Division de la Presse et de l'Information

COMMUNIQUE DE PRESSE Nº 21/97

22 avril 1997

Arrêt de la Cour dans l'affaire C-180/95
Demande préjudicielle du Arbeitsgericht Hamburg dans l'affaire Nils Draehmpaehl/Urania Immobilien Service OHG.

Les dispositions allemandes sur la réparation du préjudice subi du fait d'une discrimination fondée sur le sexe lors d'une offre d'emploi sont contraires au droit communautaire.

Les limites d'une réparation d'un préjudice, prévues aux articles 611a et 611b du Code civil allemand (ci-après BGB) ainsi qu'à l'article 61b de la loi allemande sur l'organisation des juridictions du travail (ci-après ArbGG) sont contraires à la directive CEE sur l'égalité de traitement des sexes en ce qui concerne l'accès à l'emploi.


I. Sur les faits

M. Draehmpaehl a posé en novembre 1994 sa candidature à une offre d'emploi de la société Urania publiée dans le quotidien «Hamburger Abendblatt», qui était ainsi libellée :

«Nous recherchons une assistante expérimentée pour notre direction des ventes. Si vous êtes capable de venir à bout des esprits brouillons d'une entreprise axée sur la vente, si vous êtes disposée à leur faire du café, si vous pouvez accepter de recevoir peu de louanges tout en travaillant beaucoup, vous avez votre place chez nous. Chez nous, il faut pouvoir travailler sur son ordinateur et en équipe avec les autres. Si vous voulez vraiment relever ce défi, nous attendons votre dossier de candidature. Mais vous ne direz pas que nous ne vous avions pas prévenue...»

La société Urania n'a pas répondu à la lettre de M. Draehmpaehl et ne lui a pas non plus retourné son dossier de candidature.

Faisant valoir qu'il était le candidat le plus qualifié pour ce poste et qu'il avait subi une discrimination fondée sur le sexe lors du recrutement, M. Draehmpaehl a intenté auprès de l'Arbeitsgericht Hamburg une procédure visant à obtenir réparation du préjudice subi. Dans le cadre d'une procédure parallèle devant une autre chambre de la juridiction de renvoi, un autre candidat masculin a également introduit une demande en réparation contre la société Urania pour des faits analogues.

II. Sur le cadre juridique

M. Draehmpaehl base sa requête sur les articles 611 a et 611 b du BGB. Avec ces dispositions, la directive 76/207 CEE relative à la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail a été transposée en droit allemand.

1. La directive communautaire

La directive a entre autres pour objet, selon son article 1er, entre autres, la mise en oeuvre, dans les États membres, du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi.

A cet effet, l'article 2, paragraphe 1, de la directive dispose que le principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes implique «l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe».

En vertu de l'article 3, paragraphe 1, de la directive, l'application de ce principe implique l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe dans les conditions d'accès, y compris les critères de sélection, aux emplois ou postes de travail.

2. La transposition allemande

Aux termes de l'article 611 a, paragraphe 1, du BGB, "un employeur ne peut désavantager un travailleur en raison de son sexe, dans le cadre d'une convention ou de l'adoption de dispositions, en particulier en ce qui concerne l'établissement d'une relation de travail, ...".

L'article 611 a, paragraphe 2, du BGB dispose que, si un employeur se rend responsable, dans l'établissement d'une relation de travail, d'une violation de l'interdiction de discrimination énoncée au paragraphe 1, le candidat lésé peut demander une indemnisation pécuniaire adéquate dont le montant ne peut dépasser trois mois de salaire.

En vertu de l'article 611 b du BGB, un employeur ne peut en principe offrir un emploi uniquement à des travailleurs de l'un ou l'autre sexe.

Conformément à l'article 61 b, paragraphe 2, de l'ArbGG, si plusieurs personnes désavantagées dans le cadre de l'établissement d'une relation de travail font valoir, par voie juridictionnelle, un droit à une indemnisation en vertu de l'article 611 a, paragraphe 2, du BGB, le montant des indemnités doit être limité, lorsque l'employeur en fait la demande, à six mois de salaire.

III. Sur la demande préjudicielle

Le Tribunal allemand a considéré que le requérant au principal avait fait l'objet d'une discrimination en raison de son sexe de la part de la société Urania, l'offre d'emploi de cette dernière étant formulée d'une manière qui n'était pas neutre et qui était manifestement destinée à s'adresser aux femmes. La société Urania était donc tenue, en principe, d'indemniser le requérant au principal.

Mais le tribunal allemand se trouve confronté aux problèmes suivants :

Ainsi, le Tribunal allemand a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour des questions préjudicielles sur l'interprétation de la directive 76/207 CEE. Les réponses de la Cour qui sont contraignantes ont pour but d'aider l'Arbeitsgericht à trancher l'affaire.

IV. Sur les motifs de l'arrêt de la Cour

1. Sur la question concernant la "faute"

La Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle la directive ne subordonne pas l'engagement de la responsabilité de l'auteur d'une discrimination à la preuve d'une faute ou à l'absence de toute cause d'exonération de la responsabilité.

2. Sur la question du plafond maximal du montant du dédommagement

La Cour aborde alors sa motivation principale : même si la directive n'impose pas aux États membres une sanction déterminée, il n'en demeure pas moins qu'elle leur fait obligation de prendre des mesures qui soient suffisamment efficaces pour atteindre l'objet qu'elle poursuit et de faire en sorte que ces mesures puissent être effectivement invoquées devant les tribunaux nationaux par les personnes concernées.

Par ailleurs, la directive implique que, si un État membre choisit de sanctionner la violation de l'interdiction d'une discrimination par l'octroi d'une indemnité, celle-ci doit :

a) Sur le plafond maximal du montant du dédommagement pour un candidat discriminé

La Cour met au clair qu'un dédommagement de trois mois de salaire au maximum n'impose pas à l'employeur une charge financière considérable, sensible et dissuasive, accordant ainsi à la personne qui a été discriminée un dédommagement appréciable, alors que cette réparation doit être adéquate au préjudice subi.

En outre, les dispositions du droit allemand fixent un plafond de dédommagement spécifique, qui n'est pas prévu par les autres dispositions nationales du droit civil et du droit du travail. En choisissant la solution adéquate pour garantir l'objet de la directive, les États membres doivent appliquer un traitement identique à celui réservé aux violations du droit national d'une nature et d'une importance similaires.

Concernant l'adéquation du dédommagement, celle-ci pourrait tenir compte du fait que, même si la sélection s'était opérée sans discrimination, certains candidats n'auraient pas obtenu le poste à pourvoir, en raison des qualifications supérieures du candidat recruté. De tels candidats, n'ayant subi qu'un préjudice résultant de leur exclusion de la procédure de recrutement, ne peuvent prétendre que l'étendue du préjudice qu'ils ont subi est identique à celle de candidats qui auraient obtenu le poste à pourvoir si la sélection s'était opérée sans discrimination. Ainsi, un Etat membre est autorisé à instituer une présomption légale en vertu de laquelle le préjudice subi par un candidat appartenant à la première catégorie ne peut excéder un plafond de trois mois de salaire.

Il incombe à l'employeur, qui dispose de l'ensemble des dossiers de candidature présentés, de rapporter la preuve que le candidat n'aurait pas obtenu le poste à pourvoir, même en l'absence de toute discrimination.

b) Sur le plafond maximal du montant du dédommagement pour plusieurs candidats discriminés

La Cour précise qu'il est manifeste qu'une disposition telle que l'article 61 b, paragraphe 2, de l'ArbGG, qui fixe a priori un plafond global de six mois de salaire au montant des dédommagements cumulés de l'ensemble des candidats lésés par une discrimination fondée sur le sexe dans le cadre d'un recrutement, lorsque plusieurs candidats prétendent à une indemnisation, peut donner lieu à l'octroi d'indemnités réduites et peut avoir pour conséquence de dissuader les candidats lésés de faire valoir leurs droits. Pareille conséquence ne correspondrait pas à la protection juridique effective et efficace et n'aurait pas l'effet réellement dissuasif à l'égard de l'employeur, conditions exigées par la directive.

En outre, un tel plafonnement des dédommagements cumulés n'est pas prévu par les autres dispositions nationales du droit civil et du droit du travail. Les modalités et les conditions d'un droit à réparation fondé sur le droit communautaire ne doivent pas être moins favorables que celles prévues dans le cadre du régime national comparable.

V. La décision de la Cour

La Cour répond aux questions de l'Arbeitsgericht :

1) Lorsqu'un État membre choisit de sanctionner la violation de l'interdiction de discrimination dans le cadre d'un régime de responsabilité civile, la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, et, en particulier, ses articles 2, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, s'opposent à des dispositions législatives nationales qui subordonnent à la condition d'une faute la réparation du préjudice subi du fait d'une discrimination fondée sur le sexe lors d'un recrutement.

2) La directive 76/207 ne s'oppose pas à des dispositions législatives nationales qui fixent a priori un plafond maximal de trois mois de salaire au montant du dédommagement auquel peut prétendre un candidat lorsque l'employeur peut prouver que, en raison de la supériorité de la qualification du candicat recruté, il n'aurait pas obtenu le poste à pourvoir, même si la sélection s'était opérée sans discrimination. En revanche, la directive s'oppose à des dispositions législatives nationales qui, à la différence des autres dispositions nationales du droit civil et du droit du travail, fixent a priori un plafond maximal de trois mois de salaire au montant du dédommagement auquel un candidat qui a été discriminé en raison du sexe lors d'un recrutement peut prétendre, dans le cas où ce candidat aurait obtenu le poste à pourvoir si la sélection s'était opérée sans discrimination.

3) La directive 76/97 s'oppose à des dispositions législatives nationales qui, à la différence des autres dispositions nationales du droit civil et du droit du travail, fixent a priori un plafond global de six mois de salaire au montant des dédommagements cumulés auxquels des candidats qui ont été discriminés en raison du sexe lors d'un recrutement peuvent prétendre, lorsque plusieurs candidats prétendent à une indemnisation.

Exclusivement à l'usage des médias - Document non officiel qui n'engage pas la Cour, disponible en langues allemande et française.

Pour des compléments d'informations ou pour obtenir copie de l'arrêt, veuillez contacter Mme Marie-Françoise Contet au (352) 4303 2497.