Language of document : ECLI:EU:T:2022:58

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

9 février 2022 (*) (1)

« Responsabilité non contractuelle – Politique économique et monétaire – Restructuration de la dette publique grecque – Accord d’échange de titres au profit des seules banques centrales de l’Eurosystème – Participation du secteur privé – Clauses d’action collective – Créanciers privés – Créanciers publics – Imputabilité – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers – Article 63, paragraphe 1, TFUE – Articles 120 à 127 et article 352, paragraphe 1, TFUE – Droit de propriété – Égalité de traitement »

Dans l’affaire T‑868/16,

QI et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (2), représentées par Me S. Pappas, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. J.-P. Keppenne, L. Flynn et T. Maxian Rusche, en qualité d’agents,

et

Banque centrale européenne (BCE), représentée par M. K. Laurinavičius et Mme M. Szablewska, en qualité d’agents, assistés de Me H.-G. Kamann, avocat,

parties défenderesses,

soutenues par

Conseil européen,

et

Conseil de l’Union européenne,

représentés par Mmes K. Michoel, E. Chatziioakeimidou et M. J. Bauerschmidt, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice que les requérants auraient prétendument subi à la suite de la mise en œuvre d’un échange obligatoire de titres de créance étatiques dans le cadre de la restructuration de la dette publique grecque en 2012, au titre d’une participation des investisseurs privés impliquant l’application de clauses d’action collective, en raison de comportements et d’actes, notamment, du Conseil européen, du Conseil, de la Commission et de la BCE,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. S. Frimodt Nielsen, président, V. Kreuschitz (rapporteur) et Mme N. Półtorak, juges,

greffier : M. F. Oller, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 12 septembre 2018,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 21 octobre 2009, la République hellénique a notifié à l’Office statistique de l’Union européenne (Eurostat) un déficit public revu à la hausse de 12,5 % du produit intérieur brut (PIB), contre un taux de 3,7 % du PIB notifié au printemps 2009. Cette révision des données économiques de la République hellénique a suscité des doutes quant à sa solvabilité et, partant, a entraîné une augmentation des taux d’intérêt des titres de créance grecs au cours des premiers mois de l’année 2010.

2        Eu égard au fait que la crise de la dette publique grecque menaçait d’avoir des effets dans d’autres États membres de la zone euro et mettait en danger la stabilité de cette zone dans son ensemble, lors du sommet du Conseil européen du 25 mars 2010, les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro sont convenus de mettre en place, avec la participation du Fonds monétaire international (FMI), un mécanisme intergouvernemental d’assistance à la République hellénique consistant dans l’octroi de prêts bilatéraux coordonnés à taux d’intérêts non concessionnels.

3        À la fin du mois d’avril 2010, une agence de notation de crédit a dégradé la notation des titres de créance grecs de BBB- à celle de BB+, notation considérée comme désignant une dette à haut risque. Ainsi, le 27 avril 2010, l’agence de notation de crédit Standard & Poor’s (S & P) a averti les détenteurs de titres de créance grecs qu’ils n’avaient en moyenne qu’entre 30 et 50 % de chances de récupérer leur argent dans l’hypothèse d’une restructuration de la dette publique grecque ou d’un défaut de paiement de la part de l’État grec.

4        Le 23 avril 2010, la République hellénique a demandé l’activation du mécanisme intergouvernemental d’assistance visé au point 2 ci-dessus. Le 2 mai 2010, les États membres de la zone euro ont accepté de fournir, en vertu dudit mécanisme d’assistance, 80 milliards d’euros à la République hellénique dans le cadre d’une enveloppe financière de 110 milliards d’euros allouée conjointement avec le FMI.

5        Le 9 mai 2010, dans le cadre du Conseil Ecofin, il a été décidé de prendre un ensemble de mesures, parmi lesquelles, d’une part, l’adoption du règlement (UE) no 407/2010 du Conseil, du 11 mai 2010, établissant un mécanisme européen de stabilisation financière (JO 2010, L 118, p. 1), sur le fondement de l’article 122, paragraphe 2, TFUE, et, d’autre part, la création du Fonds européen de stabilité financière (FESF). Le 7 juin 2010, le FESF a été créé et les États membres de la zone euro et le FESF ont signé l’accord-cadre établissant les conditions dans lesquelles le FESF fournirait un soutien à la stabilité.

6        Par un communiqué de presse du 10 mai 2010, la BCE a annoncé la mise en place d’un programme d’achat de titres de créance étatiques sur le marché secondaire des titres (ci-après le « programme d’achat de titres »).

7        Le 14 mai 2010, la BCE a adopté la décision 2010/281/UE, instaurant un programme pour les marchés de titres (BCE/2010/5) (JO 2010, L 124, p. 8), sur le fondement de l’article 127, paragraphe 2, premier tiret, TFUE et de l’article 18, paragraphe 1, du protocole no 4 sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne (JO 2010, C 83, p. 230, ci-après les « statuts SEBC »). Aux termes de l’article 1er des statuts SEBC, la Banque centrale européenne (BCE) et les banques centrales nationales constituent le Système européen de banques centrales (SEBC). La BCE et les banques centrales nationales des États membres dont la monnaie est l’euro constituent l’Eurosystème.

8        Aux considérants 2, 3 et 5 de la décision 2010/281, il est, notamment, indiqué ce qui suit :

« (2)            Le 9 mai 2010, le conseil des gouverneurs a décidé et publiquement annoncé que, compte tenu des circonstances exceptionnelles prévalant sur les marchés de capitaux, caractérisées par de graves tensions sur certains compartiments de marché qui entravent le mécanisme de transmission de la politique monétaire et, par là, la conduite efficace d’une politique monétaire axée sur la stabilité des prix à moyen terme, il convenait de mettre en place un programme temporaire pour les marchés de titres (ci-après le “programme”). Dans le cadre du programme, les [banques centrales nationales] de la zone euro, en fonction de leurs parts exprimées en pourcentage dans la clé de répartition pour la souscription au capital de la BCE, et la BCE, en contact direct avec les contreparties, peuvent procéder à des interventions directes sur les marchés obligataires tant publics que privés de la zone euro.

(3)            Le programme fait partie de la politique monétaire unique de l’Eurosystème et s’appliquera temporairement. Le programme a pour objectif de remédier au dysfonctionnement des marchés de titres et de rétablir un mécanisme approprié de transmission de la politique monétaire.

[...]

(5)            Dans le cadre de la politique monétaire unique de l’Eurosystème, il convient que l’achat ferme de titres de créance négociables éligibles par les banques centrales de l’Eurosystème en vertu du programme soit réalisé conformément aux dispositions de la présente décision. »

9        Aux termes de l’article 1er de la décision 2010/281, « les banques centrales de l’Eurosystème peuvent acheter [...] sur le marché secondaire, les titres de créance négociables éligibles émis par les administrations centrales ou les organismes publics des États membres dont la monnaie est l’euro ». L’article 2 prévoit, comme critères d’éligibilité des titres de créance, notamment, que ceux-ci soient « libellés en euros » et émis par lesdites administrations centrales ou par lesdits organismes publics.

10      Dans le cadre du programme d’achat de titres institué par la décision 2010/281, la BCE et les banques centrales nationales de la zone euro ont acquis des titres de créance étatiques, y compris de la République hellénique, entre mai 2010 et mars 2011, ainsi qu’entre août 2011 et février 2012. Il ressort des décisions no 2/13203/0023A, du 15 février 2012 (FEK B’ 574), no 2/14328/0023A, du 20 février 2012 (FEK B’ 705), et no 2/14949/0023A, du 21 février 2012 (FEK B’ 413), du ministère des Finances hellénique, que, à ce stade, la BCE, les banques centrales nationales de la zone euro et la Banque européenne d’investissement (BEI) détenaient respectivement des titres de créance grecs d’une valeur nominale totale de 42 732 860 000 euros, de 13 519 799 177,59 euros, et de 315 350 000 euros. L’Union européenne, représentée par la Commission européenne, détenait également des titres de créance grecs d’une valeur nominale totale de 106 700 000 euros, dont une partie, soit des titres d’une valeur nominale de 55 700 000 euros, était gérée par la BEI au nom et pour le compte de l’Union. Ainsi, ces créanciers institutionnels détenaient des titres de créance grecs d’une valeur nominale totale de 56 674 709 177,59 euros.

11      Dès le mois de mai 2011, la République hellénique, les États membres de la zone euro et plusieurs créanciers de l’État grec ont entamé des discussions en vue de l’introduction d’un nouveau programme d’aide financière, dont l’objectif général était de permettre à la République hellénique de retrouver une situation financière viable. Un des éléments envisagés dans lesdites discussions était une restructuration de la dette publique grecque, dans le cadre de laquelle les créanciers privés de la République hellénique contribueraient à réduire la charge de cette dette, pour éviter ainsi une situation de défaut de paiement. Mais, dans un premier temps, ces discussions portaient, notamment, sur une éventuelle prorogation volontaire des échéances des titres de créance grecs détenus par des créanciers privés.

12      Le 6 juin 2011, le ministre des Finances allemand a adressé une lettre à la BCE, au FMI et aux autres ministres des Finances des États membres de la zone euro, dans laquelle il préconisait un échange de titres qui prolongerait de sept ans les échéances des titres de créance grecs détenus par des créanciers privés.

13      Le 20 juin 2011, à la suite d’une réunion portant sur la situation financière de la République hellénique, l’Eurogroupe a adopté une déclaration, aux termes de laquelle, notamment :

« [A]u vu de la situation financière difficile, il apparaît peu probable que la [République hellénique] retrouve un accès au marché privé d’ici au début de 2012. Les ministres sont convenus que, pour le financement supplémentaire nécessaire, il sera fait appel à des sources tant publiques que privées, et se félicitent de l’approche visant à obtenir une participation volontaire du secteur privé, sous la forme de reconductions informelles et volontaires de la dette existante de la [République hellénique] arrivant à échéance, en vue de réduire d’une façon substantielle le financement nécessaire année après année dans le cadre du programme, tout en évitant un défaut de paiement partiel. »

14      Lors de sa réunion des 23 et 24 juin 2011, le Conseil européen a abordé la situation financière de la République hellénique et a conclu à ce sujet, notamment, ce qui suit :

« 14. Le Conseil européen demande aux autorités [helléniques] de poursuivre avec détermination les efforts d’ajustement nécessaires pour [acheminer l’État grec] vers une situation viable. Il est urgent que le programme de réformes de grande ampleur défini en accord avec la Commission, en liaison avec la BCE et le FMI, soit arrêté définitivement dans les prochains jours, et que, dans le même temps, le Parlement [hellénique] achève l’adoption des lois essentielles relatives à la stratégie budgétaire et aux privatisations. Faisant suite à la demande du gouvernement [hellénique] annoncée par le premier ministre [hellénique], ces éléments constitueront la base qui permettra [tant] de définir les principaux paramètres d’un nouveau programme soutenu conjointement par les partenaires de la zone euro et [par] le FMI, conformément aux pratiques en vigueur, [que] de verser les fonds nécessaires à temps pour satisfaire les besoins de financement de la [République hellénique] en juillet [2011].

15.       Les chefs d’État ou de gouvernement des États membres de la zone euro sont convenus que, pour le financement supplémentaire nécessaire, il sera fait appel […] à des sources [tant] publiques [que] privées. Ils se rallient à l’approche retenue par l’Eurogroupe[,] le 20 juin [2011,] visant à obtenir une participation volontaire du secteur privé, sous la forme de reconductions (roll-overs) informelles et volontaires de la dette [publique grecque] existante arrivant à échéance, en vue de réduire d’une façon substantielle le financement nécessaire année après année dans le cadre du programme, tout en évitant un défaut de paiement partiel. »

15      Le 24 juin 2011, la Fédération bancaire française, association qui représente des banques exerçant des activités commerciales en France, a écrit au ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie de la République française pour proposer, notamment, de prolonger à 30 ans l’échéance des titres de créance grecs en cours détenus par des créanciers privés, à condition, notamment, que la BCE soit disposée à ne pas vendre ses titres de créance grecs durant cette période.

16      Aux termes d’un communiqué de presse du 1er juillet 2011, l’Institut de la finance internationale (IFI) a déclaré, notamment, ce qui suit :

« Le conseil d’administration de l’Institut de la finance internationale s’emploie à travailler avec ses associés et les autres institutions financières, avec le secteur public et les autorités helléniques, non seulement pour offrir à la [République hellénique] une contribution substantielle en termes de flux de trésorerie, mais aussi pour poser les bases d’une position débitrice plus soutenable.

La communauté financière privée est disposée à faire un effort volontaire, de coopération, transparent et à grande échelle, pour soutenir la [République hellénique], étant donné le caractère unique et exceptionnel des circonstances […]

La contribution des investisseurs privés viendra en complément du soutien financier et de la trésorerie publique et sera réduite à un nombre limité d’options […] »

17      Le 21 juillet 2011, l’IFI a présenté une proposition de programme d’échange de titres et d’allongement des échéances. Le programme visait l’échange de titres de créance grecs existants contre quatre instruments différents, conjointement avec un mécanisme de rachat de la dette publique grecque à définir par le secteur public, à savoir, premièrement, un échange de titres de créance émis au pair contre un instrument à 30 ans ; deuxièmement, une offre de titres de créance émis au pair impliquant la conversion de titres de créance arrivés à échéance en instruments à 30 ans ; troisièmement, un échange de titres de créance émis à décote contre un instrument à 30 ans ; et, quatrièmement, un échange de titres de créance à décote contre un instrument à 15 ans.

18      Le 21 juillet 2011, les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro et des institutions de l’Union se sont réunis pour délibérer sur des mesures à prendre afin de surmonter les difficultés auxquelles la zone euro faisait face.

19      Dans leur déclaration conjointe du 21 juillet 2011, il est exposé, notamment, ce qui suit :

« 1.      Nous nous félicitons des mesures prises par le gouvernement [hellénique] pour stabiliser ses finances publiques et [pour] réformer son économie, ainsi que du nouveau train de mesures, y compris de privatisation, récemment adopté par le Parlement [hellénique]. Ces mesures constituent des efforts sans précédent, mais qui sont nécessaires pour que l’économie grecque retrouve la voie d’une croissance durable. Nous sommes conscients des efforts que les mesures d’ajustement entraînent pour les citoyens grecs et nous sommes convaincus que ces sacrifices sont indispensables pour la reprise économique et qu’ils contribueront à la stabilité et à la prospérité futures du pays.

2.      Nous convenons de soutenir un nouveau programme pour la [République hellénique] et, avec le FMI et la contribution volontaire du secteur privé, de couvrir intégralement le déficit de financement. Le financement public total s’élèvera à un montant estimé à 109 milliards d’euros. Ce programme visera, notamment grâce à une réduction des taux d’intérêt et à un allongement des délais de remboursement, à ramener l’endettement à un niveau bien plus supportable et à améliorer le profil de refinancement de la [République hellénique]. Nous appelons le FMI à continuer de contribuer au financement du nouveau programme pour la [République hellénique]. Nous avons l’intention d’utiliser le FESF en tant qu’instrument de financement pour le prochain décaissement. Nous suivrons avec beaucoup d’attention la mise en œuvre rigoureuse du programme sur la base d’une évaluation régulière effectuée par la Commission [européenne] en liaison avec la BCE et le FMI.

[…]

5.      Le secteur financier a indiqué qu’il était prêt à soutenir la [République hellénique] sur une base volontaire en recourant à différentes possibilités permettant de renforcer encore la viabilité globale. La contribution nette du secteur privé est estimée à 37 milliards d’euros […] Un rehaussement de crédit sera fourni pour étayer la qualité de la garantie, afin d’en permettre l’utilisation continue pour que les banques grecques puissent accéder aux opérations de liquidités de l’Eurosystème. Nous fournirons des ressources appropriées pour recapitaliser les banques grecques si nécessaire. »

20      S’agissant de la participation du secteur privé, il est indiqué au point 6 de la déclaration conjointe du 21 juillet 2011 ce qui suit :

« Pour ce qui est de notre approche générale à l’égard de la participation du secteur privé dans la zone euro, nous tenons à préciser que la [République hellénique] appelle une solution exceptionnelle et bien spécifique. »

21      Le 21 octobre 2011, le FMI a publié une analyse de la soutenabilité de la dette publique grecque indiquant, notamment, ce qui suit :

« L’approfondissement du PSI [private sector involvement ; participation du secteur privé], qui est désormais envisagé, peut également jouer un rôle vital pour ramener l’endettement de la [République hellénique] à un niveau supportable [...] Pour évaluer l’ampleur potentielle des améliorations de la trajectoire de la dette et leurs possibles répercussions sur le financement public, peuvent être pris en considération des scénarios illustratifs utilisant des titres de créance émis à décote avec un rendement supposé de six pour cent et aucune garantie. Les résultats montrent que, en appliquant des décotes de 50 [%], la dette peut être ramenée à un niveau tout juste supérieur à 120 [%] du PIB d’ici [à la fin de] 2020. Compte tenu de l’accès toujours tardif au marché, un financement public supplémentaire de grande ampleur, estimé à quelque 114 milliards d’euros (sur la base des hypothèses d’accès au marché appliquées), resterait nécessaire. Pour réduire encore davantage la dette, il serait indispensable d’accroître la contribution du secteur privé (ainsi, pour ramener la dette en deçà de 110 [%] du PIB d’ici [à] 2020, la valeur nominale devrait être réduite d’au moins 60 [%] et/ou le financement du secteur public devrait être assorti de conditions plus favorables). En telle hypothèse, l’exigence de financement public supplémentaire pourrait être réduite à quelque 109 milliards d’euros [...] »

22      Lors de leur sommet du 26 octobre 2011, les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro ont déclaré, notamment, ce qui suit :

« 12. La participation du secteur privé joue un rôle vital pour ramener l’endettement de la [République hellénique] à un niveau supportable. C’est pourquoi nous nous félicitons des discussions en cours entre la [République hellénique] et ses investisseurs privés visant à trouver une solution permettant d’approfondir la participation du secteur privé. Parallèlement à un programme de réforme ambitieux pour l’économie grecque, la participation du secteur privé devrait garantir la diminution du ratio de la dette grecque au PIB, l’objectif étant de parvenir à un taux de 120 % d’ici à 2020. À cette fin, nous invitons la [République hellénique], les investisseurs privés et toutes les parties concernées à mettre en place un échange volontaire d[e titres de créance] avec une décote nominale de 50 % sur la valeur notionnelle de la dette grecque détenue par les investisseurs privés. Les États membres de la zone euro contribueront à l’ensemble des mesures relatives à la participation du secteur privé à hauteur de 30 milliards d’euros. Sur cette base, le secteur public est disposé à fournir un financement supplémentaire au titre du programme pour un montant allant jusqu’à 100 milliards d’euros jusqu’en 2014, y compris la recapitalisation requise des banques grecques. Le nouveau programme devrait être arrêté d’ici à la fin de 2011 et l’échange d[e titres de créance] devrait être mis en œuvre au début de 2012. Nous demandons au FMI de continuer à contribuer au financement du nouveau programme grec. »

23      D’après un communiqué de presse du ministère des Finances hellénique du 17 novembre 2011, ledit ministère avait entamé des négociations avec les détenteurs de titres de créance grecs en vue de préparer une transaction d’échange volontaire de tels titres avec une décote nominale de 50 % sur la valeur notionnelle de la dette grecque détenue par les investisseurs privés, telle que prévue au point 12 de la déclaration des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro du 26 octobre 2011.

24      Le 2 février 2012, la République hellénique a saisi, au titre de l’article 127, paragraphe 4, TFUE, lu conjointement avec l’article 282, paragraphe 5, TFUE, la BCE d’une demande d’avis sur le projet de loi hellénique no 4050/2012 introduisant des règles portant modification des conditions applicables aux titres de créance négociables émis ou garantis par l’État grec dans le cadre d’accords avec leurs détenteurs, aux fins de la restructuration de la dette publique grecque, fondée notamment sur l’application des clauses d’action collective (ci-après les « CAC »).

25      Le 15 février 2012, la BCE et les banques centrales nationales de la zone euro, d’une part, et la République hellénique, d’autre part, ont passé un accord d’échange ayant pour objet l’échange des titres de créance grecs détenus par la BCE et par les banques centrales nationales contre de nouveaux titres de créance grecs ayant les mêmes valeurs nominales, taux d’intérêt, dates de paiement des intérêts et de remboursement que les titres destinés à être échangés, mais portant des numéros de série (codes ISIN) et des dates différents (ci-après l’« accord d’échange du 15 février 2012 »).

26      Le 17 février 2012, la BCE a rendu l’avis CON/2012/12 sur les titres de créance négociables émis ou garantis par l’État grec. Il ressort dudit avis, notamment, que, premièrement, « il est important que les États membres conservent la capacité à honorer à tout moment leurs engagements, également aux fins de garantir la stabilité financière », deuxièmement, « [l]e cas de la République hellénique est exceptionnel et unique » (paragraphe 2.1), troisièmement, l’objectif du projet de loi vise à promouvoir une participation du secteur privé et, plus particulièrement, l’engagement d’une procédure destinée à faciliter, conformément à des CAC, la négociation avec les détenteurs de titres de créance grecs et l’obtention de leur accord, contre une offre de la part de la République hellénique, pour échanger de tels titres et, partant, une éventuelle restructuration de la dette publique grecque (paragraphe 2.2), quatrièmement, « [l]a BCE se félicite du fait que les conditions d’un tel échange sont le résultat de négociations entre la République hellénique et les institutions représentant les détenteurs de titres » (paragraphe 2.3), cinquièmement, « [l]’utilisation de CAC en tant que procédure destinée à mener à bien un échange de titres est largement conforme à la pratique générale » (paragraphe 2.4) et, sixièmement, « le gouvernement de la République hellénique assume seul la responsabilité de prendre les mesures nécessaires pour garantir finalement la viabilité de ses dettes » (paragraphe 2.6).

27      Dans un communiqué de presse du 21 février 2012, après la conclusion de ces négociations, le ministère des Finances hellénique, d’une part, a divulgué les caractéristiques essentielles de la transaction envisagée d’échange volontaire de titres de créance grecs, dénommée participation des investisseurs privés (Private Sector Involvement, ci-après le « PSI »), et, d’autre part, a annoncé la préparation et l’adoption d’une loi à cet effet. Cette transaction devait comporter une demande d’accord et une invitation adressées aux détenteurs privés de certains titres de créance grecs dans le but d’échanger ces derniers contre des titres nouveaux d’une valeur nominale égale à 31,5 % de celle de la dette échangée ainsi que contre des titres émis par le FESF venant à échéance après 24 mois et ayant une valeur nominale de 15 % de celle de la dette échangée, ces différents titres devant être fournis par la République hellénique lors de la clôture de l’accord. En outre, tout investisseur privé participant à cette transaction devait recevoir des sûretés détachables de la République hellénique liées au PIB avec une valeur notionnelle égale à celle des nouveaux titres de créance.

28      La déclaration de l’Eurogroupe du même jour expose, notamment, ce qui suit :

« L’Eurogroupe prend acte du fait que les autorités helléniques et le secteur privé sont parvenus à un accord sur les conditions générales de l’offre d’échange au titre du PSI qui concerne tous les détenteurs de titres du secteur privé. Cet accord garantit un taux de décote de 53,5 %. L’Eurogroupe estime que cet accord constitue une base appropriée pour le lancement de l’invitation à l’échange faite aux détenteurs de titres d’État grecs (PSI). La réussite de l’opération de PSI constitue une condition préalable nécessaire à un programme destiné à succéder au programme actuel. L’Eurogroupe compte sur une importante participation des créanciers privés à l’échange de la dette, ce qui contribuerait de manière substantielle à la soutenabilité de la dette de la [République hellénique].

[...]

L’Eurogroupe prend acte du fait que les titres d[e créance] grecs sont détenus par l’Eurosystème [...] à des fins d’intérêt public. L’Eurogroupe prend acte du fait que les gains générés par les titres d[e créance] grecs détenus par l’Eurosystème contribueront aux bénéfices de la BCE et des [banques centrales nationales]. Les bénéfices de la BCE seront versés aux [banques centrales nationales] conformément aux règles statutaires de la distribution des bénéfices de la BCE. Les bénéfices des [banques centrales nationales] seront versés aux États membres de la zone euro, conformément aux règles statutaires des[dites banques] en matière de distribution des bénéfices.

[...]

Les contributions respectives des secteurs privé et public doivent garantir que le ratio de la dette publique de la [République hellénique] sera mis sur une trajectoire descendante pour atteindre 120,5 % du PIB en 2020. Sur cette base, et si la conditionnalité politique définie dans le cadre du programme est remplie sur une base continue, l’Eurogroupe confirme que les États membres de la zone euro sont prêts à fournir, par l’intermédiaire du FESF et avec l’espoir que le FMI apportera une contribution significative, un programme public additionnel d’un montant pouvant atteindre jusqu’à 130 milliards d’euros d’ici [à] 2014.

Il est entendu que les décaissements aux fins de l’opération PSI et la décision finale d’approuver les garanties pour le [nouveau] programme dépendent d’une opération PSI réussie et de la confirmation, par l’Eurogroupe, sur la base d’une évaluation effectuée par la Troïka, de la mise en œuvre juridique par la [République hellénique] des mesures préalablement convenues. Le secteur public se prononcera sur le montant exact de l’aide financière devant être fournie dans le cadre du [nouveau] programme grec au début du mois de mars, une fois que les résultats du PSI seront connus et que les mesures préalables auront été mises en œuvre.

Nous réitérons notre engagement à fournir un soutien adéquat à la [République hellénique] pendant la durée du programme et après celui-ci jusqu’à ce qu’elle ait retrouvé l’accès aux marchés, et à condition qu’elle respecte pleinement les exigences et les objectifs du programme d’ajustement. »

29      Le 23 février 2012, le Parlement hellénique a adopté la nomos 4050/2012, Kanones tropopoiiseos titlon, ekdoseos i engyiseos tou Ellinikou Dimosiou me symfonia ton Omologiouchon (loi no 4050/2012, relative à la modification des titres émis ou garantis par l’État grec avec l’accord de leurs détenteurs et introduisant le mécanisme des CAC) (FEK A’ 36). En vertu du mécanisme des CAC, les amendements proposés étaient destinés à devenir juridiquement contraignants pour tout détenteur de titres de créance régis par le droit hellénique et émis avant le 31 décembre 2011, tels qu’identifiés dans l’acte du Conseil des ministres grec approuvant les invitations au PSI, si lesdits amendements étaient approuvés, de manière collective et sans distinction de séries, par un quorum de détenteurs de titres représentant au moins deux tiers de la valeur nominale des titres participant au mécanisme des CAC. En outre, dans le préambule de ladite loi, il est, notamment, indiqué que « la B[CE] et les autres membres de l’Eurosystème ont conclu des accords particuliers avec la [République hellénique] afin d’éviter que leur mission et leur rôle institutionnel, de même que le rôle de la B[CE] en matière d’élaboration de la politique monétaire, tels qu’ils résultent du traité, ne soient compromis ».

30      Dans un communiqué de presse du 24 février 2012, le ministère des Finances hellénique a précisé les conditions régissant la transaction d’échange volontaire de titres de créance impliquant les investisseurs privés d’une valeur nominale d’environ 206 milliards d’euros en faisant référence à la loi no 4050/2012.

31      L’offre de transaction d’échange volontaire de titres de créance a été clôturée le 8 mars 2012.

32      Dans un communiqué de presse du 9 mars 2012, le ministère des Finances hellénique a déclaré que, en principe, il était satisfait aux conditions fixées par la loi no 4050/2012 et a annoncé les proportions dans lesquelles les créanciers privés avaient accepté l’offre d’échange.

33      À cet égard, il y est, notamment, indiqué ce qui suit :

« [L]es détenteurs de titres de créance émis ou garantis par la République [hellénique] pour un montant d’environ 172 milliards d’euros ont présenté leurs titres de créance à l’échange ou consenti aux amendements proposés en réponse aux invitations et aux demandes d’accord faites par la République [hellénique] le 24 février 2012.

Sur les quelque 177 milliards d’euros de titres de créance régis par le droit grec émis par la République [hellénique] et ayant fait l’objet d’invitations, la République [hellénique] a reçu des offres d’échange et des accords de la part de détenteurs de titres de créance d’une valeur nominale d’environ 152 milliards d’euros, ce qui représente 85,8 % du montant nominal non encore réglé de ces titres. Les détenteurs de 5,3 % du montant nominal non encore réglé de ces titres ont participé à la demande d’accord et ont refusé les amendements proposés. La République [hellénique] a informé ses créanciers du secteur public que, dès leur confirmation et leur certification par la Banque [centrale hellénique], en sa qualité de gestionnaire de la procédure en vertu de la loi no 4050/2012 [...], elle a l’intention d’accepter les accords reçus et de modifier les conditions de tous ses titres de créance régis par le droit grec, y compris ceux qui n’ont pas été présentés à l’échange à la suite des invitations, suivant les termes de la loi susmentionnée. En conséquence, la République [hellénique] ne prolongera pas la période d’invitation pour ses titres de créance régis par le droit grec.

[...] Si les accords concernant les amendements proposés des titres de créance régis par le droit grec sont acceptés, la valeur nominale totale desdits titres destinés à être échangés et d’autres titres [régis par un droit autre que le droit grec] ayant fait l’objet des invitations et pour lesquels la République hellénique a reçu des offres d’échange et des accords concernant les amendements proposés atteindrait 197 milliards d’euros, soit 95,7 % de la valeur nominale totale des titres de créance visés par les invitations. »

34      Les requérants, QI et les autres personnes physiques dont les noms figurent en annexe, en tant que détenteurs de titres de créance grecs, ont participé à la restructuration de la dette publique grecque, en vertu du PSI et des CAC mis en œuvre au titre de la loi no 4050/2012 après avoir, selon leurs dires, refusé l’offre d’échange de leurs titres.

 Procédure et conclusions des parties

35      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 décembre 2016, les requérants ont introduit le présent recours contre la Commission et la BCE.

36      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 13 mars 2017, le Conseil européen et le Conseil de l’Union européenne ont demandé à intervenir conjointement dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission et de la BCE. Par décision du 26 avril 2017, le président de la troisième chambre du Tribunal a admis cette intervention. Le Conseil européen et le Conseil ont déposé leur mémoire et les parties principales ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.

37      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure du Tribunal, a invité la Commission et la BCE à répondre à des questions écrites, ainsi que la BCE à produire des extraits de l’accord d’échange du 15 février 2012. La Commission et la BCE ont déféré à ces mesures dans les délais impartis.

38      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 12 septembre 2018.

39      Par ordonnance du 26 octobre 2018, le Tribunal a décidé de rouvrir la phase orale de la procédure.

40      Par décision du 13 novembre 2018, les parties entendues, le président de la troisième chambre a, conformément à l’article 69, sous d), du règlement de procédure, décidé de suspendre l’affaire jusqu’aux décisions de la Cour statuant sur les pourvois formés dans les affaires C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P contre les arrêts du 13 juillet 2018, K. Chrysostomides & Co. e.a./Conseil e.a. (T‑680/13, EU:T:2018:486), et du 13 juillet 2018, Bourdouvali e.a./Conseil e.a. (T‑786/14, non publié, EU:T:2018:487).

41      Par arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028), la Cour a, pour partie, annulé les arrêts du 13 juillet 2018, K. Chrysostomides & Co. e.a./Conseil e.a. (T‑680/13, EU:T:2018:486), et du 13 juillet 2018, Bourdouvali e.a./Conseil e.a. (T‑786/14, non publié, EU:T:2018:487), et rejeté les recours comme irrecevables en tant qu’ils étaient dirigés contre l’Eurogroupe.

42      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a invité les parties à se prononcer sur les conséquences qu’elles comptaient tirer de l’ordonnance du 12 mars 2020, EMB Consulting e.a./BCE (C‑571/19 P, non publiée, EU:C:2020:208), et de l’arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028), s’agissant de la solution du présent litige. Les parties ont soumis leurs observations dans le délai imparti.

43      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner l’Union ou la BCE à les indemniser pour les montants indiqués au point 133 de la requête et correspondant au préjudice qu’ils auraient subi en raison de leur participation forcée à la restructuration de la dette publique grecque par le biais de l’activation des CAC « rétroactives » ;

–        à titre subsidiaire, condamner l’Union ou la BCE à les indemniser pour les montants indiqués au point 138 de la requête et correspondant au préjudice qu’ils auraient subi en raison de l’absence de participation des créanciers publics de la République hellénique à la restructuration de la dette publique grecque ;

–        en tout état de cause, condamner la BCE à les indemniser au titre des préjudices décrits au point 139 de la requête résultant de l’absence de participation de l’Eurosystème à la restructuration de la dette publique grecque ;

–        condamner l’Union ou la BCE aux dépens.

44      La Commission et la BCE, soutenues par le Conseil européen et le Conseil, concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

 Sur l’imputabilité des comportements litigieux aux fins de l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union et de la BCE

 Sur les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union et de la BCE

45      Aux termes de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, l’Union doit, en matière de responsabilité non contractuelle, réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions. De même, aux termes de l’article 340, troisième alinéa, TFUE, la BCE doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par elle-même ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

46      L’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union ou de la BCE, au sens de ces dispositions, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution de l’Union ou à la BCE, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement de cette institution ou de la BCE et le préjudice invoqué (voir arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 64 et jurisprudence citée ; arrêts du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 79, et du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, point 68).

47      En outre, la responsabilité non contractuelle de l’Union ou de la BCE ne saurait être tenue pour engagée sans que soient réunies toutes les conditions auxquelles se trouve ainsi subordonnée l’obligation de réparation définie à l’article 340, deuxième et troisième alinéas, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, points 165 et 166 ; ordonnance du 12 mars 2020, EMB Consulting e.a./BCE, C‑571/19 P, non publiée, EU:C:2020:208, point 29 et jurisprudence citée, et arrêt du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, point 68 et jurisprudence citée).

48      En revanche, les dommages causés par les autorités nationales ne sont susceptibles de mettre en jeu que la responsabilité de ces autorités nationales et les juridictions nationales demeurent seules compétentes pour en assurer la réparation. Il s’ensuit que, pour déterminer si le juge de l’Union est compétent, il convient de vérifier si l’illégalité alléguée à l’appui de la demande d’indemnité émane bien d’une institution de l’Union et ne peut être regardée comme imputable à une autorité nationale (voir arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, points 106 et 107 et jurisprudence citée).

49      Ainsi, pour être imputable à l’Union, le comportement incriminé doit être celui d’une « institution », au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, ce qui englobe non seulement les institutions de l’Union énumérées à l’article 13, paragraphe 1, TUE, mais aussi tous les organes et organismes de l’Union institués par les traités, ou en vertu de ceux-ci, et destinés à contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union (voir arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 80 et jurisprudence citée).

50      En l’espèce, les requérants reprochent à plusieurs institutions, organes et organismes de l’Union, parmi lesquels ils comptent la Commission, la BCE, le Conseil européen, le Conseil, l’Eurogroupe, l’Eurosystème et la BEI, des comportements illicites qui seraient liés au PSI et à l’activation des CAC (ci-après les « mesures contestées »), ainsi qu’à l’exclusion des créanciers publics de la participation à la restructuration de la dette publique grecque, et dont ils estiment qu’ils sont imputables soit à l’Union, soit à la BCE.

 Rappel des arguments essentiels des parties

51      Selon les requérants, l’Union ou la BCE ont engagé leur responsabilité non contractuelle, au titre de l’article 340, deuxième et troisième alinéas, TFUE, du fait de plusieurs illégalités qui leur sont imputables, à savoir, à titre principal, en raison de leur participation obligatoire au PSI grâce à l’activation des CAC rétroactives, à titre subsidiaire, en raison de l’absence de participation de l’Union, de l’Eurosystème et de la BEI (ci-après les « créanciers publics ») à la restructuration de la dette publique grecque, et, à titre encore plus subsidiaire, du fait de l’absence de participation de l’Eurosystème au PSI. Ces illégalités seraient des violations suffisamment caractérisées de règles de droit de l’Union conférant des droits aux requérants. En effet, en décidant les mesures contestées, ni l’Union ni l’Eurosystème n’auraient disposé d’une marge d’appréciation et moins encore d’une compétence à cet égard.

52      En premier lieu, les requérants soutiennent que les illégalités alléguées reposent essentiellement sur des agissements imputables, notamment, à l’Union et à la BCE.

53      Premièrement, les requérants estiment que l’Union, la BCE et les autres créanciers publics ont pris la décision de procéder à la restructuration de la dette publique grecque et, partant, de leur imposer, à la suite de l’obtention de la majorité qualifiée nécessaire des détenteurs de titres de créance grecs éligibles en vertu de la loi no 4050/2012, la participation au PSI en activant les CAC rétroactives. Le caractère rétroactif desdites CAC résulterait de l’article 1er, paragraphe 1, sous d), i), et paragraphes 2 et 4, de ladite loi, en vertu duquel les titres de créance grecs éligibles au PSI pouvaient faire l’objet de modifications par l’introduction ex post de « nouvelles » CAC et par leur activation ultérieure. En effet, au cas où ce quorum serait atteint, ces CAC seraient également applicables, de manière rétroactive, aux titres de créance des détenteurs n’ayant pas consenti au PSI. Par ailleurs, aux termes de l’invitation à participer au PSI, le gouvernement hellénique n’aurait pu activer les CAC rétroactives, notamment dans le cas où le taux de participation demeurerait compris entre 75 et 90 %, qu’après avoir consulté ses créanciers publics, parmi lesquels figuraient principalement la BCE et l’Eurosystème ainsi que l’Union. Cette obligation de « consulter » les créanciers publics équivaudrait à une délégation du gouvernement hellénique conférant pouvoir à ses créanciers publics de décider cette activation. Il incomberait à ces derniers de décider d’accorder ou non une assistance financière dans le cadre du nouveau programme d’assistance financière pour la République hellénique et, en tout état de cause, d’en déterminer le montant en fonction du taux de participation des détenteurs privés de titres de créance grecs à ladite restructuration. En effet, un taux de participation du secteur privé plus élevé signifierait un besoin moindre d’assistance financière à fournir et un risque moindre pour les investissements déjà effectués par les créanciers publics dans de tels titres. Les créanciers publics auraient donc eu un intérêt substantiel à ce qu’un taux élevé de participation du secteur privé soit atteint.

54      Les requérants soulignent que le gouvernement hellénique ne pouvait s’opposer à la décision de ses créanciers publics, compte tenu du lien de conditionnalité entre le PSI et le nouveau programme d’assistance financière en sa faveur, et qu’il était dès lors contraint de protéger leurs intérêts. En effet, la République hellénique n’aurait eu d’autre choix que de se conformer fidèlement aux souhaits de ses créanciers et aux décisions des institutions de l’Union si elle entendait éviter le défaut de paiement de sa dette. Elle n’aurait pas pu choisir de faire faillite, une telle décision se révélant désastreuse sur le plan économique tant pour elle-même que pour la zone euro. Or, le gouvernement hellénique n’aurait jamais eu l’intention de contraindre les détenteurs privés de titres de créance grecs à participer à la restructuration de sa dette publique, comme en témoignerait la déclaration du vice-Premier ministre et du ministre des Finances helléniques prononcée le 23 février 2012 au Parlement hellénique, ainsi que la note d’information du Geniko Logistirio tou Kratous (GLK, direction générale du service central de la comptabilité de l’État, Grèce), le service compétent du ministère des Finances hellénique. Les requérants en concluent que la décision d’activer les CAC rétroactives a été prise exclusivement par les créanciers publics, y compris l’Union et la BCE, que la République hellénique n’a fait que mettre en œuvre.

55      Deuxièmement, s’agissant de l’absence de participation des créanciers publics à l’effort de restructuration de la dette publique grecque, les requérants rappellent que l’Eurogroupe, le Conseil européen et les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro, ainsi que les « institutions de l’Union » ont décidé, notamment, qu’il y avait lieu de mettre en œuvre un nouveau programme d’assistance financière pour la République hellénique et que le PSI serait au cœur de ce programme et la condition nécessaire de son exécution. En particulier, la décision du Conseil européen des 23 et 24 juin 2011 (voir point 14 ci-dessus) serait contraignante en vertu de l’article 15, paragraphe 4, TUE. En outre, la décision du 21 juillet 2011 relative au nouveau programme d’assistance financière (voir points 18 à 20 ci-dessus) aurait été prise par les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro, conjointement avec les « institutions de l’Union » et plus particulièrement le Conseil. Les requérants en concluent que les institutions de l’Union ont élaboré le nouveau programme d’assistance financière et décidé que les créanciers publics ne participeraient pas à la restructuration de la dette publique grecque qui devrait seulement affecter les créanciers privés. Cela serait confirmé par le fait que le PSI faisait partie intégrante du nouveau programme d’assistance financière et que sa réussite était la condition nécessaire pour que les créanciers publics honorent leurs engagements au titre dudit programme.

56      Troisièmement, s’agissant de l’absence de participation de la BCE et de l’Eurosystème à la restructuration de la dette publique grecque, les requérants rappellent que, en vertu de la loi no 4050/2012, seuls les titres de créance grecs émis avant le 31 décembre 2011 étaient éligibles aux fins de la restructuration de la dette publique grecque et que, en vertu de l’accord d’échange du 15 février 2012, les titres de créance grecs échangés relevant des portefeuilles de la BCE et des banques centrales nationales de la zone euro échappaient à ladite restructuration. Or, les requérants contestent la légalité de cette conversion de titres qui serait à l’origine d’un préjudice plus important des requérants que celui qu’ils auraient subi si l’Eurosystème avait participé à la restructuration de la dette publique grecque.

57      Quatrièmement, s’agissant des autres actes illicites imputables à l’Union et à la BCE, les requérants rappellent que la République hellénique se trouvait à l’époque au bord de la faillite et avait un besoin urgent de financement l’amenant à demander de nouveaux prêts auprès de ses créanciers publics, au-delà de ceux accordés dans le cadre du premier programme d’assistance financière, lesquels ne pouvaient être remboursés. Selon les requérants, la République hellénique ne pouvait élaborer, adopter et mettre en œuvre un plan de restructuration de sa dette sans satisfaire aux exigences de ses créanciers qui avaient d’emblée exclu la possibilité d’un défaut de paiement du moins partiel par crainte d’un dommage irréparable causé à l’Union dans son ensemble. Ainsi, la République hellénique aurait été obligée de se conformer contre sa volonté et l’avis des économistes à toutes les exigences dictées par ses créanciers publics. Cela serait confirmé par, notamment, les prises de position de MM. W. S., ministre des Finances allemand, E. V., vice-Premier ministre et ministre des Finances hellénique, et L. P., avant et après sa désignation au poste de Premier ministre hellénique.

58      Les requérants ajoutent que leur recours ne porte pas uniquement sur des actes juridiquement contraignants des institutions et des organes de l’Union, mais se réfère plus généralement au comportement de l’Union lié à la restructuration de la dette publique grecque. En tout état de cause, comme cela est confirmé par l’arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE (C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 55), la responsabilité non contractuelle de l’Union pourrait également être engagée du fait de comportements illicites juridiquement non contraignants de ses institutions. Au point 67 de ce même arrêt, la Cour aurait jugé que l’article 17, paragraphe 1, TUE conférait à la Commission la mission générale de surveiller l’application du droit de l’Union en estimant que la responsabilité de celle-ci pourrait être engagée par le simple fait d’avoir permis l’adoption de mesures illégales, en particulier contraires à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Cette obligation supplémentaire d’intervenir à titre préventif ou de « précaution » avec pour but de veiller à ce que des mesures illégales ne soient pas prises par les autres « acteurs » de l’Union serait tout aussi pertinente dans le cas d’espèce, dans lequel la Commission devrait avoir approuvé les agissements de l’Union et de ses institutions et organes comme étant conformes au droit de l’Union. Un devoir analogue s’imposerait au Conseil, au titre de l’article 136 TFUE, et à la BCE, au titre de l’article 3, paragraphe 1, des statuts SEBC, dans la mesure où le PSI a affecté le bon fonctionnement des systèmes de paiement. Ainsi, eu égard à l’obligation de « précaution » incombant à la Commission, au Conseil et à la BCE, les comportements incriminés seraient imputables à l’Union.

59      En second lieu, inversement, les requérants démentent que les mesures contestées soient imputables à la République hellénique. Ces mesures lui auraient été « soit imposées directement, soit approuvées », ne fût-ce que tacitement, par l’Union et par la BCE ainsi que par les autres créanciers publics comme condition pour qu’elle reçoive un soutien additionnel et évite un défaut de paiement de sa dette publique. Les déclarations de l’Eurogroupe, du Conseil européen, des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro et des institutions de l’Union seraient soit des décisions formelles ayant eu un effet contraignant, à tout le moins dans les faits, sur la République hellénique, soit des déclarations révélant l’existence de décisions prises par l’Union et par la BCE. Selon les requérants, lesdites décisions « correspondent au contexte de ces déclarations et conclusions », à savoir la conception du PSI et de tous ses éléments essentiels, y compris les mesures contestées, qui s’insèrent dans « une chaîne ininterrompue de décisions adoptées au niveau de l’Union ». En effet, il faudrait interpréter les mesures contestées à la lumière de l’ensemble des faits pertinents et en tant que décisions contraignantes ou, en tout état de cause, comme étant imputables à l’Union, à ses institutions et à l’Eurosystème.

60      Premièrement, les requérants relèvent, en substance, que, en instituant l’Eurogroupe, le traité n’a entendu ni priver le Conseil européen et le Conseil de leurs compétences et les transférer à l’Eurogroupe, ni transformer le processus décisionnel concernant la zone euro en tâche informelle entre les ministres des Finances, ni soustraire la gouvernance de la zone euro du cadre institutionnel de l’Union pour la réduire ainsi à une succession d’accords multilatéraux et intergouvernementaux régis par le droit international. Or, l’argument selon lequel les mesures contestées ne sauraient être imputées à l’Union et à ses institutions reviendrait à admettre que, s’agissant de la crise de la dette publique grecque, toute activité de l’Union et de ses institutions a cessé et que toutes les décisions ont été prises par la République hellénique seule ou conjointement avec ses créanciers en dehors du cadre de l’Union, ce qui témoignerait d’une carence significative de la part de l’Union et de ses institutions dans l’exécution de leurs tâches et équivaudrait à un abandon constitutionnel de compétence, contraire au principe de coopération loyale. Ainsi, « afin de préserver l’intégrité institutionnelle des traités et des compétences que ceux-ci confèrent à l’Union, il conviendrait [...] d’interpréter les déclarations de l’Eurogroupe en tant que décisions juridiquement contraignantes imputables à l’Union ou entérinées par les institutions, afin de pallier ce vide qui semble exister dans le domaine d’activité de l’Union ». Alternativement, « ces déclarations devraient être interprétées en ce sens qu’elles révèlent l’existence de décisions juridiquement contraignantes prises par l’Union et par ses institutions, par lesquelles la République hellénique s’est vu imposer des obligations juridiques et qui correspondent au contenu des déclarations litigieuses ».

61      D’après les requérants, « les déclarations de l’Eurogroupe ne sont pas, dans les faits, ce qu’elles étaient supposées être en droit ». En effet, l’Union aurait recouru à l’Eurogroupe en tant que forum non seulement de discussion, mais également de préparation, voire d’adoption de décisions. Leur objet ainsi que le contenu des déclarations de l’Eurogroupe montreraient que celles-ci constituent en elles-mêmes des décisions juridiquement contraignantes ou, en tout état de cause, reflètent de telles décisions prises par l’Union et par ses institutions, par lesquelles la République hellénique s’est vu imposer des obligations juridiques et qui « correspondent au contexte » de ces déclarations. S’agissant de leur objet, il serait constant qu’une situation de défaut de paiement de l’État grec aurait eu des répercussions négatives sur l’ensemble de la zone euro et, partant, aurait présenté un « risque systémique » pour son fonctionnement exigeant « une solution exceptionnelle et unique », ce qui aurait incité l’Union et ses institutions à s’impliquer activement dans la mise en place, la structuration et la mise en œuvre du nouveau programme d’assistance financière pour la République hellénique. À cet égard, l’Eurogroupe serait apparu de facto comme un organe décisionnel de la zone euro. Ses décisions devraient donc être imputées à l’Union, ce qui serait confirmé par les propos de P. M., membre de la Commission chargé des affaires économiques et financières, du 14 juin 2017.

62      Le fait que la déclaration de l’Eurogroupe du 20 juin 2011 concernait un PSI d’un type différent ne remettrait pas en cause la participation significative de l’Union et de ses institutions, y compris la BCE, dans la planification du PSI en tant que condition préalable du nouveau programme d’assistance financière. De même, quoique, dans la déclaration de l’Eurogroupe du 21 février 2012, le PSI soit présenté comme un accord entre la République hellénique et le secteur privé, il n’en demeurerait pas moins qu’il n’aurait pas été conclu sans l’aval de ses créanciers publics, de l’Union et de ses institutions, y compris l’Eurosystème. Le fait que cet aval ait été accordé au sein de l’Eurogroupe serait confirmé par la formule selon laquelle celui-ci « estime que cet accord constitue une base appropriée pour le lancement de l’invitation à l’échange faite aux détenteurs de titres de créance grecs (PSI) ». En effet, les requérants rappellent que la République hellénique ne devait mettre en œuvre que celles des mesures qui étaient acceptables selon les créanciers et l’Union, afin d’éviter le défaut de paiement. En tout état de cause, cette déclaration mettrait en lumière l’existence d’une décision au contenu qui y correspond, approuvant les mesures contestées ainsi que les conditions de leur mise en œuvre. Ainsi, la décision du Conseil des ministres grec no 5, du 24 février 2012 (FEK B’ 37), ferait expressément référence à « la nécessité de réduire la dette [publique grecque] de sorte à la rendre viable conformément aux décisions du sommet de la zone euro du 26 octobre 2011 et de celui des ministres des Finances de la zone euro du 21 février 2012 ». De même, lorsqu’elle a défendu le PSI devant le Polymeles Protodikeio (tribunal de grande instance, Grèce) dans une affaire à laquelle les cinquième et onzième requérants étaient parties, la Banque centrale hellénique aurait indiqué que « la décision no 5[, du] 24 février 2012, du Conseil des ministres contenait les conditions de l’invitation à participer à l’échange adressée aux détenteurs de titres », dont « [l]e contenu [...] était conforme aux décisions du sommet de la zone euro du 26 octobre 2011 et à celles de l’Eurogroupe du 21 février 2012 », et que, « lors de deux sommets de la zone euro consécutifs, les 11 et 25 mars 2011, puis par des décisions ad hoc sur la [République hellénique] lors des sommets de la zone euro des 21 juillet et 26 octobre 2011, la zone euro a invité les investisseurs privés ».

63      Deuxièmement, s’agissant des conclusions du Conseil européen des 23 et 24 juin 2011, les requérants rétorquent que tant la Commission et la BCE que le Conseil européen et le Conseil sont restés en défaut de produire des éléments de preuve de nature à étayer leur affirmation selon laquelle la position adoptée par certains des membres du Conseil européen sous l’égide d’un organe prétendument informel, à savoir l’Eurogroupe, n’a été, en l’espèce, ni entérinée ni adoptée en tant que décision par le Conseil européen et par l’ensemble de ses membres, quand bien même l’Eurogroupe prendrait, à tout le moins de facto, toutes les décisions relatives à la zone euro. En tout état de cause, ce serait à tort que la Commission avance que les conclusions du Conseil européen « consignent » la position de l’Eurogroupe ou « présentent » cette position partagée par une partie de ses membres, ces conclusions indiquant, au contraire, que les chefs d’État ou de gouvernement « se rallient à l’approche retenue par l’Eurogroupe le 20 juin [2011] ». Les requérants en déduisent que le Conseil européen a lui-même adopté, en s’y ralliant, la décision de l’Eurogroupe, ou qu’il y a lieu de considérer que, le 20 juin 2011, l’Eurogroupe avait adopté une décision ayant lié toutes les parties présentes. Il en résulterait que c’est l’Eurogroupe qui aurait adopté des décisions juridiquement contraignantes relatives à la zone euro et que, en tout état de cause, il aurait figuré parmi les principaux organes de décision aux fins de la restructuration de la dette publique grecque et du PSI. Sans préjudice de l’existence d’une décision juridiquement contraignante, la mission générale de la Commission de surveiller l’application du droit de l’Union et son obligation de vérifier la compatibilité des mesures contestées avec ce droit aurait pour effet que tout acte adopté aux fins du PSI avec la participation d’institutions et d’organes de l’Union serait imputable à l’Union (arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 55). Enfin, même si la décision du Conseil européen concerne une forme différente du PSI qui n’a finalement pas abouti en ce qu’elle a été remplacée par d’autres décisions de l’Eurogroupe, ce serait par cette décision – non modifiée par les décisions ultérieures et s’insérant dans une chaîne ininterrompue de décisions imputables à l’Union – que le Conseil européen a décrété l’exclusion des créanciers publics, y compris ceux de l’Union, de la restructuration de la dette publique grecque.

64      Troisièmement, s’agissant de la déclaration conjointe des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro et des institutions de l’Union du 21 juillet 2011, les requérants rétorquent que, même dans sa forme définitive, le PSI aurait été un programme de restructuration volontaire et les CAC n’auraient été activées que si la participation volontaire n’atteignait pas un seuil suffisant pour garantir les intérêts du secteur public. En tout état de cause, la participation des institutions de l’Union à ladite déclaration conjointe témoignerait de l’existence d’une décision, quoique non formelle, correspondant au contenu de cette déclaration, en particulier quant à l’absence de participation des créanciers publics au PSI, soit un élément qui est demeuré inchangé au cours du processus de préparation et de mise en œuvre de la restructuration de la dette publique grecque. Cela tiendrait tout particulièrement au fait que la déclaration conjointe du 21 juillet 2011 était cosignée par les institutions de l’Union, confirmant qu’elles ont agi afin de concevoir et d’orchestrer ladite restructuration. Indépendamment de l’existence d’une décision juridiquement contraignante, la mission générale dont est investie la Commission de surveiller l’application du droit de l’Union et de vérifier si les mesures contestées étaient compatibles avec ledit droit rendrait toutes les mesures adoptées en rapport avec le PSI avec la participation des institutions ou organes de l’Union imputables à l’Union.

65      Quatrièmement, s’agissant de la déclaration du sommet de la zone euro du 26 octobre 2011, les requérants rappellent que, devant les tribunaux helléniques, la Banque centrale hellénique a admis que le contenu du PSI proposé par le gouvernement hellénique était conforme aux décisions dudit sommet et de l’Eurogroupe du 21 février 2012. En outre, plusieurs arrêtés ministériels auraient été adoptés pour mettre en œuvre les décisions dudit sommet, dont l’arrêté ministériel no 2/5916/0023A (FEK B’ 173). En tout état de cause, à supposer même que ladite déclaration ne soit pas une décision, elle révélerait l’existence d’une décision ou d’un comportement de l’Union correspondant à son contenu, imputable à l’Union. Cela tiendrait notamment au fait que le président du Conseil européen a présidé le sommet, ce qui aurait conféré aux chefs d’État et de gouvernement et aux tiers une apparence de cadre institutionnel de l’Union.

66      Cinquièmement, s’agissant de la consultation des créanciers publics par le gouvernement hellénique avant l’activation des CAC, énoncée dans le communiqué de presse du ministère des Finances hellénique du 9 mars 2012, les requérants soutiennent que la clause de consultation préalable à cette activation révèle que « le processus dans son ensemble était supervisé par les créanciers de la [République hellénique], par l’Union et par ses institutions, qui avaient le pouvoir de prendre la décision définitive, et non par le gouvernement hellénique ». En outre, l’inclusion de cette clause serait à elle seule une preuve que l’activation des CAC n’était pas supposée être automatique, ni régie par la seule loi no 4050/2012, mais que la République hellénique devait consulter ses créanciers publics et que cette activation ne serait effective qu’après une telle consultation. Le gouvernement hellénique n’aurait joui d’aucune autonomie quant à l’activation des CAC qui aurait été dépendante de l’aval desdits créanciers eu égard au degré de participation au PSI des détenteurs privés de titres. En outre, le succès du PSI ayant été la condition principale de l’octroi d’une assistance financière supplémentaire par ses créanciers publics, la République hellénique aurait été tenue de leur proposer un résultat satisfaisant et acceptable. Selon les requérants, la clause de consultation était donc en réalité, pour l’Union et ses institutions, ainsi que pour les créanciers publics, y compris l’Eurosystème, un moyen de décider si le taux de participation (volontaire) était acceptable. À cet égard, les requérants contestent que le communiqué de presse du ministère des Finances hellénique du 9 mars 2012 révèle que l’activation des CAC reposait sur une décision du seul gouvernement hellénique, qui se serait contenté d’« informer » ses créanciers de son intention d’activer les CAC. Ce communiqué de presse n’infirmerait pas le fait qu’il était nécessaire que les créanciers publics approuvent le résultat du PSI, ce qui aurait signifié que, en cas d’issue insatisfaisante de sa phase volontaire, ils auraient enjoint la République hellénique d’activer les CAC. Cela serait corroboré, d’une part, par le résumé de la décision du Conseil des ministres grec du 14 mars 2012 indiquant que celui-ci a été informé, le même jour, par le vice-Premier ministre et ministre des Finances hellénique, E. V., « de la position de l’Eurogroupe selon laquelle aucune compensation ne d[evait] être versée aux détenteurs de titres [de créance grecs] inclus dans le PSI et s’est engagé à appliquer cette position », et, d’autre part, par l’arrêt de la Cour EDH du 21 juillet 2016, Mamatas et autres. c. Grèce (CE:ECHR:2016:0721JUD006306614, point 23).

67      Sixièmement, s’agissant de l’échange de titres de créance grecs détenus par l’Eurosystème au moyen de l’accord d’échange du 15 février 2012, les requérants rétorquent que ledit accord n’avait pas uniquement un caractère technique, mais qu’il comportait une « décision d’exclusion de l’Eurosystème », la République hellénique ayant été tenue d’accepter ledit échange « à titre de condition d’éligibilité des titres de créance grecs [concernés] en tant que sûretés pour les opérations de politique monétaire de l’Eurosystème », ce qui constituait un aspect significatif du nouveau programme d’assistance financière pour la République hellénique. En tout état de cause, selon les requérants, même si cet accord ne constitue pas en soi une décision juridiquement contraignante, il révèle l’existence d’une telle décision, certes non formelle, imposant l’absence de participation de l’Eurosystème à la restructuration de la dette publique grecque, dans le contexte de la décision d’en exclure tous les créanciers publics. Enfin, bien que l’échange de titres n’ait pas affecté la décision d’activer les CAC, il serait inextricablement et directement lié au préjudice subi par les requérants résultant de l’absence de participation des créanciers publics et particulièrement de l’Eurosystème à ladite restructuration.

68      Les requérants en concluent que les déclarations de l’Eurogroupe, du sommet de la zone euro et du Conseil européen constituent en elles-mêmes des décisions ou, en tout état de cause, révèlent l’existence de telles décisions ou d’un comportement imputables à l’Union et à ses institutions, y compris à l’Eurosystème. Compte tenu de leur intérêt direct à minimiser leurs propres risques lors de l’octroi du nouveau programme d’assistance financière pour la République hellénique, ces acteurs auraient conçu ce programme dans son intégralité et défini ou, en tout état de cause, approuvé la nature, les conditions et les modalités de la restructuration de la dette publique grecque sous forme de décote des titres de créance grecs détenus par le seul secteur privé et auraient prévu l’activation des CAC eu égard aux résultats apparemment insatisfaisants de la phase volontaire du PSI. En outre, la décision prise au cours de la prétendue « consultation » serait imputable à l’Union et à ses institutions, y compris à l’Eurosystème, puisqu’elle aurait causé l’activation des CAC. Enfin, l’échange de titres détenus par la BCE et par les banques centrales de l’Eurosystème serait imputable à la BCE, dans la mesure où il aurait constitué en soi une décision d’exclusion de l’Eurosystème de la restructuration ou, en tout état de cause, aurait révélé l’existence d’une telle décision ou d’un comportement ayant pour effet d’en exclure tous les créanciers publics, à titre de condition préalable de la mise en œuvre du nouveau programme d’assistance financière.

69      Dans leur réponse à la question écrite du Tribunal visée au point 42 ci-dessus, les requérants précisent, en substance, que les considérations exposées aux points 90 à 96 de l’arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028), n’infirment pas leur contestation des comportements litigieux de l’Union ayant approuvé les mesures contestées, le présent recours n’étant pas dirigé contre l’Eurogroupe. Au contraire, ledit arrêt aurait confirmé le rôle de la Commission en tant que gardienne des traités. Il en serait de même de l’ordonnance du 12 mars 2020, EMB Consulting e.a./BCE (C‑571/19 P, non publiée, EU:C:2020:208), qui aurait visé une affaire distincte de la présente affaire et dans le cadre de laquelle les requérants auraient motivé les griefs de manière différente, notamment en ce qui concerne le caractère disproportionné de la participation obligatoire des investisseurs privés dans la restructuration de la dette publique grecque.

70      La Commission, la BCE, le Conseil européen et le Conseil contestent le caractère imputable des comportements litigieux à l’Union ou à la BCE et soutiennent que le recours doit être rejeté comme irrecevable, ne serait-ce que pour cette raison. Dans leurs réponses à la question écrite du Tribunal visée au point 42 ci-dessus, ils précisent, en substance, que les considérations exposées aux points 84 à 98 de l’arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028), confirment ces conclusions.

 Appréciation du Tribunal

71      À titre liminaire, il importe de relever que le seul manque de caractère juridiquement obligatoire, notamment, des déclarations de l’Eurogroupe ou du Conseil européen ou d’un avis de la BCE ne suffit pas à faire échapper d’emblée l’Union ou la BCE à la responsabilité non contractuelle pour le comportement d’une des institutions de l’Union ou de la BCE, au sens de la jurisprudence rappelée au point 46 ci-dessus, étant donné que, selon une jurisprudence établie, tout comportement à l’origine d’un dommage est de nature à établir cette responsabilité. En effet, si une juridiction de l’Union ne pouvait apprécier la légalité du comportement d’une institution ou d’un organe de l’Union, la procédure prévue à l’article 268 et à l’article 340, deuxième et troisième alinéas, TFUE serait privée de son effet utile (voir, en ce sens, arrêts du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts, C‑234/02 P, EU:C:2004:174, points 50 à 52, 60 et 61, et du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 55 et jurisprudence citée). Il s’ensuit que la Commission et la BCE ne sauraient invoquer la jurisprudence antérieure à l’arrêt du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts (C‑234/02 P, EU:C:2004:174), qui avait rejeté des recours en indemnité comme irrecevables au seul motif que l’illégalité alléguée était liée à un acte dépourvu d’effets juridiques (voir arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 56 et jurisprudence citée).

72      Par ailleurs, en premier lieu, s’agissant de la nature et des effets des déclarations de l’Eurogroupe des 20 juin 2011 et 21 février 2012, il convient de rappeler que l’Eurogroupe a été formellement institué par la résolution du Conseil européen du 13 décembre 1997 sur la coordination des politiques économiques au cours de la troisième phase de l’union économique et monétaire et sur les articles 109 et 109 B du traité CE (JO 1998, C 35, p. 1), en vertu de laquelle « les ministres des États membres participant à la zone “euro” peuvent se réunir entre eux de façon informelle pour discuter de questions liées aux responsabilités spécifiques qu’ils partagent en matière de monnaie unique » et « la Commission ainsi que, le cas échéant, la [BCE], sont invitées à participer aux réunions » (point 6). L’Eurogroupe a été conçu comme un organe intergouvernemental, extérieur au cadre institutionnel de l’Union, visant à permettre aux ministres des États membres dont la monnaie est l’euro (ci-après les « EMME ») d’échanger et de coordonner leurs points de vue sur des questions relatives à leurs responsabilités communes en matière de monnaie unique. Il fait ainsi fonction de liaison entre le niveau national et le niveau de l’Union aux fins de la coordination des politiques économiques des EMME (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 84).

73      En effet, l’Eurogroupe ne figure pas parmi les différentes formations du Conseil, énumérées à l’annexe I du règlement intérieur de celui-ci, adopté par la décision 2009/937/UE du Conseil, du 1er décembre 2009 (JO 2009, L 325, p. 35), dont la liste est visée à l’article 16, paragraphe 6, TUE. Par conséquent, l’Eurogroupe ne peut ni être assimilé à une formation du Conseil, ni être qualifié d’organe ou d’organisme de l’Union. Au contraire, l’Eurogroupe se caractérise par sa nature informelle qui s’explique par la finalité de sa création consistant à doter l’Union économique et monétaire d’un outil intergouvernemental de coordination, sans toutefois affecter le rôle du Conseil, qui est au cœur du processus décisionnel au niveau de l’Union en matière économique, ni l’indépendance de la BCE. De même, la circonstance que, notamment, en vertu de l’article 137 TFUE et du protocole no 14 sur l’Eurogroupe, la Commission et la BCE participent aux réunions de l’Eurogroupe ne modifie ni sa nature intergouvernementale, ni celle de ses déclarations qui ne peuvent être qualifiées d’expression d’un pouvoir décisionnel de ces deux institutions de l’Union. Ainsi, l’Eurogroupe ne dispose, dans l’ordre juridique de l’Union, d’aucune compétence propre, l’article 1er du protocole no 14 se limitant à énoncer que ses réunions ont lieu, en tant que de besoin, pour discuter de questions liées aux responsabilités spécifiques que les ministres des EMME partagent en matière de monnaie unique, étant entendu que ces responsabilités leur incombent en raison de leur seule compétence au niveau national (voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2016, Mallis e.a./Commission et BCE, C‑105/15 P à C‑109/15 P, EU:C:2016:702, points 57 et 61, et du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, points 87 à 89).

74      Il en résulte que, indépendamment du contenu et des effets éventuels des déclarations de l’Eurogroupe des 20 juin 2011 et 21 février 2012, celles-ci ne sauraient être imputées soit à l’Union, soit à la BCE, de sorte que le Tribunal est incompétent pour connaître de leur légalité, y compris dans le cadre d’un recours indemnitaire, aux fins de l’appréciation de l’engagement de son éventuelle responsabilité non contractuelle.

75      En deuxième lieu, en raison de son caractère intergouvernemental, les considérations précédentes relatives aux déclarations de l’Eurogroupe s’appliquent nécessairement mutatis mutandis et à plus forte raison à la déclaration conjointe des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro lors de leur sommet du 26 octobre 2011 (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Pitruzzella dans les affaires jointes Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:390, point 81). Dès lors, ladite déclaration ne saurait être qualifiée d’acte de l’Union ou d’acte qui lui serait imputable, de sorte que le Tribunal n’est pas non plus compétent pour connaître de sa légalité aux fins de l’appréciation de l’engagement de son éventuelle responsabilité non contractuelle.

76      En troisième lieu, il est, certes, vrai que la déclaration conjointe des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro et des institutions de l’Union européenne du 21 juillet 2011 dépasse le cadre purement intergouvernemental des déclarations visées aux points 72 à 75 ci-dessus, en ce qu’elle implique la participation desdites institutions. Il ne saurait donc être exclu que ladite déclaration soit, du moins pour partie, imputable à l’Union. Cependant, s’agissant de son contenu, cette déclaration se limite à confirmer la volonté des parties audit sommet de « soutenir » le nouveau programme d’assistance financière pour la République hellénique « et, avec le FMI et la contribution volontaire du secteur privé, de couvrir intégralement [son] déficit de financement » (point 2). En outre, à son point 5, il est pris acte, notamment, de la volonté du « secteur financier » de « soutenir » la République hellénique « sur une base volontaire », en estimant la « contribution nette du secteur privé [...] à 37 milliards d’euros ». S’agissant de la participation du secteur privé, il est précisé, au point 6 de ladite déclaration, que la République hellénique « appelle une solution exceptionnelle et bien spécifique ». Ainsi, cette déclaration ne contient aucune indication relative à une éventuelle participation « forcée » de détenteurs privés de titres de créance grecs à la restructuration de la dette publique grecque permettant d’établir un lien de cause à effet entre son contenu et le préjudice prétendument subi par les requérants. À plus forte raison, il ne saurait lui être attribuée une force obligatoire en ce sens qu’elle aurait imposé une obligation juridiquement contraignante, voire aurait enjoint, à la République hellénique de mettre en œuvre les mesures contestées. En tout état de cause, l’absence d’une telle injonction n’exclut pas l’existence d’obligations politiques, voire juridiques au sens du droit international public, de la République hellénique à l’égard de certains de ses créanciers, en particulier des États membres de la zone euro et du FMI, découlant d’accords bilatéraux ou multilatéraux conclus au niveau intergouvernemental (voir, notamment, les accords rappelés aux points 7, 10 et 11 de l’arrêt du 3 mai 2017, Sotiropoulou e.a./Conseil, T‑531/14, non publié, EU:T:2017:297), dont le contrôle échappe à la compétence du Tribunal et les requérants ne contestent pas la légalité en l’espèce, mais qui pouvaient, certes, avoir une incidence importante sur l’exercice par le législateur hellénique de son pouvoir d’appréciation lorsqu’il a édicté, notamment, la loi no 4050/2012.

77      Dès lors, indépendamment de son imputabilité à l’Union, la déclaration conjointe des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro et des institutions de l’Union européenne du 21 juillet 2011 n’était pas susceptible de donner lieu à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union.

78      En quatrième lieu, s’agissant des conclusions du Conseil européen des 23 et 24 juin 2011, il découle de la qualité de cette institution au sens de l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, deuxième tiret, TUE, lu conjointement avec l’article 15 TUE, que ses actes et ses agissements sont, en principe, imputables à l’Union et donc susceptibles d’engager sa responsabilité non contractuelle. Cette appréciation ne préjuge toutefois pas de la nature juridique des actes adoptés par le Conseil européen, notamment, en vertu de l’article 15, paragraphe 4, TUE, dont les requérants estiment qu’ils revêtent le caractère de « décisions ». Or, à cet égard, la Commission, la BCE, le Conseil européen et le Conseil relèvent à bon droit que le contenu desdites conclusions n’indique pas que celles-ci ont un tel caractère décisionnel, voire juridiquement contraignant en ce sens qu’elles auraient créé une obligation pour la République hellénique de mettre en œuvre les mesures contestées. D’une part, au point 14, le Conseil européen se borne à demander « aux autorités [helléniques] de poursuivre avec détermination les efforts d’ajustement nécessaires pour [acheminer l’État grec] vers une situation viable » et, notamment, au Parlement hellénique d’adopter les « lois essentielles relatives à la stratégie budgétaire et aux privatisations » – et donc pas celles relatives au PSI ayant fait l’objet de la loi no 4050/2012 –, en tant qu’éléments de base pour la mise en œuvre du nouveau programme d’assistance financière pour la République hellénique. D’autre part, au point 15, le Conseil européen ne fait que se rallier à la position de l’Eurogroupe dans sa déclaration du 20 juin 2011, en particulier, quant à une forme de PSI volontaire encore différente de celle du PSI contesté. Il n’en demeure pas moins que, eu égard à ce qui est exposé au point 71 ci-dessus, ces seules considérations ne permettent pas d’exclure d’emblée les conclusions du Conseil européen des 23 et 24 juin 2011 d’un contrôle du Tribunal au titre de l’article 268, lu conjointement avec l’article 340, deuxième alinéa, TFUE.

79      En cinquième lieu, s’agissant de l’éventuelle responsabilité de l’Union pour violation du devoir de surveillance de la Commission au titre de l’article 17, paragraphe 1, TUE, il y a lieu de rappeler que les justiciables peuvent introduire, devant les juridictions de l’Union, un recours en responsabilité non contractuelle de l’Union contre le Conseil, la Commission et la BCE au titre des actes ou des comportements que ces institutions de l’Union adoptent à la suite de tels accords politiques conclus au sein de l’Eurogroupe (arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 93). À cet égard, ainsi qu’il ressort de l’article 17, paragraphe 1, TUE, la Commission « promeut l’intérêt général de l’Union » et « surveille l’application du droit de l’Union » (arrêts du 27 novembre 2012, Pringle, C‑370/12, EU:C:2012:756, point 163, et du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 57). Cette institution conserve donc, dans le cadre de sa participation aux activités de l’Eurogroupe, son rôle de gardienne des traités. Il en découle que son éventuelle inaction dans le contrôle de la conformité au droit de l’Union des accords politiques conclus au sein de l’Eurogroupe est susceptible de conduire à une mise en cause de la responsabilité non contractuelle de l’Union au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE (arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 96).

80      En effet, en vertu de son devoir de surveillance de l’application du droit de l’Union au titre de l’article 17, paragraphe 1, TUE, tel que reconnu aux points 57 et 59 de l’arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE (C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701), et confirmé au point 96 de l’arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028), la Commission n’est pas soumise à une obligation générale de prévention de violations du droit de l’Union par d’autres institutions, organes ou organismes de l’Union, au sens d’une obligation de résultat (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:290, points 69 et 71). Ainsi, au point 59 de l’arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE (C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701), la Cour s’est limitée à juger que, en vertu de son rôle de gardienne des traités, tel qu’il ressort de l’article 17, paragraphe 1, TUE, la Commission devrait s’abstenir de signer un protocole d’accord dont elle douterait de la compatibilité avec le droit de l’Union. À la lumière de cette considération, elle a relevé, au point 67 du même arrêt, que la Commission était tenue, en vertu de cette disposition, qui lui confère la mission générale de surveiller l’application du droit de l’Union, d’assurer qu’un tel protocole soit compatible avec les droits fondamentaux de la Charte, ce qui ne peut donc faire référence qu’à son propre comportement et non à celui d’autres institutions ou d’autres organismes de l’Union, et moins encore à celui d’une entité intergouvernementale comme l’Eurogroupe. C’est ainsi que, au point 68 dudit arrêt, la Cour a entamé l’examen de la question de savoir si la Commission avait elle-même contribué à une violation suffisamment caractérisée du droit de propriété des parties requérantes dans ces autres affaires. Dans le même sens, aux points 95 et 96 de l’arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028), la Cour a déduit de cette jurisprudence que c’était l’éventuelle « inaction » de la Commission dans le contrôle de la conformité au droit de l’Union de certains accords politiques conclus au sein de l’Eurogroupe qui était susceptible de conduire à une mise en cause de la responsabilité non contractuelle de l’Union au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE.

81      Cette absence d’obligation de résultat est confirmée par l’impossibilité pour la Commission, en vertu de son devoir de surveillance, au titre de l’article 17, paragraphe 1, TUE, de prévenir activement l’adoption d’un acte d’une entité ne relevant pas du cadre institutionnel de l’Union, telle que l’Eurogroupe, et, moins encore, d’un acte dont la matérialité n’est pas démontrée, comme la prétendue décision ou injonction de l’Eurogroupe (voir point 76 ci-dessus).

82      En sixième lieu, ces considérations s’appliquent mutatis mutandis à la BCE dans la mesure où elle a été impliquée dans les discussions relatives au nouveau programme d’assistance financière pour la République hellénique. En effet, force est de constater que, dans ce cadre intergouvernemental, le rôle de la BCE n’était que consultatif, au titre de l’accord-cadre du FESF et de l’article 1er, quatrième phrase, du protocole no 14, aux termes de laquelle « [l]a B[CE] est invitée à prendre part [aux] réunions [informelles des ministres des EMME] », concernant, notamment, l’analyse de la soutenabilité de la dette publique grecque. En revanche, ainsi qu’il a été jugé dans l’arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE (T‑107/17, EU:T:2019:353, points 68 à 72), même si l’avis de la BCE du 17 février 2012, adopté au titre de l’article 127, paragraphe 4, et de l’article 282, paragraphe 5, TFUE, lus conjointement avec la décision 98/415/CE du Conseil, du 29 juin 1998, relative à la consultation de la BCE par les autorités nationales au sujet de projets de réglementation (JO 1998, L 189, p. 42), ne pouvait lier juridiquement les autorités helléniques, ledit avis était, en principe, susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de la BCE, sous réserve de la prise en compte de son large pouvoir d’appréciation au titre des articles 127 et 282 TFUE et de l’article 18 des statuts SEBC (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, point 70 et jurisprudence citée ; voir, également, en ce sens et par analogie, arrêt du 11 décembre 2018, Weiss e.a., C‑493/17, EU:C:2018:1000, points 73, 91 et 93).

83      Enfin, il ressort de la jurisprudence rappelée au point 71 ci-dessus que les actes, les comportements ou les inactions des institutions, des organes ou des organismes de l’Union, tels qu’incriminés par les requérants, à savoir, notamment, ceux de l’Eurosystème, de la BCE, de la BEI, de la Commission, du Conseil et du Conseil européen, sont, en principe, susceptibles d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union ou de la BCE, indépendamment de leur caractère juridiquement contraignant ou non.

84      Ces actes, comportements ou inactions concernent, premièrement, la prétendue création d’une obligation de « consultation » des créanciers publics de la République hellénique au sens large, dans la mesure où ceux-ci incluent des institutions, des organes ou des organismes de l’Union, deuxièmement, l’avis de la BCE du 17 février 2012, troisièmement, l’absence de participation de l’Eurosystème, y compris de la BCE, et d’autres créanciers institutionnels à la restructuration de la dette publique grecque, notamment du fait de la mise en œuvre de l’accord d’échange du 15 février 2012, qui a déjà fait l’objet des arrêts du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE (T‑79/13, EU:T:2015:756), et du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE (T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21), et, quatrièmement, l’absence d’adoption par les institutions de l’Union de mesures pour prévenir une violation du droit primaire de l’Union au sens des arrêts du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE (C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, points 56 à 58 et 68), et du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 96).

85      Par conséquent, il convient d’examiner la question de savoir si ces différents actes, comportements ou inactions comportent des violations suffisamment caractérisées de règles de droit de l’Union conférant des droits aux particuliers.

86      En revanche, dans la mesure où le recours vise, dans ce cadre, des actes, des comportements ou des inactions de l’Eurogroupe et des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro, le Tribunal est incompétent pour connaître de leur légalité.

 Sur le premier moyen d’illégalité, tiré du caractère ultra vires des mesures contestées et d’une violation suffisamment caractérisée des articles 120 à 127 et de l’article 352, paragraphe 1, TFUE

87      Au soutien du premier moyen d’illégalité, les requérants avancent, en substance, que, en leur imposant les mesures contestées et en faisant échapper l’Eurosystème à la restructuration de la dette publique grecque, l’Union et la BCE ont agi ultra vires et en violation des articles 120 à 127 et de l’article 352, paragraphe 1, TFUE. Premièrement, les mesures contestées dépasseraient la compétence de l’Eurosystème en matière de politique monétaire de l’Union au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de l’article 127, paragraphe 1, et de l’article 282, paragraphe 2, TFUE. Il s’agirait de mesures de politique économique, au sens de l’article 2, paragraphe 3, et des articles 120 à 126 TFUE, relevant de la compétence exclusive de l’État membre concerné en matière de gestion de sa dette publique. À cet égard, l’Union ne pourrait adopter que des mesures préventives et correctives spécifiques visées à l’article 121 et à l’article 126, paragraphe 2, TFUE, parmi lesquels l’activation de CAC rétroactives ne serait pas prévue. Deuxièmement, à titre subsidiaire, il en serait de même de la décision de ne pas faire participer les créanciers publics à la restructuration de la dette publique grecque. Troisièmement, à titre encore plus subsidiaire, en adoptant ces mesures, l’Union n’aurait ni usé de ses pouvoirs qui lui étaient conférés en vertu de l’article 352, paragraphe 1, TFUE, ni respecté les exigences procédurales qui y sont prévues.

88      La Commission et la BCE contestent les arguments des requérants. Dans sa réponse à la question écrite du Tribunal visée au point 42 ci-dessus, la BCE ajoute que l’ordonnance du 12 mars 2020, EMB Consulting e.a./BCE (C‑571/19 P, non publiée, EU:C:2020:208), confirme qu’il convient de rejeter le présent moyen d’illégalité.

89      Le présent moyen est, notamment, fondé sur la prémisse selon laquelle les dispositions prétendument violées constituent des règles de droit de l’Union conférant des droits aux particuliers.

90      À cet égard, d’une part, il y a lieu de rappeler que, afin de garantir l’effet utile de la condition tenant à la violation d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers, il est nécessaire que la protection offerte par la règle invoquée soit effective à l’égard de la personne qui l’invoque et, donc, que cette personne soit parmi celles auxquelles la règle en question confère des droits. Ne saurait être admise comme source d’indemnité une règle ne protégeant pas le particulier contre l’illégalité qu’il invoque, mais protégeant un autre particulier. D’autre part, une règle de droit a pour objet de conférer des droits aux particuliers lorsqu’elle engendre un avantage susceptible d’être qualifié de droit acquis, qu’elle a pour fonction de protéger les intérêts des particuliers ou qu’elle procède à l’attribution de droits au profit des particuliers dont le contenu peut être suffisamment identifié (voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, points 77 et 140 et jurisprudence citée).

91      Or, force est de constater qu’aucune des dispositions invoquées au titre des articles 120 à 127, de l’article 282, paragraphe 2, et de l’article 352, paragraphe 1, TFUE ne constitue une règle de droit de l’Union conférant des droits aux requérants que ceux-ci pourraient valablement invoquer à l’appui du présent moyen d’illégalité.

92      En effet, premièrement, les articles 120 et 121 TFUE se limitent à reconnaître la compétence primaire des États membres en matière de politique économique tout en prévoyant des procédures destinées à coordonner leurs politiques économiques, mais ne contiennent aucune règle suffisamment claire, précise et inconditionnelle dont découleraient des droits subjectifs des requérants, susceptibles d’être invoqués devant le juge de l’Union ou devant le juge national (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 20 mars 2018, Garlsson Real Estate e.a., C‑537/16, EU:C:2018:193, points 65 et 66, et ordonnance du 22 mars 2010, SPM/Conseil et Commission, C‑39/09 P, non publiée, EU:C:2010:157, point 79 et jurisprudence citée). Il en va de même des dispositions de l’article 122 TFUE habilitant le Conseil, d’une part, à adopter des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l’approvisionnement en certains produits, notamment dans le secteur de l’énergie (paragraphe 1), et, d’autre part, à accorder, sous certaines conditions, une assistance de l’Union à un État membre connaissant des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d’événements exceptionnels échappant à son contrôle (paragraphe 2).

93      Deuxièmement, l’article 123, paragraphe 1, TFUE établit, certes, une interdiction claire, précise et inconditionnelle pour le SEBC d’apporter une assistance financière directe de quelque type que ce soit (découverts ou tout autre type de crédit) aux instances étatiques ou d’acquérir directement, auprès des États membres, des « instruments de leur dette », sans pour autant exclure, de manière générale, la faculté, pour l’Eurosystème, de racheter aux créanciers d’un tel État des titres préalablement émis par ce dernier et négociés sur le marché secondaire (voir, en ce sens, arrêts du 27 novembre 2012, Pringle, C‑370/12, EU:C:2012:756, point 132 ; du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, point 95, et du 11 décembre 2018, Weiss e.a., C‑493/17, EU:C:2018:1000, points 103 et 106). Il en est de même de l’article 125, paragraphe 1, TFUE en vertu duquel, notamment, l’Union ne répond pas des engagements d’instances étatiques, ni ne les prend à sa charge.

94      Cependant, eu égard au seul objectif d’intérêt public poursuivi tant par l’article 123, paragraphe 1, TFUE que par l’article 125, paragraphe 1, TFUE, à l’instar de l’article 124 TFUE (voir points 98 et 99 ci-après), ces règles ne sont pas destinées à conférer des droits aux particuliers au sens de la jurisprudence rappelée au point 90 ci-dessus.

95      En effet, l’interdiction visée à l’article 123, paragraphe 1, TFUE trouve son origine dans l’article 104 du traité CE (devenu article 101 CE), qui a été inséré dans le traité CE par le traité de Maastricht. Il ressort des travaux d’élaboration de ce dernier traité que l’article 123 TFUE vise à inciter les États membres à respecter une politique budgétaire saine en évitant qu’un financement monétaire des déficits publics ou un accès privilégié des autorités publiques aux marchés financiers ne conduise à un endettement excessif ou à des déficits excessifs des États membres (voir le projet de traité portant révision du traité instituant la Communauté économique européenne en vue de la mise en place d’une Union économique et monétaire, Bulletin des Communautés européennes, supplément 2/91, p. 22 et 52). Dans ces conditions, ainsi que le rappelle le septième considérant du règlement (CE) no 3603/93 du Conseil, du 13 décembre 1993, précisant les définitions nécessaires à l’application des interdictions énoncées à l’article [123 TFUE] et à l’article [125, paragraphe 1, TFUE] (JO 1993, L 332, p. 1), les achats effectués sur le marché secondaire ne sauraient valablement être utilisés pour contourner l’objectif poursuivi par l’article 123 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, points 99 à 101, et du 11 décembre 2018, Weiss e.a., C‑493/17, EU:C:2018:1000, point 107).

96      Il s’ensuit que l’objectif poursuivi tant par l’article 123 TFUE que par l’article 125 TFUE rejoint celui visé par l’article 126 TFUE qui oblige les États membres à éviter les déficits publics excessifs. Cet objectif tend à protéger non le particulier, mais l’Union en tant que telle, y compris ses États membres, contre des comportements contraires à l’exigence de respecter une saine discipline budgétaire qui pourraient générer un endettement excessif ou des déficits excessifs de certains États membres et, partant, compromettre la stabilité économique et financière de l’Union dans son ensemble, ainsi que le fonctionnement efficace de la monnaie unique (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:7, points 217 à 219). Cette appréciation s’applique mutatis mutandis à l’interdiction énoncée à l’article 125 TFUE qui garantit que les États membres restent soumis à la logique du marché lorsqu’ils contractent des dettes, cette logique devant les inciter à maintenir une discipline budgétaire, dont le respect contribue à l’échelle de l’Union à la réalisation d’un objectif supérieur, à savoir le maintien de la stabilité financière de l’Union monétaire (voir, en ce sens, arrêt du 27 novembre 2012, Pringle, C‑370/12, EU:C:2012:756, points 135 et 136).

97      Ainsi, l’article 123, paragraphe 1, TFUE et l’article 125, paragraphe 1, TFUE constituent des règles de droit adoptées dans le but exclusif de servir l’intérêt public et, en particulier, l’intérêt de l’Union dans son ensemble, de sorte que seuls l’Union et ses États membres, en tant que représentants de l’intérêt de l’Union, se voient protéger par ces règles.

98      Troisièmement, l’article 124 TFUE interdit toute mesure, ne reposant pas sur des considérations d’ordre prudentiel, accordant notamment aux États membres un accès privilégié aux institutions financières afin d’inciter les États membres à respecter une politique budgétaire saine en évitant qu’un financement monétaire des déficits publics ou un accès privilégié des autorités publiques aux marchés financiers ne conduise à un endettement excessif ou à des déficits excessifs des États membres. Cette interdiction figurait originellement à l’article 104 A du traité CE (devenu article 102 CE), lequel a été inséré dans le traité CE par le traité de Maastricht, et fait donc, à l’instar des articles 123 et 125 TFUE (voir point 95 ci-dessus), partie des dispositions du traité FUE relatives à la politique économique qui visent à inciter les États membres à respecter une politique budgétaire saine en évitant qu’un financement monétaire des déficits publics ou un accès privilégié des autorités publiques aux marchés financiers ne conduise à un endettement excessif ou à des déficits excessifs des États membres (voir arrêt du 1er octobre 2015, Bara e.a., C‑201/14, EU:C:2015:638, point 22 et jurisprudence citée ; ordonnance du 12 mars 2020, EMB Consulting e.a./BCE, C‑571/19 P, non publiée, EU:C:2020:208, point 54 ; voir, également, en ce sens, arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 136).

99      Il s’ensuit que l’interdiction prévue à l’article 124 TFUE ne confère pas de droits aux particuliers et aux entreprises, mais vise à protéger les institutions de l’Union et des États membres contre les risques budgétaires d’un accès privilégié à des institutions financières et, partant, contre des comportements susceptibles de compromettre la stabilité économique et financière de l’Union dans son ensemble (voir, en ce sens, ordonnance du 12 mars 2020, EMB Consulting e.a./BCE, C‑571/19 P, non publiée, EU:C:2020:208, point 55, et arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, points 139 à 141).

100    Quatrièmement, force est de constater que l’article 127, paragraphe 1, lu conjointement avec l’article 282, paragraphe 2, TFUE, en vertu duquel l’objectif principal de la politique monétaire de l’Union est le maintien de la stabilité des prix (arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, point 43), n’est pas davantage destiné à conférer des droits aux particuliers.

101    À cet égard, la Cour a précisé que l’objectif de préservation d’une transmission appropriée de la politique monétaire était à la fois de nature à préserver l’unicité de ladite politique et à contribuer à son objectif principal, à savoir le maintien de la stabilité des prix. En effet, l’aptitude du SEBC à influer sur l’évolution des prix au moyen de ses décisions de politique monétaire dépend, dans une large mesure, de la transmission des impulsions qu’il émet sur le marché monétaire aux différents secteurs de l’économie. Par conséquent, un fonctionnement dégradé du mécanisme de transmission de la politique monétaire est susceptible de rendre inopérantes les décisions du SEBC dans une partie de la zone euro et, partant, de mettre en cause l’unicité de la politique monétaire. Par ailleurs, dès lors qu’un fonctionnement dégradé du mécanisme de transmission altère l’efficacité des mesures adoptées par le SEBC, la capacité de celui-ci à garantir la stabilité des prix en est nécessairement affectée. Partant, des mesures visant à préserver ce mécanisme de transmission peuvent être rattachées à l’objectif principal défini à l’article 127, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, points 49 et 50).

102    Indépendamment de ce qui précède, les comportements incriminés de la BCE, en particulier la passation et la mise en œuvre de l’accord d’échange du 15 février 2012 dans l’objectif d’éviter l’application des CAC aux titres de créance grecs détenus par les banques centrales de l’Eurosystème, s’inséraient dans le cadre de l’exercice des compétences et des missions fondamentales qui lui étaient imparties aux fins de la définition et de la mise en œuvre de la politique monétaire de l’Union, au titre des articles 127 et 282 TFUE et de l’article 18 des statuts SEBC, et visaient à préserver la marge de manœuvre desdites banques centrales et, notamment, leur capacité à intervenir sur les marchés de capitaux et à refinancer les établissements de crédit, dont les banques grecques, en vertu de l’article 18, paragraphe 1, premier et second tirets, des statuts SEBC, et, partant, à assurer la continuité du bon fonctionnement de l’Eurosystème dans son ensemble (voir, en ce sens, arrêts du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, points 93, 108 et 114, et du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, point 98 ; voir également points 174 à 178 ci-après).

103    Eu égard au large pouvoir d’appréciation conféré à la BCE en matière de politique monétaire, dont l’exercice implique des évaluations complexes, notamment, d’ordre économique et social dans le contexte de l’Eurosystème, voire de l’Union dans son ensemble, l’éventuel constat d’une violation suffisamment caractérisée par la BCE des articles 120 à 127 TFUE supposerait donc d’établir une méconnaissance manifeste et grave des limites dudit large pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, points 67 et 68 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, points 68 et 75, et du 11 décembre 2018, Weiss e.a., C‑493/17, EU:C:2018:1000, points 73 et 91). Or, eu égard à ce qui est exposé au point 102 ci-dessus, les requérants ne sont pas fondés à faire valoir que, en l’espèce, la BCE aurait manifestement et gravement méconnu les limites de son large pouvoir d’appréciation et de ses compétences, au titre, notamment, de l’article 127, paragraphe 1, lu conjointement avec l’article 282, paragraphe 2, TFUE, qui exigent de procéder à des choix d’ordres politique, économique et social, voire à un arbitrage entre les différents objectifs qui y sont visés, et dont l’objectif principal est le maintien de la stabilité des prix.

104    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les règles de droit invoquées par les requérants au soutien du grief tiré de ce que les institutions auraient agi ultra vires, ne leur confèrent pas de droits spécifiques dont la violation serait de nature à établir la responsabilité non contractuelle soit de l’Union, soit de la BCE.

105    Cette conclusion s’impose, à plus forte raison, quant à la règle de compétence complémentaire prévue à l’article 352, paragraphe 1, TFUE, dont une éventuelle violation n’est pas susceptible d’être invoquée par un particulier à l’appui d’une demande indemnitaire.

106    Dès lors, il y a lieu de rejeter le présent moyen dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen d’illégalité, tiré d’une violation suffisamment caractérisée de l’article 123 TFUE

107    Par le deuxième moyen d’illégalité, les requérants reprochent à la BCE et à l’Eurosystème, en substance, d’avoir enfreint l’article 123 TFUE en se soustrayant à la restructuration de la dette publique grecque grâce à, notamment, la passation et la mise en œuvre de l’accord d’échange du 15 février 2012. À cet égard, ils contestent la considération exposée au point 114 de l’arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE (T‑79/13, EU:T:2015:756), selon laquelle cette approche serait même requise par l’article 123 TFUE. Selon les requérants, au contraire, au cas où le défaut de paiement d’un ͘État membre serait imminent et l’Eurosystème risquerait de perdre ses investissements dans leur intégralité, il serait « contraire à la logique de marché et bien plus coûteux pour l’Eurosystème de lui interdire de réduire ses pertes en renonçant à certaines créances », pour ainsi le prémunir contre la perte totale de la valeur de son portefeuille, position que la BCE aurait faite sienne devant le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne).

108    La Commission et la BCE contestent les arguments des requérants. Dans sa réponse à la question écrite du Tribunal visée au point 42 ci-dessus, la BCE ajoute que l’ordonnance du 12 mars 2020, EMB Consulting e.a./BCE (C‑571/19 P, non publiée, EU:C:2020:208), confirme qu’il convient de rejeter le présent moyen d’illégalité.

109    Hormis le fait que l’article 123, paragraphe 1, TFUE ne confère pas des droits aux particuliers (voir points 93 à 97 ci-dessus), il suffit de constater que le présent moyen est intrinsèquement contradictoire en ce qu’il se heurte à une jurisprudence établie ayant reconnu que, au contraire, une participation inconditionnelle des banques centrales de l’Eurosystème à la restructuration de la dette publique grecque moyennant le PSI et les CAC aurait été susceptible d’être qualifiée d’intervention ayant un effet équivalant à celui de l’acquisition directe par lesdites banques centrales de titres étatiques, qui est interdite par l’article 123 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 114 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, points 97 et 104, et du 11 décembre 2018, Weiss e.a., C‑493/17, EU:C:2018:1000, points 106 et 110). Or, ainsi que l’avancent les requérants eux-mêmes, les comportements incriminés de la BCE, en particulier la passation de l’accord d’échange du 15 février 2012, visaient précisément à éviter que les banques centrales de l’Eurosystème participent à la restructuration de la dette publique grecque en sacrifiant une partie de la valeur des titres de créance grecs détenus dans leurs portefeuilles respectifs.

110    À cet égard, les requérants font valoir que la Cour accepte, sous certaines conditions, que la BCE, lorsqu’elle achète de titres de créance étatiques dans le cadre d’un programme de rachat, comme le programme relatif à des opérations monétaires sur titres, s’expose inévitablement au risque de subir des pertes, notamment en cas de décote décidée par les autres créanciers de l’État membre concerné. La Cour qualifie ce risque d’inhérent à l’acquisition de tels titres sur les marchés secondaires et précise que cette opération a été autorisée par les auteurs des traités, sans être subordonnée à l’octroi à la BCE du statut de créancier privilégié (arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, points 125 et 126). Toutefois, l’acceptation d’un tel risque dans le cadre d’un programme de rachat de titres spécifique n’implique pas qu’il existe a contrario une obligation absolue pour la BCE d’accepter dans tous les cas un traitement pari passu avec les autres créanciers (voir, en ce sens, arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 102), et ce d’autant moins lorsqu’une telle approche risque de créer un effet équivalant à celui de l’acquisition directe par la BCE de titres de créance étatiques auprès d’un État membre émetteur et, en particulier, lorsqu’elle crée pour tous les investisseurs la certitude du rachat futur de leurs obligations souveraines sur les marchés secondaires par l’Eurosystème (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, point 113).

111    Dès lors, le présent moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le troisième moyen d’illégalité, tiré d’une violation suffisamment caractérisée du droit de propriété garanti par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte

112    Dans le cadre du troisième moyen d’illégalité, les requérants relèvent que les mesures contestées, imputables à l’Union et à la BCE ainsi que l’absence de participation de l’Eurosystème à la restructuration de la dette publique grecque constituent une ingérence intolérable, illégale et disproportionnée, portant atteinte à l’essence même de leur droit de propriété garanti par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte. En outre, la restriction de leur droit de propriété résultant des mesures contestées ne serait pas justifiée par un objectif d’intérêt public. L’objectif poursuivi par ces mesures aurait été de rassurer les créanciers publics afin qu’ils puissent mettre en œuvre le nouveau programme d’assistance financière et notamment procéder au versement de nouveaux prêts en faveur de la République hellénique. Or, la réduction marginale de la dette publique grecque d’environ 1,09 % que représente la part détenue par les créanciers privés soumis aux CAC ne saurait constituer un intérêt public justifiant une telle restriction au droit de la propriété. En tout état de cause, il s’agirait d’une charge disproportionnée pour l’intérêt individuel par rapport aux avantages procurés dans l’intérêt public général.

113    À titre subsidiaire, les requérants estiment que leur droit de propriété a été restreint dans une mesure moindre, mais néanmoins importante, en raison de l’absence de participation des créanciers publics et, en tout état de cause, de l’Eurosystème à la restructuration de la dette publique grecque qui n’aurait pas poursuivi d’objectif d’intérêt public. Le droit de l’Union ne conférerait ni à l’Union ni à l’Eurosystème la compétence pour accorder à certains « créanciers ordinaires d’un ͘État membre » le statut de créancier privilégié, et les traités n’auraient pas pour objectif de protéger les créanciers publics contre les effets d’une restructuration d’une dette souveraine. De toute façon, la mesure en cause serait contraire au principe de proportionnalité en ce qu’elle excède ce qui est nécessaire pour atteindre le but qui est de réduire la dette publique grecque. La même réduction du montant de ladite dette, soit environ 107 milliards d’euros, aurait pu être obtenue et, partant, le même but aurait pu être atteint, si les créanciers publics avaient participé à ladite restructuration sur un pied d’égalité avec les créanciers privés, ce qui aurait donné lieu à une « décote » substantiellement inférieure de la valeur nominale des titres de créance grecs échangés. Le caractère disproportionné de cette mesure serait aussi confirmé par la prise de position de la BCE devant le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) démontrant que l’objectif de protection de l’Eurosystème contre des pertes qui sont susceptibles d’être source d’instabilité au sein de la zone euro aurait pu être atteint par d’autres mesures de sécurité, prises en tout état de cause par la BCE et présentant une ingérence moindre dans le droit de propriété des requérants. Dans leur réponse à la question écrite du Tribunal visée au point 42 ci-dessus, les requérants précisent que l’ordonnance du 12 mars 2020, EMB Consulting e.a./BCE (C‑571/19 P, non publiée, EU:C:2020:208), ne préjuge pas du bien-fondé du présent moyen et ils continuent à remettre en cause le caractère tant nécessaire que proportionné du taux de réduction de la dette publique grecque ainsi que de l’implication des investisseurs privés.

114    La Commission, la BCE, le Conseil européen et le Conseil contestent les arguments des requérants. Dans sa réponse à la question écrite du Tribunal visée au point 42 ci-dessus, la BCE, soutenue par le Conseil européen et le Conseil, ajoute que l’ordonnance du 12 mars 2020, EMB Consulting e.a./BCE (C‑571/19 P, non publiée, EU:C:2020:208), et l’arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028), confirment qu’il convient de rejeter le présent moyen d’illégalité.

115    Le droit de propriété garanti par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, qui énonce le droit de toute personne de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, constitue une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, dont le respect est une condition de la légalité des actes de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 66, et du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 96 et jurisprudence citée).

116    En outre, conformément à l’article 51 de la Charte, les dispositions de celle-ci s’adressent, notamment, aux institutions de l’Union au sens de l’article 13, paragraphe 1, TUE, parmi lesquelles figure la BCE, qui sont tenues d’en respecter les droits, d’en observer les principes et d’en promouvoir l’application (voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, points 95 et 98).

117    Il en résulte que, en principe, une violation suffisamment caractérisée de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte par une institution, par un organe ou par un organisme de l’Union, y compris par la BCE, est susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle soit de l’Union, soit de la BCE, au titre de l’article 340, deuxième et troisième alinéas, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 97).

118    Par ailleurs, le caractère fondamental de cette règle de droit protégeant les particuliers et l’obligation correspondante pour la Commission et la BCE de promouvoir son respect implique que ces particuliers sont en droit d’attendre que ces institutions dénoncent la violation d’une telle règle lors de l’exercice de leurs compétences ou s’abstiennent d’y contribuer (voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, points 57, 59 et 66 à 75 ; du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 96, et du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 98).

119    Toutefois, le droit de propriété garanti par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte n’est pas une prérogative absolue. Son exercice peut faire l’objet de restrictions, à la condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, points 69 et 70 et jurisprudence citée ; ordonnance du 12 mars 2020, EMB Consulting e.a./BCE, C‑571/19 P, non publiée, EU:C:2020:208, point 42, et arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 99).

120    En effet, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit toutefois être prévue par la loi, respecter leur contenu essentiel et, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées à ces droits et libertés que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui (voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 70 et jurisprudence citée ; du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 155 et jurisprudence citée, et du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 100).

121    En l’espèce, en premier lieu, il est constant que la loi no 4050/2012, ayant fait l’objet, notamment, de l’avis de la BCE du 17 février 2012, a permis de réduire la valeur nominale des titres de créance détenus par les requérants et, partant, leur droit au remboursement de ladite valeur au moment où ces titres devaient arriver à échéance (voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 101).

122    En effet, les titres de créance arrivés à échéance doivent, en principe, être remboursés à leur valeur nominale. Les requérants avaient donc, en principe, à l’échéance de leurs titres, une créance pécuniaire envers l’État grec d’un montant équivalant à leur valeur nominale. L’adoption de la loi no 4050/2012 a modifié ces conditions en introduisant les CAC. Ainsi qu’il est exposé au point 33 ci-dessus, celles-ci étaient applicables à certains titres de créance grecs et prévoyaient plus précisément la possibilité de modifier les conditions les régissant moyennant un accord conclu entre, d’une part, l’État grec et, d’autre part, une majorité de détenteurs des titres de créance grecs représentant au moins deux tiers de la valeur nominale des titres concernés. En vertu des dispositions pertinentes de ladite loi, une modification intervenue à la suite d’un tel accord devient juridiquement contraignante pour tous les détenteurs de titres de créance grecs, y compris ceux qui n’ont pas consenti à la modification proposée (voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 102).

123    La loi no 4050/2012 a donc permis de forcer des détenteurs de titres de créance grecs à participer à la réduction de la dette publique grecque par le biais d’une dévaluation de la valeur desdits titres, à partir du moment où cette réduction était approuvée par le quorum de leurs détenteurs. Cette loi a, de la sorte, modifié les droits des détenteurs des titres de créance grecs nonobstant l’absence de clauses de révision contenues dans les conditions régissant leur émission (arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 103).

124    À la suite de l’adoption de cette loi, les autorités helléniques ont publié les caractéristiques d’un PSI dans la réduction de la dette publique grecque et ont invité les détenteurs des titres de créance concernés à participer à un échange de titres. Le quorum et la majorité requis pour procéder à l’échange de titres envisagé ayant été atteints, tous les détenteurs de titres de créance grecs, y compris ceux qui s’opposaient à cet échange, ont vu leurs titres échangés en application de la loi no 4050/2012 et, par conséquent, leur valeur diminuée (arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 104).

125    Il s’ensuit que les mesures contestées avaient pour conséquence une ingérence dans le droit de propriété des requérants qui se sont vu imposer, contre leur gré, une réduction substantielle de la valeur nominale des titres de créance grecs dont ils étaient les titulaires (voir, en ce sens, Cour EDH, 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce, CE:ECHR:2016:0721JUD006306614, points 90 à 93).

126    Une ingérence supplémentaire dans le droit de propriété des requérants, certes d’une portée moindre, résulte de l’absence de participation de l’Eurosystème et des autres créanciers institutionnels, tels que la BEI et l’Union, à la restructuration de la dette publique grecque. Ainsi que le font valoir les requérants, une telle participation, représentant une valeur nominale totale de 56 674 709 177,59 euros (voir point 10 ci-dessus), aurait nécessairement eu pour résultat une réduction moins importante de la valeur nominale de chacun des titres de créance grecs concernés aux fins de la réduction acquise de la dette publique grecque à hauteur de 107 milliards d’euros.

127    En deuxième lieu, si l’adoption et la mise en œuvre de la loi no 4050/2012 ont ainsi entraîné une atteinte au droit de propriété des requérants, force est de constater que ladite loi répondait à des objectifs d’intérêt général, parmi lesquels figurait celui d’assurer la stabilité du système bancaire de la zone euro dans son ensemble (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, points 71 et 74). De même, la Cour EDH a jugé, dans son arrêt du 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce (CE:ECHR:2016:0721JUD006306614, point 103), que la République hellénique pouvait légitimement prendre des mesures en vue d’atteindre les objectifs de maintien de la stabilité économique et la restructuration de la dette, dans l’intérêt général de la communauté. En effet, à ce stade, en l’absence de restructuration de la dette publique grecque au moyen des mesures contestées, il existait un risque non négligeable d’une détérioration supplémentaire de la situation économique et de la viabilité des finances publiques de l’État grec, voire d’une éventuelle insolvabilité de sa part, dont les titres de créance potentiellement en défaut n’auraient plus été susceptibles d’être acceptés par la BCE et par les banques centrales nationales comme sûretés dans le cadre des opérations de crédit de l’Eurosystème, et, par conséquent, d’une affectation de la stabilité du système financier et du fonctionnement de l’Eurosystème dans son ensemble (voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, points 105 et 106). Ainsi, les mesures contestées contribuaient à préserver tant les finances publiques grecques que la stabilité du système financier de la zone euro, promouvant ainsi la solidité des institutions financières (voir, en ce sens, ordonnance du 12 mars 2020, EMB Consulting e.a./BCE, C‑571/19 P, non publiée, EU:C:2020:208, point 51, et arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 138).

128    En troisième lieu, quant à la question de savoir si la réduction de la valeur des titres de créance grecs détenus par les requérants ainsi que l’exclusion, en particulier, de la participation de l’Eurosystème à la restructuration de la dette publique grecque ne constituaient pas, au regard du but poursuivi, des interventions démesurées et intolérables qui porteraient atteinte à la substance même du droit ainsi garanti, il importe de rappeler les considérations suivantes, confirmées par la jurisprudence.

129    Premièrement, tout créancier doit supporter le risque d’insolvabilité de son débiteur, y compris étatique. L’achat par un investisseur de titres de créance étatiques constitue, par définition, une transaction comportant un certain risque financier, parce que soumis aux aléas de l’évolution des marchés des capitaux. Ce risque est d’autant plus grand lorsque l’État émetteur de titres de créance fait face à une situation économique hautement instable déterminant la fluctuation de la valeur desdits titres, voire à un risque non négligeable de défaut, ne fût-il que sélectif, de paiement. Par conséquent, même avant le début de la crise financière en 2009, lorsque l’État grec émetteur faisait déjà face à un endettement et à un déficit importants, les requérants devaient savoir que l’achat de titres de créance grecs comportait un risque de perte élevé (voir, en ce sens, arrêts du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, points 82 et 121 ; du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, point 97, et du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, points 108 et 109).

130    En l’espèce, cette appréciation est confirmée au regard des dates d’émission et d’achat des titres de créance grecs litigieux, qui, selon les propres dires des requérants, se situaient, pour la plupart desdits titres, entre janvier 2009 et mars 2010. Ainsi, ces achats sont principalement intervenus soit pendant la période au cours de laquelle la République hellénique se trouvait déjà dans une situation de déficit extrême (Cour EDH, 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce, CE:ECHR:2016:0721JUD006306614, point 101) et ayant précédé le déclenchement de sa crise financière en octobre 2009, soit durant une période au cours de laquelle sa situation financière était exposée à de fortes perturbations du marché financier, accentuée par une baisse importante de la notation de ses titres de créance (arrêt du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, point 97). Force est donc de constater que, du moins pour ce qui est des achats de titres émis à partir de 2010, les requérants ont procédé à des investissements à haut risque, dont il ne saurait être exclu qu’ils étaient guidés par un but spéculatif et non d’épargne, dans l’espoir d’obtenir un rendement élevé. De surcroît, les divergences de vue au sein des États membres de la zone euro et des autres organes impliqués, tels la Commission, le FMI et la BCE, à propos d’une restructuration de la dette publique grecque, n’auraient pas pu être négligées par des investisseurs privés tels que les requérants. Dans de telles circonstances exceptionnelles, un opérateur économique prudent et avisé n’aurait pas pu exclure le risque d’une restructuration de la dette publique grecque afin d’éviter un défaut, à tout le moins sélectif, de la République hellénique (voir, en ce sens, arrêts du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, points 82 et 121 ; du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, points 97 et 115, et du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, points 109 à 111).

131    Deuxièmement, il est constant que, face à l’importance de la crise financière à laquelle l’État grec était exposé depuis 2010, un nouveau programme d’assistance financière en sa faveur, qui avait été élaboré et devait être mis en œuvre aux niveaux multilatéral et intergouvernemental, avec la participation des États membres de la zone euro, assistés, d’abord, par le FESF et, ensuite, par le mécanisme européen de stabilité (ci-après le « MES ») institué en vertu du traité entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, l’Irlande, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, la République italienne, la République de Chypre, le Grand-Duché de Luxembourg, la République de Malte, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la République portugaise, la République de Slovénie, la République slovaque et la République de Finlande, conclu à Bruxelles le 2 février 2012 et entré en vigueur le 27 septembre 2012, ainsi qu’avec celle du FMI, était devenu indispensable. Comme le relèvent les requérants eux-mêmes, la restructuration de la dette publique grecque envisagée par les mesures contestées, de même que l’exclusion de la participation de l’Eurosystème à ladite restructuration constituaient, en vertu des accords bilatéraux et multilatéraux conclus, des conditions préalables à la mise en œuvre de cette assistance financière (voir, en ce sens, Cour EDH, 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce, CE:ECHR:2016:0721JUD006306614, point 116). Ainsi, il ressort de la déclaration de l’Eurogroupe du 21 février 2012 que la restructuration de la dette publique grecque en vertu de la loi no 4050/2012 était la condition préalable de l’octroi d’une assistance financière additionnelle de la part des créanciers étatiques et institutionnels. Or, eu égard aux circonstances prévalant à ce stade, un PSI exclusivement volontaire, dépourvu de CAC, n’aurait pas assurément garanti la participation d’un pourcentage suffisant de détenteurs privés de titres de créance grecs pour atteindre le taux de désendettement requis et finalement obtenu par la diminution de la dette publique grecque d’un montant d’environ 107 milliards d’euros (Cour EDH, 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce, CE:ECHR:2016:0721JUD006306614, point 104). En outre, compte tenu du risque d’aléa moral (moral hazard) relevé à juste titre par la Commission, par la BCE, par le Conseil européen et par le Conseil, il n’était pas non plus garanti qu’un PSI sans CAC eût entrainé un taux de participation suffisamment élevé pour permettre la libération de prêts de la part des États membres de la zone euro allant jusqu’à 130 milliards d’euros jusqu’en 2014 (voir la déclaration de l’Eurogroupe du 21 février 2012). En effet, le problème d’aléa moral pouvait créer un important incitant supplémentaire pour tout investisseur ou détenteur de titres de créance grecs visant à préserver son patrimoine à refuser une offre d’échange volontaire de titres, voire à acheter davantage de titres dans le cas d’une baisse de leur valeur marchande, en espérant que d’autres créanciers ou la communauté au sens large assumaient les conséquences négatives de son investissement à risque. Dès lors, l’absence de CAC aurait non seulement entraîné l’application d’un pourcentage de réduction plus élevé à l’égard des titres de créance grecs détenus par ceux qui auraient été prêts à accepter une décote, mais aurait également contribué à dissuader un grand nombre de détenteurs de tels titres de participer au processus de désendettement, voire les aurait incités à contrecarrer la mise en œuvre de son objectif. Les mesures contestées étaient donc indispensables tant pour garantir la réussite de la restructuration envisagée de la dette publique grecque que pour permettre l’octroi d’une assistance financière supplémentaire destinée à prévenir, à court terme, un défaut de paiement de l’État grec et à l’aider, à moyen terme, à maîtriser sa crise financière et à retrouver un équilibre économique. Il s’ensuit que les requérants sont restés en défaut de démontrer que la loi no 4050/2012 était manifestement inappropriée ou démesurée à cet effet ou qu’un PSI exclusivement volontaire, dépourvu de CAC, ou un pourcentage de décote moindre auraient constitué des mesures aussi efficaces, mais moins contraignantes pour atteindre les objectifs d’intérêt public poursuivis (voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 112).

132    Eu égard aux considérations qui précèdent, doit être écarté l’argument des requérants selon lequel les détenteurs privés de titres de créance grecs n’auraient disposé que d’une part négligeable de la dette publique grecque d’une valeur de 2,262 milliards d’euros, ce qui n’aurait représenté qu’environ 1,09 % des 206 milliards d’euros visés par l’offre d’échange de titres, de sorte que leur inclusion aurait été manifestement disproportionnée aux fins d’atteindre l’objectif d’intérêt public poursuivi. En tout état de cause, à supposer même que, à cet égard, les requérants partent d’une notion restreinte de « détenteurs privés » en la limitant à des personnes physiques ou à des épargnants, à la différence de détenteurs institutionnels ou professionnels ou de personnes morales (voir le cinquième moyen d’illégalité), il suffit de constater que cette distinction est dépourvue de pertinence (voir points 156 à 166 ci-après).

133    Troisièmement, certes, l’échange obligatoire de titres de créance grecs à la suite de la loi no 4050/2012 et de l’approbation par une majorité des détenteurs de tels titres a entraîné une baisse très importante de la valeur nominale de ceux-ci. En effet, les requérants, qui n’ont pas consenti à la modification proposée des conditions régissant leurs titres de créance, se sont vu imposer les nouvelles conditions contenues dans ladite loi, et notamment une diminution de la valeur nominale de ces titres. Or, le législateur hellénique pouvait légitimement introduire un taux de décote applicable horizontalement, sur la base de la valeur nominale des titres de créance grecs éligibles, étant donné qu’un autre calcul en fonction de la valeur marchande de chacun des titres à une certaine date ou de leurs échéances respectives aurait été impraticable. En effet, le point de référence pour apprécier le degré de la perte subie par les requérants ne saurait être le montant que ceux-ci espéraient percevoir au moment de l’arrivée à maturité de leurs titres de créance grecs. Même si la valeur nominale d’un titre de créance reflète la mesure de la créance de son détenteur à la date de l’arrivée à maturité, elle ne représentait pas la véritable valeur marchande des titres de créance grecs à la date à laquelle l’État grec a adopté la loi no 4050/2012, à savoir le 23 février 2012, lorsque cette valeur était déjà affectée par sa solvabilité en baisse durant les années 2010 et 2011, qui laissait présager que, à la date de l’arrivée à maturité, l’État grec n’aurait pas été en mesure d’honorer ses obligations découlant des clauses conventionnelles incluses dans ces titres (voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 113, et Cour EDH, 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce, CE:ECHR:2016:0721JUD006306614, point 112).

134    Quatrièmement, les requérants ne sauraient faire valoir que l’exclusion de la participation de l’Eurosystème à la restructuration de la dette publique grecque était une restriction non nécessaire ou manifestement démesurée. D’une part, ainsi qu’il ressort, notamment, de la déclaration de l’Eurogroupe du 21 février 2012, les créanciers étatiques et institutionnels de l’État grec avaient conditionné l’assistance financière supplémentaire également à cette exclusion. D’autre part, tant la passation que la mise en œuvre de l’accord d’échange du 15 février 2012, qui étaient destinées à permettre aux banques centrales de l’Eurosystème d’échapper au PSI et à l’application des CAC, s’inséraient dans le cadre de l’exercice des compétences et des missions fondamentales de l’Eurosystème en ce qu’elles visaient à préserver la marge de manœuvre des banques centrales et à assurer la continuité du bon fonctionnement de l’Eurosystème. Ce dernier exigeait, notamment, que lesdites banques centrales puissent continuer à accepter les titres de créance grecs en tant que sûretés appropriées aux fins d’opérations de crédit de l’Eurosystème au sens de l’article 18, paragraphe 1, second tiret, des statuts SEBC (voir, en ce sens, arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, points 93, 94 et 108 ; voir également point 102 ci-dessus), ce qui n’aurait plus été possible en cas de décote et, partant, de défaut de paiement partiel de l’État grec. De plus, comme il est exposé au point 109 ci-dessus, une participation inconditionnelle des banques centrales de l’Eurosystème à la restructuration de la dette publique grecque aurait pu être qualifiée d’intervention ayant un effet équivalent à celui de l’acquisition directe par lesdites banques centrales de titres étatiques, interdite par l’article 123 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 114, et du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, point 98 ; voir également, en ce sens, arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, point 97 et 104, et du 11 décembre 2018, Weiss e.a., C‑493/17, EU:C:2018:1000, points 106 et 110).

135    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, les requérants ne sont pas fondés à alléguer, d’une part, que les titres de créance grecs détenus par les créanciers privés auraient constitué une part négligeable de la dette publique grecque, et, d’autre part, que, dans l’hypothèse d’une participation de l’Eurosystème à la restructuration de la dette publique grecque, la décote opérée aurait été nettement moindre et l’Eurosystème aurait disposé de moyens moins contraignants pour prévenir les effets négatifs d’un traitement pari passu.

136    En effet, compte tenu de la nature du titre de propriété en cause, de l’ampleur et du caractère sévère et virulent de la crise de la dette publique grecque, de l’aval de l’État grec et de la majorité des détenteurs de titres de créance grecs pour un échange avec dévalorisation desdits titres et de l’importance des pertes subies, ni la réduction de la valeur des titres de créance grecs litigieux en vertu des mesures contestées, ni l’exclusion de la participation de l’Eurosystème à la restructuration de la dette publique grecque ne constituaient, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable portant atteinte à la substance même du droit de propriété des requérants garanti par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte. Enfin, à défaut de violation de cette disposition, il ne peut être reproché ni à la Commission ni à la BCE de ne l’avoir pas dénoncée, notamment, dans l’avis de la BCE du 17 février 2012 (voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, points 114 à 116).

137    Par conséquent, le troisième moyen d’illégalité doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le quatrième moyen d’illégalité, tiré d’une violation suffisamment caractérisée des droits des requérants découlant de l’article 63, paragraphe 1, TFUE

138    À l’appui du quatrième moyen d’illégalité, les requérants avancent, en substance, que les mesures contestées, notamment l’activation des CAC, et, à titre subsidiaire, l’exclusion de l’Eurosystème de la restructuration de la dette publique grecque ont restreint la libre circulation des capitaux au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE.

139    En premier lieu, l’activation des CAC rétroactives aurait été décidée par l’Union ou par la BCE, en tant qu’acteurs institutionnels, à l’instar d’un organe exerçant un pouvoir étatique au sens de l’article 63 TFUE, et non en leur qualité d’acteurs de marché assumant le risque que comportent leurs décisions et obéissant à la logique de marché. En effet, cette décision n’aurait été soumise ni à l’examen des créanciers privés ni au vote majoritaire d’une réunion des créanciers. Une telle restriction serait illégale, l’objectif poursuivi n’étant pas guidé par l’intérêt public. En tout état de cause, la participation forcée à cette restructuration des créanciers privés n’ayant pas consenti serait disproportionnée, puisque la dette totale détenue par eux n’était pas suffisamment importante pour rendre la dette publique grecque viable.

140    En second lieu, les requérants estiment que la décision de l’Union ou de la BCE d’exclure l’Eurosystème de la participation à la restructuration de la dette publique grecque restreint également la libre circulation des capitaux en accordant, de manière arbitraire, aux créanciers publics un traitement préférentiel au détriment des créanciers privés. Cette exclusion arbitraire, non justifiée par le rang des créanciers publics, ne répondrait pas aux conditions de marché et dissuaderait les investisseurs privés d’acquérir des titres de créance grecs. Elle ne poursuivrait pas non plus un objectif d’intérêt public, ladite restructuration ne trouvant pas de justification dans les traités. En tout état de cause, une participation à cette restructuration, en particulier, de l’Eurosystème n’aurait pas déstabilisé l’euro ou affecté la stabilité des prix dans la zone euro, notamment, grâce aux mesures préventives prises par la BCE. Cette exclusion serait aussi disproportionnée en ce qu’elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre un tel objectif d’intérêt public, la viabilité de la dette publique grecque ayant pu être atteinte en faisant participer les créanciers publics sur un pied d’égalité avec les créanciers privés, avec pour effet une dépréciation d’une ampleur considérablement atténuée de la valeur des titres de créance grecs détenus par les requérants.

141    Selon la Commission, la restructuration de la dette publique grecque, dans le cadre de laquelle s’inscrivent les mesures contestées, constitue, en effet, une restriction à la libre circulation des capitaux au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, mais est justifiée de façon objective en vue de la réalisation d’un objectif d’intérêt général. La BCE, quant à elle, conteste que les mesures contestées violent cette disposition. Dans leurs réponses à la question écrite du Tribunal visée au point 42 ci-dessus, la Commission, la BCE, le Conseil européen et le Conseil ajoutent que l’ordonnance du 12 mars 2020, EMB Consulting e.a./BCE (C‑571/19 P, non publiée, EU:C:2020:208), confirme qu’il convient de rejeter le présent moyen d’illégalité.

142    L’article 63, paragraphe 1, TFUE interdit toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers. De telles restrictions constituent notamment des mesures imposées par un État membre qui sont de nature à dissuader, à limiter ou à empêcher des investisseurs d’autres États membres à investir dans ledit État membre ou, inversement, qui sont de nature à dissuader, à limiter ou à empêcher des investisseurs de cet État membre à investir dans d’autres États membres (voir arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 119 et jurisprudence citée).

143    La libre circulation des capitaux consacrée à l’article 63, paragraphe 1, TFUE constitue une des libertés fondamentales de l’Union, dont le respect s’impose tant aux États membres qu’aux institutions de l’Union et, partant, également à la BCE (voir arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 120 et jurisprudence citée).

144    Force est de constater que, indépendamment de la question de savoir si la mise en œuvre de la loi no 4050/2012 pouvait entraîner une restriction aux mouvements des capitaux au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, une telle restriction, si elle avait été démontrée, serait justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. En effet, la libre circulation des capitaux peut être limitée par une réglementation nationale à condition que cette dernière soit justifiée, sur la base de considérations objectives indépendantes de l’origine des capitaux concernés, par des raisons impérieuses d’intérêt général et qu’elle respecte le principe de proportionnalité, ce qui exige qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif légitimement poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint (voir arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, points 121 et 122 et jurisprudence citée).

145    Tel est le cas en l’espèce des mesures contestées et de l’exclusion de la participation de l’Eurosystème à la restructuration de la dette publique grecque. Ainsi qu’il est exposé au point 131 ci-dessus, les circonstances à l’origine de la loi no 4050/2012 étaient réellement exceptionnelles, dès lors que, en l’absence de restructuration, un défaut de paiement, à tout le moins sélectif, à court terme de l’État grec était une perspective crédible. En outre, comme il est exposé aux points 102 et 134 ci-dessus, les mesures contestées et ladite exclusion visaient à assurer la stabilité du système bancaire de la zone euro dans son ensemble qui constitue une raison impérieuse d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 123).

146    En outre, les requérants n’ont pas établi que les mesures contestées et que cette exclusion étaient disproportionnées. Ces mesures ont permis de rétablir la stabilité du système bancaire de la zone euro dans son ensemble et il n’est pas démontré qu’elles allaient au-delà de ce qui était nécessaire pour rétablir ladite stabilité. En particulier, la participation des créanciers privés à l’échange de titres de créance grecs sur une base exclusivement volontaire, comme le préconisent les requérants, n’aurait pas permis d’assurer le succès de cet échange de titres, mais aurait, au contraire, créé un incitant contreproductif à ne pas y participer. En effet, dans une telle hypothèse, il n’aurait pas été garanti qu’un nombre suffisant desdits créanciers auraient accepté un tel échange volontaire, compte tenu de l’aléa moral qu’il impliquait (voir point 131 ci-dessus). Or, le succès de l’échange de titres conditionnait la restructuration de la dette publique grecque, qui, à son tour, était nécessaire afin de stabiliser le système bancaire de la zone euro (voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, point 124).

147    Partant, les requérants invoquent à tort une violation par les institutions de l’Union ou par la BCE de la libre circulation des capitaux au sens de l’article 63 TFUE.

148    Dès lors, le quatrième moyen d’illégalité doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le cinquième moyen d’illégalité, tiré d’une violation suffisamment caractérisée du droit à l’égalité de traitement prévu à l’article 20 de la Charte

 Rappel des arguments essentiels des parties

149    Au soutien du cinquième moyen d’illégalité, tiré d’une violation suffisamment caractérisée du principe d’égalité de traitement, les requérants invoquent essentiellement deux branches, à savoir, d’une part, l’existence d’un traitement égal interdit de situations différentes, et, d’autre part, celle d’un traitement inégal interdit de situations identiques ou comparables. Dans le cadre de la première branche, ils contestent, notamment, la comparabilité des situations respectives de deux prétendues catégories distinctes de détenteurs de titres de créance grecs au titre du PSI, à savoir les investisseurs privés ou détenteurs particuliers et, en particulier les épargnants, d’une part, et les investisseurs ou détenteurs institutionnels ou professionnels, d’autre part. Par la seconde branche, les requérants remettent en cause le prétendu traitement inégal de situations identiques ou comparables qui, d’une part, résiderait dans l’exclusion de la participation des créanciers publics, en particulier de l’Eurosystème, à la restructuration de la dette publique grecque, et, d’autre part, dans une méthode discriminatoire effectuant la décote.

150    À l’appui de la première branche, les requérants soutiennent, en substance, que, en adoptant les mesures contestées, la Commission et la BCE ont méconnu que les détenteurs particuliers et institutionnels de titres de créance grecs ne se trouvaient pas dans des situations comparables et devaient faire l’objet d’un traitement différent. Les détenteurs particuliers seraient des acteurs du marché peu sophistiqués, dépourvus de moyens suffisants pour juger du bien-fondé d’une décision d’investir dans de la dette souveraine, et achèteraient normalement des quantités moins importantes de titres que les détenteurs institutionnels, les mettant dans l’incapacité d’influencer la prise de décisions collectives. Ils n’échangeraient pas les titres de créance, mais y investiraient plutôt l’épargne d’une vie, habituellement sur les conseils de leurs banques. Par ailleurs, ils auraient tendance à acquérir de tels titres immédiatement après leur émission et presque toujours au pair ou à une valeur proche, afin de toucher des intérêts (coupon) et percevoir le capital nominal à l’échéance. En revanche, les détenteurs institutionnels, plus expérimentés, achèteraient des titres de créance en grandes quantités et seraient donc susceptibles de bénéficier d’un traitement privilégié et de commissions plus faibles. Ainsi, les banques de la zone euro auraient participé volontairement au PSI, en particulier parce que la BCE a acquis des titres de créance grecs sur le marché secondaire et dans le cadre des régimes de recapitalisation. En raison de leur taille, les détenteurs institutionnels seraient en mesure de négocier avec l’émetteur de titres, comme, en l’espèce, par le biais de l’IFI. La distinction entre les investisseurs privés de détail et institutionnels ou professionnels serait reconnue dans la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil (JO 2004, L 145, p. 1), qui prévoit une protection accrue pour les clients de détail. En l’espèce, seulement certains requérants auraient investi des sommes d’argent importantes, ce qui ne les aurait pourtant pas convertis en investisseurs professionnels. En achetant des titres de créance grecs à une valeur proche de la valeur au pair, voire, pour certains, à un prix supérieur à la valeur au pair, les requérants n’auraient pas eu l’ambition de réaliser un investissement risqué à rendement élevé. Un seul requérant aurait acheté des titres à 65 % de leur valeur nominale, tout en achetant des titres à 101,3 % de leur valeur nominale pour un montant de 1 450 000 euros et des titres à 99 % de leur valeur nominale pour un montant de 280 000 euros. En revanche, aucun des requérants n’aurait acquis des titres de créance grecs à une valeur très inférieure, notamment au moment de la mise en place du PSI, lorsque certains desdits titres se négociaient pour 20 à 35 % de leur valeur nominale.

151    Dans le cadre de la seconde branche relative à l’exclusion des créanciers publics de la restructuration de la dette publique grecque, d’une part, les requérants soulignent, en substance, que ces créanciers, avant tout l’Eurosystème, étaient des créanciers ordinaires au même titre que les créanciers privés. Dans ce contexte, ils avancent que les considérations pertinentes exposées dans l’arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE (T‑79/13, EU:T:2015:756, points 85 à 103), doivent être lues à la lumière des arrêts du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756, points 53 à 55), et du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400), concernant les limites de la politique monétaire et son rapport à la politique économique. Selon les requérants, la restructuration de la dette publique grecque relève de la politique économique et le seul fait qu’elle aurait pu avoir des conséquences sur la politique monétaire ne saurait transformer l’absence de participation du secteur public, en particulier de l’Eurosystème, en mesure de politique monétaire au sens de l’article 127, paragraphes 1 et 2, TFUE, de l’article 282, paragraphe 1, TFUE, ainsi que de l’article 18, paragraphe 1, premier et second tirets, des statuts SEBC. En tout état de cause, le traitement différencié et préférentiel des titres de créance grecs détenus par les créanciers publics et, en particulier, par l’Eurosystème, ne poursuivrait pas un but d’intérêt public. Sa participation à cette restructuration n’aurait représenté qu’une faible réduction de la valeur de son portefeuille sans mettre l’Eurosystème en péril, compte tenu en particulier de la déclaration de la BCE devant le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) selon laquelle elle avait veillé à la prévention suffisante du risque, principalement par des provisions et réserves et que, en cas de pertes, celles-ci pourraient être reportées et compensées par les recettes les années suivantes. L’article 123 TFUE ne saurait être interprété en ce sens qu’il interdit à l’Eurosystème de renoncer à certaines créances découlant de titres de créance étatiques. Au contraire, lorsqu’un ͘État membre est confronté à un défaut de paiement imminent de sa dette, il serait conforme aux conditions de marché et au risque associé à l’achat de titres de créance sur le marché secondaire que l’Eurosystème accepte d’être traité à l’égal d’autres détenteurs de titres si, lors d’une réunion des créanciers, une réduction de la dette est votée à la majorité. La protection absolue réservée aux créanciers publics lors de la restructuration de la dette publique grecque violerait donc l’article 20 de la Charte.

152    S’agissant de la structure de la décote imposée, d’autre part, les requérants précisent, en substance, que l’une des caractéristiques essentielles de la restructuration de la dette publique grecque était que chaque détenteur de titres s’est vu offrir le même et unique ensemble de titres nouveaux, alors que les titres éligibles étaient assortis d’échéances résiduelles comprises entre une date presque imminente, le 20 mars 2012, et 45 ans. Les taux des coupons ayant été en général compris entre 4 et 6 % – bien inférieurs aux rendements à la sortie –, la valeur actuelle des titres à long terme aurait été bien inférieure à celle des titres à court terme avec la même valeur nominale. Partant, les titres à court terme, pour lesquelles les créanciers ont été invités à renoncer au remboursement total dont l’échéance était proche, auraient été soumis à une décote bien plus importante, soit jusqu’à 80 %, que les titres à plus long terme, dont la valeur nominale aurait subi une dépréciation drastique dans le contexte de rendement élevé régnant en Grèce après la conversion de dette. Selon les requérants, cette approche uniforme, qui avait pour seul but d’accélérer la clôture du PSI avant le 20 mars 2012, date d’échéance d’un remboursement obligataire d’un montant de 14,4 milliards d’euros, constitue une violation flagrante du principe d’égalité, puisque des situations radicalement différentes ont été traitées de la même façon. Toutefois, une restructuration « titre par titre » aurait été techniquement faisable et aurait permis à la République hellénique de proposer aux détenteurs de titres des offres différentes en fonction des échéances des titres concernés.

153    La Commission, la BCE, le Conseil européen et le Conseil contestent les arguments des requérants. Dans leurs réponses à la question écrite du Tribunal visée au point 42 ci-dessus, le Conseil européen et le Conseil ajoutent que l’arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028), confirme qu’il convient de rejeter le présent moyen d’illégalité.

 Appréciation du Tribunal

–       Rappel de jurisprudence

154    Le principe d’égalité de traitement, en tant que principe général de droit de l’Union, impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. En outre, la violation du principe d’égalité de traitement du fait d’un traitement différencié présuppose que les situations visées sont comparables eu égard à l’ensemble des éléments qui les caractérisent (voir arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, points 191 et 192 et jurisprudence citée).

155    C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’examiner les première et seconde branches du présent moyen.

–       Sur la première branche, tirée d’un traitement égal en dépit de l’absence de comparabilité entre les investisseurs privés et les investisseurs institutionnels ou professionnels

156    S’agissant de la première branche, c’est à tort que les requérants soutiennent que les investisseurs privés, en particulier les épargnants, ayant investi dans des titres de créance grecs ne se trouvaient pas, aux fins du PSI, dans une situation comparable à celle des investisseurs ou des détenteurs institutionnels ou professionnels, mais qui ne relèvent pas, selon les termes choisis par les requérants, de la catégorie des créanciers publics.

157    Premièrement, les requérants ne contestent pas que, à l’instar de certains investisseurs institutionnels ou professionnels, des personnes physiques ou morales dotées d’une capacité financière importante, telles que, en l’espèce, la société QJ détenant des titres de créance grecs d’une valeur nominale totale de 22 650 000 euros, sont susceptibles d’acquérir des quantités substantielles de titres de créance étatiques (voir, en ce sens, Cour EDH, 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce, CE:ECHR:2016:0721JUD006306614, points 137 et 138). Cela démontre en soi que la capacité financière ou le volume de titres acquis ne sont pas, dans tous les cas, des critères de différenciation pertinents pour distinguer les investisseurs privés des investisseurs institutionnels ou professionnels. Il en va de même du critère de l’expertise et des connaissances en matière financière qui peuvent varier dans chacun des deux groupes d’investisseurs envisagés par les requérants, ces groupes étant tous susceptibles de recourir à des conseils d’experts en la matière. En outre, n’est pas avérée l’affirmation selon laquelle les décisions d’investissement de la majorité des investisseurs privés dans des titres de créance étatiques sont, à la différence de celles des investisseurs institutionnels ou professionnels, principalement guidées par la volonté d’investir dans de l’épargne, étant donné que, à l’instar des requérants, un grand nombre de particuliers a été amené, lors de la crise financière grecque, à investir des sommes importantes dans des titres de créance grecs nonobstant le risque élevé qui était associé à cet investissement (voir, notamment, les faits à l’origine des arrêts du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, et du 23 mai 2019, Steinhoff e.a./BCE, T‑107/17, EU:T:2019:353, confirmé par ordonnance du 12 mars 2020, EMB Consulting e.a./BCE, C‑571/19 P, non publiée, EU:C:2020:208).

158    Deuxièmement, ainsi qu’il est déjà exposé au point 130 ci-dessus, cette appréciation est confirmée, en l’espèce, eu égard aux dates d’émission et d’achat de la plupart des titres de créance grecs litigieux, qui, selon les propres dires des requérants, se situaient entre janvier 2009 et mars 2010, c’est-à-dire au cours de périodes durant lesquelles l’État grec se trouvait déjà dans une situation de déficit extrême ou était exposé à de fortes perturbations du marché financier, accentuée par une baisse importante de la notation de ses titres de créance. Force est donc de constater que, du moins pour ce qui est des achats de titres émis à partir de 2010, les requérants ont procédé à des investissements à haut risque, dont il ne saurait être exclu qu’ils étaient guidés par un but spéculatif au lieu d’épargne, dans l’espoir d’obtenir un rendement élevé. Or, dans cette mesure, les décisions d’investissement des requérants dans les titres de créance grecs étaient comparables à celles d’autres investisseurs institutionnels ou professionnels poursuivant les mêmes objectifs (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, points 97 et 115).

159    Troisièmement, la motivation principale susmentionnée sous-tendant les décisions d’investissement en cause était un critère de différenciation ou de comparaison tant pertinent que suffisant aux fins de l’application du principe d’égalité de traitement à l’égard des créanciers privés soumis au PSI, y compris les requérants, et plus précisément aux fins de la comparaison des situations respectives desdits investisseurs, outre le fait qu’ils détenaient tous des titres de créance grecs. En revanche, tel n’est pas le cas d’éventuels motifs accessoires ou supplémentaires quant à cette motivation principale, qui étaient également de nature à influer sur la décision desdits investisseurs d’acquérir des titres de créance grecs. En effet, tant en théorie qu’en pratique, il n’est possible ni de distinguer clairement les investisseurs ayant agi à titre purement privé, en tant qu’épargnants, de ceux ayant agi dans le cadre d’une activité institutionnelle ou professionnelle, voire à titre spéculatif, ni de différencier à suffisance entre des personnes physiques ou morales susceptibles d’appartenir à un de ces deux groupes d’investisseurs. Une telle distinction serait non seulement artificielle, mais exigerait aussi de vérifier, de manière détaillée, les véritables motifs, forcément subjectifs, ayant guidé les décisions d’investissement en cause, ce qui risquerait de rendre l’inclusion d’un investisseur dans l’une ou l’autre catégorie très aléatoire (voir, en ce sens, Cour EDH, 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce, CE:ECHR:2016:0721JUD006306614, point 137).

160    En effet, il aurait été très difficile et chronophage d’opérer, aux fins du PSI, une distinction claire entre les investisseurs privés, qui pouvaient être des personnes physiques ou morales, d’une part, et les investisseurs institutionnels ou professionnels, d’autre part, voire d’identifier les seuls « épargnants » parmi la première catégorie d’investisseurs. En outre, afin de déterminer la répartition précise de la dette publique grecque parmi ces investisseurs, il aurait été nécessaire d’interdire ou de « geler » les échanges de titres à partir d’un moment donné avant l’adoption de la loi no 4050/2012 pour jeter les bases d’une exemption non discriminatoire du PSI de certains investisseurs répondant à certains critères objectifs, mais difficiles à établir. Cependant, la simple annonce d’une telle démarche avant cette date aurait pu donner lieu à un transfert massif de titres vers les catégories de détenteurs de titres exemptés, ce qui aurait mis en péril le succès même de l’opération envisagée de restructuration de la dette publique grecque en vertu du PSI (voir, en ce sens, Cour EDH, 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce, CE:ECHR:2016:0721JUD006306614, points 137 et 138).

161    Cette appréciation n’est pas contredite par la note d’information du GLK du 24 février 2012, qui avait identifié des titres de créance grecs acquis par des personnes physiques sur les marchés primaire et secondaire de titres d’une valeur totale respective de 1,3 milliard et de 962 millions d’euros, sans pour autant expliciter les critères juridiques et factuels pertinents à l’origine de ces constats. Elle n’est pas davantage remise en cause par l’argument vague et ambigu des requérants, probablement tiré d’un constat de la Cour EDH, destiné à résumer les arguments des requérants dans cette autre affaire (Cour EDH, 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce, CE:ECHR:2016:0721JUD006306614, point 76), selon lequel les personnes physiques n’auraient détenu que 1,09 % de la dette publique grecque.

162    Quatrièmement, même à supposer que, du fait de l’importance de leur position de créanciers et de leur capacité financière plus significative, certains investisseurs institutionnels ou professionnels, qui constituent normalement des personnes morales, soient généralement plus aptes que les investisseurs privés ou épargnants à négocier avec l’État émetteur de titres de créance et à influer sur ses décisions en matière de gestion de sa dette publique, il est impossible d’établir une ligne de démarcation claire et praticable entre ces investisseurs institutionnels ou professionnels, d’une part, et ceux dotés d’une taille et d’une capacité économique nettement inférieures ou les personnes physiques exerçant une activité entrepreneuriale ou professionnelle, d’autre part. En outre, sans préjudice de leur qualité de personne morale ou physique, il n’est pas avéré que les « petits » investisseurs privés ou épargnants n’avaient pas de possibilité de s’organiser et d’influer sur le processus décisionnel ayant abouti à l’adoption de la loi no 4050/2012 ou, à tout le moins, sur l’issue de la procédure d’offre d’échange de titres en tentant d’atteindre une minorité de blocage pour empêcher l’activation des CAC, par exemple, en faisant appel à des associations de protection des consommateurs, de petits investisseurs ou d’épargnants.

163    Dès lors, les éléments de différenciation avancés par les requérants pour démontrer que les investisseurs privés et les investisseurs institutionnels et professionnels ne se trouvaient pas, en tant que détenteurs de titres de créance grecs, dans des situations comparables ne sont ni étayés ni pertinents au regard de l’objectif des mesures contestées, à savoir celui d’assurer la restructuration de la dette publique grecque afin de la rendre viable. Dans ce contexte, l’éventuel motif d’épargne ou un autre motif économique secondaire ayant amené un créancier privé soumis au PSI à investir dans des titres de créance grecs ne constitue pas un élément de différenciation pertinent au regard de cet objectif (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 200, et Cour EDH, 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce, CE:ECHR:2016:0721JUD006306614, points 134 et 137). Au contraire, à l’aune dudit objectif, ces personnes se trouvaient a priori dans des situations soit identiques, soit comparables, étant donné qu’elles avaient acquis des titres de créance grecs dans leur seul intérêt patrimonial privé, voire dans un but lucratif ou spéculatif, et qu’elles avaient accepté le risque de perte qui y était associé tout en étant conscientes de la situation de crise financière dans laquelle la République hellénique se trouvait à l’époque.

164    En outre, même à considérer que la différenciation alléguée par les requérants soit pertinente au regard du principe d’égalité de traitement, il n’aurait pas été possible d’opérer une distinction entre les prétendus « petits épargnants » et les « gros investisseurs » en fixant, notamment, un seuil d’investissement de 100 000 euros, en dessous duquel les titres de créance auraient pu être exemptés du PSI. En effet, à l’instar de ce qui est exposé au point 160 ci-dessus et ainsi que la Cour EDH l’a jugé (Cour EDH, 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce, CE:ECHR:2016:0721JUD006306614, points 137 et 138), la simple annonce de l’introduction d’une telle exemption aurait eu pour effet un transfert massif de tels titres vers des catégories de détenteurs de titres exemptés, ce qui aurait pu mettre en péril le succès du PSI dans son ensemble. En outre, les requérants sont restés en défaut de démontrer que, à la suite de l’adoption de la loi no 4050/2012, il eût été possible d’introduire une telle différenciation légalement, cette loi ayant déjà clairement établi les critères régissant le PSI et l’activation des CAC pour l’ensemble des titres de créance grecs éligibles, sans pour autant prévoir de possibles exemptions.

165    La distinction opérée par les requérants entre les investisseurs privés et les investisseurs institutionnels ou professionnels n’est pas davantage étayée par les dispositions de la directive 2004/39. Même si ladite directive visait à protéger les « clients de détail » en tant qu’investisseurs dans des « valeurs mobilières », telles que les obligations ou titres de créance négociables, cette protection n’était que préventive et ne portait que sur la manière dont les « entreprises d’investissement », y compris les banques commerciales, offraient, vendaient et géraient ces valeurs (voir notamment le considérant 44 et l’article 19 concernant les exigences de transparence des transactions et les règles de conduite pour la fourniture de services d’investissement à des clients). De même, dans la mesure où cette directive prévoyait des obligations d’information spécifiques des entreprises d’investissement à l’égard de leurs clients concernant, notamment, la qualité des services fournis et des instruments financiers proposés, y compris des informations appropriées « sur les risques inhérents à l’investissement dans ces instruments ou à certaines stratégies d’investissement » (article 19, paragraphe 3, deuxième tiret), ces obligations ne portaient ni sur les conséquences de la réalisation de tels risques, ni, à plus forte raison, sur la question de savoir si les « clients de détail » devaient ou non être traités sur un pied d’égalité avec les « clients professionnels », dont les établissements de crédit, dans le cadre de la restructuration d’une dette souveraine.

166    Ainsi, les requérants ayant omis d’établir à suffisance de droit qu’ils se trouvaient dans une situation différente de celle d’autres détenteurs privés de titres de créance grecs, dont les investisseurs institutionnels ou professionnels, il convient de rejeter la première branche tirée d’une violation suffisamment caractérisée du principe d’égalité de traitement, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur l’existence d’une éventuelle justification objective du traitement égal en cause.

–       Sur la seconde branche, tirée d’un traitement inégal du fait de l’exclusion de la participation des créanciers publics, en particulier de l’Eurosystème, à la restructuration de la dette publique grecque

167    S’agissant de la seconde branche, tirée, en particulier, d’un prétendu traitement inégal de la situation des investisseurs privés, dont les requérants, d’une part, et de celle des créanciers publics, notamment des banques centrales de l’Eurosystème, d’autre part, il y a lieu de rappeler la jurisprudence établie du Tribunal ayant rejeté des griefs analogues (arrêts du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, points 88 à 92, et du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, points 108 à 117), que les requérants tentent vainement de remettre en cause.

168    En premier lieu, les requérants partent d’une prémisse erronée en avançant que tous les particuliers ayant acquis des titres de créance grecs, en tant qu’épargnants ou créanciers « privés » de la République hellénique, d’une part, et la BCE et les banques centrales nationales de l’Eurosystème, d’autre part, se trouvaient, au regard des principes et des objectifs des règles pertinentes sur lesquelles les agissements incriminés étaient fondés, dans une situation comparable, voire identique, aux fins de l’application du principe général d’égalité de traitement. Cette argumentation méconnaît en particulier que, en procédant à l’achat de titres de créance grecs, notamment sur le fondement de la décision 2010/281, la BCE et lesdites banques centrales nationales ont agi dans l’exercice de leurs missions fondamentales, en vertu de l’article 127, paragraphes 1 et 2, TFUE, et, notamment, de l’article 18, paragraphe 1, premier tiret, des statuts SEBC, dans l’objectif du maintien de la stabilité des prix et de la bonne gestion de la politique monétaire, ainsi que dans les limites dressées par les dispositions de ladite décision (voir considérant 5 de ladite décision) (voir, en ce sens, arrêts du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 88, et du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, point 111).

169    Ainsi, le programme d’achat de titres de créance d’État, y compris grecs, instauré par la décision 2010/281, était expressément fondé sur l’article 127, paragraphe 2, premier tiret, TFUE, et, notamment, sur l’article 18, paragraphe 1, des statuts SEBC et s’inscrivait, face à la crise financière à laquelle l’État grec était exposé, dans le contexte « des circonstances exceptionnelles prévalant sur les marchés de capitaux, caractérisées par de graves tensions sur certains compartiments de marché qui entrav[ai]ent le mécanisme de transmission de la politique monétaire et, par là, la conduite efficace d’une politique monétaire axée sur la stabilité des prix à moyen terme ». Selon cette décision, ce programme était donc destiné à faire « partie de la politique monétaire unique de l’Eurosystème » pour « remédier au dysfonctionnement des marchés de titres et rétablir un mécanisme approprié de transmission de la politique monétaire » (considérants 2 à 4 de ladite décision). Ces motifs ne sont pas contestés en tant que tels par les requérants qui se limitent à fonder la comparabilité des situations en cause sur la seule circonstance que tant les investisseurs privés que les banques centrales de l’Eurosystème ayant acquis des titres de créance grecs seraient des créanciers de l’État grec disposant de droits égaux (voir, en ce sens, arrêts du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 89, et du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, point 112).

170    En effet, le programme d’achat de titres et, partant, l’achat par les banques centrales de l’Eurosystème de titres de créance d’État, y compris grecs, participaient aux missions fondamentales du SEBC au sens de l’article 127, paragraphes 1 et 2, TFUE, lu conjointement avec l’article 282, paragraphe 1, TFUE. Plus concrètement, ces mesures reposaient sur l’habilitation prévue à l’article 18, paragraphe 1, premier tiret, des statuts SEBC, en vertu duquel, « [a]fin d’atteindre les objectifs du SEBC et d’accomplir ses missions, la BCE et les banques centrales nationales peuvent », notamment, « intervenir sur les marchés de capitaux [...] en achetant et en vendant ferme (au comptant et à terme) [...] des créances et des titres négociables, libellés en euros ou d’autres monnaies ». En outre, il résulte de cette dernière disposition que l’achat par lesdites banques centrales de titres de créance d’État sur le marché secondaire a pour seul objet d’atteindre les objectifs du SEBC et d’accomplir ses missions, ce qui exclut tout motif extérieur à cet objet, notamment l’intention d’obtenir des rendements élevés par des investissements, voire par des transactions à titre spéculatif (arrêt du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, point 113 ; voir, également, en ce sens, arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 90).

171    Par conséquent, force est de constater que les requérants, en tant qu’investisseurs privés ou épargnants ayant agi pour leur propre compte et dans leur intérêt exclusivement privé à obtenir un rendement maximal de leurs investissements, se trouvaient dans une situation distincte de celle des banques centrales de l’Eurosystème. Alors même que, en vertu du droit privé applicable, lesdites banques centrales ont acquis, lors de l’achat de titres de créance étatiques, à l’instar des investisseurs privés, le statut de créancier de l’État émetteur et débiteur, ce seul point commun ne saurait justifier de les considérer comme se trouvant dans une situation semblable, voire identique, à celle desdits investisseurs. En effet, une telle approche adoptée du point de vue du seul droit privé ne tiendrait compte ni de l’encadrement juridique de l’opération d’achat desdits titres par les banques centrales, ni des objectifs d’intérêt public que celles-ci étaient appelées à poursuivre dans ce contexte en vertu des règles de droit primaire applicables, dont les principes et les objectifs doivent être pris en considération pour apprécier la comparabilité des situations en cause au regard du principe d’égalité de traitement (voir, en ce sens, arrêts du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 91, et du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, point 114).

172    Il convient donc de conclure que les requérants, en tant qu’investisseurs privés ayant acheté des titres de créance grecs dans leur seul intérêt patrimonial privé, quel que soit le motif précis de leurs décisions d’investissement, se trouvaient dans une situation différente de celle des banques centrales de l’Eurosystème dont la décision d’investissement était exclusivement guidée par des objectifs d’intérêt public, tels que visés à l’article 127, paragraphes 1 et 2, TFUE, lu conjointement avec l’article 282, paragraphe 1, TFUE, ainsi que l’article 18, paragraphe 1, premier tiret, des statuts SEBC. Ainsi, à défaut de comparabilité des situations en cause, la passation et la mise en œuvre de l’accord d’échange du 15 février 2012 ne sauraient constituer une violation du principe d’égalité de traitement (voir, en ce sens, arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 92).

173    En deuxième lieu, en l’espèce, les requérants n’avancent aucun argument supplémentaire ou nouveau pouvant amener le Tribunal à modifier cette jurisprudence. En particulier, contrairement à ce qu’ils font valoir, il ressort clairement des considérations précédentes que la mise en œuvre tant du programme d’achat de titres que de l’accord d’échange du 15 février 2012 constituait des mesures de politique monétaire au sens de l’article 127, paragraphes 1 et 2, TFUE, de l’article 282, paragraphe 1, TFUE ainsi que de l’article 18, paragraphe 1, premier et second tirets, des statuts SEBC.

174    Cette appréciation est confirmée par la jurisprudence de la Cour selon laquelle, en vue de déterminer si une mesure relève de la politique monétaire, il faut se référer principalement aux objectifs de cette mesure, mais aussi aux moyens que celle-ci met en œuvre en vue d’atteindre ces objectifs. Ainsi, lorsqu’un programme d’achat de titres spécifique est destiné, d’une part, à atteindre l’objectif de préservation de l’unicité de la politique monétaire, il contribue à la réalisation des objectifs de cette politique, dans la mesure où celle-ci doit, conformément à l’article 119, paragraphe 2, TFUE, être « unique ». En outre, en ce qu’un tel programme vise, d’autre part, à préserver une transmission appropriée de la politique monétaire, cet objectif est à la fois de nature à préserver l’unicité de ladite politique et à contribuer à l’objectif principal de celle-ci qui est le maintien de la stabilité des prix. En effet, l’aptitude de l’Eurosystème à influer sur l’évolution des prix au moyen de ses décisions de politique monétaire dépend, dans une large mesure, de la transmission des impulsions qu’il émet sur le marché monétaire aux différents secteurs de l’économie, de sorte qu’un fonctionnement dégradé du mécanisme de transmission de la politique monétaire est susceptible de rendre inopérantes les décisions de l’Eurosystème dans une partie de la zone euro et, partant, de mettre en cause l’unicité de la politique monétaire. Par ailleurs, dès lors qu’un fonctionnement dégradé du mécanisme de transmission altère l’efficacité des mesures adoptées par l’Eurosystème, la capacité de celui-ci à garantir la stabilité des prix en est nécessairement affectée. Il s’ensuit que des mesures visant à préserver ce mécanisme de transmission peuvent être rattachées à l’objectif principal défini à l’article 127, paragraphe 1, TFUE. Le fait qu’un tel programme d’achat de titres soit éventuellement susceptible de contribuer également à la stabilité de la zone euro, qui relève de la politique économique, n’est pas susceptible de remettre en cause cette analyse, une mesure de politique monétaire ne pouvant être assimilée à une mesure de politique économique du seul fait qu’elle est susceptible d’avoir des effets indirects sur la stabilité de la zone euro (voir, en ce sens, arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, points 46 à 52 et jurisprudence citée, et du 11 décembre 2018, Weiss e.a., C‑493/17, EU:C:2018:1000, points 61 et 63).

175    S’agissant des moyens envisagés afin d’atteindre les objectifs de l’Eurosystème et d’accomplir ses missions ainsi que les objectifs visés par un tel programme d’achat, la Cour a précisé, en substance, que la mise en œuvre dudit programme impliquait des opérations monétaires sur titres sur les marchés secondaires de la dette souveraine, au sens de l’article 18, paragraphe 1, des statuts SEBC (voir, en ce sens, arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, points 53 et 54, et du 11 décembre 2018, Weiss e.a., C‑493/17, EU:C:2018:1000, point 69). Elle en a conclu, notamment, que, eu égard aux objectifs d’un tel programme d’achat de titres et aux moyens prévus aux fins d’atteindre ceux-ci, ledit programme relevait du domaine de la politique monétaire et a rejeté l’argument tiré du fait que la mise en œuvre d’un tel programme d’achat de titres soit subordonnée au respect intégral des programmes d’ajustement macroéconomique du FESF ou du MES et qu’il puisse, le cas échéant, renforcer, de manière incidente, l’incitation à respecter ces programmes dont la réalisation poursuit des objectifs de politique économique. Selon la Cour, de telles incidences indirectes ne sauraient impliquer qu’un tel programme doit être assimilé à une mesure de politique économique, dans la mesure où il ressort de l’article 119, paragraphe 2, TFUE, de l’article 127, paragraphe 1, TFUE et de l’article 282, paragraphe 2, TFUE que, sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, l’Eurosystème apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, points 55 à 59).

176    La Cour en a conclu que la circonstance que l’acquisition d’obligations souveraines sur les marchés secondaires sous condition de respecter un programme d’ajustement macroéconomique a pu être considérée comme relevant de la politique économique lorsqu’elle était pratiquée par le MES n’impliquait pas qu’il devrait en être de même lorsque cet instrument était utilisé par l’Eurosystème dans le cadre d’un programme d’achat de titres. En effet, la différence entre les objectifs poursuivis par le MES et l’Eurosystème est, à cet égard, décisive. Alors qu’un tel programme ne peut être mis en œuvre que dans la mesure nécessaire au maintien de la stabilité des prix, l’intervention du MES vise, quant à elle, à préserver la stabilité de la zone euro, ce dernier objectif ne relevant pas de la politique monétaire (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, points 63 et 64 et jurisprudence citée).

177    Il ressort des considérations qui précèdent que, quand bien même la restructuration de la dette publique grecque relèverait, à titre principal, de la politique économique et, partant, de la compétence des États membres, ce à quoi répond, en l’espèce, l’adoption par le législateur hellénique de la loi no 4050/2012, il n’en demeure pas moins que l’ensemble des mesures accompagnatrices adoptées par l’Eurosystème, au titre de l’article 127, paragraphes 1 et 2, TFUE, de l’article 282, paragraphe 1, TFUE, et de l’article 18, paragraphe 1, premier et second tirets, des statuts SEBC, fait partie de la politique monétaire. Cela est d’autant plus vrai qu’une telle restructuration est susceptible d’avoir des répercussions importantes sur la poursuite de l’objectif principal de la politique monétaire, à savoir le maintien de la stabilité des prix, ainsi que sur le bon fonctionnement des systèmes de paiement. En revanche, le seul fait que ces mesures accompagnatrices étaient censées soutenir des mesures de politique économique au sens strict, soit le redressement de la situation financière de la République hellénique, n’implique pas qu’elles puissent être assimilées à ces dernières. Cela concerne non seulement l’achat par les banques centrales de l’Eurosystème sur le marché obligataire secondaire de titres de créance grecs en vertu d’un programme d’achat de titres au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier tiret, des statuts SEBC (voir la décision 2010/281 visée au point 7 ci-dessus), mais également toute autre mesure liée à la gestion de tels titres, y compris la vente ou le troc en tant qu’actus contrarius, notamment dans le cadre de l’accord d’échange du 15 février 2012.

178    En effet, la passation et la mise en œuvre de cet accord d’échange, qui étaient destinées à permettre aux banques centrales de l’Eurosystème d’échapper au PSI et à l’application des CAC, s’inséraient dans le cadre de l’exercice des compétences et des missions fondamentales de l’Eurosystème en ce qu’elles visaient à préserver la marge de manœuvre desdites banques centrales et à assurer la continuité du bon fonctionnement de l’Eurosystème. Ce dernier objectif présupposait, notamment, que ces banques centrales puissent continuer à accepter les titres de créance grecs en tant que sûretés appropriées aux fins d’opérations de crédit de l’Eurosystème au sens de l’article 18, paragraphe 1, second tiret, des statuts SEBC (voir, en ce sens, arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 108), ce qui n’aurait pas été possible en cas de notation faible desdits titres, et moins encore en cas de décote, c’est-à-dire de défaut de paiement partiel [voir orientation 2011/817/UE de la BCE, du 20 septembre 2011, concernant les instruments et procédures de politique monétaire de l’Eurosystème (BCE/2011/14) (JO 2011, L 331, p. 1), et son annexe I, intitulée « Documentation générale sur les instruments et procédures de politique monétaire de l’Eurosystème », points 6.3.1 et 6.3.2 fixant les critères régissant tant l’exigence minimale en matière de qualité de signature ou du seuil de qualité du crédit que la qualité de signature élevée pour les actifs négociables]. À cet égard, il convient de rappeler que, par sa décision 2010/268/UE, du 6 mai 2010, relative à des mesures temporaires concernant l’éligibilité des titres de créance négociables émis ou garantis par le gouvernement hellénique (BCE/2010/3) (JO 2010, L 117, p. 102), face à la crise financière de la République hellénique, la BCE avait même été amenée à suspendre, à titre exceptionnel, temporairement « [l]es exigences minimales de l’Eurosystème en matière de seuils de qualité du crédit, telles que précisées par les règles du dispositif de l’Eurosystème d’évaluation du crédit applicables aux actifs négociables [au point] 6.3.2 de la documentation générale » (article 1er, paragraphe 1, de ladite décision), afin de permettre à l’Eurosystème de continuer à accepter les titres de créance grecs comme « sûreté éligible aux fins des opérations de politique monétaire de l’Eurosystème, nonobstant leur notation de crédit externe » (article 2 de cette décision) (voir, en ce sens, arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, points 6 et 7).

179    Par conséquent, il y a lieu de rejeter comme non fondés les arguments des requérants quant à la qualification de l’exclusion de l’Eurosystème de la restructuration de la dette publique grecque de mesure de politique économique. Il en va de même pour ce qui est des arguments tirés des observations faites par la BCE devant le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) ainsi que d’une violation de l’article 123, paragraphe 1, TFUE, déjà rejetés dans le cadre de l’examen du deuxième moyen d’illégalité (voir points 109 et 110 ci-dessus).

180    En troisième lieu, dans la mesure où les requérants invoquent une inégalité de traitement à l’égard de la BEI et de la Commission, voire de l’Union, il convient de relever que, certes, les titres de créance grecs détenus par ces créanciers institutionnels ont été également exclus du PSI et de l’application des CAC (voir point 29 ci-dessus), sans pour autant avoir fait l’objet de l’accord d’échange du 15 février 2015.

181    Cependant, s’agissant de la qualité de la BEI de détenteur de titres de créance étatiques, il ressort de la mission d’intérêt public dont cet organisme est investi, en vertu de l’article 309 TFUE, lu conjointement avec l’article 18, paragraphe 1, l’article 21, paragraphes 1 à 3, et l’article 26, paragraphe 2, du protocole n °5 sur les statuts de la BEI, que celui-ci se trouvait également dans une situation distincte de celle des détenteurs privés de titres de créance grecs.

182    En effet, l’article 309 TFUE dispose que la BEI « a pour mission de contribuer, en faisant appel aux marchés des capitaux et à ses ressources propres, au développement équilibré et sans heurt du marché intérieur dans l’intérêt de l’Union » et que, « [à] cette fin, elle facilite, par l’octroi de prêts et de garanties, sans poursuivre de but lucratif, le financement des projets ci-après, dans tous les secteurs de l’économie ». De même, l’article 21, paragraphes 1 à 3, du protocole n °5 habilite la BEI, notamment, à effectuer des placements sur les marchés monétaires, à acheter ou à vendre des titres et à effectuer toute autre opération financière en rapport avec son objet (paragraphe 1) en l’obligeant d’agir « en accord avec les autorités compétentes des États membres ou avec leur banque centrale nationale ». Enfin, l’article 26, paragraphe 2, dudit protocole prévoit que « [l]es biens de la B[EI] sont exemptés de toute réquisition ou expropriation sous n’importe quelle forme ». Ainsi, une participation obligatoire de la BEI dans la restructuration de la dette publique grecque, qui équivalait à une ingérence dans le droit de propriété (voir points 121 à 126 ci-dessus) et, partant, à une forme d’« expropriation », aurait été de nature à violer l’interdiction prévue à l’article 26, paragraphe 2, du protocole n °5 qui vise à préserver les missions d’intérêt public de la BEI au titre de l’article 309 TFUE.

183    Dès lors, compte tenu du fait que la BEI se trouvait dans une situation factuelle et juridique différente de celle des investisseurs privés, son exclusion de la restructuration de la dette publique grecque ne peut fonder une violation suffisamment caractérisée du droit des requérants à l’égalité de traitement.

184    S’agissant de la position de créancier de l’Union, il convient de relever que celle-ci est, notamment, représentée par la Commission, en sa qualité d’autorité budgétaire au sens de l’article 317 TFUE, et, plus précisément, dans le cadre de l’exécution des « opérations financières » au sens de l’article 321, second alinéa, TFUE, ainsi que des règles financières au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, lu conjointement avec le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 248, p. 1), tel qu’abrogé par le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union (JO 2012, L 298, p. 1), qui prévoient, notamment, l’inscription, dans le budget des Communautés ou de l’Union, des garanties des opérations d’emprunts et de prêts contractés par les Communautés ou par l’Union (article 4, paragraphe 3, du règlement financier no 1605/2002 ; article 7, paragraphe 2, du règlement financier no 966/2012). En outre, ainsi que la Commission l’a fait valoir à l’audience, en vertu de l’article 1er, troisième phrase, du protocole no 7 sur les privilèges et immunités de l’Union, « [l]es biens et [les] avoirs de l’Union ne peuvent être l’objet d’aucune mesure de contrainte administrative ou judiciaire sans une autorisation de la Cour ».

185    Force est donc de constater que les titres de créance grecs détenus par l’Union non seulement s’inscrivaient dans son budget et étaient gérés, pour partie, par la Commission, en tant qu’autorité budgétaire, et, pour partie, par la BEI, dans l’intérêt public de l’Union, mais bénéficiaient également d’une protection particulière contre des actes d’expropriation de la part des États membres. C’est dans cet intérêt que, d’une part, la Commission disposait d’un premier portefeuille de titres d’une valeur nominale de 46 millions d’euros pour le compte de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) en liquidation, ainsi qu’un second portefeuille de titres d’une valeur nominale de 5 millions d’euros détenu par le régime d’assurance maladie commun aux institutions des Communautés européennes (RCAM). D’autre part, la BEI gérait trois portefeuilles de titres de créance grecs d’une valeur nominale totale de 55,7 millions d’euros, dont 40,7 millions d’euros détenus par le Fonds de garantie relatif aux actions extérieures institué par le règlement (CE, Euratom) no 480/2009 du Conseil, du 25 mai 2009 (JO 2009, L 145, p. 10), 10 millions d’euros détenus par la Facilité de financement avec partage de risques, et 5 millions d’euros détenus par l’instrument de garantie de prêt pour les projets relevant du réseau transeuropéen de transport (RTE-T).

186    Il en résulte que les requérants ne sont pas fondés à faire valoir que les détenteurs privés ayant investi dans des titres de créance grecs dans leur seul intérêt patrimonial privé se trouvaient dans une situation comparable à celle de l’Union, en tant que détentrice de titres de créance grecs aux seules fins de la gestion et de la préservation de son budget et de la mise en œuvre de ses politiques et de ses tâches dans l’intérêt public.

187    Dès lors, le grief d’un traitement inégal des investisseurs privés à l’égard de l’Union doit être rejeté également.

188    En quatrième lieu, s’agissant du caractère prétendument discriminatoire de la décote et des critères uniformes ou égalitaires régissant les nouveaux titres de créance offerts par l’État grec, sans tenir compte des caractéristiques divergentes des titres échangés en vertu du PSI, notamment en termes d’échéance résiduelle, de coupon, et de valeur marchande actuelle, il suffit de rappeler que, dans son arrêt du 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce (CE:ECHR:2016:0721JUD006306614, points 133, 135 et 138), la Cour EDH a rejeté un grief analogue et a entériné la légalité de l’arrêt du Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce) no 1116/2014, du 21 mars 2014, sur ce point. En effet, ainsi qu’il est exposé au point 133 ci-dessus, un calcul de la décote en fonction de la valeur marchande de chacun des titres à une certaine date, déjà fortement affectée par la baisse de solvabilité de l’État grec, et de leurs échéances respectives aurait été impraticable. Au demeurant, dans le cadre d’une restructuration d’une dette publique en vertu d’un mécanisme des CAC, il n’apparaît pas dépourvu de logique d’harmoniser les conditions d’émission, y compris les coupons et les échéances, des nouveaux titres, dont le financement doit être garanti avec le soutien d’un organisme intergouvernemental tiers, à savoir en l’espèce le FESF et le MES. Dès lors, les requérants n’ont pas établi qu’une restructuration « titre par titre » aurait été techniquement faisable et suffisante pour atteindre les objectifs d’intérêt public poursuivis. Au contraire, étant donné que ces objectifs ne pouvaient être atteints de manière efficace qu’en se fondant sur la valeur nominale des titres de créance grecs éligibles, ce critère était tant pertinent qu’approprié pour comparer les situations en cause au regard des objectifs poursuivis, aux fins de l’application du principe d’égalité de traitement.

189    Dans ces conditions, il convient de rejeter ce grief, sans qu’il soit besoin d’examiner l’argument des requérants selon lequel une comparaison « titre par titre » leur aurait apporté un avantage ou aurait justifié de les distinguer d’autres détenteurs privés de titres, eu égard à la qualité des titres de créance grecs dont ils disposaient.

190    Il résulte de ce qui précède que le moyen d’illégalité tiré d’une violation suffisamment caractérisée du principe d’égalité de traitement doit être rejeté dans sa totalité.

191    Par conséquent, eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, en l’absence de violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit protégeant les requérants, susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union ou de la BCE, le recours doit être rejeté, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le lien de causalité ou sur le préjudice allégué.

 Sur les dépens

192    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission et de la BCE.

193    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs dépens. Dès lors, le Conseil européen et le Conseil supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      QI et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe sont condamnées à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne et par la Banque centrale européenne (BCE).

3)      Le Conseil européen et le Conseil de l’Union européenne supporteront leurs propres dépens.

Frimodt Nielsen

Kreuschitz

Półtorak

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 février 2022.

Signatures


Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur l’imputabilité des comportements litigieux aux fins de l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union et de la BCE

Sur les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union et de la BCE

Rappel des arguments essentiels des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le premier moyen d’illégalité, tiré du caractère ultra vires des mesures contestées et d’une violation suffisamment caractérisée des articles 120 à 127 et de l’article 352, paragraphe 1, TFUE

Sur le deuxième moyen d’illégalité, tiré d’une violation suffisamment caractérisée de l’article 123 TFUE

Sur le troisième moyen d’illégalité, tiré d’une violation suffisamment caractérisée du droit de propriété garanti par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte

Sur le quatrième moyen d’illégalité, tiré d’une violation suffisamment caractérisée des droits des requérants découlant de l’article 63, paragraphe 1, TFUE

Sur le cinquième moyen d’illégalité, tiré d’une violation suffisamment caractérisée du droit à l’égalité de traitement prévu à l’article 20 de la Charte

Rappel des arguments essentiels des parties

Appréciation du Tribunal

– Rappel de jurisprudence

– Sur la première branche, tirée d’un traitement égal en dépit de l’absence de comparabilité entre les investisseurs privés et les investisseurs institutionnels ou professionnels

– Sur la seconde branche, tirée d’un traitement inégal du fait de l’exclusion de la participation des créanciers publics, en particulier de l’Eurosystème, à la restructuration de la dette publique grecque

Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.


2      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.