Language of document : ECLI:EU:T:2013:453

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

16 septembre 2013(*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de l’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire – Gel des fonds – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑489/10,

Islamic Republic of Iran Shipping Lines, établies à Téhéran (Iran), et les 17 autres requérantes dont les noms figurent en annexe, représentées par M. F. Randolph, QC, Mmes M. Lester, barrister, et M. Taher, solicitor,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bishop et Mme R. Liudvinaviciute-Cordeiro, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par MM. M. Konstantinidis et T. Scharf, en qualité d’agents,

et par

République française, représentée par MM. G. de Bergues et É. Ranaivoson, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO L 195, p. 39), du règlement d’exécution (UE) no 668/2010 du Conseil, du 26 juillet 2010, mettant en œuvre l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) no 423/2007 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 195, p. 25), de la décision 2010/644/PESC du Conseil, du 25 octobre 2010, modifiant la décision 2010/413 (JO L 281, p. 81), du règlement (UE) no 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (CE) no 423/2007 (JO L 281, p. 1), et du règlement (UE) no 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement no 961/2010 (JO L 88, p. 1),

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de Mmes I. Pelikánová (rapporteur), président, K. Jürimäe et M. M. van der Woude, juges,

greffier : M. N. Rosner, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 avril 2013,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives instaurées en vue de faire pression sur la République islamique d’Iran afin que cette dernière mette fin aux activités nucléaires présentant un risque de prolifération et à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires (ci‑après la « prolifération nucléaire »).

2        Le 26 juillet 2010, les requérantes, les Islamic Republic of Iran Shipping Lines (ci-après les « IRISL ») ainsi que les 17 autres requérantes dont les noms figurent en annexe, ont été inscrites sur la liste des entités concourant à la prolifération nucléaire qui figure à l’annexe II de la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO L 195, p. 39).

3        Par voie de conséquence, les requérantes ont été inscrites sur la liste de l’annexe V du règlement (CE) no 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 103, p. 1), par le règlement d’exécution (UE) no 668/2010 du Conseil, du 26 juillet 2010, mettant en œuvre l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007 (JO L 195, p. 25). Cette inscription a eu pour conséquence le gel des fonds et des ressources économiques des requérantes.

4        Dans la décision 2010/413, le Conseil de l’Union européenne a retenu les motifs suivants s’agissant des IRISL :

« [Les] IRISL [ont] participé au transport de marchandises de nature militaire, y compris de cargaisons interdites en provenance d’Iran. Trois incidents de ce type constituant des [infractions] manifestes ont été rapportés au comité des sanctions du [Conseil de sécurité des Nations unies]. Les liens de[s] IRISL avec des activités présentant un risque de prolifération étaient tels que le [Conseil de sécurité des Nations unies] a demandé aux États d’inspecter les navires de[s] IRISL, pour autant qu’il existe des motifs raisonnables permettant de penser que les navires transportent des biens interdits au titre des résolutions 1803 et 1929 du [Conseil de sécurité des Nations unies]. »

5        En outre, dans la motivation de la décision 2010/413 relative à IRISL Marine Services and Engineering Co., le Conseil a indiqué que les IRISL « a[vaient] facilité les violations répétées des dispositions de la résolution 1747 du [Conseil de sécurité des Nations unies] ».

6        Les autres requérantes ont été identifiées dans la décision 2010/413, en substance, comme des sociétés détenues ou contrôlées par les IRISL ou agissant pour leur compte. Les Khazar Shipping Lines ont, en outre, été identifiées comme une société « ayant facilité des opérations de transport pour des entités désignées par les Nations unies et les États‑Unis, comme par exemple la banque Melli, en acheminant des cargaisons posant un risque de prolifération, en provenance de pays comme la Russie ou le Kazakhstan vers l’Iran ».

7        Les motifs retenus dans le règlement d’exécution no 668/2010 à l’égard des requérantes sont, en substance, les mêmes que ceux retenus dans la décision 2010/413.

8        Par lettre du 25 août 2010, les requérantes ont invité le Conseil à leur communiquer les documents et les preuves sur lesquels était fondée leur inscription sur la liste de l’annexe II de la décision 2010/413 et sur celle de l’annexe V du règlement no 423/2007.

9        Par lettre du 13 septembre 2010, le Conseil a répondu notamment que les allégations à l’encontre des IRISL étaient décrites dans le rapport annuel pour l’année 2009 du comité des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies (ci-après le « Conseil de sécurité »), dont il a joint une copie.

10      Par lettre du 14 septembre 2010, les requérantes ont demandé de plus amples explications et les preuves sur lesquelles le Conseil s’était fondé. Le Conseil a répondu par lettre du 20 septembre 2010, à laquelle étaient jointes deux propositions d’adoption des mesures restrictives visant les IRISL et les Khazar Shipping Lines, présentées par des États membres.

11      L’inscription des requérantes dans l’annexe II de la décision 2010/413 a été maintenue par la décision 2010/644/PESC du Conseil, du 25 octobre 2010, modifiant la décision 2010/413 (JO L 281, p. 81). La motivation concernant les requérantes est identique à celle retenue dans la décision 2010/413.

12      Le règlement no 423/2007 ayant été abrogé par le règlement (UE) no 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 281, p. 1), les requérantes ont été incluses par le Conseil dans l’annexe VIII de ce dernier règlement. Par conséquent, les fonds et les ressources économiques des requérantes ont été gelés en vertu de l’article 16, paragraphe 2, dudit règlement. La motivation concernant les requérantes est, en substance, la même que celle retenue dans la décision 2010/413.

13      Le règlement no 961/2010 ayant été abrogé par le règlement (UE) no 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 88, p. 1), les requérantes ont été incluses par le Conseil dans l’annexe IX de ce dernier règlement. La motivation concernant les requérantes est, en substance, la même que celle retenue dans la décision 2010/413. Par conséquent, les fonds et les ressources économiques des requérantes ont été gelés en vertu de l’article 23, paragraphe 2, dudit règlement.

 Procédure et conclusions des parties

14      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 octobre 2010, les requérantes ainsi que Cisco Shipping Co. Ltd et IRISL Multimodal Transport Co. ont introduit le présent recours.

15      Par lettre du 24 novembre 2010, Cisco Shipping et IRISL Multimodal Transport se sont désistées de leur recours. Par ordonnance du Tribunal (quatrième chambre) du 8 décembre 2010, elles ont été radiées du registre en tant que parties requérantes dans la présente affaire et elles ont été condamnées à supporter leurs propres dépens.

16      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 21 décembre 2010, les requérantes ont adapté leurs chefs de conclusions à la suite de l’adoption, le 25 octobre 2010, de la décision 2010/644 et du règlement no 961/2010.

17      Par actes déposés au greffe du Tribunal les 14 et 22 mars 2011, la Commission européenne et la République française ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien du Conseil. Par ordonnance du 10 mai 2011, le président de la quatrième chambre du Tribunal a admis leurs interventions.

18      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 avril 2012, les requérantes ont adapté leurs chefs de conclusions à la suite de l’adoption, le 23 mars 2012, du règlement no 267/2012.

19      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé, le 12 mars 2013, d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, a posé des questions aux requérantes et au Conseil, en les invitant à y répondre lors de l’audience.

20      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions écrites et orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 23 avril 2013.

21      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision 2010/413, le règlement d’exécution no 668/2010, la décision 2010/644, le règlement no 961/2010 et le règlement no 267/2012, pour autant que ces actes les concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

22      Le Conseil, soutenu par la Commission, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

23      La République française conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

 En droit

 Sur le fond

24      Les requérantes font valoir cinq moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation de leurs droits de la défense et de leur droit à une protection juridictionnelle effective. Le deuxième moyen est tiré d’une violation de l’obligation de motivation. Le troisième moyen est tiré d’une violation du principe de proportionnalité, de leur droit de propriété et de leur droit à exercer une activité économique. Le quatrième moyen est tiré d’une erreur d’appréciation s’agissant de l’adoption des mesures restrictives à leur égard. Le cinquième moyen est tiré de l’illégalité de l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 961/2010 et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 267/2012 en ce que ces dispositions prévoient une interdiction de charger et de décharger des cargaisons.

25      Le Tribunal estime qu’il convient d’examiner, dans un premier temps, le deuxième moyen, pour autant qu’il concerne la motivation visant les IRISL, puis le quatrième moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation, pour autant qu’il concerne la motivation visant les IRISL

26      Selon les requérantes, le Conseil a violé l’obligation de motivation à deux égards. D’une part, les motifs énoncés dans les actes attaqués à l’encontre des IRISL seraient insuffisants en ce qu’ils ne démontrent pas, de manière claire et non équivoque, pourquoi le Conseil a considéré que les IRISL remplissaient les critères pour l’adoption et le maintien des mesures restrictives les visant, nonobstant les arguments présentés par les requérantes. En particulier, le Conseil se serait borné à reproduire des allégations du Conseil de sécurité. D’autre part, aucune motivation relative aux IRISL n’aurait été communiquée aux requérantes avant l’adoption des mesures restrictives les visant.

27      Le Conseil, soutenu par les parties intervenantes, conteste le bien‑fondé des arguments des requérantes.

28      Selon la jurisprudence, l’obligation de motiver un acte faisant grief, telle que prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et, plus particulièrement en l’espèce, à l’article 24, paragraphe 3, de la décision 2010/413, à l’article 15, paragraphe 3, du règlement no 423/2007, à l’article 36, paragraphe 3, du règlement no 961/2010 et à l’article 46, paragraphe 3, du règlement no 267/2012, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union européenne et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte. L’obligation de motivation ainsi édictée constitue un principe essentiel du droit de l’Union auquel il ne saurait être dérogé qu’en raison de considérations impérieuses. Partant, la motivation doit, en principe, être communiquée à l’intéressé en même temps que l’acte lui faisant grief, son absence ne pouvant être régularisée par le fait que l’intéressé prend connaissance des motifs de l’acte au cours de la procédure devant le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, Rec. p. II‑3967, point 80, et la jurisprudence citée).

29      Partant, à moins que des considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales ne s’opposent à la communication de certains éléments, le Conseil est tenu de porter à la connaissance d’une entité visée par des mesures restrictives les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles il considère qu’elles devaient être adoptées. Il doit ainsi mentionner les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale des mesures concernées et les considérations qui l’ont amené à les prendre (voir, en ce sens, arrêt Bank Melli Iran/Conseil, point 28 supra, point 81, et la jurisprudence citée).

30      Par ailleurs, la motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt Bank Melli Iran/Conseil, point 28 supra, point 82, et la jurisprudence citée).

31      En premier lieu, s’agissant de l’absence de communication de la motivation avant l’adoption des actes attaqués, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le Conseil n’est pas tenu de communiquer au préalable à la personne ou à l’entité concernée les motifs sur lesquels cette institution entend fonder l’inscription initiale de son nom sur la liste des personnes et entités dont les fonds sont gelés. En effet, une telle mesure, afin de ne pas compromettre son efficacité, doit, par sa nature même, pouvoir bénéficier d’un effet de surprise et s’appliquer immédiatement. Dans un tel cas, il suffit, en principe, que l’institution procède à la communication des motifs à la personne ou à l’entité concernée et ouvre le droit à l’audition de celle-ci concomitamment avec ou immédiatement après l’adoption de la décision (arrêt de la Cour du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, Rec. p. I‑13427, point 61).

32      En second lieu, quant à la prétendue insuffisance de la motivation, il y a lieu de relever, à titre liminaire, que, selon le Conseil et la Commission, les mesures restrictives visant les IRISL peuvent être fondées sur deux bases juridiques indépendantes. D’une part, selon eux, les circonstances alléguées à l’encontre des IRISL établissent que ces dernières apportaient un appui à la prolifération nucléaire au sens de l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007, de l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement no 961/2010 et de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 267/2012 (ci-après le « premier critère »). D’autre part, il ressortirait de ces mêmes circonstances que les IRISL ont aidé une personne, une entité ou un organisme figurant sur une liste à enfreindre les dispositions de la décision 2010/413, du règlement no 961/2010, du règlement no 267/2012 et des résolutions applicables du Conseil de sécurité, au sens de l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, de l’article 16, paragraphe 2, sous b), du règlement no 961/2010 et de l’article 23, paragraphe 2, sous b), du règlement no 267/2012 (ci-après le « second critère »).

33      Il convient donc de vérifier si le Conseil a motivé, à suffisance de droit, l’application de chacun de ces deux critères alternatifs aux IRISL. Dans ce contexte, il y a lieu de prendre en considération, outre la motivation des actes attaqués, le rapport annuel du comité des sanctions du Conseil de sécurité pour l’année 2009, communiqué aux requérantes le 13 septembre 2010, et la proposition d’adoption des mesures restrictives visant l’IRISL, communiquée par le Conseil aux requérantes par lettre du 20 septembre 2010. En effet, ces éléments ont été communiqués avant l’introduction du recours.

34      S’agissant du premier critère, la motivation des actes attaqués, reproduite au point 4 ci‑dessus, concerne, d’une part, trois incidents impliquant les IRISL dans le transport de matériel militaire en provenance d’Iran, qualifiés par le Conseil d’« activités présentant un risque de prolifération », et, d’autre part, la position du Conseil de sécurité à l’égard des IRISL.

35      Le rapport annuel du comité des sanctions du Conseil de sécurité pour l’année 2009 fournit des détails supplémentaires concernant les trois incidents en cause, dès lors notamment qu’il précise qu’ils impliquaient la saisie des cargaisons interdites par les autorités et qu’il identifie les navires concernés.

36      Pris ensemble, ces éléments sont suffisants pour permettre aux requérantes de comprendre que le Conseil s’est fondé, d’une part, sur les trois incidents impliquant le transport de cargaisons interdites par les IRISL et, d’autre part, sur le fait que le Conseil de sécurité a estimé nécessaire de demander aux États d’inspecter, dans certaines circonstances, les navires des IRISL, pour conclure que ces dernières apportaient un appui à la prolifération nucléaire. Au demeurant, les trois incidents ont été décrits avec un degré de précision suffisant, ce qui est attesté par le fait que les circonstances les entourant ont été abordées par les requérantes en détail, tant dans leurs observations présentées au Conseil que dans leurs écrits devant le Tribunal.

37      Dans ce contexte, il convient encore de rejeter l’argument des requérantes selon lequel le Conseil s’est borné, à tort, à reprendre les motifs invoqués par le Conseil de sécurité. En effet, rien ne s’oppose à ce que le Conseil fasse sienne la motivation fournie par d’autres organes ou institutions, pour autant qu’elle soit suffisamment précise.

38      En revanche, l’application du second critère aux IRISL n’est pas motivée à suffisance de droit. En effet, d’une part, la motivation reproduite au point 4 ci‑dessus ne se réfère pas au fait que les comportements reprochés aux IRISL seraient liés à la volonté de contourner l’effet des mesures restrictives visant un tiers. D’autre part, si la motivation reproduite au point 5 ci‑dessus se réfère au fait que les IRISL ont facilité des violations répétées des dispositions de la résolution 1747 (2007) du Conseil de sécurité, elle ne précise ni la nature des violations alléguées ni leurs dates ni les entités ou biens concernés. Par conséquent, même à supposer qu’elle puisse être prise en considération alors qu’elle n’a pas été invoquée explicitement à l’égard des IRISL, elle est excessivement vague.

39      Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen pour autant qu’il concerne l’application du premier critère aux IRISL et de l’accueillir pour autant qu’il concerne l’application à ces dernières du second critère. Compte tenu de ce que les deux critères susmentionnés sont alternatifs, le caractère insuffisant de la motivation visant le second critère ne justifie pas l’annulation des actes attaqués pour autant qu’ils concernent les IRISL. Toutefois, au vu de ce qui a été constaté au point 38 ci‑dessus, le second critère ne pourra pas être pris en considération lors de l’examen des autres moyens des requérantes.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation s’agissant de l’adoption des mesures restrictives à l’égard des requérantes

40      Les requérantes soutiennent que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en ayant considéré qu’elles devaient être visées par des mesures restrictives, dès lors qu’il s’est fondé sur de simples présomptions, qu’il n’a pas identifié d’éléments permettant de considérer qu’elles étaient impliquées dans la prolifération nucléaire et qu’il n’a pas pris en considération leurs arguments. 

41      Le Conseil, soutenu par la Commission et par la République française, conteste le bien‑fondé des arguments des requérantes.

42      Selon une jurisprudence constante, le contrôle juridictionnel de la légalité d’un acte par lequel des mesures restrictives ont été adoptées à l’égard d’une entité s’étend à l’appréciation des faits et des circonstances invoqués comme le justifiant, de même qu’à la vérification des éléments de preuve et d’information sur lesquels est fondée cette appréciation. En cas de contestation, il appartient au Conseil de présenter ces éléments en vue de leur vérification par le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Bank Melli Iran/Conseil, point 28 supra, points 37 et 107).

43      Par conséquent, en l’espèce, il convient de vérifier si c’est à bon droit que le Conseil a considéré que les requérantes devaient être visées par des mesures restrictives en raison, d’une part, de la circonstance que les IRISL et les Khazar Shipping Lines étaient impliquées dans la prolifération nucléaire et en raison , d’autre part, de la circonstance que les requérantes autres que les IRISL étaient détenues ou contrôlées par ces dernières ou agissaient pour leur compte.

–       Sur l’implication des IRISL dans la prolifération nucléaire

44      Les requérantes contestent que les circonstances invoquées à l’encontre des IRISL justifient l’adoption et le maintien des mesures restrictives les visant. Elles précisent, notamment, que les trois incidents impliquant le transport par les IRISL des biens prohibés ne concernaient pas la prolifération nucléaire, mais du matériel militaire, et ne justifiaient donc pas l’adoption des mesures restrictives visant ladite prolifération. Ce constat serait corroboré par le fait que les incidents concernés n’ont pas abouti à l’adoption des mesures restrictives à l’égard des IRISL ou des autres requérantes par le Conseil de sécurité. En outre, en tout état de cause, les IRISL auraient ignoré la nature des biens transportés.

45      Le Conseil et les parties intervenantes contestent le bien‑fondé des arguments des requérantes. Selon le Conseil, en premier lieu, alors même que les trois incidents reprochés aux IRISL concernent du matériel militaire, ils constituent un appui à la prolifération nucléaire, étant donné notamment qu’ils enfreignent les résolutions du Conseil de sécurité visant la prolifération nucléaire. Ce constat serait attesté par la position du Conseil de sécurité. En deuxième lieu, indépendamment de la qualification des trois incidents susmentionnés, le fait que les IRISL, en tant que compagnie maritime importante ayant une présence internationale et détenue par l’État iranien, aient transporté du matériel militaire interdit, impliquerait qu’elles ont également nécessairement transporté du matériel lié à la prolifération nucléaire, étant donné que le développement des activités liées à cette dernière nécessite la prestation des services de transport maritime. En troisième lieu, en tout état de cause, les trois incidents impliquant les IRISL établiraient un risque sérieux que les IRISL transportent du matériel lié à la prolifération nucléaire. Partant, l’adoption et le maintien des mesures restrictives les visant seraient justifiés à titre préventif.

46      Il convient d’examiner le bien-fondé des justifications avancées par le Conseil à l’adoption et au maintien des mesures restrictives visant les IRISL.

47      En premier lieu, l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413 prévoit le gel des fonds des « personnes et entités […] qui […] apportent un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires, y compris en concourant à l’acquisition des articles, biens, équipements, matières et technologies interdits ». De même, l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement no 961/2010 et l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 267/2012 visent notamment les entités désignées comme « apportant un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires par l’Iran, y compris en concourant à l’acquisition de biens et [des] technologies interdits ». L’article 7, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement no 423/2007 vise notamment les personnes et entités apportant un appui à la prolifération nucléaire, sans se référer explicitement à l’acquisition des technologies et des biens interdits.

48      La formule employée par le législateur implique que l’adoption des mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, en raison de l’appui qu’elle aurait apporté à la prolifération nucléaire, suppose que celle-ci ait effectivement adopté un comportement correspondant à ce critère. En revanche, le seul risque que la personne ou l’entité concernée apporte, dans le futur, un appui à la prolifération nucléaire n’est pas suffisant (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 25 avril 2012, Manufacturing Support & Procurement Kala Naft/Conseil, T‑509/10, point 115).

49      Dès lors, l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007, l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement no 961/2010 et l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 267/2012 imposaient au Conseil de constater un appui effectivement fourni par les IRISL à la prolifération nucléaire.

50      À cet égard, il importe de rappeler que, par ses résolutions 1737 (2006), 1747 (2007), 1803 (2008) et 1929 (2009), le Conseil de sécurité, agissant en vertu du chapitre VII de la charte des Nations unies, a adopté un certain nombre de mesures restrictives visant à persuader la République islamique d’Iran de se conformer à la résolution 1737 (2006), en vertu de laquelle la République islamique d’Iran devait suspendre sans plus tarder toutes les activités liées à l’enrichissement et au retraitement ainsi que les travaux sur tous projets liés à l’eau lourde et prendre certaines mesures prescrites par le conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), que le Conseil de sécurité jugeait essentielles pour instaurer la confiance dans le fait que le programme nucléaire iranien poursuivait des fins exclusivement pacifiques. Outre une interdiction pour la République islamique d’Iran d’exporter les biens et les technologies liés à ses activités nucléaires posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires [paragraphe 7 de la résolution 1737 (2006)], ces résolutions prévoient également que la République islamique d’Iran ne doit fournir, vendre ou transférer, directement ou indirectement, à partir de son territoire ou par l’intermédiaire de ses ressortissants ou au moyen de navires ou d’aéronefs battant son pavillon, aucune arme ni aucun matériel connexe et que tous les États devront interdire l’acquisition de ces articles auprès de la République islamique d’Iran par leurs ressortissants, ou au moyen de navires ou d’aéronefs battant leur pavillon, que ces articles aient ou non leur origine sur le territoire iranien [paragraphe 5 de la résolution 1747 (2007)].

51      Ces mesures d’interdiction, si elles s’insèrent dans le même contexte général et poursuivent la même finalité, n’en demeurent pas moins distinctes quant aux biens et aux technologies qu’elles visent. Ainsi, le fait qu’un bien soit visé par l’interdiction prévue au paragraphe 5 de la résolution 1747 (2007) ne signifie pas nécessairement qu’il soit également visé par celle visant les biens et les technologies liés aux activités nucléaires de la République islamique d’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires par la République islamique d’Iran, prévue au paragraphe 7 de la résolution 1737 (2006).

52      En l’espèce, il ressort du rapport annuel du comité des sanctions du Conseil de sécurité pour l’année 2009 que les trois incidents impliquant les IRISL concernaient des prétendues violations de l’interdiction prévue au paragraphe 5 de la résolution 1747 (2007), visant l’exportation d’armes et de matériel connexe par la République islamique d’Iran. En revanche, les autres éléments du dossier, communiqués par le Conseil aux requérantes, à leur demande, et produits devant le Tribunal ne contiennent pas d’éléments suggérant que les biens en cause étaient, en même temps, visés par l’interdiction portant sur le matériel lié à la prolifération nucléaire, prévue au paragraphe 7 de la résolution 1737 (2006).

53      Lors de l’audience, le Conseil a fait valoir, à cet égard, que les trois incidents en cause étaient liés à la prolifération nucléaire en ce que l’exportation des armes et du matériel connexe était utilisé par la République islamique d’Iran pour la financer. Toutefois, cette allégation ne figure ni dans la motivation des actes attaqués ni dans les documents et les éléments de preuve communiqués aux requérantes à leur demande. Par conséquent, elle ne saurait être prise en considération, en l’espèce, afin de justifier l’inscription des IRISL au regard du critère juridique relatif à la fourniture d’un appui à la prolifération nucléaire. Au surplus, et en tout état de cause, il convient d’ajouter que le Conseil n’a avancé devant le Tribunal aucun indice concret susceptible d’étayer l’allégation selon laquelle le transport de matériel militaire prohibé effectué par les IRISL servait à financer la prolifération nucléaire.

54      Le Conseil soutient cependant que la circonstance selon laquelle les trois incidents impliquant les IRISL constituent un appui à la prolifération nucléaire, nonobstant le fait qu’ils ne portaient pas sur du matériel lié à cette dernière, est établie par la position du Conseil de sécurité à l’égard des IRISL.

55      À cet égard, il est, certes, vrai que le Conseil de sécurité a demandé aux États d’inspecter les navires des IRISL, pour autant qu’il existait des motifs raisonnables permettant de penser que ceux‑ci transportaient des biens interdits au titre des résolutions 1803 (2008) et 1929 (2009). De même, il a adopté des mesures restrictives à l’égard de trois entités détenues ou contrôlées par les IRISL.

56      Toutefois, d’une part, les mesures restrictives arrêtées par le Conseil de sécurité ne visent pas les IRISL elles-mêmes, et le dossier du Tribunal ne contient pas d’éléments exposant les motifs précis de leur adoption.

57      D’autre part, l’invitation adressée aux États d’inspecter les navires des IRISL dans certaines circonstances établit que, de l’avis du Conseil de sécurité, il existe un risque que les IRISL apportent un appui à la prolifération nucléaire. En revanche, elle n’établit pas qu’un tel appui a été effectivement apporté par les IRISL, contrairement à ce qu’exigent l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007, l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement no 961/2010 et l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 267/2012.

58      Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer qu’il n’a pas été établi que, en ayant transporté, à trois reprises, du matériel militaire en violation de l’interdiction prévue au paragraphe 5 de la résolution 1747 (2007), les IRISL a apporté un appui à la prolifération nucléaire. Partant, les trois incidents en cause ne justifient pas l’adoption et le maintien des mesures restrictives visant les IRISL.

59      En deuxième lieu, il y a lieu de rappeler que l’adoption et le maintien des mesures restrictives ne sauraient valablement s’appuyer sur une présomption qui n’a pas été prévue par la réglementation applicable et qui ne répond pas à l’objectif de cette dernière (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 mars 2012, Tay Za/Conseil, C‑376/10 P, point 69).

60      Or, en l’espèce, l’allégation du Conseil selon laquelle, si les IRISL ont transporté du matériel militaire en violation de l’interdiction prévue au paragraphe 5 de la résolution 1747 (2007), elles ont nécessairement également transporté du matériel lié à la prolifération nucléaire n’est pas étayée par un quelconque élément d’information ou de preuve concret. Ainsi, elle repose sur une présomption, qui n’est pas prévue par la décision 2010/413, par le règlement no 423/2007, par le règlement no 961/2010 et par le règlement no 267/2012, ainsi qu’il ressort du point 4 ci‑dessus. Une telle présomption ne correspond, par ailleurs, pas à l’économie des textes susmentionnés, en ce qu’elle méconnaît la distinction entre les mesures interdisant l’exportation des armes et du matériel associé et celles interdisant le transport du matériel lié à la prolifération nucléaire.

61      Dans ces circonstances, l’allégation du Conseil selon laquelle les IRISL ont nécessairement transporté du matériel lié à la prolifération nucléaire ne saurait prospérer.

62      En troisième lieu, pour autant que le Conseil fait valoir que les trois incidents impliquant les IRISL établissent un risque sérieux qu’elles transportent du matériel lié à la prolifération nucléaire, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort du point 48 ci‑dessus, l’existence d’un tel risque n’est pas suffisante pour justifier l’adoption et le maintien des mesures restrictives au vu du libellé de l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, de l’article 7, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement no 423/2007, de l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement no 961/2010 et de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 267/2012.

63      Dans ce contexte, le Conseil fait valoir que, compte tenu de la nature clandestine des opérations de prolifération nucléaire, le fait d’exiger de lui qu’il identifie des transports concernant spécifiquement du matériel lié à la prolifération nucléaire, plutôt que d’autres biens prohibés, ôterait aux mesures restrictives tout leur effet préventif.

64      À cet égard, si le Conseil estime que la réglementation applicable ne lui permet pas d’intervenir de manière suffisamment efficace afin de lutter contre la prolifération nucléaire, il lui est loisible de l’adapter dans son rôle de législateur, sous réserve du contrôle de légalité exercé par le juge de l’Union, pour élargir les hypothèses dans lesquelles des mesures restrictives peuvent être adoptées.

65      En revanche, la volonté d’assurer l’effet préventif le plus large possible des mesures restrictives ne saurait avoir pour conséquence d’interpréter la réglementation en vigueur à l’encontre de son libellé clair.

66      Par conséquent, même s’il paraît justifié de considérer que le fait que les IRISL ont été impliquées dans trois incidents concernant le transport du matériel militaire en violation de l’interdiction prévue au paragraphe 5 de la résolution 1747 (2007) augmente le risque qu’elles soient également impliquées dans des incidents concernant le transport du matériel lié à la prolifération nucléaire, cette circonstance ne justifie pas, en l’état actuel de la réglementation applicable, l’adoption et le maintien des mesures restrictives à leur égard.

67      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que les éléments mis en avant par le Conseil ne justifient pas l’adoption et le maintien des mesures restrictives à l’égard des IRISL.

68      Partant, il convient d’accueillir le quatrième moyen en ce qui concerne les IRISL.

–       Sur l’implication des Khazar Shipping Lines dans la prolifération nucléaire

69      Selon la motivation des actes attaqués, les Khazar Shipping Lines seraient impliquées dans la prolifération nucléaire en ce qu’elles auraient facilité des opérations de transport pour des entités désignées par les Nations unies et les États‑unis d’Amérique, dont la « banque Melli ».

70      Les Khazar Shipping Lines soutiennent qu’elles ne sont pas impliquées dans la prolifération nucléaire et font notamment valoir qu’elles n’ont ni transporté des cargaisons qui y sont liées ni fourni de services à la Bank Melli Iran. Elles ajoutent qu’elles ont réfuté les allégations les visant dans leurs observations présentées au Conseil.

71      Le Conseil et les parties intervenantes contestent les arguments des Khazar Shipping Lines.

72      À cet égard, il suffit de relever que, alors que les Khazar Shipping Lines mettent en cause le bien‑fondé des allégations les visant, le Conseil n’a présenté aucun élément d’information ou de preuve pour les étayer. Dans ces circonstances, conformément à la jurisprudence citée au point 42 ci‑dessus, lesdites allégations ne justifient pas l’adoption et le maintien des mesures restrictives à l’égard des Khazar Shipping Lines. Par conséquent, il y a lieu d’accueillir le quatrième moyen pour autant qu’il concerne l’implication des Khazar Shipping Lines dans la prolifération nucléaire.

–       Sur le fait que les requérantes autres que les IRISL seraient détenues ou contrôlées par ces dernières ou agiraient pour leur compte

73      Les requérantes autres que les IRISL contestent qu’elles doivent être visées par des mesures restrictives en raison de ce qu’elles sont détenues ou contrôlées par ces dernières ou agissent pour leur compte. Elles font valoir, notamment, que certaines parmi elles ne sont pas des compagnies maritimes, ne sont pas détenues par les IRISL ou ne le sont que minoritairement.

74      Le Conseil et les parties intervenantes contestent le bien‑fondé des arguments des requérantes.

75      À cet égard, lorsque les fonds d’une entité reconnue comme apportant un appui à la prolifération nucléaire sont gelés, il existe un risque non négligeable que celle‑ci exerce une pression sur les entités qu’elle détient ou contrôle ou qui agissent pour son compte pour contourner l’effet des mesures qui la visent. Dans ces circonstances, le gel des fonds des entités détenues ou contrôlées par une entité reconnue comme apportant un appui à la prolifération nucléaire ou agissant pour son compte est nécessaire et approprié pour assurer l’efficacité des mesures adoptées à l’encontre de cette dernière et pour garantir que ces mesures ne seront pas contournées (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, Rec. p. II‑2629, point 103).

76      Or, ainsi qu’il ressort des points 44 à 68 ci‑dessus, en l’espèce, le Conseil n’a pas établi que les IRISL avaient apporté un appui à la prolifération nucléaire.

77      Dans ces circonstances, même à supposer que les requérantes autres que les IRISL soient effectivement détenues ou contrôlées par ces dernières ou agissent pour leur compte, cette circonstance ne justifie pas l’adoption et le maintien des mesures restrictives les visant, les IRISL n’ayant pas été valablement reconnues comme apportant un appui à la prolifération nucléaire.

78      Partant, il convient d’accueillir le quatrième moyen pour autant qu’il vise le fait que les requérantes autres que les IRISL seraient détenues ou contrôlées par ces dernières ou agiraient pour leur compte.

79      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le quatrième moyen à l’égard de l’ensemble des requérantes et d’annuler, par voie de conséquence, les actes attaqués pour autant qu’ils les concernent sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments et moyens des requérantes.

 Sur les effets dans le temps de l’annulation des actes attaqués

80      D’abord, en ce qui concerne les effets dans le temps de l’annulation des actes attaqués, il y a lieu de relever que le règlement d’exécution no 668/2010, qui a modifié la liste de l’annexe V du règlement no 423/2007, ne produit plus d’effets juridiques à la suite de l’abrogation de ce dernier règlement, opérée par le règlement no 961/2010. De même, le règlement no 961/2010 a lui-même été abrogé par le règlement no 267/2012. Par conséquent, l’annulation du règlement d’exécution no 668/2010 et du règlement no 961/2010 ne concerne que les effets que ces actes ont produits entre la date de leur entrée en vigueur et la date de leur abrogation.

81      Ensuite, quant au règlement no 267/2012, il doit être rappelé que, en vertu de l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, par dérogation à l’article 280 TFUE, les décisions du Tribunal annulant un règlement ne prennent effet qu’à compter de l’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, dudit statut ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, à compter du rejet de celui-ci (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 16 septembre 2011, Kadio Morokro/Conseil, T‑316/11, non publié au Recueil, point 38).

82      Dans ces circonstances, le Conseil dispose d’un délai de deux mois, augmenté du délai de distance de dix jours, à compter de la notification du présent arrêt, pour remédier aux violations constatées en adoptant, le cas échéant, de nouvelles mesures restrictives à l’égard des requérantes. En l’espèce, le risque d’une atteinte sérieuse et irréversible à l’efficacité des mesures restrictives qu’impose le règlement no 267/2012 n’apparaît pas suffisamment élevé, compte tenu de l’importante incidence de ces mesures sur les droits et les libertés des requérantes, pour justifier le maintien des effets dudit règlement à l’égard de ces dernières pendant une période allant au-delà de celle prévue à l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour (voir, par analogie, arrêt Kadio Morokro/Conseil, point 81 supra, point 38).

83      Enfin, en ce qui concerne les effets dans le temps de l’annulation de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2010/644, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, le Tribunal peut, s’il l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets de l’acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs. En l’espèce, l’existence d’une différence entre la date d’effet de l’annulation du règlement no 267/2012 et celle de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2010/644, serait susceptible d’entraîner une atteinte sérieuse à la sécurité juridique, ces deux actes infligeant aux requérantes des mesures identiques. Les effets de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2010/644, doivent donc être maintenus, en ce qui concerne les requérantes, jusqu’à la prise d’effet de l’annulation du règlement no 267/2012 (voir, par analogie, arrêt Kadio Morokro/Conseil, point 81 supra, point 39).

 Sur les dépens

84      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions des requérantes.

85      Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. La Commission et la République française supporteront donc leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Sont annulées, pour autant qu’elles concernent les Islamic Republic of Iran Shipping Lines ainsi que les 17 autres requérantes dont les noms figurent en annexe :

–        l’annexe II de la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC ;

–        l’annexe du règlement d’exécution (UE) no 668/2010 du Conseil, du 26 juillet 2010, mettant en œuvre l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) no 423/2007 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran ;

–        l’annexe de la décision 2010/644/PESC du Conseil, du 25 octobre 2010, modifiant la décision 2010/413 ;

–        l’annexe VIII du règlement (UE) no 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (CE) no 423/2007 ;

–        l’annexe IX du règlement (UE) no 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement no 961/2010.

2)      Les effets de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2010/644, sont maintenus en ce qui concerne les Islamic Republic of Iran Shipping Lines ainsi que les 17 autres requérantes dont les noms figurent en annexe jusqu’à la prise d’effet de l’annulation du règlement no 267/2012.

3)      Le Conseil de l’Union européenne supportera, outre ses propres dépens, les dépens exposés par les Islamic Republic of Iran Shipping Lines ainsi que les 17 autres requérantes dont les noms figurent en annexe.

4)      La Commission européenne et la République française supporteront leurs propres dépens.

Pelikánová

Jürimäe

Van der Woude

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 septembre 2013.

Signatures

Annexe

Bushehr Shipping Co. Ltd, établie à La Valette (Malte),

Hafize Darya Shipping Lines (HDSL), établies à Téhéran (Iran),

Irano – Misr Shipping Co., établie à Téhéran,

Irinvestship Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni),

IRISL (Malta) Ltd, établie à Sliema (Malte),

IRISL Club, établi à Téhéran,

IRISL Europe GmbH, établie à Hambourg (Allemagne),

IRISL Marine Services and Engineering Co., établie à Qeshm (Iran),

ISI Maritime Ltd, établie à La Valette,

Khazar Shipping Lines, établies à Anzali (Iran),

Leadmarine, établie à Singapour (Singapour),

Marble Shipping Ltd, établie à Sliema,

Safiran Payam Darya Shipping Lines (SAPID), établies à Téhéran,

Shipping Computer Services Co., établie à Téhéran,

Soroush Saramin Asatir Ship Management, établie à Téhéran,

South Way Shipping Agency Co. Ltd, établie à Téhéran,

Valfajr 8th Shipping Line Co., établie à Téhéran.


Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur le fond

Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation, pour autant qu’il concerne la motivation visant les IRISL

Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation s’agissant de l’adoption des mesures restrictives à l’égard des requérantes

– Sur l’implication des IRISL dans la prolifération nucléaire

– Sur l’implication des Khazar Shipping Lines dans la prolifération nucléaire

– Sur le fait que les requérantes autres que les IRISL seraient détenues ou contrôlées par ces dernières ou agiraient pour leur compte

Sur les effets dans le temps de l’annulation des actes attaqués

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.