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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (septième chambre)

16 janvier 2024 (*)

« Recours en annulation – Droit institutionnel – Membre du Parlement– Demande de levée de l’immunité parlementaire par la cheffe du Parquet européen – Décision de la présidente du Parlement de communiquer cette demande au Parlement et de la renvoyer à la commission des affaires juridiques – Actes non susceptibles de recours – Irrecevabilité  »

Dans l’affaire T‑46/23,

Eva Kaili, demeurant à Ixelles (Belgique), représentée par Me S. Pappas, avocat,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par M. N. Lorenz et Mme A.-M. Dumbrăvan, en qualité d’agents,

et

Parquet européen, représenté par M. L. De Matteis, Mme C. Charalambous, et M. E. Farhat, en qualité d’agents,

parties défenderesses,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de Mme K. Kowalik‑Bańczyk, présidente, M. G. Hesse et Mme B. Ricziová (rapporteure), juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Parlement par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 20 avril 2023,

–        l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Parquet européen par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 21 avril 2023,

–        les observations de la requérante sur l’exception d’irrecevabilité déposées au greffe du Tribunal le 5 juin 2023,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Mme Eva Kaili demande l’annulation, d’une part, de la demande de la cheffe du Parquet européen du 15 décembre 2022 de lever son immunité parlementaire et, d’autre part, de la décision de la présidente du Parlement de communiquer cette demande au Parlement et de la renvoyer à la commission des affaires juridiques.

 Antécédents du litige

2        Par lettre du 15 décembre 2022, adressée à la présidente du Parlement, la cheffe du Parquet européen a demandé, conformément à l’article 29, paragraphe 2, du règlement (UE) 2017/1939, du Conseil, du 12 octobre 2017, mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen (JO 2017, L 283, p. 1), la levée des privilèges et immunités de deux députés du Parlement, dont la requérante, ainsi que de six assistants parlementaires accrédités du Parlement. Il y était précisé que ces personnes faisaient l’objet d’une enquête du Parquet européen en ce qui concerne la gestion des indemnités parlementaires.

3        Par lettre du 9 janvier 2023 adressée à la présidente du Parlement, la cheffe du Parquet européen a précisé que, en ce qui concerne les membres du Parlement, outre les articles 11, 17 et 19 à 22 du protocole no 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne (JO 2016, C 202, p. 266) (ci‑après le « protocole sur les privilèges et immunités »), sa demande du 15 décembre 2022 devait également s’entendre comme visant les articles 8 et 9 de ce protocole.

4        Le 10 janvier 2023, le secrétaire général adjoint du Parlement a adressé une lettre à la requérante pour l’informer, d’une part, que le Parquet européen avait présenté au Parlement une demande de levée de son immunité parlementaire et, d’autre part, que, conformément à l’article 9, paragraphe 1, du règlement intérieur du Parlement, cette demande serait communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission des affaires juridiques (ci-après la « lettre du 10 janvier 2023 »). La requérante a également été informée qu’elle pouvait consulter le dossier dans les locaux du Parlement à Bruxelles et à Strasbourg.

5        Par courriel du 11 janvier 2023, le chef de l’unité « administration des députés » au Parlement a communiqué à l’avocat de la requérante la lettre du 10 janvier 2023 et l’a invité à consulter le dossier du Parquet européen.

6        Lors de la séance plénière du Parlement du 18 janvier 2023, la présidente du Parlement a annoncé qu’elle avait reçu la demande de la cheffe du Parquet européen. Cette demande a été renvoyée à la commission des affaires juridiques.

 Conclusions des parties

7        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la demande de la cheffe du Parquet européen du 15 décembre 2022 et la décision de la présidente du Parlement, révélée par la lettre du 10 janvier 2023, de communiquer cette demande au Parlement et de la renvoyer à la commission des affaires juridiques (ci-après la « décision de la présidente du Parlement ») ;

–        condamner le Parquet européen et le Parlement aux dépens. 

8        Le Parlement conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

9        Le Parquet européen conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

10      En vertu de l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure du Tribunal, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité ou l’incompétence sans engager le débat au fond. En l’espèce, le Parlement et le Parquet européen ayant chacun demandé qu’il soit statué sur l’irrecevabilité, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide de statuer sur ces demandes sans poursuivre la procédure.

 Sur la demande de la cheffe du Parquet européen

11      Le Parquet européen excipe de l’irrecevabilité du recours au motif que la demande de sa cheffe du 15 décembre 2022 n’est pas susceptible de recours au titre de l’article 263 TFUE. À titre principal, il soutient, en substance, que cette demande ne produit pas d’effets juridiques obligatoires à l’égard de la requérante. Il s’agirait d’une étape préliminaire qui ouvrirait la procédure de levée de l’immunité de la requérante devant l’institution compétente. Il en résulterait, premièrement, que ladite demande ne serait pas un acte attaquable visé à l’article 263, premier alinéa, TFUE. Deuxièmement, la requérante ne serait pas directement concernée par la demande de la cheffe du Parquet européen. Troisièmement, la requérante n’aurait en l’espèce aucun intérêt à demander l’annulation de cette demande, une telle annulation ne pouvant, à elle seule, lui procurer un bénéfice. À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal estimerait que ladite demande produit des effets juridiques à l’égard de la requérante, le Parquet européen fait valoir que le Tribunal ne serait pas compétent pour contrôler cette demande.

12      La requérante conteste l’argumentation du Parquet européen.

13      La requérante allègue, notamment, que la demande de la cheffe du Parquet européen du 15 décembre 2022 est susceptible de recours étant donné que l’introduction d’une telle demande est obligatoire lorsque les conditions énumérées à l’article 29, paragraphe 2, du règlement 2017/1939 sont remplies. En outre, une telle demande obligerait la présidente du Parlement à agir, cette dernière serait en effet chargée de sa mise en œuvre, en principe sans pouvoir discrétionnaire, et l’acte ultérieur de la présidente du Parlement aurait automatiquement des conséquences graves sur la situation juridique de la requérante. Ainsi, la requérante serait en fin de compte directement et gravement affectée par la demande de la cheffe du Parquet européen en faisant l’objet d’une procédure dans laquelle elle serait la « défenderesse, défendant son immunité, ce qui, pour une femme politique et un législateur, constitue[rait] un dommage moral grave et une atteinte à sa réputation, même si, en fin de compte, la levée [ne serait] pas accordée ». Elle soutient également que ladite demande produit, compte tenu de son contenu, des effets juridiques à son encontre.

14      Par ailleurs, la requérante affirme que, compte tenu de ses effets propres, la demande de la cheffe du Parquet européen devrait être détachée des étapes suivantes qui pourraient aboutir à la levée de son immunité. De plus, cette demande contiendrait une position définitive du Parquet européen.

15      Conformément à l’article 263, premier alinéa, seconde phrase, TFUE, le juge de l’Union contrôle la légalité des actes des organes ou organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers.

16      Dans ces conditions, selon une jurisprudence constante, lorsque, comme en l’espèce, la partie requérante est une personne physique ou morale, ne sont susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 263 TFUE que les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique (arrêts du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 9, et du 26 janvier 2010, Internationaler Hilfsfonds/Commission, C‑362/08 P, EU:C:2010:40, point 51).

17      Ainsi, constituent en principe des actes attaquables les mesures qui fixent définitivement la position d’une institution au terme d’une procédure administrative et qui visent à produire des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale, qui n’ont pas de tels effets (arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE, C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369, point 39).

18      Il n’en va autrement que si les actes ou les décisions pris au cours de la procédure préparatoire, d’une part, constituent eux‑mêmes le terme ultime d’une procédure spéciale distincte de la procédure principale et, d’autre part, produisent eux-mêmes des effets juridiques autonomes et, partant, doivent pouvoir faire l’objet d’un recours en annulation afin d’assurer une protection juridictionnelle suffisante (voir, en ce sens, arrêts du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 11, et du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, points 53 et 54).

19      Pour déterminer si l’acte attaqué produit des effets de droit obligatoires, il y a lieu de s’attacher à la substance de cet acte et d’apprécier ces effets à l’aune de critères objectifs, tels que le contenu dudit acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur (voir arrêt du 20 février 2018, Belgique/Commission, C‑16/16 P, EU:C:2018:79, point 32 et jurisprudence citée ; arrêt du 9 juillet 2020, République tchèque/Commission, C‑575/18 P, EU:C:2020:530, point 47).

20      En l’espèce, la demande de la cheffe du Parquet européen du 15 décembre 2022 a été introduite devant le Parlement sur le fondement de l’article 29, paragraphe 2, du règlement 2017/1939, selon lequel, lorsque les enquêtes du Parquet européen concernent des personnes protégées par les privilèges ou immunités conférés par le droit de l’Union, notamment le protocole sur les privilèges et immunités, et que ces privilèges ou immunités constituent un obstacle à une enquête particulière en cours, le chef du Parquet européen rédige une demande écrite motivée tendant à obtenir la levée de ces privilèges ou immunités conformément aux procédures prévues par le droit de l’Union.

21      En ce qui concerne le contenu de la demande de la cheffe du Parquet européen, elle se borne à inviter le Parlement à lever l’immunité de la requérante et à mentionner, en annexe, le type d’irrégularités faisant l’objet de l’enquête. Cette demande ne comporte aucune position définitive du Parquet européen quant à l’enquête ouverte à l’encontre de la requérante.

22      En ce qui concerne le contexte de la demande de la cheffe du Parquet européen ainsi que les pouvoirs du Parquet européen, il résulte des termes de l’article 29, paragraphe 2, du règlement 2017/1939 ainsi que de l’économie générale de ce règlement que la demande de levée d’immunité est une mesure préalable et nécessaire, mise à la disposition du Parquet européen par le législateur de l’Union, pour garantir l’efficacité des enquêtes lorsque l’immunité dont bénéficie une personne constitue un obstacle à l’enquête la concernant.

23      De plus, il convient de rappeler que l’article 9, troisième alinéa, du protocole sur les privilèges et immunités confère au Parlement le droit exclusif de lever l’immunité prévue au même article, c’est-à-dire le droit de priver un député de la protection dont il bénéficie en vertu de cette disposition. Une telle décision constitue un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE (arrêt du 15 octobre 2008, Mote/Parlement, T‑345/05, EU:T:2008:440, point 31). L’exercice de ce droit implique que le Parlement a été saisi d’une demande de levée d’immunité par une autorité compétente. Celle-ci a ainsi déjà constaté que le député en cause bénéficiait de l’immunité prévue à l’article 9 dudit protocole dans le cadre d’une procédure donnée et en a sollicité la levée auprès du Parlement aux fins de poursuivre cette procédure. Il appartient alors au Parlement de décider s’il lève ou non cette immunité (voir, en ce sens, arrêts du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 59, et du 5 juillet 2023, Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres/Parlement, T‑115/20, sous pourvoi, EU:T:2023:372, point 62).

24      Il s’ensuit que la demande de la cheffe du Parquet européen n’entraîne pas, à elle seule, la levée de l’immunité de la requérante et n’est pas susceptible d’avoir un impact d’une quelconque manière sur ses droits ou ses obligations. En effet, cette demande a pour seul effet juridique de saisir le Parlement, qui est la seule autorité compétente pour décider et, le cas échéant, de lever l’immunité de la requérante. Tant que le Parlement n’a pas pris une telle décision, la requérante continue à bénéficier de la protection des privilèges et immunités accordés par le droit de l’Union.

25      Au vu de ces considérations, force est de constater que la demande de la cheffe du Parquet européen du 15 décembre 2022, d’une part, n’est pas susceptible de produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique et, d’autre part, qu’elle est une mesure préliminaire, qui ne constitue pas le terme ultime d’une procédure spéciale distincte de celle ouverte devant le Parlement européen, dont les éventuelles illégalités pourront, le cas échéant, être invoquées à l’appui du recours dirigé contre l’acte définitif, à savoir la décision éventuelle du Parlement relative à la levée de l’immunité de la requérante, dont ladite demande constitue un stade d’élaboration (voir, en ce sens, arrêts du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 12, et du 19 juin 2015, Italie/Commission, T‑358/11, EU:T:2015:394, point 26).

26      Les arguments de la requérante ne sont pas susceptibles de remettre en cause cette conclusion.

27      En premier lieu, la requérante fait valoir que l’interprétation de la notion d’acte juridique, figurant aux points 35 à 37 de l’arrêt du 10 mai 2017, Efler e.a./Commission (T‑754/14, EU:T:2017:323), devrait être appliquée par analogie au cas d’espèce. Il convient de relever que, aux points 34 à 36 de cet arrêt, le Tribunal a jugé que la notion d’acte juridique, aux fins d’une initiative citoyenne européenne au titre du règlement (UE) no 211/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, relatif à l’initiative citoyenne (JO 2011, L 65, p. 1), n’est pas limitée aux seuls actes de l’Union définitifs et produisant des effets juridiques à l’égard des tiers, mais inclut également des actes tels qu’une décision autorisant la Commission européenne à ouvrir des négociations en vue de la conclusion d’un accord international, laquelle présente un caractère préparatoire et déploie des effets juridiques entre l’Union et ses États membres ainsi qu’entre les institutions de l’Union. À cet égard, il convient de considérer que cette interprétation n’est pas transposable au cas d’espèce étant donné que la notion d’acte attaquable dans le cadre d’un recours en annulation introduit par une personne physique ou morale sur le fondement de l’article 263 TFUE est, quant à elle, plus étroite et est limitée aux seuls actes produisant des effets juridiques obligatoires à l’égard de la partie requérante, et ce, en principe, à l’exclusion des mesures intermédiaires (voir la jurisprudence citée aux points 16 à 18 ci-dessus). Dans ces conditions, et ainsi que le soutient, en substance, à juste titre le Parlement, l’interprétation large de la notion d’acte juridique à la lumière de l’objectif des traités visant à favoriser la participation des citoyens à l’exercice de la puissance publique par l’Union ne saurait être valablement invoquée par la requérante afin d’élargir ou d’assouplir les critères de recevabilité des recours en annulation formés au titre de l’article 263 TFUE.

28      En deuxième lieu, concernant l’argument de la requérante selon lequel la procédure ouverte par la demande de la cheffe du Parquet européen lui causerait un dommage moral grave et une atteinte à sa réputation, il convient de constater que le dommage et l’atteinte allégués ne concernent pas la situation juridique de la requérante, mais sa situation matérielle et morale.

29      En troisième lieu, s’agissant de l’argument de la requérante tiré de ce que la demande de la cheffe du Parquet européen devrait être détachée des étapes suivantes qui pourraient aboutir à la levée de son immunité, il suffit de constater qu’il ressort des points 20 à 25 ci-dessus que cette demande, d’une part, ne constitue pas le terme ultime d’une procédure spéciale distincte de celle ouverte devant le Parlement et, d’autre part, ne produit aucun effet juridique autonome à l’égard de la requérante.

30      En quatrième lieu, la requérante se réfère à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») consacrant le droit à un recours effectif et soutient que les voies de recours nationales n’ont pas d’effets équivalents à celles devant le Tribunal, dans la mesure où les juridictions ordinaires et pénales grecques ne sont pas compétentes pour annuler un acte d’une autorité publique. De plus, toutes les juridictions nationales ne participeraient pas à la coopération renforcée mise en œuvre par le règlement 2017/1939 et celles qui y participent n’offriraient pas la même protection juridique.

31      À cet égard, il suffit de rappeler que bien que la condition relative aux effets de droit obligatoires doive être interprétée à la lumière du droit à une protection juridictionnelle effective tel que garanti à l’article 47, premier alinéa, de la Charte, ce droit n’a pas pour objet de modifier le système de contrôle juridictionnel prévu par les traités, et notamment les règles relatives à la recevabilité des recours formés directement devant les juridictions de l’Union (voir arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 97 et jurisprudence citée). Partant, l’interprétation de la notion d’« acte attaquable » à la lumière dudit article 47 ne saurait aboutir à écarter cette condition sans excéder les compétences attribuées par les traités aux juridictions de l’Union (arrêt du 25 octobre 2017, Slovaquie/Commission, C‑593/15 P et C‑594/15 P, EU:C:2017:800, point 66 ; voir également, par analogie, arrêt du 12 septembre 2006, Reynolds Tobacco e.a./Commission, C‑131/03 P, EU:C:2006:541, point 81).

32      Il résulte de ce qui précède que la demande de la cheffe du Parquet européen n’est pas susceptible d’être contestée par la requérante par la voie du recours en annulation prévu à l’article 263 TFUE. Il y a donc lieu d’accueillir l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Parquet européen, sans qu’il soit nécessaire d’examiner ses autres arguments.

 Sur la décision de la présidente du Parlement

33      Le Parlement excipe de l’irrecevabilité du recours notamment au motif, en substance, que la décision de la présidente du Parlement ne produit pas d’effets juridiques obligatoires à l’égard des tiers et ne constitue pas une décision définitive, mais le début d’une procédure interne, de sorte qu’elle ne constitue pas un « acte attaquable » au sens de l’article 263 TFUE.

34      La requérante conteste l’argumentation du Parlement.

35      La requérante relève, tout d’abord, que la levée de l’immunité d’un membre du Parlement est soumise à une procédure parlementaire complexe qui comprend la proposition de la commission compétente et la décision finale de l’assemblée plénière, « tandis que la décision de la présidente [du Parlement] ouvrant cette procédure reste distincte ». En effet, la présidente du Parlement aurait l’obligation de s’assurer de la légitimité fondamentale de la demande de levée d’immunité en vérifiant qu’elle émane d’une autorité compétente et, ce faisant, elle prendrait une décision autonome « distincte de la procédure complexe qui suit ».

36      En outre, la requérante affirme que l’ouverture de la procédure parlementaire a une incidence particulière sur sa situation, « car elle coïncide avec une affaire pénale d’importance majeure (“Qatargate”) ». En effet, la simple annonce de la demande de la cheffe du Parquet européen du 15 décembre 2022, lors de la séance plénière du Parlement, aurait gravement affecté la requérante sur le plan politique et aurait interféré sur la procédure en cours devant la justice belge.

37      Par ailleurs, la requérante allègue que la décision de la présidente du Parlement est susceptible de recours, car si le Parquet européen pouvait contester le rejet par la présidente du Parlement de sa demande de levée d’immunité, la requérante devrait également avoir le droit de contester la décision inverse acceptant de lancer la procédure de levée d’immunité.

38      En l’espèce, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 16 à 18 ci-dessus, il y a lieu de vérifier si, au vu des critères qui y sont indiqués, la décision de la présidente du Parlement produit des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante, dont notamment les conditions d’exercice de son mandat de députée au Parlement, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique, ou si cette décision est une mesure de nature préparatoire.

39      À cette fin, il convient de rappeler, d’une part, s’agissant du contenu de la décision de la présidente du Parlement, que cette décision vise à annoncer lors de la séance plénière du Parlement la demande de la cheffe du Parquet européen du 15 décembre 2022 relative à la levée de l’immunité parlementaire de la requérante et à la renvoyer à la commission des affaires juridiques. Cette décision ne comporte donc aucune prise de position définitive, ou même provisoire, quant à la situation juridique de la requérante, y compris quant au bien-fondé de ladite demande.

40      D’autre part, s’agissant du contexte de la décision de la présidente du Parlement et des pouvoirs de cette dernière, il convient de relever que la communication en séance plénière d’une demande de levée de l’immunité d’un député et son renvoi à la commission des affaires juridiques s’insère dans une procédure comportant plusieurs phases, au terme laquelle, conformément à l’article 9, troisième alinéa, du protocole sur les privilèges et immunités, la décision finale est prise par le Parlement lui-même (voir point 23 ci-dessus).

41      Il s’ensuit que, à l’instar de la demande de la cheffe du Parquet européen, la décision de la présidente du Parlement ne produit pas d’effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique. À cet égard, il convient de relever que, jusqu’à l’adoption de la décision finale du Parlement, la requérante continue à bénéficier de la protection des privilèges et immunités accordés par le droit de l’Union. En outre, il y a lieu de considérer que la décision de la présidente du Parlement constitue un acte préparatoire.

42      Une protection juridictionnelle effective à l’égard de cette décision est assurée à la requérante au travers, notamment, du recours fondé sur l’article 263 TFUE, dont elle disposera devant le juge de l’Union contre la décision finale du Parlement, à l’occasion duquel elle pourra invoquer, le cas échéant, les illégalités éventuelles qui entacheraient la décision de la présidente du Parlement.

43      Les arguments de la requérante ne sont pas susceptibles de remettre en cause ces conclusions.

44      En premier lieu, la requérante fait valoir que la décision de la présidente du Parlement doit être susceptible de recours étant donné qu’elle reste distincte de la procédure parlementaire qui comprend la décision finale de l’assemblée plénière, car la présidente du Parlement a l’obligation de vérifier la légitimité fondamentale de la demande de levée d’immunité. Il convient de considérer que cet argument ne peut pas prospérer. En effet, ainsi qu’il résulte de l’analyse aux points 38 à 42 ci-dessus, la décision de la présidente du Parlement, d’une part, ne constitue pas le terme ultime d’une procédure spéciale distincte de celle ouverte devant le Parlement européen et, d’autre part, ne produit aucun effet juridique autonome à l’égard de la requérante.

45      En deuxième lieu, s’agissant de l’allégation de la requérante selon laquelle la simple annonce, en séance plénière du Parlement, de la demande de la cheffe du Parquet européen aurait gravement affecté la requérante sur le plan politique et aurait « interféré » sur la procédure en cours devant la justice belge dans l’affaire « Qatargate », il convient de constater que la requérante n’apporte aucun élément de nature à établir que les effets ainsi allégués de la décision de la présidente du Parlement, et notamment ceux sur la procédure en cours devant la justice belge, affecteraient non seulement sa situation matérielle et morale, mais également sa situation juridique.

46      En troisième lieu, en ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la décision de la présidente du Parlement est susceptible de recours, car si le Parquet européen pouvait contester le rejet par la présidente du Parlement de sa demande de levée d’immunité, la requérante devrait également avoir le droit de contester la décision inverse acceptant de lancer la procédure de levée d’immunité, il suffit de rappeler, ainsi qu’il résulte du point 41 ci-dessus, que la décision de la présidente du Parlement ne produit pas d’effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante.

47      Il résulte de ce qui précède que la décision de la présidente du Parlement n’est pas susceptible d’être contestée par la requérante par la voie du recours en annulation prévu à l’article 263 TFUE. Il y a donc lieu d’accueillir l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Parlement, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments avancés par le Parlement ou par la requérante.

48      Partant, le recours doit être rejeté comme étant irrecevable dans son intégralité.

 Sur les dépens

49      En vertu de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

50      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Parlement et par le Parquet européen conformément à leurs conclusions.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Mme Eva Kaili est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Parlement européen et par le Parquet européen.

Fait à Luxembourg, le 16 janvier 2024.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

K. Kowalik-Bańczyk


*      Langue de procédure : l’anglais.