Division de la Presse et de l'Information

COMMUNIQUE DE PRESSE N° 05/1997

27 février 1997

Arrêt du Tribunal dans l'affaire T-106/95
Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) e. a. / Commission des Communautés européennes

LES MISSIONS D'INTERET PUBLIC DE LA POSTE - DONT LE MAINTIEN DU SERVICE POSTAL EN MILIEU RURAL - JUSTIFIENT L'AVANTAGE FISCAL ACCORDÉ PAR L'ÉTAT FRANCAIS


Pour des compléments d'information ou pour obtenir copie de l'arrêt, veuillez contacter Mme Marie-Françoise CONTET - tél (00352) 4303-2497.


I - CADRE FACTUEL ET JURIDIQUE

La Poste est chargée d'une mission d'intérêt public définie par l'État français. Elle a pour mission d'assurer le service public du courrier sous toutes ses formes, ainsi que celui du transport et de la distribution de la presse.

La Loi française du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, a élargi la mission de La Poste en lui accordant la possibilité d'offrir des prestations relevant du secteur des assurances.

Cette même loi dispose également que "les bases d'imposition de La Poste [en matière de fiscalité locale] font l'objet d'un abattement égal à 85 % de leur montant, en raison des contraintes de desserte de l'ensemble du territoire national et de participation à l'aménagement du territoire qui s'imposent à cet exploitant".

La FFSA, l' USEA (Union des sociétés d'assurance), le Groupama (Groupe des assurances mutuelles agricoles), le BIPAR (Bureau international des producteurs d'assurances et de réassurances), la FNSAGA (Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurances) et la FCA (Fédération française des courtiers d'assurances et de réassurances) ont déposé auprès de la Commission une plainte relative aux aides accordées, selon eux, à La Poste par la Loi de 1990.

Le 21 février 1995, la Commission a informé le gouvernement français qu'elle avait décidé de ne pas qualifier d'aide d'État (au sens de l'article 92 § 1 du traité) l'avantage fiscal dont La Poste peut bénéficier en matière de fiscalité locale - s'élevant en 1994 à 1,196 milliard de FF -, au motif que le montant de cet avantage fiscal ne va pas au-delà de ce qui est justifié pour assurer l'accomplissement des missions d'intérêt public dont La Poste est investie en tant qu'exploitant public. En effet, cet avantage fiscal a été estimé inférieur aux surcoûts du service public qui sont liés à la présence postale en milieu rural et qui résultent des contraintes de desserte de l'ensemble du territoire national et de la participation à l'aménagement du territoire qui s'imposent à La Poste (évalués à 1,32 milliard de FF en 1994).

C'est dans ces circonstances que les requérants ont introduit le présent recours en annulation de la décision de la Commission du 21 février 1995. Selon eux, La Poste bénéficie d'une aide de l'État français, qui ne serait pas strictement ciblée sur des activités relevant du service public et, ainsi, un transfert de ressources de l'État vers les activités concurrentielles de La Poste (activités en assurances) a lieu, ce qui serait contraire aux règles de la concurrence.

II - APPRÉCIATION DU TRIBUNAL

La portée du litige soumis à l'appréciation du Tribunal se limitait au point de savoir si l'octroi à La Poste de l'abattement en matière de fiscalité locale constitue ou non une aide d'État au sens de l'article 92 § 1, du traité.

En premier lieu, le Tribunal relève qu'il n'est pas contesté que La Poste s'est vu confier la gestion d'un service d'intérêt économique général, au sens de l'article 90 § 2, du traité. En effet, La Poste a pour mission d'assurer le service public du courrier sous toutes ses formes, ainsi que celui du transport et de la distribution de la presse.

Le Tribunal expose ensuite que les contraintes de desserte de l'ensemble du territoire et de la participation à l'aménagement du territoire qui s'imposent à La Poste, notamment l'obligation de maintenir une présence postale et des services publics non rentables en milieux ruraux, doivent être considérées comme des missions particulières qui entraînent des surcoûts. Le Tribunal considère que la Commission, en évaluant le montant des surcoûts du service public, a apprécié justement les faits et n'a pas outrepassé son pouvoir d'appréciation en la matière.

Cependant, le Tribunal relève que l'avantage fiscal dont bénéfice La Poste constitue en principe une aide d'État. Celui-ci, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d'État, place La Poste dans une situation financière plus favorable que d'autres contribuables, dont les sociétés représentées par les requérants.

Or, dans la mesure où l'aide est de nature à affecter les échanges entre les États membres et à fausser la concurrence, elle est, sauf dérogations prévues par le traité, incompatible avec le marché commun.

Toutefois, lorsqu'il s'agit d'aides versées en faveur d'une entreprise chargée de la gestion d'un intérêt économique général, le traité (article 90 § 2) prévoit une telle dérogation.

Pour que cette dérogation à l'application des règles du traité puisse jouer, il ne suffit pas seulement que l'entreprise en cause ait été investie par les pouvoirs publics de la gestion d'un service d'intérêt économique général, mais il faut encore que l'application des règles du traité fasse échec à l'accomplissement de la mission particulière qui a été impartie à cette entreprise sans que l'intérêt de la Communauté n'en soit affecté.

Le Tribunal considère que la jurisprudence de la Cour de justice relative à l'application des articles 85 et 86 (admission de restrictions à la concurrence justifiée pour l'accomplissement de la mission particulière d'intérêt général impartie à une entreprise - arrêt de la Cour du 27 avril 1994, Almélo et du 19 mai 1993, Corbeau) est transposable, mutatis mutandis, dans le domaine des aides d'Etat, de sorte que le versement d'une aide d'Etat est susceptible, en vertu de l'article 90 § 2, du traité, d'échapper à l'interdiction de l'article 92, à condition que l'aide en question ne vise qu'à compenser les surcoûts engendrés par l'accomplissement de la mission particulière incombant à l'entreprise chargée de la gestion d'un service d'intérêt économique général, et que l'octroi de l'aide s'avère nécessaire pour que ladite entreprise puisse assurer ses obligations de service public dans des conditions d'équilibre économique.

Le Tribunal ajoute que l'appréciation quant à la nécessité de l'aide implique une évaluation globale des conditions économiques dans lesquelles l'entreprise en question accomplit les activités relevant du secteur réservé, sans tenir compte des éventuels bénéfices qu'elle peut tirer des secteurs ouverts à la concurrence.

Par ailleurs, les requérants soutenaient que l'absence de comptabilité analytique de La Poste ne permettait pas de s'assurer que l'aide d'État ne contribuait pas à favoriser le secteur des assurances développé par La Poste.

En réponse, le Tribunal indique que, même si à la date de la décision de la Commission, La Poste ne tenait pas de comptabilité analytique permettant de distinguer entre les différents secteurs de son activité, la Commission a néanmoins pu estimer que l'avantage fiscal litigieux n'allait pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l'accomplissement des missions d'intérêt public dont La Poste est investie, à savoir notamment l'obligation de maintenir une présence postale en milieu rural, les surcoûts qui en résultent pouvant être supposés correspondre à des pertes équivalentes pour La Poste.

Le Tribunal examine, en dernier lieu, si la méthode de comparaison, consistant à apprécier le montant de l'aide d'État (soit 1,196 milliard de FF) par rapport au montant des surcoûts de La Poste (soit 1,32 milliard de FF) est appropriée pour s'assurer que l'octroi de l'aide n'entraîne pas de subvention croisée au profit des activités concurrentielles de La Poste.

Sur ce point, le Tribunal considère que, s'agissant d'une aide versée en faveur d'une entreprise chargée de la gestion de services d'intérêt économique général, la possibilité d'une subvention croisée est exclue dans la mesure où le montant de l'aide en question reste inférieur aux surcoûts engendrés par l'accomplissement de la mission particulière impartie à cette entreprise.

En conséquence, le Tribunal rejette le recours.

RAPPEL : un pourvoi, limité aux questions de droit, peut être formé devant la Cour de justice des Communautés européennes, contre cette décision du Tribunal, dans les deux mois à compter de la notification.

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