Language of document : ECLI:EU:C:2002:523

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

24 septembre 2002 (1)

«Règlement (CEE) n° 1408/71 - Articles 77 et 78 - Titulaires de pensions au titre de la législation de plusieurs États membres - Titulaires de pensions au titre d'une convention de sécurité sociale entre États membres antérieure à une adhésion aux Communautés européennes - Prestations pour enfants à charge et pour orphelins de titulaires de pensions - Droit à des prestations familiales à la charge de l'institution compétente d'un État membre autre que celui de résidence - Conditions d'ouverture»

Dans l'affaire C-471/99,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Sozialgericht Nürnberg (Allemagne) et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant cette juridiction entre

Alfredo Martínez Domínguez,

Joaquín Benítez Urbano,

Agapito Mateos Cruz,

Carmen Calvo Fernández

et

Bundesanstalt für Arbeit, Kindergeldkasse,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 77, paragraphe 2, sous b), et 78, paragraphe 2, sous b), lus en combinaison avec l'article 79, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6),

LA COUR (sixième chambre),

composée de Mme F. Macken, président de chambre, MM. C. Gulmann (rapporteur), R. Schintgen, V. Skouris et J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général: M. A. Tizzano,


greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

-    pour M. Martínez Domínguez, par M. A. Nicolás López, chef de la section des affaires sociales au consulat général d'Espagne à Hanovre,

-    pour M. Benítez Urbano, par Mme K. von Harbou, conseiller pour les questions de droit social à l'ambassade d'Espagne à Bonn,

-    pour M. Mateos Cruz, par M. Á. González Maeztu, chef de la section des affaires sociales au consulat général d'Espagne à Stuttgart,

-    pour le gouvernement allemand, par M. W.-D. Plessing et Mme B. Muttelsee-Schön, en qualité d'agents,

-    pour le gouvernement espagnol, par Mme M. López-Monís Gallego, en qualité d'agent,

-    pour la Commission des Communautés européennes, par M. P. Hillenkamp, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales du gouvernement allemand, représenté par Mme B. Muttelsee-Schön, et de la Commission, représentée par M. J. Sack, en qualité d'agent, à l'audience du 11 octobre 2001,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 7 février 2002,

rend le présent

Arrêt

1.
    Par ordonnance du 22 novembre 1999, parvenue à la Cour le 9 décembre suivant, le Sozialgericht Nürnberg a posé, en application de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 77, paragraphe 2, sous b), et 78, paragraphe 2, sous b), lus en combinaison avec l'article 79, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6, ci-après le «règlement»).

2.
    Ces questions ont été posées dans le cadre de quatre litiges opposant respectivement MM. Martínez Domínguez, Benítez Urbano, Mateos Cruz et Mme Calvo Fernández, ressortissants espagnols résidant en Espagne, à la Bundesanstalt für Arbeit, Kindergeldkasse (organisme fédéral du travail, caisse des allocations familiales, ci-après la «BAK»), à la suite du rejet, par celle-ci, des demandes de prestations familiales qu'ils avaient présentées.

La réglementation communautaire

3.
    L'article 77 du règlement, sous le titre «Enfants à charge de titulaires de pensions ou de rentes», dispose:

«1.    Le terme ‘prestations’, au sens du présent article, désigne les allocations familiales prévues pour les titulaires d'une pension ou d'une rente de vieillesse, d'invalidité, d'accident du travail ou de maladie professionnelle, ainsi que les majorations ou les suppléments de ces pensions ou rentes prévues pour les enfants de ces titulaires, à l'exception des suppléments accordés en vertu de l'assurance accidents du travail et maladies professionnelles.

2.    Les prestations sont accordées selon les règles suivantes, quel que soit l'État membre sur le territoire duquel résident le titulaire de pensions ou de rentes ou les enfants:

a)    au titulaire d'une pension ou d'une rente due au titre de la législation d'un seul État membre, conformément à la législation de l'État membre compétent pour la pension ou la rente;

b)    au titulaire de pensions ou de rentes dues au titre des législations de plusieurs États membres:

    i)    conformément à la législation de celui de ces États sur le territoire duquel il réside, si le droit à l'une des prestations visées au paragraphe 1 y est ouvert en vertu de la législation de cet État, compte tenu, le cas échéant, des dispositions de l'article 79 paragraphe 1 sous a)

        ou

    ii)    dans les autres cas, conformément à celle des législations de ces États membres à laquelle l'intéressé a été soumis le plus longtemps, si le droit à l'une des prestations visées au paragraphe 1 est ouvert en vertu de ladite législation, compte tenu, le cas échéant, des dispositions de l'article 79 paragraphe 1 sous a); si aucun droit n'est ouvert en vertu de cette législation, les conditions d'ouverture du droit sont examinées au regard des législations des autres États membres concernés dans l'ordre dégressif de la durée des périodes d'assurance ou de résidence accomplies sous la législation de ces États membres.»

4.
    L'article 78 du règlement, sous le titre «Orphelins», prévoit:

«1.    Le terme ‘prestations’, au sens du présent article, désigne les allocations familiales et, le cas échéant, les allocations supplémentaires ou spéciales prévues pour les orphelins, ainsi que les pensions ou les rentes d'orphelins, à l'exception des rentes d'orphelins accordées en vertu de l'assurance accidents du travail et maladies professionnelles.

2.    Les prestations pour orphelins sont accordées selon les règles suivantes, quel que soit l'État membre sur le territoire duquel réside l'orphelin ou la personne physique ou morale qui en a la charge effective:

a)    pour l'orphelin d'un travailleur salarié ou non salarié défunt qui a été soumis à la législation d'un seul État membre, conformément à la législation de cet État;

b)    pour l'orphelin d'un travailleur salarié ou non salarié défunt qui a été soumis aux législations de plusieurs États membres:

    i)    conformément à la législation de celui de ces États sur le territoire duquel réside l'orphelin, si le droit à l'une des prestations visées au paragraphe 1 y est ouvert en vertu de la législation de cet État, compte tenu, le cas échéant, des dispositions de l'article 79 paragraphe 1 sous a)

        ou

    ii)    dans les autres cas, conformément à celle des législations de ces États membres à laquelle le défunt a été soumis le plus longtemps, si le droit à l'une des prestations visées au paragraphe 1 est ouvert en vertu de ladite législation, compte tenu, le cas échéant, des dispositions de l'article 79 paragraphe 1 sous a); si aucun droit n'est ouvert en vertu de cette législation, les conditions d'ouverture du droit sont examinées au regard des législations des autres États membres concernés, dans l'ordre dégressif de la durée des périodes d'assurance ou de résidence accomplies sous la législation de ces États membres.

Cependant, la législation de l'État membre applicable pour le service des prestations visées à l'article 77 en faveur d'enfants d'un titulaire de pensions ou de rentes demeure applicable après le décès dudit titulaire pour le service des prestations à ses orphelins.»

5.
    L'article 79 du règlement, intitulé «Dispositions communes aux prestations pour enfants à charge de titulaires de pensions ou rentes et pour orphelins», énonce:

«1.    Les prestations, au sens des articles 77 et 78, sont servies selon la législation déterminée en application des dispositions desdits articles par l'institution chargée d'appliquer celle-ci et à sa charge, comme si le titulaire de pensions ou de rentes ou le défunt avait été soumis à la seule législation de l'État compétent.

Toutefois:

a)    si cette législation prévoit que l'acquisition, le maintien ou le recouvrement du droit aux prestations dépend de la durée des périodes d'assurance, d'emploi, d'activité non salariée ou de résidence, cette durée est déterminée compte tenu, le cas échéant, des dispositions de l'article 45 ou de l'article 72 selon le cas;

[...]»

La réglementation nationale

6.
    En Espagne, le Real Decreto Legislativo n° 1/1994, du 20 juin 1994, portant réglementation générale de la sécurité sociale (BOE n° 154, du 29 juin 1994), prévoit le versement, au bénéfice des travailleurs affiliés et des pensionnés, d'une allocation pour tout enfant à charge de moins de 18 ans, à condition que les revenus du bénéficiaire n'excèdent pas un certain plafond. Il prévoit également un droit au versement d'une allocation pour les enfants affectés d'une invalidité d'un taux égal ou supérieur à 65 %, quel que soit leur âge et sans plafond de ressources. Cependant, dans le cas d'un enfant majeur handicapé, une telle allocation n'est pas accordée si ce dernier bénéficie d'une prestation autonome allouée en vertu de la Ley n° 13/1982 de Integracíon de los Minusválidos (LISMI) (loi relative à l'intégration des handicapés), du 7 avril 1982 (BOE n° 103, du 30 avril 1982), l'intéressé devant opter pour l'une ou l'autre prestation.

7.
    En Allemagne, le droit aux allocations familiales est régi par le Bundeskindergeldgesetz (loi fédérale relative aux allocations familiales), plusieurs fois modifié. Jusqu'au 31 décembre 1995, le droit aux allocations familiales existait jusqu'au moment où l'enfant atteignait l'âge de 16 ans. Cet âge a été porté à 18 ans à compter du 1er janvier 1996. Le droit à une allocation est prolongé jusqu'à l'âge de 27 ans révolus en cas de formation à caractère professionnel ou, en cas de chômage, jusqu'à l'âge de 21 ans révolus. En revanche, il n'est fixé aucune limite d'âge pour les enfants qui, atteints d'un handicap, ne sont pas en mesure de subvenir eux-mêmes à leurs besoins. Jusqu'au 31 décembre 1995, le droit aux allocations familiales n'était pas soumis à des conditions de revenu pour le premier enfant, mais l'était pour les enfants suivants. Depuis le 1er janvier 1996, ce droit n'est plus fonction des revenus des ayants droit.

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

Affaires Martínez Domínguez, Benítez Urbano et Mateos Cruz

8.
    MM. Martínez Domínguez, Benítez Urbano et Mateos Cruz ont travaillé en Allemagne en qualité de travailleurs migrants. Chacun d'eux perçoit une pension en Espagne et une pension en Allemagne.

9.
    En Allemagne, MM. Martínez Domínguez et Mateos Cruz perçoivent des pensions d'invalidité et M. Benítez Urbano une pension de vieillesse. Cependant, le droit à pension de chacun n'est ouvert que grâce à la prise en compte des cotisations versées en Espagne.

    

10.
    En 1996 et en 1997, les trois intéressés ont présenté des demandes d'allocations familiales à la BAK. M. Martínez Domínguez a sollicité le bénéfice d'allocations familiales pour une enfant de moins de 18 ans, étant exclu d'un tel bénéfice en Espagne en raison d'un dépassement du plafond de revenu prévu par le Real Decreto Legislativo n° 1/1994. M. Benítez Urbano a demandé des allocations familiales pour une enfant handicapée de plus de 18 ans et M. Mateos Cruz pour trois enfants de plus de 18 ans en cours de formation, pour lesquels il avait perçu en Espagne des prestations familiales jusqu'à la fin du trimestre au cours duquel chacun d'eux avait atteint l'âge de 18 ans.

11.
    Ces demandes ont été rejetées. Les intéressés ont formé des réclamations contre les décisions de rejet. Ces réclamations ont également été rejetées. En 1997 et en 1998, les intéressés ont attaqué les décisions de rejet de leurs réclamations devant le Sozialgericht Nürnberg.

12.
    La BAK considère que, lorsqu'un droit à pension fondé sur la seule législation allemande fait défaut, l'État de résidence est compétent à titre exclusif pour octroyer les prestations en cause.

Affaire Calvo Fernández

13.
    Mme Calvo Fernández est veuve d'un ressortissant espagnol décédé en 1985. Son époux avait travaillé en qualité de travailleur migrant en Allemagne, où il avait acquis un droit à pension au titre de la convention bilatérale en matière de sécurité sociale, conclue le 4 décembre 1973 entre la République fédérale d'Allemagne et le royaume d'Espagne (BGBl. 1977 II, p. 687), telle que modifiée par un avenant du 17 décembre 1975 (BGBl. 1977 II, p. 722, ci-après la «convention bilatérale»). Il ne bénéficiait d'aucun droit à des prestations familiales en Allemagne.

14.
    Des pensions d'orphelin de père ont été versées en Espagne pour les trois enfants résidant en Espagne et âgés de moins de 18 ans. Des pensions ont également été versées au même titre en Allemagne en vertu de la convention bilatérale, même après le 1er janvier 1986, date de l'adhésion du royaume d'Espagne aux Communautés européennes, un droit à de telles pensions n'existant pas en application de la seule législation allemande.

15.
    En 1997, une demande d'allocations familiales présentée par Mme Calvo Fernández à la BAK pour deux de ses enfants ayant dépassé l'âge de 18 ans et suivant une formation a été rejetée. La réclamation introduite contre la décision de rejet a elle-même été rejetée. Mme Calvo Fernández a introduit un recours devant le Sozialgericht Nürnberg contre la décision de rejet de sa réclamation.

16.
    La BAK reprend les mêmes objections que dans les trois précédentes affaires, ajoutant toutefois que la situation de Mme Calvo Fernández correspond à un cas de figure déjà examiné dans l'arrêt de la Cour du 7 mai 1998, Gómez Rodríguez (C-113/96, Rec. p. I-2461).

17.
    Le Sozialgericht Nürnberg, estimant que la solution des litiges pendants devant lui nécessitait une interprétation du droit communautaire, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)    L'article 77, paragraphe 2, sous b), du règlement (CEE) n° 1408/71, lu conjointement avec l'article 79, paragraphe 1, du même règlement, doit-il être interprété en ce sens que des prestations familiales pour enfants à charge de titulaires de pensions - ayant acquis un droit à pension dans un État membre en vertu non de la seule législation de cet État mais des règles de coordination de la législation sociale européenne - doivent être versées dans leur intégralité lorsque le droit à pension à charge de l'État autre que l'État de résidence est ouvert pour des périodes - ou ne naît qu'à partir d'une période - pour lesquelles (pour laquelle) le droit aux prestations familiales légalement prévues dans l'État de résidence fait défaut ou n'existe plus, que ce soit en raison d'un dépassement de la limite d'âge ou d'un plafond de revenu, ou d'une absence de demande en ce sens?

2)    L'article 78, paragraphe 2, sous b), du règlement (CEE) n° 1408/71, lu conjointement avec l'article 79, paragraphe 1, du même règlement, doit-il être interprété en ce sens que des prestations familiales pour orphelin d'un travailleur salarié ou non salarié décédé ayant été soumis à la législation de plusieurs États membres, lorsqu'un droit à la pension d'orphelin dans un État membre à la législation duquel l'assuré a été soumis n'est ouvert ni en vertu de la seule législation de cet État membre ni en vertu des règles de coordination de la législation sociale européenne, doivent être versées dans leur intégralité lorsque le droit à pension d'orphelin à charge de l'État autre que l'État de résidence est ouvert pour des périodes - ou ne naît qu'à partir d'une période - pour lesquelles (pour laquelle) le droit aux prestations légalement prévues dans l'État de résidence fait défaut ou n'existe plus, que ce soit en raison d'un dépassement de la limite d'âge ou d'un plafond de revenu, ou d'une absence de demande en ce sens?»

18.
    La juridiction de renvoi relève que le point commun aux quatre affaires pendantes devant elle est que les droits à pension d'invalidité ou de vieillesse et les droits à pension d'orphelin à la charge de l'institution allemande ne sont pas ouverts en vertu de la seule législation allemande.

Sur les questions préjudicielles

19.
    Par ses deux questions, qu'il convient d'examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 77, paragraphe 2, sous b), et 78, paragraphe 2, sous b), du règlement, lus en combinaison avec l'article 79, paragraphe 1, de celui-ci, doivent être interprétés en ce sens que l'institution compétente d'un État membre autre que celui de la résidence du titulaire d'une pension ou d'une rente de vieillesse ou d'invalidité, ou de la résidence d'orphelins d'un salarié défunt, est tenue d'accorder aux intéressés des prestations pour enfants à charge ou pour orphelins lorsque ne sont pas ou plus remplies les conditions prévues par la législation de l'État membre de résidence pour l'attribution de telles prestations et que le droit du titulaire de la pension ou de la rente, ou celui des orphelins du chef du salarié défunt, n'est pas ouvert, dans l'autre État membre, en vertu de la seule législation de celui-ci. Elle demande en outre si, néanmoins, dans une telle situation, l'institution compétente de l'État membre autre que celui de la résidence peut être tenue d'accorder les prestations en cause en vertu d'une convention de sécurité sociale conclue entre les deux États membres concernés et intégrée à leur droit national antérieurement à l'entrée en vigueur du règlement.

20.
    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, dans son arrêt du 27 février 1997, Bastos Moriana e.a. (C-59/95, Rec. p. I-1071), la Cour a dit pour droit que les articles 77, paragraphe 2, sous b), i), et 78, paragraphe 2, sous b), i), du règlement doivent être interprétés en ce sens que l'institution compétente d'un État membre n'est pas tenue d'accorder aux titulaires de pensions ou de rentes ou aux orphelins résidant dans un autre État membre un complément de prestations familiales dans le cas où le montant des prestations familiales servies par l'État membre de résidence est inférieur à celui des prestations prévu par la législation du premier État membre, lorsque le droit à la pension ou à la rente, ou le droit de l'orphelin, n'est pas acquis exclusivement au titre des périodes d'assurance accomplies dans cet État.

21.
    Au point 32 de l'arrêt Gómez Rodríguez, précité, la Cour a précisé, en ce qui concerne l'article 78, paragraphe 2, sous b), du règlement, que, lorsque le droit aux prestations ouvert dans l'État de résidence a disparu en raison de la survenance d'une limite d'âge, l'institution compétente d'un autre État membre n'est pas tenue d'accorder des prestations aux intéressés, à moins que ceux-ci y aient acquis leur droit sur la seule base des périodes d'assurance accomplies dans cet État.

22.
    L'interprétation ainsi donnée résultait déjà, en ce qui concerne les deux articles 77, paragraphe 2, sous b), et 78, paragraphe 2, sous b), du règlement, de l'arrêt Bastos Moriana e.a., précité, rendu à propos de litiges concernant non seulement des prestations d'un montant plus élevé que celles octroyées dans l'État de résidence, mais également une prestation familiale accordée pour une période plus longue par la législation de l'État membre de la demande, c'est-à-dire en raison d'une limite d'âge supérieure à celle fixée par la législation de l'État membre de résidence (voir arrêt Bastos Moriana e.a., précité, point 5, et conclusions de l'avocat général Fennelly dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, points 23 et 24). L'expression «complément de prestations familiales» utilisée dans cet arrêt couvrait donc aussi bien la question du versement de la différence de montant entre les prestations versées dans l'État membre de résidence et celles allouées dans un autre État membre que la question du versement intégral d'une prestation, par l'institution compétente de l'État membre de la demande, au-delà de la limite d'âge fixée par la législation de l'État membre de résidence.

23.
    À cet égard, il convient de relever que les règles énoncées aux articles 77 et 78 du règlement visent à déterminer l'État membre dont la législation régit l'octroi des prestations pour les enfants à charge de titulaires de pensions ou de rentes et pour les orphelins, les prestations étant alors en principe accordées conformément à la législation de ce seul État membre (arrêt Bastos Moriana e.a., précité, point 15), conformément au principe de l'unicité de la législation applicable énoncé à l'article 13, paragraphe 1, du règlement.

24.
    Or, selon une jurisprudence constante, les États membres restent seuls compétents pour déterminer le niveau des prestations qu'ils octroient ainsi que leur durée (arrêt Gómez Rodríguez, précité, point 28).

25.
    Par conséquent, lorsque, dans les hypothèses visées aux articles 77, paragraphe 2, sous b), i), et 78, paragraphe 2, sous b), i), du règlement, n'est pas ou n'est plus remplie l'une des conditions prévues pour l'octroi d'une prestation par la législation de l'État membre de la résidence, par exemple, comme dans les affaires au principal, une condition de plafond de revenus, d'option en faveur de la prestation en cause ou de limite d'âge des enfants concernés, le demandeur de la prestation ne saurait invoquer le critère de rattachement prévu aux articles 77, paragraphe 2, sous b), ii), et 78, paragraphe 2, sous b), ii), du règlement à l'égard de l'institution compétente d'un autre État membre, à moins que, conformément aux arrêts précités Bastos Moriana e.a. et Gómez Rodríguez, son droit à pension ou à rente, ou le droit de l'orphelin du chef du salarié défunt, soit ouvert en vertu de la seule législation de cet État. À cet égard, il importe de préciser que l'appréciation de cette dernière condition, qui est une question de droit interne, relève de la compétence de la juridiction nationale.

26.
    Il y a lieu de constater que, dans la quatrième affaire au principal, les droits à pension d'orphelin du chef du salarié défunt ont été ouverts en Allemagne, antérieurement au 1er janvier 1986, non pas au titre de la seule législation allemande, mais, comme ceux du salarié lui-même avant son décès, en vertu de la convention bilatérale. Selon les informations fournies par le gouvernement allemand en réponse à une question écrite de la Cour, les pensions d'orphelin en cause ont continué à être servies postérieurement à l'adhésion du royaume d'Espagne aux Communautés européennes et à l'entrée en vigueur du règlement au motif que les prestations accordées en vertu de la convention bilatérale étaient plus favorables que celles prévues par ledit règlement.

27.
    Il doit être rappelé à cet égard que, aux termes de l'article 6 du règlement, celui-ci se substitue, dans le cadre de son champ d'application personnel ainsi que matériel, et sous certaines réserves, à toute convention de sécurité sociale qui lie deux ou plusieurs États membres.

28.
    Dans la quatrième affaire au principal, les droits à pension d'orphelin ont donc été maintenus en Allemagne en application du principe énoncé au point 29 de l'arrêt du 7 février 1991, Rönfeldt (C-227/89, Rec. p. I-323), et aux points 38 à 45 de l'arrêt Gómez Rodríguez, précité, en vertu duquel un droit à une prestation plus favorable tiré d'une convention de sécurité sociale ne peut être perdu en raison de l'entrée en vigueur du règlement.

29.
    Dans de telles circonstances, le ressortissant concerné possède, en effet, un droit acquis au maintien de l'application de ladite convention après cette entrée en vigueur (voir arrêt du 5 février 2002, Kaske, C-277/99, non encore publié au Recueil, point 26).

30.
    En d'autres termes, si, au regard d'un avantage de sécurité sociale, le ressortissant d'un État membre peut bénéficier d'une convention passée entre deux États membres et si cette convention lui est plus favorable qu'un règlement communautaire qui lui est devenu applicable postérieurement, le droit qu'il tire de cette convention lui est définitivement acquis. Par suite, concernant une prestation déterminée, dès lors que les périodes d'assurance ou d'emploi qui constituent le fondement des droits de l'intéressé ont été accomplies, au moins partiellement, à une époque où seule une convention bilatérale était applicable, la situation globale de ce dernier doit être appréciée au regard des dispositions de cette convention si elle lui est favorable (arrêt Kaske, précité, points 31 et 32).

31.
    Il appartient au juge national d'apprécier si un intéressé tire effectivement d'une convention de sécurité sociale un droit acquis à une prestation plus favorable. Dans l'affirmative, ce droit doit être assimilé à un droit à une prestation ouvert en vertu de la seule législation nationale de l'État membre de la demande, ainsi qu'il résulte du point 27 de l'arrêt Rönfeldt, précité.

32.
    Il convient donc de répondre aux questions posées que les articles 77, paragraphe 2, sous b), et 78, paragraphe 2, sous b), du règlement, lus en combinaison avec l'article 79, paragraphe 1, de celui-ci, doivent être interprétés en ce sens que l'institution compétente d'un État membre autre que celui de la résidence du titulaire d'une pension ou d'une rente de vieillesse ou d'invalidité, ou de la résidence d'orphelins d'un salarié défunt, n'est pas tenue d'accorder aux intéressés des prestations pour enfants à charge ou pour orphelins lorsque ne sont pas ou plus remplies les conditions prévues par la législation de l'État membre de résidence pour l'attribution de telles prestations et que le droit du titulaire de la pension ou de la rente, ou celui des orphelins du chef du salarié défunt, n'est pas ouvert, dans l'autre État membre, en vertu de la seule législation de celui-ci. Néanmoins, dans une telle situation, l'institution compétente de l'État membre autre que celui de la résidence peut être tenue d'accorder les prestations en cause en vertu d'une convention de sécurité sociale conclue entre les deux États membres concernés et intégrée à leur droit national antérieurement à l'entrée en vigueur du règlement, lorsque les intéressés possèdent un droit acquis au maintien de l'application de ladite convention après cette entrée en vigueur.

Sur les dépens

33.
    Les frais exposés par les gouvernements allemand et espagnol, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Sozialgericht Nürnberg, par ordonnance du 22 novembre 1999, dit pour droit:

Les articles 77, paragraphe 2, sous b), et 78, paragraphe 2, sous b), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, lus en combinaison avec l'article 79, paragraphe 1, dudit règlement, doivent être interprétés en ce sens que l'institution compétente d'un État membre autre que celui de la résidence du titulaire d'une pension ou d'une rente de vieillesse ou d'invalidité, ou de la résidence d'orphelins d'un salarié défunt, n'est pas tenue d'accorder aux intéressés des prestations pour enfants à charge ou pour orphelins lorsque ne sont pas ou plus remplies les conditions prévues par la législation de l'État membre de résidence pour l'attribution de telles prestations et que le droit du titulaire de la pension ou de la rente, ou celui des orphelins du chef du salarié défunt, n'est pas ouvert, dans l'autre État membre, en vertu de la seule législation de celui-ci. Néanmoins, dans une telle situation, l'institution compétente de l'État membre autre que celui de la résidence peut être tenue d'accorder les prestations en cause en vertu d'une convention de sécurité sociale conclue entre les deux États membres concernés et intégrée à leur droit national antérieurement à l'entrée en vigueur du règlement, lorsque les intéressés possèdent un droit acquis au maintien de l'application de ladite convention après cette entrée en vigueur.

Macken
Gulmann
Schintgen

Skouris

Cunha Rodrigues

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 septembre 2002.

Le greffier

Le président de la sixième chambre

R. Grass

F. Macken


1: Langue de procédure: l'allemand.