n’a formulé aucune réserve quant à l’inscription à l’annexe IV de la directive « habitats » de la population de loups présente sur son territoire ni apporté aucun élément de preuve de nature à démontrer qu’elle se trouvait dans une situation comparable à celle des autres États membres dont la population de loups était, à la même date, exceptée du système de protection stricte.
En outre, l’évolution favorable qu’aurait connu la population de loups sur le territoire autrichien depuis cette adhésion correspond précisément à l’un des objectifs poursuivis par la directive « habitats » et peut être prise en considération afin d’adapter ce cadre technique complexe à caractère évolutif. À cet égard, si la directive « habitats » permet l’adaptation de son annexe IV au progrès technique et scientifique{2} et à supposer même que le législateur de l’Union ait été tenu d’agir en ce sens afin de retirer la population de loups en Autriche du système de protection stricte, l’éventuelle carence dudit législateur ne saurait constituer, dans le cadre du mécanisme du renvoi préjudiciel, un motif d’invalidité de l’article 12 de ladite directive, lu en combinaison avec l’annexe IV de celle-ci.
En tout état de cause, le loup fait l’objet d’une protection stricte en vertu de la convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe{3}, à laquelle l’Union est partie et qui la lie au titre du droit international. Par ailleurs, dans la mesure où la directive « habitats » vise à assurer le rétablissement et le maintien des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages dans un état de conservation favorable, la protection prévue à l’article 12 de ladite directive s’applique même aux espèces ayant atteint un tel état de conservation, celles-ci devant être protégées contre toute détérioration de cet état.
Au regard de ces considérations, la Cour conclut à l’absence d’éléments susceptibles d’affecter la validité de l’article 12, paragraphe 1, de la directive « habitats », lu en combinaison avec l’annexe IV de celle-ci.
En second lieu, s’agissant des conditions d’octroi d’une dérogation au système de protection stricte instauré par la directive « habitats », la Cour rappelle, tout d’abord, que l’article 16, paragraphe 1, de cette directive autorise les États membres à y déroger à condition que cette dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.
À cet égard, il appartient à l’autorité nationale compétente de déterminer, dans un premier temps, l’état de conservation des populations des espèces concernées et, dans un second temps, l’impact que cette dérogation est susceptible de produire sur celui-ci. L’évaluation réalisée dans le cadre de ces deux étapes doit être effectuée, en premier lieu et nécessairement, au niveau local et national, où les conséquences de la dérogation seront généralement ressenties de manière la plus immédiate. Ce n’est que lorsque l’état de conservation de l’espèce animale concernée s’avère favorable sur le plan local et national que l’évaluation peut, en second lieu, si les données disponibles le permettent, être envisagée au niveau transfrontalier.
Ensuite, l’article 16 de la directive « habitats » permet aux États membres de déroger au régime de protection stricte afin de prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété. Or, si cette disposition n’exige pas la survenance de dommages importants préalablement à l’adoption des mesures dérogatoires, ces dommages ne peuvent pas être purement hypothétiques et doivent être, au moins en grande partie, imputables à l’espèce animale visée par la dérogation. Il s’ensuit que, compte tenu du lien de causalité qui doit exister entre, d’une part, l’octroi de la dérogation et, d’autre part, le dommage causé par cette espèce animale, la notion de « dommages importants » au sens de ladite disposition ne couvre pas les dommages indirects futurs qui ne sont pas imputables au spécimen de l’espèce animale concernée.
Enfin, une dérogation au titre de l’article 16 de la directive « habitats » présuppose l’absence d’une autre solution satisfaisante permettant d’atteindre les objectifs invoqués à l’appui de la dérogation. Cette condition, qui constitue une expression spécifique du principe de proportionnalité, requiert ainsi une mise en balance de l’ensemble des intérêts en cause et des critères à prendre en considération, tels que les avantages et les inconvénients écologiques, économiques et sociaux impliqués. À cet effet, les autorités nationales compétentes doivent examiner la possibilité de recourir à des moyens préventifs non létaux consistant, notamment, dans la mise en œuvre de mesures préventives des atteintes aux troupeaux, ainsi que l’adoption de mesures visant à adapter, lorsque cela est possible, les pratiques humaines qui sont à l’origine des conflits, afin de favoriser une culture de la coexistence entre la population de loups, les troupeaux et les éleveurs.
Dans le cadre de la détermination d’une autre solution satisfaisante, ces autorités sont tenues d’apprécier, sur la base des meilleures connaissances scientifiques et techniques disponibles, les autres solutions envisageables en tenant compte, notamment, de leurs implications économiques, sans que celles-ci revêtent un caractère déterminant, et en les mettant en balance avec l’objectif général de maintien ou de rétablissement, dans un état de conservation favorable, de l’espèce animale concernée.
{1} Directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7) (ci-après la « directive "habitats" »).
{2} Article 19 de la directive « habitats ».
{3} Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, signée le 19 septembre 1979 à Berne (JO 1982, L 38, p. 3).
Arrêt du 11 juillet 2024, WWF Österreich e.a. (C-601/22) (cf. point 41)