1. Concurrence - Amendes - Décision infligeant des amendes - Obligation de motivation - Portée -
Arrêt du 29 février 2016, EGL e.a. / Commission (T-251/12) (cf. points 132, 133)
2. Concurrence - Amendes - Décision infligeant des amendes - Obligation de motivation - Portée - Possibilité pour la Commission de s'écarter des lignes directrices pour le calcul des amendes - Exigences de motivation d'autant plus strictes
Lorsque la Commission décide de s’écarter de la méthodologie générale exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 1/2003, par lesquelles elle s’est autolimitée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation quant à la fixation du montant des amendes, en s’appuyant sur le point 37 de ces lignes directrices, les exigences de motivation s’imposent avec d’autant plus de vigueur. À cet égard, les lignes directrices énoncent une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont la Commission ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec, notamment, le principe d’égalité de traitement. Cette motivation doit être d’autant plus précise dès lors que le point 37 des lignes directrices se limite à une référence vague aux particularités d’une affaire donnée et laisse donc une large marge d’appréciation à la Commission pour procéder à une adaptation exceptionnelle des montants de base des amendes des entreprises concernées. En effet, dans un tel cas, le respect par la Commission des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives, dont l’obligation de motivation, revêt une importance d’autant plus fondamentale.
Il en résulte que, lorsque la Commission fixe les amendes infligées aux entreprises concernées par une procédure de transaction, en s'appuyant sur le point 37 des lignes directrices, elle est tenue d’expliquer de façon suffisamment claire et précise la manière dont elle entend faire usage de son pouvoir d’appréciation, y compris les différents éléments de fait et de droit qu’elle a pris en considération à cet effet. En particulier, eu égard à son obligation de respecter le principe d’égalité de traitement lors de la détermination des montants des amendes, ce devoir de motivation englobe l’ensemble des éléments pertinents requis pour pouvoir apprécier si les entreprises concernées, qui ont vu les montants de base de leurs amendes être adaptés, se trouvaient dans des situations comparables ou non, si lesdites situations ont été traitées de manière égale ou inégale et si un éventuel traitement égal ou inégal desdites situations était objectivement justifié.
De même, la Commission manque à son devoir de motivation si elle n'énonce pas les raisons pour lesquelles elle applique des taux de réduction divergents auxdites entreprises et cela, en particulier, lorsque ces taux présentent des écarts nettement différents par rapport au chiffre d'affaires total de chacune desdites entreprises et la variation ne s'explique pas par le seul motif que la Commission visait à réduire tous les montants de base à un pourcentage se situant en deçà dudit plafond de 10 % du chiffre d'affaires total.
Arrêt du 13 décembre 2016, Printeos e.a. / Commission (T-95/15) (cf. points 48, 49, 52)
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 10 novembre 2017, Icap e.a. / Commission (T-180/15) (cf. points 287-289)
3. Concurrence - Amendes - Décision infligeant des amendes - Obligation de motivation - Portée - Indication des raisons ayant amené la Commission à tenir une société mère solidairement responsable du paiement de l'amende infligée à ses filiales
Voir le texte de la décision.
Arrêt du 12 juillet 2018, The Goldman Sachs Group / Commission (T-419/14) (cf. points 175-182)
Arrêt du 12 juillet 2018, Pirelli & C. / Commission (T-455/14) (cf. points 39-60)
4. Concurrence - Amendes - Décision infligeant des amendes - Obligation de motivation - Portée - Indication des éléments d'appréciation ayant permis à la Commission d'appliquer un coefficient de correction à la valeur des ventes - Indication suffisante - Communication ultérieure d'informations plus précises - Absence d'incidence
La circonstance que des informations plus précises relatives au calcul du montant de l'amende en cas d'infraction aux règles de la concurrence soient communiquées ultérieurement au cours de la procédure contentieuse n'est pas de nature à démontrer que la décision attaquée était, à cet égard, entachée d'insuffisance de motivation. En effet, des précisions apportées par l'auteur d'une décision attaquée, complétant une motivation déjà en elle-même suffisante, ne relèvent pas à proprement parler du respect de l'obligation de motivation, même si elles peuvent être utiles au contrôle interne des motifs de la décision, exercé par le juge de l'Union, en ce qu'elles permettent à l'institution d'expliciter les raisons qui sont à la base de sa décision.
Arrêt du 12 décembre 2018, Servier e.a. / Commission (T-691/14) (cf. point 1732)
5. Recours en annulation - Arrêt d'annulation - Effets - Obligation d'adopter des mesures d'exécution - Portée - Décision de la Commission constatant une infraction - Annulation pour vice de motivation relevé d'office dans les limites des conclusions de la requérante - Adoption d'une nouvelle décision tenant compte des constats d'infraction non remis en cause par le dispositif de l'arrêt d'annulation ainsi que de nouveaux constats - Admissibilité - Obligation de motivation - Portée
La requérante, British Airways plc, est une compagnie de transport aérien active sur le marché des services de fret aérien.
Elle compte parmi les 19 destinataires de la décision C(2017) 1742 final de la Commission, du 17 mars 2017, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire AT.39258 - Fret aérien) (ci-après la « décision attaquée »). Par cette décision, la Commission européenne a constaté l’existence d’une infraction unique et continue à ces dispositions, par laquelle les entreprises en cause avaient coordonné, au cours de périodes comprises entre 1999 et 2006, leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret dans le monde entier. Elle a infligé à la requérante une amende d’un montant fixé à 104 040 000 euros pour sa participation à cette infraction.
Le 7 décembre 2005, la Commission avait reçu, au titre de sa communication sur la clémence de 2002{1}, une demande d’immunité introduite par Lufthansa et deux de ses filiales. Cette demande faisait état de l’existence de contacts anticoncurrentiels entre plusieurs entreprises actives sur le marché du fret aérien (ci-après les « transporteurs »), portant sur plusieurs éléments constitutifs du prix des services fournis dans le cadre de ce marché, à savoir l’instauration de surtaxes « carburant » et « sécurité » ainsi que, en substance, le refus d’accorder aux transitaires une ristourne sur ces surtaxes. Les éléments recueillis par la Commission et ses investigations l’ont conduite à adresser, le 19 décembre 2007, une communication des griefs à 27 transporteurs, puis à adopter, le 9 novembre 2010, à l’encontre de 21 transporteurs, dont la requérante, une première décision{2}. Celle-ci a toutefois été annulée par le Tribunal, par arrêts du 16 décembre 2015{3}, dans la limite des conclusions en annulation respectives à cette fin, en raison de contradictions entachant la motivation de ladite décision.
Considérant, en substance, que le Tribunal avait commis une erreur de droit en se retranchant derrière l’interdiction de statuer ultra petita pour limiter la portée de l’annulation qu’il avait ainsi prononcée après avoir constaté d’office un vice de motivation entachant la décision initiale dans son ensemble, la requérante a formé un pourvoi à l’encontre de l’arrêt rendu à son égard. Par arrêt du 14 novembre 2017{4}, la Cour, réunie en grande chambre, a rejeté ce pourvoi comme non-fondé dans son intégralité.
Statuant sur le recours introduit par la requérante contre la décision attaquée en tant que cette dernière la concerne, le Tribunal accueille partiellement les conclusions en annulation de la décision attaquée, de même que les conclusions tendant à la réduction du montant de l’amende infligée à la requérante. Plus spécifiquement, il annule la décision attaquée pour ce qui est du constat de la participation de la requérante à la composante de l’infraction tenant au refus de paiement, jugeant cette conclusion insuffisamment étayée, et réduit en conséquence le montant de l’amende au regard du caractère limité de la participation de la requérante à l’infraction. En revanche, appelé à se prononcer sur les exigences découlant de l’obligation d’adopter les mesures d’exécution requises suite à l’annulation d’une décision constatant une infraction aux règles de concurrence de l’Union, le Tribunal juge que la Commission a pu, sans encourir les critiques de la requérante, infliger à cette dernière une amende en se fondant également sur les constats d’infraction faits dans le dispositif de la décision initiale, pour autant qu’ils n’avaient pas été contestés et étaient, dès lors, devenus définitifs.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal juge que c’est sans outrepasser les limites de sa propre compétence territoriale que la Commission a constaté l’existence d’une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, affectant les vols sur les liaisons aériennes dites « entrantes », entendues comme les liaisons au départ d’aéroports situés dans des pays tiers et à destination de ceux situés dans des États membres de l’Union ou des autres États parties à l’Espace économique européen qui ne sont pas membres de l’Union, dans les limites temporelles décrites dans la décision attaquée.
En deuxième lieu, le Tribunal écarte le moyen, relevé d’office, tiré d’un défaut de compétence de la Commission pour constater et sanctionner une violation de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entre la Suisse, d’une part, et la Norvège et l’Islande, d’autre part. En effet, ce moyen n’est pas fondé, dès lors qu’il ressort du dispositif de la décision attaquée que la Commission n’a constaté aucune violation de cette disposition sur lesdites liaisons.
En troisième lieu, le Tribunal examine les griefs de la requérante visant à contester les modalités d’exécution de l’arrêt d’annulation la concernant. À cet égard, le Tribunal rappelle, en particulier, que la portée d’un arrêt d’annulation s’apprécie au regard des limites fixées au litige par la requérante dans ses conclusions. Dans ces conditions, le Tribunal considère que la Commission a pu retenir, sans se contredire, ni manquer à son obligation d’adopter les mesures d’exécution requises, à l’égard de la requérante, qu’il n’y avait pas lieu de revenir sur des constats d’infractions qui n’avaient pas été contestés par la requérante et qu’elle pouvait, dès lors, tenir pour définitifs à l’égard de cette dernière, quand bien même les coauteurs des infractions en cause ne seraient pas strictement les mêmes. C’est donc en vain que la requérante critique l’approche retenue par la Commission qui a conduit cette dernière à lui infliger une amende n’ayant pas exclusivement trait aux constats d’infractions faits dans la décision attaquée. À cet égard, le Tribunal précise encore que, contrairement à ce que soutient la requérante, le pourvoi qu’elle avait formé en vue de contester la limitation, à son égard, de l’annulation de la décision attaquée n’affecte en rien la validité de l’approche ainsi retenue par la Commission, dès lors que ce pourvoi était dépourvu d’effet suspensif et qu’en tout état de cause, il n’était pas susceptible d’élargir la portée des conclusions délimitant l’objet du litige
En quatrième lieu, le Tribunal examine encore les griefs visant, en substance, à contester les conclusions tirées par la Commission de l’examen des régimes réglementaires de différents pays tiers ainsi que le caractère suffisant des motifs exposés à cet égard, concluant à leur absence de bien-fondé. En effet, tout d’abord, le Tribunal juge que les principes régissant le moyen de défense tiré de la contrainte étatique s’appliquent tant aux réglementations d’États membres qu’à celles de pays tiers et que la charge de la preuve incombe à la partie qui se prévaut de ce moyen. Ensuite, la Commission a pu valablement considérer que la requérante était restée en défaut de prouver qu’elle avait agi sous la contrainte des régimes concernés. Enfin, pour autant que l’examen desdits régimes l’a conduite à admettre qu’ils aient pu avoir un effet incitatif sur les comportements infractionnels de la requérante, justifiant de lui reconnaître le bénéfice de circonstances atténuantes par application d’une réduction générale, la Commission s’est dûment expliquée quant au choix du taux de 15 % retenu à cet effet.
En cinquième lieu, pour autant que la Commission a conclu à la participation de la requérante à une infraction concernant le refus d’octroyer des ristournes, le Tribunal juge, en revanche, insuffisants les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est appuyée pour fonder cette conclusion et, en conséquence, annule la décision attaquée, dans la mesure où elle constate la participation de la requérante à ce volet de l’infraction.
En sixième lieu, le Tribunal examine les griefs de la requérante à l’encontre de la détermination du montant de l’amende que la Commission lui a infligée, plus particulièrement ceux concernant le calcul de la réduction octroyée en vertu du programme de clémence. À cet égard, il rappelle que la communication sur la clémence de 2002 subordonne le bénéfice d’une réduction d’amende, notamment, à la production d’éléments probants apportant une valeur ajoutée significative, aux fins de l’établissement des faits en question, par rapport aux éléments déjà en possession de la Commission. À l’issue d’un examen approfondi des éléments produits par la requérante dont la valeur aurait, selon elle, été méconnue par la Commission, le Tribunal constate, au contraire, que c’est par une juste appréciation de leur valeur respective que la Commission a pu conclure à l’insuffisance de leur valeur ajoutée. En tout état de cause, la requérante ne saurait invoquer utilement le principe d’égalité de traitement pour contester le traitement plus défavorable auquel elle dit avoir été soumise par rapport à celui appliqué à d’autres transporteurs destinataires de la décision attaquée, étant donné que ces derniers ne se trouvaient pas dans une situation comparable à la sienne.
En septième et dernier lieu, le Tribunal fait usage de sa compétence de pleine juridiction pour statuer sur les conclusions tendant à la réduction du montant des amendes infligées. Sans s’écarter de la méthode de calcul suivie par la Commission dans la décision attaquée, il tire, à ce titre, les conséquences de l’annulation partielle de la décision attaquée, en tant qu’elle retenait la participation de la requérante au volet de l’infraction tenant au refus d’octroyer des ristournes. En conséquence, le montant de l’amende infligée à la requérante, fixé à 104 040 000 euros par la Commission, est réduit à 84 456 000 euros.
{1} Communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3).
{2} Décision C(2010) 7694 final de la Commission, du 9 novembre 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire COMP/39258 - Fret aérien) (ci-après la « décision initiale »).
{3} Arrêts du 16 décembre 2015, Air Canada/Commission (T-9/11, non publié, EU:T:2015:994), Koninklijke Luchtvaart Maatschappij/Commission (T-28/11, non publié, EU:T:2015:995), Japan Airlines/Commission (T-36/11, non publié, EU:T:2015:992), Cathay Pacific Airways/Commission (T-38/11, non publié, EU:T:2015:985), Cargolux Airlines/Commission (T-39/11, non publié, EU:T:2015:991), Latam Airlines Group et Lan Cargo/Commission (T-40/11, non publié, EU:T:2015:986), Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo Pte/Commission (T-43/11, non publié, EU:T:2015:989), Deutsche Lufthansa e.a./Commission (T-46/11, non publié, EU:T:2015:987), British Airways/Commission (T-48/11, non publié, EU:T:2015:988), SAS Cargo Group e.a./Commission (T-56/11, non publié, EU:T:2015:990), Air France KLM/Commission (T-62/11, non publié, EU:T:2015:996), Air France/Commission (T-63/11, non publié, EU:T:2015:993) et Martinair Holland/Commission (T-67/11, non publié, EU:T:2015:984).
{4} Arrêt du 14 novembre 2017, British Airways/Commission (C-122/16 P, EU:C:2017:861).
6. Concurrence - Amendes - Décision infligeant des amendes - Obligation de motivation - Portée
Le Tribunal confirme la décision de la Commission européenne{1} en ce qu’elle constate que les entreprises Credit Suisse Group, Credit Suisse et Credit Suisse Securities (Europe) (ci-après, prises ensemble, « Credit Suisse ») ont participé à une entente dans le secteur des opérations de change au comptant portant sur les devises G10{2}. Néanmoins, il annule l’amende imposée à Credit Suisse dans la décision de la Commission en raison de l’erreur commise par cette institution en ce qui concerne l’utilisation de certaines données dans le calcul de l’amende et, statuant sur la demande de réduction du montant de l’amende formulée par les requérantes, en inflige une d’un montant moindre que celui imposé dans la décision attaquée.
À la suite d’une demande de clémence introduite en 2013 par UBS AG, la Commission a ouvert une enquête en vue de déterminer si une entente existait dans le secteur des changes au comptant portant sur les devises G10. Les opérations de change au comptant peuvent être définies comme un accord entre deux parties d’échanger deux devises, à savoir d’acheter un certain montant (le « montant notionnel ») d’une première contre son équivalent dans une seconde à la valeur au moment de l’accord, c’est-à-dire aux taux de change en vigueur. Ceux-ci varient en fonction de l’information quant à leur valeur fondamentale. À court terme, ils sont principalement déterminés par les flux d’ordres des traders, tandis que les fondamentaux du marché déterminent les taux de change à plus long terme.
À l’issue de son enquête, la Commission a considéré que les traders de plusieurs entreprises actives dans le secteur bancaire et financier, dont Credit Suisse, avaient échangé des informations afin d’obtenir un avantage concurrentiel sur le marché des changes au comptant. En outre, ces comportements faisaient, selon elle, partie d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique. La Commission a dès lors conclu que Credit Suisse avait enfreint l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en prenant part aux échanges d’informations s’inscrivant dans le cadre d’une infraction unique et continue ayant pour objet de restreindre ou de fausser la concurrence dans le secteur des opérations de change au comptant sur les devises G10 qui s’étendait sur l’ensemble de l’Espace économique européen (EEE). Par conséquent, elle lui a infligé une amende à hauteur de 83 294 000 euros.
UBS Group AG, venant aux droits de Credit Suisse Group, UBS, venant aux droits de Credit Suisse, et Credit Suisse Securities (Europe) ont saisi le Tribunal d’un recours tendant à obtenir, à titre principal, l’annulation de la décision attaquée et, à titre subsidiaire, la réduction du montant de l’amende imposée à Credit Suisse.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal confirme le caractère anticoncurrentiel de la quasi-intégralité des discussions des traders, intervenues entre mai 2011 et juillet 2012 et auxquelles Credit Suisse a participé du 7 février au 12 juillet 2012 (ci-après la « période pertinente »), celles-ci prenant la forme d’échanges d’informations commercialement sensibles.
Plus précisément, à une exception près, les discussions entre les traders des banques concernées et impliquant Credit Suisse révèlent un échange d’informations précises, actuelles et confidentielles. Par leur objet, leur degré de précision et le fait qu’elles n’étaient pas accessibles aux concurrents non présents sur le forum de discussion concerné, elles conféraient un avantage commercial aux traders destinataires en leur permettant d’adapter leurs stratégies de trading en conséquence et d’atténuer les incertitudes inhérentes au marché des changes au comptant.
Il s’ensuit que, en dépit de son erreur d’appréciation s’agissant de la nature anticoncurrentielle d’une de ces discussions, la Commission a considéré à juste titre que les échanges d’informations concernés permettaient de conclure à l’existence d’accords et/ou de pratiques concertées présentant un caractère anticoncurrentiel au sens de l’article 101 TFUE.
En deuxième lieu, sur le fait de savoir si les échanges d’informations litigieux constituent une « restriction par objet », le Tribunal rappelle qu’une telle qualification est subordonnée à la constatation d’un degré suffisant de nocivité des accords en cause pour la concurrence, compte tenu de leur teneur, de leurs objectifs ainsi que de leur contexte économique et juridique.
En l’occurrence, aux fins de l’appréciation du contexte économique dans lequel les échanges d’informations en cause s’inscrivaient, la Commission a commis une erreur en considérant que le marché des opérations de change au comptant était de nature transparente à l’époque des faits. Sur un marché transparent, les informations sont en effet immédiatement et gratuitement accessibles à l’ensemble des acteurs du marché, ce qui n’est pas le cas sur le marché des changes au comptant, eu égard à la présence de plusieurs types d’informations.
Cependant, cette erreur d’appréciation n’a pas d’incidence sur la qualification des échanges d’informations litigieux de « restriction par objet ». En effet, ces échanges, qui portaient sur les écarts de cotation, les ordres des clients, les positions de risque ouvertes et les activités de négociation actuelles ou prospectives, permettaient de réduire les incertitudes normales inhérentes au marché en cause et présentaient ainsi un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence.
Pour ce qui est des arguments des requérantes selon lesquels les comportements en cause seraient justifiés au regard de leurs effets proconcurrentiels, le Tribunal fait observer, d’une part, qu’il n’y a pas lieu de prendre en considération ces effets en tant que tels lorsqu’il s’agit de déterminer si les échanges d’information litigieux constituent une « restriction par objet ». D’autre part, la prise en compte de prétendus objectifs légitimes n’est pas déterminante dans ladite appréciation.
En troisième lieu, le Tribunal analyse le moyen contestant l’existence d’une infraction unique et continue. Selon les requérantes, la Commission n’a pas prouvé l’existence d’un plan global poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique auquel Credit Suisse avait l’intention de contribuer et dont elle avait connaissance.
En l’occurrence, le Tribunal estime que la Commission a considéré à juste titre que l’objectif anticoncurrentiel unique poursuivi par les traders des banques concernées était d’atténuer les incertitudes normales inhérentes au marché des opérations de change au comptant, confortant ainsi les traders dans leurs décisions de fixation de prix et de gestion de risques. Les échanges d’informations commercialement sensibles, auxquels Credit Suisse a participé, avaient également ce même objectif.
En outre, plusieurs éléments objectifs confirment que les comportements anticoncurrentiels adoptés par les participants étaient liés et visaient à atteindre le but poursuivi par le plan d’ensemble constaté par la Commission.
D’abord, les comportements en cause suivaient les mêmes modalités de fonctionnement, à savoir des discussions portant sur les informations commercialement sensibles, quotidiennes et fréquentes au sein d’un forum de discussion privé, l’accès audit forum étant possible uniquement sur invitation personnelle.
Ensuite, ils impliquaient un groupe d’entreprises stable et se déroulaient entre les mêmes personnes physiques participant pour le compte de ces entreprises pendant des périodes parallèles ou adjacentes. Ce groupe a été agrandi une fois que le trader de l’une de ces banques a changé d’employeur et a pris ses fonctions au sein de Credit Suisse, conduisant ainsi à la participation de cette dernière aux échanges d’informations commercialement sensibles sur le forum de discussion en cause tout au long de la période pertinente.
Enfin, les comportements en cause portaient tous sur les mêmes produits, à savoir des devises G10.
Pour ce qui est de l’intention de Credit Suisse de contribuer à l’objectif commun et de sa connaissance des comportements infractionnels des autres participants, le Tribunal confirme, d’une part, que l’emploi antérieur du trader de Credit Suisse faisait partie du contexte et pouvait être pris en compte pour établir que cette dernière avait connaissance de l’infraction.
D’autre part, il rappelle que le constat de l’existence d’une infraction unique est distinct de la question de savoir si la responsabilité de cette infraction dans sa globalité est imputable à une entreprise. Par ailleurs, l’imputabilité à une entreprise de l’infraction unique et continue dans sa globalité doit être appréciée au regard de deux éléments, à savoir, premièrement, sa contribution intentionnelle aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et, deuxièmement, sa connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs ou le fait qu’elle avait pu raisonnablement les prévoir et avait été prête à en accepter le risque.
Or, Credit Suisse a été tenue pour responsable de l’infraction en cause non pas dans sa globalité, mais pour autant qu’elle a participé aux échanges extensifs et récurrents d’informations actuelles ou prospectives et commercialement sensibles. Ainsi, il n’est nullement nécessaire d’analyser si elle avait connaissance des comportements collusoires des autres membres de cette infraction et entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants, ces éléments n’ayant aucune incidence sur l’imputabilité à cette banque de l’infraction reprochée.
En outre, le Tribunal considère que la Commission était en droit d’estimer que cette banque avait eu connaissance des échanges qui avaient eu lieu sur le forum de discussion en cause, auquel son trader était connecté, quand bien même celui-ci n’aurait pas participé activement à certains des échanges analysés dans la décision attaquée, et que, en l’absence de toute distanciation publique de Credit Suisse ou de dénonciation aux entités administratives des pratiques concernées, sa responsabilité pouvait être retenue. Il n’aurait pu en être autrement que si les requérantes avaient été en mesure de démontrer, au moyen d’éléments de preuve certains et précisément horodatés, que Credit Suisse n’avait effectivement pas pris connaissance du ou des échanges incriminés ou n’en avait pris connaissance que dans un délai tel que les informations contenues dans ces échanges avaient perdu leur caractère sensible.
En quatrième et dernier lieu, le Tribunal examine le moyen tiré d’erreurs commises par la Commission dans les différentes étapes du calcul du montant de l’amende infligée à Credit Suisse.
Pour déterminer le montant de l’amende imposée, la Commission a appliqué la méthode prévue par les lignes directrices de 2006{3}. Néanmoins, en ce qui concerne le calcul du montant de base dans le cadre de cette méthode, elle a décidé d’utiliser une valeur de remplacement au lieu de la valeur des ventes prévue au point 13 de cet instrument. Comme point de départ du calcul de cette valeur de remplacement, la Commission a retenu les montants notionnels annualisés correspondant aux paires de devises les plus négociées des transactions qui ont eu lieu avec les contreparties situées dans l’EEE au cours des mois de la participation des entreprises à l’infraction. Ces montants notionnels annualisés ont ensuite été multipliés par un facteur d’ajustement qui était constitué d’une part, d’un facteur d’ajustement lié à la tenue de marché et, d’autre part, d’un facteur d’ajustement lié à la négociation pour compte propre.
Pour calculer le facteur d’ajustement lié à la tenue de marché, la Commission a utilisé un échantillon concernant seize échanges d’informations qui ont eu lieu en 2011 et en 2012.
Après avoir rappelé qu’il appartenait à la Commission de veiller à prendre en considération les meilleures données disponibles, le Tribunal relève que les éléments peu nombreux de l’échantillon, dont plus de la moitié ne concerne pas la période pertinente, ne présentent pas de niveau de détail inhérent à chaque paire de devises retenue comme pertinente par la Commission lors dudit calcul. Dès lors, ledit échantillon ne saurait être considéré comme fournissant des données qui auraient été suffisantes pour garantir que toutes les paires de devises concernées étaient proportionnellement représentées à la lumière de la logique du facteur d’ajustement lié à la tenue de marché, à savoir la prise en compte du fait que les revenus tirés des transactions sont intégrés dans l’écart entre le cours vendeur et le cours acheteur appliqué sur un échange d’une paire de devises impliquant une devise de l’EEE.
En revanche, les données proposées par les requérantes à la Commission pour déterminer le facteur d’ajustement lié à la tenue du marché, à savoir les données Bloomberg BFIX, étaient les meilleures données disponibles pour mettre en œuvre la méthodologie définie par la Commission aux fins du calcul de la valeur de remplacement.
En effet, ces données permettent de prendre en considération toutes les paires de devises comprises dans le périmètre des devises concernées par le calcul du facteur d’ajustement en cause, fournissent un échantillon plus significatif pour refléter proportionnellement les montants notionnels annualisés sur lesquels ledit facteur a été appliqué et concernent la période infractionnelle de Credit Suisse. Elles doivent dès lors être considérées comme plus cohérentes, complètes et fiables que celles sur lesquelles la Commission s’est fondée pour refléter l’importance économique de l’infraction et le poids relatif de Credit Suisse dans celle-ci.
L’utilisation par la Commission des données Bloomberg BFIX n’aurait pas non plus violé le principe d’égalité de traitement au regard des autres participants à l’infraction, lequel ne saurait s’opposer à ce que soient prises en compte les données individualisées des entreprises impliquées dans l’infraction, tout en appliquant la même méthodologie pour le calcul de la valeur de remplacement. En effet, l’utilisation de données individualisées relatives aux écarts de cotation concernant la période de participation de Credit Suisse à l’infraction ne constitue qu’une modalité de la mise en œuvre de la méthodologie élaborée par la Commission et applicable à toutes les parties à ladite infraction, qui n’en altère pas la substance, mais est uniquement susceptible de renforcer la précision de la valeur de remplacement de cette banque quant à l’importance et à l’étendue de son activité pendant la période de sa participation à l’infraction.
À la lumière de ce qui précède, le Tribunal annule l’amende imposée à Credit Suisse dans la décision attaquée.
Ensuite, statuant sur la demande de réduction du montant de l’amende formulée par les requérantes, en application de la compétence de pleine juridiction qui lui est reconnue par l’article 261 TFUE ainsi que par l’article 31 du règlement no 1/2003 et en tenant notamment compte des données Bloomberg BFIX dans le calcul de la valeur de remplacement, le Tribunal impose une amende s’élevant à 28 920 000 euros, dont les requérantes sont tenues pour solidairement responsables.
{1}Décision C(2021) 8612 final de la Commission, du 2 décembre 2021, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE [affaire AT.40135 - FOREX (Sterling Lads)] (ci-après la « décision attaquée »).
{2}Les devises concernées par la décision attaquée sont les suivantes : l’euro (EUR), le dollar australien (AUD), le dollar canadien (CAD), le franc suisse (CHF), la couronne danoise (DKK), la livre sterling (GBP), le yen (JPY), la couronne norvégienne (NOK), le dollar néo-zélandais (NZD), la couronne suédoise (SEK) et le dollar des États-Unis (USD).
{3}Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 »).
Arrêt du 23 juillet 2025, UBS Group e.a. / Commission (T-84/22) (cf. point 465)