Language of document : ECLI:EU:T:2014:160

Affaires T‑56/09 et T‑73/09

Saint-Gobain Glass France SA e.a.

contre

Commission européenne

« Concurrence – Ententes – Marché européen du verre automobile – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Accords de partage de marchés et échanges d’informations commercialement sensibles – Règlement (CE) nº 1/2003 – Exception d’illégalité – Amendes – Application rétroactive des lignes directrices pour le calcul du montant des amendes de 2006 – Valeur des ventes – Récidive – Montant additionnel – Imputabilité du comportement infractionnel – Plafond de l’amende – Chiffre d’affaires consolidé du groupe »

Sommaire – Arrêt du Tribunal (deuxième chambre) du 27 mars 2014

1.      Droit de l’Union européenne – Principes – Droits fondamentaux – Respect assuré par le juge de l’Union – Droit de toute personne à un procès équitable – Consécration par la convention européenne des droits de l’homme – Consécration par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Procédures administrative et juridictionnelle en matière de concurrence – Applicabilité – Portée

(Art. 81 CE, 82 CE et 230 CE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47, al. 2 ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 5)

2.      Droit de l’Union européenne – Principes – Droit à une protection juridictionnelle effective – Consécration par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Contrôle juridictionnel des décisions adoptées par la Commission en matière de concurrence – Contrôle de légalité et de pleine juridiction, tant de droit que de fait – Violation – Absence

(Art. 81 CE, 82 CE et 230 CE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47, al. 2 ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 31)

3.      Droit de l’Union européenne – Principes – Droits fondamentaux – Présomption d’innocence – Procédure en matière de concurrence – Applicabilité – Portée – Exécution de sanctions non définitives – Admissibilité

(Art. 81, § 1, CE ; art. 6, § 2, TUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 48, § 1 ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 2 ; règlement de la Commission nº 773/2004)

4.      Concurrence – Procédure administrative – Communication des griefs – Contenu nécessaire – Respect des droits de la défense – Indication des critères de calcul de l’amende envisagée – Indication prématurée – Absence d’obligation d’indiquer un changement éventuel de politique concernant le niveau du montant des amendes

(Art. 81 CE et 82 CE ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 27)

5.      Concurrence – Amendes – Décision infligeant des amendes – Obligation de motivation – Portée – Indication des éléments d’appréciation ayant permis à la Commission de mesurer la gravité et la durée de l’infraction – Indication suffisante – Obligation de la Commission d’indiquer les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul des amendes – Absence

(Art. 81 CE, 82 CE et 253 CE ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2)

6.      Concurrence – Règles de l’Union – Infractions – Imputation – Société mère et filiales – Unité économique – Critères d’appréciation – Présomption d’une influence déterminante exercée par la société mère sur les filiales détenues à 100 % par celle-ci – Caractère réfragable – Éléments de nature à renverser cette présomption – Filiale détenue par une société holding – Circonstance ne suffisant pas à renverser ladite présomption

(Art. 81 CE et 82 CE ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2)

7.      Concurrence – Règles de l’Union – Infractions – Imputation – Société mère et filiales – Unité économique – Critères d’appréciation – Présomption d’une influence déterminante exercée par la société mère sur les filiales détenues à 100 % par celle-ci – Caractère réfragable – Prise en compte dans le respect des principes de présomption d’innocence, de personnalité des peines, de la sécurité juridique et d’égalité des armes

(Art. 81 CE et 82 CE ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2)

8.      Concurrence – Règles de l’Union – Infractions – Imputation – Société mère et filiales – Unité économique – Critères d’appréciation – Présomption d’une influence déterminante exercée par la société mère sur les filiales détenues à 100 % par celle-ci – Obligations probatoires de la société désirant renverser cette présomption – Caractère réfragable

(Art. 81 CE et 82 CE ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2)

9.      Droit de l’Union européenne – Principes – Non-rétroactivité des dispositions pénales – Champ d’application – Amendes infligées à raison d’une violation des règles de concurrence – Inclusion – Violation en raison de l’application des lignes directrices pour le calcul des amendes s’agissant d’une infraction antérieure à leur introduction – Absence

(Art. 81 CE et 82 CE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 49 ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2 et 3 ; communications de la Commission 98/C 9/03 et 2006/C 210/02)

10.    Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Application des lignes directrices pour le calcul des amendes – Violation du principe de non-rétroactivité – Absence – Violation du principe de la confiance légitime – Absence

(Art. 81 CE et 82 CE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 49 ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2 et 3 ; communications de la Commission 98/C 9/03 et 2006/C 210/02)

11.    Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité de l’infraction – Circonstances aggravantes – Récidive – Infractions similaires commises successivement par des entreprises appartenant à la même unité économique – Inclusion – Conditions – Charge de la preuve incombant à la Commission

(Art. 81, § 1, CE et 82 CE ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, point 28, 1er tiret)

12.    Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité de l’infraction – Circonstances aggravantes – Récidive – Notion – Entreprise n’ayant pas été sanctionnée par une décision antérieure de la Commission ni été destinataire d’une communication des griefs – Exclusion

(Art. 81, § 1, CE ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, point 28, 1er tiret)

13.    Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité de l’infraction – Circonstances aggravantes – Récidive – Notion – Absence de délai de prescription – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Principe de proportionnalité – Prise en compte du temps écoulé depuis l’infraction antérieure

(Art. 81, § 1, CE ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, point 28, 1er tiret)

14.    Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité de l’infraction – Fixation de l’amende proportionnellement aux éléments d’appréciation de la gravité de l’infraction – Amende dépassant le montant du bénéfice tiré de l’entente – Absence d’incidence

(Art. 81 CE et 82 CE ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2 ; communication de la Commission 2006/C 210/02)

15.    Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité de l’infraction – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Appréciation selon la nature de l’infraction – Infractions très graves – Nécessité de déterminer leur impact et leur étendue géographique – Absence

(Art. 81, § 1, CE ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, points 21 et 23)

16.    Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Caractère dissuasif – Exigence générale devant guider la Commission tout le long du calcul des amendes – Étape spécifique destinée à une évaluation globale de toutes circonstances pertinentes non impérative

(Art. 81 CE et 82 CE ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2 et 3 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, points 19 à 26)

17.    Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Obligation de prendre en considération la situation financière de l’entreprise concernée – Absence – Obligation de prendre en considération une crise économique exceptionnelle – Absence

(Art. 81 CE et 82 CE ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2 et 3 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, point 35)

18.    Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Réduction du montant de l’amende en contrepartie d’une coopération de l’entreprise incriminée – Conditions – Introduction d’une demande de clémence – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Prise en compte de la non-contestation des faits par l’entreprise concernée – Limites

(Art. 81 CE et 82 CE ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23 ; communication de la Commission 2002/C 45/03, points 20 à 25)

19.    Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité de l’infraction – Circonstances atténuantes – Coopération de l’entreprise incriminée en dehors du champ d’application de la communication sur la clémence – Critères d’appréciation – Prise en compte de la non-contestation des faits par l’entreprise concernée – Limites

(Art. 81 CE et 82 CE ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2 et 3 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, point 29)

20.    Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Montant maximal – Calcul – Chiffre d’affaires à prendre en considération – Chiffre d’affaires cumulé de l’ensemble des sociétés constituant l’entité économique agissant en tant qu’entreprise – Groupe d’entreprises actif dans plusieurs secteurs industriels – Décision de la Commission ne concernant qu’un seul de ces secteurs – Absence d’incidence

(Art. 81 CE et 82 CE ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2)

21.    Concurrence – Amendes – Montant – Exercice par le Tribunal de sa compétence de pleine juridiction – Majoration d’une amende pour cause de récidive – Erreur de droit quant aux auteurs de la récidive – Réduction de la majoration

(Art. 81, § 1, CE ; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2, et 31)

22.    Droit de l’Union européenne – Principes – Droits fondamentaux – Droit à un procès équitable – Respect d’un délai raisonnable – Procédures administrative et juridictionnelle en matière de droit de la concurrence – Applicabilité

(Art. 81 CE et 82 CE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41, § 1, et 47, al. 2)

23.    Procédure juridictionnelle – Durée de la procédure devant le Tribunal – Délai raisonnable – Litige portant sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence – Non-respect du délai raisonnable – Conséquences – Recours en indemnité – Autonomie par rapport au recours en annulation

(Art. 81 CE et 82 CE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47, al. 2)

24.    Droit de l’Union européenne – Principes – Droits fondamentaux – Respect assuré par le juge de l’Union – Prise en considération de la convention européenne des droits de l’homme – Droit de toute personne à un procès équitable – Formation du Tribunal invitée à se prononcer sur un retard injustifié accompli par elle-même – Absence d’impartialité – Irrecevabilité du moyen

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47, al. 2)

1.      Le droit à un procès équitable, garanti à l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l’homme (CEDH), constitue un principe général de droit de l’Union, désormais inscrit à l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Par ailleurs, en matière de droit de la concurrence de l’Union, la Commission n’est pas un « tribunal » au sens de l’article 6 de la CEDH ni au sens de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux. En outre, l’article 23, paragraphe 5, du règlement nº 1/2003 dispose expressément que les décisions de la Commission infligeant des amendes pour violation du droit de la concurrence n’ont pas un caractère pénal.

Cependant, eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, le droit à un procès équitable s’applique aux procédures relatives à des violations des règles de la concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir au prononcé d’amendes ou d’astreintes.

Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion de préciser que le respect de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH n’exclut pas qu’une « peine » puisse être imposée par une autorité administrative investie d’un pouvoir de sanction en matière de droit de la concurrence, pour autant que la décision adoptée par cette dernière soit susceptible de faire l’objet d’un contrôle ultérieur par un organe judiciaire de pleine juridiction. Parmi les caractéristiques d’un organe judiciaire de ce type figure le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise rendue par l’organe inférieur. Ainsi, le contrôle opéré par le juge, dans de tels cas, ne saurait se limiter à une vérification de la légalité externe de la décision soumise à son contrôle, le juge devant être en mesure d’apprécier la proportionnalité des choix de l’autorité de la concurrence et de vérifier ses évaluations d’ordre technique.

Le contrôle juridictionnel opéré par le Tribunal à l’égard de décisions par lesquelles la Commission inflige des sanctions en cas d’infraction au droit de la concurrence de l’Union répond à ces exigences.

(cf. points 76-80)

2.      Le contrôle juridictionnel opéré par le Tribunal à l’égard de décisions par lesquelles la Commission inflige des sanctions en cas d’infraction au droit de la concurrence de l’Union répond à l’exigence d’un contrôle juridictionnel effectif au sens de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et au sens de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Tout d’abord, le droit de l’Union confère à la Commission une mission de surveillance qui comprend la tâche de poursuivre les infractions à l’article 81, paragraphe 1, CE et à l’article 82 CE, la Commission étant tenue, dans le cadre de cette procédure administrative, de respecter les garanties procédurales prévues par le droit de l’Union. Le règlement nº 1/2003 l’investit, en outre, du pouvoir d’infliger, par voie de décision, des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux associations d’entreprises qui ont commis, de façon délibérée ou par négligence, une infraction à ces dispositions.

Par ailleurs, l’exigence d’un contrôle juridictionnel effectif de toute décision de la Commission constatant et réprimant une infraction aux règles de la concurrence constitue un principe général de droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres. Ce principe est désormais inscrit à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Or, le contrôle juridictionnel des décisions adoptées par la Commission en vue de sanctionner des infractions au droit de la concurrence, organisé par les traités et complété par le règlement nº 1/2003, est conforme à ce principe.

En premier lieu, le Tribunal est une juridiction indépendante et impartiale, qui a été institué notamment afin d’améliorer la protection juridictionnelle des justiciables dans les recours nécessitant un examen approfondi de faits complexes.

En deuxième lieu, le contrôle de la légalité, dans le cadre des recours fondés sur l’article 230 CE, d’une décision de la Commission constatant une infraction aux règles de la concurrence et infligeant à ce titre une amende, doit être considéré comme un contrôle juridictionnel effectif de l’acte en cause. En effet, les moyens susceptibles d’être invoqués par la personne physique ou morale concernée au soutien de sa demande d’annulation sont de nature à permettre au Tribunal d’apprécier le bien-fondé en droit comme en fait de toute accusation portée par la Commission dans le domaine de la concurrence.

En troisième lieu, conformément à l’article 31 du règlement nº 1/2003, le contrôle de légalité prévu à l’article 230 CE est complété par un contrôle de pleine juridiction, lequel habilite le juge, au-delà du contrôle de la légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée.

(cf. points 80-86)

3.      Le principe de la présomption d’innocence, inscrit désormais à l’article 48, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, s’applique notamment aux procédures administrative et juridictionnelle relatives à des violations des règles de la concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir au prononcé d’amendes ou d’astreintes.

Il résulte de l’obligation qui pèse sur la Commission de faire état de preuves précises et concordantes pour fonder la conviction que l’infraction a été commise ainsi que du fait que l’existence d’un doute dans l’esprit du juge de l’Union lorsqu’il est appelé à contrôler les décisions par lesquelles la Commission constate une infraction à l’article 81 CE doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction, que le principe de la présomption d’innocence ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité d’une personne accusée d’une infraction donnée au droit de la concurrence de l’Union soit établie au terme d’une procédure s’étant déroulée entièrement selon les modalités prescrites par les dispositions découlant de l’article 81 CE, du règlement nº 1/2003 ainsi que du règlement nº 773/2004 de la Commission, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 CE et 82 CE et dans le cadre de laquelle les droits de la défense ont ainsi pu être pleinement exercés.

En tout état de cause, le droit à la présomption d’innocence ne s’oppose pas, en principe, à ce que des sanctions de nature pénale adoptées par un organe administratif puissent être mises à exécution avant qu’elles soient devenues définitives, au terme d’une procédure de recours devant un tribunal, pourvu qu’une telle exécution s’inscrive dans des limites raisonnables ménageant un juste équilibre entre les intérêts en jeu et que le destinataire de la sanction puisse être rétabli dans sa situation initiale en cas de succès de son recours.

(cf. points 97, 100-102, 104)

4.      Voir le texte de la décision.

(cf. points 116-120, 124)

5.      Voir le texte de la décision.

(cf. points 144-151)

6.      Voir le texte de la décision.

(cf. points 206-212, 232, 240)

7.      Voir le texte de la décision.

(cf. points 213, 215-218, 243)

8.      Voir le texte de la décision.

(cf. points 213-218, 243)

9.      Voir le texte de la décision.

(cf. points 266-277)

10.    Voir le texte de la décision.

(cf. points 280-282)

11.    En matière de droit de la concurrence de l’Union, dès lors que deux filiales sont détenues directement ou indirectement à 100 %, ou presque 100 %, par la même société mère, il peut être tenu compte de l’infraction antérieure commise par l’une des filiales du groupe afin d’établir la circonstance aggravante de récidive à l’égard d’une autre filiale de ce groupe.

Cependant, le comportement infractionnel d’une telle filiale, détenue à 100 % ou presque 100 % par sa société mère, ne peut être imputé à cette dernière et la société mère ne peut être tenue comme solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale que si la société mère ne renverse pas la présomption réfragable d’exercice effectif d’une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale.

Il s’ensuit que la Commission, dans une procédure d’application de l’article 81 CE, ne peut se contenter de constater qu’une entreprise pouvait exercer une influence déterminante sur la politique commerciale d’une autre entreprise, sans qu’il soit besoin de vérifier si cette influence a effectivement été exercée. Au contraire, il incombe, en principe, à la Commission de démontrer une telle influence déterminante sur la base d’un ensemble d’éléments factuels, dont, en particulier, l’éventuel pouvoir de direction de l’une de ces entreprises vis-à-vis de l’autre.

De surcroît, pour l’application et l’exécution des décisions prises en application de l’article 81, paragraphe 1, CE, il est nécessaire d’identifier une entité dotée de la personnalité juridique qui sera destinataire de l’acte. Ainsi, lorsque l’existence d’une infraction aux règles de la concurrence de l’Union est établie, il convient de déterminer la personne physique ou morale qui était responsable de l’exploitation de l’entreprise au moment où l’infraction a été commise afin qu’elle réponde de celle-ci. Lorsque la Commission adopte une décision en application de cette disposition, elle doit dès lors identifier la ou les personnes, physiques ou morales, qui peuvent être tenues pour responsables du comportement de l’entreprise en cause et qui peuvent être sanctionnées à ce titre, lesquelles se verront adresser la décision.

Au demeurant, le simple fait que le capital social de deux sociétés commerciales distinctes appartienne à une même personne ou à une même famille n’est pas suffisant, en tant que tel, pour établir l’existence, entre ces deux sociétés, d’une unité économique ayant pour conséquence, en vertu du droit de la concurrence de l’Union, que les agissements de l’une peuvent être imputés à l’autre et que l’une peut être tenue de payer une amende pour l’autre.

Partant, il ne saurait être admis que la Commission puisse considérer, dans le cadre de l’établissement de la circonstance aggravante de récidive à l’égard d’une filiale et de sa société mère, que celles-ci puissent être tenues pour responsables d’une infraction antérieure, pour laquelle elles n’ont pas été sanctionnées par une décision de la Commission, et dans le cadre de l’établissement de laquelle elles n’ont pas été destinataires d’une communication des griefs, de sorte qu’elles n’ont pas été mises en mesure de présenter leurs arguments aux fins de contester, à leur égard, l’existence éventuelle d’une unité économique avec l’une ou l’autre société destinataire de la décision antérieure.

(cf. points 309-314)

12.    Il ne saurait être admis que la Commission puisse considérer, dans le cadre de l’établissement de la circonstance aggravante de récidive, qu’une entreprise doive être tenue responsable d’une infraction antérieure, pour laquelle elle n’a pas été sanctionnée par une décision de la Commission, et dans le cadre de l’établissement de laquelle elle n’a pas été destinataire d’une communication des griefs, en sorte qu’une telle entreprise n’a pas été mise en mesure, lors de la procédure ayant mené à l’adoption de la décision constatant l’infraction antérieure, de présenter ses arguments aux fins de contester, en ce qui la concerne, l’existence éventuelle d’une unité économique avec d’autres entreprises.

Une telle conclusion s’impose d’autant plus que, si, certes, le principe de proportionnalité exige que le temps écoulé entre l’infraction en cause et un précédent manquement aux règles de concurrence soit pris en compte pour apprécier la propension de l’entreprise à s’affranchir de ces règles, la Commission ne saurait être liée par un éventuel délai de prescription pour un constat de récidive.

De même, si, certes, il est raisonnablement permis de considérer qu’une société mère a effectivement connaissance d’une décision antérieure adressée par la Commission à sa filiale, dont elle détient la quasi-totalité du capital, une telle connaissance ne saurait pallier l’absence de constatation, dans la décision antérieure, d’une unité économique entre une telle société mère et sa filiale, aux fins d’imputer à ladite société mère la responsabilité de l’infraction antérieure et de majorer le montant des amendes qui lui sont infligées pour cause de récidive.

(cf. points 318-320, 328)

13.    Dans le cadre d’une procédure administrative en matière de droit de la concurrence de l’Union, le constat et l’appréciation des caractéristiques spécifiques d’une récidive font partie du pouvoir d’appréciation de la Commission en ce qui concerne le choix des éléments à prendre en considération aux fins de la détermination du montant d’une amende, et la Commission n’est pas liée par un éventuel délai de prescription pour un tel constat.

Ainsi, la récidive constitue un élément important que la Commission est appelée à apprécier, étant donné que sa prise en compte vise à inciter les entreprises qui ont manifesté une propension à s’affranchir des règles de la concurrence à modifier leur comportement. La Commission peut dès lors, dans chaque cas, prendre en considération les indices tendant à confirmer une telle propension, y compris, par exemple, le temps qui s’est écoulé entre les infractions en cause.

Le principe de proportionnalité exige que le temps écoulé entre l’infraction en cause et un précédent manquement aux règles de la concurrence soit pris en compte pour apprécier la propension de l’entreprise à s’affranchir de ces règles. Dans le cadre du contrôle juridictionnel exercé sur les actes de la Commission en matière de droit de la concurrence, le juge de l’Union peut donc être appelé à vérifier si la Commission a respecté ledit principe lorsqu’elle a majoré l’amende infligée au titre de la récidive et, en particulier, si une telle majoration s’imposait au regard du temps écoulé entre l’infraction en cause et le précédent manquement aux règles de la concurrence.

Dans ce contexte, l’écoulement d’un délai de treize ans et huit mois environ, entre l’adoption d’une décision constatant une infraction aux règles de la concurrence par un groupe de sociétés, et infligeant une amende aux sociétés de ce groupe, et le moment où a débuté l’infraction commise par les sociétés du même groupe et sanctionnée dans le cadre d’une nouvelle procédure, ne fait pas obstacle à ce que la Commission puisse constater, sans méconnaître le principe de proportionnalité, que l’entreprise formée par les destinataires de sa décision avait une propension à s’affranchir des règles de la concurrence dès lors qu’est en cause le même pôle d’activités que celui dont relèvent les filiales du groupe de sociétés destinataires de la décision de la Commission et que, de surcroît, l’entente visée par la décision antérieure présentait des caractéristiques très proches de celle qui a été sanctionnée dans la nouvelle décision.

(cf. points 326-328, 330, 332-334, 485)

14.    Voir le texte de la décision.

(cf. points 353, 354, 357, 358, 390)

15.    Voir le texte de la décision.

(cf. points 368-372)

16.    Voir le texte de la décision.

(cf. points 378, 380, 381)

17.    Voir le texte de la décision.

(cf. points 385-387)

18.    Voir le texte de la décision.

(cf. points 402-410)

19.    Voir le texte de la décision.

(cf. points 415-417, 420, 421, 424)

20.    Voir le texte de la décision.

(cf. points 449-454)

21.    Dans un cas de violation des règles de concurrence et d’imposition d’une amende où une majoration de 60 % du montant de base de l’amende pour cause de récidive a été justifiée au regard de deux décisions antérieures de la Commission constatant une infraction aux règles de concurrence alors qu’une seule de ces décisions pouvait être retenue aux fins d’établir la récidive et que, de surcroît, cette décision était la plus éloignée dans le temps du début de l’infraction visée par la décision constatant la récidive, la répétition du comportement infractionnel des entreprises concernées présente une gravité moindre que celle initialement retenue. Il est, dès lors, justifié de réduire de moitié le pourcentage de cette majoration.

(cf. points 461, 485, 486)

22.    Voir le texte de la décision.

(cf. points 491, 492)

23.    Une violation, par une juridiction de l’Union, de son obligation résultant de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de juger les affaires qui lui sont soumises dans un délai raisonnable doit trouver sa sanction dans un recours en indemnité porté devant le Tribunal, un tel recours constituant un remède effectif et d’application générale pour faire valoir et sanctionner une telle violation.

Un recours visant uniquement à l’annulation d’une décision de la Commission en matière du droit de concurrence de l’Union, ou, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende, ne peut en aucun cas être assimilé à un recours en indemnité, et ne constitue donc pas un cadre approprié aux fins de faire sanctionner une éventuelle violation par une juridiction de l’Union de son obligation de statuer dans un délai raisonnable.

(cf. points 495, 496)

24.    En vertu de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial. Cette garantie, qui relève des traditions constitutionnelles communes aux États membres, est également inscrite à l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l’homme.

La garantie d’impartialité recouvre deux aspects. En premier lieu, le tribunal saisi doit être subjectivement impartial, c’est-à-dire qu’aucun de ses membres ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel, l’impartialité personnelle se présumant jusqu’à preuve du contraire. En second lieu, ledit tribunal doit être objectivement impartial, ce qui signifie qu’il doit offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime.

Dans un cas où, en soulevant un grief pris de la durée excessive de la procédure juridictionnelle dans une affaire, la partie requérante invite la chambre du Tribunal en charge de cette affaire à apprécier si elle a elle-même commis une irrégularité procédurale en accumulant un retard injustifié dans le traitement de celle-ci, cette formation ne peut, en tout état de cause, offrir à cette partie requérante des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant au fait qu’elle examinerait le grief pris du délai excessif de la procédure juridictionnelle de manière impartiale.

(cf. points 497-500)