Language of document : ECLI:EU:C:2014:2063

ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

10 juillet 2014 (*)

«Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Marchés n’atteignant pas le seuil prévu par la directive 2004/18/CE – Articles 49 TFUE et 56 TFUE – Principe de proportionnalité – Conditions d’exclusion d’une procédure d’attribution – Critères de sélection qualitative relatifs à la situation personnelle du soumissionnaire – Obligations relatives au paiement des cotisations de sécurité sociale – Notion d’‘infraction grave’ – Écart entre les sommes dues et les sommes versées supérieur à 100 euros et à 5 % des sommes dues»

Dans l’affaire C‑358/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (Italie), par décision du 15 mars 2012, parvenue à la Cour le 30 juillet 2012, dans la procédure

Consorzio Stabile Libor Lavori Pubblici

contre

Comune di Milano,

en présence de:

Pascolo Srl,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. A. Rosas, faisant fonction de président de la dixième chambre, MM. D. Šváby et C. Vajda (rapporteur), juges,

avocat général: M. M. Wathelet,

greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 juillet 2013,

considérant les observations présentées:

–        pour le Consorzio Stabile Libor Lavori Pubblici, par Mes N. Seminara, R. Invernizzi et M. Falsanisi, avvocati,

–        pour le Comune di Milano, par Mes M. Maffey et S. Pagano, avvocati,

–        pour Pascolo Srl, par Mes A. Tornitore, F. Femiano, G. Fuzier et G. Sorrentino, avvocati,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. G. Aiello, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement polonais, par MM. B. Majczyna et M. Szpunar, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. A. Tokár et Mme L. Pignataro-Nolin, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 TFUE, 56 TFUE et 101 TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Consorzio Stabile Libor Lavori Pubblici (ci-après le «Libor») au Comune di Milano au sujet de la décision de ce dernier d’annuler l’adjudication définitive au Libor d’un marché public de travaux au motif que le Libor était en infraction au regard de ses obligations de paiement de cotisations sociales pour un montant de 278 euros.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        La directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114), telle que modifiée par le règlement (CE) n° 1177/2009 de la Commission, du 30 novembre 2009 (JO L 314, p. 64, ci-après la «directive 2004/18»), énonce à son considérant 2:

«La passation de marchés conclus dans les États membres pour le compte de l’État, des collectivités territoriales et d’autres organismes de droit public doit respecter les principes du traité, notamment les principes de la libre circulation des marchandises, de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services, ainsi que les principes qui en découlent, comme l’égalité de traitement, la non‑discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence. Toutefois, en ce qui concerne les marchés publics dépassant un certain montant, il est recommandé d’élaborer des dispositions en matière de coordination communautaire des procédures nationales de passation de ces marchés qui soient fondées sur ces principes de manière à garantir leurs effets ainsi qu’une mise en concurrence effective des marchés publics. Par conséquent, ces dispositions de coordination devraient être interprétées conformément aux règles et principes précités ainsi qu’aux autres règles du traité.»

4        L’article 7 de cette directive prévoit le montant des seuils à partir desquels les règles de coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services qu’elle édicte s’appliquent. Pour les marchés publics de travaux, l’article 7, sous c), de ladite directive fixe le seuil applicable à 4 845 000 euros.

5        L’article 45 de la directive 2004/18 concerne les critères de sélection qualitative relatifs à la situation personnelle du candidat ou du soumissionnaire. Le paragraphe 2 de cet article prévoit:

«Peut être exclu de la participation au marché, tout opérateur économique:

[...]

e)      qui n’est pas en règle avec ses obligations relatives au paiement des cotisations de sécurité sociale selon les dispositions légales du pays où il est établi ou celles du pays du pouvoir adjudicateur;

f)      qui n’est pas en règle avec ses obligations relatives au paiement de ses impôts et taxes selon les dispositions légales du pays où il est établi ou celles du pays du pouvoir adjudicateur;

[...]

Les États membres précisent, conformément à leur droit national et dans le respect du droit communautaire, les conditions d’application du présent paragraphe.»

 Le droit italien

6        Le décret législatif n° 163, portant création du code des marchés publics de travaux, de services et de fournitures en application des directives 2004/17/CE et 2004/18/CE (decreto legislativo n. 163 – Codice dei contratti pubblici relativi a lavori, servizi e forniture in attuazione delle direttive 2004/17/CE e 2004/18/CE), du 12 avril 2006 (supplément ordinaire à la GURI n° 100, du 2 mai 2006), tel que modifié par le décret-loi n° 70, du 13 mai 2011 (GURI n° 110, du 13 mai 2011, p. 1), converti en loi par la loi n° 106, du 12 juillet 2011 (GURI n° 160, du 12 juillet 2011, p. 1, ci-après le «décret législatif n° 163/2006»), régit en Italie, dans leur ensemble, les procédures de passation des marchés publics dans les secteurs des travaux, des services et des fournitures.

7        Le décret législatif n° 163/2006 contient, dans sa partie II, parmi les règles applicables indépendamment du montant du contrat, l’article 38 qui fixe les conditions générales de participation aux procédures de passation des concessions et des marchés publics de travaux, de fournitures et de services. L’article 38, paragraphe 1, sous i), de ce décret dispose:

«1.      Sont exclus de la participation aux procédures de passation des concessions et des marchés publics de travaux, fournitures et services et ne peuvent se voir attribuer des marchés de sous-traitance ni passer de contrats relatifs à ces marchés, les personnes:

[...]

i)      qui ont commis des infractions graves définitivement établies aux règles applicables en matière de versement de cotisations de sécurité sociale selon la législation italienne ou celle de l’État dans lequel ils sont établis».

8        L’article 38, paragraphe 2, dudit décret législatif définit le critère de gravité des infractions aux règles applicables en matière de versement de cotisations aux organismes de prévoyance sociale. Il prévoit en substance que, aux fins de l’article 38, paragraphe 1, sous i), du même décret législatif, sont considérées comme graves les infractions qui font obstacle à la délivrance du document unique de régularité en matière de contributions sociales (documento unico di regolarità contributiva, ci-après le «DURC»).

9        Les infractions qui font obstacle à la délivrance du DURC sont, quant à elles, définies par un décret du ministère du travail et de la prévoyance sociale portant réglementation du document unique de régularité en matière de contributions sociales (Decreto del ministero del lavoro e della previdenza sociale – che disciplina il documento unico di regolarità contributiva), du 24 octobre 2007 (GURI n° 279, du 30 novembre 2007, p. 11). Aux termes de l’article 8, paragraphe 3, de ce décret ministériel:

«À la seule fin de la participation à un appel d’offres, un écart peu important entre les sommes dues et celles versées en ce qui concerne chaque organisme de prévoyance sociale et chaque caisse du bâtiment ne fait pas obstacle à la délivrance du DURC. Un écart inférieur ou égal à 5 % entre les sommes dues et celles versées pour chaque période de versement de rémunération ou de cotisations ou en tout état de cause inférieur à 100 euros n’est pas considéré comme grave, nonobstant une obligation de paiement du montant précité dans les trente jours après la délivrance du DURC.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

10      Par un avis publié le 6 juin 2011, le Comune di Milano a lancé un appel d’offres en vue de l’attribution d’un marché ayant pour objet «des travaux de réfection et d’installation de dispositifs anti-intrusion sur des immeubles résidentiels détenus par la commune de Milan», qu’il y avait lieu d’adjuger selon le critère du prix le plus bas en se fondant sur une valeur de marché chiffrée à 4 784 914,61 euros.

11      L’avis imposait expressément à chacun des soumissionnaires, sous peine d’exclusion, de déclarer qu’il satisfaisait aux critères généraux de participation à l’appel d’offres tels qu’ils figurent à l’article 38 du décret législatif n° 163/2006.

12      Le Libor a introduit une demande de participation et a déclaré en reprenant les termes de l’article 38, paragraphe 1, sous i), de ce décret législatif «ne pas avoir commis d’infractions graves, définitivement établies, aux règles applicables en matière de versement de cotisations aux organismes de prévoyance sociale selon la législation italienne».

13      À l’issue de la procédure, le Comune di Milano a adjugé le marché au Libor et lui a communiqué cette décision par note du 28 juillet 2011. Il a ensuite contrôlé ladite déclaration de l’adjudicataire. À cette fin, il a obtenu de l’administration compétente le DURC duquel il ressortait que le Libor n’était pas à jour du paiement de ses cotisations sociales lorsqu’il a introduit sa demande de participation à l’appel d’offres, ayant omis d’effectuer, dans les délais requis, les versements relatifs au mois de mai 2011 d’un montant de 278 euros et correspondant à la totalité des cotisations dues pour ce mois. Cette somme a été acquittée avec retard par le Libor, le 28 juillet 2011.

14      Compte tenu de l’infraction ressortant du DURC, le Comune di Milano a annulé l’adjudication définitive en faveur du Libor et a exclu ce dernier de la procédure. Il a désigné comme nouvel adjudicataire Pascolo Srl.

15      Le Libor a introduit un recours contre cette décision d’annulation devant le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia en faisant notamment valoir que l’article 38, paragraphe 2, du décret législatif n° 163/2006 est incompatible avec le droit de l’Union.

16      La juridiction de renvoi indique que l’appel d’offres dont il s’agit ne relève pas de la directive 2004/18, dans la mesure où la valeur du marché en cause au principal est inférieure au seuil fixé par l’article 7, sous c), de cette directive. Elle considère, néanmoins, que cet appel d’offres a un intérêt transfrontalier, de sorte que, selon la jurisprudence de la Cour, les règles fondamentales du traité FUE doivent être respectées. À cet égard, elle nourrit des doutes sur la compatibilité de l’article 38, paragraphe 2, du décret législatif n° 163/2006 avec les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement du droit de l’Union.

17      Selon la juridiction de renvoi, en introduisant un critère purement légal de «gravité» de l’infraction à l’obligation de verser des cotisations, ladite disposition a pour effet de priver le pouvoir adjudicateur de toute marge d’appréciation discrétionnaire pour déterminer s’il est satisfait aux critères de participation relatifs à l’absence d’arriérés de cotisations sociales. Une telle exclusion serait en soi compatible avec le droit de l’Union dans la mesure où elle renforcerait l’égalité de traitement entre les différents opérateurs économiques participant à un appel d’offres.

18      Toutefois, la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité des critères élaborés par le législateur national avec le principe de proportionnalité. Elle relève que la condition relative au respect, par une entreprise, de ses obligations de paiement des cotisations sociales a été instituée dans l’objectif de s’assurer de la fiabilité, de la diligence et du sérieux de l’entreprise soumissionnaire ainsi que de son comportement correct vis-à-vis de ses propres salariés. La juridiction de renvoi se demande si, s’agissant d’une procédure d’adjudication spécifique, une violation de cette condition constitue véritablement un indice significatif du manque de fiabilité d’une entreprise. Il s’agirait en effet d’un critère abstrait qui ne tient pas compte des caractéristiques d’un appel d’offres spécifique, relatives à l’objet et à la valeur réelle de ce dernier, ainsi que de l’importance du chiffre d’affaires et de la capacité économique et financière de l’entreprise qui a commis l’infraction. Par ailleurs, l’exclusion d’une entreprise de la participation à un appel d’offres serait disproportionnée dans des cas où, comme dans celui de l’affaire au principal, l’infraction porte sur un montant peu important.

19      La juridiction de renvoi émet en outre des doutes quant à la cohérence des conditions d’exclusion d’un marché pour non-paiement de cotisations sociales avec celles concernant le non-paiement en matière fiscale, selon lesquelles seules les infractions qui portent sur un montant dépassant 10 000 euros seraient qualifiées de graves.

20      Dans ces conditions, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le principe de proportionnalité, résultant du droit d’établissement et des principes de non-discrimination et de protection de la concurrence, visés aux articles 49 [TFUE], 56 [TFUE] et 101 [TFUE], ainsi que le principe du caractère raisonnable inscrit dans le principe de proportionnalité font-ils obstacle à une législation nationale qui, aussi bien pour les appels d’offres situés au-dessus du seuil de pertinence [de l’Union européenne] que pour ceux situés en-dessous, qualifie de grave une infraction en matière de versement des prestations définitivement établie dès lors que son montant dépasse le seuil de 100 euros et qu’il est dans le même temps supérieur de 5 % à l’écart entre les sommes dues et celles versées pour chaque période de rémunération ou de cotisation avec [pour conséquence] l’obligation qui en résulte pour les pouvoirs adjudicateurs d’exclure d’un appel d’offres le soumissionnaire qui s’est rendu responsable d’une telle infraction sans tenir compte d’autres aspects démontrant spécifiquement la fiabilité du soumissionnaire en cause comme cocontractant?»

 Sur la question préjudicielle

21      À titre liminaire, il convient de relever que, même si, comme la question en fait mention, la réglementation nationale en cause au principal s’applique aux appels d’offres dont la valeur se situe tant au-dessus qu’au-dessous des seuils des marchés publics fixés à l’article 7 de la directive 2004/18, la valeur du marché public en cause au principal est inférieure au montant indiqué à cet article 7, sous c).

22      En outre, il découle tant du libellé de cette question que des observations de la juridiction de renvoi, telles que résumées au point 18 du présent arrêt, que celle-ci s’interroge en particulier sur le respect du principe de proportionnalité par la législation nationale en cause au principal.

23      Dès lors, par sa question, cette juridiction demande, en substance, si les articles 49 TFUE, 56 TFUE et 101 TFUE ainsi que le principe de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui, s’agissant des marchés publics de travaux dont la valeur est inférieure au seuil défini à l’article 7, sous c), de la directive 2004/18, oblige les pouvoirs adjudicateurs à exclure de la procédure d’attribution d’un tel marché un soumissionnaire responsable d’une infraction en matière de versement de cotisations de sécurité sociale si l’écart entre les sommes dues et celles versées est d’un montant supérieur, à la fois, à 100 euros et à 5 % des sommes dues.

24      Il y a lieu de rappeler d’emblée que l’application de cette directive à un marché public est soumise à la condition que la valeur estimée de celui-ci atteigne le seuil pertinent fixé à l’article 7 de ladite directive. Dans le cas contraire, les règles fondamentales et les principes généraux du traité sont d’application, pour autant que le marché concerné présente un intérêt transfrontalier certain eu égard, notamment, à son importance et au lieu de son exécution (voir en ce sens, notamment, arrêt Ordine degli Ingegneri della Provincia di Lecce e.a., C‑159/11, EU:C:2012:817, point 23 et jurisprudence citée). Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier l’existence d’un tel intérêt (voir, en ce sens, arrêt Belgacom, C‑221/12, EU:C:2013:736, point 30 et jurisprudence citée).

25      Aussi, bien que le marché public de travaux en cause au principal n’atteigne pas le seuil défini à l’article 7, sous c), de la même directive, il convient, dans la mesure où la juridiction de renvoi considère que ce marché présente un intérêt transfrontalier certain, de constater que lesdites règles fondamentales et lesdits principes généraux s’appliquent dans l’affaire au principal.

26      En ce qui concerne les dispositions du traité auxquelles se réfère la juridiction de renvoi, une situation d’exclusion d’une procédure de passation de marché public telle que celle en cause au principal ne constitue pas un accord entre entreprises, une décision d’associations d’entreprises ou une pratique concertée, au sens de l’article 101 TFUE. Il n’y a donc pas lieu d’examiner une disposition nationale telle que celle en cause au principal au regard de cet article.

27      En revanche, ainsi qu’il ressort du considérant 2 de la directive 2004/18, parmi les principes du traité qui doivent être respectés lors de la passation de marchés publics figurent, notamment, ceux de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services ainsi que celui de proportionnalité.

28      S’agissant des articles 49 TFUE et 56 TFUE, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que ces articles s’opposent à toute mesure nationale qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union européenne, de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services garanties par lesdites dispositions du traité (voir, notamment, arrêt Serrantoni et Consorzio stabile edili, C‑376/08, EU:C:2009:808, point 41).

29      En ce qui concerne les marchés publics, il est de l’intérêt de l’Union en matière de liberté d’établissement et de libre prestation de services que l’ouverture d’un appel d’offres à la concurrence soit la plus large possible (voir, en ce sens, arrêt CoNISMa, C‑305/08, EU:C:2009:807, point 37). Or, l’application d’une disposition, qui exclut de la participation aux procédures de passation de marchés publics de travaux les personnes coupables d’infractions graves aux règles nationales applicables en matière de versement de cotisations de sécurité sociale, telle que celle prévue à l’article 38, paragraphe 1, sous i), du décret législatif n° 163/2006, est susceptible d’empêcher la participation la plus large possible de soumissionnaires aux procédures d’appels d’offres.

30      Une telle disposition nationale susceptible d’empêcher la participation de soumissionnaires à un marché public présentant un intérêt transfrontalier certain constitue une restriction au sens des articles 49 TFUE et 56 TFUE.

31      Toutefois, une telle restriction peut être justifiée dans la mesure où elle poursuit un objectif légitime d’intérêt général et pour autant qu’elle respecte le principe de proportionnalité, c’est-à-dire qu’elle est propre à garantir la réalisation de cet objectif et qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (voir, en ce sens, arrêt Serrantoni et Consorzio stabile edili, EU:C:2009:808, point 44).

32      À cet égard, tout d’abord, il ressort de la décision de renvoi que l’objectif poursuivi par la cause d’exclusion des marchés publics définie à l’article 38, paragraphe 1, sous i), du décret législatif n° 163/2006 est de s’assurer de la fiabilité, de la diligence et du sérieux du soumissionnaire ainsi que du comportement correct de celui-ci vis-à-vis de ses salariés. Il y a lieu de considérer que s’assurer qu’un soumissionnaire possède de telles qualités constitue un objectif légitime d’intérêt général.

33      Ensuite, il convient de constater qu’une cause d’exclusion, telle que celle prévue à l’article 38, paragraphe 1, sous i), du décret législatif n° 163/2006, est propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, dès lors qu’un impayé de cotisations de sécurité sociale par un opérateur économique tend à indiquer l’absence de fiabilité, de diligence et de sérieux de ce dernier en ce qui concerne le respect de ses obligations légales et sociales.

34      Enfin, en ce qui concerne la nécessité d’une telle mesure, il y a lieu de relever, en premier lieu, que la définition, dans la réglementation nationale, d’un seuil précis d’exclusion à la participation aux marchés publics, à savoir un écart entre les sommes dues au titre des cotisations sociales et celles versées d’un montant supérieur, à la fois, à 100 euros et à 5 % des sommes dues, garantit non seulement l’égalité de traitement des soumissionnaires mais aussi la sécurité juridique, principe dont le respect constitue une condition de la proportionnalité d’une mesure restrictive (voir, en ce sens, arrêt Itelcar, C‑282/12, EU:C:2013:629, point 44).

35      En second lieu, pour ce qui est du niveau dudit seuil d’exclusion, tel que défini par la réglementation nationale, il convient de rappeler que, s’agissant des marchés publics relevant du champ d’application de la directive 2004/18, l’article 45, paragraphe 2, de celle-ci laisse l’application des cas d’exclusion qu’il mentionne à l’appréciation des États membres, comme en témoigne l’expression «[p]eut être exclu de la participation au marché» qui figure au début de cette disposition et renvoie, notamment à ses points e) et f), expressément aux dispositions légales nationales [voir, en ce qui concerne l’article 29 de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), arrêt La Cascina e.a., C‑226/04 et C‑228/04, EU:C:2006:94, point 21]. En outre, en vertu du second alinéa de cet article 45, paragraphe 2, les États membres doivent préciser les conditions d’application de ce dernier conformément à leur droit national et dans le respect du droit de l’Union.

36      Par conséquent, l’article 45, paragraphe 2, de la directive 2004/18 n’envisage pas une uniformité d’application des causes d’exclusion y indiquées au niveau de l’Union, dans la mesure où les États membres ont la faculté de ne pas appliquer du tout ces causes d’exclusion, ou bien de les intégrer dans la réglementation nationale avec un degré de rigueur qui pourrait être variable selon les cas, en fonction de considérations d’ordre juridique, économique ou social prévalant au niveau national. Dans ce cadre, les États membres ont le pouvoir d’alléger ou de rendre plus souples les critères établis à cette disposition (voir, en ce qui concerne l’article 29 de la directive 92/50, arrêt La Cascina e.a., EU:C:2006:94, point 23).

37      Or, l’article 45, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/18 permet aux États membres d’exclure de la participation à un marché public tout opérateur économique qui n’est pas en règle avec ses obligations relatives au paiement des cotisations de sécurité sociale, sans qu’un quelconque montant minimal des arriérés de cotisations soit prévu. Dans ces conditions, le fait de prévoir un tel montant minimal dans le droit national constitue un assouplissement du critère d’exclusion visé à cette disposition et ne saurait donc être considéré comme allant au-delà de ce qui est nécessaire. Cela est a fortiori le cas s’agissant des marchés publics n’atteignant pas le seuil défini à l’article 7, sous c), de cette directive et, par conséquent, n’étant pas soumis aux procédures particulières et rigoureuses prévues par celle-ci.

38      Par ailleurs, le fait que le seuil d’exclusion prévu par le droit national pour le non-paiement d’impôts et de taxes soit, ainsi que le relève la juridiction de renvoi, nettement plus élevé que le seuil relatif aux versements de cotisations de sécurité sociale n’affecte pas en soi le caractère proportionné de ce dernier. En effet, ainsi qu’il découle du point 36 du présent arrêt, les États membres sont libres d’intégrer les causes d’exclusion prévues, notamment, à l’article 45, paragraphe 2, sous e) et f), de ladite directive dans la réglementation nationale avec un degré de rigueur qui pourrait être variable selon les cas, en fonction de considérations d’ordre juridique, économique ou social prévalant au niveau national.

39      En outre, une telle situation se distingue de celle ayant donné lieu à l’arrêt Hartlauer (C‑169/07, EU:C:2009:141), dans lequel la Cour a jugé que la réglementation nationale en question n’était pas propre à garantir la réalisation des objectifs poursuivis dans la mesure où elle ne les poursuivait pas de manière cohérente et systématique. À la différence de la réglementation examinée dans ce dernier arrêt, la mesure faisant l’objet de la présente affaire au principal est fondée, ainsi qu’il découle du point 34 du présent arrêt, sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance (voir, en ce sens, arrêt Hartlauer, EU:C:2009:141, point 64).

40      Il en résulte qu’une mesure nationale telle que celle en cause au principal ne saurait être considérée comme allant au-delà de ce qui est nécessaire en vue d’atteindre l’objectif poursuivi.

41      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle posée que les articles 49 TFUE et 56 TFUE ainsi que le principe de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, s’agissant des marchés publics de travaux dont la valeur est inférieure au seuil défini à l’article 7, sous c), de la directive 2004/18, oblige les pouvoirs adjudicateurs à exclure de la procédure d’attribution d’un tel marché un soumissionnaire responsable d’une infraction en matière de versement de cotisations de sécurité sociale si l’écart entre les sommes dues et celles versées est d’un montant supérieur, à la fois, à 100 euros et à 5 % des sommes dues.

 Sur les dépens

42      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit:

Les articles 49 TFUE et 56 TFUE ainsi que le principe de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, s’agissant des marchés publics de travaux dont la valeur est inférieure au seuil défini à l’article 7, sous c), de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, telle que modifiée par le règlement (CE) n° 1177/2009 de la Commission, du 30 novembre 2009, oblige les pouvoirs adjudicateurs à exclure de la procédure d’attribution d’un tel marché un soumissionnaire responsable d’une infraction en matière de versement de cotisations de sécurité sociale si l’écart entre les sommes dues et celles versées est d’un montant supérieur, à la fois, à 100 euros et à 5 % des sommes dues.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.