REMARQUE IMPORTANTE: Ce communiqué, qui n'engage pas la Cour, est distribué par la Division de la Presse et de l'Information à l'intention de la Presse. Il est disponible dans toutes les langues officielles. Le résumé de l'arrêt qui suit doit être considéré dans le contexte de l'arrêt dans son ensemble. Pour des compléments d'information ou pour obtenir copie de l'arrêt, veuillez contacter Mme Marie-Françoise Contet - tél. (00352) 4303-2497.
La Cour dit pour droit:
" L'article 6, paragraphe 1, troisième tiret, de la décision nº 1/80 du conseil d'association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, doit être interprété en ce sens qu'un travailleur turc, qui a été occupé régulièrement pendant plus de quatre ans sur le territoire d'un État membre, qui décide de plein gré de quitter son emploi pour rechercher dans le même État membre une nouvelle activité et qui n'arrive pas à s'engager immédiatement dans une autre relation de travail, bénéficie dans cet État, pendant un délai raisonnable, d'un droit de séjour aux fins d'y rechercher un nouveau travail salarié, pour autant qu'il continue à appartenir au marché régulier de l'emploi de l'État membre concerné en se conformant, le cas échéant, aux prescriptions de la réglementation en vigueur dans cet État, par exemple en s'inscrivant comme demandeur d'emploi et en se mettant à la disposition des services de l'emploi. Il appartient à l'État membre concerné et, en l'absence de réglementation en ce sens, à la juridiction nationale saisie de fixer un tel délai raisonnable, qui doit cependant suffire pour ne pas compromettre les chances réelles de l'intéressé de trouver un nouvel emploi."
Monsieur Tetik, ressortissant turc, a occupé à compter de septembre 1980 un emploi régulier en tant que marin sur différents navires de mer allemands.
En vue d'exercer cette activité, il a obtenu des autorités allemandes des titres de séjour successifs, toujours à durée déterminée et limités à l'exercice d'un emploi dans la marine. Le dernier titre de séjour était valable jusqu'au 4 août 1988 et mentionnait qu'il expirerait au terme des activités de Monsieur Tetik dans la navigation maritime allemande.
Le 20 juillet 1988, Monsieur Tetik a renoncé volontairement à son emploi de marin.
Il s'est rendu à Berlin le 1er août 1988 où il a sollicité, le même jour, un titre de séjour d'une durée illimitée en vue d'exercer une activité rémunérée à terre. Cette demande a été rejetée par les autorités compétentes du Land de Berlin. La légalité de cette décision a été confirmée par le Verwaltungsgericht et par l'Oberverwaltungsgericht Berlin.
Monsieur Tetik, qui est sans travail depuis l'abandon de son emploi dans la marine allemande, a porté le litige devant le Bundesverwaltungsgericht.
Tout en constatant que le refus de renouvellement du permis de séjour était conforme au droit allemand, cette juridiction s'est demandée si une solution plus favorable à Monsieur Tetik ne pouvait pas découler de la décision nº 1/80 du conseil d'association CEE/Turquie et a invité la
Cour à se prononcer à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 6 de cette décision.
Le 12 septembre 1963 a été signé à Ankara l'Accord créant une association entre la Communauté européenne et la Turquie. Cet accord a été conclu au nom de la Communauté par
la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963.
Conformément à cet accord, "les Parties contractantes conviennent de s'inspirer des articles 48, 49 et 50 du traité instituant la Communauté pour réaliser graduellement la libre circulation des travailleurs entre elles". Le conseil d'association, institué par l'accord, a adopté, le 19 septembre 1980, la décision nº 1/80 relative au développement de l'association CEE - Turquie.
Cette décision n'assure pas entièrement la libre circulation des travailleurs turcs à l'intérieur de la Communauté. En effet, elle n'affecte pas la compétence des États membres de soumettre à
autorisation l'entrée des ressortissants turcs sur leur territoire ainsi que leur admission à un premier emploi, mais elle confère certains droits aux travailleurs turcs dans l'État membre sur le territoire duquel ils sont entrés légalement et ont exercé un emploi régulier pendant une certaine durée. Conformément à l'article 6 de la décision nº 1/80, les travailleurs turcs appartenant déjà au marché régulier de l'emploi d'un État membre y bénéficient ainsi du droit de continuer à exercer un emploi salarié et, après au moins quatre ans d'emploi régulier, de celui du libre accès à toute activité salariée de leur choix.
Selon la jurisprudence constante de la Cour, les droits que l'article 6 de la décision nº 1/80 confèrent au travailleur turc sur le plan de l'emploi impliquent nécessairement l'existence d'un
droit de séjour dans le chef de l'intéressé. Cette disposition a un effet direct dans les États membres, de sorte que le travailleur turc qui satisfait aux conditions de cet article a le droit de s'en prévaloir devant les juridictions nationales.
La Cour constate en premier lieu que la situation visée dans cette affaire est celle d'un travailleur turc qui, en raison de l'exercice d'un emploi régulier pendant près de huit années dans un État membre, bénéficiait du "libre accès à toute activité salariée de son choix" dans cet État membre en vertu de l'article 6, paragraphe 1, troisième tiret, de la décision nº 1/80.
Il ressort ainsi du libellé même de cette disposition que le travailleur turc a non seulement le droit de répondre à une offre d'emploi préexistante, mais également le droit inconditionnel de rechercher et d'accéder à n'importe quelle activité salariée librement choisie par l'intéressé, sans qu'une priorité des travailleurs des États membres puisse lui être opposée.
En second lieu, la Cour rappelle qu'elle a déjà jugé, à propos de la libre circulation des travailleurs ressortissants des États membres, que l'article 48 du traité implique le droit pour ces derniers de séjourner dans un autre État membre aux fins d'y rechercher un emploi et d'y bénéficier d'un délai raisonnable leur permettant de prendre connaissance des offres d'emploi et d'y répondre (arrêt Antonissen).
Or, conformément à l'accord CEE - Turquie, les principes admis dans le cadre des dispositions du traité à propos de la libre circulation des travailleurs ressortissants des États membres doivent inspirer, dans la mesure du possible, le traitement des travailleurs turcs bénéficiant des droits reconnus par la décision nº 1/80.
En conséquence, la Cour estime que l'effet utile de l'article 6 de la décision nº 1/80 implique nécessairement le droit pour le travailleur turc, après au moins quatre années d'emploi régulier
dans un État membre, de quitter son emploi du moment pour des raisons personnelles et de rechercher, pendant un délai raisonnable, un nouvel emploi dans le même État membre, sous peine de vider de sa substance son droit au libre accès à toute activité salariée de son choix au sens de cette disposition. Pendant cette période, l'intéressé dispose d'un droit de séjour.
Il appartient aux autorités nationales ou, en l'absence de réglementation en ce sens, aux juridictions nationales de l'État membre d'accueil de fixer la durée du délai raisonnable pour
permettre à l'intéressé de rechercher un autre emploi. Ce délai doit toutefois être suffisant pour ne pas vider de sa substance le droit reconnu au travailleur turc, en compromettant ses chances d'accéder à une nouvelle activité.
La Cour ajoute qu'un travailleur tel M. Tetik, qui a abandonné de plein gré son travail pour chercher une autre activité dans le même État membre, ne saurait automatiquement être considéré comme ayant quitté définitivement le marché du travail de cet État, s'il ne parvient pas à nouer une nouvelle relation de travail immédiatement après avoir abandonné son emploi antérieur, à condition, cependant, qu'il y continue à appartenir au marché régulier de l'emploi en se soumettant, par exemple, à toutes les formalités requises dans l'État membre en cause pour se mettre à la disposition des services de l'emploi.