Language of document : ECLI:EU:T:2023:164

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

29 mars 2023 (*) (1)

« Aides d’État – Marché roumain du transport aérien – Aide accordée par la Roumanie à Blue Air dans le cadre de la pandémie de COVID-19 – Aide au sauvetage de Blue Air – Prêt garanti par l’État roumain – Décision de ne pas soulever d’objections – Recours en annulation – Aide destinée à remédier aux dommages causés par un événement extraordinaire – Article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE – Évaluation du dommage – Lien de causalité – Difficultés financières préexistantes du bénéficiaire – Prise en compte des coûts évitables – Lignes directrices concernant les aides au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté autres que les établissements financiers – Article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE – Contribution de l’aide à un objectif d’intérêt commun – Non-récurrence de l’aide au sauvetage – Principe de non-discrimination – Libre prestation des services – Liberté d’établissement – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑142/21,

Wizz Air Hungary Légiközlekedési Zrt. (Wizz Air Hungary Zrt.), établie à Budapest (Hongrie), représentée par Mes E. Vahida, S. Rating et I.-G. Metaxas-Maranghidis, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. L. Flynn, V. Bottka et I. Barcew, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie),

composé, lors des délibérations, de MM. A. Kornezov, président, E. Buttigieg, Mme K. Kowalik-Bańczyk, MM. G. Hesse (rapporteur) et D. Petrlík, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 12 juillet 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Wizz Air Hungary Légiközlekedési Zrt. (Wizz Air Hungary Zrt.), demande l’annulation de la décision C(2020) 5830 final de la Commission, du 20 août 2020, relative à l’aide d’État SA.57026 (2020/N) – Roumanie – COVID-19 : Aide en faveur de Blue Air (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Après une phase de pré-notification, qui avait commencé le 10 avril 2020, la Roumanie a notifié, le 18 août 2020, à la Commission européenne, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, une mesure d’aide en faveur de la compagnie aérienne Blue Air Aviation S.A. (ci-après « Blue Air ») sous la forme d’un prêt d’un montant de 300 775 000 lei roumains (RON) (environ 62 130 000 euros) assorti d’intérêts subventionnés, garanti à 100 % par l’État roumain (ci-après la « mesure en cause »).

3        Blue Air est une compagnie aérienne privée roumaine disposant de bases aériennes en Roumanie, en Italie et à Chypre, dont les actions sont détenues à 99,99 % par la société roumaine Airline Invest SA et à 0,01 % par un citoyen américain. Son activité principale consiste en la fourniture de services de transport aérien de passagers et d’entretien des aéronefs. En 2019, Blue Air a transporté environ 4 millions de passagers et a enregistré un chiffre d’affaires d’environ 414 millions d’euros. Au mois de septembre de cette même année, cette compagnie aérienne utilisait une flotte de 23 aéronefs. Blue Air exploitait des liaisons tant nationales qu’internationales.

4        La mesure en cause concerne deux aides distinctes fondées sur deux bases juridiques différentes, chacune couvrant un montant d’aide défini, à savoir :

–        une mesure d’indemnisation des dommages, fondée sur l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, d’un montant de 28 290 000 euros pour une durée de six ans, qui vise à indemniser Blue Air pour le dommage directement subi à cause de l’annulation ou de la reprogrammation de ses vols à la suite de l’instauration de restrictions en matière de déplacement, et en particulier des mesures de confinement, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, au cours de la période comprise entre le 16 mars et le 30 juin 2020 (ci-après la « mesure d’indemnisation des dommages ») ;

–        une aide au sauvetage, fondée sur l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, lu en combinaison avec les lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté autres que les établissements financiers (JO 2014, C 249, p. 1 ; ci-après les « lignes directrices »), d’un montant de 33 840 000 euros et limitée à une durée de six mois, qui vise à couvrir partiellement les besoins urgents de liquidité de Blue Air résultant des lourdes pertes d’exploitation qu’elle a enregistrées à la suite de la pandémie de COVID-19 et à lui permettre ainsi de poursuivre ses activités tout en élaborant un plan de restructuration viable (ci-après l’« aide au sauvetage »).

5        Le 20 août 2020, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, la Commission a adopté la décision attaquée par laquelle elle a conclu que la mesure en cause était constitutive d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et qu’elle était compatible avec le marché intérieur au titre de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE en ce qui concernait la mesure d’indemnisation des dommages et de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE en ce qui concernait l’aide au sauvetage.

 Conclusions des parties

6        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

7        La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

8        Il convient de rappeler que le juge de l’Union européenne est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond un recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, points 51 et 52, et du 14 septembre 2016, Trajektna luka Split/Commission, T‑57/15, non publié, EU:T:2016:470, point 84). En l’espèce, il convient d’examiner d’emblée le bien-fondé du recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité dans la mesure où les moyens invoqués par la requérante à l’appui du recours ne sont pas fondés pour les motifs exposés ci-après.

9        À l’appui de son recours, la requérante invoque six moyens, tirés, le premier, d’une application erronée de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE et d’une erreur manifeste d’appréciation relative à la proportionnalité de la mesure d’indemnisation des dommages, le deuxième, d’une violation de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, le troisième, d’une violation des principes de non-discrimination, de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement, le quatrième, de ce que la Commission a fait état de preuves inexistantes ou inadéquates, le cinquième, de ce que la Commission aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen et, le sixième, d’une violation de l’obligation de motivation.

 Sur le premier moyen, tiré d’une application erronée de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE et d’une erreur manifeste d’appréciation relative à la proportionnalité de la mesure d’indemnisation des dommages

10      Le premier moyen de la requérante se divise, en substance, en deux branches, tirées, la première, de ce que la Commission a commis des erreurs dans l’évaluation du montant des dommages causés à Blue Air par les restrictions de voyage imposées pendant la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et, la seconde, de ce qu’elle a commis des erreurs dans l’évaluation du montant de la mesure d’indemnisation des dommages.

 Sur la première branche du premier moyen, relative à l’évaluation des dommages causés à Blue Air

11      Premièrement, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas fait de distinction entre les dommages dus aux restrictions de voyage imposées pendant la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et les pertes résultant des difficultés préexistantes de Blue Air. À cet égard, la requérante soutient que les difficultés de Blue Air sont en partie structurelles et précèdent ladite pandémie, les restrictions de déplacement et l’immobilisation au sol des appareils des compagnies aériennes ne constituant que des difficultés nouvelles et distinctes venant s’ajouter à celles préexistantes. Par ailleurs, la Commission indiquerait seulement que, pour calculer les dommages pouvant faire l’objet d’une compensation au titre de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, les pertes nettes subies par Blue Air au cours de la période comprise entre le 16 mars et le 30 juin 2020 pourraient être directement attribuées aux restrictions de voyage imposées dans le cadre de la pandémie de COVID-19. Dans la mesure où la Commission évalue les pertes de recettes en calculant la différence entre les recettes auxquelles Blue Air pouvait s’attendre sur la base du budget pour l’année 2020, établi avant le déclenchement de la pandémie de COVID-19 et en l’absence des restrictions dues à celle-ci (ci-après le « budget 2020 »), et les recettes que Blue Air a effectivement engendrées au cours de la période allant du 16 mars au 30 juin 2020, elle aurait dû vérifier si le budget 2020 tenait compte des conséquences liées aux difficultés préexistantes de Blue Air et des risques inhérents à sa transformation d’un modèle de transporteur aérien traditionnel en un modèle de transporteur aérien à bas coûts, les recettes réalisées par Blue Air en l’absence de la pandémie de COVID-19 étant sans doute inférieures aux prévisions figurant dans le budget 2020. La requérante en conclut que les dommages subis par Blue Air du fait de la pandémie de COVID-19 ont donc été surestimés par la Commission.

12      Deuxièmement, la requérante avance que l’évaluation des coûts évités est opaque étant donné que la Commission n’a pas vérifié les réductions de coûts opérées par Blue Air pendant la pandémie de COVID-19 et n’a dès lors pas indiqué dans la décision attaquée si les coûts supportés par Blue Air durant la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 correspondaient à une réduction maximale de ses coûts. En conséquence, les coûts évités utilisés dans l’évaluation des dommages pourraient contenir des éléments de coûts qui étaient évitables.

13      Troisièmement, la Commission aurait omis, dans la décision attaquée, d’évaluer les dommages causés aux autres compagnies aériennes. Selon la requérante, un « événement extraordinaire » au sens de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE affecte par définition plusieurs ou toutes les parties prenantes d’un secteur ou d’une économie. Ainsi, de nombreuses autres compagnies aériennes auraient subi des dommages en Roumanie en conséquence des restrictions de voyage imposées dans le cadre de la pandémie de COVID-19. Cette disposition serait dès lors destinée à réparer les dommages subis également par les concurrents de Blue Air, et non pas seulement par cette dernière.

14      La Commission conclut au rejet de l’argumentation de la requérante.

15      Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que, s’agissant d’une dérogation au principe général d’incompatibilité des aides d’État avec le marché intérieur, énoncé à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Dès lors, seuls peuvent être compensés, au sens de cette disposition, les désavantages économiques causés directement par des calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires (arrêt du 23 février 2006, Atzeni e.a., C‑346/03 et C‑529/03, EU:C:2006:130, point 79).

16      Il s’ensuit que les aides susceptibles d’être supérieures aux pertes encourues par leurs bénéficiaires ne relèvent pas de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2004, Espagne/Commission, C‑73/03, non publié, EU:C:2004:711, points 40 et 41).

17      De plus, il y a lieu de rappeler, à l’instar de la Commission dans son mémoire en défense, que l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE vise des aides qui sont compatibles de droit avec le marché commun à condition qu’elles remplissent certains critères objectifs. Il en découle que la Commission est tenue de déclarer de telles aides compatibles avec le marché intérieur, dès lors que ces critères sont remplis, sans disposer de pouvoir d’appréciation à cet égard (arrêt du 25 juin 2008, Olympiaki Aeroporia Ypiresies/Commission, T‑268/06, EU:T:2008:222, point 51 ; voir également, en ce sens, arrêt du 17 septembre 1980, Philip Morris Holland/Commission, 730/79, EU:C:1980:209, point 17).

18      Par ailleurs, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le fait générateur du dommage, tel que défini dans la décision attaquée, doit être la cause déterminante du dommage auquel l’aide en cause vise à remédier et être directement à l’origine de ce dernier. Un lien direct n’existera que lorsque le dommage est la conséquence directe de l’événement en question sans dépendre de l’interposition d’autres causes. Ainsi, il incombe à la Commission de s’interroger avec une attention particulière sur la question de savoir si les restrictions de voyage imposées dans le cadre de la pandémie de COVID-19 étaient véritablement la cause déterminante du dommage causé au bénéficiaire de l’aide concernée ou si, au contraire, une partie de ce dommage était due aux difficultés préexistantes de ce bénéficiaire [voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Ryanair/Commission (Condor ; Covid-19), T‑665/20, EU:T:2021:344, points 45 et 58].

19      En premier lieu, il convient de relever, ainsi qu’il ressort des paragraphes 29, 30 et 93 à 96 de la décision attaquée, que la Commission a comparé, aux fins de l’évaluation des dommages, d’une part, la situation financière de Blue Air dans laquelle les dommages causés par les restrictions de voyage imposées dans le contexte de la pandémie de COVID-19 s’étaient déjà concrétisés et, d’autre part, un scénario contrefactuel qui se serait produit en l’absence desdites restrictions, lequel prenait en compte les recettes et les coûts prévus dans le budget 2020 pour la période allant du 16 mars au 30 juin 2020.

20      Or, les difficultés préexistantes à la pandémie de COVID-19 de Blue Air ont été reflétées dans ces deux scénarios. En effet, d’une part, la situation financière de Blue Air dans laquelle les dommages causés par les restrictions de voyage s’étaient déjà concrétisés correspondait aux résultats réels de Blue Air pendant la période concernée, ce qui reflétait nécessairement l’impact des difficultés préexistantes de Blue Air. D’autre part, il convient de relever, à l’instar de la Commission, et ainsi qu’il ressort de la méthodologie décrite notamment aux paragraphes 29, 30 et 93 à 96 de la décision attaquée, que le budget 2020 pour la période allant du 16 mars au 30 juin 2020, sur lequel était fondé le scénario contrefactuel, reflétait aussi l’impact des difficultés préexistantes à la pandémie de COVID-19 de Blue Air. Partant, ainsi que le relève en substance la Commission, l’impact des difficultés préexistantes ayant été reflété dans les deux scénarios, il s’ensuit, implicitement mais nécessairement, que cet impact a été neutralisé dans le calcul des dommages causés par les restrictions de voyage imposées pendant la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 dans le contexte de la pandémie de COVID-19.

21      Le paragraphe 29 de la décision attaquée précise que les coûts éligibles pour la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 correspondent aux dommages directement causés par les restrictions dues à la pandémie de COVID-19 à Blue Air pendant cette période. Le dommage est ainsi défini comme étant la perte de revenus résultant desdites restrictions, de laquelle sont déduits les coûts évités enregistrés par rapport aux revenus et aux coûts estimés dans le budget 2020 pour la durée de ladite période. De plus, le bénéfice net estimé dans le budget 2020 pour la même période est exclu du montant des dommages.

22      Si la requérante ne conteste pas la méthodologie ayant permis de déterminer le montant de la mesure d’indemnisation des dommages (voir point 19 ci-dessus), elle développe une argumentation relative au caractère approprié du budget 2020, tel qu’établi avant l’imposition des restrictions de voyage.

23      Ainsi, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait dû vérifier si le budget 2020 était réaliste ou potentiellement trop optimiste, il convient de souligner que la Commission a fondé son scénario contrefactuel en prenant comme valeurs de référence pour le calcul des dommages les recettes et les coûts prévus dans le budget 2020 pour la période allant du 16 mars au 30 juin 2020, étant donné que ces valeurs permettaient, selon la Roumanie, d’établir une meilleure approximation des dommages que les revenus réels et les coûts enregistrés au cours des mois correspondants de 2019. À cet égard, il ressort des paragraphes 30 et 95 de la décision attaquée que ce choix s’explique par la volonté de tenir compte de deux facteurs. D’une part, la transformation du modèle commercial de Blue Air en transporteur aérien opérant entièrement à bas coûts a empêché celle-ci d’engendrer des revenus provenant de vols charters ou de la location d’aéronefs avec équipage, entretien et assurance compris en 2020, contrairement à ce qui s’était produit durant l’année 2019. D’autre part, le retard de livraison de six nouveaux Boeing 737-MAX a obligé Blue Air à continuer d’exploiter six aéronefs plus anciens, ce qui a réduit de 10 % la capacité moyenne estimée de sièges disponibles et de près de 10 % l’utilisation de la flotte existante, augmentant également les frais d’entretien de 25 millions d’euros par rapport à l’année 2019. Il s’ensuit que, en se fondant sur le budget 2020, la Commission a estimé les dommages à 28,57 millions d’euros, sur la base du bénéfice avant intérêt et impôts (BAII) pour la période allant du 16 mars au 30 juin 2020. Ce faisant, la Commission a adopté une approche prudente, qui a entraîné une quantification des dommages plus faible que celle qui aurait été obtenue en utilisant les résultats financiers réels des mois correspondants de 2019 comme référence étant donné que ceux-ci auraient conduit à une estimation des dommages plus élevée, évaluée à 33,51 millions d’euros sur la base du BAII.

24      À cela s’ajoute le fait que, comme cela est indiqué au paragraphe 32 de la décision attaquée, Blue Air a subi une perte de recettes d’exploitation résultant d’une diminution du nombre de vols opérés et d’un coefficient de remplissage réduit pour les quelques vols restants pour les mois de mars à juin 2020. Il y a lieu de souligner que, comme il ressort de ce même paragraphe et ainsi que l’a indiqué la Commission à l’audience, le montant des réductions de coûts a été déduit du manque à gagner. Ces réductions incluaient des coûts d’exploitation directs inférieurs, des économies de coûts indirects et des différences de coûts liées à l’amortissement, à la location avec équipage et aux pénalités. Il en est résulté des pertes nettes éligibles à une indemnisation de 28,29 millions d’euros. À cet égard, il convient de préciser que le montant de 28,57 millions d’euros, mentionné aux paragraphes 30 et 95 de la décision attaquée, constitue une étape intermédiaire dans le calcul du montant des dommages.

25      Par ailleurs, il convient de constater, ainsi qu’il ressort des paragraphes 31 et 96 de la décision attaquée, que les autorités roumaines ont exclu le bénéfice prévu dans le budget 2020 pour la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 de l’indemnisation des dommages, ce qui signifie que l’indemnisation proposée se situait en deçà des dommages quantifiés.

26      En outre, comme le relève à juste titre la Commission dans son mémoire en défense, le nombre de passagers réellement transportés par Blue Air en janvier et en février 2020, c’est-à-dire avant l’imposition des restrictions de voyage, était très proche des estimations prévues dans le budget 2020. Cela démontre que les recettes budgétées pendant la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 auraient également été réalistes en l’absence desdites restrictions.

27      Ainsi, force est de constater que l’allégation de la requérante relative au montant de la potentielle réduction des revenus de Blue Air en 2020 par rapport à 2019 est purement spéculative. En effet, s’agissant de l’argument selon lequel la réduction de la capacité totale et de l’utilisation des appareils pourrait entraîner une diminution du montant des revenus de Blue Air par rapport à l’année 2019, il y a lieu d’observer que, ainsi qu’il ressort des paragraphes 30 et 95 de la décision attaquée, l’impact d’une capacité de sièges disponibles réduite, d’une utilisation moindre des aéronefs et d’une augmentation des frais d’entretien a déjà été pris en compte par la Commission lors de l’examen du budget 2020.

28      Dès lors, il y a lieu de considérer que l’allégation de la requérante n’est pas étayée et n’est pas de nature à démontrer que le scénario contrefactuel fondé sur le budget 2020 et élaboré par la Commission n’était pas plausible.

29      De plus, il y a lieu de constater que, en l’espèce, même si Blue Air faisait face à des difficultés préexistantes, la requérante n’a identifié aucun poste de coûts spécifique qui, selon elle, aurait dû être exclu ou traité différemment par la Commission en raison du fait que ces coûts auraient été causés par lesdites difficultés préexistantes, et non par les restrictions de voyage imposées pendant la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 dans le contexte de la pandémie de COVID-19.

30      Partant, il y a lieu de considérer que l’impact des difficultés préexistantes de Blue Air à la pandémie de COVID-19 ayant été reflété dans les deux scénarios susmentionnés, il s’ensuit, implicitement mais nécessairement, que cet impact a été neutralisé dans le calcul des dommages causés par les restrictions de voyage imposées pendant la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 dans le contexte de ladite pandémie.

31      Dès lors, il y a lieu de rejeter l’argument de la requérante.

32      En deuxième lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission a omis de s’assurer que Blue Air avait fait le nécessaire pour réduire ses coûts pendant la période allant du 16 mars au 30 juin 2020, de sorte que soient exclus de l’indemnisation des dommages non seulement les coûts évités, mais également les coûts « évitables », c’est-à-dire les coûts qu’elle aurait pu éviter, mais qu’elle a tout de même supportés, il convient de relever que, aux paragraphes 92 et 93 de la décision attaquée, la Commission a expliqué que les dommages à indemniser correspondaient à la perte de valeur ajoutée, définie comme étant la différence entre, d’une part, le manque à gagner de Blue Air, à savoir la différence entre le chiffre d’affaires qu’elle aurait pu s’attendre à réaliser, pendant la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 sur la base du budget 2020, en l’absence des restrictions de voyage et des autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19, et le chiffre d’affaires effectivement réalisé pendant cette période, corrigé de la marge bénéficiaire de Blue Air, et, d’autre part, les coûts évités.

33      À cet égard, la Commission a défini les coûts évités comme étant ceux que Blue Air aurait exposés pendant la période allant du 16 mars au 30 juin 2020 si son activité n’avait pas été affectée par les restrictions de voyage et par les mesures de confinement liées à l’épidémie de COVID-19 et qu’elle n’avait pas eu à supporter en raison de l’annulation de ses opérations. La Commission a précisé, au paragraphe 94 de la décision attaquée, que les coûts évités concernaient, par exemple, les frais de carburant ainsi que les coûts de personnel. Elle a également expliqué que les coûts évités devaient être quantifiés en comparant les coûts prévus dans le budget 2020 et les coûts effectivement supportés par Blue Air au cours de la période allant du 16 mars au 30 juin 2020.

34      Dans ces circonstances, et contrairement à ce que fait valoir la requérante, il n’y a pas lieu de considérer que l’évaluation des coûts évités, telle qu’elle est exposée dans la décision attaquée, est opaque.

35      De plus, il convient d’observer en l’espèce que la requérante reste en défaut de préciser concrètement quels autres coûts, hormis les coûts évités déjà pris en compte, Blue Air aurait pu éviter et auraient dû, dès lors, être exclus de l’évaluation des dommages causés à celle-ci. Dans ces circonstances, le Tribunal ne peut que constater que le reproche de la requérante relatif à une prétendue omission de la Commission de tenir compte des coûts « évitables » est trop abstrait et n’est étayé d’aucune donnée concrète.

36      Partant, cet argument doit être écarté.

37      En troisième lieu, s’agissant de l’argument selon lequel la Commission a omis de tenir compte des dommages subis par d’autres compagnies aériennes, il convient tout d’abord de rappeler que, aux termes de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, sont compatibles avec le marché intérieur les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires.

38      En l’espèce, la requérante ne conteste pas l’appréciation de la Commission, retenue dans la décision attaquée, selon laquelle la pandémie de COVID-19 devait être regardée comme étant un « événement extraordinaire » au sens de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE. Par ailleurs, il résulte des paragraphes 7, 86 et 87 de la décision attaquée que la pandémie de COVID-19 a conduit à l’interruption de la majeure partie du transport aérien de passagers, eu égard, notamment, aux restrictions de voyage et aux autres mesures de confinement imposées ainsi qu’à la fermeture des frontières de plusieurs États membres de l’Union, dont la Roumanie.

39      Il s’ensuit que la requérante relève, à juste titre, que Blue Air n’est pas la seule entreprise, ni la seule compagnie aérienne, à être affectée par l’événement extraordinaire en cause.

40      Toutefois, il n’en demeure pas moins, ainsi que le fait valoir, à juste titre, la Commission dans son mémoire en défense, qu’il n’existe aucune obligation, pour les États membres, d’accorder des aides destinées à remédier aux dommages causés par un événement extraordinaire au sens de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.

41      Plus particulièrement, d’une part, si l’article 108, paragraphe 3, TFUE oblige les États membres à notifier à la Commission leurs projets en matière d’aides d’État avant leur mise à exécution, il ne les oblige pas, en revanche, à octroyer une aide (ordonnance du 30 mai 2018, Yanchev, C‑481/17, non publiée, EU:C:2018:352, point 22).

42      D’autre part, une aide peut être destinée à remédier aux dommages causés par un événement extraordinaire, conformément à l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, indépendamment du fait qu’elle ne remédie pas à l’intégralité de ces dommages.

43      Par conséquent, il ne découle ni de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ni de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE que les États membres seraient obligés de remédier à l’intégralité des dommages causés par un événement extraordinaire de sorte qu’ils ne sauraient pas non plus être tenus d’accorder des aides à l’ensemble des victimes de ces dommages [arrêts du 14 avril 2021, Ryanair/Commission (SAS, Danemark ; Covid-19), T‑378/20, sous pourvoi, EU:T:2021:194, point 24, et du 14 juillet 2021, Ryanair et Laudamotion/Commission (Austrian Airlines ; Covid-19), T‑677/20, sous pourvoi, EU:T:2021:465, point 57].

44      Dans ces conditions, la requérante n’est pas fondée à soutenir que la Commission était tenue d’évaluer, dans la décision attaquée, le dommage causé aux compagnies aériennes autres que Blue Air.

45      Dès lors, la première branche du premier moyen doit être écartée.

 Sur la seconde branche du premier moyen, relative à l’évaluation du montant de la mesure d’indemnisation des dommages

46      La requérante fait valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation dans la mesure où, contrairement à sa pratique décisionnelle, elle n’a pas tenu compte de l’avantage concurrentiel découlant du caractère discriminatoire de la mesure d’indemnisation des dommages, qui se traduirait par des parts de marché plus importantes pour Blue Air que celles auxquelles elle aurait pu autrement prétendre ou encore par la possibilité d’obtenir un prêt à des conditions favorables.

47      La Commission réfute l’argumentation de la requérante.

48      Tout d’abord, il convient de relever que, aux fins de l’appréciation de la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur, l’avantage procuré par cette aide à son bénéficiaire n’inclut pas l’éventuel bénéfice économique réalisé par celui-ci par l’exploitation de cet avantage. Un tel bénéfice peut ne pas être identique à l’avantage constituant ladite aide, voire s’avérer inexistant, sans que cette circonstance puisse justifier une appréciation différente de la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity, C‑164/15 P et C‑165/15 P, EU:C:2016:990, point 92).

49      Par conséquent, il y a lieu de constater que la Commission a, à juste titre, tenu compte de l’avantage procuré à Blue Air, tel qu’il résultait de la mesure d’indemnisation des dommages. En revanche, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir déterminé l’existence d’un éventuel bénéfice économique résultant de cet avantage.

50      Dans ces conditions, la requérante n’est pas fondée à reprocher à la Commission de ne pas avoir tenu compte d’un éventuel avantage concurrentiel résultant du caractère discriminatoire allégué de la mesure en cause.

51      Partant, il convient d’écarter la seconde branche du premier moyen et, par voie de conséquence, ledit moyen dans son intégralité.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE

52      Par son deuxième moyen, la requérante reproche à la Commission d’avoir fait une application erronée de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, lu à la lumière des lignes directrices. La Commission aurait commis une erreur de droit et plusieurs erreurs d’appréciation. Les erreurs concerneraient, premièrement, l’éligibilité de Blue Air à l’aide au sauvetage, deuxièmement, l’existence d’un objectif d’intérêt commun, troisièmement, l’appréciation du caractère approprié de cette aide, quatrièmement, l’appréciation de la proportionnalité de ladite aide, cinquièmement, le caractère adéquat des lignes directrices pour l’appréciation de cette même aide et, sixièmement, l’appréciation des effets négatifs de l’aide au sauvetage.

 Sur l’éligibilité de Blue Air à l’aide au sauvetage

53      Par la première branche du deuxième moyen, la requérante fait valoir, en substance, que la Commission a mené un examen insuffisant de la première condition visée au point 22 des lignes directrices selon laquelle une société qui fait partie d’un groupe ne peut en principe pas bénéficier d’une aide au sauvetage. La requérante reproche à la Commission de s’être bornée à affirmer que 99,99 % des actions de Blue Air étaient détenues par la société anonyme Airline Invest, dont 99,99 % des actions étaient elles-mêmes détenues par une personne physique, pour conclure que le bénéficiaire n’appartenait pas à un groupe d’entreprises alors même que cette personne physique pourrait être l’intermédiaire ou le prête-nom d’une autre personne physique ou morale. Ainsi, selon elle, la Commission n’aurait pas dû simplement se limiter à constater que Blue Air était contrôlée par deux personnes physiques pour en tirer sa conclusion.

54      La Commission considère qu’il convient d’écarter l’argumentation de la requérante.

55      Il convient de rappeler à cet égard que le point 22 des lignes directrices énonce trois conditions cumulatives permettant de considérer comme compatible avec le marché intérieur une aide accordée à une société faisant partie d’un groupe. Ainsi, il incombe à la Commission d’examiner, premièrement, si le bénéficiaire de l’aide fait partie d’un groupe et, le cas échéant, la composition de celui-ci, deuxièmement, si les difficultés auxquelles le bénéficiaire fait face lui sont spécifiques et ne résultent pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe et, troisièmement, si ces difficultés sont trop graves pour être résolues par ledit groupe lui-même.

56      L’objectif de cette interdiction est donc d’empêcher un groupe d’entreprises de faire supporter à l’État le coût d’une opération de sauvetage d’une des entreprises qui le composent, lorsque cette entreprise est en difficulté et que le groupe est lui-même à l’origine de ces difficultés ou qu’il a les moyens de faire face seul à celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission, T‑511/09, EU:T:2015:284, point 159).

57      Il ressort des paragraphes 27 et 105 de la décision attaquée que 99,99 % des actions de Blue Air sont détenues par la société roumaine Airline Invest, créée en décembre 2019, et que les 0,01 % restants appartiennent à un citoyen américain. Il est également indiqué que 99,99 % des actions de la société Airline Invest, qui n’exerce pas d’autres activités que celle de détenir les actions de Blue Air, sont elles-mêmes détenues par une personne physique qui n’exerce aucune autre activité directe ou indirecte.

58      Or, l’argumentation de la requérante consiste à soutenir que la personne physique détenant 99,99 % des actions d’Airline Invest pourrait être le prête-nom d’une autre personne physique ou morale. Force est de constater que cette argumentation n’est pas étayée et reste hypothétique, dès lors qu’elle est basée sur de simples suppositions tirées uniquement d’articles de presse dont le contenu n’est pas de nature à démontrer que l’actionnaire d’Airline Invest est un prête-nom. Par conséquent, cette argumentation est purement spéculative et n’est étayée que par les éléments de preuve auxquels se réfère la requérante. D’ailleurs, interrogée sur ce point lors de l’audience, la requérante n’a pas été en mesure de fournir des éléments d’information plus précis à ce sujet.

59      Dès lors, à défaut d’indice en ce sens, il y a lieu d’écarter l’argument tiré de ce que la Commission a mené un examen insuffisant de la première condition prévue au point 22 des lignes directrices, à savoir si le bénéficiaire de l’aide faisait partie d’un groupe.

60      Par conséquent, il convient d’écarter la première branche du deuxième moyen.

 Sur la contribution de l’aide au sauvetage à un objectif d’intérêt commun

61      Par la deuxième branche du deuxième moyen, la requérante soutient, en substance, que la Commission a commis une erreur en considérant que l’aide au sauvetage poursuivait un objectif d’intérêt commun au sens du point 43 des lignes directrices. En particulier, selon la requérante, la Commission n’a pas établi, d’une part, que Blue Air fournissait un service important au sens du point 44, sous b), des lignes directrices et, d’autre part, que ledit service ne pourrait pas être facilement assuré par un concurrent.

62      La Commission considère qu’il convient d’écarter l’argumentation de la requérante.

63      Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, la Commission ne peut déclarer une aide compatible au regard de l’article 107, paragraphe 3, TFUE que si elle peut constater que cette aide contribue à la réalisation de l’un des objectifs cités, objectifs que l’entreprise bénéficiaire ne pourrait atteindre par ses propres moyens dans des conditions normales de marché. En d’autres termes, une mesure d’aide ne saurait être déclarée compatible avec le marché intérieur si elle apporte une amélioration de la situation financière de l’entreprise bénéficiaire sans être nécessaire pour atteindre les buts prévus par l’article 107, paragraphe 3, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 14 janvier 2009, Kronoply/Commission, T‑162/06, EU:T:2009:2, point 65 et jurisprudence citée).

64      En ce qui concerne en particulier l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, il résulte du point 43 des lignes directrices que le simple fait d’empêcher une entreprise de sortir du marché ne suffit pas à justifier le recours à une aide au sauvetage. Il convient de démontrer clairement que l’aide poursuit un objectif d’intérêt commun en ce qu’elle a pour objet d’éviter des difficultés sociales ou de remédier à la défaillance du marché. Le point 44 des lignes directrices expose sept exemples de situations dans lesquelles il est établi que l’aide poursuit un intérêt commun. En particulier, le point 44, sous b), des lignes directrices prévoit que les États membres doivent démontrer que la défaillance du bénéficiaire serait susceptible d’entraîner de graves difficultés sociales ou une importante défaillance du marché, en ce qu’« il existe un risque d’interruption d’un service important qu’il est compliqué de reproduire et qu’un concurrent (par exemple un fournisseur national d’infrastructures) pourrait difficilement assurer à la place du bénéficiaire ».

65      En l’espèce, il convient d’examiner les arguments de la requérante afin de vérifier que la Commission n’a pas commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant, d’une part, que le service en cause était « important » et, d’autre part, qu’il était compliqué de le reproduire, au sens du point 44, sous b), des lignes directrices.

66      En premier lieu, s’agissant du caractère important du service fourni par Blue Air, il ressort notamment des paragraphes 51, 52, 58, 108 et 109 de la décision attaquée que cette compagnie aérienne assurait la connectivité de la Roumanie dans la mesure où elle desservait des liaisons aériennes intérieures et internationales, dont certaines reliaient des régions reculées de cet État membre qui étaient difficilement accessibles par voie terrestre en raison du mauvais état des infrastructures routière et ferroviaire roumaines.

67      En outre, il y a lieu de relever que, comme cela est indiqué au paragraphe 111 de la décision attaquée, certains petits aéroports nationaux pourraient même ne plus être desservis ou être desservis dans une mesure considérablement réduite après la sortie du marché de Blue Air, étant donné, d’une part, que les autres compagnies aériennes à bas coûts n’ont jamais manifesté d’intérêt à desservir les liaisons aériennes intérieures au départ ou à destination de certains de ces aéroports et, d’autre part, que la compagnie aérienne nationale de Roumanie, TAROM, ne propose pas de liaisons aériennes à bas coûts, ce que les parties ne contestent pas.

68      Par ailleurs, s’agissant des liaisons aériennes internationales, il ressort du paragraphe 52 de la décision attaquée que Blue Air constituait la seule compagnie aérienne à bas coûts exploitant les liaisons au départ de la Roumanie et à destination des aéroports de Florence (Italie), Stuttgart (Allemagne), Cologne/Bonn (Allemagne), Amsterdam (Pays-Bas), Milan-Linate (Italie), Paris-Orly (France) et Helsinki (Finlande).

69      Dans cette mesure, la Commission a pu à juste titre considérer que Blue Air effectuait un service important en offrant, d’une part, des liaisons au départ et à destination de plusieurs régions roumaines reculées, dont la connectivité par voie aérienne revêtait une importance économique particulière au regard de l’état des infrastructures nationales terrestres, et, d’autre part, des liaisons au départ et à destination de plusieurs grandes villes d’Europe, en contribuant de la sorte à la connectivité internationale desdites régions.

70      En outre, comme la Commission l’a relevé, les services de transport aérien de passagers fournis par Blue Air ciblaient, en particulier, deux catégories spécifiques de passagers, à savoir les petits entrepreneurs locaux et la communauté roumaine établie hors du pays, particulièrement présente en Italie, en France, en Espagne, en Allemagne et au Royaume-Uni, grâce à un réseau unique d’itinéraires nationaux et internationaux, spécifiquement calibrés selon leurs besoins, qu’elle avait développé à cet effet au cours des quinze dernières années. La décision attaquée précise à cet égard que, dans le contexte de l’absence d’alternatives valables en raison du mauvais état des infrastructures routière et ferroviaire roumaines, ce qui n’est pas contesté par la requérante, ces deux catégories de passagers très mobiles, qui se déplacent à l’intérieur de la Roumanie à des fins professionnelles (pour la première catégorie) ou vivent et travaillent à l’étranger en faisant des allers-retours fréquents entre leur pays d’origine et leur lieu de résidence respectif (pour la seconde catégorie), dépendent de liaisons aériennes à bas coûts.

71      Ainsi, l’analyse de la Commission repose en l’espèce, en substance, sur le constat selon lequel la cessation d’activité de Blue Air serait préjudiciable à la connectivité tant régionale qu’internationale de la Roumanie et, en particulier, de certaines régions reculées du pays, ainsi qu’à la mobilité des deux catégories de passagers visées au point 70 ci-dessus, et qu’il existerait, en cas de sortie du marché du bénéficiaire, un risque concret d’interruption de certains services de transport aérien de passagers considérés comme importants par cet État membre.

72      En outre, il ressort des paragraphes 59, 62, 111 et 112 de la décision attaquée que, en assurant la mobilité des petits entrepreneurs locaux entre les différentes régions du pays, Blue Air contribue à la vie économique de ces régions.

73      Par ailleurs, ainsi qu’il ressort des paragraphes 53 et 110 de la décision attaquée, une sortie du marché de Blue Air aurait eu un impact direct sur plus de 400 000 passagers, dont plus de 250 000 d’entre eux avaient vu leurs vols annulés en raison des restrictions de déplacement imposées par les États européens pour limiter la propagation de la pandémie de COVID-19 et soit attendaient le remboursement de leurs billets, soit avaient accepté un avoir à utiliser sur un autre vol. S’agissant des 150 000 passagers restants, ils avaient réservé un vol avec Blue Air dans les douze mois suivants.

74      Au regard des éléments mentionnés aux points 65 à 73 ci-dessus, la requérante n’a soumis au Tribunal aucun élément permettant de constater que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation lorsqu’elle a considéré que Blue Air fournissait un service important au sens du point 44, sous b), des lignes directrices.

75      En outre, aucun des arguments avancés par la requérante devant le Tribunal n’est susceptible de remettre en cause cette conclusion.

76      Premièrement, en ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel Blue Air n’est pas une compagnie aérienne à bas coûts et selon lequel le prix moyen des billets proposés par celle-ci est même plus élevé que celui des billets vendus par elle-même, il y a lieu de constater que cette dernière soutient, à l’appui de son argumentation, que le prix moyen de ses billets était de 68,27 euros en 2019 et de 55,59 euros en 2020 alors que, pour ces deux mêmes années, celui des billets proposés par Blue Air était respectivement de 89,09 euros et de 63,37 euros.

77      Interrogée sur ce point lors de l’audience, la requérante a ajouté que, outre l’aspect tarifaire en lui-même, l’autre caractéristique des compagnies aériennes à bas coûts est le taux de remplissage particulièrement élevé de leurs avions. En l’occurrence, selon elle, le taux de remplissage de ses avions serait, dans l’ensemble, plus élevé que celui des avions exploités par Blue Air.

78      Or, les deux circonstances relevées par la requérante, à les supposer avérées, ne sont pas de nature, par elles-mêmes, à démontrer que le service fourni par Blue Air n’était pas important au sens du point 44, sous b), des lignes directrices. En effet, elles ne permettent pas de remettre en cause le constat, ressortant des points 65 à 73 ci-dessus, suivant lequel le service fourni par Blue Air assurait la connectivité de plusieurs régions roumaines et facilitait le déplacement de deux catégories de passagers bien définis, les petits entrepreneurs et les citoyens roumains établis dans d’autres États membres, assurant ainsi la connectivité de la Roumanie dans son ensemble et étant, dès lors, constitutif d’un service important pour ces passagers. En outre, il convient de relever que la comparaison chiffrée des prix moyens des billets ne démontre pas, en tout état de cause, que Blue Air ne serait pas une compagnie aérienne à bas coûts au même titre que la requérante et fait de surcroît ressortir que Blue Air a été capable en un an de réduire de plus de 25 euros le prix moyen de ses billets, lequel était, en 2020, seulement supérieur de 7,78 euros à celui des billets de la requérante.

79      Deuxièmement, l’argument de la requérante selon lequel la Commission a omis d’apprécier la taille du marché et l’importance de Blue Air dans les liaisons nationales et internationales ne saurait prospérer. En effet, d’une part, il convient d’observer que le point 43 et le point 44, sous b), des lignes directrices n’obligent pas la Commission à tenir compte de la taille du marché en cause lorsqu’elle examine si le service en cause est « important ». Ainsi, à supposer même que la taille du marché en cause soit relativement limitée, cela n’empêche pas qu’un service fourni sur ce marché puisse être important au sens des lignes directrices [arrêt du 4 mai 2022, Wizz Air Hungary/Commission (TAROM ; aide au sauvetage), T‑718/20, sous pourvoi, EU:T:2022:276, point 51].

80      D’autre part, à la supposer établie, la faible part de marché de Blue Air dans les liaisons nationales et internationales n’est pas de nature à influer sur le constat selon lequel le risque que Blue Air cesse ses activités à court terme était susceptible de porter atteinte à la connectivité de la Roumanie dans son ensemble, et surtout à la connectivité de certaines régions roumaines, ainsi que d’être préjudiciable aux passagers qui faisaient appel à ses services de transport aérien. En effet, le fait que, sur le marché roumain pris dans son ensemble, la part de marché de Blue Air soit faible n’ôte rien à son importance quant à la connectivité de certaines régions roumaines reculées, pour lesquelles, eu égard à l’état des infrastructures routière et ferroviaire, les liaisons aériennes restent les seules viables.

81      Troisièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel les liaisons nationales opérées par Blue Air auraient pu faire l’objet d’obligations de service public au lieu du sauvetage de Blue Air, force est de constater que la requérante ne démontre pas que la mise en place de telles obligations de service public aurait pu s’effectuer dans un délai suffisamment bref, tout en assurant la connectivité continue desdites régions.

82      En second lieu, s’agissant de la question de savoir si les services effectués par Blue Air étaient compliqués à reproduire au sens du point 44, sous b), des lignes directrices, il ressort des paragraphes 54, 55, 63, 109, 110 et 112 de la décision attaquée que, dans les circonstances de l’espèce, l’intégralité desdits services n’aurait pas pu être assurée à brève échéance par d’autres compagnies aériennes, notamment à bas coûts, car plusieurs d’entre elles avaient déjà récemment fermé certaines de leurs liaisons aériennes, également exploitées par Blue Air, laissant ainsi cette dernière seule à les assurer.

83      Au demeurant, premièrement, il convient de relever que, selon la Commission, les autres compagnies aériennes à bas coûts sont peu, voire pas du tout, présentes sur la majorité des itinéraires de Blue Air dans la mesure où leur modèle économique repose sur l’utilisation d’aéroports dits « secondaires », à savoir des aéroports situés à une certaine distance des aéroports urbains considérés comme « primaires ». En effet, les aéroports « secondaires » requièrent le paiement de redevances aéroportuaires moins élevées et les créneaux sont plus facilement disponibles que dans les grands aéroports nationaux.

84      À cet égard, la requérante reconnaît qu’elle ne dessert pas certains aéroports « primaires » desservis par Blue Air.

85      Par suite, il y a lieu de constater que c’est à juste titre que la Commission a considéré au paragraphe 109 de la décision attaquée que Blue Air occupait une niche qui n’était pas exploitée par d’autres compagnies aériennes à bas coûts sur le marché roumain. Ainsi, la requérante n’a pas démontré qu’elle aurait été susceptible de reprendre les liaisons aériennes exploitées par Blue Air étant donné que son modèle économique différait considérablement de celui de Blue Air.

86      Dans le même ordre d’idées, la requérante n’a pas non plus contesté le fait que les compagnies aériennes à bas coûts concurrentes de Blue Air n’étaient pas intéressées à reprendre les liaisons aériennes au départ ou à destination de certains aéroports régionaux roumains, tels que ceux d’Oradea et de Baia Mare, dans la mesure où ces compagnies aériennes concurrentes exploitaient déjà des liaisons aériennes au départ d’autres aéroports régionaux, ce qui risquait de laisser ces premiers aéroports non ou peu desservis, en cas de sortie de Blue Air du marché.

87      De plus, la note en bas de page no 19 de la décision attaquée indique que les compagnies aériennes à bas coûts concurrentes de Blue Air s’étaient déjà retirées d’Oradea et de la liaison Bucarest-Cluj (Roumanie) en 2018, ce qui confirme l’appréciation de la Commission pour ce qui est de l’absence d’intérêt de ces compagnies aériennes à offrir cette couverture.

88      En outre, il convient de constater que, lors de l’audience, la requérante a avancé que différentes liaisons n’étaient plus desservies par Blue Air, telles que celles au départ et à destination d’Oradea. Toutefois, ce faisant, la requérante se réfère à des données actuelles et donc postérieures à la date de la décision attaquée. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la légalité de la décision attaquée doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle a été arrêtée, et non sur la base d’événements ultérieurs. Un tel argument doit donc être écarté.

89      Deuxièmement, la requérante affirme qu’elle assurait plus de 80 % des liaisons aériennes internationales également effectuées par Blue Air. À cet égard, il convient toutefois de souligner, à l’instar de la Commission, qu’il ne ressort pas des annexes de la requête que la requérante serait présente sur 80 % des liaisons aériennes assurées par Blue Air, lesdites annexes faisant référence uniquement à des « destinations » internationales au départ de la Roumanie, et non à des liaisons spécifiques. En outre, la requérante fait référence à des données postérieures à la décision attaquée en ce sens qu’elle se réfère à des données qui couvrent l’intégralité de l’année 2020. Ainsi, au regard de leur contenu et de la période à laquelle elles se rapportent, ces données n’étayent pas suffisamment l’argument de la requérante. En tout état de cause, ces données confirment qu’une partie non négligeable des liaisons desservies par Blue Air ne l’était pas par la requérante.

90      Troisièmement, en ce qui concerne l’argument selon lequel la capacité perdue d’une compagnie aérienne pourrait être rapidement remplacée par d’autres compagnies aériennes désireuses de redéployer leur capacité excédentaire, il y a lieu de souligner qu’aucun élément ne permet de démontrer que la capacité excédentaire de la requérante, qui trouve son origine dans les mesures adoptées par les États membres dans le contexte de la pandémie de COVID-19, permettrait à celle-ci d’assurer les liaisons aériennes auparavant effectuées par Blue Air. Dès lors, il n’est pas démontré que, une fois sa propre activité reprise, la requérante aurait encore suffisamment de capacité de transport pour reprendre lesdites liaisons. En effet, la surcapacité du secteur ne suffit pas à elle seule pour présumer que les concurrents utiliseront leurs capacités inutilisées à n’importe quelle condition et supporteront des frais supplémentaires tout en fournissant un service ininterrompu à des prix abordables.

91      En conséquence, force est de constater que la requérante n’a pas démontré que des compagnies aériennes concurrentes de Blue Air auraient été prêtes à reprendre l’ensemble des liaisons exploitées par celle-ci en cas de sortie du marché de cette dernière.

92      Quatrièmement, à supposer même que le remplacement de Blue Air ait été possible sur certaines des liaisons intérieures ou internationales en question, la requérante n’a pas non plus démontré que, eu égard à la probable et imminente cessation d’activité de Blue Air, ce remplacement aurait pu intervenir à court terme, et ce afin d’éviter autant que possible toute interruption du service, et à des conditions proches de celles dans lesquelles ces liaisons étaient exploitées.

93      En effet, bien que la requérante avance qu’elle était prête à assurer les liaisons de Blue Air en moins de six mois en cas de sortie du marché de celle-ci, il ressort des annexes de la requête relatives à l’expansion de la requérante en 2020 que la majeure partie des liaisons aériennes qu’elle a lancées soit n’étaient pas du tout desservies par Blue Air en 2019 et en 2020, soit continuaient d’être desservies par cette dernière également en 2020. Force est dès lors de constater que la requérante n’a pas démontré que Blue Air avait déjà été remplacée sur certaines liaisons ou pouvait être facilement remplacée dans les six mois à compter de sa cessation d’activité.

94      Eu égard notamment à l’importance du rôle joué par Blue Air pour garantir des liaisons aériennes à un prix abordable à deux catégories de passagers apportant une contribution essentielle à l’économie régionale de la Roumanie, à savoir les petits entrepreneurs locaux et la communauté roumaine établie à l’étranger, ainsi qu’aux conséquences qu’aurait une défaillance de celle-ci sur cette économie et sur plus de 400 000 passagers (voir point 73 ci-dessus), il y a lieu de conclure que la sortie de Blue Air du marché aurait entraîné un risque d’interruption d’un service important qu’il aurait été compliqué de reproduire dans les circonstances particulières de l’espèce.

95      C’est donc à juste titre que la Commission a considéré que l’aide au sauvetage répondait aux exigences prévues aux points 43 et 44 des lignes directrices.

96      Partant, il convient d’écarter la deuxième branche du deuxième moyen comme non fondée.

 Sur l’appréciation du caractère approprié de l’aide au sauvetage

97      Par la troisième branche du deuxième moyen, la requérante fait valoir, en substance, que la Commission a considéré à tort que l’aide au sauvetage était appropriée. Premièrement, elle reproche à la Commission de ne pas avoir appliqué un taux d’intérêt correct en estimant, à tort, que Blue Air présentait des taux normaux de couverture par des sûretés. Deuxièmement, elle considère que la durée de l’aide au sauvetage est trop longue. Troisièmement, la requérante soutient que la Commission aurait dû demander au bénéficiaire de présenter un plan de restructuration conformément au point 55, sous d), ii), des lignes directrices ou un plan de liquidation conformément au point 55, sous d), iii), des lignes directrices, dans un délai plus court que six mois.

98      La Commission conteste les arguments de la requérante.

99      Premièrement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel le taux d’intérêt appliqué au prêt en cause n’est pas suffisamment élevé par rapport aux risques liés audit prêt, il convient de souligner que le point 56 des lignes directrices dispose ce qui suit :

« Le niveau de rémunération qu’un bénéficiaire est tenu de payer pour une aide au sauvetage doit tenir compte de la solvabilité sous-jacente du bénéficiaire, en faisant abstraction des effets temporaires des problèmes de liquidité et du soutien public, et doit prévoir des mesures incitatives permettant au bénéficiaire de rembourser l’aide dès que possible. La Commission exigera donc que la rémunération soit fixée à un taux qui ne sera pas inférieur au taux de référence fixé dans la communication sur les taux de référence pour les entreprises faibles présentant des taux normaux de couverture par une sûreté (actuellement taux IBOR à 1 an majoré de 400 points de base) et soit majorée d’au moins 50 points de base dans le cas d’aides au sauvetage dont l’autorisation est prolongée conformément au point 55[, sous d),] ii). »

100    En l’espèce, il n’est pas contesté par les parties que le taux d’intérêt attaché au prêt en cause est équivalent ou proche du taux de référence visé au point 56 des lignes directrices et ne méconnaît donc pas le seuil imposé.

101    Plus précisément, il ressort du paragraphe 19 de la décision attaquée que, si le prêt devait être accordé en deux tranches, le taux d’intérêt de la partie du prêt relative à l’aide au sauvetage et de la garantie d’État correspondante serait au moins égal au niveau du Romanian Interbank Offer Rate (ROBOR) ou de l’Euro Interbank Offered Rate (Euribor) à un an (selon la devise dans laquelle le prêt serait libellé), majoré d’une marge de risque d’au moins 400 points de base. Si le prêt devait être accordé en une seule tranche, le taux d’intérêt du prêt entier et de la garantie serait au moins égal au niveau du ROBOR ou de l’Euribor à un an (selon la devise dans laquelle le prêt serait libellé), majoré d’une marge de risque non inférieure à 400 points de base.

102    Contrairement à ce qu’avance la requérante, il ressort du point 56 des lignes directrices qu’il n’y a pas lieu de majorer ce taux avant une éventuelle prolongation de l’autorisation.

103    Dès lors, étant donné que la Commission n’était pas en mesure de prévoir avec certitude si la Roumanie allait ou non présenter un plan de restructuration avant l’échéance, la requérante ne saurait lui faire grief de ne pas avoir majoré le taux d’intérêt appliqué dès l’adoption de la décision attaquée. Une telle échéance n’est pas prévue par le point 56 des lignes directrices.

104    Par ailleurs, il y a lieu de relever, à l’instar de la Commission, que l’argument de la requérante selon lequel le taux d’intérêt devait être plus élevé en l’absence de sûretés pourvues par la bénéficiaire résulte d’une lecture erronée du point 56 des lignes directrices. Ce point prévoit l’application du taux prévu aux entreprises faibles présentant des taux normaux de couverture par une sûreté (voir point 99 ci-dessus). Ainsi, ledit point requiert l’application d’un taux d’intérêt minimum qui s’applique à l’ensemble des aides au sauvetage, indépendamment des garanties fournies par les bénéficiaires dans chaque cas. Comme le relève la Commission, cela s’explique par l’urgence inhérente aux aides au sauvetage, laquelle requiert l’établissement d’une règle claire et applicable dans tous les cas, de sorte que la Commission n’a pas besoin de procéder à un examen du caractère approprié de la rémunération des aides au sauvetage au cas par cas.

105    Deuxièmement, en ce qui concerne l’allégation de la requérante selon laquelle la durée de l’aide en cause est excessive par rapport à l’objectif poursuivi par ladite aide, il convient de rappeler que le point 55 des lignes directrices énumère les conditions auxquelles une aide au sauvetage doit obéir afin d’être autorisée par la Commission. Tout d’abord, il importe que la mesure d’aide au sauvetage soit limitée dans le temps. À cet égard, le point 55, sous d), des lignes directrices dispose, notamment, que les États membres doivent s’engager à transmettre à la Commission, dans un délai maximal de six mois, soit la preuve que le crédit a été intégralement remboursé, soit, pour autant que le bénéficiaire puisse être qualifié d’entreprise en difficulté, un plan de restructuration tel qu’énoncé au point 3.1.2 des lignes directrices. Sur présentation d’un tel plan, l’autorisation de l’aide au sauvetage sera automatiquement prolongée jusqu’à ce que la Commission prenne une décision définitive sur le plan de restructuration, sauf si elle décide qu’une telle prolongation n’est pas justifiée ou doit être de durée ou de portée limitée.

106    Il ressort du libellé du point 55, sous d), des lignes directrices que la Commission n’est pas en droit de refuser d’autoriser une aide au sauvetage dans une situation où l’État membre concerné a l’intention d’utiliser l’intégralité de la période de six mois qui lui est impartie par les lignes directrices pour élaborer et présenter un plan de restructuration ou de liquidation. Ainsi, bien qu’un État membre puisse fixer un délai plus court, la Commission ne peut toutefois pas légalement l’y obliger. Au demeurant, la durée de six mois vise, comme l’indique le point 60 des lignes directrices, à permettre au bénéficiaire de reconstituer ses liquidités.

107    Troisièmement, la requérante argue que la Commission a commis une erreur d’appréciation en ce qu’elle aurait dû demander à la Roumanie de présenter un plan de restructuration dans un délai plus court que celui de six mois. En effet, selon elle, il aurait été clair dès le départ que le prêt ne serait pas remboursé dans le délai de six mois prévu et que la Roumanie finirait par faire prolonger cette période en présentant un plan de restructuration. Or, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, toutes les compagnies aériennes souffriraient de graves pertes et une mesure d’aide accordée de facto pour une période de plus de six mois à l’une d’entre elles créerait une distorsion significative.

108    Ces arguments de la requérante ne privent cependant pas de plausibilité les appréciations de la Commission.

109    En effet, il ressort clairement du libellé du point 55, sous d), des lignes directrices qu’il appartient à l’État membre de transmettre à la Commission, dans un délai maximal de six mois à compter de l’autorisation de l’aide au sauvetage, une preuve de remboursement du crédit, un plan de restructuration (pour autant que le bénéficiaire puisse être qualifié d’entreprise en difficulté) ou un plan de liquidation. Certes, l’État membre concerné est toujours en droit de soumettre l’un de ces documents avant la fin du délai de six mois, mais il ne ressort pas du libellé dudit point que la Commission est autorisée à fixer un délai plus court de sa propre initiative.

110    De même, le point 55, sous d), ii), des lignes directrices prévoit clairement, dans l’hypothèse où l’État membre a transmis un plan de restructuration, que l’autorisation de l’aide au sauvetage sera automatiquement prolongée jusqu’à ce que la Commission prenne une décision définitive sur ce plan. Au demeurant, aucune autorisation de ce type n’a été accordée dans la décision attaquée.

111    Enfin, il importe de souligner que, selon les lignes directrices et notamment le point 60 de celles-ci, une aide au sauvetage a pour but de maintenir le bénéficiaire en activité pendant six mois, objectif qui est difficilement compatible avec une réduction de la durée de l’aide.

112    Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d’écarter la troisième branche du deuxième moyen.

 Sur l’appréciation de la proportionnalité de l’aide au sauvetage

113    Par la quatrième branche du deuxième moyen, la requérante s’oppose, en substance, à l’appréciation de la Commission selon laquelle l’aide en cause était proportionnée par rapport à l’objectif recherché.

114    La Commission considère qu’il convient d’écarter l’argumentation de la requérante.

115    Premièrement, la requérante relève que, comme il ressort du paragraphe 123 de la décision attaquée, l’aide au sauvetage couvrait, en partie, des besoins de liquidité de Blue Air causés par les restrictions de voyage dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Ainsi, selon la requérante, en autorisant cette aide, la Commission a agi à l’encontre des objectifs et de la logique de sa communication du 19 mars 2020 intitulée « Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 » (JO 2020, C 91 I, p. 1) et modifiée le 3 avril 2020 (JO 2020, C 112 I, p. 1), laquelle exclut l’octroi d’aides aux entreprises qui étaient déjà en difficulté au 31 décembre 2019, et a permis l’octroi d’une aide à l’entreprise la moins apte à atteindre l’objectif de l’aide liée à la pandémie de COVID-19.

116    À cet égard, d’une part, il convient de relever qu’aucune des deux mesures d’aide en cause n’a été autorisée en vertu de la communication visée au point 115 ci-dessus.

117    D’autre part, il y a lieu de souligner que la mesure d’indemnisation des dommages visait à compenser les dommages subis par Blue Air au cours de la période comprise entre le 16 mars et le 30 juin 2020, alors que l’aide au sauvetage permettait à celle-ci de couvrir ses besoins de liquidité pendant une période différente, à savoir celle allant de septembre 2020 à février 2021. En outre, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, l’aide accordée à Blue Air en vertu de la mesure d’indemnisation des dommages a été prise en considération dans le plan de liquidité pour la période allant de septembre 2020 à février 2021 et a donc permis de réduire le montant de l’aide au sauvetage nécessaire.

118    Partant, l’allégation de la requérante n’est pas de nature à remettre en cause l’appréciation de la Commission au sujet de la proportionnalité de l’aide au sauvetage.

119    Deuxièmement, la requérante argue que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que l’aide au sauvetage n’excédait pas le minimum nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt commun.

120    À cet égard, le point 60 des lignes directrices dispose ce qui suit :

« Les aides au sauvetage doivent être limitées au montant nécessaire pour maintenir le bénéficiaire en activité pendant six mois. Pour déterminer ce montant, il sera tenu compte du résultat de l’application de la formule indiquée à l’annexe I. Toute aide dont le montant excède le résultat de ce calcul ne sera autorisée que si elle est dûment justifiée par la présentation d’un plan de liquidité fixant les besoins de liquidité du bénéficiaire pour les six mois à venir. »

121    S’agissant du montant prévu de l’aide au sauvetage, il ressort des paragraphes 45, 47, 112 et 118 de la décision attaquée que ce montant est fondé sur le plan de liquidité établi par la Roumanie. La Commission a évalué ce plan qui reposait sur des projections de revenus et de coûts, qui s’intégraient dans le contexte inédit et incertain de l’époque au cours de laquelle ils avaient été établis en ce qui concernait toutes les projections au sujet des activités des compagnies aériennes. Au terme de son évaluation, elle a considéré que le plan de liquidité ne comprenait pas de dépenses inhabituelles ou illégitimes comme le financement de mesures structurelles ou l’élargissement des activités au-delà des engagements antérieurs.

122    Or, la requérante n’avance aucun argument susceptible de faire douter de la plausibilité du plan de liquidité. Au contraire, elle se borne à comparer les besoins de liquidité de Blue Air pour la période prise en compte pour l’aide au sauvetage, à savoir celle comprise entre septembre 2020 et février 2021, aux coûts inévitables pour une période antérieure, comprise entre mars et juin 2020.

123    Cette comparaison est toutefois dénuée de pertinence pour l’appréciation du montant de l’aide au sauvetage. En effet, comme le souligne à juste titre la Commission dans son mémoire en défense, il n’y a aucune raison de supposer que les besoins de liquidité et les coûts inévitables susmentionnés, concernant des périodes, de surcroît, différentes, correspondraient. Il s’ensuit que c’est à juste titre que la Commission s’est fondée sur l’hypothèse, considérée comme étant la plus probable au moment de l’adoption de la décision attaquée, d’une reprise du trafic aérien pendant la période de l’aide au sauvetage, qui induisait de ce fait une hausse des coûts évités (carburant, entretien des aéronefs, redevances d’atterrissage, etc.) pendant la période de confinement.

124    Troisièmement, la requérante fait valoir que la Commission a considéré à tort, au paragraphe 122 de la décision attaquée, que le plan de liquidité ne comprenait pas de dépenses visant à financer des mesures structurelles. Toutefois, selon la requérante, la Commission n’a pas tenu compte du fait que les engagements antérieurs de Blue Air comprenaient le remplacement à grande échelle de sa flotte, avec l’achat de six appareils Boeing 737-MAX. Ainsi, l’aide au sauvetage permettrait en réalité de financer des mesures structurelles et des activités qui dépassent le strict nécessaire pour maintenir Blue Air à flot.

125    À cet égard, il convient de constater que, selon les lignes directrices, les aides au sauvetage doivent être limitées au montant nécessaire pour maintenir le bénéficiaire en activité pendant six mois et ne peuvent pas être utilisées pour financer des mesures structurelles, comme l’acquisition de branches ou d’actifs importants. Toutefois, ainsi que l’a avancé la Commission, il ne saurait être exclu que le besoin de trésorerie pendant ces six mois comprenne également le paiement d’échéances qui sont dues au cours de ce délai au titre d’engagements antérieurs qui concernent le remplacement d’avions. En effet, le non-remboursement de telles échéances pourrait entraîner l’insolvabilité de l’entreprise en difficulté, ce qui irait de toute évidence à l’encontre de l’objectif recherché.

126    Quatrièmement, s’agissant du reproche de la requérante selon lequel la Commission n’a pas imposé une répartition des charges afin de faire absorber une partie des pertes par les actionnaires du bénéficiaire, il convient de souligner, à cet égard, que des mesures visant à répartir les charges entre les investisseurs existants s’imposent uniquement pendant la période de restructuration et non pendant la période de sauvetage, ainsi qu’il ressort clairement du libellé du point 61 des lignes directrices.

127    Dès lors, c’est à juste titre que la Commission n’a pas imposé une répartition des charges.

128    Par conséquent, il y a lieu d’écarter la quatrième branche du deuxième moyen.

 Sur le caractère adéquat des lignes directrices pour l’appréciation de l’aide

129    Par la cinquième branche du deuxième moyen, la requérante soutient, en substance, que les lignes directrices ne sont pas adéquates pour apprécier l’aide en cause dans la mesure où elles ne répondent pas aux circonstances spécifiques exceptionnelles résultant de la pandémie de COVID-19, lesquelles n’avaient pas été envisagées lors de l’adoption desdites lignes directrices en 2014.

130    La Commission conteste les arguments de la requérante.

131    Il y a lieu de rappeler, d’emblée, que la Commission bénéficie, pour l’application de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social, qui doivent être effectuées dans le contexte de l’Union. Dans le cas spécifique des aides au sauvetage, elle s’est autolimitée dans l’exercice dudit pouvoir d’appréciation à cet égard en adoptant les lignes directrices, dont elle ne saurait, en principe, pas se départir (voir, par analogie, arrêt du 2 décembre 2010, Holland Malt/Commission, C‑464/09 P, EU:C:2010:733, point 46 et jurisprudence citée).

132    À l’égard des lignes directrices, il convient de relever que la requérante n’a pas contesté que l’aide au sauvetage puisse être considérée comme telle au sens desdites lignes directrices. Elle reproche seulement à la Commission de ne pas avoir examiné si ces dernières étaient adéquates pour apprécier l’aide au sauvetage au regard des circonstances exceptionnelles de la crise de COVID-19.

133    À l’appui de son argumentation, la requérante cite l’arrêt du 8 mars 2016, Grèce/Commission (C‑431/14 P, EU:C:2016:145), dont il ressort du point 70 que, « dans le domaine spécifique des aides d’État, la Commission est tenue par les encadrements qu’elle adopte, dans la mesure où ceux-ci ne s’écartent pas des normes du traité FUE, au nombre desquelles figure notamment l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE [...], et où leur application ne viole pas les principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement, en particulier lorsque des circonstances exceptionnelles, se distinguant de celles visées par ces encadrements, caractérisent un secteur donné de l’économie d’un État membre ».

134    Le point 72 de l’arrêt du 8 mars 2016, Grèce/Commission (C‑431/14 P, EU:C:2016:145), précise que « l’adoption de tels encadrements n’affranchit pas la Commission de son obligation d’examiner les circonstances spécifiques exceptionnelles qu’un État membre invoque, dans un cas particulier, afin de solliciter l’application directe de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, et de motiver, le cas échéant, son refus de faire droit à une telle demande ».

135    En l’espèce, il convient de constater que la pandémie de COVID-19 et les mesures prises pour la contenir ont donné lieu à des circonstances exceptionnelles pour de nombreuses entreprises en Europe, en particulier pour les compagnies aériennes.

136    Or, il convient de relever que, dans le cadre de la cinquième branche du deuxième moyen, la requérante n’a ni identifié les règles spécifiques des lignes directrices qui, selon elle, auraient été rendues inadéquates à cause des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie de COVID-19, ni expliqué les raisons pour lesquelles tel serait le cas. Elle n’a pas non plus précisé si, selon elle, la Commission devait laisser les lignes directrices inappliquées et appliquer, en lieu et place, directement l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. Un tel argument est donc trop général et non étayé et ne permet ainsi pas au Tribunal d’en appréhender la substance.

137    Dans ces conditions, il convient d’écarter la cinquième branche du deuxième moyen.

 Sur l’appréciation des effets négatifs de l’aide au sauvetage et la condition de non-récurrence

138    Par la sixième branche du deuxième moyen, premièrement, la requérante fait valoir, en substance, que la Commission a omis, dans la décision attaquée, d’examiner si l’aide au sauvetage n’altérait pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun, comme le requiert l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. Ainsi, la requérante soutient que la Commission n’a pas réalisé une mise en balance des effets positifs de l’aide au sauvetage sur la concurrence et les échanges avec les effets négatifs de celle-ci, afin de s’assurer que les premiers l’emportaient sur les seconds.

139    Deuxièmement, la requérante avance par ailleurs que, en autorisant l’aide au sauvetage, la Commission a violé la condition dite de non-récurrence, prévue au point 71 des lignes directrices. Selon la requérante, la Commission n’a pas pris en compte le fait que, d’une part, Blue Air avait bénéficié en avril 2020 d’une aide antérieure, à savoir un prêt de la banque EximBank appartenant à l’État roumain, et, d’autre part, Blue Air avait émis en décembre 2019 des obligations souscrites par SIF Banat-Crișana, souscription à laquelle la participation de l’État ne saurait être exclue dans la mesure où ladite souscription a violé les règles applicables aux sociétés d’investissement.

140    La Commission considère qu’il convient d’écarter l’argumentation de la requérante.

141    Premièrement, il résulte de la lecture de la décision attaquée que l’analyse visée au point 138 ci-dessus est implicite dans l’examen de la Commission portant sur les effets de l’aide au sauvetage sur la concurrence et les échanges. En effet, c’est parce que les effets négatifs de ladite aide sur la concurrence et les échanges sont limités que la Commission a pu conclure que cette aide n’affectait pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun, ainsi qu’il ressort du paragraphe 130 de la décision attaquée. Cette conclusion implique que, selon la décision attaquée, les effets positifs de l’aide en question sur la concurrence et les échanges l’emportaient sur ses effets négatifs.

142    Dès lors, cet argument ne saurait être accueilli.

143    Deuxièmement, aux paragraphes 127 et 128 de la décision attaquée, la Commission a conclu que la condition de non-récurrence des aides, prévue aux points 70 et 71 des lignes directrices, était respectée.

144    En l’espèce, il ressort du paragraphe 128 de la décision attaquée que la Roumanie, lorsqu’elle a notifié à la Commission son projet d’aide au sauvetage en faveur de Blue Air, a indiqué que cette dernière n’avait pas bénéficié d’une autre aide au sauvetage, d’une aide à la restructuration ou d’un soutien temporaire à la restructuration au cours des dix dernières années.

145    Or, il n’est pas démontré que des indices concrets auraient été susceptibles de faire douter la Commission quant à la véracité des éléments d’information portés à sa connaissance par la Roumanie.

146    À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la légalité d’une décision en matière d’aides d’État doit être appréciée par le juge de l’Union en fonction non seulement des éléments d’information dont la Commission disposait au moment où elle l’a arrêtée, mais aussi des éléments dont elle pouvait disposer. Les éléments d’information dont la Commission « pouvait disposer » incluent ceux qui apparaissaient pertinents pour l’appréciation à effectuer et dont elle aurait pu, sur sa demande, obtenir la production au cours de la procédure administrative (arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice, C‑300/16 P, EU:C:2017:706, points 70 et 71).

147    Toutefois, si la Cour a jugé que, lors de l’examen de l’existence et de la légalité d’une aide d’État, il pouvait être nécessaire que la Commission aille, le cas échéant, au-delà du seul examen des éléments de fait et de droit portés à sa connaissance, il ne saurait être déduit de cette jurisprudence qu’il incombe à la Commission de rechercher, de sa propre initiative et à défaut de tout indice en ce sens, toutes les informations qui pourraient présenter un lien avec l’affaire dont elle est saisie, quand bien même de telles informations se trouveraient dans le domaine public (arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 45).

148    Dès lors, il n’incombait pas à la Commission, en vertu de la jurisprudence rappelée aux points 146 et 147 ci-dessus, de rechercher, de sa propre initiative et à défaut de tout indice en ce sens, toutes les informations qui pouvaient présenter un lien avec l’affaire dont elle était saisie, quand bien même de telles informations se trouvaient dans le domaine public.

149    S’agissant, d’une part, de l’argument avancé par la requérante concernant l’existence d’un prêt d’environ six millions d’euros dont aurait bénéficié Blue Air en avril 2020 de la part de la banque publique roumaine EximBank, il y a lieu de relever qu’aucun élément ne permet de prouver que ce prêt constituait une aide au sauvetage ou une aide à la restructuration octroyée par l’État roumain.

150    À cet égard, il convient de préciser qu’il ressort du point 52 de l’arrêt du 16 mai 2002, France/Commission (C‑482/99, EU:C:2002:294), que, « même si l’État est en mesure de contrôler une entreprise publique et d’exercer une influence dominante sur les opérations de celle-ci, l’exercice effectif de ce contrôle dans un cas concret ne saurait être automatiquement présumé », que, « [d]ès lors, le seul fait qu’une entreprise publique soit sous contrôle étatique ne suffit pas pour imputer des mesures prises par celle-ci [...] à l’État » et qu’« [i]l est encore nécessaire d’examiner si les autorités publiques doivent être considérées comme ayant été impliquées, d’une manière ou d’une autre, dans l’adoption de ces mesures ».

151    En l’espèce, force est de constater que la requérante n’a pas démontré que les autorités roumaines avaient été impliquées, d’une manière ou d’une autre, dans l’octroi du prêt par EximBank à Blue Air en avril 2020.

152    D’autre part, en ce qui concerne l’argument de la requérante relatif à la souscription d’obligations par SIF Banat-Crișana pour un montant d’environ neuf millions d’euros en décembre 2019, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que, premièrement, SIF Banat-Crișana est une entité privée et que, deuxièmement, la requérante n’a apporté aucun élément concret et précis permettant de corroborer l’hypothèse d’une implication des autorités roumaines dans la décision d’achat de ces obligations par SIF Banat-Crișana.

153    Eu égard à ce qui précède, il convient d’écarter la sixième branche du deuxième moyen et, partant, ledit moyen dans son ensemble.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation des principes de non-discrimination, de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement

154    La requérante soutient que la Commission a violé le principe de non-discrimination ainsi que le principe de la libre prestation des services et le principe de la liberté d’établissement, au motif que la mesure en cause ne bénéficie qu’à Blue Air.

155    La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

156    Il convient de rappeler qu’une aide d’État qui viole des dispositions du traité ou des principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur (arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C‑594/18 P, EU:C:2020:742, point 44 ; voir également, en ce sens, arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, EU:C:2008:224, points 50 et 51).

157    Le troisième moyen se divise, en substance, en deux branches, tirées d’une violation du principe d’égalité de traitement et d’une violation des principes de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement.

 Sur la violation du principe d’égalité de traitement

158    Par la première branche du troisième moyen, la requérante soutient, en substance, que la décision attaquée traite la situation comparable de compagnies aériennes desservant des liaisons à destination et en provenance de la Roumanie de manière différente, en avantageant Blue Air sans aucune justification objective. À l’appui de cet argument, la requérante souligne notamment que la pandémie de COVID-19 a eu des répercussions graves pour toutes les compagnies aériennes qui opéraient en Roumanie. La nécessité de sauver uniquement Blue Air, à l’exclusion des autres compagnies aériennes qui opèrent en Roumanie, ne serait pas établie et la mesure en cause irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre son objectif.

159    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le principe de non-discrimination requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, EU:C:2008:224, point 66 ; voir également, en ce sens, arrêt du 5 juin 2018, Montero Mateos, C‑677/16, EU:C:2018:393, point 49).

160    Les éléments qui caractérisent différentes situations et ainsi leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause. Doivent, en outre, être pris en considération les principes et objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728, point 26).

161    Par ailleurs, il convient de relever qu’une aide individuelle, telle que la mesure en cause, ne bénéficie, par définition, qu’à une seule entreprise, à l’exclusion de toutes autres entreprises, y compris celles se trouvant dans une situation comparable à celle du bénéficiaire de cette aide. Ainsi, de par sa nature, une telle aide individuelle instaure une différence de traitement, voire une discrimination, laquelle est pourtant inhérente au caractère individuel de ladite mesure [arrêt du 14 avril 2021, Ryanair/Commission (Finnair I ; Covid-19), T‑388/20, sous pourvoi, EU:T:2021:196, point 81].  

162    Or, soutenir, comme le fait la requérante, que la mesure en cause est contraire au principe de non-discrimination revient, en substance, à mettre en cause systématiquement la compatibilité avec le marché intérieur de toute aide individuelle du seul fait de son caractère intrinsèquement exclusif et par là discriminatoire, alors même que le droit de l’Union permet aux États membres d’octroyer des aides individuelles, pourvu que toutes les conditions prévues à l’article 107 TFUE soient remplies.

163    Cela étant précisé, à supposer toutefois que, comme l’affirme la requérante, la différence de traitement instituée par la mesure en cause, en ce qu’elle ne bénéficie qu’à Blue Air, puisse être assimilée à une discrimination, il convient de vérifier si elle est justifiée par un objectif légitime et si elle est nécessaire, appropriée et proportionnée pour l’atteindre. De même, pour autant que la requérante fait référence à l’article 18 TFUE, il convient de souligner que, selon cette disposition, toute discrimination exercée en raison de la nationalité dans le domaine d’application des traités « sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient » est interdite.

164    Partant, il importe de vérifier si cette différence de traitement est permise au regard de l’article 107, paragraphe 2, sous b), et paragraphe 3, sous c), TFUE, qui constitue la base juridique de la décision attaquée. Cet examen implique, d’une part, que l’objectif de la mesure en cause satisfasse aux exigences de ces deux dernières dispositions et, d’autre part, que les modalités d’octroi de la mesure en cause, à savoir, en l’espèce, le fait que celle-ci ne bénéficie qu’à Blue Air, soient de nature à permettre que soit atteint cet objectif et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

165    En l’espèce, s’agissant de l’objectif de la mesure en cause, comme il a été précisé au point 4 ci-dessus, une partie de celle-ci, à savoir la mesure d’indemnisation des dommages, vise uniquement à indemniser Blue Air pour le dommage directement subi à cause de l’annulation ou de la reprogrammation de ses vols à la suite de l’instauration de restrictions en matière de déplacement dans le contexte de la pandémie de COVID-19. À cet égard, il y a lieu de constater que la requérante ne conteste pas qu’une telle mesure d’indemnisation permet de remédier aux dommages causés par cette pandémie, ni ne remet en cause le fait que cette dernière constitue un événement extraordinaire au sens de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE. S’agissant de l’autre partie de la mesure, à savoir l’aide au sauvetage, elle vise à couvrir partiellement les besoins urgents de liquidité de Blue Air résultant des lourdes pertes d’exploitation qu’elle a enregistrées à la suite de ladite pandémie et à lui permettre ainsi de poursuivre ses activités tout en élaborant un plan de restructuration viable.

166    Pour ce qui est de la question de savoir si les modalités d’octroi de la mesure en cause sont de nature à atteindre l’objectif visé et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre, il ressort de l’examen des premier et deuxième moyens que l’octroi de deux prêts garantis à 100 % par l’État roumain uniquement à Blue Air est approprié pour atteindre l’objectif poursuivi par la mesure en cause et satisfaire aux conditions posées par l’article 107, paragraphe 2, sous b), et paragraphe 3, sous c), TFUE.

167    Cependant, la requérante fait valoir que le traitement favorable accordé à Blue Air n’est ni nécessaire ni proportionné à l’objectif poursuivi par la Roumanie.

168    À cet égard, premièrement, il convient de relever que, contrairement à ce que soutient la requérante, la mesure en cause n’a pas pour objectif, outre celui d’indemniser partiellement Blue Air du dommage résultant de la pandémie de COVID-19, de « préserver la connectivité » aérienne de la Roumanie. Au vu des objectifs de ladite mesure, rappelés au point 165 ci-dessus, et compte tenu des éléments exposés au point 166 ci-dessus, il convient de considérer que l’octroi de deux prêts garantis à 100 % par l’État roumain à Blue Air est nécessaire à la poursuite desdits objectifs.

169    Deuxièmement, contrairement à ce qu’affirme la requérante dans sa requête, il y a lieu de souligner qu’il n’existait aucune obligation pour la Commission d’examiner si, outre le maintien de Blue Air, l’État membre concerné devait élargir le cercle des bénéficiaires de la mesure en cause dès lors que la décision attaquée établit à suffisance de droit la nécessité de remédier aux dommages causés par la pandémie de COVID-19 à Blue Air et de maintenir cette dernière sur le marché. En effet, il est important de noter que, si la Commission est habilitée à vérifier la compatibilité d’une aide d’État avec le marché commun, elle ne conçoit ni ne définit les aides et ne les attribue pas. De plus, elle ne saurait imposer à un État membre de verser une même aide d’État à des entreprises concurrentes. Elle peut uniquement imposer à un État de ne pas verser une aide qu’elle jugerait incompatible avec le marché commun.

170    En outre, s’agissant plus particulièrement de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, il convient de rappeler que les États membres ne sont pas obligés de remédier à l’intégralité des dommages causés par un événement extraordinaire et, par voie de conséquence, d’accorder des aides à l’ensemble des victimes de ces dommages.

171    Dès lors, il y a lieu d’écarter les arguments de la requérante à cet égard.

172    Troisièmement, la requérante soutient que le fait que Blue Air reçoive 100 % de la mesure en cause, alors que sa part dans la connectivité de la Roumanie est inférieure à 100 %, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par ladite mesure et est donc disproportionné. Selon elle, en allouant l’aide à toutes les compagnies aériennes qui opèrent en Roumanie, en fonction de leur part de marché, l’objectif de la mesure serait atteint sans discrimination.

173    À cet égard, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause (arrêt du 17 mai 1984, Denkavit Nederland, 15/83, EU:C:1984:183, point 25), étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés [arrêt du 30 avril 2019, Italie/Conseil (Quota de pêche de l’espadon méditerranéen), C‑611/17, EU:C:2019:332, point 55].

174    En l’espèce, il y a lieu de considérer que, en toute hypothèse, compte tenu des considérations exposées dans le cadre de l’examen des troisième et quatrième branches du deuxième moyen, notamment celles exposées aux points 105 à 111 et aux points 115 à 127 ci-dessus, l’octroi d’une aide au sauvetage uniquement à Blue Air ne dépassait pas les limites de ce qui était approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la Roumanie et n’était, par conséquent, contrairement à ce que soutient la requérante, pas disproportionné.

175    S’agissant de la mesure d’indemnisation des dommages, il y a lieu de considérer, ainsi qu’il a été démontré dans le cadre de l’examen de la première branche du premier moyen, que la Commission n’a pas commis d’erreur dans son évaluation de la proportionnalité de l’aide au regard des dommages causés par la crise de COVID-19.

176    En outre, il convient d’ajouter qu’une allocation de la mesure en cause à toutes les compagnies aériennes qui opèrent en Roumanie, en fonction de leur part de marché, comme le propose la requérante, aurait pour conséquence de diminuer le montant de l’aide octroyée à Blue Air, de sorte que ses besoins en liquidité ne seraient pas couverts, ce qui, partant, pourrait avoir des répercussions graves sur la mobilité des petits entrepreneurs ainsi que sur l’économie, notamment locale, en Roumanie, compte tenu de l’importance de cette compagnie pour ceux-ci.

177    Il convient dès lors d’écarter les arguments de la requérante à cet égard.

178    Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de constater que l’octroi de la mesure en cause uniquement à Blue Air n’allait pas au-delà de ce qui était nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par celle-ci. Il s’ensuit qu’il était justifié de n’accorder le bénéfice de la mesure en cause qu’à Blue Air et que ladite mesure ne viole pas le principe de non-discrimination.

 Sur la violation des principes de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement

179    Par la seconde branche du troisième moyen, la requérante soutient que la Commission aurait dû déterminer, lors de l’appréciation de la compatibilité de la mesure en cause, si la forme de l’aide octroyée en l’espèce, à savoir deux prêts garantis à 100 % par l’État roumain, respectait le principe de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement. En omettant de le faire, la Commission aurait commis une erreur de droit. La requérante estime que réserver la mesure en cause uniquement à Blue Air restreindrait les droits accordés aux autres compagnies aériennes de l’Union de fournir librement leurs services au sein du marché intérieur. La décision attaquée entraînerait ainsi une restriction injustifiée aux principes de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement.

180    À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, la libre prestation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif aux transports, à savoir le titre VI du traité FUE. La libre prestation des services en matière de transports est ainsi soumise, au sein du droit primaire, à un régime juridique particulier (arrêt du 18 mars 2014, International Jet Management, C‑628/11, EU:C:2014:171, point 36). Par conséquent, l’article 56 TFUE ne s’applique pas tel quel au domaine de la navigation aérienne (arrêt du 25 janvier 2011, Neukirchinger, C‑382/08, EU:C:2011:27, point 22).

181    C’est dès lors uniquement sur la base de l’article 100, paragraphe 2, TFUE que des mesures de libéralisation des services de transport aérien peuvent être adoptées (arrêt du 18 mars 2014, International Jet Management, C‑628/11, EU:C:2014:171, point 38). Or, ainsi que le relève à juste titre la requérante, le législateur de l’Union a adopté le règlement (CE) no 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 24 septembre 2008, établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans la Communauté (JO 2008, L 293, p. 3), sur le fondement de cette disposition, qui a précisément pour objet de définir les conditions d’application, dans le secteur du transport aérien, du principe de la libre prestation des services (voir, par analogie, arrêt du 6 février 2003, Stylianakis, C‑92/01, EU:C:2003:72, points 23 et 24).

182    En l’espèce, s’il est vrai que la mesure en cause porte sur deux aides individuelles, à savoir une mesure d’indemnisation des dommages et une aide au sauvetage, qui ne bénéficient qu’à Blue Air, la requérante n’établit pas en quoi ce caractère exclusif est de nature à la dissuader d’effectuer des prestations de services depuis et à destination de la Roumanie ou d’exercer sa liberté d’établissement dans cet État membre. Elle reste notamment en défaut d’identifier les éléments de fait ou de droit qui feraient que la mesure en cause produit des effets restrictifs qui iraient au-delà de ceux qui déclenchent l’interdiction de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, mais qui, ainsi qu’il a été considéré aux points 165 à 173 ci-dessus ainsi qu’aux points 105 à 111 et 113 à 127 ci-dessus, sont néanmoins nécessaires et proportionnés pour, d’une part, remédier aux dommages causés par la pandémie de COVID-19, conformément aux exigences de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, et, d’autre part, couvrir partiellement les besoins urgents de liquidité de Blue Air afin d’éviter une sortie du marché de cette dernière, conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, lu à la lumière des lignes directrices.

183    Par conséquent, la mesure en cause ne saurait constituer une entrave à la liberté d’établissement ou à la libre prestation des services de la requérante. Il s’ensuit que la requérante n’est pas fondée à reprocher à la Commission de ne pas avoir examiné expressément la compatibilité de cette mesure avec la liberté d’établissement et la libre prestation des services.

184    Dans ces conditions, il convient d’écarter le troisième moyen.

 Sur le quatrième moyen, tiré de ce que la Commission a fait état de preuves inexistantes ou inadéquates

185    La requérante soutient, en substance, que la Commission a, dans la décision attaquée, procédé à plusieurs affirmations sans les étayer en se fiant uniquement aux informations factuelles que la Roumanie lui avait communiquées. Les affirmations citées par la requérante sont les suivantes : premièrement, Blue Air est détenue à 99,99 % par une personne privée qui ne fait pas partie d’un groupe d’entreprises, deuxièmement, Blue Air est une compagnie aérienne à bas coûts, troisièmement, la requérante et d’autres compagnies aériennes à bas coûts ne sont pas intéressées par l’exploitation des liaisons assurées par Blue Air, quatrièmement, la requérante et d’autres compagnies aériennes à bas coûts assurent des liaisons uniquement vers de grands aéroports, cinquièmement, la requérante ne dessert pas des aéroports proches de ceux qu’elle dessert déjà et, sixièmement, la disparition de Blue Air aurait des incidences sur d’autres acteurs du marché.

186    Par ailleurs, la Commission n’aurait pas tenu compte d’éléments d’appréciation pertinents concernant, d’une part, la prétendue surcapacité considérable et le prétendu nombre élevé d’appareils immobilisés au sol en raison de la crise de COVID-19 et, d’autre part, l’octroi d’un prêt par l’État roumain à Blue Air en 2019 et en avril 2020. Or, selon la requérante, de tels éléments étaient à la disposition de la Commission au jour de l’adoption de la décision attaquée et, de surcroît, facilement accessibles sur Internet.

187    La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

188    À cet égard, comme le relève à juste titre la Commission, le présent moyen, qui se rapporte exclusivement à l’appréciation de l’aide au sauvetage réalisée à la lumière des lignes directrices, ne présente aucun contenu autonome dans la mesure où la requérante fait uniquement référence à des allégations qu’elle avait déjà soulevées dans le cadre de son deuxième moyen.

189    Dès lors, pour les raisons exposées dans le cadre de l’examen du deuxième moyen, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré de ce que la Commission aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen

190    La requérante soutient, en substance, que l’examen mené par la Commission était incomplet et insuffisant, notamment concernant l’appréciation des dommages causés par la pandémie de COVID-19 à Blue Air ainsi que celle relative au montant de la mesure d’indemnisation des dommages, les conditions d’octroi de l’aide au sauvetage au regard des lignes directrices et la compatibilité de la mesure en cause avec les principes de non-discrimination, de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement. Or, le caractère insuffisant de l’examen réalisé par la Commission témoignerait de l’existence de difficultés sérieuses qui auraient dû la conduire à ouvrir la procédure formelle d’examen et à permettre à la requérante de présenter ses observations et, ainsi, d’influer sur ledit examen.

191    La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

192    Il convient de constater que ce moyen est dépourvu de contenu autonome. En effet, dans le cadre d’un tel moyen, la partie requérante peut invoquer, aux fins de la préservation des droits procéduraux dont elle bénéficie dans le cadre de la procédure formelle d’examen, uniquement des moyens de nature à démontrer que l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait ou pouvait disposer, lors de la phase d’examen préliminaire de la mesure notifiée, aurait dû susciter des doutes quant à la compatibilité de cette dernière avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 81 ; du 9 juillet 2009, 3F/Commission, C‑319/07 P, EU:C:2009:435, point 35, et du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex, C‑83/09 P, EU:C:2011:341, point 59), comme le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire ou l’existence de plaintes provenant de parties tierces. Or, il convient de relever que le cinquième moyen reprend de façon condensée les arguments soulevés dans le cadre des premier à troisième moyens sans mettre en évidence d’éléments spécifiques relatifs à d’éventuelles difficultés sérieuses.

193    Pour ces motifs, il convient de rejeter le cinquième moyen.

 Sur le sixième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

194    La requérante fait valoir, en substance, que le raisonnement de la Commission dans la décision attaquée est soit inexistant, soit contradictoire. En particulier, la Commission n’aurait pas apprécié la valeur de l’avantage concurrentiel accordé à Blue Air et n’aurait pas évalué les dommages causés par les restrictions de déplacement liés à la pandémie de COVID-19. De plus, elle n’aurait avancé aucune motivation, d’une part, concernant les dommages dus aux difficultés antérieures à ladite pandémie et, d’autre part, permettant de savoir si les coûts évités correspondaient à tous les coûts évitables. En outre, elle n’aurait pas examiné si les lignes directrices étaient adaptées pour apprécier l’aide au sauvetage en cause dans le contexte inédit de ladite pandémie et aurait fourni des explications incomplètes ou dépourvues de pertinence en ce qui concernait la reproductibilité des services de Blue Air. Enfin, la Commission n’aurait pas non plus apprécié si la mesure en cause était non discriminatoire ni si elle respectait les principes de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement.

195    La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

196    À cet égard, il convient de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE constitue une formalité substantielle (arrêt du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 37), et doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. Ainsi, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences prévues par ledit article doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 22 juin 2004, Portugal/Commission, C‑42/01, EU:C:2004:379, point 66 ; du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, EU:C:2008:224, point 79, et du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas, C‑279/08 P, EU:C:2011:551, point 125).

197    En l’espèce, s’agissant de la nature de l’acte en cause, la décision attaquée a été adoptée au terme de la phase préliminaire d’examen des aides instituée par l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale de l’aide concernée, sans que soit ouverte la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, qui, quant à elle, est destinée à permettre à la Commission d’avoir une information complète sur l’ensemble des données relatives à cette aide.

198    Or, une telle décision, qui est prise dans des délais brefs, doit uniquement contenir les raisons pour lesquelles la Commission estime ne pas être en présence de difficultés sérieuses d’appréciation de la compatibilité de l’aide concernée avec le marché intérieur (arrêt du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 65).

199    À cet égard, premièrement, la requérante reproche à la Commission d’avoir évalué tant les dommages causés directement par la pandémie de COVID-19 que ceux résultant des difficultés auxquelles devait déjà faire face Blue Air avant ladite pandémie, d’avoir omis d’apprécier la valeur de l’avantage concurrentiel accordé à Blue Air et de ne pas s’être assurée que le montant des coûts évités reflétait l’atténuation maximale des coûts.

200    Toutefois, il ressort des points 19 à 30 ci-dessus que la requérante a pu connaître les justifications de la mesure prise et que le Tribunal a pu exercer son contrôle quant à la distinction opérée par la Commission entre les difficultés préexistantes et celles liées à la pandémie de COVID-19 et le fait que seuls les dommages découlant de cette dernière soient indemnisés au titre de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.

201    Par ailleurs, pour autant que la requérante fasse référence à l’avantage concurrentiel résultant du caractère discriminatoire de la mesure en cause, il suffit de constater, ainsi qu’il résulte du point 48 ci-dessus, que la Commission n’avait pas à prendre en considération un tel avantage aux fins d’apprécier la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur, de sorte qu’elle n’avait pas non plus à le mentionner dans la décision attaquée.

202    Enfin, il ressort des paragraphes 29 à 32 et 92 à 94 de la décision attaquée que la Commission a exposé la méthode de calcul des dommages subis pendant la période d’indemnisation et défini les coûts évités à utiliser dans ce calcul. À cet égard, elle a expliqué que les dommages n’incluaient pas les coûts évités en raison de la suspension des vols liée à la pandémie de COVID-19 et a rappelé que l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE exigeait seulement que l’aide n’excède pas le montant des dommages effectivement subis et directement liés à l’événement extraordinaire et ne lui imposait pas de déduire des dommages l’ensemble des coûts que Blue Air aurait pu éviter.

203    Deuxièmement, la requérante soutient, en substance, que la Commission n’a pas examiné si les lignes directrices étaient adaptées pour apprécier l’aide au sauvetage en cause dans le contexte inédit de la pandémie de COVID-19 et a fourni des explications incomplètes ou dépourvues de pertinence en ce qui concerne la reproductibilité des services de Blue Air.

204    Toutefois, ainsi qu’il a été indiqué dans le cadre de l’examen de la cinquième branche du deuxième moyen, notamment au point 132 ci-dessus, l’aide au sauvetage relève du champ d’application des lignes directrices, ce qui n’est pas contesté par la requérante. Dès lors, la Commission n’avait pas à présenter davantage de motifs à cet égard.

205    S’agissant de la prétendue insuffisance de motivation relative à la reproductibilité des services de Blue Air, il y a lieu de constater que la décision attaquée contient les éléments, rappelés aux points 82 à 93 ci-dessus, permettant de comprendre les raisons pour lesquelles lesdits services n’auraient pas pu, selon la Commission, dans les circonstances de l’espèce, être assurés à brève échéance par d’autres compagnies aériennes concurrentes à bas coûts.

206    Troisièmement, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir apprécié si l’aide était ou non discriminatoire ni si elle respectait les principes de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement.

207    Cependant, il convient de considérer que, dès lors que la Commission a exposé, dans la décision attaquée, les raisons du caractère nécessaire et approprié de la mesure en cause, il n’était pas nécessaire, s’agissant en particulier d’une aide individuelle et compte tenu du contexte en l’espèce, qu’elle s’attarde sur la démonstration du respect du principe d’égalité de traitement ainsi que des principes de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement.

208    Il s’ensuit que la décision attaquée est suffisamment motivée et qu’il convient, en conséquence, d’écarter le sixième moyen soulevé par la requérante.

209    Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son intégralité, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur sa recevabilité.

 Sur les dépens

210    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il convient de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Wizz Air Hungary Légiközlekedési Zrt. (Wizz Air Hungary Zrt.) est condamnée aux dépens.

Kornezov

Buttigieg

Kowalik-Bańczyk

Hesse

 

      Petrlík

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 mars 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.