Language of document : ECLI:EU:T:2021:672

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT
DE LA TROISIÈME CHAMBRE ÉLARGIE DU TRIBUNAL

6 octobre 2021 (*)

« Concurrence – Concentrations – Marché de l’industrie pharmaceutique – Systèmes de séquençage génétique – Acquisition par Illumina du contrôle exclusif de GRAIL – Demande d’examiner une opération de concentration adressée à la Commission par l’autorité de la concurrence d’un État membre n’ayant pas la compétence initiale pour examiner l’opération en cause – Décision de la Commission d’examiner l’opération de concentration – Décision de la Commission acceptant que d’autres États membres se joignent à la demande de renvoi initiale – Article 22 du règlement (CE) no 139/2004 – Recours en annulation – Intervention – Association d’entreprises n’étant pas actives dans le secteur concerné – Absence d’intérêt à la solution du litige »

Dans l’affaire T‑227/21,

Illumina, Inc., établie à Wilmington, Delaware (États-Unis), représentée par M. D. Beard, QC, et Me P. Chappatte, avocat,

partie requérante,

soutenue par

Grail LLC anciennement Grail, Inc., établie à Menlo Park, California (États-Unis), représentée par M. D. Little, solicitor, et Mes J. Ruiz Calzado, J.M. Jiménez-Laiglesia Oñate et A. Giraud, avocats,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. N. Khan, G. Conte et C. Urraca Caviedes, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Autorité de surveillance AELE, représentée par Mme C. Howdle, M. M. Sánchez Rydelski et Mmes M.-M. Joséphidès et C. Simpson, en qualité d’agents,

par

République hellénique, représentée par M. K. Boskovits, en qualité d’agent,

par

République française, représentée par MM. T. Stéhelin, P. Dodeller, J.-L. Carré et E. Leclerc, en qualité d’agents,

et par

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M. Bulterman et P. Huurnink, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, premièrement, de la décision C(2021) 2847 final de la Commission, du 19 avril 2021, accueillant la demande de l’Autorité de la concurrence française d’examiner l’opération de concentration visant l’acquisition par Illumina, Inc du contrôle exclusif de GRAIL, Inc (affaire COMP/M.10188 – Illumina/Grail), deuxièmement, des décisions C(2021) 2848 final, C(2021) 2849 final, C(2021) 2851 final, C(2021) 2854 final et C(2021) 2855 final de la Commission, du 19 avril 2021, accueillant les demandes des autorités de la concurrence grecque, belge, norvégienne, islandaise et néerlandaise de se joindre à cette demande de renvoi, et troisièmement, de la lettre de la Commission, du 11 mars 2021, informant Illumina et GRAIL de ladite demande de renvoi,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        La requérante, Illumina, Inc, offre des solutions en matière d’analyse génétique et génomique par séquençage et par puces.

2        Le 20 septembre 2020, Illumina a conclu un accord et un plan de fusion visant l’acquisition d’un contrôle exclusif de GRAIL LLC (dénommée, à l’époque, GRAIL, Inc ; ci-après, prise ensemble avec Illumina, les « entreprises concernées »), qui développe des tests sanguins de dépistage précoce des cancers et dont elle détenait déjà 14,5 % du capital (ci-après la « concentration en cause »).

3        En l’absence de chiffres d’affaires pertinents, notamment compte tenu du fait que GRAIL ne générait des recettes dans aucun État membre de l’Union ou ailleurs dans le monde, la concentration en cause ne présentait pas de dimension de l’Union au sens de l’article 1er du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1) et ne devait donc pas être notifiée à la Commission conformément à l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement. Elle n’exigeait pas non plus de notification dans l’un des États membres de l’Union ou des États parties à l’accord EEE ni ne relevait de leur compétence dans le cadre de leurs systèmes nationaux de contrôle des concentrations.

4        Le 9 mars 2021, l’Autorité de la concurrence française a demandé à la Commission, au titre de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, d’examiner la concentration en cause (ci-après la « demande de renvoi »).

5        Le 10 mars 2021, la Commission a, conformément à l’article 22, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, informé les autorités de la concurrence des autres États membres ainsi que l’Autorité de surveillance AELE de la demande de renvoi. Le 11 mars 2021, la Commission en a également informé les entreprises concernées en rappelant l’obligation de suspension prévue à l’article 7 lu conjointement avec l’article 22, paragraphe 4, deuxième phrase, du règlement no 139/2004 (ci-après la « lettre de suspension »).

6        Par lettres des 24, 26 et 31 mars 2021, les autorités de la concurrence de la République hellénique, de la République d’Islande, du Royaume de Belgique, du Royaume de Norvège et du Royaume des Pays-Bas ont, respectivement, demandé de se joindre à la demande de renvoi, conformément à l’article 22, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 (ci-après les « demandes de jonction »).

7        Par décision du 19 avril 2021, la Commission a accueilli la demande de renvoi (ci-après la « décision attaquée »). Par décisions du même jour, elle a également accueilli les demandes de jonction (ci-après, respectivement, la « décision concernant l’Islande », la « décision concernant la Belgique », la « décision concernant la Norvège », la « décision concernant les Pays-Bas » et la « décision concernant la Grèce » ou, prises ensemble avec la décision attaquée, « les décisions attaquées »).

8        Dans les décisions attaquées, la Commission a considéré que, premièrement, la demande de renvoi et les demandes de jonction ont été présentées dans le délai prévu, respectivement, à l’article 22, paragraphes 1 et 2, du règlement no 139/2004 (points 20 et 29 de la décision attaquée ; points 21 et 22 des décisions concernant l’Islande, la Belgique, la Norvège et les Pays-Bas ; points 16 et 17 de la décision concernant la Grèce) ; deuxièmement, la concentration en cause était susceptible d’affecter le commerce entre États membres (points 39 à 45 de la décision attaquée ; points 33 à 39 des décisions concernant l’Islande, la Belgique, la Norvège et les Pays-Bas ; points 28 à 34 de la décision concernant la Grèce) ; troisièmement, sur la base des éléments dont elle disposait, la concentration en cause menaçait d’affecter de manière significative la concurrence sur, respectivement, le territoire français, grecque, islandais, belge, norvégien et néerlandais comme partie de l’EEE (points 51 et 80 de la décision attaquée ; points 50 et 79 de la décision concernant les Pays-Bas ; points 49 et 78 de la décision concernant la Belgique ; points 41 et 70 de la décision concernant la Grèce ; points 46 et 75 des décisions concernant la Norvège et l’Islande), et, quatrièmement, la concentration en cause réunissait donc les critères d’un renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 (point 109 de la décision attaquée ; point 108 de la décision concernant les Pays-Bas ; point 107 de la décision concernant la Belgique ; point 99 de la décision concernant la Grèce ; point 104 des décisions concernant la Norvège et l’Islande).

 Procédure

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 avril 2021, la requérante a introduit un recours visant à annuler les décisions attaquées et la lettre de suspension.

10      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a demandé qu’il fût statué sur ce recours selon une procédure accélérée, conformément aux articles 151 et 152 du règlement de procédure du Tribunal. Par décision du 2 juin 2021, le Tribunal (troisième chambre) a fait droit à cette demande.

11      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 7 juin 2021, GRAIL a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la requérante. Par ordonnance du 2 juillet 2021, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a admis cette intervention.

12      Sur proposition de la troisième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

13      Par acte déposé au greffe du Tribunal, respectivement les 22 juin, 6 juillet et 21 juillet 2021, le Royaume des Pays-Bas, la République française et la République hellénique ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission. Par décisions, respectivement des 10 juillet, 22 juillet et 6 août 2021, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a admis ces interventions.

14      Par acte déposé au greffe du Tribunal du 29 juillet 2021, l’Autorité de surveillance AELE a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du 25 août 2021, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a admis cette intervention.

15      Par acte déposée au greffe du Tribunal le 13 août 2021, la Computer & Communications Industry Association (ci-après la « CCIA ») a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la requérante.

16      Cette demande d’intervention a été signifiée aux parties principales conformément à l’article 144, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

17      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 août 2021, la requérante a informé le Tribunal qu’elle réservait un bon accueil à la demande d’intervention.

18      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 31 août 2021, la Commission a soulevé des objections à l’encontre de la demande d’intervention.

 En droit

19      Conformément à l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal, en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige soumis au Tribunal, à l’exclusion des litiges entre États membres, entre institutions de l’Union ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, est en droit d’intervenir audit litige.

20      Selon une jurisprudence constante, la notion d’« intérêt à la solution du litige », au sens dudit article 40, deuxième alinéa, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme étant un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés. En effet, les termes « solution du litige » renvoient à la décision finale demandée, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt à intervenir [voir ordonnance du vice-président de la Cour du 24 juin 2021, ratiopharm e.a./Commission, C‑220/21 P(I), non publiée, EU:C:2021:521, point 18 et jurisprudence citée].

21      À cet égard, il convient d’établir une distinction rigoureuse entre les demandeurs en intervention justifiant d’un intérêt direct au sort réservé à l’acte spécifique dont l’annulation est demandée et ceux qui ne justifient que d’un intérêt indirect à la solution du litige, en raison de similarités entre leur situation et celle précisément visée dans ledit acte. En principe, un intérêt à la solution du litige ne saurait être considéré comme suffisamment direct que dans la mesure où cette solution est de nature à modifier la position juridique du demandeur en intervention (voir ordonnance du 6 mai 2019, KPN/Commission, T‑691/18, non publiée, EU:T:2019:321, points 19 et 20 et jurisprudence citée).

22      En revanche, un opérateur économique n’a pas d’intérêt direct à intervenir dans une affaire à laquelle est partie un autre opérateur économique dans une situation similaire et pouvant donner lieu à un arrêt dont les motifs pourraient avoir une influence sur la manière dont l’institution de l’Union en cause serait susceptible d’apprécier la situation, par ailleurs distincte, du demandeur en intervention (voir ordonnance du 6 mai 2019, KPN/Commission, T‑691/18, non publiée, EU:T:2019:321, point 21 et jurisprudence citée).

23      S’agissant des associations, le juge de l’Union admet l’intervention d’associations représentatives qui ont pour objet la protection de leurs membres dans des affaires soulevant des questions de principe de nature à affecter ces derniers [ordonnance du président de la Cour du 17 juin 1997, National Power et PowerGen/Commission, C‑151/97 P(I) et C‑157/97 P(I), EU:C:1997:307, point 66 ; ordonnances du 17 février 2016, Allergopharma/Commission, T‑354/15, non publiée, EU:T:2016:121, point 9, et du 15 décembre 2017, Apple Sales International et Apple Operations Europe/Commission, T‑892/16, non publiée, EU:T:2017:926, point 12].

24      Plus particulièrement, une association d’entreprises peut être admise à intervenir dans une affaire si elle est représentative d’un nombre important d’entreprises actives dans le secteur concerné, si son objet comprend la protection des intérêts de ses membres, si l’affaire peut soulever des questions de principe affectant le fonctionnement du secteur concerné et, donc, si les intérêts de ses membres peuvent être affectés dans une mesure importante par l’arrêt à intervenir (ordonnances du 28 mai 2004, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑253/03, EU:T:2004:164, point 21, du 17 février 2016, Allergopharma/Commission, T‑354/15, non publiée, EU:T:2016:121, point 9, et du 15 décembre 2017, Apple Sales International et Apple Operations Europe/Commission, T‑892/16, non publiée, EU:T:2017:926, point 12).

25      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner la présente demande d’intervention.

26      À l’appui de cette demande, la CCIA fait valoir, premièrement, qu’elle représente un nombre important d’entreprises actives dans le secteur numérique, deuxièmement, que son objectif principal est de représenter et de protéger les intérêts de ses membres, y compris devant les juridictions de l’Union, et, troisièmement, que le présent litige soulève des questions de droit essentielles de nature à affecter les intérêts de ses membres et le fonctionnement du secteur numérique.

27      En ce qui concerne ce dernier argument, la CCIA précise que le Tribunal est amené à aborder la question inédite de savoir si, en vertu de l’article 22 du règlement no 139/2004, la Commission est compétente pour accueillir une demande de renvoi d’une affaire de concentration qui émane d’un État membre disposant d’un système national de contrôle des concentrations, lorsque la concentration concernée ne relève pas du champ d’application dudit système national. La Commission aurait, par l’interprétation retenue dans les décisions attaquées et la lettre de suspension, répondu de manière affirmative à cette question, dont les implications iraient au-delà des spécificités de la concentration en cause et affecteraient inévitablement les intérêts des membres de la CCIA.

28      En particulier, il ressortirait des orientations de la Commission concernant l’application du mécanisme de renvoi établi à l’article 22 du règlement [no 139/2004] à certaines catégories d’affaires (JO 2021, C 113, p. 1 ; ci-après les « orientations de 2021 ») que cette interprétation vise notamment les transactions du secteur numérique qui tombent en-dessous des seuils de compétence prévus par le règlement no 139/2004 et les systèmes nationaux de contrôle des concentrations. Ainsi, les parties à une concentration ne pourraient plus se fonder sur ces seuils et toute acquisition dans le secteur numérique ferait l’objet d’une importante insécurité juridique. La CCIA estime que, si le recours de la requérante était accueilli, notamment son premier moyen, la Commission pourrait être empêchée d’accepter des demandes de renvoi concernant des concentrations se situant en-deçà des seuils nationaux. Même en cas de rejet dudit recours, le Tribunal pourrait fournir des éléments d’interprétation de l’article 22 du règlement no 139/2004 devant être respectés dans le cadre d’autres procédures.

29      La CCIA ajoute, notamment, que l’intérêt de ses membres à l’issue de la présente procédure est encore illustré par le fait qu’elle a présenté des observations détaillées sur la décision attaquée dans le cadre de la procédure administrative. En outre, le fait que ses membres ne sont pas des concurrents d’Illumina et de GRAIL sur le marché des dispositifs médicaux ne saurait exclure cet intérêt dès lors que la jurisprudence aurait reconnu la qualité pour intervenir d’associations représentatives actives dans d’autres domaines que ceux visés par l’acte de l’Union attaqué.

30      Ces arguments ne suffisent pas pour accueillir la présente demande d’intervention.

31      En premier lieu, la CCIA n’établit pas que ses intérêts ou ceux de ses membres seraient affectés par la solution du présent litige au sens de la jurisprudence citée aux points 20 et 21 ci-dessus.

32      En effet, il y a lieu de rappeler que les conclusions de la requérante tendent à obtenir l’annulation des décisions attaquées et de la lettre de suspension (voir point 9 ci-dessus). Par ces actes, la Commission, d’une part, a accueilli les demandes de renvoi et de jonction en concluant que la concentration en cause réunissait les critères d’un renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 (voir point 8 ci-dessus) et, d’autre part, a constaté que cette concentration était soumise à l’obligation de suspension prévue à l’article 7 lu conjointement avec l’article 22, paragraphe 4, deuxième phrase, du même règlement (voir point 5 ci-dessus).

33      Or, compte tenu du fait que ni la CCIA ni ses membres, en tant qu’entreprises actives dans le secteur numérique, ne sont concernés par la concentration en cause, ce qu’ils ne prétendent même pas, le dispositif de l’arrêt à intervenir ne saurait avoir des effets directs et actuels sur leur situation juridique. Plus précisément, même à supposer que les décisions attaquées et la lettre de suspension soient annulées en raison d’une interprétation erronée par la Commission de l’article 22 du règlement no 139/2004, un effet direct et actuel d’une telle annulation sur la situation juridique de la CCIA et de ses membres ne pourrait être constaté.

34      En outre, en ce que la CCIA conteste l’interprétation de cette disposition, telle que préconisée par la Commission, elle se prévaut uniquement d’un certain intérêt à soutenir les moyens ou les arguments soulevés par la requérante et non d’un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions de son recours en tant que telles. Le fait que la présente affaire pourrait donner lieu à un arrêt dont les motifs auraient une influence sur la manière dont la Commission est susceptible d’apprécier, au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004, une concentration relevant du secteur numérique dans l’avenir, n’est, conformément à la jurisprudence citée au point 22 ci-dessus, pas non plus suffisant pour constater un tel intérêt direct et actuel. Dès lors, l’intérêt invoqué par la CCIA constitue un intérêt indirect et hypothétique résultant de la prétendue similarité de la situation des entreprises actives dans ce secteur avec celle des entreprises concernées.

35      Par ailleurs, dans l’hypothèse où la Commission accepterait, au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004, le renvoi d’une concentration relevant du secteur numérique dont un membre de la CCIA est une partie, ce dernier pourrait faire valoir ses arguments dans le cadre d’un recours en annulation qu’il serait susceptible d’introduire devant le Tribunal contre cette décision (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 6 mai 2019, KPN/Commission, T‑691/18, non publiée, EU:T:2019:321, point 25).

36      En second lieu, la CCIA n’établit pas qu’elle est, conformément à la jurisprudence citée au point 24 ci-dessus, représentative d’un nombre important d’entreprises actives dans le secteur concerné, que la présente affaire peut soulever des questions de principe affectant le fonctionnement du secteur concerné et que les intérêts de ses membres peuvent être affectés dans une mesure importante par l’arrêt à intervenir.

37      En effet, premièrement, il convient d’observer que, ainsi que la Commission le fait valoir à juste titre, la concentration en cause concerne le secteur des tests de cancer à base de sang utilisant la nouvelle génération de séquençage génomique (next-generation sequencing, NGS) (points 31 et 33 de la décision attaquée ; points 24 et 26 des décisions concernant les Pays-Bas, la Belgique, la Norvège et l’Islande ; points 19 et 21 de la décision concernant la Grèce), et, selon une définition plus large, le secteur pharmaceutique et/ou le secteur des dispositifs médicaux.

38      Or, la CCIA ne prétend pas représenter des entreprises dans le secteur pharmaceutique et/ou le secteur des dispositifs médicaux, mais indique qu’elle est une association à but non lucratif représentant une large gamme de grandes et de petites entreprises dans les secteurs de l’informatique, de l’internet et des télécommunications. De même, le Tribunal a constaté, dans l’ordonnance du 23 septembre 2019, Google et Alphabet/Commission (T‑604/18, non publiée, EU:T:2019:743, point 63), que la CCIA a pour objectif de promouvoir les intérêts des industries de l’informatique et des communications et les intérêts de ses membres. Dès lors, il est constant que la CCIA ne constitue pas une association représentative d’un nombre important d’opérateurs actifs dans le secteur concerné par les décisions attaquées et par la lettre de suspension.

39      Deuxièmement, si, certes, le présent litige soulève des questions inédites relatives à l’interprétation du champ d’application de l’article 22 du règlement no 139/2004, de telles questions, aussi importantes soient-elles, resteront nécessairement liées à l’objet du litige, qui vise, comme exposé au point 32 ci-dessus, l’annulation des décisions attaquées et de la lettre de suspension (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 15 décembre 2017, Apple Sales International et Apple Operations Europe/Commission, T‑892/16, non publiée, EU:T:2017:926, point 23). Par ailleurs, il convient de rappeler que la légalité des orientations de 2021, auxquelles la CCIA fait référence pour justifier l’affectation du fonctionnement du secteur numérique (voir point 28 ci-dessus), ne fait pas l’objet du présent litige.

40      Troisièmement, force est de constater que l’arrêt à intervenir n’affecte pas plus les intérêts des membres de la CCIA que ceux de n’importe quelle autre entreprise potentiellement concernée par un futur renvoi d’une concentration à la Commission au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004. En effet, dans l’hypothèse où l’interprétation de cette disposition, telle que préconisée par la Commission dans les décisions attaquées et la lettre de suspension, soit correcte, elle s’appliquerait de la même manière à tous les secteurs économiques.

41      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, si l’interprétation large du droit d’intervention des associations vise à permettre de mieux apprécier le cadre des affaires tout en évitant une multiplicité d’interventions individuelles qui compromettraient l’efficacité et le bon déroulement de la procédure, elle n’a, cependant, pas pour objet de permettre la multiplication des interventions d’associations non représentatives et ne présentant qu’un intérêt indirect et hypothétique à la solution du litige (voir, en ce sens, ordonnance du 25 juin 2015, The Goldman Sachs Group/Commission, T‑419/14, non publiée, EU:T:2015:523, point 28 et jurisprudence citée).

42      En outre, si le Tribunal devait accepter qu’une association représentant des entreprises dans le secteur numérique a un intérêt à intervenir dans un cas tel que celui de l’espèce, cela aurait pour conséquence que cette association serait en mesure d’intervenir dans la plupart des procédures devant le Tribunal impliquant l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union relevant du domaine de la concurrence, dès lors que la plupart des dispositions dans ce domaine s’appliquent potentiellement au secteur numérique (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 25 juin 2015, The Goldman Sachs Group/Commission, T‑419/14, non publiée, EU:T:2015:523, point 29).

43      Partant, eu égard aux éléments qui précèdent, il y a lieu de conclure que, indépendamment de la question de savoir si la CCIA constitue une association représentative et si son objet comprend la protection des intérêts de ses membres, sa demande d’intervention doit être rejetée.

44      Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que la CCIA a participé à la procédure administrative dès lors qu’une telle participation ne suffit pas, en tant que telle, à établir un intérêt à la solution du litige (voir, en ce sens, ordonnances du 7 décembre 2018, Google et Alphabet/Commission, T‑612/17, non publiée, EU:T:2018:982, point 15 ; du 6 mai 2019, KPN/Commission, T‑691/18, non publiée, EU:T:2019:321, point 28, et du 7 mai 2020, Canon/Commission, T‑609/19, non publiée, EU:T:2020:203, point 24).

45      En ce qui concerne les affaires ayant donné lieu aux ordonnances du 28 janvier 2016, Alcogroup et Alcodis/Commission (T‑274/15, non publiée, EU:T:2016:97), et du 26 février 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission (T‑125/03, non publiée, EU:T:2007:57), telles qu’invoquées par la CCIA, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que ces affaires ne sont pas comparables à la présente affaire. En effet, elles concernaient des questions de principe relatives à la confidentialité des communications échangées entre un avocat et son client, dont l’interprétation pouvait, dès lors, affecter, dans une mesure importante, le fonctionnement du secteur des avocats. De même, en ce que la question de droit soulevée dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du président de la Cour du 5 juillet 2018, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA (C‑515/17 P et C‑561/17 P, non publiée, EU:C:2018:553), concernait le respect de la condition d’indépendance requise en cas de représentation juridique d’une partie par un conseil juridique devant les juridictions de l’Union, lequel est lié à cette partie par un contrat régi par le droit civil, relatif à des prestations fournies en tant qu’enseignant externe, elle était une question de principe susceptible d’affecter les intérêts d’une association représentant des conseils juridiques et des stagiaires. En revanche, en l’espèce, les décisions attaquées et la lettre de suspension n’affectent les intérêts des entreprises actives dans le secteur numérique que de manière indirecte et hypothétique (voir points 33, 34 et 37 à 40 ci-dessus).

 Sur les dépens

46      En vertu de l’article 133 du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance mettant fin à l’instance à l’égard de la CCIA, il convient de statuer sur les dépens afférents à sa demande.

47      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, lu conjointement avec l’article 144, paragraphe 6, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la demanderesse en intervention et cette dernière ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DE LA TROISIÈME CHAMBRE ÉLARGIE DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande d’intervention de la Computer & Communications Industry Association est rejetée.

2)      La Computer & Communications Industry Association est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

Fait à Luxembourg, le 6 octobre 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

A. M. Collins


*      Langue de procédure : l’anglais.