Le Tribunal autrichien doit décider s'il faut interdire aux journaux allemands vendus en Autriche de contenir des jeux dotés de prix
Heinrich Bauer Verlag, éditeur de journaux établi en Allemagne, y édite l'hebdomadaire "Laura" qu'il distribue également en Autriche. Le numéro du 22 février 1995 comportait un mot croisé. Les lecteurs qui renvoyaient la bonne solution pouvaient participer à une loterie dotée de deux prix de 500 DM. Le même numéro contenait deux autres énigmes, dotées l'une d'un lot de 1 000 DM et l'autre d'un lot de 5 000 DM, qui seraient également attribués au sort parmi les personnes ayant fourni les réponses attendues. Les numéros suivants proposaient des jeux comparables. Chaque édition indiquait que de nouvelles énigmes figureraient dans le numéro suivant.
La loi autrichienne sur la concurrence déloyale (ci-après l'UWG) interdit pour les éditeurs de périodiques de proposer au lecteur de participer à une loterie (article 9bis, paragraphe 2 point 8 de l'UWG autrichien). Le droit allemand de la concurrence déloyale ne contient pas pour sa part de disposition analogue. Vereinigte Familiapress Zeitungs- und vertriebs GmbH, éditeur de presse autrichien, a introduit une requête devant le Handelsgericht Wien afin que Bauer Verlag se voit ordonner de cesser la vente de sa publication sur le territoire autrichien.
Le Handelsgericht Wien a estimé que l'interdiction autrichienne était de nature à affecter le commerce intracommunautaire. Aussi a-t-il sursis à statuer pour poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
L'article 30 du traité CE doit-il être interprété en ce sens qu'il fait obstacle à l'application de la législation d'un État membre A qui interdit à une entreprise établie dans l'État membre B de distribuer également dans l'État membre A le périodique qu'elle produit chez elle s'il comporte des énigmes dotées d'un prix ou des concours qui sont licitement organisés dans l'État membre B?"
Un des principes fondamentaux de la Communauté Européenne est la libre circulation des marchandises prévu à l'art. 30 du Traité CE qui dispose: "Les restrictions quantitatives à l'importation, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent sont interdites entre les Etats membres ...". Cependant selon la jurisprudence de la Cour des CE une "exigence impérative dans l'intérêt commun" peut justifier une telle restriction de la libre circulation.
Le gouvernement autrichien et la Commission soutiennent que la législation nationale en cause a pour objet de maintenir le pluralisme de la presse, lequel serait susceptible de constituer une exigence impérative au titre de l'article 30 du traité. Ils exposent à cet égard que, peu après que la loi de déréglementation de la concurrence, entrée en vigueur en Autriche en 1992, eut notamment libéralisé l'organisation des concours, les éditeurs de presse ont commencé à se livrer une concurrence agressive, en octroyant des primes toujours plus importantes, en particulier sous la forme de possibilités de participation à des jeux dotés de prix. De peur que les petits éditeurs ne puissent supporter à terme cette concurrence ruineuse, le législateur autrichien aurait, en 1993, interdit pour les journaux l'organisation de concours et de loteries. En raison du prix de vente relativement bas des périodiques, plus particulièrement des quotidiens, il existait un risque, que le consommateur accorde plus d'importance à la possibilité de gain qu'à la qualité de la publication. Le gouvernement autrichien et la Commission soulignent également le niveau de concentration très élevé de la presse imprimée autrichienne. Au début des années 90, la part de marché du plus grand groupe de presse était de 54,5 % en Autriche, alors qu'elle n'était que de 34,7 % au Royaume-Uni et de 23,9 % en Allemagne.
La Cour relève que le maintien du pluralisme de la presse est susceptible de constituer une exigence impérative justifiant une restriction à la libre circulation des marchandises. En effet, ce pluralisme contribue à la sauvegarde de la liberté d'expression, telle qu'elle est protégée par l'article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, laquelle liberté figure parmi les droits fondamentaux garantis par l'ordre juridique communautaire. Or, l'interdiction de vendre des publications qui offrent la possibilité de participer à des jeux dotés de prix est de nature à porter atteinte à la liberté d'expression.
La Cour rappelle que l'entrave de la libre circulation ne peut être justifiée que si la disposition nationale en cause
Il convient dès lors de vérifier si une interdiction nationale telle que celle en cause dans le litige au principal est proportionnée au maintien du pluralisme de la presse et si cet objectif ne peut pas être atteint par des mesures moins restrictives tant pour les échanges intracommunautaires que pour la liberté d'expression. A cette fin, il importe de déterminer, d'une part, si les journaux qui offrent, au travers de jeux, d'énigmes ou de concours, la possibilité de gagner un prix sont en concurrence avec les petites entreprises de presse, supposées être dans l'incapacité d'offrir des primes comparables et que la législation litigieuse a pour objet de protéger, et, d'autre part, si une telle perspective de gain constitue une incitation à l'achat susceptible de provoquer un déplacement de la demande.
C'est à la juridiction nationale qu'il incombe d'apprécier si ces conditions sont remplies sur la base d'un examen du marché autrichien de la presse.
Dans le cadre de cet examen, elle veillera à délimiter le marché du produit en cause et à prendre en considération les parts de marché détenues par chaque éditeur ou groupe de presse et leur évolution. De plus, en fonction de tous les éléments susceptibles d'influencer la décision d'achat, tels que la présence ou non d'une publicité en première page soulignant la possibilité de gagner un prix, la probabilité du gain, le montant du prix, la liaison ou non du gain à la réussite d'une épreuve requérant un certain degré d'ingéniosité, d'adresse ou de connaissances, la juridiction nationale mesurera également le degré de substitution possible aux yeux du consommateur du produit concerné aux journaux qui n'offrent pas la possibilité de gagner un prix.
La Cour répond au tribunal autrichien:
L'article 30 du traité CE doit être interprété en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à l'application de la législation d'un État membre qui a pour effet d'interdire sur son territoire la distribution, par une entreprise établie dans un autre État membre, d'un périodique produit dans ce dernier État s'il comporte des énigmes dotées d'un prix ou des concours, lesquels sont licitement organisés dans ce dernier État, pourvu que cette interdiction soit proportionnée au maintien du pluralisme de la presse et que cet objectif ne puisse pas être atteint par des mesures moins restrictives.
Pour que ces conditions soient satisfaites, il faut, notamment, que les journaux qui offrent, au travers de jeux, d'énigmes ou de concours, la possibilité de gagner un prix soient en concurrence avec les petites entreprises de presse, supposées être dans l'incapacité d'offrir des primes comparables et qu'une telle perspective de gain soit susceptible de provoquer un déplacement de la demande.
En outre, l'interdiction nationale ne doit pas faire obstacle à la commercialisation des journaux qui, tout en contenant des jeux, des énigmes ou des concours dotés de primes, n'ouvrent pas aux lecteurs résidant dans l'État membre concerné la possibilité de gagner un prix.
Il incombe à la juridiction nationale d'apprécier si ces conditions sont remplies sur la base d'un examen du marché national concerné de la presse.
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