Language of document : ECLI:EU:T:2009:98

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (sixième chambre)

1er avril 2009 (*)

« Recours en indemnité – Prescription – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑280/08,

Claude Perry, demeurant à Paris (France), représenté par Me J. Culioli, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. J.‑P. Keppenne et P. van Nuffel, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours en réparation du préjudice prétendument subi par le requérant du fait d’accusations de détournements d’aides communautaires humanitaires censés avoir été commis à l’occasion de l’exécution de contrats conclus par la Commission avec des sociétés du requérant,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (sixième chambre),

composé de MM. A. W. H. Meij, président, V. Vadapalas et L. Truchot (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Claude Perry, était administrateur de deux sociétés, Perry Lux Informatic Sàrl, constituée le 11 juin 1982, et le Groupe Perry SA, constituée le 10 décembre 1996.

2        De 1993 à 1995, Perry Lux Informatic a signé avec la Commission quatre contrats dans le cadre de l’aide humanitaire apportée par la Communauté européenne à la Bosnie et aux populations africaines de la région des Grands Lacs.

3        Au cours des années 1997 et 1998, l’unité de coordination de la lutte antifraude de la Commission (UCLAF) a mené une enquête sur des détournements de fonds communautaires destinés à l’aide humanitaire en ex-Yougoslavie et en Afrique centrale au cours des années 1993 à 1995.

4        Des contrôles ont été effectués à cette fin au siège de Perry Lux Informatic, les 31 mars et 6 mai 1998.

5        Perry Lux Informatic, devenue entre-temps Isibiris Sàrl, a été mise en liquidation judiciaire le 11 mai 1998.

6        Au terme de son enquête, l’UCLAF a rendu un rapport concluant à un détournement par M. Perry de 100 millions de francs luxembourgeois (2 478 935 euros) d’aide humanitaire.

7        Considérant qu’il y avait, d’une part, confusion des patrimoines d’Isibiris et du Groupe Perry et, d’autre part, faute commise par le Groupe Perry, la Commission a interrompu le paiement de factures émises par cette dernière société.

8        Le 3 août 1998, la Commission a informé le requérant et le liquidateur d’Isibiris de son intention de procéder au recouvrement d’une partie des fonds qu’elle avait versés à Isibiris.

9        Le 10 septembre 1998, la Commission a envoyé une note de débit pour un montant total de 540 000 euros au liquidateur d’Isibiris.

10      Par jugement du 3 février 1999 du tribunal de commerce de Luxembourg, Isibiris et le Groupe Perry ont été déclarés en faillite.

11      Par jugement du 12 octobre 2006, le tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en matière de police correctionnelle, a acquitté le requérant, notamment, de l’accusation de faux en écritures commis entre le 1er janvier 1995 et le 8 octobre 1996, à l’effet de tromper les services de la Commission et d’obtenir frauduleusement des marchés auprès de cette institution.

 Procédure et conclusions des parties

12      Estimant que le gel unilatéral du paiement des factures dues par la Commission avait eu pour conséquence de contribuer directement à la faillite de ses sociétés et que les accusations non contradictoirement vérifiées de détournements d’aides communautaires avaient provoqué sa propre ruine, le requérant a introduit le présent recours en responsabilité non contractuelle, par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 juillet 2008.

13      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 16 octobre 2008, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, sur le fondement de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

14      Le requérant a présenté ses observations sur cette exception le 4 décembre 2008.

15      Dans sa requête, le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le présent recours recevable :

–        constater que la Commission a engagé la responsabilité non contractuelle de la Communauté ;

–        lui donner acte qu’il évalue son préjudice à la somme de 1 million d’euros et condamner la Communauté à lui payer cette somme ;

–        condamner la Commission aux dépens de l’instance à concurrence de 10 000 euros.

16      Dans son exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours manifestement irrecevable ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

17      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité du recours sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal.

18      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier pour statuer sans ouvrir la procédure orale.

 Arguments des parties

19      La Commission soutient que l’action du requérant est prescrite en ce qu’elle a été introduite après l’expiration du délai de prescription quinquennal fixé en matière de responsabilité non contractuelle de la Communauté par l’article 46 du statut de la Cour de justice.

20      Ce délai aurait commencé à courir à partir du moment où le préjudice allégué s’est effectivement réalisé.

21      Or, même à les supposer avérés, les faits reprochés à la Commission et censés être à l’origine du dommage prétendument subi remonteraient à une période antérieure de plus de cinq ans à l’introduction du présent recours.

22      En effet, la faillite des sociétés du requérant, qui représenterait son préjudice matériel, aurait été déclarée par jugement du 3 février 1999.

23      L’éventuelle atteinte à la réputation de l’intéressé, supposée constituer son préjudice moral, n’aurait pu avoir lieu qu’en 1998/1999, lorsque la presse a fait état de l’enquête de l’UCLAF.

24      Le préjudice dont la réparation est demandée serait ainsi devenu certain en 1998 et en 1999, soit plus de cinq ans avant l’introduction du présent recours, de sorte que l’action indemnitaire serait prescrite.

25      Selon la Commission, le requérant ne saurait prétendre qu’il ignorait l’existence du préjudice, dès lors qu’il dirigeait les sociétés en cause à la date de leur mise en liquidation.

26      La Commission ajoute que le requérant ne peut davantage contester la prescription de la présente action en se prévalant du jugement d’acquittement du 12 octobre 2006. À supposer même que l’on puisse déduire de ce jugement des éléments au soutien de l’illégalité du comportement reproché à la Commission, la présente action indemnitaire resterait prescrite. En effet, le point de départ du délai de prescription ne serait pas reporté à la date d’une éventuelle constatation judiciaire de l’illégalité du comportement reproché. Il en serait d’autant plus ainsi en l’espèce que la juridiction nationale n’aurait porté aucun jugement sur l’attitude de la Commission.

27      Le requérant répond que le délai de prescription d’un recours en responsabilité non contractuelle de la Communauté ne peut commencer à courir avant que ne soient réunies toutes les conditions auxquelles se trouve subordonnée l’obligation de réparation ni, notamment, avant que le dommage à réparer ne se soit concrétisé.

28      Le requérant rappelle que son préjudice trouve son origine dans la procédure pénale instruite en Belgique en 1998 à la suite d’accusations de détournements de fonds portées contre lui.

29      À la suite des contrôles que la Commission a alors demandé à l’UCLAF d’effectuer au sein des sociétés du requérant, cet organe aurait conclu à l’existence de détournements d’aides humanitaires par ce dernier.

30      En entérinant le rapport de l’UCLAF et, partant, les accusations de détournements de fonds communautaires dirigées contre le requérant, qui plus est, en violation de multiples règles supérieures de droit protégeant les particuliers, telles que le droit à une bonne administration, le droit d’être entendu, le droit d’accès de l’administré à son dossier administratif, l’égalité des chances et le principe d’impartialité, la Commission aurait abusivement et arbitrairement sanctionné les sociétés du requérant, provoquant leur liquidation judiciaire et sa ruine personnelle, tout en bafouant sa réputation personnelle.

31      Le jugement d’acquittement du 12 octobre 2006 constituerait le fait générateur de la responsabilité non contractuelle de la Communauté.

32      En effet, d’une part, du fait de l’acquittement du requérant des accusations de détournements d’aides communautaires, son préjudice serait devenu certain, la Commission ayant manifestement commis une faute en entérinant le rapport de l’UCLAF imputant au requérant l’origine des détournements dénoncés.

33      D’autre part, le préjudice du requérant serait devenu démontrable, puisqu’il disposerait désormais des moyens de droit lui permettant de prouver son innocence.

 Appréciation du Tribunal

34      Selon l’article 46 du statut de la Cour, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut, les actions contre les Communautés en matière de responsabilité non contractuelle se prescrivent par cinq ans à compter de la survenance du fait qui y donne lieu.

35      Il résulte d’une jurisprudence constante que ce délai de prescription commence à courir lorsque sont réunies toutes les conditions auxquelles se trouve subordonnée l’obligation de réparation, et, notamment, lorsque le dommage à réparer s’est concrétisé (arrêt de la Cour du 17 juillet 2008, Commission/Cantina sociale di Dolianova e.a., C‑51/05 P, non encore publié au Recueil, point 54).

36      Dans les contentieux nés, comme en l’espèce, d’actes individuels, le délai de prescription commence à courir lorsque ces actes ont produit leurs effets à l’égard des personnes qu’ils visent [arrêt de la Cour du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, Rec. p. I‑2941, points 29 et 30].

37      En l’espèce, le requérant soutient que le comportement qu’il reproche à la Commission lui a causé un préjudice matériel, constitué par la faillite de ses sociétés et, partant, par sa ruine personnelle, et un préjudice moral procédant de l’atteinte corrélative à sa réputation.

38      Il apparaît cependant que tous les actes de la Commission que le requérant considère être à l’origine de son préjudice, ainsi que le préjudice lui-même, sont antérieurs de plus de cinq ans au 18 juillet 2008, date du dépôt du présent recours en indemnité.

39      C’est en effet au cours de la période s’achevant, au plus tard, en 1999 que les actes reprochés à la Commission ont produit l’ensemble des effets dommageables que leur prête le requérant et dont l’intéressé aurait eu alors tout loisir de démontrer le caractère certain.

40      Cette antériorité des faits générateurs du dommage imputés à la Commission est implicitement reconnue par le requérant lui-même lorsqu’il soutient, dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, que la procédure pénale instruite par les juridictions belges en 1998 a été ouverte en raison « des accusations de détournements […] portées [contre lui] devant le tribunal de première instance de Bruxelles pour les faits suivants : ‘intention de dissimuler des détournements […] et d’obtenir des marchés auprès de la Commission’ ».

41      Surtout, la faillite d’Isibiris et du Groupe Perry, qui constitue le dommage matériel allégué, a été déclarée par jugement du 3 février 1999.

42      En outre, la Commission a soutenu, sans être contestée, que le requérant ne pouvait prétendre ignorer l’existence de son préjudice matériel, dès lors qu’il dirigeait les sociétés en cause à la date de leur mise en liquidation judiciaire.

43      La même constatation peut être faite en ce qui concerne les actes de la Commission prétendument à l’origine du préjudice moral que le requérant soutient avoir subi.

44      D’une part, l’atteinte supposée à sa réputation procède des mêmes actes de la Commission que ceux que le requérant prétend être à l’origine de son préjudice matériel.

45      D’autre part, celui-ci n’a pas contesté l’affirmation de la Commission selon laquelle une éventuelle atteinte à sa réputation n’aurait pu avoir lieu que lorsque la presse a fait état, au cours de la période 1998/1999, de l’enquête de l’UCLAF.

46      En tout état de cause, le requérant n’a pas allégué que le dommage moral qu’il soutient avoir subi serait survenu postérieurement à ces révélations.

47      Par ailleurs, c’est à tort que le requérant oppose à l’exception de prescription que le jugement d’acquittement du 12 octobre 2006 constitue le fait générateur de la responsabilité non contractuelle de la Communauté et que son action indemnitaire n’est donc pas prescrite.

48      En premier lieu, cette allégation est contredite par l’affirmation du requérant selon laquelle le préjudice allégué « trouve son origine dans la procédure pénale instruite par les juridictions belges en 1998 ».

49      En deuxième lieu, le requérant ne saurait prétendre que le jugement d’acquittement constitue le fait générateur de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, sauf à admettre que c’est son acquittement qui est à l’origine du préjudice invoqué.

50      En troisième lieu, le jugement se rapporte au seul comportement individuel du requérant, objet de l’instance pénale, et non aux faits reprochés par l’intéressé à la Commission.

51      Le requérant ne peut davantage prétendre que la décision d’acquittement aurait conféré à son préjudice un caractère certain et démontrable.

52      Ainsi qu’il a été relevé au point 39 ci-dessus, le requérant était, dès la fin de l’année 1999, en mesure de démontrer le caractère certain du préjudice matériel et moral que les actes reprochés à la Commission lui auraient alors occasionné.

53      Il convient d’ajouter que le caractère certain et démontrable du préjudice invoqué par le requérant ne peut résulter d’une décision de justice qui a pour seul objet de statuer sur sa responsabilité pénale, de sorte que la date de ce préjudice ne saurait être fixée au jour du jugement.

54      Enfin et tout état de cause, il est indifférent, pour le déclenchement du délai de prescription de l’action en responsabilité non contractuelle de la Communauté, que le comportement illégal reproché à une institution ait été constaté par une décision de justice [arrêt Holcim (Deutschland)/Commission, précité, point 31].

55      Force est donc de constater que le présent recours en responsabilité non contractuelle a été introduit plus de cinq ans à compter de la survenance des faits qui y ont donné lieu, au sens de l’article 46 du statut de la Cour.

56      Il s’ensuit que l’action indemnitaire du requérant est prescrite et que le présent recours doit donc être rejeté comme irrecevable.

 Sur les dépens

57      En vertu de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

58      Le requérant ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      M. Claude Perry est condamné aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 1er avril 2009.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      A. W. H. Meij


* Langue de procédure : le français.