Language of document : ECLI:EU:T:2022:214

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

6 avril 2022 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne verbale HALIX RECORDS – Marques verbale et figurative nationales antérieures HALIX RECORDS – Motif relatif de refus – Article 8, paragraphe 4, du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 8, paragraphe 4, du règlement (UE) 2017/1001] – Règle 19, paragraphes 1 et 2, du règlement (CE) no 2868/95 [devenue article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement délégué (UE) 2018/625] »

Dans l’affaire T‑118/21,

Cilem Records International UG, établie à Augsbourg (Allemagne), représentée par Me E. Hecht, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. M. Eberl et D. Hanf, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

KVZ Music Ltd, établie à Sofia (Bulgarie), représentée par Me D. Stechern, avocat,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la quatrième chambre de recours de l’EUIPO du 28 janvier 2021 (affaire R 1060/2020‑4), relative à une procédure d’opposition entre  Cilem  Records International et KVZ Music,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme V. Tomljenović, présidente, MM. F. Schalin (rapporteur) et I. Nõmm, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 22 février 2021,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 4 mai 2021,

vu l’exception d’irrecevabilité déposée par l’EUIPO au greffe du Tribunal le 11 mai 2021,

vu l’ordonnance du 7 octobre 2021 prononçant la jonction de l’exception d’irrecevabilité avec le fond de l’affaire,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 4 novembre 2021,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 25 janvier 2017, l’intervenante, KVZ Music Ltd, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal HALIX RECORDS.

3        Les produits et les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 9, 38 et 41 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

4        La demande de marque a été publiée au Bulletin des marques de l’Union européenne no 19/2017, du 30 janvier 2017.

5        Le 17 avril 2017, la requérante, Cilem Records International UG, a formé opposition, au titre de l’article 41 du règlement no 207/2009 (devenu article 46 du règlement 2017/1001), à l’enregistrement de la marque demandée pour l’ensemble des produits et des services désignés par cette dernière.

6        Conformément aux indications figurant dans le formulaire d’opposition, cette dernière était fondée sur les marques antérieures suivantes :

–        la marque verbale allemande HALIX RECORDS, demandée le 6 juillet 2016 et enregistrée le 8 novembre 2017 sous le numéro 302016019437, désignant des produits et des services relevant des classes 41, 9 et 16 ;

–        la marque figurative allemande, demandée le 25 novembre 2016 et enregistrée le 27 mars 2017 sous le numéro 302016033482, désignant des produits et des services relevant des classes 41, 9 et 16, et correspondant à la description suivante :

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7        Les motifs invoqués à l’appui de l’opposition étaient ceux visés à l’article 8, paragraphe 1, sous a) et b), et paragraphe 5, du règlement no 207/2009 [devenu article 8, paragraphe 1, sous a) et b), et paragraphe 5, du règlement 2017/1001]. En outre, dans la rubrique « Explication des motifs et remarques particulières » du formulaire d’opposition, il était mentionné, notamment, que la marque demandée l’aurait été de mauvaise foi, que la requérante aurait disposé depuis les années 1980 de droits découlant de dénominations commerciales en vertu de l’article 5 du Gesetz über den Schutz von Marken und sonstigen Kennzeichen (Markengesetz) (loi sur la protection des marques et autres signes distinctifs), du 25 octobre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 3082), en Allemagne et dans l’Union européenne, et qu’elle aurait fait l’objet de concurrence déloyale.

8        Par courrier du 11 août 2017, en application du règlement (CE) no 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement (CE) no 40/94 du Conseil sur la marque communautaire (JO 1995, L 303, p. 1) [remplacé par le règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001 et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1)], plus précisément de la règle 18, paragraphe 1 (devenue article 6, paragraphe 1, du règlement délégué 2018/625), et de la règle 19, paragraphes 1 et 2 (devenue article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement délégué 2018/625), la division d’opposition a fixé un délai expirant le 23 décembre 2017, afin que la requérante présente des faits, des preuves et des observations afin d’étayer les droits antérieurs fondant l’opposition, faute de quoi ces derniers ne seraient pas pris en considération.

9        Le 6 décembre 2017, la division d’opposition a prolongé ce délai jusqu’au 11 février 2018.

10      Le 9 février 2018, la requérante a adressé à la division d’opposition un courrier dans lequel elle insistait sur le fait que l’élément important en l’espèce était la date d’enregistrement des marques antérieures et non l’identité de leur titulaire. Étaient joints à ce courrier un certain nombre d’éléments, comme des photographies de cassettes audio et diverses attestations, destinés notamment à démontrer l’usage de la marque HALIX RECORDS et de l’élément « halix », notamment en tant que désignation ou logo, depuis les années 1980.

11      Par courrier du 14 février 2018, la division d’opposition a informé la requérante que les marques antérieures n’avaient pas été suffisamment étayées et qu’il serait statué à présent sur l’opposition sur la base des éléments de preuve disponibles.

12      Par courrier du 16 février 2018, la requérante a informé la division d’opposition que les marques antérieures avaient été transférées par M. Ayhan Uslu à la société Cilem Records International. En annexe de ce courrier figurait une télécopie du 10 février 2018 adressée au Deutsches Patent- und Markenamt (DPMA, Office allemand des brevets et des marques) sollicitant la correction immédiate dans la base de données du DPMA de la propriété des marques antérieures au bénéfice de Cilem Records International.

13      Le 7 janvier 2020, la requérante a présenté à la division d’opposition des extraits de registre du DPMA montrant, à la suite d’une demande présentée le 2 mars 2018, le transfert des marques antérieures par M. Uslu à la société Cilem Records International, qui avait donné lieu à des publications les 6 et 13 avril 2018.

14      Par décision du 25 mai 2020, la division d’opposition a entièrement rejeté l’opposition. Premièrement, elle a estimé, en substance, que l’objection de mauvaise foi n’était pas un motif d’opposition et qu’elle ne serait pas prise en considération. Deuxièmement, elle a considéré que la requérante n’était pas la titulaire des marques antérieures ni lorsqu’elle avait formé l’opposition, ni à l’issue du délai de motivation qui lui avait été imparti, et qu’elle n’avait pas davantage revendiqué la qualité de licenciée, de sorte qu’elle n’était pas habilitée à fonder l’opposition sur lesdites marques, qui devait être rejetée comme non fondée. Troisièmement, elle a considéré que l’opposition était également dépourvue de fondement en ce qu’elle aurait reposé sur l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 [devenu article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001], dans la mesure où la requérante n’avait pas fourni d’informations sur la législation nationale pertinente et son contenu, en se limitant à une référence générale à l’article 5 de la loi sur la protection des marques et autres signes distinctifs, mais sans indications particulières sur ses conséquences juridiques.

15      Le 27 mai 2020, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’opposition.

16      Par décision du 28 janvier 2021, la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours (ci-après la « décision attaquée »). En particulier, elle a considéré que, s’agissant de l’objet de la procédure, dans la mesure où la phase contradictoire de la procédure d’opposition avait débuté avant le 1er octobre 2017, la règle 15 (devenue article 2 du règlement délégué 2018/625) et les règles 19 et 20 du règlement no 2868/95 continuaient de s’appliquer à ladite procédure, et non celles issues du règlement 2018/625. Elle a toutefois rappelé que, conformément à l’article 82, paragraphe 2, sous j), du règlement 2018/625, les articles 21 à 48 dudit règlement étaient applicables à la procédure de recours et que, en vertu de l’article 27, paragraphe 2, de ce même règlement, l’examen du recours devait être limité aux moyens invoqués dans le mémoire exposant les motifs dudit recours.

17      Or, la requérante aurait en particulier méconnu la règle 19, paragraphes 1 et 2, du règlement no 2868/95, puisqu’elle n’aurait pas produit en temps utile la preuve qu’elle disposait de la qualité pour former opposition en tant que titulaire des marques antérieures, voire de licenciée. Par ailleurs, le motif d’opposition fondé sur l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 n’aurait été invoqué ni dans l’acte d’opposition ni ultérieurement, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de le prendre en compte. En tout état de cause, la requérante aurait également omis de préciser la disposition nationale à laquelle elle faisait référence, d’en expliquer le contenu et d’en apporter la preuve quand elle prétendait être habilitée, en vertu de l’article 8, paragraphe 4, sous b), du règlement no 207/2009, à interdire l’usage de la marque demandée en vertu du droit national.

18      Avec effet à compter du 3 février 2021, la requérante, qui se trouve désormais en liquidation, a cédé les marques antérieures à Grand Records International Yapim Ve Yayincilik limited Şirketi, établie à Ankara (Turquie).

 Conclusions des parties

19      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée et la décision de la division d’opposition du 25 mai 2020 et faire droit à l’opposition ;

–        subsidiairement, annuler la décision attaquée et renvoyer l’affaire devant la chambre de recours en vue d’une nouvelle décision ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

20      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable et, subsidiairement, comme étant non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

21      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours comme étant non fondé.

 En droit

22      La requérante soulève, en substance, deux moyens au soutien du recours.

23      Premièrement, elle estime que la décision attaquée viole ses droits en sa qualité de titulaire des droits antérieurs invoqués à l’appui de l’opposition formée sur le fondement de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 et dont elle continue de se prévaloir dans le cadre du présent recours.

24      Deuxièmement, la requérante estime que la chambre de recours a violé la règle 19, paragraphe 2, sous d), du règlement no 2868/95 [devenue article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement délégué 2018/625], dès lors que, contrairement à ce qu’a estimé cette dernière, elle avait suffisamment motivé l’opposition en fournissant des explications relatives au titulaire des deux marques nationales antérieures, en l’occurrence M. Uslu, qui était habilité à la représenter et qui a utilisé la marque HALIX RECORDS dès les années 1980. En outre, dès le 10 février 2018, soit avant la date limite du 11 février 2018 fixée par la division d’opposition afin d’étayer les droits antérieurs fondant l’opposition, M. Uslu aurait adressé au DPMA une demande tendant au transfert de la titularité des deux marques antérieures en faveur de la requérante.

25      Elle admet néanmoins que, lorsqu’elle a lancé la procédure d’opposition, elle n’était pas la titulaire des deux marques nationales antérieures invoquées en tant que droits antérieurs et que cette qualité revenait à son gérant, M. Ayhan Uslu. Toutefois, cela serait sans incidence sur la primauté conférée à un droit antérieur sur toute demande ultérieure d’enregistrement d’un droit portant atteinte à celui-ci.

26      À cet égard, la requérante fait valoir qu’un jugement rendu le 17 décembre 2019 par le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I, Allemagne) a rejeté la demande de nullité de la marque verbale allemande antérieure HALIX RECORDS, formée à son égard par l’intervenante. Or, cela confirmerait qu’elle était bien la titulaire de cette marque. Il existerait ainsi une contrariété entre ce jugement et la décision attaquée.

27      Elle considère qu’il appartenait à la division d’opposition de tenir compte du statut des marques antérieures auprès du DPMA et, à tout le moins, de lui indiquer que la qualité de titulaire des droits antérieurs posait problème en l’espèce, alors que, en se bornant à mentionner que « les droits antérieurs [devaient] être motivés », cette dernière l’a privée de la possibilité d’étayer son exposé des faits en ce qui concernait la titularité des droits en question.

28      Dans l’exception d’irrecevabilité, l’EUIPO a soulevé deux fins de non‑recevoir, tirées, pour la première, de l’irrecevabilité du premier moyen, en ce que, d’une part, l’argumentation de la requérante ne serait, en substance, pas compréhensible, en violation de l’article 177 du règlement de procédure du Tribunal, et que, d’autre part, l’objet du litige aurait été modifié et, pour la seconde, de l’irrecevabilité du second moyen en ce que la requérante n’aurait pas disposé d’un intérêt à agir afin de former le recours.

29      Sur le fond, l’EUIPO et l’intervenante contestent l’argumentation de la requérante.

30      À titre liminaire, il convient de constater que, compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement de la marque demandée, à savoir le 25 janvier 2017, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 207/2009 (voir, en ce sens, arrêts du 8 mai 2014, Bimbo/OHMI, C‑591/12 P, EU:C:2014:305, point 12, et du 18 juin 2020, Primart/EUIPO, C‑702/18 P, EU:C:2020:489, point 2 et jurisprudence citée). Par ailleurs, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), la procédure d’opposition, lancée le 17 avril 2017, était régie par les dispositions procédurales du règlement no 207/2009 ainsi que par les dispositions du règlement no 2868/95. En revanche, le présent litige, en ce qu’il porte sur la contestation de la légalité de la décision attaquée, soumise au contrôle du Tribunal, est régi par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001 ainsi que, en tant que de besoin, par celles du règlement 2018/625.

31      Par suite, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références à l’article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001 faites par la chambre de recours dans la décision attaquée et par les parties à l’instance, comme visant l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009.

32      Par ailleurs, il convient de rappeler que le juge de l’Union est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond un recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, points 51 et 52).

33      Dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal considère que, dans un souci de bonne administration de la justice, il y a lieu d’examiner d’emblée le bien-fondé du recours, sans statuer préalablement sur les fins de non-recevoir soulevées par l’EUIPO dans l’exception d’irrecevabilité, le recours étant, en tout état de cause et pour les motifs exposés ci-après, dépourvu de fondement [voir, par analogie, arrêt du 21 avril 2021, Hasbro/EUIPO – Kreativni Dogadaji (MONOPOLY), T‑663/19, EU:T:2021:211, point 24].

34      À cet égard, il y a lieu de relever, notamment, que l’examen de la fin de non-recevoir portant sur le second moyen, en ce que la requérante n’aurait pas disposé d’un intérêt à agir afin de former le recours, est lié au fond et nécessite d’examiner si les droits antérieurs, autres que les deux marques nationales antérieures, pouvaient être valablement invoqués à l’appui de l’opposition, alors que, si la division d’opposition et, à sa suite, la chambre de recours ont estimé que tel n’était pas le cas, elles ont néanmoins procédé à l’examen de la portée éventuelle desdits droits.

35      Le Tribunal estime opportun de commencer par l’examen au fond du second moyen.

 Sur le second moyen, tiré de la violation de la règle 19, paragraphe 2, sous d), du règlement no 2868/95

36      En vertu de la règle 19, paragraphe 2, sous d), du règlement no 2868/95, au cours du délai consenti à l’opposant par l’EUIPO afin qu’il présente les faits, preuves et observations à l’appui de son opposition ou qu’il complète ceux-ci, l’opposant produit également la preuve de l’existence, de la validité et de l’étendue de la protection de sa marque antérieure ou de son droit antérieur ainsi que des éléments de preuve de son habilitation à former opposition. À ce titre, l’opposant produit notamment, si l’opposition est fondée sur l’existence d’un droit antérieur au sens de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, la preuve de son acquisition, de sa permanence et de l’étendue de la protection de ce droit.

37      En outre, en vertu de la règle 20, paragraphe 1, du règlement no 2868/95 [devenue article 8, paragraphes 1 et 7, du règlement délégué 2018/625], si, avant l’expiration du délai visé à la règle 19, paragraphe 1, l’opposant ne prouve pas l’existence, la validité et l’étendue de la protection de sa marque antérieure ou de son droit antérieur ainsi que l’habilitation à former opposition, l’opposition est rejetée comme non fondée.

38      Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 41, paragraphe 1, sous a) et c), du règlement no 207/2009, une opposition à l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne ne peut être formée, sur le fondement de l’article 8, paragraphes 1 et 5, du règlement no 207/2009, que par les titulaires des marques antérieures invoquées à l’appui de l’opposition ou par les licenciés habilités par lesdits titulaires. Dans l’hypothèse d’une opposition formée sur le fondement de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, celle-ci est ouverte aux titulaires de marques ou de signes antérieurs visés à cette disposition et aux personnes autorisées, en vertu du droit national applicable, à exercer les droits en question.

39      En l’espèce, la requérante prétend, en substance, qu’elle aurait suffisamment justifié l’existence et la portée des deux marques nationales antérieures invoquées à l’appui de l’opposition. Or, afin que ces marques aient été susceptibles de fonder valablement l’opposition, conformément à l’article 8, paragraphe 1, sous a) ou b), du règlement no 207/2009, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 2, sous a), ii), du même règlement et avec la règle 19, paragraphe 2, sous d), du règlement no 2868/95, il appartenait à la requérante, auteure de l’opposition, de produire les éléments démontrant qu’elle en était la titulaire.

40      À cet égard, il y a lieu de constater que, ainsi que la chambre de recours l’a mentionné au point 25 de la décision attaquée et ainsi que, au point 6 de la requête, la requérante l’admet elle-même, cette dernière n’était pas la titulaire desdites marques lorsque l’opposition a été formée. En outre, dans le délai qui lui avait été imparti par la division d’opposition en vertu de la règle 19, paragraphe 1, du règlement no 2868/95 et qui, après prolongation, expirait le 11 février 2018, la requérante n’a pas produit de pièces justifiant d’une quelconque évolution de cette situation, en particulier en justifiant le fait qu’elle, et non M. Uslu, était le titulaire des deux marques nationales antérieures.

41      À cet égard, si, par courrier du 16 février 2018, la requérante a informé la division d’opposition d’une demande de transfert à son profit des deux marques nationales antérieures détenues par M. Uslu, effectuée le 10 février 2018 auprès du DPMA, il n’en demeure pas moins que, avant l’expiration du délai fixé au 11 février 2018, il n’était aucunement justifié qu’un quelconque transfert était intervenu et que la requérante était la titulaire des marques en question.

42      La chambre de recours a relevé à juste titre, au point 31 de la décision attaquée, qu’il était indifférent que, avant le 11 février 2018 ou à cette date, la requérante ait présenté des demandes au DPMA concernant le transfert des marques nationales antérieures, alors que la seule question pertinente consistait à déterminer si les délais devant l’EUIPO pour justifier de la titularité desdites marques avaient été respectés, ce qui n’était manifestement pas le cas. Or, la chambre de recours a relevé, au point 32 de la décision attaquée, sans être contredite sur ce point par la requérante, que le nouvel extrait de registre du DPMA qui avait été produit indiquait que le transfert des marques nationales antérieures n’avait été demandé que le 2 mars 2018 et n’avait donné lieu à une publication audit registre que respectivement le 6 et le 13 avril 2018, soit après le 11 février 2018.

43      Certes, selon une jurisprudence constante, il découle du libellé de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 (devenu article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001) que, en règle générale et sauf disposition contraire, la présentation de faits et de preuves par les parties demeure possible après l’expiration des délais auxquels se trouve subordonnée une telle présentation en application des dispositions du règlement no 207/2009 et qu’il n’est nullement interdit à l’EUIPO de tenir compte de faits et de preuves ainsi tardivement invoqués ou produits, c’est-à-dire en dehors du délai imparti par la division d’opposition et, le cas échéant, pour la première fois devant la chambre de recours [voir arrêt du 29 juin 2016, Group/EUIPO – Iliev (GROUP Company TOURISM & TRAVEL), T‑567/14, EU:T:2016:371, point 44 et jurisprudence citée].

44      Toutefois, ainsi que l’a relevé à juste titre la chambre de recours au point 35 de la décision attaquée, l’acquisition ultérieure des marques nationales antérieures n’est pas un fait qui a été présenté ultérieurement, mais un fait qui est survenu ultérieurement, de sorte que la démonstration par la requérante de cette acquisition tardive n’emporte aucune conséquence sur la condition de la titularité des marques nationales antérieures lorsque l’opposition a été formée.

45      Dans ces conditions, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur en considérant que la requérante n’avait pas démontré, dans le délai qui lui avait été imparti, qu’elle était la titulaire des marques nationales antérieures, de sorte que l’opposition fondée sur lesdites marque devait être rejetée comme non fondée.

46      Les arguments de la requérante, examinés ci-après, présentent à cet égard un caractère inopérant ou non fondé.

47      Tout d’abord, comme l’a relevé la chambre de recours au point 26 de la décision attaquée, une personne morale dispose d’une personnalité juridique propre qui se distingue de celle de son gérant, de sorte qu’elle ne peut revendiquer en son nom la titularité de marques détenues par ledit gérant afin de former elle-même opposition. Ainsi, si le gérant de la requérante, M. Uslu, était le titulaire des marques nationales antérieures, ce seul fait ne permettait pas à la requérante d’exercer en son nom propre une action fondée sur lesdites marques.

48      Ensuite, la production par la requérante du jugement rendu le 17 décembre 2019 par le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I), ainsi que cela est mentionné au point 33 de la décision attaquée, n’a emporté aucune conséquence sur la mention de la titularité des marques nationales antérieures dans le registre du DPMA.

49      Par ailleurs, le fait que M. Uslu a indiqué qu’il était domicilié pour les besoins de la procédure d’opposition au siège de la requérante est sans incidence sur la titularité desdites marques. En effet, la simple mention d’une adresse de domiciliation est totalement étrangère à la nature et à la portée de la relation entre un opérateur économique et les droits de propriété intellectuelle dont il est titulaire.

50      De même, le fait que M. Uslu, habilité à représenter la requérante, aurait utilisé la marque HALIX RECORDS dès les années 1980 ne confère aucun droit supplémentaire à la requérante dès lors qu’elle n’est pas elle-même titulaire des marques nationales antérieures.

51      S’agissant enfin de l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours n’aurait, en substance, pas tiré les conséquences d’un manque de diligence de la part de la division d’opposition, en ce que cette dernière se serait bornée à mentionner que les marques nationales antérieures n’étaient pas suffisamment étayées, sans fournir plus de précision à la requérante, il y a lieu de le rejeter comme non fondé.

52      En effet, si, par application de la règle 19, paragraphes 1 et 2, du règlement no 2868/95, l’EUIPO donne à l’opposant l’opportunité de produire, dans le délai qu’il lui consent, notamment, la preuve de l’existence, de la validité et de l’étendue de la protection de sa marque antérieure ou de son droit antérieure, les exigences légales concernant la production desdits éléments ne constituent pas des conditions de recevabilité de l’opposition, qu’il appartiendrait à l’EUIPO de vérifier et de faire compléter par l’opposant en cas de besoin, mais des conditions relevant de l’examen du fond de celle-ci. Dès lors, la division d’opposition n’est pas tenue de signaler à l’opposant l’irrégularité consistant en son omission de produire de tels éléments à l’appui de l’opposition ou leur traduction dans la langue de procédure de l’opposition [voir, par analogie, arrêt du 17 juin 2008, El Corte Inglés/OHMI – Abril Sánchez et Ricote Saugar (BoomerangTV), T‑420/03, EU:T:2008:203, points 65 et 66 et jurisprudence citée].

53      Au regard des développements qui précèdent, le second moyen doit être déclaré, pour partie, non fondé et, pour partie, inopérant.

 Sur le premier moyen, tiré dune violation des droits antérieurs dont la requérante sestime titulaire et quelle déclare avoir invoqués à lappui de lopposition formée sur le fondement de larticle 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009

54      En vertu de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, le titulaire d’un signe autre qu’une marque enregistrée peut s’opposer à l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne si ce signe est utilisé dans la vie des affaires, qu’il a une portée qui n’est pas seulement locale, qu’il a été acquis conformément à la législation de l’Union ou au droit de l’État membre où il était utilisé avant la date de dépôt de la demande de marque de l’Union européenne et s’il reconnaît à son titulaire la faculté d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente [voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, BR IP Holder/OHMI – Greyleg Investments (HOKEY POKEY), T‑62/14, non publié, EU:T:2016:23, point 19 et jurisprudence citée].

55      Les conditions mentionnées ci-dessus étant cumulatives, lorsqu’un signe ne remplit pas l’une d’elles, l’opposition fondée sur l’existence d’une marque non enregistrée ou d’autres signes utilisés dans la vie des affaires au sens de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 ne peut aboutir [voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2009, Danjaq/OHMI – Mission Productions (Dr. No), T‑435/05, EU:T:2009:226, point 35].

56      Conformément à l’article 76, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 (devenu article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001), la charge de prouver que le droit qui régit le signe invoqué peut justifier d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente incombe à l’auteur de l’opposition qui doit démontrer que le signe en cause entre dans le champ d’application du droit de l’État membre invoqué et qu’il permet d’interdire l’utilisation d’une telle marque (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2016, GROUP Company TOURISM & TRAVEL, T‑567/14, EU:T:2016:371, point 28 et jurisprudence citée).

57      En l’espèce, dans la mesure où la requérante entend se prévaloir de droits pouvant être invoqués en vertu de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, il s’agit nécessairement de droits qu’elle entend tirer de l’usage, depuis les années 1980, de dénominations commerciales telles que HALIX RECORDS (voir point 7 ci-dessus) et non des deux marques nationales antérieures, ces dernières, ainsi que cela résulte de l’examen du second moyen, ne pouvant en tout état de cause pas être invoquées par elle à l’appui d’une quelconque opposition.

58      En outre, s’il est exact que, dans le formulaire d’opposition, la requérante n’a pas expressément mentionné l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 comme fondement de l’opposition, la chambre de recours, ainsi que cela ressort des points 38 à 44 de la décision attaquée, bien qu’elle ait estimé que ce motif d’opposition n’avait pas été invoqué, a néanmoins examiné, à la suite de la division d’opposition, la question de savoir si l’opposition devait être considérée comme ayant été valablement formée au titre de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, pour conclure que tel n’était pas le cas, car, notamment, l’acte d’opposition n’aurait pas indiqué de façon précise les motifs fondant l’opposition, conformément à la règle 15, paragraphe 2, sous c), du règlement no 2868/95 [devenue article 2, paragraphe 2, sous c), du règlement délégué 2018/625], et le droit national n’aurait pas été présenté conformément à la règle 19, paragraphe 2, sous d), du même règlement.

59      Ainsi que cela est mentionné au point 7 ci-dessus, la requérante a indiqué dans le formulaire d’opposition que, depuis les années 1980, elle disposait de droits découlant de dénominations commerciales telles que HALIX RECORDS en vertu de l’article 5 de la loi sur la protection des marques et autres signes distinctifs, en Allemagne et dans l’Union européenne, et qu’elle faisait l’objet de concurrence déloyale.

60      Premièrement, il y a lieu de constater qu’une allégation de concurrence déloyale ne saurait servir de fondement à l’opposition à l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, formée au titre de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, dans la mesure où les mérites d’une opposition reposent uniquement sur la comparaison entre des droits concurrents. Dès lors, à supposer que la requérante fasse grief à la chambre de recours de ne pas avoir tenu compte de ses allégations de concurrence déloyale, un tel grief présente un caractère inopérant.

61      Deuxièmement, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d’une opposition fondée sur l’existence d’un droit antérieur, au sens de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, il ne ressort pas du libellé de la règle 19, paragraphe 2, sous d), du règlement no 2868/95 qu’un formalisme particulier est exigé quant au mode de preuve d’un droit antérieur. Ainsi, s’agissant de l’acquisition, de la permanence et de l’étendue de la protection du droit dont il se prévaut, l’opposant est libre du choix de la forme de la preuve qu’il juge utile de présenter à l’EUIPO et, d’autre part, l’EUIPO est tenu d’analyser les éléments présentés par l’opposant, sans pouvoir d’emblée refuser un type de preuve en raison de sa forme (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2016, GROUP Company TOURISM & TRAVEL, T‑567/14, EU:T:2016:371, points 55, 56 et 58).

62      Or, en l’espèce, ainsi que cela résulte du point 42 de la décision attaquée, la division d’opposition et, à sa suite, la chambre de recours ont bien considéré que la requérante, dans l’hypothèse où elle entendrait fonder l’opposition sur l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, se prévalait de la protection conférée par l’article 5 de la loi sur la protection des marques et autres signes distinctifs.

63      Toutefois, comme l’a relevé à juste titre la chambre de recours, la requérante, outre qu’elle n’en a pas produit le texte, n’a au surplus apporté aucune précision sur le contenu de l’article 5 de la loi sur la protection des marques et autres signes distinctifs, sur la nature précise du fondement de la revendication ou du droit antérieur qu’elle souhaitait invoquer ou sur les motifs qui, selon elle, l’auraient habilitée à interdire l’usage de la marque demandée, alors que, selon la chambre de recours, ledit article 5 comportait quatre types différents de droits antérieurs.

64      Tout d’abord, il y a lieu de constater à cet égard que, dans la rubrique « Explication des motifs et remarques particulières » du formulaire d’opposition, la requérante s’est bornée à mentionner, sans autres précisions, l’existence de « droits tirés de dénominations commerciales en vertu de l’article 5 de la loi sur la protection des marques en Allemagne et au sein de l’Union européenne depuis 1980 » (voir point 7 ci-dessus).

65      Ensuite, il apparaît que, si la requérante a adressé à la division d’opposition, notamment par son courrier du 9 février 2018 qui est postérieur à l’opposition, un certain nombre d’éléments destinés à démontrer l’usage de l’élément « halix », en tant que désignation ou logo, elle n’a fourni aucune explication sur la façon dont ces éléments étaient supposés venir au soutien de ses revendications au titre de l’article 5 de la loi sur la protection des marques et, partant, étayer l’opposition en vertu de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009.

66      Enfin, à supposer que la requérante ait entendu se prévaloir de sa dénomination commerciale, celle-ci était Cilem Records International UG et non HALIX RECORDS, ce qui ne permet pas de comprendre à quel titre cette dénomination commerciale lui aurait permis de s’opposer à l’enregistrement de la marque demandée.

67      La requête ne comportant aucun élément susceptible de remettre en cause cette appréciation effectuée par la chambre de recours, il y a lieu de rejeter le premier moyen comme étant, en tout état de cause, pour partie, non fondé et, pour partie, inopérant.

68      Par conséquent, dans la mesure où aucun des moyens soulevés par la requérante ne saurait être accueilli, il y a lieu, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les deux fins de non-recevoir soulevées par l’EUIPO dans l’exception d’irrecevabilité, de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

69      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

70      En l’espèce, la requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par l’EUIPO, conformément aux conclusions de ce dernier. L’intervenante supportera quant à elle ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Cilem Records International UG est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par l’EUIPO.

3)      KVZ Music Ltd supportera ses propres dépens.

Tomljenović

Schalin

Nõmm

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 avril 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.