1. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Nécessité, pour la juridiction nationale, d'une décision préjudicielle pour rendre son jugement - Notion - Interprétation des dispositions procédurales du droit de l'Union applicables - Inclusion

Dans nombre de cas où se posent des questions d'interprétation du règlement nº 1206/2001, relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l'obtention des preuves en matière civile ou commerciale, qui concernent l'administation de la preuve, une interprétation par la voie de la procédure préjudicielle serait impossible si la pertinence de la question préjudicielle pour la solution du litige était soumise à des exigences trop contraignantes. En effet, la plupart de ces questions ne peuvent concerner que de manière indirecte les affaires au principal où elles sont posées.

Il s’ensuit que seule une interprétation large de la notion de "rendre son jugement" au sens de l’article 267, deuxième alinéa, TFUE permettrait d’éviter que nombre de questions procédurales, notamment celles qui se posent dans le cadre de l’application du règlement nº 1206/2001, soient considérées comme irrecevables et ne puissent faire l’objet d’une interprétation par la Cour.

Cette notion doit donc être comprise en ce sens qu’elle englobe l’ensemble de la procédure menant au jugement de la juridiction de renvoi, afin que la Cour soit en mesure de connaître de l’interprétation de toutes dispositions procédurales du droit de l’Union que la juridiction de renvoi est tenue d’appliquer pour rendre son jugement. En d’autres termes, ladite notion comprend l’entier processus de création du jugement, y inclus toutes les questions relatives à la charge des frais de procédure.

Arrêt du 17 février 2011, Weryński (C-283/09, Rec._p._I-601) (cf. points 39, 41-42)

La notion de "rendre son jugement" au sens de l’article 267, deuxième alinéa, TFUE doit être interprétée de façon large, afin d’éviter que nombre de questions procédurales soient considérées comme irrecevables et ne puissent faire l’objet d’une interprétation par la Cour. Cette notion doit donc être comprise en ce sens qu’elle englobe l’ensemble de la procédure menant au jugement de la juridiction de renvoi, afin que la Cour soit en mesure de connaître de l’interprétation de toutes dispositions procédurales du droit de l’Union que la juridiction de renvoi est tenue d’appliquer pour rendre son jugement.

Arrêt du 11 juin 2015, Fahnenbrock e.a. (C-226/13, C-245/13, C-247/13 et C-578/13) (cf. point 30)

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 21 novembre 2019, Procureur-Generaal bij de Hoge Raad der Nederlanden (C-678/18) (cf. point 25)

2. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Obligation de renvoi - Juge national statuant sur renvoi de la cour constitutionnelle - Obligation de trancher le litige en suivant la position juridique exprimée par la cour constitutionnelle - Absence d'incidence

L’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale, dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne au sens du troisième alinéa dudit article, a l’obligation de saisir d’office la Cour de justice d’une demande de décision préjudicielle alors même qu’elle statue sur renvoi après la cassation de sa première décision par la juridiction constitutionnelle de l’État membre concerné et qu’une règle nationale lui impose de trancher le litige en suivant la position juridique exprimée par cette dernière juridiction.

En effet, l’existence d’une règle de procédure nationale ne saurait remettre en cause la faculté qu’ont les juridictions nationales de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle lorsqu’elles ont des doutes sur l’interprétation du droit de l’Union. Une règle de droit national, en vertu de laquelle les appréciations portées par une juridiction supérieure lient une autre juridiction nationale, ne saurait donc enlever à cette dernière la faculté de saisir la Cour de questions d’interprétation du droit de l’Union concerné par de telles appréciations en droit. Elle doit en effet être libre, si elle considère que l’appréciation en droit faite au degré supérieur pourrait l’amener à rendre un jugement contraire au droit de l’Union, de saisir la Cour des questions qui la préoccupent.

Arrêt du 15 janvier 2013, Križan e.a. (C-416/10) (cf. points 67-68, 73, disp. 1)

3. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Obligation de renvoi - Possibilité d'un recours contre les décisions de la juridiction de renvoi, devant la cour constitutionnelle - Recours limité à l'examen d'une violation des droits et des libertés garantis par la Constitution nationale ou par une convention internationale - Absence d'incidence

La possibilité d’introduire, devant la juridiction constitutionnelle de l’État membre concerné, un recours contre les décisions d’une juridiction nationale, limité à l’examen d’une éventuelle violation des droits et des libertés garantis par la Constitution nationale ou par une convention internationale, ne saurait permettre de considérer que cette juridiction nationale ne peut être qualifiée de juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne au sens de l’article 267, troisième alinéa, TFUE. Dès lors, une telle juridiction est tenue de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle dès qu’elle constate que le fond du litige comporte une question à résoudre relevant du premier alinéa de l’article 267 TFUE.

Arrêt du 15 janvier 2013, Križan e.a. (C-416/10) (cf. point 72)

4. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Question soulevée d'office par la juridiction nationale - Admissibilité

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 31 janvier 2013, Belgische Petroleum Unie e.a. (C-26/11) (cf. point 23)

5. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions d'interprétation - Obligation de renvoi - Limites - Pertinence des questions - Notion - Appréciation par le juge national de dernière instance

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 18 juillet 2013, Consiglio nazionale dei geologi et Autorità garante della concorrenza e del mercato (C-136/12) (cf. points 25-27)

6. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Facteur décisif, dans le cadre d'un recours en indemnité, de l'existence d'une violation manifeste du droit de l'Union - Absence

Le fait que, dans le cadre d’un recours en indemnité pour violation du droit de l’Union, une juridiction nationale ait estimé nécessaire de poser une question préjudicielle portant sur le droit de l’Union en cause ne doit pas être considéré comme un facteur décisif afin de déterminer s’il existe une violation manifeste de ce droit par l’État membre.

Le simple fait de poser une question préjudicielle ne saurait limiter la liberté du juge du fond. En effet, la réponse à la question de savoir si une violation du droit de l’Union a été suffisamment caractérisée découle non pas de l’exercice même de la faculté prévue à l’article 267 TFUE, mais de l’interprétation fournie par la Cour. Or, la faculté reconnue aux juridictions nationales de saisir la Cour, si elles le considèrent nécessaire, afin de se voir interpréter une disposition du droit de l’Union, même si la question soulevée a déjà été tranchée, serait sans doute limitée si l’exercice d’une telle faculté était décisif pour la constatation de l’existence ou non d’une violation manifeste du droit de l’Union, afin de déterminer, le cas échéant, la responsabilité de l’État membre concerné pour violation du droit de l’Union. Ainsi, un tel effet mettrait en cause le système, la finalité ainsi que les caractéristiques de la procédure du renvoi préjudiciel.

Arrêt du 10 juillet 2014, Ogieriakhi (C-244/13) (cf. points 53-55, disp. 2)

7. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Obligation de renvoi - Obligation d'attente - Question préjudicielle déjà posée dans une affaire semblable portant sur une problématique identique par une juridiction nationale de rang inférieur à la juridiction de renvoi - Absence desdites obligations

L’article 267, troisième alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne, n’est pas tenue de saisir la Cour de justice au seul motif qu’une juridiction nationale de rang inférieur a, dans une affaire semblable à celle dont elle est saisie et portant sur exactement la même problématique, posé une question préjudicielle à la Cour ni d’attendre la réponse apportée à cette question.

En effet, il appartient aux seules juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne d’apprécier, sous leur propre responsabilité et de manière indépendante, si elles sont en présence d’un acte clair.

Ainsi, si une juridiction suprême d’un État membre doit, certes, intégrer dans son examen la circonstance qu’une juridiction de rang inférieur a posé une question préjudicielle, qui est toujours pendante devant la Cour, il n’en demeure pas moins qu’une telle circonstance ne saurait, à elle seule, empêcher la juridiction nationale suprême de conclure qu’elle est en présence d’un acte clair.

Arrêt du 9 septembre 2015, X (C-72/14 et C-197/14) (cf. points 59, 60, 63, disp. 2)

8. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions d'interprétation - Obligation de renvoi - Portée - Difficultés d'interprétation de la notion de "transfert d'établissement", au sens de la directive 2001/23, entraînant des décisions divergentes des juridictions nationales inférieures et un risque de divergences de jurisprudence au niveau de l'Union - Inclusion

L’article 267, troisième alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel de droit interne est tenue de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d’une demande de décision préjudicielle relative à l’interprétation de la notion de "transfert d’établissement", au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements, dans des circonstances marquées à la fois par des décisions divergentes d’instances juridictionnelles inférieures quant à l’interprétation de cette notion et par des difficultés d’interprétation récurrentes de celle-ci dans les différents États membres.

S’il est vrai que la procédure instituée par l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher, il n’en demeure pas moins que, lorsqu’il n’existe aucun recours juridictionnel de droit interne contre la décision d’une juridiction nationale, cette dernière est, en principe, tenue de saisir la Cour, conformément à l’article 267, troisième alinéa, TFUE, dès lors qu’une question relative à l’interprétation du droit de l’Union est soulevée devant elle, à moins qu’elle n’ait constaté que la question soulevée n’est pas pertinente ou que la disposition du droit de l’Union concernée a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable. L’existence d’une telle éventualité doit être évaluée en fonction des caractéristiques propres au droit de l’Union, des difficultés particulières que présente l’interprétation de ce dernier et du risque de divergences de jurisprudence à l’intérieur de l’Union.

Arrêt du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito e.a. (C-160/14) (cf. points 37-39, 45, disp. 2)

9. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions d'interprétation - Obligation de renvoi - Portée

Conformément à l’article 267, troisième alinéa, TFUE, une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne est tenue, lorsqu’une question de droit de l’Union se pose devant elle, de déférer à son obligation de saisine, à moins qu’elle n’ait constaté que la question soulevée n’est pas pertinente ou que la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour de justice ou que l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.

Arrêt du 1er octobre 2015, Doc Generici (C-452/14) (cf. point 43)

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 23 novembre 2017, Benjumea Bravo de Laguna (C-381/16) (cf. point 29)



Ordonnance du 28 janvier 2021, etc-gaming et Casino Equipment Vermietung / Commission (C-390/20 P) (cf. point 25)

10. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Nécessité d'un litige pendant devant la juridiction de renvoi appelée à statuer dans le cadre d'une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel - Notion - Procédure de certification d'une décision judiciaire en tant que titre exécutoire européen - Inclusion

Les juridictions nationales ne sont habilitées à saisir la Cour que si un litige est pendant devant elles et si elles sont appelées à statuer dans le cadre d’une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel. Tel est le cas de la procédure aboutissant à la certification d’une décision judiciaire en tant que titre exécutoire européen. À cet égard, cette procédure exige un examen juridictionnel des conditions prévues par le règlement nº 805/2004, portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, afin d’apprécier le respect des normes minimales visant à garantir le respect des droits de la défense du débiteur. Ainsi, ce règlement impose à l’organe procédant à la certification d’une décision judiciaire en tant que titre exécutoire européen d’effectuer toute une série de vérifications des éléments énumérés dans le formulaire figurant à son annexe I. En ce qui concerne le contrôle de la régularité de la procédure judiciaire qui aboutit à l’adoption d’une décision faisant l’objet de la certification, que cette juridiction effectue au stade de cette certification, ce contrôle n’est pas d’une nature différente des vérifications de caractère juridictionnel qu’elle est amenée à effectuer avant de rendre ses décisions judiciaires dans d'autres procédures. En outre, à son article 6, ce règlement impose à ladite juridiction, au-delà du contrôle de la régularité de cette procédure judiciaire antérieure et du respect des règles de compétence, notamment un contrôle du caractère exécutoire de la décision rendue et de la nature de la créance.

Par ailleurs, la procédure de certification d’une décision judiciaire en tant que titre exécutoire européen apparaît, du point de vue fonctionnel, non pas comme une procédure distincte de la procédure judiciaire antérieure, mais comme la phase ultime de celle-ci, nécessaire pour assurer sa pleine efficacité, en permettant au créancier de procéder au recouvrement de sa créance. Par conséquent, la certification d’une décision judiciaire en tant que titre exécutoire européen constitue un acte de nature juridictionnelle, dans le cadre de l’adoption duquel la juridiction nationale est habilitée à saisir la Cour d’une question préjudicielle.

Arrêt du 16 juin 2016, Pebros Servizi (C-511/14) (cf. points 24-26, 29, 30)

11. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions d'interprétation - Obligation de renvoi - Portée - Question concernant la possibilité de maintien en vigueur de dispositions nationales jugées contraires au droit de l'Union en matière de droit de l'environnement - Inclusion - Conditions

Dans l’état actuel du droit de l’Union, une juridiction nationale dont les décisions ne sont plus susceptibles d’un recours juridictionnel est, en principe, tenue de saisir la Cour de justice à titre préjudiciel, afin que celle-ci puisse apprécier si, exceptionnellement, des dispositions de droit interne jugées contraires au droit de l’Union peuvent être provisoirement maintenues, au regard d’une considération impérieuse liée à la protection de l’environnement et compte tenu des circonstances spécifiques de l’affaire dont cette juridiction nationale est saisie. Ladite juridiction nationale n’est dispensée de cette obligation que lorsqu’elle est convaincue, ce qu’elle doit démontrer de manière circonstanciée, qu’aucun doute raisonnable n’existe, quant à l’interprétation et à l’application des conditions telles que celles qui ressortent de l’arrêt du 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne (C-41/11).

Arrêt du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C-379/15) (cf. point 53, disp. 2)

12. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions d'interprétation - Obligation de renvoi - Portée - Juridiction nationale au sens de l'article 267, troisième alinéa, TFUE - Notion

L’article 267, troisième alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction dont les décisions, rendues dans le cadre d’un litige, peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation ne peut être qualifiée de juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne.

Arrêt du 21 décembre 2016, Biuro podróży Partner (C-119/15) (cf. point 54, disp. 2)

13. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions d'interprétation - Obligation de renvoi - Juridiction rendant une décision susceptible d'un recours juridictionnel en droit interne - Absence de ladite obligation - Non-examen d'un pourvoi en raison du désistement de la partie requérante - Absence d'incidence

L’article 267, troisième alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction dont les décisions sont susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne ne peut pas être considérée comme une juridiction statuant en dernier ressort, dans les cas où le pourvoi en cassation introduit contre une décision de cette juridiction n’a pas été examiné en raison du désistement de la partie requérante.

Ainsi que la Cour l’a souligné à plusieurs reprises, une juridiction statuant en dernier ressort constitue par définition la dernière instance devant laquelle les particuliers peuvent faire valoir les droits que le droit de l’Union leur reconnaît. Les juridictions statuant en dernier ressort sont chargées d’assurer à l’échelle nationale l’interprétation uniforme des règles de droit (voir, en ce sens, arrêts du 30 septembre 2003, Köbler, C-224/01, EU:C:2003:513, point 34, et du 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo, C-173/03, EU:C:2006:391, point 31).

Il en découle que le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (Conseil du Contentieux des étrangers) ne saurait être considéré comme une juridiction statuant en dernier ressort, dans la mesure où ses décisions peuvent être contrôlées par une instance supérieure devant laquelle les particuliers peuvent faire valoir les droits que le droit de l’Union leur reconnaît. Par suite, les décisions qu’il prend n’émanent pas d’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel en droit interne, au sens de l’article 267, troisième alinéa, TFUE.

La circonstance que, en vertu des dispositions de l’article 18 de l’arrêté royal du 30 novembre 2006 déterminant la procédure en cassation devant le Conseil d’État, un requérant ayant introduit un pourvoi en cassation contre une décision du Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (Conseil du Contentieux des étrangers) est regardé de manière irréfragable comme s’étant désisté de l’instance dans le cas où il n’a pas demandé la poursuite de la procédure dans un délai de trente jours à compter du jour où lui a été notifié le rapport de l’auditeur concluant à l’irrecevabilité ou au rejet du recours, n’a aucune incidence sur le fait que les décisions du Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (Conseil du Contentieux des étrangers) peuvent être contestées devant une instance supérieure et, partant, émanent d’une juridiction ne statuant pas en dernier ressort.

Arrêt du 15 mars 2017, Aquino (C-3/16) (cf. points 34, 36-38, disp. 1)

14. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions d'interprétation - Obligation de renvoi - Rejet d'un pourvoi en cassation pour des motifs d'irrecevabilité propres à la procédure devant la juridiction concernée - Absence de ladite obligation - Respect des principes d'équivalence et d'effectivité

L’article 267, troisième alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction statuant en dernier ressort peut s’abstenir de soumettre une question préjudicielle à la Cour lorsqu’un pourvoi en cassation est rejeté pour des motifs d’irrecevabilité propres à la procédure devant cette juridiction, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité.

À cet égard, il convient de rappeler, tout d’abord, que, dans la mesure où il n’existe aucun recours juridictionnel contre la décision d’une juridiction nationale, cette dernière est, en principe, tenue de saisir la Cour au sens de l’article 267, troisième alinéa, TFUE dès lors qu’une question relative à l’interprétation du traité FUE est soulevée devant elle (arrêt du 18 juillet 2013, Consiglio Nazionale dei Geologi, C-136/12, EU:C:2013:489, point 25).

Il découle du rapport entre l’article 267, deuxième alinéa, TFUE, et l’article 267, troisième alinéa, TFUE que les juridictions visées à l’article 267, troisième alinéa, TFUE jouissent du même pouvoir d’appréciation que toutes les autres juridictions nationales en ce qui concerne le point de savoir si une décision sur un point de droit de l’Union est nécessaire pour leur permettre de rendre leur décision. Ces juridictions ne sont, dès lors, pas tenues de renvoyer une question d’interprétation de droit de l’Union soulevée devant elles si la question n’est pas pertinente, c’est-à-dire dans les cas où la réponse à cette question, quelle qu’elle soit, ne pourrait avoir aucune influence sur la solution du litige (arrêt du 18 juillet 2013, Consiglio Nazionale dei Geologi, C-136/12, EU:C:2013:489, point 26).

Partant, dans le cas où, conformément aux règles procédurales de l’État membre concerné, les moyens soulevés devant une juridiction visée à l’article 267, troisième alinéa, TFUE doivent être déclarés irrecevables, une demande de décision préjudicielle ne saurait être considérée comme étant nécessaire et pertinente pour que cette juridiction puisse rendre sa décision.

Arrêt du 15 mars 2017, Aquino (C-3/16) (cf. points 42-44, 56, disp. 3)

15. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Obligation de renvoi - Examen de la conformité des règles nationales tant avec le droit de l'Union qu'avec la Constitution nationale - Arrêt de la Cour constitutionnelle de l'État membre concerné appréciant la constitutionnalité desdites règles - Obligation pour le juge national de dernière instance d'introduire une demande préjudicielle

L’article 267, paragraphe 3, TFUE doit être interprété en ce sens que la juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel est tenue, en principe, de procéder au renvoi préjudiciel d’une question d’interprétation du droit de l’Union même si, dans le cadre de la même procédure nationale, la Cour constitutionnelle de l’État membre concerné a apprécié la constitutionnalité des règles nationales au regard des normes de référence d’un contenu analogue à celles du droit de l’Union.

Or, il découle des considérations précédentes que l’efficacité du droit de l’Union se trouverait menacée et l’effet utile de l’article 267 TFUE se verrait amoindri si, en raison de l’existence d’une procédure de contrôle de constitutionnalité, le juge national était empêché de saisir la Cour de questions préjudicielles et de donner immédiatement au droit de l’Union une application conforme à la décision ou à la jurisprudence de la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2015, Kernkraftwerke Lippe-Ems, C-5/14, EU:C:2015:354, point 36 et jurisprudence citée).

En outre, s’il est vrai que la procédure instituée par l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher, il n’en demeure pas moins que, lorsqu’il n’existe aucun recours juridictionnel de droit interne contre la décision d’une juridiction nationale, cette dernière est, en principe, tenue de saisir la Cour, conformément à l’article 267, troisième alinéa, TFUE, dès lors qu’une question relative à l’interprétation du droit de l’Union est soulevée devant elle (voir arrêt du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito e.a., C-160/14, EU:C:2015:565, point 37).

Arrêt du 20 décembre 2017, Global Starnet (C-322/16) (cf. points 23, 24, 26, disp. 1)

16. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Obligation de renvoi - Portée - Opération faisant l'objet d'un traitement différent dans deux États membres aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée - Inclusion - Condition - Décision rendue par la juridiction de renvoi non susceptible d'un recours juridictionnel en droit interne

Lorsqu’elles interprètent les dispositions pertinentes du droit de l’Union et du droit national, les juridictions d’un État membre qui constatent qu’une même opération fait l’objet dans un autre État membre d’un traitement différent aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée ont la faculté, voire l’obligation, selon que leurs décisions sont susceptibles ou non de faire l’objet d’un recours juridictionnel de droit interne, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une demande de décision préjudicielle.

Arrêt du 5 juillet 2018, Marcandi (C-544/16) (cf. point 66, disp. 3)

Dans l’arrêt KrakVet Marek Batko (C-276/18), rendu le 18 juin 2020, la Cour a interprété, pour la première fois, l’article 33 de la directive 2006/112{1} (ci-après la « directive TVA ») et la notion de biens « expédiés ou transportés, par le fournisseur ou pour son compte », au sens de cette disposition, dans le contexte d’une double imposition due au traitement différent, par deux États membres, d’une même opération de livraison de biens impliquant une expédition ou un transport transfrontaliers. Cette qualification a une incidence sur la détermination du lieu de l’opération imposable et de l’État membre compétent aux fins de la perception de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

La Cour était également interrogée sur l’étendue de l’obligation de coopération entre les autorités fiscales des États membres quant à la détermination du lieu de livraison des biens en cause, en vertu du règlement nº 904/2010{2}, afin de se prononcer sur la possibilité pour l’administration fiscale de l’État où les biens se trouvent au moment de l’arrivée du transport de parvenir pour une même opération à une conclusion différente de celle de l’autorité fiscale de l’État dans lequel est établi le fournisseur, avec pour résultat une double imposition de l’assujetti.

En l’espèce, KrakVet, société de droit polonais commercialisant des produits pour animaux, offrait à ses clients résidant en Hongrie, au moyen de son site Internet, la possibilité de confier l’acheminement des produits à un transporteur polonais qui travaille en collaboration avec elle, les clients demeurant toutefois libres de choisir un autre transporteur. Si l’acheteur choisit de faire appel au transporteur recommandé, il conclut un contrat avec ce transporteur, qui assure la livraison des produits aux entrepôts de deux sociétés de messagerie établies en Hongrie, à partir desquels les produits sont livrés par un transporteur hongrois aux consommateurs finals. Le règlement des produits se faisait à la livraison auprès du service de messagerie ou par versement anticipé sur un compte bancaire.

L’administration fiscale polonaise ayant considéré que le lieu d’imposition des activités commerciales de Krakvet était situé en Pologne, KrakVet s’était acquittée de la TVA dans ce pays. Toutefois, l’administration fiscale hongroise a effectué un contrôle a posteriori des déclarations de TVA et ouvert une procédure fiscale administrative contre KrakVet, dans le cadre de laquelle elle a consulté l’administration fiscale polonaise. Au terme de cette procédure, l’administration fiscale hongroise a estimé que la TVA sur les biens transportés en Hongrie devait être acquittée en Hongrie et a mis à la charge de KrakVet le paiement d’une différence d’imposition au titre de la TVA, d’une amende et d’intérêts de retard ainsi que d’une amende pour non-respect de ses obligations d’enregistrement auprès de l’administration fiscale hongroise.

KrakVet a contesté devant la juridiction de renvoi la décision rendue par l’autorité fiscale hongroise, qui la conduisait à devoir payer deux fois la TVA, ce qui serait contraire au droit de l’Union.

La Cour a d’abord jugé que la directive TVA ainsi que les dispositions pertinentes du règlement nº 904/2010 ne s’opposent pas à ce que les autorités fiscales d’un État membre puissent, unilatéralement, soumettre des opérations à un traitement fiscal en matière de TVA différent de celui en vertu duquel elles ont déjà été imposées dans un autre État membre. Elle a ainsi souligné que ledit règlement se limite à permettre une coopération administrative pour échanger des informations pouvant être nécessaires aux autorités fiscales des États membres et ne régit donc pas la compétence de ces autorités pour procéder à la qualification des opérations concernées au regard de la directive TVA. Ce règlement n’impose pas aux autorités fiscales de deux États membres de coopérer afin de parvenir à une solution commune quant au traitement d’une opération aux fins de la TVA et ne prévoit pas que les autorités fiscales d’un État membre seraient liées par la qualification donnée à cette opération par les autorités fiscales d’un autre État membre. L’application correcte de la directive TVA doit permettre d’éviter la double imposition et d’assurer la neutralité fiscale. En cas de divergence entre les États membres dans le traitement fiscal d’une opération, il appartient aux juridictions nationales de saisir la Cour de justice aux fins de l’interprétation des dispositions du droit de l’Union. S’il s’avère que la TVA a déjà été indûment versée dans un État membre, le droit d’obtenir le remboursement de taxes perçues dans un État membre en violation des règles du droit de l’Union est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions du droit de l’Union telles qu’interprétées par la Cour. L’État membre concerné est donc tenu, en principe, de rembourser les taxes perçues en violation du droit de l’Union.

Ensuite, la Cour a examiné les règles posées par la directive TVA en ce qui concerne la détermination du lieu des opérations imposables en cas de livraison de biens avec transport. Elle a rappelé que, conformément à l’article 32 de ladite directive, lorsque le bien est expédié ou transporté soit par le fournisseur, soit par l’acquéreur, soit par un tiers, le lieu de la livraison est réputé se situer à l’endroit où le bien se trouve au moment du départ de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur. De manière dérogatoire, toutefois, l’article 33 de la même directive prévoit que le lieu d’une livraison de biens expédiés ou transportés, par le fournisseur ou pour son compte, à partir d’un État membre autre que celui d’arrivée de l’expédition ou du transport est réputé, sous certaines conditions, se situer à l’endroit où les biens se trouvent au moment de l’arrivée de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur.

La prise en compte de la réalité économique et commerciale constituant un critère fondamental pour l’application du système commun de TVA, la Cour a considéré que lorsque, comme en l’espèce, les biens vendus par un fournisseur établi dans un État membre à des acquéreurs résidant dans un autre État membre sont acheminés vers ces derniers par un transporteur recommandé par ce fournisseur, mais avec lequel les acquéreurs sont libres de contracter aux fins de cet acheminement, ces biens doivent être considérés comme expédiés ou transportés « par le fournisseur ou pour son compte » et la livraison doit être considérée comme relevant de l’article 33 de la directive TVA dès lors que le rôle du fournisseur est prépondérant en ce qui concerne l’initiative ainsi que l’organisation des étapes essentielles de l’expédition ou du transport desdits biens.

Enfin, la juridiction de renvoi ayant estimé que la situation en cause au principal soulevait la question de savoir s’il est possible de tenir la pratique de KrakVet comme étant abusive, celle-ci ayant bénéficié du taux moins élevé de TVA de l’État membre où elle est établie, en ne s’étant pas vu appliquer les dispositions prévues à l’article 33 de la directive TVA, la Cour a jugé qu’il n’y a pas lieu de considérer comme étant constitutives d’un abus de droit des opérations par lesquelles les biens vendus par un fournisseur sont acheminés vers les acquéreurs par une société que ce fournisseur recommande, alors que, d’une part, ledit fournisseur et cette société sont liés et que, d’autre part, ces acquéreurs restent, toutefois, libres de recourir à une autre société ou de prendre personnellement livraison des biens, dès lors que ces circonstances ne sont pas susceptibles d’affecter le constat selon lequel le fournisseur et la société de transport qu’il recommande sont des sociétés indépendantes qui mènent, pour leur propre compte, des activités économiques réelles.

{1} Directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).

{2} Règlement (UE) nº 904/2010 du Conseil, du 7 octobre 2010, concernant la coopération administrative et la lutte contre la fraude dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée (JO 2010, L 268, p. 1).

Arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko (C-276/18) (cf. point 51)

17. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions d'interprétation - Obligation de renvoi - Portée - Obligation de renvoi en cas de doute raisonnable - Juridiction nationale ayant conclu à l'absence de doute raisonnable - Interprétation des dispositions du droit de l'Union en contradiction avec l'interprétation par la Cour desdites dispositions dans le cadre d'un recours en manquement - Manquement d'État

Manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE, l'État membre dont une juridiction, dont les décisions ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours de droit interne, a omis de saisir la Cour, selon la procédure prévue à l’article 267, troisième alinéa, TFUE, afin de déterminer s’il y avait lieu de refuser de prendre en compte pour le calcul du remboursement du précompte mobilier acquitté par une société résidente au titre de la distribution de dividendes versés par une société non-résidente par l’intermédiaire d’une filiale non-résidente, l’imposition subie par cette seconde société sur les bénéfices sous-jacents à ces dividendes, alors même que l’interprétation qu’il a retenue des dispositions du droit de l’Union dans sa jurisprudence, ne s’imposait pas avec une telle évidence qu’elle ne laissait place à aucun doute raisonnable.

À cet égard, l'existence d'une telle éventualité doit être évaluée en fonction des caractéristiques propres au droit de l’Union, des difficultés particulières que présente son interprétation et du risque de divergences de jurisprudence à l’intérieur de l’Union. Une solution choisie par une juridiction nationale, fondée sur une interprétation des dispositions du droit de l'Union qui est en contradiction avec l'interprétation desdites dispositions dans le cadre d'un recours en manquement, implique que l'existence d'un doute raisonnable quant à cette interprétation ne pouvait être exclue au moment où la juridiction nationale a statué. Lorsque ladite évaluation permet de constater la présence d'un tel doute, il incombe à la juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours juridictionnel de droit interne, d'interroger la Cour sur le risque d'une interprétation erronée du droit de l'Union.

Arrêt du 4 octobre 2018, Commission / France (Précompte mobilier) (C-416/17) (cf. points 110, 112-114, disp. 2)

18. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Nécessité d'un litige pendant devant la juridiction de renvoi appelée à statuer dans le cadre d'une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel - Notion - Procédure tendant à la délivrance d'un certificat au titre de l'article 53 du règlement nº 1215/2012 - Inclusion - Conditions

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 28 février 2019, Gradbeništvo Korana (C-579/17) (cf. points 34-41)

Arrêt du 4 septembre 2019, Salvoni (C-347/18) (cf. points 25-31)

19. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Nécessité d'un litige pendant devant la juridiction de renvoi appelée à statuer dans le cadre d'une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel - Notion - Procédure relative à un pourvoi en cassation dans l'intérêt de la loi - Inclusion - Intangibilité de la situation entre les parties au litige - Absence d'incidence

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 21 novembre 2019, Procureur-Generaal bij de Hoge Raad der Nederlanden (C-678/18) (cf. points 23, 24, 26)

20. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Obligation de renvoi - Examen de la conformité des règles nationales tant avec le droit de l'Union qu'avec la Constitution nationale - Arrêt de la Cour constitutionnelle de l'État membre concerné appréciant la constitutionnalité desdites règles - Absence d'incidence - Obligation pour le juge national de dernière instance d'introduire une demande de décision préjudicielle

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 16 juillet 2020, Adusbef e.a. (C-686/18) (cf. points 30-33)

21. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions d'interprétation - Obligation de renvoi - Portée - Question soulevée après un premier renvoi préjudiciel dans la même affaire - Absence d'incidence - Existence des motifs d'irrecevabilité propres à la procédure devant la juridiction de renvoi - Absence d'obligation de renvoi - Conditions - Respect des principes d'équivalence et d'effectivité

En 2017, le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), juridiction nationale statuant en dernier ressort (ci-après la « juridiction de renvoi »), a saisi la Cour de justice d’un renvoi préjudiciel dans le cadre d’un litige concernant un marché public de services de nettoyage, notamment, de gares ferroviaires italiennes. La Cour a rendu son arrêt en 2018{1}. Les parties à ce litige ont ensuite demandé à la juridiction de renvoi de déférer d’autres questions préjudicielles.

C’est dans ce contexte que, en 2019, la juridiction de renvoi a saisi la Cour d’un nouveau renvoi préjudiciel. Elle cherchait notamment à savoir si une juridiction nationale statuant en dernier ressort est tenue de saisir la Cour d’une question relative à l’interprétation du droit de l’Union lorsque cette question lui est soumise par une partie à un stade avancé du déroulement de la procédure, après que l’affaire a été mise en délibéré pour la première fois ou lorsqu’un premier renvoi préjudiciel a déjà été effectué dans cette affaire.

Appréciation de la Cour

Dans son arrêt, la Cour, réunie en grande chambre, réaffirme les critères dégagés dans l’arrêt Cilfit{2}, qui prévoit trois situations dans lesquelles les juridictions nationales statuant en dernier ressort ne sont pas soumises à l’obligation de renvoi préjudiciel{3} :

i) la question n’est pas pertinente pour la solution du litige ;

ii) la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ;

iii) l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.

Partant, la Cour juge qu’une juridiction nationale statuant en dernier ressort ne peut pas être libérée de son obligation de renvoi préjudiciel au seul motif qu’elle a déjà saisi la Cour à titre préjudiciel dans le cadre de la même affaire.

S’agissant de la troisième situation rappelée ci-dessus, la Cour précise que l’absence de doute raisonnable doit être évaluée en fonction des caractéristiques propres au droit de l’Union, des difficultés particulières que présente son interprétation et du risque de divergences de jurisprudence au sein de l’Union. Avant de conclure à l’absence d’un doute raisonnable quant à l’interprétation correcte du droit de l’Union, la juridiction nationale statuant en dernier ressort doit être convaincue que la même évidence s’imposerait également aux autres juridictions de dernier ressort des États membres et de la Cour.

À cet égard, la seule possibilité de faire différentes lectures d’une disposition du droit de l’Union ne suffit pas pour considérer qu’il existe un doute raisonnable quant à son interprétation correcte. Toutefois, lorsque l’existence de lignes de jurisprudence divergentes - au sein des juridictions d’un État membre ou d’États membres différents - relatives à l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union applicable au litige au principal est portée à la connaissance de la juridiction statuant en dernier ressort, celle-ci doit être particulièrement vigilante dans son appréciation relative à une éventuelle absence de doute raisonnable quant à l’interprétation correcte de ladite disposition.

Les juridictions nationales statuant en dernier ressort doivent apprécier sous leur propre responsabilité, de manière indépendante et avec toute l’attention requise, si elles se trouvent dans l’une des trois situations leur permettant de s’abstenir de soumettre à la Cour une question d’interprétation du droit de l’Union qui a été soulevée devant elles. Dès lors qu’une telle juridiction considère qu’elle est libérée de l’obligation de saisir la Cour, les motifs de sa décision doivent faire apparaître l’existence de l’une de ces trois situations.

Par ailleurs, lorsque la juridiction statuant en dernier ressort se trouve dans l’une de ces situations, elle n’est pas tenue de saisir la Cour, quand bien même la question relative à l’interprétation du droit de l’Union serait soulevée par une partie à la procédure devant elle.

En revanche, si la question relative à l’interprétation du droit de l’Union ne répond à aucune de ces situations, la juridiction statuant en dernier ressort est tenue de saisir la Cour. Le fait que ladite juridiction a déjà saisi la Cour à titre préjudiciel dans le cadre de la même affaire nationale ne remet pas en cause l’obligation de renvoi préjudiciel lorsqu’une question d’interprétation du droit de l’Union dont la réponse est nécessaire pour la solution du litige subsiste après la décision de la Cour.

Il revient à la seule juridiction nationale de décider à quel stade de la procédure il y a lieu de déférer une question préjudicielle. Cependant, une juridiction statuant en dernier ressort peut s’abstenir de soumettre une question préjudicielle à la Cour pour des motifs d’irrecevabilité propres à la procédure devant cette juridiction. En effet, dans le cas où les moyens soulevés devant une telle juridiction doivent être déclarés irrecevables, une demande de décision préjudicielle ne peut être considérée comme étant nécessaire et pertinente pour que cette juridiction puisse rendre sa décision. Les règles procédurales nationales applicables doivent toutefois respecter les principes d’équivalence{4} et d’effectivité{5}.

{1} Arrêt du 19 avril 2018, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi (C-152/17, EU:C:2018:264).

{2} Arrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335).

{3} Cette obligation est prévue à l’article 267, troisième alinéa, TFUE.

{4} Le principe d’équivalence requiert que l’ensemble des règles applicables aux recours s’applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit de l’Union et à ceux, similaires, fondés sur la méconnaissance du droit interne.

{5} Conformément au principe d’effectivité, les règles de procédure nationales ne doivent pas être de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union.

Arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management e Catania Multiservizi et Catania Multiservizi (C-561/19) (cf. points 32, 33, 50, 51, 58, 59, 61-66, et disp.)

22. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions d'interprétation - Obligation de renvoi - Absence - Conditions - Absence de doute raisonnable - Critères

En 2017, le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), juridiction nationale statuant en dernier ressort (ci-après la « juridiction de renvoi »), a saisi la Cour de justice d’un renvoi préjudiciel dans le cadre d’un litige concernant un marché public de services de nettoyage, notamment, de gares ferroviaires italiennes. La Cour a rendu son arrêt en 2018{1}. Les parties à ce litige ont ensuite demandé à la juridiction de renvoi de déférer d’autres questions préjudicielles.

C’est dans ce contexte que, en 2019, la juridiction de renvoi a saisi la Cour d’un nouveau renvoi préjudiciel. Elle cherchait notamment à savoir si une juridiction nationale statuant en dernier ressort est tenue de saisir la Cour d’une question relative à l’interprétation du droit de l’Union lorsque cette question lui est soumise par une partie à un stade avancé du déroulement de la procédure, après que l’affaire a été mise en délibéré pour la première fois ou lorsqu’un premier renvoi préjudiciel a déjà été effectué dans cette affaire.

Appréciation de la Cour

Dans son arrêt, la Cour, réunie en grande chambre, réaffirme les critères dégagés dans l’arrêt Cilfit{2}, qui prévoit trois situations dans lesquelles les juridictions nationales statuant en dernier ressort ne sont pas soumises à l’obligation de renvoi préjudiciel{3} :

i) la question n’est pas pertinente pour la solution du litige ;

ii) la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ;

iii) l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.

Partant, la Cour juge qu’une juridiction nationale statuant en dernier ressort ne peut pas être libérée de son obligation de renvoi préjudiciel au seul motif qu’elle a déjà saisi la Cour à titre préjudiciel dans le cadre de la même affaire.

S’agissant de la troisième situation rappelée ci-dessus, la Cour précise que l’absence de doute raisonnable doit être évaluée en fonction des caractéristiques propres au droit de l’Union, des difficultés particulières que présente son interprétation et du risque de divergences de jurisprudence au sein de l’Union. Avant de conclure à l’absence d’un doute raisonnable quant à l’interprétation correcte du droit de l’Union, la juridiction nationale statuant en dernier ressort doit être convaincue que la même évidence s’imposerait également aux autres juridictions de dernier ressort des États membres et de la Cour.

À cet égard, la seule possibilité de faire différentes lectures d’une disposition du droit de l’Union ne suffit pas pour considérer qu’il existe un doute raisonnable quant à son interprétation correcte. Toutefois, lorsque l’existence de lignes de jurisprudence divergentes - au sein des juridictions d’un État membre ou d’États membres différents - relatives à l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union applicable au litige au principal est portée à la connaissance de la juridiction statuant en dernier ressort, celle-ci doit être particulièrement vigilante dans son appréciation relative à une éventuelle absence de doute raisonnable quant à l’interprétation correcte de ladite disposition.

Les juridictions nationales statuant en dernier ressort doivent apprécier sous leur propre responsabilité, de manière indépendante et avec toute l’attention requise, si elles se trouvent dans l’une des trois situations leur permettant de s’abstenir de soumettre à la Cour une question d’interprétation du droit de l’Union qui a été soulevée devant elles. Dès lors qu’une telle juridiction considère qu’elle est libérée de l’obligation de saisir la Cour, les motifs de sa décision doivent faire apparaître l’existence de l’une de ces trois situations.

Par ailleurs, lorsque la juridiction statuant en dernier ressort se trouve dans l’une de ces situations, elle n’est pas tenue de saisir la Cour, quand bien même la question relative à l’interprétation du droit de l’Union serait soulevée par une partie à la procédure devant elle.

En revanche, si la question relative à l’interprétation du droit de l’Union ne répond à aucune de ces situations, la juridiction statuant en dernier ressort est tenue de saisir la Cour. Le fait que ladite juridiction a déjà saisi la Cour à titre préjudiciel dans le cadre de la même affaire nationale ne remet pas en cause l’obligation de renvoi préjudiciel lorsqu’une question d’interprétation du droit de l’Union dont la réponse est nécessaire pour la solution du litige subsiste après la décision de la Cour.

Il revient à la seule juridiction nationale de décider à quel stade de la procédure il y a lieu de déférer une question préjudicielle. Cependant, une juridiction statuant en dernier ressort peut s’abstenir de soumettre une question préjudicielle à la Cour pour des motifs d’irrecevabilité propres à la procédure devant cette juridiction. En effet, dans le cas où les moyens soulevés devant une telle juridiction doivent être déclarés irrecevables, une demande de décision préjudicielle ne peut être considérée comme étant nécessaire et pertinente pour que cette juridiction puisse rendre sa décision. Les règles procédurales nationales applicables doivent toutefois respecter les principes d’équivalence{4} et d’effectivité{5}.

{1} Arrêt du 19 avril 2018, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi (C-152/17, EU:C:2018:264).

{2} Arrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335).

{3} Cette obligation est prévue à l’article 267, troisième alinéa, TFUE.

{4} Le principe d’équivalence requiert que l’ensemble des règles applicables aux recours s’applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit de l’Union et à ceux, similaires, fondés sur la méconnaissance du droit interne.

{5} Conformément au principe d’effectivité, les règles de procédure nationales ne doivent pas être de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union.

Arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management e Catania Multiservizi et Catania Multiservizi (C-561/19) (cf. points 39-42, 44-49)



Ordonnance du 15 décembre 2022, Centro Petroli Roma (C-597/21) (cf. points 39-43, 45-50, 58 et disp.)



Ordonnance du 15 décembre 2022, Società Eredi Raimondo Bufarini (C-144/22) (cf. points 34-38, 40-45, 53 et disp.)



Ordonnance du 27 avril 2023, Associazione Raggio Verde (C-482/22) (cf. points 27-46 et disp.)



Ordonnance du 27 avril 2023, Ministero della Giustizia (Concours de notaire) (C-495/22) (cf. points 17-20, 26-36 et disp.)



Arrêt du 25 janvier 2024, Croce Rossa Italiana e.a. (C-389/22) (cf. points 60, 61, disp. 1)

23. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions d'interprétation - Obligation de renvoi - Portée - Question soulevée par une partie - Absence d'incidence

En 2017, le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), juridiction nationale statuant en dernier ressort (ci-après la « juridiction de renvoi »), a saisi la Cour de justice d’un renvoi préjudiciel dans le cadre d’un litige concernant un marché public de services de nettoyage, notamment, de gares ferroviaires italiennes. La Cour a rendu son arrêt en 2018{1}. Les parties à ce litige ont ensuite demandé à la juridiction de renvoi de déférer d’autres questions préjudicielles.

C’est dans ce contexte que, en 2019, la juridiction de renvoi a saisi la Cour d’un nouveau renvoi préjudiciel. Elle cherchait notamment à savoir si une juridiction nationale statuant en dernier ressort est tenue de saisir la Cour d’une question relative à l’interprétation du droit de l’Union lorsque cette question lui est soumise par une partie à un stade avancé du déroulement de la procédure, après que l’affaire a été mise en délibéré pour la première fois ou lorsqu’un premier renvoi préjudiciel a déjà été effectué dans cette affaire.

Appréciation de la Cour

Dans son arrêt, la Cour, réunie en grande chambre, réaffirme les critères dégagés dans l’arrêt Cilfit{2}, qui prévoit trois situations dans lesquelles les juridictions nationales statuant en dernier ressort ne sont pas soumises à l’obligation de renvoi préjudiciel{3} :

i) la question n’est pas pertinente pour la solution du litige ;

ii) la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ;

iii) l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.

Partant, la Cour juge qu’une juridiction nationale statuant en dernier ressort ne peut pas être libérée de son obligation de renvoi préjudiciel au seul motif qu’elle a déjà saisi la Cour à titre préjudiciel dans le cadre de la même affaire.

S’agissant de la troisième situation rappelée ci-dessus, la Cour précise que l’absence de doute raisonnable doit être évaluée en fonction des caractéristiques propres au droit de l’Union, des difficultés particulières que présente son interprétation et du risque de divergences de jurisprudence au sein de l’Union. Avant de conclure à l’absence d’un doute raisonnable quant à l’interprétation correcte du droit de l’Union, la juridiction nationale statuant en dernier ressort doit être convaincue que la même évidence s’imposerait également aux autres juridictions de dernier ressort des États membres et de la Cour.

À cet égard, la seule possibilité de faire différentes lectures d’une disposition du droit de l’Union ne suffit pas pour considérer qu’il existe un doute raisonnable quant à son interprétation correcte. Toutefois, lorsque l’existence de lignes de jurisprudence divergentes - au sein des juridictions d’un État membre ou d’États membres différents - relatives à l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union applicable au litige au principal est portée à la connaissance de la juridiction statuant en dernier ressort, celle-ci doit être particulièrement vigilante dans son appréciation relative à une éventuelle absence de doute raisonnable quant à l’interprétation correcte de ladite disposition.

Les juridictions nationales statuant en dernier ressort doivent apprécier sous leur propre responsabilité, de manière indépendante et avec toute l’attention requise, si elles se trouvent dans l’une des trois situations leur permettant de s’abstenir de soumettre à la Cour une question d’interprétation du droit de l’Union qui a été soulevée devant elles. Dès lors qu’une telle juridiction considère qu’elle est libérée de l’obligation de saisir la Cour, les motifs de sa décision doivent faire apparaître l’existence de l’une de ces trois situations.

Par ailleurs, lorsque la juridiction statuant en dernier ressort se trouve dans l’une de ces situations, elle n’est pas tenue de saisir la Cour, quand bien même la question relative à l’interprétation du droit de l’Union serait soulevée par une partie à la procédure devant elle.

En revanche, si la question relative à l’interprétation du droit de l’Union ne répond à aucune de ces situations, la juridiction statuant en dernier ressort est tenue de saisir la Cour. Le fait que ladite juridiction a déjà saisi la Cour à titre préjudiciel dans le cadre de la même affaire nationale ne remet pas en cause l’obligation de renvoi préjudiciel lorsqu’une question d’interprétation du droit de l’Union dont la réponse est nécessaire pour la solution du litige subsiste après la décision de la Cour.

Il revient à la seule juridiction nationale de décider à quel stade de la procédure il y a lieu de déférer une question préjudicielle. Cependant, une juridiction statuant en dernier ressort peut s’abstenir de soumettre une question préjudicielle à la Cour pour des motifs d’irrecevabilité propres à la procédure devant cette juridiction. En effet, dans le cas où les moyens soulevés devant une telle juridiction doivent être déclarés irrecevables, une demande de décision préjudicielle ne peut être considérée comme étant nécessaire et pertinente pour que cette juridiction puisse rendre sa décision. Les règles procédurales nationales applicables doivent toutefois respecter les principes d’équivalence{4} et d’effectivité{5}.

{1} Arrêt du 19 avril 2018, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi (C-152/17, EU:C:2018:264).

{2} Arrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335).

{3} Cette obligation est prévue à l’article 267, troisième alinéa, TFUE.

{4} Le principe d’équivalence requiert que l’ensemble des règles applicables aux recours s’applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit de l’Union et à ceux, similaires, fondés sur la méconnaissance du droit interne.

{5} Conformément au principe d’effectivité, les règles de procédure nationales ne doivent pas être de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union.

Arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management e Catania Multiservizi et Catania Multiservizi (C-561/19) (cf. points 53-55, 57)

24. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Nécessité d'un litige pendant devant la juridiction de renvoi appelée à statuer dans le cadre d'une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel - Notion - Décision d'un agent disciplinaire de clôturer une enquête disciplinaire ouverte à l'égard d'un avocat - Procédure de recours introduite par une autorité publique contre cette décision devant un conseil de discipline du barreau - Inclusion

Voir texte de la décision.

Arrêt du 13 janvier 2022, Minister Sprawiedliwości (C-55/20) (cf. points 55, 57, 58)

25. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions d'interprétation - Obligation de renvoi et teneur des questions - Portée - Question soulevée par une partie - Absence d'obligation de renvoi - Détermination et formulation des questions par les parties - Absence d'incidence - Responsabilité de la juridiction nationale

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 22 décembre 2022, Airbnb Ireland et Airbnb Payments UK (C-83/21) (cf. points 79-80, 83-85, disp. 2)

26. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions d'interprétation - Obligation de renvoi - Portée - Obligation de renvoi en cas de doute raisonnable - Juridiction nationale ayant conclu à l'absence de doute raisonnable - Risque d'interprétation erronée du droit de l'Union par une juridiction rendant une décision non susceptible d'un recours juridictionnel en droit interne - Manquement

Saisie d’un recours en manquement, la Cour juge, dans un arrêt rendu par défaut, en l’absence de mémoire en défense, que, par un arrêt de la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni), le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a manqué aux obligations qui lui incombaient pendant la période de transition à la suite de l’entrée en vigueur de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique{1}.

Elle se prononce sur la question inédite de savoir si l’exécution, par un État membre, d’une sentence arbitrale rendue à l’égard d’un autre État membre en vertu des dispositions de la convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États{2}, conclue par la plupart des États membres qui y sont parties avant leur adhésion à l’Union et constitue donc pour ceux-ci une convention internationale antérieure, au sens de l’article 351, premier alinéa, TFUE, implique que ces États sont tenus à des « obligations » à l’égard des États tiers l’ayant conclue, de telle sorte que ces derniers en tirent des « droits » corrélatifs qui seraient « affectés » par les dispositions des traités.

La convention CIRDI est entrée en vigueur à l’égard du Royaume-Uni et de la Roumanie avant leur adhésion à l’Union. Elle prévoit que chaque État contractant reconnaît toute sentence rendue dans le cadre de cette convention comme obligatoire et assure l’exécution sur son territoire des obligations pécuniaires que la sentence impose comme s’il s’agissait d’un jugement définitif d’un tribunal fonctionnant sur le territoire dudit État{3}. En 2002, le Royaume de Suède et la Roumanie avaient conclu un traité bilatéral d’investissement{4} qui prévoit que chaque partie assure à tout moment un traitement juste et équitable aux investissements des investisseurs de l’autre partie contractante et n’entrave pas, par des mesures arbitraires ou discriminatoires, l’administration, la gestion, le maintien, l’utilisation, la jouissance ou la cession desdits investissements par lesdits investisseurs{5}.

En vue de son adhésion à l’Union européenne, la Roumanie a abrogé un régime régional d’aide à l’investissement sous forme d’incitations fiscales. Des investisseurs suédois prétendument lésés ont alors obtenu d’un tribunal arbitral, constitué au titre de la convention CIRDI, une sentence arbitrale condamnant la Roumanie à leur verser, à titre de dommages et intérêts, la somme de 178 millions d’euros et ont cherché à en obtenir la reconnaissance et l’exécution, notamment au Royaume-Uni.

Après avoir enjoint à la Roumanie de suspendre l’exécution de cette sentence arbitrale, au motif qu’une telle action apparaissait comme constituant une aide d’État illégale, la Commission européenne a adopté, en 2014, une décision d’ouverture d’une procédure formelle d’examen (ci-après la « décision d’ouverture »){6}. En 2015, elle a adopté une nouvelle décision, par laquelle, après avoir constaté que l’article 351 TFUE n’était pas applicable en l’espèce, étant donné que le TBI est un traité conclu entre deux États membres de l’Union, si bien qu’aucun État tiers ayant conclu la convention CIRDI ne faisait l’objet de la procédure en cause, elle a considéré que le versement des dommages et intérêts accordés par la sentence arbitrale constituait une « aide d’État » incompatible avec le marché intérieur{7} que la Roumanie est notamment tenue de ne pas verser (ci-après la « décision finale »).

En 2019, le Tribunal a annulé la décision finale{8}, au motif, en substance, que la Commission n’était pas compétente ratione temporis pour adopter celle ci au titre de l’article 108 TFUE (ci-après l’« arrêt du Tribunal »). Cet arrêt a été frappé d’un pourvoi devant la Cour. Avant que la Cour ait pu statuer sur ce pourvoi, la Cour suprême du Royaume-Uni a ordonné, le 19 février 2020, dans l’affaire Micula v Romania (ci-après l’« arrêt en cause »), l’exécution de la sentence arbitrale. Par l’arrêt Commission/European Food e.a.{9}, la Cour a annulé l’arrêt du Tribunal et renvoyé l’affaire devant lui.

À l’issue d’une procédure précontentieuse engagée en décembre 2020, la Commission a introduit un recours en manquement, au titre de l’article 258 TFUE, visant à faire constater que, par l’arrêt en cause, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union.

Appréciation de la Cour

Dans un premier temps, la Cour rappelle que, en vertu de l’accord de retrait{10}, elle est compétente pour connaître des recours en manquement, au cours de la période de quatre années suivant la fin de la période de transition, intervenue le 31 décembre 2020 (ci-après la « période de transition »), lorsqu’elle considère que le Royaume-Uni a manqué à une obligation qui lui incombe en vertu des traités avant la fin de cette dernière période. En l’espèce, dès lors que le manquement reproché résulte de l’arrêt en cause rendu pendant la période de transition, et que ce recours a été introduit par la Commission au cours de la période de quatre années suivant la fin de cette période de transition, la Cour est compétente pour connaître dudit recours.

Dans un second temps, elle examine et accueille les quatre griefs soulevés par la Commission, à l’appui de son recours en manquement. À cette fin, elle relève d’emblée que le Royaume-Uni, même si le manquement qui lui est reproché est postérieur à son retrait de l’Union, tout en étant antérieur à l’expiration de la période de transition, doit être considéré comme étant un « État membre » et que, par ailleurs, le droit de l’Union lui était applicable pendant cette période.

i) Sur le grief tiré d’une violation de l’article 351 TFUE

La Cour constate, en premier lieu, qu’il est établi que la convention CIRDI, qui ne fait pas partie du droit de l’Union, est un traité multilatéral qui a été conclu par le Royaume-Uni avant son adhésion à l’Union tant avec des États membres qu’avec des États tiers et que, partant, cette convention internationale est susceptible de relever du champ d’application de l’article 351 TFUE, qui prévoit notamment que les droits et obligations résultant des conventions conclues antérieurement à l’adhésion ne sont pas affectés par le droit de l’Union.

Cependant, le seul fait qu’une convention internationale antérieure a été conclue par un État membre avec des États tiers ne suffit pas à déclencher l’application de cette disposition. De telles conventions internationales ne peuvent être invoquées dans les rapports entre les États membres que lorsque ces États tiers en tirent des droits dont ils peuvent exiger le respect par l’État membre concerné.

La Cour examine, en second lieu, si la convention CIRDI impose au Royaume-Uni des obligations auxquelles ce dernier est tenu envers des États tiers et dont ceux-ci sont en droit de se prévaloir à l’égard du Royaume-Uni. À cet égard, la Cour rappelle qu’un tribunal arbitral établi dans le cadre de la convention CIRDI, en application de la clause d’arbitrage prévue par le TBI conclu entre le Royaume de Suède et la Roumanie avant l’adhésion de celle-ci à l’Union, a condamné la Roumanie à verser des dommages et intérêts aux investisseurs suédois. Or, le TBI doit, depuis l’adhésion de la Roumanie à l’Union, être considéré comme un traité concernant deux États membres.

En l’espèce, le litige soumis à la Cour suprême du Royaume-Uni concernait la prétendue obligation, pour le Royaume-Uni, de se conformer aux dispositions de la convention CIRDI, à l’égard du Royaume de Suède et de ses ressortissants et, corrélativement, le prétendu droit de ces derniers d’exiger du Royaume-Uni le respect de celles-ci.

En revanche, la Cour constate qu’un État tiers n’apparaît pas en droit d’exiger du Royaume-Uni, au titre de la convention CIRDI, l’exécution de la sentence arbitrale. En effet, cette convention internationale, en dépit de son caractère multilatéral, a pour objet de régir des relations bilatérales entre les parties contractantes d’une manière analogue à un traité bilatéral. À cet égard, elle observe que la Cour suprême du Royaume-Uni se borne, pour l’essentiel, à faire ressortir que les États tiers ayant conclu la convention CIRDI pourraient avoir un intérêt à ce que le Royaume-Uni respecte ses obligations à l’égard d’un autre État membre en procédant à l’exécution d’une sentence arbitrale. Or, un tel intérêt purement factuel ne saurait être assimilé à un « droit », au sens de l’article 351 TFUE, susceptible d’en justifier l’application.

Cependant, dans l’arrêt en cause, la Cour suprême du Royaume-Uni reste en défaut d’examiner la question fondamentale de savoir dans quelle mesure un État tiers pourrait engager la responsabilité internationale du Royaume-Uni du fait de la méconnaissance des obligations lui incombant au titre de cette convention dans le cadre de l’exécution d’une sentence arbitrale rendue à l’issue d’un litige entre les États membres.

Or, la Cour souligne que l’article 351 TFUE constitue une règle qui peut permettre des dérogations à l’application du droit de l’Union, y compris du droit primaire. Cette disposition est ainsi susceptible d’exercer une incidence considérable sur l’ordre juridique de l’Union, dès lors qu’elle permet de déroger au principe de primauté du droit de l’Union. Dans ce contexte, à suivre l’arrêt en cause, tous les États membres qui ont conclu la convention CIRDI avant leur adhésion à l’Union pourraient, en se fondant sur cet article, être en mesure de soustraire des litiges concernant le droit de l’Union au système juridictionnel de l’Union en les confiant aux tribunaux arbitraux. Pourtant, la Cour rappelle que le système des voies de recours juridictionnel prévu par les traités s’est substitué aux procédures d’arbitrage établies entre les États membres. L’article 351 TFUE doit donc faire l’objet d’une interprétation stricte, afin que les règles générales prévues par les traités de l’Union ne soient pas vidées de leur substance.

Dans ces conditions, la Cour suprême du Royaume-Uni était tenue, avant de se prononcer, d’examiner de manière approfondie si une telle obligation implique des droits dont des États tiers pourraient se prévaloir à l’égard de ceux-ci. Or, un tel examen approfondi fait défaut dans l’arrêt en cause, de sorte qu’elle a interprété et appliqué de manière erronée cette disposition en lui conférant une portée large dont l’objet et l’effet sont d’exclure délibérément l’application de l’ensemble du droit de l’Union. Une telle interprétation, qui aboutit à écarter le principe de primauté du droit de l’Union, lequel est l’une des caractéristiques essentielles de celui-ci, est de nature à mettre en cause la cohérence, le plein effet et l’autonomie du droit de l’Union ainsi que, en dernière instance, le caractère propre du droit institué par les traités. Ainsi, la Cour suprême du Royaume-Uni a gravement porté atteinte à l’ordre juridique de l’Union.

ii) Sur le grief tiré d’une violation de l’article 4 TUE

En premier lieu, la Cour relève que lorsque la solution du litige dépend de la validité de la décision de la Commission, il résulte de l’obligation de coopération loyale énoncée à l’article 4 TUE que la juridiction nationale devrait surseoir à statuer jusqu’à ce qu’une décision définitive sur le recours en annulation soit rendue par les juridictions de l’Union, sauf si elle considère que, dans les circonstances de l’espèce, il est justifié de déférer une question préjudicielle à la Cour sur la validité de la décision de la Commission.

Or, en l’espèce, les procédures pendantes devant les institutions de l’Union et la Cour suprême du Royaume-Uni portaient sur la même question, concernaient l’interprétation des mêmes dispositions et portaient sur la validité ou l’effectivité des décisions adoptées par la Commission. Ainsi, à la date à laquelle la Cour suprême du Royaume-Uni a rendu l’arrêt en cause, la question de l’incidence de l’article 351 TFUE sur l’application du droit de l’Union faisait l’objet d’un examen provisoire par la Commission et pouvait encore être appréciée par le juge de l’Union. Dans ces conditions, il existait un risque de décisions contradictoires. Ce risque s’est du reste concrétisé, dès lors que la décision d’ouverture, à l’instar de la décision finale, dont la légalité était soumise à un pourvoi à la date à laquelle cet arrêt a été rendu, avait conclu d’une manière tout à fait opposée par rapport à l’arrêt en cause.

En second lieu, la Cour considère que cette conclusion n’est pas susceptible d’être remise en cause par les motifs avancés par la Cour suprême du Royaume-Uni pour écarter l’application du principe de coopération loyale.

En ce qui concerne le motif selon lequel les questions relatives à l’existence et à la portée des obligations résultant de conventions internationales antérieures ne sont pas réservées aux juridictions de l’Union, voire échappent à leur compétence, la Cour précise que l’obligation de coopération loyale incombant aux juridictions nationales suppose qu’une même question puisse relever de la compétence concurrente des juridictions de l’Union et des juridictions nationales, de telle sorte qu’il existe un risque de décisions contradictoires.

Or, la question qui était soumise, en l’occurrence, à la fois à la Cour suprême du Royaume-Uni et à la Commission ainsi qu’aux juridictions de l’Union, était relative à la portée de l’article 351 TFUE, lequel est une disposition du droit de l’Union. Son interprétation définitive relève donc de la compétence exclusive de la Cour. La Cour souligne que cet article ne comporte aucun renvoi au droit des États membres ou au droit international, de telle sorte que ses expressions doivent être considérées comme étant des notions autonomes du droit de l’Union. Il s’ensuit que les juridictions de l’Union sont compétentes pour déterminer si la convention CIRDI impose des obligations dont un État tiers est en droit d’exiger le respect et si ces droits et ces obligations sont affectés par les traités de l’Union. Tel est le cas, dans le cadre d’un recours en annulation, d’un recours en manquement ou même de renvoi préjudiciel. Dans ce dernier cas, la compétence du juge national ne saurait priver la Cour de toute compétence pour examiner ces mêmes questions. Cela est d’autant moins le cas lorsque l’application de l’article 351 TFUE à une telle convention internationale est susceptible d’exercer une incidence déterminante sur l’issue d’un recours en annulation parallèle, visant à obtenir l’annulation d’une décision finale de la Commission.

En effet, dès lors que le juge de l’Union est appelé à se prononcer sur la validité d’un acte du droit de l’Union, il est conforme à la répartition des rôles entre les juges nationaux et le juge de l’Union que seule la Cour soit compétente pour interpréter la convention internationale antérieure pertinente afin de déterminer si l’article 351 TFUE fait ou non obstacle à l’application du droit de l’Union par ledit acte, la Cour étant exclusivement compétente pour constater l’invalidité d’un acte de l’Union.

iii) Sur le grief tiré d’une violation de l’article 267 TFUE

La Cour constate que, premièrement, la question de la portée de l’article 351 TFUE, dans les circonstances de la présente affaire, est une question inédite dans la jurisprudence de la Cour et que la portée de l’expression « affectés par les dispositions des traités », figurant à ce même article, n’a pas encore été précisée par la Cour. Or, cet article est susceptible d’exercer une incidence considérable sur l’ordre juridique de l’Union.

Deuxièmement, dans la décision d’ouverture et dans la décision finale, la Commission avait retenu une interprétation de l’article 351 TFUE qui est en contradiction avec celle adoptée par la Cour suprême du Royaume-Uni dans l’arrêt en cause. Cette interprétation est, par ailleurs, mise en cause par les investisseurs à l’appui de leur recours devant le Tribunal visant à obtenir l’annulation de la décision finale. Compte tenu du pourvoi introduit contre cet arrêt devant la Cour, la question de l’incidence de l’article 351 TFUE sur l’exécution de la sentence arbitrale demeure donc pendante devant les juridictions de l’Union.

Troisièmement, tant la High Court of England and Wales (Haute Cour de justice d’Angleterre et du pays de Galles) que la Court of Appeal (Cour d’appel), saisies préalablement par les investisseurs, avaient refusé de se prononcer sur la question de l’application de l’article 351 TFUE, au motif qu’il existait un risque de décisions contradictoires.

Quatrièmement, la Cour relève que le Nacka tingsrätt (tribunal de première instance de Nacka, Suède) avait jugé que l’article 351 TFUE ne s’appliquait pas à l’exécution de la sentence arbitrale et, partant, avait refusé d’exécuter cette sentence en Suède.

Cinquièmement, la question de l’exécution de la sentence arbitrale était pendante devant les juridictions belges au moment où la Cour suprême du Royaume-Uni a statué.

Au regard de ces constatations, la Cour conclut qu’il existait, en l’occurrence, suffisamment d’éléments de nature à susciter des doutes quant à l’interprétation de l’article 351 TFUE. Ces doutes, compte tenu de l’incidence de cette disposition sur l’une des caractéristiques essentielles du droit de l’Union et du risque de décisions contradictoires au sein de l’Union, auraient dû amener la Cour suprême du Royaume-Uni à considérer que l’interprétation de ladite disposition ne s’impose pas avec une évidence telle qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.

Dans ces conditions, elle juge qu’il incombait à la Cour suprême du Royaume-Uni, en tant que juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel de droit interne, d’interroger la Cour par renvoi préjudiciel au sujet de l’interprétation de l’article 351 TFUE, afin d’écarter le risque d’une interprétation erronée du droit de l’Union, à laquelle elle est effectivement parvenue dans l’arrêt en cause.

iv) Sur le grief tiré d’une violation de l’article 108 TFUE

La Cour constate que l’arrêt en cause exige que la Roumanie procède au versement des dommages et intérêts accordés par cette sentence arbitrale en violation de l’obligation, énoncée à l’article 108 TFUE, de ne pas mettre à exécution un projet d’aide avant que la Commission ait adopté une décision finale. La Roumanie se trouve ainsi confrontée à des décisions contradictoires en ce qui concerne l’exécution de ladite sentence. Dès lors, en ordonnant à un autre État membre de l’enfreindre, l’arrêt en cause viole cette disposition.

Il est sans incidence, à cet égard, que l’article précité prévoit une obligation à la charge de « l’État membre intéressé », à savoir, en l’occurrence, la Roumanie. En effet, l’obligation de coopération loyale imposait aux juridictions nationales du Royaume-Uni de faciliter le respect par la Roumanie des obligations lui incombant au titre de l’article 108 TFUE, sous peine de priver cette disposition de son effet utile.

{1} Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (ci-après l’« accord de retrait »), adopté le 17 octobre 2019, approuvé au nom de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA) par la décision (UE) 2020/135 du Conseil, du 30 janvier 2020 (JO 2020, L 29, p. 1), entré en vigueur le 1er février 2020.

{2} Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États, conclue à Washington le 18 mars 1965 (ci-après la « convention CIRDI »).

{3} Article 54, paragraphe 1, de la convention CIRDI.

{4} Traité bilatéral d’investissement, conclu le 29 mai 2002, entre le gouvernement du Royaume de Suède et la Roumanie pour la promotion et la protection réciproque des investissements (ci-après le « TBI »), entré en vigueur le 1er avril 2003.

{5} Article 2, paragraphe 3 du TBI.

{6} En vertu de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

{7} Voir l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

{8} Arrêt du 18 juin 2019, European Food e.a./Commission (T-624/15, T-694/15 et T-704/15, EU:T:2019:423).

{9} Arrêt du 25 janvier 2022, Commission/European Food e.a. (C-638/19 P, EU:C:2022:50).

{10} Article 87, paragraphe 1, de l’accord de retrait.

Arrêt du 14 mars 2024, Commission / Royaume-Uni (Arrêt de la Cour suprême) (C-516/22) (cf. points 141-144, 146-154, disp. 1)

27. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions d'interprétation - Obligation de renvoi - Portée - Refus d'exécution d'un mandat d'arrêt européen - Autorité judiciaire d'émission dudit mandat devant statuer sur le maintien ou le retrait de ce mandat - Absence d'obligation de renvoi - Condition - Décision de cette autorité étant susceptible d'un recours juridictionnel de droit interne

Saisie à titre préjudiciel par la Curtea de Apel Braşov (cour d’appel de Braşov, Roumanie), la Cour précise, dans le cadre d’une affaire préjudicielle d’urgence, sa jurisprudence relative au motif de non-exécution d’un mandat d’arrêt européen (MAE) se rapportant au risque de violation des droits fondamentaux de la personne concernée en cas de sa remise aux autorités roumaines.

Le 17 décembre 2020, la cour d’appel de Braşov a émis un MAE contre P.P.R., en vue de l’exécution d’une peine d’emprisonnement. Arrêté en France en 2022, P.P.R. n’a cependant pas été remis aux autorités roumaines. Par un arrêt du 29 novembre 2023, la cour d’appel de Paris (France) a refusé l’exécution du MAE en raison de l’existence d’un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi{1}. Selon cette juridiction, il existerait des défaillances systémiques et généralisées affectant le pouvoir judiciaire en Roumanie dans la mesure où le lieu de conservation des procès-verbaux de prestation de serment des juges serait incertain, ce qui ferait naître un doute quant à la composition régulière des juridictions de cet État membre. En outre, en l’occurrence, le procès-verbal de prestation de serment d’un juge de la formation ayant infligé la peine d’emprisonnement serait introuvable alors qu’un autre juge de la même formation aurait seulement prêté serment lors de sa nomination en tant que procureur. Par ailleurs, par une décision de la chambre des requêtes de la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol (CCF), l’avis de recherche international visant P.P.R. a été supprimé de la base de données d’Interpol au motif que les données le concernant n’étaient pas conformes aux règles d’Interpol relatives au traitement des données à caractère personnel. Cela aurait mis en évidence l’existence de sérieuses préoccupations, notamment, au sujet du respect des droits fondamentaux lors de la procédure dont P.P.R. a fait l’objet en Roumanie.

Le 29 avril 2024, P.P.R. a été arrêté à Malte en vertu du MAE émis contre lui. Le même jour, l’autorité judiciaire d’exécution maltaise a demandé à la juridiction de renvoi des informations complémentaires, précisant que P.P.R. avait invoqué l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 29 novembre 2023.

Par la suite, le 20 mai 2024, la juridiction maltaise a décidé de ne pas remettre P.P.R. aux autorités roumaines, estimant que les informations relatives aux conditions de détention en Roumanie dont elle disposait ne lui permettaient pas de conclure que l’interdiction de peines ou de traitements inhumains et dégradants, prévue à l’article 4 de la Charte, serait respectée si P.P.R. devait être remis à ces autorités.

Dans ces conditions, la juridiction de renvoi a décidé de poser à la Cour plusieurs questions préjudicielles portant en substance : tout d’abord, sur les effets produits, pour d’autres autorités d’exécution et pour l’autorité d’émission, par une décision d’une autorité d’exécution de refuser l’exécution d’un MAE ; ensuite, sur les motifs sous-tendant les décisions des autorités d’exécution française et maltaise de refuser l’exécution du MAE émis par l’autorité d’émission ; enfin, sur sa propre obligation de saisir la Cour à titre préjudiciel après un tel refus ainsi que sur son droit de participer à la procédure devant l’autorité d’exécution du MAE.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, en ce qui concerne des effets d’une décision de refuser l’exécution d’un MAE pour d’autres autorités d’exécution, la Cour fait observer que la décision-cadre relative au MAE{2} ne prévoit pas la possibilité ou l’obligation, pour une autorité d’exécution d’un État membre, de refuser l’exécution d’un MAE au seul motif que son exécution a été refusée par l’autorité d’exécution d’un autre État membre, sans procéder elle-même à la vérification de l’existence d’un motif justifiant sa non-exécution. Ainsi, l’autorité d’exécution d’un État membre n’est pas tenue de refuser l’exécution d’un MAE lorsque l’autorité d’exécution d’un autre État membre a préalablement refusé de l’exécuter pour le motif que la remise de la personne concernée risquerait de porter atteinte au droit fondamental à un procès équitable. Néanmoins, dans le cadre de son propre examen de l’existence d’un motif de non-exécution, cette autorité doit tenir compte des motifs qui sous-tendent la décision de refus adoptée par la première autorité d’exécution.

S’agissant des effets de cette décision pour l’autorité d’émission, la Cour relève que la décision-cadre 2002/584 n’exclut pas la possibilité, pour cette autorité, de maintenir sa demande de remise au titre d’un MAE en dépit du refus d’exécuter celui-ci. Or, si l’autorité d’émission n’est pas tenue, à la suite d’un tel refus, de retirer son MAE, une décision de refuser son exécution doit, tout de même, l’inciter à la vigilance. Elle ne saurait, surtout en l’absence d’un changement de circonstances, maintenir un MAE lorsqu’une autorité judiciaire d’exécution a légitimement refusé{3} d’y donner suite en raison d’un risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable. En revanche, en l’absence d’un tel risque, à la suite notamment d’un changement de circonstances, le seul fait que l’autorité d’exécution ait refusé d’exécuter ledit MAE ne saurait faire obstacle à ce que l’autorité judiciaire d’émission maintienne celui-ci. Par ailleurs, il appartient à cette autorité d’examiner si, au regard des spécificités de l’espèce, le maintien du MAE revêt un caractère proportionné.

En deuxième lieu, pour ce qui est des motifs sous-tendant les décisions des autorités d’exécution française et maltaise de refuser l’exécution du MAE en cause, la Cour rappelle, premièrement, que, pour déterminer l’existence d’un risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable en raison de défaillances systémiques ou généralisées du fonctionnement du système juridictionnel de l’État membre d’émission, l’autorité d’exécution doit reposer son examen à la fois sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés relatifs au fonctionnement de ce système ainsi que sur une analyse concrète et précise de la situation individuelle de la personne recherchée. Dès lors, une décision de la CCF portant sur la situation de la personne faisant l’objet d’un MAE{4} ne saurait suffire à justifier le refus de l’exécution de ce MAE. Cependant, une telle décision peut être prise en compte par l’autorité judiciaire d’exécution en vue de décider s’il y a lieu de refuser d’exécuter le MAE. Deuxièmement, la Cour considère que l’autorité judiciaire d’exécution d’un MAE émis en vue de l’exécution d’une peine ne peut pas refuser d’exécuter ce MAE en se fondant sur le motif que le procès-verbal de prestation de serment d’un juge ayant infligé cette peine est introuvable ou sur la circonstance qu’un autre juge de la même formation aurait seulement prêté serment lors de sa nomination en tant que procureur. En effet, toute irrégularité intervenant au cours de la procédure de nomination d’un juge, ou à l’occasion de son entrée en fonction, n’est pas de nature à jeter un doute sur l’indépendance et l’impartialité de ce juge et, partant, sur la qualité de « tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi », au sens du droit de l’Union, d’une formation de jugement dans laquelle il siège. En particulier, ne saurait constituer une défaillance systémique ou généralisée en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire la circonstance que le droit i

nterne d’un État membre prévoit, éventuellement, qu’un procureur, qui a prêté serment lors de son entrée en fonction, ne doit pas, lors de sa nomination ultérieure aux fonctions de juge, prêter serment une nouvelle fois. De plus, une incertitude quant au lieu de conservation des procès-verbaux de prestation de serment des juges d’un État membre ou l’impossibilité de localiser ces procès-verbaux, notamment si plusieurs années se sont écoulées depuis la prestation de serment du juge concerné, ne sont pas, en elles-mêmes et à défaut d’autres indices pertinents, susceptibles de démontrer que les juges concernés ont exercé leurs fonctions sans jamais avoir prêté le serment exigé. En tout état de cause, une incertitude quant à la question de savoir si les juges d’un État membre ont, avant leur entrée en fonction, prêté le serment prévu par le droit interne ne saurait être considérée comme étant constitutive d’une défaillance systémique ou généralisée en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire dans cet État membre, si le droit interne prévoit des voies de droit efficaces qui permettent d’invoquer une éventuelle omission de prestation de serment par les juges ayant prononcé un jugement déterminé et d’obtenir ainsi l’annulation de ce jugement. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier si de telles voies de droit existent dans le droit roumain.

Troisièmement, la Cour dit pour droit que, lors de l’examen des conditions de détention dans l’État membre d’émission, l’autorité judiciaire d’exécution ne peut pas refuser l’exécution d’un MAE en se fondant sur des éléments concernant les conditions de détention au sein des établissements pénitentiaires de l’État membre d’émission qu’elle a elle-même recueillis et à l’égard desquels elle n’a pas sollicité de l’autorité judiciaire d’émission des informations complémentaires. En outre, l’autorité judiciaire d’exécution ne peut pas appliquer un standard plus élevé en matière de conditions de détention que celui garanti par l’article 4 de la Charte. À cet égard, la seule absence d’établissement d’un « plan précis d’exécution de la peine » ou de « critères précis pour établir un régime d’exécution déterminé » ne relève pas de la notion de « traitement inhumain ou dégradant », au sens de l’article 4 de la Charte.

À supposer que l’établissement d’un tel plan ou de tels critères soit exigé dans l’État membre d’exécution, il y a lieu de rappeler que, en vertu du principe de confiance mutuelle, les États membres peuvent être tenus de présumer le respect des droits fondamentaux par les autres États membres, de telle sorte qu’il ne leur est pas possible, notamment, d’exiger d’un autre État membre un niveau de protection national des droits fondamentaux plus élevé que celui assuré par le droit de l’Union. Partant, l’autorité judiciaire d’exécution ne saurait refuser la remise de la personne recherchée au seul motif que l’autorité judiciaire d’émission ne lui a pas communiqué un « plan précis de l’exécution de la peine » ou des « critères précis pour établir un régime d’exécution déterminé ».

En troisième et dernier lieu, à propos des obligations et des droits de l’autorité judiciaire d’émission, la Cour explique, d’une part, que cette autorité n’est pas tenue de saisir la Cour à titre préjudiciel avant de décider, au regard des motifs ayant conduit l’autorité judiciaire d’exécution à refuser l’exécution d’un MAE, de retirer celui-ci ou de le maintenir, à moins que la décision qu’elle sera amenée à prendre ne soit pas susceptible d’un recours juridictionnel de droit interne, auquel cas elle est, en principe, tenue de saisir la Cour. Elle ne saurait être libérée de cette obligation que lorsqu’elle a constaté que la question soulevée n’est pas pertinente ou que la disposition du droit de l’Union en cause a fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable. D’autre part, la Cour estime que l’autorité judiciaire d’émission d’un MAE ne dispose pas du droit de participer, en tant que partie, à la procédure relative à l’exécution de ce MAE devant l’autorité judiciaire d’exécution. En effet, une telle participation n’est pas indispensable pour assurer le respect des principes de reconnaissance mutuelle et de coopération loyale qui sous-tendent le fonctionnement du mécanisme du MAE.

{1} Ce droit est consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

{2} Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2002/584 »).

{3} Conformément à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584, lequel dispose : « La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du traité sur l’Union européenne. »

{4} En l’occurrence, par sa décision, la CCF a ordonné la suppression de l’avis de recherche international visant P.P.R., en raison d’une violation des règles d’Interpol relatives au traitement des données à caractère personnel.

Arrêt du 29 juillet 2024, Breian (C-318/24 PPU) (cf. points 65-69, disp. 3)

28. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions d'interprétation - Obligation de renvoi - Portée - Procédure d'autorisation d'un pourvoi en révision devant la juridiction suprême d'un État membre - Rejet d'une demande d'autorisation sans appréciation préalable de l'obligation, pour cette juridiction, de saisir la Cour de la question de droit de l'Union soulevée à l'appui de cette demande - Inadmissibilité

Saisie à titre préjudiciel par le Vrhovno sodišče (Cour suprême, Slovénie), la Cour, réunie en grande chambre, juge qu’une procédure d’autorisation d’un pourvoi en révision devant la juridiction suprême nationale ne dispense pas cette dernière de son obligation d’examiner, dans le cadre de cette procédure, s’il y a lieu de saisir la Cour à titre préjudiciel d’une question de droit de l’Union soulevée à l’appui de la demande d’autorisation de ce pourvoi.

La société KUBERA a acheté, en Turquie, des canettes de Red Bull produites en Autriche et les a acheminées par bateau jusqu’au port de Koper (Slovénie) aux fins de leur importation. Par deux décisions du 5 octobre 2021, l’administration slovène des finances a décidé de retenir ces canettes, en application du règlement no 608/2013{1}, dans l’attente de l’issue de la procédure judiciaire engagée par la société Red Bull en vue de protéger ses droits de propriété intellectuelle afférents auxdites canettes. Après avoir épuisé les voies de recours administratives, KUBERA a formé des recours contre ces décisions devant l’Upravno sodišče (Tribunal administratif, Slovénie), qui les a rejetés par deux jugements.

KUBERA a alors introduit, devant la juridiction de renvoi, deux demandes d’autorisation d’un pourvoi en révision contre ces jugements, en soutenant que le litige au principal soulève une question d’interprétation du règlement no 608/2013{2} qui constitue, selon elle, une question juridique importante justifiant l’autorisation des pourvois en révision. Elle a également demandé à la juridiction de renvoi, dans l’hypothèse où celle-ci ne souscrirait pas à l’interprétation de ce règlement qu’elle préconise, de saisir la Cour à titre préjudiciel de cette question.

Selon la réglementation nationale applicable, le pourvoi en révision est autorisé si l’affaire portée devant la Cour suprême soulève une question de droit importante pour assurer la sécurité juridique, l’application uniforme du droit ou le développement de celui-ci. Cette réglementation énonce des cas de figure particuliers correspondant à une telle hypothèse. Tout en considérant que, en l’occurrence, les demandes de KUBERA d’autoriser ses pourvois en révision ne remplissent pas ces conditions, la juridiction de renvoi se demande néanmoins si l’article 267, troisième alinéa, TFUE{3} l’oblige, aux fins de statuer sur ces demandes d’autorisation, à examiner la demande de KUBERA de saisir la Cour à titre préjudiciel de la question de droit de l’Union soulevée par cette société. Elle cherche également à savoir si, dans l’hypothèse où elle déciderait qu’il n’y a pas lieu de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle, elle est tenue, en vertu de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de motiver sa décision de rejet de la demande d’autorisation du pourvoi en révision.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, la Cour dit pour droit que l’article 267, troisième alinéa, TFUE s’oppose à ce qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne décide, dans le cadre d’une procédure d’examen d’une demande d’autorisation d’un pourvoi en révision dont l’issue dépend de l’importance de la question de droit soulevée par l’une des parties au litige pour la sécurité juridique, pour l’application uniforme du droit ou pour le développement de celui-ci, de rejeter une telle demande d’autorisation sans avoir apprécié si elle était tenue de saisir la Cour à titre préjudiciel d’une question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union soulevée à l’appui de cette demande.

La Cour rappelle, tout d’abord, que, si l’organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence de ces États, ceux-ci sont tenus, dans l’exercice de cette compétence, de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union. Ainsi, si le droit de l’Union ne s’oppose pas, en principe, à ce que les États membres instaurent des procédures d’autorisation des pourvois ou d’autres systèmes de sélection ou de « filtrage » des saisines des juridictions suprêmes nationales, la mise en œuvre de tels procédures ou systèmes doit respecter les exigences découlant de ce droit, en particulier de l’article 267 TFUE.

À cet égard, l’obligation pour les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne de saisir la Cour d’une question préjudicielle s’inscrit dans le cadre de la coopération entre les juridictions nationales et la Cour et a notamment pour but de prévenir que s’établisse, dans un État membre quelconque, une jurisprudence nationale ne concordant pas avec les règles du droit de l’Union. Une telle juridiction nationale ne saurait être libérée de cette obligation que dans trois situations, à savoir lorsqu’elle a constaté que la question soulevée n’est pas pertinente ou que la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable{4}. Lorsqu’elle se trouve en présence de l’une de ces situations{5}, cette juridiction n’est donc pas tenue de saisir la Cour, quand bien même la question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union serait soulevée par une partie à la procédure devant elle.

Par ailleurs, la Cour relève que l’existence d’une procédure d’autorisation d’un pourvoi en révision ne saurait transformer la juridiction inférieure dont la décision est susceptible d’être contestée dans le cadre d’un tel pourvoi en une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne et sur laquelle pèserait, en conséquence, l’obligation de saisine prévue à l’article 267, troisième alinéa, TFUE. En revanche, cette obligation pèse sur une juridiction suprême nationale telle que la juridiction de renvoi.

Cette dernière expose néanmoins que, selon son interprétation de la réglementation nationale applicable, elle n’est pas tenue d’apprécier, au stade de l’examen de la demande d’autorisation d’un pourvoi en révision, s’il y a lieu ou non, dans le cadre de la procédure de révision, de saisir la Cour à titre préjudiciel de la question de droit de l’Union soulevée à l’appui de cette demande. Lorsqu’un pourvoi en révision n’est pas autorisé, la décision de rejet met définitivement fin à la procédure. Dans ce cas, l’interprétation du droit de l’Union retenue par la juridiction inférieure pourrait s’imposer dans l’ordre juridique national en cause, quand bien même la question soulevée à l’appui de la demande d’autorisation d’un pourvoi en révision aurait justifié une saisine de la Cour à titre préjudiciel.

La Cour relève qu’une telle réglementation ou pratique nationale peut conduire à une situation dans laquelle une question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union, bien qu’elle soit soulevée devant la Cour suprême, ne serait pas soumise à la Cour, en violation de l’obligation imposée à cette juridiction nationale par l’article 267, troisième alinéa, TFUE. Or, une telle situation est susceptible de compromettre l’efficacité du système de coopération entre les juridictions nationales et la Cour ainsi que, notamment, la réalisation de l’objectif de prévenir que s’établisse, dans un État membre quelconque, une jurisprudence nationale qui n’est pas conforme au droit de l’Union{6}.

La Cour invite toutefois la juridiction de renvoi à vérifier la possibilité d’interpréter la réglementation nationale applicable en conformité avec les exigences de l’article 267 TFUE{7}. En effet, cette réglementation ne semble pas interdire à cette juridiction d’apprécier, dans le cadre de la procédure d’examen d’une demande d’autorisation d’un pourvoi en révision, si la question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union soulevée à l’appui de cette demande exige la saisine de la Cour à titre préjudiciel ou relève, au contraire, de l’une des exceptions à l’obligation de renvoi. En particulier, les cas de figure que ladite réglementation énonce et qui ont exclusivement trait à des situations caractérisées, en substance, par des divergences dans la jurisprudence nationale ou par l’absence de jurisprudence de la juridiction suprême nationale ne paraissent pas revêtir un caractère exhaustif.

Dans ces conditions, ladite réglementation apparaît susceptible d’être interprétée en ce sens que le critère de l’importance de la question de droit soulevée pour la sécurité juridique, l’application uniforme du droit ou le développement de celui-ci inclut l’hypothèse où la partie au litige qui demande l’autorisation de former un pourvoi en révision soulève une question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union qui ne relève d’aucune des exceptions à l’obligation de renvoi et qui exige, par conséquent, une saisine de la Cour à titre préjudiciel.

La Cour souligne, en outre, qu’il appartient à une juridiction suprême nationale, saisie d’une telle demande d’autorisation et se trouvant dans l’obligation de saisir la Cour à titre préjudiciel, de décider s’il convient de procéder à cette saisine au stade de l’examen de cette demande ou à un stade ultérieur. Si elle décide de saisir la Cour à titre préjudiciel au stade de l’examen de ladite demande, il lui incombe de suspendre le traitement de cette dernière dans l’attente de la décision préjudicielle et de mettre en œuvre, par la suite, cette décision dans son appréciation du point de savoir s’il y a lieu d’autoriser le pourvoi en révision.

En second lieu, la Cour rappelle qu’il découle du système mis en place par l’article 267 TFUE, lu à la lumière de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux, que, dès lors qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne considère, au motif qu’elle se trouve en présence de l’une des trois exceptions à l’obligation de renvoi, qu’elle est libérée de cette obligation, les motifs de sa décision doivent faire apparaître soit que la question de droit de l’Union soulevée n’est pas pertinente pour la solution du litige, soit que l’interprétation de la disposition concernée du droit de l’Union est fondée sur la jurisprudence de la Cour, soit, à défaut d’une telle jurisprudence, que l’interprétation du droit de l’Union s’est imposée à la juridiction nationale statuant en dernier ressort avec une évidence ne laissant place à aucun doute raisonnable. La Cour en déduit que, étant donné que, sans préjudice de l’application d’un motif d’irrecevabilité de nature purement procédurale, une telle juridiction nationale ne saurait rejeter une demande d’autorisation d’un pourvoi en révision qui soulève une question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union sans apprécier au préalable si elle est tenue de saisir la Cour à titre préjudiciel de cette question ou si cette dernière relève de l’une des trois exceptions à l’obligation de renvoi, cette juridiction nationale doit, lorsqu’elle rejette une telle demande d’autorisation au titre de l’une de ces exceptions, exposer les motifs pour lesquels elle n’a pas procédé à cette saisine.

{1} Règlement (UE) no 608/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 12 juin 2013, concernant le contrôle, par les autorités douanières, du respect des droits de propriété intellectuelle et abrogeant le règlement (CE) no 1383/2003 du Conseil (JO 2013, L 181, p. 15). Voir l’article 17 de ce règlement.

{2} En l’occurrence, la question de savoir si ce règlement s’applique à une situation dans laquelle les marchandises importées sont produites par le titulaire des droits de propriété industrielle afférents à celles-ci.

{3} Conformément à cette disposition, lorsqu’une question d’interprétation ou de validité du droit de l’Union est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.

{4} Arrêts du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335, point 21), ainsi que du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi (C 561/19, EU:C:2021:799, point 33).

{5} Ces trois situations dans lesquelles les juridictions nationales statuant en dernier ressort ne sont pas soumises à l’obligation de renvoi préjudiciel sont désignées ci-après par les termes « exceptions à l’obligation de renvoi ».

{6} Cette interprétation n’est pas remise en cause par la jurisprudence issue des arrêts du 15 mars 2017, Aquino (C 3/16, EU:C:2017:209, point 56), et du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi (C 561/19, précité, point 61), selon laquelle une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne peut s’abstenir de soumettre une question préjudicielle à la Cour pour des motifs d’irrecevabilité propres à la procédure devant cette juridiction nationale, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité. À la différence de tels motifs, un critère d’autorisation d’un pourvoi en révision tel que celui prévu dans la réglementation nationale applicable requiert de la juridiction suprême qu’elle examine l’importance de la question de droit soulevée à l’appui de la demande d’autorisation d’un tel pourvoi pour la sécurité juridique, pour l’application uniforme du droit ou pour le développement de celui-ci.

{7} La Cour renvoie, à cet égard, aux indications fournies dans la décision de renvoi concernant l’évolution de la jurisprudence de l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle, Slovénie). En particulier, il résulterait d’une décision de cette juridiction du 31 mars 2022 que la demande de l’une des parties au litige de saisir la Cour à titre préjudiciel en application de l’article 267 TFUE, présentée dans le cadre de la demande d’autorisation d’un pourvoi en révision, doit être traitée dès l’étape de l’examen de cette dernière demande.

Arrêt du 15 octobre 2024, KUBERA (C-144/23) (cf. points 31-39, 45, 46, 54-56, 58-60, disp. 1)

29. Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Questions d'interprétation - Obligation de renvoi - Procédure d'autorisation d'un pourvoi en révision devant la juridiction suprême d'un État membre - Rejet d'une demande d'autorisation comportant une demande de saisir la Cour d'une question relative à l'interprétation ou à la validité d'une disposition du droit de l'Union - Obligation de motivation de la décision de ne pas procéder à cette saisine

Saisie à titre préjudiciel par le Vrhovno sodišče (Cour suprême, Slovénie), la Cour, réunie en grande chambre, juge qu’une procédure d’autorisation d’un pourvoi en révision devant la juridiction suprême nationale ne dispense pas cette dernière de son obligation d’examiner, dans le cadre de cette procédure, s’il y a lieu de saisir la Cour à titre préjudiciel d’une question de droit de l’Union soulevée à l’appui de la demande d’autorisation de ce pourvoi.

La société KUBERA a acheté, en Turquie, des canettes de Red Bull produites en Autriche et les a acheminées par bateau jusqu’au port de Koper (Slovénie) aux fins de leur importation. Par deux décisions du 5 octobre 2021, l’administration slovène des finances a décidé de retenir ces canettes, en application du règlement no 608/2013{1}, dans l’attente de l’issue de la procédure judiciaire engagée par la société Red Bull en vue de protéger ses droits de propriété intellectuelle afférents auxdites canettes. Après avoir épuisé les voies de recours administratives, KUBERA a formé des recours contre ces décisions devant l’Upravno sodišče (Tribunal administratif, Slovénie), qui les a rejetés par deux jugements.

KUBERA a alors introduit, devant la juridiction de renvoi, deux demandes d’autorisation d’un pourvoi en révision contre ces jugements, en soutenant que le litige au principal soulève une question d’interprétation du règlement no 608/2013{2} qui constitue, selon elle, une question juridique importante justifiant l’autorisation des pourvois en révision. Elle a également demandé à la juridiction de renvoi, dans l’hypothèse où celle-ci ne souscrirait pas à l’interprétation de ce règlement qu’elle préconise, de saisir la Cour à titre préjudiciel de cette question.

Selon la réglementation nationale applicable, le pourvoi en révision est autorisé si l’affaire portée devant la Cour suprême soulève une question de droit importante pour assurer la sécurité juridique, l’application uniforme du droit ou le développement de celui-ci. Cette réglementation énonce des cas de figure particuliers correspondant à une telle hypothèse. Tout en considérant que, en l’occurrence, les demandes de KUBERA d’autoriser ses pourvois en révision ne remplissent pas ces conditions, la juridiction de renvoi se demande néanmoins si l’article 267, troisième alinéa, TFUE{3} l’oblige, aux fins de statuer sur ces demandes d’autorisation, à examiner la demande de KUBERA de saisir la Cour à titre préjudiciel de la question de droit de l’Union soulevée par cette société. Elle cherche également à savoir si, dans l’hypothèse où elle déciderait qu’il n’y a pas lieu de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle, elle est tenue, en vertu de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de motiver sa décision de rejet de la demande d’autorisation du pourvoi en révision.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, la Cour dit pour droit que l’article 267, troisième alinéa, TFUE s’oppose à ce qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne décide, dans le cadre d’une procédure d’examen d’une demande d’autorisation d’un pourvoi en révision dont l’issue dépend de l’importance de la question de droit soulevée par l’une des parties au litige pour la sécurité juridique, pour l’application uniforme du droit ou pour le développement de celui-ci, de rejeter une telle demande d’autorisation sans avoir apprécié si elle était tenue de saisir la Cour à titre préjudiciel d’une question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union soulevée à l’appui de cette demande.

La Cour rappelle, tout d’abord, que, si l’organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence de ces États, ceux-ci sont tenus, dans l’exercice de cette compétence, de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union. Ainsi, si le droit de l’Union ne s’oppose pas, en principe, à ce que les États membres instaurent des procédures d’autorisation des pourvois ou d’autres systèmes de sélection ou de « filtrage » des saisines des juridictions suprêmes nationales, la mise en œuvre de tels procédures ou systèmes doit respecter les exigences découlant de ce droit, en particulier de l’article 267 TFUE.

À cet égard, l’obligation pour les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne de saisir la Cour d’une question préjudicielle s’inscrit dans le cadre de la coopération entre les juridictions nationales et la Cour et a notamment pour but de prévenir que s’établisse, dans un État membre quelconque, une jurisprudence nationale ne concordant pas avec les règles du droit de l’Union. Une telle juridiction nationale ne saurait être libérée de cette obligation que dans trois situations, à savoir lorsqu’elle a constaté que la question soulevée n’est pas pertinente ou que la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable{4}. Lorsqu’elle se trouve en présence de l’une de ces situations{5}, cette juridiction n’est donc pas tenue de saisir la Cour, quand bien même la question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union serait soulevée par une partie à la procédure devant elle.

Par ailleurs, la Cour relève que l’existence d’une procédure d’autorisation d’un pourvoi en révision ne saurait transformer la juridiction inférieure dont la décision est susceptible d’être contestée dans le cadre d’un tel pourvoi en une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne et sur laquelle pèserait, en conséquence, l’obligation de saisine prévue à l’article 267, troisième alinéa, TFUE. En revanche, cette obligation pèse sur une juridiction suprême nationale telle que la juridiction de renvoi.

Cette dernière expose néanmoins que, selon son interprétation de la réglementation nationale applicable, elle n’est pas tenue d’apprécier, au stade de l’examen de la demande d’autorisation d’un pourvoi en révision, s’il y a lieu ou non, dans le cadre de la procédure de révision, de saisir la Cour à titre préjudiciel de la question de droit de l’Union soulevée à l’appui de cette demande. Lorsqu’un pourvoi en révision n’est pas autorisé, la décision de rejet met définitivement fin à la procédure. Dans ce cas, l’interprétation du droit de l’Union retenue par la juridiction inférieure pourrait s’imposer dans l’ordre juridique national en cause, quand bien même la question soulevée à l’appui de la demande d’autorisation d’un pourvoi en révision aurait justifié une saisine de la Cour à titre préjudiciel.

La Cour relève qu’une telle réglementation ou pratique nationale peut conduire à une situation dans laquelle une question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union, bien qu’elle soit soulevée devant la Cour suprême, ne serait pas soumise à la Cour, en violation de l’obligation imposée à cette juridiction nationale par l’article 267, troisième alinéa, TFUE. Or, une telle situation est susceptible de compromettre l’efficacité du système de coopération entre les juridictions nationales et la Cour ainsi que, notamment, la réalisation de l’objectif de prévenir que s’établisse, dans un État membre quelconque, une jurisprudence nationale qui n’est pas conforme au droit de l’Union{6}.

La Cour invite toutefois la juridiction de renvoi à vérifier la possibilité d’interpréter la réglementation nationale applicable en conformité avec les exigences de l’article 267 TFUE{7}. En effet, cette réglementation ne semble pas interdire à cette juridiction d’apprécier, dans le cadre de la procédure d’examen d’une demande d’autorisation d’un pourvoi en révision, si la question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union soulevée à l’appui de cette demande exige la saisine de la Cour à titre préjudiciel ou relève, au contraire, de l’une des exceptions à l’obligation de renvoi. En particulier, les cas de figure que ladite réglementation énonce et qui ont exclusivement trait à des situations caractérisées, en substance, par des divergences dans la jurisprudence nationale ou par l’absence de jurisprudence de la juridiction suprême nationale ne paraissent pas revêtir un caractère exhaustif.

Dans ces conditions, ladite réglementation apparaît susceptible d’être interprétée en ce sens que le critère de l’importance de la question de droit soulevée pour la sécurité juridique, l’application uniforme du droit ou le développement de celui-ci inclut l’hypothèse où la partie au litige qui demande l’autorisation de former un pourvoi en révision soulève une question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union qui ne relève d’aucune des exceptions à l’obligation de renvoi et qui exige, par conséquent, une saisine de la Cour à titre préjudiciel.

La Cour souligne, en outre, qu’il appartient à une juridiction suprême nationale, saisie d’une telle demande d’autorisation et se trouvant dans l’obligation de saisir la Cour à titre préjudiciel, de décider s’il convient de procéder à cette saisine au stade de l’examen de cette demande ou à un stade ultérieur. Si elle décide de saisir la Cour à titre préjudiciel au stade de l’examen de ladite demande, il lui incombe de suspendre le traitement de cette dernière dans l’attente de la décision préjudicielle et de mettre en œuvre, par la suite, cette décision dans son appréciation du point de savoir s’il y a lieu d’autoriser le pourvoi en révision.

En second lieu, la Cour rappelle qu’il découle du système mis en place par l’article 267 TFUE, lu à la lumière de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux, que, dès lors qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne considère, au motif qu’elle se trouve en présence de l’une des trois exceptions à l’obligation de renvoi, qu’elle est libérée de cette obligation, les motifs de sa décision doivent faire apparaître soit que la question de droit de l’Union soulevée n’est pas pertinente pour la solution du litige, soit que l’interprétation de la disposition concernée du droit de l’Union est fondée sur la jurisprudence de la Cour, soit, à défaut d’une telle jurisprudence, que l’interprétation du droit de l’Union s’est imposée à la juridiction nationale statuant en dernier ressort avec une évidence ne laissant place à aucun doute raisonnable. La Cour en déduit que, étant donné que, sans préjudice de l’application d’un motif d’irrecevabilité de nature purement procédurale, une telle juridiction nationale ne saurait rejeter une demande d’autorisation d’un pourvoi en révision qui soulève une question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union sans apprécier au préalable si elle est tenue de saisir la Cour à titre préjudiciel de cette question ou si cette dernière relève de l’une des trois exceptions à l’obligation de renvoi, cette juridiction nationale doit, lorsqu’elle rejette une telle demande d’autorisation au titre de l’une de ces exceptions, exposer les motifs pour lesquels elle n’a pas procédé à cette saisine.

{1} Règlement (UE) no 608/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 12 juin 2013, concernant le contrôle, par les autorités douanières, du respect des droits de propriété intellectuelle et abrogeant le règlement (CE) no 1383/2003 du Conseil (JO 2013, L 181, p. 15). Voir l’article 17 de ce règlement.

{2} En l’occurrence, la question de savoir si ce règlement s’applique à une situation dans laquelle les marchandises importées sont produites par le titulaire des droits de propriété industrielle afférents à celles-ci.

{3} Conformément à cette disposition, lorsqu’une question d’interprétation ou de validité du droit de l’Union est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.

{4} Arrêts du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335, point 21), ainsi que du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi (C 561/19, EU:C:2021:799, point 33).

{5} Ces trois situations dans lesquelles les juridictions nationales statuant en dernier ressort ne sont pas soumises à l’obligation de renvoi préjudiciel sont désignées ci-après par les termes « exceptions à l’obligation de renvoi ».

{6} Cette interprétation n’est pas remise en cause par la jurisprudence issue des arrêts du 15 mars 2017, Aquino (C 3/16, EU:C:2017:209, point 56), et du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi (C 561/19, précité, point 61), selon laquelle une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne peut s’abstenir de soumettre une question préjudicielle à la Cour pour des motifs d’irrecevabilité propres à la procédure devant cette juridiction nationale, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité. À la différence de tels motifs, un critère d’autorisation d’un pourvoi en révision tel que celui prévu dans la réglementation nationale applicable requiert de la juridiction suprême qu’elle examine l’importance de la question de droit soulevée à l’appui de la demande d’autorisation d’un tel pourvoi pour la sécurité juridique, pour l’application uniforme du droit ou pour le développement de celui-ci.

{7} La Cour renvoie, à cet égard, aux indications fournies dans la décision de renvoi concernant l’évolution de la jurisprudence de l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle, Slovénie). En particulier, il résulterait d’une décision de cette juridiction du 31 mars 2022 que la demande de l’une des parties au litige de saisir la Cour à titre préjudiciel en application de l’article 267 TFUE, présentée dans le cadre de la demande d’autorisation d’un pourvoi en révision, doit être traitée dès l’étape de l’examen de cette dernière demande.

Arrêt du 15 octobre 2024, KUBERA (C-144/23) (cf. points 62-65, disp. 2)