Language of document : ECLI:EU:T:2023:799

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

13 décembre 2023 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne verbale EL ROSCO – Cause de nullité absolue – Mauvaise foi – Article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 »

Dans l’affaire T‑381/22,

Good Services Ltd, établie à Sliema (Malte), représentée par Mes J. Marín López et F. De Barba, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. D. Hanf et Mme E. Nicolás Gómez, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

ITV Studios Global Distribution Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par Mes P. Merino Baylos et J. Gracia Albero, avocats,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de M. F. Schalin (rapporteur), président, Mme P. Škvařilová‑Pelzl et M. I. Nõmm, juges,

greffier : Mme A. Juhász-Tóth, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 28 juin 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Good Services Ltd, demande l’annulation de la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 20 avril 2022 (affaire R 959/2021‑1) (ci-après la « décision attaquée »).

 Contexte du litige

2        L’intervenante, ITV Studios Global Distribution Ltd, se consacre à la production de formats télévisés, destinés à devenir des programmes télévisés, dont son plus connu est le format « The Alphabet Game ». En 1999, à la suite d’un accord de licence entre l’intervenante et la société Einstein, ce format a été adapté en Italie sous le nom de « passaparola ». Dans le cadre de cette adaptation, la société Einstein a décidé d’ajouter un nouveau jeu final s’intitulant « ruota finale » (roue finale) qui était, par accord de licence, le format « 21x100 », appartenant à MC&F Broadcasting Production & Distribution Ltd, la société mère de la requérante.

3        Le format « The Alphabet Game », appartenant à l’intervenante, a ensuite été adapté dans d’autres pays, dont l’Espagne, sous le nom de « pasapalabra ». C’est lors des premières diffusions du programme « pasapalabra », en 2000, que le nom « el rosco » (le donut) est apparu pour la première fois pour désigner le jeu final de ce programme qui était, en substance, identique au jeu final du programme « passaparola », à savoir le jeu « ruota finale ».

4        En substance, il existe des désaccords entre la société mère de la requérante et l’intervenante quant à la titularité du jeu final.

5        L’intervenante considère que, conformément au contrat qu’elle avait conclu avec la société Einstein au moment de la création du programme italien « passaparola », toute adaptation du format « The Alphabet Game » lui appartenait. De plus, elle soutient que la société Einstein ne l’avait pas informée que cette dernière avait négocié les droits du format « 21x100 » avec la société mère de la requérante pour l’intégrer audit programme en tant que jeu final. L’intervenante aurait donc adapté le format « The Alphabet Game » dans différents pays en reprenant ce jeu final qui, selon elle, résultait d’une simple adaptation de son format « The Alphabet Game », qui lui appartenait en vertu du contrat susmentionné et qui ne satisfaisait pas à l’exigence d’originalité pour faire naître des droits de propriété intellectuelle autonomes.

6        Selon la requérante, le jeu final, qui est réutilisé dans d’autres pays par l’intervenante, correspond à son format « 21x100 » et est protégeable au titre de la propriété intellectuelle. L’intervenante exploiterait donc illégalement celui-ci.

7        Les principales étapes de ce conflit peuvent être résumées de la façon suivante :

–        le programme « pasapalabra » a été diffusé entre 2000 et 2006, par octroi de licences de l’intervenante au groupe Atresmedia et, entre 2007 et 2010, au groupe Mediaset ;

–        le 27 décembre 2009, la société mère de la requérante a informé le groupe Mediaset qu’elle était propriétaire du format « 21x100 », qui correspondait au format du jeu final du programme « pasapalabra ». En conséquence, Mediaset a résilié unilatéralement le contrat avec l’intervenante et a conclu, le 2 février 2010, un contrat avec la société mère de la requérante pour les droits du format « 21x100 ». Le groupe Mediaset a ensuite diffusé, de 2010 à 2019, le programme « pasapalabra » et son jeu final ;

–        le 22 décembre 2010, Mediaset a assigné l’intervenante devant le tribunal de commerce de Madrid. Par une décision du 3 février 2014 (ci-après la « décision de 2014 »), le Juzgado de lo Mercantil no 6 de Madrid (tribunal de commerce no 6 de Madrid, Espagne) a déclaré que le jeu final portant le nom « el rosco » était l’un des éléments constitutifs du programme « pasapalabra », lequel appartenait à l’intervenante et ne pouvait être protégé au titre de la propriété intellectuelle ;

–        le 17 septembre 2014, la requérante a introduit ses deux premières demandes de marques de l’Union européenne EL ROSCO qui font l’objet des affaires T‑382/22 et T‑383/22, Good Services/EUIPO ‑ ITV Studios Global Distribution (EL ROSCO). Ces marques couvrent, notamment, des services tels que la diffusion et la transmission de programmes télévisés ;

–        le 6 juin 2017, le Gerechtshof te Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam, Pays-Bas) a rendu, à la suite d’une demande d’injonction anti-poursuites de l’intervenante, un arrêt en référé dans lequel il a été a constaté qu’il était probable que le jeu final appartienne à la société mère de la requérante, mais qu’il s’agissait d’une question de fond qui ne relevait pas de sa compétence ;

–        le 28 mai 2018, la requérante a introduit une nouvelle demande de marque de l’Union européenne EL ROSCO qui fait l’objet de la présente affaire ;

–        en 2020, l’intervenante a conclu un accord de licence avec le groupe Atresmedia susmentionné, pour la diffusion du programme « pasapalabra ». La société mère de la requérante a alors engagé une procédure pour revendiquer la titularité du jeu final du programme « pasapalabra » devant le Juzgado de lo Mercantil de Barcelona (tribunal de commerce de Barcelone, Espagne) contre le groupe Atresmedia, dans laquelle est intervenue l’intervenante ;

–        le 23 décembre 2022, au cours de la présente procédure, la requérante a fait état de l’existence de la décision de l’Audiencia Provincial de Barcelona (cour provinciale de Barcelone, Espagne) du 14 novembre 2022 qui reconnaît la titularité de la société mère de la requérante sur le jeu final ainsi que son caractère protégeable et constate que l’utilisation de celui-ci ne pouvait se faire sans son accord.

 Antécédents du litige

8        Le 21 janvier 2020, l’intervenante a présenté à l’EUIPO une demande en nullité de la marque de l’Union européenne ayant été enregistrée le 26 septembre 2018 à la suite de la demande déposée par la requérante, le 28 mai 2018, pour le signe verbal EL ROSCO, enregistré sous le numéro 17907312.

9        Les produits couverts par la marque contestée pour lesquels la nullité était demandée relevaient de la classe 9 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondaient à la description suivante : « Appareils et instruments scientifiques, nautiques, géodésiques, photographiques, cinématographiques, optiques, de pesage, de mesurage, de signalisation, de contrôle (inspection), de secours (sauvetage) et d’enseignement ; appareils et instruments pour la conduite, la distribution, la transformation, l’accumulation, le réglage ou la commande du courant électrique ; appareils pour l’enregistrement, la transmission, la reproduction du son ou des images ; supports d’enregistrement magnétiques, disques acoustiques ; disques compacts, DVD et autres supports d’enregistrement numériques ; mécanismes pour appareils à prépaiement ; caisses enregistreuses, machines à calculer, équipement de traitement de données, ordinateurs ; logiciels ; extincteurs ; données enregistrées par voie électronique (téléchargeables) ; équipement audiovisuel et de technologie de l’information ; aimants, dispositifs d’aimantation et démagnétiseurs ; dispositifs, amplificateurs et correcteurs optiques ; dispositifs de sécurité, protection et signalisation ; équipement de plongée ; dispositifs de navigation, pour système de positionnement mondial, de suivi et de localisation ; cartes électroniques téléchargeables ; instruments, indicateurs et contrôleurs de mesure, de détection et de surveillance ; appareils et simulateurs éducatifs ; étuis et housses pour téléphones portables, tablettes informatiques, ordinateurs portables et de poche, lecteurs multimédias portables, caméras et autres équipements photographiques ; étuis de transport pour ordinateurs ; cordons (courroies) pour téléphones mobiles ; articles de lunetterie ; lunettes [optique] ; lunettes de soleil ; housses pour téléphones portables ; appareils de radio avec fonction réveil ».

10      La cause invoquée à l’appui de la demande de nullité était, notamment, celle visée à l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

11      Le 31 mars 2021, la division d’annulation a fait droit dans son intégralité à la demande en nullité.

12      Le 25 mai 2021, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.

13      Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours. En particulier, s’agissant de l’examen de l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, elle a considéré que les éléments de preuve présentés par les parties démontraient, tout d’abord, en ce qui concerne la création et le droit au signe, que le nom « el rosco » était apparu pour la première fois en 2000 et qu’il désignait la partie finale d’un jeu du programme télévisé espagnol « pasapalabra », lui-même adapté du format télévisé anglais « The Alphabet Game », appartenant à l’intervenante. Le programme « pasapalabra » étant alors diffusé sur une chaîne de télévision espagnole grâce à un accord de licence du prédécesseur de l’intervenante, la chambre de recours a donc attribué la création du nom « el rosco » à l’intervenante. Ensuite, en ce qui concerne les actions antérieures à l’enregistrement, elle a relevé que la société mère de la requérante n’avait pas fait mention dans ses transactions commerciales, avant l’année 2000, du nom « el rosco » et que, ce n’est qu’entre 2005 et 2006 que, pour la première fois, elle y avait fait référence lors d’une correspondance avec le prédécesseur de l’intervenante. Enfin, s’agissant des intentions de la requérante, la chambre de recours a constaté que sa société mère avait toléré que l’intervenante diffuse le programme « pasapalabra » et son jeu final « el rosco » pendant les années 2000 à 2009 et qu’elle avait connaissance, au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, de la décision de 2014 ayant constaté la propriété du format « pasapalabra » et de son jeu final « el rosco » à l’intervenante. Partant, la chambre de recours a considéré que les éléments de preuve démontraient que la requérante avait déposé sa demande d’enregistrement de la marque contestée de mauvaise foi, dès lors qu’elle cherchait à empêcher l’intervenante de continuer à utiliser le jeu final « el rosco » dans le format « pasapalabra ».

 Conclusions des parties

14      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        confirmer l’enregistrement de la marque contestée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens, y compris ceux exposés durant la procédure devant l’EUIPO.

15      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens, dans le cas où une audience de plaidoiries serait organisée.

16      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens, y compris ceux exposés durant la procédure devant l’EUIPO.

 En droit

 Sur la compétence du Tribunal pour connaître de la demande tendant à ce que soit confirmé l’enregistrement de la marque contestée

17      En ce qui concerne le deuxième chef de conclusions de la requérante, il y a lieu de relever que celui-ci tend à ce que le Tribunal confirme l’enregistrement de la marque contestée. À cet égard, il suffit de rappeler que, dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 263 TFUE, le Tribunal n’a pas compétence pour prononcer des jugements confirmatifs (voir, en ce sens, ordonnance du 9 décembre 2003, Italie/Commission, C‑224/03, non publiée, EU:C:2003:658, points 20 et 21, et arrêt du 4 février 2009, Omya/Commission, T‑145/06, EU:T:2009:27, point 23). Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter le deuxième chef de conclusions de la requérante pour cause d’incompétence.

 Sur le fond

18      La requérante invoque, en substance, un moyen unique, tiré de la violation de l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001.

19      Premièrement, la requérante soutient que la chambre de recours a commis une erreur en prenant en compte des éléments de preuve, tels que des décisions judiciaires, et des faits, qui sont postérieurs à la date du dépôt de la demande de marque qui est le moment auquel doit être appréciée l’intention subjective de la requérante.

20      Deuxièmement, la requérante conteste la pertinence des décisions judiciaires nationales qui ont remis en cause l’originalité du format connu sous le nom de « el rosco », à savoir la décision de 2014 et celles qui sont intervenues après cette dernière. Ces décisions n’auraient aucun rapport avec elle et la décision du Gerechtshof te Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam) du 6 juin 2017 aurait, par ailleurs, « reconnu le meilleur droit » de sa société mère sur le jeu final connu en Espagne sous le nom de « el rosco ». La requérante soutient également que, dans la mesure où la décision de l’Audiencia Provincial de Barcelona (cour provinciale de Barcelone) du 14 novembre 2022 a reconnu la titularité du jeu final à sa société mère, les autres décisions judiciaires sur lesquelles repose la décision attaquée sont dénuées de pertinence et que cela prouve que la marque contestée a été enregistrée de bonne foi.

21      Troisièmement, la requérante soutient qu’il ressort des éléments de preuve que la société Einstein avait informé, en 1998, l’intervenante de l’introduction d’un « nouveau jeu final » et que cette dernière était consciente qu’elle ne possédait aucun droit sur le jeu final connu en Espagne sous le nom de « el rosco » dans la mesure où elle avait demandé à la société Einstein qu’elle résolve avec sa société mère « la question des droits concernant le jeu final ».

22      Quatrièmement, la requérante soutient que l’enregistrement a été fait de bonne foi, puisque sa société mère a accordé de 2010 à 2019 un accord de licence à la société Mediaset sur le format du jeu final connu sous le nom de « el rosco » et que la demande de marque servait donc à identifier l’origine commerciale et n’a pas eu pour effet de perturber le marché. L’intervenante n’aurait d’ailleurs jamais demandé l’enregistrement d’une marque portant le nom « el rosco ». De plus, la propriété de la marque n’impacterait pas les parties dans la mesure où, si le nom de celle-ci n’était pas associé au jeu final, il ne possèderait aucune valeur et il serait donc possible de le remplacer.

23      Cinquièmement, la requérante soutient, en substance, que la chambre de recours a procédé à une inversion de la charge de la preuve en exigeant d’elle la preuve du dépôt de bonne foi de la demande de marque, alors que la bonne foi est présumée et n’a pas à être démontrée.

24      L’EUIPO, soutenu par l’intervenante, conteste les arguments de la requérante.

 Considérations préalables

25      Il convient de rappeler que la notion de « mauvaise foi » visée à l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 n’est ni définie, ni délimitée, ni même décrite d’une quelconque manière dans la législation de l’Union [arrêt du 28 janvier 2016, Davó Lledó/OHMI – Administradora y Franquicias América et Inversiones Ged (DoggiS), T‑335/14, EU:T:2016:39, point 45].

26      Selon la jurisprudence, la notion de « mauvaise foi » se rapporte à une motivation subjective de la personne présentant une demande d’enregistrement de marque, à savoir une intention malhonnête ou un autre motif dommageable. Elle implique un comportement s’écartant des principes reconnus comme étant ceux entourant un comportement éthique ou des usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale [arrêt du 7 juillet 2016, Copernicus-Trademarks/EUIPO – Maquet (LUCEO), T‑82/14, EU:T:2016:396, point 28].

27      Cette notion n’est donc pas applicable lorsque la demande d’enregistrement peut être considérée comme répondant à un objectif légitime et que l’intention du demandeur n’est pas contraire à la fonction essentielle d’une marque qui consiste à garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service concerné, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance [voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 2019, Holzer y Cia/EUIPO – Annco (ANN TAYLOR et AT ANN TAYLOR), T‑3/18 et T‑4/18, EU:T:2019:357, point 32 et jurisprudence citée].

28      Aux fins de l’appréciation de l’existence de la mauvaise foi du demandeur, il convient de prendre en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce et existant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque de l’Union européenne (arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, point 53).

29      Parmi les facteurs pris en compte dans le cadre de l’analyse globale opérée au titre de l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 figurent, notamment, le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire pour un produit ou un service identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé, l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe, le degré de protection juridique dont jouissent les signes en cause, l’intention du demandeur d’empêcher un tiers de commercialiser un produit, l’origine du signe contesté et son usage depuis sa création, la logique commerciale dans laquelle s’est inscrit le dépôt de la demande d’enregistrement du signe en tant que marque de l’Union européenne et la chronologie des événements ayant caractérisé la survenance dudit dépôt (voir, en ce sens, arrêts du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, points 38 et 44, et du 28 janvier 2016, DoggiS, T‑335/14, EU:T:2016:39, points 46 et 48).

30      Cela étant, il convient de souligner que les facteurs énumérés au point 29 ci-dessus ne sont que des illustrations parmi un ensemble d’éléments susceptibles d’être pris en compte à l’effet de se prononcer sur l’éventuelle mauvaise foi d’un demandeur d’enregistrement au moment du dépôt de la demande de marque [voir arrêt du 14 février 2019, Mouldpro/EUIPO – Wenz Kunststoff (MOULDPRO), T‑796/17, non publié, EU:T:2019:88, point 83 et jurisprudence citée].

31      Par ailleurs, il convient de rappeler qu’il incombe au demandeur en nullité qui entend se fonder sur le motif visé à l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 d’établir les circonstances qui permettent de conclure que le titulaire d’une marque de l’Union européenne était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de cette dernière et que la bonne foi est présumée jusqu’à preuve du contraire [arrêt du 8 mars 2017, Biernacka-Hoba/EUIPO – Formata Bogusław Hoba (Formata), T‑23/16, non publié, EU:T:2017:149, point 45].

32      En outre, la Cour a également pu préciser que, aux fins d’apprécier l’existence de la mauvaise foi, il convient, notamment, de prendre en considération l’intention du demandeur au moment du dépôt de la demande d’enregistrement. Cet élément subjectif doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d’espèce (arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, points 41 et 42).

33      Enfin, il découle d’une jurisprudence également constante que, si l’EUIPO n’est pas lié par les décisions rendues par les autorités nationales, ces dernières décisions, sans être contraignantes ou même décisives, peuvent néanmoins être prises en considération par l’EUIPO, en tant qu’indices, dans le cadre de l’appréciation des faits de la cause [voir arrêt du 29 juin 2017, Cipriani/EUIPO – Hotel Cipriani (CIPRIANI), T‑343/14, EU:T:2017:458, point 38 et jurisprudence citée].

34      C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de contrôler la légalité de la décision attaquée en ce que la chambre de recours a conclu à l’existence de la mauvaise foi de la requérante au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

 Existence de la mauvaise foi de la requérante

35      À titre liminaire, il convient de relever que le nom « el rosco » invoqué à l’appui de la demande en nullité est identique à la marque contestée. Cela n’est pas remis en cause par les parties.

36      Par ailleurs, s’agissant de la date pertinente à laquelle la mauvaise foi alléguée doit être démontrée, il ressort de l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 qu’il s’agit de celle du dépôt de la marque contestée, c’est-à-dire le 28 mai 2018 (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, point 35).

37      En l’espèce, pour arriver à la conclusion selon laquelle la requérante était de mauvaise foi lors du dépôt de la marque contestée, la chambre de recours a considéré, au point 56 de la décision attaquée, que la demande de marque avait été déposée afin d’empêcher l’intervenante de continuer à utiliser le jeu final « el rosco ».

38      Parmi les différents facteurs susceptibles d’être pris en compte pour examiner si la requérante était de bonne foi lors du dépôt de la demande de marque, il convient d’examiner la création et l’utilisation du signe contesté ainsi que la chronologie des événements ayant caractérisé la survenance du dépôt de la demande de marque.

–       Sur la création et l’utilisation du signe contesté

39      Ainsi qu’il ressort du point 3 ci-dessus, le nom « el rosco » est apparu en Espagne, en 2000, lors des premières diffusions du programme « pasapalabra » sous licence de l’intervenante pour désigner le jeu final dudit programme. Or, ainsi qu’il ressort des éléments du dossier et de la décision attaquée, la société mère de la requérante n’a pas été impliquée dans la création du nom « el rosco » et ne le mentionnait pas dans ses transactions commerciales avant l’enregistrement de ses premières marques en 2014.

40      À cet égard, le fait que la société mère de la requérante a accordé, de 2010 à 2019, un accord de licence à Mediaset sur le format du jeu final connu sous le nom de « el rosco » n’est pas pertinent. En effet, il convient de relever, à l’instar de l’EUIPO, que même si la société mère de la requérante a accordé à Mediaset un accord de licence pendant neuf ans sur le format « 21x100 » pour lui permettre la diffusion du jeu final « el rosco » dans le programme espagnol « pasapalabra », cet accord faisait référence au format du jeu final sous le nom de « 21x100 » et non de « el rosco », ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par la requérante. Partant, cet accord ne saurait suffire à démontrer un usage antérieur du signe contesté par la société mère de la requérante, y compris par l’intermédiaire d’un tiers.

–       Sur la chronologie des événements précédant le dépôt de la marque contestée

41      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la seule date pertinente aux fins de l’examen d’une demande en nullité d’une marque de l’Union européenne est celle du dépôt de la demande de marque contestée (ordonnances du 24 septembre 2009, Bateaux mouches/OHMI, C‑78/09 P, non publiée, EU:C:2009:584, point 18, et du 23 avril 2010, OHMI/Frosch Touristik, C‑332/09 P, non publiée, EU:C:2010:225, point 41).

42      Toutefois, la jurisprudence admet également la prise en compte d’éléments postérieurs à cette date, à condition que ceux-ci concernent la situation à la date du dépôt de la demande de marque [arrêt du 3 juin 2009, Frosch Touristik/OHMI – DSR touristik (FLUGBÖRSE), T‑189/07, EU:T:2009:172, points 19 et 28].

43      En l’espèce, il convient de relever, ainsi qu’il ressort du point 7 ci-dessus, que le contexte précédant la demande d’enregistrement était marqué par les nombreux désaccords entre la société mère de la requérante et l’intervenante pour la titularité du jeu final. De plus, au moment du dépôt de la demande de marque, la seule décision qui avait tranché au fond la question de la titularité dudit jeu était la décision de 2014. Or, même si elle n’était pas opposable à la requérante, celle-ci constatait que le jeu connu sous le nom de « el rosco » faisait intégralement partie du programme « pasapalabra » appartenant à l’intervenante et qu’il ne pouvait faire l’objet d’une protection au titre de la propriété intellectuelle. Ainsi que l’a expliqué la requérante dans ses écritures et à l’audience, c’est à la suite de cette décision qu’elle a demandé l’enregistrement du nom « el rosco », afin de protéger les droits qu’elle soutenait avoir sur le format du jeu final.

44      La chambre de recours a également fait référence, dans la décision attaquée, à de nombreuses décisions nationales postérieures au dépôt de la demande de marque.

45      Toutefois, il convient de relever que les décisions postérieures mentionnées par la chambre de recours dans la décision attaquée sont sans incidence sur sa légalité, dès lors que les motifs de ladite décision reposent sur d’autres éléments, ainsi que cela ressort, notamment, de ses points 45, 46, 48, 49 et 54.

46      Par ailleurs, s’agissant de la décision de l’Audiencia Provincial de Barcelona (cour provinciale de Barcelone) du 14 novembre 2022, il convient de relever que, contrairement à ce qu’a soutenu la requérante lors de l’audience, cette décision ne saurait être pertinente, en l’espèce, dans la mesure où elle est postérieure à la date du dépôt de la demande de marque et qu’elle n’apporte pas d’éléments permettant d’apprécier les intentions de la requérante au moment dudit dépôt.

–       Appréciation globale

47      En l’espèce, il ressort de ce qui précède que la marque contestée a été demandée pour un signe que la requérante n’a pas créé, pour lequel elle n’a pas manifesté d’intérêt, et qui plus est dans un contexte dans lequel sa société mère et l’intervenante se disputaient la propriété du jeu final. En outre, même si la décision de 2014 n’était pas opposable à la requérante ou à sa société mère, elle était favorable à l’intervenante et a conduit la requérante à demander l’enregistrement de ce nom, ce qui a mécaniquement eu pour effet d’empêcher l’intervenante de l’utiliser, alors qu’elle en était à l’origine.

48      Dans ces circonstances, la chambre de recours pouvait raisonnablement considérer qu’il existait des circonstances objectives permettant de renverser la présomption de bonne foi dont bénéficiait la requérante.

49      Dès lors, contrairement à ce que prétend la requérante, il lui appartenait de fournir des explications plausibles concernant les objectifs et la logique commerciale poursuivis par la demande d’enregistrement de la marque contestée dès lors qu’elle est le mieux placée pour convaincre l’EUIPO que, en dépit de l’existence de circonstances objectives, ses intentions étaient légitimes [voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2021, Hasbro/EUIPO – Kreativni Dogadaji (MONOPOLY), T‑663/19, EU:T:2021:211, points 42 à 44 et jurisprudence citée].

50      À cet égard, premièrement, en ce qui concerne l’argument de la requérante relatif à la décision du Gerechtshof te Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam) du 6 juin 2017 qui aurait « reconnu le meilleur droit » de sa société mère sur le format du jeu final, il y a lieu de constater que cette décision indiquait également qu’il n’était pas évident de déterminer à qui appartenaient les droits sur ce jeu final et qu’il s’agissait d’une question qui ne relevait pas de sa compétence. Cette dernière décision ayant été prise dans le cadre d’un référé, elle n’a donc pas tranché au fond la question de la titularité du jeu final.

51      Deuxièmement, contrairement à ce que soutient la requérante, le fait que l’intervenante ait demandé à la société Einstein qu’elle résolve avec la société mère de la requérante « la question des droits concernant le jeu final » n’impliquait pas la reconnaissance par l’intervenante qu’elle n’était pas la titulaire du jeu final et que la demande de marque avait été effectuée de bonne foi.

52      Troisièmement, il convient également d’écarter l’argument de la requérante selon lequel la demande de marque n’avait pas pour effet de perturber le marché dans la mesure où l’intervenante n’avait pas demandé l’enregistrement d’une marque portant le nom « el rosco » et que la propriété de la marque n’impactait pas les parties dans la mesure où l’intervenante pouvait remplacer le nom utilisé pour désigner le jeu final.

53      D’une part, le fait que l’intervenante n’ait pas demandé l’enregistrement d’une marque similaire à celle contestée ne saurait prouver que la demande de la requérante a été effectuée de bonne foi dès lors que l’usage antérieur du signe en cause par un tiers n’est pas une condition requise par l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 [voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 2020, Target Ventures Group/EUIPO – Target Partners (TARGET VENTURES), T‑273/19, EU:T:2020:510, point 30].

54      D’autre part, contrairement à ce que soutient la requérante, le fait qu’il soit possible pour les parties de changer le nom du jeu final, dès lors qu’il ne possèderait aucune valeur s’il n’était pas associé à celui-ci, ne saurait prouver l’absence de mauvaise foi de la requérante dans la mesure où le fait d’empêcher les concurrents de continuer à utiliser des signes non enregistrés, dont ils sont à l’origine, peut constituer, au contraire, un facteur pertinent pour apprécier la mauvaise foi du demandeur.

55      Partant, les arguments de la requérante ne permettent pas de démontrer qu’elle était de bonne foi lors du dépôt de la marque contestée, une telle demande apparaissant, au regard, notamment, de la chronologie des événements ayant caractérisé la survenance dudit dépôt, s’écarter des principes reconnus comme étant ceux définissant un comportement éthique ou des usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

56      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le moyen unique invoqué par la requérante au soutien de ses conclusions et, par suite, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

57      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

58      En outre, l’intervenante a également conclu à ce que la requérante soit condamnée à rembourser les dépens exposés devant les instances de l’EUIPO.

59      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 190, paragraphe 2, du règlement de procédure, seuls les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure devant la chambre de recours sont considérés comme dépens récupérables. Dès lors, la demande de l’intervenante concernant les dépens afférents à la procédure d’opposition, qui ne constituent pas des dépens récupérables, est irrecevable.

60      S’agissant des dépens relatifs à la procédure devant la chambre de recours, il suffit de relever que, étant donné que le présent arrêt rejette le recours dirigé contre la décision attaquée, c’est le dispositif de celle-ci qui continue à régler les dépens en cause [voir, en ce sens, arrêt du 19 mai 2021, Yongkang Kugooo Technology/EUIPO – Ford Motor Company (kugoo), T‑324/20, non publié, EU:T:2021:280, point 89].

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Good Services Ltd est condamnée aux dépens.

Schalin

Škvařilová-Pelzl

Nõmm

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 décembre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.