Statuant pour la première fois sur une affaire concernant une entreprise commune, le Tribunal, applique pour la première fois également la directive du Conseil relative au développement des chemins de fer communautaires. Il considère que l'appréciation par la Commission de la définition du marché pertinent ainsi que son appréciation des effets prétendument restrictifs des accords concernés sur la concurrence étaient erronés à plusieurs égards et, partant, que sa décision doit être annulée pour insuffisance de motivation.
La société requérante, agissant au nom des entreprises ferroviaires British Rail (BR), Deutsche Bundesbahn (DB), Nederlandse Spoorwegen (NS) et la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) avait introduit une demande d'exemption de l'application des règles de la concurrence aux accords passés entre ces sociétés et relatifs au transport ferroviaire de voyageurs par le tunnel sous la Manche.
Le premier des accords notifiés à la Commission portait création de la Société ENS par les quatre entreprises ferroviaires, BR, la SNCF, la DB et les NS, cette société ayant pour objet de fournir et d'exploiter des services de transport ferroviaire de nuit pour le transport de voyageurs entre la Grande-Bretagne et des destinations continentales par le tunnel sous la Manche. Les autres accords notifiés concernaient des accords d'exploitation entre ENS et les entreprises ferroviaires en vertu desquels celles-ci convenaient de fournir à ENS certains services dont la traction ferroviaire sur son réseau, notamment une locomotive, son équipage et un sillon horaire.
Aux fins de l'exploitation des services de transport de nuit de voyageurs les entreprises ferroviaires concernées ont acquis, par l'intermédiaire d'ENS, au moyen de contrats de crédit-bail à long terme, d'une durée initialement de vingt ans, du matériel roulant spécialisé pouvant circuler sur les différents réseaux ferroviaires et sur le trajet du tunnel sous la Manche. Le coût global de ce matériel était de 136,7 millions d'UKL, porté en janvier 1996 à 158 millions d'UKL.
Par sa décision la Commission avait octroyé une exemption de l'application des règles de la concurrence à ces accords pour la période allant du 29 janvier 1993 au 31 décembre 2002. Cette exemption était néanmoins assortie de la condition que les entreprises ferroviaires concernées fournissent en tant que de besoin à tout autre "regroupement international" d'entreprise ferroviaire ou à tout "opérateur de transport" souhaitant exploiter des trains de nuit de passagers empruntant le tunnel sous la Manche les services ferroviaires indispensables que celles-ci s'étaient engagées à fournir à ENS. Ces services devaient être fournis dans les mêmes conditions techniques et financières que celles accordées à ENS.
Les requérantes ont demandé l'annulation de cette décision, contestant l'analyse de la Commission et la condition imposée ainsi que l'insuffisance de la durée de l'exemption accordée.
Le Tribunal a constaté qu'il n'était pas contesté que le marché géographique des services en cause devait être limité aux quatre lignes que ENS proposait effectivement de desservir (destinations continentales) et que la question se posait, dès lors, de savoir si la Commission a bien évalué les parts de marché d'ENS pour conclure que les accords exercaient un effet sensible sur le commerce entre les États membres. A cet égard le Tribunal a relevé que la décision attaquée ne contenait aucune référence aux parts de marché d'ENS ni aux parts de marché des autres opérateurs concurrents. En outre, en l'absence d'une analyse circonstanciée du contexte économique et juridique des marchés pertinents, tel qu'exposé dans la notification des parties, le seul fait que les parts de marché estimées d'ENS se situaient à la limite du seuil critique de 5%, ne pouvait justifier l'application automatique l'interdiction des accords entre entreprises prévue par le Traité, ce qui a amené le Tribunal à conclure que la décision attaquée ne contient pas une motivation lui permettant de se prononcer sur les parts détenues par ENS sur les divers marchés pertinents et, partant, sur l'effet sensible ou non des accords ENS sur le commerce entre les États membres.
Le Tribunal a ensuite examiné la question de savoir si ENS exerçait ses activités de transport de passagers international en tant que "regroupement international" conformément à ce que prévoit la directive no 91/440 ou, ainsi que l'avait conclu la Commission, en tant qu'"opérateur de transport", soumis de ce fait aux règles de concurrence du Traité. Le Tribunal a estimé que la Commission avait interprété la notion de "regroupement international" de façon restrictive, en transposant la notion d'"opérateur de transport" du marché du transport combiné des marchandises au marché de transport des passagers, alors qu'il s'agissait d'une notion étrangère aux réalités du fonctionnement de celui-ci.
Au regard des conditions auxquelles l'octroi de l'exemption était soumis, le Tribunal, se référant à la jurisprudence concernant la prohibition d'un abus d'une position dominante a jugé qu'une entreprise ne saurait être considérée comme étant en possession d'infrastructures, de produits ou de services "indispensables" ou "essentiels" pour l'accès au marché pertinent que si, d'une part, ces infrastructures, produits ou services ne sont pas interchangeables et si, d'autre part, en raison de leurs caractéristiques particulières et notamment du coût prohibitif de leur reproduction et ou du temps raisonnable requis à cette fin, il n'existe pas d'alternative viable pour les concurrents potentiels de l'entreprise commune, qui se trouveraient de ce fait exclus du marché.
Enfin le Tribunal a accepté les arguments des requérants tirés du caractère insuffisant de la durée de l'exemption accordée. A cet égard il a relevé que la décision ne contient pas une évaluation circonstanciée de la période requise pour rentabiliser les investissements en cause dans les conditions de sécurité juridique et que, également à cet égard, la décision était entachée d'un défaut de motivation.
N.B. : un pourvoi, limité aux questions de droit, peut être formé devant la Cour de justice des Communautés européennes, contre cette décision du Tribunal, dans les deux mois à compter de la notification.
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