La Cour se prononce sur sa compétence pour répondre à des questions dans une affaire préjudicielle concernant les suites d'une violation de la Convention européenne des droits de l'homme commise par un tribunal national dans le cadre d'une procédure pénale et constatée dans un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (Strasbourg)
En décembre 1982, M. Kremzow, magistrat autrichien retraité, a avoué le meurtre en Autriche d'un avocat, avant de se rétracter.
Par un arrêt du 8 décembre 1984, la cour d'assises près le Kreisgericht Korneuburg a déclaré M. Kremzow coupable de meurtre et de détention illégale d'arme à feu. Elle lui a en conséquence infligé une peine d'emprisonnement de 20 ans et a ordonné son placement dans un établissement pour délinquants atteints de troubles mentaux.
A la suite d'une audience qui s'est tenue en l'absence de l'accusé, sa comparution n'ayant été ni sollicitée ni ordonnée d'office, l'Oberster Gerichtshof, statuant en appel, a, par un arrêt du 2 juillet 1986, confirmé la décision de la cour d'assises en ce qui concerne la culpabilité, mais a condamné M. Kremzow à la réclusion criminelle à perpétuité et a annulé la décision de le placer dans un hôpital psychiatrique.
La Cour européenne des droits de l'homme siège à Strasbourg et controle le respect de la Convention européenne des droits de l'homme par les états qui l'ont ratifiée. Parmi ces états figure la République d'Autriche.
La Cour européenne des droits de l'homme, ayant été saisie de l'affaire, a jugé, par arrêt du 21 septembre 1993, que, vu la gravité de l'enjeu de l'audience consacrée aux appels contre la peine, M. Kremzow aurait dû pouvoir se défendre lui-même" devant l'Oberster Gerichtshof, comme le prévoit l'article 6, paragraphe 3, sous c), de la Convention des droits de l'homme, et ce malgré l'absence de demande en ce sens. La Cour européenne des droits de l'homme a, par conséquent, considéré que l'article 6 de ladite convention avait été violé et a accordé à M. Kremzow 230 000 ÖS pour frais et dépens.
A la suite de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, M. Kremzow a entamé différentes procédures devant les juridictions autrichiennes tendant notamment, au versement, sur le fondement de l'article 5, paragraphe 5, de la convention, d'une somme de 3 969 058,65 ÖS en réparation du préjudice subi pour détention irrégulière durant la période comprise entre le 3 juillet 1986 et le 30 septembre 1993, date du prononcé de l'arrêt précité de la Cour européenne des droits de l'homme.
L'Oberster Gerichtshof, saisi actuellement, observe qu'il est en l'occurrence amené à apprécier le droit fondamental à la liberté individuelle, consacré aussi dans la Convention européenne des droits de l'homme, ainsi que les sanctions civiles attachées à la violation de ce droit; ce droit est le fondement et la condition d'un exercice paisible de toutes les autres libertés, en particulier de la libre circulation des personnes et de la liberté d'exercer une profession selon le droit CE (droit communautaire). La juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de demander à la Cour de justice des Communautés européennes de se prononcer, à titre préjudiciel, sur certaines questions.
Cette Cour siège à Luxembourg et assure le respect du droit dans l'interprétation et l'application des traités des Communautés européennes. Parmi les Etats membres figure la République d'Autriche.
Par la première question, le tribunal autrichien voudrait savoir, si la Convention européenne des droits de l'homme fait partie intégrante du droit communautaire, de sorte que la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur leur interprétation. Les autres questions concernent la portée de differentes dispositions de la Convention des droits de l'homme.
La Cour examine d'abord sa compétence pour répondre à ces questions préjudicielles.
Selon M. Kremzow, la compétence de la Cour pour répondre aux questions préjudicielles résulte notamment de la circonstance qu'il est citoyen de l'Union européenne et que, à ce titre, il bénéficie du droit à la liberté de circulation des personnes, qui est énoncé à l'article 8 A du traité CE. Dès lors que tout citoyen peut circuler librement sur le territoire des États membres sans but de séjour précis, l'État qui porte atteinte à ce droit fondamental garanti par le droit communautaire, en exécutant une peine d'emprisonnement illégale, doit être tenu à réparation en vertu du droit communautaire.
La Cour rappelle d'abord que les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect. A cet effet, la Cour s'inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. La convention européenne des droits de l'homme revêt, à cet égard, une signification particulière. Il en découle que ne sauraient être admises dans la Communauté des mesures incompatibles avec le respect des droits de l'homme ainsi reconnus et garantis.
Lorsqu'une réglementation nationale entre dans le champ d'application du droit communautaire, la Cour, saisie à titre préjudiciel, doit fournir tous les éléments d'interprétation nécessaires à l'appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec les droits fondamentaux dont elle assure le respect, tels qu'ils résultent en particulier de la convention. En revanche, la Cour n'a pas cette compétence à l'égard d'une réglementation qui ne se situe pas dans le cadre du droit communautaire.
En l'espèce, la Cour constate que le demandeur au principal est un ressortissant autrichien dont la situation ne présente aucun élément de rattachement à l'une quelconque des situations envisagées par les dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes. En effet, si toute privation de liberté est de nature à entraver l'exercice par l'intéressé de son droit à la libre circulation, il ressort toutefois de la jurisprudence de la Cour que la perspective purement hypothétique d'un tel exercice ne constitue pas un lien suffisant avec le droit communautaire pour justifier l'application des dispositions communautaires. Par ailleurs, M. Kremzow a été condamné pour meurtre et détention illégale d'arme à feu en vertu de dispositions de droit national qui n'étaient pas destinées à assurer le respect de règles de droit communautaire.
Il s'ensuit que la réglementation nationale applicable en l'espèce au principal concerne une situation qui ne relève pas du champ d'application du droit communautaire, de sorte que la Cour n'est pas compétente pour répondre aux questions préjudicielles.
La Cour répond au tribunal autrichien:
La Cour, saisie à titre préjudiciel, ne peut pas fournir les éléments d'interprétation nécessaires à l'appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité d'une réglementation nationale avec les droits fondamentaux dont elle assure le respect, tels qu'ils résultent en particulier de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que ladite réglementation concerne une situation qui ne relève pas du champ d'application du droit communautaire.
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