Language of document : ECLI:EU:T:2020:512

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

28 octobre 2020 (*)

« Médicaments à usage humain – Demande d’autorisation de mise sur le marché du médicament Aplidin – plitidepsine – Décision de refus de la Commission – Règlement (CE) no 726/2004 – Évaluation scientifique des risques et des bénéfices d’un médicament – Comité des médicaments à usage humain – Impartialité objective »

Dans l’affaire T‑594/18,

Pharma Mar, SA, établie à Colmenar Viejo (Espagne), représentée par Mes M. Merola et V. Salvatore, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme L. Haasbeek et M. A. Sipos, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision d’exécution C(2018) 4831 final de la Commission, du 17 juillet 2018, refusant d’autoriser, en application du règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO 2004, L 136, p. 1), la mise sur le marché du médicament à usage humain Aplidin – plitidepsine,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de Mme A. Marcoulli (rapporteure), présidente, MM. S. Frimodt Nielsen et R. Norkus, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 12 mars 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Pharma Mar, SA, est une société active dans le domaine de la recherche sur l’oncologie. Le 16 novembre 2004, elle a obtenu la désignation du médicament Aplidin, dont la substance active est la plitidepsine, comme médicament orphelin pour le traitement du myélome multiple, cancer grave de la moelle osseuse, en application du règlement (CE) no 141/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1999, concernant les médicaments orphelins (JO 2000, L 18, p. 1).

2        Dans la perspective de l’introduction d’une demande d’autorisation de mise sur le marché (ci-après l’« AMM ») de l’Aplidin, la requérante a sollicité et obtenu de la part de l’Agence européenne des médicaments (EMA), en application de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 141/2000, une assistance à l’élaboration de protocoles concernant la réalisation des tests et des essais pour démontrer la qualité, la sécurité et l’efficacité de ce médicament.

3        Le 21 septembre 2016, en application de l’article 4 du règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO 2004, L 136, p. 1), la requérante a présenté à l’EMA une demande d’AMM de l’Aplidin. Cette demande portait sur l’indication suivante : « en combinaison avec de la dexaméthasone, pour le traitement du myélome multiple récidivant/réfractaire chez des patients adultes ayant déjà reçu au moins trois traitements antérieurs, dont du bortézomib et, soit du lénalidomide, soit du thalidomide ».

4        La procédure d’évaluation par l’EMA du dossier de la demande d’AMM a débuté le 27 octobre 2016. Au cours de cette procédure, le comité des médicaments à usage humain (ci-après le « CHMP »), chargé, en vertu de l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 726/2004, de formuler l’avis de l’EMA sur toute question concernant notamment l’octroi d’une AMM d’un médicament à usage humain, a établi le 9 mars 2017 une première liste de questions à la requérante, puis, le 18 septembre 2017, une liste des questions en suspens et, enfin, le 16 novembre 2017, une seconde liste des questions en suspens. Deux réunions destinées aux explications orales de la requérante ont été organisées les 7 novembre et 12 décembre 2017.

5        En outre, à la demande du CHMP, le groupe de travail sur la biostatistique a rendu un avis le 6 décembre 2017 concernant la recevabilité et la validité des analyses de sensibilité présentées par la requérante en vue d’évaluer l’effet du changement de bras de traitement, c’est-à-dire du passage d’une partie des patients testés d’un traitement à un autre.

6        Le 14 décembre 2017, le CHMP a émis un avis recommandant que la Commission européenne rejette la demande d’AMM de l’Aplidin. L’avis était fondé sur le fait que l’efficacité et la sécurité du produit n’étaient pas suffisamment démontrées et que, par conséquent, les bénéfices n’étaient pas supérieurs aux risques.

7        En application de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 726/2004, la requérante a présenté à l’EMA, le 3 janvier 2018, une demande de réexamen de l’avis du CHMP, puis, le 14 février 2018, les motifs détaillés de sa demande. Elle a également demandé à l’EMA de consulter, dans le cadre du réexamen, un groupe scientifique consultatif, conformément à l’article 62, paragraphe 1, du règlement no 726/2004.

8        La procédure de réexamen a débuté le 15 février 2018. Le 7 mars 2018 s’est tenue une réunion du groupe scientifique consultatif sur l’oncologie (ci-après le « GSC »), lequel était composé de cinq membres principaux, de six experts additionnels et de deux représentants des patients. Le 19 mars 2018, le GSC a répondu aux diverses questions qui lui avaient été soumises.

9        Le 21 mars 2018, la requérante a présenté ses observations orales devant le CHMP. Le 22 mars 2018, le CHMP a confirmé son avis du 14 décembre 2017 et un projet de décision de la Commission rejetant la demande d’AMM a été élaboré.

10      Le projet de décision a été examiné par le comité permanent des médicaments à usage humain institué par l’article 121 de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67), lequel assiste la Commission en vertu de l’article 87 du règlement no 726/2004. En application de l’article 10, paragraphe 3, sous c), de ce règlement, à la demande du Royaume d’Espagne, cet examen a été réalisé au cours d’une séance plénière dudit comité. Ce dernier a émis un avis favorable audit projet.

11      Le 17 juillet 2018, la Commission a adopté la décision d’exécution C(2018) 4831 final refusant d’autoriser la mise sur le marché du médicament à usage humain Aplidin – plitidepsine (ci-après la « décision attaquée »). Cette décision comporte une annexe intitulée « Conclusions scientifiques et motifs de refus présentés par l’EMA », qui correspond à l’avis du CHMP.

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er octobre 2018, la requérante a introduit le présent recours.

13      Le 20 décembre 2018, la Commission a déposé le mémoire en défense.

14      Les parties ont déposé la réplique et la duplique respectivement le 25 mars et le 22 mai 2019.

15      Par lettre du 24 juin 2019, la requérante a formulé une demande d’audience de plaidoiries, au titre de l’article 106, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.

16      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, la juge rapporteure a été affectée à la sixième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

17      Sur proposition de la juge rapporteure, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et a adressé aux parties, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, des questions pour réponses écrites. Les parties ont déféré à ces mesures dans le délai imparti.

18      Les parties ont été entendues en leur plaidoirie et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 12 mars 2020.

19      Par voie de mesures d’organisation de la procédure, et compte tenu de l’absence, lors de l’audience, de certains conseils de la requérante en raison des incidences de la crise sanitaire liée à la COVID-19, le Tribunal a accordé à la requérante la possibilité de compléter les réponses à certaines des questions qui lui avaient été posées lors de l’audience. La requérante a déféré à cette mesure dans le délai imparti et la Commission a présenté le 24 juin 2020 des observations sur les réponses ainsi transmises par la requérante.

20      Par voie de mesure d’organisation de la procédure, la Commission a été invitée à répondre à une question du Tribunal. Elle a déféré à cette mesure le 9 juillet 2020, dans le délai imparti.

21      La phase orale de la procédure a été close le 14 juillet 2020 et il n’a pas été fait droit à la demande de sa réouverture formée par la requérante le 17 juillet 2020.

22      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

23      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

24      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’EMA, instaurée par le règlement no 726/2004, a pour principale mission la protection et la promotion de la santé publique et animale à travers l’évaluation et la supervision des médicaments à usage humain et vétérinaire. Selon l’article 57, paragraphe 1, premier alinéa, dudit règlement, l’EMA donne aux États membres et aux institutions de l’Union européenne les meilleurs avis scientifiques possibles sur toute question relative à l’évaluation de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité des médicaments à usage humain ou vétérinaire qui lui est soumise. L’EMA est notamment chargée de coordonner l’évaluation scientifique de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité des médicaments qui font l’objet de procédures de l’Union d’AMM.

25      En ce qui concerne les demandes d’AMM des médicaments à usage humain dans l’Union, déposées en vertu de la procédure centralisée prévue par le règlement no 726/2004, il y a lieu de relever que cette procédure implique la présentation, par la société pharmaceutique intéressée, d’une demande, qui fait l’objet d’un examen et d’un avis de la part de l’EMA, et l’intervention d’une décision de la Commission sur l’AMM.

26      S’agissant de l’avis de l’EMA, il résulte du considérant 23 et de l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 726/2004 que la « responsabilité exclusive » de sa préparation est confiée au CHMP.

27      En vertu de l’article 56, paragraphe 2, du règlement no 726/2004, le CHMP a la faculté d’instituer des groupes de travail permanents et temporaires et de créer des groupes scientifiques consultatifs dans le cadre de l’évaluation de types particuliers de médicaments ou de traitements, auxquels il peut déléguer certaines tâches ayant trait à l’élaboration des avis scientifiques en matière de demande d’AMM.

28      L’avis définitif du CHMP, accompagné d’un rapport décrivant son évaluation du médicament et exposant les raisons qui motivent ses conclusions, est transmis à la Commission, aux États membres et au demandeur conformément à l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 726/2004.

29      Aux termes de l’article 10 du règlement no 726/2004, la Commission, assistée par le comité permanent des médicaments à usage humain, institué par l’article 121 de la directive 2001/83, prépare un projet de décision dans les quinze jours suivant la réception de l’avis du CHMP. Ce projet de décision est transmis aux États membres et au demandeur. La Commission arrête ensuite une décision définitive conformément à la procédure visée à l’article 87, paragraphe 3, du règlement no 726/2004, laquelle peut différer de l’avis susmentionné. Dans cette hypothèse, la Commission joint une annexe exposant en détail les raisons des divergences.

30      En l’espèce, il convient de relever que la décision attaquée indique, en son article 1er, que la demande d’AMM est refusée sur le fondement des conclusions scientifiques figurant à son annexe, à savoir l’avis du CHMP ainsi que le rapport d’évaluation qui le fonde.

31      Dans la mesure où la décision attaquée, adoptée par la Commission, confirme purement et simplement l’avis de l’EMA établi par le CHMP, il résulte de la jurisprudence que le contenu de cet avis, comme d’ailleurs celui du rapport d’évaluation qui le fonde, fait partie intégrante de la motivation de cette décision, s’agissant notamment de l’évaluation scientifique du médicament en cause (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2015, Laboratoires CTRS/Commission, T‑452/14, non publié, EU:T:2015:373, point 60 et jurisprudence citée).

32      À l’appui des conclusions de la requête, la requérante fait valoir cinq moyens tirés, le premier, de la violation de l’obligation d’examen impartial de la demande d’AMM par les membres du GSC, le deuxième, de la violation du principe de bonne administration, le troisième, de la violation de l’article 12 du règlement no 726/2004 et de l’atteinte portée au principe d’égalité de traitement, le quatrième, de la violation de l’obligation de motivation et, le cinquième, de la violation des droits de la défense.

33      Le premier moyen est articulé en deux branches. La première branche est tirée du manque d’impartialité de certains membres du GSC.

34      La requérante rappelle que les exigences d’impartialité applicables aux institutions de l’Union s’étendent aux experts que celles-ci consultent et que l’exigence d’impartialité de ces experts est d’autant plus importante que la décision attaquée est fondée sur des évaluations techniques et complexes.

35      La requérante conteste la participation au vote de deux experts du GSC au motif que, selon le document intitulé « Mission, objectifs et règle de procédure du groupe scientifique consultatif intercomité sur l’oncologie » du 25 avril 2014 (ci-après les « règles applicables au GSC ») et selon le document intitulé « Politique de l’EMA concernant le traitement des intérêts concurrents des membres des comités scientifiques et des experts » du 6 octobre 2016 (ci-après la « politique du 6 octobre 2016 »), ils auraient déclaré des intérêts incompatibles avec un examen impartial de la demande d’AMM, lesquels auraient dû conduire à leur exclusion du GSC.

36      Tel serait le cas, d’une part, d’un premier professeur, vice-président du GSC et l’un de ses cinq membres principaux, qui était employé par un institut universitaire (ci-après l’« institut »), établissement d’enseignement renommé dans le domaine médical. Or, selon la requérante, l’institut exercerait une influence importante sur l’hôpital universitaire du même nom (ci-après l’« hôpital universitaire ») et sur un centre professionnel de recherche clinique, lesquels devraient être qualifiés d’organismes de recherche clinique et, partant, en application du point 3.2.2 de la politique du 6 octobre 2016, assimilés à des entreprises pharmaceutiques. En raison de cette influence, l’institut ne relèverait pas de l’exclusion accordée aux instituts de recherche et devrait lui-même être qualifié d’entreprise pharmaceutique aux fins de l’évaluation des conflits d’intérêts. La requérante soutient également que l’institut serait étroitement impliqué dans le développement du médicament CellProtect indiqué pour le traitement du myélome multiple.

37      D’autre part, selon la requérante, les intérêts déclarés d’un second professeur, l’un des six experts additionnels du GSC, auraient également dû faire obstacle à sa participation au GSC dès lors qu’il est salarié de l’institut. La requérante ajoute que, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce liées aux intérêts actuels et multiples de ce professeur dans le développement de produits concurrents au médicament Aplidin, l’EMA aurait dû appliquer plus strictement la politique du 6 octobre 2016, laquelle ne vise que la déclaration des intérêts dans le médicament en cours d’examen et non dans les médicaments concurrents.

38      Dans la réplique, la requérante relève que l’EMA n’a pas examiné si les activités économiques menées par les experts en cause, pourtant publiquement accessibles, étaient compatibles avec leur mission au sein du GSC. Elle ajoute que les règles de l’EMA visant à prévenir les conflits d’intérêts sont insuffisantes, s’agissant en particulier de l’examen d’un médicament orphelin.

39      La Commission relève que la requérante conteste l’impartialité objective du GSC. Elle soutient que, dès lors que le GSC n’intervient pas directement dans la prise de décision concernant l’AMM, son manque d’impartialité, à le supposer même établi, n’affecterait ni l’évaluation du CHMP, ni la légalité de la décision attaquée. En particulier, elle fait valoir que la distinction entre l’évaluation scientifique, qui relève de la compétence de l’EMA, et la prise de décision, qui relève de sa compétence, constitue déjà la garantie d’une évaluation impartiale. Elle se prévaut également du fait que le GSC est un organe purement consultatif, que son intervention dans la procédure n’est pas obligatoire et que, en l’espèce, le GSC est intervenu à la demande de la requérante.

40      Concernant la participation « à la séance de vote » de certains membres du GSC, la Commission relève que les membres du GSC ne votent pas, mais tirent uniquement des conclusions et qu’ils ne participent pas aux délibérations du CHMP. Elle ajoute que la procédure décrite dans la politique du 6 octobre 2016 a été pleinement respectée et correctement appliquée à l’égard des deux experts en cause. À cet égard, elle fait valoir que les principales finalités de l’institut et de l’hôpital universitaire sont celles, respectivement, d’une université médicale et d’un centre de recherche médical, d’une part, et d’un hôpital participant à la recherche médicale et à l’enseignement médical, d’autre part. À ce titre, ils seraient tous deux exclus de la définition d’entreprise pharmaceutique donnée par la politique du 6 octobre 2016, sur la base de son dernier alinéa. Par ailleurs, selon la Commission, la requérante n’établit pas que ces organismes exerceraient, au sens du troisième alinéa de cette définition, une influence significative dans les processus décisionnels d’entreprises pharmaceutiques, en l’occurrence, un centre professionnel de recherche clinique et une unité de production de médicaments de thérapie innovante. Selon la Commission, la preuve d’une telle influence ne saurait résulter du fait que ce centre et cette unité sont implantés dans les locaux de l’hôpital universitaire. Elle ajoute que la circonstance que l’hôpital universitaire et l’institut participent aux essais cliniques du CellProtect, un médicament concurrent de l’Aplidin, ne font pas de ces établissements, dans leur ensemble, des entreprises pharmaceutiques au sens de la politique du 6 octobre 2016. Elle précise également que la requérante n’a pas établi que l’hôpital universitaire et l’institut exerçaient une influence considérable sur la société responsable du CellProtect. La Commission en tire la conséquence que les deux experts en cause ont correctement déclaré leurs intérêts et qu’ils étaient autorisés à participer pleinement au GSC. Dans la duplique, la Commission ajoute que le moyen, présenté dans la réplique, tiré de l’insuffisance de la politique du 6 octobre 2016 est nouveau et, partant, irrecevable.

41      La Commission précise également que, dans le cadre d’une approche équilibrée entre la prévention des conflits d’intérêts et la recherche de l’expertise nécessaire, la politique du 6 octobre 2016 ne prévoit ni restrictions à la participation à la réunion du GSC liées à des intérêts concernant les produits concurrents au produit examiné, ni règles particulières relatives aux médicaments orphelins.

42      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que les institutions, les organes et les organismes de l’Union sont tenus de respecter les droits fondamentaux garantis par le droit de l’Union.

43      Selon une jurisprudence bien établie, dans le cas où les institutions, les organes et les organismes de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale (arrêts du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, EU:C:1991:438, point 14, et du 6 novembre 2008, Pays-Bas/Commission, C‑405/07 P, EU:C:2008:613, point 56). Parmi ces garanties, figure notamment le droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir arrêt du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission, C‑680/16 P, EU:C:2019:257, point 24 et jurisprudence citée).

44      L’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux énonce notamment que toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement par les institutions, les organes et les organismes de l’Union.

45      À cet égard, il convient de relever que l’exigence d’impartialité, qui s’impose aux institutions, aux organes et aux organismes dans l’accomplissement de leurs missions, vise à garantir l’égalité de traitement qui est à la base de l’Union. Cette exigence vise, notamment, à éviter des situations de conflits d’intérêts éventuels concernant les fonctionnaires et les agents agissant pour le compte des institutions, des organes et des organismes. Compte tenu de l’importance fondamentale de la garantie d’indépendance et d’intégrité en ce qui concerne tant le fonctionnement interne que l’image extérieure des institutions, des organes et des organismes de l’Union, l’exigence d’impartialité couvre toutes circonstances que le fonctionnaire ou l’agent amené à se prononcer sur une affaire doit raisonnablement comprendre comme étant de nature à apparaître, aux yeux des tiers, comme susceptible d’affecter son indépendance en la matière (voir arrêt du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission, C‑680/16 P, EU:C:2019:257, point 26 et jurisprudence citée).

46      Aussi, il incombe à ces institutions, organes et organismes de se conformer à l’exigence d’impartialité, dans ses deux composantes que sont, d’une part, l’impartialité subjective, en vertu de laquelle aucun membre de l’institution concernée ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel, et, d’autre part, l’impartialité objective, conformément à laquelle cette institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé (voir arrêt du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission, C‑680/16 P, EU:C:2019:257, point 27 et jurisprudence citée).

47      En l’espèce, il y a lieu de constater que la requérante ne soutient pas que les deux experts en cause du GSC auraient manifesté un parti pris ou un préjugé personnel. Ses arguments doivent donc être regardés comme tendant à établir un manquement à l’impartialité objective, qui résulterait de conflits d’intérêts s’agissant de ces deux experts. Selon la requérante, ces conflits d’intérêts auraient dû conduire à leur exclusion de la réunion du GSC en application des dispositions de la politique du 6 octobre 2016 ou du principe plus général d’impartialité.

48      Dans ce contexte, il y a lieu d’examiner, tout d’abord, l’allégation de conflits d’intérêts concernant les deux experts en cause, puis, le cas échéant, son incidence sur la régularité de la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2019, GE Healthcare/Commission, T‑783/17, EU:T:2019:624, point 180).

 Sur l’allégation de conflits d’intérêts

49      À titre liminaire, il convient de relever que, selon l’article 63, paragraphe 2, du règlement no 726/2004 :

« Les membres du conseil d’administration, les membres des comités, les rapporteurs et les experts ne peuvent pas avoir d’intérêt financier ou autre dans l’industrie pharmaceutique qui serait de nature à compromettre leur impartialité. Ils s’engagent à agir au service de l’intérêt public et dans un esprit d’indépendance et font chaque année une déclaration d’intérêts financiers. Tout intérêt indirect susceptible d’avoir un lien avec l’industrie pharmaceutique est déclaré dans un registre détenu par l’Agence et accessible au public, sur demande, dans les locaux de l’Agence.

Le code de conduite de l’Agence prévoit les mesures concrètes pour la mise en œuvre du présent article, en particulier en ce qui concerne l’acceptation de dons.

Les membres du conseil d’administration, les membres des comités, rapporteurs et experts qui participent aux réunions ou groupes de travail de l’Agence déclarent à chaque réunion, eu égard aux points à l’ordre du jour, les intérêts particuliers qui pourraient être considérés comme préjudiciables à leur indépendance. Ces déclarations sont rendues accessibles au public. »

50      Le point 7.5 des règles applicables au GSC prévoit les garanties d’indépendance des experts du GSC. Il rappelle, en substance, les dispositions de l’article 63, paragraphe 2, du règlement no 726/2004 et précise que la politique du 6 octobre 2016 est applicable aux experts du GSC.

51      La politique du 6 octobre 2016 précise, au point 4.1, ses objectifs, à savoir trouver un juste équilibre entre la prévention des conflits d’intérêts et la mise à disposition de la meilleure expertise pour l’évaluation et la surveillance des médicaments dans l’Union. Le point 4.2.1.2 prévoit que des restrictions à la participation d’une personne aux travaux de l’EMA sont définies au regard de trois facteurs, à savoir la nature des intérêts déclarés, la période durant laquelle chaque intérêt a existé et le type d’activités à laquelle l’expert participe. Ce dernier critère implique la prise en compte tant du groupe auquel la personne participe (comité scientifique, tel que le CHMP, groupe de travail ou groupe scientifique consultatif) que de ses fonctions (notamment président ou vice-président, membre ou expert). Ces restrictions sont retracées dans un tableau figurant en annexe à la politique du 6 octobre 2016.

52      Il convient de relever que, selon le point 4.2.1.2 de la politique du 6 octobre 2016, l’emploi d’une personne par une entreprise pharmaceutique au cours de son mandat ou au cours de la mission qui lui a été confiée au sein de l’EMA ou l’existence d’intérêts financiers de cette personne dans l’industrie pharmaceutique sont incompatibles avec son implication dans les activités de l’EMA.

53      Par ailleurs, selon le point 3.2.2 de la politique du 6 octobre 2016, est une entreprise pharmaceutique :

« [T]oute personne physique ou morale ayant pour vocation de découvrir, mettre au point, produire, commercialiser et/ou distribuer des médicaments. Aux fins de la présente politique, la définition inclut les entreprises auxquelles des activités liées à la découverte, à la mise au point, à la production, à la commercialisation et à la maintenance des médicaments (qui peuvent aussi se dérouler en interne) sont confiées dans le cadre d’un contrat.

À cet égard, les CRO (organismes de recherche clinique) ou les sociétés de conseil qui fournissent des avis ou des services relatifs aux activités susmentionnées relèvent de la définition d’une entreprise pharmaceutique.

Les personnes physiques ou morales qui ne relèvent pas de cette définition mais qui i) contrôlent (c[’est]-à-d[ire] détiennent une participation majoritaire dans une entreprise pharmaceutique ou exercent une influence considérable dans les processus décisionnels d’une telle entreprise), ii) sont contrôlées par ou iii) sont placées sous le contrôle commun d’une entreprise pharmaceutique sont considérées comme des entreprises pharmaceutiques aux fins de la présente politique.

Les chercheurs indépendants et les instituts de recherche, y compris les universités et les sociétés savantes, sont exclus du champ de la présente définition. »

54      Selon la requérante, l’institut, employeur des deux experts du GSC en cause, exercerait une influence considérable dans les processus décisionnels d’entreprises pharmaceutiques, au sens de la politique du 6 octobre 2016, à savoir l’hôpital universitaire et un centre professionnel de recherche clinique. En outre, l’institut serait étroitement impliqué dans le développement d’un médicament concurrent de l’Aplidin, le CellProtect. Selon la requérante, cet institut aurait dû être considéré, aux fins de la mise en œuvre de ladite politique, comme une entreprise pharmaceutique et les experts en cause, en tant qu’ils sont employés par l’institut, auraient dû être regardés comme détenant des intérêts financiers dans une entreprise pharmaceutique et, partant, exclus du GSC.

55      À cet égard, premièrement, il y a lieu de relever que la requérante ne conteste pas la sincérité des déclarations d’intérêts des experts en cause, mais critique leur examen par l’EMA en reprochant l’absence d’analyse complète de ces déclarations, notamment eu égard aux données accessibles au public, telles les informations figurant sur le site Internet de l’institut.

56      Deuxièmement, il ressort des déclarations d’intérêts des experts en cause que le premier avait déclaré être employé par l’institut et le second avait indiqué, comme employeur, le nom de l’institut et de l’hôpital universitaire sans préciser s’il était employé par l’un et/ou par l’autre. La Commission a précisé, dans sa réponse aux questions écrites posées par le Tribunal, que, au jour de la réunion du GSC, et ainsi qu’il ressortait des curricula vitae des intéressés, le premier professeur était employé par l’institut, au sein duquel il dirigeait une chaire professorale, et par l’hôpital universitaire au sein duquel il exerçait des fonctions de consultant en oncologie. De même, le second professeur était employé tant par l’institut que par l’hôpital universitaire où il exerçait en tant que médecin spécialiste en hématologie.

57      Troisièmement, en tant que la requérante soutient que l’hôpital universitaire, qui est l’un des employeurs des experts en cause, devrait être qualifié d’entreprise pharmaceutique au sens de la politique du 6 octobre 2016, il ressort des pièces du dossier que cet hôpital est l’un des plus grands hôpitaux universitaires d’Europe. En tant qu’hôpital universitaire, il exerce un triple rôle de soins, d’enseignement et de recherche. À ce titre, il collabore avec l’institut en matière de recherche et d’enseignement. Ces deux entités disposent d’un personnel commun et partagent des équipements communs, notamment en matière de recherche clinique.

58      Il y a lieu de relever que les parties s’opposent quant à l’application à l’hôpital universitaire de l’exclusion figurant au dernier alinéa de la définition d’entreprise pharmaceutique, reproduite au point 53 ci-dessus. La Commission considère en effet que, compte tenu de sa mission de recherche universitaire, l’hôpital universitaire doit être assimilé à un institut de recherche au sens de ladite politique et, à ce titre, exclu de cette définition. La requérante considère au contraire que cette exclusion doit, en tant que dérogation, faire l’objet d’une interprétation stricte et qu’elle ne saurait donc être étendue aux hôpitaux universitaires. En revanche, ainsi que les parties l’ont confirmé dans leur réponse écrite à une question posée par le Tribunal, elles s’accordent sur le fait que l’hôpital universitaire relèverait de la définition d’entreprise pharmaceutique donnée par la politique du 6 octobre 2016 si celui-ci contrôlait une telle entreprise.

59      À cet égard, il ressort des pièces du dossier que l’hôpital universitaire abrite un centre de thérapie cellulaire dont l’objet est de soutenir et de faciliter le développement de médicaments de thérapie innovante par les chercheurs, les cliniciens et l’industrie. Ce centre de thérapie cellulaire met à la disposition, notamment des entreprises pharmaceutiques, des infrastructures et du personnel de recherche. À cet égard, il est constant qu’il réalise des essais cliniques à la demande d’entreprises pharmaceutiques. Il ressort des annexes A 25 à A 27 de la requête ainsi que des indications de la Commission au point 46 de la duplique et au point 10 des réponses écrites mentionnées au point 17 ci-dessus que ce centre dispose également d’une unité de production de médicaments de thérapie innovante qui fabrique des médicaments en sous-traitance pour le compte d’entreprises pharmaceutiques. Ce constat ne saurait être remis en cause par l’affirmation de la Commission, au point 4 de sa réponse écrite du 9 juillet 2020, que le centre de thérapie cellulaire, qui comprend l’unité de production de médicaments, ne participe pas à la fabrication de médicaments, laquelle est en contradiction manifeste avec les éléments susmentionnés du dossier.

60      Selon la Commission, compte tenu de ses activités, le centre de thérapie cellulaire, dont l’unité de production de médicaments fait partie, est une entreprise pharmaceutique au sens de la politique du 6 octobre 2016. La Commission considère toutefois que la requérante ne démontre pas que cette qualification rejaillit sur l’hôpital universitaire en tant que ce dernier contrôle ledit centre. La Commission considère également que la présence de ce centre et de l’unité de production de médicaments au sein de cet hôpital ne permettrait pas de qualifier ce dernier, en son ensemble, d’entreprise pharmaceutique. Il y aurait lieu, selon elle, de distinguer entre, d’une part, le personnel travaillant au sein du centre de thérapie cellulaire et de l’unité de production de médicaments, qui devrait être regardé comme travaillant pour une entreprise pharmaceutique, et, d’autre part, le personnel de l’hôpital universitaire, incluant les experts en cause, ne travaillant pas au sein de ses entités. Tel serait le cas, même s’il était établi que l’hôpital universitaire contrôle le centre de thérapie cellulaire, en particulier dans la mesure où ce centre ne participe pas à la commercialisation des médicaments. Une interprétation différente de la politique du 6 octobre 2016 emporterait, selon la Commission, des conséquences disproportionnées.

61      À cet égard, d’une part, il convient de relever que, certes, au sens des deux premiers alinéas de la définition d’entreprise pharmaceutique donnée par la politique du 6 octobre 2016, seul le personnel de l’hôpital universitaire qui travaille au sein du centre de thérapie cellulaire est, compte tenu de la vocation de ce centre, susceptible de se trouver en situation de conflits d’intérêts. Toutefois, selon ladite politique, la circonstance qu’une personne physique ou morale, indépendamment de ses finalités principales, contrôle une entreprise pharmaceutique suffit à considérer cette personne comme étant elle-même une entreprise pharmaceutique, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre ses différentes activités. Par ailleurs, selon cette même politique, la nature des activités de l’entreprise pharmaceutique contrôlée et, en particulier, la question de savoir si cette entreprise s’est vu confier des missions afférentes à la découverte ou à la mise au point de médicaments ou si elle commercialise les médicaments en cause, est sans incidence.

62      D’autre part, ainsi qu’il a été indiqué au point 59 ci-dessus, le centre de thérapie cellulaire est un centre de thérapie innovante situé à l’hôpital universitaire. Il ressort des annexes A 25 à A 27 de la requête que cet hôpital dispose d’une unité qui gère des infrastructures (« core facility ») dont les services sont proposés notamment à l’institut et à des entités publiques, mais également au secteur privé et que le centre de thérapie cellulaire est l’une de ces infrastructures.

63      Il y a lieu de considérer que les informations contenues dans les annexes évoquées au point 62 ci-dessus constituent des éléments sérieux apportés par la requérante susceptibles d’établir que le centre de thérapie cellulaire, lequel est une entreprise pharmaceutique au sens de la politique du 6 octobre 2016, dépend de l’hôpital universitaire qui en assure la gestion et que, partant, ce centre est placé sous le contrôle de cet hôpital au sens de ladite politique. Aucun élément du dossier n’est de nature à remettre en cause les éléments ainsi apportés par la requérante. En particulier, contrairement à l’affirmation de la Commission, le schéma exposant le processus de fonctionnement du centre de thérapie cellulaire, ainsi reproduit à l’annexe A 27 de la requête, n’est pas de nature à établir qu’il serait une entité distincte de l’hôpital universitaire, seulement hébergée au sein de ce dernier. Interrogée sur ce point lors de l’audience, la Commission a d’ailleurs indiqué que, selon sa compréhension, l’hôpital se bornait à abriter le centre de thérapie cellulaire tout en reconnaissant qu’elle ne disposait d’aucune information concernant le statut de ce centre. En réponse à une question écrite posée par le Tribunal par voie de mesure d’organisation de la procédure, la Commission a réitéré qu’« elle croyait savoir que [le centre de thérapie cellulaire était] une entité distincte au sein de l’hôpital universitaire », mais qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve établissant qu’il s’agissait « d’entités juridiques distinctes ».

64      Partant, il y a lieu de constater que, mis en présence d’éléments sérieux laissant penser que l’un des employeurs des experts en cause pourrait, compte tenu des activités d’une entité qui lui est rattachée, être qualifié d’entreprise pharmaceutique au sens de la politique du 6 octobre 2016 et, partant, que lesdits experts pourraient se trouver en conflit d’intérêts en raison de leur employeur, il appartenait à la Commission de produire tout élément de nature à remettre en cause les allégations de la requérante afin de dissiper le doute ainsi créé. Or, la Commission n’a produit aucun élément en ce sens.

65      Il découle de ce qui précède que la circonstance que les experts en cause étaient employés par l’hôpital universitaire peut susciter un doute légitime quant à une situation de conflit d’intérêts au sens du point 4.2.1.2 de la politique du 6 octobre 2016.

66      Quatrièmement, il ressort des pièces du dossier que le centre de thérapie cellulaire en cause est chargé tant de la réalisation des essais cliniques de phase I du médicament CellProtect que de la production de ce médicament au sein de son unité de production. Il est constant que ce médicament est un médicament concurrent de l’Aplidin, c’est-à-dire, selon la politique du 6 octobre 2016, un médicament qui vise une population de patients identique avec le même objectif clinique et constitue un concurrent commercial potentiel. Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que l’Aplidin a été désigné comme médicament orphelin pour le traitement du myélome multiple le 16 novembre 2004 et que, ainsi que cela résulte de l’avis du GSC, il existe peu voire pas d’offre de traitement alternatif sur le marché.

67      Certes, il ne ressort pas des déclarations d’intérêts des experts en cause, dont la sincérité n’est pas contestée par la requérante, qu’ils exerceraient une activité au sein du centre de thérapie cellulaire. Toutefois, il y a lieu de considérer que le lien d’emploi entre ces derniers et l’hôpital universitaire peut être de nature à apparaître, aux yeux des tiers, comme susceptible d’affecter leur indépendance en la matière en tant que l’hôpital universitaire participe, par le biais dudit centre, au développement d’un médicament concurrent de l’Aplidin.

68      Il convient de rappeler à cet égard que, afin de démontrer que l’organisation de la procédure administrative n’offre pas des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé, il n’est pas requis d’établir l’existence d’un manque d’impartialité. Il suffit qu’un doute légitime à cet égard existe et ne puisse pas être dissipé (arrêt du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission, C‑680/16 P, EU:C:2019:257, point 37).

69      En outre, les doutes légitimes quant à l’indépendance des experts en cause à raison de leur lien d’emploi avec l’hôpital universitaire sont renforcés à l’égard du second professeur dans la mesure où, dans sa déclaration d’intérêts, il a indiqué, au titre de ses activités en cours, des activités de conseil à l’égard du médicament CellProtect, des activités de chercheur principal et de chercheur, respectivement pour les médicaments indiqués pour le myélome multiple, Daratumumab et Isatuximab. Or, il est constant que ces deux derniers médicaments sont, à l’instar du CellProtect, des médicaments concurrents de l’Aplidin au sens de la politique du 6 octobre 2016.

70      Dans ce contexte, il convient de rechercher si, dans les circonstances particulières de l’espèce, le fait que les deux experts en cause étaient employés par l’hôpital universitaire et que l’un d’eux menait des activités tendant au développement de médicaments concurrents de l’Aplidin est de nature à affecter la régularité de la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée.

 Sur l’incidence des conflits d’intérêts allégués concernant les experts sur la régularité de la procédure

71      À titre liminaire, il doit être relevé que la Commission n’est pas fondée à soutenir que le manque d’impartialité de certains membres du GSC, à le supposer établi, ne serait pas de nature à vicier la décision attaquée au seul motif que celle-ci a été adoptée non par le CHMP, mais par elle à l’issue d’une procédure qui a fait intervenir le comité permanent des médicaments à usage humain.

72      En effet, il résulte de la jurisprudence que, lorsque plusieurs institutions, organes ou organismes de l’Union se voient attribuer des responsabilités propres et distinctes dans le cadre d’une procédure susceptible d’aboutir à une décision faisant grief à un justiciable, chacune de ces entités est tenue, pour ce qui la concerne, de se conformer à l’exigence d’impartialité objective. Par conséquent, même dans l’hypothèse où ce serait uniquement l’une d’entre elles qui aurait manqué à cette exigence, un tel manquement serait susceptible d’entacher d’illégalité la décision adoptée par l’autre au terme de la procédure concernée (arrêts du 20 décembre 2017, Espagne/Conseil, C‑521/15, EU:C:2017:982, point 94 et du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission, C‑680/16 P, EU:C:2019:257, point 28).

73      De même, la seule circonstance que le GSC est un organe consultatif, chargé de délivrer un avis au CHMP et que les membres du GSC ne participent pas aux délibérations de l’avis du CHMP n’est pas de nature à exclure qu’un manquement à l’exigence d’impartialité objective de ce groupe affecte la régularité de la procédure.

74      En effet, l’exigence d’impartialité à laquelle sont soumises les institutions, organes ou organismes de l’Union s’étend également aux experts consultés à cet égard [arrêt du 9 septembre 2010, Now Pharm/Commission, T‑74/08, EU:T:2010:376, point 88 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2018, Brahma/Cour de justice de l’Union européenne, T‑603/16, EU:T:2018:820, point 149 (non publié)]. Dès lors, la circonstance que l’avis ainsi délivré ne lie pas l’autorité compétente pour adopter la décision n’est pas en elle-même de nature à affranchir l’organe ayant émis l’avis de son obligation de respecter le principe d’impartialité (voir, en ce sens, arrêt du 5 juillet 2016, Commission/Hristov, T‑26/15 P, EU:T:2016:390, point 46).

75      En l’espèce, il convient d’examiner si, étant donné les intérêts des deux experts du GSC en cause, la procédure mise en œuvre dans les circonstances particulières de l’espèce a offert à la requérante des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé. À cette fin, il y a lieu de s’attacher tant à l’influence du GSC sur le déroulement et l’issue de la procédure d’AMM qu’à l’éventuelle responsabilité propre desdits membres au sein du GSC.

76      Premièrement, s’agissant de l’influence du GSC sur le déroulement et l’issue de la procédure d’AMM, il convient de rappeler que, en application de l’article 56, paragraphe 2, du règlement no 726/2004, le CHMP peut instituer des groupes scientifiques consultatifs dans le cadre de l’évaluation de types particuliers de médicaments ou de traitements. Le CHMP a institué le GSC pour délivrer des réponses à des questions spécifiques relatives à l’oncologie et à l’hématologie. Ainsi, aux termes du point 3 des règles applicables au GSC, ce dernier est chargé de « formuler une recommandation indépendante sur des sujets scientifiques et techniques concernant des produits en cours d’évaluation selon des procédures réglementaires centralisées ou sur saisine, ainsi que sur toute autre question scientifique présentant un intérêt pour les activités des comités ». Selon le point 4 des règles applicables au GSC, le GSC est composé de membres principaux, lesquels assurent la continuité et la cohérence au sein du groupe, et, le cas échéant, afin d’assurer un nombre suffisant d’experts et une expertise pertinente dans le domaine en cause, de membres additionnels. Ces derniers peuvent être désignés pour une réunion donnée ou une série de réunions concernant une question spécifique au sujet de laquelle ils ont accompli des études, des formations ou des expériences professionnelles pertinentes, apportant ainsi une expertise supplémentaire dans les domaines particuliers.

77      Il s’ensuit que le GSC est un groupe d’experts hautement spécialisé dans la pathologie traitée par le médicament examiné.

78      Par ailleurs, conformément à l’article 62, paragraphe 1, du règlement no 726/2004, en ce qui concerne les médicaments à usage humain, les groupes scientifiques consultatifs sont saisis soit à l’initiative du CHMP, soit à l’initiative du demandeur de l’AMM, à l’occasion du réexamen de l’avis du CHMP. Si le GSC n’est donc pas un acteur intervenant dans toutes les procédures d’AMM, son implication dans le cadre de la procédure de réexamen constitue, ainsi que le relève la requérante, une garantie offerte au demandeur de l’AMM d’obtenir l’avis d’un groupe d’experts hautement spécialisé dans le domaine en cause. En l’espèce, le GSC est intervenu dans la procédure au stade du réexamen, à la demande de la requérante qui a sollicité la mise en œuvre de la garantie offerte par le règlement no 726/2004.

79      En outre, il y a lieu de relever que, selon l’article 62, paragraphe 1, dernier alinéa, du règlement no 726/2004, la procédure de réexamen ne peut porter que sur des points de l’avis du CHMP identifiés au préalable par le demandeur. En l’espèce, à la demande du CHMP, le GSC a donné son avis sur les motifs de refus de délivrance de l’AMM contenus dans l’avis du CHMP du 14 décembre 2017 à la lumière des motifs de la demande de réexamen de la requérante et a répondu à certaines questions soumises par le CHMP. L’avis du GSC a été pris en compte par le CHMP, dans le cadre de la procédure de réexamen et est intégralement reproduit dans le rapport d’évaluation du CHMP.

80      Il résulte de ce qui précède que le GSC est intervenu dans le cadre d’une garantie offerte à la requérante par le règlement no 726/2004, en tant que groupe d’experts hautement spécialisé dans le domaine du médicament en cause. Il a donné son avis sur les motifs opposés par le CHMP en vue de refuser la demande d’AMM de l’Aplidin, lequel a été pris en compte par le CHMP dans le cadre de la procédure de réexamen. Partant, il y a lieu de considérer que l’avis du GSC a pu avoir une influence sur le déroulement et l’issue de la procédure ayant conduit à l’édiction de la décision attaquée.

81      Deuxièmement, s’agissant de la responsabilité propre des experts en cause, il y a lieu de constater que le GSC qui s’est réuni le 7 mars 2018 était composé de cinq membres principaux, dont le premier professeur, de six experts additionnels, dont le second professeur, et de deux représentants des patients, lesquels, ainsi que le relève la requérante, ne disposaient pas d’une expertise médicale.

82      En tant que vice-président du GSC, le premier professeur a assuré la présidence de la réunion du 7 mars 2018. À ce titre, il était chargé, en vertu des dispositions du point 7.1 des règles applicables au GSC, de conduire les débats du groupe et de résumer, à l’issue des débats, les réponses du groupe à transmettre au CHMP. Il résulte également de ces dispositions qu’il était chargé de proposer au CHMP la liste des experts additionnels devant participer à la réunion du 7 mars 2018, ces derniers étant sélectionnés sur la base de leur expertise, parmi une liste de noms communiqués par les États membres à l’EMA en vertu de l’article 62, paragraphe 2, du règlement no 764/2004. Si, certes, il résulte du point 7.4 desdites règles que le vice-président est assisté dans cette dernière mission par le secrétariat du GSC et les autorités nationales compétentes, c’est à lui que revient la responsabilité de proposer la liste des experts au CHMP. Enfin, l’intéressé était chargé de s’assurer de l’absence de conflits d’intérêts concernant les experts en amont de la réunion du groupe.

83      Il s’ensuit que, en tant que vice-président du GSC ayant présidé la réunion dudit groupe, le premier professeur disposait d’une responsabilité propre dans le cadre de cette procédure d’avis, incluant celle de proposer des experts additionnels, dont le second professeur, également employé par l’hôpital universitaire.

84      Au vu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de conclure que, en raison de l’influence potentielle du GSC sur le déroulement et l’issue de la procédure d’AMM et du rôle important assuré au sein de ce comité par le premier professeur, en qualité de président de la réunion du 7 mars 2018, sa participation ainsi que celle du second professeur au GSC conduisent à conclure que, en raison du lien d’emploi entre ces derniers et l’hôpital universitaire dans le contexte évoqué au point 67 ci-dessus et des activités du second professeur relevées au point 69 ci-dessus, la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision attaquée n’offrait pas de garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé.

85      Il s’ensuit qu’il y a lieu d’accueillir la première branche du premier moyen et d’annuler, pour ce motif, la décision attaquée sans qu’il soit besoin de statuer sur la seconde branche du premier moyen ni sur les autres moyens de la requête.

 Sur les dépens

86      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision d’exécution C(2018) 4831 final de la Commission européenne, du 17 juillet 2018, refusant d’autoriser, en application du règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments, la mise sur le marché du médicament à usage humain Aplidin – plitidepsine est annulée.

2)      La Commission est condamnée aux dépens.

Marcoulli

Frimodt Nielsen

Norkus

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 octobre 2020.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.