1. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Limites - Moyens identiques servant de fondement aux deux recours - Illégalité d'une décision prise par une institution communautaire - Moyen jugé non fondé dans le cadre du recours en annulation - Rejet du recours en indemnité



Arrêt du 9 septembre 2010, Carpent Languages / Commission (T-582/08, Rec._p._II-181*) (cf. points 84-86)

2. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Recours tendant au retrait d'une décision individuelle devenue définitive - Irrecevabilité

L’action en indemnité, fondée sur l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est une voie autonome dans le cadre des voies de recours dans le droit de l’Union, de sorte que l’irrecevabilité d’une demande en annulation n’entraîne pas, par elle-même, celle d’une demande d’indemnisation.

Toutefois, si une partie peut agir par le moyen d’une action en responsabilité, sans être astreinte par aucun texte à poursuivre l’annulation de l’acte illégal qui lui cause préjudice, elle ne saurait toutefois tourner par ce biais l’irrecevabilité d’une demande visant la même illégalité et tendant aux mêmes fins pécuniaires.

Ainsi, un recours en indemnité doit être déclaré irrecevable lorsqu’il tend, en réalité, au retrait d’une décision individuelle devenue définitive et qu’il aurait pour effet, s’il était accueilli, d’annihiler les effets juridiques de cette décision. Tel est le cas si le requérant cherche, par le biais d’une demande en indemnité, à obtenir un résultat qui est identique à celui que lui aurait procuré le succès d’un recours en annulation qu’il a omis d’intenter en temps utile.

En outre, un recours en indemnité pourrait également être susceptible d’annihiler les effets juridiques d’une décision devenue définitive lorsque la partie requérante recherche un bénéfice plus étendu, mais incluant celui qu’elle aurait pu retirer d’un arrêt d’annulation. Dans une telle hypothèse, il est cependant nécessaire de constater l’existence d’un lien étroit entre le recours en indemnité et le recours en annulation pour conclure à l’irrecevabilité du premier.

Arrêt du 12 mai 2016, Holistic Innovation Institute / Commission (T-468/14) (cf. points 45-48)

Voir le texte de la décision.

Ordonnance du 19 novembre 2018, Iccrea Banca / Commission e.a. (T-494/17) (cf. points 56-58)



Ordonnance du 4 octobre 2010, Ivanov / Commission (C-532/09 P, Rec._p._I-123*) (cf. point 24)

Ordonnance du 13 janvier 2014, Investigación y Desarrollo en Soluciones y Servicios IT / Commission (T-134/12) (cf. points 59-62)

Ordonnance du 29 septembre 2016, Investigación y Desarrollo en Soluciones y Servicios IT / Commission (C-102/14 P) (cf. point 80)

Ordonnance du 1er février 2018, Collins / Parlement (T-919/16) (cf. points 35, 36)

Arrêt du 11 juillet 2019, BP / FRA (T-888/16) (cf. points 320, 321)



Ordonnance du 17 décembre 2020, IM / BEI (T-872/19) (cf. points 20-22)

3. Recours en indemnité - Délai de prescription - Interruption - Conditions - Dépôt d'une requête devant le juge communautaire ou présentation d'une demande préalable adressée à l'institution compétente - Notion de requête à cette fin - Requête en annulation - Exclusion



Ordonnance du 14 mars 2011, Campailla / Commission (T-429/09, Rec._p._II-48*) (cf. points 43, 63, 65, 67)

4. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Recours tendant en partie au retrait d'une décision individuelle devenue définitive - Irrecevabilité partielle



Ordonnance du 24 mai 2011, Power-One Italy / Commission (T-489/08, Rec._p._II-149*) (cf. points 42-50)

5. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Limites - Demande en réparation de dommages causés par la Banque européenne d'investissement agissant en tant que pouvoir adjudicateur - Demande accessoire à une demande en annulation, elle-même recevable, d'un acte produisant des effets juridiques obligatoires - Recevabilité

Si, dans le système des voies de droit instauré par le traité, le recours en indemnité constitue une voie de droit autonome par rapport au recours en annulation, il n’en reste pas moins qu'il y a lieu de tenir compte du "lien direct" ou de la "complémentarité" existant entre le recours en annulation et le recours en indemnité, lorsque ce lien ou cette complémentarité existent, ainsi que du caractère accessoire du second par rapport au premier au stade de l’appréciation de la recevabilité de ces recours, aux fins d’éviter que le sort du recours en indemnité ne soit artificiellement dissocié de celui du recours en annulation, dont il n’est pourtant que l’accessoire ou le complément.

Dans la mesure où des dommages qui auraient été causés par la Banque européenne d'investissement à un requérant trouveraient leur origine dans l'exercice par la Banque d'activités qui participent à l'exécution des missions de l'administration communautaire et qui relèvent de l'intervention de cette administration en tant que pouvoir adjudicateur et que lesdits dommages ne résultent donc pas de l'exercice, par la Banque, de ses activités ou de ses opérations dans le domaine financier, le Tribunal est compétent pour statuer sur une demande en indemnité introduite à l’encontre de la Banque, sur le fondement de l’article 225, paragraphe 1, CE, de l’article 235 CE et de l’article 288, deuxième alinéa, CE, lorsqu’une telle demande présente un caractère accessoire par rapport à une demande en annulation d’un acte de la Banque produisant des effets de droit définitifs à l’égard de tiers, elle-même recevable.

Arrêt du 20 septembre 2011, Evropaïki Dynamiki / BEI (T-461/08, Rec._p._II-6367) (cf. points 55-58)

6. Recours en indemnité - Objet - Demande d'indemnité alléguant l'illégalité d'une décision prise par une autorité nationale lors d'une procédure de passation de marchés publics organisée dans le cadre de la gestion décentralisée d'un programme de l'Union - Absence d'obligation de la part des institutions de l'Union d'adopter une décision y relative - Incompétence du juge de l'Union



Ordonnance du 13 septembre 2012, Diadikasia Symvouloi Epicheiriseon / Commission e.a. (T-369/11) (cf. points 47-48, 52-53, 61-62)

7. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Limites - Recours tendant au retrait d'un acte devenu définitif - Irrecevabilité



Ordonnance du 17 mai 2013, FH / Commission (T-405/12) (cf. points 28-30)

8. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Limites - Détournement de procédure

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 6 juin 2013, T & L Sugars et Sidul Açúcares / Commission (T‑279/11) (cf. points 103, 104)



Ordonnance du 8 mai 2019, Carvalho e.a. / Parlement et Conseil (T-330/18) (cf. points 65-69)

9. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Irrecevabilité du recours en annulation dirigé contre un règlement - Absence d'incidence sur la recevabilité d'un recours fondé sur une autre illégalité et tendant à la réparation du préjudice causé par l'adoption du même règlement

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 6 juin 2013, T & L Sugars et Sidul Açúcares / Commission (T‑279/11) (cf. point 112)

10. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Limites - Détournement de procédure - Charge de la preuve



Arrêt du 6 juin 2013, VIP Car Solutions / Parlement (T-668/11) (cf. point 18)

11. Recours en indemnité - Autonomie par rapport aux recours en annulation et en carence - Portée

Saisie d’un recours en responsabilité non contractuelle, la première chambre élargie du Tribunal constate que l’interdiction de mise sur le marché de produits fabriqués à base de plastique oxodégradable, prévue à l’article 5 de la directive 2019/904{1}, est conforme à l’article 191 TFUE, qui prévoit une série d’objectifs, de principes et de critères que le législateur de l’Union doit respecter dans le cadre de la mise en œuvre de la politique de l’environnement, ainsi qu’aux principes de proportionnalité et d’égalité de traitement.

Les requérantes, Symphony Environmental Technologies plc et Symphony Environmental Ltd, établies au Royaume-Uni, ont pour activité le développement, la production et la commercialisation de certains produits plastiques spécialisés ainsi que d’additifs et de mélanges-maîtres{2} utilisés dans la fabrication de ces produits.

L’un des mélanges-maîtres produits par les requérantes contient un additif pro-oxydant qui, selon elles, permettrait au plastique auquel il a été incorporé de se biodégrader beaucoup plus rapidement que le plastique oxodégradable{3}. Le plastique contenant un tel additif, qu’elles qualifient d’oxobiodégradable, serait dès lors à distinguer du plastique oxodégradable.

Par leur recours, les requérantes demandent ainsi réparation du préjudice qu’elles estiment avoir subi du fait de l’interdiction de mise sur le marché des produits à base de plastique oxodégradable prévue à l’article 5 de la directive 2019/904, dans la mesure où ladite interdiction s’applique au plastique oxobiodégradable.

Appréciation du Tribunal

À titre liminaire, le Tribunal rappelle que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union est subordonné à la réunion de trois conditions cumulatives, à savoir la violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre la violation alléguée et le dommage subi par les personnes lésées.

S’agissant de la première de ces conditions, le Tribunal précise que, dans le contexte de l’espèce, une éventuelle violation suffisamment caractérisée des règles de droit en cause doit reposer sur une méconnaissance manifeste et grave des limites du large pouvoir d’appréciation dont le législateur de l’Union dispose dans l’exercice des compétences en matière environnementale, au titre des articles 191 et 192 TFUE. En effet, l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique, d’une part, la nécessité pour le législateur de l’Union d’anticiper et d’évaluer des évolutions écologiques, scientifiques, techniques et économiques de caractère complexe et incertain, et, d’autre part, la mise en balance et l’arbitrage par ce législateur entre les différents objectifs, principes et intérêts visés à l’article 191 TFUE.

En l’espèce, dans le cadre de l’article 191 TFUE, le Tribunal considère, tout d’abord, que le Parlement, le Conseil et la Commission (ci-après les « trois institutions concernées ») n’ont pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en adoptant l’interdiction de mise sur le marché des produits fabriqués à base de plastique contenant un additif pro-oxydant{4}, dès lors qu’elles disposaient d’une évaluation scientifique aussi exhaustive que possible des risques que présente ce type de plastique pour l’environnement et la santé humaine. Selon la directive 2019/904{5}, cette interdiction est justifiée par le fait que ce plastique ne se biodégrade pas convenablement, n’est pas compostable, a une incidence négative sur le recyclage des plastiques conventionnels et ne présente pas d’avantage environnemental avéré.

En premier lieu, en ce qui concerne l’affirmation selon laquelle le plastique contenant un additif pro-oxydant ne se biodégrade pas convenablement, les études scientifiques à la disposition des trois institutions concernées lors de l’élaboration et de l’adoption de la directive 2019/904 relèvent que le niveau de biodégradation atteint par ce plastique est faible, voire inexistant, que ce soit à l’air libre, en décharge ou en milieu marin. Selon lesdites études, ce n’est que dans le cadre d’expériences menées en laboratoire qu’une biodégradation satisfaisante a été obtenue, mais jamais en situation réelle. Or, les conditions environnementales sont variables et rendent difficile l’estimation du délai et du degré de fragmentation nécessaires pour que la biodégradation de ce type de plastique puisse se produire.

En deuxième lieu, il ressort des données scientifiques disponibles au cours de la procédure législative que le plastique contenant un additif pro-oxydant ne se prête à aucune forme de compostage{6}. En effet, le plastique concerné ne répond pas aux différentes normes relatives au compostage industriel ou domestique ni à celles applicables aux emballages valorisables par compostage, dès lors que sa biodégradation dure trop longtemps et que les fragments de plastique générés par le processus peuvent nuire à la qualité du compost, voire se répandre dans l’environnement. En outre, la circonstance qu’un certain taux de biodégradation ait été obtenu en laboratoire n’établit pas que le même taux sera obtenu, dans le même délai, en situation réelle.

En troisième lieu, concernant l’affirmation selon laquelle le plastique contenant un additif pro-oxydant a une incidence négative sur le recyclage des plastiques conventionnels, il ressort des études scientifiques sur lesquelles les trois institutions concernées disent s’être appuyées lors de l’adoption de la directive 2019/904 que les technologies actuellement disponibles ne permettent pas aux entreprises de retraitement d’identifier et d’isoler le plastique contenant un additif pro-oxydant des autres types de plastique, de sorte qu’il sera nécessairement recyclé avec le plastique conventionnel. Or, la présence d’additifs pro-oxydants dans la matière recyclée accélérera sa dégradation et aura ainsi un impact négatif sur la possibilité de commercialiser le plastique recyclé, sur sa qualité et sur son prix. À cet égard, si l’utilisation de composés stabilisants permettrait, dans certains cas, d’éviter une détérioration de la qualité du plastique recyclé, il serait néanmoins difficile de déterminer la quantité de stabilisants nécessaire, celle-ci dépendant de la concentration et du type d’additif pro-oxydant utilisé.

En quatrième lieu, les informations disponibles au moment de l’adoption de la directive 2019/904 ne révèlent aucun avantage avéré du plastique contenant un additif pro-oxydant au niveau environnemental.

Ensuite, après avoir rappelé le large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur de l’Union pour déterminer la nature et l’étendue des mesures à adopter dans un cadre technique complexe et à caractère évolutif, le Tribunal constate que l’interdiction de mise sur le marché des produits fabriqués à base de plastique contenant un additif pro-oxydant ne viole pas le principe de proportionnalité. D’une part, cette interdiction est apte à réaliser l’objectif de protection de l’environnement et de la santé humaine poursuivi par la directive 2019/904, étant donné les risques posés par le plastique contenant un additif pro-oxydant. D’autre part, l’interdiction en cause ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, aucune des alternatives proposées par les requérantes n’étant en mesure d’assurer sa réalisation. Cette interdiction ne saurait pas non plus être considérée comme disproportionnée du fait qu’elle n’est pas assortie d’une période de transition, eu égard notamment aux utilisations non complexes du plastique visé. Le Tribunal réitère, par ailleurs, l’importance de la protection de la santé humaine et de l’environnement, qui est de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs.

Enfin, les trois institutions concernées n’ont pas violé le principe d’égalité de traitement en interdisant la mise sur le marché des produits fabriqués à base de plastique contenant un additif pro-oxydant, mais non celle des produits fabriqués à base de plastique conventionnel, à quelques exceptions près, ni celle des produits fabriqués à base de plastique commercialisé comme « compostable ».

En premier lieu, les produits fabriqués à base de plastique contenant un additif pro-oxydant ne sauraient être considérés comme étant dans une situation comparable à celle des produits fabriqués à base de plastique conventionnel, dont la directive 2019/904 n’interdit pas la mise sur le marché, à l’exception de neuf produits à usage unique. D’une part, sur la base de l’évaluation scientifique des risques disponible avant l’adoption de la directive 2019/904, il ne saurait être exclu que le plastique contenant un additif pro-oxydant soit, du moins sous certains aspects ayant trait, notamment, à son recyclage et à sa biodégradation en décharge, plus problématique que le plastique conventionnel. À cet égard, la fragmentation plus rapide du plastique contenant un additif pro-oxydant par rapport au plastique conventionnel pourrait avoir une incidence négative accrue sur l’environnement, dès lors qu’elle est concentrée sur une période plus courte. D’autre part, il doit être tenu compte tenu de l’objectif de la directive 2019/904, qui est, notamment, de prévenir et de réduire l’incidence sur l’environnement et la santé humaine de certains produits en plastique, en concentrant les efforts là où ils sont les plus nécessaires. À la lumière de cet objectif, ces deux types de plastique ne sauraient être considérés comme étant dans une situation comparable. Quant aux produits à usage unique fabriqués à base de plastique conventionnel dont la directive 2019/904 interdit la mise sur le marché{7}, ils ne sauraient, eu égard à l’objectif de la directive, être considérés comme étant dans une situation comparable à celle des produits fabriqués à base de plastique contenant un additif pro-oxydant.

En second lieu, les produits fabriqués à base de plastique contenant un additif pro-oxydant et ceux fabriqués à base de plastique commercialisé comme « compostable » ne sont pas non plus dans une situation comparable. D’une part, les trois institutions concernées ont pu considérer, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, qu’il existe un risque que le plastique contenant un additif pro-oxydant ne soit pas compostable et, d’autre part, les produits à base de plastique commercialisé comme « compostable » ne relèvent ni de l’objet ni de l’objectif de la directive 2019/904.

Au regard, notamment, de ces considérations, le Tribunal rejette le recours des requérantes dans son intégralité.

{1} Directive (UE) 2019/904 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, relative à la réduction de l’incidence de certains produits en plastique sur l’environnement (JO 2019, L 155, p. 1).

{2} Un mélange-maître est un composé de plusieurs substances chimiques incorporé dans un support polymère, qui est fourni, sous forme de granulés, aux fabricants de produits plastiques, lesquels l’incorporent dans les polymères qu’ils utilisent pour fabriquer leurs produits.

{3} Aux termes de l’article 3, point 3, de la directive 2019/904, la notion de « plastique oxodégradable » s’entend des matières plastiques renfermant des additifs qui, sous l’effet de l’oxydation, conduisent à la fragmentation de la matière plastique en micro-fragments ou à une décomposition chimique.

{4} Les parties désignant sous différents termes le plastique auquel a été ajouté un additif pro-oxydant, le Tribunal choisit d’employer le terme le plus neutre possible, à savoir celui de « plastique contenant un additif pro-oxydant ».

{5} Considérant 15 de la directive 2019/904.

{6} Le compostage est une biodégradation améliorée, réalisée dans des conditions contrôlées et essentiellement caractérisées par une aération forcée et une production naturelle de chaleur résultant de l’activité biologique à l’intérieur de la matière.

{7} Article 9 de la directive 2019/904.

Arrêt du 31 janvier 2024, Symphony Environmental Technologies et Symphony Environmental / Parlement e.a. (T-745/20) (cf. point 31)



Ordonnance du 15 octobre 2013, Andechser Molkerei Scheitz / Commission (T-13/12) (cf. points 46-49, 51-54)

Arrêt du 23 mai 2019, Remag Metallhandel et Jaschinsky / Commission (T-631/16) (cf. point 26)

12. Procédure juridictionnelle - Durée de la procédure devant le Tribunal - Délai raisonnable - Litige portant sur l'existence d'une infraction aux règles de concurrence - Non-respect du délai raisonnable - Conséquences - Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation

Une violation, par une juridiction de l’Union, de son obligation résultant de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne de juger les affaires qui lui sont soumises dans un délai raisonnable doit trouver sa sanction dans un recours en indemnité porté devant le Tribunal, un tel recours constituant un remède effectif et d’application générale pour faire valoir et sanctionner une telle violation.

Un recours visant uniquement à l’annulation d'une décision de la Commission en matière du droit de concurrence de l'Union, ou, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende, ne peut en aucun cas être assimilé à un recours en indemnité, et ne constitue donc pas un cadre approprié aux fins de faire sanctionner une éventuelle violation par une juridiction de l'Union de son obligation de statuer dans un délai raisonnable.

Arrêt du 27 mars 2014, Saint-Gobain Glass France e.a. / Commission (T-56/09 et T-73/09) (cf. points 495, 496)

13. Recours en indemnité - Caractère autonome - Demande portant sur des faits ayant déjà été appréciés par une juridiction nationale - Qualification juridique desdits faits ne liant pas le juge de l'Union - Violation du principe de coopération loyale à l'égard des juridictions nationales - Absence

Le recours en indemnité lié à une responsabilité non contractuelle de la Communauté pour les actions ou les omissions de ses institutions, au titre des articles 235 CE et 288 CE, a été institué comme une voie autonome par rapport à d’autres actions en justice, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique.

Par conséquent, bien que les constatations opérées au cours d’une procédure pénale nationale portant sur des faits identiques à ceux examinés dans le cadre d’une procédure fondée sur l’article 235 CE peuvent être prises en compte par la juridiction communautaire saisie, cette dernière n’est cependant pas liée par la qualification juridique desdits faits effectuée par le juge pénal, mais il lui appartient, dans la plénitude de son pouvoir d’appréciation, de les analyser de manière autonome pour vérifier si les conditions à la réunion desquelles est subordonné l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté sont remplies. Dès lors, il ne saurait être reproché au juge communautaire d’avoir violé le principe de coopération loyale, figurant à l’article 10 CE, en appréciant certains éléments de fait de manière divergente par rapport aux considérations énoncées par la juridiction nationale.

Arrêt du 10 juillet 2014, Nikolaou / Cour des comptes (C-220/13 P) (cf. points 54-56)

14. Recours en indemnité - Caractère autonome - Épuisement des voies de recours internes - Exception - Impossibilité d'obtenir réparation devant le juge national - Non-épuisement faisant obstacle à l'examen par le juge de l'Union de l'existence et de l'ampleur du préjudice invoqué - Irrecevabilité

La recevabilité de l’action en indemnité prévue à l’article 268 TFUE et à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE peut se trouver subordonnée dans certains cas à l’épuisement de voies de recours internes qui sont ouvertes pour obtenir satisfaction de la part des autorités nationales, pourvu que ces voies de recours internes assurent d’une manière efficace la protection des particuliers intéressés en étant susceptibles d’aboutir à la réparation du dommage allégué.

À cet égard, si le non-épuisement des voies de recours internes ne doit pas systématiquement conduire à un constat d’irrecevabilité de la part du juge de l’Union, il existe une hypothèse dans laquelle la circonstance qu’il n’ait pas été statué de manière définitive sur l’action en réparation introduite devant la juridiction nationale implique nécessairement l’irrecevabilité du recours en indemnité présenté devant le juge de l’Union. Il s’agit de celle dans laquelle cette circonstance interdit à ce dernier d’identifier le caractère et le quantum du préjudice invoqué devant lui, tant et si bien que les exigences de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal ne sont pas respectées.

De même, lorsqu’une personne a introduit deux actions tendant à l’indemnisation d’un seul et même préjudice, l’une dirigée contre une autorité nationale, l’autre dirigée contre une institution ou un organe de l’Union, et qu'il existe un risque que, en raison d’appréciations différentes de ce préjudice par les deux juridictions saisies, ladite personne soit insuffisamment ou abusivement indemnisée, le juge de l’Union est tenu d’attendre que le juge national ait statué avant de se prononcer sur l’existence et le quantum du préjudice. Dans cette attente, il ne peut donc pas non plus statuer sur le lien de causalité entre le comportement reproché à l’Union et le préjudice invoqué. En revanche, il lui est possible, avant même que le juge national ne statue, de déterminer si le comportement reproché est de nature à engager la responsabilité extracontractuelle de l’Union.

Arrêt du 18 septembre 2014, Holcim (Romania) / Commission (T-317/12) (cf. points 73-75, 79, 80)

15. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Limites - Recours tendant au retrait d'une décision individuelle devenue définitive - Irrecevabilité



Arrêt du 15 janvier 2015, Ziegler et Ziegler Relocation / Commission (T-539/12 et T-150/13) (cf. points 40-43)

Arrêt du 5 mars 2015, Rose Vision et Seseña / Commission (T-45/13) (cf. points 78, 79)

16. Recours en indemnité - Caractère autonome - Épuisement des voies de recours internes - Application en matière du droit de la concurrence de l'Union



Arrêt du 15 janvier 2015, Ziegler et Ziegler Relocation / Commission (T-539/12 et T-150/13) (cf. points 84, 85, 88)

17. Recours en indemnité - Autonomie par rapport aux recours en annulation et en carence - Recevabilité du recours visant un comportement imputable à une institution ou à un organe de l'Union - Absence de décision définitive sur certains éléments du cadre factuel ayant fait l'objet d'une enquête d'initiative par la défenderesse - Absence d'incidence

Le recours en indemnité a été institué par le traité FUE comme une voie de recours autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique. Alors que les recours en annulation et en carence visent à sanctionner l’illégalité d’un acte juridiquement contraignant ou l’absence d’un tel acte, le recours en indemnité a pour objet la demande de réparation d’un préjudice découlant d’un acte, qu’il soit juridiquement contraignant ou non, ou d’un comportement, imputable à une institution ou à un organe communautaire.

Dès lors, s’agissant d’un recours en indemnité visant la réparation du préjudice prétendument subi du fait du traitement par le Médiateur européen d’une plainte, la recevabilité dudit recours ne saurait être affectée par le fait que le Médiateur n’a pas encore pris une décision définitive en ce qui concerne certains points ayant fait l’objet d’une enquête d’initiative ouverte par celui-ci dans le but de vérifier s’il y avait eu un cas de mauvaise administration de sa part dans l’appréciation de la situation de la requérante.

Arrêt du 29 avril 2015, Staelen / Médiateur (T-217/11) (cf. points 59, 60)

18. Recours en indemnité - Caractère autonome - Épuisement des voies de recours internes - Exception - Impossibilité ou difficulté excessive d'obtenir réparation devant le juge national - Charge de la preuve - Portée - Limitation à la fourniture d'indices de nature à susciter des doutes sérieux quant au caractère efficace de la protection assurée par les recours internes

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 23 septembre 2015, Schroeder / Conseil et Commission (T-205/14) (cf. points 18, 21, 28)



Arrêt du 23 septembre 2015, Hüpeden / Conseil et Commission (T-206/14) (cf. points 19, 22, 29)

19. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Limites - Demandes en réparation et en annulation reposant sur les mêmes moyens introduites conjointement dans le délai de recours - Recevabilité

Ce n’est qu’à titre exceptionnel et pour garantir que le délai de recours en annulation ne soit pas contourné qu’une demande indemnitaire est déclarée irrecevable, à savoir lorsqu’elle a été introduite conjointement avec une demande en annulation, au motif que la demande indemnitaire vise, en réalité, le retrait d’une décision individuelle destinée au requérant et devenue définitive et qu’elle aurait eu pour effet, si elle avait été accueillie, d’annihiler les effets juridiques de cette décision. Par ailleurs, lorsque le recours en annulation a été formé dans le délai prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, un contournement dudit délai par un recours en indemnité est exclu d’emblée.

À cet égard, le recours en indemnité constitue une voie de recours autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et étant subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique. Alors que les recours en annulation et en carence visent à sanctionner l’illégalité d’un acte juridiquement contraignant ou l’absence d’un tel acte, le recours en indemnité a pour objet la demande en réparation d’un préjudice découlant d’un acte ou d’un comportement illicite imputable à une institution ou à un organe de l’Union. D’une part, cette autonomie du recours en indemnité ne saurait être remise en cause par le seul fait qu’une partie requérante décide d’introduire des recours en annulation et en indemnité successivement. D’autre part, l’irrecevabilité d’un recours en annulation n’entraîne pas celle d’un recours en indemnité introduit postérieurement au seul motif que ces recours reposent sur des moyens d’illégalité similaires, voire identiques. En effet, une telle interprétation irait à l’encontre du principe même de l’autonomie des voies de recours et, partant, priverait l’article 268 TFUE, lu conjointement avec l’article 340, troisième alinéa, TFUE, de son effet utile.

Arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a. / BCE (T-79/13) (cf. points 60, 61)

20. Recours en indemnité - Responsabilité non contractuelle - Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle - Requalification du recours - Conditions - Coexistence de demandes en indemnité contractuelle et extracontractuelle - Conditions

Étant donné l’autonomie des voies de recours contractuelles et extracontractuelles et des conditions d’engagement de la responsabilité propres à chacun de ces recours, le Tribunal est tenu de déterminer si le recours dont il est saisi a pour objet une demande de dommages et intérêts reposant objectivement sur des droits et des obligations d’origine contractuelle ou d’origine extracontractuelle.

La simple invocation de règles ou de principes juridiques qui ne découlent pas du contrat liant les parties, mais qui s’imposent à elles, ne saurait avoir pour conséquence de modifier la nature contractuelle d’un litige.

Cependant, étant donné que, en vertu du traité FUE, les juridictions de l’Union sont, en principe, compétentes pour statuer tant sur un recours portant sur la responsabilité extracontractuelle des institutions que sur un recours portant sur la responsabilité contractuelle des institutions lorsqu’elles ont conclu un contrat contenant une clause compromissoire, lorsque le Tribunal est saisi d’un recours en responsabilité extracontractuelle, alors que le litige est, en réalité, de nature contractuelle, le Tribunal requalifie le recours si les conditions d’une telle requalification sont réunies.

Plus particulièrement, en présence d’un litige d’une telle nature, le Tribunal est dans l’impossibilité de requalifier un recours soit lorsque la volonté expresse du requérant de ne pas fonder sa demande sur l’article 272 TFUE s’oppose à une telle requalification, soit lorsque le recours ne s’appuie sur aucun moyen tiré de la violation des règles régissant la relation contractuelle en cause, qu’il s’agisse des clauses contractuelles ou des dispositions de la loi nationale désignée dans le contrat.

En outre, la violation d’une disposition contractuelle par une institution ne peut, en elle-même, engager la responsabilité extracontractuelle de ladite institution à l’égard d’une des parties avec laquelle elle a conclu le contrat contenant ladite disposition. En effet, dans un tel cas, l’illégalité imputable à ladite institution a une origine purement contractuelle et émane de son engagement en tant que partie contractante et non en raison d’une quelconque autre qualité comme celle d’autorité administrative. Par conséquent, dans de telles circonstances, l’allégation d’une violation d’une disposition contractuelle à l’appui d’une demande en indemnité extracontractuelle doit être déclarée inopérante.

Toutefois, il ne peut être exclu que les responsabilités contractuelles et extracontractuelles d’une institution de l’Union puissent coexister à l’égard d’un de ses contractants. En effet, la nature des comportements illicites imputables à une institution causant un préjudice pouvant faire l’objet d’une demande en réparation extracontractuelle n’est pas prédéfinie. À supposer qu’une telle coexistence des responsabilités des institutions existe, elle ne serait possible qu’à condition que, d’une part, l’illégalité qui est imputée à l’institution en cause constitue un manquement non seulement à une obligation contractuelle, mais également à une obligation générale qui lui incombe et, d’autre part, cette illégalité par rapport à ladite obligation générale ait causé un dommage autre que celui qui résulte de la mauvaise exécution du contrat.

Arrêt du 18 novembre 2015, Synergy Hellas / Commission (T-106/13) (cf. points 145-150)

21. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Limites - Recours visant à faire constater l'inexistence d'actes de l'Union - Irrecevabilité - Violation du droit à une protection juridictionnelle effective et des principes de bonne administration de la justice et d'économie de la procédure - Absence

Le recours en indemnité est une voie de recours autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique.

S’agissant d’une demande tendant à ce qu’il soit constaté que des mesures prises par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) sont juridiquement inexistantes, celle-ci revient, en réalité, à demander au juge de l’Union à la fois d’invalider les mesures prises par l’OLAF et de décider qu’elles n’ont produit aucun effet juridique. Cela dépasse le simple constat d’une illégalité que le juge de l’Union pourrait être amené à opérer dans le cadre d’un recours en indemnité. Cette déclaration d’irrecevabilité ne constitue pas une violation du droit à une protection juridictionnelle effective ni des principes de bonne administration de la justice et d'économie de procédure. En effet, le contrôle juridictionnel du respect de l’ordre juridique de l’Union est assuré, ainsi qu’il ressort de l’article 19, paragraphe 1, TUE, par la Cour de justice de l’Union européenne et les juridictions des États membres. À cette fin, le traité FUE a, par ses articles 263 TFUE et 277 TFUE, d’une part, et par son article 267 TFUE, d’autre part, établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes de l’Union, en le confiant au juge de l’Union. Or, les décisions prises par les autorités nationales sur la base des informations de l’OLAF doivent être susceptibles de recours devant les juridictions nationales, qui, à leur tour, peuvent introduire un recours préjudiciel sur l’interprétation des dispositions du droit de l’Union qu’elles estiment nécessaire pour rendre leurs jugements.

Il s’ensuit que l’unique fait qu’un chef de conclusions soit déclaré irrecevable ne suffit pas à démontrer une violation du droit à une protection juridictionnelle effective ni des principes de bonne administration de la justice et d’économie de procédure.

Arrêt du 20 juillet 2016, Oikonomopoulos / Commission (T-483/13) (cf. points 26, 27, 29, 31)

22. Recours en indemnité - Caractère autonome - Objet

Voir le texte de la décision.

Ordonnance du 9 novembre 2016, Jenkinson / Conseil e.a. (T-602/15) (cf. point 44)

23. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Limites - Demande en réparation d'un préjudice additionnel découlant d'une décision de la Commission ayant fait l'objet d'un arrêt d'annulation du juge de l'Union et présentant un caractère différent de celui pouvant résulter d'une mauvaise exécution de cet arrêt - Recevabilité

Le recours en indemnité lié à une responsabilité non contractuelle de l’Union pour les actions ou les omissions de ses institutions a été institué comme une voie autonome par rapport à d’autres actions en justice, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique.

S'agissant d'un recours en indemnité concernant un prétendu manque à gagner subi en raison d'une prétendue violation suffisamment caractérisée du principe d'égalité de traitement commise dans une décision de la Commission ayant fait l'objet d'un arrêt d'annulation du juge de l'Union, lorsque la partie requérante demande la réparation d'un préjudice qui, d'une part, est différent de celui qui résulterait d'une mauvaise exécution, par la Commission, de l'arrêt d'annulation et qui, d'autre part, est additionnel aux sommes remboursées par la Commission afin d'exécuter ledit arrêt, cette demande n'a ni le même objet ni le même effet qu'un éventuel recours en annulation introduit contre la mesure d'exécution prise par la Commission et ne saurait, dès lors, être jugée irrecevable au titre d'un détournement de procédure.

Arrêt du 7 juin 2017, Guardian Europe / Union européenne (T-673/15) (cf. points 53, 63, 64)

24. Recours en indemnité - Caractère autonome - Différence par rapport au recours en annulation

Dans l’arrêt Steinhoff e.a. / BCE (T-107/17), rendu le 23 mai 2019, le Tribunal a rejeté un recours en indemnité visant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi par des créanciers privés, à la suite de l’adoption d’un avis de la Banque centrale européenne (BCE) sur les titres émis et garantis par la République hellénique{1}.

Le 2 février 2012, la BCE a été saisie d’une demande d’avis, au titre de l’article 127, paragraphe 4, TFUE, lu conjointement avec l’article 282, paragraphe 5, TFUE, par la République hellénique sur le projet de loi no 4050/2012 introduisant des règles portant modification des conditions applicables aux titres de créance négociables émis ou garantis par l’État grec dans le cadre d’accords avec leurs détenteurs, aux fins de la restructuration de la dette publique grecque, fondée notamment sur l’application des « clauses d’action collective » (ci-après les « CAC »). La BCE ayant rendu un avis positif sur le projet de loi, ce dernier a été adopté, le 23 février 2012, par le Parlement hellénique.

En vertu du mécanisme des CAC, les amendements proposés aux titres de créance concernés étaient destinés à devenir juridiquement contraignants pour tout détenteur de titres de créance régis par le droit hellénique et émis avant le 31 décembre 2011, tels qu’identifiés dans l’acte du Conseil des ministres approuvant les invitations à la participation des investisseurs privés (Private Sector Involvement, ci-après le « PSI »), si lesdits amendements étaient approuvés, par un quorum de détenteurs de titres représentant au moins deux tiers de la valeur nominale desdits titres. Le quorum et la majorité requis pour procéder à l’échange de titres envisagé ayant été atteints, tous les détenteurs de titres de créance grecs, en ce compris ceux qui s’opposaient à cet échange, ont vu leurs titres échangés en application de la loi nº 4050/2012 et, par conséquent, leur valeur diminuée. Les requérants, en tant que détenteurs de titres de créance grecs, ont participé à la restructuration de la dette publique grecque, en vertu du PSI et des CAC mis en œuvre au titre de la loi nº 4050/2012 après avoir refusé l’offre d’échange de leurs titres.

Par leur recours, les requérants ont mis en cause la responsabilité de la BCE pour le préjudice qu’ils auraient prétendument subi du fait que la BCE aurait omis, dans son avis, d’attirer l’attention de la République hellénique sur le caractère illégal de la restructuration de la dette publique grecque envisagée par l’échange obligatoire de titres de créance.

S’agissant de la responsabilité non contractuelle de la BCE, le Tribunal a relevé, en premier lieu, que les avis de la BCE ne lient pas les autorités nationales. En effet, en vertu du considérant 3 et de l’article 4 de la décision 98/415{2}, les autorités nationales doivent uniquement tenir compte de ces avis et ils ne portent pas préjudice aux responsabilités de ces autorités dans les matières faisant l’objet des projets en question. Il s’ensuit que, si le respect de l’obligation de consultation de la BCE exige qu’elle puisse faire connaître utilement son point de vue aux autorités nationales, il ne peut leur imposer d’adhérer à celui-ci. En second lieu, le Tribunal a constaté que la BCE jouit d’un large pouvoir d’appréciation lors de l’adoption de ses avis. Le large pouvoir d’appréciation dont dispose la BCE implique que seule une méconnaissance manifeste et grave des limites de ce pouvoir peut engager sa responsabilité non contractuelle. Par conséquent, seule une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit qui confère des droits aux particuliers est susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de la BCE.

Dans ce contexte, le Tribunal a jugé que les requérants alléguaient à tort que la BCE a commis une illégalité susceptible d’engager sa responsabilité non contractuelle en ne dénonçant pas, dans l’avis litigieux, la violation du principe pacta sunt servanda que constituerait l’adoption de la loi nº 4050/2012 à leur égard. En effet, la souscription par les requérants aux titres de créance litigieux émis et garantis par la République hellénique a créé une relation contractuelle entre eux et la République hellénique. Cette relation contractuelle n’est pas régie par le principe pacta sunt servanda de l’article 26 de la convention de Vienne sur le droit des traités{3}. En application de son article 1er, cette convention ne s’applique qu’aux traités entre États. Par conséquent, l’article 26 de la convention de Vienne sur le droit des traités ne constitue pas une règle de droit conférant des droits aux requérants.

En outre, le Tribunal a observé que les avis de la BCE n’ont ni pour destinataire des particuliers ni pour objet principal les relations contractuelles entre un particulier et un État membre à la suite d’une émission par cet État membre de titres de créance. En effet, en vertu de l’article 2 de la décision 98/415, les destinataires des avis de la BCE sont les autorités des États membres tenues de consulter la BCE et non pas des particuliers. Par conséquent, lorsque, comme en l’espèce, la BCE est consultée par la République hellénique sur un projet de réglementation concernant les banques nationales et les règles applicables aux établissements financiers dans la mesure où elles ont une incidence sensible sur la stabilité de ces établissements et des marchés financiers, elle n’est pas tenue de se prononcer sur le respect, par cet État membre, du principe général du droit des contrats, pacta sunt servanda, à l’égard de détenteurs de titres de créance étatiques. Ainsi, la compétence d’avis de la BCE ne confère pas aux requérants un droit de voir dénoncer par cette instance une violation d’un droit contractuel qu’ils détiennent vis-à-vis de la République hellénique à la suite d’une souscription de leur part à des titres de créance grecs émis et garantis par cette dernière.

Par la suite, le Tribunal a considéré que la limitation de la valeur des titres de créance des requérants ne constituait pas une mesure disproportionnée par rapport au but consistant à protéger l’économie de la République hellénique et la zone euro contre un risque de cessation de paiement de la République hellénique et de l’effondrement de son économie. C’était donc à tort que les requérants alléguaient que les mesures en cause constituaient une violation du droit de propriété garanti à l’article 17, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Ensuite, le Tribunal a conclu à l’absence de violation de la libre circulation des capitaux consacrée à l’article 63, paragraphe 1, TFUE, en jugeant que, en l’espèce, les mesures mises en œuvre par la loi nº 4050/2012 étaient justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, dans la mesure où les circonstances à l’origine de cette loi étaient réellement exceptionnelles car, en l’absence de restructuration, un défaut de paiement, à tout le moins sélectif, à court terme de la République hellénique était une perspective crédible. De même, les mesures en cause visaient à assurer la stabilité du système bancaire de la zone euro dans son ensemble. En outre, les requérants n’ont pas démontré que lesdites mesures étaient disproportionnées. Elles ont permis de rétablir la stabilité du système bancaire de la zone euro dans son ensemble et il n’est pas démontré qu’elles allaient au-delà de ce qui était nécessaire pour rétablir ladite stabilité. En particulier, la participation des créanciers privés à l’échange de titres de créance grecs sur une base exclusivement volontaire, comme le préconisent les requérants, n’aurait pas permis d’assurer le succès de cet échange de titres. En effet, en ne garantissant pas un traitement égalitaire entre les créanciers privés, peu de ces créanciers auraient accepté ledit échange compte tenu de l’aléa moral qu’il impliquait, à savoir qu’ils supporteraient les conséquences des risques pris par les créanciers qui ne participaient pas à l’échange de titres de créance grecs.

Enfin, le Tribunal a estimé que les requérants invoquaient à tort l’existence d’une illégalité engageant la responsabilité de la BCE à leur égard en raison de l’absence de dénonciation par la BCE de l’article 124 TFUE. En effet, l’article 124 TFUE interdit toute mesure, ne reposant pas sur des considérations d’ordre prudentiel, accordant notamment aux États membres un accès privilégié aux institutions financières afin d’inciter les États membres à respecter une politique budgétaire saine en évitant qu’un financement monétaire des déficits publics ou un accès privilégié des autorités publiques aux marchés financiers ne conduise à un endettement excessif ou à des déficits excessifs des États membres. Or, la loi nº 4050/2012 n’a pas pour objet de creuser l’endettement de la République hellénique mais, au contraire, de le réduire, eu égard à son caractère excessif, en dévalorisant les titres détenus par les requérants. En outre, le projet de loi contribuait à préserver tant les finances publiques grecques que la stabilité du système financier de la zone euro. En tout état de cause, l’article 124 TFUE ne vise pas à protéger les requérants et ne leur confère pas de droits.

{1 Avis de la BCE, du 17 février 2012, sur les conditions des titres émis ou garantis par l'État grec (CON/2012/12).}

{2 Décision du Conseil 98/415/CE, du 29 juin 1998, relative à la consultation de la Banque centrale européenne par les autorités nationales au sujet de projets de réglementation.}

{3 Convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331).}

Arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a. / BCE (T-107/17) (cf. point 51)



Ordonnance du 26 octobre 2017, Federcaccia Toscana e.a. / Commission (T-562/15) (cf. point 103)

Ordonnance du 26 octobre 2017, Federcaccia della Regione Liguria e.a. / Commission (T-570/15) (cf. point 104)

25. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Irrecevabilité du recours en annulation dirigé contre un règlement - Absence d'incidence sur la recevabilité d'un recours tendant à la réparation du préjudice causé par l'adoption du même règlement

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 16 novembre 2017, USFSPEI / Parlement et Conseil (T-75/14) (cf. points 65-68)



Ordonnance du 20 août 2020, FL Brüterei M-V e.a. / Commission (T-755/18) (cf. points 48, 49)

26. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Limites - Recours visant à procurer le même résultat que celui du recours en annulation - Irrecevabilité

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 28 février 2018, Vakakis kai Synergates / Commission (T-292/15) (cf. points 29-32)

Accueillant partiellement un recours en responsabilité non contractuelle formé par M. Montanari, ancien agent national détaché auprès de la mission de politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne au Niger (ci-après la « Mission »), le Tribunal se prononce, pour la première fois, sur l’imputabilité à cette Mission des agissements de son commandant d’opération civile (COC), qui est hiérarchiquement rattaché au Service européen d’action extérieure (SEAE).

En avril 2015, le requérant a été détaché par le gouvernement italien auprès de la Mission en qualité de conseiller politique.

En mars 2017, il a introduit une première plainte pour harcèlement contre le responsable de la presse et de l’information publique de la Mission, puis une seconde plainte contre ce dernier ainsi que contre le chef de la Mission, pour comportement déloyal envers l’autorité de la Mission et négligence grave mettant en cause le devoir de sollicitude.

En juillet 2017, le requérant a demandé au COC d’ouvrir une enquête pour harcèlement contre le chef de la Mission et son adjoint. Le même jour, le chef de la Mission a adressé un avertissement au requérant pour lui avoir manqué de respect lors d’une réunion. À l’initiative du COC, un médiateur chargé d’examiner la situation sur place a rendu un rapport.

En novembre 2017, le chef de la Mission a rejeté la demande du requérant tendant à la régularisation d’une absence injustifiée et lui a adressé un second avertissement. Le requérant a alors réitéré auprès du COC l’ouverture d’une enquête pour des faits de harcèlement de la part du chef de la Mission et de son adjoint.

Par une décision du 10 avril 2018, le COC a définitivement rejeté la demande d’ouverture d’une enquête administrative présentée par le requérant.

Dans ce contexte, le requérant a saisi le Tribunal, d’une part, d’un recours en annulation de la décision de la Mission rejetant sa demande indemnitaire en réparation des préjudices matériels, physiques et moraux qui auraient résulté de faits de harcèlement moral et de violations du droit à une bonne administration et du devoir de sollicitude et, d’autre part, d’un recours en indemnité.

Appréciation du Tribunal

À titre liminaire, concernant sa compétence, le Tribunal rappelle que, par la décision 2012/392{1}, la Mission a été créée pour soutenir le renforcement des capacités des intervenants nigériens en matière de sécurité en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée. Son personnel est essentiellement composé d’agents détachés par les États membres, les institutions de l’Union et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE){2}. Certes, l’article 7, paragraphe 2, de la décision 2012/392 prévoit qu’il appartient à l’État membre, à l’institution de l’Union ou au SEAE, respectivement, de répondre à toute plainte liée au détachement et d’intenter toute action contre l’agent concerné.

Toutefois, premièrement, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rendue à propos de dispositions régissant l’activité d’autres missions relevant de la politique étrangère et de sécurité commune et rédigées dans des termes analogues à ceux de la décision 2012/392, les agents détachés par les États membres et ceux détachés par les institutions de l’Union étant soumis aux mêmes règles en ce qui concerne l’exercice de leurs fonctions sur le théâtre des opérations, le juge de l’Union est compétent pour contrôler la légalité des actes de gestion du personnel relatifs à des agents détachés par les États membres ayant pour objet de répondre aux besoins de ces missions sur le théâtre des opérations.

Deuxièmement, le requérant soulève la question de la légalité d’actes de gestion du personnel relatifs aux opérations sur le théâtre des opérations, et non des questions liées au détachement, au sens de l’article 7, paragraphe 2, de la décision 2012/392. Par conséquent, l’exception d’incompétence soulevée par la Mission est rejetée.

Le Tribunal examine ensuite les différentes exceptions d’irrecevabilité.

Il rappelle ainsi notamment qu’un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de l’acte visé soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté. En outre, c’est à la partie requérante qu’il appartient d’apporter la preuve de son intérêt à agir.

Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, l’action en indemnité, fondée sur l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, a été instituée comme une voie de recours autonome. Or, des conclusions tendant soit à l’annulation du refus d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union de reconnaître un droit à réparation qu’une partie requérante fait valoir au titre des articles 268 et 340 TFUE, soit à ce que le Tribunal constate l’obligation de l’institution, de l’organe ou de l’organisme en cause d’admettre l’existence d’un tel droit visent à faire constater que l’institution, l’organe ou l’organisme en cause est tenu à réparation et doivent être rejetées comme étant irrecevables, dès lors que la partie requérante ne justifie, en principe, d’aucun intérêt à présenter de telles conclusions en sus de sa demande en réparation.

En l’occurrence, le Tribunal rejette comme étant irrecevables les conclusions en annulation du requérant, estimant que celui-ci n’a pas justifié d’un intérêt à demander, en plus de ses conclusions indemnitaires, l’annulation de la décision de la Mission rejetant sa troisième demande indemnitaire.

Le Tribunal écarte enfin une à une les exceptions d’irrecevabilité soulevées par la Mission.

Ainsi, en premier lieu, le Tribunal constate que les actes reprochés (notamment, l’exclusion du requérant de certaines réunions et l’avertissement qui lui a été adressé) et les manquements imputés à la Mission par le requérant (notamment, l’absence de traitement dans un délai raisonnable de ses plaintes et de ses signalements) se rattachent respectivement à l’exercice, par le chef de la Mission et par le COC, des prérogatives qu’ils tiennent de la décision 2012/392 et, partant, à l’exécution par la Mission de son mandat, dont celle-ci doit être tenue pour responsable conformément à l’article 13, paragraphe 4, de cette décision.

En deuxième lieu, le Tribunal souligne qu’un recours en indemnité doit être déclaré irrecevable lorsqu’il tend, en réalité, au retrait, à l’abrogation ou à la modification d’une décision individuelle devenue définitive et qu’il aurait pour effet, s’il était accueilli, d’annihiler tout ou partie des effets juridiques de cette décision. De même, doit être rejetée comme étant irrecevable une action en réparation qui est formulée comme une injonction et qui vise, non pas à indemniser un préjudice imputable à un acte illicite ou à une omission, mais à amender l’acte litigieux.

En l’occurrence, il ne ressort pas des écritures présentées par le requérant que celui-ci solliciterait une réparation en nature par laquelle la Mission devrait ouvrir une enquête préliminaire ou disciplinaire à l’égard du chef de la Mission et de son adjoint, ce qui équivaudrait à solliciter l’annulation de la décision du 10 avril 2018. Partant, le caractère définitif de cette décision individuelle ne saurait faire obstacle à la recevabilité du recours.

En dernier lieu, le Tribunal constate que l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Mission et tirée d’une prescription quinquennale ou quadriennale n’est pas assortie de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.

Sur le fond, le Tribunal rappelle, de façon préalable, que la responsabilité non contractuelle de l’Union ne peut être engagée que si la personne qui estime avoir subi un préjudice établit l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Néanmoins, lorsqu’elle agit en tant qu’employeur, l’Union est soumise à une responsabilité accrue, la seule constatation d’une illégalité commise étant suffisante pour considérer comme remplie la première des trois conditions nécessaires à l’engagement de sa responsabilité pour les dommages causés à ses fonctionnaires et agents en raison d’une violation du droit de la fonction publique européenne, sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence d’une violation « suffisamment caractérisée » d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers. Or, bien que les agents nationaux détachés auprès de la Mission par les États membres ne soient pas régis par le statut, ils n’en demeurent pas moins soumis aux mêmes règles que celles applicables aux agents détachés par les institutions de l’Union et dont la situation est régie par le statut, en ce qui concerne l’exercice de leurs fonctions sur le théâtre des opérations. Dès lors, la seule constatation d’une illégalité est suffisante pour considérer comme remplie la première des trois conditions nécessaires à l’engagement de la responsabilité de l’Union pour les dommages causés à un agent national détaché auprès de la Mission à l’occasion de l’exercice de ses fonctions sur le théâtre des opérations.

Dans ce contexte, examinant successivement les violations invoquées par le requérant, le Tribunal considère, en premier lieu, que le requérant est fondé à soutenir que, en s’abstenant de diligenter une enquête administrative à la suite de ses allégations de harcèlement moral, la Mission a violé l’article 1er et l’article 31, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que l’article 12 bis du statut.

Pour parvenir à cette conclusion, s’agissant tout d’abord de l’applicabilité des dispositions du statut, et en particulier de son article 12 bis, paragraphe 3, qui définit le harcèlement moral, le Tribunal relève que, en vertu du principe d’égalité de traitement, il est tenu d’appliquer à la situation du requérant, par analogie, les dispositions statutaires relatives au harcèlement moral et à la protection fonctionnelle des fonctionnaires et des agents temporaires ou contractuels ainsi que la jurisprudence rendue sur le fondement de ces dispositions. En effet, la différence de situation entre les agents détachés auprès de la Mission par les États membres et ceux détachés par les institutions ne saurait objectivement justifier que les premiers, lorsqu’ils exercent leurs fonctions sur le théâtre des opérations et sont alors placés dans une situation comparable à celle des seconds, ne bénéficient pas du même niveau et des mêmes règles de protection contre le harcèlement moral.

Le Tribunal rappelle ensuite que, lorsqu’une demande d’assistance est introduite et qu’elle est assortie d’un commencement de preuve suffisant des faits allégués, il incombe à l’autorité saisie{3} de répondre avec la rapidité et la sollicitude requises. Elle doit prendre les mesures appropriées, notamment en faisant procéder à une enquête administrative, afin d’établir les faits à l’origine de la plainte, en collaboration avec l’auteur de celle-ci et, au regard des résultats de l’enquête, d’adopter les mesures qui s’imposent, telles que l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de la personne mise en cause lorsque l’administration conclut, à l’issue de l’enquête administrative, à l’existence d’un harcèlement moral.

En l’occurrence, premièrement, le Tribunal considère que la décision du chef de la Mission prise en mai 2017 d’exclure le requérant des réunions d’état-major ne saurait être regardée, prise isolément, comme un indice de harcèlement moral vis-à-vis du requérant. En effet, aux termes de l’article 6, paragraphes 2 et 3, de la décision 2012/392, le chef de la Mission exerce le commandement et le contrôle des effectifs, des équipes et des unités fournis par les États contributeurs et donne des instructions à l’ensemble du personnel de la Mission en assurant sa coordination et sa gestion au quotidien. En outre, l’administration dispose d’un large pouvoir d’appréciation en matière d’organisation du service.

Deuxièmement, le Tribunal indique que, en l’absence de justification, par la Mission, du caractère tardif de la formulation du premier avertissement adressé au requérant, tant au regard du délai prévu par l’article 11 du code de conduite{4} qu’au regard de l’ancienneté des faits à l’origine de cet avertissement, et en l’absence d’indications quant à la date exacte à laquelle le chef de la Mission a eu connaissance du signalement effectué par le requérant en juillet 2017, la notification de cet avertissement moins d’une heure après ce signalement peut être considérée comme excessive ou critiquable. En effet, celle-ci est susceptible d’être interprétée comme tendant à pénaliser le requérant en raison dudit signalement, contrairement aux exigences prévues par l’article 7 du code de conduite{5}, et, partant, constitue, prise isolément, l’indice d’un harcèlement moral.

Troisièmement, dans les circonstances particulières dans lesquelles elle est intervenue, la décision du service des ressources humaines de la Mission (ci-après le « service RH ») de relancer, le 27 juillet 2017, la procédure d’évaluation du requérant le lendemain même du départ du médiateur, sans attendre ses conclusions, et plus de neuf mois avant le terme du détachement du requérant, est excessive ou critiquable.

En effet, la Mission n’a pas justifié des motifs pour lesquels le service RH a engagé cette démarche administrative à cette date, alors qu’il résulte de l’article 7 de l’annexe IX de l’OPLAN{6}, relative aux ressources humaines, que la procédure d’évaluation des agents qui souhaitaient solliciter le renouvellement de leur détachement auprès de la Mission devait intervenir lors de la présentation d’une demande en ce sens de leur part, au plus tard trois mois avant le terme du détachement. En outre, une obligation d’agir avec prudence s’imposait, conformément au principe de bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte, et, en raison de l’article 7 du code de conduite, à la suite du signalement précité.

Partant, une telle relance peut être interprétée comme visant à évincer le requérant de la Mission au terme de son détachement sans attendre les propositions du médiateur, de sorte que cette décision constitue, prise isolément, un indice de harcèlement moral.

Dernièrement, l’envoi par le service RH au requérant, fin juillet 2017, d’un décompte actualisé de ses congés ne saurait être regardé, pris isolément, comme un acte excessif ou critiquable de nature à caractériser un indice de harcèlement moral à son égard. En effet, sans préjudice de l’obligation de diligence et, notamment, de prudence, s’imposant à la Mission dans l’attente des conclusions du médiateur, ni les articles 1er et 31 de la Charte, ni l’article 12 bis du statut et, en l’espèce, ni les dispositions de l’annexe IX de l’OPLAN et du code de conduite n’imposaient à la Mission de soustraire le requérant aux procédures de gestion des ressources humaines de la Mission au seul motif qu’il avait effectué des signalements pour harcèlement moral à l’encontre du chef de la Mission et de son adjoint.

Par ailleurs, le Tribunal relève que l’environnement global de travail dans lequel s’inscrivaient les faits invoqués par le requérant était caractérisé par l’intention du chef de la Mission de se séparer du requérant sans pour autant mettre en œuvre la procédure prévue à l’article 8 de l’annexe IX de l’OPLAN visant à mettre fin à un détachement avant son terme.

En second lieu, le Tribunal considère que le requérant est fondé à soutenir que la Mission a violé le droit à une bonne administration.

À cet égard, il rappelle que, dans le cadre de litiges en matière de harcèlement impliquant des fonctionnaires ou des agents de l’Union, la personne ayant déposé une plainte pour harcèlement est en droit, afin de pouvoir présenter utilement ses observations à l’institution concernée avant que celle-ci ne prenne une décision, de se faire communiquer, à tout le moins, un résumé des déclarations de la personne accusée de harcèlement et des différents témoins entendus au cours de la procédure d’enquête, la communication de ce résumé devant être effectuée, le cas échéant, dans le respect du principe de confidentialité. Il en va ainsi dans la mesure où ces déclarations ont été utilisées dans le rapport remis à l’autorité qui a pris la décision de ne pas donner suite à la plainte, et qui comprend des recommandations au regard desquelles cette autorité a fondé sa décision.

Or, en l’espèce, dès lors que le COC a rejeté, en avril 2018, la demande d’ouverture d’une enquête administrative présentée par le requérant sur le fondement du rapport du médiateur rendu fin juillet 2017, et compte tenu de la recommandation qui figurait dans ce rapport, il aurait dû assurer le respect du droit d’être entendu du requérant en lui donnant l’occasion de faire valoir ses observations sur ce rapport et de fournir éventuellement des renseignements supplémentaires avant qu’il n’adopte cette décision. En effet, l’audition du requérant aurait pu conduire le COC à adopter une conclusion différente, à savoir la décision de diligenter une enquête administrative.

Après avoir admis que le requérant a établi l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre le préjudice moral allégué et les violations constatées, le Tribunal constate toutefois que celui-ci est en partie, en raison de son comportement négligent, l’un des protagonistes de la situation conflictuelle qu’il qualifie de harcèlement, ayant donné lieu au préjudice moral dont il se plaint. En conséquence, le Tribunal accueille partiellement son recours en indemnité.

{1} Décision 2012/392/PESC du Conseil, du 16 juillet 2012, concernant la mission PSDC de l’Union européenne au Niger (EUCAP Sahel Niger) (JO 2012, L 187, p. 48).

{2} Voir article 7, paragraphe 1, de la décision 2012/392.

{3} Au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut.

{4} Il ressort de l’article 11 du code de conduite et de discipline pour les missions civiles de la politique de sécurité et de défense communes (PSDC) de l’Union (ci-après le « code de conduite ») que, sur la base d’un rapport faisant état d’un manquement éventuel, la décision de l’autorité responsable sur les suites à donner audit manquement, qui peut conduire l’autorité à traiter l’affaire comme une question de management, doit intervenir dans un délai de dix jours ouvrables.

{5} L’article 7, paragraphe 1, du code de conduite dispose que le membre de la Mission qui a signalé un manquement éventuel n’est pas pénalisé du fait ou à la suite de ce signalement, à condition qu’il ait agi de manière raisonnable et de bonne foi.

{6} L’article 7 de l’annexe IX du plan opérationnel révisé de la Mission (OPLAN), relative aux ressources humaines, subordonne la prolongation du détachement d’un agent détaché à l’accord du chef de la Mission, sur la base d’une demande en ce sens de l’agent concerné présentée trois mois avant le terme de la période de détachement en cours et d’un rapport d’évaluation des performances favorable établi par son responsable hiérarchique direct.

Arrêt du 17 juillet 2024, Montanari / EUCAP Sahel Niger (T-371/22) (cf. points 61-63)



Ordonnance du 17 décembre 2020, IM / BEI (T-872/19) (cf. point 24)

Arrêt du 25 mars 2021, Carvalho e.a. / Parlement et Conseil (C-565/19 P) (cf. points 101-103)

27. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Limites - Demande en réparation du préjudice subi du fait d'irrégularités commises par une institution en qualité de pouvoir adjudicateur dans le cadre d'un appel d'offres - Recevabilité

Compte tenu de la spécificité du contentieux des marchés publics de l’Union, un recours en indemnité tendant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi par un soumissionnaire évincé du fait d’irrégularités qu’une institution agissant en qualité de pouvoir adjudicateur aurait commises dans le cadre d’appel d’offres n’a ni le même objet ni les mêmes effets juridiques et économiques qu’un recours visant à l’annulation de la décision de rejet de l’offre dudit soumissionnaire et il ne saurait en conséquence avoir pour effet d’annihiler les effets de cette décision.

En effet, d’une part, si le recours en annulation vise à sanctionner l’illégalité d’un acte juridiquement contraignant, le recours en indemnité a, quant à lui, pour objet la demande en réparation d’un préjudice découlant d’un acte ou d’un comportement illicite imputable à une institution ou à un organe de l’Union. Or, le recours en annulation du soumissionnaire n’aurait pour objet que la décision de rejet de son offre et l’attribution du marché à un autre soumissionnaire et, pour autant qu’il soit accueilli par le juge de l’Union, il ne pourrait avoir comme résultat que l’annulation de ladite décision. En revanche, par son recours en indemnité, le soumissionnaire ne cherche pas à voir supprimer cette décision, mais à obtenir une indemnisation du dommage résultant prétendument de son adoption. Le soumissionnaire ne cherche donc pas à obtenir, par le recours en indemnité, un résultat comparable voire identique à celui recherché par un recours en annulation.

D’autre part, un recours en annulation et un recours en indemnité n’ont pas les mêmes effets juridiques. Dans le cadre d’un recours en annulation, le constat de l’illégalité d’un acte et par voie de conséquence le dispositif d’un arrêt annulant ledit acte ont un effet ex tunc alors que le constat par le juge de l’Union qu’un acte constitue une illégalité à même de justifier l’engagement de la responsabilité de l’Union a un effet ex nunc et n’a pas, en principe, pour effet d’éliminer rétroactivement le fondement juridique dudit acte. En particulier, dans le cadre du contentieux des marchés publics de l’Union, les circonstances à prendre en compte au titre des articles 264 et 266 TFUE aux fins d’exécuter un arrêt en annulation sont non seulement liées à la disposition annulée et à la portée dudit arrêt, mais également à d’autres circonstances telles que la date de signature du contrat, l’éventuelle exécution du marché ou la mise en œuvre de l’article 103 du règlement nº 1605/2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes. En effet, il ne saurait être exclu, après un arrêt annulant la décision d’attribution d’un marché public, que l’institution puisse être conduite à mettre un terme au contrat en cause et à organiser une nouvelle procédure d’appel d’offres. En revanche, un arrêt engageant la responsabilité de l’Union a nécessairement pour effet le versement d’une indemnité à la partie requérante dès lors que cette dernière a demandé une telle réparation et non une réparation en nature.

Arrêt du 28 février 2018, Vakakis kai Synergates / Commission (T-292/15) (cf. points 35-38)

28. Recours en indemnité - Caractère autonome - Différence par rapport au recours en annulation - Qualité de partie défenderesse - Critères de détermination

La compétence que le juge de l’Union exerce dans le contentieux de la légalité au titre de l’article 263 TFUE diffère, tant par son objet que par les griefs qui peuvent être invoqués, de celle dont il est investi dans le contentieux de la responsabilité non contractuelle au titre des articles 268 et 340 TFUE. En effet, le recours en indemnité lié à une responsabilité non contractuelle de l’Union pour les actions ou les omissions de ses institutions a été institué comme une voie de recours autonome par rapport à d’autres actions en justice, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique. Alors que le recours en annulation prévu à l’article 263 TFUE tend à la suppression d’une mesure déterminée, le recours en indemnité fondé sur l’article 340 TFUE a pour objet la réparation du préjudice causé par une institution.

Ainsi, indépendamment de sa qualité d’acte attaquable susceptible d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, tout acte d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union ou de l’un de ses agents agissant dans l’exercice de ses fonctions est, en principe, susceptible de faire l’objet d’un recours en indemnité au titre de l’article 268 TFUE. De même, un comportement non décisionnel de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union peut fonder un recours en indemnité, bien qu’il ne puisse pas faire l’objet d’un recours en annulation. Il en ressort que, dans le système des voies de recours institué par le traité FUE, le recours en responsabilité non contractuelle poursuit une finalité compensatoire, destinée notamment à assurer une protection juridictionnelle effective au justiciable également à l’encontre d’actes et de comportements des institutions, des organes ou des organismes de l’Union ou de l’un de leurs agents agissant dans l’exercice de ses fonctions qui ne sauraient faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE. Ainsi, au regard des finalités différentes et complémentaires de ces deux types de recours, il ne saurait être considéré que le contenu de la notion d’"institution" au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE se limite nécessairement aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union visés à l’article 263, premier alinéa, TFUE.

Au contraire, l’identification des entités de l’Union qui peuvent être qualifiées d’"institutions" au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE doit s’opérer selon des critères propres à cette disposition, différents de ceux qui régissent l’identification des organes et des organismes visés à l’article 263, premier alinéa, TFUE. Pour les besoins de l’article 263 TFUE, le critère pertinent a trait à la faculté de l’entité défenderesse de prendre des actes destinés à produire des effets juridiques envers des tiers. À l’inverse, pour les besoins de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, il importe de déterminer si l’entité de l’Union à laquelle l’acte ou le comportement incriminé est imputable a été instituée par les traités et est destinée à contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union.

Arrêt du 13 juillet 2018, Chrysostomides, K. & Co. e.a. / Conseil e.a. (T-680/13) (cf. points 109-112)



Arrêt du 13 juillet 2018, Bourdouvali e.a. / Conseil e.a. (T-786/14) (cf. points 105-108)

29. Recours en indemnité - Caractère autonome - Épuisement des voies de recours internes - Exception - Possibilité pour le juge de l'Union d'identifier le caractère et le quantum du préjudice allégué

L’action en indemnité au titre de l’article 268 et de l’article 340, deuxième et troisième alinéas, TFUE doit être appréciée au regard de l’ensemble du système de protection juridictionnelle des particuliers et sa recevabilité peut donc se trouver subordonnée, dans certains cas, à l’épuisement de voies de recours internes qui sont ouvertes pour obtenir l’annulation d’une décision de l’autorité nationale, pourvu que ces voies de recours internes assurent d’une manière efficace la protection des particuliers intéressés en étant susceptibles d’aboutir à la réparation du dommage allégué.

Les cas d’irrecevabilité dus au non-épuisement des voies de recours internes se limitent à l’hypothèse dans laquelle le non-épuisement de ces voies de recours interdise au juge de l’Union d’identifier le caractère et le quantum du préjudice invoqué devant lui, tant et si bien que les exigences de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure ne sont pas satisfaites. Si le juge de l’Union est en mesure d’identifier le caractère et le quantum du préjudice allégué, il ne saurait être considéré que le recours est irrecevable au seul motif que le requérant n’aurait pas épuisé les voies de recours internes, et ce sans même qu’il soit besoin de déterminer si les actes et les comportements en cause peuvent faire l’objet d’un recours devant des juridictions nationales.

Tout au plus pourrait-il être considéré, dans ces conditions, que l’introduction, par un ou plusieurs requérants, d’une action devant une juridiction nationale tendant à l’indemnisation du même préjudice que le recours devant le juge de l’Union est susceptible d’avoir une incidence sur l’examen du bien-fondé de ce recours. À cet égard, lorsque, en premier lieu, une personne a introduit deux actions tendant à l’indemnisation d’un seul et même préjudice, l’une dirigée contre une autorité nationale, devant une juridiction nationale, l’autre dirigée contre une institution de l’Union, devant le juge de l’Union, et, en second lieu, il existe un risque que, en raison d’appréciations différentes de ce préjudice par les deux juridictions saisies, ladite personne soit insuffisamment ou abusivement indemnisée, le juge de l’Union doit, avant de statuer sur le préjudice, attendre que la juridiction nationale se soit prononcée sur l’action portée devant elle par une décision mettant fin à l’instance. En pareil cas, le juge de l’Union est tenu d’attendre que le juge national ait statué avant de se prononcer sur l’existence et le quantum du préjudice. En revanche, il lui est possible, avant même que le juge national ne statue, de déterminer si le comportement reproché à l’institution défenderesse est de nature à engager la responsabilité extracontractuelle de l’Union.

Arrêt du 13 juillet 2018, Chrysostomides, K. & Co. e.a. / Conseil e.a. (T-680/13) (cf. points 238-241)



Arrêt du 13 juillet 2018, Bourdouvali e.a. / Conseil e.a. (T-786/14) (cf. points 237-240)

30. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Portée

Dans l’ordonnance RATP/Commission (T-422/18), le Tribunal a rejeté comme irrecevable le recours tendant à l’annulation d’une décision initiale de la Commission d’accorder l’accès à des documents en raison du retrait et du remplacement de la décision attaquée avant l’introduction du recours.

Le 5 mars 2018, la direction générale « Mobilité et transports » de la Commission a partiellement donné accès à l’auteur d’une demande initiale d’accès à des lettres du président-directeur général de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) adressées à la Commission. Suite à une demande confirmative d’accès, le secrétaire général de la Commission a adopté, le 7 juin 2018, une décision dans laquelle il a refusé toute divulgation des documents litigieux.

La RATP ayant pris connaissance de la demande initiale d’accès ainsi que de la communication d’une version expurgée des documents litigieux au demandeur d’accès, elle a introduit, le 6 juillet 2018, un recours tendant à l’annulation de la décision initiale d’accorder partiellement l’accès auxdits documents.

Le Tribunal a considéré que, la décision attaquée n’ayant constitué qu’une première prise de position de la Commission qui a été intégralement remplacée par la décision du 7 juin 2018, c’est cette dernière qui a clôturé la procédure et a dès lors la nature d’une décision. Ainsi, au moment de l’introduction du recours, la décision du 7 juin 2018 s’était déjà substituée à la décision attaquée et l’avait fait disparaître de l’ordre juridique de l’Union, de sorte qu’elle ne produisait plus d’effet. Par conséquent, le recours était sans objet à la date de son introduction et devait être déclaré irrecevable.

Par ailleurs, la requérante n’avait pas d’intérêt à agir puisque l’annulation de la décision attaquée n’inverserait pas les effets de la divulgation des documents litigieux.

La décision du Tribunal de rejeter comme irrecevable le recours en annulation de la décision attaquée, faute d’objet, n’affecte cependant pas la possibilité pour la requérante d’introduire un recours en indemnité.

Ordonnance du 14 mai 2019, RATP / Commission (T-422/18) (cf. point 46)



Arrêt du 21 décembre 2022, Vialto Consulting / Commission (T-537/18) (cf. point 75)

31. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Limites - Demande tendant à la réparation d'un préjudice tiré du manque à gagner allégué découlant d'une décision de la Commission ayant fait l'objet d'un arrêt d'annulation du juge de l'Union - Demande ne visant pas à obtenir un résultat identique à celui d'un recours en annulation introduit contre ladite décision de la Commission - Recevabilité

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 5 septembre 2019, Union européenne / Guardian Europe (C-447/17 P et C-479/17 P) (cf. points 49-51, 58-65)

32. Responsabilité non contractuelle - Conditions - Violation suffisamment caractérisée du droit de l'Union - Marge d'appréciation de l'institution lors de l'adoption de l'acte - Appréciation de l'illégalité de l'acte ou du comportement de l'institution - Nécessité de prise en compte d'éléments contextuels et temporels - Existence d'une violation suffisamment caractérisée du droit de l'Union - Absence

À la suite de l’adoption, par le Conseil de sécurité des Nations unies, de plusieurs résolutions visant le programme de prolifération nucléaire développé par la République islamique d’Iran{1} et demandant, notamment, aux États membres de geler, du fait de ses activités maritimes, les avoirs de la compagnie Islamic Republic of Iran Shipping Lines (ci-après « IRISL ») et des personnes physiques ou morales qui pourraient être liées à celle-ci, le Conseil de l’Union européenne avait adopté des mesures restrictives contre IRISL, contre la société HTTS Hanseatic Trade Trust & Shipping (ci-après « HTTS »){2}, une société de droit allemand exerçant des activités d’agent maritime et de gestionnaire technique de navires, et contre M. Naser Bateni{3}. Le Conseil avait, par la suite, prorogé ces mesures à plusieurs reprises.

HTTS avait été réinscrite le 25 octobre 2010 sur la liste des personnes et entités visées par ces mesures au motif qu’elle était placée sous le contrôle ou agissait pour le compte d’IRISL{4}, et le 23 janvier 2012 également, pour le motif qu’elle était enregistrée en Allemagne à la même adresse que IRISL Europe GmbH et que M. Naser Bateni, son dirigeant, était précédemment employé par IRISL{5}. Ce dernier avait, quant à lui, été inscrit sur la liste en cause le 1er décembre 2011 au motif qu’il était l’ancien directeur juridique d’IRISL et directeur de HTTS, sanctionnée par l’Union. Après que le Conseil a adapté les critères d’inscription en ciblant directement les « personnes et entités qui fournissent des services d’assurance ou d’autres services essentiels à […] IRISL ou à des entités qui sont sous [son] contrôle ou qui agissent pour [son] compte »{6}, M. Naser Bateni a été maintenu sur la liste au motif qu’il avait agi pour le compte d’IRISL, qu’il en avait été le directeur jusqu’en 2008, puis directeur général d’IRISL Europe et qu’il était le directeur de HTTS qui, en tant qu’agent général, fournissait des services essentiels à deux autres entités maritimes, SAPID et HSDL, également désignées comme des entités agissant pour le compte d’IRISL{7}.

HTTS et M. Naser Bateni (ci-après « les requérants »), ainsi que la société IRISL, ont attaqué, devant le Tribunal, la plupart des mesures successives adoptées à leur encontre par le Conseil et en ont obtenu l’annulation{8}. Dans ce contexte, les requérants ont demandé, sur le fondement des articles 268 et 340 TFUE applicables en matière de responsabilité non contractuelle de l’Union, la réparation de leurs préjudices respectifs prétendument subis du fait de leurs inscriptions sur les listes litigieuses. Ils faisaient notamment valoir que leurs inscriptions sur les listes concernées constituaient des violations suffisamment caractérisées de règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers{9}.

Dans ces deux affaires, le Tribunal rejette les recours en indemnité des requérants et rappelle, notamment, que la constatation de l’illégalité d’un acte juridique de l’Union ne suffit pas, en tant que telle, pour considérer que la responsabilité non contractuelle de celle-ci tenant à l’illégalité du comportement de l’une de ses institutions soit, de ce fait, automatiquement engagée.

Appréciation du Tribunal

Le Tribunal examine, dans les deux affaires, si les éléments avancés par les requérants permettent de démontrer que les inscriptions en cause constituaient des violations suffisamment caractérisées d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, ainsi que l’exige la jurisprudence en matière de responsabilité non contractuelle de l’Union.

À cet égard, le Tribunal rappelle, dans lesdites affaires, que les paramètres qui doivent être pris en compte dans l’évaluation d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers doivent tous se rapporter à la date à laquelle la décision ou le comportement ont été adoptés par l’institution concernée. Il rappelle également que l’erreur manifeste d’appréciation en tant que moyen avancé à l’appui d’un recours en annulation doit être distinguée de la méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposent au pouvoir d’appréciation invoquée pour constater une telle violation dans le cadre d’un recours en indemnité.

Or le Tribunal relève que le Conseil disposait de nombreux éléments constituant autant d’indices de liens entre IRISL, HTTS et M. Naser Bateni.

Le Tribunal relève notamment que la notion de société « détenue ou contrôlée par une autre entité » laissait une certaine marge d’appréciation au Conseil et que celui-ci avait fourni des éléments qu’il considérait comme susceptibles d’établir la nature des liens entre HTTS, IRISL et M. Naser Bateni. Dans l’affaire T-455/17, le Tribunal constate également que les inscriptions du requérant étaient fondées tant sur un lien personnel entre celui-ci et IRISL que sur la circonstance qu’il avait un rôle de gestion à l’intérieur d’une société prétendument contrôlée ou détenue par IRISL, dont HTTS, qui fournissait des services essentiels à d’autres sociétés prétendument contrôlées ou détenues par IRISL. Le Tribunal conclut à cet égard que, même à supposer que, lors des inscriptions litigieuses, le Conseil ait commis une erreur d’appréciation à cet égard, cette erreur ne saurait revêtir un caractère flagrant et inexcusable et il ne saurait être considéré qu’une administration normalement prudente et diligente ne l’aurait pas commise dans des circonstances analogues.

Enfin, le Tribunal écarte les griefs des requérants selon lesquels leurs inscriptions, également fondées sur la participation des sociétés de la compagnie IRISL, dont SAPID et HDSL, à la prolifération nucléaire, étaient erronées du fait de l’annulation, le 16 septembre 2013, des mesures restrictives adoptées contre IRISL{10}. Le Tribunal rappelle notamment que la légalité des actes attaqués doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date à laquelle l’acte a été adopté et il souligne que la réalité matérielle des violations par IRISL de l’embargo sur les armes imposé par les Nations unies n’avait pas été remise en cause et que l’implication d’IRISL dans trois incidents concernant le transport de matériel militaire augmentait le risque que cette compagnie fût également impliquée dans des incidents concernant le transport de matériel lié à la prolifération nucléaire, de sorte que le Conseil n’a pas commis de violation des conditions matérielles d’inscription de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union.

Le Tribunal rejette, en conséquence, les deux recours en indemnité dans leur intégralité.

{1} Résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies 1737 (2006), 1747 (2007), 1803 (2008) et 1929 (2010).

{2} Décision du Conseil 2010/413/PESC, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO 2010, L 195, p. 39) et règlement d’exécution (UE) nº 668/2010 du Conseil, du 26 juillet 2010, mettant en œuvre l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 423/2007 concernant l’adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (JO 2010, L 195, p. 25).

{3} Décision du Conseil 2011/783/PESC, du 1er décembre 2011, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (JO 2011, L 319, p. 71) et règlement d’exécution (UE) nº 1245/2011 du Conseil, du 1er décembre 2011, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 961/2010 concernant l’adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (JO 2011, L 319, p. 11).

{4} Règlement (UE) nº 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant le règlement (CE) nº 423/2007 (JO 2010, L 281, p. 1).

{5} Décision 2012/35/PESC du Conseil, du 23 janvier 2012, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (JO 2012, L 19, p. 22) et règlement d'exécution (UE) nº 54/2012 du Conseil, du 23 janvier 2012, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 961/2010 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (JO 2012, L 19, p. 1).

{6} Article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO 2010, L 195, p. 39), telle que modifiée par la décision 2013/497/PESC, et article 23, paragraphe 2, sous e), du règlement (UE) nº 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant le règlement (UE) nº 961/2010 (JO 2012, L 88, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) nº 971/2013.

{7} Décision 2013/661/PESC du Conseil, du 15 novembre 2013, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2013, L 306, p. 18) et règlement d’exécution (UE) nº 1154/2013 du Conseil, du 15 novembre 2013, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2013, L 306, p. 3).

{8} Voir arrêt du 7 décembre 2011, HTTS/Conseil (T-562/10, EU:T:2011:716) ; arrêt du 12 juin 2013, HTTS/Conseil (T-128/12 et T-182/12, EU:T:2013:312) ; arrêt du 6 septembre 2013, Bateni/Conseil (T-42/12 et T-181/12, EU:T:2013:409) ; arrêt du 16 septembre 2013, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil (T-489/10, EU:T:2013:453) ; ainsi que arrêt du 18 septembre 2015, HTTS et Bateni/Conseil (T-45/14, EU:T:2015:650).

{9} Dans l’affaire HTTS/Conseil (T-692/15 EU:T:2017:890), le Tribunal avait d’abord rejeté, par un arrêt du 13 décembre 2017, la demande en réparation de HTTS. Cet arrêt a ensuite été annulé par la Cour le 10 septembre 2019 dans l’affaire HTTS/Conseil (C-123/18 P EU:C:2018:694) et l’affaire a été renvoyée devant le Tribunal.

{10} Arrêt du 16 septembre 2013, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil (T-489/10, EU:T:2013:453).

Arrêt du 7 juillet 2021, HTTS / Conseil (T-692/15 RENV) (cf. points 50, 53, 54, 56-59, 86, 87, 89-94, 103)

À la suite de l’adoption, par le Conseil de sécurité des Nations unies, de plusieurs résolutions visant le programme de prolifération nucléaire développé par la République islamique d’Iran{1} et demandant, notamment, aux États membres de geler, du fait de ses activités maritimes, les avoirs de la compagnie Islamic Republic of Iran Shipping Lines (ci-après « IRISL ») et des personnes physiques ou morales qui pourraient être liées à celle-ci, le Conseil de l’Union européenne avait adopté des mesures restrictives contre IRISL, contre la société HTTS Hanseatic Trade Trust & Shipping (ci-après « HTTS »){2}, une société de droit allemand exerçant des activités d’agent maritime et de gestionnaire technique de navires, et contre M. Naser Bateni{3}. Le Conseil avait, par la suite, prorogé ces mesures à plusieurs reprises.

HTTS avait été réinscrite le 25 octobre 2010 sur la liste des personnes et entités visées par ces mesures au motif qu’elle était placée sous le contrôle ou agissait pour le compte d’IRISL{4}, et le 23 janvier 2012 également, pour le motif qu’elle était enregistrée en Allemagne à la même adresse que IRISL Europe GmbH et que M. Naser Bateni, son dirigeant, était précédemment employé par IRISL{5}. Ce dernier avait, quant à lui, été inscrit sur la liste en cause le 1er décembre 2011 au motif qu’il était l’ancien directeur juridique d’IRISL et directeur de HTTS, sanctionnée par l’Union. Après que le Conseil a adapté les critères d’inscription en ciblant directement les « personnes et entités qui fournissent des services d’assurance ou d’autres services essentiels à […] IRISL ou à des entités qui sont sous [son] contrôle ou qui agissent pour [son] compte »{6}, M. Naser Bateni a été maintenu sur la liste au motif qu’il avait agi pour le compte d’IRISL, qu’il en avait été le directeur jusqu’en 2008, puis directeur général d’IRISL Europe et qu’il était le directeur de HTTS qui, en tant qu’agent général, fournissait des services essentiels à deux autres entités maritimes, SAPID et HSDL, également désignées comme des entités agissant pour le compte d’IRISL{7}.

HTTS et M. Naser Bateni (ci-après « les requérants »), ainsi que la société IRISL, ont attaqué, devant le Tribunal, la plupart des mesures successives adoptées à leur encontre par le Conseil et en ont obtenu l’annulation{8}. Dans ce contexte, les requérants ont demandé, sur le fondement des articles 268 et 340 TFUE applicables en matière de responsabilité non contractuelle de l’Union, la réparation de leurs préjudices respectifs prétendument subis du fait de leurs inscriptions sur les listes litigieuses. Ils faisaient notamment valoir que leurs inscriptions sur les listes concernées constituaient des violations suffisamment caractérisées de règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers{9}.

Dans ces deux affaires, le Tribunal rejette les recours en indemnité des requérants et rappelle, notamment, que la constatation de l’illégalité d’un acte juridique de l’Union ne suffit pas, en tant que telle, pour considérer que la responsabilité non contractuelle de celle-ci tenant à l’illégalité du comportement de l’une de ses institutions soit, de ce fait, automatiquement engagée.

Appréciation du Tribunal

Le Tribunal examine, dans les deux affaires, si les éléments avancés par les requérants permettent de démontrer que les inscriptions en cause constituaient des violations suffisamment caractérisées d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, ainsi que l’exige la jurisprudence en matière de responsabilité non contractuelle de l’Union.

À cet égard, le Tribunal rappelle, dans lesdites affaires, que les paramètres qui doivent être pris en compte dans l’évaluation d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers doivent tous se rapporter à la date à laquelle la décision ou le comportement ont été adoptés par l’institution concernée. Il rappelle également que l’erreur manifeste d’appréciation en tant que moyen avancé à l’appui d’un recours en annulation doit être distinguée de la méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposent au pouvoir d’appréciation invoquée pour constater une telle violation dans le cadre d’un recours en indemnité.

Or le Tribunal relève que le Conseil disposait de nombreux éléments constituant autant d’indices de liens entre IRISL, HTTS et M. Naser Bateni.

Le Tribunal relève notamment que la notion de société « détenue ou contrôlée par une autre entité » laissait une certaine marge d’appréciation au Conseil et que celui-ci avait fourni des éléments qu’il considérait comme susceptibles d’établir la nature des liens entre HTTS, IRISL et M. Naser Bateni. Dans l’affaire T-455/17, le Tribunal constate également que les inscriptions du requérant étaient fondées tant sur un lien personnel entre celui-ci et IRISL que sur la circonstance qu’il avait un rôle de gestion à l’intérieur d’une société prétendument contrôlée ou détenue par IRISL, dont HTTS, qui fournissait des services essentiels à d’autres sociétés prétendument contrôlées ou détenues par IRISL. Le Tribunal conclut à cet égard que, même à supposer que, lors des inscriptions litigieuses, le Conseil ait commis une erreur d’appréciation à cet égard, cette erreur ne saurait revêtir un caractère flagrant et inexcusable et il ne saurait être considéré qu’une administration normalement prudente et diligente ne l’aurait pas commise dans des circonstances analogues.

Enfin, le Tribunal écarte les griefs des requérants selon lesquels leurs inscriptions, également fondées sur la participation des sociétés de la compagnie IRISL, dont SAPID et HDSL, à la prolifération nucléaire, étaient erronées du fait de l’annulation, le 16 septembre 2013, des mesures restrictives adoptées contre IRISL{10}. Le Tribunal rappelle notamment que la légalité des actes attaqués doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date à laquelle l’acte a été adopté et il souligne que la réalité matérielle des violations par IRISL de l’embargo sur les armes imposé par les Nations unies n’avait pas été remise en cause et que l’implication d’IRISL dans trois incidents concernant le transport de matériel militaire augmentait le risque que cette compagnie fût également impliquée dans des incidents concernant le transport de matériel lié à la prolifération nucléaire, de sorte que le Conseil n’a pas commis de violation des conditions matérielles d’inscription de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union.

Le Tribunal rejette, en conséquence, les deux recours en indemnité dans leur intégralité.

{1} Résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies 1737 (2006), 1747 (2007), 1803 (2008) et 1929 (2010).

{2} Décision du Conseil 2010/413/PESC, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO 2010, L 195, p. 39) et règlement d’exécution (UE) nº 668/2010 du Conseil, du 26 juillet 2010, mettant en œuvre l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 423/2007 concernant l’adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (JO 2010, L 195, p. 25).

{3} Décision du Conseil 2011/783/PESC, du 1er décembre 2011, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (JO 2011, L 319, p. 71) et règlement d’exécution (UE) nº 1245/2011 du Conseil, du 1er décembre 2011, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 961/2010 concernant l’adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (JO 2011, L 319, p. 11).

{4} Règlement (UE) nº 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant le règlement (CE) nº 423/2007 (JO 2010, L 281, p. 1).

{5} Décision 2012/35/PESC du Conseil, du 23 janvier 2012, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (JO 2012, L 19, p. 22) et règlement d'exécution (UE) nº 54/2012 du Conseil, du 23 janvier 2012, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 961/2010 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (JO 2012, L 19, p. 1).

{6} Article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2013/497/PESC du Conseil, du 10 octobre 2013, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (JO 2013, L 272, p. 46) et article 23, paragraphe 2, sous e), du règlement (UE) nº 971/2013 du Conseil, du 10 octobre 2013, modifiant le règlement (UE) nº 267/2012 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (JO 2013, L 272, p.1).

{7} Décision 2013/661/PESC du Conseil, du 15 novembre 2013, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2013, L 306, p. 18) et règlement d’exécution (UE) nº 1154/2013 du Conseil, du 15 novembre 2013, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2013, L 306, p. 3).

{8} Voir arrêt du 7 décembre 2011, HTTS/Conseil (T-562/10, EU:T:2011:716) ; arrêt du 12 juin 2013, HTTS/Conseil (T-128/12 et T-182/12, EU:T:2013:312) ; arrêt du 6 septembre 2013, Bateni/Conseil (T-42/12 et T-181/12, EU:T:2013:409) ; arrêt du 16 septembre 2013, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil (T-489/10, EU:T:2013:453) ; ainsi que arrêt du 18 septembre 2015, HTTS et Bateni/Conseil (T-45/14, EU:T:2015:650).

{9} Dans l’affaire HTTS/Conseil (T-692/15 EU:T:2017:890), le Tribunal avait d’abord rejeté, par un arrêt du 13 décembre 2017, la demande en réparation de HTTS. Cet arrêt a ensuite été annulé par la Cour le 10 septembre 2019 dans l’affaire HTTS/Conseil (C-123/18 P EU:C:2018:694) et l’affaire a été renvoyée devant le Tribunal.

{10} Arrêt du 16 septembre 2013, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil (T-489/10, EU:T:2013:453).

Arrêt du 7 juillet 2021, Bateni / Conseil (T-455/17) (cf. points 83, 86, 87, 89-93, 114, 115, 119-121, 123, 124, 128, 129)

Par son arrêt, le Tribunal annule les mesures restrictives adoptées par le Conseil de l’Union européenne contre Mme Shahla Makhlouf en précisant, notamment, la portée du critère de l’appartenance familiale établi par la décision 2013/255{1} concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et les règles relatives à la charge de la preuve et au renversement de la présomption établie par cette décision.

Mme Shahla Makhlouf est l’une des filles de M. Mohammed Makhlouf, un homme d’affaires de nationalité syrienne, décédé le 12 septembre 2020, dont le nom avait été inscrit sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie par le Conseil en 2011{2}.

Le nom de la requérante a été inscrit sur les listes en cause le 21 février 2022{3}, au motif suivant : « [f]ille de Mohammed Makhlouf et membre de la famille Makhlouf ». Cette inscription était fondée sur le critère de l’appartenance aux familles Assad et Makhlouf établi par l’article 27, paragraphe 2, sous b), et par l’article 28, paragraphe 2, sous b), de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, ainsi que par l’article 15, paragraphe 1 bis, sous b), du règlement no 36/2012{4}, tel que modifié par le règlement 2015/1828. À cette fin, le Conseil s’était appuyé sur la décision d’ouverture de la succession de M. Mohammed Makhlouf émanant d’un juge syrien en date du 27 septembre 2020, laquelle n’était pas contestée par la requérante, héritière du défunt. L’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses a été maintenue, notamment, le 25 mai 2023{5}.

Appréciation du Tribunal

Selon la requérante, le simple fait d’appartenir à la famille Makhlouf ne devrait pas justifier l’adoption de mesures restrictives à son encontre. À cet égard, le Tribunal relève, tout d’abord, que les critères d’inscription spécifiques à l’égard des différentes catégories de personnes visées par la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836{6}, sont autonomes par rapport au critère général d’association avec le régime syrien défini par cette décision{7}. Ainsi, le simple fait d’appartenir à l’une des catégories de personnes en cause suffit pour permettre de prendre les mesures restrictives en question, sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve du soutien que les personnes concernées apporteraient au régime syrien en place ou du bénéfice qu’elles en tireraient. Le Tribunal en a déduit que le critère de l’appartenance familiale pose un critère objectif, autonome et suffisant pour justifier l’adoption de mesures restrictives à l’encontre des « membres de [la] famille […] Makhlouf ». Cependant, les personnes en cause ne doivent pas être inscrites sur les listes litigieuses s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’elles ne sont pas associées au régime syrien, qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas liées à un risque réel de contournement des mesures restrictives{8}. Le Tribunal rappelle à cet égard que c’est à la requérante qu’il incombait, dans le cadre d’une contestation des actes attaqués, d’apporter des preuves afin de renverser la présomption réfragable de lien avec le régime syrien découlant du critère de l’appartenance familiale.

La requérante indique, en l’espèce, qu’étant issue d’un mariage qui n’a duré que quelques mois entre sa mère et M. Mohammed Makhlouf, et que n’ayant jamais vécu en Syrie et ayant passé son enfance avec sa mère au Liban, elle n’a que très peu fréquenté son père. Elle précise également qu’elle a acquis la nationalité américaine après avoir émigré aux États-Unis en 1990, où elle a suivi un cursus d’enseignement supérieur, et qu’elle y réside désormais avec son époux et ses enfants. Elle produit un ensemble de documents à l’appui de ses déclarations qui, selon le Tribunal, corroborent ces dernières, le centre des intérêts de la requérante se trouvant désormais aux États-Unis. Le Tribunal constate également que l’avis de décès de M. Mohammed Makhlouf, qui mentionne les noms des cinq fils et de deux filles du défunt, ne mentionne, ainsi qu’il est d’usage, ni celui de la requérante ni celui de sa mère comme ancienne épouse du défunt. Il juge dès lors que les éléments produits par la requérante revêtent un caractère concordant et crédible et que, pris dans leur ensemble, ils étayent à suffisance de droit ses affirmations quant à son éloignement de la famille Makhlouf. Ainsi, lesdits éléments constituent un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants de l’inexistence ou la disparition du lien avec le régime syrien, de l’absence d’influence sur ledit régime ou de l’absence d’association avec un risque réel de contournement des mesures restrictives. Il en découle que la requérante doit, à cet égard, être considérée comme ayant valablement renversé la présomption de lien avec le régime syrien découlant du critère de l’appartenance familiale.

Le Tribunal conclut, en conséquence, que les actes attaqués sont entachés d’une erreur d’appréciation et prononce leur annulation en tant que

{1} Décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75).

{2} Voir décision d’exécution 2011/488/PESC du Conseil, du 1er août 2011, mettant en œuvre la décision 2011/273/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2011, L 199, p. 74) et par le règlement d’exécution (UE) no 755/2011 du Conseil, du 1er août 2011, mettant en œuvre le règlement (UE) no 442/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2011, L 199, p. 33). Le nom de M. Mohammed Makhlouf a été retiré desdites listes par la décision d’exécution (PESC) 2022/306 du Conseil, du 24 février 2022, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC (JO 2022, L 46, p. 95) et par le règlement d’exécution (UE) 2022/299 du Conseil, du 24 février 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 (JO 2022, L 46, p. 1).

{3} Décision d’exécution (PESC) 2022/242 du Conseil, du 21 février 2022, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2022, L 40, p. 26) et règlement d’exécution (UE) 2022/237 du Conseil, du 21 février 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2022, L 40, p. 6).

{4} Règlement (UE) no 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) no 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1).

{5} Décision (PESC) 2023/1035 du Conseil, du 25 mai 2023, modifiant la décision 2013/255 (JO 2023, L 139, p. 49) et règlement d’exécution (UE) 2023/1027 du Conseil, du 25 mai 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2023, L 139, p. 1).

{6} Voir article 27, paragraphe 2, sous b), de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836.

{7} Voir article 27, paragraphe 1, et article 28, paragraphe 1,de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836.

{8} Voir article 27, paragraphe 3, et article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836.

Arrêt du 17 juillet 2024, Makhlouf / Conseil (T-209/22) (cf. points 90-93, 99-102)

33. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Limites - Demande tendant à la réparation d'un préjudice tiré de l'exécution erronée d'un arrêt annulant une décision de la Commission - Demande ne visant pas à obtenir un résultat identique à celui du recours ayant mené à l'annulation de la décision de la Commission - Recevabilité - Existence d'échanges préalables au sujet de l'exécution de l'arrêt - Absence d'incidence

Par décision du 30 juin 2010, telle que modifiée par décision du 30 septembre 2010 (ci-après, ensemble, la « décision litigieuse »), la Commission européenne a imposé une amende aux sociétés Westfälische Drahtindustrie GmbH (ci-après « WDI »), Westfälische Drahtindustrie Verwaltungsgesellschaft mbH & Co. KG et Pampus Industriebeteiligungen GmbH & Co. KG pour avoir participé, avec leurs concurrents, à des arrangements collusoires visant à limiter la concurrence sur le marché européen de l’acier de précontrainte{1}.

Conformément à la décision litigieuse, le paiement de l’amende devait être effectué dans un délai de trois mois à compter de la date de sa notification. À l’expiration de ce délai, des intérêts étaient automatiquement dus au taux appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement, majoré de 3,5 points de pourcentage. La décision litigieuse prévoyait également que, en cas d’introduction d’un recours par une entreprise sanctionnée, celle-ci pouvait couvrir l’amende à l’échéance soit en fournissant une garantie bancaire, soit en procédant au paiement provisoire de l’amende.

Après avoir introduit un recours en annulation de la décision litigieuse, les requérantes ont présenté une demande en référé visant, en substance, à obtenir le sursis à l’exécution de cette décision jusqu’au prononcé de l’arrêt statuant sur le recours principal.

Par ordonnance du 13 avril 2011, le président du Tribunal a partiellement fait droit à la demande en référé, en ordonnant le sursis à l’obligation des requérantes de constituer une garantie bancaire en faveur de la Commission pour éviter le recouvrement immédiat de l’amende, à la condition qu’elles versent à cette institution, à titre provisoire, d’une part, la somme de 2 000 000 euros et, d’autre part, des mensualités de 300 000 euros jusqu’au prononcé de l’arrêt dans l’affaire principale{2}.

Par arrêt du 15 juillet 2015{3}, le Tribunal a annulé la décision litigieuse en ce qu’elle infligeait une amende aux requérantes au motif que la Commission avait commis des erreurs lorsqu’elle avait apprécié leur capacité contributive. Dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal a toutefois condamné les requérantes au paiement d’une amende d’un montant identique, déterminé sur la base de données postérieures à la date d’adoption de la décision litigieuse.

Immédiatement après le prononcé de l’arrêt du 15 juillet 2015, des divergences sont apparues entre la Commission et les conseils des requérantes en ce qui concernait la date à compter de laquelle les intérêts dus sur l’amende devaient courir. Alors que ces derniers considéraient que l’amende n’était exigible qu’à compter de l’arrêt, la Commission estimait que des intérêts étaient dus depuis la date prévue dans la décision litigieuse.

Le 27 novembre 2015, la Commission a communiqué à WDI un plan de paiement échelonné de l’amende jusqu’au 15 mars 2030, sur la base d’intérêts de retard dus à compter de la date prévue dans la décision litigieuse. Conformément à ce plan, des paiements échelonnés de l’amende ont été effectués jusqu’au 16 octobre 2019. À cette date, WDI a communiqué à la Commission qu’elle entendait payer d’ores et déjà le solde de l’amende due, calculé en prenant en considération les intérêts échus à compter du 15 octobre 2015, soit trois mois après le prononcé de l’arrêt du 15 juillet 2015.

Par lettre du 2 mars 2020, la Commission a mis en demeure WDI de lui verser des intérêts de retard à compter de la date prévue par la décision litigieuse, soit le 4 janvier 2011.

Les requérantes ont dès lors introduit un nouveau recours devant le Tribunal tendant à obtenir, inter alia, l’annulation de la lettre du 2 mars 2020 ainsi que, à titre subsidiaire, la condamnation de la Commission à la réparation du dommage découlant de la prétendue illégalité commise par la Commission dans le cadre de l’exécution de l’arrêt du 15 juillet 2015.

En rejetant ce recours dans son intégralité, la septième chambre élargie du Tribunal rappelle les critères pour déterminer la date d’exigibilité d’une amende dont le montant a été fixé par le juge de l’Union, à la suite de l’exercice, dans les circonstances particulières de l’espèce, de sa compétence de pleine juridiction.

Appréciation du Tribunal

Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le Tribunal examine d’abord la demande indemnitaire des requérantes, fondée sur plusieurs violations de l’article 266, premier alinéa, TFUE. Toutes les violations dénoncées partaient de la prémisse selon laquelle l’amende imposée par la décision litigieuse n’avait pas été « maintenue » ou « confirmée » par le Tribunal, mais avait été annulée et remplacée par une « amende juridictionnelle ».

Après avoir déclaré la demande indemnitaire recevable, le Tribunal rappelle que, conformément à la jurisprudence, l’amende que le juge de l’Union fixe en exerçant sa compétence de pleine juridiction ne constitue pas une amende nouvelle, juridiquement distincte de celle imposée par la Commission. Lorsqu’il substitue sa propre appréciation à celle de la Commission et qu’il réduit le montant de l’amende dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, il remplace, au sein de la décision de la Commission, le montant initialement fixé dans cette décision par celui qui résulte de sa propre appréciation. En raison de l’effet substitutif de l’arrêt prononcé par le juge de l’Union, ladite décision de la Commission est censée avoir toujours été celle qui résulte de l’appréciation de ce dernier. La seule circonstance que le Tribunal ait finalement estimé opportun de retenir, dans son arrêt du 15 juillet 2015, un montant d’amende identique à celui fixé dans la décision litigieuse ne s’oppose pas à l’application de ces principes en l’espèce.

Cette appréciation n’est pas davantage mise en cause par les arguments des requérantes tirés, notamment, du fait que le Tribunal avait annulé l’amende initialement infligée avant de fixer un nouveau montant sur la base d’éléments postérieurs à la décision litigieuse et que le président du Tribunal avait ordonné, par son ordonnance du 13 avril 2011, la suspension de l’obligation de constituer une garantie bancaire. À ce dernier égard, le Tribunal rappelle que l’adoption de l’ordonnance de référé n’a pas impliqué la suspension de l’exigibilité de la créance, qui a continué de produire des intérêts de retard pendant la procédure juridictionnelle.

Le Tribunal souligne, en outre, que, lorsque le juge de l’Union maintient une partie ou l’intégralité du montant de l’amende dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, l’obligation de payer des intérêts de retard ab initio ne constitue pas une sanction s’ajoutant à l’amende initialement infligée par la Commission. En effet, tant l’absence de différence de nature juridique de l’amende révisée par le juge de l’Union que le principe de l’absence d’effet suspensif des recours s’opposent à ce que la Commission libère l’entreprise qui n’a pas payé immédiatement cette amende et dont le recours a été partiellement accueilli de son obligation de payer, à dater de l’exigibilité de l’amende infligée par la Commission, des intérêts sur le montant de l’amende fixé par le juge de l’Union.

Eu égard à ces considérations, le Tribunal conclut à l’absence de violation suffisamment caractérisée des obligations de la Commission au titre de l’article 266 TFUE et rejette la demande indemnitaire des requérantes. Compte tenu du fait que les autres chefs de conclusions formulés par les requérantes étaient, en substance, également fondés sur la prémisse d’une violation de cette disposition par la Commission, le Tribunal rejette le recours dans son intégralité, sans examiner l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission concernant la demande d’annulation de la lettre du 2 mars 2020.

{1} Décision C(2010) 4387 final, du 30 juin 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38344 - Acier de précontrainte).

{2} Ordonnance du 13 avril 2011, Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission (T 393/10 R, EU:T:2011:178).

{3} Arrêt du 15 juillet 2015, Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission (T 393/10, EU:T:2015:515, ci-après l’« arrêt du 15 juillet 2015 »). Le pourvoi interjeté à l’encontre de cet arrêt a été rejeté par ordonnance du 7 juillet 2016, Westfälische Drahtindustrie et Pampus Industriebeteiligungen/Commission (C 523/15 P, EU:C:2016:541).

Arrêt du 23 novembre 2022, Westfälische Drahtindustrie e.a. / Commission (T-275/20) (cf. points 57-64)

34. Responsabilité non contractuelle - Conditions - Violation suffisamment caractérisée du droit de l'Union - Marge d'appréciation de l'institution lors de l'adoption de l'acte - Appréciation de l'illégalité de l'acte ou du comportement de l'institution - Nécessité de prise en compte d'éléments contextuels et temporels



Arrêt du 1er février 2023, Klymenko / Conseil (T-470/21) (cf. points 67, 83)

35. Recours en indemnité - Autonomie par rapport aux recours en annulation et en carence - Introduction concomitante d'un recours en carence et d'un recours en indemnité - Principe d'autonomie des voies de recours - Irrecevabilité du recours en carence - Effets sur le recours en indemnité - Absence



Arrêt du 8 mars 2023, Sánchez-Gavito León / Conseil et Commission (T-100/21) (cf. points 87-89)

36. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Limites - Demande tendant à la réparation du préjudice matériel et moral découlant d'une décision de Frontex - Demande ne visant pas à obtenir un résultat identique à celui d'un recours en annulation introduit contre cette décision - Recevabilité



Arrêt du 6 septembre 2023, WS e.a. / Frontex (T-600/21) (cf. points 22, 25, 27-30)

37. Recours en indemnité - Autonomie par rapport au recours en annulation - Limites - Recours visant à indemniser des préjudices résultant d'une décision définitive refusant l'ouverture d'une enquête administrative pour harcèlement - Recours indemnitaire ne tendant pas au retrait, à l'abrogation ou à la modification de cette décision définitive - Absence de tardiveté du recours indemnitaire

Accueillant partiellement un recours en responsabilité non contractuelle formé par M. Montanari, ancien agent national détaché auprès de la mission de politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne au Niger (ci-après la « Mission »), le Tribunal se prononce, pour la première fois, sur l’imputabilité à cette Mission des agissements de son commandant d’opération civile (COC), qui est hiérarchiquement rattaché au Service européen d’action extérieure (SEAE).

En avril 2015, le requérant a été détaché par le gouvernement italien auprès de la Mission en qualité de conseiller politique.

En mars 2017, il a introduit une première plainte pour harcèlement contre le responsable de la presse et de l’information publique de la Mission, puis une seconde plainte contre ce dernier ainsi que contre le chef de la Mission, pour comportement déloyal envers l’autorité de la Mission et négligence grave mettant en cause le devoir de sollicitude.

En juillet 2017, le requérant a demandé au COC d’ouvrir une enquête pour harcèlement contre le chef de la Mission et son adjoint. Le même jour, le chef de la Mission a adressé un avertissement au requérant pour lui avoir manqué de respect lors d’une réunion. À l’initiative du COC, un médiateur chargé d’examiner la situation sur place a rendu un rapport.

En novembre 2017, le chef de la Mission a rejeté la demande du requérant tendant à la régularisation d’une absence injustifiée et lui a adressé un second avertissement. Le requérant a alors réitéré auprès du COC l’ouverture d’une enquête pour des faits de harcèlement de la part du chef de la Mission et de son adjoint.

Par une décision du 10 avril 2018, le COC a définitivement rejeté la demande d’ouverture d’une enquête administrative présentée par le requérant.

Dans ce contexte, le requérant a saisi le Tribunal, d’une part, d’un recours en annulation de la décision de la Mission rejetant sa demande indemnitaire en réparation des préjudices matériels, physiques et moraux qui auraient résulté de faits de harcèlement moral et de violations du droit à une bonne administration et du devoir de sollicitude et, d’autre part, d’un recours en indemnité.

Appréciation du Tribunal

À titre liminaire, concernant sa compétence, le Tribunal rappelle que, par la décision 2012/392{1}, la Mission a été créée pour soutenir le renforcement des capacités des intervenants nigériens en matière de sécurité en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée. Son personnel est essentiellement composé d’agents détachés par les États membres, les institutions de l’Union et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE){2}. Certes, l’article 7, paragraphe 2, de la décision 2012/392 prévoit qu’il appartient à l’État membre, à l’institution de l’Union ou au SEAE, respectivement, de répondre à toute plainte liée au détachement et d’intenter toute action contre l’agent concerné.

Toutefois, premièrement, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rendue à propos de dispositions régissant l’activité d’autres missions relevant de la politique étrangère et de sécurité commune et rédigées dans des termes analogues à ceux de la décision 2012/392, les agents détachés par les États membres et ceux détachés par les institutions de l’Union étant soumis aux mêmes règles en ce qui concerne l’exercice de leurs fonctions sur le théâtre des opérations, le juge de l’Union est compétent pour contrôler la légalité des actes de gestion du personnel relatifs à des agents détachés par les États membres ayant pour objet de répondre aux besoins de ces missions sur le théâtre des opérations.

Deuxièmement, le requérant soulève la question de la légalité d’actes de gestion du personnel relatifs aux opérations sur le théâtre des opérations, et non des questions liées au détachement, au sens de l’article 7, paragraphe 2, de la décision 2012/392. Par conséquent, l’exception d’incompétence soulevée par la Mission est rejetée.

Le Tribunal examine ensuite les différentes exceptions d’irrecevabilité.

Il rappelle ainsi notamment qu’un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de l’acte visé soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté. En outre, c’est à la partie requérante qu’il appartient d’apporter la preuve de son intérêt à agir.

Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, l’action en indemnité, fondée sur l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, a été instituée comme une voie de recours autonome. Or, des conclusions tendant soit à l’annulation du refus d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union de reconnaître un droit à réparation qu’une partie requérante fait valoir au titre des articles 268 et 340 TFUE, soit à ce que le Tribunal constate l’obligation de l’institution, de l’organe ou de l’organisme en cause d’admettre l’existence d’un tel droit visent à faire constater que l’institution, l’organe ou l’organisme en cause est tenu à réparation et doivent être rejetées comme étant irrecevables, dès lors que la partie requérante ne justifie, en principe, d’aucun intérêt à présenter de telles conclusions en sus de sa demande en réparation.

En l’occurrence, le Tribunal rejette comme étant irrecevables les conclusions en annulation du requérant, estimant que celui-ci n’a pas justifié d’un intérêt à demander, en plus de ses conclusions indemnitaires, l’annulation de la décision de la Mission rejetant sa troisième demande indemnitaire.

Le Tribunal écarte enfin une à une les exceptions d’irrecevabilité soulevées par la Mission.

Ainsi, en premier lieu, le Tribunal constate que les actes reprochés (notamment, l’exclusion du requérant de certaines réunions et l’avertissement qui lui a été adressé) et les manquements imputés à la Mission par le requérant (notamment, l’absence de traitement dans un délai raisonnable de ses plaintes et de ses signalements) se rattachent respectivement à l’exercice, par le chef de la Mission et par le COC, des prérogatives qu’ils tiennent de la décision 2012/392 et, partant, à l’exécution par la Mission de son mandat, dont celle-ci doit être tenue pour responsable conformément à l’article 13, paragraphe 4, de cette décision.

En deuxième lieu, le Tribunal souligne qu’un recours en indemnité doit être déclaré irrecevable lorsqu’il tend, en réalité, au retrait, à l’abrogation ou à la modification d’une décision individuelle devenue définitive et qu’il aurait pour effet, s’il était accueilli, d’annihiler tout ou partie des effets juridiques de cette décision. De même, doit être rejetée comme étant irrecevable une action en réparation qui est formulée comme une injonction et qui vise, non pas à indemniser un préjudice imputable à un acte illicite ou à une omission, mais à amender l’acte litigieux.

En l’occurrence, il ne ressort pas des écritures présentées par le requérant que celui-ci solliciterait une réparation en nature par laquelle la Mission devrait ouvrir une enquête préliminaire ou disciplinaire à l’égard du chef de la Mission et de son adjoint, ce qui équivaudrait à solliciter l’annulation de la décision du 10 avril 2018. Partant, le caractère définitif de cette décision individuelle ne saurait faire obstacle à la recevabilité du recours.

En dernier lieu, le Tribunal constate que l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Mission et tirée d’une prescription quinquennale ou quadriennale n’est pas assortie de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.

Sur le fond, le Tribunal rappelle, de façon préalable, que la responsabilité non contractuelle de l’Union ne peut être engagée que si la personne qui estime avoir subi un préjudice établit l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Néanmoins, lorsqu’elle agit en tant qu’employeur, l’Union est soumise à une responsabilité accrue, la seule constatation d’une illégalité commise étant suffisante pour considérer comme remplie la première des trois conditions nécessaires à l’engagement de sa responsabilité pour les dommages causés à ses fonctionnaires et agents en raison d’une violation du droit de la fonction publique européenne, sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence d’une violation « suffisamment caractérisée » d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers. Or, bien que les agents nationaux détachés auprès de la Mission par les États membres ne soient pas régis par le statut, ils n’en demeurent pas moins soumis aux mêmes règles que celles applicables aux agents détachés par les institutions de l’Union et dont la situation est régie par le statut, en ce qui concerne l’exercice de leurs fonctions sur le théâtre des opérations. Dès lors, la seule constatation d’une illégalité est suffisante pour considérer comme remplie la première des trois conditions nécessaires à l’engagement de la responsabilité de l’Union pour les dommages causés à un agent national détaché auprès de la Mission à l’occasion de l’exercice de ses fonctions sur le théâtre des opérations.

Dans ce contexte, examinant successivement les violations invoquées par le requérant, le Tribunal considère, en premier lieu, que le requérant est fondé à soutenir que, en s’abstenant de diligenter une enquête administrative à la suite de ses allégations de harcèlement moral, la Mission a violé l’article 1er et l’article 31, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que l’article 12 bis du statut.

Pour parvenir à cette conclusion, s’agissant tout d’abord de l’applicabilité des dispositions du statut, et en particulier de son article 12 bis, paragraphe 3, qui définit le harcèlement moral, le Tribunal relève que, en vertu du principe d’égalité de traitement, il est tenu d’appliquer à la situation du requérant, par analogie, les dispositions statutaires relatives au harcèlement moral et à la protection fonctionnelle des fonctionnaires et des agents temporaires ou contractuels ainsi que la jurisprudence rendue sur le fondement de ces dispositions. En effet, la différence de situation entre les agents détachés auprès de la Mission par les États membres et ceux détachés par les institutions ne saurait objectivement justifier que les premiers, lorsqu’ils exercent leurs fonctions sur le théâtre des opérations et sont alors placés dans une situation comparable à celle des seconds, ne bénéficient pas du même niveau et des mêmes règles de protection contre le harcèlement moral.

Le Tribunal rappelle ensuite que, lorsqu’une demande d’assistance est introduite et qu’elle est assortie d’un commencement de preuve suffisant des faits allégués, il incombe à l’autorité saisie{3} de répondre avec la rapidité et la sollicitude requises. Elle doit prendre les mesures appropriées, notamment en faisant procéder à une enquête administrative, afin d’établir les faits à l’origine de la plainte, en collaboration avec l’auteur de celle-ci et, au regard des résultats de l’enquête, d’adopter les mesures qui s’imposent, telles que l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de la personne mise en cause lorsque l’administration conclut, à l’issue de l’enquête administrative, à l’existence d’un harcèlement moral.

En l’occurrence, premièrement, le Tribunal considère que la décision du chef de la Mission prise en mai 2017 d’exclure le requérant des réunions d’état-major ne saurait être regardée, prise isolément, comme un indice de harcèlement moral vis-à-vis du requérant. En effet, aux termes de l’article 6, paragraphes 2 et 3, de la décision 2012/392, le chef de la Mission exerce le commandement et le contrôle des effectifs, des équipes et des unités fournis par les États contributeurs et donne des instructions à l’ensemble du personnel de la Mission en assurant sa coordination et sa gestion au quotidien. En outre, l’administration dispose d’un large pouvoir d’appréciation en matière d’organisation du service.

Deuxièmement, le Tribunal indique que, en l’absence de justification, par la Mission, du caractère tardif de la formulation du premier avertissement adressé au requérant, tant au regard du délai prévu par l’article 11 du code de conduite{4} qu’au regard de l’ancienneté des faits à l’origine de cet avertissement, et en l’absence d’indications quant à la date exacte à laquelle le chef de la Mission a eu connaissance du signalement effectué par le requérant en juillet 2017, la notification de cet avertissement moins d’une heure après ce signalement peut être considérée comme excessive ou critiquable. En effet, celle-ci est susceptible d’être interprétée comme tendant à pénaliser le requérant en raison dudit signalement, contrairement aux exigences prévues par l’article 7 du code de conduite{5}, et, partant, constitue, prise isolément, l’indice d’un harcèlement moral.

Troisièmement, dans les circonstances particulières dans lesquelles elle est intervenue, la décision du service des ressources humaines de la Mission (ci-après le « service RH ») de relancer, le 27 juillet 2017, la procédure d’évaluation du requérant le lendemain même du départ du médiateur, sans attendre ses conclusions, et plus de neuf mois avant le terme du détachement du requérant, est excessive ou critiquable.

En effet, la Mission n’a pas justifié des motifs pour lesquels le service RH a engagé cette démarche administrative à cette date, alors qu’il résulte de l’article 7 de l’annexe IX de l’OPLAN{6}, relative aux ressources humaines, que la procédure d’évaluation des agents qui souhaitaient solliciter le renouvellement de leur détachement auprès de la Mission devait intervenir lors de la présentation d’une demande en ce sens de leur part, au plus tard trois mois avant le terme du détachement. En outre, une obligation d’agir avec prudence s’imposait, conformément au principe de bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte, et, en raison de l’article 7 du code de conduite, à la suite du signalement précité.

Partant, une telle relance peut être interprétée comme visant à évincer le requérant de la Mission au terme de son détachement sans attendre les propositions du médiateur, de sorte que cette décision constitue, prise isolément, un indice de harcèlement moral.

Dernièrement, l’envoi par le service RH au requérant, fin juillet 2017, d’un décompte actualisé de ses congés ne saurait être regardé, pris isolément, comme un acte excessif ou critiquable de nature à caractériser un indice de harcèlement moral à son égard. En effet, sans préjudice de l’obligation de diligence et, notamment, de prudence, s’imposant à la Mission dans l’attente des conclusions du médiateur, ni les articles 1er et 31 de la Charte, ni l’article 12 bis du statut et, en l’espèce, ni les dispositions de l’annexe IX de l’OPLAN et du code de conduite n’imposaient à la Mission de soustraire le requérant aux procédures de gestion des ressources humaines de la Mission au seul motif qu’il avait effectué des signalements pour harcèlement moral à l’encontre du chef de la Mission et de son adjoint.

Par ailleurs, le Tribunal relève que l’environnement global de travail dans lequel s’inscrivaient les faits invoqués par le requérant était caractérisé par l’intention du chef de la Mission de se séparer du requérant sans pour autant mettre en œuvre la procédure prévue à l’article 8 de l’annexe IX de l’OPLAN visant à mettre fin à un détachement avant son terme.

En second lieu, le Tribunal considère que le requérant est fondé à soutenir que la Mission a violé le droit à une bonne administration.

À cet égard, il rappelle que, dans le cadre de litiges en matière de harcèlement impliquant des fonctionnaires ou des agents de l’Union, la personne ayant déposé une plainte pour harcèlement est en droit, afin de pouvoir présenter utilement ses observations à l’institution concernée avant que celle-ci ne prenne une décision, de se faire communiquer, à tout le moins, un résumé des déclarations de la personne accusée de harcèlement et des différents témoins entendus au cours de la procédure d’enquête, la communication de ce résumé devant être effectuée, le cas échéant, dans le respect du principe de confidentialité. Il en va ainsi dans la mesure où ces déclarations ont été utilisées dans le rapport remis à l’autorité qui a pris la décision de ne pas donner suite à la plainte, et qui comprend des recommandations au regard desquelles cette autorité a fondé sa décision.

Or, en l’espèce, dès lors que le COC a rejeté, en avril 2018, la demande d’ouverture d’une enquête administrative présentée par le requérant sur le fondement du rapport du médiateur rendu fin juillet 2017, et compte tenu de la recommandation qui figurait dans ce rapport, il aurait dû assurer le respect du droit d’être entendu du requérant en lui donnant l’occasion de faire valoir ses observations sur ce rapport et de fournir éventuellement des renseignements supplémentaires avant qu’il n’adopte cette décision. En effet, l’audition du requérant aurait pu conduire le COC à adopter une conclusion différente, à savoir la décision de diligenter une enquête administrative.

Après avoir admis que le requérant a établi l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre le préjudice moral allégué et les violations constatées, le Tribunal constate toutefois que celui-ci est en partie, en raison de son comportement négligent, l’un des protagonistes de la situation conflictuelle qu’il qualifie de harcèlement, ayant donné lieu au préjudice moral dont il se plaint. En conséquence, le Tribunal accueille partiellement son recours en indemnité.

{1} Décision 2012/392/PESC du Conseil, du 16 juillet 2012, concernant la mission PSDC de l’Union européenne au Niger (EUCAP Sahel Niger) (JO 2012, L 187, p. 48).

{2} Voir article 7, paragraphe 1, de la décision 2012/392.

{3} Au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut.

{4} Il ressort de l’article 11 du code de conduite et de discipline pour les missions civiles de la politique de sécurité et de défense communes (PSDC) de l’Union (ci-après le « code de conduite ») que, sur la base d’un rapport faisant état d’un manquement éventuel, la décision de l’autorité responsable sur les suites à donner audit manquement, qui peut conduire l’autorité à traiter l’affaire comme une question de management, doit intervenir dans un délai de dix jours ouvrables.

{5} L’article 7, paragraphe 1, du code de conduite dispose que le membre de la Mission qui a signalé un manquement éventuel n’est pas pénalisé du fait ou à la suite de ce signalement, à condition qu’il ait agi de manière raisonnable et de bonne foi.

{6} L’article 7 de l’annexe IX du plan opérationnel révisé de la Mission (OPLAN), relative aux ressources humaines, subordonne la prolongation du détachement d’un agent détaché à l’accord du chef de la Mission, sur la base d’une demande en ce sens de l’agent concerné présentée trois mois avant le terme de la période de détachement en cours et d’un rapport d’évaluation des performances favorable établi par son responsable hiérarchique direct.

Arrêt du 17 juillet 2024, Montanari / EUCAP Sahel Niger (T-371/22) (cf. points 91-98)

38. Recours en indemnité - Autonomie par rapport aux recours en annulation et en carence - Irrecevabilité du recours en annulation et non-lieu à statuer sur le recours en carence - Demande indemnitaire ne visant pas à obtenir un résultat identique à celui du recours en annulation - Recevabilité

Statuant en formation élargie, le Tribunal a partiellement accueilli les demandes en indemnité formulées par M. Bindl, le requérant. À cet égard, le Tribunal se prononce, de façon inédite, sur l’interprétation des dispositions du règlement 2018/1725{1} et tire, pour la première fois, les conséquences de la jurisprudence dite « Schrems II »{2} dans le cadre de l’application de ce règlement ainsi que du « principe » d’interprétation homogène des dispositions analogues des règlements 2016/679{3} et 2018/1725.

Le requérant a consulté le site Internet de la Conférence sur l’avenir de l’Europe (ci-après la « CAE »), le 30 mars, et s’est inscrit à l’événement « GoGreen » qui y figurait, à l’aide de son compte Facebook. Le 8 juin 2022, il a de nouveau consulté ce site Internet. La Commission européenne est responsable du traitement des données à caractère personnel aux fins de ce site Internet.

Par deux demandes d’informations du 9 novembre 2021 et du 1er avril 2022, réitérées les 22 avril et 2 mai 2022, le requérant a demandé à la Commission de lui fournir des informations sur le traitement de ses données ainsi que sur leur transfert potentiel vers des pays tiers. Il a indiqué notamment avoir remarqué que, lorsqu’il s’est connecté sur le site Internet de la CAE, une connexion avec des fournisseurs tiers tels que l’entreprise américaine Amazon Web Services s’était activée.

Par courriel du 3 décembre 2021, la Commission lui a transmis une liste de ses données à caractère personnel traitées et lui a indiqué que ses données n’ont pas été transférées à des destinataires situés en dehors de l’Union européenne et que le site Internet de la CAE utilisait un réseau de diffusion de contenu géré par Amazon Web Services EMEA SARL (ci-après « AWS EMEA »), établie à Luxembourg (Luxembourg).

Le 9 juin 2022, le requérant a introduit le présent recours.

Appréciation du Tribunal

Dans un premier temps, le Tribunal se prononce sur la recevabilité des conclusions visant à l’annulation des transferts des données à caractère personnel vers des pays tiers, qui auraient eu lieu le 30 mars et le 8 juin 2022 (ci-après les « transferts litigieux »).

À cet égard, le Tribunal souligne que toutes les opérations pouvant conduire à un transfert de données à caractère personnel, au sens du règlement 2018/1725, ne constituent pas des actes attaquables, au sens de l’article 263 TFUE.

En l’espèce, à supposer que les transferts litigieux soient démontrés, le Tribunal constate qu’ils constituent des actes matériels et non des actes juridiques. En effet, ces transferts sont des opérations informatiques de migration de données d’un terminal ou d’un serveur vers un autre, qui résultent des interactions entre le requérant et des systèmes ou des services informatiques de la Commission.

Partant, dans la mesure où les transferts litigieux ne sont pas des actes de la Commission produisant des effets contraignants, ils ne sont pas susceptibles de produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant et ne sauraient donc être considérés comme des actes attaquables au sens de l’article 263 TFUE.

Dans un second temps, le Tribunal statue sur le bien-fondé des quatre demandes en indemnité formulées par le requérant.

S’agissant, tout d’abord, de la première demande tendant à la réparation du préjudice moral résultant d’une violation du droit d’accès aux informations, le Tribunal estime qu’un tel préjudice moral n’est pas démontré en l’espèce.

En effet, la seule illégalité établie en l’espèce est celle du non-respect, par la Commission, du délai d’un mois prévu par le règlement 2018/1725{4} en ce qui concerne la demande d’informations du 1er avril 2022. Or, dans la mesure où, d’une part, ce délai n’a pas été dépassé de plus de deux mois et, d’autre part, le requérant a reçu du moins une réponse partielle à sa demande d’informations le 3 décembre 2021, cette illégalité ne semble pas de nature à causer au requérant le préjudice moral allégué, consistant en un empêchement de contrôler le traitement de ses données à caractère personnel.

Par conséquent, le Tribunal rejette la première demande en indemnité du requérant.

S’agissant, ensuite, de la deuxième demande tendant à la réparation du préjudice moral résultant du transfert litigieux lors de la consultation du site Internet de la CAE du 30 mars 2022, le Tribunal note que lors de cette consultation il y a eu un transfert des données à caractère personnel, au sens du règlement 2018/1725, du requérant, notamment de son adresse IP. Cependant, il fait également observer qu’il n’est pas démontré en l’espèce qu’il y a eu, lors de cette même consultation du site Internet de la CAE, un transfert de données à caractère personnel du requérant vers un pays tiers{5} et, en particulier, vers les États-Unis.

En outre, le seul risque d’accès à des données à caractère personnel par un pays tiers, dans l’hypothèse où AWS EMEA, en raison de sa qualité de filiale d’une entreprise américaine, ne serait pas en mesure de s’opposer à une demande des autorités américaines portant sur l’accès à des données stockées dans des serveurs localisés sur le territoire de l’Espace économique européen (EEE), ne saurait correspondre à un transfert de données, au sens du règlement 2018/1725. Autrement dit, le risque d’une violation du règlement 2018/1725 ne saurait être assimilé à une violation directe de ce règlement. À cet égard, le seul risque d’une violation des dispositions du règlement 2018/1725 relatives aux transferts vers des pays tiers ne saurait, en tout état de cause, suffire à établir un comportement fautif de la Commission, correspondant à une violation suffisamment caractérisée de ces dispositions.

En ce qui concerne, par ailleurs, la troisième demande tendant à la réparation du préjudice moral résultant du transfert litigieux lors de ses consultations du site Internet de la CAE du 8 juin 2022, le Tribunal examine, en l’espèce, si l’utilisation par la Commission du service Amazon CloudFront comme réseau de diffusion de contenu du site Internet de la CAE est la cause directe du préjudice moral invoqué, consistant en une perte du contrôle sur les données à caractère personnel du requérant.

Le Tribunal constate que, certes, c’est le fonctionnement du service Amazon CloudFront, avec son mécanisme de routage qui fonctionne selon le principe de proximité et qui couvre une zone géographique plus large que le territoire de l’EEE, comprenant notamment les États-Unis, qui a permis que, lors des consultations du site Internet de la CAE, l’adresse IP du requérant ait établi des connexions à des serveurs d’Amazon CloudFront localisés aux États-Unis.

Toutefois, bien que l’utilisation, par la Commission, du service Amazon CloudFront soit une condition nécessaire de la survenance des transferts de données à caractère personnel vers les États-Unis, cette circonstance ne suffit pas à établir un lien de causalité suffisamment direct entre le dommage moral invoqué par le requérant et le comportement prétendument illégal de la Commission. En effet, c’est le comportement du requérant qui doit être regardé comme constituant la cause directe et immédiate du préjudice moral allégué et non la faute qu’aurait prétendument commise la Commission en utilisant le service Amazon CloudFront. Ainsi, c’est le requérant qui, en se trouvant en Allemagne et en effectuant des réglages techniques afin de modifier sa localisation apparente, a mis en place les conditions nécessaires pour provoquer des connexions à des serveurs situés aux États-Unis par le biais du fonctionnement du service Amazon CloudFront, en causant le renvoi par le mécanisme de routage de ce service de ses demandes de consultation du site Internet de la CAE vers des serveurs localisés aux États-Unis.

Par ailleurs, le requérant n’est pas fondé à adopter un comportement visant à provoquer un certain résultat (à savoir le transfert de ses données à caractère personnel vers un pays tiers) et, par la suite, à demander la réparation du préjudice prétendument causé par ce résultat, dont son comportement a été la cause directe. Ainsi, le Tribunal considère que la situation du requérant ne saurait être appréciée de façon similaire à celle d’un utilisateur qui se serait effectivement déplacé aux États-Unis et qui, en conséquence, aurait accédé au site Internet de la CAE à partir de ce pays.

S’agissant, enfin, de la quatrième demande tendant à la réparation du préjudice moral résultant du transfert litigieux lors de la connexion à EU Login du 30 mars 2022, le Tribunal indique que, en l’occurrence, il est démontré que, premièrement, parmi les options de connexion à EU Login, le requérant a choisi de se connecter avec son compte Facebook. Deuxièmement, l’hyperlien « se connecter avec Facebook » contient un lien vers une adresse URL du site Internet de Facebook. Troisièmement, lorsque le requérant a activé cet hyperlien en cliquant dessus, son navigateur a accédé à l’adresse URL du site Internet de Facebook et a, par la suite, transmis son adresse IP à Facebook.

Le Tribunal en déduit que, par le biais de l’hyperlien « se connecter avec Facebook », affiché sur la page Internet d’EU Login, la Commission a créé les conditions permettant que l’adresse IP du requérant soit transmise à Facebook. Or, cette adresse IP constitue une donnée à caractère personnel du requérant qui, par le biais de cet hyperlien, a été transmise à Meta Platforms, entreprise établie aux États-Unis. Cette transmission correspond donc à un transfert de données à caractère personnel vers un pays tiers, au sens du règlement 2018/1725.

En outre, au moment de ce transfert de données, à savoir le 30 mars 2022, aucune décision d’adéquation de la Commission, au sens du règlement 2018/1725{6}, n’existait en ce qui concerne les États-Unis. En l’absence d’une telle décision, le transfert de données à caractère personnel vers un pays tiers ou à une organisation internationale ne peut se faire que si le responsable du traitement ou le sous-traitant a prévu des garanties appropriées et à la condition que les personnes concernées disposent de droits opposables et de voies de droit effectives, conformément au règlement 2018/1725{7}.

En l’espèce, la Commission n’a pas démontré, ni même allégué, l’existence d’une garantie appropriée, notamment d’une clause type de protection de données ou d’une clause contractuelle. En revanche, il est démontré que l’affichage de l’hyperlien « se connecter avec Facebook » sur le site Internet d’EU Login est tout simplement régi par les conditions générales de la plateforme Facebook.

Par conséquent, la Commission a créé les conditions pour qu’un transfert de données à caractère personnel du requérant vers un pays tiers se soit produit, sans pour autant respecter les conditions établies au règlement 2018/1725{8}. Ainsi, le préjudice moral invoqué par le requérant doit être considéré comme réel et certain, dans la mesure où le transfert précité, effectué en violation du règlement 2018/1725, a placé le requérant dans une situation d’insécurité quant au traitement de ses données à caractère personnel, notamment de son adresse IP.

Au vu de ce qui précède, le Tribunal condamne la Commission à verser au requérant la somme de 400 euros au titre du préjudice moral subi résultant du transfert litigieux lors de la connexion à EU Login du 30 mars 2022.

{1} Chapitre V du règlement (UE) 2018/1725 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2018, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions, organes et organismes de l’Union et à la libre circulation de ces données, et abrogeant le règlement (CE) no 45/2001 et la décision no 1247/2002/CE (JO 2018, L 295, p. 39).

{2} Arrêt du 16 juillet 2020, Facebook Ireland et Schrems (C 311/18, EU:C:2020:559).

{3} Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) (JO 2016, L 119, p. 1).

{4} Au titre de l’article 14, paragraphe 4, du règlement 2018/1725, le responsable du traitement des données doit, dans le cas où il décide de ne pas donner suite à une demande d’information, informer le demandeur, dans un délai d’un mois, des motifs de son inaction.

{5} Article 46 du règlement 2018/1725.

{6} Article 47 du règlement 2018/1725.

{7} Article 48, paragraphe 1, du règlement 2018/1725.

{8} Article 46 du règlement 2018/1725.

Arrêt du 8 janvier 2025, Bindl / Commission (T-354/22) (cf. points 35, 43, 56, 57)

Dans son arrêt, le Tribunal accueille le recours en annulation introduit par Mme Maya Tokareva contre les actes par lesquels son nom a été maintenu par le Conseil de l’Union européenne sur les listes des personnes et entités visées par des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. Cette affaire permet au Tribunal de préciser la portée du critère de l’association et d’interpréter, pour la première fois, la notion d’avantage au sens du critère établi à l’article 2, paragraphe 1, sous g), deuxième volet, de la décision 2014/145{1}, telle que modifiée par la décision 2023/1094{2}.

La requérante, fille de Nikolay Tokarev, le PDG de Transneft, a été initialement inscrite en juillet 2022{3} sur les listes litigieuses en raison de son association avec son père ainsi qu’avec Stasnislav Chemezov, le fils du PDG de la société Rostec. Elle y a ensuite été maintenue, en septembre 2022{4} et en mars 2023{5}, pour les mêmes motifs, puis, à compter de septembre 2023{6}, au motif qu’elle est membre de la famille proche de Nikolay Tokarev, un homme d’affaires influent exerçant des activités en Russie, et qu’elle en tire avantage.

Appréciation du Tribunal

S’agissant, en premier lieu, du maintien du nom de la requérante sur le fondement du critère de la personne associée, prévu à l’article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145, telle que modifiée, le Tribunal souligne tout d’abord que, bien que la notion d’« association » ne soit pas en tant que telle définie, il peut toutefois être admis qu’il s’agit de personnes qui sont, de façon générale, liées par des intérêts communs.

Selon le Tribunal, sur le fondement de l’article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145, telle que modifiée, une personne physique ou morale, une entité ou un organisme peut uniquement être inscrit sur les listes litigieuses en raison d’un lien d’association avec une autre personne physique ou morale, entité ou organisme inscrit sur ces listes sur le fondement d’un ou de plusieurs critères de désignation prévus aux dispositions sous a) à h) de l’article 2, paragraphe 1, de cette décision.

Le Tribunal considère que le risque de contournement des mesures restrictives et la nécessité d’appréhender une pluralité de personnes relevant d’un « maillage » global ne peuvent pas justifier d’élargir la portée du critère d’association au point de l’appliquer au lien d’association avec une personne qui ne serait pas elle-même inscrite sur la base de l’un des critères prévus aux dispositions sous a) à h) de la disposition précitée. En effet, une telle interprétation donnerait une portée excessivement large au lien d’association et ne tiendrait pas compte de la lettre de l’article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145, telle que modifiée, ainsi que de l’exigence d’un lien suffisant entre les personnes concernées et le pays tiers qui est la cible des mesures restrictives adoptées par l’Union.

Par conséquent, en l’espèce, dès lors que M. Stanislav Chemezov avait été inscrit sur les listes litigieuses en tant que personne associée à son père, M. Serguey Chemezov, le Tribunal juge que le Conseil n’était pas fondé à inscrire, par les actes de maintien de septembre 2022 et de mars 2023, le nom de la requérante sur les listes litigieuses en tant que personne associée à M. Stanislav Chemezov.

En ce qui concerne le critère de l’association, le Tribunal précise que les intérêts communs aux personnes associées doivent s’entendre non seulement dans un sens strict, c’est-à-dire comme désignant des personnes dont les intérêts sont liés dans une structure juridique commune, mais aussi de manière plus large et s’agissant de personnes liées par un lien familial, lorsque l’existence objective d’une imbrication d’intérêts communs, qui n’est pas nécessairement formalisée dans une telle structure juridique, est caractérisée. Le critère de la personne associée étant libellé au présent de l’indicatif, l’existence d’intérêts communs doit en outre être établie au moment de l’adoption des actes attaqués.

Or, en l’occurrence, le Conseil n’a démontré l’existence d’intérêts communs liant la requérante à son père ni au moment de l’adoption des actes de septembre 2022, ni au moment de l’adoption de ceux de mars 2023. Par conséquent, le maintien du nom de la requérante reposait de facto sur le seul lien familial avec son père, ce qui ne saurait être admis.

Partant, étant donné que le Conseil a commis une erreur de droit en maintenant le nom de la requérante sur les listes litigieuses en qualité de personne associée à M. Stanislav Chemezov et que les motifs figurant dans les actes ne sont pas étayés par une base factuelle suffisante en ce qui concerne le lien d’association de la requérante avec son père, le Tribunal conclut que le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses annexées aux actes de maintien de septembre 2022 et de mars 2023 n’était pas justifié.

S’agissant, en second lieu, du maintien du nom de la requérante sur la base du deuxième volet du critère g) modifié, le Tribunal relève que celui-ci permet notamment l’inscription sur les listes litigieuses des membres de la famille proche ou d’autres personnes qui tirent avantage d’une femme ou d’un homme d’affaires influents exerçant des activités en Russie.

Eu égard aux objectifs visés par l’introduction de ce critère, à savoir accroître la pression exercée sur le gouvernement de la Fédération de Russie et éviter le risque de contournement des mesures restrictives, le Tribunal estime que la notion d’« avantage » au sens de cette disposition vise tout avantage de quelque nature que ce soit, qui n’est pas nécessairement indu, mais qui doit être quantitativement ou qualitativement non négligeable. Il peut donc s’agir d’un avantage financier ou non financier, tel qu’un don, un transfert de fonds ou de ressources économiques, une intervention en vue de favoriser l’attribution de contrats publics, une nomination ou une promotion.

En outre, contrairement à ce que soutient la requérante, les avantages visés par le deuxième volet du critère g) modifié ne sauraient se limiter aux avantages accordés, à une date concomitante à leur désignation sur les listes litigieuses, par des femmes ou des hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie à un membre de leur famille proche ou à d’autres personnes. Toutefois, les circonstances de l’octroi de l’avantage et l’écoulement du temps entre l’octroi d’un avantage par une femme ou un homme d’affaires ayant des activités en Russie et la date d’inscription du nom de ces derniers sur les listes litigieuses sont des éléments à prendre en compte pour apprécier le bien-fondé de l’inscription, sur ces listes, du nom de la personne qui a reçu cet avantage. L’avantage reçu par la personne dont le nom est inscrit sur les listes litigieuses au titre du deuxième volet du critère g) modifié, ou à tout le moins ses conséquences, doit en tout état de cause demeurer au moment de l’adoption des mesures restrictives à l’encontre de ladite personne.

Enfin, étant donné que les mesures restrictives en cause s’inscrivent dans la continuité de la réaction de l’Union aux politiques et aux activités des autorités russes concernant spécifiquement l’Ukraine, amorcées par l’annexion de la Crimée et par la déstabilisation de l’est de l’Ukraine survenues à la fin du mois de février 2014, le Conseil ne saurait, conformément au principe de sécurité juridique, se prévaloir d’avantages dont l’octroi, par des femmes ou des hommes d’affaires influents aux membres de leur famille proche ou à d’autres personnes, est antérieur à la fin du mois de février 2014.

En l’occurrence, le Tribunal considère que la base factuelle du Conseil n’était pas suffisante pour démontrer que, lors de l’adoption des actes de maintien de septembre 2023, la requérante tirait un avantage de M. Tokarev au sens du deuxième volet du critère g) modifié. Partant, le Conseil a commis une erreur d’appréciation en adoptant les actes de maintien de septembre 2023.

{1} Décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).

{2} Décision (PESC) 2023/1094 du Conseil, du 5 juin 2023, modifiant la décision 2014/145 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 146, p. 20).

{3} Décision (PESC) 2022/1272 du Conseil, du 21 juillet 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 193, p. 219), et règlement d’exécution (UE) 2022/1270 du Conseil, du 21 juillet 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 193, p. 133).

{4} Décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149), et règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de septembre 2022 »).

{5} Décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 134), et règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 1).

{6} Décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 104), et règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de septembre 2023 »).

Arrêt du , Tokareva / Conseil (T-744/22)