Language of document : ECLI:EU:T:2014:141

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

21 mars 2014 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives à l’encontre de personnes et d’entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al‑Qaida et aux Taliban – Règlement (CE) no 881/2002 – Gel des fonds et des ressources économiques d’une personne par suite de son inclusion dans une liste établie par un organe des Nations unies – Comité des sanctions – Inclusion par suite dans l’annexe I du règlement no 881/2002 – Refus de la Commission de radier cette inclusion – Recours en carence – Droits fondamentaux – Droit d’être entendu, droit à un contrôle juridictionnel effectif et droit au respect de la propriété »

Dans l’affaire T‑306/10,

Hani El Sayyed Elsebai Yusef, demeurant à Londres (Royaume-Uni), représenté initialement par MM. E. Grieves, barrister, et H. Miller, solicitor, puis par MM. Grieves, Miller et P. Moser, QC, et R. Graham, solicitor,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. E. Paasivirta, M. Konstantinidis et T. Scharf, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par Mme E. Finnegan et M. R. Szostak, puis par Mme Finnegan, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande visant à faire constater, conformément à l’article 265 TFUE, que la Commission s’est illégalement abstenue de procéder au retrait du règlement (CE) no 1629/2005 de la Commission, du 5 octobre 2005, modifiant pour la cinquante-quatrième fois le règlement (CE) no 881/2002 du Conseil instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al‑Qaida et aux Taliban et abrogeant le règlement (CE) no 467/2001 du Conseil (JO L 260, p. 9), pour autant que cet acte concerne le requérant,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de MM. N. J. Forwood (rapporteur), président, F. Dehousse et J. Schwarcz, juges,

greffier : Mme J. Weychert, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 octobre 2012,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 29 septembre 2005, le comité institué par la résolution 1267 (1999) du Conseil de sécurité des Nations unies (ci-après, respectivement, le « comité des sanctions » et le « Conseil de sécurité ») a ajouté le nom du requérant, M. Hani El Sayyed Elsebai Yusef, identifié comme étant une personne associée à l’organisation Al‑Qaida, à sa liste récapitulative des personnes et des entités dont les fonds et autres ressources économiques doivent être gelés en vertu de diverses résolutions du Conseil de sécurité [notamment les résolutions 1333 (2000), 1390 (2002), 1455 (2003), 1562 (2004), 1617 (2005), 1730 (2006), 1735 (2006), 1822 (2008), 1904 (2009) et 1989 (2011)] visant à combattre les menaces que les actes de terrorisme font peser sur la paix et la sécurité internationales (ci-après la « liste du comité des sanctions »).

2        Par le règlement (CE) no 1629/2005 de la Commission, du 5 octobre 2005, modifiant pour la cinquante-quatrième fois le règlement (CE) no 881/2002 du Conseil instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al‑Qaida et aux Taliban et abrogeant le règlement (CE) no 467/2001 du Conseil (JO L 260, p. 9), le nom du requérant a été ajouté à la liste de l’annexe I du règlement (CE) no 881/2002 du Conseil, du 27 mai 2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al‑Qaida et aux Taliban, et abrogeant le règlement (CE) no 467/2001 du Conseil interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidées à l’encontre des Taliban d’Afghanistan (JO L 139, p. 9) (ci-après la « liste litigieuse »). Ses avoirs et autres ressources financières ont dès lors été gelés dans la Communauté européenne, conformément aux dispositions de fond du règlement no 881/2002.

3        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 janvier 2006 et dirigée contre le Conseil de l’Union européenne, le requérant a introduit un recours en annulation du règlement no 881/2002, tel que modifié par le règlement no 1629/2005, pour autant que ces actes le concernaient. Par ordonnance du Tribunal du 31 mai 2006, Yusef/Conseil (T‑2/06, non publiée au Recueil), ce recours a été rejeté comme manifestement irrecevable, car introduit hors délai.

4        Le 3 septembre 2008, la Cour a prononcé son arrêt dans les affaires jointes Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, Rec. p. I‑6351, ci-après l’« arrêt Kadi I de la Cour »).

5        Par lettres du 7 mars 2009 au Conseil de l’Union européenne et à la Commission des Communautés européennes, le requérant a demandé à avoir accès aux documents utilisés par ces institutions afin de justifier l’inclusion de son nom dans la liste litigieuse.

6        Par lettre du 23 avril 2009, la Commission a communiqué au requérant trois documents, à savoir : i) le communiqué SC/8516 du comité des sanctions, du 3 octobre 2005, concernant l’ajout du nom du requérant, avec d’autres, à sa liste ; ii) le communiqué SC/8520 du comité des sanctions, du 10 octobre 2005, concernant la modification des données personnelles du requérant, telles qu’elles figurent associées à son nom dans la liste dudit comité ; iii) le communiqué SC/8815 du comité des sanctions, du 24 août 2006, concernant une nouvelle modification des mêmes données personnelles.

7        Le requérant a introduit, devant la High Court of Justice (England and Wales), Queen’s Bench Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles) division de la magistrature royale du siège, ci-après la « High Court »], un recours contre la mesure nationale de gel de ses fonds adoptée à son égard par le ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (ci-après le « FCO »), parallèlement à l’adoption du règlement no 1629/2005. Dans le contexte de ce recours, le FCO a entrepris de nombreuses démarches auprès du comité des sanctions, en vue de permettre au requérant de connaître les motifs de son inclusion dans la liste de ce comité ainsi que l’identité de l’État ayant demandé cette inclusion. Aucune de ces démarches n’a abouti, mais, dans une déposition faite en qualité de témoin le 19 juin 2009 devant la High Court, le chef de l’équipe des sanctions du FCO, s’exprimant au nom de celui-ci, a déclaré ce qui suit :

« Conformément à la procédure de réexamen telle que définie [par la réglementation applicable], le FCO a réuni les éléments d’information dont dispose le gouvernement afin d’examiner la désignation du [requérant] à la lumière des critères énoncés dans les résolutions pertinentes [du Conseil de sécurité]. À l’issue de cette procédure de réexamen, le FCO a conclu que l’inscription du [nom du requérant] sur la liste [du comité des sanctions] au titre du régime [instauré par la résolution 1267 (1999) du Conseil de sécurité] n’avait plus lieu d’être. Des informations complémentaires ont été demandées, mais n’ont pas encore été fournies par l’État ayant proposé le nom du [requérant]. Par conséquent, le Royaume-Uni contactera le comité [des sanctions] afin de lui signaler que l’inscription du [requérant] n’a plus lieu d’être. Le Royaume-Uni présentera également une demande de radiation du [nom du requérant] de la liste [du comité des sanctions] et s’efforcera de l’obtenir. »

8        Par un arrêt du 27 janvier 2010, Her Majesty’s Treasury (Respondent) v Mohammed Jabar Ahmed and Others (Appellants), Her Majesty’s Treasury (Respondent) v Mohammed al‑Ghabra (Appellant) and R (on the application of Hani el Sayed Sabaei Youssef) (Respondent) v Her Majesty’s Treasury (Appellant) [2010] UKSC 2 & [2010] UKSC 5, la United Kingdom Supreme Court (Cour suprême du Royaume-Uni) a annulé la mesure nationale de gel des fonds du requérant, au motif qu’elle avait été adoptée ultra vires.

9        Par lettre du 18 mars 2010, faisant référence à l’arrêt Kadi I de la Cour et à l’arrêt de la United Kingdom Supreme Court, précité, le requérant a invité la Commission à radier son nom de la liste litigieuse, notamment aux motifs que :

–        son nom avait été ajouté à cette liste de manière automatique à la suite de son inclusion dans la liste du comité des sanctions, sans que la Commission ait procédé à une évaluation indépendante et impartiale ;

–        aucun des motifs de cette inclusion ne lui avait été communiqué, en violation de ses droits fondamentaux et au mépris des principes énoncés par la Cour dans son arrêt Kadi I ;

–        le Royaume-Uni, après avoir examiné les éléments de preuve sur lesquels reposait l’inclusion de son nom dans la liste du comité des sanctions, avait conclu que les critères d’inclusion n’étaient pas remplis.

10      Le requérant a également invité la Commission à fournir d’urgence des informations complémentaires concernant les motifs de fond justifiant l’inclusion de son nom dans la liste litigieuse.

 Procédure et nouveaux développements en cours d’instance

11      La Commission n’ayant donné aucune suite à la lettre du requérant du 18 mars 2010 dans le délai de deux mois prévu à l’article 265 TFUE, celui-ci a introduit le présent recours par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 juillet 2010.

12      Par acte déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit une demande d’aide judiciaire au titre de l’article 94 du règlement de procédure du Tribunal. Il a été fait droit à cette demande par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 22 octobre 2010.

13      Le 29 juillet 2010, le comité des sanctions a réexaminé l’inscription du nom du requérant sur sa liste, conformément à la procédure de révision prévue par le paragraphe 25 de la résolution 1822 (2008) du Conseil de sécurité. Le but de ce réexamen est de s’assurer que ladite liste est aussi exacte et à jour que possible et de confirmer que l’inscription de l’intéressé demeure justifiée. À l’issue de ce réexamen, le nom du requérant a été maintenu sur la liste du comité des sanctions.

14      Le 31 août 2010, la Commission a reçu du comité des sanctions, en réponse à sa demande du 26 janvier 2010, l’exposé des motifs ayant présidé à l’inscription sur la liste dudit comité de plusieurs personnes, dont le requérant.

15      La Commission a communiqué au requérant, par lettre du 10 septembre 2010, l’exposé des motifs en question, en indiquant que cet exposé des motifs avait présidé à son inscription sur la liste litigieuse (ci-après l’« exposé des motifs ») et en l’invitant à faire valoir ses observations avant le 10 décembre 2010.

16      L’exposé des motifs est libellé comme suit :

« [Le requérant] était un membre du Jihad islamique égyptien […] [Le requérant] et un certain nombre d’autres membres du Jihad islamique égyptien ont rejoint Al‑Qaida […] au début des années 1990.

Le Jihad islamique égyptien, dirigé par le lieutenant d’Oussama ben Laden, Aiman al‑Zawahiri […], est responsable du bombardement de l’ambassade d’Égypte à Islamabad en 1995. Depuis 1998, le groupe a reçu la plupart de ses fonds d’Al‑Qaida et, en 2001, il a fusionné avec Al‑Qaida.

[Le requérant] a fourni un soutien matériel à Al‑Qaida et a conspiré pour commettre des actes de terrorisme. Il a voyagé internationalement en utilisant de faux documents, il a reçu un entraînement militaire et il a appartenu à des cellules et à des groupes accomplissant des opérations terroristes en faisant usage de la force et de la violence, en ce compris l’intimidation, la menace et les dommages aux propriétés publiques et privées, ainsi qu’en s’opposant aux activités des autorités publiques. [Le requérant] a donné instruction à d’autres d’aller en Afghanistan pour y prendre part aux combats. Il a fait usage d’un site Internet pour soutenir les actes terroristes entrepris par Al‑Qaida ainsi que pour maintenir le contact avec un certain nombre de partisans autour du monde.

[Le requérant] est recherché par les autorités égyptiennes pour son implication dans des crimes de terrorisme commis dans et hors d’Égypte, incluant la collusion criminelle avec l’intention de commettre des actes de meurtre prémédité, la destruction de propriétés, la possession non autorisée d’armes à feu, de munitions et d’explosifs, l’appartenance à un groupe terroriste, la contrefaçon de documents officiels et autres, et le vol. »

17      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 8 octobre 2010, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité du présent recours, au titre de l’article 114 du règlement de procédure.

18      Le 30 septembre 2010, le Tribunal a prononcé son arrêt dans l’affaire Kadi/Commission (T‑85/09, Rec. p. II‑5177, ci-après l’« arrêt Kadi II du Tribunal »).

19      Par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 19 novembre 2010, le Conseil a été admis à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

20      Le 30 novembre 2010, le comité des sanctions a refusé de faire droit à la demande de radiation du nom du requérant de sa liste, présentée par le Royaume-Uni. Il ressort d’une lettre du 2 décembre 2011 du président du comité des sanctions à la Commission que, « au moins un État membre du [comité des sanctions] a conclu qu’il n’était pas d’accord sur le fait que [le requérant] ne satisfaisait plus aux critères d’inscription sur la liste [dudit comité] ».

21      Par lettre du 9 décembre 2010, le requérant a soumis ses observations à la Commission en réponse à l’exposé des motifs.

22      Conformément à l’article 7 quater, paragraphe 3, du règlement no 881/2002, tel que modifié par le règlement (UE) no 1286/2009 du Conseil, du 22 décembre 2009 (JO L 346, p. 42), la Commission a alors entamé le réexamen de sa décision d’inscrire le nom du requérant sur la liste litigieuse, à la lumière de ces observations et en suivant la procédure visée à l’article 7 ter, paragraphe 2, du règlement no 881/2002. La Commission a également transmis les observations en question au comité des sanctions.

23      Par ordonnance du Tribunal (deuxième chambre) du 14 mars 2011, l’exception d’irrecevabilité a été jointe au fond.

24      Par mesure d’organisation de la procédure du 17 novembre 2011, le Tribunal (deuxième chambre) a invité les parties à l’informer de l’état de la procédure de réexamen entamée en l’espèce au titre du règlement no 881/2002, tel que modifié par le règlement no 1286/2009 (ci-après la « procédure de réexamen »), et, à supposer qu’une décision sur le réexamen n’ait pas encore été prise, a invité la Commission à en indiquer les raisons et à lui communiquer la date approximative à laquelle elle envisageait son adoption.

25      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 8 décembre 2011, le requérant a informé le Tribunal qu’il n’était pas en mesure de répondre à cette invitation, dès lors qu’il n’avait reçu aucune information ou correspondance de la Commission depuis sa lettre du 9 décembre 2010.

26      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 6 décembre 2011, la Commission a informé le Tribunal qu’elle avait invité le comité des sanctions à réagir aux observations du requérant du 9 décembre 2010, avant qu’elle ne clôture son réexamen. Elle exposait que, après avoir insisté à de nombreuses reprises auprès de ce comité, elle avait enfin reçu de celui-ci, le 2 décembre 2011, une communication indiquant que ledit comité « enquêt[ait] activement » sur l’affaire. La Commission a soutenu qu’il serait judicieux d’attendre l’issue de l’enquête du comité des sanctions. Elle s’est toutefois déclarée prête à agir « avec toute la célérité requise » et a formulé l’espoir d’être en mesure d’achever la procédure de réexamen « dans le courant du premier trimestre de 2012 ».

27      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 6 décembre 2011, le Conseil a confirmé les informations de la Commission.

28      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 20 décembre 2011, la Commission a informé le Tribunal qu’elle avait reçu du président du comité des sanctions une nouvelle communication écrite datée du 15 décembre 2011, jointe en annexe à ladite lettre, concernant le cas du requérant, et a répété qu’elle espérait être en mesure de conclure son réexamen dans le courant du premier trimestre de 2012. Ladite communication expose, notamment, ce qui suit :

« Concernant l’allégation selon laquelle les preuves relatives à cette affaire auraient été obtenues sous la torture, l’État de résidence [du requérant] a communiqué son point de vue au [comité des sanctions] dans la lettre ci-jointe, datée du 7 décembre 2011. Un autre membre du [comité des sanctions] a affirmé que [le requérant] est connu pour diriger le ‘Al‑Maqreze Center for Historical Studies’, basé au Royaume-Uni. Du contenu radical est disponible sur le site Web de ce centre (www.almaqreze.net). »

29      La lettre de la représentation permanente du Royaume-Uni auprès de l’Organisation des Nations unies (ONU) au président du comité des sanctions du 7 décembre 2011, jointe à ladite communication, expose notamment ce qui suit :

« [Le requérant] conteste actuellement devant les juridictions du Royaume-Uni la décision du Royaume-Uni de soutenir sa désignation au titre de la résolution 1989 (2011) du Conseil de sécurité. Dans le cadre de ce recours, [le requérant] allègue que les preuves à sa charge ‘ont été soit obtenues sous la torture de [s]es collègues, soit fabriquées par les autorités égyptiennes’. Dès lors, [le requérant] ne suggère pas qu’il sait que les preuves retenues contre lui ont été obtenues sous la torture, mais plutôt qu’il croit ces preuves non fiables pour une de deux raisons possibles.

Le Royaume-Uni insiste sur le fait qu’il n’a aucune raison de croire que les informations qu’il a prises en considération lorsqu’il a décidé de lever ses réserves à la désignation [du requérant] ont été obtenues sous la torture ou fabriquées par les autorités égyptiennes, comme l’allègue [le requérant].

[Le requérant] dispose de la possibilité de s’adresser directement au [comité des sanctions] pour être radié de la liste. Depuis le 3 juin 2010, il a le droit de soumettre une demande de radiation au bureau du médiateur.

Le Royaume-Uni réexamine actuellement la désignation [du requérant] et reviendra vers le [comité des sanctions] dès que ce processus sera achevé. »

30      Par lettre du 11 janvier 2012, la Commission a informé le requérant que le réexamen de son cas était toujours en cours et lui a communiqué les éléments à charge additionnels contenus dans la lettre du président du comité des sanctions du 15 décembre 2011, susvisée, en l’invitant à lui soumettre ses observations à cet égard avant le 1er février 2012.

31      Par lettre du 1er février 2012, le requérant a présenté ses observations à la Commission.

32      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 1er mai 2012, le requérant a communiqué au Tribunal une copie des lettres mentionnées aux points 30 et 31 ci-dessus.

33      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

34      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 14 septembre 2012, le requérant a présenté une demande de mesure d’organisation de la procédure, visant à ce que certaines questions soient posées à la Commission. À cette lettre étaient joints une lettre du requérant à la Commission du 13 septembre 2012 ainsi qu’un certain nombre de documents déclassifiés, récemment reçus par lui des UK Security Services (services de sécurité du Royaume-Uni).

35      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 24 septembre 2012, la Commission a informé le Tribunal qu’elle avait reçu du président du comité des sanctions une autre communication écrite datée du 21 mars 2012, jointe en annexe à ladite lettre, concernant le cas du requérant, et a indiqué, sur la foi d’informations officieuses communiquées par sa délégation à New York (États-Unis), que le processus de réexamen du cas du requérant par le comité des sanctions pourrait aboutir à une décision le 23 décembre 2012. Ladite communication expose, notamment, ce qui suit :

« À la suite de mes précédents courriers des 2 et 15 décembre 2011, je voudrais vous informer que l’État de désignation a informé le comité [des sanctions] qu’il s’opposait à la divulgation de son identité en tant qu’État de désignation. De plus, les autorités de cet État ont confirmé que, ‘selon leur récent réexamen du cas [du requérant], elles étaient parvenues à la conclusion qu’il subsistait des liens et des connexions entre [le requérant] et Al‑Qaida, étant donné qu’il est membre du groupe Al‑jihad, lequel a des liens avec l’organisation Al‑Qaida’. »

36      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal à l’audience du 9 octobre 2012, à l’issue de laquelle la cause a été prise en délibéré.

37      Le 18 juillet 2013, la Cour a prononcé son arrêt dans les affaires jointes Commission e.a./Kadi (C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, ci-après l’« arrêt Kadi II de la Cour »).

 Conclusions des parties

38      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        constater que l’abstention de la Commission de radier son nom de la liste litigieuse est illégale ;

–        enjoindre à la Commission de radier son nom de ladite liste ;

–        condamner la Commission aux dépens, en ce compris les frais avancés par la caisse du Tribunal au titre de l’aide judiciaire.

39      La Commission, soutenue par le Conseil, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable et/ou comme non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

40      Lors de l’audience, le requérant a renoncé à son chef de conclusions visant à ce qu’il soit fait injonction à la Commission de radier son nom de la liste litigieuse, ainsi qu’à sa demande de mesure d’organisation de la procédure, ce dont il a été pris acte au procès-verbal de l’audience.

 En droit

 Sur la recevabilité

 Arguments des parties

41      La Commission et le Conseil soutiennent, en premier lieu, que le présent recours en carence constitue, en substance, un recours en annulation du règlement no 1629/2005, introduit manifestement hors délai et, partant, irrecevable.

42      Par ailleurs, le requérant ne serait pas recevable à agir en carence en invoquant le non-retrait du règlement no 1629/2005, dès lors qu’il s’est abstenu d’agir en annulation de ce règlement, lors de son adoption en 2005. Ce faisant, le requérant tenterait de contourner l’expiration du délai d’ordre public d’introduction du recours en annulation prévu à l’article 230 CE (devenu article 263 TFUE), ce qui serait interdit par une jurisprudence classique et constante. Selon le Conseil, il ne serait pas dans l’intérêt de l’administration de la justice d’accorder aux intéressés un délai en fait illimité pour former un recours susceptible de conduire à la révocation, rétroactive ou non, d’une mesure de gel des fonds.

43      La Commission et le Conseil font valoir, en deuxième lieu, que le présent recours est en tout état de cause irrecevable, car il ne serait pas établi que, au moment où la Commission a été invitée à agir, au sens de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, le 18 mars 2010, elle aurait été dans l’obligation, au regard du droit de l’Union européenne, de retirer le règlement no 1629/2005, pour autant qu’il concerne le requérant.

44      Le règlement no 881/2002, tel que modifié par le règlement no 1286/2009, ne prévoirait aucune obligation d’agir à la demande d’une personne concernée. La Commission serait seulement tenue, en vertu de l’article 7 quater, paragraphe 2, du règlement no 881/2002, tel que modifié par le règlement no 1286/2009, de communiquer à l’intéressé les motifs de l’inclusion de son nom dans la liste litigieuse « [dès] que l’exposé des motifs demandé est fourni par le comité des sanctions », puis, en vertu de l’article 7 quater, paragraphe 3, du règlement no 881/2002, de réexaminer sa décision « [si] des observations sont formulées » par l’intéressé. La Commission est d’avis qu’elle n’est pas tenue d’entamer la procédure de réexamen avant qu’elle n’ait reçu l’exposé des motifs du comité des sanctions et que les étapes visées à l’article 7 quater, paragraphe 2, du règlement no 881/2002 n’aient été menées à terme.

45      Or, en l’espèce, le comité des sanctions n’ayant pas transmis d’exposé des motifs à la Commission à la date d’introduction du recours, cette institution n’aurait pas omis de prendre une mesure lui incombant.

46      Par la suite, le requérant aurait dûment bénéficié des garanties procédurales prévues par le règlement no 881/2002, tel que modifié par le règlement no 1286/2009, et le réexamen de son inscription serait toujours en cours.

47      Le Conseil et la Commission font valoir, en troisième lieu, que le rejet du présent recours comme irrecevable ne prive pas le requérant de la possibilité de former un recours administratif ou juridictionnel contre la mesure de gel de ses avoirs.

48      À cet égard, ces institutions exposent, premièrement, que les droits de la défense des personnes et entités inscrites sur la liste du comité des sanctions sont désormais consacrés par le règlement no 881/2002, tel que modifié par le règlement no 1286/2009. En vertu de l’article 7 quater du règlement no 881/2002, tel que modifié par le règlement no 1286/2009, les personnes qui ont été inscrites sur la liste litigieuse avant le 3 septembre 2008 et qui continuent d’y figurer peuvent demander à la Commission de leur communiquer l’exposé des motifs ayant présidé à leur inscription et la Commission est tenue de leur communiquer l’exposé des motifs qu’elle reçoit du comité des sanctions, en leur donnant la possibilité d’exprimer leur point de vue à ce sujet. La Commission serait donc tenue de réexaminer sa décision de soumettre les intéressés à un gel de leurs avoirs et la décision qu’elle prend à l’issue de ce réexamen constituerait un acte destiné à produire des effets juridiques au sens de l’article 263 TFUE, susceptible d’un recours devant le juge de l’Union.

49      En l’espèce, l’exposé des motifs établi par le comité des sanctions le 7 septembre 2010 aurait été communiqué au requérant le 10 septembre 2010, la Commission l’invitant à formuler ses observations avant le 10 décembre 2010. Lesdites observations auraient alors été communiquées par la Commission au comité des sanctions.

50      Par ailleurs, même si le Tribunal faisait droit au présent recours, l’issue réelle du litige, quant au maintien du gel des fonds du requérant, dépendrait du résultat de la procédure administrative de réexamen actuellement en cours.

51      Le Conseil et la Commission se réfèrent, deuxièmement, aux possibilités de recours à l’office du médiateur institué par la résolution 1904 (2009) du Conseil de sécurité.

52      Le requérant conteste cette argumentation et soutient que le présent recours en carence est recevable.

 Appréciation du Tribunal

53      S’agissant de l’argumentation présentée en premier lieu par la Commission et le Conseil, il convient de relever d’emblée que le présent recours vise uniquement à faire « constater que l’abstention de la Commission de radier [le] nom [du requérant] de la liste litigieuse est illégale » et qu’il ne tend à l’annulation d’aucun acte. Un tel recours se présente donc, formellement, comme un recours en carence au titre de l’article 265 TFUE, et non comme un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE.

54      Certes, ainsi que la Commission et le Conseil le rappellent à juste titre, il n’est pas permis à un requérant de contourner l’expiration du délai d’introduction d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, dirigé contre un acte d’une institution, par l’« artifice de procédure » du recours en carence au titre de l’article 265 TFUE, dirigé contre le refus de cette institution d’annuler ou de révoquer ledit acte (arrêt de la Cour du 6 avril 1962, Meroni e.a./Haute Autorité, 21/61 à 26/61, Rec. p. 143, 155).

55      En particulier, il ne suffit pas d’alléguer qu’un tel acte aurait été pris en violation du traité FUE, dès lors que celui-ci prévoit, notamment à son article 263, d’autres voies par lesquelles un acte de l’Union prétendument illégal peut être attaqué et éventuellement annulé sur recours d’une partie dûment qualifiée. Admettre que les intéressés pourraient demander à l’institution dont émane l’acte de le révoquer et, en cas d’abstention de ladite institution, déférer celle-ci au juge de l’Union comme omission illégale de statuer, reviendrait à leur ouvrir une voie de recours parallèle à celle de l’article 263 TFUE, qui ne serait pas soumise aux conditions prévues par le traité. En conséquence, un tel recours ne satisfait pas aux exigences de l’article 265 TFUE et doit dès lors être déclaré irrecevable (arrêt de la Cour du 10 décembre 1969, Eridania e.a./Commission, 10/68 et 18/68, Rec. p. 459, points 16 à 18).

56      Or, en l’espèce, le délai d’introduction d’un recours en annulation dirigé contre le règlement no 1629/2005 ayant initialement ordonné le gel des fonds du requérant a expiré le 30 décembre 2005 et c’est précisément le refus de la Commission de retirer ce règlement qui constitue la carence alléguée dans le cadre du présent recours.

57      Bien plus, le requérant avait introduit un recours en annulation du règlement no 881/2002, tel que modifié par le règlement no 1629/2005, par requête dont une copie était parvenue par télécopie au greffe du Tribunal le 23 décembre 2005. L’original de ce recours n’ayant toutefois été déposé au greffe du Tribunal que le 6 janvier 2006, à la suite d’une erreur du cabinet d’avocats représentant le requérant, imputée à l’inexpérience d’une jeune secrétaire et à la période de Noël, ce recours a été rejeté comme manifestement irrecevable, car introduit hors délai, par l’ordonnance Yusef/Conseil, précitée.

58      Cela étant, d’un point de vue purement subjectif, cette dernière circonstance est plutôt de nature à révéler que le requérant ne cherche pas à contourner l’expiration du délai de recours en annulation par la voie du présent recours en carence, puisqu’il ne s’est plus manifesté auprès de la Commission avant le 7 mars 2009, soit pendant près de trois ans après le rejet de ce recours comme irrecevable.

59      Ce sont en réalité des éléments nouveaux, survenus bien après l’adoption du règlement no 1629/2005 et le rejet du recours en annulation de ce règlement comme irrecevable, qui, ainsi qu’il sera exposé ci-après, ont déterminé le requérant, dans un premier temps, le 7 mars 2009, à demander à avoir accès aux documents utilisés par la Commission afin de justifier le gel de ses fonds (voir point 5 ci-dessus), dans un second temps, le 18 mars 2010, à inviter la Commission à radier son nom de la liste litigieuse (voir point 9 ci-dessus) et, dans un troisième temps, le 23 juillet 2010, la Commission n’ayant donné aucune suite à cette invitation dans le délai de deux mois prévu à l’article 265 TFUE, à introduire le présent recours en carence.

60      Or, il est de jurisprudence constante que l’existence de faits nouveaux substantiels peut justifier la présentation d’une demande tendant au réexamen d’une décision qui n’a pas été contestée dans les délais (arrêts de la Cour du 15 mai 1985, Esly/Commission, 127/84, Rec. p. 1437, point 10, et du 14 juin 1988, Muysers et Tülp/Cour des comptes, 161/87, Rec. p. 3037, point 11 ; ordonnance du Tribunal du 11 juillet 1997, Chauvin/Commission, T‑16/97, RecFP p. I‑A‑237 et II‑681, point 37).

61      Dans ce contexte, il convient de s’attacher également à la dimension temporelle particulière de l’acte en cause en l’espèce, qui le distingue des actes ayant donné lieu à la jurisprudence rappelée au point 54 ci-dessus.

62      À la différence de tels actes destinés à produire des effets définitifs, en effet, une mesure de gel des fonds au titre du règlement no 881/2002 constitue une mesure conservatoire de nature préventive, qui n’est pas censée priver les intéressés de leur propriété (arrêt Kadi I de la Cour, point 358). La validité d’une telle mesure est ainsi toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à son adoption, ainsi qu’à la nécessité de son maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui lui est associé.

63      C’est cette nature par définition provisoire de la mesure de gel des fonds qui justifie l’inapplicabilité en l’espèce de la solution jurisprudentielle évoquée au point 54 ci-dessus. Contrairement à un acte destiné à produire des effets pérennes, une mesure de gel des fonds au titre du règlement no 881/2002 doit pouvoir faire l’objet d’une demande de réexamen à tout moment, en vue de vérifier si son maintien s’avère justifié, et l’abstention de la Commission de faire droit à une telle demande doit pouvoir faire l’objet d’un recours en carence.

64      Il convient de relever, à cet égard, ainsi que l’a fait la Cour au point 365 de son arrêt Kadi I, que les résolutions du Conseil de sécurité que le règlement no 881/2002 vise à mettre en œuvre prévoient elles-mêmes un mécanisme de réexamen périodique du régime général des mesures qu’elles édictent ainsi qu’une procédure permettant aux intéressés de soumettre « à tout moment » leur cas au comité des sanctions pour réexamen (voir également point 13 ci-dessus).

65      Enfin, il convient d’ajouter que retenir l’argumentation des institutions défenderesse et intervenante aurait pour conséquence, une fois expiré le délai de recours en annulation d’une mesure de gel des fonds, de conférer à la Commission le pouvoir exorbitant de geler indéfiniment les fonds d’une personne en-dehors de tout contrôle juridictionnel et quelle que soit l’évolution, voire la disparition, des circonstances ayant initialement justifié l’adoption de cette mesure (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 30 septembre 2009, Sison/Conseil, T‑341/07, Rec. p. II‑3625, point 116).

66      Au demeurant, dans ses conclusions sous l’arrêt Eridania e.a./Commission, précité (Rec. p. 484, 494), l’avocat général M. Roemer avait déjà exprimé l’opinion selon laquelle un requérant qui laisse expirer les délais fixés pour former un recours en annulation contre un acte ne saurait « demander son annulation » (sic) dans le cadre de la procédure de l’article 265 TFUE, « à moins qu’il ne prouve la survenance de faits nouveaux ». De même, la formulation précise du point 16 de l’arrêt Eridania e.a./Commission, précité, révèle qu’Eridania aurait pu obtenir gain de cause si elle avait été en mesure de démontrer qu’il existait une obligation légale incombant à la Commission de retirer les décisions contestées, par exemple dans le cas de survenance de faits nouveaux tel qu’envisagé par l’avocat général M. Roemer.

67      La démarche procédurale suivie en l’espèce par le requérant, précisément fondée sur l’invocation de certains faits nouveaux, est donc pleinement compatible avec la jurisprudence « classique et constante » que lui opposent la Commission et le Conseil.

68      Bien plus, elle est expressément envisagée par la réglementation en vigueur à la date de l’invitation à agir (18 mars 2010), à savoir l’article 7 quater du règlement no 881/2002, tel que modifié, à compter du 26 décembre 2009, par le règlement no 1286/2009. D’une part, en effet, cette disposition prévoit, en ses trois premiers paragraphes, une procédure de réexamen devant spécifiquement bénéficier aux personnes qui, à l’instar du requérant, ont été inscrites sur la liste litigieuse avant le 3 septembre 2008 (soit avant le prononcé de l’arrêt Kadi I de la Cour). Ces personnes peuvent demander à la Commission de leur communiquer l’exposé des motifs ayant présidé à leur inscription sur la liste litigieuse, elles peuvent ensuite formuler des observations à cet égard et la Commission doit alors réexaminer sa décision de les inscrire sur la liste en question, à la lumière de ces observations. D’autre part, ladite disposition prévoit, en son paragraphe 4, une procédure de réexamen devant bénéficier à toute personne inscrite sur la liste litigieuse qui, « sur la base de nouveaux éléments de preuve substantiels », présente une nouvelle demande de radiation. Dans un cas comme dans l’autre, la voie du recours en carence doit donc être ouverte, conformément à l’article 265 TFUE tel qu’il a été interprété par la jurisprudence, en cas d’abstention de la Commission de procéder au réexamen prévu par l’article 7 quater du règlement no 881/2002.

69      En l’espèce, les éléments nouveaux, spécifiquement allégués par le requérant dans sa lettre du 18 mars 2010 à la Commission, sont de deux ordres, à savoir, d’une part, le prononcé de l’arrêt Kadi I de la Cour, le 3 septembre 2008, lequel a énoncé les conditions de forme et de fond dans lesquelles une mesure de gel des fonds peut être imposée ainsi que les garanties de procédure dont doivent pouvoir bénéficier les intéressés, et, d’autre part, la circonstance que le gouvernement du Royaume-Uni, après avoir examiné, dans le contexte d’une procédure nationale, les éléments de preuve sur lesquels reposait l’inclusion de son nom dans la liste du comité des sanctions, avait conclu, aux environs du mois de juin 2009, qu’il ne remplissait pas les critères d’inclusion dans cette liste et annoncé son intention de s’adresser audit comité en vue d’obtenir la radiation de son nom de ladite liste (voir points 7et 9 ci-dessus).

70      S’agissant de la prise de position des autorités britanniques en faveur du requérant, celle-ci ressort de la déposition faite en qualité de témoin, devant la High Court, le 19 juin 2009, par le chef de l’équipe des sanctions du FCO (voir point 7 ci-dessus), autorisé à s’exprimer au nom de ce ministère. Elle constitue incontestablement un élément nouveau, puisque, à l’origine, le Royaume-Uni ne s’était pas opposé au gel des fonds du requérant, décidé par le comité des sanctions le 29 septembre 2005 (voir point 1 ci-dessus). Selon les règles de fonctionnement interne du comité des sanctions, telles qu’alors en vigueur, en effet, les mesures de gel des fonds étaient adoptées par consensus, donc à l’unanimité. Le Royaume-Uni, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité et, ipso facto, du comité des sanctions, a donc nécessairement marqué son accord au gel des fonds du requérant, en septembre 2005, avant de revenir sur sa position en 2009. Le requérant dit avoir eu connaissance de ce revirement en juin 2009 également, à l’occasion de la procédure devant la High Court, ce qui paraît attesté par les éléments du dossier et n’est en tout cas pas contesté par la Commission. Cet élément nouveau peut également être qualifié de substantiel, ne serait-ce qu’en raison du statut de membre permanent du Conseil de sécurité dont jouit cet État membre, qui est de surcroît l’État de résidence de l’intéressé.

71      S’agissant du prononcé de l’arrêt Kadi I de la Cour, il est vrai que, selon une jurisprudence constante, les effets juridiques d’un arrêt du juge de l’Union rendu dans le cadre du contentieux de l’annulation ne touchent, outre les parties, que les personnes directement concernées par l’acte annulé lui-même et qu’un tel arrêt n’est susceptible de constituer un fait nouveau qu’à l’égard de ces personnes (arrêts de la Cour du 17 juin 1965, Müller/Conseils CEE, CEEA et CECA, 43/64, Rec. p. 499, 515 ; du 14 décembre 1965, Pfloeschner/Commission, 52/64, Rec. p. 1211, 1219, et du 8 mars 1988, Brown/Cour de justice, 125/87, Rec. p. 1619, point 13 ; ordonnance du Tribunal du 15 décembre 1995, Progoulis/Commission, T‑131/95, RecFP p. I‑A‑297 et II‑907, point 41).

72      En l’espèce, toutefois, il convient de tenir compte non seulement du prononcé de l’arrêt Kadi I de la Cour, mais aussi et surtout du changement d’attitude et de comportement que cet arrêt a nécessairement induit chez la Commission, et qui est lui-même constitutif d’un fait nouveau et substantiel. Jusqu’au prononcé de cet arrêt, en effet, la Commission considérait, d’une part, qu’elle était strictement liée par les décisions du comité des sanctions, sans aucun pouvoir d’appréciation autonome, et, d’autre part, que les garanties usuelles des droits de la défense étaient inapplicables dans le contexte de l’adoption ou de la contestation d’une mesure de gel des fonds au titre du règlement no 881/2002. Ce point de vue avait du reste été validé par le Tribunal dans son arrêt du 21 septembre 2005, Kadi/Conseil et Commission (T‑315/01, Rec. p. II‑3649, ci-après l’« arrêt Kadi I du Tribunal »). En revanche, aussitôt après le prononcé de l’arrêt Kadi I de la Cour, qui a annulé l’arrêt Kadi I du Tribunal, et précisément pour se conformer à cet arrêt, comme le prévoit l’article 266 TFUE, la Commission a radicalement modifié son approche et s’est mise en mesure de réexaminer, sinon de sa propre initiative, du moins à la demande expresse des intéressés, tous les autres cas de gel des fonds au titre du règlement no 881/2002.

73      Dans ce contexte, il importe de relever que, selon la base de données Prelex, la proposition de la Commission au Conseil d’adopter un règlement modifiant le règlement no 881/2002, en vue de se conformer à l’arrêt Kadi I de la Cour, a été formellement adoptée par la Commission dès le 22 avril 2009 (voir, notamment, ses considérants 4, 5 et 8, et son article 1er, prévoyant, notamment, d’insérer un article 7 quater et un article 7 bis, paragraphe 3, dans le règlement no 881/2002).

74      Certes, ces dispositions nouvelles, telles qu’ultérieurement modifiées au cours du processus législatif, n’ont pas acquis force de loi avant leur adoption formelle par le Conseil et leur entrée en vigueur, le troisième jour suivant celui de leur publication au Journal officiel de l’Union européenne, le 23 décembre 2009. Il n’en demeure pas moins qu’elles reflètent également la reconnaissance, par la Commission, du fait que les personnes inscrites sur la liste litigieuse avant le prononcé de l’arrêt Kadi I de la Cour l’avaient été en méconnaissance de leurs droits fondamentaux et, surtout, sa nouvelle résolution de remédier pour l’avenir à cet état de fait. Le Tribunal considère qu’il s’agit là d’éléments nouveaux et substantiels par rapport à ce qui était la situation des personnes inscrites sur la liste litigieuse avant le prononcé de l’arrêt Kadi I de la Cour.

75      Compte tenu de tout ce qui précède, l’argumentation principale de la Commission et du Conseil doit être rejetée comme non fondée (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 1er septembre 2011, Elosta/Commission, T‑102/09, non publiée au Recueil, point 39).

76      Quant à l’argumentation présentée en second lieu par la Commission et le Conseil, fondée sur l’absence d’obligation d’agir, elle ne concerne pas la recevabilité, mais le fond du recours. Selon une jurisprudence constante, en effet, c’est afin de statuer sur le bien-fondé de conclusions en carence qu’il y a lieu de vérifier si, au moment de la mise en demeure de la Commission au sens de l’article 265 TFUE, il pesait sur l’institution une obligation d’agir (voir arrêts du Tribunal du 20 septembre 2011, Arch Chemicals et Arch Timber Protection/Commission, T‑400/04 et T‑402/04 à T‑404/04, non publié au Recueil, point 57, et du 29 septembre 2011, Ryanair/Commission, T‑442/07, non publié au Recueil, points 27 et 28, et la jurisprudence citée).

77      Enfin, l’argumentation présentée en troisième lieu par la Commission et le Conseil, fondée sur l’existence de voies de recours alternatives en droit de l’Union tout comme devant le médiateur du comité des sanctions, est dénuée de pertinence dans le cadre de l’examen de la recevabilité du présent recours. Celle-ci ne dépend pas, en effet, de l’absence d’autres voies de droit dans l’Union ou dans d’autres ordres juridiques permettant au requérant de contester la légalité du maintien du gel de ses avoirs.

78      Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission doit être rejetée.

 Sur le fond

 Arguments des parties

79      Au soutien de son recours, le requérant invoque formellement trois moyens. Le premier est tiré de l’absence de contrôle indépendant, par la Commission, des motifs ayant entraîné l’inclusion de son nom dans la liste litigieuse. Le second est tiré d’une violation de ses droits fondamentaux. Le troisième est tiré de l’« irrationalité » du maintien de son nom sur ladite liste.

80      Par son premier moyen, le requérant fait valoir que la Commission a l’obligation d’évaluer, par elle-même, les éléments sous-jacents à toute inclusion du nom d’une personne dans la liste litigieuse, afin de s’assurer que cette inclusion est justifiée. Or, en l’espèce, la Commission n’aurait manifestement pas respecté cette obligation, même après le prononcé de l’arrêt Kadi I de la Cour.

81      La Commission répond que le premier moyen ne concerne pas la carence alléguée, mais se rapporte plutôt à l’obligation lui incombant d’examiner les motifs de l’inclusion du nom de l’intéressé dans la liste litigieuse, conformément au règlement no 881/2002, tel que modifié par le règlement no 1286/2009, adopté à la suite de l’arrêt Kadi I de la Cour. Selon elle, un tel moyen n’est susceptible de prospérer que dans le cadre d’un recours en annulation. Par ailleurs, en soutenant que la Commission a omis de réexaminer son cas, le requérant n’établirait pas l’existence d’une obligation incombant à cette institution de radier son nom de la liste litigieuse.

82      Par son second moyen, le requérant soutient que, faute d’avoir obtenu la moindre communication des motifs justifiant l’inclusion de son nom dans la liste litigieuse ainsi que des éléments retenus à sa charge, ses droits fondamentaux, notamment ses droits de la défense, son droit à un recours juridictionnel effectif et son droit au respect de sa propriété, ont été violés de la même manière que l’ont été les droits fondamentaux des requérants dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt Kadi I de la Cour et à l’arrêt du Tribunal du 11 juin 2009, Othman/Conseil et Commission (T‑318/01, Rec. p. II‑1627). Pour autant que des raisons de sécurité nationale aient pu s’opposer à cette communication, il se réfère également à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 19 février 2009 (voir Cour eur. D.H., arrêt A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 220, CEDH 2009).

83      La Commission répond qu’aucune obligation de radier le nom du requérant de la liste litigieuse ne découle de l’arrêt Kadi I de la Cour. Même en admettant que la Commission était tenue d’agir envers le requérant après le prononcé dudit arrêt, cette obligation n’aurait pas, selon elle, consisté en la simple radiation du nom de l’intéressé de ladite liste, mais en l’octroi de garanties juridiques adéquates. Or, la Commission se serait déchargée de cette obligation en proposant au Conseil d’adopter le règlement no 1286/2009 et en faisant bénéficier le requérant des garanties prévues par ce règlement, une fois celui-ci adopté. Le requérant aurait, en effet, reçu l’exposé des motifs de son inclusion dans la liste litigieuse, il aurait fait part de ses observations à cet égard et le réexamen de son inscription serait en cours.

84      Par son troisième moyen, le requérant fait valoir que le maintien de son nom dans la liste litigieuse est irrationnel dans la mesure où aucun élément ne permet de considérer que les critères d’inclusion requis à cet effet par le règlement no 881/2002 sont remplis en l’espèce et où, bien au contraire, le FCO estime qu’il ne répond plus à ces critères.

85      La Commission répond que la simple allégation que le maintien du nom du requérant dans la liste litigieuse est « irrationnel » ne peut pas servir de fondement à une obligation pour elle de le retirer. La Commission rappelle, par ailleurs, que la procédure de réexamen telle que définie à l’article 7 quater du règlement no 881/2002 est actuellement en cours.

 Appréciation du Tribunal

86      Aux fins du présent arrêt, il n’est pas nécessaire de procéder à un examen séparé des trois moyens du recours, dès lors que l’argumentation commune qui les sous-tend est entièrement fondée sur le non-respect persistant, par la Commission, des principes énoncés par la Cour dans son arrêt Kadi I.

87      À cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence constante selon laquelle, afin de statuer sur le bien-fondé de conclusions en carence, il y a lieu de vérifier si, au moment de la mise en demeure de la Commission au sens de l’article 265 TFUE, à savoir, en l’espèce, à la date du 18 mars 2010, il pesait sur cette institution une obligation d’agir (voir arrêt Ryanair/Commission, précité, point 28, et la jurisprudence citée).

88      À cette date, les conditions dans lesquelles la Commission est tenue d’agir, à la demande d’une personne dont les fonds ont été gelés avant le 3 septembre 2008 et qui demande à être radiée de la liste litigieuse, étaient régies, d’une part, par l’article 7 quater du règlement no 881/2002, tel que modifié par le règlement no 1286/2009, entré en vigueur le 26 décembre 2009, et, d’autre part, par les principes jurisprudentiels dégagés par la Cour dans son arrêt Kadi I.

89      Aux termes de l’article 7 quater du règlement no 881/2002, tel que modifié par le règlement no 1286/2009 :

« 1. Les personnes physiques ou morales, les entités, les organismes et les groupes qui ont été inscrits sur la liste [litigieuse] avant le 3 septembre 2008 et qui continuent d’y figurer peuvent demander à la Commission de leur communiquer l’exposé des motifs ayant présidé à leur inscription […]

2. Dès que l’exposé des motifs demandé est fourni par le comité des sanctions, la Commission le communique à la personne, entité, organisme ou groupe concerné, en lui donnant la possibilité d’exprimer son point de vue à ce sujet.

3. Si des observations sont formulées, la Commission réexamine sa décision d’inscrire la personne, l’entité, l’organisme ou le groupe concerné sur la liste [litigieuse] à la lumière de ces observations et suivant la procédure visée à l’article 7 ter, paragraphe 2. Ces observations sont transmises au comité des sanctions. La Commission communique les conclusions de ce réexamen à la personne, entité, organisme ou groupe concerné. Ces conclusions sont également transmises au comité des sanctions.

4. Si, sur la base de nouveaux éléments de preuve substantiels, il est présenté une nouvelle demande visant à radier une personne, une entité, un organisme ou un groupe de la liste [litigieuse], la Commission procède à un nouvel examen, conformément au paragraphe 3 et suivant la procédure visée à l’article 7 ter, paragraphe 2. »

90      Quant à l’arrêt Kadi I de la Cour, il découle, notamment, de ses points 348 et 349 que l’institution de l’Union concernée, en décidant de geler les fonds d’une personne en application du règlement no 881/2002, est tenue, pour respecter ses droits de la défense, en particulier celui d’être entendu et son droit à un contrôle juridictionnel effectif, de communiquer à l’intéressé les éléments retenus à sa charge ou de lui accorder le droit d’en prendre connaissance dans un délai raisonnable après l’édiction de cette mesure et de lui donner la possibilité de faire connaître utilement son point de vue à cet égard.

91      Il découle, par ailleurs, de l’économie générale de l’arrêt Kadi I de la Cour et, plus spécifiquement, de l’arrêt Kadi II du Tribunal (points 171 et 172), non remis en cause par l’arrêt Kadi II de la Cour, que la Commission, loin de s’estimer rigoureusement tenue par les appréciations du comité des sanctions, doit au contraire envisager de remettre celles-ci en cause à la lumière des observations soumises par l’intéressé, à défaut de quoi les droits de la défense de celui-ci ne sont respectés que de manière purement formelle et apparente.

92      Dans son arrêt Kadi II (points 114 à 116), la Cour a confirmé que, lorsque des observations sont formulées par la personne concernée au sujet de l’exposé des motifs, l’autorité compétente de l’Union a l’obligation d’examiner, avec soin et impartialité, le bien-fondé des motifs allégués, à la lumière de ces observations et des éventuels éléments à décharge joints à celles-ci. À ce titre, il incombe à cette autorité d’évaluer, eu égard, notamment, au contenu de ces observations éventuelles, la nécessité de solliciter la collaboration du comité des sanctions et, à travers ce dernier, du membre de l’ONU qui a proposé l’inscription de la personne concernée sur la liste dudit comité, pour obtenir, dans le cadre du climat de coopération utile, qui, en vertu de l’article 220, paragraphe 1, TFUE, doit présider aux relations de l’Union avec les organes des Nations unies dans le domaine de la lutte contre le terrorisme international, la communication d’informations ou d’éléments de preuve, confidentiels ou non, qui lui permettent de s’acquitter de ce devoir d’examen soigneux et impartial. Enfin, sans aller jusqu’à imposer de répondre de manière détaillée aux observations soulevées par la personne concernée, l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE implique en toute circonstances, y compris lorsque la motivation de l’acte de l’Union correspond à des motifs exposés par une instance internationale, que cette motivation identifie les raisons individuelles, spécifiques et concrètes pour lesquelles les autorités compétentes considèrent que la personne concernée doit faire l’objet de mesures restrictives.

93      Dans le même arrêt Kadi II (point 135), la Cour a déduit de cette analyse que le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective exige, d’une part, de l’autorité compétente de l’Union qu’elle communique à la personne concernée l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions, sur lequel est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom de ladite personne sur la liste litigieuse, qu’elle lui permette de faire connaître utilement ses observations à ce sujet et qu’elle examine, avec soin et impartialité, le bien-fondé des motifs allégués à la lumière des observations formulées et des éventuels éléments de preuve à décharge produits par cette personne.

94      En l’espèce, il est constant qu’aucun de ces principes et aucune de ces garanties n’avaient bénéficié au requérant dans le contexte de l’adoption du règlement no 1629/2005, ni même après le prononcé de l’arrêt Kadi I de la Cour, jusqu’aux deux dates auxquelles il a, d’abord, demandé à avoir accès aux documents utilisés par la Commission afin de justifier l’inclusion de son nom dans la liste litigieuse, puis invité cette institution à radier son nom de ladite liste.

95      Plus particulièrement, il ressort de la lettre de la Commission du 23 avril 2009, postérieure donc au prononcé de l’arrêt Kadi I de la Cour, que celle-ci s’est fondée sur la seule existence d’un simple communiqué de presse nullement motivé du comité des sanctions pour adopter le règlement no 1629/2005. La Commission n’a reçu du comité des sanctions aucun autre document pertinent avant la date du 31 août 2010, à laquelle elle a reçu l’exposé des motifs dudit comité.

96      La Commission était pourtant bel et bien dans une obligation d’agir à l’égard du requérant, en vue de remédier à ces irrégularités de procédure et de fond, sinon aussitôt après le prononcé de l’arrêt Kadi I de la Cour ou bien encore en réaction à la lettre du requérant du 7 mars 2009, à tout le moins et au plus tard en réponse à sa mise en demeure du 18 mars 2010.

97      Il en va d’autant plus ainsi que le requérant avait fait état d’éléments nouveaux et importants, que la Commission était à tout le moins tenue d’examiner, afin d’apprécier s’ils étaient constitutifs d’un changement de circonstances de nature à justifier, le cas échéant, le retrait du règlement no 1629/2005, sans effet rétroactif.

98      Il s’ensuit que, même si la Commission considérait que l’imposition au requérant des mesures restrictives prévues par le règlement no 881/2002, telle que mise en œuvre par le règlement no 1629/2005, était et demeurait justifiée, sur le fond, au regard de la situation personnelle de l’intéressé telle qu’elle ressortait du dossier, en ce compris les nouveaux éléments factuels portés à sa connaissance, elle était en tout état de cause tenue de remédier dans les meilleurs délais à la violation patente des principes applicables dans le cadre de la procédure suivie lors de l’adoption du règlement no 1629/2005, après avoir constaté que cette violation était identique, en substance, à la violation de ces mêmes principes constatée par la Cour et par le Tribunal dans leurs arrêts respectifs Kadi I et Kadi II (voir, en ce sens, arrêt Kadi I de la Cour, points 373 à 376).

99      Dès lors qu’il est constant que la Commission n’a réservé aucune suite utile et adéquate à la lettre du requérant du 18 mars 2010, par laquelle celui-ci demandait le respect de ces principes en invoquant spécifiquement l’arrêt Kadi I de la Cour, il y a lieu de considérer qu’elle s’est trouvée en situation de carence à cet égard le 18 mai 2010, à l’expiration du délai de deux mois suivant l’invitation à agir contenue dans ladite lettre.

100    Bien que la Commission ait ultérieurement communiqué au requérant, le 10 septembre 2010, l’exposé des motifs reçu du comité des sanctions le 31 août 2010, en l’invitant à faire valoir ses observations à cet égard, puis qu’elle ait transmis lesdites observations au comité des sanctions en décembre 2010, tout en entamant le processus de réexamen de sa décision d’inscrire le nom du requérant sur la liste litigieuse prévue par le règlement no 881/2002, tel que modifié par le règlement no 1286/2009, il y a lieu de considérer que cette situation de carence perdurait encore à la date de la clôture de la procédure orale, puisqu’il n’avait toujours pas été remédié de façon adéquate à la violation dont il est question au point 96 ci-dessus, dans le cadre de ce processus de réexamen.

101    À cet égard, il convient de rejeter l’argument de la Commission tiré de ce qu’elle aurait entamé la procédure de réexamen, laquelle serait toujours en cours, et communiqué au requérant l’exposé des motifs que lui avait transmis le comité des sanctions. Il ressort en effet d’une jurisprudence constante qu’une lettre émanant d’une institution, aux termes de laquelle l’analyse des questions soulevées se poursuit, ne constitue pas une prise de position mettant fin à une carence (voir arrêt du Tribunal du 26 février 2003, CEVA et Pharmacia Entreprises/Commission, T‑344/00 et T‑345/00, Rec. p. II‑229, point 80, et la jurisprudence citée).

102    Plus spécifiquement, il n’est pas admissible que, plus de quatre ans après le prononcé de l’arrêt Kadi I de la Cour, la Commission ne soit toujours pas en mesure de s’acquitter de son devoir d’examen soigneux et impartial du cas du requérant (arrêt Kadi II de la Cour, points 114 et 135), le cas échéant en « coopération utile » avec le comité des sanctions (arrêt Kadi II de la Cour, point 115).

103    Au demeurant, selon ses affirmations à l’audience, la Commission persiste à se considérer comme strictement liée par les appréciations du comité des sanctions et comme ne disposant d’aucune marge d’appréciation autonome à cet égard, en contradiction avec les principes énoncés par la Cour dans ses arrêts Kadi I et Kadi II (en particulier aux points 114, 115 et 135) et par le Tribunal dans son arrêt Kadi II.

104    Dans ces circonstances, force est de constater que c’est de manière purement formelle et artificielle que la Commission prétend remédier, par la mise en œuvre de la procédure de réexamen du cas du requérant, aux illégalités de même nature constatées par la Cour dans son arrêt Kadi I.

105    En conséquence de ce qui précède, les deux premiers moyens du recours, respectivement tirés d’une carence de la Commission quant au contrôle à exercer par elle sur les appréciations du comité des sanctions et d’une carence de cette même institution quant au respect des droits fondamentaux du requérant, dans le cadre de la procédure de gel de ses fonds, doivent être considérés comme fondés.

106    Cela étant, il convient de préciser l’étendue de cette carence.

107    Comme la Cour l’a jugé au point 374 de son arrêt Kadi I, il ne saurait être exclu que, sur le fond, le maintien du nom du requérant sur la liste litigieuse puisse tout de même s’avérer justifié, même à la lumière des nouveaux éléments que la Commission doit prendre en considération. La carence constatée ne consiste donc pas, comme l’allègue le requérant, en une abstention de procéder au retrait du règlement no 1629/2005, mais en une abstention plus limitée de respecter les principes applicables dans le cadre de la procédure suivie lors du réexamen demandé de la situation du requérant.

108    Partant, il y a lieu de ne faire que partiellement droit au premier chef de conclusions du requérant, en constatant que l’abstention de la Commission de remédier aux vices de procédure et aux irrégularités de fond ayant entaché le gel de ses fonds est illégale.

109    Dans ces circonstances, il y a lieu d’écarter le troisième moyen.

 Sur les dépens

110    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant, pour l’essentiel, succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

111    Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs dépens. Il y a donc lieu d’ordonner que le Conseil supportera ses dépens.

112    Conformément à l’article 97, paragraphe 3, dudit règlement, le requérant ayant été admis au bénéfice de l’aide judiciaire et le Tribunal ayant condamné la Commission à supporter les dépens exposés par celui-ci, la Commission sera tenue de rembourser à la caisse du Tribunal les sommes avancées au titre de l’aide judiciaire.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La Commission européenne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité FUE et du règlement (CE) no 881/2002 du Conseil, du 27 mai 2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al‑Qaida et aux Taliban et abrogeant le règlement (CE) no 467/2001 du Conseil, en s’abstenant de remédier aux vices de procédure et aux irrégularités de fond ayant entaché le gel des fonds de M. Hani El Sayyed Elsebai Yusef.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La Commission est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par M. Yusef, ainsi que les sommes avancées par la caisse du Tribunal au titre de l’aide judiciaire.

4)      Le Conseil de l’Union européenne supportera ses propres dépens.

Forwood

Dehousse

Schwarcz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 mars 2014.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.