En l'absence d'un accord entre les services postaux des États membres concernés fixant les "frais terminaux" en fonction des coûts réels de traitement et de distribution du courrier transfrontière entrant, la législation d'un État membre peut conférer à ses services postaux le droit de percevoir des taxes intérieures dans le cas où des expéditeurs domiciliés dans cet État déposent ou font déposer des envois en grande quantité auprès des services postaux d'un autre État membre pour réexpédition; toutefois ils ne peuvent demander aux expéditeurs que la différence entre les "frais terminaux" (payés par les services postaux de l'État membre d'envoi) et l'intégralité de la taxe intérieure, sous peine d'abuser de leur position dominante au sens du droit communautaire de la concurrence
La Citicorp Kartenservice GmbH («CKG»), établie à Francfort-sur-le-Main est une entreprise qui, au sein du groupe Citibank, s'occupe de la confection et de l'expédition des relevés de compte, des confirmations, des factures et des demandes de paiement ou de facturation à l'intention des clients titulaires, notamment, de la carte Visa.
En 1993, le groupe Citibank a créé un organisme centralisé chargé de la confection et de l'expédition des relevés de compte et autres décomptes bancaires uniformisés, le Citicorp European Service Center BV («CESC»), établi à Arnhem (Pays-Bas).
Jusqu'au 30 juin 1995, le traitement informatique était effectué au centre de calcul de la CKG, à Francfort-sur-le-Main. Le CESC procédait ensuite, après réception par voie informatique des données, à l'impression sur des imprimés standardisés, lesquels étaient alors mis sous enveloppe et affranchis pour envoi. Ces envois étaient enfin remis à la Poste néerlandaise («PTT Post») d'Arnhem pour acheminement. Cette dernière transmettait les envois à la Deutsche Post, afin que celle-ci les distribue aux destinataires établis en Allemagne (depuis le 1er juillet 1995, les données sont envoyées aux Pays-Bas par satellite depuis le centre de traitement informatique du groupe Citibank à Sioux Falls -Dakota-du-Sud, États-Unis-).
Le CESC imprime et expédie également, à partir des Pays-Bas, vers des destinataires domiciliés dans d'autres États membres de l'Union européenne (France, Belgique, Espagne, Portugal, Grèce), environ quarante-deux millions d'envois.
Pour les envois postaux vers des destinataires domiciliés en Allemagne, la PTT Post perçoit, aux Pays-Bas, la taxe habituelle pour des envois internationaux (soit un montant d'environ 0,55 DEM). Elle paie à la Deutsche Post "les frais terminaux"(à la date des faits, de 0,37 à 0,40 DEM par lettre).
La Deutsche Post a réclamé, pour "repostage" de chacune des lettres de la CKG distribuée en Allemagne, le montant des taxes intérieures (1 DEM par lettre). Pour la période du 24 février au 9 juillet 1995, la Deutsche Post a demandé le paiement d'une somme de 3 668 916 DEM.
La CKG ayant refusé d'acquitter la somme demandée, l'affaire a été portée devant le Landgericht Frankfurt am Main.
La Gesellschaft für Zahlungssysteme mbH («GZS») est l'opérateur réalisant le plus important chiffre d'affaires sur les transactions opérées à partir des cartes de crédit Eurocard en Allemagne. Dans le cadre de son activité de traitement de données, la GZS établit, pour les titulaires de ladite carte et pour les entreprises partenaires, des décomptes mensuels qui sont expédiés par la poste.
Depuis l'été 1995, la GZS transmet à son partenaire contractuel danois et par voie informatique les données nécessaires à l'établissement des décomptes d'environ sept millions de titulaires de cartes de crédit en vue de leur envoi par la poste danoise. Celle-ci les transmet à la Deutsche Post en vue de leur acheminement ultérieur en Allemagne et de leur distribution aux destinataires domiciliés sur le territoire de cet État membre. Le service postal danois encaisse la taxe exigée au Danemark pour les envois internationaux, laquelle est inférieure au tarif intérieur en vigueur en Allemagne. Il paie à la Deutsche Post "les frais terminaux" (0,36 DEM par lettre).
La Deutsche Post a réclamé à la GZS, au titre des taxes intérieures, le paiement d'une somme de 623 984 DEM. Cette dernière ayant refusé d'acquitter la somme demandée, l'affaire a été portée devant le Landgericht Frankfurt am Main.
Le Landgericht Frankfurt am Main a rejeté les deux recours de la Deutsche Post. L'Oberlandesgericht Frankfurt am Main, saisi en appel, a des doutes sur la compatibilité de la Convention postale universelle (CPU, transposé par une loi de 1989 en droit allemand), qui permet aux États contractants de frapper de taxes intérieures des envois en cas de repostage, avec le droit communautaire. Le tribunal allemand a donc décidé de surseoir à statuer et d'interroger la Cour de Justice.
La juridiction allemande demande si l'exercice par une entité telle que la Deutsche Post du droit prévu par la CPU de frapper de taxes intérieures les envois déposés en grande quantité auprès des services postaux d'un autre État membre est contraire aux dispositions du traité CE concernant, notamment, les entreprises chargées par un État membre de la gestion de services d'intérêt économique général et l'interdiction de l'abus d'une position dominante.
La Cour relève tout d'abord qu'une entité, telle que la Deutsche Post, bénéficiant de l'exclusivité de la collecte, du transport et de la distribution du courrier, doit être considérée comme une entreprise investie par l'État membre concerné, de droits exclusifs, au sens du traité CE.
La Cour rappelle ensuite que, selon une jurisprudence constante, une entreprise qui bénéficie d'un monopole légal sur une partie substantielle du marché commun peut être considérée comme occupant une position dominante au sens du traité CE.
Selon la Cour, un des principes fondamentaux de la CPU est l'obligation de l'administration des postes de l'État contractant de destination d'acheminer et de distribuer le courrier international aux destinataires domiciliés sur son territoire, en utilisant à cette fin les moyens les plus rapides de sa poste. L'accomplissement des obligations découlant de la CPU constitue, en tant que tel, pour les services postaux des États membres, un service d'intérêt économique général au sens du traité CE. La gestion de ce service est, en vertu de la législation allemande, attribuée à la Deutsche Post.
Aux termes des dispositions de la CPU, les services postaux des États contractants ont notamment le droit, et dans certaines conditions, de frapper les envois de leurs taxes intérieures.
L'attribution à une entité telle que la Deutsche Post du droit de traiter, dans de tels cas, les envois internationaux comme du courrier intérieur crée une situation dans laquelle cette entité peut être amenée, au détriment des utilisateurs des services postaux, à exploiter d'une façon abusive sa position dominante qui résulte du droit exclusif qui lui a été conféré d'acheminer et de distribuer ces envois aux destinataires concernés.
Dans ces conditions, il convient donc d'examiner dans quelle mesure l'exercice d'un tel droit est nécessaire pour permettre à une telle entité d'accomplir sa mission d'intérêt général en vertu des obligations découlant de la CPU et, en particulier, de bénéficier de conditions économiquement acceptables.
L'obligation d'acheminer et de distribuer aux destinataires domiciliés sur le territoire allemand des envois déposés en grande quantité auprès des services postaux d'autres États membres par des expéditeurs domiciliés sur le territoire allemand, sans que soit prévue pour cette entité la possibilité d'obtenir la compensation financière de tous les frais entraînés par cette obligation, serait de nature à mettre en danger l'accomplissement, dans des conditions économiquement équilibrées, de cette mission d'intérêt général.
Le traitement du courrier transfrontière comme du courrier intérieur et, par conséquent, l'imposition des taxes intérieures, doivent être considérés, selon le droit communautaire, comme des mesures justifiées pour l'accomplissement, dans des conditions économiquement équilibrées, de la mission d'intérêt général confiée à la Deutsche Post par la CPU.
En revanche, dans la mesure où une partie des frais d'acheminement et de distribution est compensée par le paiement de frais terminaux par les services postaux d'autres États membres, l'accomplissement des obligations découlant de la CPU par une entité telle que la Deutsche Post ne nécessite pas que les envois déposés en grande quantité auprès desdits services soient frappés des taxes intérieures au taux plein. L'exercice du droit, par une telle entité, de réclamer le montant intégral des taxes intérieures, sans que les expéditeurs n'aient d'autre possibilité que d'acquitter leur montant intégral, peut être considéré comme un abus de position dominante au sens du droit communautaire de la concurrence.
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