1. Concurrence - Amendes - Montant - Caractère approprié - Contrôle juridictionnel - Éléments pouvant être pris en considération par le juge communautaire - Éléments d'information non contenus dans la décision infligeant l'amende et non requis pour sa motivation - Inclusion

S'agissant des recours dirigés contre les décisions de la Commission infligeant des amendes à des entreprises pour violation des règles de concurrence, le juge communautaire est compétent pour apprécier, dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction qui lui est reconnu par les articles 229 CE, 17 du règlement nº 17 et 31 du règlement nº 1/2003, relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, le caractère approprié du montant des amendes. Cette appréciation peut justifier la production et la prise en considération d'éléments complémentaires d'information dont la mention dans la décision infligeant l'amende n'est pas, comme telle, requise en vertu de l'obligation de motivation prévue à l'article 253 CE.

Arrêt du 28 avril 2010, Gütermann et Zwicky / Commission (T-456/05 et T-457/05, Rec._p._II-1443) (cf. points 105-106)

2. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union

S’agissant du contrôle exercé par le juge de l'Union sur les décisions de la Commission en matière de concurrence, au-delà du simple contrôle de légalité, qui ne permet que de rejeter le recours en annulation ou d’annuler l’acte attaqué, la compétence de pleine juridiction conférée, en application de l’article 229 CE, au Tribunal par l’article 31 du règlement nº 1/2003 habilite cette juridiction à réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, en tenant compte de toutes les circonstances de fait, afin de modifier, par exemple, le montant de l’amende.

Arrêt du 17 mai 2011, Elf Aquitaine / Commission (T-299/08, Rec._p._II-2149) (cf. point 379)

3. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union

S’agissant du contrôle exercé par le juge de l'Union sur les décisions de la Commission en matière de concurrence, au-delà du simple contrôle de légalité, qui ne permet que de rejeter le recours en annulation ou d’annuler l’acte attaqué, la compétence de pleine juridiction conférée, en application de l’article 229 CE, au Tribunal par l’article 31 du règlement nº 1/2003 habilite cette juridiction à réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, en tenant compte de toutes les circonstances de fait, afin de modifier, par exemple, le montant de l’amende.

À cet égard, il n'y a lieu de réformer ni le taux de majoration de 90 % du montant de base d'une amende infligée par la Commission à une entreprise, en raison de la participation de celle-ci à des accords de nature anticoncurrentielle, compte tenu de la forte propension de cette entreprise à s'affranchir des règles de la concurrence, ni le montant de l'amende imposée, dans la mesure où la coopération de ladite entreprise n'a pas été de nature à permettre à la Commission de sanctionner totalement ou partiellement l'entente.

Arrêt du 17 mai 2011, Arkema France / Commission (T-343/08, Rec._p._II-2287) (cf. points 203-205)

4. Concurrence - Amendes - Montant - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Compétence de pleine juridiction du Tribunal - Possibilité de prendre en considération des éléments complémentaires d'information non mentionnés dans la décision infligeant l'amende

Au-delà du simple contrôle de légalité effectué dans le cadre d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, qui ne permet que de rejeter le recours en annulation ou d’annuler l’acte attaqué, comme il est prévu à l’article 264 TFUE, la compétence de pleine juridiction habilite le juge de l'Union à réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, en tenant compte de toutes les circonstances de faits, afin de modifier, par exemple, le montant de l’amende infligée pour infraction aux règles de concurrence.

Il s’ensuit que, dans les domaines où la Commission a conservé une marge d’appréciation, tels que la fixation du taux de majoration du montant de l’amende au titre de la durée de l’infraction ou de la nécessité de conférer à la sanction une portée dissuasive ou tels que l’évaluation de la qualité et de l’utilité de la coopération fournie par une entreprise au cours de la procédure administrative, notamment par rapport aux contributions d’autres entreprises, le fait que le contrôle de légalité opéré dans le cadre du recours en annulation, au titre de l’article 263 TFUE, se limite à celui de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation ne préjuge pas, en principe, de l’exercice, par le juge de l'Union, de sa compétence de pleine juridiction.

Dans le cadre de son pouvoir de pleine juridiction, le juge de l'Union est compétent pour apprécier le caractère approprié du montant des amendes au regard des critères fixés, selon le cas, à l’article 15, paragraphe 4, du règlement nº 17 ou à l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 1/2003. Cette dernière appréciation peut justifier la production et la prise en considération d’éléments complémentaires d’information qui ne sont pas mentionnés dans la décision de la Commission infligeant l’amende.

Arrêt du 12 juillet 2011, Fuji Electric / Commission (T-132/07, Rec._p._II-4091) (cf. points 208-209)

5. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Cadre juridique - Lignes directrices arrêtées par la Commission - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du Tribunal



Arrêt du 15 septembre 2011, Lucite International et Lucite International UK / Commission (T-216/06, Rec._p._II-284*) (cf. point 120)

6. Concurrence - Amendes - Montant - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction - Effet - Soumission aux lignes directrices pour le calcul des amendes - Exclusion

La compétence de pleine juridiction conférée, en application de l’article 229 CE, au Tribunal par l’article 31 du règlement nº 1/2003 habilite ce dernier, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, qui ne permet que de rejeter le recours en annulation ou d’annuler l’acte attaqué, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, compte tenu de toutes les circonstances de fait, en modifiant notamment l’amende infligée lorsque la question du montant de celle-ci est soumise à son appréciation.

Par nature, la fixation d’une amende par le Tribunal n’est pas un exercice arithmétique précis. Par ailleurs, le Tribunal n’est pas lié par les calculs de la Commission ni par ses lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, lorsqu’il statue en vertu de sa compétence de pleine juridiction, mais doit effectuer sa propre appréciation, en tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce.

Arrêt du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi / Commission (T-11/06, Rec._p._II-6681) (cf. points 265-266)



Arrêt du 30 mai 2013, Quinn Barlo e.a. / Commission (C-70/12 P) (cf. points 52, 53)

Ordonnance du 7 juillet 2016, Fapricela / Commission (C-510/15 P) (cf. point 49)

7. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée

En ce qui concerne la détermination du montant des amendes infligées pour infraction aux règles de concurrence, la compétence de pleine juridiction qui était reconnue au juge de l’Union par l’article 17 du règlement nº 17 l’est maintenant par l’article 31 du règlement nº 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée.

Cependant, l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office et la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire. À l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, telle l’absence de motivation de la décision attaquée, c’est à la partie requérante qu’il appartient de soulever les moyens à l’encontre de cette dernière et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens. Cette exigence de nature procédurale ne va pas à l’encontre de la règle selon laquelle, s’agissant d’infractions aux règles de concurrence, c’est à la Commission qu’il appartient d’apporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction. Ce qui est en effet demandé à un requérant dans le cadre d’un recours juridictionnel, c’est d’identifier les éléments contestés de la décision attaquée, de formuler des griefs à cet égard et d’apporter des preuves, qui peuvent être constituées d’indices sérieux, tendant à démontrer que ses griefs sont fondés.

Arrêt du 8 décembre 2011, KME Germany e.a. / Commission (C-272/09 P, Rec._p._I-12789) (cf. points 103-105)

Arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor / Commission (C-386/10 P, Rec._p._I-13085) (cf. points 63-65)

Arrêt du 8 décembre 2011, KME Germany e.a. / Commission (C-389/10 P, Rec._p._I-13125) (cf. points 130-132)

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 27 juin 2012, Bolloré / Commission (T-372/10) (cf. point 220)

Arrêt du 27 février 2014, LG Display et LG Display Taiwan / Commission (T-128/11) (cf. points 255, 256)

Arrêt du 10 avril 2014, Areva e.a. / Commission (C-247/11 P et C-253/11 P) (cf. points 171-176)

Arrêt du 30 avril 2014, FLSmidth / Commission (C-238/12 P) (cf. points 56-60)

Arrêt du 11 juillet 2014, Esso e.a. / Commission (T-540/08) (cf. points 132, 133)

Arrêt du 11 juillet 2014, RWE et RWE Dea / Commission (T-543/08) (cf. points 256-258)

Arrêt du 10 décembre 2014, ONP e.a. / Commission (T-90/11) (cf. points 351-353)

Arrêt du 12 décembre 2014, Eni / Commission (T-558/08) (cf. points 160-162, 314)

Arrêt du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR / Commission (T-456/10) (cf. point 215)

Arrêt du 29 février 2016, Schenker / Commission (T-265/12) (cf. points 31-34)

Arrêt du 9 juin 2016, Repsol Lubricantes y Especialidades e.a. / Commission (C-617/13 P) (cf. points 84-86)

Arrêt du 28 juin 2016, Telefónica / Commission (T-216/13) (cf. points 243, 244)

Arrêt du 14 juillet 2016, Parker Hannifin Manufacturing et Parker-Hannifin / Commission (T-146/09 RENV) (cf. points 169, 170)

Arrêt du 27 avril 2017, FSL e.a. / Commission (C-469/15 P) (cf. points 73-75, 80)

Arrêt du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg / Commission (T-441/14) (cf. points 304, 305)

Arrêt du 13 décembre 2018, Deutsche Telekom / Commission (T-827/14) (cf. points 552-554)

Arrêt du 13 décembre 2018, Slovak Telekom / Commission (T-851/14) (cf. points 473-475)

En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des décisions de la Commission lorsqu’elle décide d’infliger une amende ou une astreinte pour violation des règles de concurrence, outre le contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, le juge de l’Union dispose d’une compétence de pleine juridiction qui lui est reconnue par l’article 31 du règlement nº 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE, et qui l’habilite à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée.

Cependant, l’exercice de cette compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office et la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire. À l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, c’est dès lors à la partie requérante qu’il appartient de soulever les moyens à l’encontre de la décision litigieuse et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens.

En revanche, afin de satisfaire aux exigences du principe de protection juridictionnelle effective consacré à l’article 47, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et compte tenu de l’article 23, paragraphe 3, du règlement nº 1/2003, le juge de l’Union est tenu, dans l’exercice des compétences prévues aux articles 261 TFUE et 263 TFUE, d’examiner tout grief, de droit ou de fait, visant à démontrer que le montant de l’amende n’est pas en adéquation avec la gravité et la durée de l’infraction.

Arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand / Commission (C-194/14 P) (cf. points 74-76)

En ce qui concerne la détermination du montant des amendes infligées pour infraction aux règles de concurrence, la compétence de pleine juridiction habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée.

Cependant, l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office et la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire. À l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, telle l’absence de motivation de la décision attaquée, c’est à la partie requérante qu’il appartient de soulever les moyens à l’encontre de cette dernière et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens. Cette exigence de nature procédurale ne va pas à l’encontre de la règle selon laquelle, s’agissant d’infractions aux règles de concurrence, c’est à la Commission qu’il appartient d’apporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction. Ce qui est en effet demandé à un requérant dans le cadre d’un recours juridictionnel, c’est d’identifier les éléments contestés de la décision attaquée, de formuler des griefs à cet égard et d’apporter des preuves, qui peuvent être constituées d’indices sérieux, tendant à démontrer que ses griefs sont fondés.

Arrêt du 28 juin 2016, Portugal Telecom / Commission (T-208/13) (cf. points 205, 206, 272-274)

En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des décisions par lesquelles la Commission décide d’infliger une amende ou une astreinte pour violation des règles de concurrence, outre le contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, le juge de l’Union dispose d’une compétence de pleine juridiction qui lui est reconnue à l’article 31 du règlement nº 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE, et qui l’habilite à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée. À cet égard, il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle se prononce sur des questions de droit dans le cadre d’un pourvoi, de substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation à celle du Tribunal statuant, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, sur le montant des amendes infligées à des entreprises en raison de la violation, par celles-ci, du droit de l’Union. Ce n’est que dans la mesure où la Cour estimerait que le niveau de la sanction est non seulement inapproprié, mais également excessif, au point d’être disproportionné, qu’il y aurait lieu de constater une erreur de droit commise par le Tribunal, en raison du caractère inapproprié du montant d’une amende.

En l'occurrence, si le Tribunal a, certes, veillé à répondre à tous les arguments par lesquels les requérantes avaient reproché à la Commission d’avoir appliqué à une entreprise qui s’était retirée de la procédure de transaction une amende plus élevée que le maximum de la fourchette envisagée lors des discussions aux fins de la transaction, et ce pour une durée d’infraction considérablement réduite, une telle analyse relève du respect des principes de la bonne administration de la justice et de transparence. Partant, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir effectué un examen aussi exhaustif dans le cadre d’un litige qui, pour la première fois, l’amenait à statuer sur une situation dans laquelle une entreprise, après s’être engagée dans une procédure de transaction, s’en était finalement retirée. Cela étant, le Tribunal a parfaitement exercé sa compétence de pleine juridiction en procédant à un contrôle approfondi à la fois de la légalité de la décision litigieuse et du caractère approprié du montant de l’amende retenu dans celle-ci.

Ainsi, le Tribunal a dûment vérifié le bien-fondé de l’analyse effectuée par la Commission au regard de l’ensemble des circonstances qui étaient présentes lors de l’adoption de la décision litigieuse et en considération de l’étendue de la coopération des requérantes après son retrait de la procédure de transaction, donc au cours de la procédure ordinaire. Le Tribunal a également procédé à la vérification systématique des éléments retenus par la Commission pour calculer le montant de l’amende infligée dans la décision litigieuse. En particulier, il a opéré un contrôle détaillé de la manière dont la Commission a tenu compte des facteurs permettant d’octroyer ou non des réductions de cette amende, au titre de la communication sur la clémence, ou, au titre de la coopération, en application du point 29 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 1/2003. En outre, force est de constater que les requérantes n’ont pas démontré en quoi le montant de l’amende qui leur a été infligée serait excessif, au point d’être disproportionné.

Arrêt du 12 janvier 2017, Timab Industries et CFPR / Commission (C-411/15 P) (cf. points 104-106, 108-112)



Arrêt du 19 décembre 2013, Siemens / Commission (C-239/11 P, C-489/11 P et C-498/11 P) (cf. points 333-337)

Arrêt du 23 janvier 2014, SKW Stahl-Metallurgie Holding et SKW Stahl-Metallurgie / Commission (T-384/09) (cf. point 135)

Arrêt du 23 janvier 2014, Evonik Degussa et AlzChem / Commission (T-391/09) (cf. points 166, 261)

Arrêt du 6 février 2014, Elf Aquitaine / Commission (T-40/10) (cf. point 403)

Arrêt du 29 février 2016, Kühne + Nagel International e.a. / Commission (T-254/12) (cf. points 30-33)

Arrêt du 29 février 2016, UTi Worldwide e.a. / Commission (T-264/12) (cf. points 231-233)

Arrêt du 29 février 2016, Deutsche Bahn e.a. / Commission (T-267/12) (cf. points 34-37)

Arrêt du 29 février 2016, Panalpina World Transport (Holding) e.a. / Commission (T-270/12) (cf. points 26-29)

Arrêt du 8 septembre 2016, Generics (UK) / Commission (T-469/13) (cf. points 398-400, 415)

Arrêt du 15 décembre 2016, Philips et Philips France / Commission (T-762/14) (cf. points 319, 320)

Arrêt du 1er février 2018, Kühne + Nagel International e.a. / Commission (C-261/16 P) (cf. point 89)

Arrêt du 1er février 2018, Schenker / Commission (C-263/16 P) (cf. point 63)

Arrêt du 1er février 2018, Deutsche Bahn e.a. / Commission (C-264/16 P) (cf. point 56)

Arrêt du 12 juillet 2018, Hitachi Metals / Commission (T-448/14) (cf. points 195, 196)

Arrêt du 12 juillet 2018, Sumitomo Electric Industries et J-Power Systems / Commission (T-450/14) (cf. points 125, 126)

Arrêt du 11 juillet 2019, Italmobiliare e.a. / Commission (T-523/15) (cf. points 191-193)

Arrêt du 11 juillet 2019, Huhtamäki et Huhtamaki Flexible Packaging Germany / Commission (T-530/15) (cf. points 235-237)

Arrêt du 11 juillet 2019, Silver Plastics et Johannes Reifenhäuser / Commission (T-582/15) (cf. points 361, 362)

8. Concurrence - Amendes - Montant - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction - Réduction du montant de l'amende pour cause de violation du principe du délai raisonnable - Admissibilité

La compétence de pleine juridiction dont le Tribunal dispose en vertu de l'article 31 du règlement nº 1/2003, en application de l’article 261 TFUE, l’habilite à réformer une décision de la Commission, même en l’absence d’annulation, en tenant compte de toutes les circonstances de fait, afin de modifier, par exemple, le montant de l’amende infligée à l'entreprise pour infraction aux règles de la concurrence de l'Union.

Ainsi, dans l’hypothèse où une violation du principe du délai raisonnable doit être constatée, y compris, le cas échéant, en raison de la durée de la procédure juridictionnelle devant le Tribunal, ce dernier est en mesure, par réformation de la décision attaquée, de condamner l'entreprise au paiement d’un montant dont une satisfaction équitable du fait de la durée excessive de la procédure peut, le cas échéant, être retranchée. Un tel exercice de la compétence de pleine juridiction peut s’imposer notamment pour des raisons d’économie de procédure et afin de garantir un remède immédiat et effectif contre une telle violation du principe du délai raisonnable.

Il s’ensuit que le Tribunal est compétent pour statuer sur la demande expresse d'une entreprise visant à la réduction du montant de l’amende au titre de la durée excessive de la procédure, y compris dans la mesure où elle concerne la durée de la procédure devant celui-ci.

Arrêt du 5 juin 2012, Imperial Chemical Industries / Commission (T-214/06) (cf. points 292-296)



Arrêt du 16 septembre 2013, CEPSA / Commission (T-497/07) (cf. points 243, 244)

9. Concurrence - Amendes - Montant - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction - Effet

La compétence de pleine juridiction conférée, en application de l’article 229 CE, au Tribunal par l’article 31 du règlement nº 1/2003 habilite ce dernier, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, qui ne permet que de rejeter le recours en annulation ou d’annuler l’acte attaqué, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, compte tenu de toutes les circonstances de fait, en modifiant notamment l’amende infligée lorsque la question du montant de celle-ci est soumise à son appréciation.

À cet égard, le Tribunal n’est pas lié par les calculs de la Commission ni par les lignes directrices de celle-ci lorsqu’il statue en vertu de sa compétence de pleine juridiction, mais doit effectuer sa propre appréciation, en tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce.

Arrêt du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON / Commission (T-360/09) (cf. points 300-301)

Arrêt du 29 juin 2012, GDF Suez / Commission (T-370/09) (cf. points 461-462)

Le contrôle de légalité des décisions adoptées par la Commission est complété par la compétence de pleine juridiction, qui est reconnue au juge de l’Union à l’article 31 du règlement nº 1/2003, conformément à l’article 229 CE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée. Toutefois, l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office et la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire.

Arrêt du 13 septembre 2013, Total Raffinage Marketing / Commission (T-566/08) (cf. points 562, 564)



Arrêt du 13 septembre 2013, Total / Commission (T-548/08) (cf. points 188-190)

Arrêt du 16 septembre 2013, Galp Energia España e.a. / Commission (T-462/07) (cf. points 546, 628, 631, 632, 635)

10. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Prise en compte d'éléments complémentaires d'information non mentionnés dans la communication des griefs ou dans la décision

Le Tribunal, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction reconnu par l’article 261 TFUE et l’article 31 du règlement nº 1/2003, est compétent pour apprécier le caractère approprié du montant des amendes infligées pour infraction aux règles de la concurrence de l'Union et peut se fonder à cette fin, notamment, sur des éléments complémentaires d’information, qui n'ont pas été mentionnés dans la communication des griefs ou dans la décision de la Commission.

Arrêt du 27 septembre 2012, Shell Petroleum e.a. / Commission (T-343/06) (cf. point 220)

11. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du Tribunal - Prise en compte des lignes directrices pour le calcul des amendes - Limites

En matière de concurrence, le Tribunal n’est pas lié par les calculs de la Commission ni par ses lignes directrices lorsqu’il statue en vertu de sa compétence de pleine juridiction, mais il doit effectuer sa propre appréciation, en tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce. Toutefois, l’exercice d’une compétence de pleine juridiction ne saurait entraîner, lors de la détermination du montant des amendes qui leur sont infligées, une discrimination entre les entreprises qui ont participé à un accord ou à une pratique concertée contraire à l’article 81 CE. Si le Tribunal entend ainsi s’écarter spécifiquement, à l’égard d’une entreprise, de la méthode de calcul utilisée par la Commission à l’égard de l’ensemble de ces entreprises, il lui appartient de motiver ce choix.

Arrêt du 27 septembre 2012, Ballast Nedam Infra / Commission (T-362/06) (cf. point 143)

12. Concurrence - Amendes - Montant - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction - Portée - Limite - Respect du principe de non-discrimination

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 6 décembre 2012, Commission / Verhuizingen Coppens (C-441/11 P) (cf. points 79-82)

S’agissant du contrôle exercé par le juge de l’Union sur les décisions de la Commission en matière de concurrence, la compétence de pleine juridiction habilite cette juridiction à réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, en tenant compte de toutes les circonstances de fait, afin de modifier, par exemple, le montant de l’amende.

Toutefois, l’exercice d’une compétence de pleine juridiction ne saurait entraîner, lors de la détermination du montant des amendes, une discrimination entre les entreprises qui ont participé à un accord contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Si le juge de l'Union entend s’écarter spécifiquement à l’égard de l’une de ces entreprises de la méthode de calcul suivie par la Commission et qu’il n’a pas remise en cause, il est nécessaire qu’il s’en explique dans l’arrêt.

Arrêt du 9 septembre 2015, Panasonic Corp. et MT Picture Display Co. Ltd / Commission (T-82/13) (cf. points 155, 156)

13. Concentrations entre entreprises - Amendes - Montant - Détermination - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée

Selon l’article 16 du règlement nº 4064/89, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, la Cour statue avec compétence de pleine juridiction sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende ou une astreinte ; elle peut supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée.

Cependant, l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office alors que la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire. À l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, telle l’absence de motivation de la décision attaquée, c’est à la partie requérante qu’il appartient de soulever les moyens à l’encontre de cette dernière et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens.

Arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel / Commission (T-332/09) (cf. points 221-222)

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest / Commission (T-704/14) (cf. point 581)

14. Concurrence - Amendes - Montant - Caractère approprié - Contrôle juridictionnel - Éléments pouvant être pris en considération par le juge de l'Union - Éléments d'information non contenus dans la décision infligeant l'amende et non requis pour sa motivation - Inclusion

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 12 décembre 2012, Novácke chemické závody / Commission (T-352/09) (cf. point 212)



Arrêt du 17 décembre 2014, Pilkington Group e.a. / Commission (T-72/09) (cf. points 430-432)

15. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Exercice par le Tribunal de sa compétence de pleine juridiction - Portée

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 13 juin 2013, Versalis / Commission (C-511/11 P) (cf. point 103)

16. Concurrence - Amendes - Montant - Caractère approprié - Contrôle juridictionnel - Éléments pouvant être pris en considération par le juge de l'Union - Éléments d'information non contenus dans la décision infligeant l'amende et non requis pour sa motivation - Inclusion - Éléments relatifs à la constatation de l'infraction - Inclusion



Arrêt du 16 septembre 2013, Galp Energia España e.a. / Commission (T-462/07) (cf. points 619-624)

17. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Limites - Respect des principes généraux du droit

Le respect du principe d'égalité de traitement s’impose au Tribunal, non seulement dans le cadre de l’exercice de son contrôle de la légalité de la décision de la Commission infligeant des amendes pour violation du droit de la concurrence, mais également dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction. En effet, l’exercice d’une telle compétence ne saurait entraîner, lors de la détermination du montant des amendes qui leur sont infligées, une discrimination entre les entreprises qui ont participé à un accord ou à une pratique concertée contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

La prise en compte d’éléments postérieurs à la décision ayant infligé l'amende pour l’appréciation de la capacité contributive des entreprises visées par celle-ci dans le cadre de l’exercice par le Tribunal de sa compétence de pleine juridiction n’entraîne aucune discrimination par rapport aux entreprises qui n’ont pas introduit de recours aux fins de contester l’appréciation de leur capacité contributive par la Commission.

Ordonnance du 7 juillet 2016, Westfälische Drahtindustrie e.a. / Commission (C-523/15 P) (cf. points 64, 66)



Arrêt du 16 septembre 2013, Rubinetteria Cisal / Commission (T-368/10) (cf. points 22, 126, 127)

Arrêt du 16 septembre 2013, Villeroy & Boch e.a. / Commission (T‑373/10, T‑374/10, T‑382/10 et T‑402/10) (cf. points 26, 397, 398)

18. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Prise en compte d'un défaut de collaboration de l'entreprise lors de la procédure administrative - Majoration de l'amende - Condition

En matière de concurrence, le contrôle de légalité des décisions adoptées par la Commission est complété par la compétence de pleine juridiction, qui est reconnue au juge de l’Union par l’article 31 du règlement nº 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée. Il appartient dès lors au Tribunal, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, d’apprécier, à la date où il adopte sa décision, si les entreprises concernées se sont vu infliger une amende dont le montant reflète correctement la gravité de l’infraction en cause. S’il appartient au Tribunal d’apprécier lui-même les circonstances de l’espèce afin de déterminer le montant de l’amende, l’exercice d’une compétence de pleine juridiction ne saurait entraîner, lors de la détermination du montant des amendes infligées, une discrimination entre les entreprises qui ont participé à une entente contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

Cependant, afin de préserver l’effet utile de l’article 18, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 1/2003, la Commission est en droit d’obliger une entreprise à fournir tous les renseignements nécessaires portant sur des faits dont elle peut avoir connaissance et à lui communiquer, au besoin, les documents s'y rapportant qui sont en sa possession, à la seule condition de ne pas imposer à l’entreprise l’obligation de fournir des réponses par lesquelles celle-ci serait amenée à admettre l’existence de l’infraction dont il appartient à la Commission d’établir la preuve. Une entreprise à laquelle la Commission adresse une demande de renseignements en application des dispositions de l’article 18 du règlement nº 1/2003 est, dès lors, tenue à une obligation de collaboration active et peut se voir sanctionner par une amende spécifique, prévue par les dispositions de l’article 23, paragraphe 1, de ce règlement, qui peut représenter jusqu’à 1 % de son chiffre d’affaires total si elle fournit, de propos délibéré ou par négligence, un renseignement inexact ou dénaturé. Il en résulte que, dans l’exercice de ses pouvoirs de pleine juridiction, le Tribunal peut prendre en compte, le cas échéant, un défaut de collaboration d’une entreprise et majorer en conséquence le montant de l’amende qui lui a été infligée pour violation des articles 101 TFUE ou 102 TFUE, sous réserve que cette entreprise n’ait pas été sanctionnée pour ce même comportement par une amende spécifique fondée sur les dispositions de l’article 23, paragraphe 1, du règlement nº 1/2003.

Tel pourrait être, par exemple, le cas dans l’hypothèse où, en réponse à une demande en ce sens de la part de la Commission, une entreprise aurait omis de présenter, de propos délibéré ou par négligence, lors de la procédure administrative, des éléments déterminants en vue de la fixation du montant de l’amende et dont elle disposait ou aurait pu disposer lors de l’adoption de la décision attaquée. Si, dans le cadre de l'exercice de sa pleine juridiction, le Tribunal ne se trouve pas empêché de prendre en considération de tels éléments, il n’en demeure pas moins que l’entreprise qui n’en fait état qu’au stade contentieux, en portant ainsi atteinte à la finalité et à la bonne conduite de la procédure administrative, s’expose à la prise en considération de cette circonstance dans la détermination, par le Tribunal, du montant approprié de l’amende.

Or, la circonstance qu'une entreprise a commis des erreurs lorsqu'elle a fourni à la Commission les données nécessaires pour le calcul de la valeur des ventes pertinentes, puisqu'elle y a inclus des ventes relatives à des produits autres que les produits cartellisés, ne permet pas de considérer que cette entreprise a manqué à son obligation de collaboration résultant des dispositions de l’article 18 du règlement nº 1/2003 à un point tel qu’il faille en tenir compte dans la fixation du montant de l’amende. En effet, l'entreprise concernée n’a pas cherché à induire la Commission en erreur, ni ne lui a soumis de données brutes, à partir desquelles la Commission aurait dû calculer la valeur des ventes pertinentes, sans lui fournir à la fois les précisions nécessaires pour en extraire les données nettes. Elle a eu recours à des consultants externes spécialisés afin de pouvoir fournir à la Commission les données nécessaires, mais a commis la négligence de ne pas expliquer à ces consultants les différences existant entre certaines typologies des produits en cause. À cet égard, elle n’avait manifestement aucun intérêt à ce que la Commission reçoive des données erronées, qui incluaient les ventes de produits autres que les produits cartellisés, dès lors que ces inexactitudes ne pouvaient que jouer à son détriment, en rendant plus élevé le montant de l’amende que la Commission lui infligerait.

Arrêt du 27 février 2014, InnoLux / Commission (T-91/11) (cf. points 156, 157, 165, 167-172)

19. Concurrence - Amendes - Montant - Exercice par le Tribunal de sa compétence de pleine juridiction - Portée - Interdiction de statuer ultra petita

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 10 avril 2014, Commission / Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a. / Commission (C-231/11 P et C-232/11 P) (cf. points 126-131)

20. Droit de l'Union européenne - Principes - Droit à une protection juridictionnelle effective - Contrôle juridictionnel des décisions adoptées par la Commission en matière de concurrence - Contrôle de légalité et de pleine juridiction, tant de droit que de fait - Violation - Absence

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 12 juin 2014, Intel / Commission (T-286/09) (cf. points 1609-1612, 1643)

Arrêt du 15 juillet 2015, Emesa-Trefilería et Industrias Galycas / Commission (T-406/10) (cf. points 114, 115, 123, 124, 127)

Le respect du principe de protection juridictionnelle effective, principe général du droit de l’Union qui est désormais énoncé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, exige que le juge de l’Union puisse, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions infligées dans le domaine du droit de la concurrence par la Commission, examiner toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi.

Il en va a fortiori ainsi lorsque l’exercice de la compétence de pleine juridiction porte sur l’examen de la capacité contributive de l’entreprise concernée. En effet, si le juge de l’Union ne pouvait apprécier cette capacité en tenant compte de la situation factuelle prévalant au moment où il statue, il pourrait être tenu de refuser ou d’accorder une réduction ou une suppression d’amende due ou indue, de nature à causer ou à procurer à cette entreprise un désavantage ou un avantage concurrentiel injustifié. Or, la capacité contributive d’une entreprise ne saurait jouer que dans un contexte social particulier, constitué par les conséquences que le paiement de l’amende pourrait avoir, notamment, sur le plan d’une augmentation du chômage ou d’une détérioration des secteurs économiques en amont et en aval de l’entreprise concernée.

Ordonnance du 7 juillet 2016, Westfälische Drahtindustrie e.a. / Commission (C-523/15 P) (cf. points 44-46)



Arrêt du 16 février 2017, Hansen & Rosenthal et H&R Wax Company Vertrieb / Commission (C-90/15 P) (cf. points 24, 27)

21. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Ajustement du montant de base - Capacité contributive - Contrôle de pleine juridiction par le juge de l'Union - Erreurs d'appréciation par la Commission - Annulation - Exercice par le juge de l'Union de sa compétence de pleine juridiction

En matière de concurrence, dans la mesure où l'application du point 35 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 1/2003 constitue le dernier élément pris en considération lors de la détermination du montant des amendes, l'appréciation de la capacité contributive des entreprises sanctionnées pour violation de l'article 101 TFUE relève de la compétence de pleine juridiction qui est prévue à l'article 261 TFUE et à l'article 31 du règlement nº 1/2003. En effet, des erreurs commises par la Commission, dans le cadre de l'appréciation de la capacité contributive des entreprises incriminées, sont de nature à entraîner l'annulation de sa décision, en tant qu'une amende y est infligée auxdites entreprises, et à justifier que le juge de l'Union exerce sa compétence de pleine juridiction.

À cet égard, dans une situation où, après la réception d'une communication des griefs, les sociétés visées ont transféré des fonds à d'autres sociétés appartenant au même groupe, la circonstance que l'absence de capacité contributive trouve son origine dans des décisions de gestion discrétionnaires ne suffit pas à elle seule à justifier le rejet de toute demande de réduction d'amende. La Commission doit tenir compte, aux fins de l'appréciation de la capacité contributive, des raisons pour lesquelles ces transferts ont été réalisés. En effet, des financements accordés à d'autres sociétés d'un groupe peuvent notamment répondre à la nécessité de financer des acquisitions réalisées avant l'envoi de la communication des griefs. Par ailleurs, la Commission doit considérer, le cas échéant, que de tels transferts financiers demeurent sans aucune incidence sur l'appréciation de la capacité contributive du groupe d'entreprises considéré dans son ensemble.

En outre, pour rejeter une demande de réduction d'amende, la Commission ne saurait faire abstraction de ce que l'entreprise concernée a suffisamment établi être dans l'impossibilité aussi bien d'acquitter en un seul versement le montant total des amendes mis à sa charge que d'obtenir un financement ou même une garantie bancaire à hauteur de ce montant.

Dans ce contexte, si le juge de l'Union, eu égard aux erreurs d'appréciation qui l'entachent, annule la décision de la Commission, en tant qu'une amende y est infligée à l'entreprise concernée, rien n'empêche que ledit juge conclue, dans l'exercice de son pouvoir de pleine juridiction, qu'aucune réduction d'amende ne doit être accordée en raison de la capacité contributive de cette entreprise et qu'il condamne celle-ci au paiement d'une amende d'un montant identique à celui de l'amende infligée dans la décision annulée.

Arrêt du 15 juillet 2015, Westfälische Drahtindustrie e.a. / Commission (T-393/10) (cf. points 297, 311, 319, 321, 328, 332, 357, 358)

22. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Violation du droit à une protection juridictionnelle effective - Absence

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 15 juillet 2015, Westfälische Drahtindustrie e.a. / Commission (T-393/10) (cf. points 297-302)

23. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Appréciation de la capacité contributive des entreprises sanctionnées

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 15 juillet 2015, Trafilerie Meridionali / Commission (T-422/10) (cf. points 366-371)

24. Concurrence - Amendes - Montant - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction - Contrôle de légalité - Portée et limites - Compétence de pleine juridiction strictement limitée à la détermination du montant de l'amende infligée

La portée de la compétence de pleine juridiction est strictement limitée, à la différence du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, à la détermination du montant de l’amende. La compétence de pleine juridiction dont dispose le juge de l'Union sur le fondement de l’article 31 du règlement nº 1/2003 concerne la seule appréciation par celui-ci de l’amende infligée par la Commission, à l’exclusion de toute modification des éléments constitutifs de l’infraction légalement constatée par la Commission dans la décision dont le juge de l'Union est saisi.

Le Tribunal commet une erreur de droit lorsque, alors même qu’il constate, d’une part, que la Commission n’a pas établi que des entreprises incriminées pour participation à une entente contraire aux règles de concurrence ont participé à un mécanisme de compensation destiné à corriger les écarts survenus en ce qui concerne le partage convenu du marché et des clients ainsi qu’à un système de surveillance consistant à contrôler la mise en œuvre du partage du marché et des clients, au moyen d’échanges d’informations sur les volumes de ventes, et, d’autre part, que la décision de la Commission ne repose sur aucun autre motif que la participation de ces entreprises à ces deux composantes de l’infraction, il procède, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, au constat que ces entreprises ont eu connaissance de la participation des autres membres de l’entente au mécanisme de compensation, mais également qu’elles pouvaient prévoir la participation de ceux-ci au système de surveillance, de sorte qu'elles peuvent en être tenues pour responsables au titre de l’article 101 TFUE et qu'il y a lieu, pour le Tribunal, d'en tenir compte dans la fixation du montant de l’amende.

Arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energia España e.a. / Commission (C-603/13 P) (cf. points 76-79)

Le système de contrôle juridictionnel des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE consiste en un contrôle de la légalité des actes des institutions établi à l’article 263 TFUE, lequel peut être complété en application de l’article 261 TFUE et sur demande des requérants, par l’exercice par le Tribunal d’une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions infligées en ce domaine par la Commission.

La portée de cette compétence de pleine juridiction du Tribunal est strictement limitée, à la différence du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, à la détermination du montant de l’amende. Elle concerne la seule appréciation par celui-ci de l’amende infligée par la Commission, à l’exclusion de toute modification des éléments constitutifs de l’infraction légalement constatée par la Commission dans la décision dont le Tribunal est saisi.

Arrêt du 26 janvier 2017, Aloys F. Dornbracht / Commission (C-604/13 P) (cf. points 52, 53)

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 12 juillet 2018, Nexans France et Nexans / Commission (T-449/14) (cf. point 140)

Par décision du 27 septembre 2017 (ci-après la « décision attaquée »){1}, la Commission européenne a constaté que les sociétés Scania AB, Scania CV AB et Scania Deutschland GmbH, trois entités du groupe Scania, actives dans la production et la vente de camions lourds destinés aux transports longue distance (ci-après, prises ensemble, « Scania »), avaient enfreint les règles du droit de l’Union interdisant les ententes{2}, en ayant pris part, de janvier 1997 à janvier 2011, avec leurs concurrents, à des arrangements collusoires visant à limiter la concurrence sur le marché des camions moyens et lourds dans l’EEE. La Commission a infligé à Scania une amende de 880 523 000 euros.

La décision attaquée a été adoptée à la suite d’une procédure dite « hybride », associant la procédure de transaction{3} et la procédure administrative ordinaire en matière d’ententes.

En l’espèce, chaque entreprise destinataire de la communication des griefs, en ce compris Scania, a confirmé à la Commission sa volonté de prendre part à des discussions en vue d’une transaction. Cependant, à la suite de discussions avec la Commission, Scania a décidé de se retirer de ladite procédure. La Commission a ainsi adopté une décision de transaction à l’égard des entreprises ayant présenté une demande formelle en ce sens{4} et a poursuivi l’enquête visant Scania.

Par son arrêt du 2 février 2022, le Tribunal rejette le recours introduit par Scania tendant à l’annulation de la décision attaquée, en apportant des clarifications en ce qui concerne la légalité d’une procédure « hybride » en matière d’ententes et la notion d’infraction unique et continue.

Appréciation du Tribunal

En ce qui concerne la légalité de la procédure « hybride » suivie par la Commission, le Tribunal commence par observer que, contrairement à ce que soutenait Scania, la décision de la Commission de suivre une telle procédure n’emporte pas, en soi, une violation du principe de la présomption d’innocence, des droits de la défense ou du devoir d’impartialité. En effet, les dispositions régissant la procédure de transaction ne s’opposent pas à la possibilité pour la Commission de suivre une telle procédure dans le cadre de l’application de l’article 101 TFUE. De plus, en vertu de la jurisprudence, dans le cadre de telles procédures, la Commission est en droit d’adopter, dans un premier temps, une décision de transaction et, dans un second temps, une décision à la suite de la procédure ordinaire, à condition de veiller au respect des principes et droits susmentionnés.

Cela étant précisé, le Tribunal examine si, dans les circonstances de l’espèce, la Commission a respecté lesdits principes.

S’agissant du grief tiré de la violation du principe de la présomption d’innocence, Scania soutenait que la décision de transaction avait défini la position finale de la Commission en ce qui concernait les mêmes faits que ceux énoncés dans la communication des griefs et avait conclu, sur la base des mêmes éléments de preuve utilisés dans la décision attaquée, que ces faits, auxquels Scania avait également participé, étaient constitutifs d’une infraction.

À cet égard, le Tribunal observe, en premier lieu, qu’aucun passage de la motivation de la décision de transaction, lue dans son ensemble, à la lumière des circonstances particulières dans lesquelles celle-ci avait été adoptée, n’était susceptible d’être compris comme une expression prématurée de la responsabilité de Scania. En second lieu, le Tribunal clarifie que la reconnaissance par les destinataires d’une décision de transaction de leur responsabilité ne saurait conduire à la reconnaissance implicite de la responsabilité de l’entreprise ayant décidé de se retirer de ladite procédure, en raison de son éventuelle participation aux mêmes faits considérés comme infractionnels dans la décision de transaction. En effet, dans le cadre de la procédure administrative ordinaire qui fait suite à l’adoption d’une telle décision, l’entreprise concernée et la Commission se trouvent, par rapport à la procédure de transaction, dans une situation dite « tabula rasa », où les responsabilités doivent encore être établies. Ainsi, la Commission est tenue, d’une part, uniquement par la communication des griefs et, d’autre part, elle est obligée de réexaminer le dossier au regard de toutes les circonstances pertinentes, y compris toutes les informations et tous les arguments qui sont mis en avant par l’entreprise intéressée à l’occasion de l’exercice de son droit d’être entendue. Par conséquent, une qualification juridique des faits retenue par la Commission à l’égard des parties à la transaction ne présuppose pas en soi que la même qualification juridique des faits ait été nécessairement retenue par la Commission à l’égard de l’entreprise qui s’est retirée d’une telle procédure. Dans ce cadre, rien n’empêche la Commission de s’appuyer sur des éléments de preuve communs dans les deux décisions de la procédure hybride.

Au regard de ces considérations et compte tenu du fait que Scania n’avait pas contesté avoir eu l’opportunité de soumettre tous les éléments de preuve visant à contester les faits et les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est fondée dans le cadre de la procédure administrative ordinaire, y compris ceux ajoutés au dossier après la communication des griefs, le Tribunal exclut l’existence d’une violation du principe de la présomption d’innocence dans le cas d’espèce.

S’agissant du grief tiré de la violation des droits de la défense, le Tribunal a relevé que, dans la décision de transaction, la Commission n’avait en rien préjugé de la responsabilité de Scania dans l’infraction. En conséquence, aucune violation de ses droits de la défense ne pouvait découler du fait qu’elle n’ait pas été entendue dans le cadre de cette procédure.

S’agissant du grief tiré de la violation du principe d’impartialité, le Tribunal a constaté que Scania n’a pas établi que la Commission n’avait pas offert, au cours de la procédure d’enquête, toutes les garanties pour exclure tout doute légitime en ce qui concernait son impartialité dans l’examen de l’affaire. En effet, lorsque la Commission examine, dans le cadre de la procédure ordinaire, les éléments de preuve présentés par les parties ayant fait le choix de ne pas transiger, elle n’est aucunement liée par les constatations factuelles et les qualifications juridiques qu’elle a retenues dans la décision de transaction. En outre, en considérant que le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre administration des preuves et que la Commission dispose d’une marge d’appréciation quant à l’opportunité d’adopter des mesures d’enquête, son refus d’adopter des nouvelles mesures d’enquête ne s’avère pas contraire au principe d’impartialité, faute de démonstration que l’absence de telles mesures est due à la partialité de la Commission.

En ce qui concerne la notion d’infraction unique et continue, le Tribunal examine les conditions relatives à l’existence d’une telle infraction dans le cas d’espèce et à son imputabilité à Scania.

S’agissant de la constatation de l’existence d’une infraction unique et continue, le Tribunal rappelle que, contrairement à ce que Scania faisait valoir, une telle constatation ne présuppose pas nécessairement l’établissement de plusieurs infractions, chacune relevant de l’article 101 TFUE, mais la démonstration que les différents agissements identifiés s’inscrivent dans un plan d’ensemble visant à la réalisation d’un objectif anticoncurrentiel unique.

En l’espèce, le Tribunal constate que la Commission avait établi à suffisance de droit que les contacts collusoires intervenus dans le temps à différents niveaux, notamment au niveau des instances dirigeantes, entre 1997 et 2004, au niveau inférieur du siège, entre 2000 et 2008, et au niveau allemand, entre 2004 et 2011, pris ensemble, faisaient partie d’un plan d’ensemble visant à la réalisation de l’objectif anticoncurrentiel unique de limiter la concurrence sur le marché des camions moyens et lourds dans l’EEE.

Plus précisément, l’existence de liens entre les trois niveaux des contacts collusoires ressortait du fait que les participants aux réunions étaient toujours des employés des mêmes entreprises, qu’il existait un chevauchement temporel entre les réunions tenues aux différents niveaux et qu’il existait des contacts entre les employés au niveau inférieur des sièges respectifs des parties à l’entente et les employés au niveau allemand. En outre, la nature des informations partagées, les entreprises participantes, les objectifs et les produits concernés étaient restés les mêmes pendant toute la période infractionnelle. Ainsi, même si les contacts collusoires au niveau des instances dirigeantes avaient été interrompus en septembre 2004, la même entente, ayant le même contenu et la même portée, avait été poursuivie après cette date, à la seule différence que les employés impliqués relevaient des niveaux organisationnels différents au sein des entreprises impliquées, et non du niveau des instances dirigeantes. Dans ce contexte, le prétendu fait que les employés de Scania au niveau allemand ne savaient pas qu’ils étaient engagés dans le prolongement des pratiques qui avaient eu lieu dans les deux autres niveaux ou que les employés de Scania participant aux réunions au niveau des instances inférieures du siège n’avaient pas connaissance des réunions au niveau des instances dirigeantes n’avait pas d’importance sur le constat de l’existence d’un plan d’ensemble. En effet, la prise de conscience de l’existence d’un tel plan doit être appréciée au niveau des entreprises impliquées et non au niveau de leurs employés.

S’agissant de l’imputabilité de l’infraction, le Tribunal relève que, de manière analogue, les facteurs déterminant l’imputabilité de l’infraction unique et continue doivent être appréciés également au niveau de l’entreprise. En l’espèce, dans la mesure où l’entreprise Scania a participé directement à l’ensemble des aspects pertinents de l’entente, la Commission était en droit de lui imputer l’infraction dans son ensemble, sans qu’elle soit obligée de démontrer la satisfaction des critères de l’intérêt, de la connaissance et de l’acceptation du risque.

{1} Décision C(2017) 6467 final de la Commission, du 27 septembre 2017, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) (affaire AT.39824 - Camions).

{2} Article 101 TFUE et article 53 de l’accord EEE.

{3} Cette procédure est régie par l’article 10 bis du règlement (CE) nº 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18). Elle permet aux parties dans les affaires d’entente de reconnaître leur responsabilité et de recevoir, en échange, une réduction du montant de l'amende infligée.

{4} Décision C(2016) 4673 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.39824 - Camions). Cette décision a été adoptée sur le fondement de l’article 7 et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).

Arrêt du 2 février 2022, Scania e.a. / Commission (T-799/17) (cf. points 535-538)

25. Concurrence - Amendes - Montant - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction - Portée - Limite - Absence de compétence pour infliger une amende juridiquement distincte de celle infligée par la Commission



Arrêt du 12 mai 2016, Trioplast Industrier / Commission (T-669/14) (cf. points 57-59)

26. Concurrence - Amendes - Montant - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction - Contrôle de légalité - Portée et limites - Compétence de pleine juridiction strictement limitée à la détermination du montant de l'amende infligée - Absence d'erreur du Tribunal

Dans les procédures d’application des articles 101 TFUE et 102 TFUE, la portée de la compétence de pleine juridiction reconnue au Tribunal est strictement limitée, à la différence du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, à la détermination du montant de l’amende. Lors de l'exercice de cette compétence, le Tribunal ne commet pas d'erreur d'appréciation en estimant que la Commission a valablement fixé le montant de base de l’amende imposée à une entreprise pour infraction aux règles de concurrence, sans devoir prendre en compte l’impact concret de l’entente incriminée sur le marché en cause.

De plus, le seul fait que le Tribunal entérine, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, s’agissant de l’amende infligée à cette entreprise, plusieurs éléments de l’appréciation effectuée par la Commission dans la décision ayant imposé l’amende et dont la légalité a été précédemment constatée ne saurait caractériser un défaut d’exercice par celui-ci de son contrôle de pleine juridiction.

Arrêt du 9 juin 2016, PROAS / Commission (C-616/13 P) (cf. points 43, 44, 48, 51)

27. Droit de l'Union européenne - Principes - Droit à une protection juridictionnelle effective - Contrôle juridictionnel des décisions adoptées par la Commission en matière de concurrence - Compétence de pleine juridiction - Portée - Contrôle impliquant des actes d'instruction du dossier en vue de combler les manquements de la Commission lors de cette instruction - Exclusion

En ce qui concerne la détermination du montant des amendes infligées pour infraction aux règles de concurrence, la compétence de pleine juridiction dont le Tribunal est titulaire en vertu de l’article 31 du règlement nº 1/2003 habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission. Toutefois, dans un cas où la Commission n’a pas procédé à l’analyse des éléments avancés par la partie requérante pour démontrer l’absence de concurrence potentielle entre les parties à un accord ayant un objet anticoncurrentiel au regard de certains services afin de déterminer la valeur des ventes à prendre en considération pour le calcul du montant de l’amende, la détermination de la valeur de ces ventes par le Tribunal impliquerait que celui-ci soit amené à combler une lacune dans l’instruction du dossier.

Or, l’exercice de la compétence de pleine juridiction ne saurait aller jusqu’à amener le Tribunal à procéder à une telle instruction, qui irait au-delà de la substitution de l’appréciation du Tribunal à celle de la Commission, puisque l’appréciation du Tribunal serait la seule et la première appréciation des éléments que la Commission aurait dû prendre en compte pour la détermination de la valeur des ventes en relation directe ou indirecte avec l’infraction au sens du point 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 1/2003, et dont l’analyse incombe à la Commission.

Arrêt du 28 juin 2016, Telefónica / Commission (T-216/13) (cf. points 314, 315)

28. Concurrence - Amendes - Montant - Caractère approprié - Contrôle juridictionnel - Éléments pouvant être pris en considération par le juge de l'Union - Éléments d'information non contenus dans la décision infligeant l'amende - Inclusion

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 28 juin 2016, Telefónica / Commission (T-216/13) (cf. point 89)

29. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Limite - Respect du principe de non-discrimination



Ordonnance du 7 juillet 2016, Fapricela / Commission (C-510/15 P) (cf. points 54, 55)

30. Concurrence - Amendes - Montant - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction - Portée - Obligation de réduire le montant de l'amende pour absence de capacité contributive - Absence - Éléments à prendre en considération - Éléments antérieurs et postérieurs à la décision ayant imposé l'amende

Dans le cas où l’exercice par le Tribunal de son contrôle de la légalité d’une décision ayant constaté une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et infligé une amende pour cette violation entraîne l’annulation de cette décision en tant qu’une amende y est infligée, cette circonstance n’implique nullement que le Tribunal est, pour cette raison, privé du pouvoir d’exercer sa compétence de pleine juridiction. En effet, celui-ci demeure pleinement saisi de la question de l’appréciation du montant de l’amende, dès lors que les entreprises concernées par l’amende concluent, dans leur recours, à la réduction de ce montant, notamment, en raison d’une absence de capacité contributive, au sens du point 35 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 1/2003.

Exerçant sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal dispose seul, dès lors, du pouvoir de sanction à l’égard de ces entreprises et, partant, il est habilité, sur la base des éléments avancés par les parties et dans le respect du principe du contradictoire, à réformer le montant de l’amende qui leur avait été infligé par la décision litigieuse. En substituant régulièrement son appréciation à celle de la Commission en ce qui concerne l’exercice du pouvoir de sanction, la circonstance que le Tribunal estime finalement opportun de retenir un montant d’amende identique à celui fixé dans la décision de la Commission est sans incidence sur la régularité de cet exercice. Dans ce cadre, le juge de l’Union est habilité à tenir compte de toutes les circonstances de fait qu’il estime pertinentes, que celles-ci soient antérieures ou postérieures à la décision entreprise.

Ordonnance du 7 juillet 2016, Westfälische Drahtindustrie e.a. / Commission (C-523/15 P) (cf. points 30-34, 38-40, 43)

31. Concurrence - Amendes - Montant - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction - Portée

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 7 septembre 2016, Pilkington Group e.a. / Commission (C-101/15 P) (cf. point 71)

32. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Critères - Obligation de prendre en considération la situation financière déficitaire de l'entreprise concernée - Absence - Capacité contributive réelle de l'entreprise dans un contexte social et économique particulier - Prise en considération - Conditions - Contrôle juridictionnel relevant de la compétence de pleine juridiction

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 8 septembre 2016, Goldfish e.a. / Commission (T-54/14) (cf. points 134-148)

33. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée

La compétence de pleine juridiction qui est reconnue au juge de l’Union à l’article 31 du règlement nº 1/2003 concerne uniquement la sanction infligée et non pas l’intégralité de la décision litigieuse. En outre, ni la compétence de pleine juridiction ni le contrôle de légalité n’équivalent au contrôle d’office et, dès lors, n’exigent pas que le Tribunal procède d’office à une nouvelle instruction complète du dossier, indépendamment des griefs formulés par la partie requérante.

La compétence de pleine juridiction est d'ailleurs exercée selon une procédure contradictoire. Partant, à l’exception des moyens d’ordre public, il appartient au Tribunal non pas de procéder à un examen ex officio, indépendamment des moyens précis invoqués devant lui, et de prendre une décision discrétionnaire autonome sur l'amende fixée par la Commission, mais bien de statuer sur les moyens qui lui sont soumis.

Arrêt du 26 janvier 2017, Duravit e.a. / Commission (C-609/13 P) (cf. points 31, 36, 42, 43)

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies / Commission (C-99/17 P) (cf. points 47, 48)

Par son arrêt Nexans France et Nexans/Commission (C-606/18 P) du 16 juillet 2020, la deuxième chambre de la Cour a rejeté le pourvoi introduit par Nexans France SAS et sa société mère Nexans SA (ci-après les « requérantes ») contre l’arrêt du Tribunal du 12 juillet 2018 dans l’affaire T-449/14{1}. Le pourvoi soulevait notamment la question de l’interprétation, par le Tribunal, de l’étendue des pouvoirs conférés à la Commission, dans le cadre d’une inspection en matière d’ententes, par l’article 20 du règlement nº 1/2003{2}.

Les requérantes, actives dans le secteur de la production et de la fourniture de câbles électriques souterrains et sous-marins, ont fait l’objet d’une décision de la Commission constatant une infraction à l’article 101 TFUE dans ledit secteur (ci-après la « décision litigieuse »){3}. Selon la décision litigieuse, les requérantes ont été impliquées dans une entente visant, d’une part, l’attribution de territoires et de clients entre les producteurs européens, japonais et sud-coréens (ci-après la « configuration A/R ») et, d’autre part, l’attribution de territoires et de clients par les producteurs européens pour des projets à réaliser à l’intérieur du territoire européen ou attribués à des producteurs européens (ci-après la « configuration européenne »). Par conséquent, la Commission a infligé aux requérantes des amendes d’un montant de plus de 70 000 000 euros.

L’enquête menée par la Commission qui a abouti à l’imposition de cette amende comprenait une inspection dans les locaux des requérantes. Les inspecteurs de la Commission y ont examiné, notamment, les ordinateurs de certains employés. Ils ont fait une copie-image des disques durs de ces ordinateurs et, sur cette base, ont procédé à une recherche par mots clés dans les données contenues dans ces ordinateurs, en utilisant un logiciel d’investigation informatique. Les inspecteurs ont par la suite décidé de réaliser une copie de données choisies et de les placer sur des supports informatiques d’enregistrement de données (SIED). Ils ont également fait trois copies-images d’un disque dur enregistrées sur trois SIED distincts. Les SIED ont été mis dans des enveloppes scellées et rapportés dans les bureaux de la Commission à Bruxelles où les enveloppes ont été ouvertes et les SIED examinés en présence des représentants des requérantes.

Le recours en annulation de la décision litigieuse introduit par les requérantes devant le Tribunal a été rejeté dans son intégralité par l’arrêt du 12 juillet 2018, Nexans France et Nexans/Commission. Au soutien de leur pourvoi contre cet arrêt, les requérantes ont invoqué cinq moyens, visant, d’une part, le rejet par le Tribunal de leurs arguments concernant le déroulement de l’inspection en cause et, d’autre part, le rejet par le Tribunal d’une réduction des amendes qui leur ont été infligées.

Tout d’abord, dans le cadre du premier moyen, la Cour a examiné si la Commission, lors de l’inspection effectuée auprès des requérantes, avait le droit de réaliser la copie-image d’un disque dur et des copies d’ensembles de courriers électroniques, sans avoir procédé au préalable à un examen sérieux de ces pièces. En rappelant que le législateur de l’Union a accordé une certaine marge d’appréciation à la Commission en ce qui concerne les modalités concrètes du contrôle auquel elle peut procéder, la Cour a confirmé le droit de celle-ci de décider, selon les circonstances, d’effectuer le contrôle des données contenues sur le support de données numériques de l’entreprise qui fait l’objet de l’inspection sur la base d’une copie de ces données. La Cour a précisé que ce droit de la Commission, qui relève de l’article 20, paragraphe 2, sous b), du règlement nº 1/2003, n’affecte ni les garanties procédurales ni les autres droits de l’entreprise qui fait l’objet de l’inspection, à condition que la Commission, après avoir complété son examen, ne verse au dossier que des documents qui sont pertinents au regard de l’objet de l’inspection. À l’instar du Tribunal, la Cour a estimé que tel était le cas en l’espèce. Elle a ajouté, eu égard au fait que le temps nécessaire pour le traitement de données électroniques peut s’avérer considérable, qu’il est également dans l’intérêt de l’entreprise concernée que la Commission se fonde, pour effectuer son contrôle, sur une copie de ces données, permettant ainsi à cette entreprise de continuer d’utiliser les données originales ainsi que les supports sur lesquels elles se trouvent dès que cette copie a été réalisée, réduisant ainsi l’ingérence dans le fonctionnement de cette entreprise causée par l’inspection effectuée par la Commission.

Ensuite, dans le cadre des deuxième et troisième moyens des requérantes, la Cour a examiné la question de savoir si la Commission avait le droit de continuer l’inspection en cause dans ses locaux à Bruxelles. Elle a rappelé que contraindre la Commission à effectuer le traitement de telles données exclusivement sur les lieux de l’entreprise faisant l’objet de l’inspection pourrait, lorsqu’il s’agit de données particulièrement volumineuses, avoir pour conséquence de prolonger la durée de la présence des inspecteurs sur les lieux de cette entreprise de manière considérable, ce qui pourrait nuire à l’efficacité de l’inspection et augmenter inutilement l’ingérence dans le fonctionnement de ladite entreprise en raison de l’inspection. Cela étant, la Cour a précisé que la Commission ne peut user de ladite possibilité de poursuivre, dans ses locaux à Bruxelles, son contrôle des documents professionnels de l’entreprise concernée, que lorsqu’elle peut légitimement considérer qu’il est justifié de le faire dans l’intérêt de l’efficacité de l’inspection ou pour éviter une ingérence excessive dans le fonctionnement de l’entreprise concernée. En outre, la Cour a souligné que cette possibilité est subordonnée au constat qu’une telle continuation n’entraîne aucune violation des droits de la défense et ne constitue pas une atteinte supplémentaire aux droits des entreprises concernées. Une telle atteinte devrait être constatée si la poursuite de ce contrôle dans les locaux de la Commission à Bruxelles entraînait pour l’entreprise faisant l’objet de l’inspection des coûts supplémentaires nés du seul fait de cette poursuite. Par conséquent, lorsque cette dernière est susceptible de donner lieu à de tels coûts supplémentaires, la Commission ne peut y procéder qu’à condition qu’elle accepte de rembourser ces coûts lorsqu’une demande dûment motivée lui est présentée en ce sens par l’entreprise concernée.

Par la suite, la Cour a examiné le quatrième moyen et le point de savoir si le Tribunal a commis une erreur de droit quant à son appréciation de la détermination du montant des amendes. Après avoir constaté que le Tribunal n’avait pas méconnu le principe de la compétence de pleine juridiction qui l’habilite, au-delà du contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée, la Cour a jugé que le Tribunal avait pu arriver à la conclusion que la prétendue absence d’effets de l’infraction en cause, qu’avait fait valoir les requérantes, n’était pas susceptible, en raison des autres éléments pris en compte par le Tribunal, de l’amener à réduire les amendes qui avaient été infligées à ces dernières.

La Cour, enfin, s’est prononcée sur le cinquième moyen visant la considération du Tribunal selon laquelle, en raison de la participation des requérantes à la configuration européenne de l’entente qui avait renforcé l’atteinte à la concurrence causée par la configuration A/R de ladite entente, la Commission était en droit d’augmenter de 2 % le coefficient de gravité utilisé pour calculer le montant des amendes qui leur ont été infligées. À cet égard, la Cour a relevé que le lien étroit qui existait entre les deux configurations ne changeait rien au fait que la configuration européenne de l’entente constituait, par sa nature même, un engagement distinct de répartition de projets qui n’était pas inhérent à la configuration A/R de l’entente. De ce fait, la Cour a jugé que la considération du Tribunal selon laquelle cette atteinte supplémentaire à la concurrence pouvait légitimement être sanctionnée par une amende majorée n’était pas entachée d’une erreur d’appréciation.

Aucun des moyens avancés par les requérantes à l’appui de leur pourvoi n’étant susceptible de prospérer, la Cour a rejeté celui-ci dans son intégralité.

{1} Arrêt du Tribunal du 12 juillet 2018, Nexans France et Nexans/Commission (T-449/14, EU:T:2018:456).

{2} Règlement (CE) nº 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).

{3} Décision C(2014) 2139 final de la Commission, du 2 avril 2014, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.39610 - Câbles électriques).

Arrêt du 16 juillet 2020, Nexans France et Nexans / Commission (C-606/18 P) (cf. points 96, 97, 104-106)

Google{1}, une entreprise du secteur des technologies de l’information et de la communication spécialisée dans les produits et les services liés à Internet, tire l’essentiel de ses revenus de son produit phare, le moteur de recherche Google Search. Son modèle commercial est basé sur l’interaction entre, d’une part, un certain nombre de produits et de services proposés le plus souvent sans frais aux utilisateurs et, d’autre part, des services de publicité en ligne utilisant les données collectées auprès de ces utilisateurs. Google propose, en outre, le système d’exploitation Android, dont environ 80 % des appareils mobiles intelligents utilisés en Europe étaient équipés en juillet 2018, selon la Commission européenne.

Différentes plaintes adressées à la Commission au sujet de certaines pratiques commerciales de Google dans l’internet mobile ont conduit celle-ci à ouvrir, le 15 avril 2015, une procédure à l’encontre de Google concernant Android{2}.

Par décision du 18 juillet 2018{3}, la Commission a sanctionné Google pour avoir abusé de sa position dominante, en imposant des restrictions contractuelles anticoncurrentielles aux fabricants d’appareils mobiles ainsi qu’aux opérateurs de réseaux mobiles, pour certaines depuis le 1er janvier 2011. Les restrictions visées sont de trois ordres :

- premièrement, celles insérées dans des « accords de distribution », qui imposent aux fabricants d’appareils mobiles de préinstaller les applications de recherche générale (Google Search) et de navigation (Chrome) pour pouvoir obtenir de Google une licence d’exploitation de sa boutique d’applications (Play Store) ;

- deuxièmement, celles insérées dans des « accords anti-fragmentation », qui conditionnent l’obtention des licences d’exploitation nécessaires à la préinstallation des applications Google Search et Play Store par les fabricants d’appareils mobiles à l’engagement de ces derniers de s’abstenir de vendre des appareils équipés de versions du système d’exploitation Android non agréées par Google ;

- troisièmement, celles insérées dans des « accords de partage des revenus », qui subordonnent la rétrocession d’une part des revenus publicitaires de Google aux fabricants d’appareils mobiles et aux opérateurs de réseaux mobiles concernés à l’engagement de ces derniers de renoncer à la préinstallation d’un service de recherche générale concurrent sur un portefeuille d’appareils prédéfini.

Selon la Commission, ces restrictions avaient toutes pour objectif de protéger et de renforcer la position dominante de Google en matière de services de recherche générale et, partant, les revenus obtenus par cette entreprise au moyen des annonces publicitaires liées à ces recherches. L’objectif commun poursuivi par les restrictions litigieuses et leur interdépendance ont donc conduit la Commission à les qualifier d’infraction unique et continue à l’article 102 TFUE et à l’article 54 de l’accord EEE.

En conséquence, la Commission a infligé à Google une amende de près de 4,343 milliards d’euros, soit l’amende la plus importante jamais infligée en Europe par une autorité de concurrence.

Le recours introduit par Google est rejeté pour l’essentiel par le Tribunal, qui se borne à annuler la décision en tant seulement qu’elle constate que les accords de partage de revenus par portefeuille évoqués ci-dessus constituent, en eux-mêmes, un abus. Compte tenu des circonstances propres à l’affaire, le Tribunal estime également approprié, en application de sa compétence de pleine juridiction, de fixer le montant de l’amende infligée à Google à 4,125 milliards d’euros.

Appréciation du Tribunal

Dans un premier temps, le Tribunal examine le moyen tiré d’erreurs d’appréciation dans la définition des marchés pertinents et dans l’appréciation subséquente de la position dominante de Google sur certains de ces marchés. Dans ce cadre, le Tribunal souligne qu’il est appelé, pour l’essentiel, à vérifier, en considération des arguments des parties et du raisonnement exposé dans la décision attaquée, si l’exercice par Google de son pouvoir sur les marchés pertinents lui permettait effectivement d’agir dans une mesure appréciable indépendamment des différents facteurs susceptibles de contraindre son comportement.

En l’occurrence, le Tribunal relève d’emblée que la Commission a identifié, dans une première étape, quatre types de marchés pertinents, à savoir : premièrement, le marché mondial (hors Chine) des systèmes d’exploitation pour appareils mobiles intelligents sous licence ; deuxièmement, le marché mondial (hors Chine) des boutiques d’applications Android ; troisièmement, les différents marchés nationaux, au sein de l’Espace économique européen (EEE), de fourniture de services de recherche générale ; et, quatrièmement, le marché mondial des navigateurs Internet pour appareils mobiles non spécifiques à un système d’exploitation. Dans une seconde étape, la Commission a conclu à l’occupation, par Google, d’une position dominante sur les trois premiers d’entre eux. Le Tribunal observe toutefois que la Commission a dûment évoqué, dans sa présentation des différents marchés pertinents, leur complémentarité, en les présentant comme interconnectés, en particulier, au regard de la stratégie globale mise en œuvre par Google afin de mettre en avant son moteur de recherche en l’intégrant dans un « écosystème ».

Appelé, plus particulièrement, à se prononcer sur la définition du périmètre du marché des systèmes d’exploitation pour appareils mobiles intelligents sous licence et l’appréciation consécutive de la position qu’y occupe Google, le Tribunal constate, tout d’abord, que c’est sans encourir les griefs de Google que la Commission a considéré que les systèmes d’exploitation exclusivement utilisés par des développeurs verticalement intégrés, comme l’iOS d’Apple ou Blackberry, dits « sans licence », ne font pas partie du même marché, étant donné que des fabricants d’appareils mobiles tiers ne peuvent en obtenir la licence. La Commission n’a pas non plus commis d’erreur en constatant également que la position dominante de Google sur ce marché n’était pas remise en cause par la contrainte concurrentielle indirecte exercée sur ce même marché par le système d’exploitation sans licence proposé par Apple. C’est aussi à juste titre que la Commission a conclu que la nature ouverte de la licence d’exploitation du code source Android ne constituait pas une contrainte concurrentielle suffisante pour contrebalancer la position dominante en cause.

Dans un deuxième temps, le Tribunal examine les différents moyens tirés de l’appréciation erronée du caractère abusif des restrictions litigieuses.

Premièrement, en ce qui concerne les conditions de préinstallation imposées aux fabricants d’appareils mobiles{4}, la Commission a conclu à leur caractère abusif en distinguant, d’une part, le groupement des applications Google Search et Play Store du groupement du navigateur Chrome et des applications précitées, et, en considérant, d’autre part, que ces groupements avaient restreint la concurrence au cours de la période infractionnelle, sans que Google n’ait pu faire valoir l’existence d’aucune justification objective.

À cet égard, le Tribunal relève que, pour étayer l’existence d’un important avantage concurrentiel conféré par les conditions de préinstallation litigieuses, la Commission a considéré qu’une telle préinstallation pouvait susciter un « biais de statu quo », résultant de la propension des utilisateurs à se servir des applications de recherche et de navigation à leur disposition et propre à augmenter significativement et durablement l’utilisation du service concerné, sans que cet avantage ne puisse être compensé par les concurrents de Google. Selon le Tribunal, l’analyse exposée par la Commission sur ce point n’encourt aucune des critiques invoquées par Google.

Abordant ensuite les griefs concernant la conclusion selon laquelle les moyens à la disposition des concurrents de Google ne leur permettaient pas de contrebalancer l’avantage concurrentiel tiré par Google des conditions de préinstallation en cause, le Tribunal observe que, si ces conditions n’interdisent pas la préinstallation d’applications concurrentes, il n’en demeure pas moins qu’une telle interdiction est prévue, pour les appareils qui en relevaient, par les accords de partage des revenus - qu’il s’agisse des accords de partage des revenus par portefeuille ou des accords de partage des revenus par appareils qui les ont remplacés -, soit plus de 50 % des appareils Google Android vendus dans l’EEE de 2011 à 2016, ce dont la Commission a pu tenir compte au titre des effets combinés des restrictions en cause. En outre, la Commission a également pu valablement se fonder sur l’observation de la situation réelle pour étayer ses conclusions, constatant, à ce titre, le recours limité, en pratique, à la préinstallation d’applications concurrentes, à leur téléchargement ou à l’accès aux services de recherche concurrents par l’intermédiaire de navigateurs. Enfin, jugeant également vaines les critiques de Google à l’encontre des considérations ayant conduit la Commission à conclure à l’absence de toute justification objective pour les groupements considérés, le Tribunal rejette le moyen tiré de l’appréciation erronée du caractère abusif des conditions de préinstallation dans son ensemble.

Deuxièmement, en ce qui concerne l’appréciation de la condition de préinstallation unique incluse dans les accords de partage des revenus par portefeuille, le Tribunal retient, tout d’abord, que la Commission était fondée à considérer les accords litigieux comme constitutifs d’accords d’exclusivité, dans la mesure où les paiements prévus étaient subordonnés à l’absence de préinstallation de services de recherche générale concurrents sur le portefeuille de produits concernés.

Cela étant, compte tenu du fait que, pour conclure à leur caractère abusif, la Commission a estimé que ces accords étaient propres à inciter les fabricants d’appareils mobiles ainsi que les opérateurs de réseaux mobiles concernés à ne pas préinstaller de tels services concurrents, il lui appartenait, selon la jurisprudence applicable à ce type de pratiques{5}, de procéder à une analyse de leur capacité à restreindre la concurrence par les mérites au vu de l’ensemble des circonstances pertinentes, au nombre desquelles figurent le taux de couverture du marché par la pratique contestée ainsi que sa capacité inhérente à évincer des concurrents au moins aussi efficaces.

L’analyse présentée par la Commission à cette fin se fondait essentiellement sur deux éléments, à savoir, d’une part, l’examen de la couverture de la pratique contestée et, d’autre part, les résultats du test dit « du concurrent aussi efficace »{6} qu’elle a mis en œuvre. Or, pour autant que la Commission a retenu, au titre du premier élément, que les accords en cause couvraient une « partie significative » des marchés nationaux des services de recherche générale, indépendamment du type d’appareil utilisé, le Tribunal considère que ce constat n’est pas corroboré par les éléments exposés par la Commission dans la décision attaquée. Une insuffisance analogue entache, en outre, l’une des prémisses du test AEC, à savoir la part des requêtes de recherche contestable par un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace dont l’application aurait été préinstallée aux côtés de Google Search. Le Tribunal constate également plusieurs erreurs de raisonnement portant sur l’appréciation de variables essentielles du test AEC mis en œuvre par la Commission, à savoir, tout d’abord, l’estimation des coûts attribuables à un tel concurrent, ensuite, l’appréciation de sa capacité à obtenir la préinstallation de son application et, enfin, l’estimation des revenus susceptibles d’être dégagés en fonction de l’ancienneté des appareils mobiles en circulation. Il s’ensuit que, tel qu’il a été conduit par la Commission, le test AEC ne saurait corroborer le constat d’un abus résultant en eux-mêmes des accords de partage des revenus par portefeuille, de sorte que le Tribunal accueille le moyen correspondant.

Troisièmement, en ce qui concerne l’appréciation des restrictions insérées dans les accords anti-fragmentation, le Tribunal observe, à titre liminaire, que la Commission considère comme abusive une telle pratique, dans la mesure où elle vise à faire obstacle au développement et à la présence sur le marché d’appareils fonctionnant avec une fourche Android{7} non compatible, sans pour autant contester à Google le droit d’imposer des exigences de compatibilité visant les seuls appareils sur lesquels ses applications sont installées. Après avoir constaté l’existence matérielle de la pratique en cause, le Tribunal estime, en outre, que la Commission était fondée à admettre la capacité des fourches Android non compatibles à exercer une pression concurrentielle sur Google. Dans ces circonstances, au vu des éléments exposés par la Commission, propres à établir l’entrave au développement et à la commercialisation de produits concurrents sur le marché des systèmes d’exploitation sous licence, cette dernière a pu considérer, selon le Tribunal, que la pratique en cause avait conduit au renforcement de la position dominante de Google sur le marché des services de recherche générale, tout en constituant un frein à l’innovation, dans la mesure où elle avait limité la diversité des offres accessibles aux utilisateurs.

Dans un troisième temps, le Tribunal examine le moyen tiré de la violation des droits de la défense, par lequel Google entend faire constater, d’une part, une violation de son droit d’accès au dossier et, d’autre part, une méconnaissance de son droit d’être entendue.

Examinant, en premier lieu, la violation alléguée du droit d’accès au dossier, le Tribunal précise, à titre liminaire, que les griefs de Google à ce titre portent sur le contenu d’un ensemble de notes transmises par la Commission en février 2018 au sujet de réunions organisées par cette dernière avec des tiers tout au long de son enquête. Lesdites réunions étant toutes des entretiens visant la collecte d’informations relatives à l’objet de l’enquête, au sens de l’article 19 du règlement nº 1/2003{8}, il appartenait, en conséquence, à la Commission d’assurer un enregistrement propre à permettre à l’entreprise en cause, le moment venu, d’en prendre connaissance et d’exercer ses droits de la défense. En l’espèce, le Tribunal constate la méconnaissance des exigences ainsi rappelées en raison, d’une part, du délai écoulé entre la tenue des entretiens et la transmission des notes les concernant et, d’autre part, du caractère sommaire de ces dernières. S’agissant des conséquences à tirer de cette irrégularité procédurale, le Tribunal rappelle néanmoins que, selon la jurisprudence, une violation des droits de la défense ne peut être retenue, en présence d’une telle irrégularité, que si l’entreprise concernée démontre qu’elle aurait pu mieux assurer sa défense en son absence. En l’occurrence, le Tribunal considère toutefois que cette démonstration ne ressort pas des éléments qui lui ont été communiqués ou des arguments qui lui ont été présentés à ce propos.

Abordant, en second lieu, la violation alléguée du droit d’être entendu, le Tribunal observe que les critiques de Google à ce titre constituent le volet procédural des griefs visant à contester le bien-fondé du constat de la nature abusive de certains accords de partage des revenus, dans la mesure où elles visent à contester le refus d’une audition sur le test AEC mis en œuvre dans ce cadre. Or, étant donné que la Commission a opposé ce refus à Google alors même qu’elle lui avait adressé deux lettres d’exposé des faits pour compléter de manière substantielle la teneur et la portée de l’approche initialement exposée dans la communication des griefs à ce sujet, sans pour autant adopter, comme elle l’aurait dû, une communication des griefs complémentaire suivie d’une audition, le Tribunal considère que la Commission a violé les droits de la défense de Google et ainsi privé cette dernière d’une chance de mieux assurer sa défense en développant ses arguments lors d’une audition. Le Tribunal ajoute que l’intérêt d’une audition ressort d’autant plus, en l’espèce, des insuffisances précédemment constatées dans la mise en œuvre du test AEC par la Commission. En conséquence, le constat de la nature abusive des accords de partage des revenus par portefeuille doit être annulé sur ce fondement également.

Enfin, appelé à procéder, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, à une appréciation autonome du montant de l’amende, le Tribunal précise, au préalable, que, si la décision attaquée doit, ainsi, être partiellement annulée, en tant qu’elle considère que les accords de partage des revenus par portefeuille sont en eux-mêmes abusifs, cette annulation partielle n’affecte pas pour autant la validité globale du constat d’infraction effectué, dans la décision attaquée, en considération des effets d’éviction résultant des autres pratiques abusives mises en œuvre par Google au cours de la période infractionnelle.

Par une appréciation propre de l’ensemble des circonstances relatives à la sanction, le Tribunal juge qu’il convient de réformer la décision attaquée, en considérant que le montant de l’amende à infliger à Google pour l’infraction commise est de 4,125 milliards d’euros. À cette fin, à l’instar de la Commission, le Tribunal estime approprié de tenir compte du caractère délibéré de la mise en œuvre des pratiques infractionnelles ainsi que de la valeur des ventes pertinentes réalisées par Google lors de la dernière année de sa participation complète à l’infraction. En revanche, s’agissant de la prise en considération de la gravité et de la durée de l’infraction, le Tribunal considère approprié, pour les raisons exposées dans l’arrêt, de tenir compte de l’évolution dans le temps des différents aspects de l’infraction et de la complémentarité des pratiques en cause pour apprécier l’incidence des effets d’éviction valablement constatés par la Commission dans la décision attaquée.

{1} En l’occurrence, « Google » désigne conjointement la société Google LLC, anciennement Google Inc., ainsi que sa société mère, Alphabet, Inc.

{2} En juin 2017, la Commission avait déjà infligé à Google une amende de 2,42 milliards d’euros pour avoir abusé de sa position dominante sur le marché des moteurs de recherche en conférant un avantage illégal à son propre service de comparaison de prix. Cette décision a été validée, pour l’essentiel, par le Tribunal par arrêt du 10 novembre 2021, Google et Alphabet/Commission (Google Shopping), (T-612/17, EU:T:2021:763). Le pourvoi formé par Google à l’encontre de cet arrêt est actuellement pendant devant la Cour (C-48/22 P).

{3} Décision C(2018) 4761 final de la Commission, du 18 juillet 2018, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE [affaire AT.40099 - Google Android].

{4} Compte tenu des ressemblances entre les affaires, le Tribunal se réfère sur ce point à l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T-201/04, EU:T:2007:289) évoqué par la Commission dans la décision attaquée.

{5} Voir arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C-413/14 P, EU:C:2017:632).

{6} Ci-après le « test AEC », selon sa dénomination en langue anglaise (As Efficient Competitor Test).

{7} Il s’agit, en l’occurrence, de systèmes d’exploitation développés par des tiers à partir du code source Android divulgué par Google sous licence d’exploitation libre, lequel contient les éléments de base d’un tel système, mais pas les applications et services Android dont Google est propriétaire. Dans ce contexte, les accords anti-fragmentation en cause définissaient une norme de référence de compatibilité minimale pour la mise en œuvre du code source d’Android.

{8} Règlement (CE) nº 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).

Arrêt du 14 septembre 2022, Google et Alphabet / Commission (Google Android) (T-604/18) (cf. points 73, 82-86, 1033-1035)

34. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Obligation d'effectuer un contrôle d'office de la décision infligeant une amende - Absence - Violation du droit à une protection juridictionnelle effective - Absence

En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des décisions de la Commission infligeant une amende pour violation des règles de concurrence, le contrôle de légalité instauré à l’article 263 TFUE est complété par la compétence de pleine juridiction reconnue au juge de l’Union à l’article 31 du règlement nº 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée.

Afin de satisfaire aux exigences d’un contrôle de pleine juridiction au sens de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux en ce qui concerne l’amende, le juge de l’Union est tenu, dans l’exercice des compétences prévues aux articles 261 et 263 TFUE, d’examiner tout grief, de droit ou de fait, visant à démontrer que le montant de l’amende n’est pas en adéquation avec la gravité et la durée de l’infraction. Or, l’exercice de cette compétence de pleine juridiction n’équivaut cependant pas à un contrôle d’office et la procédure est contradictoire. C’est à la partie requérante qu’il appartient, en principe, de soulever les moyens à l’encontre de la décision attaquée et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens.

Cette absence de contrôle d’office de l’ensemble de la décision attaquée ne viole pas le principe de protection juridictionnelle effective. Il n’est en effet pas indispensable au respect de ce principe que le Tribunal, certes tenu de répondre aux moyens soulevés et d’exercer un contrôle tant de droit que de fait, soit tenu de procéder d’office à une nouvelle instruction complète du dossier.

Arrêt du 26 janvier 2017, Villeroy & Boch / Commission (C-625/13 P) (cf. points 178-182)

En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des décisions de la Commission infligeant une amende pour violation des règles de concurrence, le contrôle de légalité instauré à l’article 263 TFUE est complété par la compétence de pleine juridiction reconnue au juge de l’Union à l’article 31 du règlement nº 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée.

Afin de satisfaire aux exigences d’un contrôle de pleine juridiction au sens de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux en ce qui concerne l’amende, le juge de l’Union est tenu, dans l’exercice des compétences prévues aux articles 261 et 263 TFUE, d’examiner tout grief, de droit ou de fait, visant à démontrer que le montant de l’amende n’est pas en adéquation avec la gravité et la durée de l’infraction. Or, l’exercice de cette compétence de pleine juridiction n’équivaut cependant pas à un contrôle d’office et la procédure est contradictoire. C’est à la partie requérante qu’il appartient, en principe, de soulever les moyens à l’encontre de la décision attaquée et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens.

Cette absence de contrôle d’office de l’ensemble de la décision attaquée ne viole pas le principe de protection juridictionnelle effective. Il n’est en effet pas indispensable au respect de ce principe que le Tribunal, certes tenu de répondre aux moyens soulevés et d’exercer un contrôle tant de droit que de fait, soit tenu de procéder d’office à une nouvelle instruction complète du dossier.

Arrêt du 26 janvier 2017, Villeroy & Boch Austria / Commission (C-626/13 P) (cf. points 80-84)

En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des décisions de la Commission infligeant une amende pour violation des règles de concurrence, le contrôle de légalité instauré à l’article 263 TFUE est complété par la compétence de pleine juridiction reconnue au juge de l’Union à l’article 31 du règlement nº 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée.

Afin de satisfaire aux exigences d’un contrôle de pleine juridiction au sens de l’article 47 de la Charte en ce qui concerne l’amende, le juge de l’Union est tenu, dans l’exercice des compétences prévues aux articles 261 et 263 TFUE, d’examiner tout grief, de droit ou de fait, visant à démontrer que le montant de l’amende n’est pas en adéquation avec la gravité et la durée de l’infraction. Or, l’exercice de cette compétence de pleine juridiction n’équivaut cependant pas à un contrôle d’office et la procédure est contradictoire. C’est à la partie requérante qu’il appartient, en principe, de soulever les moyens à l’encontre de la décision attaquée et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens.

Cette absence de contrôle d’office de l’ensemble de la décision attaquée ne viole pas le principe de protection juridictionnelle effective. Il n’est en effet pas indispensable au respect de ce principe que le Tribunal, certes tenu de répondre aux moyens soulevés et d’exercer un contrôle tant de droit que de fait, soit tenu de procéder d’office à une nouvelle instruction complète du dossier.

Arrêt du 26 janvier 2017, Villeroy & Boch - Belgium / Commission (C-642/13 P) (cf. points 74-78)

Arrêt du 26 janvier 2017, Villeroy et Boch / Commission (C-644/13 P) (cf. points 67-71)

35. Concurrence - Amendes - Montant - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction - Contrôle de légalité - Portée et limites

En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des décisions de la Commission infligeant une amende pour violation des règles de concurrence, il appartient au juge de l’Union d’effectuer le contrôle de légalité qui lui incombe sur la base des éléments apportés par le requérant au soutien des moyens invoqués. Lors de ce contrôle, le juge ne saurait s’appuyer sur la marge d’appréciation dont dispose la Commission ni en ce qui concerne le choix des éléments pris en considération lors de l’application des critères mentionnés dans les lignes directrices, ni en ce qui concerne l’évaluation de ces éléments pour renoncer à exercer un contrôle approfondi tant en droit qu’en fait.

Le contrôle de légalité est complété par la compétence de pleine juridiction qui est reconnue par l’article 31 du règlement nº 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée.

L’exercice de cette compétence de pleine juridiction n’équivaut cependant pas à un contrôle d’office et la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire. À l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, telle l’absence de motivation de la décision attaquée, c’est à la partie requérante qu’il appartient de soulever les moyens à l’encontre de cette dernière et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens.

Arrêt du 26 janvier 2017, Roca Sanitario / Commission (C-636/13 P) (cf. points 32-34)

36. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Compétence de pleine juridiction limitée aux appréciations relevant du pouvoir de sanction de la Commission - Détermination de la quote-part de l'amende devant être supportée par les codébiteurs solidaires - Compétence des juridictions nationales



Arrêt du 12 juillet 2018, Pirelli & C. / Commission (T-455/14) (cf. point 148)

37. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Substitution des motifs de l'acte contesté

La portée du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE s’étend à l’ensemble des éléments des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE dont le Tribunal assure un contrôle approfondi, en droit comme en fait, à la lumière des moyens soulevés par la partie requérante et compte tenu de l’ensemble des éléments soumis par cette dernière. Toutefois, dans le cadre de ce contrôle, les juridictions de l’Union ne peuvent, en toute hypothèse, substituer leur propre motivation à celle de l’auteur de l’acte en cause. En revanche, dès lors qu’il exerce sa compétence de pleine juridiction prévue à l’article 261 TFUE et à l’article 31 du règlement nº 1/2003, le juge de l’Union est habilité, au-delà du simple contrôle de la légalité de la sanction, à substituer sa propre appréciation, pour la détermination du montant de cette sanction, à celle de la Commission, auteur de l’acte dans lequel ce montant a été initialement fixé. En conséquence, le juge de l’Union peut réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, afin de supprimer, de réduire ou de majorer l’amende infligée, cette compétence étant exercée en tenant compte de toutes les circonstances de fait. De même, le juge de l’Union est, à ce titre, habilité à substituer sa propre motivation à celle de la Commission.

Arrêt du 25 juillet 2018, Orange Polska / Commission (C-123/16 P) (cf. points 105, 106, 113)

Nec Corp. est une société établie au Japon, qui fabrique et vend des condensateurs électrolytiques au tantale. Du 1er août 2009 au 31 janvier 2013, Nec Corp. détenait 100 % du capital de Tokin Corp. (ci-après « Tokin »).

Par décision du 21 mars 2018{1} (ci-après la « décision attaquée »), la Commission a constaté que Nec Corp. et Tokin avaient enfreint l’article 101 TFUE en participant à des accords et/ou pratiques concertées qui avaient pour objet la coordination des politiques de prix pour la fourniture de condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale. À cet égard, la Commission a retenu la responsabilité de Tokin en raison de sa participation directe à cette entente du 29 janvier 2003 au 23 avril 2012, et la responsabilité de Nec Corp. en sa qualité de société mère pour la période allant du 1er août 2009 au 23 avril 2012. La décision attaquée infligeait, d’une part, une amende à Tokin, conjointement et solidairement avec Nec Corp. et, d’autre part, des amendes individuelles respectivement à Tokin et à Nec Corp.

Aux fins du calcul du montant desdites amendes, la Commission a suivi la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes{2} (ci-après les « lignes directrices de 2006 »)

En premier lieu, la Commission a déterminé le montant de base en se référant à la valeur des ventes des condensateurs électrolytiques concernés durant la dernière année complète de participation à l’infraction et en appliquant des coefficients multiplicateurs en fonction de la durée de l’infraction. En considérant que les arrangements horizontaux de coordination des prix comptent, de par leur nature même, parmi les infractions les plus graves à l’article 101 TFUE, la Commission a, ensuite, fixé la proportion de la valeur des ventes à retenir au titre de la gravité de l’infraction à 16 %. Afin de s’assurer du caractère suffisamment dissuasif des amendes infligées, la Commission a, en outre, appliqué un montant additionnel de 16 %.

En deuxième lieu, s’agissant des ajustements du montant de base des amendes, la Commission a, d’une part, accordé à Tokin et à Nec Corp. une réduction de 3 % du montant de base de l’amende, au motif que leur participation à certaines réunions n’était pas établie, et, d’autre part, augmenté le montant de base de l’amende à infliger à Nec Corp. de 50 % au titre de la circonstance aggravante de la récidive, en application du paragraphe 28 des lignes directrices de 2006.

Conformément audit paragraphe 28, le montant de base de l’amende peut être augmenté jusqu’à 100 % par infraction lorsque la Commission constate qu’une entreprise poursuit ou répète une infraction identique ou similaire après qu’elle ou une autorité nationale de concurrence a déjà constaté que cette entreprise a enfreint les dispositions de l’article 101 TFUE ou de l’article 102 TFUE.

À cet égard, la Commission a relevé, plus particulièrement, que Nec Corp. avait déjà été tenue pour responsable d’un comportement anticoncurrentiel portant sur la coordination des prix à l’égard des « grands équipementiers (OEM) spécialisés dans les PC/serveurs », qui a donné lieu à la décision C(2011) 180/09 final de la Commission du 19 mai 2010 (ci-après la « décision DRAM »){3}.

En troisième lieu, la Commission a accordé à Tokin et à Nec Corp., pour leur coopération au titre de la communication sur la coopération de 2006{4}, une réduction de 15 % du montant de toute amende qui, à défaut, leur aurait été infligée pour l’infraction

Nec Corp. a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée, qui est néanmoins rejeté par la neuvième chambre élargie du Tribunal. Dans son arrêt, celle-ci apporte des précisions quant aux conditions de majoration d’une amende pour récidive.

Appréciation du Tribunal

Dans le cadre de son recours, Nec Corp. conteste, notamment, la majoration de l’amende pour récidive qui a été retenue à son égard.

En rappelant que sa responsabilité était purement dérivée de celle de Tokin, Nec Corp. avance, premièrement, que la décision de la Commission de majorer le montant de son amende pour récidive avait comme conséquence de lui imputer une responsabilité excédant celle de sa filiale, qui n’était pas en état de récidive.

À cet égard, le Tribunal rappelle que, lorsque la responsabilité de la société mère est purement dérivée de celle de sa filiale et qu’aucun autre facteur ne caractérise individuellement le comportement reproché à la société mère, la responsabilité de cette société ne saurait excéder celle de sa filiale. Cependant, des facteurs propres à la société mère peuvent justifier d’apprécier sa responsabilité et celle de la filiale d’une manière différenciée, quand bien même la responsabilité de la première serait exclusivement fondée sur le comportement infractionnel de la seconde. Or, un facteur propre à la situation de la société mère qui peut mener à une appréciation différenciée de sa responsabilité par rapport à celle de sa filiale est précisément celui de la récidive

Au regard de ces observations, le Tribunal constate que, en l’espèce, la majoration du montant de l’amende infligée à Nec Corp. correspond à une circonstance qui est propre à sa situation et qui ne s’applique pas à sa filiale, à savoir la récidive. Il était donc loisible à la Commission d’apprécier la responsabilité de cette dernière et celle de sa filiale d’une manière différenciée.

Deuxièmement, Nec Corp. avance que la majoration de son amende pour récidive est entachée d’une erreur de droit dans la mesure où cette majoration couvrait toute la période infractionnelle du 1er août 2009 au 23 avril 2012 et, par conséquent, une période antérieure à la décision DRAM, qui avait été notifiée le 19 mai 2010.

À cet égard, le Tribunal relève que le constat et l’appréciation des caractéristiques spécifiques d’une récidive font partie du pouvoir d’appréciation dont la Commission dispose pour le choix des éléments à prendre en considération aux fins de la détermination du montant des amendes. Dès lors, la Commission peut, dans chaque cas, prendre en considération les indices tendant à confirmer une propension d’une entreprise à s’affranchir des règles de la concurrence, y compris, par exemple, le temps qui s’est écoulé entre les infractions en cause.

Or, même si la première infraction de Nec Corp. a été sanctionnée après le début de la nouvelle entente, la poursuite, pendant près de deux ans, de sa participation à cette dernière après la notification de la décision DRAM témoigne de sa propension à ne pas en tirer les conséquences appropriées. Dans ces conditions, la décision de la Commission d’appliquer la majoration à titre de récidive au montant de base de l’amende qui, à son tour, a été calculé en tenant compte de l’intégralité de la période infractionnelle, n’était pas entachée d’erreur de droit.

Troisièmement, Nec Corp. invoque une violation du principe de proportionnalité, dans la mesure où la majoration du montant de l’amende pour récidive couvrait une période antérieure à la décision DRAM et compte tenu du fait que sa propre responsabilité résultait de la participation de sa filiale à l’infraction.

S’agissant de la proportionnalité de la majoration de l’amende, le Tribunal rappelle que, dans la détermination du montant de chaque amende, la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation et n’est pas tenue d’appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise. De plus, la récidive est une circonstance qui justifie une augmentation considérable du montant de base de l’amende, laquelle peut atteindre 100 % de ce montant. En outre, le principe de proportionnalité exige que le temps écoulé entre l’infraction en cause et un précédent manquement aux règles de concurrence soit pris en compte pour apprécier la propension de l’entreprise à s’affranchir de ces règles.

Au regard de ces observations, le Tribunal réaffirme que la poursuite, par Nec Corp., du comportement infractionnel en cause pendant près de deux ans après la notification de la décision DRAM témoigne clairement de sa propension à ne pas tirer les conséquences appropriées d’un constat d’infraction aux règles de concurrence opéré à son égard. Or, dans la mesure où la majoration pour récidive peut entraîner une augmentation jusqu’à 100 % du montant de base de l’amende, la Commission n’a pas violé le principe de proportionnalité en fixant à 50 % la majoration du montant de base de l’amende à infliger à Nec Corp.

S’agissant de l’argument de la requérante tiré du fait que sa propre responsabilité résultait de la participation de sa filiale à l’infraction et du court laps de temps écoulé entre le moment de l’acquisition de cette filiale et l’adoption de la décision DRAM, le Tribunal, d’une part, constate que la requérante est présumée exercer une influence déterminante sur cette filiale. D’autre part, le Tribunal rappelle que l’objectif de réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence serait compromis si une entreprise visée par une première infraction était en mesure, en modifiant sa structure juridique (par l’acquisition d’une filiale qui ne peut être poursuivie en raison de cette première infraction, mais qui est impliquée dans la commission de la nouvelle infraction) de rendre impossible ou particulièrement difficile sa sanction et, partant, d’éviter la sanction de la récidive.

{1} Décision C(2018) 1768 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.40136 - Condensateurs).

{2} Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées, en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2).

{3} Décision de la Commission du 19 mai 2010 relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38.511 - DRAM)

{4} Communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, JO 2006, C 298, p. 17.

Arrêt du 29 septembre 2021, NEC Corporation / Commission (T-341/18) (cf. points 44, 45)

Tokin Corp. (ci-après « Tokin ») est une société établie au Japon, qui fabrique et vend des condensateurs électrolytiques au tantale. Du 1er août 2009 au 31 janvier 2013, Tokin était détenue à 100 % par Nec Corp.

Par décision du 21 mars 2018{1} (ci-après la « décision attaquée »), la Commission européenne a constaté que Tokin et Nec Corp. avaient enfreint l’article 101 TFUE en participant à des accords et/ou pratiques concertées qui avaient pour objet la coordination des politiques de prix pour la fourniture de condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale. À cet égard, la Commission a retenu la responsabilité de Tokin, en raison de sa participation directe à cette entente du 29 janvier 2003 au 23 avril 2012, et la responsabilité de Nec Corp., en sa qualité de société mère, pour la période allant du 1er août 2009 au 23 avril 2012. La décision attaquée infligeait, d’une part, une amende à Tokin, conjointement et solidairement avec Nec Corp. et, d’autre part, des amendes individuelles respectivement à Tokin et à Nec Corp.

Aux fins du calcul du montant desdites amendes, la Commission a suivi la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes{2}.

Pour le calcul des amendes imposées à Tokin, la Commission a déterminé le montant de base en se référant, d’abord, à la valeur des ventes des condensateurs électrolytiques concernés durant la dernière année complète de participation à l’infraction et en appliquant, ensuite, un coefficient multiplicateur pour la durée correspondant à la période comprise entre le 29 janvier 2003 et le 23 avril 2012. En considérant que les arrangements horizontaux de coordination des prix comptent, de par leur nature même, parmi les infractions les plus graves à l’article 101 TFUE, la Commission a fixé la proportion de la valeur des ventes à retenir au titre de la gravité de l’infraction à 16 %. Afin de s’assurer du caractère suffisamment dissuasif des amendes infligées, la Commission a, en outre, appliqué un montant additionnel de 16 %.

S’agissant des ajustements du montant de base, la Commission a accordé à Tokin et à Nec Corp. une réduction de 3 % du montant de base de l’amende, au motif que leur participation à certaines réunions n’était pas établie. Pour leur coopération au titre de la communication sur la coopération de 2006{3}, Tokin et Nec Corp. ont, en outre, obtenu une réduction de 15 % du montant de toute amende qui, à défaut, leur aurait été infligée pour l’infraction.

Tokin a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée, qui est néanmoins rejeté par la neuvième chambre élargie du Tribunal.

Appréciation du Tribunal

En premier lieu, le Tribunal rejette le moyen de Tokin tiré, d’une part, de la méconnaissance des limites qui s’imposent au pouvoir d’appréciation de la Commission et, d’autre part, de la violation du principe de proportionnalité, en ce que la Commission aurait modifié la date de fin de l’infraction reprochée à Tokin tout en sachant que cette modification aurait pour effet de multiplier la valeur des ventes pertinentes et, par conséquent, le montant de l’amende.

À cet égard, le Tribunal observe que la communication des griefs indiquait que Tokin avait participé à l’infraction jusqu’au 11 décembre 2013 alors que, dans la décision attaquée, la Commission constate que la durée de l’infraction en cause est établie jusqu’au 23 avril 2012 et que Tokin y a participé jusqu’à cette date.

Toutefois, si la communication des griefs doit indiquer tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde dans le cadre de sa procédure d’enquête, cette communication constitue un document préparatoire dont les appréciations de fait et de droit ont un caractère purement provisoire. Une décision finale de la Commission ne saurait, par conséquent, être annulée au seul motif que les conclusions définitives tirées des faits indiqués dans la communication des griefs ne correspondent pas de manière précise à l’appréciation provisoire de ces faits contenue dans ladite communication. De plus, la Commission n’étant pas tenue de maintenir les appréciations de fait ou de droit portées dans la communication des griefs, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir tenu compte, dans la décision attaquée, d’une date de fin de l’infraction différente de celle qu’elle avait mentionnée dans la communication de griefs.

Par ailleurs, Tokin ne contestait ni la date de fin de l’infraction indiquée dans la décision attaquée ni la circonstance que la dernière année complète de sa participation à l’infraction correspondait à la période allant du 1er avril 2011 au 31 mars 2012.

Quant à la prétendue violation du principe de proportionnalité, le Tribunal constate que Tokin n’avait avancé aucun argument circonstancié au soutien de la prétendue violation.

En deuxième lieu, le Tribunal rejette le grief de Tokin tiré de la violation des principes de non-discrimination et d’égalité de traitement en ce que la Commission aurait utilisé, aux fins du calcul de l’amende, des années de référence différentes selon les destinataires de la décision attaquée.

À cet égard, le Tribunal constate, tout d’abord, que le principe d’égalité de traitement n’est violé que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique. Ensuite, le Tribunal observe que, afin de déterminer le montant de base des amendes à infliger, la Commission avait appliqué pour toutes les entreprises, à l’exception de deux d’entre elles, le critère prévu au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 en vertu duquel ce montant doit être déterminé en utilisant comme paramètre de référence la valeur des ventes réalisée par l’entreprise en cause dans la dernière année complète de son participation à l’infraction. Selon le Tribunal, la dérogation audit critère pour deux des entreprises concernées était objectivement justifiée, dans la mesure où ces entreprises avaient cessé de vendre les produits faisant l’objet de l’infraction avant la fin de celle-ci et se trouvaient, de ce fait, dans une situation différente de celle des autres participants à l’infraction. Enfin, le Tribunal souligne que la Commission avait bien calculé séparément, pour tous les participants à l’entente, la valeur pertinente des ventes des deux catégories de produits concernés, à savoir les condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale.

Au regard de ces constatations, le Tribunal confirme que la méthode de calcul de la valeur des ventes suivie par la Commission n’était pas arbitraire et ne conduisait pas, en soi, à une violation des principes de non-discrimination et d’égalité de traitement.

En troisième lieu, le Tribunal rejette également le moyen de Tokin tiré du fait que, lors du calcul du montant de base de l’amende, la Commission aurait dû prendre en compte sa non-participation à certaines réunions anticoncurrentielles dans le coefficient de gravité de l’infraction et non au titre des circonstances atténuantes.

À cet égard, le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence bien établie, la Commission peut tenir compte de la gravité relative de la participation d’une entreprise à une infraction et des circonstances particulières de l’affaire soit lors du calcul du montant de base, soit lors de l’ajustement du montant de base en fonction de circonstances atténuantes et aggravantes. Partant, compte tenu de toutes les caractéristiques de l’infraction en cause, le choix de la Commission d’appliquer un coefficient de gravité de l’infraction de 16 %, en vue de déterminer le montant de base de l’amende, et d’accorder une réduction de 3 % du montant de base, au titre des circonstances atténuantes, ne violait ni le règlement nº 1/2003 ni le principe de responsabilité personnelle.

{1} Décision C(2018) 1768 final de la Commission, du 21 mars 2018, relative à une procédure d’application de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (Affaire AT.40136 - Condensateurs).

{2} Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées, en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2) (ci-après les « lignes directrices de 2006 »).

{3} Communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17).

Arrêt du 29 septembre 2021, Tokin Corporation / Commission (T-343/18) (cf. points 44-48)



Arrêt du 13 juillet 2023, Nichicon Corporation / Commission (C-757/21 P) (cf. points 172-178)

38. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Compétence de pleine juridiction strictement limitée à la détermination du montant de l'amende infligée

Nippon Chemi-Con Corporation (ci-après « Nippon Chemi-Con ») est une société établie au Japon qui fabrique et vend des condensateurs électrolytiques à l’aluminium. Elle possède 100 % des parts d’Europe Chemi-Con (Deutschland) GmbH, une société de droit allemand, ainsi que 100 % des parts d’United Chemi-Con, une société de droit des États-Unis.

Par décision du 21 mars 2018{1} (ci-après la « décision attaquée »), la Commission européenne a constaté que Nippon Chemi-Con avait enfreint l’article 101 TFUE en participant à des accords et/ou pratiques concertées ayant pour objet la coordination des politiques de prix pour la fourniture de condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale. La responsabilité de Nippon Chemi-Con a été retenue en raison de sa participation directe à l’entente, du 26 juin 1998 au 23 avril 2012, et une amende lui a été infligée.

Aux fins du calcul de cette amende, la Commission a suivi la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes{2}.

En premier lieu, la Commission a déterminé le montant de base en se référant à la valeur des ventes des condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale durant la dernière année complète de participation à l’infraction, y inclus les ventes effectuées dans l’Espace économique européen (EEE) par ses filiales détenues à 100 %. Un coefficient multiplicateur a été retenu en fonction de la durée de l’infraction. Considérant que les arrangements horizontaux de coordination des prix comptent, de par leur nature même, parmi les infractions les plus graves à l’article 101 TFUE, la Commission a, en second lieu, fixé la proportion de la valeur des ventes à retenir au titre de la gravité de l’infraction à 16 %. Afin de s’assurer du caractère suffisamment dissuasif de l’amende infligée, la Commission a, en outre, appliqué un montant additionnel de 16 %.

Nippon Chemi-Con a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée, qui est néanmoins rejeté par la neuvième chambre élargie du Tribunal.

Appréciation du Tribunal

Le Tribunal rejette, premièrement, le moyen de Nippon Chemi-Con tiré de l’absence de compétence territoriale de la Commission pour appliquer l’article 101 TFUE, dans la mesure où le comportement anticoncurrentiel serait axé sur l’Asie et n’aurait pas été mis en œuvre dans l’EEE.

À cet égard, le Tribunal rappelle que l’application de l’article 101 TFUE est justifiée dès lors que les pratiques qu’il vise sont mises en œuvre sur le territoire du marché intérieur, et ce indépendamment du lieu de leur formation. Ce critère de la mise en œuvre de l’entente en tant qu’élément de rattachement de celle-ci au territoire de l’Union est satisfait par la simple vente dans l’Union du produit cartellisé, indépendamment de la localisation des sources d’approvisionnement et des installations de production.

Or, en soulignant le fait que, pendant la période infractionnelle, les participants à l’entente, qui avait une échelle mondiale, avaient réalisé des ventes de condensateurs électrolytiques dans l’EEE, échangé des informations concernant des clients européens et coordonné leur politique commerciale en fonction des fluctuations des taux de change de l’euro, la Commission a avancé des arguments étayant la conclusion selon laquelle l’entente avait bien été mise en œuvre dans l’EEE.

Deuxièmement, le Tribunal analyse le moyen de Nippon Chemi-Con tiré du fait que la Commission n’aurait pas établi l’existence d’une infraction unique et continue couvrant tous les condensateurs électrolytiques pendant toute la durée de l’infraction alléguée. À cet égard, Nippon Chemi-Con a fait plus particulièrement valoir que la Commission n’a pas démontré l’existence d’un plan d’ensemble et n’a pas tenu compte du caractère hétérogène de l’industrie des condensateurs.

S’agissant de la démonstration de l’existence d’un plan d’ensemble, le Tribunal rappelle que la notion d’« infraction unique » vise une situation dans laquelle plusieurs entreprises ont participé à une infraction constituée d’un comportement continu poursuivant un seul but économique visant à fausser la concurrence. Ainsi, lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence dans le marché intérieur, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble.

À cet égard, le Tribunal constate que la Commission a repéré un ensemble d’éléments de nature à étayer sa conclusion selon laquelle les contacts anticoncurrentiels intervenus au cours des années entre les parties s’inscrivaient dans un plan global visant un objectif unique. La Commission a, en fait, démontré que ces contacts portaient sur la fixation des prix futurs des condensateurs, sur l’offre et la demande de ces produits et, dans certains cas, sur la conclusion, l’application et le suivi d’accords sur les prix. De plus, la Commission a vérifié que lesdits contacts présentaient des caractéristiques communes, en ce qui concerne les participants, la nature et la portée matérielle des discussions, qui se recoupaient.

Le Tribunal rejette, par ailleurs, le grief de Nippon Chemi-Con tiré du fait que, en raison de la nature hétérogène des condensateurs et de la spécificité de la demande sur les différents marchés géographiques, l’infraction, outre le fait de ne pas avoir été établie par la Commission, ne pouvait pas couvrir la totalité des ventes de condensateurs électrolytiques vers l’EEE.

Le Tribunal rappelle, à titre liminaire, que pour déterminer les produits couverts par une entente, la Commission n’est pas tenue de définir le marché en cause sur la base de critères économiques. Ce sont, en effet, les membres de l’entente eux-mêmes qui déterminent les produits faisant l’objet de leurs discussions et pratiques concertées. De plus, les produits concernés par une entente sont déterminés par référence aux preuves documentaires d’un comportement anticoncurrentiel effectif par rapport à des produits spécifiques.

Au regard de ces éléments, le Tribunal constate que la Commission a considéré à juste titre que l’infraction unique et continue couvrait l’ensemble des condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale, ce que la Commission a corroboré en fournissant la preuve que tous les échanges anticoncurrentiels entre les participants à l’entente couvraient les condensateurs électrolytiques à l’aluminium ou au tantale, voire même les deux, que les discussions entamées lors de plusieurs réunions étaient générales et ne se limitaient pas à certains sous-types de condensateurs électrolytiques à l’aluminium ou au tantale, que les participants à l’entente n’avaient introduit, dans leurs déclarations d’entreprise, aucune limitation quant à la définition des condensateurs couverts par l’entente et que la majorité des représentants des participants à l’entente étaient responsables de la fabrication des deux produits et non d’une gamme de produits spécifiques.

Troisièmement, le Tribunal rejette le grief de Nippon Chemi-Con tiré du fait que la Commission aurait, à tort, inclus dans la valeur des ventes pertinente pour le calcul du montant de base de l’amende les ventes effectuées par ses deux filiales détenues à 100 %.

À cet égard, le Tribunal relève, tout d’abord, que la présomption d’absence d’autonomie des filiales, développée par la jurisprudence afin de permettre d’imputer le comportement d’une entité juridique (la filiale) à une autre (la société mère), est également valable lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, de déterminer la valeur de ventes pertinente pour le calcul du montant de base de l’amende à infliger à la société mère, qui a participé directement à une infraction et qui a, pendant la période infractionnelle, effectué, dans l’EEE, des ventes de produits concernés par cette infraction, par l’intermédiaire de ses filiales.

Or, dans la mesure où Nippon Chemi-Con possédait 100 % des parts de ses deux filiales et que ces trois sociétés constituaient, par conséquent, une même unité économique au sens de l’article 101 TFUE, c’est à bon droit que la Commission a pris en compte le montant des ventes des condensateurs que ladite unité économique avait réalisé dans l’EEE afin de déterminer la valeur des ventes pertinente pour le calcul du montant de base de l’amende imposée à Nippon Chemi-Con.

{1} Décision C(2018) 1768 final de la Commission, du 21 mars 2018, relative à une procédure d’application de l’article 101du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen EEE (Affaire AT.40136 - Condensateurs).

{2} Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2) (ci-après les « lignes directrices de 2006 »).

Arrêt du 29 septembre 2021, Nippon Chemi-Con Corporation / Commission (T-363/18) (cf. points 60, 61)



Arrêt du 26 septembre 2018, Philips et Philips France / Commission (C-98/17 P) (cf. points 49, 50)

39. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Prise en compte des lignes directrices pour le calcul des amendes - Limites

Par son arrêt Recylex e.a./Commission (T-222/17), du 23 mai 2019, le Tribunal a rejeté le recours de Recylex SA, Fonderie et Manufacture de Métaux SA et Harz-Metall GmbH (ci-après « Recylex »), des sociétés actives dans la production de plomb recyclé et d’autres produits, tendant à la réduction du montant de l’amende infligée par la Commission dans sa décision{1} relative à une infraction à l’article 101 TFUE. Cette infraction a pris la forme d’accords ou de pratiques concertées entre quatre groupes d’entreprises sur les territoires de la Belgique, de l’Allemagne, de la France et des Pays-Bas. Elle a consisté en la coordination des prix d’achat de déchets de batteries automobiles plomb-acide utilisés pour la production de plomb recyclé.

La procédure administrative à l’origine de la décision attaquée avait été ouverte à la suite d’une demande d’immunité déposée par JCI, un des groupes d’entreprises concernés. Eco-Bat, autre groupe d’entreprises, puis enfin Recylex avaient présenté, à leur tour, une demande d’immunité ou, à défaut, de réduction de l’amende, au titre de la communication de la Commission sur la coopération de 2006{2}. JCI s’était alors vu accorder l’immunité tandis qu’Eco-Bat avait bénéficié d’une réduction de l’amende de 50 % au motif qu’elle avait été la première entreprise à fournir des éléments de preuve ayant une valeur ajoutée significative. Recylex, deuxième entreprise à apporter de tels éléments, avait quant à elle bénéficié d’une réduction de 30 %.

Dans ce contexte, le Tribunal a été amené à se prononcer sur la question de savoir si, dans le cas où deux entreprises ont fourni des éléments de preuve ayant une valeur ajoutée significative, celle qui les a fournis en second lieu pourrait prendre la place de la première, si la coopération de celle-ci se révélait ne pas être conforme aux exigences du paragraphe 12 de la communication sur la coopération de 2006.

À cet égard, le Tribunal a constaté qu’il ressort notamment de la logique même de la communication sur la coopération de 2006 que l’effet recherché est de créer un climat d’incertitude au sein des ententes en encourageant leur dénonciation auprès de la Commission. Cette incertitude résulte précisément du fait que les participants à l’entente savent que seul l’un d’entre eux pourra bénéficier d’une immunité d’amende en dénonçant les autres participants à l’infraction, les exposant ainsi au risque qu’ils se voient infliger des amendes. Dans le cadre de ce système, et selon la même logique, les entreprises les plus rapides à fournir leur coopération sont censées bénéficier de réductions plus importantes des amendes auxquelles elles seraient autrement assujetties que celles accordées aux entreprises moins rapides à coopérer. L’ordre chronologique et la rapidité de la coopération offerte par les membres de l’entente constituent donc des éléments fondamentaux du système mis en place par la communication sur la coopération de 2006.

{1 Décision C(2017) 900 final de la Commission, du 8 février 2017, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE (affaire AT.40018 - Recyclage de batteries automobiles).}

{2 Communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17).}

Arrêt du 23 mai 2019, Recylex e.a. / Commission (T-222/17) (cf. points 160-162)

40. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Réduction du montant de l'amende

Lietuvos geležinkeliai AB (ci-après « LG »), la société nationale des chemins de fer de Lituanie, est à la fois gestionnaire des infrastructures ferroviaires et fournisseur de services de transport ferroviaire en Lituanie. En cette dernière qualité, LG a conclu, en 1999, un accord commercial avec la société Orlen Lietuva AB (ci-après « Orlen »), une société pétrolière lituanienne détenue par l’entreprise pétrolière polonaise PKN Orlen SA, en vue de lui fournir des services de transport ferroviaire sur le territoire lituanien. Cet accord visait notamment le transport de produits pétroliers issus d’une importante raffinerie appartenant à Orlen située à Bugeniai, au nord-ouest de la Lituanie, à proximité de la frontière avec la Lettonie, vers le terminal maritime lituanien de Klaipėda en vue de l’acheminement de ces produits en Europe de l’Ouest.

À la suite d’un litige, survenu en 2008, entre LG et Orlen au sujet des tarifs des services de transport ferroviaire faisant l’objet de l’accord, Orlen a envisagé de redéployer ses activités d’exportation maritime au départ de Klaipėda vers les terminaux maritimes de Riga et de Ventspils, en Lettonie, et, dans ce contexte, de confier le transport de ses produits issus de la raffinerie de Bugeniai à Latvijas dzelzceļš, la société nationale des chemins de fer de Lettonie (ci-après « LDZ »). Pour acheminer son fret vers les terminaux maritimes lettons, Orlen prévoyait l’utilisation d’une ligne ferroviaire allant de sa raffinerie à Rengė, en Lettonie (ci après l’« itinéraire court »), ligne qu’elle avait jusqu’alors utilisée pour desservir les marchés lettons et estoniens.

En raison d’une déformation de la voie ferrée de quelques dizaines de mètres sur l’itinéraire court, LG, en sa qualité de gestionnaire des infrastructures ferroviaires, a suspendu, le 2 septembre 2008, le trafic sur un tronçon de 19 km de cet itinéraire (ci-après la « voie ferrée litigieuse »). À partir du 3 octobre 2008, LG a procédé au démantèlement complet de la voie ferrée litigieuse qui s’est achevé avant la fin du mois d’octobre 2008.

Par la suite, considérant que LG n’avait pas l’intention de réparer la voie ferrée litigieuse à court terme, Orlen a dû renoncer à son projet de recourir aux services de LDZ{1}.

Saisie d’une plainte introduite par Orlen, la Commission européenne, par décision du 2 octobre 2017, a conclu que, en supprimant la voie ferrée litigieuse, LG avait abusé de sa position dominante en tant que gestionnaire des infrastructures ferroviaires lituaniennes dans la mesure où elle a empêché LDZ d’entrer sur le marché du transport ferroviaire de produits pétroliers depuis la raffinerie d’Orlen vers les terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils (ci-après « le marché en cause »). Pour cette infraction, la Commission a infligé à LG une amende de 27 873 000 euros et lui a enjoint de mettre fin à la violation du droit de la concurrence de l’Union.

LG a introduit un recours contre la décision de la Commission devant le Tribunal de l’Union européenne.

Par son arrêt de ce jour, le Tribunal relève, tout d’abord, que, en sa qualité de gestionnaire, en situation de position dominante, des infrastructures ferroviaires lituaniennes, LG est chargée, en vertu du droit de l’Union et du droit national, d’accorder l’accès aux infrastructures ferroviaires publiques ainsi que d’assurer le bon état technique de ces infrastructures et un trafic ferroviaire sûr et ininterrompu et, en cas de perturbation du trafic ferroviaire, de prendre toutes les mesures nécessaires pour rétablir la situation normale. Par ailleurs, cette entreprise détient une position dominante sur le marché de la gestion des infrastructures ferroviaires, qui découle d’un ancien monopole légal, et n’a pas investi dans le réseau ferroviaire, qui appartient à l’État lituanien.

Dans ce contexte, le Tribunal considère que le comportement en cause, à savoir la suppression de la voie ferrée litigieuse, ne peut être apprécié à la lumière de la jurisprudence établie en matière de refus de fournir l’accès à des infrastructures essentielles, qui fixe un seuil plus élevé pour conclure au caractère abusif d’une pratique que celui appliqué dans la décision attaquée. En effet, un tel comportement doit être analysé comme un agissement de nature à faire obstacle à l’entrée sur le marché en rendant l’accès à ce dernier plus difficile et à entraîner ainsi un effet d’éviction anticoncurrentielle.

Le Tribunal confirme, ensuite, que LG n’est pas parvenue à démontrer que, après l’apparition de la déformation en cause sur la voie ferrée litigieuse et l’évaluation détaillée de l’état de la totalité de cette dernière, celle-ci se trouvait dans un état qui justifiait sa suppression intégrale immédiate. À cet égard, le Tribunal considère que la Commission a établi à juste titre que des problèmes concernant une portion de 1,6 km sur les 19 km de la voie ferrée litigieuse ne pouvaient justifier sa suppression complète et immédiate. En tout état de cause, le cadre réglementaire applicable imposait à LG non seulement l’obligation de garantir la sécurité de son réseau ferroviaire, mais également celle de minimiser les perturbations et d’améliorer les performances de ce réseau.

S’agissant de l’argument de LG selon lequel la suppression intégrale et immédiate de la voie ferrée litigieuse, suivie de sa reconstruction complète et immédiate, que LG affirme avoir initialement envisagée, était économiquement plus avantageuse que la mise en œuvre de réparations ciblées immédiates suivies d’une reconstruction complète mais échelonnée, le Tribunal constate que, à défaut de disposer du financement nécessaire pour entamer les travaux de reconstruction et d’avoir suivi les étapes préparatoires normales en vue de la réalisation de tels travaux, LG n’avait aucune raison de procéder en toute hâte à la suppression de la voie ferrée litigieuse. De même, c’est sans commettre d’erreur que la Commission a établi que procéder au démantèlement d’une voie ferrée, avant même le début des travaux de rénovation, constituait un comportement extrêmement inhabituel dans le secteur ferroviaire.

De plus, le Tribunal confirme que, disposant d’une position dominante non seulement en tant que gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire mais également sur le marché en cause, il incombait à LG une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte à une concurrence effective et non faussée sur ce marché. Dès lors, au moment de décider de la solution à apporter à la déformation de la voie ferrée litigieuse, LG aurait dû tenir compte de cette responsabilité et éviter d’éliminer toute possibilité de remettre la voie ferrée litigieuse en service à court terme. Toutefois, en supprimant la totalité de la voie ferrée litigieuse, LG n’a pas assumé cette responsabilité dans la mesure où son comportement a rendu plus difficile l’accès au marché en cause.

Quant à l’impact de la suppression de la voie ferrée litigieuse sur la possibilité pour LDZ de transporter les produits pétroliers d’Orlen destinés à l’exportation maritime depuis la raffinerie vers les terminaux maritimes lettons, le Tribunal relève que le fait de devoir utiliser, en Lituanie, un itinéraire plus long et plus fréquenté que la partie lituanienne de l’itinéraire court comportait pour LDZ des risques de conflits de sillons ferroviaires plus élevés, une incertitude quant à la qualité et au coût des services ferroviaires complémentaires ainsi que des risques se rattachant au manque d’informations et de transparence sur les conditions d’entrée sur le marché et, de ce fait, une dépendance plus importante vis-à-vis du gestionnaire du réseau ferroviaire lituanien. De plus, le Tribunal note que, en 2008 et en 2009, les coûts du transport de produits pétroliers d’Orlen étaient plus élevés sur les itinéraires plus longs vers les terminaux maritimes lettons que sur l’itinéraire vers Klaipėda. Par conséquent, aucune erreur d’appréciation ne peut être reprochée à la Commission pour avoir conclu que les itinéraires plus longs vers les terminaux maritimes lettons n’auraient pas été compétitifs par rapport à l’itinéraire vers Klaipėda.

Dans ces conditions, le Tribunal rejette, en substance, le recours de LG dans son intégralité.

Toutefois, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction en matière de fixation d’amendes, le Tribunal, eu égard à la gravité et à la durée de l’infraction, estime opportun de réduire le montant de l’amende imposée à LG de 27 873 000 à 20 068 650 euros.

{1} Lors de l’audience, LG et LDZ ont néanmoins confirmé que les travaux de reconstruction de la voie ferrée litigieuse avaient été finalement entamés et étaient censés être achevés en décembre 2019 et que celle-ci devait être rouverte au trafic avant la fin du mois de février 2020.

Arrêt du 18 novembre 2020, Lietuvos geležinkeliai / Commission (T-814/17) (cf. points 389-406)



Arrêt du 8 juillet 2020, Infineon Technologies / Commission (T-758/14 RENV) (cf. points 25-27, 147, 150, 197)

41. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Compétence de pleine juridiction limitée aux appréciations relevant du pouvoir de sanction de la Commission - Octroi d'un bénéfice d'ordre ou de discussion à l'un des codébiteurs solidaires - Inadmissibilité



Arrêt du 28 octobre 2020, Pirelli & C. / Commission (C-611/18 P) (cf. points 107-110)

42. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Limites - Respect de l'obligation de motivation - Respect du principe d'égalité de traitement - Violation par le Tribunal

Voir le texte de la décision.

Arrêt du 18 mars 2021, Pometon / Commission (C-440/19 P) (cf. points 135, 136, 138, 145-153)

43. Pourvoi - Compétence de la Cour - Remise en cause, pour des motifs d'équité, de l'appréciation portée par le Tribunal sur le montant d'amendes infligées à des entreprises ayant violé les règles de concurrence du traité - Exclusion



Arrêt du 25 mars 2021, Lundbeck / Commission (C-591/16 P) (cf. points 197-199)

44. Concurrence - Amendes - Montant - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée

Rubycon Corp. est une société établie au Japon, qui fabrique et vend des condensateurs électrolytiques à l’aluminium. Depuis le 1er février 2007, Rubycon Holdings Co. Ltd. (ci-après « Rubycon Holdings ») détient 100 % du capital de Rubycon Corp.

Par décision du 21 mars 2018 (ci-après la « décision attaquée »), la Commission a constaté que Rubycon Corp. et Rubycon Holdings avaient enfreint l’article 101 TFUE en participant à des accords et/ou pratiques concertées qui avaient pour objet la coordination des politiques de prix pour la fourniture de condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale{1}. La Commission a retenu la responsabilité de Rubycon Corp. en raison de sa participation directe à l’entente du 26 juin 1998 au 23 avril 2012, et la responsabilité de Rubycon Holdings en sa qualité de société mère pour la période allant du 1er février 2007 au 23 avril 2012 .

La décision attaquée infligeait, d’une part, une amende à Rubycon Corp., conjointement et solidairement avec Rubycon Holdings, et, d’autre part, une amende individuelle à Rubycon Corp.

Aux fins du calcul du montant desdites amendes, la Commission a suivi la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes{2} (ci-après les « lignes directrices de 2006 »).

Ainsi, la Commission a déterminé le montant de base en se référant à la valeur des ventes des condensateurs électrolytiques concernés durant la dernière année complète de participation à l’infraction et en appliquant des coefficients multiplicateurs en fonction de la durée de l’infraction. En considérant que les arrangements horizontaux de coordination des prix comptent, de par leur nature même, parmi les infractions les plus graves à l’article 101 TFUE, la Commission a, ensuite, fixé la proportion de la valeur des ventes à retenir au titre de la gravité de l’infraction à 16 %. Afin de s’assurer du caractère suffisamment dissuasif des amendes infligées, la Commission a, en outre, appliqué un montant additionnel de 16 %.

S’agissant du coefficient multiplicateur relatif à la durée de l’infraction, la Commission a accordé à Rubycon Corp. une immunité partielle d’amende relative à la durée de l’infraction, au titre du paragraphe 26, troisième alinéa, de la communication sur la coopération de 2006{3}, pour avoir fourni des preuves déterminantes établissant des éléments de fait supplémentaires renforçant la durée de l’infraction pour la période allant du 26 juin 1998 au 28 août 2003 .

En revanche, la Commission a refusé d’accorder à Rubycon Corp. et à Rubycon Holdings une immunité partielle d’amende relative à la gravité de l’infraction au titre dudit paragraphe 26, troisième alinéa, au motif que les preuves qu’elles avaient fournies ne lui avaient pas permis d’établir des éléments de fait supplémentaires renforçant la gravité de l’infraction .

Enfin, après l’application du plafond de 10 %, la Commission a accordé à Rubycon Corp. et à Rubycon Holdings une réduction supplémentaire de 30 % du montant de l’amende{4}, au motif qu’elles avaient été la deuxième entreprise à fournir des éléments apportant une valeur ajoutée significative quant à la preuve de l’existence de l’entente.

Rubycon Corp. et Rubycon Holdings ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée et à la réduction des amendes infligées, qui est néanmoins rejeté par la neuvième chambre élargie du Tribunal.

Appréciation du Tribunal

Par leur recours, Rubycon Corp. et Rubycon Holdings contestent notamment le refus de la Commission de leur accorder une immunité partielle d’amende relative à la gravité de l’infraction au titre du paragraphe 26, troisième alinéa, de la communication sur la coopération de 2006.

À cet égard, le Tribunal écarte, en premier lieu, le grief tiré du fait que la Commission aurait dû exclure la responsabilité de Rubycon Corp. et de Rubycon Holdings pour leur participation aux réunions dont l’existence avait été prouvée grâce aux éléments de preuve qu’elles avaient fournis . En effet, dans la mesure où le bénéfice de l’immunité partielle d’amende ne concerne que le montant de l’amende, il ne peut pas avoir d’incidence sur l’étendue de la responsabilité pour l’infraction retenue à l’égard de l’entreprise bénéficiaire d’une telle immunité .

En deuxième lieu, le Tribunal rejette le grief tiré du fait que la Commission aurait conclu à tort que les preuves produites étaient sans incidence sur la gravité de l’infraction . À cet égard, Rubycon Corp. et Rubycon Holdings avaient, plus particulièrement, avancé que les preuves apportées au sujet de plusieurs réunions dans le cadre desquelles les entreprises s’étaient accordées sur des prix et sur un mécanisme de surveillance de leur application avaient permis de renforcer la gravité de l’entente en cause.

Le Tribunal rappelle, tout d’abord, que seules les entreprises ayant produit des preuves déterminantes permettant d’établir des éléments de fait supplémentaires capables de renforcer la gravité ou la durée de l’infraction peuvent bénéficier de l’immunité partielle d’amende au titre du paragraphe 26, troisième alinéa, de la communication sur la coopération de 2006.

Ensuite, le Tribunal confirme la conclusion de la Commission selon laquelle les preuves fournies par Rubycon Corp. et Rubycon Holdings n’avaient pas eu d’incidence sur sa capacité d’établir la gravité de l’infraction. Bien que ces preuves démontraient que, lors de certaines réunions, les entreprises avaient conclu des accords sur les prix accompagnés d’un mécanisme de surveillance afin de garantir leur application, il n’en demeurait pas moins que ces éléments n’étaient pas des composants autonomes de l’infraction, susceptibles d’avoir un impact sur la gravité de celle-ci .

En troisième lieu, le Tribunal rejette le grief tiré de la violation du principe d’égalité de traitement.

Rubycon Corp. et Rubycon Holdings se référaient, plus particulièrement, à l’octroi à d’autres entreprises d’une réduction du montant de base de l’amende de 3 % au regard du fait que leur participation à certaines réunions multilatérales n’avait pas été établie. En octroyant cette réduction, la Commission aurait traité de manière plus favorable les entreprises qui avaient décidé de ne pas fournir des éléments de preuve concernant l’infraction par rapport à celles qui avaient décidé de fournir de tels éléments.

À cet égard, le Tribunal relève que la situation factuelle de Rubycon Corp. et Rubycon Holdings et celle des autres entreprises mentionnées étaient substantiellement différentes, dans la mesure où la participation de ces dernières à certaines réunions auxquelles Rubycon Corp avait participé n’avait pas été démontré e et que, contrairement aux autres entreprises mentionnées, Rubycon Corp. et Rubycon Holdings avaient coopéré à l’enquête .

De plus, le Tribunal constate que les deux situations n’étaient pas non plus comparables d’un point de vue juridique. En ce qui concerne les autres entreprises mentionnées, il s’agissait d’évaluer si la non-participation à certains échanges anticoncurrentiels devait être prise en compte dans le cadre des circonstances atténuantes. En ce qui concerne Rubycon Corp. et Rubycon Holdings, il s’agissait, en revanche, d’évaluer si leur coopération à l’enquête devait conduire à leur accorder une immunité partielle d’amende .

À cet égard, le Tribunal précise, en outre, qu’une entreprise ayant décidé de coopérer avec la Commission au titre de la communication sur la coopération de 2006 ne peut valablement reprocher à la Commission de ne pas avoir pris en compte le degré de sa coopération en tant que circonstance atténuante en dehors du cadre juridique de ladite communication .

En quatrième lieu, le Tribunal confirme qu’en appliquant, en l’espèce, la méthode générale de calcul des amendes prévue par les lignes directrices de 2006, la Commission n’avait commis aucune violation des principes de proportionnalité, d’égalité de traitement et d’individualisation des peines et des sanctions.

{1} Décision C(2018) 1768 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.40136 - Condensateurs).

{2} Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées, en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2.).

{3} Communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17, ci-après la « communication sur la coopération de 2006 »). Le paragraphe 26, troisième alinéa, de cette communication, dispose que « [s]i une entreprise qui sollicite une réduction d’amende est la première à fournir des preuves déterminantes, au sens du [paragraphe] 25, que la Commission utilise pour établir des éléments de fait supplémentaires qui renforcent la gravité ou la durée de l’infraction, la Commission ne tiendra pas compte de ces faits pour fixer le montant de l’amende infligée à l’entreprise qui les a fournis ».

{4} Cette réduction supplémentaire a été accordée au titre du paragraphe 26, premier alinéa, deuxième tiret, de la communication sur la coopération de 2006.

Arrêt du 29 septembre 2021, Rubycon et Rubycon Holdings / Commission (T-344/18) (cf. points 54, 55)

45. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Limite - Respect du principe de non-discrimination - Prise en compte des lignes directrices pour le calcul des amendes

Les requérantes, SAS Cargo Group A/S (ci-après « SAS Cargo »), Scandinavian Airlines System Denmark-Norway-Sweden (ci-après « SAS Consortium ») et SAS AB (ci-après « SAS »), sont actives sur le marché des services de fret aérien.

Elles comptent parmi les 19 destinataires de la décision C(2017) 1742 final de la Commission, du 17 mars 2017, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire AT.39258 - Fret aérien) (ci-après la « décision attaquée »). Par cette décision, la Commission européenne a constaté l’existence d’une infraction unique et continue à ces dispositions, par laquelle les entreprises en cause avaient coordonné, au cours de périodes comprises entre 1999 et 2006, leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret dans le monde entier. Elle a infligé aux requérantes des amendes{1} pour leur participation à cette infraction.

Le 7 décembre 2005, la Commission avait reçu, au titre de sa communication sur la clémence de 2002{2}, une demande d’immunité introduite par Lufthansa et deux de ses filiales. Cette demande faisait état de l’existence de contacts anticoncurrentiels entre plusieurs entreprises actives sur le marché du fret aérien (ci-après les « transporteurs »), portant sur plusieurs éléments constitutifs du prix des services fournis dans le cadre de ce marché, à savoir l’instauration de surtaxes « carburant » et « sécurité » ainsi que, en substance, le refus d’accorder aux transitaires une ristourne sur ces surtaxes. Les éléments recueillis par la Commission et ses investigations l’ont conduite à adresser, le 19 décembre 2007, une communication des griefs à 27 transporteurs, puis à adopter, le 9 novembre 2010, à l’encontre de 21 transporteurs, dont les requérantes, une première décision{3}. Celle-ci a toutefois été annulée par le Tribunal, par arrêts du 16 décembre 2015{4}, dans la limite des conclusions en annulation respectives à cette fin, en raison de contradictions entachant la motivation de ladite décision.

Dans son arrêt, le Tribunal accueille partiellement les conclusions en annulation de la décision attaquée, de même que les conclusions tendant à la réduction des amendes infligées aux requérantes. Si, par cet arrêt, le Tribunal valide, dans son principe, l’analyse suivie par la Commission en vue d’établir l’existence d’une infraction unique et continue affectant plusieurs types de liaisons aériennes, il juge néanmoins insuffisamment étayés plusieurs éléments relatifs à l’étendue précise de la responsabilité imputée aux requérantes au titre de leur participation aux différentes composantes de cette infraction. En outre, cet arrêt permet au Tribunal d’apporter des précisions, notamment sur l’étendue de la compétence de la Commission pour l’application de l’article 101 TFUE en présence de comportements anticoncurrentiels adoptés dans des pays tiers, ainsi que sur la portée de l’exigence de respect du droit d’être entendu en matière d’accès aux éléments fournis par les entreprises en réponse à la communication des griefs.

Appréciation du Tribunal

En ce qui concerne, en premier lieu, les droits de la défense, le Tribunal juge que c’est à tort que la Commission a refusé aux requérantes l’accès à différents passages des réponses à la communication des griefs évoqués dans la décision attaquée, pour autant qu’il s’agisse d’éléments à charge. Cependant, une telle irrégularité n’est susceptible d’aboutir à l’annulation d’un acte qu’à condition d’établir que le résultat auquel la Commission est parvenue aurait pu être différent en l’absence des éléments à charge en cause. C’est dans le cadre de l’examen du bien-fondé des appréciations de la Commission concernant la participation des requérantes à l’infraction litigieuse que le Tribunal estime qu’il lui appartiendra, s’il y a lieu, de tirer les conséquences de cette non-divulgation.

En deuxième lieu, le Tribunal examine deux griefs ayant trait à la délimitation du champ d’application territorial des règles de l’Union, au vu de l’étendue géographique de l’infraction litigieuse. Ainsi, le Tribunal juge que c’est sans outrepasser les limites de sa propre compétence territoriale que la Commission a constaté l’existence d’une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, affectant les vols sur les liaisons aériennes dites « entrantes », entendues comme les liaisons au départ d’aéroports situés dans des pays tiers et à destination de ceux situés dans des États membres de l’Union ou des autres États parties à l’Espace économique européen (EEE) qui ne sont pas membres de l’Union, dans les limites temporelles décrites dans la décision attaquée. En effet, il rappelle que la Commission est compétente pour constater et sanctionner un comportement adopté en dehors du territoire de l’Union ou de l’EEE, pour autant qu’il ait été mis en œuvre sur ce territoire ou qu’il fût prévisible qu’il y produise un effet immédiat et substantiel. En l’occurrence, la Commission était fondée à se reconnaître compétente au regard des effets qualifiés de l’infraction litigieuse. Plus particulièrement, la nocivité inhérente à un accord ou à une pratique horizontale en matière de prix, telle l’infraction litigieuse, dont découle sa qualification de restriction de concurrence par « objet », la dispensait d’en rechercher les effets concrets au sein de l’EEE. Par ailleurs, c’est sans encourir la censure du Tribunal que la Commission a pu admettre le caractère prévisible, immédiat et substantiel des effets du comportement litigieux au sein de l’EEE, lequel résulte de la répercussion, que le fonctionnement normal du marché permet de raisonnablement escompter, par les transitaires appelés à s’acquitter du coût majoré des services de fret aérien sur les liaisons concernées, du surcoût correspondant sur les expéditeurs. Cette répercussion est elle

-même susceptible de contribuer à une hausse du prix des marchandises importées dans l’EEE.

De même, le Tribunal considère que c’est en vain que les requérantes font valoir un défaut de compétence de la Commission pour constater et sanctionner une violation de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entre la Suisse, d’une part, et la Norvège et l’Islande d’autre part. En effet, ce moyen n’est pas fondé, dès lors qu’il ressort du dispositif de la décision attaquée que la Commission n’a constaté aucune violation de cette disposition sur lesdites liaisons.

En troisième lieu, le Tribunal constate que, contrairement à ce qu’avancent les requérantes, l’analyse suivie par la Commission afin d’établir l’existence de l’infraction litigieuse, envisagée en tant qu’infraction unique et continue, au vu des comportements décrits dans la décision attaquée, n’est entachée d’aucune erreur de droit ou d’appréciation. En effet, d’une part, le Tribunal observe que les facteurs retenus par la Commission aux fins de son analyse, tenant notamment à l’existence d’un objectif anti-concurrentiel unique et à l’identité des entreprises et des services en cause, étaient propres à permettre à la Commission de qualifier les comportements litigieux d’infraction unique. D’autre part, le Tribunal considère que les éléments retenus par la Commission à l’appui de sa conclusion sont suffisants et exempts de toute erreur d’appréciation.

En quatrième lieu, le Tribunal examine les griefs visant, en substance, à contester l’étendue de la participation des requérantes à l’infraction unique et continue.

En ce qui concerne, premièrement, l’appréciation des éléments retenus par la Commission en relation avec des comportements mis en œuvre dans des pays tiers, le Tribunal juge, tout d’abord, que les principes régissant le moyen de défense tiré de la contrainte étatique s’appliquent tant aux réglementations d’États membres qu’à celles de pays tiers et que la charge de la preuve incombe à la partie qui se prévaut de ce moyen. Ensuite, le Tribunal observe que, pour conclure à l’inexistence d’une telle contrainte dans les différents pays tiers concernés, la Commission s’était appuyée sur des éléments auxquels elle avait, à tort, refusé l’accès aux requérantes. Le Tribunal constate, néanmoins, que les conclusions à l’appui desquelles ces éléments étaient invoqués demeurent fondées, y compris en l’absence desdits éléments. Enfin, le Tribunal juge que, contrairement à ce qu’a retenu la Commission, les autorités thaïlandaises avaient créé un cadre juridique éliminant toute possibilité de concurrence entre les transporteurs s’agissant de la détermination du montant de la surtaxe « carburant » applicable aux vols au départ de la Thaïlande et à destination de l’EEE entre juillet 2005 et février 2006.

Deuxièmement, le Tribunal examine les griefs des requérantes visant à contester le constat de leur participation à l’infraction unique et continue et juge notamment insuffisamment étayé le constat selon lequel elles avaient la connaissance requise pour se voir imputer la composante tenant au refus d’octroyer des ristournes.

Le Tribunal en conclut, que, bien que la décision attaquée doive être annulée, en ce qu’elle retient la participation des requérantes à la composante de l’infraction unique et continue tenant au refus d’octroyer des ristournes ainsi qu’à celle tenant à la surtaxe « carburant », en ce qui concerne les liaisons au départ de la Thaïlande et à destination de l’EEE entre juillet 2005 et février 2006, il n’en demeure pas moins que la Commission disposait d’un faisceau d’indices précis et concordants, même après l’exclusion de quelques indices insuffisamment étayés, pour conclure à la participation des requérantes à l’infraction unique et continue décrite dans la décision attaquée.

En cinquième lieu, le Tribunal examine les griefs des requérantes à l’encontre de la détermination du montant des amendes qui leur ont été infligées. À cet égard, le Tribunal considère que la Commission n’encourt aucune critique pour avoir déterminé la valeur des ventes par référence au chiffre d’affaires provenant des ventes de services de fret sur les liaisons entrantes, avant application d’une réduction de 50 % du montant de base de l’amende, justifiée par les particularités du marché considéré. Par ailleurs, le choix d’un coefficient de gravité de 16 %, sur une échelle de 0 à 30 %, est jugé exempt d’erreur. En effet, d’une part, un tel coefficient de gravité est très favorable aux requérantes au vu de la gravité inhérente aux pratiques litigieuses. D’autre part, les requérantes n’avaient contesté aucun des trois facteurs supplémentaires sur lesquels s’était fondée la Commission pour déterminer le coefficient de gravité, à savoir les parts de marchés cumulées des transporteurs incriminés, la portée géographique de l’entente litigieuse et la mise en œuvre des pratiques en cause. Enfin, la majoration de 50 % du montant de base qui a été appliquée aux requérantes pour cause de récidive n’encourt aucun des griefs exposés par ces dernières. En particulier, le Tribunal juge que l’infraction litigieuse et la précédente infraction de partage de marchés au titre de laquelle les requérantes avaient précédemment été sanctionnées sont similaires, dans la mesure où elles concernent toutes deux une entente horizontale dont la Commission a considéré qu’elle violait l’article 101 TFUE.

En dernier lieu, le Tribunal fait usage de sa compétence de pleine juridiction pour statuer sur les conclusions tendant à la réduction du montant de l’amende infligée. Appliquant la méthode de calcul suivie par la Commission dans la décision attaquée, il estime, contrairement à la Commission, qu’il est nécessaire d’inclure le chiffre d’affaires réalisé par les requérantes sur les liaisons desservies exclusivement à l’intérieur, respectivement, du Danemark, de la Suède et de la Norvège. En effet, ces liaisons relevaient du champ de l’infraction en cause et l’inclusion du chiffre d’affaires réalisé sur celles-ci était nécessaire pour assurer une égalité de traitement avec les autres transporteurs incriminés et pour faire une juste appréciation de l’importance économique de l’infraction en cause et du rôle joué par chaque transporteur incriminé dans cette dernière. Le Tribunal juge aussi que, la participation de la requérante à l’infraction unique et continue ayant été plus limitée que ne l’avait retenu la Commission, il convient de lui accorder une réduction supplémentaire au titre des circonstances atténuantes. En conséquence, il recalcule le montant des amendes respectives infligées aux requérantes, fixant le montant de l’amende infligée à SAS Consortium à 7 030 618 euros, celui de l’amende infligée conjointement et solidairement à cette dernière et SAS Cargo à 5 937 909 euros, celui de l’amende infligée à SAS Cargo à 21 687 090 euros, celui de l’amende infligée conjointement et solidairement à cette dernière et SAS à 29 045 427 euros et celui de l’amende infligée conjointement et solidairement à ces trois sociétés à 6 314 572 euros.

{1} En l’occurrence, SAS Consortium s’est vu infliger une amende de 5 355 000 euros ainsi que, conjointement et solidairement avec SAS Cargo, une amende de 4 254 250 euros, SAS Cargo une amende de 22 308 250 euros ainsi que, conjointement et solidairement avec SAS une amende de 32 984 250 euros ; enfin, les trois sociétés se sont vu infliger, conjointement et solidairement, une amende de 5 265 750 euros.

{2} Communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3).

{3} Décision C(2010) 7694 final de la Commission, du 9 novembre 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire COMP/39258 - Fret aérien) (ci-après la « décision initiale »).

{4} Arrêts du 16 décembre 2015, Air Canada/Commission (T-9/11, non publié, EU:T:2015:994), Koninklijke Luchtvaart Maatschappij/Commission (T-28/11, non publié, EU:T:2015:995), Japan Airlines/Commission (T-36/11, non publié, EU:T:2015:992), Cathay Pacific Airways/Commission (T-38/11, non publié, EU:T:2015:985), Cargolux Airlines/Commission (T-39/11, non publié, EU:T:2015:991), Latam Airlines Group et Lan Cargo/Commission (T-40/11, non publié, EU:T:2015:986), Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo Pte/Commission (T-43/11, non publié, EU:T:2015:989), Deutsche Lufthansa e.a./Commission (T-46/11, non publié, EU:T:2015:987), British Airways/Commission (T-48/11, non publié, EU:T:2015:988), SAS Cargo Group e.a./Commission (T-56/11, non publié, EU:T:2015:990), Air France KLM/Commission (T-62/11, non publié, EU:T:2015:996), Air France/Commission (T-63/11, non publié, EU:T:2015:993), et Martinair Holland/Commission (T-67/11, non publié, EU:T:2015:984).

Arrêt du 30 mars 2022, SAS Cargo Group e.a. / Commission (T-324/17) (cf. points 919-925)

La requérante, Air France-KLM, est une société née de la transformation en holding et du changement d’objet et de dénomination sociaux de l’ancienne société Air France. Elle détient 100 % des droits de vote et des droits économiques dans la société Air France (ci-après « Air France ») et 49 % des droits de vote et 93,63 % des droits économiques dans Koninklijke Luchtvaartmaatschappij N. V. (ci-après « KLM »), deux compagnies de transport aérien actives sur le marché des services de fret aérien.

La requérante, Air France et KLM comptent parmi les 19 destinataires de la décision C(2017) 1742 final de la Commission, du 17 mars 2017, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire AT.39258 - Fret aérien) (ci-après la « décision attaquée »). Par cette décision, la Commission européenne a constaté l’existence d’une infraction unique et continue à ces dispositions, par laquelle les entreprises en cause avaient coordonné, au cours de périodes comprises entre 1999 et 2006, leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret dans le monde entier. En conséquence, tenant la requérante pour responsable de cette infraction, pour les agissements d’Air France entre le 7 décembre 1999 et le 14 février 2006 et pour ceux de KLM entre le 5 mai 2004 et le 14 février 2006, elle leur a infligé deux amendes, l’une d’un montant fixé à 182 920 000 euros, solidairement avec Air France, et l’autre d’un montant de 124 440 000 euros, solidairement avec KLM.

Le 7 décembre 2005, la Commission avait reçu, au titre de sa communication sur la clémence de 2002{1}, une demande d’immunité introduite par Lufthansa et deux de ses filiales (ci-après « Lufthansa »). Cette demande faisait état de l’existence de contacts anticoncurrentiels entre plusieurs entreprises du secteur (ci-après les « transporteurs »), portant sur plusieurs éléments constitutifs du prix des services fournis dans ce cadre, à savoir l’instauration de surtaxes « carburant » et « sécurité » ainsi que, en substance, le refus d’accorder aux transitaires une ristourne sur ces surtaxes. Les éléments recueillis par la Commission et ses investigations l’ont conduite à adresser, le 19 décembre 2007, une communication des griefs à 27 transporteurs, puis à adopter, le 9 novembre 2010, à l’encontre de 21 transporteurs, dont la requérante, Air France et KLM, une première décision{2}. Celle-ci a toutefois été annulée par le Tribunal, par arrêts du 16 décembre 2015{3}, dans la limite des conclusions respectives à cette fin, en raison de contradictions entachant la motivation de ladite décision.

Dans son arrêt, le Tribunal rejette les conclusions en annulation de la décision attaquée, de même que les conclusions tendant à la réduction du montant des amendes infligées à la requérante. Ainsi, il valide notamment les motifs retenus aux fins d’imputer à la requérante les agissements en cause de ses filiales et de l’ancienne société Air France. Il apporte cependant des précisions sur l’exploitation des éléments de preuve produits par une entreprise dans le cadre d’une demande d’immunité d’amendes, sur l’étendue de la compétence territoriale de la Commission en présence de pratiques mises en œuvre, pour partie, hors de l’Union, et sur l’application des critères de détermination du montant des amendes dans de telles circonstances.

Appréciation du Tribunal

En premier lieu, le Tribunal juge que c’est sans outrepasser les limites de sa propre compétence territoriale que la Commission a constaté l’existence d’une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE ainsi qu’à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, selon les liaisons concernées, et dans les limites territoriales et temporelles décrites dans la décision attaquée{4}.

En deuxième lieu, le Tribunal constate que la Commission n’encourt pas la censure du Tribunal pour avoir imputé à la requérante les pratiques illicites d’Air France et de KLM. Premièrement, il relève que la requérante pouvait être tenue responsable des pratiques illicites de l’ancienne société Air France et, dès le 5 mai 2004, de celles de KLM, date à laquelle cette dernière a été acquise par l’ancienne société Air France. En effet, selon le Tribunal, la requérante et l’ancienne société Air France sont une seule et même personne morale, la seconde étant « devenue » la première le 15 septembre 2004, par sa transformation en société holding, accompagnée d’un changement de dénomination et d’objet sociaux.

Quant aux pratiques d’Air France postérieures à cette date, d’une part, le Tribunal rappelle que la détention par la requérante de la totalité du capital et des droits de vote associés aux actions de sa filiale permettait de présumer de l’exercice sur cette dernière d’une influence déterminante. La Commission a exposé à suffisance de droit et sans commettre d’erreur les raisons pour lesquelles aucun des éléments avancés par la requérante ne suffisait à renverser cette présomption D’autre part, la Commission était fondée à s’appuyer sur une série d’indices tendant à établir que la requérante a exercé une influence déterminante sur Air France, à savoir les pouvoirs de direction, d’orientation et de contrôle de la requérante sur ses activités, l’existence d’une structure commune à Air France et à KLM s’agissant spécifiquement du fret et le cumul de fonctions de plusieurs dirigeants entre la requérante et Air France.

En ce qui concerne KLM, la Commission n’a pas retenu la présomption d’exercice d’une influence déterminante, mais elle a pu se fonder sur des indices comparables à ceux retenus à l’encontre d’Air France pour conclure que KLM ne se comportait pas de manière autonome sur le marché.

En troisième lieu, en réponse au moyen par lequel la requérante faisait valoir que les éléments de preuve produits par Lufthansa dans le cadre de sa demande d’immunité d’amendes auraient dû être retirés du dossier en raison de l’inéligibilité de cette dernière à une telle immunité compte tenu de la prétendue persistance de ses agissements infractionnels, le Tribunal observe que les conditions d’octroi du bénéfice de l’immunité d’amendes n’ont pas trait à la légalité de la collecte des preuves dont dépend, le cas échéant, la possibilité pour la Commission de les exploiter. En tout état de cause, le Tribunal observe que conditionner l’exploitation des éléments de preuve produits dans le cadre d’une demande d’immunité au respect de ces conditions compromettrait l’effet utile de la procédure de clémence.

En quatrième lieu, le Tribunal examine les griefs de la requérante à l’encontre de la détermination du montant des amendes que la Commission lui a infligées, plus particulièrement ceux concernant la prise en compte, par la Commission, de la gravité et de la durée de l’infraction unique et continue, dans les conditions décrites par les lignes directrices de 2006{5}. À cet égard, premièrement, le choix d’un coefficient de gravité de 16 %, sur une échelle de 0 à 30 %, est jugé exempt d’erreur. En effet, d’une part, un tel coefficient de gravité est très favorable à la requérante au vu de la gravité inhérente aux pratiques litigieuses, lesquelles doivent être qualifiées d’accord ou pratique horizontale en matière de prix. D’autre part, la requérante soit n’avait pas contesté soit n’était pas parvenue à remettre en cause les trois facteurs supplémentaires sur lesquels s’était fondée la Commission pour déterminer le coefficient de gravité, à savoir les parts de marchés cumulées des transporteurs incriminés, la portée géographique de l’infraction unique et continue et la mise en œuvre des pratiques litigieuses. Deuxièmement, pour autant que la requérante se prévalait de l’absence d’éléments suffisants établissant la participation d’Air France à l’infraction de manière ininterrompue tout au long de la période considérée, le Tribunal constate l’absence de preuves directes de la poursuite de contacts collusifs durant onze mois et treize jours au cours de la période infractionnelle. Pour autant, en l’absence de toute distanciation publique d’Air France ou de preuve qu’elle avait repris un comportement de concurrence loyale et indépendant sur le marché pendant cette période, le Tribunal souligne que de telles circonstances ne peuvent s’analyser en une interruption de sa participation à l’infraction unique et continue, mais s’expliquent par la nature de cette dernière et par le fonctionnement du marché du fret et de l’entente litigieuse.

En dernier lieu, le Tribunal rejette les conclusions tendant à la réduction du montant des amendes infligées sans s’écarter de la méthode de calcul suivie par la Commission dans la décision attaquée.

{1} Communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3).

{2} Décision C(2010) 7694 final de la Commission, du 9 novembre 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire COMP/39258 - Fret aérien).

{3} Arrêts du 16 décembre 2015, Air Canada/Commission (T-9/11, non publié, EU:T:2015:994), Koninklijke Luchtvaart Maatschappij/Commission (T-28/11, non publié, EU:T:2015:995), Japan Airlines/Commission (T-36/11, non publié, EU:T:2015:992), Cathay Pacific Airways/Commission (T-38/11, non publié, EU:T:2015:985), Cargolux Airlines/Commission (T-39/11, non publié, EU:T:2015:991), Latam Airlines Group et Lan Cargo/Commission (T-40/11, non publié, EU:T:2015:986), Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo Pte/Commission (T-43/11, non publié, EU:T:2015:989), Deutsche Lufthansa e.a./Commission (T-46/11, non publié, EU:T:2015:987), British Airways/Commission (T-48/11, non publié, EU:T:2015:988), SAS Cargo Group e.a./Commission (T-56/11, non publié, EU:T:2015:990), Air France KLM/Commission (T-62/11, non publié, EU:T:2015:996), Air France/Commission (T-63/11, non publié, EU:T:2015:993) et Martinair Holland/Commission (T-67/11, non publié, EU:T:2015:984).

{4} Voir, à cet égard, présentation de l’arrêt du 30 mars 2022, Japan Airlines/Commission (T-340/17).

{5} Lignes directrices pour le calcul des montants des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2).

Arrêt du 30 mars 2022, Air France-KLM / Commission (T-337/17) (cf. points 586-592)

La requérante, Japan Airlines Co. Ltd, anciennement Japan Airlines International Co. Ltd, est une compagnie de transport aérien dont l’une des divisions, dénommée JAL Cargo, fournit des services de fret aérien. À l’époque des faits, la requérante était une filiale de Japan Airlines Corp., qu’elle a absorbée et dont elle assure la succession juridique.

La requérante compte parmi les 19 destinataires de la décision C(2017) 1742 final de la Commission, du 17 mars 2017, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire AT.39258 - Fret aérien) (ci-après la « décision attaquée »). Par cette décision, la Commission européenne a constaté l’existence d’une infraction unique et continue à ces dispositions, par laquelle les entreprises en cause avaient coordonné, au cours de périodes comprises entre 1999 et 2006, leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret dans le monde entier. Elle a infligé à la requérante une amende d’un montant fixé à 35 700 000 euros pour sa participation à cette infraction.

Le 7 décembre 2005, la Commission avait reçu, au titre de sa communication sur la clémence de 2002{1}, une demande d’immunité introduite par Lufthansa et deux de ses filiales. Cette demande faisait état de l’existence de contacts anticoncurrentiels entre plusieurs entreprises actives sur le marché du fret aérien (ci-après les « transporteurs »), portant sur plusieurs éléments constitutifs du prix des services fournis dans le cadre de ce marché, à savoir l’instauration de surtaxes « carburant » et « sécurité » ainsi que, en substance, le refus d’accorder aux transitaires une ristourne sur ces surtaxes. Les éléments recueillis par la Commission et ses investigations l’ont conduite à adresser, le 19 décembre 2007, une communication des griefs à 27 transporteurs, puis à adopter, le 9 novembre 2010, à l’encontre de 21 transporteurs, dont la requérante, une première décision{2}. Celle-ci a toutefois été annulée par le Tribunal, par arrêts du 16 décembre 2015{3}, dans la limite des conclusions en annulation respectives à cette fin, en raison de contradictions entachant la motivation de ladite décision.

Dans son arrêt, le Tribunal accueille partiellement les conclusions en annulation de la décision attaquée, de même que les conclusions tendant à la réduction du montant de l’amende infligée à la requérante. Ainsi, il constate une violation des règles relatives à la prescription en matière d’imposition de sanctions pour infractions aux règles de concurrence, tout en validant l’analyse par laquelle la Commission a établi l’existence d’une infraction unique et continue affectant plusieurs types de liaisons aériennes et en apportant des précisions sur l’étendue de la compétence territoriale de la Commission en présence de pratiques mises en œuvre, pour partie, hors de l’Union, et sur l’application des critères de détermination du montant des amendes dans de telles circonstances.

Appréciation du Tribunal

En premier lieu, le Tribunal examine le moyen tiré d’un défaut de compétence de la Commission pour constater et sanctionner une violation de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons à destination de l’Espace économique européen (EEE) et en provenance de pays tiers. À cet égard, il rappelle que la Commission est compétente pour constater et sanctionner un comportement adopté en dehors du territoire de l’Union ou de l’EEE, pour autant qu’il ait été mis en œuvre sur ce territoire ou qu’il fût prévisible qu’il y produise un effet immédiat et substantiel. En l’occurrence, la Commission était fondée à se reconnaître compétente au regard des effets qualifiés de l’infraction litigieuse. Plus particulièrement, la nocivité inhérente à un accord ou pratique horizontale en matière de prix, telle l’infraction litigieuse, dont découle sa qualification de restriction de concurrence par « objet », la dispensait d’en rechercher les effets concrets au sein de l’EEE. Par ailleurs, c’est sans encourir la censure du Tribunal que la Commission a pu admettre le caractère prévisible, immédiat et substantiel des effets du comportement litigieux au sein de l’EEE, lequel résulte de la répercussion, que le fonctionnement normal du marché permet de raisonnablement escompter, par les transitaires appelés à s’acquitter du coût majoré des services de fret aérien sur les liaisons concernées, du surcoût correspondant sur les expéditeurs, elle-même susceptible de contribuer à une hausse du prix des marchandises importées dans l’EEE.

En deuxième lieu, le Tribunal écarte le moyen, relevé d’office, tiré d’un défaut de compétence de la Commission pour constater et sanctionner une violation de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entre la Suisse, d’une part, et la Norvège et l’Islande, d’autre part. En effet, selon le Tribunal, il ressort tant du dispositif que des motifs de la décision attaquée que la Commission n’a constaté aucune violation de cette disposition sur lesdites liaisons.

En troisième lieu, le Tribunal vérifie si l’écoulement du délai de prescription{4} faisait obstacle à l’exercice, par la Commission, de son pouvoir de sanction, comme le soutenait la requérante. Dans la mesure où la décision attaquée a imputé l’infraction litigieuse à la requérante en ce qui concerne des liaisons ne figurant pas dans le dispositif de la décision du 9 novembre 2010, le Tribunal opère une distinction entre, d’une part, les liaisons reprises dans le dispositif de cette décision, à l’égard desquelles le recours introduit par la requérante à son encontre était susceptible d’avoir un effet suspensif sur le délai de prescription, et, d’autre part, les liaisons visées par le seul dispositif de la décision attaquée, en l’occurrence les liaisons intra-EEE et Union-Suisse, à l’égard desquelles aucun motif de prorogation du délai de prescription ne s’applique. Or, s’agissant de ces dernières, il convient de constater que la décision attaquée a été adoptée plus de dix ans après la cessation des comportements en cause, de sorte que la requérante est fondée à se prévaloir de l’expiration du délai de prescription à leur égard, sans toutefois pouvoir prétendre, à ce titre, à l’annulation de la décision attaquée dans son intégralité.

En quatrième lieu, en réponse aux griefs par lesquels la requérante reprochait à la Commission de l’avoir tenue pour responsable de l’infraction litigieuse sur des liaisons qu’elle ne dessert pas ou qu’elle n’est pas admise à desservir, le Tribunal souligne que l’imputation à une entreprise des comportements anticoncurrentiels composant une infraction unique auxquels elle n’a pas directement participé exige l’existence d’un plan global poursuivant un objectif commun, la contribution intentionnelle de l’entreprise concernée à ce plan et sa connaissance (prouvée ou présumée) de ces comportements. Ces conditions étant satisfaites en l’espèce, la Commission était fondée à tenir la requérante pour responsable de l’infraction unique et continue en tant qu’elle portait sur les liaisons EEE-pays tiers sauf Japon, indépendamment de son éventuelle qualité de concurrente potentielle sur ces liaisons.

En cinquième lieu, le Tribunal examine les griefs de la requérante à l’encontre de la détermination du montant de l’amende qui lui a été infligée, en particulier ceux concernant la détermination de la valeur des ventes et du coefficient de gravité dans les conditions décrites par les lignes directrices de 2006{5}. À cet égard, la Commission n’encourt aucune critique pour avoir déterminé la valeur des ventes par référence au chiffre d’affaires généré par la vente de services de fret, plutôt que par référence aux seules recettes tirées des surtaxes en cause. En effet, selon le Tribunal, la valeur des ventes doit refléter le prix facturé aux clients pour les services de fret, dont les surtaxes ne sont qu’un élément. Par ailleurs, le choix d’un coefficient de gravité de 16 %, sur une échelle de 0 à 30 %, est jugé exempt d’erreur. En effet, d’une part, un tel coefficient de gravité est très favorable à la requérante au vu de la gravité inhérente aux pratiques litigieuses. D’autre part, la requérante n’avait contesté aucun des trois facteurs supplémentaires sur lesquels s’était fondée la Commission pour déterminer le coefficient de gravité, à savoir les parts de marchés cumulées des transporteurs incriminés, la portée géographique de l’infraction unique et continue et la mise en œuvre des pratiques litigieuses. Enfin, pour autant que la requérante jugeait insuffisante la réduction générale de 15 % dont elle a bénéficié au titre de l’existence de circonstances atténuantes, au regard des spécificités du cadre réglementaire japonais, le Tribunal juge son argumentation insuffisamment étayée.

En dernier lieu, le Tribunal fait usage de sa compétence de pleine juridiction pour statuer sur les conclusions tendant à la réduction du montant de l’amende infligée. Sans s’écarter de la méthode de calcul suivie par la Commission dans la décision attaquée, il tire ainsi les conséquences de ses conclusions, en particulier au sujet de l’acquisition de la prescription s’agissant des pratiques relatives aux liaisons intra-EEE et Union-Suisse. Le Tribunal admet, par suite, le caractère limité de la participation de la requérante à l’infraction unique et continue et, partant, l’application d’une réduction supplémentaire à ce titre. En conséquence, le montant de l’amende infligée à la requérante, fixé à 35 700 000 euros par la Commission, est réduit à 28 875 000 euros.

{1} Communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3).

{2} Décision C(2010) 7694 final de la Commission, du 9 novembre 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire COMP/39258 - Fret aérien).

{3} Arrêts du 16 décembre 2015, Air Canada/Commission (T-9/11, non publié, EU:T:2015:994), Koninklijke Luchtvaart Maatschappij/Commission (T-28/11, non publié, EU:T:2015:995), Japan Airlines/Commission (T-36/11, non publié, EU:T:2015:992), Cathay Pacific Airways/Commission (T-38/11, non publié, EU:T:2015:985), Cargolux Airlines/Commission (T-39/11, non publié, EU:T:2015:991), Latam Airlines Group et Lan Cargo/Commission (T-40/11, non publié, EU:T:2015:986), Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo Pte/Commission (T-43/11, non publié, EU:T:2015:989), Deutsche Lufthansa e.a./Commission (T-46/11, non publié, EU:T:2015:987), British Airways/Commission (T-48/11, non publié, EU:T:2015:988), SAS Cargo Group e.a./Commission (T-56/11, non publié, EU:T:2015:990), Air France KLM/Commission (T-62/11, non publié, EU:T:2015:996), Air France/Commission (T-63/11, non publié, EU:T:2015:993), et Martinair Holland/Commission (T-67/11, non publié, EU:T:2015:984).

{4} Il s’agit, en l’occurrence, du délai visé à l’article 25, paragraphes 5 et 6, du règlement nº 1/2003, d’une durée de dix ans à compter de la cessation de l’infraction.

{5} Lignes directrices pour le calcul des montants des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2).

Arrêt du 30 mars 2022, Japan Airlines / Commission (T-340/17) (cf. points 426-432)

La requérante, British Airways plc, est une compagnie de transport aérien active sur le marché des services de fret aérien.

Elle compte parmi les 19 destinataires de la décision C(2017) 1742 final de la Commission, du 17 mars 2017, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire AT.39258 - Fret aérien) (ci-après la « décision attaquée »). Par cette décision, la Commission européenne a constaté l’existence d’une infraction unique et continue à ces dispositions, par laquelle les entreprises en cause avaient coordonné, au cours de périodes comprises entre 1999 et 2006, leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret dans le monde entier. Elle a infligé à la requérante une amende d’un montant fixé à 104 040 000 euros pour sa participation à cette infraction.

Le 7 décembre 2005, la Commission avait reçu, au titre de sa communication sur la clémence de 2002{1}, une demande d’immunité introduite par Lufthansa et deux de ses filiales. Cette demande faisait état de l’existence de contacts anticoncurrentiels entre plusieurs entreprises actives sur le marché du fret aérien (ci-après les « transporteurs »), portant sur plusieurs éléments constitutifs du prix des services fournis dans le cadre de ce marché, à savoir l’instauration de surtaxes « carburant » et « sécurité » ainsi que, en substance, le refus d’accorder aux transitaires une ristourne sur ces surtaxes. Les éléments recueillis par la Commission et ses investigations l’ont conduite à adresser, le 19 décembre 2007, une communication des griefs à 27 transporteurs, puis à adopter, le 9 novembre 2010, à l’encontre de 21 transporteurs, dont la requérante, une première décision{2}. Celle-ci a toutefois été annulée par le Tribunal, par arrêts du 16 décembre 2015{3}, dans la limite des conclusions en annulation respectives à cette fin, en raison de contradictions entachant la motivation de ladite décision.

Considérant, en substance, que le Tribunal avait commis une erreur de droit en se retranchant derrière l’interdiction de statuer ultra petita pour limiter la portée de l’annulation qu’il avait ainsi prononcée après avoir constaté d’office un vice de motivation entachant la décision initiale dans son ensemble, la requérante a formé un pourvoi à l’encontre de l’arrêt rendu à son égard. Par arrêt du 14 novembre 2017{4}, la Cour, réunie en grande chambre, a rejeté ce pourvoi comme non-fondé dans son intégralité.

Statuant sur le recours introduit par la requérante contre la décision attaquée en tant que cette dernière la concerne, le Tribunal accueille partiellement les conclusions en annulation de la décision attaquée, de même que les conclusions tendant à la réduction du montant de l’amende infligée à la requérante. Plus spécifiquement, il annule la décision attaquée pour ce qui est du constat de la participation de la requérante à la composante de l’infraction tenant au refus de paiement, jugeant cette conclusion insuffisamment étayée, et réduit en conséquence le montant de l’amende au regard du caractère limité de la participation de la requérante à l’infraction. En revanche, appelé à se prononcer sur les exigences découlant de l’obligation d’adopter les mesures d’exécution requises suite à l’annulation d’une décision constatant une infraction aux règles de concurrence de l’Union, le Tribunal juge que la Commission a pu, sans encourir les critiques de la requérante, infliger à cette dernière une amende en se fondant également sur les constats d’infraction faits dans le dispositif de la décision initiale, pour autant qu’ils n’avaient pas été contestés et étaient, dès lors, devenus définitifs.

Appréciation du Tribunal

En premier lieu, le Tribunal juge que c’est sans outrepasser les limites de sa propre compétence territoriale que la Commission a constaté l’existence d’une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, affectant les vols sur les liaisons aériennes dites « entrantes », entendues comme les liaisons au départ d’aéroports situés dans des pays tiers et à destination de ceux situés dans des États membres de l’Union ou des autres États parties à l’Espace économique européen qui ne sont pas membres de l’Union, dans les limites temporelles décrites dans la décision attaquée.

En deuxième lieu, le Tribunal écarte le moyen, relevé d’office, tiré d’un défaut de compétence de la Commission pour constater et sanctionner une violation de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entre la Suisse, d’une part, et la Norvège et l’Islande, d’autre part. En effet, ce moyen n’est pas fondé, dès lors qu’il ressort du dispositif de la décision attaquée que la Commission n’a constaté aucune violation de cette disposition sur lesdites liaisons.

En troisième lieu, le Tribunal examine les griefs de la requérante visant à contester les modalités d’exécution de l’arrêt d’annulation la concernant. À cet égard, le Tribunal rappelle, en particulier, que la portée d’un arrêt d’annulation s’apprécie au regard des limites fixées au litige par la requérante dans ses conclusions. Dans ces conditions, le Tribunal considère que la Commission a pu retenir, sans se contredire, ni manquer à son obligation d’adopter les mesures d’exécution requises, à l’égard de la requérante, qu’il n’y avait pas lieu de revenir sur des constats d’infractions qui n’avaient pas été contestés par la requérante et qu’elle pouvait, dès lors, tenir pour définitifs à l’égard de cette dernière, quand bien même les coauteurs des infractions en cause ne seraient pas strictement les mêmes. C’est donc en vain que la requérante critique l’approche retenue par la Commission qui a conduit cette dernière à lui infliger une amende n’ayant pas exclusivement trait aux constats d’infractions faits dans la décision attaquée. À cet égard, le Tribunal précise encore que, contrairement à ce que soutient la requérante, le pourvoi qu’elle avait formé en vue de contester la limitation, à son égard, de l’annulation de la décision attaquée n’affecte en rien la validité de l’approche ainsi retenue par la Commission, dès lors que ce pourvoi était dépourvu d’effet suspensif et qu’en tout état de cause, il n’était pas susceptible d’élargir la portée des conclusions délimitant l’objet du litige

En quatrième lieu, le Tribunal examine encore les griefs visant, en substance, à contester les conclusions tirées par la Commission de l’examen des régimes réglementaires de différents pays tiers ainsi que le caractère suffisant des motifs exposés à cet égard, concluant à leur absence de bien-fondé. En effet, tout d’abord, le Tribunal juge que les principes régissant le moyen de défense tiré de la contrainte étatique s’appliquent tant aux réglementations d’États membres qu’à celles de pays tiers et que la charge de la preuve incombe à la partie qui se prévaut de ce moyen. Ensuite, la Commission a pu valablement considérer que la requérante était restée en défaut de prouver qu’elle avait agi sous la contrainte des régimes concernés. Enfin, pour autant que l’examen desdits régimes l’a conduite à admettre qu’ils aient pu avoir un effet incitatif sur les comportements infractionnels de la requérante, justifiant de lui reconnaître le bénéfice de circonstances atténuantes par application d’une réduction générale, la Commission s’est dûment expliquée quant au choix du taux de 15 % retenu à cet effet.

En cinquième lieu, pour autant que la Commission a conclu à la participation de la requérante à une infraction concernant le refus d’octroyer des ristournes, le Tribunal juge, en revanche, insuffisants les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est appuyée pour fonder cette conclusion et, en conséquence, annule la décision attaquée, dans la mesure où elle constate la participation de la requérante à ce volet de l’infraction.

En sixième lieu, le Tribunal examine les griefs de la requérante à l’encontre de la détermination du montant de l’amende que la Commission lui a infligée, plus particulièrement ceux concernant le calcul de la réduction octroyée en vertu du programme de clémence. À cet égard, il rappelle que la communication sur la clémence de 2002 subordonne le bénéfice d’une réduction d’amende, notamment, à la production d’éléments probants apportant une valeur ajoutée significative, aux fins de l’établissement des faits en question, par rapport aux éléments déjà en possession de la Commission. À l’issue d’un examen approfondi des éléments produits par la requérante dont la valeur aurait, selon elle, été méconnue par la Commission, le Tribunal constate, au contraire, que c’est par une juste appréciation de leur valeur respective que la Commission a pu conclure à l’insuffisance de leur valeur ajoutée. En tout état de cause, la requérante ne saurait invoquer utilement le principe d’égalité de traitement pour contester le traitement plus défavorable auquel elle dit avoir été soumise par rapport à celui appliqué à d’autres transporteurs destinataires de la décision attaquée, étant donné que ces derniers ne se trouvaient pas dans une situation comparable à la sienne.

En septième et dernier lieu, le Tribunal fait usage de sa compétence de pleine juridiction pour statuer sur les conclusions tendant à la réduction du montant des amendes infligées. Sans s’écarter de la méthode de calcul suivie par la Commission dans la décision attaquée, il tire, à ce titre, les conséquences de l’annulation partielle de la décision attaquée, en tant qu’elle retenait la participation de la requérante au volet de l’infraction tenant au refus d’octroyer des ristournes. En conséquence, le montant de l’amende infligée à la requérante, fixé à 104 040 000 euros par la Commission, est réduit à 84 456 000 euros.

{1} Communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3).

{2} Décision C(2010) 7694 final de la Commission, du 9 novembre 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire COMP/39258 - Fret aérien) (ci-après la « décision initiale »).

{3} Arrêts du 16 décembre 2015, Air Canada/Commission (T-9/11, non publié, EU:T:2015:994), Koninklijke Luchtvaart Maatschappij/Commission (T-28/11, non publié, EU:T:2015:995), Japan Airlines/Commission (T-36/11, non publié, EU:T:2015:992), Cathay Pacific Airways/Commission (T-38/11, non publié, EU:T:2015:985), Cargolux Airlines/Commission (T-39/11, non publié, EU:T:2015:991), Latam Airlines Group et Lan Cargo/Commission (T-40/11, non publié, EU:T:2015:986), Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo Pte/Commission (T-43/11, non publié, EU:T:2015:989), Deutsche Lufthansa e.a./Commission (T-46/11, non publié, EU:T:2015:987), British Airways/Commission (T-48/11, non publié, EU:T:2015:988), SAS Cargo Group e.a./Commission (T-56/11, non publié, EU:T:2015:990), Air France KLM/Commission (T-62/11, non publié, EU:T:2015:996), Air France/Commission (T-63/11, non publié, EU:T:2015:993) et Martinair Holland/Commission (T-67/11, non publié, EU:T:2015:984).

{4} Arrêt du 14 novembre 2017, British Airways/Commission (C-122/16 P, EU:C:2017:861).

Arrêt du 30 mars 2022, British Airways / Commission (T-341/17) (cf. points 479-485)

Les requérantes sont Singapore Airlines Ltd et sa filiale, Singapore Airlines Cargo Pte Ltd. Cette dernière est active sur le marché des services de fret aérien.

Elles comptent parmi les 19 destinataires de la décision C(2017) 1742 final de la Commission, du 17 mars 2017, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire AT.39258 - Fret aérien) (ci-après la « décision attaquée »). Par cette décision, la Commission européenne a constaté l’existence d’une infraction unique et continue à ces dispositions, par laquelle les entreprises en cause avaient coordonné, au cours de périodes comprises entre 1999 et 2006, leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret dans le monde entier. Elle a infligé aux requérantes une amende d’un montant fixé à 74 800 000 euros pour leur participation à cette infraction.

Le 7 décembre 2005, la Commission avait reçu, au titre de sa communication sur la clémence de 2002{1}, une demande d’immunité introduite par Lufthansa et deux de ses filiales. Cette demande faisait état de l’existence de contacts anticoncurrentiels entre plusieurs entreprises actives sur le marché du fret aérien (ci-après les « transporteurs »), portant sur plusieurs éléments constitutifs du prix des services fournis dans le cadre de ce marché, à savoir l’instauration de surtaxes « carburant » et « sécurité » ainsi que, en substance, le refus d’accorder aux transitaires une ristourne sur ces surtaxes. Les éléments recueillis par la Commission et ses investigations l’ont conduite à adresser, le 19 décembre 2007, une communication des griefs à 27 transporteurs, puis à adopter, le 9 novembre 2010, à l’encontre de 21 transporteurs, dont les requérantes, une première décision{2}. Celle-ci a toutefois été annulée par le Tribunal, par arrêts du 16 décembre 2015{3}, dans la limite des conclusions en annulation respectives à cette fin, en raison de contradictions entachant la motivation de ladite décision.

Dans son arrêt, le Tribunal rejette les conclusions en annulation de la décision attaquée, de même que les conclusions tendant à la réduction du montant de l’amende infligée aux requérantes. Ainsi, il valide l’analyse suivie par la Commission en vue d’établir l’existence d’une infraction unique et continue affectant plusieurs types de liaisons aériennes ainsi que la participation des requérantes à cette infraction, dans la mesure retenue dans le dispositif de la décision en cause. Il apporte néanmoins des précisions sur la portée du principe ne bis in idem dans les procédures visant à constater et, le cas échéant, sanctionner des infractions aux règles de concurrence.

Appréciation du Tribunal

En premier lieu, le Tribunal juge que c’est sans outrepasser les limites de sa propre compétence territoriale que la Commission a constaté l’existence d’une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE, affectant les vols sur les liaisons aériennes dites « entrantes », entendues comme les liaisons au départ d’aéroports situés dans des pays tiers et à destination de ceux situés dans des États membres de l’Union ou des autres États parties à l’Espace économique européen qui ne sont pas membres de l’Union, dans les limites temporelles décrites dans la décision attaquée.

En deuxième lieu, le Tribunal écarte le moyen, relevé d’office, tiré d’un défaut de compétence de la Commission pour constater et sanctionner une violation de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entre la Suisse, d’une part, et la Norvège et l’Islande, d’autre part. En effet, ce moyen n’est pas fondé, dès lors qu’il ressort du dispositif de la décision attaquée que la Commission n’a constaté aucune violation de cette disposition sur lesdites liaisons.

En troisième lieu, le Tribunal examine les différents griefs des requérantes visant à contester, dans son principe même, l’existence d’une infraction unique et continue au vu des comportements retenus dans la décision attaquée.

À cet égard, le Tribunal retient notamment que, contrairement à ce qu’avancent les requérantes, l’analyse suivie par la Commission afin d’établir l’existence de l’infraction litigieuse, envisagée en tant qu’infraction unique et continue n’est entachée d’aucune erreur de droit ou d’appréciation. En effet, d’une part, le Tribunal observe que les facteurs retenus par la Commission aux fins de son analyse, tenant notamment à l’existence d’un objectif anti-concurrentiel unique et à l’identité des entreprises et des services en cause, étaient propres à permettre à la Commission de qualifier le comportement litigieux d’infraction unique. D’autre part, le Tribunal examine de manière approfondie les éléments retenus par la Commission à ce titre, ce qui l’amène à considérer, en conclusion, que les requérantes sont restées en défaut d’établir les erreurs d’appréciation qu’elles allèguent.

En ce qui concerne, en quatrième lieu, le constat de la participation des requérantes à l’infraction unique et continue, le Tribunal examine successivement différents moyens et griefs invoqués par ces dernières visant à contester tant le constat pris dans sa globalité que différents éléments de ce constat ayant trait à leur participation aux différentes composantes de l’infraction en cause, ainsi que la portée dudit constat, telle qu’elle ressort du dispositif de la décision attaquée.

Dans ce cadre, le Tribunal examine, en particulier, un grief tiré d’une violation du principe ne bis in idem, qui interdit notamment qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois du fait d’un comportement anticoncurrentiel dont elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours. À cet égard, il observe d’emblée, à l’instar des requérantes, que le dispositif de la décision attaquée retient explicitement la participation de ces dernières à l’infraction litigieuse au titre de leurs comportements en lien avec les liaisons aériennes entre États membres de l’Union ainsi qu’entre ceux-ci et la Suisse. Ce même constat, pourtant envisagé dans la communication des griefs de 2007, ne figurait pas dans le dispositif de la première décision, adoptée le 9 novembre 2010. Le Tribunal considère néanmoins qu’un tel silence n’équivaut pas à une déclaration de non-responsabilité sur ce point. Selon le Tribunal, en juger autrement serait inconciliable avec différentes dispositions et, plus encore, avec l’économie générale du régime relatif à l’application des règles de concurrence de l’Union. Ainsi, premièrement, dans l’exercice de ses prérogatives en matière de concurrence{4}, la Commission n’est soumise à aucune obligation de se prononcer sur l’existence ou non d’une infractions aux règles pertinentes de concurrence, ni de constater et sanctionner tout comportement anticoncurrentiel, ni même, dans le cadre d’une procédure d’enquête ayant donné lieu à une communication des griefs, de se prononcer, dans la décision finale, sur chaque grief visé dans cette communication. Deuxièmement, du point de vue de l’économie générale du règlement nº 1/2003{5}, le Tribunal relève que l’article 10 de ce règlement prévoit une base juridique spécifique pour l’adoption d’une décision « négative » sur le fond, qui vise précisément à procéder au constat de l’inapplication de l’article 101 TFUE à un comportement donné. En outre, le Tribu

nal rappelle que, selon la jurisprudence{6}, l’adoption, par une autorité de concurrence nationale, d’une décision de non-lieu à intervenir, au titre de l’article 5, second alinéa, du règlement nº 1/2003, n’emporte pas de déclaration de non-responsabilité susceptible de s’opposer à un constat ultérieur d’infraction.

Or, en l’occurrence, étant donné que la décision initiale n’a pas été adoptée sur le fondement de l’article 10 dudit règlement, rien ne justifie de la considérer comme valant déclaration de non-responsabilité, quand bien même elle équivaudrait, dans les circonstances du cas d’espèce, à une décision de non-lieu à intervenir.

Dans ces conditions, le Tribunal juge qu’aucune violation du principe ne bis in idem ne saurait être reprochée à la Commission.

En dernier lieu, après avoir rejeté les conclusions en annulation dans leur intégralité, le Tribunal rejette également les conclusions tendant à la réduction du montant de l’amende infligée aux requérantes conjointement et solidairement, par la Commission. À cet égard, jugeant opportun de s’en tenir à la méthode de calcul suivie par la Commission dans la décision attaquée, le Tribunal écarte les griefs exposés par les requérantes au sujet de son application en l’espèce.

{1} Communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3).

{2} Décision C(2010) 7694 final de la Commission, du 9 novembre 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire COMP/39258 - Fret aérien) (ci-après la « décision initiale »).

{3} Arrêts du 16 décembre 2015, Air Canada/Commission (T-9/11, non publié, EU:T:2015:994), Koninklijke Luchtvaart Maatschappij/Commission (T-28/11, non publié, EU:T:2015:995), Japan Airlines/Commission (T-36/11, non publié, EU:T:2015:992), Cathay Pacific Airways/Commission (T-38/11, non publié, EU:T:2015:985), Cargolux Airlines/Commission (T-39/11, non publié, EU:T:2015:991), Latam Airlines Group et Lan Cargo/Commission (T-40/11, non publié, EU:T:2015:986), Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo Pte/Commission (T-43/11, non publié, EU:T:2015:989), Deutsche Lufthansa e.a./Commission (T-46/11, non publié, EU:T:2015:987), British Airways/Commission (T-48/11, non publié, EU:T:2015:988), SAS Cargo Group e.a./Commission (T-56/11, non publié, EU:T:2015:990), Air France KLM/Commission (T-62/11, non publié, EU:T:2015:996), Air France/Commission (T-63/11, non publié, EU:T:2015:993), et Martinair Holland/Commission (T-67/11, non publié, EU:T:2015:984).

{4} Le Tribunal se réfère, en l’occurrence, à l’article 105, paragraphe 1, TFUE, l’article 55, paragraphe 1, de l’accord EEE et à l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, ainsi qu’au règlement nº 1/2003 et aux dispositions d’exécution de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien.

{5} Règlement (CE) nº 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).

{6} Voir, notamment, arrêt du 3 mai 2011, Tele2 Polska (C-375/09, EU:C:2011:270, points 22 à 28).

Arrêt du 30 mars 2022, Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo / Commission (T-350/17) (cf. points 670-676)



Arrêt du 30 mars 2022, Koninklijke Luchtvaart Maatschappij / Commission (T-325/17) (cf. points 385-391)



Arrêt du 30 mars 2022, Air Canada / Commission (T-326/17) (cf. points 566-572)



Arrêt du 30 mars 2022, Air France / Commission (T-338/17) (cf. points 473-479)



Arrêt du 30 mars 2022, Cathay Pacific Airways / Commission (T-343/17) (cf. points 640-646)



Arrêt du 30 mars 2022, Latam Airlines Group et Lan Cargo / Commission (T-344/17) (cf. points 760-766)

46. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Fixation du montant de base - Gravité de l'infraction - Critères d'appréciation - Obligation de prendre en considération l'impact concret sur le marché - Absence



Arrêt du 30 mars 2022, Cargolux Airlines / Commission (T-334/17) (cf. points 572-581)

47. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Arrêt annulant partiellement une décision de la Commission et fixant une amende d'un montant identique à celui de l'amende initialement infligée - Intérêts dus sur l'amende fixée par le juge de l'Union à partir de la date d'adoption de la décision de la Commission

Par décision du 30 juin 2010, telle que modifiée par décision du 30 septembre 2010 (ci-après, ensemble, la « décision litigieuse »), la Commission européenne a imposé une amende aux sociétés Westfälische Drahtindustrie GmbH (ci-après « WDI »), Westfälische Drahtindustrie Verwaltungsgesellschaft mbH & Co. KG et Pampus Industriebeteiligungen GmbH & Co. KG pour avoir participé, avec leurs concurrents, à des arrangements collusoires visant à limiter la concurrence sur le marché européen de l’acier de précontrainte{1}.

Conformément à la décision litigieuse, le paiement de l’amende devait être effectué dans un délai de trois mois à compter de la date de sa notification. À l’expiration de ce délai, des intérêts étaient automatiquement dus au taux appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement, majoré de 3,5 points de pourcentage. La décision litigieuse prévoyait également que, en cas d’introduction d’un recours par une entreprise sanctionnée, celle-ci pouvait couvrir l’amende à l’échéance soit en fournissant une garantie bancaire, soit en procédant au paiement provisoire de l’amende.

Après avoir introduit un recours en annulation de la décision litigieuse, les requérantes ont présenté une demande en référé visant, en substance, à obtenir le sursis à l’exécution de cette décision jusqu’au prononcé de l’arrêt statuant sur le recours principal.

Par ordonnance du 13 avril 2011, le président du Tribunal a partiellement fait droit à la demande en référé, en ordonnant le sursis à l’obligation des requérantes de constituer une garantie bancaire en faveur de la Commission pour éviter le recouvrement immédiat de l’amende, à la condition qu’elles versent à cette institution, à titre provisoire, d’une part, la somme de 2 000 000 euros et, d’autre part, des mensualités de 300 000 euros jusqu’au prononcé de l’arrêt dans l’affaire principale{2}.

Par arrêt du 15 juillet 2015{3}, le Tribunal a annulé la décision litigieuse en ce qu’elle infligeait une amende aux requérantes au motif que la Commission avait commis des erreurs lorsqu’elle avait apprécié leur capacité contributive. Dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal a toutefois condamné les requérantes au paiement d’une amende d’un montant identique, déterminé sur la base de données postérieures à la date d’adoption de la décision litigieuse.

Immédiatement après le prononcé de l’arrêt du 15 juillet 2015, des divergences sont apparues entre la Commission et les conseils des requérantes en ce qui concernait la date à compter de laquelle les intérêts dus sur l’amende devaient courir. Alors que ces derniers considéraient que l’amende n’était exigible qu’à compter de l’arrêt, la Commission estimait que des intérêts étaient dus depuis la date prévue dans la décision litigieuse.

Le 27 novembre 2015, la Commission a communiqué à WDI un plan de paiement échelonné de l’amende jusqu’au 15 mars 2030, sur la base d’intérêts de retard dus à compter de la date prévue dans la décision litigieuse. Conformément à ce plan, des paiements échelonnés de l’amende ont été effectués jusqu’au 16 octobre 2019. À cette date, WDI a communiqué à la Commission qu’elle entendait payer d’ores et déjà le solde de l’amende due, calculé en prenant en considération les intérêts échus à compter du 15 octobre 2015, soit trois mois après le prononcé de l’arrêt du 15 juillet 2015.

Par lettre du 2 mars 2020, la Commission a mis en demeure WDI de lui verser des intérêts de retard à compter de la date prévue par la décision litigieuse, soit le 4 janvier 2011.

Les requérantes ont dès lors introduit un nouveau recours devant le Tribunal tendant à obtenir, inter alia, l’annulation de la lettre du 2 mars 2020 ainsi que, à titre subsidiaire, la condamnation de la Commission à la réparation du dommage découlant de la prétendue illégalité commise par la Commission dans le cadre de l’exécution de l’arrêt du 15 juillet 2015.

En rejetant ce recours dans son intégralité, la septième chambre élargie du Tribunal rappelle les critères pour déterminer la date d’exigibilité d’une amende dont le montant a été fixé par le juge de l’Union, à la suite de l’exercice, dans les circonstances particulières de l’espèce, de sa compétence de pleine juridiction.

Appréciation du Tribunal

Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le Tribunal examine d’abord la demande indemnitaire des requérantes, fondée sur plusieurs violations de l’article 266, premier alinéa, TFUE. Toutes les violations dénoncées partaient de la prémisse selon laquelle l’amende imposée par la décision litigieuse n’avait pas été « maintenue » ou « confirmée » par le Tribunal, mais avait été annulée et remplacée par une « amende juridictionnelle ».

Après avoir déclaré la demande indemnitaire recevable, le Tribunal rappelle que, conformément à la jurisprudence, l’amende que le juge de l’Union fixe en exerçant sa compétence de pleine juridiction ne constitue pas une amende nouvelle, juridiquement distincte de celle imposée par la Commission. Lorsqu’il substitue sa propre appréciation à celle de la Commission et qu’il réduit le montant de l’amende dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, il remplace, au sein de la décision de la Commission, le montant initialement fixé dans cette décision par celui qui résulte de sa propre appréciation. En raison de l’effet substitutif de l’arrêt prononcé par le juge de l’Union, ladite décision de la Commission est censée avoir toujours été celle qui résulte de l’appréciation de ce dernier. La seule circonstance que le Tribunal ait finalement estimé opportun de retenir, dans son arrêt du 15 juillet 2015, un montant d’amende identique à celui fixé dans la décision litigieuse ne s’oppose pas à l’application de ces principes en l’espèce.

Cette appréciation n’est pas davantage mise en cause par les arguments des requérantes tirés, notamment, du fait que le Tribunal avait annulé l’amende initialement infligée avant de fixer un nouveau montant sur la base d’éléments postérieurs à la décision litigieuse et que le président du Tribunal avait ordonné, par son ordonnance du 13 avril 2011, la suspension de l’obligation de constituer une garantie bancaire. À ce dernier égard, le Tribunal rappelle que l’adoption de l’ordonnance de référé n’a pas impliqué la suspension de l’exigibilité de la créance, qui a continué de produire des intérêts de retard pendant la procédure juridictionnelle.

Le Tribunal souligne, en outre, que, lorsque le juge de l’Union maintient une partie ou l’intégralité du montant de l’amende dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, l’obligation de payer des intérêts de retard ab initio ne constitue pas une sanction s’ajoutant à l’amende initialement infligée par la Commission. En effet, tant l’absence de différence de nature juridique de l’amende révisée par le juge de l’Union que le principe de l’absence d’effet suspensif des recours s’opposent à ce que la Commission libère l’entreprise qui n’a pas payé immédiatement cette amende et dont le recours a été partiellement accueilli de son obligation de payer, à dater de l’exigibilité de l’amende infligée par la Commission, des intérêts sur le montant de l’amende fixé par le juge de l’Union.

Eu égard à ces considérations, le Tribunal conclut à l’absence de violation suffisamment caractérisée des obligations de la Commission au titre de l’article 266 TFUE et rejette la demande indemnitaire des requérantes. Compte tenu du fait que les autres chefs de conclusions formulés par les requérantes étaient, en substance, également fondés sur la prémisse d’une violation de cette disposition par la Commission, le Tribunal rejette le recours dans son intégralité, sans examiner l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission concernant la demande d’annulation de la lettre du 2 mars 2020.

{1} Décision C(2010) 4387 final, du 30 juin 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38344 - Acier de précontrainte).

{2} Ordonnance du 13 avril 2011, Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission (T 393/10 R, EU:T:2011:178).

{3} Arrêt du 15 juillet 2015, Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission (T 393/10, EU:T:2015:515, ci-après l’« arrêt du 15 juillet 2015 »). Le pourvoi interjeté à l’encontre de cet arrêt a été rejeté par ordonnance du 7 juillet 2016, Westfälische Drahtindustrie et Pampus Industriebeteiligungen/Commission (C 523/15 P, EU:C:2016:541).

Arrêt du 23 novembre 2022, Westfälische Drahtindustrie e.a. / Commission (T-275/20) (cf. points 98-127)

48. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Limites - Respect de l'obligation de motivation - Respect du principe d'égalité de traitement



Arrêt du 12 janvier 2023, Lietuvos geležinkeliai / Commission (C-42/21 P) (cf. points 151, 152, 154)

49. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Arrêt annulant partiellement une décision de la Commission et fixant une amende d'un montant identique à celui de l'amende initialement infligée - Amende non distincte de celle initialement infligée par la Commission

Voir texte de la décision.

Arrêt du 4 juillet 2024, Westfälische Drahtindustrie e.a. / Commission (C-70/23 P) (cf. points 37-49)

50. Concurrence - Amendes - Montant - Détermination - Contrôle juridictionnel - Compétence de pleine juridiction du juge de l'Union - Portée - Détermination du montant de l'amende infligée - Critères d'appréciation

Par son arrêt, le Tribunal rejette le recours en annulation introduit par Pharol, SGPS SA à l’encontre d’une décision de la Commission européenne{1} modifiant une décision par laquelle celle-ci a imposé une amende pour violation de l’article 101 TFUE à deux opérateurs de télécommunications, dont la requérante. Ce faisant, le Tribunal apporte des précisions quant à la méthode de calcul du montant de base de l’amende en validant l’approche suivie par la Commission consistant à exclure, aux fins de la détermination de la valeur des ventes, les ventes de services pour lesquels les parties ne sont pas en concurrence potentielle. Le Tribunal apporte également des précisions quant aux circonstances dans lesquelles la Commission doit adopter une communication des griefs complémentaire, ainsi que sur l’autorité de la chose jugée attachée à un précédent arrêt du Tribunal{2} par lequel celui-ci a partiellement annulé la décision initiale de la Commission{3} portant sur la même pratique anticoncurrentielle.

En juillet 2010, Portugal Telecom, SGPS SA (renommée ultérieurement « Pharol, SGPS SA ») et Telefónica, SA ont signé un accord ayant pour objet l’acquisition par Telefónica de la part détenue par Portugal Telecom dans l’opérateur brésilien de téléphonie mobile Vivo Participações, SA. Aux termes d’une clause de cet accord, les parties s’engageaient à ne pas participer ou investir, directement ou indirectement, par l’intermédiaire de toute filiale, dans tout projet relevant du secteur des télécommunications susceptible d’être en concurrence avec l’autre partie sur le marché ibérique, pendant une période allant de la conclusion définitive de la transaction jusqu’au 31 décembre 2011 (ci-après la « clause »). Estimant que cette clause constituait un accord de non-concurrence contraire à l’article 101 TFUE, la Commission a adopté en 2013 une décision leur infligeant une amende.

Cette décision a été partiellement annulée par deux arrêts du Tribunal du 28 juin 2016{4}, dans la mesure où le montant des amendes infligées avait été fixé sur la base de la valeur des ventes retenue par la Commission. Selon le Tribunal, la Commission aurait dû, aux fins de la détermination de la valeur des ventes, définir les services pour lesquels les parties n’étaient pas en concurrence potentielle sur le marché ibérique, en examinant les éléments avancés par ces dernières dans leurs réponses à la communication des griefs afin de démontrer l’absence d’une telle concurrence entre elles au regard de certains services pendant la durée d’application de la clause.

À la suite de ces arrêts, la Commission a adopté une nouvelle décision dans laquelle elle a recalculé la valeur des ventes et modifié le montant de l’amende imposée à la requérante. C’est dans ce contexte que celle-ci a saisi le Tribunal d’un recours en annulation contre cette décision.

Appréciation du Tribunal

Premièrement, la requérante soutient que, en interprétant la clause dans la décision attaquée comme interdisant aux parties d’effectuer des démarches préparatoires à une entrée sur le marché, la Commission aurait violé l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt Portugal Telecom/Commission{5}, dans la mesure où une telle interprétation de la clause n’aurait pas été envisagée par la décision de 2013, pas plus qu’elle n’aurait été discutée dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt.

À cet égard, le Tribunal rappelle, d’une part, que l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision juridictionnelle en cause et, d’autre part, que cette autorité s’attache tant au dispositif de cette décision qu’aux motifs de celle-ci qui constituent le soutien nécessaire de son dispositif et en sont, de ce fait, indissociables.

Or, dans l’arrêt Portugal Telecom/Commission, le Tribunal ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si la clause interdisait ou non les démarches préparatoires, le champ d’application de cette clause ayant été défini non pas par rapport au type de mesures qu’elle prohibe, mais par rapport aux services couverts par celle-ci. Ainsi, il ne saurait être considéré que, en interprétant la clause comme interdisant ces démarches, la Commission a violé l’autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt.

Deuxièmement, en interprétant la clause comme interdisant les démarches préparatoires, la Commission aurait, selon la requérante, violé notamment ses droits de la défense, en raison du défaut d’adoption d’une communication des griefs complémentaire. En effet, une telle interprétation de la clause élargirait le champ d’application de celle-ci et modifierait la décision de 2013, constituant ainsi un élément nouveau à l’encontre de la requérante, sur lequel elle aurait dû avoir la possibilité de présenter des observations.

Le Tribunal relève, à titre liminaire, qu’une communication des griefs complémentaire n’est nécessaire que si de nouveaux griefs sont émis ou si la nature intrinsèque de l’infraction en cause est modifiée. En revanche, une simple lettre d’exposé des faits est suffisante dans le cas où les griefs soulevés contre les entreprises en cause dans la communication des griefs initiale sont simplement corroborés par les nouveaux éléments de preuve sur lesquels la Commission a l’intention de s’appuyer.

En l’espèce, la Commission a adopté une communication des griefs (ci-après la « communication des griefs de 2011 ») dans le cadre de la procédure ayant abouti à la décision de 2013. À la suite de l’annulation partielle de cette décision par le Tribunal, la Commission n’a pas émis de communication des griefs complémentaire avant d’adopter la décision attaquée, mais a envoyé aux sociétés en cause une lettre d’exposé des faits. À cet égard, l’annulation d’un acte de l’Union n’affecte pas nécessairement la validité des actes préparatoires. Or, la validité de la communication des griefs de 2011 n’est pas remise en cause par l’arrêt Portugal Telecom/Commission, celui-ci n’ayant annulé la décision de 2013 que dans la mesure où celle-ci fixait le montant de l’amende infligée à la requérante sur la base de la valeur des ventes retenue par la Commission. Dès lors, cet arrêt ne s’oppose pas à la prise en considération des indications fournies dans la communication des griefs de 2011 au sujet du champ d’application de la clause, afin de contrôler le respect des droits de la défense de la requérante.

Or, le Tribunal constate que l’interprétation de la clause comme interdisant les démarches préparatoires ne saurait être considérée comme un nouveau grief par rapport à ceux notifiés dans la communication des griefs de 2011, une modification de ceux-ci ou une modification de la nature intrinsèque de l’infraction. En effet, bien que la communication des griefs de 2011 ne précise pas que la clause interdit les démarches préparatoires, une telle interprétation s’impose compte tenu, d’une part, de la durée de la clause, trop courte pour permettre une entrée effective sur les marchés en cause et, d’autre part, de la lettre de la clause dans sa version anglaise.

Par ailleurs, la Commission a interprété la clause comme interdisant les démarches préparatoires afin de recalculer la valeur des ventes conformément à l’arrêt Portugal Telecom/Commission. Or, la détermination de la valeur des ventes ne figure pas parmi les éléments sur lesquels la Commission est tenue d’entendre les parties, le droit d’être entendu ne couvrant pas un tel élément lié à la méthode de détermination du montant de l’amende.

Quant à l’argumentation de la requérante selon laquelle la Commission ne lui a pas donné la possibilité de développer ses arguments lors d’une audition, le Tribunal rappelle que le droit à une audition n’existe qu’à la suite de l’émission par la Commission d’une communication des griefs{6}. Partant, dès lors que la Commission n’était pas tenue d’adopter une communication des griefs complémentaire en lieu et place de la lettre d’exposé des faits, elle n’était pas tenue de tenir une audition avant l’adoption de la décision attaquée.

Troisièmement, la requérante fait valoir que la Commission a commis une erreur de droit en appréciant l’existence d’une concurrence potentielle entre les parties sur la base du critère des barrières insurmontables à l’entrée. Le Tribunal considère que la Commission n’a pas commis une telle erreur.

En effet, dans l’arrêt Portugal Telecom/Commission annulant la décision de 2013, le Tribunal a jugé que les ventes qui n’étaient pas en relation directe ou indirecte avec l’infraction, à savoir les ventes des services pour lesquels les parties n’étaient pas en concurrence potentielle, devaient être exclues de la détermination de la valeur des ventes. Toutefois, le Tribunal n’a pas précisé quel était le critère permettant d’apprécier l’existence d’une telle concurrence aux fins du calcul de l’amende, alors qu’il a indiqué que, aux fins du constat de l’infraction, le critère permettant d’apprécier l’existence d’une telle concurrence était celui des barrières insurmontables à l’entrée sur le marché.

Dans la décision attaquée, la Commission a estimé que le critère des barrières insurmontables à l’entrée devait également être utilisé aux fins du calcul du montant de l’amende. En effet, exiger de la Commission que, pour déterminer la valeur des ventes, elle aille au-delà de l’examen des barrières insurmontables à l’entrée pour déterminer si les parties ont des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché reviendrait à lui imposer, aux fins du calcul de l’amende, une obligation qu’elle n’a pas aux fins du constat de l’infraction dès lors que l’infraction en cause a un objet anticoncurrentiel.

Partant, le Tribunal rejette ce dernier moyen.

{1} Décision C(2022) 324 final de la Commission, du 25 janvier 2022, modifiant la décision C(2013) 306 final, du 23 janvier 2013, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE (affaire AT.39839 - Telefónica/Portugal Telecom) (ci-après la « décision attaquée »).

{2} Arrêt du 28 juin 2016, Portugal Telecom/Commission (T 208/13, EU:T:2016:368). Cet arrêt n’a pas fait l’objet d’un pourvoi.

{3} Décision C(2013) 306 final de la Commission, du 23 janvier 2013, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE (affaire AT.39.839 - Telefónica/Portugal Telecom) (ci-après la « décision de 2013 »).

{4} Arrêts du 28 juin 2016, Portugal Telecom/Commission (T 208/13, EU:T:2016:368), et du 28 juin 2016, Telefónica/Commission (T 216/13, EU:T:2016:369). Ce dernier arrêt a été l’objet d’un pourvoi qui a été rejeté par la Cour par l’arrêt du 13 décembre 2017, Telefónica/Commission (C 487/16 P, non publié, EU:C:2017:961).

{5} Voir note de bas de page no 2.

{6} Article 12 du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18).

Arrêt du 2 octobre 2024, Pharol / Commission (T-181/22) (cf. point 212)

Le Tribunal, réuni en chambre élargie, confirme la décision de la Commission européenne{1} constatant que les banques UBS Group AG et UBS AG (ci-après « UBS »), NatWest Group plc, NatWest Markets plc et NatWest Markets NV. (ci après Natwest »), Natixis, UniCredit SpA et UniCredit Bank AG (ci-après « UniCredit »), Nomura International plc et Nomura Holdings, Inc. (ci-après « Nomura »), Bank of America N.A. et Bank of America Corporation (ci-après « BofA ») ainsi que Portigon AG ont participé à un cartel dans le secteur des obligations d’État européennes (ci-après les « OEE »). Néanmoins, en raison d’erreurs commises par la Commission dans la détermination de la durée de la participation d’UniCredit à cette infraction ainsi que dans le calcul de l’amende à payer par Nomura, le Tribunal réduit le montant des amendes imposées à ces banques.

En 2015, à la suite d’une demande de clémence introduite par The Royal Bank of Scotland Group plc et The Royal Bank of Scotland plc (ci-après « RBS »), devenues NatWest, la Commission a ouvert une enquête en vue d’examiner l’existence d’un cartel sur le marché des OEE. Les OEE constituent des titres de créance permettant aux États membres de la zone euro de lever des fonds pour financer certaines dépenses ou certains investissements, notamment pour refinancer une dette existante. Elles sont proposées à la vente pour la première fois par ou pour le compte de leur émetteur sur le marché primaire et sont par la suite échangées sur le marché secondaire.

Sur ce marché secondaire, les banques tentent de générer des revenus en captant la différence entre le cours acheteur et le cours vendeur des OEE.

À l’issue de son enquête, la Commission a considéré que les traders de plusieurs banques, parmi lesquelles figurent UBS, Natixis, UniCredit, Nomura, BofA et Portigon (ci-après « les requérantes »), avaient collaboré et échangé des informations afin d’obtenir des avantages concurrentiels dans le cadre de l’émission, du placement ou du négoce d’OEE. Estimant, en outre, que ces comportements faisaient partie d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique, la Commission a constaté que les banques concernées avaient commis une infraction unique et continue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE par la conclusion d’accords ou par la mise en œuvre de pratiques concertées ayant pour objet de restreindre ou de fausser la concurrence dans le secteur des OEE dans l’Espace économique européen (EEE).

S’agissant des amendes, la Commission a constaté que son pouvoir d’infliger des amendes à BofA et à Natixis était prescrit, dès lors que leurs participations respectives à l’infraction constatée avaient pris fin plus de cinq ans avant l’ouverture de l’enquête. En revanche, des amendes à hauteur de 129 573 000 euros, de 172 378 000 euros et de 69 442 000 euros ont été respectivement imposées à Nomura, à UBS et à UniCredit. Le montant de l’amende infligée à Portigon a en revanche été plafonné à zéro euro, en application du seuil maximal de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent, compte tenu du fait que cette banque mettait progressivement fin à ses activités, et que le chiffre d’affaires net réalisé par Portigon en 2020 était négatif.

Les requérantes ont saisi le Tribunal de six recours en annulation de la décision de la Commission en ce qu’elle les concerne. UBS, UniCredit et Nomura ont également demandé au Tribunal de réduire le montant de l’amende qui leur avait été imposée, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction prévue à l’article 261 TFUE et à l’article 31 du règlement no 1/2003{2}.

Appréciation du Tribunal

À titre liminaire, le Tribunal examine les demandes d’omission de certaines données envers le public introduites par UniCredit, Nomura, BofA et la Commission. Ces demandes portaient notamment sur les noms des employés impliqués dans les comportements incriminés, sur les discussions entre les traders en cause, sur des extraits des discussions non visées dans la décision attaquée ainsi que sur des extraits de documents contenus dans le dossier de procédure du Tribunal.

À cet égard, le Tribunal rappelle que la confidentialité d’un élément n’est pas justifiée dans le cas d’informations qui sont déjà publiques ou auxquelles le grand public ou certains milieux spécialisés peuvent avoir accès. En outre, des informations qui ont été secrètes ou confidentielles, mais qui datent de cinq ans ou plus, doivent, du fait de l’écoulement du temps, être considérées comme historiques et comme ayant perdu, de ce fait, leur caractère secret ou confidentiel, à moins que la partie qui se prévaut de ce caractère ne démontre que ces informations constituent encore des éléments essentiels de sa position commerciale ou de celles de tiers concernés.

Au regard de ces principes, le Tribunal décide de procéder à l’anonymisation des noms des personnes physiques mentionnées dans la décision attaquée ainsi que des experts auxquels les banques concernées ont eu recours, tout comme des sociétés qui les emploient.

En revanche, le contenu des discussions entre les traders des banques concernées ne saurait être occulté, dès lors que ces discussions constituent la quasi-totalité des éléments de preuve sur lesquels repose la décision attaquée et que les messages y contenus révèlent, aux yeux de la Commission, le caractère anticoncurrentiel des comportements desdites banques. En outre, la quasi-totalité de ces messages apparaissent dans la version publique de la décision attaquée et, de ce fait, ne justifie aucune protection. Il en va de même du nom des émetteurs d’obligations dont Nomura demande l’omission.

Le Tribunal rejette également la demande de confidentialiser certains extraits des discussions non visés dans la décision attaquée ainsi que certains extraits de documents contenus dans le dossier de procédure, pour autant qu’elle porte sur des éléments dont la mention est justifiée par l’exigence de fournir une réponse intelligible aux arguments soulevés par les requérantes.

Après avoir ainsi statué sur les demandes d’omission de certaines données envers le public, le Tribunal explique que les moyens en annulation des requérantes, qui se chevauchent dans une large mesure, sont notamment tirés :

de la violation de leurs droits de la défense,

d’erreurs commises par la Commission en retenant la responsabilité des requérantes pour les comportements de leurs traders,

’erreurs de la Commission dans la qualification des comportements en cause d’infraction unique et continue imputable aux requérantes,

’erreurs de la Commission dans la qualification de cette infraction de restriction par objet,

’erreurs commises par la Commission en affirmant l’existence d’un intérêt légitime à constater l’infraction à l’égard des banques qui ne se sont pas vu infliger d’amende, et

’erreurs dans la détermination du montant des amendes imposées.

Sur la violation alléguée des droits de la défense des requérantes

Au soutien de son recours, BofA invoquait notamment une violation de ses droits de la défense au motif que les éléments retenus à sa charge dans la décision attaquée ne seraient pas identiques à ceux énumérés dans la communication des griefs.

À cet égard, le Tribunal constate, toutefois, que la portée matérielle de la participation de BofA à l’infraction retenue dans la décision attaquée a été réduite par rapport à celle envisagée dans la communication des griefs. Or, dès lors qu’une telle réduction de la portée de sa participation est favorable à BofA, elle ne saurait, en principe, nuire à ses intérêts.

Qui plus est, cette réduction du champ matériel de la participation de BofA à l’infraction n’a pas non plus conduit la Commission à constater à son égard, dans la décision attaquée, une infraction à ce point distincte de celle exposée dans la communication des griefs qu’elle devrait être assimilée à un nouveau grief, sur lequel cette banque aurait dû pouvoir faire valoir ses observations écrites et orales, afin de garantir le respect de ses droits de la défense.

Le Tribunal rejette également le grief de Portigon selon lequel la Commission aurait violé ses droits de la défense en modifiant la communication des griefs par l’envoi d’une simple « lettre d’exposé des faits » en lieu et place d’une communication des griefs complémentaire.

Sur ce point, le Tribunal relève que, lorsque, au cours de la procédure administrative, la Commission décide d’ajouter de nouveaux griefs à ceux initialement reprochés à des entreprises ou lorsqu’elle entend modifier sensiblement les éléments de preuve des infractions poursuivies, elle est tenue d’envoyer une communication des griefs complémentaire aux entreprises concernées. Toutefois, lorsque cette institution souhaite seulement s’appuyer sur de nouveaux éléments de preuve corroborant les griefs d’ores et déjà étayés dans la communication des griefs, elle peut se limiter à en informer les entreprises concernées par une lettre d’exposé des faits, en réponse à laquelle ces entreprises peuvent présenter des observations écrites dans un délai déterminé.

En l’espèce, il ressort de la décision attaquée que, le 12 novembre 2020, la Commission a adressé à Portigon une lettre d’exposé des faits, par laquelle, à la suite des réponses des banques concernées à la communication des griefs du 31 janvier 2019, elle a procédé à des « ajouts et corrections factuels concernant certaines discussions qui avaient été présentées dans la communication des griefs (y compris à l’annexe à celle-ci) à l’appui des griefs ». La Commission a ensuite invité Portigon à faire valoir ses observations écrites, qui ont été transmises le 8 janvier 2021.

Au regard de ces précisions, le Tribunal constate que les corrections factuelles et les modifications apportées par la Commission dans sa lettre d’exposé des faits n’ont ni sensiblement modifié les éléments de preuve de l’infraction poursuivie ni conduit la Commission à étendre les contours matériels, temporels ou géographiques de l’infraction qui était reprochée, notamment à Portigon, dans le cadre de la communication des griefs. En conséquence, aucune des corrections ou modifications apportées par la Commission à l’occasion de la lettre d’exposé des faits ne justifiait que la Commission ait dû adresser à Portigon une communication des griefs complémentaire.

Sur la responsabilité des requérantes pour les comportements de leurs traders

En ce qui concerne les moyens tirés d’erreurs de la Commission pour avoir retenu la responsabilité d’UniCredit, de Nomura et de Portigon pour les comportements de leurs traders, le Tribunal rappelle qu’un employé accomplissant ses fonctions en faveur et sous la direction de l’entreprise pour laquelle il travaille est considéré comme s’intégrant dans l’unité économique que constitue cette entreprise.

Il en découle que, aux fins de la constatation des infractions au droit de la concurrence de l’Union, les éventuels agissements anticoncurrentiels d’un employé sont attribuables à l’entreprise dont il fait partie. Dès lors, la Commission pouvait valablement tenir Portigon, UniCredit et Nomura pour responsables du comportement de leurs traders respectifs.

Dans ce contexte, ces banques ne sauraient pas reprocher à la Commission d’avoir tenu compte de la connaissance des comportements infractionnels acquise par leurs traders préalablement à l’entrée en fonction à leur service, afin de qualifier ces comportements d’infraction unique et continue présentant un objet anticoncurrentiel.

En effet, lorsqu’un employé met de telles connaissances à la disposition du nouvel employeur, celles-ci peuvent être considérées comme des connaissances partagées par son nouvel employeur. Il est, en outre, de jurisprudence constante que la Commission peut s’appuyer sur des contacts antérieurs ou postérieurs à la période de l’infraction afin de construire une image globale et de montrer les étapes préparatoires de l’entente ainsi que pour corroborer l’interprétation de certains éléments de preuve.

Par ailleurs, la conclusion de la Commission quant à la responsabilité des requérantes pour le comportement de leurs traders est d’autant plus justifiée que ces banques n’ont pas déposé plainte ni entamé de démarches à l’encontre de leurs traders, et cela en dépit du fait que ces banques estiment avoir été mêlées à leur insu aux comportements en cause.

Sur la qualification des comportements en cause d’infraction unique et continue imputable aux requérantes

Après avoir confirmé le caractère anticoncurrentiel de la quasi-intégralité des discussions des traders intervenues entre janvier 2007 et novembre 2011, le Tribunal examine les moyens contestant leur qualification d’infraction unique et continue imputable aux requérantes.

Dans un premier temps, le Tribunal rappelle que seuls des comportements relevant d’un « plan d’ensemble » poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique peuvent être qualifiés d’infraction unique et continue.

Concernant le caractère unique de l’infraction, le Tribunal estime que la Commission a correctement considéré que l’objectif anticoncurrentiel unique poursuivi par les traders des banques concernées était de s’entendre ou de coordonner leurs stratégies d’acquisition d’OEE sur le marché primaire ou de négociation sur le marché secondaire et d’augmenter les revenus.

La Commission ayant démontré à suffisance de droit que les comportements adoptés par les traders dans deux forums de discussions s’inscrivaient dans un plan d’ensemble poursuivant cet objectif anticoncurrentiel unique, le Tribunal précise que ni la circonstance que le trader de BofA aurait été délibérément exclu d’un des deux forums de discussion et que BofA aurait été lésé par les comportements mis en œuvre, ni l’absence de preuve d’échanges entre le trader de BofA et d’autres traders en dehors des forums de discussion ne sauraient remettre en cause cette conclusion. En outre, plusieurs éléments objectifs confirment que ces forums étaient, par nature, liés et complémentaires et visaient à atteindre les buts poursuivis par le plan d’ensemble constaté par la Commission.

Concernant le caractère continu de l’infraction, le Tribunal entérine la conclusion de la Commission selon laquelle l’infraction unique a présenté un caractère continu entre janvier 2007 et novembre 2011. En effet, si des écarts ont pu être constatés entre les manifestations de l’infraction, il n’en reste pas moins que les traders ont poursuivi leurs discussions à caractère anticoncurrentiel d’une manière régulière.

En ce qui concerne l’imputabilité aux requérantes de l’infraction unique et continue ainsi constatée, le Tribunal rappelle, dans un second temps, que cette imputabilité doit être appréciée au regard de deux éléments, à savoir, premièrement, la contribution intentionnelle des requérantes aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des banques concernées et, deuxièmement, leur connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par ces banques dans la poursuite des mêmes objectifs ou le fait qu’elles avaient pu raisonnablement les prévoir et avaient été prêtes à en accepter le risque.

Cette précision étant faite, le Tribunal écarte la quasi-intégralité des arguments avancés par les requérantes afin de contester tant leur contribution intentionnelle aux objectifs communs que leur connaissance de l’ensemble des comportements infractionnels en cause ou, le cas échéant, leur capacité de les prévoir.

Néanmoins, s’agissant du début de la participation d’UniCredit à l’infraction unique et continue, le Tribunal constate que la Commission a commis une erreur en fixant comme point de départ la première connexion du trader d’UniCredit au forum de discussions litigieux avec les identifiants de cette banque, intervenue le 9 septembre 2011, alors qu’aucune discussion de nature anticoncurrentielle n’a eu lieu entre le 6 septembre et le 26 septembre 2011. À cet égard, le Tribunal précise que l’éventuelle connaissance qu’aurait eue ce trader du fait que les échanges intervenus sur ce forum étaient susceptibles de présenter un caractère anticoncurrentiel ne permet pas à elle seule de considérer qu’UniCredit a commencé à participer à l’infraction unique et continue à la date de cette première connexion.

Sur la qualification des comportements en cause de « restriction par objet »

À titre liminaire, le Tribunal relève que, au stade de l’appréciation de l’objet anticoncurrentiel d’une infraction unique et continue, non seulement le caractère anticoncurrentiel de celle-ci et les éléments qui la composent, mais également l’existence d’un « plan commun » ou d’un « plan d’ensemble » sont établis. À ce stade, seul importe donc de savoir si cette infraction présente un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, justifiant que la Commission n’ait pas à en rechercher ni a fortiori à en démontrer les effets sur la concurrence.

À cet égard, il résulte de la jurisprudence que l’appréciation du degré de nocivité d’une infraction unique et continue doit être effectuée au regard des caractéristiques objectives de celle-ci et sans considération de la situation particulière de chaque entreprise y ayant participé. Doivent ainsi être écartées les critiques des requérantes partant du présupposé que seules les discussions intervenues au cours de leurs périodes respectives de participation à l’infraction litigieuse devaient être prises en considération pour établir l’objet anticoncurrentiel desdites périodes.

En ce qui concerne l’appréciation de la nocivité des comportements en cause, le Tribunal constate, en outre, que la Commission a, à juste titre, mis en évidence que les discussions intervenues entre les traders des banques concernées prenaient la forme non seulement d’échanges d’informations commercialement sensibles, mais également de pratiques de fixation de prix et de répartition de la clientèle tant sur le marché primaire que secondaire des OEE. Dès lors que ces pratiques présentent un degré particulièrement élevé de nocivité à l’égard de la concurrence, c’est sans commettre d’erreur que la Commission a retenu la qualification de « restriction par objet ».

Sur l’intérêt légitime de la Commission à constater l’infraction litigieuse à l’égard des banques qui ne se sont pas vu infliger d’amende

Le Tribunal écarte les moyens mettant en cause l’intérêt légitime de la Commission à constater l’infraction litigieuse à l’égard de Natixis et de BofA, envers lesquelles le pouvoir de la Commission d’infliger une amende était prescrit.

À cet égard, le Tribunal souligne que la constatation de l’infraction litigieuse à l’égard de Natixis et de BofA était pertinente pour démontrer la fréquence des discussions collusoires entre les traders de chaque banque, la nature de leurs relations et le caractère continu de cette infraction. Ainsi, Natixis et BofA ne sauraient valablement soutenir que leur identification dans la décision attaquée n’avait pas contribué, de manière substantielle, à établir l’infraction litigieuse ou à expliquer la portée des comportements infractionnels.

Certes, la Commission aurait pu se servir des éléments ayant trait à la participation de ces banques tout en conservant leur anonymat ou en s’abstenant de constater l’infraction litigieuse à leur égard. Néanmoins, l’existence d’une telle possibilité ne saurait pour autant exclure l’intérêt légitime de la Commission à constater cette infraction, d’autant plus que les comportements de ces banques étaient d’une particulière gravité au regard du secteur concerné et du contexte de crise financière dans lequel ceux-ci sont intervenus.

Dans ce cadre, le Tribunal rejette également l’argumentation de BofA selon laquelle, au regard du temps écoulé entre la fin de sa participation à l’infraction litigieuse à la fin de l’année 2008 et l’adoption de la décision attaquée en mai 2021, la Commission aurait dû conclure à l’absence d’intérêt légitime à constater l’infraction à son égard, sous peine de violation des principes de sécurité juridique et de respect de ses droits de la défense.

En effet, si le constat de l’existence d’un intérêt légitime à constater l’infraction litigieuse doit se faire dans le respect des principes généraux du droit de l’Union et, en particulier, n’autorise pas la Commission à retarder indéfiniment l’exercice de ses pouvoirs, il n’en reste pas moins qu’une période de seulement cinq mois s’est écoulée entre l’introduction de la demande formelle d’immunité d’amende par RBS et l’envoi de la demande de renseignements concernant cette infraction à BofA.

S’agissant du temps écoulé depuis la réception de cette demande par BofA, il ressort d’une jurisprudence constante qu’il incombe à toute entreprise de veiller à la bonne conservation des éléments de preuve permettant de retracer ses activités, afin de disposer des preuves nécessaires dans l’hypothèse d’actions judiciaires et administratives. Or, BofA est restée en défaut d’indiquer les circonstances qui l’auraient empêchée de se conformer à son obligation de diligence ou qui auraient compliqué la collecte d’éléments de preuve à décharge.

De même, BofA n’ayant apporté aucun élément de preuve de nature à démontrer que l’écoulement du temps a complexifié sa défense, la Commission a pu, sans commettre d’erreurs, constater l’infraction litigieuse à son égard.

Sur la détermination du montant des amendes imposées aux requérantes

Pour déterminer le montant des amendes imposées aux requérantes, la Commission a, en substance, appliqué la méthode prévue par les lignes directrices de 2006{3}. Néanmoins, en ce qui concerne le calcul des montants de base, la Commission a décidé d’utiliser une valeur de remplacement au lieu de la valeur des ventes prévue au point 13 desdites lignes directrices. Comme point de départ du calcul de cette valeur de remplacement, la Commission a retenu les volumes et les valeurs notionnels annualisés des OEE (ci-après les « montants notionnels annualisés ») que les banques concernées ont échangés sur le marché secondaire au cours de leur période individuelle de participation à l’infraction litigieuse. Ces montants notionnels annualisés ont ensuite été multipliés par un facteur d’ajustement que la Commission a construit en utilisant 32 catégories d’OEE représentatives, émises par huit émetteurs.

Après avoir rejeté les moyens d’UBS et de Nomura tirés d’une violation de leurs droits de la défense pendant la procédure administrative en ce qu’elles se seraient retrouvées dans l’impossibilité de comprendre la méthodologie utilisée par la Commission pour déterminer la valeur de remplacement, le Tribunal examine les différents moyens tirés d’erreurs commises dans la détermination de cette valeur.

Le Tribunal écarte tout d’abord les critiques d’UBS, d’UniCredit et de Nomura selon lesquelles les valeurs de remplacement retenues à leur égard seraient sans rapport avec leur activité économique, dès lors que les montants notionnels annualisés des OEE pris en compte par la Commission constituaient un indicateur de volume et non un indicateur de prix. À cet égard, le Tribunal estime que les modalités de calcul du facteur d’ajustement appliquées aux montants notionnels de chaque banque concernée ont permis à la Commission de retenir, au titre de la valeur de remplacement, un montant qui reflète l’activité des banques concernées.

C’est également à tort que Nomura fait valoir que la Commission aurait retenu à son égard des montants notionnels dépassant le champ de sa participation à l’infraction litigieuse et, de ce fait, aurait décorrélé la valeur de remplacement retenue à son égard de son activité économique. En effet, la valeur de remplacement - à l’instar de la valeur des ventes - ne saurait être calculée sur la base des seules opérations pour lesquelles il est établi qu’elles...

Arrêt du 26 mars 2025, UBS Group et UBS / Commission (Obligations d’État européennes) (T-441/21, T-449/21, T-453/21, T-455/21, T-456/21 et T-462/21) (cf. points 2114, 2115)