Language of document : ECLI:EU:C:2022:971

ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

8 décembre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Dénonciation illégitime d’un contrat par le consommateur – Clause déclarée abusive déterminant le droit du professionnel à la réparation du préjudice – Application du droit interne à caractère supplétif »

Dans l’affaire C‑625/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), par décision du 22 septembre 2021, parvenue à la Cour le 8 octobre 2021, dans la procédure

VB

contre

GUPFINGER Einrichtungsstudio GmbH,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme L. S. Rossi, présidente de chambre, M. S. Rodin (rapporteur) et Mme O. Spineanu-Matei, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour VB, par Mes G. Hamminger et S. Langer, Rechtsanwälte,

–        pour GUPFINGER Einrichtungsstudio GmbH, par Me S. Glaser, Rechtsanwalt,

–        pour la Commission européenne, par MM. B.-R. Killmann et N. Ruiz García, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant VB à GUPFINGER Einrichtungsstudio GmbH (ci-après « Gupfinger ») au sujet de la réparation du préjudice causé à cette dernière par la dénonciation illégitime d’un contrat de vente.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Le treizième considérant de la directive 93/13 énonce :

« considérant que les dispositions législatives ou réglementaires des États membres qui fixent, directement ou indirectement, les clauses de contrats avec les consommateurs sont censées ne pas contenir de clauses abusives ; que, par conséquent, il ne s’avère pas nécessaire de soumettre aux dispositions de la présente directive les clauses qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des principes ou des dispositions de conventions internationales dont les États membres ou la Communauté sont parti[e]s ; que, à cet égard, l’expression “dispositions législatives ou réglementaires impératives” figurant à l’article 1er paragraphe 2 couvre également les règles qui, selon la loi, s’appliquent entre les parties contractantes lorsqu’aucun autre arrangement n’a été convenu ».

4        L’article 1er, paragraphe 2, de cette directive se lit comme suit :

« Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des dispositions ou principes des conventions internationales, dont les États membres ou la Communauté sont parti[e]s, notamment dans le domaine des transports, ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive. »

5        L’article 6, paragraphe 1, de ladite directive est ainsi libellé :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

6        L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 prévoit :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

 Le droit autrichien

7        L’article 921 de l’Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch (code civil général), du 11 juin 1811, dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« ABGB »), prévoit :

« La dénonciation du contrat n’affecte pas le droit à réparation du préjudice causé par une inexécution fautive. La contrepartie déjà reçue doit être restituée ou indemnisée de telle manière qu’aucune partie ne tire un bénéfice du préjudice de l’autre partie. »

 Les antécédents du litige et les questions préjudicielles

8        Le 12 novembre 2017, Gupfinger a vendu à VB une cuisine équipée au prix de 10 924,70 euros.

9        Le contrat de vente reposait sur les conditions générales de Gupfinger, dont le point V prévoyait que, lorsque le client dénonce, sans en avoir le droit, le contrat ou demande sa résolution, cette société peut soit exiger l’exécution de ce contrat, soit accepter sa résolution et que, dans ce dernier cas, l’acheteur est tenu de payer une indemnité à Gupfinger dont le montant est, selon le choix de cette dernière, soit fixé forfaitairement à 20 % du prix de vente, soit égal à la valeur du préjudice effectivement subi (ci-après la « clause litigieuse »).

10      Le 28 novembre 2017, VB a dénoncé le contrat de vente, faute d’avoir pu acheter la maison à laquelle la cuisine était destinée.

11      Le 14 mai 2018, Gupfinger a introduit un recours tendant à obtenir la condamnation de VB au paiement de 5 270,60 euros, à titre de dommages et intérêts contractuels, correspondant au manque à gagner subi. Cette demande était fondée non pas sur les termes du contrat de vente, mais sur les dispositions de l’ABGB.

12      VB a invoqué le caractère abusif de la clause litigieuse. Celle-ci prévoyant, en cas de dénonciation illégitime du contrat, que le vendeur dispose de la faculté de demander soit la réparation du préjudice subi, soit une indemnité forfaitaire égale à 20 % du prix de vente, VB soutient que le caractère abusif de cette clause a pour conséquence de limiter sa responsabilité au paiement, tout au plus, de cette indemnité forfaitaire.

13      La juridiction de première instance a jugé que la clause litigeuse était abusive mais a refusé de prononcer son annulation, au motif que celle-ci aurait été préjudiciable à VB. En effet, l’annulation de la clause litigieuse aurait contraint VB à indemniser Gupfinger, en application de l’ABGB, à concurrence, non pas de l’indemnité contractuelle de 20 % du prix de vente, mais de l’intégralité du préjudice, soit une valeur représentant presque la moitié de ce prix de vente. En conséquence, cette juridiction a condamné VB au paiement de la somme de 2 184,94 euros, équivalente à 20 % du prix de vente.

14      La juridiction d’appel a réformé cette décision et condamné VB à la réparation de l’intégralité du préjudice, au motif que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 n’interdit pas à une juridiction nationale, après avoir prononcé l’annulation d’une clause abusive, de lui substituer une disposition supplétive du droit national, conformément aux principes du droit des contrats.

15      VB a saisi l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), qui est la juridiction de renvoi, d’un pourvoi en Revision contre cette décision. Cette juridiction expose qu’il ressort de sa propre jurisprudence qu’une clause prévoyant, au bénéfice d’un vendeur professionnel, une indemnité forfaitaire d’annulation égale à 20 % du prix de vente, doit être qualifiée d’abusive. Par ailleurs, en vertu de l’article 921 de l’ABGB, la partie qui subit un préjudice du fait de l’inexécution fautive du contrat a droit à la réparation intégrale du préjudice qui en découle. Ainsi, en application de cette disposition de l’ABGB, l’annulation de la clause abusive conduirait à écarter la limitation de la responsabilité de VB à l’indemnité forfaitaire de 20 % du prix de vente. La juridiction de renvoi se demande si une telle solution est compatible avec la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation de la directive 93/13.

16      Selon la juridiction de renvoi, lorsque, après l’annulation d’une clause abusive, le contrat ne peut subsister, il est possible de substituer une disposition de droit supplétif à cette clause annulée si l’annulation de ladite clause pourrait avoir des effets défavorables sur la situation juridique du consommateur. Ainsi, cette juridiction rappelle qu’il ressort de l’arrêt du 27 janvier 2021, Dexia Nederland (C‑229/19 et C‑289/19, EU:C:2021:68), qu’un professionnel, qui, en tant que vendeur, a imposé à un consommateur une clause déclarée nulle en raison de son caractère abusif, lorsque le contrat peut subsister sans cette clause, ne peut prétendre à l’indemnité légale prévue par une disposition du droit national à caractère supplétif qui aurait été applicable en l’absence de ladite clause. Dans le litige au principal, la juridiction de renvoi estime qu’il est envisageable de ne pas appliquer les règles de droit national à caractère supplétif. Elle se demande toutefois si un tel résultat, qui conduirait à libérer un consommateur de l’obligation de réparer le préjudice qu’il a causé par la dénonciation illégitime du contrat, serait en contradiction avec l’économie et les valeurs du droit civil fondées sur un juste équilibre entre les intérêts des parties contractantes.

17      En outre, la juridiction de renvoi doute que le raisonnement suivi dans l’arrêt du 27 janvier 2021, Dexia Nederland (C‑229/19 et C‑289/19, EU:C:2021:68), soit transposable au litige au principal, dans la mesure où la demande de Gupfinger tendant à la réparation du préjudice causé par la dénonciation illégitime du contrat de vente par VB n’est pas fondée sur la clause litigieuse, mais sur l’article 921 de l’ABGB. Compte tenu de cet élément, l’application de cette disposition de l’ABGB ne saurait être exclue, indépendamment du caractère abusif de l’indemnité forfaitaire égale à 20 % du prix de vente. Selon cette juridiction, une telle solution ne serait pas incompatible avec l’obligation d’examiner d’office l’existence d’une clause abusive, puisque cette obligation ne porte que sur les clauses pertinentes au regard de la demande dont est saisi le juge national.

18      La juridiction de renvoi, tout en rappelant la jurisprudence de la Cour selon laquelle le juge national ne saurait compléter le contrat en révisant le contenu d’une clause abusive, se demande néanmoins si cette jurisprudence est applicable à l’égard d’une clause divisible.

19      Dans ces conditions, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 [...] doivent-ils être interprétés en ce sens que, dans le cadre de l’examen d’une demande de dommages et intérêts contractuels d’un professionnel contre un consommateur que ce professionnel fonde sur une dénonciation illégitime du contrat par le consommateur, une application du droit supplétif national est d’ores et déjà exclue lorsque les conditions générales du professionnel contiennent une clause abusive qui, à côté des dispositions supplétives du droit national, accorde à son choix au professionnel un droit à une indemnisation forfaitaire à l’encontre d’un consommateur violant le contrat ?

En cas de réponse affirmative à la question 1 :

2)      Une telle application du droit national supplétif est-elle également exclue lorsque le professionnel ne fonde pas sur la clause sa demande de dommages et intérêts à l’encontre du consommateur ?

En cas de réponse affirmative aux questions 1 et 2 :

3)      Est-il contraire aux dispositions précitées du droit de l’Union que, en présence d’une clause contenant plusieurs dispositions (par exemple des sanctions alternatives en cas de dénonciation illégitime du contrat), les parties de cette clause qui, de toute façon, correspondent au droit national supplétif et n’ont pas lieu d’être qualifiées d’abusives, soient maintenues dans les rapports contractuels ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

20      La Commission européenne soutient que la demande dont est saisie la juridiction de renvoi étant fondée non pas sur une clause abusive, mais sur l’article 921 de l’ABGB, les réponses aux questions préjudicielles ne sont pas nécessaires à la solution du litige au principal.

21      Il y a lieu de rappeler que, si les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence, la Cour peut refuser de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 8 juin 2016, Hünnebeck, C‑479/14, EU:C:2016:412, point 30 et jurisprudence citée).

22      Par ailleurs, le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13 et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel, dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 58).

23      En effet, la pleine efficacité de la protection prévue par ladite directive requiert que le juge national qui a constaté d’office le caractère abusif d’une clause puisse tirer toutes les conséquences de cette constatation, sans attendre que le consommateur, informé de ses droits, présente une déclaration demandant que ladite clause soit annulée (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 59 et jurisprudence citée).

24      À cet égard, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, d’une part, il est constant que la clause litigieuse figure dans le contrat de vente en cause au principal. Par ailleurs, la juridiction de renvoi a des doutes quant à l’interprétation correcte de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, ainsi que de la jurisprudence de la Cour. D’autre part, il ressort également de ce dossier que VB a invoqué, devant les juridictions nationales, le moyen tiré du caractère abusif de la clause litigieuse qui figure dans le contrat de vente en cause.

25      Partant, dans la mesure où la juridiction de renvoi est appelée à déterminer l’incidence d’une clause abusive relative à la responsabilité civile d’un consommateur, imposée à ce consommateur par le vendeur, sur le recours de ce dernier visant à la réparation du préjudice, il ne saurait être considéré que les questions préjudicielles sont manifestement dépourvues de pertinence aux fins de la solution du litige au principal.

26      Par conséquent, la demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur le fond

27      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une clause indemnitaire d’un contrat de vente a été déclarée abusive et, par conséquent, nulle, ledit contrat pouvant néanmoins subsister sans cette clause, ils s’opposent à ce que le vendeur professionnel qui a imposé ladite clause puisse prétendre, dans le cadre d’un recours indemnitaire fondé exclusivement sur une disposition à caractère supplétif du droit national des obligations, à la réparation de son préjudice telle que prévue par cette disposition, laquelle aurait été applicable en l’absence de ladite clause.

28      Pour répondre à cette question, il convient de rappeler que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, et notamment son second membre de phrase, a pour objectif non pas d’annuler tous les contrats contenant des clauses abusives, mais de substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers, étant précisé que le contrat en cause doit, en principe, subsister sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression des clauses abusives. Pourvu que cette dernière condition soit satisfaite, le contrat en cause peut, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, être maintenu pour autant que, conformément aux règles du droit interne, une telle persistance du contrat sans les clauses abusives soit juridiquement possible, ce qu’il convient de vérifier selon une approche objective [arrêt du 8 septembre 2022, D.B.P. e.a. (Crédit hypothécaire libellé en devises étrangères), C‑80/21 à C‑82/21, EU:C:2022:646, point 66 ainsi que jurisprudence citée].

29      La possibilité exceptionnelle de substituer à une clause abusive annulée une disposition nationale à caractère supplétif est limitée aux hypothèses dans lesquelles la suppression de cette clause abusive obligerait le juge national à invalider le contrat en cause dans son ensemble, exposant par là le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, de telle sorte que ce dernier en serait pénalisé [arrêt du 8 septembre 2022, D.B.P. e.a. (Crédit hypothécaire libellé en devises étrangères), C‑80/21 à C‑82/21, EU:C:2022:646, point 67 ainsi que jurisprudence citée].

30      Il s’ensuit que, lorsqu’un contrat peut rester en vigueur après la suppression des clauses abusives, le juge national ne saurait substituer à ces clauses une disposition nationale à caractère supplétif [arrêt du 8 septembre 2022, D.B.P. e.a. (Crédit hypothécaire libellé en devises étrangères), C‑80/21 à C‑82/21, EU:C:2022:646, point 68].

31      Il en découle, notamment, qu’un professionnel qui a imposé à un consommateur une clause déclarée abusive, et, par conséquent, nulle, par le juge national, lorsque le contrat peut subsister sans cette clause, ne peut prétendre à l’indemnité légale prévue par une disposition du droit national à caractère supplétif qui aurait été applicable en l’absence de ladite clause (arrêt du 27 janvier 2021, Dexia Nederland, C‑229/19 et C‑289/19, EU:C:2021:68, point 67).

32      En l’occurrence, il ressort des renseignements fournis par la juridiction de renvoi que la clause litigieuse prévoit, en cas de dénonciation illégitime du contrat par l’acheteur, de laisser au vendeur le choix entre une indemnisation forfaitairement égale à 20 % du prix de vente ou la réparation intégrale du préjudice causé par cette dénonciation illégitime. Selon cette juridiction, la première branche de cette alternative constitue l’élément abusif de la clause litigieuse, la seconde branche reflète les dispositions de l’article 921 de l’ABGB.

33      À cet égard, sous réserve des appréciations qu’il revient à la juridiction de renvoi d’opérer, il y a lieu de relever qu’une clause telle que la clause litigieuse est abusive dans son ensemble. En effet, une telle clause établit un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur, en ce qu’elle octroie au vendeur professionnel un choix qui, en cas de résolution du contrat imputable à son cocontractant, lui permet d’obtenir une indemnité correspondant à son préjudice si celui-ci est supérieur à 20 % de la valeur du contrat ou à 20 % de cette valeur si son préjudice réel est inférieur. Le mécanisme d’une telle clause est abusif en raison de la faculté que se réserve le professionnel et qui lui permet de prétendre à une indemnité qui peut dépasser son préjudice réel.

34      Partant, une telle clause est indivisible et doit être annulée dans son ensemble. Il est dès lors sans incidence que l’une des branches de l’alternative qu’elle prévoit correspond à une disposition supplétive du droit national relative à l’indemnisation du préjudice découlant de la dénonciation illégitime d’un contrat, indépendamment du fait que cette disposition est présumée établir un équilibre entre l’ensemble des droits et des obligations des parties au contrat et est, de ce fait, exclue du champ d’application de la directive 93/13 en vertu de son article 1er, paragraphe 2 (voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 2022, Zagrebačka banka, C‑567/20, EU:C:2022:352, point 57 et jurisprudence citée). Il est également sans incidence que l’autre branche de ladite alternative puisse constituer en elle-même une clause abusive.

35      En conséquence, il incombe au juge national de vérifier, conformément à la jurisprudence rappelée au point 28 du présent arrêt, si la persistance du contrat de vente est juridiquement possible après la suppression de la clause litigieuse.

36      Si tel est le cas, le juge national ne saurait substituer à la clause litigeuse une disposition nationale à caractère supplétif, ainsi qu’il ressort du point 30 du présent arrêt.

37      En particulier, ainsi qu’il a été relevé au point 31 du présent arrêt, dans une telle hypothèse, le professionnel qui a imposé au consommateur une clause indemnitaire abusive ne saurait se prévaloir de l’indemnité prévue par une disposition du droit national à caractère supplétif qui aurait été applicable en l’absence de ladite clause.

38      En effet, la possibilité de substituer à une clause abusive une disposition supplétive de droit national est limitée, comme il ressort de la jurisprudence constante rappelée au point 29 du présent arrêt, aux situations dans lesquelles l’annulation de cette clause abusive entraînerait l’invalidation du contrat, laquelle exposerait le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, de telle sorte que ce dernier en serait pénalisé.

39      Par ailleurs, il est sans incidence que l’annulation de la clause indemnitaire abusive ait pour conséquence de libérer le consommateur de toute obligation d’indemnisation. En effet, il résulte des points 64 et 67 de l’arrêt du 27 janvier 2021, Dexia Nederland (C‑229/19 et C‑289/19, EU:C:2021:68), que, lorsqu’un contrat contient une clause indemnitaire abusive, l’impossibilité de lui substituer une disposition supplétive du droit national vise à assurer la réalisation de l’objectif à long terme de l’article 7 de la directive 93/13, qui est de faire cesser l’utilisation des clauses abusives, en maintenant l’effet dissuasif de la non-application pure et simple de celles-ci. La nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection assurée aux consommateurs, en vertu duquel la directive 93/13 impose aux États membres de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives (voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C‑618/10, EU:C:2012:349, point 68), justifient une telle conséquence. Partant, un professionnel qui a rompu l’équilibre contractuel en imposant une clause abusive ne saurait se prévaloir de cet équilibre pour échapper aux conséquences de l’invalidation de cette clause.

40      Il est également sans incidence que le professionnel qui a imposé une clause indemnitaire abusive fonde son action en dommages et intérêts sur une disposition supplétive du droit national, et non sur la partie de cette clause qui correspond à cette disposition. En effet, la mise en œuvre des conséquences prévues à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne saurait dépendre des choix procéduraux de ce professionnel.

41      Cela étant, il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer, au préalable, l’examen des circonstances propres à la présente affaire, conformément aux points 33 et 35 du présent arrêt.

42      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une clause indemnitaire d’un contrat de vente a été déclarée abusive et, par conséquent, nulle, ledit contrat pouvant néanmoins subsister sans cette clause, ils s’opposent à ce que le vendeur professionnel qui a imposé ladite clause puisse prétendre, dans le cadre d’un recours indemnitaire fondé exclusivement sur une disposition à caractère supplétif du droit national des obligations, à la réparation de son préjudice telle que prévue par cette disposition, laquelle aurait été applicable en l’absence de ladite clause.

 Sur les dépens

43      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,

doivent être interprétés en ce sens que :

lorsqu’une clause indemnitaire d’un contrat de vente a été déclarée abusive et, par conséquent, nulle, ledit contrat pouvant néanmoins subsister sans cette clause, ils s’opposent à ce que le vendeur professionnel qui a imposé ladite clause puisse prétendre, dans le cadre d’un recours indemnitaire fondé exclusivement sur une disposition à caractère supplétif du droit national des obligations, à la réparation de son préjudice telle que prévue par cette disposition, laquelle aurait été applicable en l’absence de ladite clause.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.