1. Recours en annulation - Arrêt d'annulation - Portée - Autorité absolue de la chose jugée - Portée
Afin de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que des décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause.
L'autorité de la chose jugée s’attachant à un arrêt est susceptible de faire obstacle à la recevabilité d’un recours si celui ayant donné lieu à l’arrêt en cause a opposé les mêmes parties, a porté sur le même objet et a été fondé sur la même cause, ces conditions ayant nécessairement un caractère cumulatif. L’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision judiciaire en cause.
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 18 octobre 2018, GEA Group / Commission (T-640/16) (cf. point 70)
Ordonnance du 22 décembre 2014, Al Assad / Conseil (T-407/13) (cf. points 49, 50)
Ordonnance du 1er septembre 2015, Makhlouf / Conseil (T-441/13) (cf. points 21-24)
Arrêt du 5 mars 2019, Eurosupport - Fineurop support / EIGE (T-450/17) (cf. point 26)
Arrêt du 7 mars 2019, Commission / Brouillard (C-728/17 P) (cf. point 50)
2. Procédure - Autorité de la chose jugée - Portée
Le principe de l'autorité de la chose jugée est applicable aux procédures en manquement. Toutefois, l'autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision juridictionnelle en cause. Dans le cadre d'un recours en manquement introduit contre un État membre, l'autorité de la chose jugée ne saurait être valablement opposée par cet État au vu d'un arrêt antérieur lorsqu'il n'existe pas en substance une identité de fait et de droit entre ces deux affaires, et ce eu égard au contenu des griefs soulevés par la Commission.
Arrêt du 29 juin 2010, Commission / Luxembourg (C-526/08, Rec._p._I-6151) (cf. points 27, 34)
Afin de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que des décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause.
L’autorité de la chose jugée s’attachant à un arrêt est susceptible de faire obstacle à la recevabilité d’un recours si celui ayant donné lieu à l’arrêt en cause a opposé les mêmes parties, a porté sur le même objet et a été fondé sur la même cause. L’autorité de la chose jugée ne s’attache toutefois qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision judiciaire en cause.
Arrêt du 29 septembre 2011, Angé Serrano / Parlement (F-9/07) (cf. points 41-43)
En vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que des décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause.
À cet égard, d’une part, l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision juridictionnelle en cause et, d’autre part, cette autorité ne s’attache pas qu’au dispositif de cette décision, mais s’étend aux motifs de celle-ci qui constituent le soutien nécessaire de son dispositif et en sont, de ce fait, indissociables.
Arrêt du 19 avril 2012, Artegodan / Commission (C-221/10 P) (cf. points 86-87)
Arrêt du 17 septembre 2020, Alfamicro / Commission (C-623/19 P) (cf. points 37, 38)
3. Recours en annulation - Arrêt d'annulation - Portée - Autorité absolue de la chose jugée - Portée - Point de droit constituant un obiter dictum prononcé au-delà des limites du litige porté devant le juge de l'Union - Exclusion
Le principe de l’autorité de la chose jugée revêt une importance fondamentale, tant dans l’ordre juridique de l'Union que dans les ordres juridiques nationaux. L'autorité de chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision juridictionnelle en cause.
Lorsque le juge de l'Union doit se limiter à déterminer le contenu d'une déclaration faite par une entreprise, pour constater que ladite déclaration vise à opérer un transfert de responsabilité du comportement infractionnel d'une entreprise à une autre, juger de la légalité de cette opération constitue un obiter dictum prononcé au-delà des limites du litige porté devant le juge de l'Union, ne tranchant ni effectivement ni nécessairement un point de droit. Il est, dès lors, insusceptible d’être revêtu de l’autorité de la chose jugée.
4. Procédure - Autorité de la chose jugée - Portée - Irrecevabilité d'un second recours - Conditions - Identité de parties, d'objet et de cause des deux recours
Un recours est jugé irrecevable en raison de l’autorité de chose jugée qui s’attache à un arrêt antérieur ayant tranché un recours qui avait opposé les mêmes parties, avait porté sur le même objet et avait été fondé sur la même cause. L’acte dont l’annulation est demandée constitue un élément essentiel permettant de caractériser l’objet d’un recours.
Toutefois, la circonstance que les recours ont été dirigés contre des décisions distinctes que l’administration a formellement adoptées ne suffit pas pour conclure à l’absence d’identité d’objet, lorsque ces décisions ont un contenu substantiellement identique et sont fondées sur les mêmes motifs. En outre, même si les griefs soulevés à l’appui d’un recours coïncident en partie avec ceux invoqués dans le cadre d’une précédente instance, le second recours ne se présente pas comme la répétition du premier, mais comme un litige nouveau en ce qu’il se fonde également sur d’autres moyens de fait et de droit.
Arrêt du 13 septembre 2011, Michail / Commission (F-100/09) (cf. points 29-31)
5. Procédure - Arrêt de la Cour liant le Tribunal - Conditions - Renvoi consécutif à un pourvoi - Points de droit définitivement tranchés par la Cour dans le cadre du pourvoi - Autorité de la chose jugée - Portée
À la suite d'une annulation par la Cour et du renvoi de l’affaire devant le Tribunal, celui-ci est saisi, en application de l’article 117 du règlement de procédure, par l’arrêt de la Cour et doit se prononcer une nouvelle fois sur l’ensemble des moyens d’annulation soulevés par le requérant, à l’exclusion des éléments du dispositif non annulés par la Cour ainsi que des considérations qui constituent le fondement nécessaire desdits éléments, ceux-ci étant passés en force de chose jugée.
Toutefois, rien ne s’oppose, en principe, à ce que le juge de renvoi porte la même appréciation que le juge de première instance s’agissant des conclusions et des moyens qui n’ont pas fait l’objet d’un examen dans les motifs de l’arrêt de la Cour. En effet, dans cette hypothèse, il n’y a pas de points de droit tranchés par la décision de la Cour, au sens de l’article 61, deuxième alinéa, du statut de la Cour, qui lierait le juge de renvoi.
Arrêt du 14 septembre 2011, Marcuccio / Commission (T-236/02) (cf. points 83, 86)
6. Procédure - Autorité de la chose jugée - Portée - Rejet, dans un premier arrêt, d'une demande en réparation d'un préjudice, en l'absence de preuve de la réalité et de l'étendue du préjudice allégué et de l'existence d'un lien de causalité - Nouvelle demande visant à obtenir la réparation du préjudice causé par la même illégalité que celle en cause dans l'arrêt de rejet - Irrecevabilité
Dans le cadre d'un recours visant à établir la responsabilité non contractuelle de l'Union, lorsque le Tribunal a considéré, dans un premier arrêt, qu'une demande en indemnité devait être rejetée, dès lors que ni la réalité et l’étendue des préjudices allégués par le requérant, ni l’existence d’un lien de causalité entre ces préjudices et les illégalités de fond invoquées au soutien de cette demande n’étaient établies à suffisance de droit, l’autorité de la chose jugée qui s’attache à cet arrêt s’oppose à ce que le requérant puisse demander à nouveau, au titre des articles 235 CE et 288 CE, la réparation d’un préjudice correspondant à celui dont la demande de réparation au même titre a déjà été rejetée par ledit arrêt.
Des considérations relatives à l’absence de preuve de la réalité et de l’étendue des préjudices allégués ainsi que de l’existence d’un lien de causalité entre ces préjudices et les illégalités de fond invoquées ne sauraient être qualifiées d’"incidentes" ou de "non nécessaires" dans l’appréciation du Tribunal.
Arrêt du 23 novembre 2011, Sison / Conseil (T-341/07, Rec._p._II-7915) (cf. points 22-24)
7. Procédure - Autorité de la chose jugée - Portée - Second recours visant une décision distincte, individuelle et postérieure à celle contestée dans le premier recours - Recevabilité
L'autorité de la chose jugée s'attachant à un arrêt est susceptible de faire obstacle à la recevabilité d’un recours si le recours ayant donné lieu à l’arrêt en cause a opposé les mêmes parties, a porté sur le même objet et a été fondé sur la même cause, étant précisé que ces conditions ont nécessairement un caractère cumulatif.
Tel n’est pas le cas lorsque le second recours concerne une décision distincte, individuelle et postérieure à celle ayant fait l’objet du premier recours. Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que les deux recours ont le même objet.
Arrêt du 8 mars 2012, Kerstens / Commission (F-12/10) (cf. points 85, 87)
8. Recours en annulation - Arrêt d'annulation - Portée - Autorité absolue de la chose jugée - Portée - Prise en considération tant de la motivation que du dispositif - Décision de la Commission adoptée postérieurement à l'annulation d'une première décision pour défaut de motivation
Arrêt du 27 septembre 2012, Italie / Commission (T-257/10) (cf. points 104, 111, 114)
9. Procédure juridictionnelle - Autorité de la chose jugée - Portée
L'autorité de la chose jugée s’étend seulement aux motifs d’un arrêt qui constituent le soutien nécessaire de son dispositif et en sont, de ce fait, indissociables.
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 13 décembre 2012, Strack / Commission (T-199/11 P) (cf. point 43)
Ordonnance du 12 décembre 2014, CR / Parlement et Conseil (T-342/14 P) (cf. point 16)
Arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14) (cf. point 46)
Arrêt du 16 janvier 2018, EDF / Commission (T-747/15) (cf. points 96, 97, 107)
Un recours est irrecevable en raison de l’autorité de la chose jugée qui s’attache à un arrêt antérieur ayant tranché un recours qui a opposé les mêmes parties, a porté sur le même objet et a été fondé sur la même cause. Dans l’appréciation de l’existence d’un tel arrêt antérieur, l’acte dont l’annulation est demandée constitue un élément essentiel permettant de caractériser l’objet d’un recours. Toutefois, la circonstance que les recours ont été dirigés contre des décisions distinctes que l’administration a formellement adoptées ne suffit pas pour conclure à l’absence d’identité d’objet, lorsque ces décisions ont un contenu substantiellement identique et sont fondées sur les mêmes motifs.
Lorsqu'un requérant conteste, comme en l'espèce, la légalité de décisions devenues définitives, admettre la recevabilité de son recours reviendrait à lui conférer la possibilité de faire renaître à son profit un droit de recours contre ces décisions ainsi que lui permettre de mettre en cause l’autorité de la chose jugée des arrêts antérieurs relatifs à ces décisions.
Quant à la prétendue violation du droit à un procès équitable dans le cas où le recours devait être déclaré irrecevable, les décisions attaquées n’ont acquis un caractère définitif qu’en raison de l’inertie du requérant qui a décidé de ne pas exercer les voies de recours administratifs ou juridictionnels à sa disposition.
Ordonnance du 27 février 2014, Walton / Commission (F-32/13) (cf. points 40, 41, 48, 49)
L’autorité de la chose jugée s’attachant à un arrêt est susceptible de faire obstacle à la recevabilité d’un recours si le recours ayant donné lieu à l’arrêt en cause a opposé les mêmes parties, a porté sur le même objet et a été fondé sur la même cause, étant précisé que ces conditions ont nécessairement un caractère cumulatif. L’autorité de la chose jugée s’attache aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision judiciaire.
Par ailleurs, les délais prévus par les articles 90 et 91 du statut, étant destinés à assurer la sécurité des situations juridiques, sont d’ordre public et s’imposent aux parties et au juge. Un fonctionnaire ne saurait, dès lors, se ménager une nouvelle ouverture des délais en saisissant l’autorité investie du pouvoir de nomination d’une demande, au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut. Le fait qu’une institution entre dans le fond d’une demande tardive et donc irrecevable ne peut avoir pour effet de déroger au système des délais impératifs et de reconstituer un droit de recours.
Ainsi, il convient d’examiner si les recours ayant donné lieu aux arrêts antérieurs et le recours introduit dans l'affaire en cause portent sur le même objet et sont fondés sur la même cause et si les décisions antérieures définitives avaient le même objet que les réclamations ayant donné lieu aux décisions attaquées.
Arrêt du 25 février 2015, Walton / Commission (T-261/14 P) (cf. points 35-38)
L’autorité de la chose jugée s’étend seulement aux motifs d’un arrêt qui constituent le soutien nécessaire de son dispositif et en sont, de ce fait, indissociables. Par conséquent, en cas d’annulation par le Tribunal d’une décision de l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), les motifs sur la base desquels cette juridiction a rejeté certains arguments évoqués par les parties ne sauraient être considérés comme ayant acquis l’autorité de la chose jugée.
Dans l’arrêt Sony Interactive Entertainment Europe/EUIPO - Vieta Audio (Vita) (T-690/18), rendu le 19 décembre 2019, le Tribunal s’est prononcé sur la portée de l’autorité de la chose jugée en ce qui concerne son arrêt Sony Computer Entertainment Europe/EUIPO - Vieta Audio (Vita), (ci-après l’« arrêt T-35/16 »){1}. Par le présent arrêt, le Tribunal a annulé la décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), relative à la procédure de déchéance{2} de la marque de l’Union européenne Vita et prise à la suite de l’annulation par le Tribunal, dans son arrêt T-35/16, d’une décision antérieure de la cinquième chambre de recours (ci-après la « décision antérieure »).
Par l’arrêt T-35/16, le Tribunal avait annulé la décision antérieure au motif d’un défaut de motivation, soulevé d’office , tout en observant également que certains éléments de cette décision antérieure n’étaient pas entachés d’un défaut de motivation. S’agissant de ces éléments, la quatrième chambre de recours était d’avis qu’elle était liée par les conclusions de la cinquième chambre de recours dès lors que le Tribunal les aurait entérinés .
En l’espèce, le Tribunal a accueilli le moyen de la requérante selon lequel la quatrième chambre de recours ne s’est pas conformée à son obligation de prendre les mesures que comportait l’exécution de l’arrêt T-35/16{3}. D’une part, selon le Tribunal, il ressort de son arrêt T-35/16 que celui-ci ne s’est pas prononcé sur la légalité au fond de la décision antérieure et que l’autorité de la chose jugée concerne donc uniquement la motivation, en tant que formalité substantielle, de la décision antérieure et non sa légalité au fond . D’autre part, le Tribunal a relevé que l’autorité de la chose jugée s’étend seulement aux motifs d’un arrêt qui constituent le soutien nécessaire de son dispositif et en sont, de ce fait, indissociables. Par conséquent, les éléments de la décision antérieure dont le Tribunal avait observé qu’ils n’étaient pas entachés d’un défaut de motivation ne sauraient être considérés comme ayant acquis l’autorité de la chose jugée.
Au vu de tout ce qui précède, le Tribunal a conclu que la quatrième chambre de recours n’était pas liée par les conclusions de la cinquième chambre de recours et était dès lors obligée de statuer à nouveau sur toutes les questions pertinentes relatives à la déchéance de la marque contestée.
{1 Arrêt du Tribunal du 12 décembre 2017, Sony Computer Entertainment Europe/EUIPO - Vieta Audio (Vita), (T-35/16, non publié, EU:T:2017:886).}
{2 Au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1).}
{3 Moyen tiré d’une violation de l’article 65, paragraphe 6, du règlement no 207/2009.}
À la suite de la guerre en Libye en 2011 et de la chute du régime de Muammar Khadafi, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, le 26 février 2011, la résolution 1970 (2011) instaurant des mesures restrictives à l’encontre de la Libye ainsi que des personnes et des entités ayant participé à la commission de violations graves des droits de l’homme, y compris à des attaques contre des populations civiles{1}. Le Conseil de l’Union européenne a, pour sa part, adopté, les 28 février et 2 mars 2011, des mesures restrictives en raison de la situation en Libye{2}, lesquelles prévoient que les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes visées par la résolution 1970 (2011) ainsi que le gel de leurs fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques. Après l’adoption, en 2014 et 2015, par le Conseil de sécurité des Nations unies, de nouvelles mesures restrictives à l’encontre des personnes et entités qui mettent en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou la réussite de sa transition politique{3}, le Conseil a adopté de nouveaux actes{4} aux fins, notamment, d’étendre les critères de désignation initiaux.
La requérante, ressortissante libyenne, est la fille de l’ancien dirigeant libyen M. Muammar Kadhafi. Elle a été inscrite sur les listes annexées aux actes du Conseil d’abord en raison de son association étroite avec le régime, puis de voyages effectués en violation de la résolution 1970 (2011). Après avoir procédé au réexamen des listes de noms des personnes et entités concernées, le Conseil a, par la décision 2017/497 et le règlement 2017/489{5}, puis, en maintenant les mêmes motifs à l’encontre de la requérante, par la décision 2020/374 et le règlement 2020/371{6}, maintenu l’inscription du nom de la requérante sur ces listes, en application de la résolution 1970 (2011) stipulant l’interdiction de voyager et le gel des avoirs. La requérante a attaqué ces actes.
Le Tribunal annule ces actes en tant qu’ils concernent la requérante, au motif que les actes attaqués sont dépourvus de base factuelle. Concernant la recevabilité du recours, le Tribunal juge notamment qu’il revient au Conseil de communiquer aux personnes concernées les décisions modificatives d’une inscription sur les listes, même en l’absence d’une obligation dérivant directement des actes attaqués en l’espèce.
Appréciation du Tribunal
Concernant la recevabilité du recours, dont la tardiveté était alléguée par le Conseil, le Tribunal rappelle tout d’abord que, si l’entrée en vigueur des actes attaqués a lieu en vertu de leur publication au Journal officiel de l’Union européenne, le délai pour l’introduction d’un recours en annulation contre les actes attaqués en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, court, pour chacune des personnes visées, à compter de la date de communication qui doit lui être faite. Le Tribunal précise à ce sujet que, si la décision 2015/1333 et le règlement 2016/44, sur la base desquels les actes attaqués ont été adoptés, ne prévoient pas l’obligation expresse pour le Conseil de notifier aux personnes concernées les actes par lesquels il a maintenu l’inscription de leur nom sur les listes, l’obligation de notification résulte du principe de protection juridictionnelle effective, y compris dans le cas d’une décision de maintien de l’inscription, et ce indépendamment de la question de savoir si des éléments nouveaux fondaient ladite décision de maintien. En l’espèce, les actes attaqués ne sont pas adoptés à des intervalles réguliers et, compte tenu du défaut de prévisibilité quant à leur adoption, si le délai de recours devait courir à compter de leur seule publication, les personnes concernées devraient vérifier continuellement le Journal officiel, ce qui serait de nature à entraver leur accès au juge de l’Union. Le Tribunal en conclut que le Conseil ne peut pas valablement prétendre que le délai de recours en l’espèce avait commencé à courir, pour la requérante, à partir de la date de publication des actes attaqués au Journal officiel.
S’agissant des modalités selon lesquelles le Conseil était tenu de communiquer les actes à la requérante aux fins d’établir le point de départ du délai de recours, le Tribunal rappelle ensuite que la communication indirecte de tels actes par la publication d’un avis au Journal officiel n’est autorisée que dans les cas où il est impossible pour le Conseil de procéder à une communication individuelle. Les actes attaqués n’ayant pas fait l’objet d’un avis publié au Journal officiel et le Conseil n’ayant pas été dans l’impossibilité de communiquer lesdits actes à la requérante ou à son avocate, dûment mandatée pour recevoir une telle notification pour le compte de sa cliente, le Tribunal considère, au vu du dossier, que la communication individuelle des actes de 2017 a eu lieu par une lettre du 25 mars 2019 et que la requérante a pu prendre connaissance des actes de 2020, au plus tôt, par une réponse du Conseil du 13 juillet 2020, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure du Tribunal. Le Tribunal en conclut que le recours n’était dès lors pas tardif.
Sur le fond, s’agissant, en premier lieu, du défaut allégué de motivation des actes attaqués, le Tribunal constate que les actes attaqués font état de la raison pour laquelle le Conseil a maintenu le nom de la requérante sur les listes litigieuses en mars 2017 et en mars 2020, qui correspond aux justifications qui avaient été mentionnées pour procéder à l’inscription de son nom sur les listes annexées aux actes de 2011 et ensuite sur lesdites listes litigieuses. Le Tribunal retient que le Conseil a fourni des informations à la requérante en faisant référence, d’une part, aux déclarations que celle-ci aurait effectuées publiquement en 2011 et en 2013, appelant à renverser les autorités libyennes légitimes et à venger la mort de son père, et, d’autre part, à la situation d’instabilité existant encore en Libye, tout en réaffirmant la nécessité d’empêcher des individus associés à l’ancien régime de M. Kadhafi de continuer à fragiliser la situation en Libye. Le Tribunal en conclut que la requérante a pu comprendre que son nom avait été maintenu sur les listes litigieuses en raison de son inscription en vertu de la résolution 1970 (2011), des déclarations qui font partie du contexte dans lequel les actes attaqués s’inséraient et du fait que le Conseil jugeait ces mesures encore nécessaires.
S’agissant, en second lieu, du défaut allégué de base factuelle justifiant le maintien du nom de la requérante sur les listes, le Tribunal constate que les actes attaqués ne font pas état d’autres justifications pour le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses en mars 2017 et en mars 2020 que celles mises en avant pour procéder à l’inscription de son nom sur les listes annexées aux actes de 2011 et à l’application de la résolution 1970 (2011). Il relève que bien que les motifs sur lesquels les actes attaqués s’appuient, à savoir le fait d’être la fille de Muammar Kadhafi et son association étroite avec le régime de ce dernier, n’ont pas été contestés en temps utile devant le juge de l’Union, le Conseil n’était aucunement déchargé de son obligation d’établir que le maintien de son nom sur les listes litigieuses reposait sur une base factuelle suffisamment solide.
En outre, le Tribunal observe que le Conseil se borne à renvoyer aux déclarations que la requérante aurait effectuées publiquement en 2011, immédiatement après la divulgation des rapports concernant la mort de M. Kadhafi et de M. Mutassim Kadhafi, et en 2013. Le Tribunal relève que plusieurs années se sont écoulées depuis que ces déclarations ont été rapportées dans la presse et portées à la connaissance du Conseil, sans que ce dernier avance la moindre indication quant aux raisons pour lesquelles le contenu desdites déclarations aurait attesté que la requérante représentait encore une menace, sanctionnée dans le cadre des objectifs de la résolution 1970 (2011), nonobstant les changements intervenus entre-temps concernant sa situation individuelle. À cet égard, il observe que, depuis les actes d’inscription de 2011 et les actes d’inscription subséquents, la requérante ne résidait plus en Libye et le dossier ne fait état ni d’une quelconque participation de sa part à la vie politique libyenne ni de déclarations autres que celles qui lui ont été attribuées en 2011 et en 2013. Malgré ces changements concernant sa situation individuelle, le Conseil n’explique pas les raisons pour lesquelles celle-ci représentait, en 2017 et en 2020, soit lors de l’adoption des actes attaqués, une menace pour la paix et la sécurité internationales dans la région. Le Tribunal conclut que, compte tenu de l’ensemble de ces considérations, les critiques de la requérante, tirées du fait que les actes attaqués sont dépourvus de base factuelle justifiant le maintien de son nom sur les listes litigieuses, sont fondées et que le Conseil a commis une erreur d’appréciation de nature à entraîner l’annulation des décisions 2017/497 et 2020/374 et des règlements 2017/489 et 2020/371.
{1} Résolution 1970 (2011) du Conseil de sécurité des Nations unies, du 26 février 2011.
{2} Décision 2011/137/PESC du Conseil, du 28 février 2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2011, L 58, p. 53), et règlement (UE) nº 204/2011 du Conseil, du 2 mars 2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2011, L 58, p. 1).
{3} Résolution 2174 (2014) du Conseil de sécurité des Nations unies, du 27 août 2014, et résolution 2213 (2015) du Conseil de sécurité des Nations unies, du 27 mars 2015.
{4} Décision (PESC) 2015/818 du Conseil, du 26 mai 2015, modifiant la décision 2011/137 (JO 2015, L 129, p. 13), et règlement (UE) 2015/813 du Conseil, du 26 mai 2015, modifiant le règlement 204/2011 (JO 2015, L 129, p. 1).
{5} Décision d’exécution (PESC) 2017/497 du Conseil, du 21 mars 2017, mettant en œuvre la décision (PESC) 2015/1333 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2017, L 76, p. 25), et règlement d’exécution (UE) 2017/489 du Conseil, du 21 mars 2017, mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 5, du règlement (UE) 2016/44 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2017, L 76, p. 3).
{6} Décision (PESC) 2020/374 du Conseil, du 5 mars 2020, mettant en œuvre la décision 2015/1333 (JO 2020, L 71, p. 14), et règlement d’exécution (UE) 2020/371 du Conseil, du 5 mars 2020, mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 5, du règlement 2016/44 (JO 2020, L 71, p. 5).
Arrêt du 21 avril 2021, El-Qaddafi / Conseil (T-322/19) (cf. point 112)
Par son arrêt, le Tribunal rejette le recours en annulation introduit par Pharol, SGPS SA à l’encontre d’une décision de la Commission européenne{1} modifiant une décision par laquelle celle-ci a imposé une amende pour violation de l’article 101 TFUE à deux opérateurs de télécommunications, dont la requérante. Ce faisant, le Tribunal apporte des précisions quant à la méthode de calcul du montant de base de l’amende en validant l’approche suivie par la Commission consistant à exclure, aux fins de la détermination de la valeur des ventes, les ventes de services pour lesquels les parties ne sont pas en concurrence potentielle. Le Tribunal apporte également des précisions quant aux circonstances dans lesquelles la Commission doit adopter une communication des griefs complémentaire, ainsi que sur l’autorité de la chose jugée attachée à un précédent arrêt du Tribunal{2} par lequel celui-ci a partiellement annulé la décision initiale de la Commission{3} portant sur la même pratique anticoncurrentielle.
En juillet 2010, Portugal Telecom, SGPS SA (renommée ultérieurement « Pharol, SGPS SA ») et Telefónica, SA ont signé un accord ayant pour objet l’acquisition par Telefónica de la part détenue par Portugal Telecom dans l’opérateur brésilien de téléphonie mobile Vivo Participações, SA. Aux termes d’une clause de cet accord, les parties s’engageaient à ne pas participer ou investir, directement ou indirectement, par l’intermédiaire de toute filiale, dans tout projet relevant du secteur des télécommunications susceptible d’être en concurrence avec l’autre partie sur le marché ibérique, pendant une période allant de la conclusion définitive de la transaction jusqu’au 31 décembre 2011 (ci-après la « clause »). Estimant que cette clause constituait un accord de non-concurrence contraire à l’article 101 TFUE, la Commission a adopté en 2013 une décision leur infligeant une amende.
Cette décision a été partiellement annulée par deux arrêts du Tribunal du 28 juin 2016{4}, dans la mesure où le montant des amendes infligées avait été fixé sur la base de la valeur des ventes retenue par la Commission. Selon le Tribunal, la Commission aurait dû, aux fins de la détermination de la valeur des ventes, définir les services pour lesquels les parties n’étaient pas en concurrence potentielle sur le marché ibérique, en examinant les éléments avancés par ces dernières dans leurs réponses à la communication des griefs afin de démontrer l’absence d’une telle concurrence entre elles au regard de certains services pendant la durée d’application de la clause.
À la suite de ces arrêts, la Commission a adopté une nouvelle décision dans laquelle elle a recalculé la valeur des ventes et modifié le montant de l’amende imposée à la requérante. C’est dans ce contexte que celle-ci a saisi le Tribunal d’un recours en annulation contre cette décision.
Appréciation du Tribunal
Premièrement, la requérante soutient que, en interprétant la clause dans la décision attaquée comme interdisant aux parties d’effectuer des démarches préparatoires à une entrée sur le marché, la Commission aurait violé l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt Portugal Telecom/Commission{5}, dans la mesure où une telle interprétation de la clause n’aurait pas été envisagée par la décision de 2013, pas plus qu’elle n’aurait été discutée dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt.
À cet égard, le Tribunal rappelle, d’une part, que l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision juridictionnelle en cause et, d’autre part, que cette autorité s’attache tant au dispositif de cette décision qu’aux motifs de celle-ci qui constituent le soutien nécessaire de son dispositif et en sont, de ce fait, indissociables.
Or, dans l’arrêt Portugal Telecom/Commission, le Tribunal ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si la clause interdisait ou non les démarches préparatoires, le champ d’application de cette clause ayant été défini non pas par rapport au type de mesures qu’elle prohibe, mais par rapport aux services couverts par celle-ci. Ainsi, il ne saurait être considéré que, en interprétant la clause comme interdisant ces démarches, la Commission a violé l’autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt.
Deuxièmement, en interprétant la clause comme interdisant les démarches préparatoires, la Commission aurait, selon la requérante, violé notamment ses droits de la défense, en raison du défaut d’adoption d’une communication des griefs complémentaire. En effet, une telle interprétation de la clause élargirait le champ d’application de celle-ci et modifierait la décision de 2013, constituant ainsi un élément nouveau à l’encontre de la requérante, sur lequel elle aurait dû avoir la possibilité de présenter des observations.
Le Tribunal relève, à titre liminaire, qu’une communication des griefs complémentaire n’est nécessaire que si de nouveaux griefs sont émis ou si la nature intrinsèque de l’infraction en cause est modifiée. En revanche, une simple lettre d’exposé des faits est suffisante dans le cas où les griefs soulevés contre les entreprises en cause dans la communication des griefs initiale sont simplement corroborés par les nouveaux éléments de preuve sur lesquels la Commission a l’intention de s’appuyer.
En l’espèce, la Commission a adopté une communication des griefs (ci-après la « communication des griefs de 2011 ») dans le cadre de la procédure ayant abouti à la décision de 2013. À la suite de l’annulation partielle de cette décision par le Tribunal, la Commission n’a pas émis de communication des griefs complémentaire avant d’adopter la décision attaquée, mais a envoyé aux sociétés en cause une lettre d’exposé des faits. À cet égard, l’annulation d’un acte de l’Union n’affecte pas nécessairement la validité des actes préparatoires. Or, la validité de la communication des griefs de 2011 n’est pas remise en cause par l’arrêt Portugal Telecom/Commission, celui-ci n’ayant annulé la décision de 2013 que dans la mesure où celle-ci fixait le montant de l’amende infligée à la requérante sur la base de la valeur des ventes retenue par la Commission. Dès lors, cet arrêt ne s’oppose pas à la prise en considération des indications fournies dans la communication des griefs de 2011 au sujet du champ d’application de la clause, afin de contrôler le respect des droits de la défense de la requérante.
Or, le Tribunal constate que l’interprétation de la clause comme interdisant les démarches préparatoires ne saurait être considérée comme un nouveau grief par rapport à ceux notifiés dans la communication des griefs de 2011, une modification de ceux-ci ou une modification de la nature intrinsèque de l’infraction. En effet, bien que la communication des griefs de 2011 ne précise pas que la clause interdit les démarches préparatoires, une telle interprétation s’impose compte tenu, d’une part, de la durée de la clause, trop courte pour permettre une entrée effective sur les marchés en cause et, d’autre part, de la lettre de la clause dans sa version anglaise.
Par ailleurs, la Commission a interprété la clause comme interdisant les démarches préparatoires afin de recalculer la valeur des ventes conformément à l’arrêt Portugal Telecom/Commission. Or, la détermination de la valeur des ventes ne figure pas parmi les éléments sur lesquels la Commission est tenue d’entendre les parties, le droit d’être entendu ne couvrant pas un tel élément lié à la méthode de détermination du montant de l’amende.
Quant à l’argumentation de la requérante selon laquelle la Commission ne lui a pas donné la possibilité de développer ses arguments lors d’une audition, le Tribunal rappelle que le droit à une audition n’existe qu’à la suite de l’émission par la Commission d’une communication des griefs{6}. Partant, dès lors que la Commission n’était pas tenue d’adopter une communication des griefs complémentaire en lieu et place de la lettre d’exposé des faits, elle n’était pas tenue de tenir une audition avant l’adoption de la décision attaquée.
Troisièmement, la requérante fait valoir que la Commission a commis une erreur de droit en appréciant l’existence d’une concurrence potentielle entre les parties sur la base du critère des barrières insurmontables à l’entrée. Le Tribunal considère que la Commission n’a pas commis une telle erreur.
En effet, dans l’arrêt Portugal Telecom/Commission annulant la décision de 2013, le Tribunal a jugé que les ventes qui n’étaient pas en relation directe ou indirecte avec l’infraction, à savoir les ventes des services pour lesquels les parties n’étaient pas en concurrence potentielle, devaient être exclues de la détermination de la valeur des ventes. Toutefois, le Tribunal n’a pas précisé quel était le critère permettant d’apprécier l’existence d’une telle concurrence aux fins du calcul de l’amende, alors qu’il a indiqué que, aux fins du constat de l’infraction, le critère permettant d’apprécier l’existence d’une telle concurrence était celui des barrières insurmontables à l’entrée sur le marché.
Dans la décision attaquée, la Commission a estimé que le critère des barrières insurmontables à l’entrée devait également être utilisé aux fins du calcul du montant de l’amende. En effet, exiger de la Commission que, pour déterminer la valeur des ventes, elle aille au-delà de l’examen des barrières insurmontables à l’entrée pour déterminer si les parties ont des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché reviendrait à lui imposer, aux fins du calcul de l’amende, une obligation qu’elle n’a pas aux fins du constat de l’infraction dès lors que l’infraction en cause a un objet anticoncurrentiel.
Partant, le Tribunal rejette ce dernier moyen.
{1} Décision C(2022) 324 final de la Commission, du 25 janvier 2022, modifiant la décision C(2013) 306 final, du 23 janvier 2013, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE (affaire AT.39839 - Telefónica/Portugal Telecom) (ci-après la « décision attaquée »).
{2} Arrêt du 28 juin 2016, Portugal Telecom/Commission (T 208/13, EU:T:2016:368). Cet arrêt n’a pas fait l’objet d’un pourvoi.
{3} Décision C(2013) 306 final de la Commission, du 23 janvier 2013, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE (affaire AT.39.839 - Telefónica/Portugal Telecom) (ci-après la « décision de 2013 »).
{4} Arrêts du 28 juin 2016, Portugal Telecom/Commission (T 208/13, EU:T:2016:368), et du 28 juin 2016, Telefónica/Commission (T 216/13, EU:T:2016:369). Ce dernier arrêt a été l’objet d’un pourvoi qui a été rejeté par la Cour par l’arrêt du 13 décembre 2017, Telefónica/Commission (C 487/16 P, non publié, EU:C:2017:961).
{5} Voir note de bas de page no 2.
{6} Article 12 du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18).
Arrêt du 2 octobre 2024, Pharol / Commission (T-181/22) (cf. points 23-29)
Arrêt du 17 janvier 2017, LP / Europol (T-719/15 P) (cf. point 25)
Arrêt du 22 novembre 2018, Fruit of the Loom / EUIPO - Takko (FRUIT) (T-424/17) (cf. point 119)
Arrêt du 29 juin 2022, Hochmann Marketing / EUIPO (bittorrent) (T-337/20) (cf. point 68)
Arrêt du 5 juillet 2023, Wajos / EUIPO (Forme d´un contenant) (T-10/22) (cf. point 16)
Arrêt du 16 octobre 2024, Aristoteleio Panepistimio Thessalonikis / ERCEA (T-388/22) (cf. point 125)
10. Procédure juridictionnelle - Autorité de la chose jugée - Portée - Irrecevabilité d'un second recours - Conditions - Identité d'objet - Contestation d'un acte substantiellement identique à celui attaqué dans le premier recours, mais se fondant sur d'autres moyens de fait et de droit - Absence d'autorité de la chose jugée
En vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que des décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause.
À cet égard, un recours est irrecevable en raison de l’autorité de chose jugée qui s’attache à un arrêt antérieur ayant tranché un recours qui avait opposé les mêmes parties, avait porté sur le même objet et avait été fondé sur la même cause. L’acte dont l’annulation est demandée constitue un élément essentiel permettant de caractériser l’objet d’un recours, mais, dans les cas où plusieurs recours ont été dirigés contre des décisions distinctes que l’administration a formellement adoptées, il ne saurait être conclu de cette seule circonstance à l’absence d’identité d’objet entre lesdits recours, dès lors que ces décisions distinctes ont un contenu substantiellement identique et sont fondées sur les mêmes motifs.
Enfin, même si les griefs soulevés à l’appui d’un recours coïncident en partie avec ceux invoqués dans le cadre d’une précédente instance, le second recours ne se présente pas comme la répétition du premier, mais comme un litige nouveau en ce qu’il se fonde également sur d’autres moyens de fait et de droit.
Arrêt du 12 décembre 2012, Cerafogli / BCE (F-43/10) (cf. points 68-69)
11. Procédure juridictionnelle - Autorité de la chose jugée - Portée - Recours en manquement en matière d'aides d'État
Le principe de l’autorité de la chose jugée, lequel est également applicable aux procédures en manquement, implique que l'autorité de la chose jugée s'attachant à un arrêt est susceptible de faire obstacle à la recevabilité d’un recours si, eu égard au cadre factuel et juridique des deux procédures de manquement concernées, il existe en substance une identité de fait et de droit entre ces deux affaires.
S'agissant en particulier du domaine des aides d'État, la voie de recours ouverte par l’article 108, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE ne constitue qu’une variante du recours en manquement, adaptée de manière spécifique aux problèmes particuliers que présentent les aides d’État pour la concurrence dans le marché intérieur. Dans le cadre des procédures engagées en application de l’article 258 TFUE, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en considération. La date pertinente pour l’appréciation d’un manquement introduit au titre de l’article 108, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE est en principe celle qui a été fixée dans la décision de la Commission dont l’inexécution est contestée. En effet, cette disposition ne prévoit pas, à la différence de l’article 258 TFUE, de phase précontentieuse et, par conséquent, la Commission n’émet pas d’avis motivé imposant à l’État membre concerné un délai pour se mettre en conformité avec le droit de l’Union.
Dans un cas de figure où la Commission a fixé un délai pour que l'État membre se conforme à ses obligations découlant d'une décision en matière d'aides d'État et où, après un premier recours en manquement, dans le cadre de longues discussions entre les parties au sujet de la récupération des aides en cause, elle fixe un nouveau délai, c'est ce dernier délai qui est pertinent aux fins de l’appréciation du manquement dans la seconde affaire.
Par conséquent, il ne saurait être valablement soutenu que le second litige et celui ayant donné lieu à un précédent arrêt de la Cour ont le même objet, lorsque la date pertinente dans la seconde affaire est bien postérieure à celle à laquelle le précédent arrêt a été rendu.
Arrêt du 24 janvier 2013, Commission / Espagne (C-529/09) (cf. points 64-65, 67-71, 74-78)
12. Recours en annulation - Arrêt d'annulation - Portée - Autorité absolue de la chose jugée - Portée - Prise en considération tant de la motivation que du dispositif
Arrêt du 16 septembre 2013, PROAS / Commission (T-495/07) (cf. points 457, 458, 463-465, 467)
Arrêt du 16 septembre 2013, CEPSA / Commission (T-497/07) (cf. points 356, 357, 362-364, 366)
Arrêt du 14 septembre 2016, National Iranian Tanker Company / Conseil (T-207/15) (cf. points 45-55)
Arrêt du 13 décembre 2018, Kakol / Commission (T-641/16 RENV et T-137/17) (cf. points 74-77)
Arrêt du 2 mars 2022, Fabryki Mebli "Forte" / EUIPO - Bog-Fran (Meuble) (T-1/21) (cf. points 26, 27)
13. Recours en annulation - Arrêt rejetant un recours en annulation - Effets - Autorité relative de la chose jugée - Maintien de la présomption de légalité de l'acte attaqué - Irrecevabilité d'un nouveau recours ayant le même objet, opposant les mêmes parties et fondé sur la même cause
Les arrêts de rejet d'un recours en annulation d'un acte pris par une institution de l'Union sont revêtus d’une autorité relative de chose jugée, qui a pour seule conséquence de rendre irrecevable tout nouveau recours ayant le même objet, opposant les mêmes parties et fondé sur la même cause. Un tel arrêt ne signifie donc pas que l’acte attaqué est valide, mais uniquement qu’aucun des moyens soulevés par le requérant n’était fondé et qu’il en allait de même des moyens d’ordre public que le juge est tenu de relever d’office. Dès lors, l’acte attaqué continue de bénéficier d’une présomption de légalité, qui implique également, pour tous les sujets du droit de l’Union, l’obligation de reconnaître la pleine efficacité de cet acte tant que son illégalité n’a pas été établie.
Arrêt du 5 septembre 2014, Éditions Odile Jacob / Commission (T-471/11) (cf. points 117, 144)
14. Recours en annulation - Arrêt d'annulation - Portée - Autorité absolue de la chose jugée - Portée - Prise en considération tant de la motivation que du dispositif - Point de droit constituant un obiter dictum prononcé au-delà des limites du litige porté devant le juge de l'Union - Exclusion - Effets de l'arrêt d'annulation - Obligation de l'auteur de la nouvelle décision de se placer à la date de l'adoption de l'acte annulé et de prendre en compte les dispositions alors en vigueur
Les arrêts d’annulation prononcés par les juridictions de l’Union jouissent, dès qu’ils sont devenus définitifs, de l’autorité absolue de la chose jugée. Celle-ci recouvre non seulement le dispositif de l’arrêt d’annulation, mais aussi les motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif et en sont, de ce fait, indissociables.
L’autorité de la chose jugée d’un arrêt ne s’attache cependant qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés. De plus, un obiter dictum figurant dans un arrêt d’annulation ne bénéficie pas de l’autorité absolue de la chose jugée. Ainsi, l’article 266 TFUE n’oblige l’institution dont émane l’acte annulé que dans les limites de ce qui est nécessaire pour assurer l’exécution de l’arrêt d’annulation.
La procédure visant à remplacer un acte annulé doit être reprise au point précis auquel l’illégalité est intervenue. L’annulation d’un acte mettant un terme à une procédure administrative comprenant différentes phases n’entraîne pas nécessairement l’annulation de toute la procédure précédant l’adoption de l’acte attaqué indépendamment des motifs, de fond ou de procédure, de l’arrêt d’annulation. L’auteur de l’acte doit ainsi se placer à la date à laquelle il avait adopté l’acte annulé pour adopter l’acte de remplacement, en fonction des dispositions alors en vigueur, et des éléments de fait alors pertinents. Il peut toutefois invoquer, dans sa nouvelle décision, des motifs autres que ceux sur lesquels il avait fondé sa première décision. En outre, il n’est pas tenu de se prononcer à nouveau sur des aspects de la décision initiale qui n’ont pas été remis en cause par l’arrêt d’annulation.
15. Recours en annulation - Arrêt d'annulation - Portée - Autorité absolue de la chose jugée - Portée - Prise en considération tant de la motivation que du dispositif, y compris en cas d'annulation partielle
16. Droit de l'Union européenne - Principes - Droits de la défense - Principe du contradictoire - Respect dans le cadre d'une procédure juridictionnelle - Portée - Décision du juge de l'Union de déclarer un recours irrecevable en raison de l'autorité de la chose jugée - Violation dudit principe - Absence
Les droits de la défense occupent une place éminente dans l’organisation et le déroulement d’un procès équitable et incluent le principe du contradictoire. Le respect du principe du contradictoire implique, en règle générale, le droit pour les parties à un procès d’être en mesure de prendre position sur les faits et les documents sur lesquels sera fondée une décision judiciaire ainsi que de discuter les preuves et les observations présentées devant le juge et les moyens de droit relevés d’office par le juge sur lesquels celui-ci entend fonder sa décision.
Ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable de la partie requérante la décision du juge de l'Union de déclarer le recours irrecevable en se référant aux arrêts revêtus de l’autorité de la chose jugée, dans lesquels les questions soulevées dans le recours ont été débattues entre les parties, et aux décisions devenues définitives à défaut d’exercice, par la partie requérante, des voies de recours administratives ou juridictionnelles.
Arrêt du 25 février 2015, Walton / Commission (T-261/14 P) (cf. points 65, 67-69)
17. Recours en annulation - Arrêt d'annulation - Portée - Autorité absolue de la chose jugée - Annulation d'une décision constatant une aide d'État incompatible avec le marché intérieur - Nullité subséquente de la déclaration de non-récupération de ladite aide
Voir le texte de la décision.
18. Recours en annulation - Arrêt d'annulation - Portée - Autorité absolue de la chose jugée - Portée - Prise en considération tant de la motivation que du dispositif - Point de droit constituant un obiter dictum prononcé au-delà des limites du litige porté devant le juge de l'Union - Exclusion
Arrêt du 28 janvier 2016, Éditions Odile Jacob / Commission (C-514/14 P) (cf. points 25, 26)
19. Recours en annulation - Arrêt rejetant un recours en annulation - Effets - Autorité relative de la chose jugée - Maintien de la présomption de légalité de l'acte attaqué
Arrêt du 28 janvier 2016, Éditions Odile Jacob / Commission (C-514/14 P) (cf. point 40)
20. Procédure juridictionnelle - Autorité de la chose jugée - Portée - Arrêt du Tribunal constatant l'invalidité d'un acte de l'Union sur la base d'une appréciation erronée d'un arrêt de la Cour concluant à l'annulation partielle dudit acte - Arrêt ultérieur de la Cour précisant l'interprétation correcte du premier arrêt de la Cour - Absence d'autorité de la chose jugée de l'arrêt du Tribunal
Arrêt du 27 avril 2016, Pappalardo e.a. / Commission (T-316/13) (cf. points 25-27, 30, 31)
21. Recours en annulation - Arrêt d'annulation - Portée - Autorité absolue de la chose jugée - Conséquences découlant d'un arrêt d'annulation disposant de l'autorité de la chose jugée - Moyen d'ordre public pouvant être relevé d'office par le juge de l'Union
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 24 mai 2016, Good Luck Shipping / Conseil (T-423/13 et T-64/14) (cf. point 76)
22. Procédure juridictionnelle - Autorité de la chose jugée - Portée - Rejet, dans un premier arrêt, d'une demande en réparation d'un préjudice, en l'absence de preuve de la réalité et de l'étendue du préjudice allégué et de l'existence d'un lien de causalité - Nouvelle demande visant à obtenir la réparation du préjudice causé par la même illégalité que celle en cause dans l'arrêt de rejet - Irrecevabilité
Arrêt du 30 juin 2016, CW / Conseil (T-516/13) (cf. points 216, 217)
23. Procédure juridictionnelle - Arrêt de la Cour liant le Tribunal - Conditions - Renvoi consécutif à un pourvoi - Points de droit définitivement tranchés par la Cour dans le cadre du pourvoi - Autorité de la chose jugée - Portée
Voir texte de la décision.
Par décision du 13 mai 2009{1}, la Commission européenne a infligé au producteur de microprocesseurs Intel une amende de 1,06 milliard d’euros pour avoir abusé de sa position dominante sur le marché mondial des processeurs{2} x86{3}, entre octobre 2002 et décembre 2007, en mettant en œuvre une stratégie destinée à exclure du marché ses concurrents.
Selon la Commission, cet abus était caractérisé par deux types de comportements commerciaux adoptés par Intel à l’égard de ses partenaires commerciaux, à savoir des restrictions non déguisées et des rabais conditionnels. En ce qui concerne plus particulièrement ces derniers, Intel aurait accordé des rabais à quatre équipementiers informatiques stratégiques [Dell, Lenovo, Hewlett-Packard (HP) et NEC], sous réserve qu’ils achètent auprès d’elle la totalité ou la quasi-totalité de leurs processeurs x86. De même, Intel aurait accordé des paiements à un distributeur européen d’appareils microélectroniques (Media-Saturn-Holding) à condition que ce dernier vende exclusivement des ordinateurs équipés de processeurs x86 d’Intel. Ces rabais et paiements (ci-après les « rabais litigieux ») auraient assuré la fidélité des quatre équipementiers et de Media-Saturn et ainsi sensiblement réduit la capacité des concurrents d’Intel à se livrer à une concurrence fondée sur les mérites de leurs processeurs x86. Le comportement anticoncurrentiel d’Intel aurait ainsi contribué à réduire le choix offert aux consommateurs ainsi que les incitations à l’innovation.
Le recours introduit par Intel contre cette décision a été rejeté dans son intégralité par le Tribunal par arrêt du 12 juin 2014{4}. Par arrêt du 6 septembre 2017, rendu sur pourvoi d’Intel, la Cour a annulé cet arrêt et renvoyé l’affaire devant le Tribunal{5}.
Au soutien de ses conclusions en annulation de l’arrêt initial, Intel reprochait, en particulier, au Tribunal une erreur de droit en raison de l’absence d’examen des rabais litigieux au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce. À cet égard, la Cour a constaté que le Tribunal s’était fondé, à l’instar de la Commission, sur la prémisse selon laquelle les rabais de fidélité accordés par une entreprise en position dominante auraient, par leur nature même, la capacité de restreindre la concurrence de sorte qu’il n’était pas nécessaire d’analyser l’ensemble des circonstances de l’espèce ni, en particulier, de mener un test AEC (connu en anglais sous le nom de « as efficient competitor test »){6}. Néanmoins, la Commission n’en a pas moins opéré, dans sa décision, un examen approfondi de ces circonstances, ce qui l’a conduite à conclure qu’un concurrent aussi efficace aurait dû pratiquer des prix qui n’auraient pas été viables et que, partant, la pratique des rabais litigieux était susceptible d’évincer un tel concurrent. La Cour en a conclu que le test AEC avait revêtu une importance réelle dans l’appréciation, par la Commission, de la capacité des pratiques en cause à produire un effet d’éviction des concurrents, de sorte que le Tribunal était tenu d’examiner l’ensemble des arguments d’Intel formulés au sujet de ce test et de sa mise en œuvre par la Commission. Le Tribunal s’étant abstenu de procéder à un tel examen, la Cour a annulé l’arrêt initial et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal pour qu’il puisse examiner, à la lumière des arguments avancés par Intel, la capacité des rabais litigieux de restreindre la concurrence.
Par son arrêt du 26 janvier 2022, le Tribunal, statuant sur renvoi, annule pour partie la décision attaquée en ce qu’elle qualifie les rabais litigieux d’abus, au sens de l’article 102 TFUE, et inflige une amende à Intel au titre de l’ensemble de ses agissements qualifiés d’abusifs.
Appréciation du Tribunal
Le Tribunal précise, à titre liminaire, l’étendue du litige après renvoi. À cet égard, il observe que l’annulation de l’arrêt initial n’était justifiée que par une seule erreur, tenant à l’absence de prise en considération, dans l’arrêt initial, de l’argumentation d’Intel visant à contester l’analyse AEC présentée par la Commission. Dans ces circonstances, le Tribunal estime pouvoir reprendre à son compte, aux fins de son examen, l’ensemble des considérations non viciées par l’erreur ainsi retenue par la Cour. Il s’agit, en l’occurrence, d’une part, des constatations de l’arrêt initial concernant les restrictions non déguisées et leur caractère illégal au regard de l’article 102 TFUE. En effet, selon le Tribunal, la Cour n’a pas invalidé, dans son principe même, la distinction établie dans la décision attaquée entre les pratiques constitutives de telles restrictions et les autres agissements d’Intel seuls visés par l’analyse AEC en question. D’autre part, le Tribunal a repris à son compte les considérations figurant dans l’arrêt initial selon lesquelles la Commission, dans la décision attaquée, a établi l’existence des rabais litigieux.
Cela ayant été précisé, le Tribunal entame, en premier lieu, l’examen des conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée par une présentation de la méthode définie par la Cour pour apprécier la capacité d’un système de rabais de restreindre la concurrence. À ce titre, il rappelle que, si un système de rabais d’exclusivité instauré par une entreprise en position dominante sur le marché peut être qualifié de restriction de concurrence, dès lors que, compte tenu de sa nature, ses effets restrictifs sur la concurrence peuvent être présumés, il ne s’agit, en l’occurrence, que d’une présomption simple qui ne saurait dispenser la Commission en toute hypothèse d’en examiner les effets anticoncurrentiels. Ainsi, dans l’hypothèse où une entreprise en position dominante soutient, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction qui lui sont reprochés, la Commission doit analyser la capacité d’éviction du système de rabais. Dans le cadre d’une telle analyse, il appartient à cette dernière non seulement d’analyser, d’une part, l’importance de la position dominante de l’entreprise sur le marché pertinent et, d’autre part, le taux de couverture du marché par la pratique contestée, ainsi que les conditions et les modalités d’octroi des rabais en cause, leur durée et leur montant, mais également d’apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces. En outre, lorsqu’un test AEC a été effectué par la Commission, il fait partie des éléments dont elle doit tenir compte pour apprécier la capacité du système de rabais de restreindre la concurrence.
En deuxième lieu, le Tribunal vérifie, tout d’abord, si l’appréciation par la Commission de la capacité des rabais litigieux de restreindre la concurrence se fonde sur la méthode ainsi définie. À cet égard, il relève d’emblée que la Commission a commis une erreur de droit, dans la décision attaquée, en considérant que le test AEC, qu’elle a néanmoins réalisé, n’était pas nécessaire pour lui permettre d’établir le caractère abusif des rabais litigieux d’Intel. Cela étant, le Tribunal estime ne pas pouvoir s’en tenir à ce constat. Dès lors que l’arrêt sur pourvoi indique que le test AEC a revêtu une importance réelle dans l’appréciation par la Commission de la capacité de la pratique de rabais en cause de produire un effet d’éviction, le Tribunal était tenu d’examiner les arguments avancés par Intel au sujet dudit test.
En troisième lieu, étant donné que l’analyse de la capacité des rabais litigieux de restreindre la concurrence s’inscrit dans le cadre de la démonstration de l’existence d’une infraction au droit de la concurrence, en l’occurrence d’un abus de position dominante, le Tribunal rappelle les règles relatives à la répartition de la charge de la preuve ainsi qu’au niveau de preuve requis. Ainsi, le principe de la présomption d’innocence, applicable en la matière également, impose à la Commission d’établir l’existence d’une telle infraction, au besoin par un faisceau d’indices précis et concordants, de manière à ne laisser subsister aucun doute à cet égard. Lorsque cette dernière soutient que des faits établis ne peuvent s’expliquer que par un comportement anticoncurrentiel, l’existence de l’infraction en cause doit être considérée comme insuffisamment démontrée si les entreprises concernées parviennent à avancer une autre explication plausible des faits. En revanche, lorsque la Commission se fonde sur des éléments de preuve, en principe, propres à démontrer l’existence de l’infraction, c’est aux entreprises concernées qu’il appartient de démontrer l’insuffisance de leur valeur probante.
En quatrième lieu, c’est à la lumière de ces règles que le Tribunal examine les arguments concernant les erreurs prétendument commises par la Commission dans son analyse AEC. À cet égard, il juge que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit la capacité de chacun des rabais litigieux de produire un effet d’éviction, au vu des arguments avancés par Intel quant à l’évaluation par la Commission des critères d’analyse pertinents.
En effet, premièrement, en ce qui concerne l’application du test AEC à Dell, le Tribunal estime que, dans les circonstances du cas d’espèce, la Commission pouvait, certes, valablement s’appuyer, aux fins de l’évaluation de la « part disputable »{7}, sur des données connues d’opérateurs économiques autres que l’entreprise dominante. Cependant, après avoir examiné les éléments avancés par Intel à cet égard, le Tribunal conclut que ces derniers sont à même de faire naître un doute dans l’esprit du juge sur le résultat de cette évaluation, jugeant, par conséquent insuffisants les éléments retenus par la Commission pour conclure à la capacité des rabais accordés à Dell de produire un effet d’éviction durant toute la période pertinente. Deuxièmement, il en va de même, selon le Tribunal, pour l’analyse du rabais accordé à HP, l’effet d’éviction retenu n’ayant notamment pas été démontré pour l’intégralité de la période infractionnelle. Troisièmement, en ce qui concerne les rabais accordés, sous différentes conditions, à des sociétés intégrées du groupe NEC, le Tribunal constate deux erreurs viciant l’analyse de la Commission, l’une affectant la valeur des rabais conditionnels, l’autre tenant à l’extrapolation insuffisamment justifiée de résultats valant pour un seul trimestre à l’ensemble de la période infractionnelle. Quatrièmement, le Tribunal conclut également à une insuffisance de preuve, s’agissant de la capacité des rabais accordés à Lenovo de produire un effet d’éviction, en raison d’erreurs commises par la Commission dans l’appréciation chiffrée des avantages en nature en cause. Cinquièmement, le Tribunal conclut dans le même sens quant à l’analyse AEC concernant Media-Saturn, estimant, notamment, que la Commission ne s’était nullement expliquée au sujet des raisons l’ayant conduite à extrapoler, dans l’analyse des paiements octroyés à ce distributeur, les résultats obtenus, aux fins de l’analyse des rabais accordés à NEC, pour une période d’un trimestre pour toutel
a période infractionnelle.
En cinquième et dernier lieu, le Tribunal vérifie si la décision attaquée a dûment tenu compte de tous les critères permettant d’établir la capacité de pratiques tarifaires de produire un effet d’éviction, en vertu de la jurisprudence de la Cour. Or, à cet égard, il constate que la Commission n’a pas dûment examiné le critère relatif au taux de couverture du marché par la pratique contestée et n’a pas davantage procédé à une analyse correcte de la durée des rabais.
Il ressort, en conséquence, de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’analyse réalisée par la Commission est incomplète et, en tout état de cause, ne permet pas d’établir à suffisance de droit, que les rabais litigieux étaient capables ou susceptibles d’avoir des effets anticoncurrentiels, ce pour quoi le Tribunal annule la décision, en ce qu’elle considère ces pratiques comme constitutives d’un abus au sens de l’article 102 TFUE.
Enfin, en ce qui concerne l’incidence d’une telle annulation partielle de la décision attaquée sur le montant de l’amende infligée par la Commission à Intel, le Tribunal estime ne pas être en mesure d’identifier le montant de l’amende afférent uniquement aux restrictions non déguisées. En conséquence, il annule dans son intégralité l’article de la décision attaquée infligeant à Intel une amende d’un montant de 1,06 milliard d’euros au titre de l’infraction constatée.
{1} Décision C(2009) 3726 final de la Commission, du 13 mai 2009, relative à une procédure d’application de l’article [102 TFUE] et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire COMP/C-3/37.990 - Intel).
{2} Le processeur est un composant essentiel de tout ordinateur, tant pour les performances générales du système que pour le coût global de l’appareil.
{3} Les microprocesseurs utilisés dans les ordinateurs peuvent être regroupés en deux catégories, à savoir les processeurs x86 et les processeurs fondés sur une autre architecture. L’architecture x86 est une norme conçue par Intel qui permet le fonctionnement des systèmes d’exploitation Windows et Linux.
{4} Arrêt du 12 juin 2014, Intel/Commission (T-286/09, EU:T:2014:547, ci-après l’« arrêt initial »).
{5} Arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C-413/14 P, EU:C:2017:632, ci-après l’« arrêt sur pourvoi »).
{6} L’analyse économique ainsi réalisée portait, en l’occurrence, sur la capacité des rabais litigieux d’évincer un concurrent qui serait aussi efficace qu’Intel sans occuper pour autant une position dominante. Concrètement, l’analyse visait à établir le prix auquel un concurrent aussi efficace qu’Intel et subissant les mêmes coûts que cette dernière aurait dû proposer ses processeurs afin d’indemniser un équipementier informatique ou un distributeur d’appareils microélectroniques pour la perte des rabais en cause, afin de déterminer si, dans un tel cas, ce concurrent peut toujours couvrir ses coûts.
{7} Cette expression désigne, en l’occurrence, la part du marché que les clients d’Intel étaient disposés et en mesure de reporter leur approvisionnement sur un autre fournisseur, nécessairement limitée compte tenu, notamment, de la nature du produit ainsi que de l’image de marque et du profil d’Intel.
Arrêt du 26 janvier 2022, Intel Corporation / Commission (T-286/09 RENV) (cf. points 78-86)
Par décision du 27 mars 2014{1}, la Commission a constaté que l’entreprise publique grecque Larko Geniki Metalleftiki kai Metallourgiki AE (ci-après « Larko ») a bénéficié d’une aide d’État illégale et incompatible avec le marché intérieur de plus de 135 millions d’euros, accordée sous la forme de trois garanties en 2008, 2010 et 2011 ainsi que d’une augmentation du capital en 2009.
S’agissant, plus particulièrement, de la garantie octroyée en 2008, la Commission a qualifié celle-ci d’avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où un créancier privé n’aurait pas octroyé une telle garantie dans les conditions et selon les modalités convenues par les autorités grecques . À cet égard, la Commission a relevé que cette garantie ne remplissait aucune des conditions cumulatives permettant d’exclure, au titre de la communication relative aux garanties{2}, sa qualification d’aide d’État, à savoir, notamment, l’absence de difficulté financière de l’entreprise bénéficiaire et le paiement d’une prime conforme au prix du marché pour son octroi{3}.
Par un arrêt du 1er février 2018{4}, le Tribunal a rejeté le recours en annulation introduit par Larko contre la décision litigieuse. Selon lui, la Commission n’avait, notamment, pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que, faute de preuves contraires fournies par les autorités grecques, celles-ci avaient ou auraient dû avoir connaissance des difficultés économiques de Larko au moment de l’octroi de la garantie de 2008.
Donnant suite au pourvoi introduit par Larko, la Cour{5} a partiellement annulé l’arrêt du Tribunal et renvoyé l’affaire devant cette juridiction. Dans son arrêt, la Cour a notamment relevé que, lorsque la Commission décide de se référer au critère de l’investisseur privé en vue d’examiner l’existence d’un avantage au titre de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il lui incombe de démontrer que les conditions d’application dudit critère sont remplies. En appliquant ce critère, la Commission ne saurait supposer qu’une entreprise a bénéficié d’un avantage constitutif d’une aide d’État en se basant simplement sur une présomption négative, fondée sur l’absence d’informations permettant d’aboutir à la conclusion contraire, en l’absence d’autres éléments de nature à établir positivement l’existence d’un tel avantage . À cet égard, la Cour a précisé qu’il incombait au Tribunal de vérifier, dans le cadre de la procédure sur renvoi, si le dossier administratif contenait des éléments d’une certaine fiabilité et cohérence fournissant une base suffisante pour conclure que les autorités grecques avaient ou devaient avoir connaissance des prétendues difficultés économiques de Larko et que ce point n’était pas litigieux entre la Commission et les autorités grecques.
Par son arrêt du 4 mai 2022, le Tribunal rejette le recours de Larko et apporte des précisions sur la répartition de la charge de la preuve entre la Commission et l’État membre concerné s’agissant de la démonstration de l’existence d’une aide d’État au regard des conditions visées par la communication relative aux garanties .
Appréciation du Tribunal
Le Tribunal commence par rappeler que la Commission avait fondé sa conclusion, à savoir que les autorités grecques ne s’étaient pas comportées comme un créancier privé avisé en octroyant la garantie de 2008, sur des motifs comportant deux volets, tirés, d’une part, du caractère d’entreprise en difficulté de Larko et, d’autre part, de l’absence de paiement d’une prime conforme au prix du marché.
Or, dans l’arrêt sur pourvoi, la Cour n’avait pas censuré le raisonnement de la Commission au sujet de l’absence de paiement d’une prime conforme au prix du marché , en constatant, au contraire, qu’il n’y avait pas besoin d’examiner l’argumentation de Larko à cet égard . De plus, vu le caractère cumulatif des deux volets de motifs avancés par la Commission, le seul constat que la prime convenue au moment de l’octroi de la garantie de 2008 n’était pas conforme au prix du marché suffisait pour étayer sa conclusion que l’existence d’une aide d’État ne pouvait pas être exclue au titre de la communication relative aux garanties.
Au regard de ces précisions, le Tribunal examine si la Commission était en droit de remettre en cause, dans la décision litigieuse, la conformité au prix du marché de ladite prime, tout en vérifiant si les autorités grecques avaient ou devaient avoir connaissance des prétendues difficultés financières de Larko au plus tard à la date d’octroi de la garantie en question.
À cet égard, le Tribunal constate que la Commission disposait d’éléments suffisamment fiables et cohérents tendant à démontrer que les autorités grecques étaient conscientes de la situation financière difficile de Larko au moment de l’octroi de la garantie de 2008 . En effet, dans sa décision d’ouverture de la procédure, la Commission avait déjà établi un lien entre les difficultés financières considérables de Larko et son ratio élevé dettes/fonds propres . De plus, elle avait attiré l’attention des autorités grecques sur le caractère potentiellement non conforme aux conditions du marché d’une prime de garantie de 1 % visant à rémunérer une garantie couvrant 100 % du prêt garanti . À ce propos, le Tribunal relève, notamment, que les autorités grecques, qui avaient elles-mêmes reconnu une détérioration brutale de la situation financière de Larko au cours du second semestre 2008, n’avaient pas été capables d’étayer leur déclaration selon laquelle, en 2008, Larko disposait d’une bonne notation de crédit.
Dans ce cadre, le Tribunal souligne que les règles portant sur la répartition de la charge de la preuve lors de l’application du principe de l’opérateur privé, telles que rappelées par la Cour dans l’arrêt sur pourvoi, ne sont pas susceptibles d’infirmer cette conclusion, sous peine d’inverser indûment cette charge de la preuve au détriment de la Commission et de méconnaître la portée de l’obligation de coopération loyale de l’État membre, en tenant compte de la séparation des sphères de connaissance et de responsabilité qui se trouvent à l’origine des exigences de fourniture des informations pertinentes, notamment au titre de la communication relative aux garanties.
En effet, même si par une telle communication juridiquement non contraignante à l’égard des États membres, la Commission ne saurait inverser, au détriment de ceux-ci, la charge de la preuve de l’existence d’une aide d’État, il n’en demeure pas moins qu’il lui est loisible de préciser, dans une telle communication, les informations pertinentes, notamment d’ordre économique, qui sont susceptibles d’exclure à suffisance la présence d’une aide d’État et que l’État membre est normalement en mesure de fournir, au motif qu’elles relèvent de sa sphère de connaissance et de responsabilité.
Par conséquent, dans la mesure où il ressortait clairement du dossier de l’affaire que les autorités grecques n’avaient pas fourni de telles informations et que la Commission avait fondé son constat sur des éléments de preuve précis, le Tribunal conclut que, au moment de l’adoption de la décision litigieuse, la Commission disposait de suffisamment d’éléments fiables et cohérents pour considérer que la prime de garantie n’était pas conforme à un prix de marché et, dès lors, que la garantie constituait un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
Au regard de ces considérations, le Tribunal rejette le recours, tout en estimant qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si Larko était une entreprise en difficulté lors de l’octroi de la garantie.
{1} Décision 2014/539/UE de la Commission, du 27 mars 2014, concernant l'aide d'État SA.34572 (13/C) (ex 13/NN) accordée par la Grèce à Larco General Mining & Metallurgical Company SA [notifiée sous le numéro C(2014) 1818] (JO 2014, L 254, p. 24), ci-après la « décision litigieuse ».
{2} Communication de la Commission sur l’application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides d’État sous forme de garantie (JO 2008, C 155, p. 10).
{3} Point 3.2, sous a) et d), de ladite communication.
{4} Arrêt du 1er février 2018, Larko/Commission, T 423/14, EU:T:2018:57.
{5} Arrêt du 26 mars 2020, Larko/Commission, C 244/18 P, EU:C:2020:238, ci-après l’« arrêt sur pourvoi ».
Arrêt du 4 mai 2022, Larko / Commission (T-423/14 RENV) (cf. points 33, 34)
Statuant en formation élargie, le Tribunal rejette comme étant non fondé le recours en indemnité introduit par International Management Group (IMG) et tendant à la réparation du préjudice qu’il aurait subi du fait de la décision de la Commission européenne du 8 mai 2015 de ne plus conclure avec lui de nouvelle convention de délégation selon le mode de la gestion indirecte prévu par la réglementation financière de l’Union européenne{1}, alors en vigueur, au bénéfice des organisations internationales, jusqu’à ce que son statut juridique soit définitivement clarifié (ci-après la « décision du 8 mai 2015 »). Par son arrêt, le Tribunal reconnaît, pour la première fois, la possibilité pour une organisation internationale se heurtant à un refus illégal de la Commission de conclure une convention de gestion de délégation du budget de l’Union selon le mode de la gestion indirecte, de solliciter l’indemnisation de la perte de chance de conclure une telle convention.
Le requérant, International Management Group (IMG), a été créé le 25 novembre 1994 dans le but de permettre aux États et aux organisations internationales participant à la reconstruction de la Bosnie-Herzégovine de disposer à cette fin d’une entité dédiée.
Le 7 novembre 2013, la Commission a adopté la décision d’exécution, relative au programme d’action annuel pour 2013 en faveur du Myanmar/de la Birmanie{2} à financer sur le budget général de l’Union, sur le fondement du règlement no 966/2012{3}. Cette décision prévoyait, notamment, un programme de développement du commerce dont le coût devait être financé par l’Union et dont la mise en œuvre devait être assurée en gestion conjointe avec le requérant.
Le 17 février 2014, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a informé la Commission de l’ouverture d’une enquête sur le statut du requérant. Dans son rapport final, l’OLAF a considéré, en substance, que le requérant ne constituait pas une organisation internationale, au sens des règlements no 1605/2002{4} et no 966/2012.
Enfin, la Commission a adopté la décision du 8 mai 2015 par laquelle elle a décidé que, jusqu’à ce qu’il y ait une certitude absolue quant au statut d’organisation internationale du requérant, ses services ne concluraient plus avec lui de nouvelle convention de délégation selon le mode de la gestion indirecte prévu par le règlement no 966/2012.
Le requérant a introduit un recours devant le Tribunal, visant à l’annulation de la décision du 8 mai 2015 et à la réparation des dommages causés par celle-ci. À la suite du rejet de ce recours, par l’arrêt du 2 février 2017, IMG/Commission{5}, le requérant a formé un pourvoi devant la Cour. Par un arrêt du 31 janvier 2019, International Management Group/Commission{6}, la Cour a annulé cet arrêt du Tribunal ainsi que la décision du 8 mai 2015 de la Commission et a renvoyé l’affaire T 381/15 devant le Tribunal pour qu’il soit statué sur la demande de réparation du requérant relative aux dommages prétendument causés par cette décision.
Par un arrêt du 9 septembre 2020, IMG/Commission{7}, le Tribunal a rejeté la demande de réparation du requérant. Celui-ci a formé un pourvoi devant la Cour.
Le 8 juin 2021, la Commission a adopté une décision refusant de reconnaître au requérant, avec effet rétroactif au 16 décembre 2014{8}, le statut d’organisation internationale prévu par la réglementation financière de l’Union pour la mise en œuvre des fonds de l’Union selon le mode de la gestion indirecte (ci-après la « décision du 8 juin 2021 »).
Par un arrêt du 22 septembre 2022, IMG/Commission{9}, la Cour a annulé partiellement l’arrêt initial et a renvoyé l’affaire T 381/15 RENV devant le Tribunal pour qu’il soit statué sur la demande du requérant tendant à la réparation du préjudice matériel prétendument causé par la décision du 8 mai 2015.
Appréciation du Tribunal
À titre liminaire, le Tribunal rappelle que, à la suite de l’annulation d’une décision du Tribunal par la Cour et du renvoi de l’affaire devant le Tribunal, celui-ci est saisi par l’arrêt de la Cour{10} et doit se prononcer sur l’ensemble des conclusions présentées par la partie requérante, à l’exclusion de celles auxquelles répondent les éléments du dispositif de la décision initiale du Tribunal qui n’ont pas été annulés par la Cour ainsi que les motifs qui constituent le fondement nécessaire desdits éléments, ceux-ci étant passés en force de chose jugée{11}.
D’emblée, le Tribunal rappelle que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre la violation de l’obligation qui incombe à l’auteur de l’acte et le dommage subi par les personnes lésées.
En premier lieu, s’agissant de la condition tenant à l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, le Tribunal précise que la Commission jouit d’un large pouvoir d’appréciation lorsqu’elle exerce la responsabilité, qui lui incombe, d’exécuter le budget de l’Union selon le mode de la gestion indirecte, qui permet à cette institution de confier des tâches d’exécution budgétaire à des organisations internationales{12}. Par ailleurs, le Tribunal souligne également que l’obligation de diligence, qui est inhérente au principe de bonne administration{13} et qui s’applique, de manière générale, à l’action de l’administration de l’Union dans ses relations avec le public, impose aux institutions de l’Union d’agir avec soin et prudence en examinant tous les éléments pertinents du cas d’espèce.
Or, en l’espèce, il résulte de l’arrêt sur pourvoi{14} que la Cour a constaté l’existence d’une violation suffisamment caractérisée de l’obligation de diligence qui pesait sur la Commission lors de l’adoption de la décision du 8 mai 2015. Par conséquent, le Tribunal constate que la Commission a, en adoptant la décision du 8 mai 2015, méconnu l’obligation de diligence qui lui incombait et, ce faisant, commis une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union de nature à engager sa responsabilité.
En second lieu, tout préjudice dont il est demandé réparation dans le cadre d’un recours en responsabilité non contractuelle de l’Union au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, doit être réel et certain. En outre, afin que la responsabilité non contractuelle de l’Union soit susceptible d’être engagée, le préjudice doit découler de façon suffisamment directe du comportement illégal des institutions.
En toute circonstance, il incombe à la partie mettant en cause la responsabilité non contractuelle de l’Union d’apporter des preuves concluantes tant de l’existence que de l’étendue du préjudice qu’elle invoque ainsi que de l’existence d’un lien suffisamment direct de cause à effet entre le comportement de l’institution en question et le dommage allégué. En outre, l’existence d’un préjudice réel et certain ne saurait être envisagée de manière abstraite par le juge de l’Union, mais doit être appréciée en fonction des circonstances de fait précises qui caractérisent chaque espèce soumise à ce dernier.
En particulier, le Tribunal constate que, lorsque la Commission refuse, de manière illégale, de conclure une convention de délégation selon le mode de la gestion indirecte avec une organisation internationale, il est possible que l’organisation concernée subisse, de ce fait, un préjudice correspondant à l’occasion perdue d’obtenir l’attribution de cette délégation. Or, l’exclusion totale, au titre du dommage réparable, de la perte de chance de conclure une convention de délégation selon le mode de la gestion indirecte ne saurait être admise en cas de violation du droit de l’Union, dès lors que, s’agissant spécialement d’un litige d’ordre économique, une telle exclusion totale de cette perte de chance serait de nature à rendre en fait impossible la réparation du dommage.
Ainsi, il résulte des considérations qui précèdent que, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, lorsque la Commission refuse, de manière illégale, de conclure une convention de délégation selon le mode de la gestion indirecte avec une organisation internationale, l’organisation concernée peut solliciter l’indemnisation du préjudice correspondant non pas à la compensation financière des coûts indirects qu’aurait emportés la mise en œuvre d’une telle convention, mais à la perte de chance d’obtenir une telle compensation.
À cet égard, s’agissant, premièrement, de la question de l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct entre l’illégalité entachant la décision du 8 mai 2015 et la perte de chance invoquée par le requérant, le Tribunal rappelle que cette illégalité consiste en la violation de l’obligation de diligence qui pesait sur la Commission dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation. Or, l’illégalité résultant, lors de l’adoption d’une décision par une institution de l’Union, de la violation de l’obligation de diligence n’affecte pas nécessairement le bien-fondé de la décision concernée. Tel est le cas de l’illégalité affectant la décision du 8 mai 2015.
En effet, il résulte de l’arrêt sur pourvoi{15} que le constat de l’illégalité entachant la décision du 8 mai 2015 n’emportait aucune obligation pour la Commission de reconnaître au requérant le statut d’organisation internationale qu’il revendiquait, alors que cette reconnaissance constituait, aux termes de la réglementation financière de l’Union et dans le cas du requérant, une condition obligatoire pour qu’il puisse poursuivre l’exécution du budget de l’Union selon le mode de la gestion indirecte et, partant, pour que le Tribunal soit en mesure de constater, dans le cadre de la présente action indemnitaire, qu’il justifie d’une perte de chance de conclure de nouvelles conventions de gestion selon ce mode avec la Commission.
Par conséquent, la violation de l’obligation de diligence entachant la décision du 8 mai 2015 ne saurait être regardée comme étant la cause directe et certaine du préjudice financier qu’il invoque, à savoir la perte de chance de conclure, après cette date, en qualité d’organisation internationale, de nouvelles conventions de délégation de gestion du budget de l’Union selon le mode de la gestion indirecte et de percevoir les sommes prévues au titre de la compensation des coûts indirects.
S’agissant, deuxièmement, de la question de savoir si le préjudice invoqué par le requérant revêt un caractère réel et certain, il ressort de la décision du 8 juin 2021, dont le Tribunal a confirmé la légalité par un arrêt du 4 septembre 2024, IMG/Commission{16}, en rejetant comme étant non fondé le recours en annulation introduit par le requérant et dirigé contre cette décision, que celui-ci ne peut revendiquer le statut d’organisation internationale depuis le 16 décembre 2014.
Ainsi, dès lors que, conformément à la décision du 8 juin 2021, le requérant ne satisfaisait pas, à la date d’adoption de la décision du 8 mai 2015 et postérieurement, à la condition de détention du statut d’organisation internationale prévue par la réglementation financière de l’Union, il ne disposait pas de la moindre chance de poursuivre l’exécution du budget de l’Union selon le mode de la gestion indirecte et de percevoir, par voie de conséquence, les sommes prévues au titre de la compensation des coûts indirects.
Eu égard aux considérations qui précèdent, la présente action indemnitaire, qui est fondée sur la prémisse selon laquelle le requérant constituait une organisation internationale au sens de la réglementation financière de l’Union et, à ce titre, disposait d’une chance sérieuse de poursuivre l’exécution du budget de l’Union selon le mode de la gestion indirecte, ne saurait prospérer.
L’annulation d’une décision par le juge de l’Union n’implique pas un droit à indemnisation du préjudice financier invoqué par le destinataire de cette décision, si, postérieurement à l’arrêt d’annulation, l’institution concernée adopte une décision rétroactive dont le dispositif est identique et si le juge de l’Union considère que le dispositif de cette nouvelle décision est légal.
{1} Règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1).
{2} Décision d’exécution C(2013) 7682 final.
{3} Article 84 du règlement no 966/2012
{4} Règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 248, p. 1).
{5} Arrêt du 2 février 2017, IMG/Commission (T 381/15, non publié, EU:T:2017:57).
{6} Arrêt du 31 janvier 2019, International Management Group/Commission (C 183/17 P et C 184/17 P, EU:C:2019:78).
{7} Arrêt du 9 septembre 2020, IMG/Commission (T 381/15 RENV, ci-après l’« arrêt initial », EU:T:2020:406).
{8} À cette date, le 16 décembre 2014, la Commission a décidé de confier la mise en œuvre, en gestion indirecte, du programme de développement du commerce prévu par la décision d’exécution susmentionnée, à une autre organisation que le requérant.
{9} Arrêt du 22 septembre 2022, IMG/Commission (C 619/20 P et C 620/20 P, ci-après l’« arrêt sur pourvoi », EU:C:2022:722).
{10} En application de l’article 215 du règlement de procédure du Tribunal.
{11} En vertu de l’article 61, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, en cas de renvoi, le Tribunal est lié par les points de droit tranchés par la décision de la Cour.
{12} Conformément à l’article 58, paragraphe 1, sous c), du règlement no 966/2012 et à l’article 62 du règlement financier (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1).
{13} Consacré à l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
{14} Points 189 à 194 de l’arrêt sur pourvoi.
{15} En particulier, les points 113 et 156 de l’arrêt sur pourvoi.
{16} Arrêt du 4 septembre 2024, IMG/Commission (T 509/21, EU:C:2024:xxx).
Arrêt du 4 septembre 2024, IMG / Commission (T-381/15 RENV II) (cf. points 27, 28)
Saisi sur renvoi, le Tribunal rejette dans son intégralité le recours formé par la société Nord Stream 2 AG contre la directive (UE) 2019/692{1} modifiant la directive 2009/73 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel. Ce faisant, il écarte la thèse centrale de Nord Stream 2 selon laquelle, en substance, la directive attaquée était spécifiquement dirigée contre elle, en violation notamment du principe de sécurité juridique, du principe d’égalité de traitement et du principe de proportionnalité.
Nord Stream 2 est une société de droit suisse dont l’actionnaire unique est la société publique russe par actions Gazprom. Elle a été chargée de la planification, de la construction et de l’exploitation du gazoduc marin Nord Stream 2, destiné à assurer l’acheminement du gaz entre Oust-Louga (Russie) et Lubmin (Allemagne).
Le 17 avril 2019, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté la directive attaquée, qui est entrée en vigueur le 23 mai 2019. Elle vise à garantir que les règles prévues par la directive 2009/73 pour les conduites de transport de gaz reliant deux États membres ou plus sont également applicables, au sein de l’Union européenne, aux conduites de transport de gaz à destination et en provenance de pays tiers, telles que le gazoduc Nord Stream 2.
Dans ce contexte, l’article 49 bis, paragraphe 1, de la directive 2009/73, telle que modifiée, (ci-après l’« article 49 bis ») prévoit néanmoins que les gazoducs entre un État membre et un pays tiers achevés avant le 23 mai 2019 peuvent se voir octroyer une dérogation aux obligations prévues par ladite directive (ci-après la « dérogation litigieuse »). En outre, l’article 36, tel que modifié, prévoit que les nouvelles infrastructures gazières peuvent bénéficier d’une exemption à certaines conditions (ci-après l’« exemption litigieuse »). Cependant, le gazoduc Nord Stream 2 ne peut bénéficier ni de la dérogation ni de l’exemption précitées.
Par ordonnance du 20 mai 2020{2}, le Tribunal a rejeté comme irrecevable le recours tendant à l’annulation de la directive attaquée introduit par Nord Stream 2. Saisie d’un pourvoi formé par cette dernière, la Cour a annulé l’ordonnance du Tribunal{3}, déclaré le recours partiellement recevable et renvoyé l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur le fond.
Au vu des conclusions de Nord Stream 2, telles que précisées lors de l’audience, le Tribunal a considéré que le recours était recevable en ce qu’il visait l’annulation de l’article 1er, point 9, de la directive attaquée, qui a inséré un article 49 bis dans la directive 2009/73.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal juge que la circonstance que Nord Stream 2 ne pouvait bénéficier ni de l’exemption litigieuse ni de la dérogation litigieuse à la date d’adoption de la directive attaquée n’est pas susceptible de démontrer que le législateur de l’Union a méconnu le principe de sécurité juridique et son corollaire, le principe de protection de la confiance légitime.
À cet égard, le Tribunal rappelle que le respect desdits principes doit être examiné au regard des connaissances qu’un opérateur économique avisé et averti pouvait raisonnablement avoir quant à l’évolution du cadre juridique et des conséquences qu’il devait en tirer pour définir son comportement. Ce respect doit également être examiné au regard des circonstances qui ont entouré cette évolution et, notamment, du comportement des institutions compétentes.
Or, s’agissant de l’impossibilité de bénéficier de l’exemption litigieuse, le Tribunal constate que Nord Stream 2 a décidé d’investir dans un contexte caractérisé de longue date par une volonté ferme et répétée, notamment de plusieurs États membres, du Parlement et de la Commission, de soumettre les gazoducs entre un État membre et un pays tiers, en général, et le gazoduc Nord Stream 2, en particulier, aux obligations prévues par la directive 2009/73.
Qui plus est, Nord Stream 2 a poursuivi ses investissements sans interruption après que cette volonté s’est concrétisée au moyen de propositions présentées par la Commission et malgré le fait qu’elle pouvait donc raisonnablement prévoir une telle application de la directive 2009/73. De plus, elle n’a pas démontré qu’elle s’était trouvée dans l’impossibilité de s’adapter afin de pouvoir bénéficier de l’exemption litigieuse lors de l’entrée en vigueur de la directive attaquée.
Par conséquent, la circonstance que Nord Stream 2 ne pouvait pas bénéficier de cette exemption n’obligeait pas le législateur de l’Union à adapter le champ d’application de l’article 49 bis à la situation particulière de cette dernière afin qu’elle bénéficie de la dérogation litigieuse.
Quant à la circonstance que Nord Stream 2 ne pouvait pas bénéficier de la dérogation litigieuse dès lors que la construction de son gazoduc n’a été achevée qu’après le 23 mai 2019, le Tribunal relève tout d’abord que le critère de l’achèvement du gazoduc avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée figurait déjà dans la proposition de directive et que Nord Stream 2 était en mesure de prévoir que son gazoduc ne serait pas achevé à cette date.
Le Tribunal ajoute que ce critère est conforme au principe de sécurité juridique et au principe de protection de la confiance légitime, dans la mesure où il est clair, précis et objectif et qu’il reflète le principe selon lequel une règle de droit nouvelle s’applique à compter de l’entrée en vigueur de l’acte qui l’instaure. Ce critère objectif démontre, en outre, que le législateur a tenu compte de la situation particulière des gazoducs achevés.
Par ailleurs, Nord Stream 2 a disposé d’un délai supplémentaire pour modifier les modalités envisagées d’exploitation de son gazoduc, étant donné que le délai de transposition de la directive attaquée avait été fixé à dix mois après son adoption. De surcroît, l’impossibilité de bénéficier de la dérogation litigieuse ne l’empêche pas d’exploiter son gazoduc d’une manière économiquement acceptable.
En deuxième lieu, le Tribunal rejette le moyen de Nord Stream 2 tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement dans la mesure où l’article 49 bis entraînerait une différence de traitement injustifiée entre des situations comparables.
À cet égard, il constate que les gazoducs achevés au 23 mai 2019, d’une part, et les gazoducs non achevés à cette date, et notamment ceux en cours de construction comme le gazoduc Nord Stream 2, d’autre part, ne se trouvent pas dans une situation comparable. En effet, un gazoduc en service à ladite date a nécessairement donné lieu à un investissement préalable auquel il n’est plus possible de renoncer, et aura commencé à être exploité dans le cadre d’un régime juridique qui ne prévoyait pas l’application, à sa situation, des obligations prévues par la directive 2009/73.
En revanche, un investisseur dans un gazoduc qui n’était pas achevé à la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée pouvait avoir engagé des dépenses de plus faible importance ou disposer de possibilités accrues d’adapter son investissement. En outre, même si le gazoduc en question pouvait avoir donné lieu à des investissements importants et à des travaux de construction, ceux-ci pouvaient avoir été décidés en connaissance de cause, dans un contexte prévisible de modification de la réglementation applicable, comme dans le cas de Nord Stream 2. Enfin, un investisseur dans un tel gazoduc a le temps de s’ajuster aux changements législatifs prévus par la directive attaquée, étant donné qu’il en a été informé de nombreux mois à l’avance et que les États membres ont disposé d’un délai de transposition.
Le Tribunal précise que la situation des deux catégories de gazoducs susvisées est différente à la lumière non seulement de l’objet de l’article 49 bis, mais également des objectifs de la directive attaquée ainsi que des principes et objectifs de la politique de l’Union dans le domaine de l’énergie.
En effet, l’incidence d’un gazoduc déjà achevé sur le fonctionnement du marché intérieur peut être évaluée ex post, sur la base de l’expérience acquise lors de l’exploitation du gazoduc en cause. De plus, l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 à de tels gazoducs risque de perturber les capacités et les flux de l’approvisionnement, ce qui justifie un examen rapide de leur situation au regard des conditions prévues à l’article 49 bis.
Cependant, en présence d’un gazoduc qui n’est pas achevé à la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée, l’évaluation de son incidence sur le marché intérieur et la sécurité de l’approvisionnement peut uniquement être prospective et exige des appréciations plus approfondies et complexes. En outre, un tel gazoduc n’étant pas capable d’être exploité, l’application de la directive attaquée à celui-ci ne présente pas de risque de perturbation des flux de l’approvisionnement.
Au vu de ce qui précède, l’article 49 bis aboutit à traiter de manière différente des situations différentes.
Le Tribunal ajoute que, même si l’article 49 bis entraînait une différence de traitement entre des situations comparables, celle-ci serait justifiée. En ce sens, il relève, premièrement que le critère de l’achèvement avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée, prévu par cet article, est objectif et raisonnable. Deuxièmement, l’éventuelle différence de traitement résultant de ce critère est apte à réaliser l’objectif, poursuivi par cet article, de tenir compte de l’absence de règles applicables aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée. Il permet effectivement à la fois aux propriétaires de gazoducs et aux États membres d’apprécier aisément si un gazoduc entre ou non dans le champ d’application de l’article 49 bis. Troisièmement, l’éventuelle différence de traitement résultant du critère susvisé ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi par cet article, dès lors notamment que l’importance de cet objectif justifie les contraintes supportées par des investisseurs tels que Nord Stream 2 du fait de l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 à un gazoduc non achevé avant le 23 mai 2019.
En troisième lieu, le Tribunal estime que Nord Stream 2 n’a pas démontré que l’extension du champ d’application des obligations prévues par la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers méconnaît le principe de proportionnalité.
Le Tribunal note, tout d’abord, que la directive attaquée est apte à réaliser les objectifs de sécurité juridique et de cohérence du cadre juridique qu’elle poursuit essentiellement, en ce qu’elle étend le champ d’application de la directive 2009/73 et donc des obligations que cette dernière prévoit. La circonstance que Nord Stream 2 serait la seule à ne pouvoir bénéficier ni de l’exemption litigieuse ni de la dérogation litigieuse est sans incidence sur ce constat.
Ensuite, le Tribunal souligne que l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers, en général, et au gazoduc Nord Stream 2, en particulier, est également apte à réaliser l’objectif d’achèvement du marché intérieur du gaz naturel en évitant les distorsions de concurrence et les effets négatifs sur la sécurité de l’approvisionnement. En effet, la directive 2009/73 prévoit notamment une obligation de dissociation (unbundling) du réseau de transport et du gestionnaire de réseau de transport, une obligation d’accès des tiers au réseau ainsi que d’autres obligations portant en particulier sur la transparence tarifaire et non tarifaire. Or, compte tenu de leur objet, le fait que ces obligations s’appliquent uniquement à un tronçon des gazoducs entre un État membre et un pays tiers n’affecte aucunement leur aptitude à réaliser l’objectif susvisé.
De même, la circonstance que la directive attaquée s’applique uniquement à une fraction de la capacité d’importation des pays tiers, à savoir la capacité du gazoduc Nord Stream 2, n’est pas susceptible de remettre en cause cette aptitude. En effet, le projet de gazoduc Nord Stream 2 a été lancé dans un contexte particulier, dans lequel de nombreux États membres avaient été confrontés à des pénuries de gaz en raison de différends impliquant la Fédération de Russie. De plus, la directive attaquée s’applique à l’ensemble des gazoducs existants et futurs, terrestres ou en mer. Enfin, elle a été adoptée dans un contexte dans lequel de nombreux gazoducs achevés entre un État membre et un pays tiers étaient déjà soumis aux obligations prévues par la directive 2009/73, de sorte qu’elle accroît la capacité d’importation des pays tiers couverte par les obligations prévues par cette dernière, et ce même si le gazoduc Nord Stream 2 est le seul à ne pas pouvoir bénéficier d’une exemption ou d’une dérogation.
Enfin, le Tribunal juge que la directive attaquée ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ses objectifs.
Nord Stream 2 n’a notamment démontré ni que la directive attaquée lui impose des obligations qui ne sont pas nécessaires au regard de l’objectif d’achèvement du marché intérieur ni que les inconvénients, pour elle ou pour l’Union et ses États membres, résultant de l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 sont manifestement démesurés par rapport à l’importance des objectifs poursuivis et des avantages tirés par l’Union de ces obligations. En ce sens, le fait que Nord Stream 2 ne puisse pas exploiter son gazoduc comme elle l’avait initialement envisagé ne démontre pas que la directive attaquée lui impose des contraintes démesurées. Par ailleurs, elle n’a pas démontré les conséquences financières liées à l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 à son gazoduc, gazoduc qu’elle peut continuer d’exploiter de manière économiquement acceptable.
En quatrième lieu, le Tribunal écarte le moyen de Nord Stream 2 tiré d’un détournement de pouvoir. Il rappelle, tout d’abord, que la base juridique de la directive attaquée, que celle-ci ne conteste pas, est l’article 194 TFUE. Or, la seule circonstance que cette directive affecte négativement le gazoduc Nord Stream 2 ne suffit pas à démontrer que le législateur voulait poursuivre un objectif différent de ceux visés à l’article 194, paragraphe 1, TFUE.
En outre, Nord Stream 2 n’a pas démontré que la directive attaquée a été adoptée afin de poursuivre des objectifs autres que ceux mentionnés dans ladite directive, qui vise bien à remédier à des problèmes plus larges que ceux liés à son projet de gazoduc, à savoir, notamment, l’existence d’obstacles à l’achèvement du marché intérieur du gaz naturel.
Par ailleurs, Nord Stream 2 n’est pas davantage fondée à faire valoir que la directive attaquée a pour objet de contourner les difficultés juridiques posées par la demande de mandat adressée par la Commission au Conseil en vue de négocier un accord international avec la Fédération de Russie au sujet du gazoduc Nord Stream 2. En effet, la directive attaquée et la négociation d’un tel accord sont des instruments complémentaires et non substituables.
Le dernier moyen de Nord Stream 2, tiré d’une violation des formes substantielles, n’étant pas non plus retenu, le Tribunal rejette le recours dans son intégralité.
{1} Directive (UE) 2019/692 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, modifiant la directive 2009/73/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (JO 2019, L 117, p. 1, ci-après la « directive attaquée »).
{2} Ordonnance du 20 mai 2020, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (T 526/19, EU:T:2020:210).
{3} Arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C 348/20 P, EU:C:2022:548).
Arrêt du 27 novembre 2024, Nord Stream 2 / Parlement et Conseil (T-526/19 RENV) (cf. points 27-29)
Arrêt du 12 septembre 2017, Laufen Austria / Commission (T-411/10 RENV) (cf. point 35)
Arrêt du 8 mars 2018, Rose Vision / Commission (T-45/13 RENV et T-587/15) (cf. point 45)
Ordonnance du 11 septembre 2019, Haswani / Conseil (T-231/15 RENV) (cf. points 32-34)
Arrêt du 14 avril 2021, RQ / Commission (T-29/17 RENV) (cf. point 31)
Arrêt du 7 juillet 2021, HM / Commission (T-587/16 RENV) (cf. point 38)
Arrêt du 21 décembre 2022, Vialto Consulting / Commission (T-617/17 RENV) (cf. point 38)
Arrêt du 25 janvier 2023, GEA Group / Commission (T-640/16 RENV) (cf. points 49, 50, 52, 54)
24. Procédure juridictionnelle - Saisine du Tribunal sur la base d'une clause compromissoire - Contrat de fourniture d'électricité à des immeubles d'une institution de l'Union prévoyant le paiement d'un droit par cette dernière - Constatation par la Cour de l'existence d'un manquement de la part de l'État membre concerné du fait de son refus d'accorder aux institutions de l'Union l'exonération dudit droit - Application par le juge de l'Union, à l'égard de l'institution concernée, de dispositions nationales prévoyant l'obligation de s'acquitter du droit - Exclusion - Respect de l'autorité de la chose jugée s'attachant à l'arrêt de la Cour
S’agissant d’un contrat signé par une institution de l’Union portant sur la fourniture d’électricité pour ses immeubles dans une région d’un État membre et prévoyant le paiement d’un droit au fournisseur, l’autorité de la chose jugée s’attachant à un arrêt de la Cour constatant le manquement de l’État membre concerné pour ne pas avoir prévu d’exonération de ce droit au bénéfice des institutions de l’Union s’impose au Tribunal dans son office de juge du contrat lorsqu’il est saisi, sur le fondement d’une clause compromissoire, de l’application des dispositions sur lesquelles a porté l’arrêt de la Cour.
Ordonnance du 13 septembre 2016, EDF Luminus / Parlement (T-384/15) (cf. points 43-45)
25. Procédure juridictionnelle - Autorité de la chose jugée - Portée - Ordonnance du Tribunal rayant une affaire du registre à la suite du désistement du requérant - Possibilité pour le requérant d'introduire un second recours ayant le même objet - Absence d'autorité de la chose jugée
Arrêt du 29 novembre 2016, ANKO / REA (T-270/15) (cf. point 48)
26. Procédure juridictionnelle - Autorité de la chose jugée - Portée - Irrecevabilité d'un second recours - Conditions - Identité de parties, d'objet et de cause des deux recours
Ordonnance du 16 février 2017, Walton / Commission (T-594/16) (cf. points 30-32, 34)
Ordonnance du 13 décembre 2018, EDF / Commission (C-221/18 P) (cf. point 25)
Arrêt du 6 juin 2019, Dalli / Commission (T-399/17) (cf. points 27-30, 33, 34)
27. Procédure juridictionnelle - Autorité de la chose jugée - Portée - Arrêt de la Cour portant sur la validité d'un acte de l'Union - Arrêt ultérieur de la Cour précisant la portée exacte du premier arrêt - Respect de l'autorité de la chose jugée s'attachant au premier arrêt de la Cour
En vertu de l’autorité de la chose jugée dont sont investies les décisions de la Cour portant sur la validité d’un acte de l’Union, ces décisions déploient leurs pleins et entiers effets nonobstant les éventuelles divergences d’interprétation qu’elles sont susceptibles d’engendrer.
Ainsi, même lorsque d'éventuelles incertitudes liées à la portée exacte d’un arrêt de la Cour n’ont été définitivement levées que grâce aux éclaircissements apportés dans un autre arrêt de la Cour, il n’en demeure pas moins que ce premier arrêt doit être réputé avoir eu, dès son prononcé, la portée telle que précisée aux termes de ce second arrêt.
Par ailleurs, l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par une décision juridictionnelle.
Arrêt du 13 septembre 2017, Pappalardo e.a. / Commission (C-350/16 P) (cf. points 34, 35, 37)
28. Procédure juridictionnelle - Arrêt de la Cour liant le Tribunal - Conditions - Renvoi consécutif à un pourvoi - Points de droit définitivement tranchés par la Cour dans le cadre du pourvoi - Obligation de motivation du Tribunal
29. Procédure juridictionnelle - Arrêt de la Cour liant le Tribunal - Conditions - Renvoi consécutif à un pourvoi - Points de droit définitivement tranchés par la Cour dans le cadre du pourvoi - Obligation du Tribunal de tirer les conséquences des considérations de droit énoncées par la Cour
Ordonnance du 7 décembre 2017, Eurallumina / Commission (C-323/16 P) (cf. points 74-77)
Ordonnance du 7 décembre 2017, Aughinish Alumina / Commission (C-373/16 P) (cf. points 41-44)
30. Recours en annulation - Arrêt d'annulation - Autorité absolue de la chose jugée - Portée - Prise en compte tant de la motivation que du dispositif - Obligation d'adopter des mesures d'exécution - Décision ne devant pas nécessairement reprendre les mêmes motifs que ceux figurant dans l'acte annulé
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 31 mai 2018, Kaddour / Conseil (T-461/16) (cf. points 67, 68)
31. Procédure juridictionnelle - Autorité de la chose jugée - Portée - Arrêt préjudiciel de la Cour portant sur la validité d'un acte du droit de l'Union - Recours en annulation présentant des moyens et arguments similaires à ceux invoqués dans l'affaire préjudicielle - Absence d'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la Cour - Répartition des compétences entre la Cour et le Tribunal - Remise en cause par le Tribunal des points de droit tranchés par la Cour
Arrêt du 13 septembre 2018, NK Rosneft e.a. / Conseil (T-715/14) (cf. points 96-100)
Arrêt du 21 décembre 2022, Vialto Consulting / Commission (T-537/18) (cf. point 77)
32. Procédure - Autorité de la chose jugée - Décisions du juge de l'Union se prononçant sur la désignation d'un requérant sur une liste de personnes visées par des mesures restrictives - Portée
La légalité de la désignation initiale ou de la prorogation de la désignation d'un requérant sur une liste de personnes visées par des mesures restrictives, déjà contestées dans des recours antérieurs, ne saurait être remise en cause en soumettant au Tribunal des questions déjà tranchées par des décisions du juge de l’Union européenne, une telle contestation se heurtant à l’autorité relative de la chose jugée, qui s’attache non seulement au dispositif desdites décisions, mais aussi aux motifs qui en constituent le support nécessaire.
Arrêt du 27 septembre 2018, Ezz e.a. / Conseil (T-288/15) (cf. point 52)
33. Recours en annulation - Arrêt d'annulation - Portée - Autorité absolue de la chose jugée - Portée - Prise en considération tant de la motivation que du dispositif - Absence d'effets erga omnes des arrêts d'annulation
Arrêt du 8 mai 2019, Lucchini / Commission (T-185/18) (cf. points 35, 36)
34. Procédure juridictionnelle - Autorité de la chose jugée - Portée - Limites
Arrêt du 15 mai 2019, CJ / ECDC (C-170/18 P) (cf. points 49-55)
Ordonnance du 4 décembre 2019, Pologne / Commission (C-181/18 P) (cf. point 35)
Ordonnance du 20 janvier 2021, CCPL e.a. / Commission (C-706/19 P) (cf. points 23-26)
35. Procédure juridictionnelle - Autorité de la chose jugée - Portée - Arrêt du Tribunal de la fonction publique annulé sur pourvoi devant le Tribunal et renvoyé de nouveau devant ce dernier après la dissolution du Tribunal de la fonction publique
Arrêt du 28 mai 2020, Cerafogli / BCE (T-483/16 RENV) (cf. points 59, 62)
36. Procédure juridictionnelle - Autorité de la chose jugée - Portée - Arrêt préjudiciel de la Cour portant sur la validité d'un acte du droit de l'Union - Recours en annulation présentant des moyens et arguments similaires à ceux invoqués dans l'affaire préjudicielle, mais n'opposant pas les mêmes parties - Absence d'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la Cour
Arrêt du 17 septembre 2020, Rosneft e.a / Conseil (C-732/18 P) (cf. points 51-56)
37. Procédure juridictionnelle - Autorité de la chose jugée - Décisions du juge de l'Union se prononçant sur la désignation d'un requérant sur une liste de personnes visées par des mesures restrictives - Éléments de preuve préalablement pris en compte par le juge de l'Union - Portée
Le requérant, M. Khaled Kaddour, est un homme d’affaires de nationalité syrienne qui développe une activité commerciale, notamment, dans le domaine des télécommunications et du pétrole en Syrie.
Le nom du requérant, qui avait été initialement inscrit sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil en 2011{1}, y a été réinscrit en 2015 et maintenu depuis{2}, du fait de ses activités commerciales , lesquelles lui permettaient de tirer avantage du régime syrien et de le soutenir, et du fait de relations d’affaires avec M. Maher Al-Assad, frère du président, M. Bachar Al Assad. Ces motifs s’appuyaient, d’une part, sur le critère d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie , défini à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255{3} et à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), du règlement nº 36/2012{4}, et, d’autre part, sur le critère d’association avec le régime syrien défini à l’article 28, paragraphe 1, de ladite décision et à l’article 15, paragraphe 1, sous a), dudit règlement. Le requérant contestait, pour sa part, être un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, qui aurait entretenu des relations commerciales avec M. Maher Al-Assad, et tirer avantage du régime syrien du fait de ses activités, ou apporter un soutien à celui-ci.
Dans son arrêt du 23 septembre 2020, le Tribunal a rejeté le recours en annulation du requérant à l’encontre de la décision d’exécution 2018/778{5} et du règlement d’exécution 2018/774{6}, par lesquels le nom du requérant avait été maintenu sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives.
Tout en précisant que la multiplicité des catégories de personnes définies par l’article 28 de la décision 2013/255 n’empêche pas qu’une personne puisse appartenir à plusieurs catégories en même temps et donc relever de différents critères retenus par ledit article 28, le Tribunal a tout d’abord rappelé que le critère de « bénéfice tiré du régime syrien et de soutien apporté à celui-ci », celui relatif aux liens étroits avec le régime, prévus à l’article 28, paragraphe 1, de cette décision et celui de « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie », prévu au paragraphe 2 du même article, constituent des critères juridiques autonomes se distinguant les uns des autres. Concernant ce dernier critère, le Tribunal a rappelé qu’il était également objectif et suffisant de sorte qu’être une femme ou un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie suffit pour l’application des mesures en cause, sans que le Conseil n’ait à préciser que la personne en question bénéficie du régime syrien ou qu’elle le soutient. Le Tribunal a considéré à cet égard que si le Conseil précisait ce point, c’est qu’il avait également entendu appliquer à la personne concernée le critère prévu à l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, relatif au bénéfice tiré du régime syrien et de soutien apporté à celui-ci, lequel implique alors de démontrer, au moyen d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants, comment ladite personne soutient ou tire avantage du régime syrien. Le Tribunal en a conclu que l’inscription du nom du requérant reposait bien sur trois motifs d’inscription différents.
Le requérant alléguait, par ailleurs, une erreur d’appréciation quant à la pertinence des éléments de preuve soumis par le Conseil. Le Tribunal a rappelé à cet égard que pour justifier le maintien du nom d’une personne sur les listes en cause, il n’était pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié précédemment l’inscription ou le maintien du nom de cette personne sur les listes en cause, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription soient demeurés inchangés et que, d’autre part, le contexte n’ait pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes. Les motifs d’inscription n’ayant, en l’occurrence, pas été modifiés et la situation factuelle du requérant, ainsi que la situation en Syrie, n’ayant pas évolué d’une manière telle que les éléments de preuve précédemment soumis en 2016 pour justifier du bien-fondé du maintien du nom du requérant sur les listes n’auraient plus été pertinents en 2018, le Tribunal a constaté que le Conseil n’était pas tenu d’apporter des éléments de preuve supplémentaires par rapport à ceux préalablement produits. Il a rejeté, en conséquence, les arguments du requérant visant à contester la pertinence desdites preuves au regard de leur ancienneté ou du manque de preuves nouvelles les corroborant. Le Tribunal a précisé à ce sujet que la circonstance que le Conseil se soit appuyé sur des documents que le Tribunal avait précédemment considérés, dans le cadre d’une autre affaire concernant le requérant{7}, comme ne satisfaisant pas à la charge de la preuve ne prive pas le Conseil de la possibilité d’invoquer ces documents de nouveau, parmi d’autres éléments de preuve, aux fins de la constitution d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants à même de justifier le bien-fondé du maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause.
Le requérant invoquait, enfin, le bénéfice des dispositions des articles 27, paragraphe 3, et 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255 et de l’article 15, paragraphe 1 ter, du règlement nº 36/2012, selon lesquelles les personnes concernées ne sont pas inscrites ou maintenues par le Conseil sur les listes s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’elles ne sont pas, ou ne sont plus, liées au régime syrien ou qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas associées à un risque réel de contournement des mesures adoptées. Le Tribunal a constaté à ce propos que les conditions énumérées par ces dispositions, qu’il convient de lire dans leur contexte et à la lumière des finalités de l’acte en cause , étaient cumulatives et ne s’appliquaient pas aux personnes inscrites sur les listes en cause en raison du critère d’association avec le régime syrien, prévu par l’article 27, paragraphe 1, et l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, ainsi que par l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 36/2012. En tout état de cause, en l’espèce, le Tribunal a constaté que la condition relative à l’absence ou à la disparition du lien avec le régime syrien n’était pas remplie, de sorte qu’il a rejeté les prétentions du requérant à cet égard et le recours dans son intégralité.
{1} À ce sujet, voir arrêt du 13 novembre 2014, Kaddour/Conseil (T-654/11, non publié, EU:T:2014:947).
{2} À ce sujet, voir arrêt du 26 octobre 2016, Kaddour/Conseil (T-155/15, non publié, EU:T:2016:628) et arrêt du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil (T-461/16, non publié, EU:T:2018:316).
{3} Décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75).
{4} Règlement (UE) nº 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) nº 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1).
{5} Décision d’exécution (PESC) 2018/778 du Conseil, du 28 mai 2018, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2018, L 131, p. 16).
{6} Règlement d’exécution (UE) 2018/774 du Conseil, du 28 mai 2018 mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2018, L 131, p. 1).
{7} Arrêt du 13 novembre 2014, Kaddour/Conseil (T-654/11, non publié, EU:T:2014:947).
Arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour / Conseil (T-510/18) (cf. points 89, 91-94)
Arrêt du 28 avril 2021, Sharif / Conseil (T-540/19) (cf. points 70-75)
38. Procédure juridictionnelle - Arrêt sur pourvoi liant le Tribunal - Conditions - Renvoi consécutif à un pourvoi - Points de droit définitivement tranchés par le Tribunal dans le cadre du pourvoi - Autorité de la chose jugée - Portée
Arrêt du 1er octobre 2020, CC / Parlement (C-612/19 P) (cf. points 24, 25)
39. Recours en annulation - Arrêt d'annulation - Portée - Autorité absolue de la chose jugée - Conditions - Identité d'objet et de cause
Arrêt du 16 décembre 2020, Haswani / Conseil (T-521/19) (cf. points 69, 70, 72, 77-79, 82, 86, 87)
40. États membres - Obligations - Autorité de la chose jugée - Principes d'équivalence et d'effectivité - Litige portant sur la légalité d'un acte de récupération de sommes payées au titre d'un régime de paiement unique à la surface - Acte de récupération fondé sur les mêmes faits opposant les mêmes parties et sur la même réglementation nationale que ceux analysés dans une précédente décision juridictionnelle devenue définitive - Impossibilité pour le juge saisi de procéder à un examen de la conformité au droit de l'Union d'exigences nationales relatives à la légalité du titre d'exploitation de la surface agricole ayant fait l'objet de la demande - Inadmissibilité
Voir texte de la décision.
Voir texte de la décision.
Voir texte de la décision.
Voir texte de la décision.
Arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos (C-116/20) (cf. points 92-94, 96-105, disp. 4)
41. Pourvoi - Moyens - Moyens visant des conclusions figurant dans l'arrêt sous pourvoi et n'ayant pas fait l'objet d'un pourvoi incident - Autorité de la chose jugée - Rejet
VW, BT et RN se sont, selon le cas, mariées ou remariées avec des fonctionnaires de l’Union qui n’étaient plus au service d’une institution de l’Union à la date de la conclusion de leur mariage ou de leur remariage. Moins de cinq ans après cette date, les trois époux sont décédés.
Chacune des trois femmes en question a, en sa qualité de conjointe survivante d’un ancien fonctionnaire de l’Union, introduit une demande d’octroi d’une pension de survie.
Ces demandes ont été rejetées par la Commission européenne (ci-après les « décisions litigieuses ») au motif que VW, BT et RN ne remplissaient pas les conditions prévues à l’article 20 de l’annexe VIII du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »). En vertu de cette disposition, les conjoints survivants ayant épousé un fonctionnaire après la cessation de service de ceux-ci sont exclus du bénéfice de la pension de survie lorsque leur mariage a duré moins de cinq ans. En revanche, conformément à l’article 18 de l’annexe VIII du statut, les conjoints survivants ayant épousé un fonctionnaire avant la cessation de service de celui-ci ont droit à une pension de survie dès lors que leur mariage a duré au moins un an.
Saisi des recours en annulation introduits par VW, BT et RN contre les décisions litigieuses, le Tribunal a conclu que l’article 20 de l’annexe VIII du statut violait le principe d’égalité de traitement consacré à l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que, dans l’affaire relative à VW, le principe de proportionnalité et, dans les affaires relatives à BT et à RN, le principe de non-discrimination fondée sur l’âge consacré à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte. Dans ces conditions, il a fait droit aux exceptions d’illégalité soulevées par VW, BT et RN et a annulé chacune des décisions litigieuses.
Sur pourvois formés par la Commission et le Conseil de l’Union européenne, la Cour annule les arrêts du Tribunal et rejette les recours de VW, BT et RN. La Cour relève que, en prévoyant des durées minimales du mariage différentes aux articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut pour ouvrir le droit à une pension de survie aux conjoints survivants de fonctionnaires ou d’anciens fonctionnaires décédés, le législateur de l’Union n’a pas exercé de manière arbitraire ou manifestement inadéquate la large marge d’appréciation dont il dispose à cet égard.
Appréciation de la Cour
Tout en confirmant l’analyse du Tribunal selon laquelle les situations couvertes par les articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut sont comparables et eu égard au fait que, en prévoyant des durées minimales du mariage différentes à ces dispositions, le législateur de l’Union a traité de manière différente des situations comparables, la Cour rappelle que, compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur de l’Union lors de l’adoption de règles statutaires, le principe d’égalité de traitement, tel que consacré à l’article 20 de la Charte, n’est méconnu que lorsque le législateur procède à une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate par rapport à l’objectif poursuivi par les dispositions statutaires en cause. Cette jurisprudence est également applicable dans le cadre de la vérification de l’exigence de proportionnalité imposée à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.
Il s’ensuit que, en l’occurrence, le Tribunal aurait dû se limiter à vérifier si la différenciation entre les conjoints survivants de fonctionnaires ou d’anciens fonctionnaires en fonction de la date de la conclusion du mariage, opérée à l’article 20 de l’annexe VIII du statut, lue en combinaison avec l’article 18 de cette annexe, n’apparaissait pas « arbitraire » ou « manifestement inadéquate » au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi par ces dispositions. Or, en ayant vérifié, dans les arrêts attaqués, si cette différenciation n’apparaissait pas « déraisonnable » au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi et en ayant, de surcroît, examiné si la condition de durée minimale de mariage de cinq ans prévue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut, prise isolément et indépendamment de celle d’un an prévue à l’article 18 de cette annexe, était, dans le cadre de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, proportionnée en ce sens qu’elle n’allait pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser cet objectif d’intérêt général, le Tribunal a méconnu l’étendue de son contrôle juridictionnel et, de ce fait, commis une erreur de droit.
Partant, la Cour annule les arrêts attaqués du Tribunal et, après avoir constaté que les litiges étaient en état d’être jugés, statue elle-même définitivement sur ceux-ci.
À cet égard, la Cour relève que, si le législateur de l’Union a traité de manière différente des situations comparables en prévoyant des durées minimales du mariage différentes aux articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut, cette différence de traitement est néanmoins justifiée au titre de l’article 52, paragraphe 1, de la de la Charte.
Aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, des limitations ne peuvent être apportées aux droits et libertés reconnus par la Charte que si, premièrement, elles sont prévues par la loi, deuxièmement, elles respectent le contenu essentiel desdits droits et libertés et, troisièmement, elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.
En l’espèce, il est constant que la différence de traitement entre les conjoints survivants de fonctionnaires est prévue par la loi, dès lors qu’elle résulte de l’article 20 de l’annexe VIII du statut, lu en combinaison avec l’article 18 de cette annexe. Ces dispositions prévoient des conditions de durée minimale du mariage chiffrées de manière précise, qui définissent la portée de la limitation de l’exercice du droit à l’égalité de traitement.
Selon la Cour, la limitation apportée au régime des pensions de survie par la différence de traitement en cause respecte, en outre, le contenu essentiel du principe d’égalité de traitement. En effet, cette limitation ne remet pas en cause le principe d’égalité de traitement en tant que tel dans la mesure où elle ne porte que sur la question de la condition minimale de durée du mariage à laquelle les conjoints survivants de fonctionnaires ou d’anciens fonctionnaires décédés doivent satisfaire pour pouvoir bénéficier d’une pension de survie, sans que ces conjoints soient privés de la possibilité de bénéficier d’une telle pension dans chacun des cas de figure envisagés aux articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut.
Ladite limitation répond, de plus, à un objectif d’intérêt général, à savoir celui visant à prévenir les abus de droit et les fraudes. Dans ce cadre, la condition selon laquelle le mariage doit avoir duré un certain temps pour que le conjoint survivant bénéficie de la pension de survie vise à s’assurer de la réalité et de la stabilité des relations entre les personnes concernées. Il s’agit d’un critère uniforme et indistinctement applicable à l’ensemble des conjoints survivants couverts par les dispositions des articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut qui vise non pas à présumer l’existence d’abus ou de fraudes dans le chef des conjoints survivants, mais à prévenir la commission de tels abus ou fraudes.
S’agissant, enfin, de l’examen de proportionnalité, la Cour juge qu’il n’apparaît ni arbitraire ni manifestement inadéquat d’exiger, à l’article 20 de l’annexe VIII du statut, une durée minimale du mariage plus longue que celle prévue à l’article 18 de cette annexe. En effet, dans l’hypothèse visée à cet article 20, caractérisée par le fait que le mariage est contracté après la cessation de service du fonctionnaire, l’incitation aux abus ou à la fraude est susceptible d’être favorisée par la plus grande prévisibilité et la plus grande proximité du décès du fonctionnaire dès lors que, comme en l’occurrence, cette cessation intervient par l’effet de la mise à la retraite.
Au regard de ce qui précède, la Cour conclut que, en ce que la différence de traitement instituée à l’article 20 de l’annexe VIII du statut répond aux critères énoncés à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, l’article 20 de l’annexe VIII du statut est conforme au principe d’égalité de traitement consacré à l’article 20 de la Charte.
Par identité de motifs, la Cour, tout en constatant que ladite différence de traitement constitue également une différence de traitement indirectement fondée sur l’âge, juge que celle-ci est également conforme au principe de non-discrimination fondée sur l’âge consacré à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte.
42. Procédure juridictionnelle - Autorité de la chose jugée - Portée - Ordonnance du Tribunal prononçant l'irrecevabilité d'un recours en annulation à l'encontre d'actes concernant des mesures restrictives en l'absence d'intérêt à agir du requérant - Modification ultérieure et rétroactive des informations d'identification concernant le requérant - Nouvelle demande visant à l'annulation des actes subséquents adoptés à son encontre - Violation du principe de l'autorité de la chose jugée
Le requérant, M. Nizar Assaad, est un homme d’affaires de nationalités syrienne, libanaise et canadienne entretenant, selon le Conseil de l’Union européenne, des liens étroits avec le régime syrien.
Son nom avait été inscrit en 2011 sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne par le Conseil{1}, puis, à défaut d’identification précise, après correction et ajout d’informations d’identification complémentaires{2}, le Conseil avait considéré que lesdits actes ne le désignaient pas. Il avait été de nouveau inscrit sur les listes en 2020{3}, puis maintenu sur celles-ci en 2021 et 2022{4}, aux motifs qu’il était, d’après le Conseil, un homme d’affaires influent entretenant des liens étroits avec le régime, qu’il était lié aux familles Assad et Makhlouf et qu’il était, en tant que fondateur et dirigeant de la société Lead Contracting & Trading Ltd., l’un des principaux investisseurs dans le secteur pétrolier.
Ces motifs s’appuyaient, d’une part, sur le critère de l’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie{5}, d’autre part, sur le critère de l’association avec le régime syrien{6} et, enfin, sur le critère du lien avec une personne ou une entité visée par les mesures restrictives, du fait, selon le Conseil, du lien du requérant avec des membres des familles Assad et Makhlouf{7}.
Le requérant a introduit un recours en annulation contre les actes adoptés en 2021 et en 2022 en tant qu’ils le concernent. Le Tribunal accueille ce recours en traitant, notamment, et pour la première fois, la question de savoir si le Conseil peut légalement attacher un effet rétroactif à des actes adoptés dans le cadre d’un régime de mesures restrictives. Le Tribunal aborde également la question de l’autorité de la chose jugée d’une décision juridictionnelle antérieure au regard de la question de savoir si le Conseil et le Tribunal sont liés par le constat dressé par celle-ci quant à l’identité d’une personne inscrite sur les listes.
Appréciation du Tribunal
S’agissant, en premier lieu, du moyen tiré d’erreurs d’appréciation, le Tribunal examine tout d’abord le critère du statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie au regard des motifs d’inscription retenus par le Conseil contre le requérant. S’il ressort des éléments de preuve soumis par le Conseil que le requérant a certes été un investisseur dans le secteur pétrolier syrien, d’une part, le requérant a démontré ne plus avoir d’intérêts dans la société Lead Syria{8}, qui était en liquidation à la date d’adoption des actes attaqués, et, d’autre part, le Conseil n’a avancé aucun argument visant à mettre en cause la fiabilité des éléments de preuve apportés par le requérant ou à contester la démission de celui-ci de la société Lead UAE{9}, de sorte que le requérant peut être considéré comme n’étant plus impliqué dans cette société. Il en va de même concernant l’absence d’implication du requérant dans plusieurs autres entités syriennes et sa participation à différentes chambres de commerce. Le Conseil n’a dès lors pas étayé à suffisance de droit le fait que le requérant avait des intérêts commerciaux en Syrie ou était membre de certains organes liés au commerce. Le Tribunal en conclut que le Conseil n’a pas démontré, à la date d’adoption des actes attaqués, que le requérant était un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie conformément au critère retenu par la décision 2013/255.
Ensuite, concernant les liens du requérant avec des membres de la famille Assad, le Tribunal relève que le requérant n’est pas membre de cette famille et que les liens qui lui sont attribués par le Conseil ne sont que de nature professionnelle, en raison d’activités dans le secteur pétrolier notamment. L’examen des preuves soumises par le Conseil à cet égard conduit cependant le Tribunal à conclure que le Conseil n’a pas apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptible de soutenir cette conclusion. Il parvient à une conclusion similaire concernant l’absence de lien du requérant avec la famille Makhlouf.
Enfin, concernant l’association prétendue du requérant avec le régime syrien, qui résulterait du soutien qu’il apporterait à ce régime ou du bénéfice qu’il retirerait des politiques menées par ce dernier, le Tribunal constate, tout d’abord, que ce n’est pas en raison de ses activités commerciales en Syrie ou de ses liens avec des membres des familles Makhlouf et Assad, ni même du fait d’autres responsabilités ou de l’activité de la société Lead Syria, que le requérant peut être associé au régime syrien. Au contraire, il se serait distancié de ce régime, notamment depuis 2012. Le Conseil n’a donc pas démontré à suffisance de droit l’association du requérant avec le régime syrien et, en conséquence, le Tribunal accueille le premier moyen du requérant sur l’absence de bien-fondé des motifs d’inscription sur les listes retenus par le Conseil à l’encontre du requérant.
S’agissant, en deuxième lieu, de la mention par le Conseil, dans les actes attaqués, de la date d’inscription initiale du requérant le 23 août 2011, le Tribunal examine, dans un premier temps, si ces actes ont, de par leur contenu, un effet rétroactif. Tel est le cas des actes adoptés en 2021, qui s’inscrivent dans la continuité d’actes antérieurs auxquels ils apportent des modifications et qui ont été adoptés après que le Conseil a admis avoir commis une erreur quant à l’identité de la personne visée. La modification, dans ces actes, de la date de l’inscription initiale du requérant a bien un effet rétroactif sur sa situation juridique. Il en est ainsi, d’une part, quant à sa réputation et son honorabilité et, d’autre part, quant à sa situation juridique en France au regard d’une décision ministérielle du 12 février 2020, basée sur les actes de 2019, qui avait procédé au gel de ses fonds dans cet État membre.
Le Tribunal s’intéresse, dans un second temps, à l’éventuelle violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime du fait de cette rétroactivité. Sur l’existence éventuelle d’un intérêt général, il souligne que la sécurité juridique ne peut être garantie, et l’effet utile des mesures restrictives assuré, que si les personnes et les entités visées sont clairement identifiées par le Conseil dans les actes en cause. Il est donc légitime et nécessaire que le Conseil puisse corriger les erreurs commises sur l’identité d’une personne, ceci afin de permettre la réalisation des objectifs des mesures restrictives en permettant aux tiers de savoir qui est visé par ces mesures et à la personne concernée d’introduire, le cas échéant, un recours contre ces mesures. Quant à l’existence d’une confiance légitime dans le chef du requérant, tirée de la situation antérieure à la correction de ladite erreur d’identification, le Tribunal rappelle qu’il n’est pas nécessaire que le requérant ait été le destinataire d’actes constitutifs de droits subjectifs pour qu’il puisse invoquer la protection de sa confiance légitime, de même qu’il n’a pas à démontrer qu’il a reçu des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, de nature à établir l’existence d’une telle confiance légitime dans son chef. Au regard des circonstances de l’espèce, à savoir les échanges de courriers entre le Conseil et les représentants du requérant, les actes rectificatifs adoptés par le Conseil en raison de ces échanges{10} et la position prise par le Conseil dans le cadre d’une précédente affaire Assaad/Conseil{11}, le Tribunal constate que le Conseil a affirmé au requérant, à plusieurs reprises, qu’il n’était pas la personne visée initialement dans les actes adoptés en 2011. À cet égard, le Tribunal conteste l’argument du Conseil selon lequel toute conclusion quant à l’identité d’une personne visée par des mesures restrictives n’aurait qu’une valeur déclarative et relève
que les lettres en cause, conjointement avec les différents actes adoptés par le Conseil, ont fait naître, dans le chef du requérant, l’espérance qu’il n’était pas la personne visée. Le Tribunal conclut que le Conseil n’a pas respecté la confiance légitime du requérant et le principe de sécurité juridique en adoptant, à son égard, des mesures avec effet rétroactif.
S’agissant, en troisième et dernier lieu, du moyen tiré d’une violation de l’autorité de la chose jugée, en l’occurrence de l’ordonnance rendue dans la précédente affaire Assaad/Conseil qui avait conclu à l’irrecevabilité du recours du requérant dès lors que, n’étant pas la personne visée dans les listes de 2011, il n’avait pas d’intérêt à agir, le Tribunal constate que, en affirmant dans les actes attaqués que le requérant était visé par les actes de 2011, le Conseil fait coexister dans l’ordre juridique de l’Union une décision et des actes qui sont contraires, voire incompatibles, quant à leurs effets et a, dès lors, violé le principe de l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance précitée en ce qui concerne les actes de 2011. En revanche, le principe de l’autorité de la chose jugée ne pouvant être étendu de manière à ce qu’une ordonnance règle des questions relatives à un autre ensemble d’actes juridiques, adoptés sur la base d’autres éléments de preuve et portant sur des actes de base différents, le Tribunal conclut que le requérant n’est pas fondé à soutenir que les actes attaqués ont été adoptés, à partir de 2020, en violation du principe de l’autorité de la chose jugée.
Au regard de ce qui précède, le Tribunal annule les actes attaqués en tant qu’ils concernent le requérant, tout en maintenant les effets de la décision 2022/849 à son égard jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet éventuel dudit pourvoi.
{1} Décision d’exécution 2011/515/PESC du Conseil, du 23 août 2011, mettant en œuvre la décision 2011/273/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de la Syrie (JO 2011, L 218, p. 20), et règlement d’exécution (UE) nº 843/2011 du Conseil, du 23 août 2011, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 442/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2011, L 218, p. 1).
{2} Décision 2011/735/PESC du Conseil, du 14 novembre 2011, modifiant la décision 2011/273/PESC (JO 2011, L 296, p. 53), et règlement (UE) nº 1150/2011 du Conseil, du 14 novembre 2011, modifiant le règlement (UE) nº 442/2011 (JO 2011, L 296, p. 1).
{3} Décision (PESC) 2020/719 du Conseil, du 28 mai 2020, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de la Syrie (JO 2020, L 168, p. 66), et règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil, du 28 mai 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives à l'encontre de la Syrie (JO 2020, L 168, p. 1).
{4} Décision d’exécution (PESC) 2021/751 du Conseil, du 6 mai 2021, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC (JO 2021, L 160, p. 115), et règlement d’exécution (UE) 2021/743 du Conseil, du 6 mai 2021, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2021, L 160, p. 1) ; décision (PESC) 2022/849 du Conseil, du 30 mai 2022, modifiant la décision 2013/255/PESC (JO 2022, L 148, p. 52), et règlement d’exécution (UE) 2022/840 du Conseil, du 30 mai 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) nº 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2022, L 148, p. 8) (ci-après les « actes attaqués »).
{5} Voir article 27, paragraphe 2, sous a), et article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255/PESC, telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836, ainsi qu’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), du règlement (UE) nº 36/2012, tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828.
{6} Voir article 27, paragraphe 1, et article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255/PESC, telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836, ainsi qu’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) nº 36/2012, tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828.
{7} Voir article 27, paragraphe 2, dernière phrase, et article 28, paragraphe 2, dernière phrase, de la décision 2013/255/PESC, telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836, ainsi qu’article 15, paragraphe 1 bis, dernière phrase, du règlement (UE) nº 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828.
{8} Lead Contracting and Trade Company.
{9} Lead Contracting and Trading Limited.
{10} Décision 2011/735/PESC modifiant la décision 2011/273/PESC (JO 2011, L 296, p. 53), et règlement (UE) nº 1150/2011 du Conseil, du 14 novembre 2011, modifiant le règlement nº 442/2011 (JO 2011, L 296, p. 1), ainsi que rectificatifs à la décision d’exécution 2013/185/PESC du Conseil, du 22 avril 2013, mettant en œuvre la décision 2012/739/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de la Syrie, et au règlement d’exécution (UE) nº 363/2013 du Conseil, du 22 avril 2013, mettant en œuvre le règlement nº 36/2012 (JO 2013, L 123, p. 28).
{11} Ordonnance du 24 mai 2012, Assaad/Conseil (T-550/11, non publiée, EU:T:2012:266).
Arrêt du 8 mars 2023, Assaad / Conseil (T-426/21) (cf. points 257, 259-264, 268, 270, 271, 273)
43. Recours en annulation - Arrêt d'annulation - Portée - Autorité absolue de la chose jugée - Portée - Prise en considération tant de la motivation que du dispositif - Effets de l'arrêt d'annulation - Absence d'effets erga omnes
Voir texte de la décision.
Arrêt du 22 juin 2023, VITOL (C-268/22) (cf. points 70, 71)
44. Procédure juridictionnelle - Autorité de la chose jugée - Décisions du juge de l'Union se prononçant sur la désignation d'un requérant sur une liste de personnes visées par des mesures restrictives - Éléments de preuve préalablement pris en compte par le juge de l'Union - Portée - Contexte législatif différent - Nouveaux critères d'inscription - Nouveaux motifs d'inscription devant être étayés par de nouveaux éléments de preuve
Arrêt du 15 mai 2024, Anbouba / Conseil (T-471/22) (cf. points 82-88, 90-93, 99)
45. Procédure juridictionnelle - Autorité de la chose jugée - Décision du juge de l'Union constatant l'absence de faits constitutifs de harcèlement moral - Possibilité d'appréciation des faits postérieurs au prononcé de l'arrêt à la lumière du contexte antérieur - Limites
Arrêt du 19 juin 2024, PV / Commission (T-78/21) (cf. points 244, 245)
46. États membres - Obligations - Autorité de la chose jugée - Obligations des juridictions nationales - Obligation de revenir sur une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée - Absence - Jurisprudence nationale interprétant une disposition nationale de façon contraire au droit de l'Union - Obligation d'interpréter cette disposition en conformité avec le droit de l'Union - Demande préjudicielle visant l'interprétation du droit de l'Union - Recevabilité
Saisie à titre préjudiciel par le Tribunale di Milano (tribunal de Milan, Italie), la Cour, réunie en grande chambre, précise les conditions d’autorisation d’exploitation d’une installation au titre de la directive 2010/75 relative aux émissions industrielles{1}.
L’usine sidérurgique Ilva (ci-après l’« usine Ilva ») est située dans la commune de Tarente (Italie) et exploitée sur la base d’une « autorisation environnementale intégrée » accordée en 2011.
En dépit d’une mise sous séquestre en 2012, cette usine a été autorisée, en vertu de règles dérogatoires spéciales, à poursuivre son activité de production pendant une durée de 36 mois à condition de respecter un plan de mesures environnementales et sanitaires. La date butoir pour le respect de ce plan a été différée à plusieurs reprises, sur une période totale de plusieurs années, alors que l’activité en cause présentait des dangers graves et importants pour l’intégrité de l’environnement et de la santé des populations avoisinantes.
Dans ce contexte, les requérants, qui font valoir les droits d’environ 300 000 habitants de la commune de Tarente et des communes limitrophes, ont saisi la juridiction de renvoi d’une action collective visant, notamment, la cessation de l’exploitation de l’usine Ilva ou de certaines parties de celle-ci en raison de la pollution causée par ses émissions industrielles et des dommages qui en résultent pour la santé humaine.
Dans la mesure où la réglementation italienne ne conditionne pas la délivrance ou le réexamen d’une autorisation d’exploitation industrielle à l’évaluation préalable des incidences de l’installation sur la santé humaine, la juridiction de renvoi a décidé d’interroger la Cour sur la nécessité d’une telle évaluation, sur la portée de l’examen des autorités compétentes ainsi que sur le délai accordé à l’exploitant d’une installation pour se conformer aux conditions fixées dans l’autorisation délivrée.
Appréciation de la Cour
Premièrement, en ce qui concerne la nécessité de procéder à une évaluation englobant les incidences de l’activité de l’installation en cause sur la santé humaine, la Cour rappelle que la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement ainsi que la protection de la santé humaine sont deux composantes étroitement liées de la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement. En établissant des règles concernant la prévention et la réduction intégrées de la pollution due aux activités industrielles, la directive 2010/75 concrétise les obligations de l’Union en matière de protection de l’environnement et de la santé humaine découlant, notamment, de l’article 191 TFUE, contribuant par là même à la sauvegarde du droit de tout un chacun de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être. La Cour renvoie, à cet égard, aux articles 35 et 37 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et constate le lien étroit existant entre la protection de l’environnement et celle de la santé humaine.
Parmi les conditions d’autorisation d’exploitation prévues par cette directive figure l’obligation pour l’exploitant de prendre toutes les mesures de prévention appropriées contre la « pollution » ainsi que des mesures de surveillance des émissions dans l’environnement. Cet exploitant doit également s’assurer que son exploitation ne cause aucune « pollution importante ». En outre, les conditions d’autorisation sont réexaminées lorsque la « pollution » causée par l’installation le justifie. La périodicité de ce réexamen doit être adaptée à l’étendue et à la nature de l’installation et tenir notamment compte des spécificités locales de l’endroit où se développe l’activité industrielle, et en particulier la proximité d’habitations.
À cet égard, la Cour relève que la notion de « pollution », mentionnée dans la directive 2010/75, inclut les atteintes portées, ou susceptibles de l’être, tant à l’environnement qu’à la santé humaine. Ce lien étroit qui existe entre la protection de la qualité de l’environnement et celle de la santé humaine est, du reste, corroboré, outre par les dispositions du droit primaire de l’Union, par plusieurs dispositions de la directive 2010/75 ainsi que par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. S’agissant précisément de la pollution causée par l’usine Ilva, cette dernière juridiction a ainsi constaté la violation du droit des requérants au respect de la vie privée et familiale en se fondant sur les effets polluants des émissions de cette usine tant sur l’environnement que sur la santé des personnes{2}.
Il s’ensuit que l’exploitant d’une installation relevant du champ d’application de la directive 2010/75 doit, dans sa demande d’autorisation, fournir les informations adéquates concernant les émissions provenant de son installation puis, tout au long de la période d’exploitation, assurer le respect des obligations et mesures prévues par cette directive, à travers une évaluation continue des incidences des activités de l’installation tant sur l’environnement que sur la santé humaine.
De même, il incombe aux autorités nationales compétentes de prévoir qu’une telle évaluation fasse partie intégrante des procédures de délivrance et de réexamen d’une autorisation d’exploitation et constitue une condition préalable à la délivrance ou au réexamen de cette autorisation. Lorsque cette évaluation fait apparaître des résultats montrant le caractère inacceptable du danger pour la santé d’une population nombreuse exposée à des émissions polluantes, l’autorisation concernée doit faire l’objet d’un réexamen à bref délai. Or, en l’occurrence, l’incidence sur l’environnement et la santé humaine de substances polluantes émanant de l’usine Ilva, à savoir des particules fines PM2,5 et PM10, du cuivre, du mercure et du naphtalène provenant de sources diffuses, n’aurait pas été évaluée dans le cadre des autorisations environnementales en cause.
Deuxièmement, en ce qui concerne la portée de l’évaluation incombant aux autorités compétentes, ces dernières doivent prendre en compte, outre les substances polluantes prévisibles eu égard à la nature et au type d’activité industrielle concernée, toutes les substances faisant l’objet d’émissions scientifiquement reconnues comme étant nocives qui sont susceptibles d’être émises par l’installation concernée, en quantités significatives, étant donné leur nature et leur potentiel de transferts de pollution d’un milieu à l’autre. Conformément au principe de prévention, la détermination de la quantité de substances polluantes dont l’émission peut être autorisée doit être liée au degré de nocivité des substances concernées.
Partant, l’exploitant d’une installation est tenu de fournir, dans sa demande d’autorisation d’exploitation, des informations relatives à la nature, à la quantité et à l’effet néfaste potentiel des émissions susceptibles d’être produites par ladite installation, afin que les autorités compétentes puissent fixer des valeurs limites concernant ces émissions, à la seule exception de celles qui, par leur nature ou leur quantité, ne sont pas susceptibles de constituer un risque pour l’environnement ou la santé humaine.
La procédure de réexamen d’une autorisation ne saurait se borner, quant à elle, à fixer des valeurs limites pour les seules substances polluantes dont l’émission était prévisible et a été prise en considération lors de la procédure d’autorisation initiale. À cet égard, il convient de tenir compte de l’expérience tirée de l’exploitation de l’installation concernée et, partant, des émissions effectivement constatées. Si le respect des normes de qualité environnementale requiert que des valeurs limites d’émission plus strictes soient imposées à l’installation concernée, des mesures supplémentaires doivent alors être ajoutées dans l’autorisation sans préjudice d’autres mesures pouvant être prises pour respecter lesdites normes.
Troisièmement, quant au délai accordé à l’exploitant d’une installation pour se conformer à l’autorisation d’exploitation, la Cour indique, à titre liminaire, que, pour les installations telles que l’usine Ilva, les autorités compétentes nationales avaient, en vertu de la directive 2010/75, jusqu’au 28 février 2016 pour adapter les conditions d’autorisation aux nouvelles techniques disponibles. En cas d’infraction aux conditions d’autorisation d’exploitation d’une installation, les États membres sont tenus, au titre de cette directive, de prendre les mesures nécessaires pour garantir immédiatement le respect de ces conditions.
Au vu de ces considérations, la Cour conclut que la directive 2010/75 s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le délai accordé à l’exploitant d’une installation pour se conformer aux mesures de protection de l’environnement et de la santé humaine prévues par l’autorisation d’exploitation de cette installation a fait l’objet de prolongations répétées, alors que des dangers graves et importants pour l’intégrité de l’environnement et de la santé humaine ont été mis en évidence. Elle ajoute que, lorsque l’activité présente de tels dangers, l’exploitation de l’installation concernée est, conformément à cette directive, suspendue.
{1} Directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, relative aux émissions industrielles (prévention et réduction intégrées de la pollution) (JO 2010, L 334, p. 17, et rectificatif JO 2012, L 158, p. 25).
{2} Cour EDH, 24 janvier 2019, Cordella e.a. c. Italie, CE:ECHR:2019:0124JUD005441413.
Arrêt du 25 juin 2024, Ilva e.a. (C-626/22) (cf. points 53, 54)
47. Budget de l'Union européenne - Règlement financier - Exécution du budget - Exécution en gestion indirecte - Procédure spéciale réservée aux organisations internationales - Réévaluation rétroactive par la Commission du statut juridique de l'entité concernée - Violation de l'article 266 TFUE, de l'autorité de la chose jugée et du principe de non-rétroactivité - Absence
Statuant en formation élargie, le Tribunal rejette le recours introduit par International Management Group (IMG) tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du 8 juin 2021 par laquelle la Commission européenne a refusé de lui reconnaître, avec effet rétroactif au 16 décembre 2014, le statut d’organisation internationale prévu par la réglementation financière de l’Union européenne pour la mise en œuvre des fonds de l’Union selon le mode de la gestion indirecte{1} (ci-après la « décision attaquée ») et, d’autre part, à la réparation des préjudices matériel et moral qu’il aurait subis. L’examen de la légalité de la décision attaquée donne l’opportunité au Tribunal de préciser, d’une part, le degré de contrôle approprié du juge de l’Union en la matière ainsi que, d’autre part, les notions d’« accord international » et d’« organisation internationale », telles que définies par des instruments du droit international public et la jurisprudence, notamment celle des juridictions internationales.
IMG, le requérant, a été créé le 25 novembre 1994{2}, dans le but de permettre aux États et aux organisations internationales participant à la reconstruction de la Bosnie-Herzégovine de disposer à cette fin d’une entité dédiée.
Le 7 novembre 2013, la Commission a adopté la décision d’exécution, relative au programme d’action annuel pour 2013 en faveur du Myanmar/de la Birmanie{3} à financer sur le budget général de l’Union, sur le fondement du règlement no 966/2012{4}. Cette décision prévoyait, notamment, un programme de développement du commerce dont le coût devait être financé par l’Union et dont la mise en œuvre devait être assurée en gestion conjointe avec le requérant.
Le 17 février 2014, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a informé la Commission de l’ouverture d’une enquête sur le statut du requérant. Le 15 décembre 2014, la Commission a reçu le rapport établi par l’OLAF au terme de son enquête. Dans ce rapport, l’OLAF a considéré, en substance, que le requérant ne constituait pas une organisation internationale, au sens du règlement no 1605/2002{5} et du règlement no 966/2012 qui lui a succédé
Le 16 décembre 2014, la Commission a décidé de confier la mise en œuvre, en gestion indirecte, du programme de développement du commerce prévu par la décision d’exécution susmentionnée à une autre organisation que le requérant (ci-après la « décision du 16 décembre 2014 »)
Enfin, le 8 mai 2015, la Commission a adressé au requérant une lettre pour l’informer des suites qu’elle entendait donner au rapport de l’OLAF, et dans laquelle elle a indiqué qu’elle avait décidé, entre autres, que, jusqu’à ce qu’il y ait une certitude absolue quant à son statut d’organisation internationale, ses services ne concluraient plus avec lui de nouvelle convention de délégation selon le mode de la gestion indirecte prévu par le règlement no 966/2012 (ci-après la « décision du 8 mai 2015 »).
Le requérant a introduit deux recours devant le Tribunal, tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du 16 décembre 2014 et, d’autre part, à l’annulation de la décision du 8 mai 2015 ainsi qu’à la réparation des dommages causés par celle-ci. À la suite du rejet de ces deux recours, par les arrêts du 2 février 2017, International Management Group/Commission{6}, et du 2 février 2017, IMG/Commission{7}, le requérant a formé un pourvoi devant la Cour. Par un arrêt du 31 janvier 2019, International Management Group/Commission{8}, la Cour a annulé ces deux arrêts du Tribunal ainsi que les décisions des 16 décembre 2014 et 8 mai 2015 et a renvoyé l’affaire T 381/15 devant le Tribunal pour qu’il soit statué sur la demande de réparation du requérant relative aux dommages prétendument causés par la décision du 8 mai 2015.
Par un arrêt du 9 septembre 2020, IMG/Commission{9}, le Tribunal a rejeté la demande du requérant tendant à la réparation des préjudices prétendument causés par la décision du 8 mai 2015. Celui-ci a formé un pourvoi devant la Cour.
Le 8 juin 2021, après des échanges avec le requérant qui a présenté ses observations, la Commission a finalement adopté la décision attaquée.
Par un arrêt du 22 septembre 2022, IMG/Commission{10}, la Cour a annulé partiellement l’arrêt du Tribunal du 9 septembre 2020 et a renvoyé l’affaire T 381/15 RENV devant lui pour qu’il soit statué sur la demande du requérant tendant à la réparation du préjudice matériel prétendument causé par la décision du 8 mai 2015.
Appréciation du Tribunal
Dans un premier temps, le Tribunal rejette les conclusions du requérant tendant à l’annulation de la décision attaquée.
Le Tribunal constate, tout d’abord, que la décision attaquée a suffisamment exposé les considérations juridiques et factuelles sur lesquelles elle était fondée et qui étaient de nature à mettre le requérant à même d’en apprécier la légalité et à permettre au Tribunal d’exercer son contrôle
Ensuite, le Tribunal rejette le premier moyen du requérant, tiré de plusieurs erreurs de droit, notamment de la violation de l’article 266 TFUE, de l’autorité de la chose jugée, du principe de non-rétroactivité des actes de l’Union et du principe d’égalité. Le Tribunal rejette également le troisième moyen, tiré de la violation du principe de sécurité juridique ainsi que le deuxième moyen, tiré de la violation de l’obligation de diligence et du principe d’impartialité.
Enfin, le Tribunal rejette le quatrième moyen tiré d’erreurs manifestes d’appréciation et d’erreurs de droit par lesquelles le requérant reprochait à la Commission d’avoir refusé de qualifier son acte constitutif d’accord international instituant une organisation internationale et de lui reconnaître le statut d’organisation internationale nonobstant la pratique ultérieure de ses membres
- Sur le degré de contrôle du juge de l’Union en l’espèce
Dans le cadre de l’examen du quatrième moyen, le Tribunal apporte des précisions sur le degré de contrôle du juge de l’Union sur la légalité d’une décision, telle que la décision attaquée. Il rappelle, à cet égard, que la Commission jouit d’un large pouvoir d’appréciation lorsqu’elle exerce sa responsabilité d’exécuter le budget de l’Union, en particulier, lorsqu’elle choisit d’exécuter ce budget selon le mode de la gestion indirecte et que, en application de cette modalité de gestion, elle confie des tâches d’exécution budgétaire à des organisations internationales. Ainsi, lorsque la Commission exerce les prérogatives définies ci-dessus, les décisions faisant grief qu’elle adopte dans ce cadre sont soumises à un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation de la part du Tribunal, sans préjudice de l’examen des autres motifs d’illégalité susceptibles d’être invoqués dans le cadre d’un recours en annulation, conformément à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE
Néanmoins, lorsque, comme en l’espèce, la Commission refuse de confier à une organisation des tâches d’exécution budgétaire selon le mode de la gestion indirecte au motif que cette organisation ne revêt pas le statut d’organisation internationale, la légalité d’une telle décision est soumise à un contrôle du Tribunal, à la fois, de l’erreur de droit et de l’erreur manifeste d’appréciation.
En effet, en pareille hypothèse, la mise en œuvre par la Commission des normes à caractère général qui permettent de définir et d’identifier des organisations internationales relève d’un contrôle de l’erreur de droit, tandis que l’interprétation des règles propres de l’organisation qui prétend être une organisation internationale en vue de l’exécution du budget de l’Union selon le mode de la gestion indirecte ainsi que l’interprétation des prises de position de ses membres, qui sont susceptibles de revêtir une certaine complexité, sont soumises à un contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation.
- Sur les notions d’« organisation internationale » et d’ « accord international » prévues par la réglementation financière de l’Union pour l’exécution de son budget selon le mode de la gestion indirecte
À titre liminaire, le Tribunal rappelle que la notion d’« organisation internationale », telle que définie par les dispositions successives de la réglementation financière de l’Union{11}, recouvre les organisations de droit international public créées par des accords internationaux. En effet, le droit de l’Union doit être interprété à la lumière des règles pertinentes du droit international, ce droit faisant partie de l’ordre juridique de l’Union et liant ses institutions.
Toutefois, dans la mesure où les notions d’« organisation internationale » et d’« accord international » sont utilisées par la réglementation financière de l’Union en vue de la finalité spécifique de l’exécution de son budget, elles doivent faire l’objet d’une interprétation stricte, et ce afin de protéger les intérêts financiers de l’Union.
Ainsi, dans un litige tel que celui de l’espèce, le Tribunal doit faire application des notions du droit international public auxquelles se réfère la réglementation financière de l’Union en recourant aux instruments de ce droit qui définissent ces notions, tels qu’interprétés selon la jurisprudence. En particulier, dans la présente affaire, le Tribunal interprète les notions d’« organisation internationale » et d’« accord international » prévues par la réglementation financière de l’Union pour l’exécution de son budget en gestion indirecte à la lumière des principes coutumiers du droit international public contenus, notamment, dans la convention de Vienne{12} et le projet d’articles sur la responsabilité des organisations internationales{13}.
À cet égard, il ressort de l’article 2, paragraphe 1, sous i), de la convention de Vienne que l’expression « organisation internationale » s’entend d’une organisation intergouvernementale. Par ailleurs, l’article 2, sous a), du projet d’articles précise que cette expression désigne toute organisation instituée par un traité ou un autre instrument régi par le droit international et dotée d’une personnalité juridique internationale propre et que, outre des États, une organisation internationale peut comprendre parmi ses membres des entités autres que des États.
En premier lieu, s’agissant de la condition afférente à l’institution par un traité ou un autre instrument régi par le droit international, il résulte de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la convention de Vienne que l’expression « traité » s’entend d’un accord international conclu par écrit entre États et régi par le droit international, qu’il soit consigné dans un instrument unique ou dans deux ou plusieurs instruments connexes, et quelle que soit sa dénomination particulière. Ainsi, ce ou ces instruments peuvent constituer l’expression du concours de volontés de deux ou de plusieurs sujets de droit international qu’ils formalisent. En outre, il résulte de la jurisprudence des juridictions internationales que, quelle que soit son importance sur le plan politique, un document signé par des États ne saurait constituer un accord international s’il ne contient aucune disposition créant des droits ou des obligations auxquels ces États auraient consenti{14}.
En second lieu, s’agissant de la condition afférente à la possession d’une personnalité juridique internationale propre, il ressort de la jurisprudence des juridictions internationales que, premièrement, la reconnaissance d’une organisation internationale est subordonnée à la détention, par l’organisation concernée, d’une personnalité morale. En effet, une entité instituée par des États et, le cas échéant, par une ou plusieurs organisations internationales ne revêt pas, en l’absence d’une personnalité juridique qui lui est propre, le caractère d’une organisation internationale, mais celui d’un organe dépendant soit des États qui l’ont constitué{15}, soit d’une organisation internationale auprès de laquelle cette entité est hébergée{16}.
Deuxièmement, il ressort également de la jurisprudence des juridictions internationales que les organisations internationales bénéficient, en principe, de privilèges et d’immunités qui sont nécessaires à l’exercice de leurs missions{17}. En effet, à la différence de l’immunité juridictionnelle des États, fondée sur le principe « par in parem non habet imperium », les immunités des organisations internationales sont, en principe, conférées par les traités constitutifs de ces organisations et revêtent un caractère fonctionnel en ce qu’elles visent à éviter qu’une entrave soit apportée au fonctionnement et à l’indépendance des organisations concernées.
Troisièmement, il résulte de la jurisprudence que les actes constitutifs des organisations internationales sont des traités d’un type particulier, en ce qu’ils ont pour objet de créer des sujets de droit nouveaux, dotés d’une certaine autonomie, auxquels les parties confient pour tâche la réalisation de buts communs. Ainsi, les organisations internationales sont régies par le « principe de spécialité », c’est-à-dire qu’elles sont dotées par les États qui les créent de compétences d’attribution dont les limites sont fonction des intérêts communs que ceux-ci leur donnent pour mission de promouvoir et qui font normalement l’objet d’une formulation expresse dans leur acte constitutif{18}.
Ainsi, une organisation internationale ne peut être réduite à un simple mécanisme facultatif mis à la disposition des parties que chacune d’entre elles pourrait utiliser à sa guise. En effet, en créant une organisation internationale et en la dotant de tous les moyens nécessaires à son fonctionnement, ses fondateurs manifestent leur volonté de donner les meilleures garanties de stabilité, de continuité et d’efficacité à l’exercice des missions confiées à cette organisation, de sorte qu’ils ne peuvent sortir unilatéralement et au moment qu’ils jugent opportun de ce cadre, ni lui substituer d’autres canaux de communication{19}.
- Sur la qualification par le Tribunal de l’acte fondateur d’IMG d’« accord international »
Le Tribunal examine le contenu et la portée de la résolution du 25 novembre 1994, afin de déterminer si ce document comporte des engagements juridiquement contraignants pour ses signataires.
À cet égard, le Tribunal relève qu’il ressort des termes de la résolution du 25 novembre 1994 que ses signataires ont approuvé des règles d’organisation du requérant, notamment en confirmant son directeur général et en décidant de la mise en place d’un comité de gouvernance en son sein. En particulier, si cette résolution n’emportait aucune obligation pour ses auteurs de devenir membres du requérant, son point 5 prévoyait l’obligation pour les États signataires de décider d’intégrer le requérant dans le cadre global pour la reconstruction de la Bosnie-Herzégovine ou de mettre progressivement un terme à ses activités. Ainsi, ladite résolution comportait bien au moins un engagement juridiquement contraignant pour ses signataires, de sorte qu’elle ne saurait être regardée comme étant une déclaration dont la portée serait exclusivement politique.
Par conséquent, le Tribunal juge que la Commission a entaché la décision attaquée d’une erreur de droit en considérant que la résolution du 25 novembre 1994 constituait une déclaration politique dépourvue de caractère juridiquement contraignant.
Le Tribunal estime également que la Commission a entaché la décision attaquée d’une autre erreur de droit en refusant de qualifier cette résolution d’accord international, en raison de l’absence des pleins pouvoirs des participants à la réunion du même jour, dès lors que la signature de ladite résolution a été confirmée ultérieurement par au moins deux États.
À cet égard, le Tribunal rappelle que lorsqu’un document est signé par des personnes qui n’ont pas l’autorité nécessaire pour engager les États dont elles relèvent, conformément à l’article 7, paragraphe 1, de la convention de Vienne, un tel document ne saurait être considéré comme un accord international juridiquement contraignant, sauf à ce que ces personnes soient habilitées à engager lesdits États sans avoir à produire de pleins pouvoirs, en application du paragraphe 2 du même article{20}.
Toutefois, en l’espèce, le Tribunal constate que, par leur participation à l’adoption des statuts initiaux ou ultérieurs du requérant ou en siégeant au sein de son comité de gouvernance ou de son comité permanent, certains États signataires de la résolution du 25 novembre 1994 ont agi de manière telle qu’ils ont laissé paraître comme acquis les actes de signature de cet acte par leurs représentants et ont ainsi confirmé ultérieurement, au sens de l’article 8 de la convention de Vienne, la signature de cette résolution qui avait pour but d’instituer le requérant.
Cependant, le Tribunal estime que ces erreurs de droit demeurent, à ce stade de l’examen, sans incidence sur la légalité de la décision attaquée, dès lors qu’elles n’affectent pas la condition prévue par la réglementation financière de l’Union selon laquelle le requérant, pour pouvoir bénéficier de l’exécution du budget de l’Union selon le mode de la gestion indirecte prévu au bénéfice des organisations internationales, doit avoir été fondé par un accord international ayant eu pour objet de l’instituer en qualité d’organisation internationale. Dès lors, les illégalités constatées ne sont pas, à elles seules, de nature à emporter l’annulation de la décision attaquée.
- Sur l’interprétation par le Tribunal de l’intention des signataires de l’acte fondateur d’IMG et de la pratique ultérieure des États signataires et des États membres de cette entité
En l’espèce, le Tribunal estime que la Commission n’a pas entaché la décision attaquée d’une erreur de droit en considérant que la résolution du 25 novembre 1994 n’avait eu ni pour objet ni pour effet de conférer au requérant le statut d’organisation internationale.
À cet égard, le Tribunal rappelle que, aux termes de l’article 31 de la convention de Vienne, qui exprime le droit coutumier international, un traité doit être interprété de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes de ce traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
Le Tribunal estime ensuite que la Commission n’a pas commis d’erreur de droit en considérant, dans la décision attaquée, que la pratique ultérieure faisant suite à l’adoption de la résolution du 25 novembre 1994, puis à l’adoption des statuts initiaux et des statuts de 2012 n’attestait pas une reconnaissance suffisamment large et claire de la qualité d’organisation internationale du requérant, tant de la part des signataires de cette résolution que de ses membres.
À cet égard, le Tribunal s’appuie sur la jurisprudence selon laquelle des instruments ne sauraient être considérés comme constitutifs d’un accord ultérieur ou d’une pratique ultérieure établissant l’accord des parties à l’égard de l’interprétation d’un traité, au sens de l’article 31, paragraphe 3, sous a) et b), de la convention de Vienne, si ces instruments ont été adoptés sans l’appui de tous les États parties audit traité{21}.
Dans un second temps, le Tribunal rejette les conclusions indemnitaires du requérant tendant à la réparation des préjudices matériel et moral qu’il aurait subis, en rappelant notamment que les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée ont été rejetées, de sorte que n’est pas satisfaite la première condition permettant d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union et tenant à l’existence d’une violation d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.
{1} Règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1).
{2} Création par le document du 25 novembre 1994 relatif à l’établissement d’International Management Group - Infrastructure pour la Bosnie-Herzégovine (IMG-IBH) (ci-après la « résolution du 25 novembre 1994 »).
{3} Décision d’exécution C(2013) 7682 final.
{4} Article 84 du règlement no 966/2012.
{5} Règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 248, p. 1).
{6} Arrêt du 2 février 2017, International Management Group/Commission (T 29/15, non publié, EU:T:2017:56).
{7} Arrêt du 2 février 2017, IMG/Commission (T 381/15, non publié, EU:T:2017:57).
{8} Arrêt du 31 janvier 2019, International Management Group/Commission (C 183/17 P et C 184/17 P, EU:C:2019:78).
{9} Arrêt du 9 septembre 2020, IMG/Commission (T 381/15 RENV, EU:T:2020:406).
{10} Arrêt du 22 septembre 2022, IMG/Commission (C 619/20 P et C 620/20 P, EU:C:2022:722).
{11} La notion d’« organisation internationale », mentionnée aux articles 53 et 53 quinquies du règlement no 1605/2002, à l’article 58 du règlement no 966/2012 et à l’article 62 du règlement 2018/1046, a été définie, dans des termes quasiment identiques, à l’article 43, paragraphe 2, du règlement no 2342/2002, puis à l’article 43, paragraphe 1, du règlement délégué no 1268/2012, qui a abrogé et remplacé le règlement no 2342/2002, et à l’article 156 du règlement 2018/1046. Ainsi, en vertu de ces trois dernières dispositions, cette notion recouvre les organisations de droit international public créées par des accords internationaux.
{12} Convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331, ci-après la « convention de Vienne »).
{13} Projet d’articles sur la responsabilité des organisations internationales adopté par la Commission du droit international des Nations unies à sa soixante-troisième session, en 2011, et soumis à l’Assemblée générale dans le cadre de son rapport sur les travaux de ladite session (A/66/10) [Annuaire de la Commission du droit international, 2011, vol. II(2), ci-après le « projet d’articles »).
{14} Voir arrêt de la Cour internationale de justice, Obligation de négocier un accès à l’océan pacifique (Bolivie c. Chili), du 1er octobre 2018, Recueil 2018, p. 507, points 105 et 106 et jurisprudence citée.
{15} Voir, en ce sens, arrêt de la Cour internationale de justice, Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), du 26 juin 1992, exceptions préliminaires, Recueil 1992, p. 240, point 47.
{16} Voir, en ce sens, avis consultatif de la Cour internationale de justice, jugement no 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du Travail sur requête contre le Fonds international de développement agricole, du 1er février 2012, Recueil 2012, p. 10, points 57 et 61.
{17} Voir, en ce sens, arrêt de la Cour permanente d’arbitrage, Dr. Reineccius e.a. c. Bank for International Settlements, du 22 novembre 2002, affaire no 2000-04, point 108 ; avis consultatif de la Cour internationale de justice, jugement no 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du Travail sur requête contre le Fonds international de développement agricole, du 1er février 2012, Recueil 2012, p. 10, point 58 et arrêt de la Cour internationale de justice, Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), du 20 avril 2010, Recueil 2010, p. 14, point 88.
{18} Voir, en ce sens, avis consultatif de la Cour internationale de justice, Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé, du 8 juillet 1996, Recueil 1996, p. 66, points 19 et 25 ; arrêts de la Cour internationale de justice, Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria, du 11 juin 1998, exceptions préliminaires, Recue...
Arrêt du 4 septembre 2024, IMG / Commission (T-509/21) (cf. points 100-105, 120, 128-134, 138, 178)
48. Pourvoi - Objet - Annulation d'un arrêt du Tribunal constatant l'illégalité d'une décision de la Commission constatant l'incompatibilité d'une aide avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération - Conclusions figurant dans l'arrêt sous pourvoi et n'ayant pas fait l'objet d'un pourvoi incident - Autorité de la chose jugée - Exclusion d'un nouvel examen
En annulant l’arrêt Irlande e.a./Commission du Tribunal{1} par lequel celui-ci a annulé la décision de la Commission européenne concernant l’aide d’État octroyée par l’Irlande en faveur d’Apple{2}, puis, en statuant elle-même définitivement sur les éléments du litige restant à trancher, la Cour, réunie en grande chambre, juge, au vu de l’analyse figurant dans la décision litigieuse ainsi que des constats du Tribunal demeurés incontestés, que la Commission a valablement conclu au caractère sélectif de l’avantage accordé à deux sociétés de droit irlandais du groupe Apple par deux décisions fiscales anticipatives adoptées par les autorités fiscales irlandaises au sujet de la détermination de la base imposable des succursales irlandaises des sociétés en question. À cet égard, la Cour inscrit son analyse dans le cadre tracé par les principes jurisprudentiels récemment consolidés{3}, concernant la définition et l’analyse du cadre de référence au regard duquel la sélectivité de mesures fiscales doit être appréciée aux fins de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Elle rappelle à cet égard que la délimitation appropriée du cadre de référence pertinent, et, par extension, l’interprétation correcte des dispositions de droit national le composant constitue une question de droit relevant du contrôle incombant à la Cour au stade du pourvoi, dans les limites de l’objet de ce dernier.
Au sein du groupe Apple, Apple Inc., établie à Cupertino (États-Unis), contrôle différentes sociétés de droit irlandais par l’intermédiaire de sa filiale à 100 %, Apple Operations International. Cette dernière détient 100 % de la filiale Apple Operations Europe (AOE), qui à son tour détient 100 % de la filiale Apple Sales International (ASI). ASI et AOE sont toutes deux constituées en tant que sociétés de droit irlandais, mais ne sont pas résidentes fiscales irlandaises. Celles-ci disposent, chacune, d’une succursale en Irlande, dépourvue de personnalité juridique distincte.{4}
ASI et AOE étaient liées à Apple Inc. par un accord de partage des coûts qui prévoyait en particulier l’octroi, en leur faveur, de licences libres de redevance afin de leur permettre d’utiliser les droits de propriété intellectuelle du groupe Apple. Cette utilisation consistait, notamment, dans la fabrication et la vente des produits concernés sur l’ensemble des territoires situés en dehors du continent américain.
En vertu des dispositions de droit irlandais régissant l’imposition des sociétés en vigueur au cours de la période considérée (ci-après les « dispositions de référence »), les sociétés non-résidentes étaient imposables au titre des revenus commerciaux réalisés directement ou indirectement par l’intermédiaire d’une succursale active en Irlande. En l’occurrence, en 1990, les autorités fiscales irlandaises ont été saisies de demandes émanant des prédécesseurs d’ASI et d’AOE visant à se voir préciser la détermination de leurs bénéfices imposables. C’est dans ce contexte que les autorités fiscales irlandaises ont adopté une première décision fiscale anticipative en 1991, ultérieurement révisée à la demande d’ASI et d’AOE, et une seconde décision en 2007 (ci-après, conjointement dénommées, les « rulings fiscaux contestés »).
À l’issue d’une procédure formelle d’examen ouverte en 2014, la Commission a adopté la décision litigieuse concernant les rulings fiscaux contestés. Dans cette décision, la Commission a considéré, en particulier, que, dans la mesure où les rulings fiscaux contestés avaient entraîné une réduction de la base imposable d’ASI et d’AOE, aux fins de l’établissement de l’impôt sur les sociétés en Irlande, ils avaient procuré un avantage à ces deux sociétés. Afin de prouver l’existence d’un avantage sélectif en l’espèce, la Commission a examiné l’existence d’un avantage sélectif découlant d’une dérogation au cadre de référence. En s’appuyant sur des raisonnements à titre principal, à titre subsidiaire et à titre alternatif, la Commission a considéré, en substance, que les rulings fiscaux contestés avaient permis à ASI et à AOE de réduire le montant de l’impôt dont elles étaient redevables en Irlande au cours de la période pendant laquelle ils étaient en vigueur, à savoir entre les années 1991 et 2014, et que cette réduction du montant de l’impôt représentait un avantage par rapport à d’autres sociétés se trouvant dans une situation comparable. Plus spécifiquement, à titre principal, la Commission a soutenu que le fait que les autorités fiscales irlandaises aient accepté, dans les rulings fiscaux contestés, la prémisse selon laquelle les licences de droits de propriété intellectuelle (ci-après « PI ») du groupe Apple détenues par ASI et AOE devaient être attribuées hors d’Irlande avait conduit à ce que les bénéfices annuels imposables d’ASI et d’AOE en Irlande s’écartent d’une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché conforme au principe de pleine concurrence.
Statuant sur les recours introduits respectivement par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE, visant à l’annulation de la décision litigieuse, le Tribunal, estimant que la Commission n’était pas parvenue à démontrer à suffisance de droit l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, a annulé la décision litigieuse dans son intégralité.
Dans son arrêt, le Tribunal a rappelé, à titre liminaire, que, dans le cadre du contrôle des aides d’État, pour examiner si les rulings fiscaux contestés ont constitué de telles aides, il incombait à la Commission de démontrer notamment que ces rulings fiscaux avaient procuré un avantage sélectif.
À cet égard, le Tribunal a rejeté le raisonnement à titre principal de la Commission concernant l’existence d’un avantage pour deux motifs relatifs, d’une part, aux appréciations de la Commission sur l’imposition normale en vertu du droit fiscal irlandais applicable en l’espèce, et, d’autre part, aux appréciations de la Commission portant sur les activités au sein du groupe Apple.
Ayant rejeté, en outre, les raisonnements présentés à titre subsidiaire ainsi qu’à titre alternatif à ce sujet, le Tribunal a annulé la décision litigieuse dans son intégralité, sans examiner les autres moyens et griefs invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE.
À l’appui de son pourvoi, la Commission invoque deux moyens, visant respectivement les motifs de l’arrêt attaqué ayant trait à l’appréciation du raisonnement à titre principal et ceux ayant trait à l’appréciation du raisonnement à titre subsidiaire.
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Appréciation de la Cour
À titre liminaire, la Cour rappelle que, afin de qualifier une mesure fiscale nationale de « sélective » aux fins de l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, la Commission doit identifier, dans un premier temps, le système de référence, à savoir le régime fiscal « normal » applicable dans l’État membre concerné, et démontrer, dans un second temps, que la mesure fiscale en cause déroge à ce système de référence, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce dernier, dans une situation factuelle et juridique comparable.
La Cour précise que la détermination du cadre de référence revêt une importance accrue dans le cas de mesures fiscales, puisque l’existence d’un avantage économique, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale ».
Sur ce point, la Cour observe, en outre, que, en dehors des domaines dans lesquels le droit fiscal de l’Union fait l’objet d’une harmonisation, c’est l’État membre concerné qui détermine, par l’exercice de ses compétences propres en matière de fiscalité directe, les caractéristiques constitutives de l’impôt, lesquelles définissent, en principe, le système de référence ou le régime fiscal « normal ». Il en va, notamment, ainsi de la détermination de l’assiette de l’impôt, de son fait générateur et des éventuelles exonérations dont il est assorti. Il s’ensuit que seul le droit national applicable dans l’État membre concerné doit être pris en compte en vue d’identifier ledit système de référence. Cette conclusion est toutefois sans préjudice de la possibilité de constater que le cadre de référence lui-même, tel qu’il découle du droit national, est incompatible avec le droit de l’Union en matière d’aides d’État, dès lors que le système fiscal en cause a été configuré selon des paramètres manifestement discriminatoires, destinés à contourner ledit droit.
C’est à l’aune de ces principes que la Cour entame l’examen du pourvoi.
À cet égard, la Cour indique d’emblée que le raisonnement à titre principal de la Commission repose sur le postulat que, pour attribuer correctement les bénéfices conformément à l’approche de l’entité distincte et au principe de pleine concurrence consacrés par les dispositions de droit national applicables{5}, il incombait aux autorités irlandaises compétentes de vérifier si les bénéfices tirés de l’utilisation des licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et par AOE ne devaient pas, en tout ou partie, être imputés à leurs succursales irlandaises. L’absence des vérifications requises par lesdites dispositions a, selon la Commission, entraîné une réduction de la charge fiscale de ces sociétés, leur conférant un avantage sélectif.
Cela étant précisé, la Cour juge la Commission recevable à contester les appréciations du Tribunal au sujet du cadre de référence issu du droit irlandais. En effet, la question de savoir si le Tribunal a délimité de manière appropriée le système de référence en droit irlandais et, par extension, a interprété de manière correcte les dispositions nationales composant ce système est une question de droit susceptible de faire l’objet du contrôle de la Cour au stade du pourvoi. Ainsi, les arguments de la Commission tendant à remettre en cause le choix du cadre de référence ou sa signification dans la première étape de l’analyse de l’existence d’un avantage sélectif sont recevables, puisque cette analyse procède d’une qualification juridique du droit national sur la base d’une disposition du droit de l’Union. En l’occurrence, il en va ainsi tant pour le grief tiré de ce que le Tribunal aurait interprété la décision de manière erronée en retenant que, dans son raisonnement à titre principal, la Commission s’était limitée à une approche « par exclusion » que pour le grief par lequel la Commission reproche au Tribunal de s’être fondé sur les fonctions exercées par Apple Inc.
La Cour examine ainsi, en premier lieu, le grief tiré de l’existence d’une erreur d’interprétation de la décision litigieuse, dans la mesure où le Tribunal aurait considéré que le raisonnement à titre principal de la Commission était fondé uniquement sur l’absence de salariés et de présence physique aux sièges d’ASI et d’AOE et, partant, sur une approche « par exclusion ».
À cet égard, la Cour constate, tout d’abord, que ce raisonnement de la Commission repose sur le postulat selon lequel, d’une part, l’application des dispositions de référence requérait que soit déterminée au préalable une méthode d’attribution des bénéfices que ces dispositions ne définissent pas et, d’autre part, cette méthode devait parvenir à un résultat conforme au principe de pleine concurrence. Or, ce postulat n’a pas été remis en cause par le Tribunal, qui a ajouté que l’imposition dite « normale » est définie par les règles fiscales nationales et que l’existence même d’un avantage doit être établie par rapport à celles-ci, avant de préciser toutefois que, si ces règles nationales prévoient que les succursales des sociétés non-résidentes, en ce qui concerne les bénéfices résultant des activités commerciales de celles-ci en Irlande, et les sociétés résidentes sont imposées dans les mêmes conditions, l’article 107, paragraphe 1, TFUE permet à la Commission de contrôler si le niveau des bénéfices attribués à de telles succursales, accepté par les autorités nationales pour la détermination des bénéfices imposables de ces sociétés non-résidentes, correspond au niveau des bénéfices qui auraient été obtenus par l’exercice de ces activités commerciales dans des conditions de marché.
Selon la Cour, il s’en déduit que l’application du principe de pleine concurrence dans le cas d’espèce se fonde sur les règles fiscales du droit irlandais relatives à l’imposition des sociétés et, partant, sur le système de référence identifié par la Commission et confirmé par le Tribunal. En l’occurrence, le Tribunal a explicitement reconnu que, contrairement à ce que soutenait l’Irlande, l’application des dispositions de référence, telle que décrite par cet État membre, correspondait en substance à l’analyse fonctionnelle et factuelle dans le cadre de la première étape de l’approche autorisée de l’OCDE relative à l’attribution des bénéfices à un établissement stable. Ces constatations du Tribunal l’ont notamment conduit à juger que la Commission n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle s’est prévalue du principe de pleine concurrence afin de contrôler si, dans l’application des dispositions de référence par les autorités fiscales irlandaises, le niveau des bénéfices attribués aux succursales d’ASI et d’AOE pour leurs activités commerciales en Irlande, tel qu’accepté dans les rulings fiscaux contestés, correspondait au niveau des bénéfices qui auraient été obtenus par l’exercice de ces activités commerciales dans des conditions de marché, et lorsqu’elle s’est fondée, en substance, sur l’approche autorisée de l’OCDE aux fins de cette application, en prenant en compte la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre ces succursales et les autres parties de ces sociétés. Lesdites constatations doivent être tenues pour acquises, dès lors qu’elles n’ont pas été valablement remises en cause par les autres parties dans le cadre de la présente procédure de pourvoi.
Or, il ressort des étapes du raisonnement exposé dans la décision litigieuse que la Commission a, tout d’abord, estimé que, afin de déterminer, conformément aux dispositions pertinentes du droit national, les bénéfices imposables d’ASI et d’AOE en Irlande selon le principe de pleine concurrence, il convenait de comparer les fonctions exercées respectivement par les sièges et par les succursales irlandaises de ces sociétés en rapport avec les licences de PI. Ensuite, en application de ce critère, elle a procédé à un examen distinct du rôle de chacun de ces sièges et de chacune de ces succursales en rapport avec ces licences. Au terme de cet examen, elle a constaté, d’une part, une absence de fonctions en rapport avec les licences de PI pour ce qui est des sièges et, d’autre part, un rôle actif des succursales irlandaises découlant de l’exercice d’un certain nombre de fonctions et de risques liés à la gestion et à l’utilisation de ces licences. De plus, la constatation de l’absence de fonctions « actives ou critiques » exercées par les sièges est fondée sur l’absence de preuves contraires apportées par Apple, en conjonction avec l’absence de capacité effective de ces sièges à exercer ces fonctions. Ainsi, le raisonnement à titre principal de la Commission repose non seulement sur l’absence de fonctions exercées par les sièges en rapport avec les licences de PI, mais aussi sur l’analyse des fonctions effectivement exercées par les succursales en rapport avec ces licences.
Dès lors, ce n’est pas le constat selon lequel les sièges n’avaient ni salariés ni présence physique en dehors des succursales irlandaises qui a conduit la Commission à conclure que les licences de PI et les bénéfices y afférents devaient être attribués à ces succursales. La Commission a tiré cette conclusion au terme de la mise en relation de deux constatations distinctes, à savoir, d’une part, l’absence de fonctions actives ou critiques exercées et de risques assumés par les sièges et, d’autre part, la multiplicité et le caractère central des fonctions exercées et des risques assumés par lesdites succursales, et ce en application du critère juridique énoncé dans la décision litigieuse.
Dans ces conditions, la Cour juge que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a considéré que, dans son raisonnement à titre principal, la Commission s’était limitée à une approche « par exclusion », ceci constituant une interprétation erronée de la décision litigieuse.
En deuxième lieu, en ce qui concerne les motifs visés par le pourvoi sur lesquels le Tribunal s’est fondé pour considérer que les succursales d’ASI et d’AOE en Irlande ne contrôlaient pas les licences de PI du groupe Apple et ne généraient pas les bénéfices que la Commission prétendait qu’elles réalisaient, la Cour juge, tout d’abord, que la Commission est fondée à faire valoir que le Tribunal a commis une irrégularité de procédure en prenant en compte, aux fins de son analyse, des éléments de preuve qui n’avaient pas été produits au cours de la procédure administrative et, partant, qui devaient être considérés comme étant irrecevables. Par ailleurs, en ce qui concerne la méthode d’attribution des bénéfices imposables exigée en vertu du droit irlandais, la Cour observe que le critère de détermination des bénéfices d’une société non-résidente, que le Tribunal a considéré être applicable en vertu de l’article 25 du TCA 97, commande de prendre en compte la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre les succursales irlandaises et les autres parties des sociétés concernées, à l’exclusion du rôle éventuel joué par des entités distinctes, telles, en l’espèce, Apple Inc. Or, à cet égard, la Cour constate que le Tribunal s’est fondé, dans les motifs critiqués, explicitement ou implicitement, sur les fonctions exercées par cette dernière, en rapport avec la PI du groupe Apple, pour étayer son constat d’erreur viciant l’analyse exposée par la Commission. En conséquence, la Cour juge que la Commission est fondée à faire valoir que, pour juger que les preuves permettant d’attribuer les bénéfices découlant de l’exploitation des licences de PI aux succursales d’ASI et d’AOE n’étaient pas suffisantes, le Tribunal a comparé erronément les fonctions exercées par ces succursales en rapport avec ces licences à celles exercées par Apple Inc. en rapport avec la PI du groupe Apple plutôt qu’à celles effectivement exercées par les sièges en lien avec lesdites licences.
En troisième lieu, la Cour examine la conclusion selon laquelle les accords et les activités d’ASI et d’AOE en dehors de l’Irlande témoigneraient du fait que ces sociétés étaient en mesure de développer et de gérer la PI du groupe Apple et de générer des bénéfices en dehors de l’Irlande et que ces bénéfices n’étaient, par conséquent, pas soumis à l’impôt en Irlande. Elle considère à cet égard que, si l’appréciation de la valeur probatoire d’une pièce du dossier appartient en principe au seul Tribunal, il lui incombe en revanche d’examiner un grief tiré d’une détermination erronée de la charge de la preuve. En l’occurrence, en considérant qu’il appartenait à la Commission de démontrer l’existence de décisions commerciales importantes non mentionnées dans les procès-verbaux des conseils d’administration des sociétés concernées, le Tribunal a fait peser sur la Commission une charge de la preuve excessive.
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour annule l’arrêt sous pourvoi en tant qu’il accueille les griefs à l’encontre du raisonnement à titre principal relatif à l’existence d’un avantage sélectif et qu’il annule, en conséquence, la décision litigieuse.
Dans un second temps, estimant que le litige est en état d’être jugé, la Cour examine elle-même les recours en annulation de la décision litigieuse introduits par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE.
À ce titre, la Cour juge, tout d’abord, qu’il y a lieu d’écarter l’ensemble des moyens dirigés contre les appréciations de la Commission relatives à son raisonnement à titre principal et ayant trait, d’une part, à l’identification du cadre de référence et, d’autre part, à l’imposition normale en vertu du droit irlandais applicable en l’espèce, dès lors que le Tribunal a rejeté les griefs invoqués à ce titre par des motifs demeurés incontestés au stade du pourvoi. En l’absence de pourvoi incident, de tels motifs sont revêtus de l’autorité de chose jugée.
Ensuite, contrairement à ce que le Tribunal a jugé, la Cour considère que la Commission est bien parvenue à démontrer que, eu égard, d’une part, aux activités et aux fonctions effectivement exercées par les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE et, d’autre part, à l’absence d’éléments concordants de nature à établir l’existence de décisions stratégiques prises et mises en œuvre par les sièges de ces sociétés situés en dehors de l’Irlande, ces succursales irlandaises auraient dû se voir attribuer les bénéfices générés par l’exploitation des licences de PI du groupe Apple, aux fins de la détermination des bénéfices annuels imposables d’ASI et d’AOE en Irlande. De plus, la Commission a démontré à suffisance que les rulings fiscaux contestés aboutissent à ce qu’ASI et AOE bénéficient d’un traitement fiscal favorable par rapport aux sociétés résidentes imposées en Irlande qui ne sont pas susceptibles de bénéficier de telles décisions anticipatives de l’administration fiscale, à savoir en particulier les sociétés non intégrées autonomes, les sociétés intégrées d’un groupe qui réalisent des transactions avec des tiers ou les sociétés intégrées d’un groupe qui réalisent des transactions avec des sociétés du groupe auxquelles elles sont liées en fixant le prix de ces transactions dans des conditions de pleine concurrence, alors même que ces sociétés se trouvent dans une situation factuelle et juridique comparable en ce qui concerne l’objectif poursuivi par le système de référence qui est d’imposer les bénéfices générés en Irlande. Enfin, la Commission a considéré à juste titre, dans la décision litigieuse, que la différenciation en matière de traitement fiscal des bénéfices d’ASI et d’AOE induite par les rulings fiscaux contestés n’était pas justifiée par la nature ou par l’économie du système fiscal irlandais. Dans ces conditions, il convient d’écarter les griefs avancés par les parties requérantes quant à l’examen de la sélectivité de ces rulings fiscaux dans la décisionl
itigieuse.
Par ailleurs, c’est sans commettre d’erreur que la Commission a considéré que l’Irlande avait renoncé à des recettes fiscales de la part d’ASI et d’AOE dans la mesure où les rulings fiscaux contestés approuvent des méthodes d’attribution des bénéfices qui aboutissent à un résultat que n’auraient pas accepté des entreprises distinctes et autonomes agissant dans des conditions de marché. Ces rulings fiscaux réduisent, en effet, les bénéfices imposables d’ASI et d’AOE aux fins de l’application des dispositions de référence et, ainsi, le montant de l’impôt sur les sociétés qu’elles sont tenues d’acquitter en Irlande par rapport aux autres sociétés imposées dans cet État membre dont les bénéfices imposables reflètent les prix déterminés sur le marché dans des conditions de pleine concurrence. De telles mesures allègent donc les charges qui grèvent, en principe, le budget d’une entreprise, de sorte qu’elles entraînent bien un avantage accordé « au moyen de ressources d’État ».
Enfin, la Cour rejette comme non fondés les moyens tirés, notamment, de la violation du droit d’être entendu dans le cadre de la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision litigieuse, d’une violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, ainsi que du dépassement, par la Commission, de ses compétences et de l’ingérence de cette dernière dans les compétences des États membres en violation du principe d’autonomie fiscale de ceux-ci.
À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette les recours...
Arrêt du 10 septembre 2024, Commission / Irlande e.a. (C-465/20 P) (cf. point 124)
49. Recours des fonctionnaires - Arrêt d'annulation - Effets - Annulation d'une décision prononçant une sanction disciplinaire - Annulation fondée sur la prise en compte, au titre de la récidive, de certains faits - Adoption d'une nouvelle décision sans tenir compte desdits faits - Violation de l'autorité de chose jugée - Absence
Saisi d’un recours par IP, ancien agent contractuel de la Commission européenne, le Tribunal annule la décision de cette institution lui infligeant la sanction disciplinaire de résiliation sans préavis de son contrat d’engagement (ci-après la « décision attaquée »).
Dans ce contexte, le Tribunal se prononce sur la question de savoir si, lors de la reprise d’une procédure disciplinaire consécutive à l’annulation d’une précédente décision de sanction adoptée par l’administration, cette dernière est tenue de consulter à nouveau le conseil de discipline dans l’hypothèse où, dans son avis, ce dernier recommandait l’adoption d’une sanction sur le fondement de motifs affectés par l’erreur de droit ayant justifié l’annulation de ladite décision. Par ailleurs, dans son arrêt, le Tribunal apporte une clarification, dans le domaine du droit de la fonction publique, quant à la possibilité pour le juge de neutraliser une irrégularité procédurale qualifiée de « formalité substantielle ».
En l’espèce, le 21 août 2019, la Commission a adopté, à l’égard d’IP, une décision lui infligeant une sanction disciplinaire de résiliation sans préavis de son contrat d’engagement en lui reprochant d’avoir soumis deux demandes de remboursement de frais médicaux ne correspondant pas à la réalité des sommes payées ou des soins perçus (ci-après la « décision du 21 août 2019 »). Pour fixer cette sanction disciplinaire, la Commission s’est fondée, au titre de la récidive, sur l’existence d’une sanction antérieure de blâme que le requérant avait reçue en 2010. À cet égard, après avoir constaté qu’il avait commis des faits similaires à ceux qui avaient justifié cette sanction, la Commission a considéré que le requérant avait ainsi démontré qu’il n’en avait pas tiré les enseignements et avait continué à privilégier ses intérêts personnels sur ceux de l’institution.
IP ayant saisi une première fois le Tribunal, ce dernier, par son arrêt du 6 octobre 2021{1} (ci-après l’« arrêt initial »), a annulé la décision du 21 août 2019, en précisant que l’autorité disciplinaire qui se fonde, au titre de la récidive, sur une sanction disciplinaire dont aucune mention ne subsiste dans le dossier individuel du fonctionnaire concerné, après qu’il a été fait droit à une demande introduite par ce fonctionnaire en ce sens en vertu de l’article 27 de l’annexe IX du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), avait méconnu les droits que ce statut garantit aux fonctionnaires.
Après avoir entendu IP lors d’une nouvelle audition, la Commission a adopté la décision attaquée, par laquelle elle lui a infligé à nouveau la sanction disciplinaire de résiliation sans préavis de son contrat d’engagement, en lui reprochant d’avoir soumis les deux demandes de remboursement de frais médicaux en cause dans la décision du 21 août 2019, lesquelles ne correspondaient pas à la réalité des sommes payées ou des soins perçus, et en qualifiant ces faits de tentative de fraude au budget de l’Union européenne, ce qui constituait, selon elle, une faute particulièrement grave.
IP a alors saisi le Tribunal aux fins d’annulation de la décision attaquée .
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal rappelle que, pour se conformer à l’obligation que fait peser sur elle l’article 266 TFUE, il appartient à l’institution dont émane un acte annulé par le juge de l’Union de déterminer les mesures qui sont requises pour exécuter l’arrêt d’annulation en exerçant le pouvoir d’appréciation dont elle dispose à cet effet dans le respect des dispositions du droit de l’Union applicables ainsi que du dispositif et des motifs de l’arrêt qu’elle est tenue d’exécuter. En particulier, l’institution est tenue de respecter non seulement le dispositif de l’arrêt, mais également les motifs qui ont amené à celui-ci et en constituent le soutien nécessaire, en ce sens qu’ils sont indispensables pour déterminer le sens exact de ce qui a été jugé dans le dispositif. Ce sont, en effet, ces motifs qui font apparaître les raisons exactes de l’illégalité constatée dans le dispositif et que l’institution concernée doit prendre en considération en remplaçant l’acte annulé.
En outre, l’article 266 TFUE n’oblige l’institution dont émane l’acte annulé que dans les limites de ce qui est nécessaire pour assurer l’exécution de l’arrêt d’annulation.
En l’occurrence, la décision du 21 août 2019 a été annulée en raison d’une erreur de droit caractérisée par la prise en compte, par la Commission, au titre de la récidive, de faits antérieurs aux faits reprochés, dont la connaissance résultait d’un document figurant au dossier individuel du requérant, alors que tel n’aurait pas dû être le cas. Dans l’arrêt initial, le Tribunal ne s’était pas prononcé, en revanche, sur la matérialité des faits reprochés au requérant ayant fait l’objet des deux sanctions disciplinaires successives ni sur la légalité des autres motifs de cette décision.
Partant, le dispositif de l’arrêt initial et les motifs qui en constituent le soutien nécessaire, qui sont revêtus de l’autorité de la chose jugée, ne s’opposent pas à la reprise de la procédure disciplinaire et à l’infliction d’une nouvelle sanction sur le fondement des faits reprochés qui n’ont pas été remis en cause par le même arrêt. Ainsi, elle n’a violé l’autorité de chose jugée dont est revêtu l’arrêt initial ni en procédant à la reprise de la procédure disciplinaire ni en adoptant une nouvelle décision de sanction qui n’est pas fondée sur les motifs de la décision du 21 août 2019 ayant retenu le critère de la récidive.
En second lieu, le Tribunal relève que la procédure visant à remplacer l’acte annulé doit être reprise au point précis auquel l’illégalité est intervenue. En l’espèce, le rapport de saisine du conseil de discipline et l’avis de ce dernier étant affectés par l’illégalité ayant justifié l’annulation de la décision du 21 août 2019, la Commission était tenue de reprendre la procédure au stade de la saisine du conseil de discipline et ne pouvait donc pas reprendre cette procédure à un stade ultérieur.
À cet égard, bien que l’avis du conseil de discipline, qui est un organe à caractère consultatif, ne lie pas l’autorité disciplinaire quant à la réalité des faits incriminés, sa consultation n’en constitue pas moins une obligation procédurale.
Premièrement, compte tenu des dispositions des articles 3 et 11 de l’annexe IX du statut, lorsque l’administration ouvre une procédure disciplinaire en envisageant qu’elle puisse conduire à infliger une sanction plus sévère que l’avertissement par écrit ou le blâme, cette intervention constitue un élément essentiel de la procédure, car, d’une part, elle constitue le moment d’un débat contradictoire approfondi avec, éventuellement, la conduite d’une enquête complémentaire à celles déjà diligentées antérieurement et, d’autre part, l’administration se prononce ensuite en tenant compte des travaux du conseil de discipline, c’est-à-dire en tenant compte de son avis motivé adopté à la majorité ainsi que d’éventuelles opinions divergentes exprimées par certains de ses membres, ainsi qu’il résulte des articles 12 à 18 de la même annexe. Ainsi, lorsque l’administration s’écarte de l’avis du conseil de discipline, elle doit en exposer les motifs de manière circonstanciée. En conséquence, l’intervention du conseil de discipline constitue, lorsque celui-ci doit être saisi, une formalité substantielle de la procédure dont un fonctionnaire sanctionné à l’issue de cette procédure doit pouvoir en principe contester l’avis, lorsque l’administration reprend à son compte l’appréciation des faits par le conseil de discipline.
Deuxièmement, le droit pour chaque agent de voir son dossier disciplinaire examiné par le conseil de discipline et de voir ce dernier prendre connaissance de l’ensemble des faits reprochés et des circonstances dans lesquelles ils ont été commis, constitue une garantie essentielle du respect des droits de la défense.
En l’espèce, le Tribunal conclut que la Commission a violé une formalité substantielle au regard de l’article 12 de l’annexe IX du statut en ne saisissant pas à nouveau le conseil de discipline à la suite de l’annulation de la décision du 21 août 2019 et, ce faisant, elle n’a pas assuré l’exécution de l’arrêt initial tel qu’elle en avait l’obligation en vertu de l’article 266 TFUE.
En effet, d’une part, la Commission n’a pas permis que le débat contradictoire approfondi, auquel ouvre droit la procédure devant le conseil de discipline, ait lieu en pleine connaissance des éléments à la disposition de ce dernier et a privé le requérant du bénéfice des garanties lui permettant d’assurer le respect de ses droits de la défense.
D’autre part, la Commission a privé le conseil de discipline de la possibilité de recommander une sanction sur le fondement d’une appréciation des circonstances factuelles exactes qui justifiaient sa saisine. Elle n’a donc pas pu se voir recommander par le conseil de discipline une sanction qui tenait compte des motifs de l’arrêt initial et desdites circonstances.
La violation d’une formalité substantielle entraîne l’annulation de l’acte vicié, indépendamment de la question de savoir si cette violation a causé un préjudice à celui qui l’invoque ou si la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent. Le requérant n’était donc pas tenu de démontrer qu’une nouvelle consultation du conseil de discipline aurait été susceptible de modifier l’issue de la procédure disciplinaire en cause.
{1} Arrêt du 6 octobre 2021, IP/Commission (T 121/20, EU:T:2021:665).
Arrêt du 2 octobre 2024, IP / Commission (T-669/22) (cf. points 63, 66-69)