Language of document : ECLI:EU:T:2011:299

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (première chambre)

22 juin 2011 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Marchés publics de services – Rejet de l’offre d’un soumissionnaire – Annulation de la décision par un arrêt du Tribunal – Prescription – Délais de distance – Recours en partie irrecevable et en partie manifestement dépourvu de tout fondement en droit »

Dans l’affaire T‑409/09,

Evropaïki Dynamiki – Proigmena Systimata Tilepikoinonion Pliroforikis kai Tilematikis AE, établie à Athènes (Grèce), représentée par Mes N. Korogiannakis et M. Dermitzakis, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. M. Wilderspin et E. Manhaeve, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours en indemnité visant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi par la requérante à la suite de la décision de la Commission du 15 septembre 2004 rejetant son offre et attribuant le marché à un autre soumissionnaire, dans le cadre de la procédure d’appel d’offres concernant la prestation de services informatiques et les fournitures connexes liées aux systèmes d’information de la direction générale « Pêche »,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. J. Azizi, président, Mme E. Cremona (rapporteur) et M. S. Frimodt Nielsen, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige et procédure

1        La requérante, Evropaïki Dynamiki – Proigmena Systimata Tilepikoinonion Pliroforikis kai Tilematikis AE, a soumissionné, le 19 mai 2004, à l’appel d’offres FISH/2004/02, concernant la prestation de services informatiques et les fournitures connexes liées aux systèmes d’information de la direction générale (DG) « Pêche » de la Commission des Communautés européennes (ci‑après le « premier marché »), publié au Supplément au Journal officiel de l’Union européenne le 14 avril 2004 (JO S 73, p. 61407).

2        Par lettre du 15 septembre 2004, reçue par la requérante le même jour, la DG « Pêche » a informé cette dernière que son offre n’avait pas été retenue, en précisant que les motifs de ce rejet avaient trait à la composition et à la stabilité de l’équipe, aux procédures proposées pour le transfert des connaissances en fin de projet, ainsi qu’au fait que l’offre ne présentait pas le meilleur rapport qualité-prix. Elle indiquait également que la requérante pouvait demander par écrit des informations additionnelles sur les motifs du rejet de son offre.

3        Le 16 septembre 2004, la requérante, tout en exprimant ses objections quant aux motifs de rejet de son offre, a demandé à la DG « Pêche » de lui communiquer le nom du soumissionnaire retenu, les résultats attribués à son offre technique et à celle du soumissionnaire retenu pour chaque critère d’évaluation, une copie du rapport du comité d’évaluation ainsi que la comparaison entre son offre financière et celle du soumissionnaire retenu.

4        Par lettre du 22 octobre 2004, la DG « Pêche » a répondu à la requérante que tous les soumissionnaires ayant demandé des informations complémentaires sur le rejet de leur offre avaient reçu simultanément ces informations par une lettre, jointe en annexe, datée du 18 octobre 2004. Dans cette lettre, la DG « Pêche » fournissait quelques informations additionnelles concernant l’évaluation de l’offre de la requérante, en indiquant également le nom de l’attributaire et le fait que l’offre de ce dernier avait été retenue, car elle était économiquement la plus avantageuse. Elle a communiqué, enfin, les notes obtenues par l’offre de la requérante et celle du soumissionnaire retenu pour chacun des critères techniques d’évaluation, ainsi que le résultat de l’évaluation financière, sous forme de tableaux.

5        Par requête déposée le 25 novembre 2004 et enregistrée sous la référence T‑465/04, la requérante a introduit un recours devant le Tribunal, tendant à l’annulation de la lettre de la DG « Pêche » du 15 septembre 2004 susvisée.

6        Par arrêt du 10 septembre 2008, Evropaïki Dynamiki/Commission (T‑465/04, non publié au Recueil), le Tribunal a annulé la décision de la Commission de rejeter l’offre soumise par la requérante et d’attribuer le premier marché au soumissionnaire.

7        Dans des lettres du 7 octobre 2008 et du 5 mars 2009, adressées directement au président de la Commission, la requérante, en se plaignant de l’action de la Commission à son égard, a, en substance, invité cette dernière à réexaminer l’ensemble du contentieux existant, tout en se déclarant disposée à retirer tous les recours pendants relatifs à l’attribution de marchés publics par la Commission.

8        Le 25 septembre 2009, la requérante a introduit le présent recours par télécopieur. Les colis contenant l’original signé de la requête, ainsi que ses copies et ses annexes, ont été expédiés le 3 octobre 2009, par l’intermédiaire d’un service de messagerie.

9        Le 5 octobre 2009, le greffe du Tribunal, ayant reçu un colis ne contenant que des copies de la requête, a averti le conseil de la requérante que le colis contenant l’original n’était pas encore parvenu. Une copie des documents manquants et un nouvel original signé de la requête ont été, dès lors, déposés au greffe le même jour.

10      Le 16 novembre 2009, le greffe du Tribunal a informé la requérante que le nouvel original de la requête, déposé le 5 octobre 2009, différait de la copie de celle‑ci parvenue par télécopieur le 25 septembre 2009. Ainsi, en vertu de l’article 43, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal, c’est la date du 5 octobre 2009, et non celle du 25 septembre 2009, qui a été retenue comme date d’introduction du recours. 

11      Par lettre datée du 19 novembre 2009 et envoyée le lendemain par télécopieur au greffe du Tribunal, la requérante, tout en accusant réception de la lettre du greffe du 16 novembre 2009, exposait les raisons pour lesquelles l’original de la requête n’était pas parvenu dans les délais et demandait au Tribunal de reconnaître l’existence en l’espèce d’un cas de force majeure et, par conséquent, de revenir sur sa décision de retenir la date du 5 octobre 2009 comme date d’introduction du recours.

12      Le 26 novembre 2009, la requérante a envoyé une lettre par télécopieur au greffe du Tribunal dans laquelle elle expliquait les circonstances de la perte du colis par la société à laquelle avait été confié le service de messagerie et demandait à nouveau que la date de dépôt de l’original de la requête soit considérée comme étant le 25 septembre 2009.

13      Le 3 décembre 2009, la requérante a été informée par la société de messagerie à laquelle elle avait eu recours que le colis manquant n’avait pas été retrouvé.

14      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 29 janvier 2010, la Commission a, au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, soulevé une exception d’irrecevabilité en ce que la demande d’indemnisation serait prescrite.

15      La requérante a déposé ses observations sur l’exception d’irrecevabilité le 14 avril 2010.

16      À titre de mesure d’organisation de la procédure, le Tribunal a, par lettre du 2 juillet 2010, posé une question écrite aux parties concernant l’applicabilité à la présente espèce de l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, relatif à l’augmentation des délais de procédure d’un délai de distance forfaitaire de dix jours. Les parties ont répondu dans les délais impartis.

 Conclusions des parties

17      Dans la requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner la Commission à lui verser la somme de 2 millions d’euros, correspondant au profit brut qu’elle aurait pu tirer du premier marché si celui-ci lui avait été attribué (50 % de la valeur du marché) ;

–        condamner la Commission à lui verser la somme de 100 000 euros, correspondant au préjudice subi en raison de la perte de l’opportunité d’exécuter le marché ;

–        condamner la Commission aux dépens.

18      Dans l’exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

19      Dans les observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter l’exception d’irrecevabilité.

 En droit

20      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal.

21      En outre, aux termes de l’article 111 du règlement de procédure, lorsque le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître d’un recours ou lorsque celui‑ci est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

22      En l’espèce, le Tribunal estime qu’il est suffisamment éclairé par l’examen des pièces du dossier et qu’il n’y pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

 Arguments des parties

23      La Commission soulève une exception d’irrecevabilité du recours au motif que l’action sur laquelle il se fonde est prescrite, en ce qu’elle a été introduite après l’expiration du délai de prescription quinquennal fixé en matière de responsabilité non contractuelle de la Communauté européenne par l’article 46 du statut de la Cour de justice.

24      Ce délai aurait commencé à courir à partir du moment où le préjudice allégué s’est effectivement réalisé.

25      La Commission rappelle que, en l’espèce, la requérante réclame la réparation du préjudice prétendument subi du fait que le premier marché ne lui a pas été attribué et, à titre subsidiaire, également un dédommagement pour « perte de chance ».

26      Selon la Commission, le prétendu dommage ayant donné lieu à la demande principale et à la demande subsidiaire, s’est produit au moment où la décision de rejeter l’offre de la requérante a été prise, dès lors que c’est à ce moment que la requérante n’a plus été en mesure de se voir attribuer le premier marché. Le dommage se serait donc produit à la date à laquelle la Commission a informé la requérante que son offre n’avait pas été retenue, à savoir le 15 septembre 2004. Ce serait à compter de ce jour-là, ainsi que le reconnaîtrait implicitement la requérante dans sa lettre datée du 19 novembre 2009 adressée au greffe du Tribunal, que le délai de prescription aurait commencé à courir. Le recours introduit le 5 octobre 2009 serait dès lors prescrit.

27      Cette conclusion est confirmée, d’après la Commission, par l’ordonnance du Tribunal du 14 septembre 2005, Ehcon/Commission (T‑140/04, Rec. p. II‑3287). Selon le point 43 de cette ordonnance, le dommage résultant de la non-obtention du marché faisant l’objet de l’appel d’offres et celui découlant de la perte de chance d’obtenir ce marché se concrétisent au jour du rejet, par la Commission, de l’offre du soumissionnaire évincé. Ce rejet constitue donc le fait donnant lieu à l’action en responsabilité non contractuelle, au sens de l’article 46, première phrase, du statut de la Cour.

28      La Commission fait également observer que le Tribunal, après avoir constaté que le délai de prescription commençait à courir au jour du rejet de l’offre par la Commission, a jugé, au point 46 de l’ordonnance Ehcon/Commission, point 27 supra, que, en l’espèce, ladite période avait commencé, au plus tard, à la date à laquelle la requérante avait reçu une deuxième communication de la Commission l’informant des motifs du rejet de son offre.

29      Selon elle, on ne saurait inférer du point 46 de l’ordonnance Ehcon/Commission, point 27 supra, que le Tribunal aurait admis que la date à laquelle le délai de prescription avait commencé à courir était celle du jour de la réception par le soumissionnaire de la lettre dans laquelle elle expliquait à celui-ci les motifs du rejet de son offre. En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à cette ordonnance, le recours étant de toute façon forclos, la connaissance de la date exacte du point de départ du délai de prescription importait peu. Par ailleurs, une telle conclusion serait contraire au libellé du point 43 de la même ordonnance, exposé ci-dessus.

30      Enfin, cette conclusion ne serait pas conforme à la ratio legis de la prescription ayant pour finalité, comme l’a rappelé la Cour dans son ordonnance du 18 juillet 2002, Autosalone Ispra dei Fratelli Rossi/Commission (C‑136/01 P, Rec. p. I‑6565, point 28), de concilier la protection des droits de la personne lésée et le principe de sécurité juridique. La Commission rappelle la jurisprudence selon laquelle la connaissance précise des faits ne figure pas parmi les conditions qui doivent être remplies pour que le délai de prescription commence à courir. Elle en déduit, dans le cas d’espèce, qu’il n’était pas nécessaire, pour que le délai de prescription commence à courir, que la requérante ait été en possession des motifs détaillés du rejet de son offre. En effet, un délai de prescription relativement long serait accordé précisément pour que la requérante ait le temps de recueillir ces informations au cours de cette période.

31      La Commission estime donc que l’action en responsabilité non contractuelle aurait dû être introduite au 25 septembre 2009 au plus tard, à savoir cinq ans après le rejet de l’offre de la requérante et compte tenu du délai forfaitaire de distance de dix jours.

32      La Commission rejette enfin l’argumentation de la requérante tirée de l’existence, en l’espèce, d’un cas de force majeure. À cet égard, elle fait observer que, conformément à la jurisprudence, la notion de force majeure contient un élément objectif et un élément subjectif. Le premier concerne des circonstances anormales et étrangères à l’intéressé, tandis que le second tient à l’obligation, pour l’intéressé, de se prémunir contre les conséquences de l’évènement anormal, en prenant des mesures appropriées sans consentir de sacrifices excessifs. En particulier, par un arrêt du 28 janvier 2009, Centro Studi Manieri/Conseil (T‑125/06, Rec. p. II‑69, point 28), le Tribunal a jugé que l’intéressé devrait surveiller soigneusement le déroulement de la procédure et, notamment, faire preuve de diligence afin de respecter les délais prévus.

33      S’agissant du premier élément, la Commission estime que la remise tardive d’un colis est un événement inhabituel, mais pas imprévisible. À supposer que l’absence de livraison d’un des deux colis expédiés par la requérante constitue tout de même un événement anormal, la Commission considère néanmoins que la requérante n’a pas fait preuve de la diligence requise, dès lors qu’elle aurait choisi d’attendre non seulement l’expiration du délai de prescription de cinq ans, mais aussi la veille de l’expiration du délai supplémentaire de distance, pour transmettre la télécopie de la requête au Tribunal. Ensuite, la requérante aurait attendu une semaine ouvrable entière avant de remettre, au dernier moment, les documents à la société de courrier, le 3 octobre 2009, sachant que tout retard de livraison se traduirait par le non-respect du délai. Elle aurait donc accepté ce risque en toute connaissance de cause.

34      Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante conteste la détermination du point de départ du délai de prescription faite par la Commission. En particulier, elle rejette la thèse de cette dernière selon laquelle le délai de prescription commencerait à courir le 15 septembre 2004, date à laquelle elle a été informée que son offre n’avait pas été retenue. À cet égard, elle invoque les points 44, 45 et 48 de l’ordonnance Ehcon/Commission, point 27 supra, qui seraient en contradiction avec le point 43 sur lequel s’appuie la Commission. Il résulterait de ces points que les conditions permettant à la requérante de faire valoir ses droits à réparation ne sont réunies que lorsque celle-ci a pris connaissance des motifs de la décision de la Commission et non à la date à laquelle elle a simplement été informée du résultat de la procédure d’adjudication. Or, en l’espèce, la requérante n’aurait pas pris connaissance de ces motifs avant le 20 ou le 23 octobre 2004.

35      La requérante fait également valoir que le contrat en l’espèce est un « contrat‑cadre » et que, par conséquent, aucun dommage ne se produit et aucun préjudice n’est certain avant la signature d’un « contrat spécifique ». Il en résulterait que le délai de prescription ne commencerait à courir qu’à partir du moment où un « contrat spécifique » serait effectivement signé entre la Commission et le soumissionnaire retenu.

36      Selon la requérante, l’action en responsabilité non contractuelle était, par conséquent, prescrite au plus tôt le 3 novembre 2009, à savoir cinq ans et dix jours, compte tenu du délai de distance, après la prise de connaissance des motivations du rejet de son offre par la Commission.

37      La requérante réfute, en outre, l’argument que la Commission tire de l’ordonnance Autosalone Ispra dei Fratelli Rossi/Commission, point 30 supra, dès lors que les faits de l’affaire ayant donné lieu à cette ordonnance sont trop éloignés de l’espèce pour pouvoir être pertinemment utilisés. Selon elle, dans des affaires en matière de marchés publics, tant que le soumissionnaire évincé ne connaît pas la motivation exacte du rejet de son offre, il n’est pas en position d’évaluer si l’acte est illégal ou pas, donc s’il existe un dommage ou pas, première condition à l’introduction d’une action en responsabilité non contractuelle contre la Communauté. Dès lors, la requérante estime, en s’appuyant sur le point 45 de l’ordonnance Ehcon/Commission, point 27 supra, que la communication de la motivation de la décision est la condition sine qua non pour que la personne concernée soit en position d’apprécier la légalité de la procédure.

38      De plus, elle souligne que, à la suite de sa demande, la Commission a tardé plus d’un mois avant de lui fournir les motifs de la décision de rejet de son offre et que la Commission essayerait maintenant d’inclure cette période d’inaction dans le délai de prescription pour l’introduction d’une action en responsabilité non contractuelle.

39      Finalement, dans le cas d’espèce, la décision du Tribunal, dans son arrêt Evropaïki Dynamiki/Commission, point 6 supra, d’annuler la décision de la Commission de ne pas attribuer le premier marché à la requérante serait fondée tout particulièrement sur l’insuffisance de motivation de cette décision. Par conséquent, ce ne serait qu’à la date du prononcé dudit arrêt, le 10 septembre 2008, que la requérante aurait reçu l’explication du rejet de son offre.

40      La requérante conteste également l’argument que la Commission tire de sa lettre datée du 19 novembre 2009, à savoir que celle‑ci équivaudrait à une acceptation implicite du départ du délai de prescription le 15 septembre 2004. Cette lettre aurait été écrite, par mesure de précaution, en vertu de l’article 43, paragraphe 6, du règlement de procédure, afin d’anticiper les arguments de la Commission et ne saurait en aucun cas être interprétée comme étant une acceptation du 15 septembre 2004 comme point de départ du délai de prescription.

41      S’agissant de la question de la date du dépôt de l’original de la requête retenue par le Tribunal, la requérante fait tout d’abord valoir que, mis à part la signature, qui a dû être réapposée par son conseil sur la version de la requête réimprimée à la suite de la perte de l’original envoyé par courrier, il n’y a aucune différence entre la version envoyée par télécopieur le 25 septembre 2009 et l’original déposé au greffe le 5 octobre 2009. Une éventuelle différence de signature ne constituerait pas une violation de l’article 43, paragraphe 6, du règlement de procédure.

42      La requérante conteste, ensuite, les arguments de la Commission concernant l’inapplicabilité en l’espèce de la force majeure. Elle souligne que toutes les opérations nécessaires à l’introduction du recours ont été réalisées dans les délais. En tout cas, selon elle, si une livraison tardive d’un colis représente un risque considérable, il ne peut en être autant de la perte de celui‑ci, d’autant plus que ledit colis a été expédié aux bons soins d’une société appartenant à la Deutsche Post.

43      La requérante conteste ainsi les principes jurisprudentiels évoqués par la Commission et rappelle qu’en l’espèce, après avoir transmis une télécopie de la requête dans les délais, elle a pris soin de vérifier sur le site Internet de la société de courrier que le colis contenant l’original et les annexes avait bien été délivré dans le délai, à savoir le 5 octobre 2009. Ce n’est que l’après-midi du même jour que la requérante aurait été informée par le greffe que l’original n’était pas parvenu. À partir de ce moment-là, la société de courrier aurait été contactée immédiatement et, une fois réalisé que le colis ne serait pas retrouvé à temps, une nouvelle copie de la requête a été imprimée et délivrée au greffe le 5 octobre 2009 au soir.

44      Ainsi, en prenant les mesures appropriées pour assurer l’introduction du recours dans les délais, la requérante aurait fait preuve de diligence et n’aurait pas pu prévoir ou, en tout cas, éviter la perte du document original.

45      Finalement, la requérante réclame que le cas d’espèce soit considéré de manière ad hoc, en fonction du caractère à la fois nouveau et irréversible de la perte d’un document original par une société de courrier.

 Appréciation du Tribunal

46      En vertu de l’article 46 du statut de la Cour, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, dudit statut, les actions contre la Communauté en matière de responsabilité non contractuelle se prescrivent par cinq ans à compter de la survenance du fait qui y donne lieu. La prescription est interrompue soit par la requête formée devant la Cour, soit par la demande préalable que la victime peut adresser à l’institution compétente.

47      Selon une jurisprudence bien établie, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, pour comportement illicite de ses organes, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir arrêt de la Cour du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, Rec. p. I‑10833, point 26, et la jurisprudence citée ; arrêts du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T‑175/94, Rec. p. II‑729, point 44, et Centro Studi Manieri/Conseil, point 32 supra, point 97).

48      Il résulte également d’une jurisprudence constante que le délai de prescription commence à courir lorsque sont réunies toutes ces conditions, auxquelles se trouve subordonnée l’obligation de réparation et, notamment, lorsque le dommage à réparer s’est concrétisé. En particulier, dans les contentieux nés, comme en l’espèce, d’actes individuels, le délai de prescription commence à courir lorsque ces actes ont produit leurs effets à l’égard des personnes qu’ils visent [voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, Rec. p. I‑2941, points 29 et 30, et du 11 juin 2009, Transports Schiocchet ‑ ­Excursions/Commission, C‑335/08 P, non publié au Recueil, point 33 ; ordonnance du Tribunal du 27 août 2009, Abouchar/Commission, T‑367/08, non publiée au Recueil, point 23].

49      Il y a encore lieu de rappeler que la prescription a pour fonction de concilier la protection des droits de la personne lésée et le principe de sécurité juridique. La durée du délai de prescription a ainsi été déterminée en tenant compte notamment du temps nécessaire à la partie prétendument lésée pour rassembler des informations appropriées en vue d’un recours éventuel et pour vérifier les faits susceptibles d’être invoqués au soutien de ce recours (voir, en ce sens, ordonnance Autosalone Ispra dei Fratelli Rossi/Commission, point 30 supra, point 28 ; ordonnance du Tribunal du 16 décembre 2009, Cattin/Commission, T‑194/08, non publiée au Recueil, point 69, et arrêt du Tribunal du 28 septembre 2010, C‑Content/Commission, T‑247/08, non publié au Recueil, point 54).

50      Par ailleurs, il convient de relever que, selon la jurisprudence, la connaissance précise et circonstanciée des faits de la cause de la part de la victime n’a aucune importance, la connaissance des faits ne figurant pas au nombre des éléments qui doivent être réunis pour faire courir le délai de prescription visé à l’article 46 du statut de la Cour. L’appréciation subjective de la réalité du dommage ne saurait ainsi être prise en considération dans la détermination du point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité non contractuelle de la Communauté (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 17 juillet 2008, Commission/Cantina sociale di Dolianova e.a., C‑51/05 P, Rec. p. I‑5341, point 61, et la jurisprudence citée).

51      En l’espèce, la requérante demande, à titre principal, la réparation du préjudice prétendument subi du fait que le premier marché ne lui a pas été attribué, à savoir une somme correspondant au bénéfice brut qu’elle aurait pu tirer de ce marché (50 % de la valeur du marché). À titre subsidiaire, elle demande un dédommagement pour perte de chance, en ce qu’elle aurait subi à la fois un préjudice en raison de la perte de l’opportunité d’exécuter le premier marché et un préjudice en raison de la perte de l’opportunité de se voir attribuer d’autres marchés, notamment le marché attribué en 2008, dans le cadre de l’appel d’offres MARE/2008/01 (ci‑après le « marché suivant »), dont la valeur initiale excédait 5 millions d’euros, par la DG « Affaires maritimes et pêche » de la Commission, au contractant ayant remporté le premier marché (ci‑après le « dommage résultant de la perte de chance d’obtenir les marchés suivants »).

 Sur les dommages résultant de la non‑obtention du premier marché et de la perte de chance d’obtenir celui‑ci 

52      Ainsi que le Tribunal l’a déjà relevé dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance Ehcon/Commission, point 27 supra, les dommages résultant de la non-obtention du marché en cause et de la perte de chance d’obtenir ce marché se sont concrétisés au jour du rejet de l’offre de la requérante, par la Commission, ce rejet constituant également le fait donnant lieu à l’action en responsabilité, au sens de l’article 46 du statut de la Cour (voir, en ce sens, ordonnance Ehcon/Commission, point 27 supra, point 43).

53      Le rejet de son offre a été communiqué à la requérante par lettre du 15 septembre 2004, reçue par celle‑ci le même jour (voir point 2 ci­‑dessus).

54      Il est vrai, ainsi que le soutient la requérante, que, aux points 44, 45 et 48 de l’ordonnance Ehcon/Commission, point 27 supra, le Tribunal semble remettre en cause la solution dégagée au point 43 de ladite ordonnance, selon laquelle les dommages en cause se sont concrétisés le jour du rejet de l’offre. Il n’en reste pas moins que tous ces points doivent être lus dans leur contexte et suivant leur ordre logique. En particulier, au point 45, le Tribunal, en affirmant que « toutes les conditions de la mise en œuvre du droit à réparation de la requérante étaient réunies au plus tard le 20 mars 1997 [à savoir, le jour auquel la requérante avait en l’espèce pris connaissance des motifs de la décision de rejet] et que, ainsi, le délai quinquennal de prescription [était] arrivé à expiration le 20 mars 2002 au plus tard », a tout simplement considéré que, dans le cas d’espèce, le recours était en tout état de cause tardif, dès lors qu’il n’avait été introduit que le 8 avril 2004. Au vu des circonstances de l’espèce, ce dernier constat du Tribunal ne saurait remettre en cause la prémisse principale de son raisonnement selon laquelle des dommages tels que ceux en cause se concrétisent le jour du rejet de l’offre, le rejet étant le fait donnant lieu à l’action en responsabilité.

55      Il convient dès lors de conclure que les prétendus dommages ayant donné lieu, en l’espèce, à une action en responsabilité non contractuelle contre la Communauté se sont produits à la date de la décision de rejet de l’offre de la requérante par la Commission et que le délai de prescription de cette action a commencé à courir à partir du moment où cette décision a été communiquée à la requérante, c’est‑à‑dire le 15 septembre 2004.

56      Conformément à l’article 46 du statut de la Cour, le délai de prescription n’est interrompu que par le dépôt d’une requête devant le juge communautaire ou par la présentation d’une demande préalable adressée à l’institution compétente de la Communauté, étant cependant entendu que, dans ce dernier cas, l’interruption n’est acquise que si la demande est suivie d’une requête dans le délai déterminé par référence aux articles 230 CE ou 232 CE, selon le cas.

57      À cet égard, les lettres datées du 7 octobre 2008 et du 5 mars 2009, adressées par la requérante au président de la Commission, ne contiennent aucune demande explicite en réparation et n’ont pas été suivies d’un recours dans le délai déterminé par référence à l’article 230 CE ou à l’article 232 CE. En tout état de cause, lesdites lettres sont donc sans effet sur le délai de prescription de cinq ans prévu par l’article 46 du statut de la Cour.

58      Dès lors, le délai de prescription de cinq ans est arrivé à expiration le 15 septembre 2009 sans avoir été interrompu, concernant les deux préjudices allégués.

59      Aucun des arguments de la requérante ne saurait remettre en cause cette conclusion.

60      Premièrement, la requérante fait valoir, en s’appuyant en substance sur les points 45 et 48 de l’ordonnance Ehcon/Commission, point 27 supra, que, pour établir le comportement illégal de la Commission, elle avait besoin de connaître les motifs de la décision rendue par celle-ci et qu’elle n’a pas eu connaissance desdits motifs avant le 20 ou le 23 octobre 2004. Dès lors son action serait prescrite au plus tôt le 3 novembre 2009, à savoir à la fin d’une période de cinq ans et dix jours à compter du 22 octobre 2004, et non le 25 septembre 2009.

61      À cet égard, il suffit de relever que, ainsi qu’il a été indiqué aux points 52 et 55 ci‑dessus, c’est le rejet de l’offre, et non la motivation de ce rejet, qui constitue le fait donnant lieu à l’action en responsabilité en matière de marchés publics et qui concrétise les dommages prétendument subis par le soumissionnaire écarté.

62      D’ailleurs, il résulte de la jurisprudence que, le fait qu’un requérant a estimé, au moment où il a formulé une demande d’indemnisation à l’encontre de la Communauté, ne pas disposer de l’ensemble des éléments lui permettant de démontrer à suffisance de droit la responsabilité de celle-ci dans le cadre d’une procédure judiciaire ne saurait, pour autant, empêcher le délai de prescription de courir. En effet, si tel était le cas, une confusion serait alors créée entre le critère procédural relatif au commencement du délai de prescription et le constat de l’existence des conditions de responsabilité, qui ne peut, en définitive, qu’être tranché par le juge saisi aux fins de l’appréciation définitive du litige au fond (ordonnance du Tribunal du 17 janvier 2001, Autosalone Ispra dei Fratelli Rossi/Commission, T‑124/99, Rec. p. II‑53, point 24).

63      Il importe également de constater que, contrairement à ce qu’allègue la requérante en s’appuyant sur les points 45 et 48 de l’ordonnance Ehcon/Commission, point 27 supra, en l’espèce la lettre de la DG « Pêche » du 15 septembre 2004 – qui constituait l’acte attaqué dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Evropaïki Dynamiki/Commission, point 6 supra – contenait déjà une première indication des motifs du rejet de son offre (voir point 2 ci‑dessus). Les lettres envoyées postérieurement par la DG « Pêche » ne visaient qu’à donner, à la suite de la demande de la requérante, des explications additionnelles concernant ces motifs ainsi que les caractéristiques et les avantages de l’offre retenue (voir points 3 et 4 ci‑dessus). D’ailleurs, le fait que la connaissance circonstanciée des motifs du rejet de l’offre se soit prétendument concrétisée quelques jours après l’envoi de la communication dudit rejet n’est pas en contradiction avec la jurisprudence, rappelée au point 49 ci‑dessus, selon laquelle la durée du délai de prescription tient compte notamment du temps nécessaire à la partie prétendument lésée pour rassembler des informations appropriées en vue d’un recours éventuel et pour vérifier les faits susceptibles d’être invoqués au soutien de ce recours.

64      En définitive, empêcher le délai de prescription de l’action en responsabilité non contractuelle de la Communauté de commencer à courir aussi longtemps que la partie prétendument lésée n’a pas personnellement acquis la conviction d’avoir subi un préjudice a pour conséquence de faire varier le moment de l’extinction de ladite action selon la perception individuelle que pourrait avoir chaque partie de la réalité du dommage, ce qui s’inscrit en contradiction avec l’exigence de sécurité juridique nécessaire pour l’application des délais de prescription (voir, en ce sens, arrêt C‑Content/Commission, point 49 supra, point 55, et la jurisprudence citée).

65      À cet égard, il convient enfin d’observer que, ainsi que le souligne à juste titre la Commission, il ressort de la lettre datée du 19 novembre 2009, envoyée au greffe du Tribunal par la requérante, que celle-ci estimait que le comportement illégal de la Commission s’était manifesté dès l’envoi de la lettre communiquant le rejet de l’offre du 15 septembre 2004, étant donné que c’est à partir de cette date que la requérante fait implicitement courir le délai de prescription.

66      Deuxièmement, la requérante avance que, du fait que le premier marché est un contrat‑cadre, la signature d’un contrat spécifique serait nécessaire pour qu’un dommage se produise. Or, il convient de relever que, selon la jurisprudence, la condition relative à l’existence d’un préjudice certain est remplie dès lors que le préjudice est imminent et prévisible avec une certitude suffisante, même s’il ne peut pas encore être chiffré avec précision (arrêt de la Cour du 14 janvier 1987, Zuckerfabrik Bedburg e.a./Conseil et Commission, 281/84, Rec. p. 49, point 14 ; voir ordonnance Abouchar/Commission, point 48 supra, point 24, et la jurisprudence citée). En outre, la prescription ne peut courir qu’à partir du moment où le préjudice pécuniaire s’est effectivement réalisé [arrêt Holcim (Deutschland)/Commission, point 48 supra, point 33]. Or, dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres, le dommage résultant, pour le candidat évincé, de la non-obtention du marché et de la perte de chance d’obtenir ce dernier, résulte directement et immédiatement de la décision de rejet de son offre, indépendamment de la signature future d’un contrat spécifique entre l’institution communautaire et le candidat retenu. Pour les mêmes raisons, il convient d’écarter l’argument, soulevé pour la première fois par la requérante dans sa réponse écrite à la question du Tribunal, selon lequel, du fait du contrat-cadre, le préjudice se serait poursuivi tout au long de la période au cours de laquelle la requérante aurait été privée de la possibilité de signer des contrats individuels.

67      Troisièmement, compte tenu de l’analyse effectuée aux points 52 à 55 ci-dessus, la requérante ne saurait utilement se prévaloir du retard avec lequel la Commission aurait répondu à sa demande d’éclaircissements quant aux motifs du rejet de son offre.

68      Quatrièmement, la requérante fait, en substance, valoir qu’elle n’a disposé des véritables explications concernant le rejet de son offre qu’à la date de l’arrêt du Tribunal prononçant l’annulation de la décision qui est à l’origine du dommage. Force est de constater que l’argument de la requérante n’est pas du tout clair. En tout état de cause, il suffit de rappeler, à cet égard, que, selon la jurisprudence, il est indifférent, pour le déclenchement du délai de prescription, que le comportement illégal de la Communauté ait été constaté par une décision de justice [arrêt Holcim (Deutschland)/Commission, point 48 supra, point 31]. Pour le reste, il y a lieu de renvoyer aux considérations développées aux points 61 à 64 ci‑dessus.

69      Enfin, cinquièmement, la requérante avance, dans sa réponse écrite à la question posée par le Tribunal, un nouvel argument, tiré de ce que la décision de rejeter son offre et d’attribuer le marché à un autre soumissionnaire a été publiée, à l’instar de toute autre décision de ce type et conformément aux articles 118 et 120 du règlement (CE, Euratom) n° 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 357, p. 1, ci-après les « modalités d’exécution »), dans la partie S du Journal officiel le 16 décembre 2004, et de ce que, par conséquent, cette date, établissant un délai irréfutable, constituerait le point de départ de la prescription.

70      À cet égard, il convient de rappeler, encore une fois, que c’est le rejet de l’offre qui constitue le fait donnant lieu à l’action en responsabilité en matière de marchés publics et qui concrétise les dommages prétendument subis par le soumissionnaire évincé. C’est, dès lors, à partir du jour où le soumissionnaire évincé est personnellement informé du rejet de son offre, et non de la date de publication de l’avis d’attribution au Journal officiel, que le délai de prescription commence à courir. En tout état de cause, il convient également d’observer que, contrairement à ce que soutient la requérante, la publication d’un tel avis, qui a pour objet l’information des tiers, n’est obligatoire, conformément à l’article 118, paragraphe 4, des modalités d’exécution, que pour des marchés dont le montant est égal ou supérieur aux seuils fixés à l’article 158 desdites modalités d’exécution.

71      Au vu de toutes ces considérations, le délai de prescription de cinq ans pour introduire l’action en responsabilité non contractuelle est arrivé à expiration le 15 septembre 2009.

72      Or, si la requérante prétend que, en l’espèce, un cas de force majeure nécessiterait de retenir la date d’envoi de la télécopie au lieu de celle du dépôt de l’original de la requête, il convient de constater que, en tout état de cause, la requérante a envoyé la requête par télécopieur le 25 septembre 2009, lorsque le délai de prescription avait déjà expiré.

73      La thèse de la requérante est, en effet, que le délai de distance forfaitaire de dix jours est applicable en l’espèce. Ainsi, s’il était fait droit à l’argumentation de la requérante concernant l’existence d’un cas de force majeure et si la date du 25 septembre 2009 était retenue comme date du dépôt de la requête, le recours serait recevable. En effet, l’exception de prescription soulevée par la Commission est tirée du fait que le recours doit être considéré introduit le 5 octobre 2009 et non, comme le prétend la requérante, le 25 septembre 2009.

74      Or, en réponse à une question écrite du Tribunal concernant l’applicabilité en l’espèce de l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, la requérante a soutenu que son action ne serait pas prescrite, dès lors que le délai de prescription devrait être augmenté du délai de distance forfaitaire de dix jours, prévu audit article 102. À cet égard, elle fait aussi référence au point 26 de l’arrêt du Tribunal du 14 septembre 1995, Lefebvre e.a./Commission (T‑571/93, Rec. p. II‑2379), où il a été reconnu que les délais de distance s’appliquent aux affaires de responsabilité non contractuelle.

75      Il convient de relever que, aux termes mêmes de l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, le délai de distance ne concerne que les délais de procédure et non le délai de prescription, prévu à l’article 46 du statut de la Cour et dont l’écoulement entraîne l’extinction de l’action en responsabilité non contractuelle, qui n’est dès lors majoré d’aucun délai de distance [voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 11 janvier 2002, Biret et Cie/Conseil, T‑210/00, Rec. p. II‑47, points 19 et 45, et du 21 avril 2005, Holcim (Deutschland)/Commission, T‑28/03, Rec. p. II-1357, point 74 ; ordonnances du Tribunal du 19 mai 2008, Transport Schiocchet – Excursions/Commission, T‑220/07, non publiée au Recueil, points 15 et 35, et Cattin/Commission, point 49 supra, points 61 et 65].

76      À cet égard, il convient, en outre, de rappeler que les conditions auxquelles se trouve subordonné l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté et, par conséquent, les règles de prescription qui régissent les actions qui y sont afférentes, ne sauraient être fondées sur des critères autres que strictement objectifs. S’il en allait différemment, cela risquerait de porter atteinte au principe de sécurité juridique sur lequel s’appuient précisément les règles de prescription (voir arrêt Commission/Cantina sociale di Dolianova e.a., point 50 supra, point 59, et la jurisprudence citée).

77      Par ailleurs, le fait que les délais de procédure, tel que les délais de recours, et le délai quinquennal de prescription de l’action en responsabilité non contractuelle contre la Communauté soient des délais, par nature, différents peut également être inféré de la jurisprudence. En effet, les délais de recours sont d’ordre public et ne sont pas à la disposition des parties et du juge, ayant été institués en vue d’assurer la clarté et la sécurité des situations juridiques. Il appartient donc au Tribunal d’examiner, même d’office, si le recours a bien été introduit dans les délais prescrits (voir arrêt du Tribunal du 28 janvier 2004, OPTUC/Commission, T‑142/01 et T‑283/01, Rec. p. II‑329, point 30, et la jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, ordonnance de la Cour du 25 novembre 2008, TEA/Commission, C‑500/07 P, non publiée au Recueil, point 20). En revanche, le juge ne peut pas soulever d’office le moyen tiré de la prescription de l’action en responsabilité non contractuelle (arrêt de la Cour du 30 mai 1989, Roquette frères/Commission, 20/88, Rec. p. 1553, points 12 et 13).

78      De plus, il résulte de l’article 46 du statut de la Cour que la prescription est interrompue soit par la requête formée devant le juge communautaire, soit par la demande préalable que la victime peut adresser à l’institution compétente. Cette disposition ne distingue pas, pour le calcul du délai de prescription, selon que la cause de l’interruption de ce délai découle de l’introduction d’un recours ou de la présentation d’une demande préalable. Or, l’application du délai de procédure prévu à l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, laquelle ne saurait être envisagée que dans le cas des recours contentieux, aurait pour conséquence que la prescription serait acquise au bout d’une durée différente selon que la victime aurait fait le choix de s’adresser directement au juge communautaire ou, au préalable, à l’institution compétente. Une telle différence, non prévue à l’article 46 du statut de la Cour, ferait dépendre l’expiration du délai de prescription d’un facteur qui n’est pas objectif et aurait encore pour conséquence de favoriser le règlement contentieux des litiges plutôt que la recherche de solutions amiables.

79      Le fait que, en 1995, le Tribunal ait, dans un arrêt qui est resté un cas isolé (arrêt Lefebvre e.a./Commission, point 74 supra, point 26), dit pour droit que, dans le cadre de la prescription des actions contre la Communauté en matière de responsabilité non contractuelle, il fallait prendre en compte le délai de distance, en vertu des articles 101 et 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, n’est pas susceptible, contrairement à ce que semble soutenir la requérante, de remettre en cause une telle conclusion.

80      Il résulte de tout ce qui précède que la présente action en responsabilité non contractuelle est prescrite, en ce qui concerne les deux dommages allégués, dès lors qu’elle a été intentée plus de cinq ans après la survenance des faits qui y ont donné lieu, au sens de l’article 46 du statut de la Cour, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens et arguments soulevés par les parties, y inclus celui tiré de l’existence d’un cas fortuit ou de force majeure.

 Sur le dommage résultant de la perte de chance d’obtenir les marchés suivants 

81      S’agissant du dommage résultant de la perte de chance d’obtenir les marchés suivants, il convient tout d’abord d’examiner le bien-fondé de la demande de la requérante (voir, en ce sens, ordonnance Ehcon/Commission, point 27 supra, point 72).

82      La requérante fait valoir que, si elle s’était vu attribuer le premier marché, elle aurait acquis une expertise précieuse et accru ses chances de remporter d’autres contrats, y compris le marché suivant. 

83      Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 47 ci‑dessus, il est de jurisprudence constante que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, qui sont l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué.

84      Or, s’agissant, tout d’abord, du marché suivant, il convient de relever que la requérante ne fournit aucun élément de nature à établir la relation entre le premier marché et le marché suivant. Dès lors, il n’est pas possible de constater l’existence d’un quelconque lien de causalité entre le rejet illégal de l’offre de la requérante lors de la première procédure d’adjudication et le dommage qu’elle aurait subi du fait de la perte de chance de se voir attribuer le marché suivant (voir, en ce sens, ordonnance Ehcon/Commission, point 27 supra, point 76).

85      En tout état de cause, la perte de chance de se voir attribuer le marché suivant ne saurait être considérée comme un préjudice réel et certain que dans l’hypothèse où, en l’absence du comportement fautif de la Commission, il ne ferait pas de doute que la requérante aurait obtenu l’attribution du premier marché. Or, il y a lieu de souligner que, dans un système d’adjudications publiques tel qu’en l’espèce, le pouvoir adjudicateur dispose d’un pouvoir d’appréciation important dans la prise d’une décision d’attribuer un marché (voir, en ce sens, ordonnance Ehcon/Commission, point 27 supra, point 77). Il convient également d’observer que la décision de rejeter l’offre soumise par la requérante et d’attribuer le premier marché au soumissionnaire retenu a été annulée par le Tribunal au seul motif que la Commission avait violé l’obligation de motivation de cette décision (arrêt Evropaïki Dynamiki/Commission, point 6 supra, point 80). Ainsi, non seulement la requérante n’était aucunement assurée d’obtenir le premier marché, mais il n’y a aucun élément dans le dossier qui puisse étayer une telle conclusion.

86      Il s’ensuit que, à supposer même que la requérante ait éventuellement pu subir une perte de chance d’obtenir le premier marché du fait du comportement prétendument fautif de la DG « Pêche », préjudice qui est, en tout état de cause, prescrit, cette seule perte de chance ne saurait être considérée comme suffisante pour engendrer, à l’égard de la requérante, un préjudice réel et certain résultant de la perte de chance de se voir attribuer le marché suivant, dans l’hypothèse où il serait admis que ce marché présente un lien suffisant avec le premier marché (voir, en ce sens, ordonnance Ehcon/Commission, point 27 supra, point 77).

87      Les mêmes considérations sont, à plus forte raison, valables pour ce qui est du dommage, évoqué tout à fait génériquement par la requérante dans la requête, qui résulterait de la perte de chance d’obtenir d’autres marchés de la Commission.

88      Il résulte de tout ce qui précède que la demande de la requérante visant à la réparation du dommage résultant de la perte de chance d’obtenir les marchés suivants doit être rejetée comme manifestement non fondée en droit, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur sa recevabilité.

89      Dès lors, il y a lieu de rejeter le présent recours dans son ensemble, comme étant en partie irrecevable et en partie manifestement non fondé.

 Sur les dépens

90      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Evropaïki Dynamiki – Proigmena Systimata Tilepikoinonion Pliroforikis kai Tilematikis AE est condamnée aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 22 juin 2011.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       J. Azizi


* Langue de procédure : l’anglais.