Language of document : ECLI:EU:T:2022:566

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

21 septembre 2022 (*)

« Fonction publique – Personnel de la BEI – Résiliation du contrat à l’issue de la période d’essai – Incompétence de l’auteur de l’acte – Responsabilité – Préjudice matériel – Conclusions indemnitaires prématurées – Préjudice moral »

Dans l’affaire T‑266/21,

Philippe Casanova, demeurant à Fort-de-France (France), représenté par Me L. Levi, avocate,

partie requérante,

contre

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par Mmes G. Faedo et K. Carr, en qualité d’agents, assistées de Me B. Wägenbaur, avocat,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise (rapporteur) et Mme R. Frendo, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure, et notamment les mesures d’organisation de la procédure du 26 avril 2022 et les réponses du requérant et de la BEI déposées au greffe du Tribunal le 18 mai 2022,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE et sur l’article 50 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le requérant, M. Philippe Casanova, demande, premièrement, l’annulation de la décision de la Banque européenne d’investissement (BEI) du 12 juin 2020 de résilier son contrat à l’issue de la période d’essai et de la décision du 8 février 2021 par laquelle la BEI a rejeté sa demande de conciliation et sa demande de réexamen et, deuxièmement, la réparation des préjudices matériel et moral qu’il aurait subis à la suite desdites décisions.

 Antécédents du litige

2        Le 1er octobre 2019, le requérant a été engagé par la BEI en tant que médecin du travail sur la base d’un contrat à durée déterminée de quatre ans, assorti d’une période d’essai de six mois. Il a été classé en tant qu’« agent d’encadrement supérieur » (senior officer) dans la catégorie « personnel de conception » (executive staff) au grade de niveau 6, conformément à l’article 14 du règlement du personnel de la BEI. À l’époque des faits, le service de santé du travail, auquel le requérant a été rattaché en sa qualité de médecin du travail, faisait partie de l’unité « Santé, prévention et services sociaux », celle-ci appartenant à la division « Relations sociales et bien-être » relevant, quant à elle, du département « Stratégie et gouvernance des ressources humaines ».

3        Le 28 février 2020, la BEI a décidé de prolonger la durée de la période d’essai du requérant de trois mois.

4        Le 29 mai 2020, le requérant a été informé que, dans un rapport sur la période d’essai élaboré par A en qualité de cheffe de la division « Relations sociales et bien-être » et approuvé par B en qualité de directeur du département « Stratégie et gouvernance des ressources humaines », le niveau de ses prestations avait été considéré comme insuffisant et que la BEI envisageait de mettre un terme à son contrat à l’issue de la période d’essai. Le requérant a été invité à présenter ses observations à propos des évaluations contenues dans ledit rapport.

5        Le 6 juin 2020, le requérant a présenté ses observations critiques sur le rapport relatif à la période d’essai. Par lettre du 10 juin 2020, il a demandé à la BEI de réexaminer sa situation dans le cadre d’une procédure de conciliation.

6        Par décision du 12 juin 2020, signée par A et B, le requérant a été informé que son contrat serait résilié et qu’il prendrait fin le 30 juin 2020 (ci-après la « décision du 12 juin 2020 »).

7        Le 2 juillet 2020, C, le directeur du département « HR Operations », et D, le chef de la division « Salaires, pensions, assurance maladie et recrutement », ont confirmé au requérant que son contrat avait expiré le 30 juin 2020. Par lettre du même jour, le requérant a interrogé la BEI sur la compétence de A et de B pour signer la décision du 12 juin 2020.

8        La BEI a répondu aux lettres du requérant le 15 juillet et le 4 août 2020, en confirmant notamment la compétence de A et de B pour signer la décision du 12 juin 2020.

9        Dans ces conditions, le 11 août 2020, le requérant a introduit, à titre principal, une demande de conciliation et, à titre subsidiaire, une demande de réexamen dirigée contre la décision du 12 juin 2020.

10      Par décision du 8 février 2021, la BEI a rejeté la demande de conciliation et la demande de réexamen introduites par le requérant contre la décision du 12 juin 2020 (ci-après la « décision du 8 février 2021 »).

 Conclusions des parties

11      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision du 12 juin 2020 ;

–        pour autant que de besoin, annuler la décision du 8 février 2021 ;

–        condamner la BEI au paiement de dommages et intérêts en réparation des préjudices matériel et moral qu’il estime avoir subis ;

–        condamner la BEI aux dépens.

12      La BEI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

A.      Sur les conclusions en annulation

1.      Sur l’objet des conclusions en annulation

13      Il ressort d’une jurisprudence constante que les conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision de rejet d’une demande précontentieuse contestant un acte faisant grief ont pour effet de saisir le Tribunal de cet acte lorsqu’elles sont, en tant que telles, dépourvues de contenu autonome (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Teeäär/BCE, T‑547/18, EU:T:2020:119, point 24 et jurisprudence citée).

14      En l’espèce, bien que la décision du 8 février 2021 confirme la décision du 12 juin 2020 et, partant, ne modifie pas le dispositif de celle-ci, elle n’est pas pour autant totalement dépourvue de contenu autonome. En effet, tout en confirmant le bien-fondé de la décision du 12 juin 2020, la décision du 8 février 2021 rejette la demande formée par le requérant dans sa lettre du 11 août 2020, tendant à la mise en place d’une procédure de conciliation, prévue par l’article 41 du règlement du personnel de la BEI, dans sa version antérieure au 3 décembre 2019 (ci-après l’« ancienne version de l’article 41 du règlement du personnel »).

15      La décision du 8 février 2021 est donc dotée, en partie, d’un contenu autonome par rapport à la décision du 12 juin 2020.

16      Dans ces conditions, d’une part, il y a lieu de statuer sur les conclusions en annulation visant la décision du 12 juin 2020, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur celles dirigées contre la décision du 8 février 2021, pour la partie de celle-ci qui confirme la décision du 12 juin 2020 et ne présente pas, dans cette mesure, de contenu autonome. À cette occasion, il conviendra toutefois de prendre en considération la motivation figurant dans la décision du 8 février 2021, cette motivation étant censée coïncider avec celle de la décision du 12 juin 2020 (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Teeäär/BCE, T‑547/18, EU:T:2020:119, point 25 et jurisprudence citée).

17      D’autre part, il conviendra d’examiner, le cas échéant, les conclusions en annulation dirigées contre la décision du 8 février 2021, dans la mesure où celle-ci rejette la demande d’ouverture de la procédure de conciliation (voir, en ce sens, arrêt du 28 mai 2020, Cerafogli/BCE, T‑483/16 RENV, non publié, EU:T:2020:225, point 79).

2.      Sur le fond

18      À l’appui de ses conclusions en annulation, le requérant soulève quatre moyens, tirés :

–        le premier, de la violation de l’article 24 de la convention régissant la représentation du personnel de la BEI (ci-après la « convention régissant la représentation du personnel ») et du principe de sécurité juridique ;

–        le deuxième, de l’incompétence des auteurs de la décision du 12 juin 2020 et de la violation du principe d’impartialité, tel qu’il ressort de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

–        le troisième, de l’erreur manifeste d’appréciation entachant la décision du 12 juin 2020 ;

–        le quatrième, du détournement de pouvoir.

a)      Sur le premier moyen, tiré de la violation, d’une part, de l’article 24 de la convention régissant la représentation du personnel et, d’autre part, du principe de sécurité juridique

19      Le premier moyen est dirigé contre la décision du 8 février 2021 en ce que celle-ci revêt un contenu autonome, rejetant la demande d’ouverture de la procédure de conciliation (voir points 14 et 15 ci-dessus). Il s’articule autour de deux branches, la première étant tirée de la violation de l’article 24 de la convention régissant la représentation du personnel et, la seconde, de la violation du principe de sécurité juridique.

20      Sans soulever formellement une exception d’illégalité au titre de l’article 277 TFUE, le requérant fait valoir que l’article 41 du règlement du personnel de la BEI, dans sa version applicable à partir du 3 décembre 2019 (ci-après « la nouvelle version de l’article 41 du règlement du personnel »), est illégal.

21      À cet égard, il convient de rappeler qu’une exception d’illégalité peut être soulevée implicitement, dans la mesure où il ressort de manière relativement claire que la partie requérante formule en fait un tel grief (voir, en ce sens, arrêts du 6 juin 1996, Baiwir/Commission, T-262/94, EU:T:1996:75, point 37, et du 25 octobre 2006, Carius/Commission, T‑173/04, EU:T:2006:333, point 44).

22      En l’espèce, ainsi que l’a reconnu d’ailleurs la BEI dans son mémoire en défense, le requérant soulève à l’encontre des modifications apportées à l’article 41 du règlement du personnel une exception d’illégalité tirée, d’une part, de la violation de l’article 24 de la convention régissant la représentation du personnel et, d’autre part, du principe de sécurité juridique.

23      Dès lors, étant donné que le premier moyen porte sur la nouvelle version de l’article 41 du règlement du personnel, en tant qu’elle aurait été adoptée à la suite d’une procédure irrégulière et n’aurait précisé ni les conditions ni les motifs susceptibles de conduire à l’ouverture d’une procédure de conciliation, il doit être constaté que le requérant soulève une exception d’illégalité à l’égard de cette disposition.

24      À cet égard, il importe de rappeler que, en application de l’article 277 TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union européenne, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE pour invoquer devant la Cour de justice de l’Union européenne l’inapplicabilité de cet acte.

25      L’article 277 TFUE constitue l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester, par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’une décision qui lui est adressée, la validité des actes de portée générale qui forment la base d’une telle décision (voir arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 67 et jurisprudence citée).

26      L’article 277 TFUE n’ayant pas pour but de permettre à une partie de contester l’applicabilité de quelque acte de portée générale que ce soit à la faveur d’un recours quelconque, l’acte dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours (voir arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 68 et jurisprudence citée).

27      C’est ainsi que, à l’occasion des recours en annulation intentés contre des décisions individuelles, la Cour a admis que pouvaient valablement faire l’objet d’une exception d’illégalité les dispositions d’un acte de portée générale qui constituaient la base desdites décisions ou qui entretenaient un lien juridique direct avec de telles décisions (voir arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 69 et jurisprudence citée).

28      En revanche, la Cour a jugé qu’était irrecevable une exception d’illégalité dirigée contre un acte de portée générale dont la décision individuelle attaquée ne constituait pas une mesure d’application (voir arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 70 et jurisprudence citée).

29      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu de déterminer si, en l’espèce, il existe un lien juridique direct entre, d’une part, la décision du 8 février 2021 et, d’autre part, l’acte de portée générale en question.

30      À cet effet, il y a lieu de préciser que, à la différence de l’ancienne version de l’article 41 du règlement du personnel, attribuant à tout membre du personnel la possibilité de chercher une résolution amiable devant la commission de conciliation de la BEI, indépendamment de l’action introduite devant la Cour de justice de l’Union européenne, la nouvelle version de l’article 41 du règlement du personnel soumet la mise en œuvre de la procédure de conciliation à l’appréciation discrétionnaire du président de la BEI ou, le cas échéant, de son délégataire. Plus précisément, ledit article prévoit désormais la possibilité pour tout membre du personnel d’introduire auprès du président de la BEI une demande de réexamen à l’encontre d’un acte lui faisant grief. C’est à la suite de l’instruction d’une telle demande que le président de la BEI peut, si les circonstances concrètes du cas en question le justifient, proposer à la personne concernée un règlement à l’amiable.

31      Il ressort de la décision du 8 février 2021 que la demande du requérant d’ouvrir une procédure de conciliation a été rejetée au motif qu’elle avait été formulée sur le fondement de l’ancienne version de l’article 41 du règlement du personnel, alors que, selon la BEI, la modification de l’article 41 du règlement du personnel n’était pas entachée des illégalités invoquées par le requérant. Il en résulte que c’est en application de la nouvelle version de l’article 41 du règlement du personnel que la demande de conciliation a été rejetée.

32      Par conséquent, il existe un lien juridique direct entre l’acte de portée générale en question et la décision du 8 février 2021. En effet, conformément à une jurisprudence constante, l’existence d’un lien de connexité peut se déduire, notamment, du constat que l’acte attaqué repose essentiellement sur une disposition d’un acte dont la légalité est contestée (voir arrêt du 25 octobre 2018, KF/CSUE, T‑286/15, EU:T:2018:718, point 156 et jurisprudence citée).

1)      Sur la méconnaissance alléguée de l’obligation de consultation visée par l’article 24 de la convention régissant la représentation du personnel

33      Dans le cadre de la première branche du premier moyen, le requérant soutient que, en méconnaissant l’avis défavorable exprimé par la représentation du personnel et en s’abstenant de recueillir les observations de ladite représentation sur l’avis juridique externe sollicité à cette occasion par le comité de direction, le conseil d’administration de la BEI a adopté une modification de l’article 41 du règlement du personnel en violation de l’article 24 de la convention régissant la représentation du personnel.

34      La BEI conteste les arguments du requérant.

35      L’article 24, premier et troisième alinéas, de la convention régissant la représentation du personnel dispose ce qui suit :

« La représentation du personnel contribue à l’élaboration de la politique du personnel. Elle formule à son initiative des propositions et examine toute proposition formulée par l’administration à soumettre au comité de direction dans les domaines énumérés à l’annexe I […] La représentation du personnel se prononce sous forme d’avis motivé annexé à toute proposition soumise au comité de direction dans ces domaines. »

36      Aux termes de l’annexe I de la convention régissant la représentation du personnel, sont soumises à la procédure de consultation visée par l’article 24 de ladite convention les matières suivantes : rémunérations ; politique générale de la BEI en matière de structure des fonctions ; système d’appréciation et procédure d’appel ; politique générale de la BEI en matière de titres et carrières ; politique générale de la BEI en matière de formation professionnelle ; évaluation des postes ; dispositions administratives ; prévoyance ; mesures générales en matière de retraite anticipée.

37      Ainsi, dans la mesure où la modification de l’article 41 du règlement du personnel concernait la « procédure d’appel », ladite modification exigeait que l’avis de la représentation du personnel soit recueilli.

38      Il convient toutefois de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence que la consultation des représentants du personnel que la BEI est tenue d’organiser n’implique nullement que lesdits représentants ont un droit de codécision. En effet, le droit d’être consulté laisse intactes les prérogatives de décision de l’employeur. Il n’en demeure pas moins que cette consultation doit être de nature à pouvoir exercer une influence sur le contenu de l’acte adopté, ce qui implique qu’elle doit être engagée « en temps utile » et « de bonne foi » (arrêt du 6 mars 2001, Dunnett e.a./BEI, T‑192/99, EU:T:2001:72, points 89 et 90).

39      Il ressort de ce qui précède que l’obligation de recueillir l’avis motivé de la représentation du personnel n’implique pas l’obligation pour la BEI de se conformer audit avis. En d’autres termes, dans les domaines énumérés à l’annexe I de la convention régissant la représentation du personnel, le comité de direction est obligé de solliciter « en temps utile » et de prendre en considération « de bonne foi » l’avis de la représentation du personnel, sans être tenu de le suivre.

40      En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que le comité de direction a sollicité, en temps utile, la représentation du personnel en vue d’obtenir un avis portant sur la modification envisagée de l’article 41 du règlement du personnel. La représentation du personnel a présenté ses avis à trois reprises, à savoir les 5 juillet, 13 septembre et 22 octobre 2019.

41      Si la représentation du personnel s’est prononcée défavorablement au sujet de ladite modification, cette seule circonstance ne saurait vicier, comme cela ressort du point 39 ci-dessus, la légalité de la procédure aboutissant à la modification de l’article 41 du règlement du personnel.

42      En effet, il ressort de la réponse de la BEI à la demande de la représentation du personnel d’ouvrir, en ce qui concernait la réforme des articles 38 à 41 du règlement du personnel, une procédure de conciliation prévue aux articles 38 et 39 de la convention régissant la représentation du personnel que la position de la représentation du personnel a été prise en considération par la BEI « de bonne foi ».

43      À cet égard, premièrement, il convient d’observer que, dans sa réponse à la demande de conciliation, sans être contredite par le requérant à ce sujet, la BEI précise que, au stade de l’élaboration du projet de la réforme susvisée, le comité de direction a tenu plusieurs réunions avec la représentation du personnel (à savoir les 1er, 8 avril et 12 juin 2019) et que les observations de cette dernière ont été prises en considération dans le projet initial de la réforme en cause. Deuxièmement, l’avis de la représentation du personnel du 5 juillet 2019 a fait l’objet d’une discussion au cours de la réunion du comité de direction tenue le 28 août 2019. Troisièmement, tous les avis écrits de la représentation du personnel ont été annexés, conformément à l’article 34 de la convention régissant la représentation du personnel, au rapport préparé par le comité de direction à l’attention du conseil d’administration, compétent pour modifier le règlement du personnel. Quatrièmement, il n’est pas non plus contesté que la représentation du personnel a participé à trois réunions avec le comité de direction (à savoir les 1er, 8 avril et 12 juin 2019), au cours desquelles elle s’est prononcée sur la modification envisagée de l’article 41 du règlement du personnel.

44      En tout état de cause, la BEI a accepté la demande de la représentation du personnel relative à l’ouverture d’une procédure de conciliation prévue aux articles 38 et 39 de la convention régissant la représentation du personnel, en explicitant les raisons pour lesquelles elle avait décidé d’adopter la modification en cause malgré l’avis défavorable de la représentation du personnel, telles que le caractère obsolète, inefficace et coûteux de la procédure de conciliation ainsi que les problèmes rencontrés dans l’application de celle-ci.

45      En ce qui concerne l’absence de consultation sur l’avis juridique externe sollicité par le comité de direction, il ne ressort pas de l’article 24 de la convention régissant la représentation du personnel que celle-ci aurait dû s’exprimer sur chaque pièce recueillie dans le cadre de la procédure d’élaboration de la politique du personnel au cours de laquelle elle a été invitée à présenter son avis. En tout état de cause, la BEI relève dans la duplique, sans être contredite à cet égard par le requérant, que ledit avis externe ne portait que sur un point spécifique de la réforme, à savoir sur l’applicabilité des sanctions disciplinaires aux anciens agents de la BEI en raison de faits commis après la cessation de leurs fonctions. Partant, eu égard à son contenu, à supposer même qu’il aurait dû être soumis à la consultation, cet avis n’a pas eu d’incidence sur la modification de l’article 41 du règlement du personnel.

46      Compte tenu des observations ci-dessus, il y a lieu de constater que la procédure de consultation, telle que prévue par l’article 24 de la convention régissant la représentation du personnel, a été dûment respectée par le comité de direction.

47      Par conséquent, il convient de rejeter la première branche du premier moyen.

2)      Sur la violation alléguée du principe de sécurité juridique

48      Dans le cadre de la seconde branche du premier moyen, le requérant fait valoir que la nouvelle version de l’article 41 du règlement du personnel porte atteinte au principe de sécurité juridique, en ce que cet article n’expose pas dans quelles conditions et pour quels motifs le président de la BEI ou, le cas échéant, son délégataire peuvent ouvrir une procédure de conciliation. En tout état de cause, le requérant estime que, étant plus protectrice pour le personnel de la BEI, la procédure précontentieuse sous forme de conciliation devant un organe collégial aurait dû être privilégiée.

49      La BEI conteste les arguments du requérant.

50      Il convient de rappeler que le principe de sécurité juridique, qui constitue un principe général du droit de l’Union, vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques résultant du droit de l’Union et exige que tout acte de l’administration qui produit des effets juridiques soit clair et précis afin que les intéressés puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (voir arrêt du 3 juillet 2019, PT/BEI, T‑573/16, EU:T:2019:481, point 233 et jurisprudence citée).

51      Néanmoins, la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il recouvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. À cet égard, le principe de sécurité juridique ne s’oppose pas à ce que le droit de l’Union attribue un pouvoir d’appréciation à l’administration compétente ni à ce qu’il utilise des notions juridiques indéterminées qui doivent être interprétées et appliquées au cas d’espèce par ladite administration, sans préjudice du contrôle du juge de l’Union (voir arrêt du 14 juillet 2021, Arnautu/Parlement, T‑740/20, non publié, EU:T:2021:444, points 28 et 29 et jurisprudence citée).

52      Par ailleurs, il a déjà été jugé que le principe de sécurité juridique n’imposait pas à l’administration, en l’occurrence à la BEI, de restreindre le pouvoir d’appréciation qu’elle entendait exercer en matière de rémunération de son personnel par l’adoption de mesures d’exécution visant à définir comment elle entendait mettre en œuvre pour l’avenir ledit pouvoir d’appréciation. Plus particulièrement, le fait que la BEI utilise la marge qui lui est conférée par ledit pouvoir d’appréciation sans expliquer en détail et à l’avance les critères qu’elle envisage d’appliquer dans chaque situation concrète ne viole pas le principe de sécurité juridique (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 5 octobre 1988, Brother Industries/Conseil, 250/85, EU:C:1988:464, point 29 et du 24 septembre 2019, US/BCE, T-780/17, EU:T:2019:678, point 149).

53      Enfin, le principe de sécurité juridique ne saurait empêcher en soi la modification d’une règle juridique (arrêt du 4 mai 2016, Andres e.a./BCE, T‑129/14 P, EU:T:2016:267, point 35).

54      Eu égard aux observations ci-dessus, en premier lieu, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort du point 30 ci-dessus, à la différence de l’ancienne version de l’article 41 du règlement du personnel, attribuant à tout membre du personnel la possibilité de chercher une résolution amiable devant la commission de conciliation de la BEI, indépendamment de l’action introduite devant la Cour de justice de l’Union européenne, la nouvelle version de l’article 41 du règlement du personnel soumet la mise en œuvre de la procédure de conciliation à l’appréciation discrétionnaire du président de la BEI ou, le cas échéant, de son délégataire. Plus précisément, ledit article prévoit désormais la possibilité pour tout membre du personnel d’introduire auprès du président de la BEI une demande de réexamen à l’encontre d’un acte lui faisant grief. C’est à la suite de l’instruction d’une telle demande que le président de la BEI peut, si les circonstances concrètes du cas en question le justifient, proposer à la personne concernée un règlement à l’amiable.

55      En second lieu, il ressort de la jurisprudence citée au point 50 ci-dessus que le principe de sécurité juridique comporte deux composantes, l’une relative à la prévisibilité, l’autre à la lisibilité des règles juridiques édictées par les institutions et les organes de l’Union. Le moyen soulevé par le requérant met en cause cette première composante.

56      En effet, le requérant estime que le fait de confier uniquement au président de la BEI ou, le cas échéant, à son délégataire une compétence discrétionnaire pour proposer une procédure de conciliation est contraire à l’exigence de prévisibilité de la loi, dans la mesure où la nouvelle version de l’article 41 du règlement du personnel ne précise ni dans quelles conditions ni pour quels motifs la procédure de conciliation pourrait être déclenchée.

57      Toutefois, il découle de la jurisprudence constante citée ci-dessus que le principe de sécurité juridique ne s’oppose pas à ce que le règlement interne attribue au président de la BEI ou, le cas échéant, à son délégataire un pouvoir discrétionnaire dans la prise de décision concernant la situation individuelle des agents.

58      En outre, à supposer même que la procédure précontentieuse sous forme de conciliation soit, comme le fait valoir le requérant, plus protectrice pour les agents de la BEI, il ressort de la jurisprudence citée au point 53 ci-dessus que le principe de sécurité juridique ne s’oppose pas à la modification d’une règle juridique, même dans un sens qui serait désavantageux pour les agents. En tout état de cause, les fonctionnaires et les agents n’ont pas de droit au maintien du statut et des dispositions générales d’exécution tels qu’ils étaient en vigueur au moment de leur recrutement (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2010, Angé Serrano e.a./Parlement, C‑496/08 P, EU:C:2010:116, point 34).

59      Par conséquent, le requérant n’est pas fondé à soutenir que le principe de sécurité juridique s’opposait à ce que la BEI supprime la procédure précontentieuse sous forme de règlement à l’amiable devant un organe collégial, d’autant que, comme le soulève à juste titre la BEI, le requérant a bénéficié d’une procédure précontentieuse sous la forme d’une demande de réexamen lui permettant ainsi de revoir sa décision et de faire bénéficier celui-ci, le cas échéant, d’une résolution extrajudiciaire du différend.

60      Compte tenu des observations ci-dessus, il convient de rejeter la seconde branche du premier moyen comme non-fondée et, par conséquent, de rejeter le premier moyen dans son intégralité.

61      Compte tenu du fait que le premier moyen constitue le seul moyen dirigé contre la décision du 8 février 2021, en tant qu’elle revêt un contenu autonome, il y a lieu de rejeter les conclusions en annulation en ce qu’elles sont dirigées contre la décision du 8 février 2021.

b)      Sur le deuxième moyen, tiré de l’incompétence des auteurs de la décision du 12 juin 2020 et de la violation du principe d’impartialité

62      Le deuxième moyen s’articule autour de deux branches, la première étant tirée de l’incompétence des auteurs de la décision du 12 juin 2020, la seconde de la violation du principe d’impartialité.

63      En ce qui concerne la première branche, le requérant soutient que, conformément aux « règles relatives à la subdélégation des pouvoirs » de 2018, la décision du 12 juin 2020 aurait dû être signée par le directeur du département « Personnel S&D » et le chef de la « division responsable ». Étant donné que B agissait en qualité de directeur du département « Stratégie et gouvernance des ressources humaines » et non en qualité de directeur du département « Personnel S&D », ladite décision aurait été prise en méconnaissance des règles de compétence.

64      La BEI soutient, d’une part, que les « règles relatives à la subdélégation des pouvoirs » datant de 2018 ne sont plus en vigueur et, d’autre part, que la première branche du deuxième moyen est manifestement non fondée, dans la mesure où la lettre du 2 juillet 2020 a été signée, conformément aux « règles relatives à la subdélégation des pouvoirs » applicables à partir du 17 septembre 2019 (ci-après les « règles relatives à la subdélégation des pouvoirs de 2019 »), par le directeur du département « HR Operations » et par le chef de la division « Salaires, pensions, assurance maladie et recrutement ».

65      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’importance des règles de compétence se traduit par le fait que le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur d’un acte faisant grief est un moyen d’ordre public qu’il appartient, le cas échéant, au Tribunal de relever d’office (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2021, AH/Eurofound, T‑52/19, EU:T:2021:537, point 49 et jurisprudence citée).

66      En premier lieu, il ressort de l’article 5 de l’annexe IX des « Dispositions administratives applicables au personnel de la [BEI] du 21 janvier 2020 » énonçant les « Règles et procédures régissant la période d’essai » (ci-après l’« annexe IX ») qu’il appartient au responsable hiérarchique de l’intéressé d’évaluer le niveau de ses prestations et que « la fiche de période d’essai » est « validée par au moins deux responsables hiérarchiques de niveau supérieur au sein de la direction de l’intéressé ou au moins un responsable hiérarchique de niveau supérieur au sein de la direction de l’intéressé et un cadre de la direction du personnel ».

67      En deuxième lieu, l’article 7 de l’annexe IX dispose ce qui suit :

« Lorsqu’une période d’essai s’avère insatisfaisante, l’intéressé doit être avisé par écrit de la décision de la [BEI] de résilier le contrat au moins 30 jours calendaires avant la fin de la période d’essai et il doit être invité à soumettre ses commentaires dans les 10 jours calendaires suivant cette notification écrite. La [BEI] doit ensuite informer l’intéressé de sa décision finale par une communication écrite envoyée à l’adresse privée de l’agent dans un délai d’une semaine à compter de la date butoir fixée à l’agent pour soumettre ses commentaires. »

68      En troisième lieu, aux termes de l’article 8 de l’annexe IX, « [l]e directeur général du personnel est responsable de toutes les décisions prises en matière […] de non-confirmation de la période d’essai ».

69      Dans la décision du 8 février 2021, la BEI explique que, conformément aux dispositions susmentionnées, les responsables hiérarchiques du requérant, en l’occurrence A, en sa qualité de cheffe de la division « Relations sociales et bien-être », et B, en sa qualité de directeur du département « Stratégie et gouvernance des ressources humaines », ont validé le rapport sur la période d’essai, dressé par A, et, sur la base de ce rapport, ont informé le requérant que la BEI envisageait de mettre un terme à son contrat. Dans un second temps, à la suite d’un examen détaillé des observations du requérant portant sur les appréciations figurant dans ledit rapport, les mêmes responsables hiérarchiques l’ont informé que la décision envisagée avait été maintenue. Par la décision du 12 juin 2020, la BEI a ainsi décidé de résilier le contrat du requérant à l’issue de la période d’essai.

70      En outre, toujours selon les explications de la BEI figurant dans la décision du 8 février 2021, la décision du 12 juin 2020 a été « confirmée » par la lettre du 2 juillet 2020 signée, conformément aux règles relatives à la subdélégation des pouvoirs de 2019, par C en qualité de directeur du département « HR Operations » et par D en qualité de chef de la division « Salaires, pensions, assurance maladie et recrutement ».

71      Dans leurs réponses aux mesures d’organisation de la procédure, d’une part, les parties s’accordent sur le fait que la décision de mettre un terme au contrat du requérant à l’issue de la période d’essai a été prise le 12 juin 2020. D’autre part, en ce qui concerne la valeur juridique de la lettre du 2 juillet 2020, il est également constant entre les parties que ladite lettre constituait une « formalité », permettant la confirmation et l’« officialisation ex tunc » de la décision du 12 juin 2020, qu’elle n’avait pas remplacée.

72      En l’espèce, premièrement, le Tribunal constate que c’est par la décision du 12 juin 2020 que la BEI a décidé de mettre fin au contrat du requérant à l’issue de la période d’essai. Deuxièmement, ladite décision a été signée par la cheffe de la division « Relations sociales et bien-être » et par le directeur du département « Stratégie et gouvernance des ressources humaines ». Troisièmement, en tant qu’« agent d’encadrement supérieur », le requérant appartenait à la catégorie du « personnel de conception » englobant, conformément à l’article 14 du règlement du personnel de la BEI, les fonctions D, E et F et a été classé au grade de niveau 6. Quatrièmement, conformément à la quatrième colonne figurant sur la page 7 des règles relatives à la subdélégation des pouvoirs de 2019, la décision portant résiliation du contrat à l’issue de la période d’essai du personnel classé dans les fonctions C à I, grade 7 à 1, doit être signée par le directeur du département « HR Operations » et le chef de la « division responsable ». Cinquièmement, compte tenu des explications de la BEI apportées dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, le chef de la « division responsable » était, en l’espèce, le chef de la division « Salaires, pensions, assurance maladie et recrutement ».

73      Compte tenu de ce qui précède, il convient de constater que, dans la mesure où la décision du 12 juin 2020 a été prise par le directeur du département « Stratégie et gouvernance des ressources humaines » et par la cheffe de la division « Relations sociales et bien-être » et non par le directeur du département « HR Operations » et le chef de la division « Salaires, pensions, assurance maladie et recrutement », ladite décision a été prise en violation des règles relatives à la subdélégation des pouvoirs de 2019.

74      Partant, la décision du 12 juin 2020 est entachée d’un vice d’incompétence.

75      Il ressort, certes, de la jurisprudence que les décisions portant détermination de la répartition des pouvoirs dévolus à l’autorité investie du pouvoir de nomination constituent des règles d’organisation interne de l’institution (voir arrêt du 7 février 2007, Caló/Commission, T‑118/04 et T‑134/04, EU:T:2007:37, point 67 et jurisprudence citée). Toutefois, même à considérer pertinente la jurisprudence selon laquelle une décision prise par une autorité incompétente en raison du non-respect de telles règles de répartition des pouvoirs ne peut être annulée que si le non-respect desdites règles risquait de porter atteinte à l’une des garanties accordées aux fonctionnaires par le statut ou aux règles d’une bonne administration en matière de gestion du personnel (arrêts du 30 mai 1973, Drescig/Commission, 49/72, EU:C:1973:58, point 13, et du 7 février 2007, Caló/Commission, T‑118/04 et T‑134/04, EU:T:2007:37, point 68), il y a lieu de constater que le non-respect des règles relatives à la subdélégation des pouvoirs de 2019 a, en l’espèce, porté atteinte à l’une des garanties accordées au requérant.

76      En effet, le fait que la décision du 12 juin 2020 soit adoptée par les responsables hiérarchiques du requérant, lesquels avaient établi le rapport sur la période d’essai, était susceptible de créer pour le requérant une situation présentant moins de garanties que celle dans laquelle il se serait trouvé si cette décision avait été prise soit, en vertu de l’article 8 de l’annexe IX, par le directeur général du personnel (voir point 68 ci-dessus), soit par les personnes auxquelles la compétence pour prendre une décision de mettre un terme à son contrat à l’issue de la période d’essai avait été sous-déléguée conformément aux règles relatives à la subdélégation des pouvoirs de 2019 (voir point 72 ci-dessus).

77      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d’accueillir la première branche du deuxième moyen et, partant, les conclusions en annulation en ce qu’elles sont dirigées contre la décision du 12 juin 2020, sans qu’il soit besoin d’examiner la seconde branche du deuxième moyen ni les autres moyens invoqués au soutien des conclusions en annulation de la décision du 12 juin 2020.

B.      Sur les conclusions en indemnité

78      En premier lieu, le requérant soutient que la décision du 12 juin 2020 lui a causé un préjudice matériel et demande la réparation de celui-ci par le versement de dommages et intérêts s’élevant à 203 599,41 euros. En second lieu, le requérant demande la réparation du préjudice moral trouvant son fondement dans le même fait générateur et demande à ce titre que le Tribunal condamne la BEI au paiement d’un montant provisoire de 20 000 euros.

79      La BEI conteste les arguments du requérant.

80      Conformément à une jurisprudence constante dans le domaine de la fonction publique, l’engagement de la responsabilité de l’Union est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution concernée, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué. Ces trois conditions sont cumulatives, ce qui implique que, dès lors que l’une d’elles n’est pas remplie, la responsabilité de l’Union ne peut être retenue (voir arrêt du 20 octobre 2021, Kerstens/Commission, T‑220/20, EU:T:2021:716, point 53 et jurisprudence citée).

81      La première branche du deuxième moyen ayant été accueillie, la décision du 12 juin 2020 est illégale. La première condition d’engagement de la responsabilité de la BEI, à savoir l’illégalité du comportement reproché, est donc établie.

82      S’agissant des deux autres conditions, à savoir la réalité du dommage et le lien de causalité, il convient de distinguer entre le préjudice matériel et le préjudice moral.

1.      Sur les conclusions tendant à ce que la BEI soit condamnée à réparer le préjudice matériel subi

83      En conséquence de l’annulation de la décision du 12 juin 2020, le requérant demande l’octroi de dommages et intérêts en réparation des préjudices matériels subis.

84      Le premier préjudice matériel invoqué par le requérant correspond à la différence entre, d’une part, le montant de la rémunération qu’il aurait pu percevoir pour la période comprise entre le 1er juillet 2020 et le 30 septembre 2023 et, d’autre part, le montant de la rémunération qu’il perçoit depuis le 1er octobre 2020 en tant que chef du service de santé au travail du Centre hospitalier universitaire de Martinique (France). Cette différence s’élèverait à 123 106,62 euros. Le requérant invoque ensuite une perte de chance évaluée à 50 %, correspondant selon lui à la probabilité que son contrat à durée déterminée de quatre ans se transforme en contrat à durée indéterminé jusqu’à sa retraite. Le dommage correspondant s’élève selon le requérant à 80 492,79 euros.

85      Il convient de rappeler que l’annulation d’un acte par le juge de l’Union a pour effet d’éliminer rétroactivement cet acte de l’ordre juridique et que, lorsque l’acte annulé a déjà été exécuté, l’anéantissement de ses effets impose de rétablir la situation juridique dans laquelle la partie requérante se trouvait antérieurement à l’adoption de cet acte (voir arrêt du 5 février 2016, GV/SEAE, F‑137/14, EU:F:2016:14, point 90). En outre, conformément à l’article 266 TFUE, il incombe à l’institution dont émane l’acte annulé « de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt » dont elle est destinataire.

86      L’article 266 TFUE impose également à l’institution concernée d’éviter que tout acte destiné à remplacer l’acte annulé soit entaché des mêmes irrégularités que celles identifiées dans l’arrêt d’annulation (voir arrêt du 13 septembre 2005, Recalde Langarica/Commission, T‑283/03, EU:T:2005:315, point 51 et jurisprudence citée).

87      Enfin, lorsque l’exécution de l’arrêt d’annulation présente des difficultés particulières, l’institution concernée peut prendre toute décision qui soit de nature à compenser équitablement le désavantage résultant pour la personne concernée de la décision annulée et peut, dans ce contexte, établir un dialogue avec elle en vue de chercher à parvenir à un accord lui offrant une compensation équitable de l’illégalité dont elle a été victime (voir arrêt du 24 juin 2008, Andres e.a./BCE, F‑15/05, EU:F:2008:81, point 132 et jurisprudence citée).

88      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le Tribunal n’est pas à même d’allouer une indemnité au requérant sans connaître les mesures prises par la BEI en exécution du présent arrêt (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 25 octobre 2018, KF/CSUE, T‑286/15, EU:T:2018:718, point 254 et jurisprudence citée). Dans ces circonstances, il ne peut être fait droit aux conclusions indemnitaires en réparation du préjudice matériel qu’aurait subi le requérant, ces dernières étant prématurées (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2018, KF/CSUE, T‑286/15, EU:T:2018:718, point 250).

2.      Sur les conclusions tendant  à ce que la BEI soit condamnée à réparer le préjudice moral

89      S’agissant de la réparation du préjudice moral, le juge de l’Union a précisé que l’annulation d’un acte entaché d’illégalité pouvait constituer en elle-même une réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte pouvait avoir causé, à moins que la partie requérante ne démontre avoir subi un préjudice moral insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir, en ce sens, ordonnance du 3 septembre 2019, FV/Conseil, C‑188/19 P, non publiée, EU:C:2019:690, point 26, et arrêt du 28 avril 2021, Correia/CESE, T‑843/19, EU:T:2021:221, point 86).

90      En l’espèce, le requérant attribue les conséquences sur sa santé, telles que le stress et l’angoisse, à la décision de mettre un terme à son contrat à l’issue de la période d’essai. Dès lors, le Tribunal estime que tout préjudice moral que le requérant pourrait avoir subi sera réparé de manière adéquate et suffisante par l’annulation de la décision du 12 juin 2020.

91      Partant, les conclusions indemnitaires doivent être rejetées.

92      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être accueilli en ce qu’il tend à l’annulation de la décision du 12 juin 2020 et rejeté pour le surplus.

 Sur les dépens

93      Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

94      En l’espèce, au vu des circonstances de l’affaire, il y a lieu de décider que la BEI, outre ses dépens, supportera la moitié des dépens du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :


1)      La décision de la Banque européenne d’investissement (BEI) du 12 juin 2020 de résilier le contrat de M. Philippe Casanova à l’issue de la période d’essai est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La BEI supportera, outre ses propres dépens, la moitié des dépens de M. Casanova.

4)      M. Casanova supportera la moitié de ses propres dépens.

Gervasoni

Madise

Frendo

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 septembre 2022.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.