Language of document : ECLI:EU:C:2024:118

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

4 juin 2013 (*)

«Libre circulation des personnes – Directive 2004/38/CE – Décision interdisant à un citoyen de l’Union européenne l’accès au territoire d’un État membre pour des raisons de sécurité publique – Article 30, paragraphe 2, de ladite directive – Obligation d’informer le citoyen concerné des motifs de cette décision – Divulgation contraire aux intérêts de la sûreté de l’État – Droit fondamental à une protection juridictionnelle effective»

Dans l’affaire C‑300/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni), par décision du 19 mai 2011, parvenue à la Cour le 17 juin 2011, dans la procédure

ZZ

contre

Secretary of State for the Home Department,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, M. K. Lenaerts, vice-président, M. A. Tizzano, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. T. von Danwitz (rapporteur), G. Arestis, Mme M. Berger et M. E. Jarašiūnas, présidents de chambre, MM. E. Juhász, J.‑C. Bonichot, M. Safjan, D. Šváby et Mme A. Prechal, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 juin 2012,

considérant les observations présentées:

–        pour ZZ, par MM. H. Southey, QC, S. Cox, barristers, mandatés par M. R. Singh, solicitor,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme S. Behzadi-Spencer, en qualité d’agent, assistée de M. T. Eicke, barrister,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. D. Hadroušek, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme B. Beaupère-Manokha, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. G. Palatiello, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement slovaque, par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme C. Tufvesson et M. M. Wilderspin, en qualité d’agents,

–        pour l’Autorité de surveillance AELE, par MM. X. Lewis et G. Mathisen ainsi que par Mme F. Cloarec, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 septembre 2012,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 30, paragraphe 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77, et rectificatifs JO L 229, p. 35 et JO 2005, L 197, p. 34), lu à la lumière, notamment, de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant ZZ au Secretary of State for the Home Department (ci-après le «Secretary of State») au sujet de la décision de ce dernier lui interdisant, pour des raisons de sécurité publique, d’accéder au territoire du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Le chapitre VI de la directive 2004/38 contient des dispositions relatives à la limitation par les États membres du droit d’entrée et du droit de séjour des citoyens de l’Union européenne pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

4        À cet égard, l’article 27, paragraphe 1, de ladite directive dispose:

«Sous réserve des dispositions du présent chapitre, les États membres peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d’un citoyen de l’Union ou d’un membre de sa famille, quelle que soit sa nationalité, pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Ces raisons ne peuvent être invoquées à des fins économiques.»

5        L’article 30, paragraphes 1 et 2, de la même directive prévoit:

«1.      Toute décision prise en application de l’article 27, paragraphe 1, est notifiée par écrit à l’intéressé dans des conditions lui permettant d’en saisir le contenu et les effets.

2.      Les motifs précis et complets d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique qui sont à la base d’une décision le concernant sont portés à la connaissance de l’intéressé, à moins que des motifs relevant de la sûreté de l’État ne s’y opposent.»

6        L’article 31, paragraphes 1 et 3, de la directive 2004/38 est libellé comme suit:

«1.      Les personnes concernées ont accès aux voies de recours juridictionnelles et, le cas échéant, administratives dans l’État membre d’accueil pour attaquer une décision prise à leur encontre pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

[…]

3.      Les procédures de recours permettent un examen de la légalité de la décision ainsi que des faits et circonstances justifiant la mesure envisagée. Elles font également en sorte que la décision ne soit pas disproportionnée, notamment par rapport aux exigences posées par l’article 28.»

 Le droit du Royaume-Uni

 L’accès et l’interdiction d’accès au territoire du Royaume-Uni

7        Le règlement de 2006 relatif à l’immigration en provenance de l’Espace économique européen [Immigration (European Economic Area) Regulations 2006, ci-après le «règlement relatif à l’immigration»] transpose la directive 2004/38 dans le droit du Royaume-Uni. L’article 2 de ce règlement dispose:

«(1)      Aux fins du présent règlement, on entend par:

[…]

‘décision EEE [Espace économique européen]’, une décision prise au titre du présent règlement qui concerne:

(a)      le droit d’une personne à entrer au Royaume-Uni;

[…]»

8        Aux termes de l’article 11, paragraphes 1 et 5, de ce règlement:

«(1)      Un ressortissant de l’EEE doit être autorisé à entrer sur le territoire du Royaume-Uni s’il produit à son arrivée une carte d’identité ou un passeport en cours de validité délivré par un État de l’EEE.

[…]

(5)      Toutefois, le présent article s’applique sous réserve de l’article 19, paragraphe 1 […].»

9        L’article 19 dudit règlement, intitulé «Interdiction d’accès au territoire du Royaume-Uni et éloignement», dispose à son paragraphe 1:

«Une personne n’est pas autorisée à entrer sur le territoire du Royaume-Uni en application de l’article 11 si l’interdiction d’accès est justifiée pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique conformément à l’article 21.»

10      L’article 25 du même règlement prévoit:

«(1)      Aux fins de la présente partie, on entend par:

[…]

‘Commission’ la Commission visée dans la loi de 1997 relative à la Commission spéciale des appels en matière d’immigration (Special Immigration Appeals Commission, ci-après la ‘SIAC’);

[…]»

11      L’article 28 du règlement relatif à l’immigration énonce:

«(1)      Un recours contre une décision EEE peut être formé devant la [SIAC] dans les cas où les paragraphes 2 ou 4 s’appliquent.

[…]

(4)      Le présent paragraphe s’applique si le Secretary of State certifie que la décision EEE a été adoptée, totalement ou en partie, sur la base d’informations qui, selon lui, ne devraient pas être rendues publiques

(a)      pour des motifs relevant de la sécurité nationale;

[…]

(8)      La loi de 1997 relative à la Commission spéciale des appels en matière d’immigration [Special Immigration Appeals Commission Act 1997 (ci-après la ‘loi relative à la SIAC’)] s’applique aux recours formés devant la [SIAC] au titre du présent règlement de la même façon qu’elle s’applique aux recours formés au titre de l’article 2 de ladite loi lorsque le paragraphe 2 dudit article s’applique (recours contre une décision en matière d’immigration), à l’exception du point i) dudit paragraphe.»

 Les règles applicables au recours contre une décision portant interdiction d’accès

12      En vertu de l’article 1er de la loi relative à la SIAC, cette dernière doit être une juridiction ordinaire supérieure.

13      L’article 5, paragraphes 1, 3 et 6, de ladite loi prévoit:

«(1)      Le Lord Chancellor peut édicter des règles […]

[…]

(3)      Les règles visées au présent article peuvent, notamment:

(a)      prévoir que la procédure devant la [SIAC] peut se dérouler sans que tous les détails des motifs de la décision faisant l’objet du recours soient communiqués au requérant,

[…]

(6)      Lors de l’élaboration des règles visées au présent article, le Lord Chancellor prend en particulier en considération:

(a)      la nécessité d’assurer que les décisions faisant l’objet d’un recours sont correctement contrôlées, et

(b)      la nécessité d’assurer que des informations ne sont pas divulguées d’une façon contraire à l’intérêt général.»

14      L’article 6 de la loi relative à la SIAC prévoit la désignation d’avocats spéciaux. À cet égard, le paragraphe 1 de cet article dispose que l’Attorney General peut désigner une personne habilitée à plaider devant la High Court of Justice (England & Wales) afin de représenter les intérêts d’un requérant dans toute procédure devant la SIAC, dont ce dernier et tous ses représentants légaux sont exclus. Le paragraphe 4 du même article prévoit, en outre, que cette personne «n’est pas responsable envers la personne dont elle est chargée de représenter les intérêts».

15      Le règlement de procédure de 2003 relatif à la Commission spéciale des appels en matière d’immigration [Special Immigration Appeals Commission (Procedure) Rules 2003, ci-après le «règlement de procédure de la SIAC»] dispose à son article 4, paragraphes 1 et 3:

«(1)      Dans l’exercice de ses fonctions, la [SIAC] assure que des informations ne sont pas divulguées d’une manière contraire aux intérêts de la sécurité nationale […].

(3)      Sous réserve des paragraphes 1 et 2, la [SIAC] doit avoir acquis la conviction que les éléments dont elle dispose lui permettent de statuer de façon satisfaisante sur l’affaire.»

16      L’article 10 dudit règlement prévoit:

«(1)      Lorsque le Secretary of State souhaite s’opposer à un recours, il doit déposer devant la [SIAC]:

(a)      une déclaration indiquant les éléments de preuve sur lesquels il fonde son opposition au recours, et

(b)      tout élément à décharge dont il a connaissance.

(2)      À moins que le Secretary of State ne fasse objection à la divulgation de la déclaration au requérant ou à son représentant, il doit en notifier une copie au requérant en même temps qu’il procède à son dépôt devant la [SIAC].

(3)      Lorsque le Secretary of State fait objection à la divulgation au requérant ou à son représentant de la déclaration déposée au titre du paragraphe 1, les articles 37 et 38 s’appliquent.»

17      Quant aux fonctions de l’avocat spécial, prévu à l’article 6 de la loi relative à la SIAC, l’article 35 du règlement de procédure de la SIAC énonce ce qui suit:

«Les fonctions de l’avocat spécial sont de représenter les intérêts du requérant:

(a)      en présentant des observations à la [SIAC] lors de toutes les audiences dont le requérant et ses représentants sont exclus;

(b)      en produisant des éléments de preuve et en procédant à l’audition contradictoire de témoins lors de ces audiences, et

(c)      en présentant des observations écrites à la [SIAC].»

18      En ce qui concerne la communication entre le requérant et un avocat spécial, l’article 36 du règlement de procédure de la SIAC prévoit:

«(1)      L’avocat spécial peut communiquer avec le requérant ou son représentant à tout moment avant que le Secretary of State ne lui ait notifié des éléments pour lesquels il fait objection à leur divulgation au requérant.

(2)      Après que le Secretary of State a notifié à l’avocat spécial des éléments comme indiqué au paragraphe 1, l’avocat spécial ne peut communiquer avec personne sur aucune question liée à la procédure, sauf dans les cas visés au paragraphe 3 ou au paragraphe 6, sous b), ou conformément à une instruction de la [SIAC] édictée en réponse à une demande formulée au titre du paragraphe 4.

(3)      L’avocat spécial peut, sans instructions de la [SIAC], communiquer au sujet de la procédure, avec:

(a)      la [SIAC];

(b)      le Secretary of State, ou toute personne agissant en son nom;

(c)      le magistrat compétent, ou toute personne agissant en son nom;

(d)      toute autre personne, à l’exception du requérant ou de son représentant, avec laquelle il est nécessaire de communiquer, à des fins administratives, au sujet de questions non liées à la substance de la procédure.

(4)      L’avocat spécial peut demander à la [SIAC] des instructions qui l’autorisent à communiquer avec le requérant ou son représentant ou avec toute autre personne.

(5)      Lorsque l’avocat spécial demande des instructions au titre du paragraphe 4,

(a)      la [SIAC] doit notifier la demande au Secretary of State et

(b)      le Secretary of State doit, dans un délai fixé par la [SIAC], déposer auprès de [cette dernière] et notifier à l’avocat spécial toute objection à la communication proposée ou à la forme selon laquelle il est proposé qu’elle ait lieu.

(6)      Le paragraphe 2 n’interdit pas au requérant de communiquer avec l’avocat spécial après que le Secretary of State lui a notifié des éléments comme indiqué au paragraphe 1, mais

(a)      le requérant ne peut communiquer avec l’avocat spécial que par écrit et par l’intermédiaire d’un représentant légal, et

(b)      l’avocat spécial ne peut répondre à la communication que conformément aux instructions de la [SIAC]; en l’absence de telles instructions, il peut toutefois envoyer un accusé de réception écrit au représentant légal du requérant.»

19      L’article 37 du règlement de procédure de la SIAC définit les termes «éléments confidentiels» et dispose, à cet égard, ce qui suit:

«(1)      Aux fins du présent article, on entend par ‘éléments confidentiels’:

(a)      des éléments que le Secretary of State souhaite invoquer dans une procédure quelconque devant la [SIAC],

(b)      des éléments qui nuisent à ses arguments ou qui sont favorables au requérant, ou

[…]

et pour lesquels il fait objection à leur divulgation au requérant ou à son représentant.

(2)      Le Secretary of State ne peut invoquer d’éléments confidentiels sans qu’un avocat spécial ait été désigné pour représenter les intérêts du requérant.

(3)      Lorsque le Secretary of State est tenu, en application de l’article 10, paragraphe 2, ou de l’article 10A, paragraphe 8, de notifier au requérant des éléments confidentiels ou qu’il souhaite invoquer de tels éléments et qu’un avocat spécial a été désigné, le Secretary of State doit déposer auprès de la [SIAC] et notifier à l’avocat spécial:

(a)      une copie des éléments confidentiels, s’il ne l’a pas encore fait;

(b)      une déclaration indiquant les raisons pour lesquelles il fait objection à leur divulgation, et

(c)      si et dans la mesure où il est possible de le faire sans divulguer des informations d’une manière contraire à l’intérêt général, une description des éléments sous une forme qui peut être notifiée au requérant.

(4)      Le Secretary of State doit, en même temps qu’il procède à son dépôt, notifier au requérant toute description déposée conformément au paragraphe 3, sous c).

(4A)      Lorsque le Secretary of State notifie à l’avocat spécial des éléments confidentiels qu’il a expurgés pour des raisons autres que celles tenant au secret professionnel,

(a)      il doit déposer les éléments auprès de la [SIAC] dans une forme non expurgée, en expliquant les raisons des modifications, et

(b)      la [SIAC] doit donner au Secretary of State une instruction concernant les points qui peuvent être expurgés.

(5)      Le Secretary of State peut, avec l’autorisation de la [SIAC] ou l’accord de l’avocat spécial, modifier ou compléter à tout moment les documents déposés en application du présent article.»

20      Quant à l’examen des objections du Secretary of State, l’article 38 du règlement de procédure de la SIAC dispose:

«(1)      Lorsque le Secretary of State présente une objection en vertu de l’article 36, paragraphe 5, sous b), ou de l’article 37, la [SIAC] doit décider d’accueillir ou non l’objection conformément au présent article.

(2)      La [SIAC] doit fixer une audience pour permettre au Secretary of State et à l’avocat spécial de présenter des observations orales […].

[…]

(5)      Les audiences tenues au titre du présent article se déroulent en l’absence du requérant et de son représentant.

(6)      La [SIAC] peut accueillir ou écarter l’objection du Secretary of State.

(7)      La [SIAC] doit accueillir l’objection présentée par le Secretary of State au titre de l’article 37 lorsqu’elle estime que la divulgation des éléments en cause serait contraire à l’intérêt général.

(8)      Lorsque la [SIAC] accueille l’objection présentée par le Secretary of State au titre de l’article 37, elle doit:

(a)      examiner s’il convient d’ordonner au Secretary of State de notifier au requérant un résumé des éléments confidentiels, et

(b)      approuver tout résumé de ce type, afin d’assurer qu’il ne contient aucune information ni aucun autre élément dont la divulgation serait contraire à l’intérêt général.

(9)      Lorsque la [SIAC] écarte l’objection présentée par le Secretary of State au titre de l’article 37 ou lui ordonne de notifier au requérant un résumé des éléments confidentiels,

(a)      le Secretary of State n’est pas tenu de notifier ces éléments ou ce résumé, mais

(b)      s’il ne le fait pas, la [SIAC] peut, lors d’une audience au cours de laquelle le Secretary of State et l’avocat spécial peuvent présenter des observations,

(i)      si elle estime que les éléments ou autres données à résumer pourraient nuire aux arguments du Secretary of State ou être favorables au requérant, ordonner au Secretary of State de ne pas invoquer ces points dans ses arguments, ou de faire des concessions ou de prendre d’autres mesures, conformément aux indications de la [SIAC];

ou

(ii)      dans tous les autres cas, ordonner au Secretary of State de ne pas invoquer les éléments en cause ou (le cas échéant) les autres données à résumer dans la procédure.»

21      Quant à la décision de la SIAC, l’article 47, paragraphes 2 à 4, du règlement de procédure de la SIAC dispose:

«(2)      La [SIAC] doit consigner par écrit sa décision ainsi que les motifs de celle-ci.

(3)      La [SIAC] doit, dans un délai raisonnable, notifier aux parties un document comprenant sa décision ainsi que, si et dans la mesure où il est possible de le faire sans divulguer d’informations d’une façon contraire à l’intérêt général, les motifs de celle-ci.

(4)      Lorsque le document visé au paragraphe 3 ne comprend pas la totalité des motifs de sa décision, la [SIAC] doit notifier au Secretary of State et à l’avocat spécial un document séparé incluant ces motifs.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

22      ZZ possède la double nationalité française et algérienne. Il est marié depuis 1990 à une ressortissante du Royaume-Uni, avec laquelle il avait huit enfants, âgés de 9 à 20 ans, à la date de l’introduction de la demande de décision préjudicielle. De 1990 jusqu’à 2005, ZZ a résidé légalement au Royaume-Uni. En 2004, le Secretary of State lui a accordé un droit de séjour permanent sur le territoire de cet État membre.

23      Après que ZZ eut quitté le Royaume-Uni pour se rendre en Algérie, en août 2005, le Secretary of State a décidé d’annuler son droit de séjour et de lui interdire l’accès au territoire du Royaume-Uni au motif que sa présence était préjudiciable à l’intérêt général. La SIAC avait constaté, dans son jugement, que ZZ ne disposait d’aucun droit de recours contre cette décision d’annulation.

24      En septembre 2006, ZZ s’est rendu au Royaume-Uni où une décision de refus d’entrée, au titre de l’article 19, paragraphe 1, du règlement relatif à l’immigration, a été prise par le Secretary of State pour des raisons de sécurité publique (ci-après la «décision de refus d’entrée en cause au principal»). À la suite de cette décision, ZZ a été renvoyé en Algérie. À la date de l’introduction de la présente demande de décision préjudicielle, il résidait en France.

25      ZZ a formé un recours contre la décision de refus d’entrée en cause au principal qui a été rejeté par la SIAC, au motif que cette décision était justifiée pour des raisons impérieuses de sécurité publique. Devant la SIAC, il était représenté par un solicitor et un barrister de son choix (ci-après les «conseils personnels»).

26      Dans le cadre de ce recours, le Secretary of State s’est opposé à la divulgation au requérant d’éléments sur lesquels il a fondé son opposition au recours de ZZ. Conformément aux règles de procédure applicables devant la SIAC, deux avocats spéciaux ont été désignés pour représenter les intérêts de ce dernier. Ceux-ci se sont entretenus avec lui sur la base des «preuves publiques».

27      Par la suite, les informations non communiquées à ZZ sur lesquelles la décision de refus d’entrée en cause au principal était fondée ont été communiquées auxdits avocats spéciaux auxquels il fut dès lors interdit de demander de nouvelles instructions à ZZ ou à ses conseils personnels ainsi que de fournir des informations à ces derniers sans l’autorisation de la SIAC. Sous réserve de ces restrictions, ces avocats spéciaux ont continué de représenter les intérêts de ZZ devant la SIAC en ce qui concerne ces «preuves confidentielles».

28      Aux fins de l’examen de l’opposition du Secretary of State à la divulgation d’éléments au requérant, la SIAC a tenu une audience qui s’est déroulée à huis clos, en l’absence de ce dernier et de ses conseils personnels, mais en présence de ses avocats spéciaux. La SIAC a déterminé dans quelle mesure la divulgation à ZZ des «preuves confidentielles» invoquées par le Secretary of State serait contraire à l’intérêt général.

29      Par la suite, une audience consacrée au recours de ZZ a eu lieu, en partie de manière publique et en partie à huis clos. Les séances à huis clos se sont déroulées en l’absence de ce dernier et de ses conseils personnels, mais en présence de ses avocats spéciaux qui ont présenté des observations en son nom.

30      La SIAC a rejeté le recours de ZZ et a rendu un jugement dit «public» et un jugement dit «confidentiel», ce dernier ayant été communiqué uniquement au Secretary of State et aux avocats spéciaux de ZZ. Dans son jugement public, la SIAC a, notamment, constaté que «peu des éléments du dossier retenus contre» ZZ lui ont été révélés et que ceux-ci ne concernaient pas «les questions essentielles».

31      Il ressort en outre du jugement public que la SIAC est convaincue que ZZ était impliqué dans des activités du réseau du Groupe islamique armé et dans des activités terroristes en 1995 et en 1996. S’agissant des éléments factuels qui ont été révélés à ZZ, il ressort de ce jugement que des objets dont ce dernier avait admis être ou avoir été propriétaire avaient, en 1995, été découverts en Belgique, dans des lieux loués par un extrémiste connu, où a été trouvée, entre autres, une certaine quantité d’armes et de munitions. Au sujet d’autres faits allégués par le Secretary of State, tels que, notamment, des séjours en Italie ainsi qu’en Belgique, des contacts avec certaines personnes et la possession de fortes sommes d’argent, la SIAC a, dans une certaine mesure, considéré comme crédible et pertinente la prise de position de ZZ et les éléments de preuve qu’il a fournis. Toutefois, les contestations émises par celui-ci relatives à son implication dans des activités dudit réseau n’ont pas été retenues par la SIAC, pour des raisons expliquées notamment dans le jugement confidentiel.

32      La SIAC en a conclu, dans son jugement public, que, «pour des raisons qui ne sont expliquées que dans le jugement confidentiel», elle avait «acquis la conviction que le comportement personnel de ZZ représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave qui porte atteinte à un intérêt fondamental de la société, à savoir sa sécurité publique, et que celui-ci l’emporte sur le droit du requérant et de sa famille à jouir de leur vie de famille au Royaume-Uni».

33      ZZ a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi qui lui a accordé l’autorisation à cet effet. Dans son jugement en date du 19 avril 2011, rendu dans le cadre de la procédure d’appel et décidant de la nécessité de l’introduction de la présente demande de décision préjudicielle, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a constaté que les jugements de la SIAC lus ensemble contiennent des constatations factuelles et des éléments de raisonnement pouvant facilement étayer ladite conclusion de la SIAC. Dans ces conditions, cette dernière aurait suffisamment motivé sa décision. Toutefois, ladite Court of Appeal se demande s’il était permis à la SIAC de ne pas divulguer à ZZ la substance des motifs qui constituent le fondement de la décision de refus d’entrée en cause au principal.

34      C’est dans ces conditions que la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le principe de la protection juridictionnelle effective, énoncé à l’article 30, paragraphe 2, de la directive 2004/38, tel qu’interprété à la lumière de l’article 346, paragraphe 1, sous a), [TFUE], exige-t-il qu’une juridiction saisie d’un recours contre une décision interdisant à un citoyen de l’Union européenne l’accès au territoire d’un État membre pour des raisons d’ordre public et de sécurité publique en application du chapitre VI de la directive 2004/38 veille à ce que la substance des motifs retenus à l’encontre du citoyen de l’Union européenne concerné soit portée à la connaissance de celui-ci, malgré le fait que les autorités de l’État membre et la juridiction nationale compétente, après avoir examiné la totalité des éléments de preuve invoqués par les autorités de l’État membre à l’encontre du citoyen de l’Union européenne, ont conclu que des raisons relevant de la sûreté de l’État s’opposeraient à la divulgation de la substance des motifs?»

 Sur la question préjudicielle

 Sur la recevabilité

35      Selon le gouvernement italien, la demande de décision préjudicielle est irrecevable à deux égards. D’une part, le recours de ZZ contre la décision de refus d’entrée en cause au principal devant la juridiction de renvoi serait irrecevable, l’annulation de cette décision ne pouvant pas lui procurer un avantage effectif en raison du fait que son entrée au Royaume-Uni serait de toute façon empêchée par la décision d’août 2005 qui doit être considérée comme valable. Il en découlerait que la question posée serait dépourvue de pertinence concrète dans la procédure au principal et donc irrecevable. D’autre part, il ressortirait des articles 4, paragraphe 2, TUE et 346, paragraphe 1, sous a), TFUE que la sûreté de l’État demeurerait de la seule responsabilité des États membres. La question posée porterait donc sur une matière régie par le droit national et, pour cette raison, elle ne relèverait pas des compétences de l’Union.

36      À cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 25 octobre 2012, Rintisch, C‑553/11, point 15 et jurisprudence citée).

37      Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C‑188/10 et C‑189/10, Rec. p. I‑5667, point 27 et jurisprudence citée).

38      Or, force est de constater que tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, d’une part, la question posée porte sur l’interprétation de l’article 30, paragraphe 2, de la directive 2004/38 lu à la lumière, notamment, de l’article 47 de la Charte. D’autre part, cette question se pose dans le cadre d’un litige réel relatif à la légalité d’une décision de refus d’entrée prise, en application de cette directive, par le Secretary of State contre ZZ. En outre, bien qu’il appartienne aux États membres d’arrêter les mesures propres à assurer leur sécurité intérieure et extérieure, le seul fait qu’une décision concerne la sûreté de l’État ne saurait entraîner l’inapplicabilité du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2009, Commission/Italie, C‑387/05, Rec. p. I-11831, point 45).

39      En conséquence, la demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur le fond

40      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 30, paragraphe 2, de la directive 2004/38, lu à la lumière notamment de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il exige qu’une juridiction nationale saisie d’un recours d’un citoyen de l’Union contre une décision de refus d’entrée prise en application de l’article 27, paragraphe 1, de la même directive veille à ce que soit divulguée à l’intéressé la substance des motifs de sécurité publique qui constituent le fondement de cette décision, lorsque l’autorité nationale compétente soutient, devant cette juridiction, que des motifs relevant de la sûreté de l’État s’opposent à une telle divulgation.

41      À cet égard, il y a lieu de relever d’emblée que, en l’espèce, il est constant que le Secretary of State, l’autorité nationale compétente en la matière, n’a pas communiqué à ZZ les motifs précis et complets constituant le fondement de la décision de refus d’entrée en cause au principal, laquelle a été prise en application de l’article 27 de la directive 2004/38. Dans le cadre de la procédure devant la SIAC assurant, conformément au système mis en place par la réglementation du Royaume-Uni, le contrôle juridictionnel de telles décisions, le Secretary of State a invoqué la confidentialité d’éléments sur lesquels il a fondé son opposition au recours de ZZ.

42      Conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement de procédure de la SIAC, celle-ci est tenue de s’assurer que des informations ne sont pas divulguées d’une manière contraire aux intérêts de la sûreté de l’État. En outre, cette juridiction désigne, conformément à l’article 10, paragraphe 3, lu en combinaison avec l’article 37, paragraphe 2, de ce règlement, un avocat spécial pour représenter les intérêts du requérant lorsque le Secretary of State requiert devant cette dernière juridiction la confidentialité des éléments invoqués dans le cadre du recours juridictionnel. Cet avocat présente, conformément à l’article 35 dudit règlement, des observations lors des audiences dont le requérant est exclu, produit des éléments de preuve, procède à l’audition contradictoire des témoins et présente des observations écrites à la SIAC.

43      Le Secretary of State est tenu, en vertu de l’article 37, paragraphe 3, du règlement de procédure de la SIAC, de produire et de communiquer à cette dernière et à l’avocat spécial une copie de ces éléments confidentiels ainsi qu’une déclaration indiquant les raisons pour lesquelles il s’oppose à la divulgation de ceux-ci. En outre, il incombe au Secretary of State, en vertu du paragraphe 4 de cet article 37, de produire une description de ces éléments confidentiels sous une forme qui peut être notifiée au requérant si et dans la mesure où il est possible de le faire sans divulguer des informations d’une manière contraire à l’intérêt général. L’objection du Secretary of State à la divulgation au requérant desdits éléments fait l’objet, conformément à l’article 38 du même règlement, d’un examen par la SIAC dans le cadre duquel le Secretary of State ainsi que l’avocat spécial ont la possibilité de présenter des observations.

44      En vertu de l’article 36 du règlement de procédure de la SIAC, l’avocat spécial ne peut pas communiquer avec le requérant sur des questions liées à la procédure à partir du moment où lui ont été notifiés des éléments à la divulgation desquels le Secretary of State fait opposition. Toutefois, il peut demander à la SIAC des instructions autorisant une telle communication.

45      C’est au regard de cette procédure nationale que la juridiction de renvoi a saisi la Cour de la question préjudicielle.

46      L’article 30, paragraphe 1, de la directive 2004/38 prévoit, en ce qui concerne le contenu et la motivation nécessaires d’une décision prise en application de l’article 27 de cette directive, telle que la décision de refus d’entrée en cause au principal, que cette décision doit être notifiée à l’intéressé par écrit et dans des conditions lui permettant d’en saisir le contenu et les effets. En outre, le paragraphe 2 du même article 30 dispose que les motifs précis et complets d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique qui constituent le fondement d’une telle décision doivent être portés à la connaissance de l’intéressé, à moins que des motifs relevant de la sûreté de l’État ne s’y opposent.

47      L’article 31 de ladite directive fait obligation aux États membres de prévoir, dans leur ordre juridique interne, les mesures nécessaires pour permettre aux citoyens de l’Union et aux membres de leurs familles un accès aux voies de recours juridictionnelles et, le cas échéant, administratives pour attaquer des décisions limitant, pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, leur droit de libre circulation et de libre séjour dans les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2012, Byankov, C‑249/11, point 53). Conformément au paragraphe 3 du même article, les procédures de recours doivent comporter un examen de la légalité de la décision ainsi que des faits et circonstances justifiant la mesure envisagée.

48      Afin que l’intéressé puisse utilement faire usage des voies de recours ainsi instaurées par les États membres, l’autorité nationale compétente est tenue, ainsi que le pose comme principe l’article 30, paragraphe 2, de la directive 2004/38, de lui communiquer, dans le cadre de la procédure administrative, les motifs précis et complets d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique qui sont à la base de la décision en cause.

49      Ce n’est qu’à titre de dérogation que l’article 30, paragraphe 2, de la directive 2004/38 autorise les États membres à limiter l’information transmise à l’intéressé pour des motifs relevant de la sûreté de l’État. En tant que dérogation à la règle énoncée au point précédent, cette disposition doit faire l’objet d’une interprétation stricte sans toutefois priver celle-ci de son effet utile.

50      C’est dans ce contexte qu’il convient de déterminer si et dans quelle mesure les articles 30, paragraphe 2, et 31 de la directive 2004/38 permettent la non-divulgation des motifs précis et complets d’une décision prise en application de l’article 27 de cette même directive, les dispositions de celle-ci devant faire l’objet d’une interprétation conforme aux exigences découlant de l’article 47 de la Charte.

51      À cet égard, il importe de souligner que cette interprétation conforme doit tenir compte de l’importance du droit fondamental garanti par l’article 47 de la Charte telle qu’elle résulte du système mis en œuvre par cette dernière dans son ensemble. Notamment, il convient de prendre en considération que, si, certes, l’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet des limitations à l’exercice des droits consacrés par celle-ci, cette disposition exige toutefois que toute limitation doit notamment respecter le contenu essentiel du droit fondamental en cause et requiert, en outre, que, dans le respect du principe de proportionnalité, elle soit nécessaire et réponde effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union.

52      Partant, l’interprétation des articles 30, paragraphe 2, et 31 de la directive 2004/38, lus à la lumière de l’article 47 de la Charte, ne saurait avoir pour effet de méconnaître le niveau de protection garanti de la manière décrite au point précédent.

53      Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite sur sa demande, sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique (arrêts du 17 mars 2011, Peñarroja Fa, C‑372/09 et C‑373/09, Rec. p. I‑1785, point 63, ainsi que du 17 novembre 2011, Gaydarov, C‑430/10, Rec. p. I‑11637, point 41), afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de la décision nationale en cause (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 1987, Heylens e.a., 222/86, Rec. p. 4097, point 15, ainsi que du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, Rec. p. I‑6351, point 337).

54      Certes, il peut s’avérer nécessaire, tant dans une procédure administrative que dans une procédure juridictionnelle, de ne pas communiquer certaines informations à l’intéressé, notamment, eu égard à des considérations impérieuses liées à la sûreté de l’État (voir, en ce sens, arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, point 342).

55      S’agissant de la procédure juridictionnelle, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà jugé que, eu égard au principe du contradictoire faisant partie des droits de la défense, visés à l’article 47 de la Charte, les parties à un procès doivent avoir le droit de prendre connaissance de toutes les pièces ou observations présentées au juge en vue d’influer sur sa décision et de les discuter (arrêts du 14 février 2008, Varec, C‑450/06, Rec. p. I‑581, point 45; du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, Rec. p. I‑11245, point 52, ainsi que du 21 février 2013, Banif Plus Bank, C‑472/11, point 30; voir également, en ce qui concerne l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, Cour eur. D. H., arrêt Ruiz-Mateos c. Espagne du 23 juin 1993, série A nº 262, § 63).

56      Ce serait violer le droit fondamental à un recours juridictionnel effectif que de fonder une décision juridictionnelle sur des faits et des documents dont les parties elles-mêmes, ou l’une d’entre elles, n’ont pas pu prendre connaissance et sur lesquels elles n’ont donc pas été en mesure de prendre position (arrêt Commission/Irlande e.a., précité, point 52 et jurisprudence citée).

57      Cependant, si, dans des cas exceptionnels, une autorité nationale s’oppose à la communication à l’intéressé des motifs précis et complets qui constituent le fondement d’une décision prise en application de l’article 27 de la directive 2004/38, en invoquant des raisons relevant de la sûreté de l’État, le juge compétent de l’État membre concerné doit avoir à sa disposition et mettre en œuvre des techniques et des règles de droit de procédure permettant de concilier, d’une part, les considérations légitimes de la sûreté de l’État quant à la nature et aux sources des renseignements ayant été pris en considération pour l’adoption d’une telle décision et, d’autre part, la nécessité de garantir à suffisance au justiciable le respect de ses droits procéduraux, tels que le droit d’être entendu ainsi que le principe du contradictoire (voir, par analogie, arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, point 344).

58      À cette fin, les États membres sont tenus de prévoir, d’une part, un contrôle juridictionnel effectif tant de l’existence et du bien-fondé des raisons invoquées par l’autorité nationale au regard de la sûreté de l’État que de la légalité de la décision prise en application de l’article 27 de la directive 2004/38 ainsi que, d’autre part, des techniques et des règles relatives à ce contrôle, telles que visées au point précédent.

59      Dans le cadre du contrôle juridictionnel de la légalité de la décision prise en application de l’article 27 de la directive 2004/38 prévu à l’article 31 de celle-ci, il incombe aux États membres de prévoir des règles permettant au juge chargé du contrôle de la légalité de ladite décision de prendre connaissance tant de l’ensemble des motifs que des éléments de preuve y afférents sur lesquels cette même décision a été prise.

60      Quant aux exigences auxquelles doit répondre le contrôle juridictionnel de l’existence et du bien-fondé des raisons invoquées par l’autorité nationale compétente au regard de la sûreté de l’État membre concerné, il importe qu’un juge soit chargé de vérifier si ces raisons s’opposent à la communication des motifs précis et complets sur lesquels est fondée la décision en cause ainsi que des éléments de preuve y afférents.

61      Ainsi, il incombe à l’autorité nationale compétente d’apporter, conformément aux règles de procédure nationales, la preuve que la sûreté de l’État serait effectivement compromise par une communication à l’intéressé des motifs précis et complets qui constituent le fondement d’une décision prise en application de l’article 27 de la directive 2004/38 ainsi que des éléments de preuve y afférents (voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 2009, Commission/Finlande, C‑284/05, Rec. p. I‑11705, points 47 et 49). Il en découle qu’il n’existe pas de présomption en faveur de l’existence et du bien-fondé des raisons invoquées par une autorité nationale.

62      À cet égard, le juge national compétent doit procéder à un examen indépendant de l’ensemble des éléments de droit et de fait invoqués par l’autorité nationale compétente et il doit apprécier, conformément aux règles de procédure nationales, si la sûreté de l’État s’oppose à une telle communication.

63      Si ledit juge conclut que la sûreté de l’État ne s’oppose pas à la communication à l’intéressé des motifs précis et complets sur lesquels est fondée une décision de refus d’entrée prise en application de l’article 27 de la directive 2004/38, il donne la possibilité à l’autorité nationale compétente de communiquer à l’intéressé les motifs et les éléments de preuve manquants. Si cette autorité n’autorise pas la communication de ceux-ci, le juge procède à l’examen de la légalité d’une telle décision sur la base des seuls motifs et éléments de preuve qui ont été communiqués.

64      En revanche, s’il s’avère que la sûreté de l’État s’oppose effectivement à la communication à l’intéressé desdits motifs, le contrôle juridictionnel de la légalité d’une décision prise en application de l’article 27 de la directive 2004/38, tel que prévu à l’article 31, paragraphe 1, de celle-ci, doit, eu égard à ce qui a été dit aux points 51, 52 et 57 du présent arrêt, être effectué dans le cadre d’une procédure qui met en balance de manière appropriée les exigences découlant de la sûreté de l’État et celles du droit à une protection juridictionnelle effective tout en limitant les ingérences éventuelles dans l’exercice de ce droit au strict nécessaire.

65      À cet égard, d’une part, compte tenu du respect nécessaire de l’article 47 de la Charte, ladite procédure doit garantir, dans la mesure la plus large possible, le respect du principe du contradictoire, afin de permettre à l’intéressé de contester les motifs sur lesquels est fondée la décision en cause ainsi que de présenter des observations au sujet des éléments de preuve afférents à celle-ci et, partant, de faire valoir utilement ses moyens de défense. Notamment, il importe que soit communiquée à l’intéressé, en tout état de cause, la substance des motifs sur lesquels est fondée une décision de refus d’entrée prise en application de l’article 27 de la directive 2004/38, la protection nécessaire de la sûreté de l’État ne pouvant avoir pour effet de priver l’intéressé de son droit d’être entendu et, partant, de rendre ineffectif son droit de recours tel que prévu à l’article 31 de cette directive.

66      D’autre part, la pondération du droit à une protection juridictionnelle effective avec la nécessité d’assurer la protection de la sûreté de l’État membre concerné sur laquelle repose la conclusion énoncée au point précédent ne vaut pas de la même manière pour les éléments de preuve à la base des motifs produits devant le juge national compétent. En effet, dans certains cas, la divulgation de ces éléments de preuve est susceptible de compromettre de manière directe et particulière la sûreté de l’État, en ce qu’elle peut notamment mettre en danger la vie, la santé ou la liberté de personnes ou dévoiler les méthodes d’investigation spécifiquement employées par les autorités nationales de sécurité et ainsi entraver sérieusement, voire empêcher, l’accomplissement futur des tâches de ces autorités.

67      Dans ce contexte, il appartient au juge national compétent d’apprécier si et dans quelle mesure les restrictions aux droits de la défense du requérant découlant notamment d’une non-divulgation des éléments de preuve et des motifs précis et complets sur lesquels est fondée la décision prise en application dudit article 27 sont de nature à influer sur la force probante des éléments de preuve confidentiels.

68      Dans ces conditions, il incombe au juge national compétent, d’une part, de veiller à ce que la substance des motifs qui constituent le fondement de la décision en cause soit communiquée à l’intéressé d’une manière qui tienne dûment compte de la confidentialité nécessaire des éléments de preuve et, d’autre part, de tirer, en vertu du droit national, les conséquences d’une éventuelle méconnaissance de cette obligation de communication.

69      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que les articles 30, paragraphe 2, et 31 de la directive 2004/38, lus à la lumière de l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils exigent que le juge national compétent veille à ce que la non-divulgation par l’autorité nationale compétente à l’intéressé des motifs précis et complets sur lesquels est fondée une décision prise en application de l’article 27 de cette directive ainsi que des éléments de preuve y afférents soit limitée au strict nécessaire et à ce que soit communiquée à l’intéressé, en tout état de cause, la substance desdits motifs d’une manière qui tienne dûment compte de la confidentialité nécessaire des éléments de preuve.

 Sur les dépens

70      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

Les articles 30, paragraphe 2, et 31 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, lus à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu’ils exigent que le juge national compétent veille à ce que la non-divulgation par l’autorité nationale compétente à l’intéressé des motifs précis et complets sur lesquels est fondée une décision prise en application de l’article 27 de cette directive ainsi que des éléments de preuve y afférents soit limitée au strict nécessaire et à ce que soit communiquée à l’intéressé, en tout état de cause, la substance desdits motifs d’une manière qui tienne dûment compte de la confidentialité nécessaire des éléments de preuve.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.