Language of document : ECLI:EU:T:1999:273

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

28 octobre 1999 (1)

«Droits antidumping - Élimination du préjudice - Prix indicatif - Marge bénéficiaire sur les coûts de production»

Dans l'affaire T-210/95,

European Fertilizer Manufacturers' Association (EFMA), association de droit suisse, établie à Zurich (Suisse), représentée par Mes Dominique Voillemot et Olivier Prost, avocats au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Carlos Zeyen, 67, rue Ermesinde,

partie requérante,

soutenue par

République française, représentée par Mme Catherine de Salins, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, M. Gautier Mignot, et, lors de la procédure orale, M. Sujiro Seam, secrétaires des affaires étrangères, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de France, 8 B, boulevard Joseph II,

partie intervenante,

contre

Conseil de l'Union européenne, représenté initialement par MM. Yves Cretien et Antonio Tanca, puis par M. Tanca, membres du service juridique, en qualité d'agents, assistés de Mes Hans-Jürgen Rabe et Georg Berrisch, avocats à Hambourg, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Nicholas Khan, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d'annulation de l'article 1er du règlement (CE) n° 2022/95 du Conseil, du 16 août 1995, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d'ammonium originaire de Russie (JO L 198, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

composé de MM. A. Potocki, président, K. Lenaerts, C. W. Bellamy, J. Azizi et A. W. H. Meij, juges,

greffier: M. A. Mair, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 17 mars 1999,

rend le présent

Arrêt

Faits et procédure

1.
    Par la décision 94/293/CE, du 13 avril 1994, portant acceptation d'engagements offerts dans le cadre de la procédure antidumping concernant les importations de nitrate d'ammonium originaire de Lituanie et de Russie et clôturant l'enquête en ce qui concerne ces pays et, par ailleurs, clôturant la procédure antidumping concernant les importations de nitrate d'ammonium originaire de Biélorussie, de Géorgie, d'Ouzbékistan, du Turkménistan et d'Ukraine (JO L 129, p. 24, ci-après «décision régionale»), la Commission a mis fin à l'enquête qu'elle avait menée dans le cadre d'une procédure antidumping concernant les importations au Royaume-Uni de nitrate d'ammonium originaire de Lituanie et de Russie (ci-après «procédure régionale») en acceptant l'engagement de limiter le volume des exportations en provenance de chacun de ces deux pays vers cet État membre à 100 000 tonnes par an.

2.
    Le 9 juin 1994, à la suite d'une plainte déposée par la requérante, la Commission a annoncé, dans un avis publié au Journal officiel des Communautés européennes, l'ouverture d'une procédure antidumping concernant les importations dans la Communauté de nitrate d'ammonium originaire de Lituanie et de Russie et a entamé une enquête à l'échelle communautaire (JO C 158, p. 3).

3.
    Le 6 décembre 1994, la Commission a annoncé l'ouverture d'un réexamen de la décision régionale (JO C 343, p. 9), au motif, notamment, que, si des mesures de sauvegarde s'avéraient nécessaires à l'échelle communautaire, celles-ci s'appliqueraient à l'ensemble de la Communauté, y compris le Royaume-Uni.

4.
    Le 15 décembre 1994, la Commission a communiqué à la requérante une lettre d'information exposant les conclusions provisoires de l'enquête menée par ses services à l'échelle communautaire, ainsi que les faits et considérations sur la base desquels elle envisageait d'instituer des mesures antidumping au niveau communautaire, sous forme d'un droit variable, à l'encontre des importations de nitrate d'ammonium en provenance de Russie et de Lituanie. Elle précisait, en particulier, que, aux fins de déterminer la majoration devant être appliquée au prix des importations faisant l'objet d'un dumping, à l'effet d'éliminer le préjudice subi par l'industrie communautaire, le coût moyen pondéré par tonne de nitrate d'ammonium en sac produit par ladite industrie serait majoré d'un bénéfice de 5 %.

5.
    Dans sa réponse du 9 janvier 1995, la requérante a notamment fait valoir que la Commission aurait dû se baser, dans le calcul du «prix indicatif», à savoir le prix minimal qui permettrait d'éliminer le préjudice subi par l'industrie communautaire, sur une marge bénéficiaire de 10 % sur les coûts susvisés, ainsi qu'elle l'avait fait dans la décision régionale.

6.
    Le 6 avril 1995, la Commission a envoyé à la requérante une deuxième lettre d'information modifiant sa lettre du 15 décembre 1994 et exposant les faits et considérations sur le fondement desquels elle envisageait de proposer au Conseil l'institution de mesures antidumping, sous forme d'un droit variable, à l'encontre des importations de nitrate d'ammonium en provenance de Russie, et de clore l'enquête en ce qui concerne les importations en provenance de Lituanie. La Commission a également répondu aux arguments de la requérante, tout en maintenant son point de vue selon lequel le calcul du prix indicatif devait se baser sur une marge bénéficiaire sur les coûts de 5 %.

7.
    Dans un courrier du 14 avril 1995, la requérante a réaffirmé que, selon elle, la marge bénéficiaire à retenir aux fins du calcul du prix indicatif devait être de 10 %, afin de permettre à l'industrie communautaire d'obtenir un rendement raisonnable du capital investi.

8.
    Le 25 avril 1995, la requérante a transmis à la Commission deux notes en date du 24 avril 1995 émanant de producteurs français d'engrais, l'une de la société Hydro Agri France, l'autre de la société Grande paroisse. Selon la requérante, il ressortait de ces documents qu'une marge bénéficiaire sur les coûts de 10 % représentait le minimum absolu nécessaire à la survie de l'industrie.

9.
    Le 2 mai 1995, la Commission a envoyé à la requérante une note dans laquelle elle entendait justifier son évaluation de la marge bénéficiaire à appliquer sur les coûts de l'industrie communautaire à 5 %. Selon cette note, à laquelle étaient annexées les conclusions chiffrées de la Commission, la marge de 10 % appliquée dans le cadre de la procédure régionale n'était pas transposable au niveau de l'ensemble de la Communauté, étant donné que les coûts de production au Royaume-Uni étaient inférieurs à la moyenne communautaire.

10.
    Dans une lettre adressée à Sir Leon Brittan, membre de la Commission en charge des affaires antidumping, le 1er juin 1995, la requérante a contesté cette appréciation.

11.
    Le 2 juin 1995, la Commission a envoyé à la requérante une troisième lettre d'information apportant certaines modifications à ses prises de positions antérieures, notamment en ce qui concerne le calcul de la marge de dumping, le seuil du préjudice et le prix minimal nécessaire pour éliminer le préjudice subi. Elle maintenait toutefois que la marge bénéficiaire à prendre en compte dans le calcul du prix indicatif devait être de 5 %.

12.
    Dans une lettre à la Commission du 15 juin 1995, la requérante a présenté une nouvelle fois ses arguments en faveur de la fixation de la marge bénéficiaire à 10 %.

13.
    Dans sa réponse du 23 juin 1995, la Commission a notamment indiqué que, outre les considérations exposées dans sa lettre du 2 juin 1995, il fallait tenir compte,d'une part, du fait que la marge bénéficiaire de 10 % retenue dans le cadre de la procédure régionale n'avait pas été appliquée aux coûts de production réels de l'industrie britannique, mais aux coûts ajustés afin d'éliminer l'incidence des facteurs autres que les importations faisant l'objet d'un dumping, et, d'autre part, de ce que les coûts fixes de l'industrie communautaire étaient légèrement majorés par le maintien d'une capacité excédentaire.

14.
    Le 3 août 1995, la Commission a adopté la décision 95/344/CE, clôturant la procédure antidumping concernant les importations de nitrate d'ammonium originaire de Lituanie (JO L 198, p. 27).

15.
    A la même date, la Commission a adopté la décision 95/345/CE, clôturant la procédure antidumping concernant les importations au Royaume-Uni de nitrate d'ammonium originaire de Russie et l'enquête de réexamen des mesures antidumping concernant les importations au Royaume-Uni de nitrate d'ammonium originaire de Lituanie (JO L 198, p. 29). Cette décision a mis fin aux mesures régionales existantes, qui limitaient le volume des exportations de nitrate d'ammonium originaire de Russie vers le Royaume-Uni, tout en maintenant lesdites mesures en ce qui concerne le nitrate d'ammonium originaire de Lituanie.

16.
    Le 16 août 1995, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 2022/95, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d'ammonium originaire de Russie (JO L 198, p. 1, ci-après «règlement litigieux»).

17.
    Conformément aux articles 23 et 24 du règlement (CE) n° 3283/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 349, p. 1), le règlement litigieux a été adopté sur la base des dispositions du règlement (CEE) n° 2423/88 du Conseil, du 11 juillet 1988, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 209, p. 1, ci-après «règlement de base»).

18.
    L'article 1er du règlement litigieux institue un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d'ammonium originaire de Russie, d'un montant équivalant à la différence entre 102,9 écus par tonne nette du produit et le prix caf (coût-assurance-fret) net frontière communautaire avant dédouanement, si ce dernier est inférieur.

19.
    Les points 89 à 91 des considérants du règlement litigieux exposent les raisons pour lesquelles, afin d'établir la majoration de prix des importations faisant l'objet d'un dumping, nécessaire pour éliminer le préjudice subi par l'industrie communautaire, le coût moyen pondéré par tonne de nitrate d'ammonium en sac produit par l'industrie communautaire a été calculé et majoré d'une marge bénéficiaire de 5 %.

Procédure et conclusions des parties

20.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 novembre 1995, la requérante a introduit le présent recours.

21.
    Par ordonnance du 28 juin 1995, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a admis la République française et la Commission à intervenir au litige, respectivement, au soutien des conclusions de la partie requérante et de la partie défenderesse.

22.
    Par lettre du 7 mai 1997, la requérante a demandé à être autorisée à plaider en français lors de la procédure orale. Les autres parties ont déposé leurs observations sur cette demande entre le 28 mai et le 4 juin 1997.

23.
    Le 17 décembre 1997, le Tribunal a rendu son arrêt dans l'affaire EFMA/Conseil (T-121/95, Rec. p. II-2391). Par lettre du greffe du 19 décembre 1997, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a invité les parties à se prononcer sur les conséquences éventuelles de cet arrêt pour la suite de la procédure dans la présente affaire. La requérante, la République française et le Conseil ont répondu à cette invitation entre le 8 janvier et le 9 février 1998.

24.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans ordonner de mesures d'instruction ou d'organisation de la procédure. La demande de la requérante visant à être autorisée à plaider dans une langue autre que la langue de procédure a été rejetée. La procédure orale, initialement fixée au 13 janvier 1999, a été reportée, à la demande des parties, à l'audience publique du 17 mars 1999. Ce jour, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal.

25.
    La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler l'article 1er du règlement litigieux;

-    ordonner le maintien du droit antidumping imposé par cette disposition jusqu'à ce que les institutions compétentes adoptent les mesures nécessaires pour se conformer à l'arrêt du Tribunal;

-    condamner le Conseil aux dépens.

26.
    La République française conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler l'article 1er du règlement litigieux;

-    ordonner que le droit antidumping institué par la disposition attaquée soit maintenu jusqu'à ce que les institutions compétentes adoptent les mesures nécessaires pour se conformer à sa décision;

-    condamner le Conseil aux dépens.

27.
    La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner la requérante aux dépens.

28.
    La Commission, admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil, n'a pas présenté de mémoire en intervention.

Sur le fond

Arguments des parties

29.
    Dans sa requête, la requérante fonde son recours sur un moyen unique. Elle renvoie au point 89 des considérants du règlement litigieux, soutient que, en retenant une marge bénéficiaire de 5 % pour les producteurs communautaires de nitrate d'ammonium, le Conseil a commis une erreur manifeste d'appréciation des faits de l'espèce.

30.
    Se référant tout d'abord à ses lettres des 9 janvier, 14 avril, 25 avril, 1er juin et 15 juin 1995, la requérante expose qu'elle a, notamment, fait valoir, lors de l'enquête, les éléments suivants: a) une marge bénéficiaire de 10 % est nécessaire à l'industrie communautaire pour obtenir une rémunération raisonnable du capital investi; b) la marge bénéficiaire de 10 % retenue pour le même produit dans la décision régionale est également déterminante pour le calcul du prix indicatif au niveau communautaire, eu égard, en particulier, au point 46 des considérants de cette décision, aux termes duquel «cette industrie doit réaliser une marge bénéficiaire minimale de 10 % pour rester compétitive et couvrir les coûts des nouveaux investissements»; c) il n'y avait pas lieu de faire des distinctions entre les différents producteurs communautaires, et notamment en ce qui concerne les producteurs français, aux fins du calcul de la marge bénéficiaire; d) l'évaluation de la marge bénéficiaire pour la production de nitrate d'ammonium ne saurait être fondée sur la marge bénéficiaire de 5 % retenue dans l'affaire concernant les importations de mélange d'urée et de nitrate d'ammonium, dénommé «UNA» [ci-après «affaire UNA» - voir le règlement (CE) n° 3319/94, du 22 décembre 1994, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de mélange d'urée et de nitrate d'ammonium en solution originaire de Bulgarie et de Pologne, exporté par des sociétés autres que celles qui sont exemptées du droit, et portant perception définitive des montants garantis par le droit provisoire (JO L 350, p. 20)], ainsi quedans l'affaire concernant les importations d'urée [ci-après «affaire urée» - voir le règlement (CE) n° 477/95 du Conseil, du 16 janvier 1995, modifiant les mesures antidumping définitives applicables aux importations dans la Communauté d'urée originaire de l'ancienne Union soviétique et abrogeant les mesures antidumping applicables aux importations dans la Communauté d'urée originaire de l'ancienne Tchécoslovaquie (JO L 49, p. 1)].

31.
    La requérante souligne, en particulier, que, dans sa lettre du 25 avril 1995, elle a fourni des analyses détaillées réalisées par les sociétés Hydro Agri France et Grande paroisse, démontrant qu'une marge bénéficiaire de 10 % constitue le strict minimum pour la survie de l'industrie communautaire.

32.
    La requérante invoque, par ailleurs, une étude réalisée par Z/Yen Ltd, un cabinet de consultants spécialisé dans l'analyse de l'équilibre entre les risques et les revenus, notamment dans l'industrie (ci-après «étude Z/Yen»). Cette étude démontrerait qu'une marge bénéficiaire de 10 % des coûts réels représente la marge minimale nécessaire pour empêcher que l'industrie communautaire du nitrate d'ammonium ne subisse un préjudice important qui pourrait entraîner son déclin. En outre, une marge bénéficiaire de 15 % constituerait le minimum vital permettant à l'industrie communautaire, d'une part, de financer les investissements nécessaires à sa pérennité et, d'autre part, de réinvestir pour moderniser et remplacer l'outil de production existant.

33.
    Bien que cette étude ait été réalisée en novembre 1995, soit après l'adoption du règlement litigieux, la requérante s'estime en droit de la produire devant le Tribunal en tant que moyen de preuve complémentaire (voir les conclusions de l'avocat général M. Fennelly sous l'arrêt de la Cour du 29 février 1996, Belgique/Commission, C-56/93, Rec. p. I-723, I-727, point 30, et les conclusions de l'avocat général M. Mancini sous l'arrêt de la Cour du 14 juillet 1988, FEDIOL/Commission, 187/85, Rec. p. 4155, 4173, point 7).

34.
    La requérante ajoute que, lors de la procédure administrative, les producteurs communautaires ont indiqué, en réponse au questionnaire de la Commission sur la rentabilité, des marges bénéficiaires variant entre 10 et 41 %, soit une moyenne pondérée, rapportée à la production réelle pendant la période de l'enquête, de 16,2 %. Ce montant serait compatible avec le taux de rentabilité de 15,6 % que connaissait l'industrie en 1990-1991, avant les importations faisant l'objet d'un dumping (voir le point 51 des considérants du règlement litigieux).

35.
    Le Conseil ayant, dans son mémoire en défense (voir notamment le point 15), justifié la marge bénéficiaire de 5 % par le fait que des facteurs autres que les importations en cause ont également contribué au préjudice subi par l'industrie communautaire, la requérante réplique que cet argument n'a été évoqué ni dans le règlement litigieux ni au cours de la procédure administrative. Il en résulterait une violation de l'obligation de motivation prévue par l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE), ainsi qu'une violation des droits de la défense.

36.
    En tout état de cause, le Conseil aurait commis une erreur manifeste d'appréciation quant aux autres facteurs pris en compte, d'après le mémoire en défense, pour déterminer le montant du droit antidumping. En premier lieu, en effet, la réduction des stocks, mentionnée au point 70 des considérants du règlement litigieux, n'aurait pas entraîné d'augmentation des coûts. En deuxième lieu, la baisse des quantités de nitrate d'ammonium utilisées pour la consommation interne ne serait pas importante par rapport à la production totale et n'aurait pas eu d'effet négatif sur les coûts. En troisième lieu, il n'y aurait pas eu de surcapacité de l'industrie communautaire, à l'époque, contrairement à ce qu'indique le point 71 des considérants du règlement litigieux. En quatrième lieu, une éventuelle surcapacité n'aurait eu qu'un faible impact sur les coûts, étant donné, notamment, que les usines productrices de nitrate d'ammonium produisent également d'autres produits azotés. En tout état de cause, selon les documents communiqués par la Commission, le coefficient de main-d'oeuvre serait passé de 100 en 1990-1991 à 93,9 en 1993-1994. Cette amélioration de la productivité démontrerait que les coûts fixes n'ont pas été maintenus à un niveau plus élevé que nécessaire.

37.
    Enfin, en réponse à l'argument selon lequel l'application dans le cadre de la procédure antidumping concernant les importations de nitrate d'ammonium d'une marge bénéficiaire différente de celle retenue dans les affaires urée et UNA pourrait rompre l'équilibre concurrentiel entre ces produits, la requérante fait valoir que le choix par un agriculteur d'un certain type d'engrais ne dépend pas de la marge bénéficiaire au stade de la fabrication, mais de divers autres facteurs tels que l'acidité du sol, la nature de la culture et les conditions climatiques, ainsi que le prix à la tonne de l'azote entrant dans la composition de l'engrais en question.

38.
    La République française, partie intervenante, soutient la thèse de la requérante et ajoute, notamment, que la pratique habituellement suivie par les institutions communautaires est de fixer la marge bénéficiaire au montant minimal permettant d'assurer la viabilité de l'industrie communautaire [voir le règlement (CE) n° 5/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de fours à micro-ondes originaires de république populaire de Chine, de république de Corée, de Malaysia et de Thaïlande et portant perception définitive du droit provisoire (JO 1996, L 2, p. 1, point 64 des considérants) et le règlement (CE) n° 2997/95 de la Commission, du 20 décembre 1995, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de magnésium brut originaires de Russie et d'Ukraine (JO L 312, p. 37, point 76 des considérants)].

39.
    De même, les institutions communautaires feraient fréquemment référence à la marge observée avant l'apparition des pratiques de dumping [voir le règlement (CE) n° 2318/95 de la Commission, du 27 septembre 1995, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de certains accessoires de tuyauterie, en fer ou acier, originaires de république populaire de Chine, de Croatie et de Thaïlande et portant clôture de la procédure antidumping concernant les importations de ces accessoires originaires de République slovaque et de Taïwan(JO L 234, p. 4, point 78 des considérants), et le règlement (CE) n° 1648/94 de la Commission, du 6 juillet 1994, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de furazolidone originaire de la république populaire de Chine (JO L 174, p. 4, point 42 des considérants)]. Or, en l'espèce, le Conseil aurait constaté, au point 53 des considérants du règlement litigieux, que l'industrie communautaire avait connu, en 1990-1991, une marge bénéficiaire de 15,6 %, qualifiée de «bénéfice sain».

40.
    En outre, le constat selon lequel l'industrie communautaire a réduit ses coûts de production de 126 à 115 écus par tonne entre 1990-1991 et 1993-1994 (voir point 72 des considérants du règlement litigieux), indiquerait que, en l'absence de dumping, la marge bénéficiaire de l'industrie communautaire n'aurait pas sensiblement diminué par rapport à son niveau de 1990-1991.

41.
    Par ailleurs, dans la décision régionale, la marge bénéficiaire moyenne de l'industrie britannique entre 1989 et 1991 aurait été estimée à 11 %, et la marge bénéficiaire minimale aurait été fixée à 10 %.

42.
    Dans les affaires UNA et urée, la fixation de la marge bénéficiaire de l'industrie communautaire à 5 % aurait été vivement contestée par les producteurs communautaires, de sorte que le Conseil ne pourrait pas s'appuyer sur ce précédent. Loin de justifier l'adoption d'une marge bénéficiaire sous-évaluée, l'exigence de respect de l'équilibre concurrentiel entre l'urée, l'UNA et le nitrate d'ammonium commanderait de retenir, en ce qui concerne celui-ci, une marge bénéficiaire adéquate.

43.
    Quant au maintien de surcapacités, qui serait le seul facteur explicitement évoqué au point 91 des considérants du règlement litigieux, le Conseil aurait reconnu, en indiquant que les coûts de production de l'industrie communautaire avaient été «légèrement gonflés» par ce facteur, que celui-ci n'a pu avoir qu'un effet limité sur ces coûts. Au surplus, pour les raisons avancées par la requérante dans sa réplique, la République française conteste l'existence, à l'époque de l'enquête, de surcapacités de nature à accroître les coûts fixes.

44.
    S'agissant des coûts de production prétendument moins élevés de l'industrie britannique, le Conseil aurait fixé la marge bénéficiaire raisonnable de celle-ci à 10 % alors qu'elle assurait au moins 45 % de la production communautaire durant la période d'enquête (voir le point 84 des considérants du règlement litigieux). Par conséquent, retenir une marge bénéficiaire moyenne de 5 % pour l'ensemble des producteurs de la Communauté impliquerait que plus de la moitié de la production communautaire dégagerait une marge pratiquement nulle, ce qui serait manifestement déraisonnable.

45.
    Enfin, le calcul des coûts de production comparés des producteurs britanniques et des autres producteurs communautaires, effectué par la Commission (voir sa note du 2 mai 1995), ne tiendrait pas compte de l'effet de la dévaluation de la livre sterling fin 1992, soit juste après la période d'enquête sur laquelle portait la procédure régionale.

46.
    Selon le Conseil, il ressort de l'article 4 du règlement de base que le but des mesures antidumping est de réparer uniquement l'intégralité du préjudice occasionné par les importations de produits bénéficiant d'un dumping ou de subventions, et non pas le préjudice causé par d'autres facteurs. Le montant du droit antidumping ne pourrait être supérieur à ce qui est nécessaire pour atteindre ce but (voir l'article 13, paragraphe 3, du règlement de base).

47.
    Conformément à ces principes, le Conseil aurait fixé le droit antidumping, en l'espèce, en se fondant sur le prix minimal que devrait atteindre les importations russes faisant l'objet d'un dumping pour faire disparaître le préjudice que ces importations occasionnent à l'industrie communautaire. Pour déterminer ce prix indicatif ou «prix minimal», il aurait majoré le coût de production réel moyen pondéré par tonne de l'industrie communautaire d'une marge bénéficiaire de 5 %.

48.
    Le Conseil ne conteste pas que le prix minimal ainsi calculé ne correspond pas nécessairement au prix que l'industrie communautaire, dans sa structure actuelle, considère comme nécessaire pour obtenir un rendement suffisant des investissements et rester viable et compétitive. La raison principale en serait qu'une partie du préjudice subi par l'industrie communautaire a été causée par d'autres facteurs (voir le point 75 des considérants du règlement litigieux). En effet, la stratégie des producteurs communautaires consistant à réduire les stocks et la diminution de la consommation intérieure de nitrate d'ammonium auraient considérablement contribué à la baisse de leur production. Par ailleurs, le maintien d'une capacité de production excédentaire aurait entraîné des coûts fixes plus élevés que nécessaire (voir les points 70 et 71 des considérants du règlement litigieux). Le Conseil considère qu'il devait exclure la part de préjudice résultant de ces facteurs dans la détermination du prix indicatif.

49.
    En ce qui concerne la décision régionale, le prix indicatif fixé pour les importations de nitrate d'ammonium au Royaume-Uni aurait été calculé à partir de coûts de production ajustés et non à partir des coûts de production réels, pour exclure l'effet d'une augmentation de ceux-ci survenue au cours de la période d'enquête et imputable à des facteurs autres que les importations faisant l'objet d'un dumping (voir le point 121 des considérants de cette décision). En l'espèce, le Conseil n'aurait pas procédé de même en raison du grand nombre de producteurs opérant dans des contextes variés et des problèmes qu'aurait posés la prise en compte de plusieurs monnaies. Par conséquent, comme dans l'affaire UNA, il aurait diminué la marge bénéficiaire, pour tenir compte du fait que c'est le coût réel, et non le coût ajusté, qui a été retenu. Les deux approches aboutiraient au même résultat.

50.
    Par ailleurs, les coûts de production de l'industrie britannique seraient moins élevés que ceux des autres producteurs communautaires.

51.
    Le Conseil aurait également tenu compte du fait que, dans les affaires UNA et urée, il avait arrêté les mesures antidumping sur la base d'une marge bénéficiaire de 5 % (voir le point 89 des considérants du règlement litigieux). Bien qu'ils se vendent à des prix différents sur les divers marchés communautaires en fonction du climat, des types de sol, etc., l'urée, l'UNA et le nitrate d'ammonium constitueraient des produits similaires dont le contenu azoté est l'élément déterminant de telle sorte qu'admettre, en ce qui concerne le nitrate d'ammonium, une marge bénéficiaire différente des 5 % retenus pour l'urée et l'UNA aurait déséquilibré la balance concurrentielle entre ces produits.

52.
    La requérante ne serait pas en droit d'invoquer l'étude Z/Yen devant le Tribunal, faute de l'avoir produite lors de la procédure administrative. En toute hypothèse, cette étude se bornerait à analyser le niveau des bénéfices que l'industrie communautaire devrait réaliser pour rester viable, sans discuter la question du montant dont il faudrait majorer le prix des importations russes de nitrate d'ammonium faisant l'objet d'un dumping pour empêcher ces importations de continuer à causer un préjudice à l'industrie communautaire.

53.
    De même, les deux notes des sociétés Hydro Agri France et Grande paroisse produites par la requérante le 25 avril 1995 porteraient uniquement sur le prix de vente des importations litigieuses souhaité par ces deux producteurs, mais n'aborderaient pas la question de la marge bénéficiaire nécessaire pour éliminer le préjudice causé à l'industrie communautaire par ces importations.

Appréciation du Tribunal

Remarques liminaires

54.
    En l'espèce, le droit antidumping institué sous forme de droit variable par l'article 1er du règlement litigieux correspond à la majoration du prix des importations de nitrate d'ammonium originaire de Russie nécessaire pour éliminer le préjudice subi par l'industrie communautaire du fait de ces importations. Afin d'établir la marge du préjudice occasionné par les importations litigieuses, le Conseil a comparé leur prix de vente pondéré dans la Communauté, ajusté en fonction d'une certaine différence de qualité, avec le prix indicatif de la production communautaire. Ce prix indicatif a été calculé sur la base du coût moyen pondéré par tonne de nitrate d'ammonium en sac produit par l'industrie communautaire, majoré d'une marge bénéficiaire de 5 %.

55.
    Au point 89 des considérants du règlement litigieux, le Conseil a motivé son choix d'une marge bénéficiaire de 5 % dans le calcul du prix indicatif dans les termes suivants: «[...] un bénéfice équivalant à 5 % des coûts a été utilisé dans des cas récents de mesures antidumping concernant les solutions d'urée et d'UNA et a donc été considéré, dans le cadre des procédures antidumping, comme une marge bénéficiaire raisonnable pour les engrais azotés.»

56.
    Au point 91 des considérants du règlement litigieux, le Conseil a répondu aux arguments de la requérante, selon lesquels une marge bénéficiaire de 10 % sur les coûts constituerait un niveau de bénéfice plus approprié, dans les termes suivants:

«La marge bénéficiaire utilisée dans la procédure régionale n'a pas été appliquée sur les coûts de production réels de l'industrie britannique, mais sur les coûts ajustés afin d'éliminer l'incidence des facteurs autres que les importations faisant l'objet d'un dumping. En tout état de cause, l'industrie britannique ne représente qu'une minorité de la production communautaire de nitrate d'ammonium et a des coûts plus faibles que le reste des producteurs communautaires. Par conséquent, dans des conditions de marché normales, il semble que la structure de coûts de l'industrie britannique lui permette raisonnablement d'espérer un niveau de bénéfice plus élevé que l'industrie communautaire dans son ensemble. En outre, il a été établi que les coûts fixes de l'industrie communautaire sont légèrement gonflés par le maintien d'une capacité excédentaire (point 71 des considérants). L'EFMA a également fait valoir que l'utilisation d'une marge bénéficiaire plus élevée était plus appropriée en raison de certains coûts liés au nitrate d'ammonium qui n'existent pas dans la production des solutions d'urée ou d'UNA. Toutefois, l'EFMA n'a pas transmis d'éléments de preuve suffisants pour étayer cette demande. En raison de ces facteurs, et après un examen sérieux de cette question, il est conclu que 5 % sur les coûts réels reste une marge bénéficiaire appropriée.»

57.
    S'agissant de l'évaluation d'une situation économique complexe, le Conseil jouit d'un large pouvoir d'appréciation dans la détermination de la marge bénéficiaire appropriée. Le juge communautaire doit donc limiter son contrôle à vérifier le respect des règles de procédure, l'exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits et l'absence de détournement de pouvoir (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 28 septembre 1995, Ferchimex/Conseil, T-164/94, Rec. p. II-2681, point 67).

58.
    Il appartient à la requérante de produire les éléments de preuve qui permettent au Tribunal de constater que le Conseil a commis une erreur manifeste d'appréciation au sens de cette jurisprudence (voir arrêt EFMA/Conseil, précité, point 106).

    Sur le critère de base à retenir pour le calcul de la marge bénéficiaire

59.
    Le premier argument de la requérante, selon lequel la marge bénéficiaire devant être retenue par les institutions communautaires doit être celle nécessaire pour assurer la survie de l'industrie communautaire et/ou une rémunération adéquate de son capital, ne trouve aucun fondement dans le règlement de base. En effet, il y a lieu de rappeler que, conformément à l'article 4, paragraphe 1, de ce règlement, il n'y a de préjudice que si les importations en question ont causé ou menacent de causer, par les effets du dumping, un préjudice important à une production établie dans la Communauté ou retardent sensiblement l'établissement de cette production. De même, il ressort de l'article 13, paragraphe 3, du règlement de base que le droit antidumping imposé ne peut pas excéder ce qui est nécessaire pour faire disparaître le préjudice causé par les importations faisant l'objet d'un dumping. Il s'ensuit qu'un préjudice imputable à d'autres facteurs ne doit pas entrer en ligne de compte dans la détermination du préjudice au sens de l'article 4, paragraphe 1, susvisé.

60.
    Il en résulte que la marge bénéficiaire devant être retenue par le Conseil pour calculer le prix indicatif de nature à éliminer le préjudice en cause doit être limitée à la marge bénéficiaire que l'industrie communautaire pourrait raisonnablement escompter dans des conditions normales de concurrence, en l'absence des importations faisant l'objet d'un dumping. Il ne serait pas conforme, en effet, aux articles 4, paragraphe 1, et 13, paragraphe 3, du règlement de base d'accorder à l'industrie communautaire une marge bénéficiaire qu'elle n'aurait pas pu attendre en l'absence d'un dumping.

61.
    Le critère de la marge bénéficiaire nécessaire pour assurer la survie de l'industrie en cause n'est donc pas conforme au règlement de base. En effet, un tel critère ne permettrait pas aux institutions communautaires de se conformer rigoureusement aux dispositions du règlement de base, notamment dans le cas où des facteurs autres que le dumping, tels qu'une capacité de production excédentaire (voir points 103 et suivants ci-après) auraient également pour effet de réduire la rentabilité de l'industrie communautaire. S'il en était autrement, l'industrie communautaire serait protégée non seulement contre les importations faisant l'objet d'un dumping, mais également contre tout autre facteur de nature à affecter le rendement de ses investissements.

62.
    Il s'ensuit que le premier argument de la requérante, qui constitue la prémisse principale de son argumentation, doit être rejeté.

Sur les éléments de preuve avancés par la requérante au cours de la procédure précontentieuse

63.
    Il convient de relever que, dans sa note du 24 avril 1995, la société Hydro Agri France se borne à indiquer le prix minimal franco frontière communautaire qui,selon elle, lui permettrait d'obtenir un retour sur investissement avant impôt de 15 %.

64.
    De même, dans sa note du 24 avril 1995, la société Grande paroisse fournit uniquement une série de calculs des prix de vente jugés nécessaires pour la rémunération de ses investissements dans ce secteur.

65.
    Aucun de ces documents n'aborde la question de savoir quelle marge bénéficiaire l'industrie communautaire aurait pu dégager en l'absence des importations faisant l'objet d'un dumping. Ces pièces ne sont donc pas de nature à établir que les institutions communautaires ont commis une erreur manifeste d'appréciation sur ce point.

66.
    Lors de la procédure précontentieuse, la requérante n'a fourni aucun élément portant sur la question susvisée de savoir quelle aurait été la marge bénéficiaire moyenne obtenue par l'industrie communautaire s'il n'y avait pas eu d'importations faisant l'objet d'un dumping.

67.
    Il convient donc de rejeter l'argument de la requérante tiré des éléments de preuve avancés au cours de la période précontentieuse.

Sur l'étude Z/Yen

68.
    Quant à l'argument de la requérante, selon lequel l'étude Z/Yen démontrerait une erreur manifeste d'appréciation de la part des institutions communautaires, il est constant que cette étude n'a pas été communiquée à la Commission au cours de la procédure précontentieuse.

69.
    Il convient de rappeler, à cet égard, que, au point 108 de l'arrêt EFMA/Conseil, précité, le Tribunal a jugé qu'il n'y avait pas lieu de prendre en compte, aux fins de la procédure contentieuse, une étude portant sur la marge bénéficiaire qui n'avait pas été communiquée à la Commission au cours de la procédure administrative. Le Tribunal a précisé que, dans le cadre d'une procédure antidumping, il lui appartient de vérifier si les institutions se sont fondées sur des faits matériels exacts et si ces derniers n'ont pas été appréciés d'une façon erronée, dans la situation telle qu'elle se présentait à la date d'adoption de l'acte attaqué. La requérante n'ayant apporté, au cours de la procédure administrative, aucune preuve de son allégation selon laquelle la marge bénéficiaire devait être plus élevée, les institutions n'avaient donc pas pu prendre cet élément en considération à l'époque où elles ont adopté le règlement attaqué.

70.
    Cette jurisprudence doit s'appliquer en l'espèce. S'il en était autrement, la requérante serait en mesure de contourner les délais fixés par la Commission lors de la procédure précontentieuse.

71.
    Il convient de relever, à cet égard, que, dans le cadre des affaires antidumping, le Conseil et la Commission dépendent de la coopération volontaire des parties pour leur fournir les informations nécessaires dans les délais impartis. Même si, en l'espèce, les délais stricts introduits par le règlement n° 3283/94, du 22 décembre 1994, précité, à la suite des nouveaux accords intervenus en 1994 relatifs à la mise en oeuvre de l'article VI de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, n'étaient pas applicables (voir point 17 ci-dessus), les institutions communautaires étaient néanmoins tenues, conformément à l'article 7, paragraphe 9, sous a), du règlement de base, de conclure l'enquête dans un délai d'un an après l'ouverture de la procédure ou, à tout le moins, dans un délai raisonnable (arrêt du Tribunal du 2 mai 1995, NTN Corporation et Koyo Seiko/Conseil, T-163/94 et T-165/94, Rec. p. II-1381, point 119).

72.
    A cette fin, dans chacune des trois lettres d'information des 15 décembre 1994, 6 avril et 2 juin 1995, la Commission a invité la requérante à faire valoir son point de vue dans un délai déterminé. Il en résulte que la requérante, qui a elle-même déclenché la procédure précontentieuse par le dépôt de sa plainte, avait amplement le temps de fournir à la Commission les éléments factuels contenus dans l'étude Z/Yen.

73.
    Dans ces conditions, la requérante n'est pas en droit d'invoquer dans le cadre de la présente procédure, à l'appui d'un moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation, des éléments de fait qu'elle n'a pas soumis à la Commission lors de la procédure précontentieuse.

74.
    A supposer même que la requérante soit en droit de se prévaloir de l'étude Z/Yen, il y a lieu de constater que celle-ci n'indique que le retour sur l'investissement jugé nécessaire pour rémunérer le capital existant ou renouveler l'outil de production de l'industrie communautaire. Elle ne contient donc pas d'éléments de nature à démontrer que, en l'absence des importations litigieuses, l'industrie communautaire aurait pu obtenir les rendements dont elle fait état. Elle ne démontre pas non plus quelle marge bénéficiaire l'industrie communautaire aurait obtenue en l'absence de ces importations.

75.
    L'étude Z/Yen n'est donc pas, en tout état de cause, de nature à démontrer que les institutions communautaires ont commis une erreur manifeste d'appréciation dans le calcul de la marge bénéficiaire en question.

76.
    Il s'ensuit que les arguments de la requérante tirés de l'étude Z/Yen doivent être rejetés.

Sur la pertinence de la décision régionale

77.
    Il est vrai que, au point 46 des considérants de la décision régionale, le Conseil a déclaré à propos de l'industrie britannique que «[c]ette industrie doit réaliser une marge bénéficiaire minimale de 10 % pour rester compétitive et couvrir les coûts des nouveaux investissements». Selon la requérante, cette remarque vaudrait également pour l'industrie communautaire dans son ensemble.

78.
    En premier lieu, il convient de rappeler, ainsi qu'il a été jugé aux points 59 à 62 ci-dessus, que le critère de la marge bénéficiaire minimale que doit réaliser l'industrie concernée pour «rester compétitive et couvrir les coûts des nouveaux investissements», ne permet pas, en tant que tel, de déterminer la marge bénéficiaire conforme aux exigences des articles 4, paragraphe 1, et 13, paragraphe 3, du règlement de base. En effet, un tel critère ne détermine pas nécessairement la marge bénéficiaire que l'industrie communautaire aurait pu attendre en l'absence des importations faisant l'objet d'un dumping.

79.
    Il s'ensuit que le point 46 des considérants de la décision régionale n'est pas pertinent pour la solution du cas d'espèce.

80.
    En deuxième lieu, le seul fait que le Conseil a déterminé une certaine marge bénéficiaire dans une procédure antidumping antérieure ne suffit pas en soi pour établir que celui-ci a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne retenant pas la même marge bénéficiaire dans une procédure antidumping ultérieure. Il y a lieu de relever, par ailleurs, que, dans la décision régionale, l'enquête a porté sur la période comprise entre le 1er janvier et le 30 septembre 1992 (point 6 de cette décision), et a visé la situation spécifique de l'industrie britannique de l'époque, alors que, en l'espèce, l'enquête s'est déroulée sur la période comprise entre le 1er avril 1993 et le 31 mars 1994 (point 9 du règlement litigieux) et a concerné la totalité de l'industrie communautaire.

81.
    En troisième lieu, il ressort du point 121 de la décision régionale que le prix indicatif établi pour les producteurs britanniques «serait égal au coût de production majoré d'un bénéfice raisonnable de 10 %, ajusté pour exclure l'effet d'une augmentation survenue au cours de la période d'enquête et imputable à des facteurs autres que les importations faisant l'objet d'un dumping». Il s'ensuit que, à supposer même qu'un prix minimal ait dû être calculé dans le cadre de cette procédure (voir points 118 à 121 de la décision régionale) les autorités communautaires auraient nécessairement appliqué une marge bénéficiaire inférieure à 10 % pour tenir compte de ces autres facteurs. Par ailleurs, le Conseil a clairement souligné, au point 91 des considérants du règlement litigieux, que la marge bénéficiaire de 10 % retenue dans la procédure régionale n'était pas transposable à l'espèce dès lors que «la marge bénéficiaire utilisée dans la procédure régionale n'a pas été appliquée sur les coûts de production réels de l'industrie britannique, mais sur les coûts ajustés afin d'éliminer l'incidence desfacteurs autres que les importations faisant l'objet d'un dumping» (voir aussi les points 103 et suivants ci-après).

82.
    En quatrième lieu, il ressort des éléments de preuve fournis par le Conseil que l'industrie britannique avait effectivement des coûts de production plus faibles que les autres producteurs communautaires (voir, notamment, les calculs annexés à la lettre de la Commission du 2 juin 1995). Or, la requérante n'a pas apporté d'éléments de nature à établir que la constatation, au point 91 des considérants du règlement litigieux, selon laquelle, dans des conditions de marché normales, la structure des coûts de l'industrie britannique lui permet raisonnablement d'espérer un niveau de bénéfice plus élevé que l'industrie communautaire dans son ensemble, serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

83.
    En cinquième lieu, lorsque, comme en l'espèce, les entreprises de l'industrie communautaire ont des coûts de production différents, et donc des niveaux de bénéfices différents, les institutions communautaires n'ont pas d'autre possibilité, pour déterminer le prix indicatif, que de calculer la moyenne pondérée des coûts de production de la totalité des producteurs communautaires et d'y ajouter la marge bénéficiaire moyenne qui leur semble raisonnable, eu égard à l'ensemble des circonstances pertinentes.

84.
    En l'espèce, il ressort des calculs annexés à la note de la Commission du 2 juin 1995 que, pour vérifier le caractère approprié de la marge bénéficiaire de 5 % en cause, la Commission a, notamment, examiné les coûts moyens pondérés de l'industrie communautaire pour les périodes 1990-1991 et 1993-1994 et a aussi calculé la marge bénéficiaire moyenne nécessaire pour permettre à l'industrie communautaire dans son ensemble d'atteindre un prix indicatif qui équivaudrait aux coûts de production de l'industrie britannique, majorés d'une marge bénéficiaire de 10 %. Le résultat de ces calculs est le suivant:

Coûts de production pour le nitrate d'ammonium en sac

Écus par tonne

1990-1991
1993-1994
%
différence
Industrie britannique
130
116
    - 11
Reste de l'industrie communautaire
136
130
    - 4
Moyenne CE (y compris le Royaume-Uni)
134
124
    - 7

Calcul du prix indicatif

1990-1991
1993-1994
Prix indicatif en écus/tonne pour l'industrie britannique sur la base des coûts de production +10 %
143
127,6
Marge bénéficiaire sur la moyenne des coûts de l'ensemble de la production CE requise pour atteindre le prix indicatif britannique
6,7 %
2,9 %
Marge bénéficiaire moyenne pour les périodes 1990-1991 et 1993-1994
4,8 %

85.
    Cette méthode a abouti à une marge bénéficiaire d'environ 5 %. Or, force est de constater que la requérante n'a apporté aucun élément de nature à établir que le calcul susvisé est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

86.
    Il résulte de tout ce qui précède que la marge bénéficiaire retenue dans la décision régionale n'est pas transposable au cas d'espèce.

87.
    Les arguments de la requérante tirés de la décision régionale doivent donc être rejetés.

Sur le bénéfice moyen pondéré sur les ventes réalisé par l'industrie communautaire

88.
    Quant à l'argument tiré du bénéfice moyen pondéré de 15,6 % sur les ventes réalisé par l'industrie communautaire en 1990-1991 (voir point 51 des considérants du règlement litigieux), il est vrai que la rentabilité observée avant l'apparition des importations faisant l'objet d'un dumping peut constituer un indice valable aux fins d'établir quelle marge bénéficiaire l'industrie communautaire aurait pu obtenir en l'absence de ces importations.

89.
    Toutefois, le montant de ce bénéfice, constaté au point 51 des considérants du règlement litigieux, au titre d'une seule année (à savoir, en l'espèce, celle allant du 1er avril 1990 au 31 mars 1991), ne suffit pas, à lui seul, à établir que le Conseil a commis une erreur manifeste d'appréciation dans la détermination de la marge bénéficiaire sur les coûts que l'industrie communautaire aurait pu raisonnablement dégager, en l'absence de ces importations, lors de la période d'enquête, à savoir entre le 1er avril 1993 et le 31 mars 1994.

90.
    En effet, le bénéfice sur les ventes dépendant de nombreux facteurs qui peuvent varier dans le temps, les résultats d'une seule année antérieure à l'arrivée des importations en cause ne permettent pas de déterminer avec certitude quelle aurait été la marge bénéficiaire que l'industrie communautaire aurait pu raisonnablement attendre, dans des conditions normales de marché, au cours d'une période ultérieure donnée. Il en est d'autant plus ainsi qu'il s'agit, en l'espèce, d'une matière première dont le prix de revente, et donc la rentabilité, peut varier d'une année à l'autre en fonction, notamment, des variations de l'offre et de la demande sur le plan international, sans que cette variation ait un rapport direct avec les coûts de production.

91.
    Quant aux marges bénéficiaires indiquées par les producteurs communautaires en réponse au questionnaire de la Commission, également invoquées par la requérante, celle-ci n'ayant produit aucun élément de preuve de nature à établir la réalité et la fiabilité de ces chiffres, ces derniers ne sauraient remettre en cause les résultats de l'enquête réalisée par la Commission.

92.
    Il convient donc de rejeter les arguments de la requérante tirés du bénéfice moyen pondéré sur les ventes réalisé par l'industrie communautaire.

Sur les affaires UNA et urée

93.
    Quant à l'argument selon lequel les affaires UNA et urée, citées au point 89 des considérants du règlement litigieux, ne constitueraient pas un précédent valable, il est constant que, dans ces deux affaires, respectivement closes le 22 décembre 1994et le 16 janvier 1995 (voir point 30 ci-dessus), le Conseil a retenu une marge bénéficiaire sur les coûts de 5 % aux fins de calculer le prix indicatif.

94.
    Dans l'affaire UNA, le Conseil a constaté, au point 36 des considérants du règlement n° 3319/94, du 22 décembre 1994, précité, ce qui suit:

«[...] les producteurs communautaires ont proposé dans leur réponse au questionnaire une série d'objectifs de rentabilité fixés par les sociétés concernées. Ces objectifs varient considérablement d'une société à l'autre et, dans certains cas, n'ont pas été établis spécifiquement pour l'UNA, mais sont le résultat d'une politique globale de groupe dans l'évaluation des projets d'investissement. Dans ces circonstances, la Commission avait provisoirement considéré que l'industrie communautaire n'avait pas spécifiquement étayé son allégation concernant la marge bénéficiaire raisonnable. Depuis les conclusions provisoires, l'EFMA n'a fourni aucune nouvelle information.

Aux fins de la détermination provisoire, la Commission avait établi la marge bénéficiaire utilisée par référence au fait que le produit concerné avait atteint une certaine maturité et exigeait peu de moyens en termes d'investissement, de recherche et de développement. L'EFMA n'a fourni aucune information justifiant une évaluation différente au stade définitif [...]»

95.
    La requérante n'a pas attaqué le règlement n° 3319/94, du 22 décembre 1994, précité.

96.
    Dans l'affaire urée, le Conseil a indiqué, au point 73 des considérants du règlement n° 477/95, du 16 janvier 1995, précité, ce qui suit:

«La majorité des producteurs communautaires font valoir qu'un bénéfice avant impôts d'au moins 10 à 15 % est nécessaire pour rester compétitif. Toutefois, aucun élément de preuve n'a été fourni à l'appui de cette allégation et, comme l'urée est un produit bien établi, ce chiffre apparaît excessif. La Commission estime qu'il convient, compte tenu de la baisse de la demande d'urée, de la nécessité de financer de nouveaux investissements dans les équipements de production et du bénéfice qui a été jugé raisonnable dans le cadre de l'enquête antidumping initiale portant sur ce produit, d'utiliser une marge bénéficiaire avant impôts de 5 % pour évaluer le manque à gagner dans le cadre de la présente procédure.»

97.
    Le recours formé par la requérante contre le règlement n° 477/95, du 16 janvier 1995, précité, a été rejeté par le Tribunal dans son arrêt EFMA/Conseil, précité. Dans cet arrêt le Tribunal a notamment constaté que la requérante n'avait pas fourni, lors de la procédure précontentieuse, d'éléments de nature à mettre en doute la marge bénéficiaire de 5 % retenue par le Conseil (voir point 69 ci-dessus).

98.
    Il ressort du dossier que l'UNA est un mélange d'urée et de nitrate d'ammonium et que ces trois produits sont des engrais azotés qui peuvent, le cas échéant, être fabriqués dans la même usine.

99.
    Il apparaît, en outre, que ces trois produits sont concurrentiels et que, de l'aveu même de la requérante, le choix de l'un d'eux par les agriculteurs dépend, entre autres éléments, de leurs prix respectifs.

100.
    De plus, en l'espèce, la requérante n'a pas contesté l'affirmation du Conseil, au point 91 du règlement litigieux, selon laquelle les coûts de production du nitrate d'ammonium ne sont pas plus élevés que ceux de l'UNA et de l'urée.

101.
    Dans ces circonstances, la requérante n'a pas démontré que les institutions communautaires ont commis une erreur manifeste d'appréciation en tenant compte de la marge bénéficiaire retenue par le Conseil dans les affaires UNA et urée aux fins, notamment, d'adopter une approche cohérente pour les trois produits concernés.

102.
    Par ailleurs, la requérante n'a apporté aucun élément de nature à établir que les considérations invoquées dans les affaires UNA et urée, selon lesquelles les produits concernés ont atteint une certaine maturité et exigent peu de moyens en termes d'investissement, de recherche et de développement, ne sont pas également applicables aux nitrates d'ammonium.

    Sur les griefs relatifs aux autres facteurs de préjudice, invoqués dans la réplique

103.
    Dans sa réplique, la requérante a fait valoir que le Conseil avait violé les droits de la défense, manqué à l'obligation de motivation et commis des erreurs manifestes d'appréciation, en invoquant, pour la première fois dans son mémoire en défense, l'existence d'autres facteurs à l'origine du préjudice subi par l'industrie communautaire et, en particulier, la capacité de production excédentaire de celle-ci pour justifier une marge bénéficiaire réduite.

104.
    Il y a lieu de relever, à cet égard, que le Conseil a exposé, au point 91 des considérants du règlement litigieux, «qu'il a été établi que les coûts fixes de l'industrie communautaire sont légèrement gonflés par le maintien d'une capacité excédentaire» (voir point 71).

105.
    Au point 71 des considérants du règlement litigieux, le Conseil a constaté, notamment, qu'«il est clair qu'en règle générale, la capacité de l'industrie communautaire était encore sensiblement supérieure à la demande du marché communautaire, même en l'absence des importations faisant l'objet d'un dumping en provenance de Russie et Lituanie. Cette situation semble avoir contribué à maintenir un taux de coûts fixes plus élevé que nécessaire pour ce produit».

106.
    Au point 72 des considérants du règlement litigieux, le Conseil a indiqué également que les facteurs décrits aux points 67 à 71 des considérants, et, en particulier, la stratégie des producteurs communautaires (point 70) et le maintien d'une capacité excédentaire (point 71), «ont joué un rôle dans la diminution de la production de l'industrie communautaire, du taux d'utilisation des capacités et de l'emploi. En outre, le maintien d'un niveau de capacité excédentaire a pu contribuer à un coût de production plus élevé que nécessaire, et donc avoir eu une incidence négative sur les bénéfices». Le Conseil en a conclu, au point 75, qu'«une certaine partie du préjudice subi par l'industrie communautaire a été causée par des facteurs autres que les importations faisant l'objet d'un dumping».

107.
    S'il est vrai que, au point 91 des considérants du règlement litigieux, le Conseil a relativisé l'augmentation des coûts fixes provoquée par le maintien d'une capacité de production excédentaire par l'emploi de l'adverbe «légèrement», il ressort clairement des points 70 à 72, 75 et 91 des considérants, lus dans leur ensemble, que son appréciation sur la marge bénéficiaire a néanmoins tenu compte du fait: a) que l'industrie communautaire avait une capacité excédentaire; b) que cette situation a contribué à maintenir un niveau de coûts fixes plus élevé que nécessaire; c) qu'une certaine partie du préjudice subi par l'industrie communautaire a été causée par des facteurs autres que les importations faisant l'objet d'un dumping et, notamment, par l'existence de cette capacité excédentaire.

108.
    En outre, au point 4.3 de sa deuxième lettre d'information du 6 avril 1995, la Commission citait, en substance, toutes les données factuelles susvisées qui figurent aux points 70 à 72 et 75 du règlement litigieux. De même, dans ses lettres des 6 avril, 2 juin et 23 juin 1995, la Commission a également mentionné l'ensemble des éléments de fait qui figurent aux points 89 à 91 du règlement litigieux. Or, la requérante n'a jamais contesté ces éléments factuels lors de la procédure précontentieuse.

109.
    Contrairement à ce qu'affirme la requérante dans sa réplique, le mémoire en défense ne contient donc pas d'éléments nouveaux significatifs, que ce soit par rapport au contenu du règlement litigieux ou par rapport aux informations fournies au cours de la procédure précontentieuse.

110.
    En particulier, le point 15 du mémoire en défense, aux termes duquel le Conseil aurait appliquée en l'espèce une marge bénéficiaire inférieure à celle retenue dans la décision régionale, pour tenir compte du fait que, en l'espèce, ce sont les coûts de production réels qui ont été pris en compte et non les coûts ajustés, ne constitue pas une motivation nouvelle, dès lors que cette argumentation figure déjà au point 91 des considérants du règlement litigieux (voir point 81 ci-dessus). Par ailleurs, cette motivation ainsi que le fait que les coûts fixes de l'industrie communautaire ont été «légèrement gonflés» par une capacité excédentaire figuraient déjà dans la lettre de la Commission du 23 juin 1995 (point 13 ci-dessus).

111.
    Il résulte de ce qui précède que les moyens soulevés au stade de la réplique, et tirés d'une violation des droits de la défense, d'un manquement à l'obligation de motivation et d'une erreur manifeste d'appréciation quant à l'existence d'une capacité excédentaire, ne se fondent pas sur des éléments de fait ou de droit qui se sont révélés pendant la procédure.

112.
    Ces moyens doivent dès lors être rejetés comme irrecevables, conformément à l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.

Sur le caractère prétendument déraisonnable de la marge bénéficiaire retenue par les institutions communautaires

113.
    Quant à l'argument selon lequel la marge bénéficiaire retenue par le Conseil impliquerait que l'industrie communautaire autre que l'industrie britannique a une marge pratiquement nulle, il n'est pas non plus pertinent. Il y a lieu de préciser que, en l'espèce, le Conseil s'est trouvé confronté à une situation spécifique dans laquelle une partie de l'industrie communautaire, à savoir l'industrie britannique, qui représentait environ 45 % de la production communautaire, avait des coûts inférieurs aux autres producteurs communautaires qui assuraient environ 55 % de ladite production, et notamment à l'industrie française.

114.
    En effet, selon la note de la Commission du 2 juin 1995, en 1993-1994 les coûts de production du nitrate d'ammonium en sac étaient de 116 écus par tonne pour l'industrie britannique et de 130 écus par tonne pour les autres producteurs communautaires (point 84 ci-dessus).

115.
    Toutefois, dans le cadre d'une procédure antidumping visant l'ensemble de la Communauté, qui doit aboutir à la détermination d'un prix indicatif valable pour toute l'industrie communautaire, le Conseil est nécessairement obligé de tenir compte des coûts de production de l'industrie communautaire dans sa totalité. En particulier, le Conseil n'est pas autorisé à calculer le prix indicatif seulement sur la base des coûts de production les plus élevés, sous peine de fixer un prix indicatif qui ne serait pas représentatif de l'ensemble de la Communauté.

116.
    Il y a lieu d'ajouter que, s'agissant du calcul d'une marge bénéficiaire sur les coûts, plus ceux-ci sont élevés, plus le prix minimal le sera. Dans ces conditions, si les prix retenus aux fins de ce calcul sont ceux des producteurs ayant les coûts de production les plus élevés, la marge bénéficiaire qui en résulterait pour les autres producteurs risquerait d'être excessive, tandis qu'il y aurait un risque que les premiers soient indûment protégés.

117.
    Il s'ensuit que, en l'espèce, les institutions communautaires devaient se baser, aux fins du calcul du prix indicatif, sur la moyenne pondérée des coûts de production de l'ensemble de l'industrie communautaire, soit, selon la note de la Commission du 2 juin 1995, environ 124 écus par tonne.

118.
    Ensuite, il appartenait aux institutions communautaires d'ajouter à la moyenne pondérée des coûts de production la marge bénéficiaire qu'elles jugeaient raisonnable pour déterminer le prix indicatif.

119.
    A cet égard, il ressort de ce qui précède que, en l'espèce, l'appréciation du Conseil selon laquelle une marge bénéficiaire de 5 % était appropriée se fonde sur un certain nombre d'éléments, à savoir, entre autres: a) les considérations exposées dans les affaires UNA et urée, notamment quant à la maturité du produit en cause; b) l'exigence de ne pas appliquer une marge bénéficiaire différente de celle retenue dans ces deux affaires; c) le calcul de la marge bénéficiaire moyenne nécessaire pour permettre à l'industrie communautaire dans son ensemble d'atteindre un prix indicatif équivalant aux coûts de production de l'industrie britannique majorés d'une marge bénéficiaire de 10 %; d) le fait que la marge bénéficiaire de 10 % retenue dans la procédure régionale s'appliquait aux coûts ajustés et non pas aux coûts réels; e) l'absence d'autres éléments de nature à justifier une marge bénéficiaire plus élevée; f) l'existence d'un certain excédent des capacités de production (points 59 à 112 ci-dessus). Or, pour les raisons déjà exposées, la requérante n'a pas établi que l'appréciation du Conseil portant sur ces divers éléments est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

120.
    Cette conclusion ne saurait être infirmée par le seul fait qu'une partie importante de l'industrie communautaire s'est ainsi vu attribuer une marge bénéficiaire extrêmement faible, voire inexistante, par rapport au prix indicatif ainsi établi.

121.
    En effet, cette conséquence résulte du fait que cette partie de l'industrie communautaire avait des coûts de production plus élevés que les coûts moyens de production de l'ensemble de l'industrie communautaire. Par ailleurs, la requérante n'a apporté aucun élément de nature à établir qu'il était impossible pour les producteurs concernés de réduire encore leurs coûts de production et d'obtenir ainsi, par rapport au prix indicatif, la marge bénéficiaire prévue par le Conseil.

122.
    Par ailleurs, la requérante n'a produit aucun élément de nature à établir que les calculs faits par la Commission et entérinés par le Conseil étaient faussés par la dévaluation de la livre sterling en 1992. En tout état de cause, en l'absence d'une monnaie unique, les institutions communautaires n'avaient pas d'autre possibilité, aux fins des calculs litigieux, que de convertir les différentes monnaies nationales en écus selon le taux de change en vigueur au moment des faits en cause.

123.
    L'argument tiré de ce que la marge bénéficiaire en cause serait manifestement déraisonnable pour ce qui concerne une partie importante de l'industrie communautaire doit donc être rejeté.

124.
    Il résulte de tout ce qui précède que la partie requérante n'a pas établi que, en retenant, dans le règlement litigieux, une marge bénéficiaire de 5 % sur les coûts, le Conseil a commis une erreur manifeste d'appréciation.

125.
    Le recours doit dès lors être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

126.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu dans ce sens. Selon l'article 87, paragraphe 4, les États membres et les institutions communautaires qui interviennent au litige supportent leurs propres dépens. La requérante ayant succombé en ses conclusions, il convient donc de la condamner à supporter ses dépens ainsi que ceux du Conseil, conformément aux conclusions de celui-ci. La République française et la Commission, parties intervenantes, supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    La requérante supportera, outre ses propres dépens, les dépens du Conseil. La Commission et la République française supporteront leurs propres dépens.

Potocki
Lenaerts
Bellamy

        Azizi                        Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 octobre 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. Potocki


1: Langue de procédure: l'anglais.