1. Accords internationaux - Accords internationaux en matière de droit pénal - Accord UE-USA en matière d'extradition - Champ d'application - Demande d'extradition formulée, sur le fondement d'un traité bilatéral d'extradition, postérieurement à l'entrée en vigueur dudit accord - Inclusion - Disposition dudit accord prévoyant l'existence d'obstacles à l'obligation d'extradition en raison des principes constitutionnels de l'État requis ou de décisions judiciaires définitives - Accord et traité bilatéral concernés ne permettant pas de résoudre la question - Disposition constituant une base juridique autonome et subsidiaire pour l'application du principe ne bis in idem

En janvier 2022, HF, un ressortissant serbe, a été placé en état d’arrestation provisoire en Allemagne, sur le fondement d’une notice rouge publiée par l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) à la demande des autorités des États-Unis d’Amérique. Ces dernières demandent l’extradition de HF en vue de poursuites pénales pour des infractions consistant en des ententes en vue de participer à des organisations corrompues sous influence criminelle et en vue de commettre des fraudes bancaires et des fraudes au moyen d’installations de télécommunication, commises entre septembre 2008 et décembre 2013. Lors de son arrestation, HF a déclaré résider en Slovénie et a présenté, notamment, un titre de séjour slovène ayant expiré en novembre 2019.

L’intéressé a déjà été condamné en Slovénie, par un jugement devenu définitif en 2012, pour les mêmes faits que ceux visés dans la demande d’extradition, en ce qui concerne les infractions commises jusqu’en juin 2010. En outre, il a déjà entièrement purgé sa peine.

De ce fait, l’Oberlandesgericht München (tribunal régional supérieur de Munich, Allemagne), appelé à statuer sur la demande d’extradition de HF, a décidé d’interroger la Cour sur le fait de savoir si le principe ne bis in idem lui impose de refuser cette extradition pour les infractions qui ont été jugées définitivement en Slovénie. Ce principe, qui est consacré tant à l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen (ci-après la « CAAS »){1} qu’à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), interdit notamment qu’une personne ayant déjà été définitivement jugée dans un État membre soit à nouveau poursuivie dans un autre État membre pour la même infraction. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi se demande également si le traité d’extradition conclu entre l’Allemagne et les États-Unis{2}, en ce qu’il ne permet de refuser l’extradition en raison du principe ne bis in idem que pour le cas d’une condamnation dans l’État requis (en l’occurrence l’Allemagne), est susceptible d’avoir une incidence sur l’application de ce principe dans le litige au principal.

Par son arrêt, rendu dans le cadre de la procédure préjudicielle d’urgence, la Cour, réunie en grande chambre, dit pour droit que l’article 54 de la CAAS, lu à la lumière de l’article 50 de la Charte, s’oppose à l’extradition, par les autorités d’un État membre, d’un ressortissant d’un État tiers vers un autre État tiers lorsque ce ressortissant a été définitivement condamné dans un autre État membre pour les mêmes faits que ceux visés dans la demande d’extradition et a subi la peine qui y a été prononcée. Le fait que la demande d’extradition se fonde sur un traité bilatéral d’extradition limitant la portée du principe ne bis in idem aux jugements prononcés dans l’État membre requis est sans incidence à cet égard.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, s’agissant du point de savoir si la notion de « personne » visée à l’article 54 de la CAAS inclut un ressortissant d’un État tiers, la Cour relève tout d’abord que cet article garantit la protection du principe ne bis in idem lorsqu’une personne a été définitivement jugée par un État membre. Ainsi, le libellé de cette disposition n’établit pas de condition relative au fait de posséder la nationalité d’un État membre. Ensuite, le contexte de cet article conforte une telle interprétation. En effet, l’article 50 de la Charte{3}, à la lumière duquel doit être interprété l’article 54 de la CAAS, n’établit pas non plus de lien avec la qualité de citoyen de l’Union. Enfin, les objectifs que poursuit cette disposition, à savoir notamment garantir la sécurité juridique par le respect des décisions des organes publics devenues définitives ainsi que l’équité, confortent l’interprétation selon laquelle l’application de cette disposition n’est pas limitée aux seuls ressortissants d’un État membre. À cet égard, la Cour souligne également qu’il ne ressort aucunement de l’article 54 de la CAAS que le bénéfice du droit fondamental qui y est prévu serait subordonné, en ce qui concerne les ressortissants d’États tiers, au respect de conditions relatives au caractère régulier de leur séjour ou au bénéfice d’un droit à la libre circulation au sein de l’espace Schengen. Dans une affaire telle que celle au principal, indépendamment du caractère régulier de son séjour, la personne concernée doit donc être considérée comme relevant du champ d’application de l’article 54 de la CAAS.

En deuxième lieu, la Cour constate que l’accord entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique en matière d’extradition (ci-après l’« accord UE-USA »){4}, qui s’applique aux relations existant entre les États membres et cet État tiers en matière d’extradition, est applicable au litige au principal, dès lors que la demande d’extradition a été formulée, sur le fondement du traité d’extradition Allemagne-USA, postérieurement à l’entrée en vigueur de cet accord UE-USA. Si ce dernier ne prévoit certes pas explicitement que l’applicabilité du principe ne bis in idem puisse permettre à un État membre de refuser une extradition demandée par les États-Unis, toutefois, son article 17, paragraphe 2{5}, qui permet en principe qu’un État membre interdise l’extradition de personnes ayant déjà été définitivement jugées pour la même infraction que celle visée dans la demande d’extradition, constitue une base juridique autonome et subsidiaire pour l’application de ce principe lorsque le traité bilatéral applicable ne permet pas de résoudre cette question. Or, le traité d’extradition Allemagne-USA règle a première vue la question soulevée dans le litige au principal puisqu’il n’envisage pas que l’extradition puisse être refusée si la personne poursuivie a été définitivement jugée, pour l’infraction visée dans la demande d’extradition, par les autorités compétentes d’un État autre que l’État requis{6}. Sur ce point, la Cour rappelle néanmoins que, ainsi que l’impose le principe de primauté, il incombe à la juridiction de renvoi d’assurer le plein effet de l’article 54 de la CAAS et de l’article 50 de la Charte dans le litige au principal, en laissant inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition du traité d’extradition Allemagne-USA incompatible avec le principe ne bis in idem consacré à ces articles. Si les dispositions du traité d’extradition Allemagne-USA relatives à l’application du principe ne bis in idem sont écartées en raison de leur contrariété au droit de l’Un

ion, ce traité ne permet plus de résoudre la question d’extradition soulevée dans le litige au principal, de telle sorte que l’application de ce principe peut être fondée sur la base juridique autonome et subsidiaire que constitue l’article 17, paragraphe 2, de l’accord UE-USA.

En dernier lieu, bien que constatant que l’article 351, premier alinéa, TFUE{7} n’est a priori pas applicable au litige au principal eu égard à la date de conclusion du traité d’extradition Allemagne-USA, la juridiction de renvoi se demande s’il n’y a pas lieu d’interpréter largement cette disposition, comme visant également les conventions conclues par un État membre postérieurement au 1er janvier 1958 ou à la date de son adhésion, mais antérieurement à la date à laquelle l’Union est devenue compétente dans le domaine concerné par ces conventions. À ce sujet, rappelant notamment qu’il convient d’interpréter de façon stricte les exceptions, afin que les règles générales ne soient pas vidées de leur substance, la Cour précise que cette disposition dérogatoire doit être interprétée comme ne visant que les conventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, si bien qu’elle n’est pas applicable au traité d’extradition Allemagne-USA.

{1} Convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), telle que modifiée par le règlement (UE) no 610/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013.

{2} Auslieferungsvertrag zwischen der Bundesrepublik Deutschland und den Vereinigten Staaten von Amerika (traité d’extradition entre la République fédérale d’Allemagne et les États-Unis d’Amérique), du 20 juin 1978 (BGBl. 1980 II, p. 647, ci-après le « traité d’extradition Allemagne-USA »).

{3} Cet article 50 de la Charte prévoit que « nul » ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi.

{4} Accord entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique en matière d’extradition, du 25 juin 2003 (JO 2003, L 181, p. 27).

{5} L’article 17 de cet accord UE-USA, intitulé « [n]on-dérogation », prévoit, en son paragraphe 2, que « [s]i les principes constitutionnels de l’État requis ou des décisions judiciaires définitives ayant un caractère contraignant sont de nature à faire obstacle à l’exécution de son obligation d’extradition et que ni le présent accord ni le traité bilatéral applicable ne permettent de résoudre la question, l’État requis et l’État requérant procèdent à des consultations ».

{6} En vertu de l’article 8 de ce traité d’extradition Allemagne-USA, l’extradition n’est pas accordée si la personne poursuivie a déjà été définitivement jugée par les autorités compétentes de l’État requis pour l’infraction pour laquelle l’extradition est demandée. Cependant, cette disposition n’envisage pas une telle possibilité en présence d’un jugement définitif intervenu dans un autre État.

{7} Aux termes de cette disposition, « [l]es droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d’une part, et un ou plusieurs États tiers, d’autre part, ne sont pas affectés par les dispositions des traités. »

Arrêt du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Extradition et ne bis in idem) (C-435/22 PPU) (cf. points 98-104, 112)