Language of document : ECLI:EU:T:2024:301

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

8 mai 2024 (*) (1)

« Aides d’État – Marché allemand du transport aérien – Aide à la restructuration accordée par l’Allemagne en faveur d’une compagnie aérienne – Modification des conditions des prêts accordés par l’Allemagne et annulation partielle de dettes – Décision de ne pas soulever d’objections – Recours en annulation – Qualité pour agir – Recevabilité – Sauvegarde des droits procéduraux – Difficultés sérieuses – Article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE – Point 67 des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté autres que les établissements financiers – Répartition des charges »

Dans l’affaire T‑28/22,

Ryanair DAC, établie à Swords (Irlande), représentée par Mes E. Vahida, S. Rating et I.-G. Metaxas-Maranghidis, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. I. Barcew, V. Bottka et J. Ringborg, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. J. Möller, P.-L. Krüger et J. Buhl, en qualité d’agents,

et par

Condor Flugdienst GmbH, établie à Neu-Isenburg (Allemagne), représentée par Mes A. Rosenfeld, S. Lünenbürger, A. Birnstiel et S. Blazek, avocats,

parties intervenantes,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. A. Kornezov (rapporteur), président, G. De Baere et K. Kecsmár, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 22 septembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Ryanair DAC, demande l’annulation de la décision C(2021) 5729 final de la Commission, du 26 juillet 2021, relative à l’aide d’État SA.63203 (2021/N) – Allemagne – Aide à la restructuration en faveur de Condor (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Condor Flugdienst GmbH (ci-après « Condor ») est une compagnie aérienne allemande qui assure des vols charters. Elle fournit des services de transport aérien à des clients individuels ainsi qu’à des voyagistes et à des agences de voyages, à partir de plusieurs aéroports, notamment en Allemagne, en se concentrant sur le marché des voyages de loisirs.

3        Sur la période 2019-2021, Condor a bénéficié de plusieurs mesures d’aides d’État qui peuvent être catégorisées en deux groupes, à savoir, d’une part, des mesures d’aide visant à remédier à ses difficultés financières causées par la faillite de son ancienne société mère, Thomas Cook Group plc (ci-après « Thomas Cook »), et, d’autre part, des mesures d’aide visant à remédier aux dommages qu’elle avait subis en raison de l’imposition de restrictions de voyage liées à la pandémie de COVID-19.

4        Tout d’abord, à la suite de la faillite de Thomas Cook, Condor a bénéficié d’une aide au sauvetage, autorisée par la décision C(2019) 7429 final de la Commission, du 14 octobre 2019, relative à l’aide d’État SA.55394 (2019/N) – Allemagne – Aide au sauvetage en faveur de Condor (ci-après la « décision sur l’aide au sauvetage »), sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté autres que les établissements financiers (JO 2014, C 249, p. 1, ci-après les « lignes directrices S&R »). Cette décision a fait l’objet d’un recours devant le Tribunal, lequel a été rejeté par arrêt du 18 mai 2022, Ryanair/Commission (Condor ; aide au sauvetage) (T‑577/20, EU:T:2022:301).

5        Ensuite, la pandémie de COVID-19 ayant entre-temps affecté le secteur aérien, Condor s’est vu accorder consécutivement deux mesures d’aide individuelles visant à remédier aux dommages subis en raison de l’imposition de restrictions de voyage liées à ladite pandémie pendant la période du 17 mars au 31 décembre 2020 (ci-après l’« aide COVID-19 de 2020 ») et pendant la période du 1er janvier au 31 mai 2021 (ci-après l’« aide COVID-19 de 2021 »).

6        Ainsi, par la décision C(2020) 2795 final, du 26 avril 2020, relative à l’aide d’État SA.56867 (2020/N, ex 2020/PN) – Allemagne – Indemnisation des dommages causés par la pandémie de COVID-19 à Condor (ci-après la « décision sur l’aide COVID-19 de 2020 »), la Commission européenne a conclu que l’aide COVID-19 de 2020, laquelle prenait la forme de deux prêts d’un montant total de 550 millions d’euros (ci-après les « prêts COVID-19 de 2020 »), assortis d’une garantie d’État, était compatible avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE. Dans cette décision, la Commission a constaté que, le montant des dommages subis par Condor ayant été calculé sur la base d’une estimation ex ante, les autorités allemandes s’étaient engagées à vérifier ex post si le montant de l’aide dépassait le montant des dommages ainsi qu’à récupérer auprès de Condor toute surcompensation qui aurait pu en résulter.

7        Par arrêt du 9 juin 2021, Ryanair/Commission (Condor ; COVID-19) (T‑665/20, EU:T:2021:344), le Tribunal a annulé la décision sur l’aide COVID-19 de 2020, en raison d’un défaut de motivation, tout en suspendant les effets de cette annulation dans l’attente de l’adoption d’une nouvelle décision par la Commission en vertu de l’article 108 TFUE. Le Tribunal a jugé en substance que, à la lumière des motifs de la décision litigieuse, il lui était impossible de contrôler si la Commission avait pu conclure, sans éprouver des doutes, qu’il existait un lien de causalité direct entre, d’une part, les coûts encourus par Condor dans le cadre de la prolongation de sa procédure d’insolvabilité, laquelle avait été engagée à la suite de ses difficultés préexistantes et non liées à la pandémie de COVID-19, étant précisé que lesdits coûts étaient inclus dans l’indemnisation prévue par l’aide COVID-19 de 2020, et, d’autre part, le fait générateur du dommage tel que défini dans la décision litigieuse, à savoir l’annulation et la reprogrammation des vols de Condor en raison des restrictions de voyages imposées dans le contexte de la pandémie de COVID-19 [voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Ryanair/Commission (Condor ; COVID-19), T‑665/20, EU:T:2021:344, point 61].

8        À la suite de l’arrêt du 9 juin 2021, Ryanair/Commission (Condor ; COVID-19) (T‑665/20, EU:T:2021:344), par la décision C(2021) 5730 final, du 26 juillet 2021, relative à l’aide d’État SA.56867 (2020/N, ex 2020/PN) – Allemagne – Indemnisation des dommages causés par la pandémie de COVID-19 à Condor (ci-après la « décision sur l’aide COVID-19 de 2020 modifiée »), la Commission a conclu que l’aide COVID-19 de 2020 était compatible avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE. Dans cette décision, d’une part, la Commission a, en exécution dudit arrêt, exclu du calcul des dommages subis par Condor les coûts encourus par celle-ci en raison de la prolongation de la procédure d’insolvabilité. D’autre part, elle a considéré, sur la base des données ex post fournies par les autorités allemandes, que Condor avait bénéficié d’une surcompensation d’un montant de 91,745 millions d’euros, assorti d’intérêts.

9        Puis, par la décision C(2021) 5731 final, du 26 juillet 2021, relative à l’aide d’État SA.63617 (2021/N) – Allemagne COVID-19 – Indemnisation des dommages causés à Condor II (ci-après la « décision sur l’aide COVID-19 de 2021 »), la Commission a conclu que l’aide COVID-19 de 2021, laquelle prenait la forme d’une annulation partielle d’un montant de 60 millions d’euros de dettes résultant des prêts COVID-19 de 2020, était compatible avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.

10      Enfin, par la décision attaquée, la Commission a autorisé, sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et des lignes directrices S&R, une mesure d’aide visant à soutenir la restructuration et la poursuite des activités de Condor (ci-après la « mesure en cause »), laquelle comporte deux volets. Le premier volet consiste, d’une part, en la modification des conditions des prêts COVID-19 de 2020 et, d’autre part, en l’annulation partielle d’un montant de 90 millions d’euros de dettes résultant de ces prêts. Le second volet consiste en l’annulation d’une dette d’un montant de 20,2 millions d’euros, correspondant aux intérêts que Condor devait rembourser à la suite de la décision sur l’aide COVID-19 de 2020 modifiée.

 Conclusions des parties

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

12      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

13      La République fédérale d’Allemagne et Condor concluent au rejet du recours et à la condamnation de la requérante aux dépens.

 En droit

14      À l’appui de son recours, la requérante soulève dix moyens, tirés, en substance, le premier, de ce que la mesure en cause ne relève pas du champ d’application des lignes directrices S&R, le deuxième, d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne la démonstration d’une défaillance du marché et de difficultés sociales, les troisième, quatrième, cinquième et sixième, de ce que la Commission n’a pas établi, respectivement, la nécessité de l’intervention de l’État et son effet incitatif, l’existence d’un plan de restructuration réaliste, cohérent, de grande envergure et susceptible de rétablir la viabilité à long terme de Condor et le caractère approprié de la mesure en cause ou la proportionnalité de celle-ci, le septième, de ce que la Commission a commis des erreurs dans son examen des effets négatifs de la mesure en cause, le huitième, d’une violation des principes de non-discrimination, de libre prestation des services et de la liberté d’établissement, le neuvième, d’une violation de ses droits procéduraux et, le dixième, d’une violation de l’obligation de motivation.

 Sur la recevabilité

15      Premièrement, la requérante soutient qu’elle est une partie intéressée au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 1er, sous h), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9), et que, dès lors, elle a qualité pour agir afin de défendre ses droits procéduraux. Deuxièmement, elle fait valoir que sa position concurrentielle sur le marché a été substantiellement affectée par la mesure en cause et qu’elle est recevable à contester également le bien-fondé de la décision attaquée.

16      La Commission et Condor ne contestent pas que la requérante a qualité pour agir afin de défendre ses droits procéduraux. En revanche, elle ne serait pas recevable à contester le bien-fondé de la décision attaquée.

17      Dans la présente affaire, la Commission a décidé, à l’issue d’un examen préliminaire, de ne pas soulever d’objections à l’encontre de la mesure en cause, au motif qu’elle était compatible avec le marché intérieur, en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et des lignes directrices S&R. Dans la mesure où la procédure formelle d’examen n’a pas été ouverte, les parties intéressées, qui auraient pu déposer des observations durant cette phase, ont été dépourvues de cette possibilité. Pour y remédier, il leur est reconnu le droit de contester, devant le juge de l’Union européenne, la décision prise par la Commission de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen. Ainsi, un recours introduit par une partie intéressée au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE qui viserait à l’annulation de la décision de ne pas soulever d’objections serait recevable dès lors que l’auteur de ce recours tendrait à faire sauvegarder les droits procéduraux qu’il tire de cette dernière disposition (voir arrêt du 18 novembre 2010, NDSHT/Commission, C‑322/09 P, EU:C:2010:701, point 56 et jurisprudence citée).

18      Au regard de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, une entreprise concurrente de la bénéficiaire d’une mesure d’aide figure parmi les « parties intéressées », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE (voir, par analogie, arrêt du 3 septembre 2020, Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland e.a./Commission, C‑817/18 P, EU:C:2020:637, point 50 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 18 novembre 2010, NDSHT/Commission, C‑322/09 P, EU:C:2010:701, point 59).

19      En l’espèce, il n’est pas contesté que Ryanair est une concurrente de Condor et que, dès lors, elle est une partie intéressée au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, ayant qualité pour agir afin de sauvegarder les droits procéduraux qu’elle tire de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

20      En ce qui concerne la qualité pour contester le bien-fondé de la décision attaquée, il convient de relever que cette décision ne constitue pas un acte réglementaire aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dès lors qu’elle n’est pas un acte de portée générale (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 56). Dès lors, la requérante doit démontrer qu’elle est directement et individuellement concernée par cette décision, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

21      À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle du destinataire (arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223 ; du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169/84, EU:C:1986:42, point 22, et du 22 novembre 2007, Sniace/Commission, C‑260/05 P, EU:C:2007:700, point 53).

22      Ainsi, lorsqu’une partie requérante met en cause le bien‑fondé d’une décision d’appréciation d’une aide prise sur le fondement de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ou à l’issue de la procédure formelle d’examen, le simple fait qu’elle puisse être considérée comme un « intéressé », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours. Elle doit alors démontrer qu’elle a un statut particulier au sens de la jurisprudence rappelée au point 21 ci-dessus. Il en est notamment ainsi lorsque la position de la partie requérante sur le marché concerné est substantiellement affectée par l’aide faisant l’objet de la décision en cause (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2021:608, point 37 et jurisprudence citée).

23      S’agissant des éléments admis par la jurisprudence pour établir une telle atteinte substantielle, il convient de rappeler que le simple fait qu’un acte soit susceptible d’exercer une certaine influence sur les rapports de concurrence existant dans le marché pertinent et que l’entreprise concernée se trouve dans une quelconque relation de concurrence avec le bénéficiaire de cet acte ne saurait suffire pour que ladite entreprise puisse être considérée comme étant individuellement concernée par ledit acte. Dès lors, une entreprise ne saurait se prévaloir uniquement de sa qualité de concurrente par rapport à l’entreprise bénéficiaire (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2021:608, point 60 et jurisprudence citée).

24      Or, en l’espèce, la requérante se borne à invoquer, en substance, le fait qu’elle est une concurrente de Condor sur le marché pertinent et à décrire, dans des termes généraux, certaines caractéristiques de ce marché, à savoir que ledit marché serait « concentré », que la concurrence sur celui-ci serait faussée par des aides d’État octroyées à ses concurrents, que la mesure en cause « aggrave [sa] situation », qu’elle serait « isolée en tant qu’acteur important non bénéficiaire d’une aide d’État » et qu’il existerait une « surcapacité sur le marché allemand et sur le marché plus large de l’Union ».

25      Toutefois, de telles affirmations générales ne suffisent pas pour démontrer que la mesure en cause était susceptible de porter substantiellement atteinte à la position concurrentielle de la requérante sur le marché concerné.

26      En effet, d’une part, la requérante fait abstraction du fait, non contesté, qu’elle était en concurrence avec Condor uniquement en ce qui concernait les ventes de « sièges secs », c’est-à-dire les ventes de sièges directement aux clients finaux, et que, contrairement à elle, Condor était une compagnie aérienne charter pour laquelle la vente de tels « sièges secs » ne représentait qu’une part limitée de ses ventes. En revanche, il ressort du dossier qu’il n’existait pas de rapport de concurrence entre la requérante et Condor en ce qui concernait les ventes de billets d’avion aux voyagistes et aux agences de voyages, y compris pour des vols long-courriers et de niche, ce qui constituait l’activité principale de Condor. Il en découle que, si la requérante était, certes, une concurrente de Condor, les rapports de concurrence entre elles étaient plutôt limités.

27      D’autre part, le fait que, à la différence de Condor et d’autres compagnies aériennes, la requérante n’aurait pas bénéficié d’une aide d’État octroyée par l’État allemand n’apporte aucune information quant à l’impact concret de la mesure en cause sur sa position concurrentielle, contrairement à ce qu’exige la jurisprudence. Il en va de même s’agissant de l’allégation selon laquelle ce marché serait « concentré » ou caractérisé par une « surcapacité ».

28      Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que la requérante n’a pas démontré être individuellement concernée par la décision attaquée et n’a, dès lors, pas qualité pour contester le bien-fondé de celle-ci.

29      Il s’ensuit que les premier à huitième moyens, par lesquels la requérante conteste le bien-fondé de la décision attaquée, sont irrecevables.

30      En revanche, le neuvième moyen, par lequel la requérante vise à sauvegarder ses droits procéduraux, est recevable.

31      Cela étant, la requérante est en droit, pour démontrer la violation de ses droits procéduraux en raison des doutes que la mesure en cause aurait dû susciter quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, d’invoquer des arguments tendant à démontrer que le constat de la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur auquel la Commission était parvenue était erroné, ce qui, a fortiori, est de nature à établir que la Commission aurait dû éprouver des doutes lors de son appréciation de la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur. Partant, le Tribunal est habilité à examiner les arguments de fond présentés par la requérante dans le cadre de ses premier à huitième moyens, auxquels celle-ci renvoie dans le cadre de son neuvième moyen, afin de vérifier s’ils sont de nature à conforter le moyen expressément formé par elle concernant l’existence de doutes justifiant l’ouverture de la procédure visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE [voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2022, Ryanair/Commission (Condor ; aide au sauvetage), T‑577/20, EU:T:2022:301, point 20 et jurisprudence citée].

 Sur le fond

32      Dans le cadre de son neuvième moyen, tiré de la violation de ses droits procéduraux, la requérante fait valoir, en substance, huit indices relatifs au contenu de la décision attaquée, correspondant à ses huit premiers moyens, qui démontreraient que la Commission aurait dû éprouver des doutes lors de l’examen préliminaire de la mesure en cause.

33      Selon la jurisprudence, lorsque la Commission ne peut pas acquérir la conviction, à la suite d’un premier examen mené dans le cadre de la procédure visée par l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qu’une mesure d’aide d’État soit ne constitue pas une « aide » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, soit, si elle est qualifiée d’aide, est compatible avec le traité FUE, ou lorsque cette procédure ne lui a pas permis de surmonter les difficultés sérieuses soulevées par l’appréciation de la compatibilité de la mesure considérée, cette institution est dans l’obligation d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, sans disposer à cet égard d’une marge d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 10 mai 2005, Italie/Commission, C‑400/99, EU:C:2005:275, point 47). Cette obligation est d’ailleurs expressément confirmée par les dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 4, et de l’article 15, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 (voir, par analogie, arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 113).

34      L’article 4, paragraphes 3 et 4, du règlement 2015/1589 indique à cet égard que, pour autant que la mesure notifiée par l’État membre concerné entre dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, c’est la présence ou l’absence de « doutes » quant à la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur qui détermine la décision de la Commission de ne pas soulever d’objections ou, au contraire, d’ouvrir la procédure formelle d’examen, à l’issue de son examen préliminaire.

35      La notion de « doutes » énoncée à l’article 4, paragraphes 3 et 4, du règlement 2015/1589, laquelle se traduit par l’existence de difficultés sérieuses que la Commission a rencontrées lors de l’examen du caractère d’aide de la mesure en cause ou de sa compatibilité avec le marché intérieur, revêt un caractère objectif. L’existence de tels doutes doit être recherchée tant dans les circonstances d’adoption de l’acte attaqué que dans son contenu, d’une manière objective, en mettant en relation les motifs de la décision avec les éléments dont la Commission pouvait disposer lorsqu’elle s’est prononcée sur la compatibilité de l’aide en cause avec le marché intérieur. Il en découle que le contrôle de légalité effectué par le Tribunal sur l’existence de doutes dépasse, par nature, la recherche de l’erreur manifeste d’appréciation (voir, en ce sens, arrêts du 2 avril 2009, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, C‑431/07 P, EU:C:2009:223, point 63, et du 10 juillet 2012, Smurfit Kappa Group/Commission, T‑304/08, EU:T:2012:351, point 80 et jurisprudence citée).

36      Il appartient à la partie requérante de prouver l’existence de doutes, preuve qu’elle peut fournir à partir d’un faisceau d’indices concordants (voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2018, HH Ferries e.a./Commission, T‑68/15, EU:T:2018:563, point 63 et jurisprudence citée).

37      C’est à l’aune de cette jurisprudence qu’il convient d’examiner les indices invoqués par la requérante visant à établir l’existence de doutes qui auraient dû amener la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen.

 Sur le premier indice, tiré de ce que la mesure en cause ne relève pas du champ d’application des lignes directrices S&R

38      La requérante soutient, en substance, que Condor n’était pas admissible au bénéfice d’une aide à la restructuration en vertu du point 22 des lignes directrices S&R.

39      La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et Condor, conteste les arguments de la requérante.

40      Le point 22 des lignes directrices S&R prévoit ce qui suit :

« Une société qui fait partie d’un groupe ou est reprise par un groupe ne peut en principe pas bénéficier d’aides au titre des présentes lignes directrices, sauf s’il peut être démontré que ses difficultés lui sont spécifiques et ne résultent pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe, et que ces difficultés sont trop graves pour être résolues par le groupe lui-même […] »

41      En l’espèce, aux paragraphes 106 et 107 de la décision attaquée, la Commission a conclu que les conditions prévues au point 22 des lignes directrices S&R étaient remplies au motif, premièrement, que, à la date de l’adoption de cette décision, Condor ne faisait pas partie d’un groupe. En effet, l’actionnaire unique de Condor à cette époque, SG Luftfahrt GmbH (ci-après « SGL »), n’était qu’une société fiduciaire créée uniquement pour détenir les actions de Condor dans l’attente de leur vente à un investisseur, étant précisé que SGL ne détenait pas de participations dans d’autres entreprises et qu’elle était privée, par contrat, de la plupart des droits typiques d’un actionnaire. Il s’ensuivrait, selon la Commission, que la société faîtière de SGL et de Condor, Noerr & Stiefenhofer, ne pouvait pas exercer des droits pertinents sur Condor par l’intermédiaire de SGL, de sorte que Condor ne pouvait pas non plus être considérée comme faisant partie du groupe Noerr & Stiefenhofer. Dès lors, les difficultés de Condor ne résultaient pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein d’un hypothétique groupe plus large. Deuxièmement, la Commission a constaté que l’ancienne société mère de Condor, Thomas Cook, était insolvable et soumise à une procédure de liquidation, de sorte qu’elle ne pouvait pas non plus résoudre les difficultés de Condor. En outre, les difficultés de Condor ne résulteraient pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein de Thomas Cook.

42      La requérante ne conteste pas que, à la date de l’adoption de la décision attaquée, Condor ne faisait pas partie d’un groupe constitué par SGL ou Noerr & Stiefenhofer et que, à cette date, l’ensemble des actions de Condor ayant été transféré à SGL, Condor ne faisait plus partie de Thomas Cook.

43      En revanche, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir examiné si Attestor Ltd, un fonds d’investissement, qui était, au moment de l’adoption de la décision attaquée, en train de racheter Condor, un acte notarié portant sur un tel projet d’achat ayant été adopté le 20 mai 2021, c’est-à-dire à peu près deux mois avant l’adoption de la décision attaquée, constituait un groupe de sociétés et si Condor était donc « reprise » par un tel groupe, au sens du point 22 des lignes directrices S&R.

44      À cet égard, il ressort des paragraphes 35, 74, 76 et 126 de la décision attaquée, sans que cela soit contesté par la requérante, que, comme l’indique la Commission, le rachat de Condor par Attestor était conditionné à l’octroi de la mesure en cause et était donc de facto suspendu jusqu’à l’autorisation de celle-ci. En outre, la requérante n’a présenté aucun élément de preuve ou indice susceptible de démontrer que, en l’absence de la mesure en cause, Attestor aurait tout de même racheté Condor.

45      Dans ces circonstances, l’annulation partielle des dettes de Condor envers l’État allemand, laquelle fait l’objet de la mesure en cause, doit s’analyser, en substance, comme étant un élément négatif intégré au prix à payer par Attestor pour l’acquisition de Condor, ce prix reflétant nécessairement le montant des dettes de Condor annulées à la suite de l’adoption de la mesure en cause et qui ne devront donc plus faire l’objet d’un remboursement.

46      Le Tribunal a déjà eu l’occasion, dans des circonstances similaires, de juger que, en principe, lorsqu’un groupe de sociétés n’est disposé à acheter une société qu’à la condition que celle-ci reçoive une aide d’État afin d’améliorer sa situation financière, de sorte que ladite aide pourrait s’analyser comme étant un élément négatif intégré au prix payé par le groupe pour l’acquisition de ladite entreprise, cette entreprise ne saurait être considérée comme étant en voie d’être reprise par ce groupe, au sens du point 22 des lignes directrices S&R (voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission, T‑511/09, EU:T:2015:284, points 130, 158 et 161 à 163).

47      En effet, l’un des principes posés par le point 22 des lignes directrices S&R est l’interdiction, pour une entreprise en difficulté qui fait partie d’un groupe, de bénéficier d’une aide à la restructuration, dès lors que ses difficultés ne lui sont pas spécifiques et résultent d’une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe ou que le groupe a les moyens de résoudre ces difficultés par lui-même. L’objectif de cette interdiction est donc d’empêcher un groupe d’entreprises de faire supporter à l’État le coût d’un plan de restructuration d’une des entreprises qui le composent, lorsque cette entreprise est en difficulté et que le groupe est lui-même à l’origine de ces difficultés ou qu’il a les moyens de faire face seul à celles-ci (voir, par analogie, arrêt du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission, T‑511/09, EU:T:2015:284, point 159).

48      Dans ce contexte, l’objectif de l’extension de l’interdiction du bénéfice des aides à la restructuration aux entreprises en difficulté qui sont en voie d’être « reprises » par un groupe est d’éviter qu’un groupe d’entreprises ne contourne cette interdiction en profitant du fait qu’une entreprise qu’il est en train de racheter ne lui appartienne pas encore formellement au moment du versement de l’aide à la restructuration en faveur de l’entreprise rachetée (arrêt du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission, T‑511/09, EU:T:2015:284, point 160).

49      Toutefois, une telle situation ne saurait être assimilée à celle de la présente espèce, dans laquelle le rachat de Condor par Attestor est conditionné par l’octroi de la mesure en cause, de sorte que cette dernière constitue, en substance, un élément négatif intégré au prix à payer par cette dernière pour l’acquisition de Condor (voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission, T‑511/09, EU:T:2015:284, point 161).

50      Toute interprétation contraire aurait pour conséquence de considérer qu’une entreprise en difficulté n’est pas éligible à une aide à la restructuration en raison des ressources à la disposition d’un groupe de sociétés projetant de la racheter, alors même que, en l’absence de l’aide, elle ne serait pas reprise par ce groupe et n’aurait aucun accès aux ressources de ce dernier.

51      L’argument de la requérante visant à remettre en cause la pertinence de l’arrêt du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission (T‑511/09, EU:T:2015:284), au motif que, dans l’affaire ayant donné lieu à celui-ci, le prix d’achat correspondait au prix du marché, à la différence de la présente affaire, ne peut qu’être rejeté. En effet, il suffit de noter que l’offre d’Attestor a été retenue à l’issue d’une procédure d’appel d’offres et que la requérante n’a présenté aucun élément de preuve ou indice susceptible de démontrer que le prix issu de cette procédure ne correspondait pas au prix du marché.

52      Partant, il y a lieu de conclure que la requérante n’a pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la question de savoir si le bénéficiaire faisait partie d’un groupe ou était repris par un groupe au sens du point 22 des lignes directrices S&R.

53      Dès lors, la Commission pouvait conclure, sans éprouver des doutes, que la situation de Condor ne relevait pas du champ d’application de l’interdiction prévue audit point 22 des lignes directrices S&R.

54      Par conséquent, il y a lieu de conclure, sans qu’il y ait besoin d’examiner les arguments de la requérante relatifs aux conditions prévues au point 22 des lignes directrices S&R permettant de lever cette interdiction, qu’elle n’a pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à l’éligibilité de Condor au bénéfice de l’aide.

 Sur le deuxième indice, relatif à la contribution de la mesure en cause à un objectif d’intérêt commun

55      La requérante soutient, en substance, que la Commission a violé le point 44 des lignes directrices S&R en ce qu’elle n’a pas démontré que la mesure en cause contribuait à un objectif d’intérêt commun. En particulier, elle fait valoir, d’une part, que le service fourni par Condor ne saurait être qualifié d’« important » et, d’autre part, qu’il n’était pas un service « compliqué de reproduire » ni un service qu’un concurrent « pourrait difficilement assurer à la place du bénéficiaire », au sens du point 44, sous b), des lignes directrices S&R.

56      La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et Condor, conteste les arguments de la requérante.

57      Il ressort du point 43 des lignes directrices S&R que, pour être déclarée compatible avec le marché intérieur, une mesure d’aide d’État doit poursuivre un objectif d’intérêt commun. Selon ce même point, cette exigence se traduit par la condition selon laquelle une telle mesure doit avoir « pour objet d’éviter des difficultés sociales ou de remédier à la défaillance du marché ». Aux termes du point 44 de ces lignes directrices, les États membres doivent démontrer que la défaillance du bénéficiaire serait susceptible d’entraîner de graves difficultés sociales ou une importante défaillance du marché. La teneur de cette exigence se rattache ainsi à la condition prévue à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, selon laquelle la mesure d’aide doit être destinée à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques [arrêt du 18 mai 2022, Ryanair/Commission (Condor ; aide au sauvetage), T‑577/20, EU:T:2022:301, point 68].

58      Pour satisfaire à cette exigence, les États membres peuvent montrer, en particulier, conformément au point 44, sous b), des lignes directrices S&R, qu’« il existe un risque d’interruption d’un service important qu’il est compliqué de reproduire et qu’un concurrent (par exemple un fournisseur national d’infrastructures) pourrait difficilement assurer à la place du bénéficiaire ».

59      En l’espèce, aux paragraphes 92 à 102 de la décision attaquée, la Commission a conclu que la mesure en cause était conforme aux conditions prévues au point 44, sous b), des lignes directrices S&R.

60      En premier lieu, la requérante soutient que le service fourni par Condor ne saurait être qualifié d’« important », au sens du point 44, sous b), des lignes directrices S&R au motif, en substance, qu’il s’agit d’un service de transport aérien charter et de loisirs.

61      À cet égard, il convient de constater que les lignes directrices S&R ne comportent pas de définition de la notion de « service important ». Néanmoins, il ressort d’une interprétation d’ensemble du point 44 de celles-ci que, pour qu’un service soit considéré comme « important », au sens du point 44, sous b), des lignes directrices S&R, il n’est pas exigé que l’entreprise qui fournit ce service joue un rôle systémique essentiel dans une région ou un secteur particulier, ni qu’elle soit chargée d’un service d’intérêt économique général (SIEG), ces deux dernières hypothèses étant couvertes respectivement par le point 44, sous c) et d), desdites lignes directrices [voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2022, Ryanair/Commission (Condor ; aide au sauvetage), T‑577/20, EU:T:2022:301, points 74 et 75].

62      En outre, le simple fait que le point 44, sous b), des lignes directrices S&R fasse référence « par exemple » à « un fournisseur national d’infrastructures » ne signifie aucunement que le champ d’application de ce point est limité aux services ayant une importance à l’échelle nationale [arrêt du 18 mai 2022, Ryanair/Commission (Condor ; aide au sauvetage), T‑577/20, EU:T:2022:301, point 76].

63      De même, un service peut être considéré comme « important » au sens du point 44, sous b), des lignes directrices S&R même lorsque la taille du marché en cause est relativement limitée [voir arrêt du 29 mars 2023, Wizz Air Hungary/Commission (Blue Air ; COVID-19 et aide au sauvetage), T‑142/21, EU:T:2023:164, point 79 et jurisprudence citée].

64      Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que Condor jouait un rôle important en tant qu’intermédiaire et « consolidateur » sur le marché allemand des voyages de loisirs, en raison, en substance, des spécificités de ses services, fournis à environ 11 000 voyagistes et agences de voyages indépendants, dont beaucoup étaient des petites et des moyennes entreprises (PME). En particulier, selon la décision attaquée, Condor consolidait la demande des petits voyagistes pour des vols vers des destinations de niche, y compris vers un nombre significatif de destinations faisant l’objet de vols long-courriers, et leur offrait une flexibilité du plan des vols à court terme, son système de réservation exclusif leur permettant notamment de s’adapter à l’évolution de la demande. Ainsi, selon la décision attaquée, Condor donnait accès aux vols de loisirs à plusieurs milliers d’agences de voyages qui ne possédaient pas de licence de l’Association du transport aérien international (IATA), par l’intermédiaire de plusieurs interfaces que les autres compagnies aériennes n’offraient pas, étant précisé que, en l’absence de ces interfaces, lesdites agences auraient dû faire face à des frais supplémentaires.

65      En outre, selon la Commission, Condor a acquis une expertise considérable en matière d’ouverture et de développement de destinations touristiques et a développé des capacités techniques en ce qui concerne la consolidation de la demande et les réservations et les horaires de vol flexibles, par l’intermédiaire de programmes et de processus informatiques propres et personnalisés qu’elle avait développés en interne. À cet égard, elle a relevé que, dans le cadre de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision sur l’aide au sauvetage, plusieurs voyagistes avaient déclaré qu’ils dépendaient des services de Condor pour une partie de leurs activités et qu’ils subiraient des pertes importantes en l’absence de ces services.

66      Il découle de ces éléments que la Commission pouvait considérer, à juste titre, que le service fourni par Condor constituait un « service important », au sens du point 44, sous b), des lignes directrices S&R.

67      Premièrement, la requérante soutient que l’industrie du transport aérien charter était en déclin et que cela n’avait pourtant ni entraîné des insuffisances de capacités ni porté préjudice aux consommateurs, ce qui montrerait que le service fourni par les compagnies aériennes charters ne saurait être considéré comme important. Toutefois, cette circonstance, à la supposer établie, est d’ordre général et ne concerne pas les services spécifiques fournis par Condor. Ainsi, elle ne remet pas en cause le fait que Condor fournissait un service important à environ 11 000 voyagistes et agences de voyages indépendants.

68      Selon la requérante, c’est sans doute en raison de la mauvaise performance de l’industrie du transport aérien charter que, dans le tableau no 8 de la décision attaquée, la Commission a comparé la performance de Condor, aux fins de l’examen de son retour à la viabilité, à celle de plusieurs compagnies offrant des vols réguliers et non charters, et cela en dépit du fait que Condor soit une compagnie aérienne charter. Toutefois, l’argument de la requérante est dénué de pertinence, dans la mesure où les données figurant dans ledit tableau ont pour objet de comparer la performance des compagnies aériennes avant la pandémie de COVID-19 aux fins de l’examen du retour à la viabilité de Condor, et non la question de savoir si le service fourni par celle-ci était un « service important », au sens du point 44, sous b), des lignes directrices S&R.

69      Deuxièmement, la requérante soutient que le service fourni par Condor n’est pas « important », car celle-ci n’occupait que la treizième place sur « le marché allemand de la connectivité aérienne » en décembre 2021, avec une part de marché de 1,43 %. Pourtant, à supposer que ces données soient correctes, il convient de constater que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas conclu que Condor fournissait un service important pour la connectivité de l’Allemagne en général, mais uniquement qu’elle jouait un rôle important sur un marché de niche, à savoir celui du transport aérien de loisirs, notamment en ce qui concerne les services fournis aux voyagistes et aux agences de voyages indépendants. De surcroît, il convient de relever que cette donnée se rapporte à une période gravement touchée par les effets néfastes de la pandémie de COVID-19, surtout en ce qui concerne le secteur des voyages de loisirs, lequel avait été pratiquement anéanti par ladite pandémie, ce qui pourrait expliquer, dans une large mesure, les données avancées par la requérante. En revanche, comme l’admet cette dernière, en 2019, soit avant l’éclatement de ladite pandémie, Condor était la quatrième compagnie aérienne la plus importante en Allemagne.

70      Troisièmement, contrairement à ce que soutient la requérante dans la réplique, l’existence d’un large éventail de canaux de réservation de billets d’avion ne remet pas en cause les spécificités du système informatique de Condor, telles que décrites dans la décision attaquée. En effet, la requérante n’a pas démontré que ces canaux de réservation offraient, aux voyagistes et aux agences de voyages indépendants, des fonctionnalités et des avantages comparables à ceux offerts par le système informatique de Condor. En particulier, elle n’a pas démontré que, à l’instar du système informatique de Condor, ces canaux de réservation permettaient à des milliers de voyagistes et d’agences de voyages indépendants d’accéder simultanément aux réservations de charters et de s’adapter à l’évolution de la demande en bénéficiant de la flexibilité du plan des vols à court terme offerte par Condor.

71      Quatrièmement, la requérante conteste la valeur probante des lettres des voyagistes mentionnées au paragraphe 95 de la décision attaquée, dans lesquelles ces derniers ont déclaré qu’ils dépendaient des services de Condor pour une partie de leurs activités et qu’ils subiraient des pertes importantes en l’absence de ces services. Elle relève que la teneur et la structure de ces lettres est très similaire, voire identique, ce qui, selon elle, démontre que la production de celles-ci a été coordonnée par Condor.

72      À cet égard, il convient de relever que, selon une jurisprudence constante, l’activité de la Cour et du Tribunal est régie par le principe de libre appréciation des preuves et le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. Pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue, tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration et de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir arrêt du 5 mai 2021, ITD et Danske Fragtmænd/Commission, T‑561/18, EU:T:2021:240, point 120 et jurisprudence citée).

73      Il ressort desdites lettres, dont certaines ont été versées au dossier, notamment, que les voyagistes étaient préoccupés par les difficultés de Condor, que cette dernière était une compagnie aérienne importante pour les voyagistes actifs sur le marché allemand et que la sortie de celle-ci du marché aurait des effets négatifs pour eux. Dans la mesure où ces lettres émanent d’opérateurs économiques non liés à Condor et où leur contenu est concordant, sensé et fiable, il n’y a pas lieu de remettre en cause leur valeur probante.

74      De même, le fait qu’une déclaration ait été formulée à la suite de la demande d’une partie et que celle-ci ait éventuellement coordonné sa préparation n’infirme pas, en soi, son contenu et sa valeur probante, étant donné que, en l’absence de preuve contraire, il y lieu de présumer que le signataire de la déclaration l’a signée de son plein gré et en assume le contenu [voir, en ce sens, arrêt du 19 octobre 2022, Louis Vuitton Malletier/EUIPO – Wisniewski (Représentation d’un motif à damier II), T‑275/21, non publié, EU:T:2022:654, point 106 et jurisprudence citée].

75      De surcroît, dans la décision attaquée, la Commission a relevé que la sortie de Condor du marché aurait eu des effets négatifs sur son réseau d’environ 5 000 à 6 000 fournisseurs et sur ses environ 4 000 salariés. Contrairement à ce que soutient la requérante, ces motifs de la décision attaquée examinent la situation spécifique de Condor dans le contexte économique spécifique du secteur concerné et ne sont donc pas trop généraux.

76      À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la requérante n’a pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la question de savoir si le service fourni par Condor constituait un « service important », au sens du point 44, sous b), des lignes directrices S&R.

77      En second lieu, la requérante fait valoir que le service fourni par Condor n’est ni un service « compliqué de reproduire » ni un service qu’un concurrent « pourrait difficilement assurer à la place du bénéficiaire », au sens du point 44, sous b), des lignes directrices S&R.

78      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément au point 44, paragraphe b), des lignes directrices S&R, les États membres doivent démontrer qu’il existe un « risque » d’interruption d’un service important qu’il est « compliqué » de reproduire et qu’un concurrent pourrait « difficilement » assurer à la place du bénéficiaire.

79      Il s’ensuit que l’État membre concerné n’est pas tenu de démontrer que, en l’absence de la mesure d’aide, certaines conséquences négatives se produiraient nécessairement du fait de la défaillance du bénéficiaire de l’aide, mais uniquement qu’elles risquent de se produire [arrêt du 4 mai 2022, Wizz Air Hungary/Commission (TAROM ; aide au sauvetage), T‑718/20, EU:T:2022:276, point 40]. Ledit État membre n’est donc pas tenu de démontrer que, à la suite de la défaillance hypothétique du bénéficiaire de l’aide, il serait impossible pour ses concurrents de reproduire et d’assurer le service fourni par celui-ci, mais seulement qu’il serait compliqué ou difficile de le faire.

80      Dans la décision attaquée, la Commission a considéré qu’il était peu probable que les concurrents de Condor soient à la fois disposés et capables de développer, dans un délai raisonnable, l’expertise, les réseaux et la technologie requise pour assumer le rôle d’intermédiaire et de « consolidateur » de Condor pour environ 11 000 voyagistes et agences de voyages indépendants sur le marché allemand des voyages de loisirs. Elle a précisé que, pour reproduire les services de Condor, les concurrents devraient développer l’expertise nécessaire, le réseau de destinations et de points de contact ainsi que les systèmes et processus informatiques, ce qui prendrait un temps considérable.

81      La Commission a ajouté que la technologie nécessaire pour exploiter les interfaces offertes par Condor à ses clients avait été largement développée par celle-ci et ne pouvait pas être reproduite à court ou à moyen terme et que la sortie du marché de Condor entraînerait la perte de connaissances techniques et d’expertise dont la reproduction exigerait du temps et des investissements. En outre, elle a précisé qu’il était peu probable que les concurrents puissent reproduire les services de Condor sur ses vols long-courriers de loisirs et obtenir ainsi un taux de remplissage suffisant pour les exploiter de manière rentable et que, même si certaines liaisons individuelles de Condor pouvaient être attrayantes pour un concurrent donné, rien n’indiquait qu’un tel concurrent serait disposé à développer un système de coopération avec les voyagistes et les agences de voyages ou à reprendre l’ensemble des services de Condor.

82      La requérante soutient, premièrement, que d’autres compagnies aériennes pourraient reproduire une grande partie des services de Condor dans le cas d’une défaillance de cette dernière. En attesterait le fait que d’autres compagnies aériennes agrégeraient la demande des voyagistes et des agences de voyages pour l’organisation de vols charters, qu’une partie importante des lignes desservies par Condor se chevaucherait avec celles desservies par Lufthansa et que TUIfly, en tant que compagnie aérienne charter, concurrencerait Condor sur plusieurs lignes au départ de l’Allemagne.

83      Toutefois, le seul fait qu’une autre compagnie aérienne desserve une partie des lignes aériennes desservies par Condor ou qu’elle agrège la demande des voyagistes et des agences de voyages n’est pas susceptible de démontrer que le service de Condor serait facilement reproduit par un concurrent en cas de défaillance de cette dernière. En effet, pour considérer que les conditions prévues au point 44, sous b), des lignes directrices S&R étaient remplies, la Commission s’est fondée sur une combinaison de facteurs qui distinguaient les services fournis par Condor de ceux des autres compagnies aériennes et qui rendaient difficile et compliquée leur reproduction à court et à moyen terme, à savoir notamment des horaires et des plans de vols flexibles à court terme, des systèmes de réservation informatique propres et personnalisés développés en interne permettant aux voyagistes et aux agences de voyages d’accéder à des vols par l’intermédiaire de plusieurs interfaces, une grande expertise et des connaissances techniques, un grand réseau de destinations et de points de contact, y compris un grand nombre de destinations de niche et de vols long-courriers au départ de l’Allemagne, la flotte et les créneaux appartenant à Condor.

84      S’agissant, en particulier, de la possibilité, avancée par la requérante, que TUIfly assume les services fournis par Condor dans le cas d’une défaillance de cette dernière, il suffit de relever, à l’instar de la Commission, et ainsi qu’il ressort de la note en bas de page no 12 de la décision attaquée, que, à la différence de Condor, laquelle fournissait des services aux voyagistes et aux agences de voyages indépendants, TUIfly n’offrait ses services qu’aux voyagistes faisant partie du groupe TUI. Or, la requérante n’a présenté aucun élément de preuve ou indice susceptible de démontrer que, dans l’hypothèse où Condor devait sortir du marché, TUIfly aurait été disposée à fournir ses services également aux voyagistes et aux agences de voyages indépendants.

85      Deuxièmement, la requérante fait valoir, en substance, que la Commission aurait dû examiner, en outre, si des compagnies aériennes établies hors d’Allemagne telles que Jet2 ou LOT, ou plusieurs compagnies aériennes à la fois, pouvaient reproduire et assurer le service fourni par Condor. Toutefois, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 83 et 84 ci-dessus, cet argument ne saurait prospérer.

86      Troisièmement, la requérante invoque plusieurs exemples de faillites de compagnies aériennes lesquelles, selon elle, n’avaient eu aucun impact sur les services de transport aérien, en raison du fait que leurs activités auraient été reprises par d’autres compagnies aériennes. Or, là encore, la requérante se limite à des affirmations générales, sans démontrer que les services fournis par ces compagnies aériennes étaient comparables à ceux de Condor et que, dès lors, ceux-ci auraient pu être facilement reproduits en cas d’une défaillance de cette dernière.

87      Quatrièmement, la requérante fait valoir que, si Condor avait été mise en liquidation, ses actifs, tels que sa technologie, auraient pu être rachetés par d’autres compagnies aériennes. Toutefois, l’éventuelle reprise de tel ou tel actif lors d’une éventuelle liquidation de Condor ne garantit en rien que l’ensemble des facettes des services fournis par cette dernière serait facilement reproduit à court ou à moyen terme.

88      Cinquièmement, la requérante reproche à la Commission d’avoir examiné la question de savoir s’il était compliqué de reproduire le service fourni par le bénéficiaire à court ou à moyen terme. Selon la requérante, cette question doit être analysée dans une perspective à long terme lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, d’une aide à la restructuration, à la différence des aides au sauvetage, lesquelles s’inscrivent dans une perspective à court terme.

89      Cet argument doit être écarté, car il repose sur une prémisse erronée. S’il est certes vrai qu’il existe une différence sur le plan temporel entre les aides au sauvetage, dont la durée est plafonnée à six mois, et les aides à la restructuration, lesquelles s’étalent sur une période plus longue, cette différence est dépourvue de pertinence aux fins de l’application du point 44, sous b), des lignes directrices S&R. En effet, pour analyser s’il est compliqué de reproduire un service et si un concurrent pourrait « difficilement » l’assurer à la place du bénéficiaire, la Commission doit tenir compte des caractéristiques du marché en cause et non de la durée pendant laquelle l’aide en cause serait appliquée. En l’espèce, s’agissant d’un marché essentiellement saisonnier, tel que le marché des voyages de loisirs, et d’une clientèle constituée majoritairement de voyagistes et d’agences de voyages indépendants, dont des PME, qui ne supporteraient pas de longues perturbations du marché, d’autant plus qu’elles avaient déjà été elles-mêmes gravement touchées par la pandémie de COVID-19, la Commission pouvait, à juste titre, effectuer son analyse sur la base d’une perspective à court et à moyen terme.

90      Sixièmement, la requérante fait valoir que, en concluant qu’il était improbable que des concurrents de Condor puissent reproduire les services fournis par celle-ci à court ou à moyen terme, la Commission a méconnu la chute considérable, en 2022 par rapport à 2019, de la demande de vols touristiques long-courriers due à la pandémie de COVID‑19. De ce fait, selon la requérante, la demande des voyagistes et des agences de voyages serait beaucoup plus faible, de sorte que les concurrents de Condor disposeraient de plus de temps pour reprendre les services de cette dernière.

91      Or, il ressort du paragraphe 43 de la décision attaquée que, au moment de l’adoption de cette décision, il était prévu que les indicateurs clés concernant la performance du secteur du transport aérien en général, y compris notamment les prévisions du nombre de passagers, atteindraient leurs niveaux de 2019 en 2023 ou 2024 environ, étant précisé que la reprise des services de vols touristiques, tels que ceux fournis par Condor, serait encore plus rapide. En outre, il convient de relever que, pour les raisons exposées au point 89 ci-dessus, la Commission pouvait, à juste titre, effectuer son analyse de la possibilité de reproduire et d’assurer les services fournis par Condor sur la base d’une perspective à court et à moyen terme.

92      À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la requérante n’a pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la question de savoir si, en cas de défaillance du bénéficiaire, il serait compliqué de reproduire son service et si un concurrent pouvait difficilement l’assurer à sa place, au sens du point 44, sous b), des lignes directrices S&R.

93      Partant, il convient de rejeter dans son ensemble le deuxième indice, relatif à la contribution de la mesure en cause à un objectif d’intérêt commun.

 Sur le troisième indice, tiré de ce que la Commission n’a pas établi la nécessité de l’intervention de l’État et son effet incitatif

94      La requérante soutient, en substance, que la Commission n’a pas démontré que la mesure en cause était nécessaire et avait un effet incitatif, en méconnaissance des points 8, 53 et 59 ainsi que de l’annexe II, second alinéa, point 3, des lignes directrices S&R.

95      La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et Condor, conteste les arguments de la requérante.

96      Selon la jurisprudence, afin qu’une aide puisse bénéficier d’une des dérogations prévues à l’article 107, paragraphe 3, TFUE, elle doit non seulement être conforme à l’un des objectifs visés par l’article 107, paragraphe 3, sous a), b), c) ou d), TFUE, mais elle doit également être nécessaire pour atteindre ces objectifs. Cette aide doit, en effet, inciter le bénéficiaire à adopter un comportement de nature à contribuer à la réalisation desdits objectifs (voir arrêt du 13 décembre 2017, Grèce/Commission, T‑314/15, non publié, EU:T:2017:903, point 180 et jurisprudence citée). Ainsi, dans le contexte de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, l’aide projetée doit, pour être compatible avec le marché intérieur, revêtir un effet d’incitation et être ainsi nécessaire pour « faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques » (voir arrêt du 13 décembre 2017, Grèce/Commission, T‑314/15, non publié, EU:T:2017:903, point 182 et jurisprudence citée).

97      En revanche, une aide qui apporte une amélioration de la situation financière de l’entreprise bénéficiaire sans être nécessaire pour atteindre les buts prévus à l’article 107, paragraphe 3, TFUE ne saurait être considérée comme compatible avec le marché intérieur. À cet égard, il a été jugé que la constatation du défaut de nécessité d’une aide pouvait notamment découler du fait que le projet aidé avait déjà été entamé, voire achevé, par l’entreprise intéressée avant que la demande d’aide ne soit transmise aux autorités compétentes, ce qui excluait que l’aide concernée puisse jouer un rôle incitatif (voir arrêt du 13 décembre 2017, Grèce/Commission, T‑314/15, non publié, EU:T:2017:903, point 181 et jurisprudence citée).

98      Aux termes du point 8 des lignes directrices S&R, une entreprise ne devrait pouvoir bénéficier d’une aide à la restructuration qu’une fois toutes les options offertes par le marché épuisées et à condition que cette aide soit indispensable pour atteindre un objectif d’intérêt commun bien défini. En outre, il ressort du point 53 et de l’annexe II, second alinéa, point 3, desdites lignes directrices que l’État membre concerné doit fournir, à titre de comparaison, un autre scénario crédible ne contenant aucun élément d’aide d’État et démontrer que l’objectif visé par l’aide ne serait pas atteint ou le serait dans une moindre mesure dans le cadre de cet autre scénario, étant précisé qu’un tel scénario peut, par exemple, prévoir le réaménagement de la dette, la cession d’actifs, le recours à des capitaux privés, la vente à un concurrent ou le démantèlement dans chaque cas soit par l’engagement d’une procédure d’insolvabilité ou d’assainissement, soit d’une autre manière. Enfin, selon le point 59 des lignes directrices S&R, les États membres qui ont l’intention d’octroyer une aide à la restructuration doivent démontrer que, en l’absence d’aide, le bénéficiaire aurait été restructuré, vendu ou liquidé de sorte que l’objectif visé par l’aide n’aurait pas été atteint, étant précisé que cette démonstration peut faire partie de l’analyse présentée conformément au point 53 des lignes directrices S&R.

99      En l’espèce, en premier lieu, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir examiné si l’objectif de la mesure en cause pouvait être atteint dans un autre scénario crédible ne comportant pas d’élément d’aide d’État, en méconnaissance des points 53 et 59 et de l’annexe II, second alinéa, point 3, des lignes directrices S&R.

100    Dans la décision attaquée, la Commission a considéré en substance que, en l’absence de la mesure en cause, le seul scénario crédible était celui d’une liquidation de Condor et que, dans un tel scénario, les objectifs de la mesure en cause ne pouvaient pas être atteints ou, à tout le moins, ne pouvaient l’être que dans une moindre mesure. À cet égard, au paragraphe 66 de la décision attaquée, la Commission a rappelé l’appréciation des autorités allemandes selon laquelle, en l’absence de la mesure en cause, l’accord d’achat de Condor par Attestor n’aurait pas été signé, Condor se serait rapidement retrouvée dans une situation de pénurie de liquidités et sa licence d’exploitation aurait été suspendue, puis retirée, ce qui aurait conduit à sa liquidation ainsi qu’au non-remboursement des prêts COVID-19 de 2020, à la perte de plus de 4 000 emplois et à une réduction de la concurrence sur le marché allemand des voyages de loisirs. Au paragraphe 33 de la décision attaquée, la Commission a expliqué que, dans le cadre de la procédure d’insolvabilité de Condor, laquelle avait été ouverte par le tribunal compétent en matière d’insolvabilité le 1er décembre 2019, puis close le 30 novembre 2020, le comité des créanciers de celle-ci avait eu la possibilité de choisir entre la liquidation de Condor ou une annulation partielle de ses dettes, la majorité des créanciers ayant choisi la seconde option. Enfin, dans la section 3.3.1 de la décision attaquée, notamment aux paragraphes 98, 100 et 101 de celle-ci, la Commission a expliqué en substance que si Condor avait fait l’objet d’une liquidation et était sortie du marché, les objectifs de la mesure en cause, consistant en substance à contribuer au développement de l’activité économique du transport aérien de loisirs en prévenant une importante défaillance du marché, n’auraient pas pu être atteints.

101    Il ressort du point 53 des lignes directrices S&R qu’un des scénarios crédibles ne contenant aucun élément d’aide d’État que les États membres peuvent fournir, à titre de comparaison, est précisément celui du « démantèlement » du bénéficiaire « par l’engagement d’une procédure d’insolvabilité ». Le point 59 desdites lignes directrices fait référence, quant à lui, au scénario alternatif d’une liquidation du bénéficiaire.

102    La Commission ayant fondé son analyse précisément sur un tel scénario alternatif, ainsi qu’il ressort du point 100 ci-dessus, l’argument de la requérante ne peut qu’être rejeté.

103    La requérante soutient en outre que l’affirmation figurant au paragraphe 66 de la décision attaquée, selon laquelle, en l’absence de la mesure en cause, les prêts COVID-19 de 2020 n’auraient pas été remboursés, fait abstraction des garanties qui seraient destinées à assurer le remboursement desdits prêts. Toutefois, la requérante n’a pas identifié les garanties dont il s’agissait, mais s’est limitée à renvoyer à la décision sur l’aide au sauvetage, laquelle fait référence à des garanties fournies par Condor liées à un prêt différent. En tout état de cause, le fait, à le supposer même établi, que, dans un scénario alternatif impliquant la liquidation de Condor, les prêts COVID-19 de 2020 pourraient être remboursés grâce auxdites garanties ne signifie pas que l’objectif de la mesure en cause, consistant en substance à contribuer au développement de l’activité économique du transport aérien de loisirs en prévenant une importante défaillance du marché, aurait été atteint. En effet, et indépendamment d’un tel remboursement, ledit scénario alternatif aurait pour conséquence que le rachat de Condor par un nouvel investisseur aurait échoué, que la licence d’exploitation de Condor aurait été vraisemblablement suspendue, voire ultérieurement retirée, que plus de 4 000 emplois auraient été mis en péril et que la concurrence sur le marché allemand des voyages de loisirs aurait été réduite.

104    La requérante critique également l’affirmation, figurant aux paragraphes 66 et 100 de la décision attaquée, selon laquelle, en l’absence de la mesure en cause, plus de 4 000 emplois auraient été mis en péril, en soutenant que, pendant la pandémie de COVID-19, beaucoup d’emplois dans le secteur auraient été tout de même perdus et que, en cas de liquidation de Condor, les concurrents de celle-ci auraient embauché au moins une partie de ses anciens employés. Toutefois, les arguments de la requérante attestent eux-mêmes de la situation précaire des employés dans le secteur du transport aérien pendant la pandémie de COVID-19 et n’ôtent en rien la pertinence de l’appréciation de la Commission quant aux effets néfastes d’une éventuelle faillite de Condor sur le plan social. En tout état de cause, la perspective d’embauche des employés de Condor par d’autres transporteurs aériens, dans le scénario alternatif d’une liquidation de Condor, paraît spéculative dans le contexte d’un marché gravement atteint par ladite pandémie, laquelle a causé, de l’aveu même de la requérante, la perte de nombreux emplois dans le secteur.

105    Enfin, dans la réplique, la requérante reproche à la Commission d’avoir examiné de manière conjointe, dans la section 3.3.1 de la décision attaquée, l’existence de difficultés sociales ou d’une défaillance du marché et le caractère incitatif de la mesure en cause, alors qu’il s’agit de deux conditions distinctes au titre des lignes directrices S&R, à savoir, d’une part, celle concernant la contribution de la mesure en cause à un objectif d’intérêt commun, visée aux points 43 à 52 desdites lignes directrices, et, d’autre part, celle concernant l’effet incitatif de ladite mesure, visée au point 59 de ces lignes directrices.

106    Pourtant, le seul fait que, sur le plan formel, ces conditions aient été examinées conjointement dans la même section de la décision attaquée n’est pas de nature à démontrer que la Commission les ait confondues.

107    En second lieu, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir démontré que Condor n’avait pas la capacité d’accéder à des sources alternatives de financement sur le marché, en l’absence d’aide d’État, par exemple en obtenant des prêts, à tout le moins pour financer une partie de ses besoins de liquidités, en méconnaissance du point 8 des lignes directrices S&R.

108    À cet égard, il convient de relever que Condor se trouvait dans une situation économique et financière particulière à la date de l’adoption de la décision attaquée en raison, notamment, de son appartenance à Thomas Cook jusqu’à la faillite de ce dernier en septembre 2019 et des modalités de financement qu’elle avait utilisées lorsqu’elle faisait partie de celui-ci.

109    En effet, ainsi qu’il ressort des paragraphes 19 et 107 de la décision attaquée, ainsi que de l’arrêt du 18 mai 2022, Ryanair/Commission (Condor ; aide au sauvetage) (T‑577/20, EU:T:2022:301, points 51 et 52), lorsque Condor faisait partie de Thomas Cook, elle participait au système de mise en commun de la trésorerie de ce groupe, lequel permettait aux différentes sociétés du groupe, y compris Condor, d’obtenir des prêts intragroupes, en cas de besoin de liquidités, et de déposer des fonds dans ladite trésorerie commune, en cas d’excédent de liquidités, et ce en contrepartie d’une créance sur cette trésorerie assortie d’intérêts. Ce système permettait ainsi à Condor d’obtenir des liquidités intragroupes lorsqu’elle en avait besoin, au lieu de devoir obtenir du financement sur les marchés de capitaux. Par conséquent, elle n’avait pas un profil de risque qui lui était propre.

110    Comme il ressort des paragraphes 19 et 107, ainsi que de la note en bas de page no 17 de la décision attaquée, la faillite de Thomas Cook a eu des effets néfastes sur Condor pour plusieurs raisons. Tout d’abord, au moment de ladite faillite, Condor avait des créances importantes à l’égard de la trésorerie du groupe qui n’étaient plus exécutoires et qu’elle a dû annuler. Ensuite, à la suite de cette faillite, Condor ne pouvait plus obtenir un financement intragroupe. Enfin, Condor était solidairement responsable de certaines dettes de Thomas Cook. Par conséquent, le tribunal compétent en matière d’insolvabilité a ouvert la procédure d’insolvabilité de Condor. Dans ces circonstances, et en l’absence d’un propre profil de risque indépendant, la Commission pouvait considérer, sans éprouver des doutes, que Condor ne pouvait pas obtenir facilement de financement sur les marchés de capitaux.

111    Les arguments de la requérante ne remettent pas en cause ce qui précède.

112    Premièrement, la requérante soutient que Condor aurait pu obtenir un financement sur le marché sans aide d’État, compte tenu notamment du fait qu’elle avait bénéficié de l’aide COVID-19 de 2020 et qu’elle était une entreprise intrinsèquement viable.

113    Toutefois, d’une part, il convient de relever que l’aide COVID-19 de 2020 visait à remédier à une partie des dommages subis par Condor en raison de l’imposition de restrictions de voyage liées à la pandémie de COVID-19, au titre de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, et non à fournir à celle-ci les liquidités nécessaires pour faire face à ses difficultés financières préexistantes liées à la faillite de Thomas Cook. Il s’ensuit que le fait que Condor avait reçu l’aide COVID-19 de 2020 n’est pas de nature à démontrer qu’elle aurait pu, grâce à cette aide, obtenir un financement supplémentaire sur les marchés financiers.

114    D’autre part, il est certes vrai que, selon la décision attaquée, Condor était une entreprise intrinsèquement viable. Toutefois, compte tenu des circonstances particulières relevées aux points 108 à 110 ci-dessus, examinées, de surcroît, dans un contexte marqué par la pandémie de COVID-19, laquelle avait affecté particulièrement le secteur aérien, le fait que Condor était une entreprise intrinsèquement viable ne suffit pas non plus pour démontrer qu’elle aurait pu obtenir un financement sur les marchés financiers.

115    Deuxièmement, contrairement à ce qu’affirme la requérante, l’affirmation figurant au paragraphe 107 de la décision attaquée, selon laquelle Condor ne disposait d’aucun financement bancaire propre et n’était pas en mesure de financer ses besoins de liquidités sur le marché parce qu’elle avait toujours bénéficié d’un financement intragroupe, n’est pas trop générale, mais, au contraire, est spécifique à la situation économique et financière de Condor. En outre, si la requérante soutient que Condor aurait pu fournir des garanties en échange de financement, son argument n’est aucunement étayé. En particulier, la requérante n’avance aucun indice susceptible de démontrer que Condor aurait pu offrir de telles garanties et que, grâce à elles, elle aurait pu obtenir une partie non négligeable de ses besoins de financement sur les marchés financiers.

116    De même, contrairement à ce que soutient la requérante, il n’existe aucune contradiction entre l’affirmation figurant dans la note en bas de page no 17 de la décision attaquée, selon laquelle Condor ne pouvait pas lever des fonds sur les marchés de capitaux parce qu’elle n’avait pas son propre profil de risque indépendant, et celle figurant au paragraphe 20 de la décision attaquée, selon laquelle le principal élément du plan d’insolvabilité de Condor était le découplement opérationnel et financier de celle-ci à l’égard de Thomas Cook. En effet, la première reflète le fait que, suivant la faillite de Thomas Cook, Condor n’avait pas son propre profil de risque indépendant et, par conséquent, ne pouvait pas obtenir de financement sur le marché, alors que la seconde se rapporte au fait que, une fois que Condor était devenue insolvable quelques mois plus tard, elle avait mis en œuvre un plan d’insolvabilité visant son découplement à l’égard de Thomas Cook.

117    Troisièmement, la requérante fait valoir que plusieurs autres compagnies aériennes ont pu obtenir un financement sur le marché sans aide d’État, telles que easyJet, American Airlines, Hawaiian Airlines, Azul Airlines et Gol Airlines. En outre, elle renvoie à une décision de la Commission selon laquelle, pendant la pandémie de COVID-19, certaines compagnies aériennes, notamment IAG, Finnair et Air France, auraient bénéficié d’investissements publics et privés simultanés. Dans la réplique, la requérante invoque quelques exemples de compagnies aériennes qui auraient réussi à lever des fonds sur les marchés en dépit du fait qu’elles étaient insolvables, à savoir Delta Airlines en 2007, LATAM Airlines en 2020 et Norwegian Air en 2021.

118    Il suffit de relever à cet égard, à l’instar de la Commission, que la requérante n’a pas démontré que ces compagnies aériennes se trouvaient dans une situation économique et financière comparable à celle, très particulière, de Condor, décrite aux points 108 à 110 ci-dessus, de sorte que cet argument ne saurait prospérer.

119    Il s’ensuit que la requérante n’a pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes en ce qui concerne la question de savoir si Condor pouvait accéder à des sources alternatives de financement sur le marché sans aide d’État.

120    À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la requérante n’a pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la nécessité de l’intervention de l’État et à son effet incitatif.

 Sur le quatrième indice, tiré de ce que la Commission n’a pas établi que le plan de restructuration était réaliste, cohérent, de grande envergure et susceptible de rétablir la viabilité à long terme de Condor

121    La requérante soutient, en substance, que la Commission n’a pas établi que le plan de restructuration était réaliste, cohérent, de grande envergure et susceptible de rétablir la viabilité à long terme de Condor, en méconnaissance des points 45, 47, 48 et 50 à 52 ainsi que de l’annexe II, second alinéa, point 9, des lignes directrices S&R.

122    La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et Condor, conteste les arguments de la requérante.

123    Conformément aux points 45, 47, 48 et 50 à 52 ainsi qu’à l’annexe II, second alinéa, point 9, des lignes directrices S&R, une aide à la restructuration doit s’attaquer aux causes des pertes subies par le bénéficiaire. À cette fin, l’État membre concerné présente un plan de restructuration réaliste, cohérent et de grande envergure destiné à rétablir la viabilité à long terme dudit bénéficiaire dans un délai raisonnable. Ce plan doit être fondé sur des hypothèses réalistes excluant toute nouvelle aide d’État, décrire les causes des difficultés du bénéficiaire et expliquer comment les mesures de restructuration proposées remédieront aux problèmes fondamentaux de celui-ci. Le retour à la viabilité du bénéficiaire doit résulter principalement de mesures internes impliquant notamment l’abandon des activités qui resteraient structurellement déficitaires à moyen terme et doit être démontré tant dans un scénario de base que dans un scénario pessimiste. Une entreprise est considérée comme viable à long terme lorsqu’elle est en mesure d’obtenir un rendement approprié du capital investi après avoir couvert la totalité de ses coûts.

124    Dans la décision attaquée, la Commission a décrit le plan de restructuration de Condor et a expliqué les raisons pour lesquelles, selon elle, celui-ci était conforme aux exigences précitées des lignes directrices S&R.

125    Premièrement, la Commission a expliqué que ledit plan était fondé sur trois éléments principaux, à savoir des gains de coûts et d’efficacité grâce à la rationalisation et au renouvellement de la flotte du bénéficiaire, une restructuration financière et capitalistique par le biais de financements privés de la part d’Attestor et de la renégociation des prêts COVID-19 de 2020 ainsi qu’une stabilisation organisationnelle par l’entrée dans le capital de Condor d’un partenaire stratégique. Deuxièmement, dans la section 2.4.1 de la décision attaquée, intitulée « Restructuration opérationnelle et organisationnelle », elle a relevé en particulier que, dans le cadre dudit plan, Condor avait lancé un programme de rationalisation, d’optimisation commerciale et d’amélioration de la productivité, afin de réduire les coûts d’exploitation ainsi que de maintenir et d’améliorer sa rentabilité, et elle a décrit les gains de coûts et de productivité engendrés par ledit plan. Troisièmement, dans la section 2.4.2 de la décision attaquée, intitulée « Restructuration capitalistique et financière et financement du plan de restructuration », elle a relevé, en particulier, que les coûts de la restructuration seraient financés en partie par des ressources propres et en partie par un financement public et elle a décrit ces sources de financement. Quatrièmement, dans la section 2.4.3 de la décision attaquée, intitulée « Trajectoire opérationnelle et financière de la restructuration et retour à la viabilité », elle a décrit les principales hypothèses sur lesquelles était fondé le plan de restructuration et elle a examiné le retour à la viabilité de Condor. Cinquièmement, dans la section 3.3.1.2 de la décision attaquée, intitulée « Plan de restructuration et retour à la viabilité à long terme », elle a expliqué les raisons pour lesquelles elle avait considéré que ce plan était réaliste, cohérent et de grande envergure et donc susceptible de rétablir la viabilité à long terme de Condor sans recourir à de nouvelles aides d’État dans un délai raisonnable.

126    La requérante invoque cinq indices pour démontrer que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la question de savoir si le plan de restructuration de Condor était réaliste, cohérent, de grande envergure et susceptible de rétablir sa viabilité à long terme.

–       Sur l’indice tiré de ce que la Commission n’a pas établi de distinction entre l’indemnisation des dommages causés par la pandémie de COVID19 et l’aide à la restructuration

127    La requérante soutient que Condor n’avait pas besoin d’une restructuration. En réalité, selon la requérante, la Commission aurait adopté la décision attaquée afin de permettre à Condor de conserver l’excédent de la compensation dont elle avait bénéficié au titre de la décision sur l’aide COVID-19 de 2020 et qu’elle ne devait plus rembourser, grâce à la mesure en cause. Ainsi, la Commission n’aurait pas établi de distinction entre l’indemnisation des dommages causés par la pandémie de COVID‑19 et l’aide à la restructuration.

128    Premièrement, quant à l’argument de la requérante selon lequel Condor ne nécessitait pas de restructuration, car elle était une entreprise intrinsèquement viable, il est vrai que, selon la décision attaquée, les difficultés de Condor avaient été causées par la faillite de Thomas Cook et n’étaient donc pas inhérentes à son modèle d’entreprise. Toutefois, cela ne signifie pas qu’elle n’avait pas besoin d’une restructuration. En effet, d’une part, la requérante n’explique pas pourquoi les mesures de restructuration opérationnelle et organisationnelle ainsi que de restructuration capitalistique et financière, visées au point 125 ci-dessus, n’étaient pas nécessaires. D’autre part, ni les lignes directrices S&R ni la jurisprudence ne font obstacle à ce qu’une entreprise qui apparaît, en tant que telle, intrinsèquement viable, mais dont les difficultés économiques dérivent de la faillite de sa société mère, laquelle a contaminé l’état financier de l’ensemble des sociétés faisant partie du groupe, puisse bénéficier d’une aide à la restructuration.

129    En outre, il convient de relever que les mesures figurant dans le plan de restructuration visaient bel et bien à faire face aux difficultés de Condor causées par la faillite de sa société mère. En effet, comme il a été relevé au point 110 ci-dessus, la faillite de Thomas Cook a eu pour conséquence l’annulation des créances détenues par Condor à l’égard de la trésorerie du groupe. De surcroît, à la suite de ladite faillite, Condor est devenue solidairement responsable de certaines dettes de Thomas Cook. De même, du fait que, par le passé, Condor se finançait par le biais du système de mise en commun de la trésorerie de Thomas Cook et n’avait pas un propre profil de risque indépendant, la faillite de Thomas Cook a suscité des difficultés pour obtenir un financement ailleurs pour Condor. Or, ainsi qu’il ressort des paragraphes 25, 29 à 32 et 46 de la décision attaquée, le plan de restructuration devait permettre à Condor d’obtenir le financement dont elle avait besoin, d’atténuer progressivement les effets néfastes de la faillite de Thomas Cook sur ses fonds propres et d’atteindre une indépendance structurelle.

130    Il convient également de rejeter l’affirmation de la requérante selon laquelle la mesure en cause ne constitue qu’un soutien en liquidité additionnel permettant à Condor de faire face à la pandémie de COVID-19. En effet, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, les difficultés de Condor auxquelles la mesure en cause vise à remédier avaient pour origine la faillite de Thomas Cook et précédaient donc ladite pandémie.

131    Deuxièmement, contrairement à ce que soutient la requérante, lorsque la Commission a calculé le montant total de la mesure en cause, elle a effectué une séparation claire entre l’indemnisation des dommages causés par la pandémie de COVID‑19 et l’aide à la restructuration.

132    En effet, il ressort de la décision attaquée que le montant total de la mesure en cause s’élevait à 321,18 millions d’euros, à savoir 300,98 millions d’euros correspondant au premier volet de la mesure en cause, consistant en la modification des conditions des prêts COVID-19 de 2020 et en l’annulation partielle des dettes résultant de ces prêts, et 20,2 millions d’euros correspondant au second volet de celle-ci, consistant en l’annulation de dettes correspondant aux intérêts que Condor devait rembourser à la suite de la décision sur l’aide COVID-19 de 2020 modifiée. Le montant correspondant au premier volet de cette mesure était, à son tour, calculé en déduisant du montant nominal total des prêts COVID-19 de 2020, à savoir 550 millions d’euros, un montant de 249,02 millions d’euros correspondant au montant total des dommages subis par Condor en raison de l’imposition de restrictions de voyage liées à la pandémie de COVID-19 pendant les périodes concernées par la décision sur l’aide COVID-19 de 2020 modifiée et par la décision sur l’aide COVID-19 de 2021.

133    Il s’ensuit que, comme il ressort du paragraphe 131 de la décision attaquée, une partie des prêts COVID-19 de 2020 a servi à couvrir des coûts exceptionnels que Condor avait subis dans le cadre de la pandémie de COVID-19 et qui ne constituent donc pas des coûts de restructuration inclus dans le plan de restructuration, tandis que la restructuration a été financée par la partie restante de ces prêts, à laquelle a été ajouté le montant correspondant au second volet de la mesure en cause.

134    Troisièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la mesure en cause a été accordée plutôt dans le but de permettre à Condor de conserver l’excédent de la compensation autorisée dans la décision sur l’aide COVID-19 de 2020 et d’empêcher ainsi sa récupération, il convient de relever ce qui suit.

135    Dans la décision sur l’aide COVID-19 de 2020 modifiée, la Commission a conclu, en effet, que Condor avait bénéficié d’une surcompensation en vertu de la décision sur l’aide COVID-19 de 2020, d’un montant de 91,745 millions d’euros assorti d’intérêts, montant que Condor était, dès lors, obligée de rembourser. La mesure en cause consiste, quant à elle, notamment, en l’annulation partielle des dettes de Condor résultant des prêts COVID-19 de 2020, d’un montant de 90 millions d’euros, ainsi qu’en l’annulation des dettes correspondantes aux intérêts que Condor devait rembourser pour l’avantage qu’elle avait obtenu au titre de ladite surcompensation.

136    Toutefois, le lien entre cette surcompensation et la mesure en cause, lequel est d’ailleurs mis en évidence dans la décision attaquée elle-même, n’est pas susceptible de démontrer que la mesure en cause poursuit un but différent de celui annoncé dans la décision attaquée, à savoir soutenir la restructuration de Condor dans l’objectif de prévenir une importante défaillance du marché.

137    En effet, d’une part, il convient de rappeler que, selon le point 58 des lignes directrices S&R, les États membres sont libres de choisir la forme que prend l’aide à la restructuration et que, ainsi qu’il ressort du point 65 desdites lignes directrices, le soutien de l’État, dans le cadre d’une restructuration, peut consister en une annulation de dettes. À cet égard, il importe de rappeler que les difficultés de Condor causées par la faillite de Thomas Cook précédaient la pandémie de COVID-19 et étaient indépendantes de celle-ci. Ce sont ces difficultés qui ont justifié l’octroi, en octobre 2019, de l’aide d’État SA.55394 (2019/N) au sauvetage en faveur de Condor. Ce sont toujours ces mêmes difficultés qui ont conduit à l’adoption d’un plan de restructuration que Condor avait commencé à mettre en œuvre dès octobre 2019 (paragraphe 25 de la décision attaquée), c’est-à-dire avant la survenance de ladite pandémie. Ainsi, les difficultés préexistantes de Condor n’ont été qu’aggravées ultérieurement par les restrictions de voyage imposées à la suite de cette pandémie. L’ensemble des prêts COVID-19 de 2020 constituaient ainsi des dettes nouvellement contractées par Condor dans un contexte de difficultés préexistantes ayant donné lieu à un plan de restructuration dont la mise en œuvre avait été déjà entamée. En conséquence, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’État allemand pouvait légitimement décider d’annuler une partie de ses créances dans le cadre dudit plan de restructuration.

138    D’autre part, à supposer que l’argument de la requérante doive être compris comme reprochant à la Commission d’avoir commis un détournement de pouvoir, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles dont il est excipé ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt du 4 décembre 2013, Commission/Conseil, C‑121/10, EU:C:2013:784, point 81 et jurisprudence citée). Or, au regard des circonstances particulières de l’espèce décrites au point 137 ci-dessus, il n’est pas établi que la décision attaquée est entachée d’un détournement de pouvoir.

139    Quatrièmement, la requérante fait référence au communiqué de presse publié par la Commission suivant l’adoption de la décision attaquée et fait valoir que celui-ci aurait « ajout[é] à la confusion » en ce que les montants des différentes aides dont a bénéficié Condor indiqués dans ce communiqué ne correspondaient pas à ceux indiqués dans la décision attaquée. Toutefois, la requérante ne prétend pas que la décision attaquée est elle-même entachée de telles incohérences. Dans ces circonstances, une éventuelle discordance entre les informations contenues dans un communiqué de presse et celles figurant dans la décision attaquée ne saurait constituer un motif d’annulation de cette dernière.

140    Enfin, lors de l’audience, la requérante a fait valoir que, aux fins de calculer le montant total de l’aide à la restructuration, la Commission n’aurait pas dû déduire du montant nominal total des prêts COVID-19 de 2020 le montant total des dommages subis par Condor en raison de l’imposition de restrictions de voyage liées à la pandémie de COVID-19, à savoir 249,02 millions d’euros, mais plutôt le montant total de l’aide accordée à Condor en vertu de la décision sur l’aide COVID-19 de 2020 modifiée et de la décision sur l’aide COVID-19 de 2021, à savoir 204,1 millions d’euros. Ainsi, selon elle, un montant d’environ 45 millions d’euros a été mis à la disposition de Condor par l’octroi des prêts COVID-19 de 2020, sans que celui-ci soit autorisé ni en vertu de la décision attaquée, ni en vertu de la décision sur l’aide COVID-19 de 2020 modifiée ou de la décision sur l’aide COVID-19 de 2021.

141    Il convient toutefois de constater que cet argument a été présenté pour la première fois lors de l’audience et qu’il ne constitue pas, contrairement à ce qu’allègue la requérante, une ampliation de son argument rappelé au point 139 ci-dessus. En effet, par ce dernier argument, la requérante s’est limitée à soulever de prétendues contradictions entre le communiqué de presse et la décision attaquée, alors que, par son argument soulevé pour la première fois lors de l’audience, elle a soutenu qu’un certain montant d’aide aurait été mis à disposition de Condor sans qu’il soit autorisé par la Commission. Dès lors, la requérante n’ayant présenté aucune justification pour la présentation tardive de cet argument, il doit être rejeté comme irrecevable (voir, en ce sens, arrêts du 16 septembre 2020, BP/FRA, C‑669/19 P, non publié, EU:C:2020:713, point 15, et du 27 septembre 2012, Ballast Nedam Infra/Commission, T‑362/06, EU:T:2012:492, point 137).

142    Partant, la requérante n’a pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la distinction entre l’indemnisation des dommages causés par les restrictions de voyages liées à la pandémie de COVID‑19 et l’aide à la restructuration.

–       Sur l’indice tiré de ce que le plan de restructuration de Condor n’était pas « de grande envergure »

143    La requérante soutient que le plan de restructuration de Condor n’était pas « de grande envergure », au sens du point 45 des lignes directrices S&R.

144    Il ressort d’une lecture conjointe des paragraphes 26, 28 et 112 de la décision attaquée que le plan de restructuration prévoyait notamment des gains de coût et de productivité en raison d’une réduction du personnel, d’une réduction des coûts du personnel, par le biais d’ajustements de conventions collectives, de primes de gestion et de salaires, et de certains paiements supplémentaires, du déménagement des bureaux dans un endroit moins cher, d’une renégociation des contrats des fournisseurs, d’un ajustement des contrats de location d’aéronefs et d’un renouvellement de la flotte vieillissante de Condor. La Commission a estimé qu’il s’agissait d’un ensemble de mesures sérieuses et cohérentes, qui se renforçaient mutuellement, amélioraient l’efficacité de la prestation de services par Condor et rationalisaient sa base de coûts, et que le renouvellement de la flotte de Condor en combinaison avec un programme de mesures ambitieux en ce qui concernait le personnel, les contrats et la restructuration des procédés renforcerait la compétitivité de celle-ci. Au paragraphe 124 de la décision attaquée, la Commission a conclu que le plan de restructuration de Condor était « de grande envergure ».

145    Premièrement, la requérante fait valoir que l’absence, dans le plan de restructuration, de mesures concernant la réduction de la flotte ou du nombre de lignes aériennes desservies par Condor ou d’autres ajustements structurels démontre que ledit plan n’était pas « de grande envergure ».

146    À cet égard, il convient de relever que, en l’absence de définition légale de la notion « de grande envergure », figurant dans les lignes directrices S&R, celle-ci doit être comprise dans son sens habituel, comme faisant référence non au type de mesures adoptées dans le cadre d’un plan de restructuration, mais à l’importance et à la portée de telles mesures. Cette interprétation ressort de plusieurs versions linguistiques du point 45 des lignes directrices S&R, dont les versions anglaise (far-reaching), allemande (weitreichenden), espagnole (de amplio alcance), bulgare (mаshtаbеn), hongroise (messze nyúló) et néerlandaise (ingrijpend). Il s’ensuit que, comme le soutient à juste titre la Commission, pour qu’un plan de restructuration soit considéré comme étant « de grande envergure », au sens des lignes directrices S&R, rien n’exige qu’un tel plan prévoie nécessairement un certain type de mesures. Partant, le seul fait que le plan de restructuration de Condor ne prévoit pas la réduction du nombre des lignes aériennes desservies ou d’« autres ajustements structurels » ne permet pas de conclure que celui-ci n’est pas « de grande envergure ».

147    En outre, comme le relève à juste titre la Commission, il ressort notamment des paragraphes 145 et 148 de la décision attaquée que le plan de restructuration de Condor prévoyait déjà, notamment, une réduction de la taille de la flotte de celle-ci ainsi qu’une réduction de sa capacité en termes de nombre d’aéronefs et de sièges disponibles, de sorte que l’argument de la requérante selon lequel le plan de restructuration ne prévoyait pas ce type de mesures manque en fait.

148    Deuxièmement, il y a lieu d’écarter l’argument de la requérante selon lequel une comparaison entre le plan de restructuration de Condor et ceux adoptés dans d’autres affaires ayant récemment fait l’objet de décisions de la Commission confirmerait que le premier n’était pas « de grande envergure », dans la mesure où la requérante n’a présenté aucun élément de preuve ou indice susceptible de démontrer que les compagnies aériennes visées dans ces affaires se trouvaient dans une situation économique et financière comparable à celle de Condor.

149    Troisièmement, dans la réplique, la requérante fait valoir en substance que la Commission a appliqué les exigences relatives aux aides à la restructuration, alors que Condor n’avait pas besoin d’une restructuration. Or, cet argument est fondé sur une prémisse déjà rejetée aux points 128 à 130 ci-dessus, auxquels il est renvoyé.

150    Partant, la requérante n’a pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes sur la question de savoir si le plan de restructuration de Condor était « de grande envergure » au sens du point 45 des lignes directrices S&R.

–       Sur l’indice tiré de ce que la Commission n’a pas vérifié si la mesure en cause était limitée au minimum nécessaire

151    La requérante soutient que la Commission n’a pas vérifié  si l’aide à la restructuration de Condor était limitée au minimum nécessaire, comme l’exige le point 61 des lignes directrices S&R, aux termes duquel le montant et l’intensité des aides à la restructuration doivent être limités au strict minimum nécessaire pour permettre la réalisation de la restructuration en fonction des disponibilités financières du bénéficiaire, de ses actionnaires ou du groupe auquel il appartient.

152    Premièrement, la requérante fait valoir que la décision attaquée ne précise pas comment l’aide serait répartie entre les différentes mesures adoptées dans le cadre du plan de restructuration. Toutefois, ce seul fait ne saurait suffire, en l’absence d’autres indices, pour démontrer que ladite aide n’était pas limitée au minimum nécessaire.

153    Deuxièmement, la requérante conteste le caractère nécessaire et incitatif de la mesure en cause au motif que, à la date de l’adoption de la décision attaquée, Condor avait déjà mis en œuvre certaines des mesures figurant dans le plan de restructuration. En particulier, s’appuyant sur un article de presse produit en annexe à la requête, elle relève que, en janvier 2020, c’est-à-dire environ une année et demie avant la notification de la mesure en cause, Condor avait conclu un accord avec son personnel navigant visant à supprimer certains postes.

154    À cet égard, il suffit de constater que, comme l’a expliqué la Commission lors de l’audience, sans que cela soit contesté par la requérante, les coûts liés à la suppression des postes mentionnée dans ledit article de presse n’ont pas été couverts par l’aide à la restructuration accordée à Condor. Partant, le fait que ces réductions de personnel aient été mises en œuvre avant l’adoption de la décision attaquée ne saurait avoir suscité des doutes de la part de la Commission quant à la question de savoir si la mesure en cause était limitée au minimum nécessaire et avait un effet incitatif.

155    Troisièmement, la requérante fait valoir que le renouvellement de la flotte de Condor, prévu dans le plan de restructuration, démontre que la mesure en cause n’était pas limitée au minimum nécessaire, compte tenu du fait que la Commission n’a examiné ni le coût ni les économies résultant dudit renouvellement.

156    À cet égard, tout d’abord, il ressort de la décision attaquée, contrairement à ce que relève la requérante, et nonobstant l’expurgation de certaines données de la version publique de celle-ci en raison de leur caractère confidentiel, que la Commission a bel et bien examiné tant les coûts du renouvellement de la flotte de Condor (voir notamment tableau 4 au paragraphe 45, tableau 11 au paragraphe 55 et tableaux 14 et 16 au paragraphe 62 de ladite décision) que les économies qui en résultaient (voir notamment paragraphe 28 de ladite décision).

157    Ensuite, en s’appuyant sur des informations provenant d’un site Internet produites dans l’annexe C.5 de la réplique, la requérante fait valoir que seuls certains aéronefs de la flotte de Condor utilisés sur les vols long-courriers étaient vieillissants, alors que la « majorité » de ceux-ci avait un âge moyen comparable à celui de la flotte d’Air France et d’Enter Air, de sorte que la mesure en cause n’était pas limitée au minimum nécessaire.

158    Dans la décision attaquée, la Commission a considéré en substance que la flotte de Condor, notamment ses aéronefs long-courriers, était vieillissante, de sorte que le renouvellement de celle-ci lui permettrait de réduire sa consommation de carburant et partant ses coûts, ce qui était nécessaire pour rétablir sa viabilité à long terme. La Commission a précisé, au paragraphe 112 de la décision attaquée, que le renouvellement « complet » de la flotte vieillissante pour les vols long-courriers de Condor, conjointement avec d’autres mesures, renforcerait la compétitivité de Condor.

159    À cet égard, il ressort des informations présentées par la requérante, d’une part, que l’âge moyen de la flotte de Condor était de 19,3 ans, alors que celui de la flotte d’Air France était de 14,2 ans et celui de la flotte d’Enter Air était de 18 ans. D’autre part, s’agissant de la flotte pour les vols long-courriers de Condor, il y a lieu de relever que, selon le paragraphe 28 de la décision attaquée, celle-ci était composée d’aéronefs Boeing 767, dont l’âge moyen était de 27 ans selon l’annexe C.5 de la réplique. Dans ces circonstances, la requérante n’a pas démontré que la flotte de Condor, ou une partie de celle-ci, n’était pas vieillissante ou qu’elle ne devait pas faire l’objet d’un renouvellement.

160    En outre, il convient de rejeter l’argument de la requérante selon lequel ledit renouvellement démontrerait que Condor poursuivait une expansion agressive. En effet, il ressort de la décision attaquée que le renouvellement de la flotte de Condor visait à remplacer les aéronefs existants par de nouveaux aéronefs, et non à augmenter le nombre total d’aéronefs constituant la flotte de celle-ci. Au contraire, le plan de restructuration prévoit une réduction de la flotte de Condor (voir point 147 ci-dessus). Dans ces circonstances, la requérante n’a pas démontré que cette mesure entraînerait une expansion commerciale de Condor.

161    Partant, la requérante n’a pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes relatifs à la question de savoir si la mesure en cause était limitée au minimum nécessaire.

–       Sur l’indice tiré de ce que la Commission n’a pas démontré que les résultats financiers prévisionnels de Condor étaient plausibles

162    La requérante soutient que la Commission n’a pas démontré que les résultats financiers prévisionnels sous-tendant le plan de restructuration de Condor étaient plausibles.

163    Dans la décision attaquée, la Commission a examiné le retour à la viabilité de Condor en se fondant notamment sur des prévisions concernant ses résultats (profit and loss), son bilan (balance sheet), ses fonds propres (equity), sa rentabilité (profitability) et ses flux de trésorerie (cash flows).

164    En premier lieu, la requérante reproche à la Commission d’avoir pris en compte, lorsqu’elle a examiné si Condor pouvait s’attendre à retrouver une viabilité financière, un groupe de pairs de référence comprenant des compagnies aériennes proposant des vols commerciaux réguliers, plutôt que des compagnies charters. Selon elle, compte tenu des mauvais résultats de ces dernières en Europe, l’inclusion de compagnies proposant des vols commerciaux réguliers dans ce groupe de pairs indiquerait que les rendements de Condor seraient supérieurs à ceux de ses concurrents dans le secteur des vols charters.

165    À cet égard, il suffit de constater, à l’instar de la Commission, que l’allégation de la requérante selon laquelle les résultats financiers des compagnies aériennes charters en Europe auraient été pires que ceux d’autres compagnies aériennes n’est pas suffisamment étayée. En effet, en l’absence de données comparant les résultats financiers de ces deux catégories de compagnies aériennes en Europe, le fait, invoqué par la requérante, que certaines compagnies aériennes charters auraient cessé leurs activités ou reçu des aides d’État et que le modèle économique des compagnies aériennes charters présenterait des défis en raison de l’essor des compagnies aériennes à bas coûts et des agents de voyage en ligne ne saurait suffire pour étayer une telle démonstration.

166    En deuxième lieu, la requérante reproche à la Commission de s’être fondée, au paragraphe 49 et au tableau 7 de la décision attaquée, afin de comparer le rendement des capitaux propres (return on equity, ci-après le « ROE ») moyen de Condor avec celui de ses concurrents, sur une estimation du ROE d’un échantillon de quinze compagnies aériennes qui serait faussée, car cet échantillon inclurait des compagnies aériennes américaines. Selon la requérante, ces dernières n’auraient pas dû être incluses dans l’échantillon au motif qu’elles opéraient sur des marchés « très différents » et qu’elles affichaient des bénéfices plus élevés que ceux des compagnies aériennes européennes. À l’appui de son argument, la requérante renvoie à une publication de la société McKinsey parue sur son site Internet le 31 mars 2022 et produite en annexe à la réplique.

167    Toutefois, d’une part, ainsi que le relève la Commission, la requérante ne saurait tirer argument d’une publication parue postérieurement à la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Scott, C‑290/07 P, EU:C:2010:480, point 91 et jurisprudence citée). D’autre part, et en tout état de cause, le seul fait, à le supposer avéré, que les compagnies aériennes américaines aient dégagé des bénéfices plus élevés que ceux de leurs concurrents européens ne signifie pas que la performance de ces premières serait dépourvue de toute pertinence aux fins de déterminer le niveau du ROE moyen des compagnies aériennes en général. En outre, la requérante n’explique pas les différences entre les marchés du transport aérien américain et européen qui justifieraient l’exclusion des compagnies aériennes américaines dudit échantillon.

168    En troisième lieu, l’affirmation de la requérante selon laquelle la Commission n’a produit aucun élément de preuve démontrant que les prévisions et les hypothèses sous-tendant le plan de restructuration de Condor étaient plausibles et solides doit être rejetée. En effet, comme le relève la Commission, dans la décision attaquée, elle a examiné tant la plausibilité des prévisions opérationnelles de Condor sous-tendant le plan de restructuration que les calculs économiques et financiers relatifs aux prévisions de rendement du capital et s’est fondée à la fois sur l’évolution générale du marché et sur les résultats de Condor, y compris en comparaison avec ses pairs. À cette fin, la Commission s’est fondée sur plusieurs rapports et études d’experts indépendants, clairement identifiés dans la note de bas de page no 26 et au paragraphe 43 de la décision attaquée. Or, la requérante n’a pas allégué, et encore moins démontré, que les informations et les prévisions sous-tendant le plan de restructuration étaient erronées.

169    En quatrième lieu, la requérante soutient en substance que, dans le cadre de son examen du retour à la viabilité de Condor, la Commission n’a pas tenu compte des changements structurels attendus dans le secteur de l’aviation à la suite de la pandémie de COVID-19, notamment de la réduction de la rentabilité des compagnies aériennes. Elle renvoie, à cet égard également, à la publication citée au point 166 ci-dessus.

170    À cet égard, comme le relève à juste titre la Commission, son analyse était fondée sur des prévisions de différents indicateurs clés des performances des compagnies aériennes, établies par des experts indépendants, selon lesquelles lesdits indicateurs devaient retrouver leurs niveaux d’avant la pandémie de COVID-19 vers 2023 au plus tôt. Or, la requérante n’a présenté aucun élément de preuve ou indice susceptible de démontrer que, à la date de l’adoption de la décision attaquée, la Commission aurait dû éprouver des doutes en ce qui concernait la fiabilité de ces prévisions. Sur ce point, la requérante ne saurait non plus tirer argument de la publication citée au point 166 ci-dessus pour le motif exposé au point 167 ci-dessus.

171    En cinquième lieu, la requérante relève que l’affirmation figurant au paragraphe 115 de la décision attaquée, selon laquelle, après la fin de la période de restructuration et une fois que le marché se sera rétabli à la suite de la pandémie de COVID-19, Condor aura une marge de bénéfices avant intérêts et impôts (EBIT) supérieure à celle du groupe de référence recensé dans le tableau 8 de la décision attaquée en ce qui concerne l’année 2019, démontre que la mesure en cause n’était pas limitée au minimum nécessaire, car elle permettrait à Condor d’obtenir une rentabilité supérieure à celle de ses concurrents.

172    Au paragraphe 115 de la décision attaquée, la Commission a considéré que la profitabilité escomptée de Condor vers la fin de la période de restructuration, à savoir en septembre 2023, en particulier sa marge d’EBIT, ne serait pas inférieure à celle d’un échantillon de compagnies aériennes avant la pandémie de COVID-19. Ce n’est qu’après la fin de la période de restructuration et après que le marché aurait complètement repris, et dans une perspective temporelle s’étendant jusqu’en 2026, que la profitabilité escomptée de Condor dépasserait, selon la Commission, celle issue dudit échantillon. À cet égard, la Commission a précisé que le développement prévisionnel positif des bénéfices nets augmenterait davantage en 2024, lorsque le marché des voyages de loisir aurait repris, mais qu’elle ne permettrait à Condor d’atteindre une valeur positive de ses capitaux propres (book equity) qu’après 2026.

173    Il en découle que, à la fin de la période de restructuration, la profitabilité escomptée de Condor sera, en réalité, comparable à celle de ces concurrents, mais ne la dépassera pas. En outre, les prévisions relatives à la performance de Condor après la fin de la période de restructuration ne sont pas pertinentes. En effet, la période de restructuration constitue la seule période de référence pour l’assujettissement de la République fédérale d’Allemagne et de Condor à la plupart des conditions d’autorisation de l’aide (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission, T‑371/94 et T‑394/94, EU:T:1998:140, point 184).

174    Lors de l’audience, la requérante a critiqué également les paragraphes 120 et 123 de la décision attaquée, en avançant des arguments analogues à ceux résumés au point 171 et rejetés aux points 172 et 173 ci-dessus. Ainsi, à supposer même que ces arguments, soulevés pour la première fois lors de l’audience, soient recevables, il convient de les rejeter pour les mêmes motifs. En effet, aux paragraphes 120 et 123 de la décision attaquée, la Commission a, toujours dans le contexte de son analyse de la profitabilité escomptée de Condor, comparé celle-ci, cette fois mesurée en termes de rentabilité des actifs (return on assets) et de rentabilité des capitaux engagés (return on capital employed, ci-après le « ROCE »), avec la rentabilité des actifs et le ROCE de ses pairs avant la pandémie de COVID-19, en concluant que, s’agissant du premier indicateur, celui de Condor serait au-dessus de celui de ses pairs en 2023 et, s’agissant du second indicateur, celui de Condor serait, dans un scénario pessimiste, comparable à celui de ses pairs, la Commission se plaçant toujours dans une perspective temporelle allant jusqu’en 2026.

175    Partant, au vu de l’ensemble de considérations qui précèdent, il convient de conclure que la requérante n’a pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la plausibilité des résultats financiers prévisionnels de Condor.

–       Sur l’indice tiré de ce que la Commission n’a pas démontré que le plan de restructuration de Condor lui permettrait de retrouver sa viabilité

176    La requérante soutient que la Commission n’a pas démontré que le plan de restructuration permettrait à Condor de retrouver sa viabilité dans le cadre d’un scénario pessimiste adéquat.

177    Dans la section 2.4.3 de la décision attaquée, intitulée « Trajectoire opérationnelle et financière de la restructuration et retour à la viabilité », la Commission a examiné le retour à la viabilité de Condor tant dans un scénario de base que dans un scénario pessimiste. Ensuite, aux paragraphes 122 et 123 de la décision attaquée, elle a conclu que le scénario pessimiste des projections financières défini dans le plan de restructuration était adéquat et crédible et que, dans un tel scénario, les résultats de Condor resteraient solides et durables et ne compromettraient pas son retour à la viabilité.

178    À cet égard, premièrement, il convient de rejeter l’argument de la requérante selon lequel les hypothèses du scénario pessimiste ne sont pas énoncées de manière suffisamment claire ou détaillée dans la décision attaquée. En effet, au paragraphe 55 de ladite décision, la Commission a clairement expliqué les hypothèses du scénario pessimiste, lesquelles incluaient des considérations liées à une hausse des coûts de Condor au-delà du scénario de base et à une baisse des recettes de celle-ci en deçà de ce scénario. En particulier, elle a expliqué que ledit scénario visait à examiner l’impact sur les résultats et le bilan de Condor dans le cas où, d’une part, les prix du carburant devaient augmenter davantage en raison d’une hausse des prix des quotas d’émission et des crédits compensatoires et où, d’autre part, la croissance de la rentabilité par passager, laquelle est calculée en divisant le chiffre d’affaires par le volume total de passagers, devait également être affectée de manière négative par une concurrence accrue.

179    Deuxièmement, la requérante soutient en substance que le scénario pessimiste examiné par la Commission avait une portée trop limitée en ce qu’il n’analysait pas des hypothèses alternatives concernant le nombre de passagers après la pandémie de COVID-19 ou les coûts du personnel, des nouveaux aéronefs et de maintenance.

180    Il est certes vrai que, dans le cadre du scénario pessimiste, la Commission s’est limitée à examiner l’impact sur les résultats et le bilan de Condor d’une variation des deux éléments visés au point 178 ci-dessus, à savoir le prix du carburant et la rentabilité par passager.

181    Toutefois, d’une part, en examinant une hypothèse pessimiste en ce qui concernait la rentabilité par passager, la Commission a, ne serait-ce qu’indirectement, tenu compte de certaines des hypothèses alternatives avancées par la requérante, telle que celle concernant le nombre de passagers.

182    D’autre part, la requérante n’a présenté aucun élément de preuve ou indice susceptible de démontrer que les coûts de Condor liés au personnel, aux nouveaux aéronefs ou à la maintenance pouvaient vraisemblablement évoluer de façon négative, de sorte que la Commission devait prendre en compte de façon ciblée également de telles hypothèses alternatives.

183    Partant, la requérante n’a pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la question de savoir si le plan de restructuration permettrait à Condor de retrouver sa viabilité dans le cadre d’un scénario pessimiste adéquat.

–       Conclusion sur le quatrième indice

184    À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la requérante n’a pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la question de savoir si le plan de restructuration de Condor était réaliste, cohérent, de grande envergure et susceptible de rétablir sa viabilité à long terme.

 Sur le cinquième indice, tiré de ce que la Commission n’a pas établi le caractère approprié de la mesure en cause

185    La requérante soutient en substance que la Commission n’a pas démontré que la mesure en cause était appropriée pour atteindre l’objectif visé, en méconnaissance des points 54 et 58 des lignes directrices S&R.

186    La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et Condor, conteste les arguments de la requérante.

187    Il ressort du point 54 des lignes directrices S&R que les États membres doivent veiller à ce qu’une aide à la restructuration soit accordée sous la forme qui permet d’atteindre l’objectif visé en créant le moins de distorsions possible. Dans le cas d’entreprises en difficulté, une solution consiste à veiller à ce que l’aide se présente sous la forme appropriée pour résoudre les difficultés du bénéficiaire et à ce qu’elle soit dûment rémunérée. Selon le point 58 des lignes directrices S&R, les États membres sont libres de choisir la forme que prend l’aide à la restructuration, étant précisé qu’ils doivent toutefois veiller à ce que l’instrument retenu soit adapté au problème à résoudre. Les États membres doivent notamment examiner si les problèmes des bénéficiaires se posent en termes de liquidité ou de solvabilité et sélectionner les instruments appropriés pour résoudre les problèmes constatés.

188    Aux paragraphes 125 à 129 de la décision attaquée, la Commission a expliqué les raisons pour lesquelles, selon elle, la mesure en cause était appropriée pour atteindre l’objectif visé. À cet égard, elle a relevé notamment que Condor faisait face à une crise de liquidité et de solvabilité et que la mesure en cause, en combinaison avec l’investissement réalisé par Attestor, permettait de résoudre ces deux questions.

189    En premier lieu, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas examiné s’il existait des mesures faussant moins la concurrence tout en permettant d’atteindre l’objectif de la mesure en cause. À cette fin, elle renvoie à ses arguments, présentés dans le cadre des troisième et quatrième indices, selon lesquels la Commission n’a pas examiné, d’une part, si l’objectif visé pouvait être atteint sans aide d’État et, d’autre part, si la mesure en cause était limitée au minimum nécessaire. Or, ces arguments ayant déjà été rejetés aux points 99 à 102 et 155 à 160 ci-dessus et aucun argument autonome n’ayant été présenté dans le cadre du présent indice, il convient de rejeter l’argument de la requérante.

190    En second lieu, s’agissant de la question de savoir si la mesure en cause était un instrument d’aide adéquat compte tenu de la nature des difficultés financières rencontrées par Condor, premièrement, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que soutient la requérante, il ressort de la décision attaquée que, à la date d’adoption de celle-ci, Condor faisait face à des problèmes non seulement de liquidité, mais également de solvabilité. En effet, d’une part, il ressort notamment du paragraphe 54 ainsi que du tableau 10 de la décision attaquée que Condor faisait face à une crise de liquidité à court terme. D’autre part, il ressort des paragraphes 46, 57, 105 et 115 de la décision attaquée que Condor avait des fonds propres négatifs (negative equity), ce qui, comme le relève la Commission, sans que cela soit contesté par la requérante, constitue un problème de solvabilité.

191    Les exemples avancés par la requérante pour démontrer que Condor ne faisait pas face à des problèmes de solvabilité ne peuvent qu’être écartés. En particulier, tout d’abord, le fait que Condor a pu profiter d’entrées de trésorerie liées à la liquidation de Thomas Cook au cours de l’exercice fiscal 2021 a bel et bien été pris en compte par la Commission dans son examen du retour à la viabilité de Condor (voir paragraphe 53 de la décision attaquée), mais elle a conclu, dans la décision attaquée, que les fonds propres de Condor étaient restés tout de même négatifs après cette date (voir paragraphes 46 et 57 de la décision attaquée). Ensuite, le fait également invoqué par la requérante que, le 30 novembre 2020, le tribunal compétent en matière d’insolvabilité a déclaré la sortie de Condor de la procédure d’insolvabilité, ce qui a été relevé au paragraphe 22 de la décision attaquée et a donc été pris en compte par la Commission, ne signifie pas que, à partir de cette date, Condor ne faisait plus face à un problème de solvabilité. En effet, il n’en reste pas moins que, malgré sa sortie de ladite procédure, à la date de l’adoption de la décision attaquée, il était prévu que Condor continuerait à avoir des fonds propres négatifs au moins jusqu’en 2026 dans le scénario de base (voir paragraphe 46 de la décision attaquée).

192    Deuxièmement, la requérante a tort de soutenir que la décision attaquée ne contient aucune analyse du caractère adéquat de l’instrument d’aide choisi. En effet, au paragraphe 128 de la décision attaquée, la Commission a expliqué les raisons pour lesquelles, selon elle, la mesure en cause, en combinaison avec l’investissement réalisé par Attestor, était une mesure appropriée pour résoudre les problèmes de liquidité et de solvabilité de Condor. En particulier, elle a précisé, sans que cela soit contesté par la requérante, que la mesure en cause libérerait des liquidités à court terme, en raison du report des intérêts et des obligations de remboursement, et réduirait la dette de Condor, en raison de l’annulation partielle des dettes. Selon la Commission, cette mesure était complémentaire de l’investissement réalisé par Attestor, qui remédierait à la crise imminente de liquidité de Condor et améliorerait sa position en termes de fonds propres.

193    Troisièmement, selon la requérante, il existe d’autres mesures faussant moins la concurrence, telles que des échanges de créances contre des participations, des crédits ou des garanties de crédit. Pourtant, la requérante n’a présenté aucun élément de preuve ni indice susceptible de démontrer que, à l’instar de la mesure en cause, les autres mesures qu’elle proposait auraient permis de résoudre tant les problèmes de liquidité que ceux de solvabilité de Condor. En outre, il convient de rappeler que, conformément au point 58 des lignes directrices S&R, même si les États membres doivent veiller à ce que l’instrument choisi aux fins d’accorder une aide à la restructuration soit adapté au problème à résoudre, ceux-ci sont libres de choisir la forme que prend une telle aide. Enfin, comme le relève à juste titre la Commission, la requérante n’explique pas en quoi la capacité financière d’Attestor serait pertinente aux fins de l’appréciation du caractère approprié de la mesure en cause, étant précisé que l’intervention de cette dernière était conditionnée à l’octroi de cette mesure.

194    Quatrièmement, l’argument de la requérante selon lequel « il semblerait que » la mesure en cause servait à remédier non aux causes des difficultés de Condor, mais à d’autres faiblesses de celle-ci, comme l’âge de sa flotte, est spéculatif et non étayé.

195    À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la requérante n’a pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant au caractère approprié de la mesure en cause.

 Sur le sixième indice, tiré de ce que la Commission n’a pas établi la proportionnalité de la mesure en cause

196    La requérante soutient en substance que la Commission n’a pas démontré que la mesure en cause était proportionnée, en méconnaissance des points 61 à 64 et 67 des lignes directrices S&R, en ce que la mesure en cause omettrait d’assurer une contribution propre aux coûts de la restructuration et une répartition des charges suffisantes.

197    La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et Condor, conteste les arguments de la requérante.

198    Les points 61 à 64 des lignes directrices S&R exigent en substance que le bénéficiaire, ses actionnaires ou créanciers, le groupe auquel il appartient ou de nouveaux investisseurs contribuent, sur leurs ressources propres, aux coûts de restructuration. Cette contribution doit être importante, réelle, la plus élevée possible et exempte d’aide. Une contribution propre sera normalement considérée comme appropriée si elle s’élève au moins à 50 % des coûts de restructuration.

199    Au paragraphe 132 de la décision attaquée, la Commission a identifié trois sources de contributions propres au sens des lignes directrices S&R, à savoir, premièrement, le financement fourni par Attestor dans le cadre du rachat de Condor, deuxièmement, des annulations de dettes de la part des créanciers de Condor dans le contexte du plan d’insolvabilité validé par le tribunal compétent en cette matière et, troisièmement, des réductions de coûts permanentes réalisées dans le cadre du plan de restructuration. S’agissant de la première source, la Commission a précisé, au paragraphe 132, sous a), de la décision attaquée, que le financement par Attestor, d’un montant de 200 millions d’euros injecté dans le capital social de Condor et d’un montant de 250 millions d’euros pour le renouvellement de la flotte de Condor était ferme et obligatoire.

200    En premier lieu, la requérante soutient que la deuxième source de financement relevée au point 199 ci-dessus, à savoir les annulations de dettes de la part des créanciers de Condor, pourrait constituer en elle-même une aide d’État, de sorte que, conformément au point 63 des lignes directrices S&R, elle ne saurait être prise en considération aux fins de déterminer si la contribution propre était appropriée et suffisante.

201    Toutefois, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que cet argument, lequel est par ailleurs purement spéculatif en ce qu’il n’est aucunement étayé, est, en toute hypothèse, inopérant. En effet, il ressort du point 127, du point 132, sous a), et du point 133 de la décision attaquée que la première source de financement relevée au point 199 ci-dessus, c’est-à-dire le financement fourni par Attestor dans le cadre du rachat de Condor, s’élevait à un montant de 450 millions d’euros, étant précisé que, ainsi qu’il ressort du paragraphe 133 de la décision attaquée, le montant total de l’aide à la restructuration accordée à Condor par le biais de la mesure en cause s’élevait à 321,18 millions d’euros. Or, la requérante n’a pas contesté l’affirmation de la Commission, figurant au paragraphe 133 de la décision attaquée, selon laquelle la contribution propre d’Attestor s’élevait déjà, à elle seule, à 77 % du financement du plan de restructuration, c’est-à-dire à plus de 50 % des coûts de restructuration, de sorte que l’exigence prévue au point 64 des lignes directrices S&R était satisfaite, et cela même en faisant abstraction de la deuxième source de financement de la mesure en cause critiquée par la requérante.

202    En second lieu, la requérante soutient que la Commission a méconnu le point 67 des lignes directrices S&R, en ce qu’elle n’a pas examiné, dans la décision attaquée, si la mesure en cause prévoyait des modalités qui assuraient à l’État une part raisonnable de la future valorisation de Condor. Elle relève que la Commission aurait dû procéder à un tel examen parce que la mesure en cause améliorait la situation financière de Condor en matière de fonds propres, au sens dudit point.

203    La Commission soutient en substance qu’elle n’est pas tenue d’examiner, dans la décision attaquée, si la République fédérale d’Allemagne bénéficie d’une part raisonnable de la future valorisation de Condor, au sens du point 67 des lignes directrices S&R, dans la mesure où, selon elle, cette exigence s’applique seulement lorsque, d’une part, la mesure litigieuse constitue une injection de capital et, d’autre part, l’État membre concerné détient une participation dans le capital du bénéficiaire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

204    Il ressort du point 65 des lignes directrices S&R que, si le soutien de l’État prend une forme qui améliore la situation du bénéficiaire en matière de fonds propres, par exemple si l’État accorde des subventions, injecte des capitaux ou annule des dettes, cela peut avoir pour effet de protéger les actionnaires et les créanciers subordonnés contre les conséquences liées à leur choix d’investir dans le bénéficiaire, ce qui peut engendrer un aléa moral et nuire à la discipline de marché. En conséquence, les aides destinées à couvrir des pertes ne doivent être octroyées que selon des modalités qui supposent une juste répartition des charges entre les investisseurs existants.

205    Selon le point 66 des lignes directrices S&R, la juste répartition des charges signifie généralement que les actionnaires historiques et, s’il y a lieu, les créanciers subordonnés doivent absorber intégralement les pertes passées. Les créanciers subordonnés doivent contribuer à l’absorption des pertes, soit par conversion en fonds propres, soit par réduction de la valeur du principal des instruments pertinents. En conséquence, l’État ne devrait intervenir qu’après que les pertes ont été intégralement prises en compte et imputées aux actionnaires et détenteurs de titres de dette subordonnés existants.

206    Aux termes du point 67 des lignes directrices S&R, la juste répartition des charges signifie également que toute aide d’État qui améliore la situation du bénéficiaire en matière de fonds propres doit être octroyée selon des modalités qui assurent à l’État une part raisonnable de la future valorisation du bénéficiaire, au vu du montant des fonds propres injectés par l’État par rapport aux fonds propres de l’entreprise restant après la prise en compte des pertes.

207    À cet égard, il convient de constater d’emblée que, dans la décision attaquée, la Commission a omis d’examiner si la mesure en cause était conforme aux exigences prévues au point 67 des lignes directrices S&R. En effet, rien dans la décision attaquée ne laisse entendre que la Commission s’est penchée sur la question de savoir si la mesure en cause avait été octroyée selon des modalités qui assureraient à la République fédérale d’Allemagne une part raisonnable de la future valorisation de Condor.

208    Partant, il y a lieu d’examiner si, comme le soutient la Commission, elle pouvait, sans éprouver des doutes, considérer que la mesure en cause ne relevait pas du champ d’application du point 67 des lignes directrices S&R, de sorte qu’elle n’était pas tenue d’examiner, dans la décision attaquée, si ladite mesure était conforme à l’exigence prévue audit point.

209    À cet égard, il convient de rappeler que l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union requiert de tenir compte non seulement de ses termes, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi que des objectifs et de la finalité que poursuit l’acte dont elle fait partie (voir arrêt du 22 juin 2023, Pankki S, C‑579/21, EU:C:2023:501, point 38 et jurisprudence citée).

210    À cet égard, premièrement, s’agissant de l’interprétation littérale du point 67 des lignes directrices S&R, il importe de souligner que, selon le libellé dudit point, l’exigence de prévoir des modalités qui assurent à l’État une part raisonnable de la future valorisation du bénéficiaire s’applique à « toute aide d’État qui améliore la situation du bénéficiaire en matière de fonds propres ».

211    Le point 65 des lignes directrices S&R fournit trois exemples d’aides d’État prenant « une forme qui améliore la situation du bénéficiaire en matière de fonds propres », à savoir des subventions, des injections de capitaux et des annulations de dettes.

212    En l’espèce, la mesure en cause prend la forme notamment d’une annulation partielle des dettes, de sorte qu’elle doit être qualifiée d’« aide d’État qui améliore la situation du bénéficiaire en matière de fonds propres » au sens du point 67 des lignes directrices S&R.

213    Ainsi, le libellé de la partie introductive du point 67 des lignes directrices S&R, lu conjointement avec celui du point 65 de celles-ci, suggère que la mesure en cause relève du champ d’application du point 67 des lignes directrices S&R.

214    Il s’ensuit que l’interprétation préconisée par la Commission, selon laquelle le point 67 des lignes directrices S&R ne s’applique qu’aux injections de capital et uniquement lorsque l’État concerné détient une participation dans le capital du bénéficiaire, se heurte au libellé de la partie introductive dudit point, lue conjointement avec le point 65 des lignes directrices S&R, dont il ressort que l’exigence prévue au point 67 a vocation à s’appliquer tant aux injections de capital qu’aux annulations des dettes et, dès lors, tant dans l’hypothèse où l’État détient une participation dans le capital du bénéficiaire que dans l’hypothèse où il en est un créancier.

215    Cela étant, il est tout aussi vrai, comme le relève la Commission, que le membre de phrase « au vu du montant des fonds propres injectés par l’État par rapport aux fonds propres de l’entreprise restant après la prise en compte des pertes », figurant au point 67 in fine des lignes directrices S&R, ne fait référence qu’à l’hypothèse d’une injection de capital.

216    Ainsi, il semble exister une certaine incohérence dans le libellé du point 67 des lignes directrices S&R, dans la mesure où, d’une part, sa partie introductive indique qu’il a vocation à s’appliquer à « toute aide d’État qui améliore la situation du bénéficiaire en matière de fonds propres », à savoir des subventions, des injections de capitaux et des annulations de dettes, alors que, d’autre part, sa partie finale fait référence aux « fonds propres injectés par l’État ».

217    À cet égard, il convient de noter tout de même que ce dernier membre de phrase suit immédiatement l’exigence d’assurer à l’État une « part raisonnable » de la future valorisation du bénéficiaire. Ainsi, il peut être compris comme une indication de ce qui constituerait, en termes quantitatifs, une « part raisonnable », ce qui est à déterminer sur la base de la proportion que représente le montant versé par l’État par rapport au montant des fonds propres du bénéficiaire restant après la prise en compte des pertes. Cette interprétation permettrait ainsi de concilier les parties introductive et finale du point 67 des lignes directrices S&R.

218    En tout état de cause, il convient de constater que l’incohérence dans le libellé du point 67 des lignes directrices S&R, relevée au point 215 ci-dessus, laquelle est d’ailleurs imputable à la Commission, auteure desdites lignes directrices, aurait dû susciter des doutes dans l’esprit de celle-ci quant à la question de savoir si la mesure en cause relevait du champ d’application du point 67 des lignes directrices S&R et l’amener à examiner de manière plus approfondie cette disposition à la lumière du contexte dans lequel elle s’inscrivait et des finalités qu’elle poursuivait, ce qu’elle a omis de faire.

219    En effet, lorsque le libellé d’une disposition du droit de l’Union présente des difficultés d’interprétation, il y a lieu d’examiner celle-ci à la lumière des finalités de l’acte dont elle fait partie et, si celle-ci est susceptible de plusieurs interprétations, de donner la priorité à celle qui est de nature à sauvegarder son effet utile (voir, en ce sens, arrêts du 24 février 2000, Commission/France, C‑434/97, EU:C:2000:98, point 21 et jurisprudence citée, et du 4 octobre 2001, Italie/Commission, C‑403/99, EU:C:2001:507, point 28).

220    Ainsi, deuxièmement, s’agissant de l’interprétation contextuelle du point 67 des lignes directrices S&R, il y a lieu de constater que ce point fait partie de la section 3.5.2.2 de ces lignes directrices, intitulée « Répartition des charges ». Cette section est introduite par le point 65, lequel, comme cela est rappelé au point 204 ci-dessus, vise, sans distinction aucune, les subventions, les injections de capitaux et l’annulation des dettes en tant que formes d’aide d’État qui améliorent la situation du bénéficiaire en matière de fonds propres.

221    De même, rien dans le libellé du point 66 des lignes directrices S&R, lequel fait partie de la même section desdites lignes directrices et aux termes duquel, en substance, l’État ne devrait intervenir qu’après que les pertes ont été intégralement prises en compte et imputées aux actionnaires et détenteurs de titres de dette subordonnés existants, ne suggère que cette règle n’a vocation à s’appliquer qu’à certaines formes d’aide d’État, à l’exclusion d’autres. Au contraire, la référence en termes généraux à une intervention étatique (« l’État ne devrait intervenir que ») et l’absence de toute autre précision dans le sens contraire indiquent que le point 66 trouve à s’appliquer quelle que soit la forme que prend cette intervention.

222    Ainsi, la partie introductive du point 67 des lignes directrices S&R, en ce qu’elle vise « toute aide d’État qui améliore la situation du bénéficiaire en matière de fonds propres », concorde avec les champs d’application des points 65 et 66 desdites lignes directrices.

223    En outre, il convient de noter que l’exigence prévue au point 67 des lignes directrices S&R s’ajoute à celles prévues aux points 65 et 66 desdites lignes directrices, comme le démontre la précision selon laquelle « [l]a juste répartition des charges signifiera également ». Il est tout aussi important de relever que les États membres et la Commission ne disposent d’aucune marge d’appréciation quant à leur obligation de satisfaire à l’exigence prévue au point 67 des lignes directrices S&R, étant donné que ledit point prévoit que « toute » aide d’État qui améliore la situation du bénéficiaire en matière de fonds propres « doit » être octroyée selon des modalités qui assurent à l’État une part raisonnable de la future valorisation du bénéficiaire. Cette interprétation est confirmée par le point 68 des lignes directrices S&R, lequel prévoit des exceptions à la mise en œuvre intégrale des exigences prévues au point 66 de celles-ci, mais non à celle figurant au point 67. Ainsi, le fait que, dans un cas donné, les exigences prévues aux points 65 et 66 des lignes directrices S&R soient remplies n’exempte pas les États membres et la Commission de s’assurer que celle prévue au point 67 desdites lignes directrices le soit également.

224    Il s’ensuit que les points 66 et 67 des lignes directrices S&R prévoient deux exigences autonomes dont le contenu et l’application dans le temps diffèrent. D’une part, l’exigence du point 66 concerne l’absorption des pertes du bénéficiaire, par les actionnaires et les détenteurs de titres de dette subordonnés existants, laquelle doit être mise en œuvre avant l’intervention de l’État. D’autre part, le point 67 vise une situation future, à savoir celle de la future valorisation du bénéficiaire, et prévoit que, dans une telle perspective, l’État doit obtenir une part raisonnable de cette valorisation.

225    Or, rien n’indique que les points 65, 66 et 67 des lignes directrices S&R doivent avoir des champs d’application différents les uns par rapport aux autres, en fonction de la forme que prend le soutien étatique, pourvu qu’il améliore la situation du bénéficiaire en matière de fonds propres. En particulier, l’économie des exigences prévues aux points 66 et 67 des lignes directrices S&R et leur caractère cumulatif tendent à suggérer qu’elles ont vocation à s’appliquer, tout comme le point 65 desdites lignes directrices, à toute aide d’État ayant pour objet une telle amélioration. En effet, l’obligation d’absorber les pertes avant l’intervention de l’État et l’impératif d’assurer à celui-ci une part raisonnable de la future valorisation du bénéficiaire se renforcent et se complètent mutuellement, dans la mesure où la gestion des pertes du bénéficiaire et le soutien de l’État sont une condition indispensable pour assurer ultérieurement le retour à la viabilité du bénéficiaire et, par-là, sa profitabilité. Ainsi, aucune raison légitime ne semble pouvoir justifier l’exclusion de certaines formes d’aide du champ d’application de l’obligation prévue au point 67 des lignes directrices S&R.

226    Troisièmement, s’agissant de l’interprétation téléologique du point 67 des lignes directrices S&R, il ressort notamment des points 9, 11, 65, 87 et 90 de celles-ci que les dispositions portant sur la juste répartition des charges visent notamment à prévenir l’aléa moral. Ainsi, comme il a été relevé au point 204 ci-dessus, selon le point 65 de ces lignes directrices, si le soutien de l’État prend une forme qui améliore la situation du bénéficiaire en matière de fonds propres, par exemple si l’État accorde des subventions, injecte des capitaux ou annule des dettes, cela peut avoir pour effet de protéger les actionnaires et les créanciers subordonnés contre les conséquences liées à leur choix d’investir dans le bénéficiaire. Cela peut engendrer un aléa moral et nuire à la discipline de marché.

227    Or, la Commission n’avance aucun élément susceptible de démontrer que le risque d’aléa moral existerait seulement lorsqu’un État membre injecte des capitaux dans le bénéficiaire, mais non lorsqu’il annule des dettes de celui-ci ou lorsqu’il octroie une subvention audit bénéficiaire. En réalité, aucun passage des lignes directrices S&R ne permet de dégager une telle conclusion. Au contraire, selon le point 65 des lignes directrices S&R, un tel risque existe pour tout soutien étatique qui prend une forme qui améliore la situation du bénéficiaire en matière de fonds propres, tel que des subventions, des injections de capitaux et des annulations de dettes.

228    De surcroît, il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort notamment du point 9 des lignes directrices S&R, que le risque d’aléa moral consiste en ce que des entreprises tablant sur un sauvetage et une restructuration probables en cas de difficultés peuvent avoir tendance à adopter des stratégies commerciales non viables leur faisant prendre des risques excessifs. Or, tant l’exigence du point 66 des lignes directrices S&R, concernant l’absorption des pertes du bénéficiaire par ses actionnaires et créanciers subordonnées existants, que celle du point 67 desdites lignes directrices, concernant l’obligation d’assurer à l’État une part des futurs profits du bénéficiaire, contribuent à réduire les incitations qu’une entreprise peut avoir à prendre des risques excessifs dans un but de dégager plus de profits.

229    Il s’ensuit que l’objectif sous-tendant le point 67 des lignes directrices S&R ne saurait être pleinement atteint si devaient être exclus de son champ d’application certains types de mesures d’aide, tels que l’annulation des dettes, alors même qu’elles améliorent la situation du bénéficiaire en matière de fonds propres et qu’elles engendrent le même aléa moral que celui résultant d’une injection de capitaux.

230    En outre, il y a lieu de relever que tant les lignes directrices S&R que la communication COM(2012) 209 final de la Commission, du 8 mai 2012, relative à la modernisation de la politique de l’Union en matière d’aides d’État, à laquelle renvoient lesdites lignes directrices, soulignent l’importance du principe d’efficacité ou d’efficience des dépenses publiques. De surcroît, ladite communication met l’accent sur l’importance de l’utilisation judicieuse des ressources publiques, de la meilleure utilisation de l’argent des contribuables et de l’assainissement budgétaire, ainsi que sur la nécessité d’éviter le gaspillage de ressources publiques. L’octroi à l’État, lorsqu’il accorde une aide à la restructuration, que ce soit par le biais d’une subvention, d’une injection de capital ou d’une annulation de dettes, d’une part raisonnable de la future valorisation du bénéficiaire est cohérent avec ces objectifs.

231    Par ailleurs, contrairement à ce qu’a soutenu la Commission lors de l’audience, il est incorrect d’affirmer qu’un État ne peut obtenir une « part raisonnable de la future valorisation du bénéficiaire », comme le prévoit le point 67 des lignes directrices S&R, que lorsqu’il détient une participation dans celui-ci. En effet, ainsi que le relève à juste titre la requérante, même lorsque l’État ne détient pas de participation dans le capital du bénéficiaire et n’est ainsi qu’un créancier de ce dernier, il pourrait tout de même profiter de la future valorisation ou des futurs bénéfices du bénéficiaire, engendrés, au moins en partie, grâce à l’aide, en prévoyant, par exemple, dans le cas d’une annulation partielle des dettes, comme celle de l’espèce, un taux d’intérêt variable sur la partie non annulée de sa créance qui augmente au fur et à mesure que la valeur ou les bénéfices du bénéficiaire augmentent. Un autre mécanisme par lequel un État ayant annulé une partie de ses créances à l’égard d’un bénéficiaire pourrait participer dans la future valorisation ou dans les futurs bénéfices de ce dernier est, par exemple, celui d’une promesse par le bénéficiaire de rembourser la totalité ou une partie de ses dettes annulées en cas de retour à meilleure fortune.

232    Enfin, il convient de rejeter l’argument de Condor selon lequel le futur remboursement de la partie restante des dettes résultant des prêts COVID-19 de 2020 pourrait être considéré comme garantissant à l’État une « part raisonnable de la future valorisation » de Condor, au sens du point 67 des lignes directrices S&R. En effet, d’une part, il suffit de constater que rien dans la décision attaquée ne suggère que la Commission ait considéré que le seul remboursement éventuel de la partie non annulée des dettes assurerait à l’État une « part raisonnable de la future valorisation » de Condor, au sens du point 67 des lignes directrices S&R. Or, selon une jurisprudence constante, la motivation de la décision attaquée ne saurait être complétée en cours d’instance (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2021, Oltchim/Commission, T‑565/19, EU:T:2021:904, point 275 et jurisprudence citée). D’autre part, et en tout état de cause, l’argument de Condor ne saurait prospérer au risque de vider de tout effet l’exigence prévue au point 67 des lignes directrices S&R. En effet, de par sa nature même, une annulation partielle des dettes implique le remboursement de la partie non annulée de celles-ci. Cet argument revient ainsi à exclure de facto l’annulation partielle des dettes du champ d’application du point 67 des lignes directrices S&R, ce qui se heurterait toutefois à l’interprétation littérale, contextuelle et téléologique de ce point.

233    Il s’ensuit que, compte tenu de l’interprétation littérale, contextuelle et téléologique du point 67 des lignes directrices S&R, la Commission ne pouvait pas, sans éprouver des doutes, conclure que la mesure en cause ne relevait pas du champ d’application dudit point et omettre d’examiner si ladite mesure était conforme aux exigences prévues dans ce point.

234    Partant, il y a lieu de conclure que la requérante a démontré à suffisance de droit que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la question de savoir si la mesure en cause satisfaisait à l’exigence prévue au point 67 des lignes directrices S&R.

 Sur le septième indice, tiré de ce que la Commission a commis des erreurs dans son examen des effets négatifs de la mesure en cause

235    La requérante avance un septième indice, tiré de ce que la Commission n’a pas examiné correctement les effets négatifs de la mesure en cause et les mesures visant à limiter les distorsions de concurrence.

236    À cet égard, il convient de relever que les points 87 et 90 des lignes directrices S&R établissent un lien entre, d’une part, la répartition des charges et, d’autre part, le calibrage des mesures visant à limiter les distorsions de concurrence. En effet, selon le point 87 desdites lignes directrices, les mesures visant à limiter les distorsions de concurrence doivent remédier à la fois aux risques d’aléa moral et aux possibles distorsions sur les marchés où opère le bénéficiaire, l’étendue de telles mesures dépendant de plusieurs critères, parmi lesquels figure notamment, la mesure dans laquelle les risques d’aléa moral persistent après l’application des mesures de contribution propre et de répartition des charges. En outre, selon le point 90 des lignes directrices S&R, la Commission doit examiner également le degré de contribution propre et de répartition des charges. À cette fin, il est précisé que des degrés de contribution propre et de répartition des charges plus élevés que ceux requis à la section 3.5.2 desdites lignes directrices peuvent, en limitant le montant d’aide et l’aléa moral, réduire l’étendue nécessaire des mesures visant à limiter les distorsions de concurrence.

237    En l’espèce, il ressort du paragraphe 150 de la décision attaquée, en substance, que, dans le cadre du calibrage des mesures visant à limiter les distorsions de concurrence, la Commission a pris en considération, parmi d’autres facteurs, l’ampleur de la contribution propre et de la répartition des charges en l’espèce.

238    Il s’ensuit que les doutes que la Commission aurait dû éprouver quant au respect de l’exigence prévue au point 67 des lignes directrices S&R en matière de juste répartition des charges affectent nécessairement l’appréciation effectuée par la Commission, aux paragraphes 141 à 152 de la décision attaquée, en ce qui concerne la portée des mesures visant à limiter les distorsions de concurrence applicables à Condor.

 Conclusion

239    Il ressort des points 202 à 234 et 235 à 238 ci-dessus que la requérante a démontré à suffisance de droit que la Commission aurait dû éprouver des doutes en ce qui concernait, d’une part, la question de savoir si la mesure en cause satisfaisait à l’exigence en matière de juste répartition des charges prévue au point 67 des lignes directrices S&R et, d’autre part, celle de savoir si la portée des mesures visant à limiter les distorsions de concurrence était conforme aux exigences prévues notamment dans la section 3.6.2.2 desdites lignes directrices.

240    À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le domaine spécifique des aides d’État, la Commission est tenue par les encadrements et les communications qu’elle adopte, dans la mesure où ils ne s’écartent pas des normes du traité (voir arrêt du 2 décembre 2010, Holland Malt/Commission, C‑464/09 P, EU:C:2010:733, point 47 et jurisprudence citée).

241    En outre, selon une jurisprudence constante, le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire constitue un indice de l’existence de difficultés sérieuses (voir arrêt du 10 février 2009, Deutsche Post et DHL International/Commission, T‑388/03, EU:T:2009:30, point 95 et jurisprudence citée). Ainsi, l’absence d’examen, par la Commission, du respect de l’exigence prévue au point 67 des lignes directrices S&R en matière de juste répartition des charges rend incomplet et insuffisant ledit examen en ce qui concerne les effets négatifs de la mesure en cause et, en particulier, le calibrage des mesures visant à limiter les distorsions de concurrence, dont la portée dépend notamment du degré de répartition des charges.

242    Il s’ensuit que l’examen incomplet et insuffisant en ce qui concerne les exigences en matière de répartition des charges et les effets négatifs de la mesure en cause est révélateur des doutes que la Commission aurait dû éprouver à cet égard. Ces indices revêtent un poids significatif dans le cadre d’une appréciation globale du faisceau d’indices avancé par la requérante afin de démontrer que la Commission n’était pas en mesure, à la date d’adoption de la décision attaquée, de surmonter toutes les difficultés sérieuses rencontrées en ce qui concernait la compatibilité avec le marché intérieur des mesures en cause. En effet, d’une part, les exigences prévues dans les lignes directrices S&R en matière de répartition des charges font partie intégrante de l’examen de la proportionnalité de la mesure en cause. D’autre part, en vue d’apprécier si une aide altère les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun, au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, il est nécessaire de mettre en balance les effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur le maintien d’une concurrence non faussée, cette nécessité n’étant que l’expression du principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêts du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission, T‑371/94 et T‑394/94, EU:T:1998:140, points 282, et du 19 septembre 2018, HH Ferries e.a./Commission, T‑68/15, EU:T:2018:563, point 211).

243    Il y a lieu de conclure que la requérante a démontré à suffisance de droit que la Commission aurait dû éprouver des doutes justifiant l’ouverture de la procédure visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

244    Dès lors, il y a lieu d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit besoin d’examiner le huitième indice avancé par la requérante, relatif à une violation des principes de non-discrimination, de libre prestation des services et de la liberté d’établissement, ni son dixième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation.

 Sur les dépens

245    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

246    Conformément à l’article 138, paragraphes 1 et 3, du règlement de procédure, la République fédérale d’Allemagne et Condor supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C(2021) 5729 final de la Commission, du 26 juillet 2021, relative à l’aide d’État SA.63203 (2021/N) – Allemagne – Aide à la restructuration en faveur de Condor, est annulée.

2)      La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux de Ryanair DAC.

3)      La République fédérale d’Allemagne et Condor Flugdienst GmbH supporteront leurs propres dépens.

Kornezov

De Baere

Kecsmár

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 mai 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.