Language of document : ECLI:EU:T:2019:121

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

28 février 2019 (*)

« Clause compromissoire – Contrats conclus dans le cadre du sixième programme-cadre pour des actions de recherche et de développement technologique (2002-2006) – Remboursement des frais engagés par la partie requérante majorés d’intérêts moratoires – Coûts éligibles – Responsabilité contractuelle »

Dans l’affaire T‑69/16,

Ateknea Solutions Catalonia, SA, établie à Barcelone (Espagne), représentée par Mes M. Troncoso Ferrer, C. Ruixó Claramunt et S. Moya Izquierdo, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par Mmes L. Grønfeldt et M. Siekierzyńska, puis par Mme Siekierzyńska et M. R. Lyal, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 272 TFUE et tendant à obtenir la condamnation de la Commission à payer à la requérante un montant de 1 258 533,89 euros ou, à titre subsidiaire, un montant de 1 025 845,29 euros,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. S. Frimodt Nielsen, président, I. S. Forrester (rapporteur) et E. Perillo, juges,

greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 11 avril 2018,

rend le présent


Arrêt

I.      Antécédents du litige

1        La requérante, Ateknea Solutions Catalonia, SA, est un centre d’ingénierie espagnol actif dans le domaine de la recherche, du conseil et du développement technologique.

2        Entre 2004 et 2007, sous son ancienne dénomination de Centre de Recerca I Investigatió de Catalunya, SA, la requérante a conclu une série de contrats avec la Communauté européenne ayant pour objet la réalisation de certains projets de recherche dans le cadre du sixième programme‑cadre, défini par la décision no 1513/2002/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 juin 2002, relative au sixième programme-cadre de la Communauté européenne pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration contribuant à la réalisation de l’espace européen de la recherche et à l’innovation (2002‑2006) (JO 2002, L 232, p. 1, ci-après le « sixième programme-cadre »).

3        Deux types de projets ont été soutenus au titre du sixième programme-cadre, à savoir des projets de recherche coopérative et des projets de recherche collective, s’agissant à chaque fois d’actions spécifiques qui ont pour objectif d’aider les petites et moyennes entreprises (PME) à renforcer leur capacité technologique, à faciliter leur accès aux meilleures recherches et technologies et à développer leurs capacités d’opérer à l’échelle européenne et internationale.

4        Dans le cadre de la première catégorie de projets, les actions de recherche sont menées par des exécutants de recherche, de développement technologique et d’innovation (ci-après l’« exécutant de RDT ») pour le compte d’un certain nombre de PME sur des thèmes d’intérêt commun. La seconde catégorie comprend des actions de recherche menées par des exécutants de RDT au bénéfice d’associations industrielles ou de groupements d’industries dans des secteurs industriels entiers où les PME occupent une place de premier plan à l'échelle européenne.

5        Les 24 contrats en cause en l’espèce ont été conclus entre, d’une part, la Communauté européenne et, d’autre part, les participants du projet concerné. Les participants sont des PME, des associations ou groupements ainsi que des exécutants de RDT. Selon le contrat, les participants sont censés former des consortiums pour effectuer les recherches. La requérante figurait comme exécutant de RDT, partiellement en tant que coordinateur de consortium, partiellement en tant que simple contractant. Les contrats prévoyaient que les contributions financières de la Communauté européenne seraient versées exclusivement au coordinateur du projet.

6        L’article 12 des contrats du sixième programme-cadre prévoit que le droit belge leur est applicable.

7        L’article 13 des contrats du sixième programme-cadre contient une clause compromissoire selon laquelle le Tribunal ou la Cour, selon le cas, sont compétents pour régler les litiges entre l’Union européenne et les contractants relatifs à la validité, l’application ou l’interprétation de ces contrats.

8        L’article 14 des contrats du sixième programme-cadre prévoit que des conditions générales, figurant à l’annexe II desdits contrats (ci -après les « conditions générales »), en font partie intégrante. Il s’agit des conditions prévues pour les contrats conclus dans le cadre du sixième programme-cadre. Dans 22 des 24 contrats en cause en l’espèce, l’article 14 se réfère en même temps à l’annexe III, qui contient également des conditions générales, lesquelles, selon l’article 14, paragraphe 2, du contrat, priment sur les stipulations de l’annexe II.

9        À la suite d’une enquête menée par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) au sujet de suspicions de fraude aux fonds de l’Union commises dans le cadre des activités antérieures de la requérante, dont le rapport final fut établi en février 2009, la Commission a, par lettre du 19 octobre 2009, informé la requérante que sa participation aux projets du sixième programme-cadre ferait l’objet d’un contrôle spécial.

10      Le 4 juin 2010, un premier projet de rapport d’audit a été communiqué à la requérante. Sur le fondement de l’article II.19.1, sous e), des conditions générales, ledit rapport proposait de rejeter comme inéligibles certains des coûts de personnel déclarés, notamment les coûts du personnel fourni par Centre de Transferencia de Technologia, SL (ci-après « CTT »). La requérante a soumis des observations sur le premier projet de rapport par lettre du 30 juin 2010.

11      Par lettre du 17 aout 2010, la Commission a informé CTT de sa décision de la soumettre à un contrôle spécial afin de clarifier certains aspects révélés dans le cadre du contrôle spécial dont la requérante faisait l’objet.

12      Le 29 février 2012, un nouveau projet de rapport d’audit a été communiqué à la requérante. Celle-ci a présenté ses observations par lettre du 29 avril 2012.

13      Par lettre du 19 décembre 2012, la Commission a communiqué à la requérante le rapport d’audit final. Les auditeurs y ont établi une correction financière en faveur de la Commission d’un montant total de 3 208 290 euros (dont 1 713 693 euros correspondaient aux coûts de personnel de CTT et 1 071 997 euros aux coûts indirects).

14      Le 18 juillet 2013, la Commission a émis des lettres de préinformation relatives à la mise en œuvre des résultats du rapport d’audit final. La requérante a contesté le contenu des lettres de préinformation par lettre du 30 septembre 2013.

15      Le 21 octobre 2014, une nouvelle version des lettres de préinformation a été transmise à la requérante. La requérante a répondu par lettre du 10 décembre 2014.

16      En décembre 2014, dans le contexte du rejet des coûts de CTT, la Commission a émis douze notes de débit concernant plusieurs contrats pour un montant total de 768 590,69 euros, que la requérante a payé.

17      La Commission a également envoyé des lettres finales ainsi que le communiqué des paiements finals concernant les autres contrats à la suite des conclusions du rapport final, entraînant un ajustement relatif au personnel de CTT d’un montant de 1 021 179,19 euros à la contribution demandée à la Commission.

II.    Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 février 2016, la requérante a introduit le présent recours.

19      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 11 avril 2018.

20      Après avoir reformulé ses conclusions dans la réplique, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner la Commission à lui payer un montant total de 1 258 533,89 euros (correspondant à, premièrement, 727 769,40 euros résultant de la déclaration des coûts de CTT comme des coûts relatifs à des consultants internes ainsi que des coûts indirects correspondants, deuxièmement, 96 358,10 euros en tant qu’indemnités forfaitaires réclamées de manière illicite et, troisièmement, 434 406,39 euros en tant qu’indemnités contractuelles), augmenté des intérêts, conformément à l’article II.28.7 du contrat, au taux appliqué par la Banque centrale européenne (BCE) pour ses opérations principales de refinancement, publié dans la série C du Journal officiel de l’Union européenne, en vigueur le premier jour du mois dans lequel se situe l’échéance de paiement, majoré de trois points et demi, conformément à la méthode et aux calculs exposés à l’annexe C.29 de la réplique, jusqu’au paiement complet ;

–        à titre subsidiaire, condamner la Commission à payer à la requérante un montant total de 1 025 845,29 euros (correspondant à, premièrement, 594 465,44 euros résultant de la déclaration des coûts de CTT comme étant les ressources d’un tiers ainsi que des coûts indirects correspondants, deuxièmement, 73 873,27 euros en tant qu’indemnités forfaitaires réclamées de manière illicite et, troisièmement, 357 506,58 euros en tant qu’indemnités contractuelles), augmenté des intérêts, conformément à l’article II.28.7 du contrat, au taux appliqué par la BCE pour ses opérations principales de refinancement, publié dans la série C du Journal officiel de l’Union européenne, en vigueur le premier jour du mois dans lequel se situe l’échéance de paiement, majoré de trois points et demi, conformément à la méthode et aux calculs exposés à l’annexe C.29 de la réplique, jusqu’au paiement complet ;

–        condamner la Commission aux dépens.

21      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou non fondé ;

–        subsidiairement, constater que le montant réclamé n’est pas dû ;

–        condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

A.      Observations liminaires

22      La requérante présente deux chefs de conclusions.

23      Dans le cadre du premier chef de conclusions, la requérante fait valoir que la Commission a manqué à ses obligations au titre des contrats du sixième programme-cadre, en rejetant tous les coûts concernant les membres du personnel de CTT. Elle considère que ce personnel est principalement composé de consultants internes ou, subsidiairement, de personnes mises à disposition par un tiers.

24      Par son premier chef de conclusions, la requérante demande, d’une part, quant aux projets qui n’étaient pas terminés lors de la mise en œuvre du rapport d’audit final, le versement des contributions demandées à la Commission (727 769,40 euros, subsidiairement 594 465,44 euros) et, d’autre part, quant aux projets terminés, en tant qu’indemnités forfaitaires, le remboursement du montant qu’elle a restitué à la Commission sur la base des notes de débit (96 358,10 euros, subsidiairement 73 873,27 euros).

25      Dans le cadre du second chef de conclusions, la requérante demande une réparation du préjudice prétendument causé par la Commission au motif que, à la suite du contrôle spécial et des conclusions des auditeurs qui en ont résulté, elle n’a pas obtenu le remboursement des frais correspondant à ses activités de recherche dus par ses partenaires contractuels dans le cadre des contrats de recherche coopérative et collective, qui prévoyaient un remboursement de 100 % des coûts selon les contrats à conclure entre elle et les consortiums. La requérante estime le préjudice subi à la somme de 434 406,39 euros, subsidiairement à 357 506,58 euros.

26      La reformulation des conclusions dans la réplique résulte de l’acceptation par la requérante des propositions que la Commission a faites dans le mémoire en défense et qui concernaient certains projets en cours lors de la mise en œuvre du rapport d’audit final. Ces modifications ne concernent pas le second grief soulevé au soutien du premier chef de conclusions, portant sur les notes de débit, dès lors que celles-ci ne concernaient que des projets clôturés.

B.      Sur le premier chef de conclusions

27      La requérante soulève quatre moyens au soutien de son premier chef de conclusions. Le premier moyen est tiré des erreurs manifestes commises dans l’appréciation des faits et entraînant une violation des articles II.19 et II.20 des conditions générales applicables aux contrats du sixième programme-cadre. Le deuxième moyen est tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime. Le troisième moyen est tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement. Le quatrième moyen est tiré d’une violation des principes de bonne foi et de bonne administration dans l’exécution des contrats par la Commission.

1.      Sur le premier moyen, tiré d’une violation des articles II.19 et II.20 des conditions générales

a)      Observations liminaires

28      La requérante conteste les quatre conclusions principales du rapport d’audit final ayant conduit les auditeurs à considérer les coûts du personnel de CTT comme inéligibles, dont, notamment :

–        le non-respect des deux conditions qui doivent être remplies pour que le personnel d’une société externe puisse être considéré comme « consultants internes » du contractant et, par conséquent, constituer des coûts éligibles, à savoir :

–        la condition selon laquelle les coûts des consultants internes ne doivent pas différer sensiblement des coûts du personnel de même catégorie du contractant,

–        la condition selon laquelle le consultant doit travailler sous la supervision du contractant ;

–        le caractère non fiable des relevés de temps de travail du personnel de CTT ;

–        l’existence de doutes sur la validité de l’accord de coopération conclu entre la requérante et CTT, au motif que celui-ci a été signé par des personnes non habilitées à représenter les deux sociétés (c’est-à-dire le fait que Mme L., la représentante de CTT, a signé au lieu de M. C., le représentant de la requérante, et inversement) ;

–        l’existence d’un conflit d’intérêts en raison du fait que M. C. est propriétaire à la fois de la requérante et de CTT.

b)      Arguments des parties

1)      Sur le non-respect des conditions concernant l’utilisation des « consultants internes »

29      La requérante conteste les conclusions des auditeurs selon lesquelles, premièrement, les taux horaires pratiqués par le personnel de CTT étaient sensiblement plus élevés que ceux applicables au personnel (de la même catégorie et lors de la même année) de la requérante et, deuxièmement, le contrôle du travail de recherche effectué par le personnel de CTT n’était pas toujours effectué par la requérante, mais était souvent confié à des consultants de CTT.

30      S’agissant de la prétendue différence de taux horaires entre le personnel de CTT et celui de la requérante, la teneur essentielle des arguments de la requérante peut être résumée comme suit.

31      Premièrement, celle-ci reproche aux auditeurs de la Commission d’avoir examiné les coûts de personnel en se fondant sur les mêmes catégories de personnel, tandis que lesdites catégories auraient évolué pendant la durée du contrat (par exemple, un assistant de projet pouvant devenir gestionnaire de projet). L’approche de la Commission consistant à prendre comme point de départ la catégorie, et non la fonction, des membres du personnel serait erronée.

32      Deuxièmement, la requérante critique, en substance, le fait que la différence entre les taux horaires n’a pas été détectée dans le premier rapport d’audit, alors que le rapport final arrive à une conclusion fondamentalement différente.

33      Troisièmement, la requérante invoque deux rapports d’audit effectués à sa demande par les auditeurs d’Ernst & Young, c’est-à-dire le rapport du 9 décembre 2015 (ci-après le « rapport initial E&Y ») et le rapport supplémentaire du 29 juillet 2016 (ci-après le « rapport supplémentaire E&Y »), qui confirmeraient la thèse de la requérante selon laquelle les salaires du personnel de CTT et les montants facturés étaient semblables à ceux payés par la requérante à son propre personnel dans la même « catégorie » professionnelle.

34      Au stade de la réplique, la requérante semble accepter les « catégories » sur lesquelles se sont fondés les auditeurs de la Commission. Toutefois, selon elle, même en utilisant ces catégories, les coûts de personnel de CTT n’étaient pas sensiblement différents, ce que démontrerait le rapport supplémentaire E&Y.

35      S’agissant de la prétendue absence de supervision du personnel de CTT, tout en admettant que les consultants de CTT se voyaient parfois confier des tâches de gestion, la requérante fait valoir que cela n’implique pas qu’ils travaillaient en l’absence de contrôle de sa part. La requérante affirme que M. C. a suivi de près tous les projets tant pour la requérante que pour CTT et a contresigné les sommaires mensuels des coûts par projet et les relevés de temps. Dans ces circonstances, lorsqu’il a travaillé quotidiennement avec les consultants de CTT dans les mêmes locaux, il est improbable, selon la requérante, que les consultants aient pu travailler de manière autonome ou sans être supervisés par sa direction.

36      La requérante renvoie également aux déclarations d’honneur émanant des consultants concernés de CTT, recueillies pour les besoins du rapport initial E&Y. Elle fait valoir que les personnes qui ont signé de telles déclarations n’étaient pas toutes des employés de CTT, ce qui enlève tout risque de conflit d’intérêt.

37      La requérante note par ailleurs que le premier projet de rapport d’audit avait reconnu que le travail des consultants était conçu et contrôlé par elle.

38      La Commission maintient qu’il était correct de rejeter comme inéligibles les coûts de personnel de CTT en tant que « consultants internes » de la requérante. En théorie, la Commission admet entièrement la possibilité pour les contractants de faire appel à des consultants d’entreprises externes et de considérer les coûts liés comme des coûts de personnel du contractant et, partant, comme des coûts éligibles. Toutefois, il s’agit d’une exception au principe fondamental selon lequel les travaux doivent être exécutés par le contractant lui-même.

39      La Commission soutient que les stipulations contractuelles relatives à la sous-traitance sont très strictes, que, notamment, la sous-traitance ne peut porter que sur une partie du projet et que les tâches à sous-traiter sont soumises à son accord préalable. Or, dans le cas de la requérante, celle-ci aurait eu recours à des consultants internes dans une très forte proportion (dans certains cas, plus de 50 % des coûts de personnel déclarés pour un projet donné) et sans accord préalable de la Commission.

40      S’agissant des taux horaires sensiblement différents, la Commission rappelle que ses auditeurs ont constaté que, pour la plupart des catégories de personnel et la plupart des périodes, les coûts horaires de CTT étaient sensiblement plus élevés que les coûts facturés par la requérante pour son propre personnel dans les catégories et les périodes correspondantes.

41      La Commission souligne que les catégories de personnel de la requérante et de CTT comparées par les auditeurs correspondaient à des catégories établies par la requérante elle-même.

42      En ce qui concerne le rapport initial E&Y invoqué par la requérante, la Commission estime qu’il ne remet pas en cause les conclusions du rapport final, dans la mesure où, en substance, les calculs qui y ont été effectués se fonderaient sur des montants et un nombre d’heures déclarées par la requérante pour le personnel de CTT différents de ceux utilisés dans les calculs du rapport d’audit final. Par ailleurs, le rapport initial E&Y aurait une portée différente.

43      La Commission ajoute qu’il ressort avec évidence du rapport supplémentaire E&Y (notamment de son annexe I) que la requérante fait une comparaison entre les membres du personnel sur une base strictement individuelle, c’est-à-dire que, dans de nombreux cas, la personne en question est comparée à elle-même, puisque la même personne figure d’abord en tant qu’employée de CTT et est ensuite « comparée » à elle-même en tant qu’employée de la requérante. Ainsi, selon la Commission, la requérante se fonderait non sur une comparaison d’employés relevant de la même catégorie, mais sur une comparaison individuelle subjective. La Commission note aussi que la liste du personnel comparable établie par la requérante elle-même est différente de celle établie par E&Y dans le rapport supplémentaire dudit cabinet.

44      En outre, la Commission fait valoir que le rapport supplémentaire E&Y contient 47 comparaisons entre les coûts de personnel de CTT et les coûts de personnel de la requérante, dont il ressortirait que les coûts des consultants de CTT étaient supérieurs de plus de 20 % dans 12 cas, de 10 % dans 17 cas et de 5 % dans 22 cas. Au vu de ces chiffres, la Commission estime qu’il existait des écarts considérables entre les coûts de personnel de CTT et les coûts de personnel de la requérante, ce qui justifiait le rejet, de la part de la Commission, des coûts de personnel de CTT comme inéligibles.

45      En ce qui concerne le défaut de supervision, la Commission soutient que, lorsqu’un contractant décide de faire usage de la possibilité prévue dans le guide relatif aux questions financières concernant les actions indirectes relevant du sixième programme-cadre (ci-après le « guide financier ») de recourir à du personnel externe, il lui incombe d’apporter la preuve que toutes les conditions relatives à l’usage de cette possibilité sont remplies. Or, la requérante n’aurait pas démontré que la condition selon laquelle le travail des consultants internes doit être « décidé, conçu et supervisé par le contractant » était remplie.

46      Selon la Commission, le fait que M. C. contresignait un tableau récapitulatif couvrant l’ensemble du personnel de la requérante et énumérant tous les projets ne saurait être considéré comme preuve de la supervision du travail du personnel de CTT.

47      Quant aux déclarations sur l’honneur signées par les consultants de CTT concernés et invoquées par la requérante, la Commission fait valoir qu’il s’agit de la seule preuve de la supervision exercée par la requérante sur le travail du personnel de CTT. En tout état de cause, de telles déclarations ne sauraient remettre en cause les conclusions du rapport final, eu égard, notamment, à ce que la grande majorité des personnes signataires de ces déclarations sont toujours employées par CTT ou par la requérante et se trouvent donc en situation de conflit d’intérêts.

48      En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel le premier projet de rapport contenait une constatation différente de celle figurant dans le rapport final, la Commission soutient que, par nature, un projet de rapport est susceptible d’être modifié.

2)      Sur le caractère non fiable des relevés de temps des consultants de CTT

49      En substance, la requérante reproche aux auditeurs d’avoir remis en cause la fiabilité des relevés de temps du personnel de CTT et non de ceux de la requérante, alors que les deux sociétés utilisaient le même système d’enregistrement du temps. La requérante fait valoir que les heures déclarées par les employés de CTT concernant leur contribution aux projets du sixième programme-cadre étaient justifiées, facturées par des moyens raisonnables et fiables, conformément au guide financier, ce qui a été confirmé par le rapport initial E&Y ainsi que par le rapport supplémentaire E&Y.

50      À titre d’exemple, la requérante renvoie à l’annexe C.22 de la réplique, qui comprendrait le rapport de relevés de temps de travail pour janvier 2006. La requérante fait valoir que ce document comprend, notamment, le temps de travail de deux consultants travaillant pour CTT (MM. P. et H.) et renvoie également à « l’annexe B.7 du mémoire en défense ».

51      En ce qui concerne la fiabilité des relevés de temps, la Commission soutient que le grief de la requérante selon lequel il ne serait pas cohérent de remettre en cause la fiabilité des relevés d’heures du personnel de CTT et non les siens est irrecevable, dans la mesure où, en réalité, celui-ci reproduit les arguments avancés dans le cadre du deuxième moyen, tiré d’une prétendue violation du principe de protection de la confiance légitime.

52      En tout état de cause, ce grief serait non fondé, puisque la Commission estime ne pas avoir donné à la requérante d’assurances précises, inconditionnelles et concordantes pour pouvoir se prévaloir d’une quelconque certitude à ce sujet.

53      Quant au rapport initial E&Y, invoqué par la requérante, la Commission note que ce rapport ne confirme nulle part la fiabilité des relevés de temps.

54      La Commission soutient également que ce n’est pas le système d’enregistrement en tant que tel qui a été critiqué dans le rapport d’audit final, mais plus exactement les relevés de temps. Or, selon la Commission, la requérante n’avance aucun argument pertinent permettant d’infirmer les conclusions de ses auditeurs.

55      La Commission rappelle que les raisons pour lesquelles la fiabilité des relevés de temps de CTT a été remise en cause sont exposées en détail dans le rapport d’audit final. Premièrement, comme l’aurait confirmé M. C., il existait une pratique consistant à compenser les journées de travail plus longues en déclarant un nombre d’heures supérieur à celui effectivement travaillé. Deuxièmement, la requérante n’aurait pas conservé les originaux des relevés de temps et, lorsqu’il a été néanmoins possible de les retrouver, il s’est avéré que les relevés de temps établis par le personnel administratif de la requérante chargé de l’encodage des données ne correspondaient pas aux originaux en question. En l’absence de preuve qu’il s’agissait de cas d’erreurs isolés, la Commission fait valoir que c’est à bon droit que les auditeurs ont conclu au caractère non fiable des relevés de temps du personnel de CTT.

56      La Commission ajoute également que le contrôle spécial de CTT s’est fondé sur une analyse plus complexe que celle des auditeurs d’E&Y et portait non seulement sur le caractère raisonnable des relevés de temps, mais aussi sur leur fiabilité. Les vérifications effectuées par les auditeurs d’E&Y ne sauraient donc servir à infirmer les conclusions du rapport final.

3)      Sur la validité de l’accord conclu entre la requérante et CTT

57      La requérante soutient que le fait que les signatures des parties dans l’accord de coopération conclu en 2004 entre elle et CTT aient été inversées ne le rend pas nul et que le fait que ledit accord est valable et exécutoire serait confirmé par une déclaration sous serment signée par les deux personnes en question (jointe à l’annexe A.38 de la requête) ainsi que par un avis juridique.

58      Par ailleurs, la requérante reproche à la Commission de ne pas préciser quelles obligations contractuelles n’ont pas été remplies par les parties.

59      S’agissant des signatures inversées, la Commission soutient que cet élément n’était qu’une des raisons pour lesquelles les auditeurs avaient conclu à l’invalidité du contrat. De plus, la Commission souligne que, contrairement aux affirmations de la requérante, aucune déclaration émanant des deux personnes concernées n’a été jointe à la requête. L’annexe A.38 de la requête à laquelle se réfère la requérante contient uniquement la déclaration de M. C. concernant l’accord de coopération du 1er septembre 2008 (version anglaise) et du 1er septembre 2004 (version espagnole).

60      En outre, la Commission rappelle que les auditeurs ont également constaté que, dans une large mesure, les parties n’avaient pas rempli leurs obligations en vertu de l’accord de coopération et que ledit accord n’avait été conclu que pour satisfaire aux conditions fixées par les contrats du sixième programme-cadre, sans que les parties aient eu véritablement l’intention de respecter les obligations qui en découlaient.

61      En répondant au reproche formulé à cet égard par la requérante, la Commission fait valoir que le rapport d’audit final énumère les obligations contractuelles qui s’imposaient en vertu de l’accord conclu entre CTT et la requérante et qui n’ont pas été remplies. Il s’agirait notamment des obligations suivantes :

–        convenir de la liste des chercheurs nécessaires aux projets et la mettre à jour ;

–        charger la requérante de la définition, de l’affectation et de la supervision de tous les travaux liés aux projets ;

–        se mettre d’accord sur le tarif horaire projet par projet ;

–        assurer l’équivalence des tarifs horaires pratiqués par la requérante et par CTT.

62      La Commission soutient que la requérante ne conteste pas le fait qu’aucune liste de chercheurs de CTT n’a été convenue entre elle et CTT et qu’aucun accord n’a été conclu en ce qui concerne les tarifs horaires. Au contraire, CTT aurait facturé les coûts relatifs à son personnel en partie de manière forfaitaire et en partie aux coûts réels. De surcroît, il y aurait eu des mouvements de personnel constants entre la requérante et CTT en plein milieu du cycle de vie du projet et sans raison apparente. La Commission estime que tous ces éléments, pris dans leur ensemble, constituent une preuve suffisante du fait que le contrat a été conclu sans véritable intention de respecter les obligations qui en découlent.

4)      Sur l’existence d’un conflit d’intérêts

63      La requérante fait valoir que le fait que M. C. soit propriétaire tant d’elle-même que de CTT n’entraîne pas un conflit d’intérêts au sens de l’article II.3.2 des conditions générales. Il ne ressortirait nullement de cette stipulation qu’un tel conflit se produit automatiquement lorsqu’un contractant et une société externe qui fournit du personnel appartiennent au même propriétaire. La Commission aurait été informée que CTT avait été détenue par M. C. pendant toute la durée de la relation contractuelle avec la requérante, qui a débutée en 2003. Par ailleurs, la requérante souligne que Mme L. ne travaille plus ni pour CTT ni pour une autre société qui lui serait liée, de sorte que l’existence d’un conflit d’intérêts serait exclue.

64      En ce qui concerne le conflit d’intérêts s’agissant de M. C., la Commission fait valoir que, conformément à l’article II.3.2.1 des conditions générales, il n’est pas nécessaire qu’un conflit d’intérêts soit réel ou qu’il se soit effectivement concrétisé pour que le contractant soit tenu de prendre toutes les mesures de précaution nécessaires pour éviter tout risque de conflit d’intérêts et d’informer la Commission de toute situation pouvant conduire à un tel conflit d’intérêts. En l’espèce, la requérante n’aurait pas démontré qu’elle avait pris toutes les mesures de précaution pour éviter le risque manifeste de conflit d’intérêts entre les deux entités, ni qu’elle avait informé la Commission de ce conflit d’intérêts potentiel.

65      Finalement, la Commission rappelle que le rapport final invoque cinq motifs de rejet des coûts relatifs au personnel de CTT pour conclure à leur inéligibilité. Or, trois de ces motifs suffiraient. Les deux motifs supplémentaires, à savoir l’invalidité de l’accord de coopération conclu entre CTT et la requérante et le conflit d’intérêts s’agissant de M. C., qui détient et gère les deux parties à cet accord, ne font qu’étayer la conclusion selon laquelle les coûts en question n’étaient pas éligibles.

c)      Appréciation du Tribunal

1)      Observations liminaires

66      Le premier moyen est axé principalement sur les conditions de la sous-traitance des travaux liés au projet aux entreprises tierces. A l’instar de la Commission, il faut rappeler que les conditions générales encadrent strictement le recours à une telle sous-traitance. En règle générale, tous les travaux doivent, conformément à l’article II.6.1 des conditions générales, être exécutés par les contractants eux‑mêmes avec leurs propres ressources. Les contrats du sixième programme-cadre prévoient deux exceptions à cette règle :

–        en vertu de l’article II.6.1 et de l’article II.6.2 des conditions générales, certains éléments des travaux peuvent être sous-traités à condition qu’il ne s’agisse que de l’exécution d’une partie restreinte du projet et que les tâches concernées soient mentionnées à l’annexe I des contrats ;

–        l’article II.19.1, sous e), et l’article II.1.29 des conditions générales envisagent un recours aux « ressources mises à disposition par un tiers », à condition qu’il soit convenu avec la Commission ex ante et décrit à l’annexe I des contrats.

67      Il n’est pas contesté en l’espèce qu’aucune de ces deux options n’a été utilisée par les parties. En revanche, la requérante s’appuie sur une troisième possibilité de recourir à du personnel externe, prévue dans le guide financier (voir point 6.1.1 dudit guide), qui est formulée comme suit :

« Il y a trois manières possibles de classer les coûts des consultants internes [en tout état de cause les coûts ne seront éligibles que s’ils remplissent les conditions du contrat (point II.19)] :

1)      Ils peuvent être considérés comme coûts de personnel, que les consultants internes soient indépendants ou employés par un tiers, si les critères cumulatifs suivants sont remplis :

a)      Le contractant a un contrat pour engager une personne physique à travailler pour lui et une partie de ce travail comprend des tâches à effectuer dans le cadre du projet CE.

b)      [Le consultant interne] doit travailler sous la supervision du contractant (c’est-à-dire que le travail est décidé, conçu et supervisé par le contractant).

c)      [Le consultant interne] doit travailler dans les locaux du contractant.

d)      Les résultats des travaux appartiennent au contractant […]

e)      Les coûts du consultant ne sont pas sensiblement différents des coûts de personnel des salariés de la même catégorie travaillant dans le cadre d’un contrat de droit du travail pour le contractant […] »

68      Il ressort des conclusions du rapport d’audit final établi par les auditeurs de la Commission que les conditions mentionnées au point 6.1.1, sous b) et e), du guide financier n’ont pas été considérées comme remplies. La validité de ces conclusions, mise en cause par la requérante, est examinée ci-après par le Tribunal.

2)      Sur le non-respect des conditions concernant l’utilisation des « consultants internes »

69      S’agissant des coûts/taux horaires des consultants de CTT, les auditeurs ont déclaré avoir fondé leurs calculs sur les « catégories » de personnel telles que communiquées par la requérante et ont constaté que les différences de taux horaires n’étaient mineures que dans les catégories « researchers » pour les années 2007 et 2009 et « senior researchers » pour les années 2005 et 2006, la plupart des autres catégories et périodes démontrant que les taux horaires de CTT étaient considérablement plus élevés que ceux déclarés pour le personnel de la requérante.

70      Les arguments de la requérante ne permettent pas d’infirmer ces conclusions.

71      Tout d’abord, la requérante reproche à la Commission de s’être fondée sur des « catégories » et non sur les « fonctions » réelles des membres du personnel. Selon elle, il existerait un désaccord avec la Commission concernant la définition de la notion de « catégorie » qui a servi de point de départ erroné pour les calculs des auditeurs. Par ailleurs, selon la requérante, c’est à tort que la Commission aurait omis de prendre en compte l’évolution professionnelle des membres du personnel pendant la durée de l’exécution des contrats.

72      Toutefois, au stade de la réplique, la requérante semble admettre le caractère approprié des « catégories » utilisées par les auditeurs de la Commission, mais soutient que, même en prenant ces mêmes catégories comme point de départ, les coûts déclarés en rapport avec les consultants de CTT n’étaient pas sensiblement différents, ce qui serait confirmé par le rapport supplémentaire E&Y.

73      Or, premièrement, la requérante se borne à émettre des allégations générales et abstraites quant à la pertinence du rapport supplémentaire E&Y et de ses annexes, sans identification précise des prétendues erreurs que ce rapport est censé mettre en lumière dans les conclusions du rapport d’audit final. Deuxièmement, il est constant que, comme le soutient la Commission, le rapport supplémentaire E&Y a une portée différente de celle du rapport d’audit final, dans la mesure où il ne couvre que 24 projets au lieu de 30.

74      Par ailleurs, il ressort de la lecture des annexes du rapport supplémentaire E&Y (voir, par exemple, l’annexe C.31 de la réplique) que, comme le souligne la Commission, les membres du personnel de la requérante et de CTT ne sont pas comparés en termes de « catégories » mais à titre individuel et, parfois, il s’agit en fait des mêmes personnes qui sont comparées à elles-mêmes, mais en tant que membres du personnel de l’autre société. En outre, l’annexe C.31 de la réplique montre clairement de nombreux écarts entre les salaires du personnel de CTT et ceux du personnel de la requérante. Ces éléments amènent au constat, d’une part, que le rapport supplémentaire E&Y se fonde sur des critères différents de ceux du rapport d’audit final de la Commission et, d’autre part, que son contenu n’est pas de nature à infirmer les conclusions auxquelles étaient parvenus les auditeurs de la Commission. La requérante ne réussit pas à étayer ses affirmations avec les détails requis pour montrer le bien-fondé de ses conclusions. Elle ne fournit pas suffisamment d’éléments de preuve visant à remettre en cause les conclusions du rapport d’audit final.

75      En ce qui concerne la condition selon laquelle le contractant doit assurer la supervision des consultants internes, les auditeurs de la Commission ont conclu que la supervision des travaux de recherche n’était pas toujours assurée par la requérante, puisqu’elle était souvent confiée aux consultants de CTT (voir page 722 du rapport d’audit final).

76      La requérante admet que certains consultants de CTT étaient des gestionnaires de projet. D’une part, elle ne parvient pas à démontrer le caractère marginal de telles pratiques. D’autre part, le seul fait que M. C. contresignait les sommaires mensuels des coûts par projet ne remplit pas la condition selon laquelle le travail doit être « décidé, conçu et supervisé par le contractant », conformément au point 6.1.1 du guide financier. Les déclarations d’honneur dont se prévaut la requérante ne sont pas d’une valeur probante suffisante, dans la mesure où elles émanent des personnes intéressées, à savoir le personnel de CTT.

77      À défaut d’éléments de preuve sérieux visant à remettre en cause les conclusions du rapport d’audit final, il faut constater que c’est à bon droit que la Commission a déclaré que les deux conditions permettant de recourir à du personnel externe prévues dans le guide financier n’étaient pas remplies.

78      Le régime du guide financier est fondé sur le concept d’une distinction claire et nette entre l’utilisation d’employés propres au contractant bénéficiaire du sixième programme-cadre et celle d’employés de sous-traitants. Si la requérante a choisi une approche se libérant de cette distinction en pratiquant des fluctuations d’employés entre les deux entreprises, il lui incombe au moins de fournir une motivation concrète et individuelle pour les diverses déclinaisons du concept, ce qu’elle s’est abstenue de faire, en l’espèce.

3)      Sur le caractère non fiable des relevés de temps des consultants de CTT

79      En ce qui concerne les relevés de temps de travail, il ressort du rapport d’audit final (voir pages 736 à 738 du rapport d’audit final) que l’examen de leur fiabilité a conduit les auditeurs à soulever plusieurs questions tant sur le plan global (en substance, les auditeurs ont détecté que le nombre d’heures de travail déclaré était gonflé et excédait le temps de travail productif) que sur le plan individuel (les auditeurs ont identifié quatre exemples concrets d’incohérences dans les relevés de temps des membres du personnel de CTT). Dans cette mesure, le rapport d’audit final expose clairement les motifs pour lesquels les relevés de temps de la requérante ont été considérés comme non fiables.

80      Or, la requérante ne démontre pas de façon étayée en quoi ce constat serait erroné.

81      En substance, la requérante se limite à, premièrement, affirmer que le système d’enregistrement de temps qu’elle a utilisé était correct et, deuxièmement, se référer, de manière générale, mais imprécise, aux constatations effectuées à cet égard dans le rapport initial E&Y.

82      Or, comme le soutient à juste titre la Commission, ce n’est pas le système d’enregistrement de temps en tant que tel qui a été considéré comme défectueux par les auditeurs, mais bien sa mise en œuvre ainsi que les incohérences détectées dans les relevés de temps qui ont semé des doutes sur leur fiabilité.

83      Lors de l’audience tenue devant le Tribunal, la requérante a admis que, quant aux relevés horaires et à leur fiabilité, il n’y avait pas de déclaration précise.

84      La Commission n’ayant pas été directement témoin de l’exécution des tâches de la requérante, elle ne dispose pas, pour contrôler l’exactitude des frais de personnel déclarés par celle-ci, d’autres moyens que ceux devant résulter notamment de la production de relevés de temps de travail fiables. La requérante n’ayant pas été en mesure de produire des relevés de temps de travail fiables pour justifier les coûts de personnel déclarés, la Commission était en droit de les rejeter comme inéligibles.

4)      Conclusion

85      En vue des insuffisances constatées pour la première et la deuxième exigence, lesquelles justifient la décision de la Commission sur l’inéligibilité des coûts du personnel de CTT déclarés, il n’est pas nécessaire, en tout état de cause, pour le Tribunal d’apprécier les arguments concernant les deux autres violations constatées par les auditeurs, à savoir le problème des signatures et le conflit d’intérêts s’agissant de M. C. Le centre de gravité du rapport d’audit réside dans la constatation des violations des stipulations contractuelles relatives à la sous-traitance et à l’obligation de produire des relevés de temps de travail fiables, de sorte que ces constatations, à défaut que soit apportée la preuve qu’elles sont erronées, constituent une base suffisante pour qualifier les coûts de personnel de CTT d’inéligibles.

86      À la lumière de ces considérations, il convient de rejeter le premier moyen.

2.      Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime

87      La requérante soutient que le comportement de la Commission lui a fourni des assurances précises en ce qui concerne le recours aux prestations du personnel de CTT en tant que « consultants internes » et son système d’enregistrement de temps. Par conséquent, ce serait à tort que les coûts correspondants déclarés auraient été rejetés.

88      La requérante fait valoir que le moyen est recevable. Sur le fond, elle soutient que prétendre qu’un rapport d’audit ou une confirmation orale ne peuvent contribuer à donner des assurances au contractant qui fait l’objet d’un audit revient à priver le rapport lui-même de toute fiabilité et constitue un abus de pouvoir de la part de l’institution concernée.

89      Les assurances invoquées par la requérante découleraient, en ce qui concerne le recours à des consultants internes, des circonstances suivantes :

–        le premier audit, effectué par la Commission en décembre 2005 et portant sur les procédures comptables et administratives utilisées par la requérante, et le rapport qui en a résulté ;

–        l’audit effectué en juin 2006 concernant la participation de la requérante aux projets des cinquième et sixième programmes-cadres ; la question des consultants internes aurait été spécifiquement discutée pendant une réunion tenue entre la Commission et la requérante, et la conformité du recours au personnel de CTT avec les règles de participation du sixième programme-cadre aurait été confirmée ; une déclaration signée par un auditeur externe présent à ladite réunion l’attesterait.

90      Or, en contradiction avec ces indices, le rapport d’audit final aurait conclu que les coûts relatifs aux consultants de CTT n’étaient pas éligibles, au motif que ces coûts auraient dû être déclarés comme des « ressources mises à disposition par un tiers » au sens de l’article II.19.1, sous e), et de l’article II.1.29 des conditions générales et que, par conséquent, ils auraient dû être identifiés comme tels dans l’annexe I des contrats du sixième programme-cadre.

91      Le fait que la requérante ait correctement déclaré les coûts des consultants de CTT aurait également été confirmé a posteriori dans le cadre du projet Signspeak du septième programme-cadre, pour lequel la Commission aurait demandé que tous les coûts relatifs au personnel de CTT soient déclarés comme des coûts relatifs à des consultants internes.

92      La Commission aurait également fait naître une confiance légitime en ce qui concerne la fiabilité du système de relevés de temps de la requérante, notamment dans le cadre de la première procédure d’audit effectuée en 2006, lorsqu’un auditeur de la Commission avait donné une opinion favorable à propos du système utilisé par la requérante, lequel n’a pas changé depuis. Par ailleurs, le caractère raisonnable du système d’enregistrement de temps de la requérante aurait été confirmé par un rapport d’audit réalisé en 2006 pour trois contrats du cinquième programme-cadre, qui a pris également en compte le système de relevés de temps pour les projets du sixième programme-cadre en cours.

93      La Commission soutient que le moyen est irrecevable dans un cadre contractuel. À titre subsidiaire, la Commission soutient que les conditions cumulatives établies par la jurisprudence qui doivent être remplies pour qu’un particulier puisse invoquer le principe de protection de la confiance légitime ne sont pas remplies en l’espèce. Il découlerait de la nature même des contrôles et des audits effectués dans le cadre des projets financés par l’Union que les appréciations et les opinions figurant dans les rapports pertinents ne peuvent pas être considérées comme des « assurances précises ».

94      Quant au recours à des consultants internes, la Commission fait valoir que les différents audits et vérifications menés par elle ne contenaient aucune référence à cet égard et ne sauraient être considérés comme donnant la moindre assurance à la requérante. Quant aux discussions particulières qui ont prétendument eu lieu lors de l’audit et des vérifications de 2006 et la déclaration signée à cet égard par un auditeur externe, la Commission fait valoir que le simple fait que la question des consultants internes a été discutée et que les auditeurs de la Commission n’ont pas détecté, à ce moment-là, de problèmes concernant l’éligibilité des coûts concernés n’équivaut pas aux assurances précises, inconditionnelles et concordantes requises pour invoquer le principe de protection de la confiance légitime.

95      La Commission estime que la référence au projet Signspeak n’est pas pertinente, dans la mesure où ledit projet relève du septième programme-cadre, qui est postérieur au rapport d’audit final et qui n’est pas en cause dans le cadre du présent recours.

96      En ce qui concerne la fiabilité du système d’enregistrement de temps, la Commission soutient, en substance, que le fait que les contrôles et les audits effectués auprès de la requérante n’ont pas détecté de problèmes à cet égard ne peut, par définition, être considéré comme la communication par la Commission d’informations précises, inconditionnelles et concordantes en ce qui concerne le caractère approprié des relevés de temps du personnel de CTT. La Commission fait valoir à cet égard que, même si un système d’enregistrement de temps est convenablement conçu, sa mise en œuvre effective peut poser problème. La Commission souligne que, par courriel du 5 mai 2006, elle a clairement indiqué à la requérante que son système d’enregistrement de temps faisait l’objet d’un avis favorable, mais que sa mise en œuvre dans le cadre des projets du sixième programme-cadre auxquels la requérante participait devrait être vérifiée.

97      En ce qui concerne l’audit effectué en juin 2006 invoqué par la requérante, la Commission ajoute que ledit audit n’était pas axé sur le recours aux consultants internes, que le nombre de projets et de personnes soumis à des contrôles avait augmenté de manière significative depuis et que les conclusions dudit audit portaient sur la conception des systèmes d’enregistrement de temps, et non sur la manière dont ils ont été mis en œuvre. La preuve de la manipulation du système n’aurait été découverte qu’ultérieurement, lors d’une analyse plus ciblée et plus approfondie du recours par la requérante aux prestations du personnel de CTT.

98      Contrairement à ce que soutient la Commission, le deuxième moyen est recevable, au vu de l’approche déjà admise dans la jurisprudence selon laquelle il ne peut être exclu qu’une forme de confiance légitime soit susceptible d’être invoquée en droit des contrats dès lors qu’elle fait partie du respect de l’obligation pour les parties à un contrat d’exécuter le contrat de bonne foi (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2015, Synergy Hellas/Commission, T‑106/13, EU:T:2015:860, point 72). La requérante et la Commission ont soumis leur contrat expressément au droit belge. Notamment, l’article 1134, troisième alinéa, du code civil belge prévoit que les conventions doivent être exécutées de bonne foi, alors que l’article 1135 du même code prévoit que « les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ».

99      Néanmoins, le deuxième moyen doit être rejeté sur le fond.

100    En effet, les conditions cumulatives du principe de protection de la confiance légitime établies par la jurisprudence, celle-ci demandant des assurances précises, inconditionnelles et concordantes et émanant de sources autorisées et fiables, ne sont pas remplies en l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2003, Innova Privat-Akademie/Commission, T‑273/01, EU:T:2003:78, point 26). Les appréciations et les opinions communiquées dans le cadre de contrôles, d’audits et de vérifications ne disposent d’aucune valeur au-delà de la procédure du contrôle particulier effectué. L’existence éventuelle d’irrégularités qui n’auraient pas été poursuivies ou décelées précédemment ne peut en aucun cas fonder une confiance légitime (voir, par analogie, dans le cadre de la gestion partagée, arrêt du 18 juin 2010, Luxembourg/Commission, T‑549/08, EU:T:2010:244, point 77).

101    Quant à l’autorisation, il y a lieu de constater, en tout état de cause, que les auditeurs ont un mandat restreint et sont autorisés à mener des audits, mais pas à établir une interprétation des conditions contractuelles liant les parties contractantes.

102    Le deuxième moyen doit donc être rejeté.

3.      Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement

103    La requérante soutient avoir proposé à la Commission, le 10 décembre 2014, de modifier rétroactivement tous les contrats afin d’inclure les coûts des consultants de CTT comme des « ressources mises à disposition par un tiers » au sens des conditions générales. Cette proposition aurait été rejetée, alors que la Commission aurait procédé de cette façon dans d’autres projets du sixième programme-cadre et, notamment, dans un projet avec l’université de Barcelone (Espagne), dont la situation était comparable à celle de la requérante. La requérante en déduit une violation du principe d’égalité de traitement.

104    La Commission fait valoir à cet égard que la possibilité de régulariser a posteriori le recours à des « ressources mises à disposition par un tiers » qui ne sont pas prévues dans le contrat est exceptionelle et dépend des circonstances de chaque cas. Dans le cas de l’université de Barcelone, certaines tâches administratives auraient été déléguées à une fondation, ce qui est une pratique généralement acceptée par la Commission. Les audits effectués auprès de l’université de Barcelone auraient révélé que la fondation n’était pas mentionnée en tant que tiers dans l’annexe I des contrats, sans qu’aucune autre irrégularité soit détectée, puisque tous les coûts déclarés à la Commission étaient, en principe, éligibles. C’est dans ces circonstances que la Commission aurait autorisé que soit modifiée rétroactivement l’annexe I des contrats avec l’université de Barcelone.

105    Or, la situation de la requérante serait différente, dans la mesure où le fait d’avoir omis d’indiquer CTT comme une « ressource mise à disposition par un tiers » dans l’annexe I des contrats n’était pas la seule irrégularité constatée. La Commission rappelle que, premièrement, le système impliquant CTT s’est avéré frauduleux et que, deuxièmement, les coûts de personnel de CTT étaient inéligibles à cause du caractère non fiable des relevés de temps ainsi que pour d’autres motifs.

106    La Commission rappelle que la requérante avait réclamé abusivement des sommes importantes (pour l’utilisation des salaires « back-end » pour des heures effectives déclarées dépassant un nombre standard d’heures de travail annuel et pour le personnel de CTT facturé de manière forfaitaire), ce qui distingue sa situation de celle de l’université de Barcelone.

107    Dans la réplique, la requérante rétorque, d’une part, que le prétendu système de consultants facturés « par forfait » ne fait pas l’objet du présent recours et, d’autre part, que les relevés de temps étaient fiables et que les coûts de personnel de CTT déclarés remplissaient toutes les conditions permettant de les considérer comme éligibles.

108    Afin d’apprécier le troisième moyen, il convient de rappeler en résumé que, en substance, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir accepté, en 2014, de régulariser a posteriori son recours au personnel de CTT, en modifiant rétroactivement tous les contrats afin d’inclure les coûts des consultants de CTT comme des « ressources mises à disposition par un tiers » afin de se conformer aux stipulations des conditions générales.

109    Il convient de rappeler à cet égard que la possibilité de modification rétroactive des conditions de sous-traitance n’est pas prévue dans les stipulations des conditions générales mentionnées au point 68 ci-dessus.

110    Par ailleurs, lorsqu’une telle demande a été formulée – en 2014 –, les problèmes d’éligibilité des coûts de personnel en rapport avec CTT avaient déjà été détectés par les auditeurs. Dans ces conditions, la modification rétroactive ne serait manifestement pas appropriée.

111    Quant au principe d’égalité de traitement et au fait qu’une telle modification a été rendue possible pour l’université de Barcelone, ledit principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Or, il ressort du dossier que la situation de la requérante était objectivement différente de celle de l’université de Barcelone, dans la mesure où aucune irrégularité quant aux dépenses éligibles n’avait été constatée dans les déclarations de cette dernière.

4.      Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation de l’obligation d’exécution de bonne foi des contrats et du principe de bonne administration

112    La requérante soutient que la Commission a conclu les contrats du sixième programme-cadre en tant qu’institution de l’Union et non comme simple partie à un contrat. C’est dans cette optique que la requérante fait valoir que la Commission a méconnu le principe de bonne administration établi à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, eu égard notamment aux circonstances suivantes :

–        la durée excessive de l’ensemble de la procédure d’audit (d’octobre 2009 à décembre 2012), comprenant de longues périodes d’inactivité, par exemple entre janvier 2011 et février 2012, lorsque la requérante a reçu le second projet de rapport ;

–        la durée excessive de l’ensemble de la procédure contradictoire et de la procédure d’exécution, à savoir de décembre 2012 à décembre 2014 ;

–        le manque de communication concernant la suspension des paiements qui a eu lieu en février 2009, la requérante n’en ayant été informée qu’en août 2009, ce qui entraînerait une violation du code européen de bonne conduite administrative ;

–        les contradictions entre le premier et le second projet de rapport d’audit ;

–        les entretiens effectués avec les associés de la requérante et avec des personnes indépendantes, en violation de l’obligation de confidentialité liant la Commission.

113    La requérante soutient que le système prétendument complexe mis en place par elle et intégrant plusieurs sociétés affiliées n’était qu’une pratique courante. En outre, elle ne comprend pas en quoi cette circonstance ainsi que le fait que 31 projets étaient concernés devait rendre l’audit plus complexe ou d’une plus longue durée. La requérante suggère que, dans ces conditions, la Commission aurait dû confier la tâche à une équipe d’auditeurs plus importante.

114    Quant à la suspension des paiements, la requérante conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle la suspension n’a eu lieu que pour le projet Medivoice et se réfère à une « communication datant d’août 2009 concernant le projet Lotpim » (annexe C.24 de la réplique) ainsi qu’au courriel envoyé à la requérante le 25 mai 2010 et l’informant de la décision de lever la suspension des paiements (annexe C.25 de la réplique).

115    Quant aux contradictions entre les différentes versions du projet de rapport d’audit, la requérante reproche à la Commission d’avoir modifié la position qu’elle avait initialement communiquée, ajoutant qu’un projet est susceptible d’être modifié, à condition que soit préservée l’essence du rapport initial.

116    La Commission soutient que le quatrième moyen est irrecevable dans le contexte contractuel. À titre subsidiaire, la Commission propose de le rejeter comme non fondé.

117    La requérante invoque d’une part le principe de bonne administration et d’autre part le principe de bonne foi régissant l’exécution des contrats par la Commission. Quel que soit l’intitulé utilisé, il s’avère que les différents arguments évoqués par la requérante sont en toute hypothèse non fondés.

118    Premièrement, en ce qui concerne la prétendue durée excessive de l’ensemble de la procédure, c’est à juste titre que la Commission souligne la nature particulière du contrôle spécial entamé en 2009. Il s’agit d’un contrôle spécifique concernant le personnel de CTT, différent d’un audit ordinaire portant sur une seule entité, puisqu’il devait englober un nombre important d’entités et de projets (plus précisément, 31 projets différents se trouvant à différents stades d’exécution). Le contrôle impliquait de se placer dans un système complexe mis en place par la requérante. La durée de la procédure a également été prolongée compte tenu de la nécessité d’examiner toutes les informations complémentaires fournies dans le cadre de la procédure. Notamment, entre janvier 2011 et février 2012, les auditeurs ont évalué les nouveaux éléments de preuve obtenus lors du contrôle spécial.

119    Deuxièmement, en ce qui concerne la suspension des paiements, la Commission fait valoir, à juste titre, que, quant aux 13 projets en cours du sixième programme-cadre, celle-ci a été dument notifiée à la requérante et n’a pris effet que le 6 août 2009. Le seul projet pour lequel le paiement a été suspendu en février 2009 – mais la notification de suspension de paiement a eu lieu en août 2009 – était le projet Medivoice. À cet égard, la Commission soutient que la situation avait été pleinement régularisée et que, de surcroît, la suspension avait été levée le 15 juillet 2010.

120    Troisièmement, en ce qui concerne les prétendues contradictions entre les différentes versions du rapport d’audit, le grief de la requérante n’est pas développé avec suffisamment de précision.

121    Quatrièmement, s’agissant des entretiens qui auraient abouti à une violation de l’obligation de confidentialité, la Commission soutient à bon droit que lesdits entretiens ont été menés dans le cadre de l’enquête de l’OLAF sur les projets du cinquième programme-cadre qui a eu lieu conformément aux règles qui s’appliquent à de telles enquêtes. Par conséquent, l’argument de la requérante serait erroné.

122    Finalement, la Commission ajoute à juste titre que le système mis en place par la requérante comportait des mouvements de personnel constants entre les différentes sociétés et que certains chercheurs apparaissaient comme ses propres employés, alors que, en réalité, ils étaient employés par CTT pendant certaines des années en question. En outre, la requérante a elle-même contribué à la longueur de la procédure d’audit compte tenu du manque de fiabilité des informations qu’elle a transmises.

123    Pour autant que la requérante fait valoir que ses reproches trouvent leur fondement dans l’article 41 de la charte des droits fondamentaux, dans le sens où elle a le droit de voir « ses affaires traitées […] équitablement et dans un délai raisonnable », force est de constater que, dans la présente affaire, le litige concerne l’exécution d’un contrat de droit civil. La requérante s’est engagée à faire exécuter plusieurs tâches contractuelles et, en contrepartie, la Commission à payer des remboursements de coûts. Les modalités d’exécution de la prestation et de la contre-prestation ont été prévues d’une façon assez détaillée dans les conditions du contrat. Par ailleurs, comme ce n’est pas inhabituel dans la vie des affaires, le contrat, dans ses conditions générales, préconise des contrôles de qualité et des sanctions en cas de manquements. Quant aux lacunes, le droit civil belge s’applique.

124    La requérante soutient que plusieurs prérogatives publiques conférées à la Commission dans le cadre contractuel et auxquelles les contractants sont obligés d’adhérer sans aucun pouvoir de négociation l’assimilent en définitive à une autorité publique. Notamment, la requérante évoque le pouvoir de la Commission de déterminer les modalités de paiement, d’effectuer des audits ou d’imposer des indemnités forfaitaires. Toutefois, ces éléments n’enlèvent rien au caractère contractuel prédominant du présent litige.

125    En outre, il ressort de la jurisprudence que les institutions de l’Union sont soumises à des obligations relevant du principe général de bonne administration à l’égard des administrés exclusivement dans le cadre de l’exercice de leurs responsabilités administratives. En revanche, lorsque la relation entre la Commission et la partie requérante est clairement de nature contractuelle, cette dernière ne saurait reprocher à la Commission que des violations de stipulations contractuelles ou des violations du droit applicable au contrat (voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2009, Commission/Burie Onderzoek en advies, T‑179/06, non publié, EU:T:2009:171, point 118). En l’espèce, la nature contractuelle du litige ne fait pas de doute et n’est pas contestée.

126    Dans cette perspective, s’agissant précisément d’un cadre litigieux de nature contractuelle, il convient d’analyser les griefs soulevés par la requérante sous l’angle du principe d’exécution de bonne foi d’un contrat (voir, en ce sens, arrêt du 20 juillet 2017, ADR Center/Commission, T‑644/14, sous pourvoi, EU:T:2017:533, points 74, 75 et 172 à 174). Ce principe, dans le présent contexte, ne s’avère guère moins protecteur que celui de bonne administration. Or, au vu des considérations qui précèdent (voir points 118 à 122 ci-dessus), ces griefs ne peuvent qu’être rejetés, la Commission ayant simplement exécuté ses engagements contractuels.

127    Aussi, même à les supposer établis, les manquements reprochés à la Commission seraient sans incidence sur les obligations incombant à la requérante en vertu des contrats en cause, notamment sur l’obligation qui pèse sur elle d’assurer que les coûts déclarés soient éligibles (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 13 juin 2012, Insula/Commission, T‑246/09, non publié, EU:T:2012:287, point 274).

128    Par conséquent, le quatrième moyen est rejeté comme non fondé.

C.      Sur le second chef de conclusions

129    La requérante demande la réparation du préjudice qu’elle aurait prétendument subi dans le cadre de 14 des contrats de recherche coopérative et de recherche collective.

130    Ces contrats contenaient une annexe III, selon laquelle les coûts engagés par la requérante, en tant qu’exécutant de RDT, étaient à 100 % remboursés par les consortiums, à condition d’être éligibles. Or, les conclusions du rapport d’audit final quant à l’inéligibilité des coûts relatifs au personnel de CTT ainsi que leur mise en œuvre par la Commission auraient eu pour conséquence que, lors de la liquidation des fonds alloués à chaque projet, les parties aux consortiums auraient présumé que les coûts de la requérante devaient être réduits à la hauteur des coûts des consultants de CTT. La requérante n’aurait donc pas reçu le remboursement intégral de ses dépenses. La requérante limite l’objet de ses conclusions en indemnité à 14 contrats, tandis que 22 des contrats en cause en l’espèce contenaient l’annexe III prévoyant un remboursement de 100 %, mais 8 de ces contrats étaient déjà clos avant l’émission de notes de débit et avaient alors été réglés avec les consortiums avant que les coûts n’aient été considérés comme inéligibles par la Commission.

131    La requérante estime qu’il y a un lien de causalité entre, d’une part, le rejet prétendument illégal et imputable à la Commission des coûts relatifs au personnel de CTT comme inéligibles et, d’autre part, le non-paiement par les consortiums à la requérante de 100 % de ses coûts engagés dans le cadre de ses activités. Par conséquent, la requérante estime que la Commission doit réparer le préjudice au titre de sa responsabilité contractuelle, en lui versant un montant de 434 406,39 euros (dans l’hypothèse où les coûts relatifs à CTT devaient être considérés comme des coûts directs) ou, à titre subsidiaire, un montant de 357 506,58 euros (dans l’hypothèse où les coûts relatifs à CTT devaient être considérés comme liés aux « ressources mises à disposition par un tiers »).

132    La Commission fait valoir à cet égard que, en vertu des articles 1142 et 1147 du code civil belge, applicable aux contrats du sixième programme-cadre en cause, la responsabilité contractuelle résulte d’une inexécution du contrat imputable à l’une des parties contractantes et il incombe au demandeur en réparation d’établir l’existence d’un lien de causalité entre l’inexécution des obligations contractuelles et le dommage tel qu’il s’est réalisé.

133    Or, en l’espèce, c’est en vertu de l’accord de consortium, auquel la Commission n’est pas partie, que les consortiums auraient une obligation de rembourser aux exécutants de RDT, tels que la requérante, 100 % de leurs coûts éligibles engagés pour les activités de recherche. La Commission soutient que, dans la mesure où elle n’a pas d’obligations contractuelles envers la requérante, aucune responsabilité contractuelle ne peut lui être imputée. Par conséquent, le second chef de conclusions serait irrecevable, au motif que la Commission n’est pas la bonne partie défenderesse. En tout état de cause, il serait manifestement non fondé, en l’absence de lien de causalité entre les actions de la Commission entreprises dans le cadre des contrats conclus avec la requérante et celles de ses autres partenaires contractuels.

134    Premièrement, il convient de rappeler que la Commission n’est pas partie aux contrats de consortium desquels prétendument découlerait le préjudice subi, à savoir les contrats conclus entre les consortiums et la requérante. Partant, l’imputation d’une quelconque responsabilité contractuelle n’est pas justifiée.

135    Deuxièmement, même à supposer que, indirectement, le comportement de la Commission (à savoir la mise en œuvre des conclusions des auditeurs quant à l’inéligibilité des coûts de personnel de CTT) ait pu causer un préjudice à la requérante en ce qu’il a entraîné, comme conséquence, le non-remboursement de ses activités de la part de ses autres partenaires contractuels, la demande indemnitaire devrait, en tout état de cause, être rejetée, dans la mesure où la requérante n’est pas parvenue à établir que, contrairement aux constatations des auditeurs, les frais de personnel qu’elle avait encourus en rapport avec les prestations de CTT constituaient des coûts éligibles. Or, l’éligibilité des coûts constituait une condition sine qua non de leur remboursement par les consortiums.

136    Troisièmement, en tout état de cause, la demande indemnitaire serait également non fondée en l’absence de toute preuve de l’existence d’un préjudice. La requérante se borne à affirmer qu’elle n’aurait pas été remboursée par les consortiums sans donner de détails à cet égard. Elle n’a ni produit les contrats de consortium ni spécifié quels paiements elle avait en effet reçu de ses partenaires de consortium.

137    Partant, il convient de rejeter le second chef de conclusions.

138    Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter la totalité de l’argumentation de la requérante et, partant, le recours dans son ensemble comme étant non fondé.

D.      Sur les dépens

139    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamné aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Ateknea Solutions Catalonia, SA, est condamnée aux dépens.

Frimodt Nielsen

Forrester

Perillo

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 février 2019.

Signatures


Table des matières


I. Antécédents du litige

II. Procédure et conclusions des parties

III. En droit

A. Observations liminaires

B. Sur le premier chef de conclusions

1. Sur le premier moyen, tiré d’une violation des articles II.19 et II.20 des conditions générales

a) Observations liminaires

b) Arguments des parties

1) Sur le non-respect des conditions concernant l’utilisation des « consultants internes »

2) Sur le caractère non fiable des relevés de temps des consultants de CTT

3) Sur la validité de l’accord conclu entre la requérante et CTT

4) Sur l’existence d’un conflit d’intérêts

c) Appréciation du Tribunal

1) Observations liminaires

2) Sur le non-respect des conditions concernant l’utilisation des « consultants internes »

3) Sur le caractère non fiable des relevés de temps des consultants de CTT

4) Conclusion

2. Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime

3. Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement

4. Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation de l’obligation d’exécution de bonne foi des contrats et du principe de bonne administration

C. Sur le second chef de conclusions

D. Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.