L'affaire a pour origine un litige entre un producteur de spécialités pharmaceutiques (SKF) et un producteur de médicaments génériques (Generics). Afin de pouvoir mettre leur produit sur le marché le plus rapidement possible après l'expiration du brevet relatif à une spécialité, les fabricants de produits génériques procèdent, en effet, souvent aux actes préparatoires pendant la durée de validité du brevet.
En l'espèce, à la suite d'une demande introduite le 4 septembre 1973, SKF a obtenu, le 19 juin 1991, un brevet néerlandais pour un procédé de fabrication relatif à une préparation pharmaceutique (la cimetidine) qu'elle a mise sur le marché néerlandais sous la marque "Tagamet". Ce brevet est arrivé à expiration le 4 septembre 1993.
Le 22 octobre 1987 et le 10 octobre 1989, une société nommée Genfarma BV a introduit auprès du collège d'agrément des médicaments aux Pays-Bas des demandes d'enregistrement de certains comprimés de cimetidine assorties d'échantillons de ces préparations. Les enregistrements ont été obtenus le 18 décembre 1990 et le 17 décembre 1992.
Genfarma a cédé ces enregistrements à Generics le 21 juin 1993.
SKF a assigné Generics en référé devant le président du tribunal de La Haye. D'après SKF, la remise des échantillons des préparations de cimetidine avait été effectuée en violation de brevet tel que protégé par la Loi néerlandaise sur les brevets d'invention (Rijksoctrooiwet de 1910). Estimant que Generics n'aurait pu demander les enregistrements qu'après le 4 septembre 1993, date d'expiration du brevet, et que compte tenu de la durée effective moyenne de la procédure d'enregistrement aux Pays-Bas, elle ne les aurait obtenus que quatorze mois plus tard, SKF a demandé qu'il soit interdit à Generics d'offrir ou de livrer de la cimetidine sur le marché néerlandais avant le 5 novembre 1994.
Le juge des référés a fait droit à cette demande. La cour d'appel de la Haye a confirmé cette décision.
Le Hoge Raad, saisi d'un recours en cassation a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice.
Le litige porte sur le point de savoir si certains actes accomplis en vue de l'enregistrement d'un médicament constituent une infraction au droit exclusif du titulaire du brevet, et si oui, quels actes. En effet, si un acte relatif à l'enregistrement d'un médicament générique ne peut être accompli qu'après l'expiration du brevet relatif à la spécialité, la durée de protection de ce brevet se trouvera prolongée de la durée nécessaire pour mener à bien la procédure d'enregistrement. Les questions préjudicielles visent donc essentiellement à savoir si le droit national, qui comporte une conséquence de cette nature, est conforme aux articles 30 et 36 du traité CE. Sont donc au centre de l'affaire: l'étendue du droit pendant la durée de validité du brevet et la durée de la protection, dans la mesure où celle-ci est prolongée après l'expiration du brevet.
La Cour relève que la disposition de la loi néerlandaise qui permet au titulaire d'un brevet relatif à un procédé de fabrication d'un médicament de s'opposer, pendant la durée du brevet, à ce qu'un tiers remette des échantillons d'un médicament fabriqués selon ce même procédé à l'autorité compétente pour la délivrance des autorisations de mise sur le marché constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité.
En effet, aucun concurrent ne pourra obtenir une autorisation de mise sur le marché pour les médicaments produits selon un procédé breveté avant que ne soit écoulé, postérieurement à l'expiration du brevet, le délai d'attente faisant suite à l'introduction d'une demande d'une telle autorisation.
Ainsi, l'importation du médicament générique en provenance d'un Etat où ce médicament circule librement ne peut avoir lieu immédiatement après l'expiration du brevet. La loi néerlandaise a donc ainsi pour effet de différer la mise sur le marché de médicaments génériques fabriqués dans un autre Etat membre.
Cependant la Cour ajoute que cette disposition de la loi néerlandaise est justifiée au regard de l'article 36 du traité.
En effet, sur la base de cet article sont autorisées les restrictions à la libre circulation des marchandises qui sont nécessaires à la protection de l'objet spécifique du droit de propriété intellectuelle concerné, lequel en matière de brevets, comprend notamment l'attribution, au titulaire, du monopole de la première exploitation de son produit.
Ainsi, la faculté, pour le titulaire d'un brevet relatif à un procédé de fabrication d'un médicament, de s'opposer à ce qu'un tiers utilise, en vue d'obtenir une autorisation de mise sur le marché, des échantillons d'un médicament fabriqués selon ledit procédé relève de l'objet spécifique du droit de brevet pour autant que ces échantillons ont été élaborés sans le consentement direct ou indirect du titulaire du brevet.
Si le fabricant de produits génériques a, en violation du droit des brevets d'un Etat membre, remis des échantillons du médicament fabriqués selon le procédé breveté et obtenu l'autorisation de mise sur le marché, la Cour constate que le fait, pour une juridiction nationale d'interdire à l'auteur de la violation de mettre sur le marché un tel médicament pendant une période déterminée après l'expiration du brevet constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative, pouvant être justifiée au regard de l'article 36 du traité.
En effet, un tel moratoire, dans la mesure où il permet de placer le fabricant de génériques dans la situation où il aurait dû se trouver s'il n'avait pas commis d'infraction au droit du brevet, vise à éviter que celui-ci ne tire un profit injuste de la violation du brevet. Un tel moratoire ne saurait être considéré comme une forme de réparation disproportionnée.
La Cour rappelle que le moratoire de quatorze mois, prévu en l'espèce, correspond à la durée moyenne effective de la procédure d'enregistrement aux Pays-Bas. Le respect de ce délai permet donc de placer le titulaire du brevet dans la situation qui aurait été en principe la sienne si ses droits avaient été respectés.
Cependant, ce délai dépasse le délai maximal autorisé par les directives 65/65/CEE du Conseil du 26 janvier 1965 et 75/319/CEE du Conseil du 20 mai 1975 relatives aux spécialités pharmaceutiques.
Néanmoins, la Cour estime qu'une telle circonstance ne saurait être utilement invoquée par un contrefacteur à l'encontre du titulaire du brevet afin d'obtenir un délai d'interdiction plus court. En effet, admettre le contraire reviendrait, en l'occurrence, à accepter le risque de privilégier l'auteur de la violation plutôt que la victime de celle-ci.
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