Language of document : ECLI:EU:T:2021:466

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

14 juillet 2021 (*) (1)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation au Venezuela – Gel des fonds – Listes des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur les listes – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑35/19,

Antonio José Benavides Torres, demeurant à Caracas (Venezuela), représenté par Mes L. Giuliano et F. Di Gianni, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Kyriakopoulou, M. V. Piessevaux, Mme P. Mahnič et M. A. Antoniadis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2018/1656 du Conseil, du 6 novembre 2018, modifiant la décision (PESC) 2017/2074 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 276, p. 10), et du règlement d’exécution (UE) 2018/1653 du Conseil, du 6 novembre 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) 2017/2063 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 276, p. 1), en ce que ces actes concernent le requérant,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. R. da Silva Passos, président, Mme I. Reine (rapporteure) et M. L. Truchot, juges,

greffier : M. B. Lefebvre, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 3 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Antonio José Benavides Torres, était chef du gouvernement du Distrito Capital (district de la capitale) du Venezuela jusqu’au 3 janvier 2018 et général, commandant la Guardia Nacional Bolivariana (Garde nationale bolivarienne) jusqu’au 21 juin 2017.

 Mise en place du régime de mesures restrictives : décision (PESC) 2017/2074 et règlement (UE) 2017/2063

2        Le 13 novembre 2017, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision (PESC) 2017/2074, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2017, L 295, p. 60). Selon son considérant 1, cette décision était motivée par la dégradation constante de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme au Venezuela.

3        La décision 2017/2074 comporte, en substance, premièrement, une interdiction d’exporter, vers le Venezuela, des armes, des équipements militaires ou tout autre équipement susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne ainsi que des équipements, de la technologie ou des logiciels de surveillance et, deuxièmement, une interdiction de fournir des services financiers, techniques ou autres en rapport avec ces biens et ces technologies.

4        L’article 6, paragraphe 1, de la décision 2017/2074 prévoit en outre ce qui suit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire :

a)      des personnes physiques qui sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou d’atteintes graves à ceux-ci ou d’actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique au Venezuela ; ou

b)      des personnes physiques dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela,

dont la liste figure à l’annexe I. »

5        L’article 7 de la décision 2017/2074 dispose :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes, entités ou organismes ci-après, de même que tous les fonds et ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par les personnes, entités ou organismes ci-après :

a)      les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes qui sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou d’atteintes graves à ceux-ci ou d’actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique au Venezuela ;

b)      les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela,

dont la liste figure à l’annexe I.

2. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, entités et organismes associés aux personnes, entités ou organismes visés au paragraphe 1 dont la liste figure à l’annexe II, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, ces entités ou ces organismes ont en leur possession, détiennent ou contrôlent.

3. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est mis à la disposition, directement ou indirectement, des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe I ou II, ni n’est dégagé à leur profit.

[…] ».

6        L’article 8 de la décision 2017/2074 est libellé comme suit :

« 1. Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, établit et modifie les listes figurant aux annexes I et II.

2. Le Conseil communique la décision visée au paragraphe 1 à la personne physique ou morale, à l’entité ou à l’organisme concerné, y compris les motifs de son inscription sur la liste, soit directement si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations.

3. Si des observations sont formulées, ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil réexamine la décision visée au paragraphe 1 et en informe la personne physique ou morale, l’entité ou l’organisme concerné en conséquence. »

7        L’article 13, second alinéa, de la décision 2017/2074 dispose que cette décision fait l’objet d’un suivi constant et est prorogée, ou modifiée, le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints.

8        À la date de l’adoption de la décision 2017/2074, ses annexes I et II ne comportaient encore le nom d’aucune personne ou entité.

9        Sur le fondement de l’article 215 TFUE et de la décision 2017/2074, le Conseil a adopté, le 13 novembre 2017, le règlement (UE) 2017/2063, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2017, L 295, p. 21). En ce qui concerne le gel des fonds des personnes visées, ce règlement reprend, en substance, les dispositions de la décision 2017/2074. En particulier, les annexes IV et V dudit règlement correspondent respectivement aux annexes I et II de la décision 2017/2074. En vertu de l’article 17, paragraphe 4, du même règlement, ces deux annexes sont réexaminées à intervalles réguliers, et au moins tous les douze mois.

10      À la date de l’adoption du règlement 2017/2063, ses annexes IV et V ne comportaient encore le nom d’aucune personne ou entité.

11      L’article 13, premier alinéa, de la décision 2017/2074 prévoyait, dans sa version initiale, que cette décision était applicable jusqu’au 14 novembre 2018.

12      En revanche, le règlement 2017/2063 n’est assorti d’aucun terme.

 Inscription du nom du requérant sur les listes : décision (PESC) 2018/90 et règlement d’exécution (UE) 2018/88

13      Le 22 janvier 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/90, modifiant la décision 2017/2074 (JO 2018, L 16 I, p. 14). Le même jour le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2018/88, mettant en œuvre le règlement 2017/2063 (JO 2018, L 16 I, p. 6). Cette décision et ce règlement d’exécution (ci-après, ensemble, les « actes initiaux ») ont été publiés le jour même au Journal officiel de l’Union européenne. Selon les considérants 4 des actes initiaux, « la situation au Venezuela ne cessant de se dégrader, il conv[enai]t d’inscrire sept personnes sur la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes faisant l’objet de mesures restrictives » figurant à l’annexe I de la décision 2017/2074 et à l’annexe IV du règlement 2017/2063. Les actes initiaux ont par conséquent modifié ces annexes. Le nom du requérant y a ainsi été inscrit de la manière suivante : « 4 – Nom : Antonio José Benavides Torres – Informations d’identification : Date de naissance : 13.6.1961 – Motifs de l’inscription : Chef du gouvernement du district de la capitale (Distrito Capital). Général de la Garde nationale bolivarienne jusqu’au 21 juin 2017. Impliqué dans la répression de la société civile et de l’opposition démocratique vénézuéliennes et responsable de graves violations des droits de l’homme commises sous son commandement par la Garde nationale bolivarienne. Ses actions et les politiques qu’il a menées en tant que général de la Garde nationale bolivarienne, notamment lorsque celle-ci a joué un rôle de premier plan en ce qui concerne le maintien de l’ordre lors de manifestations civiles et lorsqu’il s’est prononcé publiquement en faveur de la compétence des tribunaux militaires pour juger des civils, ont porté atteinte à l’état de droit au Venezuela. – Date de l’inscription : 22.1.2018 ».

14      Le 23 janvier 2018 a été publié au Journal officiel un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2017/2074, modifiée par la décision 2018/90, et par le règlement 2017/2063, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2018/88, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, C 23, p. 4).

15      Par courriel du 3 avril 2018, le Conseil a envoyé au représentant du requérant les deux documents sur lesquels la décision 2018/90 et le règlement d’exécution 2018/88 étaient fondés, à savoir un document de travail daté du 22 mars 2018 portant la référence WK 3501/2018 INIT et l’extrait 4 d’une annexe à un document daté du 27 mars 2018 et portant la référence COREU CFSP/0702/17. Par le même courriel, le représentant du requérant a été informé de la possibilité de soumettre des observations dans le cadre du réexamen annuel des mesures restrictives en cause auprès du Conseil jusqu’au 1er septembre 2018.

16      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 avril 2018, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑245/18, visant, en substance, à l’annulation des actes initiaux, pour autant que ces actes le concernaient.

17      Par courriel du 30 octobre 2018, le représentant du requérant a informé le Conseil que le requérant n’exerçait plus les fonctions de général de la Garde nationale bolivarienne et de chef du gouvernement du district de la capitale. Pour ces raisons, il lui a demandé de retirer le nom du requérant des listes litigieuses.

 Maintien du nom du requérant sur les listes : décision (PESC) 2018/1656 et règlement d’exécution (UE) 2018/1653

18      Le 6 novembre 2018, le Conseil a prorogé la validité des mesures restrictives jusqu’au 14 novembre 2019, y compris en ce qui concerne le requérant, en adoptant la décision (PESC) 2018/1656, modifiant la décision 2017/2074 (JO 2018, L 276, p. 10), et le règlement d’exécution (UE) 2018/1653, mettant en œuvre le règlement 2017/2063 (JO 2018, L 276, p. 1) (ci-après, ensemble, les « actes attaqués »). Les actes attaqués ont également remplacé la mention 7 de l’annexe I de la décision 2017/2074 et la mention 7 de l’annexe IV du règlement 2017/2063, modifiant ainsi le motif d’inscription d’une autre personne visée par les mesures restrictives en cause.

19      Par lettre du 7 novembre 2018 le Conseil a informé le représentant du requérant qu’il avait été décidé de proroger la validité des mesures restrictives en cause à l’égard de celui-ci. En outre, il a été informé de la possibilité de soumettre une demande de réexamen de cette décision auprès du Conseil jusqu’au 23 août 2019.

20      Le 7 novembre 2018, a été publié au Journal officiel un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2017/2074, modifiée par la décision 2018/1656, et par le règlement 2017/2063, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2018/1653, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, C 401, p.2).

 Procédure et conclusions des parties

21      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 janvier 2019, le requérant a introduit le présent recours.

22      La phase écrite de la procédure a été close le 5 août 2019.

23      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal, la juge rapporteure a été affectée à la septième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

24      Par lettre du 20 décembre 2019, les parties ont été invitées à présenter des observations sur une éventuelle jonction des affaires T‑245/18, Benavides Torres/Conseil, T‑246/18, Moreno Pérez/Conseil, T‑247/18, Lucena Ramírez/Conseil, T‑248/18, Cabello Rondón/Conseil, T‑249/18, Saab Halabi/Conseil et T‑35/19, Benavides Torres/Conseil, aux fins de la phase orale de la procédure. Les parties ont répondu ne pas avoir d’objections à une telle jonction.

25      Par décision du 28 janvier 2020, le président de la septième chambre du Tribunal a décidé de joindre lesdites affaires (ci-après les « affaires jointes »), aux fins de la phase orale de la procédure. Le même jour, la phase orale de la procédure a été ouverte et la date de l’audience de plaidoiries a été fixée au 23 avril 2020.

26      Le 7 février 2020, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a invité les parties dans les affaires jointes à répondre à des questions pour réponse écrite avant l’audience et pour réponse orale lors de l’audience. Les parties dans les affaires jointes ont répondu aux questions pour réponse écrite dans le délai imparti. Le 13 mars 2020, le Tribunal les a invitées à présenter leurs observations éventuelles sur les réponses de l’autre partie. Les parties dans les affaires jointes ont présenté leurs observations dans le délai imparti.

27      L’audience de plaidoiries initialement prévue le 23 avril 2020 ayant été reportée en raison de la crise sanitaire, les parties dans les affaires jointes ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 3 septembre 2020.

28      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, en tant que leurs dispositions le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

29      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, si les mesures restrictives visant le requérant devaient être annulées, ordonner le maintien des effets de la décision 2018/1656 en ce qui concerne celui-ci jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2018/88 ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité du recoursen ce qu’il vise l’annulation du règlement d’exécution 2018/1653

30      Dans son mémoire en défense, le Conseil soutient que le recours est irrecevable en ce qu’il tend à l’annulation du règlement d’exécution 2018/1653, au motif que le requérant n’a pas de qualité pour agir. Le Conseil fait valoir que ce règlement d’exécution ne mentionne pas spécifiquement le nom du requérant et ne remplace pas un acte le concernant directement et individuellement. En outre, ledit règlement d’exécution ne concernerait ni directement ni individuellement le requérant et celui-ci ne pourrait donc en demander l’annulation. Dès lors, le requérant n’aurait pas qualité à agir.

31      Le requérant fait valoir que le fait que le règlement d’exécution 2018/1653 ne mentionne pas explicitement son nom ne prouve pas qu’il n’a pas d’effet sur sa situation. Ce règlement d’exécution le concernerait directement et individuellement. Il observe que celui-ci a de facto « étendu le champ d’application du règlement 2017/2063 » à son égard, entraînant ainsi le maintien de son nom sur les listes litigieuses, pour les mêmes motifs que ceux énoncés par le règlement 2017/2063, tel que modifié par le règlement d’exécution 2018/88.

32      Il y a lieu d’observer que l’article 13, second alinéa, de la décision 2017/2074 prévoit que celle-ci doit faire l’objet d’un suivi constant. Le considérant 2 de la décision 2018/1656 fait expressément état d’un réexamen de la décision 2017/2074.

33      En revanche, le règlement d’exécution 2018/1653 ne comporte pas une telle mention. Il ne saurait, toutefois, en être déduit que le Conseil n’a pas procédé au réexamen de la situation et que cette absence de réexamen ferait obstacle à la recevabilité du recours. L’article 17, paragraphe 4, du règlement 2017/2063 dispose en effet que la liste figurant à l’annexe IV de celui-ci est examinée à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois. Or, la recevabilité d’un recours ne saurait dépendre du bon vouloir du Conseil, selon que celui-ci estime avoir effectivement réexaminé ou non le maintien de l’inscription du nom de la personne concernée sur les listes en cause, ce qui irait à l’encontre du principe de sécurité juridique (arrêt du 9 juillet 2014, Al-Tabbaa/Conseil, T‑329/12 et T‑74/13, non publié, EU:T:2014:622, point 47). Dès lors, le Conseil ne saurait faire valoir que, en l’espèce, il n’a opéré aucun réexamen de la situation du requérant, contrairement à ses obligations, afin d’en tirer un bénéfice en ce qui concerne la recevabilité du recours dirigé contre le règlement d’exécution 2018/1653. De surcroît, en raison de l’étroite imbrication des deux textes, il doit être considéré que le réexamen de la situation, que le Conseil admet avoir effectué pour adopter la décision 2018/1656, a été un préalable nécessaire également à l’adoption du règlement d’exécution 2018/1653.

34      Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’écarter les fins de non-recevoir soulevées par le Conseil et de constater que le recours est recevable, y compris en ce qu’il vise le règlement d’exécution 2018/1653.

 Sur le fond

35      À l’appui de son recours, le requérant invoque un unique moyen tiré d’une « erreur manifeste d’appréciation » du Conseil. Il le divise en deux branches, la première, tirée du caractère manifestement inexact et incomplet du réexamen périodique de sa situation, et, la seconde, tirée de ce que le maintien des mesures restrictives à son égard ne se justifiait plus en raison du fait que, après le 4 janvier 2018, il n’exerçait plus aucune fonction au sein des autorités politiques ou militaires du Venezuela et n’avait plus aucun lien avec celles-ci.

36      Il y a lieu d’observer que les deux branches se recoupent, en ce que le requérant fait en substance valoir, dans le cadre de la première branche, que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en ignorant l’évolution de sa situation après le 4 janvier 2018. Dès lors, il convient de les traiter ensemble.

37      Le requérant soutient que ses anciennes fonctions, en tant que chef du gouvernement du district de la capitale et en tant que général de la Garde nationale bolivarienne, ne peuvent justifier son maintien sur les listes litigieuses.

38      Le requérant relève, en premier lieu, que le Conseil n’apporte pas de preuves concernant sa responsabilité dans de graves violations des droits de l’homme ou dans la répression de la société civile et de l’opposition démocratique après le 4 janvier 2018. Il ne serait plus associé à des personnes, à des entités et à des organismes ayant une politique ou des activités portant atteinte à la démocratie. À cet égard, il souligne que, depuis le 4 janvier 2018, il a cessé toute activité politique et n’entretient plus de relation directe ou indirecte avec les partis politiques vénézuéliens ou avec le régime vénézuélien. Il ajoute qu’il dirige un petit cabinet d’avocats, totalement indépendant du gouvernement vénézuélien ou de toute autre autorité publique, et qu’il ne bénéficie d’aucun avantage de la part du gouvernement vénézuélien dans le cadre de l’exercice de sa profession.

39      Le requérant soutient, en deuxième lieu, que le maintien de son nom sur les listes litigieuses est contraire à la finalité préventive des mesures restrictives. Ces dernières devraient exercer des pressions sur les autorités vénézuéliennes afin que celles-ci respectent la Constitution vénézuélienne et les droits et les libertés fondamentaux. Néanmoins, le requérant relève que le maintien de son nom sur les listes litigieuses n’incitera pas les autorités vénézuéliennes à respecter la Constitution vénézuélienne ou l’état de droit, en particulier dès lors qu’il n’entretient aucune relation avec ces autorités et qu’il ne saurait donc en aucun cas influencer leur comportement.

40      Le requérant indique, en troisième lieu, que le maintien de son nom sur les listes litigieuses prive les mesures restrictives de leur effet utile. L’examen périodique devrait démontrer le changement de situation et assurer que des éléments supplémentaires justifient le maintien. Toutefois le requérant relève que le Conseil se base uniquement sur des éléments de preuve justifiant l’inscription initiale de son nom sur les listes litigieuses.

41      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

42      Il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel, garantie par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, exige notamment que le juge de l’Union européenne s’assure que la décision, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 64).

43      À cette fin, il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120 et jurisprudence citée ; arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 65).

44      C’est en effet à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 66).

45      À cette fin, il n’est pas requis que ladite autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 122, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 67).

46      En ce qui concerne les moyens de preuve qui peuvent être invoqués, le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre administration des preuves [arrêt du 6 septembre 2013, Persia International Bank/Conseil, T‑493/10, EU:T:2013:398, point 95 (non publié)].

47      C’est au vu de ces principes qu’il y a lieu d’apprécier si, lorsqu’il a, par les actes attaqués, décidé de maintenir le nom du requérant sur les listes litigieuses à l’issue du réexamen périodique, le Conseil a commis une erreur d’appréciation.

48      À titre liminaire, il convient de relever que la circonstance que les motifs du maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses fassent référence à des faits qui se sont produits avant l’adoption des actes attaqués et qui étaient terminés à cette date n’emporte pas nécessairement l’obsolescence des mesures restrictives maintenues à son égard par ces actes. À l’évidence, dans la mesure où le Conseil a décidé de se référer, dans les motifs du maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses, à des situations concrètes impliquant la Garde nationale bolivarienne qu’il commandait, il ne pouvait être question que d’agissements dans le passé. Une telle référence ne saurait donc être considérée comme dépourvue de pertinence au seul motif que les agissements en cause relèvent d’un passé plus ou moins éloigné (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 83 et jurisprudence citée).

49      Cette interprétation est corroborée par l’article 13, deuxième alinéa, de la décision 2017/2074, telle que modifiée par la décision 2018/1656, attaquée en l’espèce, aux termes duquel la décision 2017/2074 fait l’objet d’un suivi constant et elle est prorogée, ou modifiée le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints. Une telle disposition permet donc au Conseil de maintenir sur les listes litigieuses les noms de personnes en conservant les motifs à l’origine de leur inscription initiale, sans que les personnes en cause aient commis de nouvelle violation des droits de l’homme au cours de la période précédant le réexamen, pourvu que ce maintien reste justifié au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, au regard du fait que les objectifs visés par les mesures restrictives n’ont pas été atteints (voir, par analogie, arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 84 et jurisprudence citée).

50      À cet égard, il importe de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 58 et 59).

51      Il convient donc d’abord d’examiner si, au moment de l’adoption des actes attaqués, le Conseil a procédé à une appréciation actualisée des circonstances de fait et de droit ayant présidé à l’imposition de mesures restrictives à l’égard du requérant justifiant leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivaient.

52      À cet égard, le Conseil a fondé l’adoption des mesures restrictives en cause sur la dégradation constante de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme au Venezuela, en exprimant notamment sa préoccupation face aux nombreuses informations faisant état de violations des droits de l’homme et d’usage excessif de la force, et en appelant les autorités vénézuéliennes à respecter la Constitution vénézuélienne et l’état de droit et à veiller à ce que les libertés et les droits fondamentaux, y compris le droit de manifester pacifiquement, soient garantis (voir, à cet égard, les considérants 1 à 6 de la décision 2017/2074). À cette fin, les mesures restrictives visaient à faire pression sur les personnes tenues responsables de violations graves des droits de l’homme ou d’atteintes graves à ceux-ci ou d’actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique et sur les personnes, les entités et les organismes dont les actions, les politiques ou les activités portaient atteinte à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela, ainsi que sur les personnes, les entités et les organismes qui leur étaient associés (voir, à cet égard, le considérant 7 de la décision 2017/2074).

53      C’est ainsi que le nom du requérant a été inscrit sur les listes litigieuses, par la décision 2018/90 et par le règlement d’exécution 2018/88, aux motifs qu’il occupait le poste de chef du gouvernement du district de la capitale et qu’il avait occupé le poste de général de la Garde nationale bolivarienne jusqu’au 21 juin 2017 et qu’il était impliqué dans la répression de la société civile et de l’opposition démocratique vénézuéliennes et responsable de graves violations des droits de l’homme commises sous son commandement par la Garde nationale bolivarienne, et que ses actions et les politiques qu’il a menées en tant que général de la Garde nationale bolivarienne, notamment lorsque celle-ci a joué un rôle de premier plan en ce qui concerne le maintien de l’ordre lors de manifestations civiles et lorsqu’il s’est prononcé publiquement en faveur de la compétence des tribunaux militaires pour juger des civils, ont porté atteinte à l’état de droit au Venezuela.

54      Dans l’arrêt de ce jour, Benavides Torres/Conseil (T‑245/18, non publié), le Tribunal a relevé que le Conseil pouvait à bon droit considérer que la Garde nationale bolivarienne, sous le commandement du requérant, avait fait un usage excessif de la force dans le cadre du maintien de l’ordre lors de manifestations civiles et que,au vu du contexte général de la situation au Venezuela, le requérant avait été impliqué dans la répression de la société civile et de l’opposition démocratique vénézuéliennes et qu’il était responsable de graves violations des droits de l’homme commises sous son commandement par la Garde nationale bolivarienne.

55      Il n’est pas contesté par le requérant que tant le poste de chef du gouvernement du district de la capitale que celui de général de la Garde nationale bolivarienne sont des postes à de très haut niveau au Venezuela et que, en exerçant ceux-ci, le requérant pouvait être considéré comme occupant des fonctions à responsabilité au sein du système institutionnel du Venezuela et étant, lors de l’exercice de ces fonctions, pleinement lié notamment au régime vénézuélien.

56      En outre, il est constant que, au moment de l’adoption des actes attaqués, il n’y avait pas eu de changement du régime au pouvoir au Venezuela.

57      Néanmoins, force est de constater que, au moment de l’adoption des actes attaqués le 6 novembre 2018, le requérant n’occupait plus le poste de général de la Garde nationale bolivarienne depuis environ un an et demi, à savoir depuis le 21 juin 2017. En outre, ainsi que l’indique le requérant, sans être contredit par le Conseil, il avait également cessé de servir en tant que chef du gouvernement du district de la capitale le 4 janvier 2018, c’est-à-dire environ dix mois avant l’adoption des actes attaqués en l’espèce.

58      Dans ces circonstances, étant donné l’absence de changement du régime au pouvoir au Venezuela au moment de l’adoption des actes attaqués, il était pertinent pour le Conseil d’examiner, à cette date, les liens qu’entretenait le requérant avec le gouvernement au pouvoir, afin d’apprécier la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à l’adoption des mesures restrictives à l’égard du requérant et la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de leur objectif, rappelé au point 52 ci-dessus.

59      Or, il ressort du dossier que le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses était justifié par les mêmes éléments invoqués au soutien de son inscription initiale (voir point 13 ci-dessus). En effet, lors de l’audience, le Conseil a confirmé que, lors du réexamen qui a abouti à l’adoption des actes attaqués, il n’avait pris en considération aucun élément postérieur aux actes inscrivant initialement le nom du requérant sur les listes litigieuses.

60      Certes, il convient de constater qu’un laps de temps considérable, de plus de dix mois, s’est écoulé entre la cessation par le requérant de ses fonctions de chef du district de la capitale et l’adoption des actes attaqués. À cet égard, il convient de relever que, dans le cadre de l’appréciation actualisée qu’il était tenu d’effectuer lors du réexamen des mesures restrictives en cause, le Conseil n’a pas établi ni même allégué avoir été dans l’impossibilité de disposer de l’information relative à la cessation, par le requérant, de ses fonctions de chef du gouvernement du district de la capitale.

61      Toutefois, il convient de rappeler que le mécanisme de réexamen des mesures restrictives instauré par la décision 2017/2074 prévoit que les personnes qui font l’objet de ces mesures restrictives sont invitées à se manifester en demandant le réexamen de la décision dans un certain délai. À cet égard, il ressort de l’article 8 de cette décision que le Conseil donne à la personne concernée par les mesures restrictives la possibilité de présenter des observations et qu’il réexamine sa décision si des observations sont formulées, ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés. Ainsi, c’est la personne visée par les mesures restrictives qui est la mieux placée pour informer le Conseil de toute modification intervenue dans sa situation particulière.

62      S’agissant du requérant, le Conseil avait spécifiquement invité son représentant, par courriel du 3 avril 2018, à soumettre ses éventuelles observations dans le cadre du réexamen annuel des mesures restrictives en cause jusqu’au 1er septembre 2018 (voir point 15 ci-dessus). Toutefois, il ressort du dossier que le requérant n’a informé le Conseil de l’évolution de sa situation que le 30 octobre 2018, soit quelques jours avant l’adoption des actes attaqués, comme il est constaté au point 17 ci-dessus, alors qu’il était censé savoir que le Conseil devait prendre une décision sur le maintien ou non des mesures restrictives en cause au plus tard le 14 novembre 2018 (voir point 11 ci-dessus).

63      En outre, il convient de relever qu’aucun changement du régime au pouvoir au Venezuela n’est intervenu entre le moment où le requérant était général de la Garde nationale bolivarienne et chef du gouvernement du district de la capitale et celui où il n’était plus dans ces fonctions. Or, il ne ressort pas du dossier et il n’est pas davantage allégué par le requérant, qui a été spécifiquement interrogé sur ce point lors de l’audience, que la cessation de ses différentes fonctions publiques aurait été une décision qu’il aurait prise lui-même en réaction aux atteintes à l’état de droit et à la démocratie au Venezuela afin de se distancier de telles atteintes [voir, par analogie, arrêts du 26 mars 2019, Boshab e.a./Conseil, T‑582/17, non publié, EU:T:2019:193, point 152, et du 12 février 2020, Kande Mupompa/Conseil, T‑170/18, EU:T:2020:60, point 131 (non publié)].

64      Dans ces conditions, à défaut de preuves et d’indices en sens contraire, le Conseil pouvait légitimement considérer que, à la date d’adoption des actes attaqués, le requérant était demeuré lié au régime au pouvoir au Venezuela, qui n’avait pas changé par rapport au moment où, dans le cadre de ses fonctions de commandant de la Garde nationale bolivarienne, il avait porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela.

65      Les considérations qui précèdent ne sauraient être considérées comme impliquant l’établissement d’une présomption ou un renversement de la charge de la preuve au détriment du requérant, contrairement à ce qu’il soutient. Elles signifient simplement que la référence, dans les motifs des actes attaqués, aux fonctions précédemment exercées par le requérant révèle que le Conseil a considéré que, pour cette raison, il demeurait lié au régime au pouvoir au Venezuela et que le Conseil ne disposait d’aucun élément susceptible de remettre en cause cette thèse (voir, par analogie, arrêt du 22 avril 2015, Tomana e.a./Conseil et Commission, T‑190/12, EU:T:2015:222, point 167).

66      Par conséquent, il y a lieu de rejeter le moyen unique ainsi que le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

67      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Conseil, conformément aux conclusions de celui-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Antonio José Benavides Torres est condamné aux dépens.

da Silva Passos

Reine

Truchot

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 juillet 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.