Language of document : ECLI:EU:T:2006:79

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

15 mars 2006 (*)

« Fonctionnaires − Nomination − Révision du classement en échelon − Article 31, paragraphe 2, du statut »

Dans l’affaire T-10/04,

Carlos Alberto Leite Mateus, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Zaventem (Belgique), représenté par Mes S. Orlandi, A. Coolen, J.-N. Louis et É. Marchal, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. J. Currall et V. Joris, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande en annulation de la décision de la Commission du 20 décembre 2002, portant classement définitif du requérant au grade B 3 avec effet au 1er mars 1988,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de MM. H. Legal, président, P. Mengozzi et Mme I. Wiszniewska‑Białecka, juges,

greffier : M. I. Natsinas, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 novembre 2005,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1       L’article 5 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, dans sa rédaction applicable jusqu’au 30 avril 2004 (ci-après le « statut ») dispose :

« 1. Les emplois relevant du présent statut sont classés, suivant la nature et le niveau des fonctions auxquelles ils correspondent, en quatre catégories désignées dans l’ordre hiérarchique décroissant par les lettres A, B, C [et] D.

[…]

La catégorie B comporte cinq grades regroupés en carrières généralement étalées en deux grades et correspondant à des fonctions d’application et d’encadrement nécessitant des connaissances du niveau de l’enseignement secondaire ou une expérience professionnelle de niveau équivalent. 

[…] »

2       L’article 31 du statut énonce :

« 1. Les candidats […] sont nommés :

–       […] ;

–       fonctionnaires des autres catégories [que la catégorie A ou du cadre linguistique] : au grade de base correspondant à l’emploi pour lequel ils ont été recrutés.

2. Toutefois, l’autorité investie du pouvoir de nomination peut déroger aux dispositions visées [au paragraphe 1 ci-dessus] dans les limites suivantes :

a)      [...] ;

b)      pour les autres grades [que les grades A 1, A 2, A 3 et LA 3], à raison :

–       d’un tiers s’il s’agit de postes rendus disponibles,

–       de la moitié s’il s’agit de postes nouvellement créés.

[...] »

3       Par décision du 1er septembre 1983 relative aux critères applicables à la nomination en grade et au classement en échelon lors du recrutement, publiée aux Informations administratives nº 420 du 21 octobre 1983 (ci-après la « décision du 1er septembre 1983 »), la Commission a notamment précisé les modalités d’application de l’article 31 du statut.

4       L’article 2, premier alinéa, de la décision du 1er septembre 1983, prévoit :

« L’autorité investie du pouvoir de nomination nomme le fonctionnaire stagiaire au grade de base de la carrière pour laquelle il est recruté. »

5       À la suite de l’arrêt du Tribunal du 5 octobre 1995, Alexopoulou/Commission (T‑17/95, RecFP p. I‑A‑227 et II‑683), l’article 2 de la décision du 1er septembre 1983 a été modifié par décision du 7 février 1996, de sorte qu’il précise désormais :

« Par exception à ce principe, [l’autorité investie du pouvoir de nomination] peut décider de nommer le fonctionnaire stagiaire au grade supérieur de la carrière, lorsque des besoins spécifiques du service exigent le recrutement d’un titulaire particulièrement qualifié ou lorsque la personne recrutée possède des qualifications exceptionnelles. »

6       L’article 2, deuxième alinéa, de la décision du 1er septembre 1983, dispose :

« La durée minimum d’expérience professionnelle pour le classement au premier échelon dans le grade de base de chaque carrière est de :

[…]

–       12 ans pour le grade B/3 ;

[…] »

7       Le quatrième alinéa de cette disposition précise que la même période ne peut être valorisée qu’une seule fois.

8       L’article 2, sixième alinéa, de la décision du 1er septembre 1983 indique :

« L’expérience professionnelle n’est décomptée qu’à partir de l’obtention du premier diplôme donnant accès, conformément à l’article 5 du statut, à la catégorie dans laquelle l’emploi est à pourvoir […] et elle doit être d’un niveau correspondant à cette catégorie. »

9       Par ailleurs, la Commission a établi un document intitulé « Guide administratif » comportant des informations relatives au classement des nouveaux fonctionnaires. Ce guide énumère notamment les critères sur la base desquels l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’ « AIPN ») peut décider de nommer un fonctionnaire stagiaire au grade supérieur de la carrière pour laquelle il a été recruté. Ces critères sont les suivants :

« –      niveau et pertinence des qualifications et diplômes autres que ceux permettant d’ores et déjà d’accéder à la catégorie ;

–       niveau et qualité de l’expérience professionnelle, pour autant qu’elle réponde aux besoins de la Commission (qualité de l’expérience, niveau de responsabilité, complexité et difficultés inhérentes aux postes concernés, expérience de la gestion, responsabilités financières, etc.) ;

–       durée de l’expérience professionnelle en liaison avec le poste proposé ;

–       pertinence de l’expérience professionnelle pour le poste à pourvoir au sein de la Commission ;

–       particularités du marché de l’emploi au regard des compétences requises (pénurie de personnel qualifié, en particulier) ».

 Antécédents du litige

10     Le requérant, lauréat du concours COM/B/489 organisé en application du règlement (CECA, CEE, Euratom) nº 3517/85 du Conseil, du 12 décembre 1985, instituant, à l’occasion de l’adhésion de l’Espagne et du Portugal, des mesures particulières et temporaires concernant le recrutement de fonctionnaires des Communautés européennes (JO L 335, p. 55), a été recruté par la Commission le 1er mars 1988 en tant que fonctionnaire stagiaire de grade B 3, échelon 3, affecté à la direction générale « Personnel et administration ».

11     Après l’adoption de la décision de la Commission du 7 février 1996 précitée, modifiant l’article 2 de la décision du 1er septembre 1983, le requérant a demandé à l’AIPN le réexamen de son classement initial. Cette demande ayant été rejetée, le requérant a introduit un recours devant le Tribunal.

12     Ce recours faisant partie d’une série de recours similaires, une affaire pilote, à savoir l’affaire Gevaert/Commission enregistrée sous la référence T‑160/97, a été désignée par le Tribunal.

13     Par ordonnance du 19 août 1998 (T‑160/97, RecFP p. I‑A‑465 et II‑1363), le Tribunal a rejeté le recours dans l’affaire Gevaert/Commission comme étant irrecevable. Par arrêt du 11 janvier 2001, Gevaert/Commission (C‑389/98 P, Rec. p. I‑65), la Cour a annulé l’ordonnance du Tribunal, ce qui a amené la Commission, en raison d’un engagement de sa part en ce sens, à réexaminer la demande de reclassement d’une série de fonctionnaires, dont celle du requérant.

14     Après avoir invité le requérant à lui communiquer les pièces ne se trouvant pas dans son dossier personnel mais que celui-ci estimait nécessaires au réexamen de son classement, l’AIPN a, par décision du 20 décembre 2002, confirmé le maintien du classement initial du requérant au grade B 3 (ci-après la « décision attaquée »). La décision attaquée précisait que, tout en reconnaissant les indéniables qualités du requérant ainsi que la pertinence de son expérience professionnelle antérieure à sa prise de fonctions, l’AIPN n’avait pas estimé que l’ensemble des éléments de son dossier constituait un « faisceau d’indices » suffisant pour considérer son profil comme étant exceptionnel.

15     Il ressort du dossier que la décision attaquée est fondée, en ce qui concerne le diplôme pris en considération pour le calcul de l’expérience professionnelle antérieure du requérant, sur les indications données dans une lettre du département de l’enseignement secondaire du ministère de l’Éducation portugais du 2 janvier 2002 (ci-après la « lettre du 2 janvier 2002 »), adressée à la Commission en réponse à sa demande du 14 novembre 2001.

16     Conformément à l’article 90, paragraphe 2, du statut, le requérant a introduit, le 31 mars 2003, une réclamation à l’encontre de la décision attaquée.

17     Cette réclamation a fait l’objet d’une décision explicite de rejet du 29 juillet 2003, notifiée au requérant le 25 septembre suivant. L’AIPN a indiqué, en conclusion de cette décision, que, au vu des éléments du dossier, de la jurisprudence pertinente et du pouvoir discrétionnaire dont l’AIPN jouissait en la matière, même si le rapport existant entre l’expérience antérieure et les fonctions exercées lors de la nomination du requérant comme fonctionnaire stagiaire pouvait être considéré comme d’un excellent niveau, ni le « profil académique », ni les qualifications et l’expérience professionnelle antérieures du requérant – en ce qui concerne tant la nature et la durée de celles-ci que le rapport plus ou moins étroit qu’elles peuvent présenter avec les exigences du poste −, ni les besoins spécifiques du service ne justifiaient la décision exceptionnelle de procéder au reclassement du requérant au grade supérieur de sa carrière.

 Procédure et conclusions des parties

18     C’est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 janvier 2004, le requérant a introduit le présent recours.

19     Le Tribunal (quatrième chambre) a décidé, en application de l’article 47, paragraphe 1, de son règlement de procédure, qu’un deuxième échange de mémoires n’était pas nécessaire en l’espèce.

20     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a invité la Commission à produire l’avis de concours COM/B/489. La Commission a déféré à cette demande dans le délai imparti.

21     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 17 novembre 2005.

22     Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler la décision attaquée ;

–       condamner la Commission aux dépens.

23     La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours comme non fondé ;

–       statuer sur les dépens comme de droit.

 En droit

 Arguments des parties

24     À l’appui de son recours, le requérant invoque un moyen unique, tiré à la fois d’une erreur manifeste d’appréciation des faits et d’une violation de l’article 5 du statut.

25     Le requérant soutient plus précisément que, aux fins de l’examen de sa demande de reclassement au grade supérieur de sa carrière, la Commission a uniquement décompté son expérience professionnelle postérieure à l’obtention de son certificat (certidão) du cours de comptabilité (curso de contabilista) délivré par l’Institut supérieur de la comptabilité et de l’administration de Lisbonne (Instituto Superior de Contabilidade e Administração de Lisboa) le 26 octobre 1970. En procédant de la sorte, la Commission aurait méconnu le fait que le requérant avait déjà obtenu, le 13 juillet 1964, le diplôme de l’enseignement secondaire lui donnant accès à la catégorie B, à savoir le certificat (certidão) de la section préparatoire à l’entrée aux cours supérieurs d’économie et des finances (Secção Preparatória para ingresso nos Cursos Superiores de Economia e Finanças) délivré par l’organisme précité.

26     Dans ces conditions, le requérant estime que c’est à tort que l’AIPN a retenu une durée de 19 ans et 4 mois d’expérience professionnelle postérieure à l’obtention de son deuxième diplôme, au lieu des 23 ans d’expérience professionnelle qu’elle aurait dû lui reconnaître à compter de l’obtention du diplôme qui lui avait été délivré le 13 juillet 1964 et qui lui donnait accès à la catégorie B. Partant, l’appréciation des mérites du requérant aux fins de son reclassement, effectuée dans la décision attaquée, serait entachée d’une erreur manifeste et d’une violation de l’article 5 du statut.

27     À l’audience, le requérant a contesté l’interprétation retenue par la Commission, dans ses écritures, de la lettre du 2 janvier 2002. En particulier, il a indiqué que, au moment de la délivrance des diplômes du 13 juillet 1964 et du 26 octobre 1970, la structure de l’enseignement secondaire au Portugal était différente de celle du système actuel et que le diplôme délivré le 26 octobre 1970, qualifié de diplôme de l’enseignement supérieur par la lettre du 2 janvier 2002, impliquait nécessairement que le diplôme délivré le 13 juillet 1964 était un diplôme de l’enseignement secondaire. Par ailleurs, le requérant a ajouté qu’il avait été également lauréat du concours COM/B/487, lequel, en exigeant 18 ans d’expérience professionnelle, conforte l’argument selon lequel le diplôme du 13 juillet 1964 est un diplôme de l’enseignement secondaire, dans la mesure où le jury de ce concours a nécessairement dû prendre ce diplôme en considération pour admettre sa candidature.

28     Dans ses écritures, la Commission relève tout d’abord que le moyen unique invoqué ne concerne que la première des hypothèses alternatives permettant le classement au grade supérieur de la carrière, à l’exclusion de celle relative aux besoins spécifiques du service exigeant le recrutement d’un titulaire particulièrement qualifié.

29     Ensuite, la Commission expose, de façon générale, que la notion d’enseignement secondaire, permettant l’accès à la catégorie B, au sens de l’article 5 du statut, vise les études secondaires supérieures. À cet égard, la Commission s’étant adressée aux autorités portugaises compétentes avant l’adoption de la décision attaquée afin de savoir lequel des diplômes obtenus par le requérant devait être considéré comme un diplôme de fin d’études secondaires supérieures, précise que, en l’espèce, ces autorités ont, par la lettre du 2 janvier 2002, indiqué que les diplômes en question étaient antérieurs au système éducatif actuel, introduit par la Lei nº 46/86 de Bases do Sistema Educative Português du 14 octobre 1986 (loi-cadre relative au système d’éducation portugais, ci-après la « loi-cadre de 1986 ») et qu’ils ne s’inséraient pas dans l’enseignement secondaire tel qu’il est présentement défini. La Commission ajoute que les autorités portugaises ont indiqué que les cours de la section préparatoire à l’entrée aux cours supérieurs d’économie et des finances sont équivalents aux cours actuels de l’enseignement de base, lequel est formé de trois cycles successifs, couvrant neuf ans de scolarité, alors que le diplôme obtenu par le requérant le 26 octobre 1970 est sans conteste un diplôme de l’enseignement supérieur non universitaire donnant accès à la catégorie B. Aux fins de l’appréciation des qualifications prétendument exceptionnelles du requérant, l’expérience professionnelle de ce dernier ne pouvait donc être décomptée, selon la Commission, que postérieurement à l’obtention de ce diplôme.

30     Enfin, au surplus, la Commission ajoute que les attestations d’emploi couvrant la période de 1964 à 1970 ne permettent pas d’apprécier si est remplie l’autre condition prévue par l’article 2, sixième alinéa, de la décision du 1er septembre 1983, à savoir si l’expérience professionnelle du requérant était d’un niveau correspondant à la catégorie B. En particulier, elle relève que l’expérience professionnelle acquise entre le 13 septembre 1966 et le 12 septembre 1968 avait déjà été valorisée au titre du service militaire obligatoire au Portugal.

31     À l’audience, la Commission a fait observer que le ministère de l’Éducation portugais était mieux placé qu’elle pour déterminer le niveau du diplôme délivré au requérant le 13 juillet 1964 et que celui-ci ne saurait se borner à contester ces éléments, sans étayer ses affirmations par des pièces écrites. De plus, elle souligne que le requérant n’invoque une erreur manifeste d’appréciation qu’en ce qui concerne le deuxième critère se rapportant à l’hypothèse des qualifications exceptionnelles, alors que les trois critères que compte cette hypothèse auraient été jugés comme étant cumulatifs par l’arrêt du Tribunal du 15 novembre 2005, Righini/Commission (T‑145/04, non encore publié au Recueil).

 Appréciation du Tribunal

32     L’article 31, paragraphe 2, du statut confère à l’AIPN la faculté de nommer un candidat au grade supérieur de sa carrière sans prévoir de condition particulière.

33     L’usage de cette faculté doit cependant être concilié avec les exigences propres à la notion de carrière résultant de l’article 5 et de l’annexe I du statut. En conséquence, il n’est admissible de recruter au grade supérieur d’une carrière qu’à titre exceptionnel (arrêt de la Cour du 1er juillet 1999, Alexopoulou/Commission, C‑155/98 P, Rec. p. I‑4069, points 32 et 33, et ordonnance du Tribunal du 12 octobre 1998, Campoli/Commission, T‑235/97, RecFP p. I‑A‑577 et II‑1731, point 32).

34     Selon une jurisprudence constante depuis l’arrêt du 5 octobre 1995, Alexopoulou/Commission, point 5 supra, l’AIPN est tenue, en présence de circonstances particulières, comme les qualifications exceptionnelles d’un candidat, de procéder à une appréciation concrète de l’application éventuelle de l’article 31, paragraphe 2, du statut, une telle obligation s’imposant notamment lorsque les besoins spécifiques du service exigent le recrutement d’un titulaire particulièrement qualifié ou lorsque la personne recrutée possède des qualifications exceptionnelles et demande à bénéficier de ces dispositions. Dès lors que l’AIPN a effectivement procédé à l’appréciation concrète des qualifications et de l’expérience professionnelle d’une personne au regard des critères de l’article 31 du statut, et sous réserve des conditions de classement qu’elle s’est éventuellement imposées lors de l’avis de vacance, elle peut décider librement, en tenant compte de l’intérêt du service, s’il y a lieu d’octroyer un classement au grade supérieur (ordonnance du Tribunal du 13 février 1998, Alexopoulou/Commission, T‑195/96, RecFP p. I‑A‑51 et II‑117, point 38, et arrêt du Tribunal du 11 juillet 2002, Wasmeier/Commission, T‑381/00, RecFP p. I‑A‑125 et II‑677, point 56).

35     Il importe également de souligner que, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence et de l’article 2 de la décision du 1er septembre 1983, l’hypothèse des qualifications exceptionnelles et celle des besoins spécifiques du service exigeant le recrutement d’un titulaire particulièrement qualifié sont alternatives (arrêt Righini/Commission, point 31 supra, point 45).

36     Par ailleurs, la Commission a précisé les deux hypothèses mentionnées ci-dessus en énumérant, dans son guide administratif, les cinq critères rappelés au point 9 ci-dessus. Les trois premiers critères permettent d’apprécier l’existence de qualifications exceptionnelles, tandis que les deux derniers critères servent à examiner l’existence de besoins spécifiques du service exigeant le recrutement d’un titulaire particulièrement qualifié. Ces critères sont, pour chacune des deux hypothèses, cumulatifs (arrêt Righini/Commission, point 31 supra, point 49).

37     Enfin, la décision de classement, fondée sur l’article 31, paragraphe 2, du statut, relève d’un large pouvoir d’appréciation de l’administration. Dans le cadre du contrôle qu’il exerce en la matière, le Tribunal ne saurait substituer son appréciation à celle de l’AIPN (arrêt de la Cour du 29 juin 1994, Klinke/Cour de justice, C‑298/93 P, Rec. p. I‑3009, point 31). Le Tribunal doit donc se limiter à vérifier s’il n’y a pas eu violation des formes substantielles, si l’AIPN n’a pas fondé sa décision sur des faits matériels inexacts ou incomplets ou si la décision n’est pas entachée d’un détournement de pouvoir, d’une erreur manifeste d’appréciation ou d’une insuffisance de motivation (arrêts du Tribunal du 26 octobre 2004, Brendel/Commission, T‑55/03, non encore publié au Recueil, point 60, et Righini/Commission, point 31 supra, point 53).

38     Par le présent recours, le requérant demande au Tribunal de constater l’erreur manifeste d’appréciation qu’a commise l’AIPN en refusant de prendre en compte, aux fins de son éventuel reclassement au grade supérieur de la carrière B 3/B 2, l’expérience professionnelle qu’il a acquise antérieurement à l’obtention du diplôme délivré le 26 octobre 1970.

39     Il est constant que le diplôme délivré le 26 octobre 1970 conférait au requérant le droit d’accéder à la catégorie B de la fonction publique communautaire.

40     En revanche, les parties s’opposent sur la question de savoir si le diplôme obtenu par le requérant le 13 juillet 1964 lui donnait déjà accès à la catégorie B et si, en conséquence, l’expérience professionnelle du requérant devait être décomptée à partir de cette date comme il le prétend.

41     Avant d’examiner cette question, il importe de formuler deux observations liminaires.

42     Tout d’abord, et d’une manière générale, la Commission ne saurait objecter, comme elle l’a fait en cours d’instance, que, à supposer même que l’expérience professionnelle du requérant ait été décomptée à partir de l’obtention du diplôme délivré le 13 juillet 1964, cette circonstance n’impliquerait pas que doivent lui être reconnues des qualifications exceptionnelles.

43     En effet, ce motif, n’étant exposé ni dans la décision attaquée ni dans la décision portant rejet de la réclamation du requérant, ne constitue pas le motif ayant déterminé l’adoption de ces décisions. Le motif fondant ces décisions apparaît en effet de manière explicite dans la décision portant rejet de la réclamation, qui expose que « l’expérience professionnelle [du requérant] n’est décomptée qu’à partir de l’obtention du premier diplôme donnant accès à la catégorie dans laquelle l’intéressé est recruté », à savoir, selon la Commission, le diplôme qui lui a été délivré le 26 octobre 1970. Ce motif ne saurait dès lors être utilement complété par un motif subsidiaire, avancé en cours d’instance, tiré du résultat hypothétique d’un examen, qui, selon le propre aveu de l’AIPN, n’a pas été effectué (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 10 décembre 2003, Tomarchio/Commission, T‑173/02, RecFP p. I‑A‑321 et II‑1567, point 86).

44     Il y a lieu d’ajouter que l’erreur alléguée par le requérant est susceptible d’affecter, à tout le moins, l’évaluation de deux des trois premiers critères exposés au point 9 ci-dessus, qui se rapportent à l’hypothèse tirée des qualifications exceptionnelles de l’intéressé.

45     Il s’ensuit que le Tribunal ne saurait souscrire à l’invitation faite par la Commission de procéder, en définitive, à une substitution des motifs sur lesquels la décision attaquée est fondée.

46     Ensuite, ne saurait non plus être accueilli l’argument de la Commission selon lequel le requérant, en alléguant que son expérience professionnelle a été erronément décomptée par l’AIPN du fait que cette dernière a simplement pris en compte le diplôme délivré le 26 octobre 1970, ne contesterait que l’appréciation portée quant à l’hypothèse des qualifications exceptionnelles et non celle portant sur les besoins spécifiques du service exigeant le recrutement d’un titulaire particulièrement qualifié.

47     En effet, il importe de souligner, d’une part, que l’expérience professionnelle est également explicitement mentionnée dans le premier critère visant à examiner la deuxième hypothèse prévue par l’article 2 de la décision du 1er septembre 1983 et, d’autre part, qu’elle est contenue, de manière implicite, dans le second critère, puisqu’il s’agit d’examiner, à ce titre, si le « profil » du requérant − expression qui implique nécessairement la prise en compte de son expérience professionnelle antérieure à son recrutement − est suffisamment rare sur le marché du travail pour justifier une éventuelle décision de l’AIPN de le classer au grade supérieur de sa carrière. Ainsi, l’erreur alléguée par le requérant est également susceptible d’affecter l’appréciation des besoins spécifiques du service exigeant le recrutement d’un titulaire particulièrement qualifié.

48     Sous le bénéfice de ces précisions liminaires, il importe de rappeler que, aux termes de l’article 5 du statut, la catégorie B comporte cinq grades correspondant à des fonctions d’application et d’encadrement nécessitant des connaissances du niveau de l’enseignement secondaire ou une expérience professionnelle de niveau équivalent.

49     En l’espèce, le requérant soutient que le diplôme qui lui a été délivré le 13 juillet 1964 constitue un diplôme de l’enseignement secondaire lui donnant accès à cette catégorie.

50     Premièrement, il convient d’observer que, dans la rubrique relative au « profil académique » de son acte de candidature au concours sur titres COM/B/489, portant sur le recrutement d’« assistants de nationalité portugaise », dont le requérant est lauréat, ce dernier n’a pas détaillé la liste des diplômes sur la base de laquelle il fondait sa candidature, mais a uniquement indiqué qu’il avait obtenu un diplôme de comptable après un cursus d’études mené entre 1962 et 1970. Pour l’admettre à ce concours, le jury n’a donc pas seulement pris en compte le diplôme délivré le 13 juillet 1964, mais également celui délivré le 26 octobre 1970. Il s’ensuit que les appréciations du jury de ce concours ne fournissent aucune information utile quant au niveau du diplôme délivré au requérant le 13 juillet 1964.

51     Le fait, invoqué à l’audience par le requérant, que celui-ci ait également été inscrit sur la liste d’aptitude du concours COM/B/487, portant sur le recrutement d’« assistants principaux de nationalité portugaise », lequel exigeait des candidats 18 ans d’expérience professionnelle, n’a pas de pertinence en l’espèce.

52     En effet, d’une part, ainsi que l’a précisé la décision du 28 mars 1988 portant nomination du requérant, annexée à la requête, ce dernier a été recruté à la Commission à la suite de son inscription sur la liste d’aptitude du concours COM/B/489. D’autre part, il y a lieu de rappeler que l’appréciation des conditions d’un avis de concours est une appréciation ad hoc dont la légalité ne peut être examinée que par rapport audit avis, l’AIPN disposant, au demeurant, du droit de refuser de nommer un candidat à un emploi si elle constate, malgré les appréciations du jury relatives à l’admission de ce candidat au concours en cause, qu’elle serait entraînée à procéder à son recrutement de manière illégale (voir arrêt du Tribunal du 15 septembre 2005, Luxem/Commission, T‑306/04, non encore publié au Recueil, points 23, 24 et 29, et la jurisprudence citée).

53     Deuxièmement, il importe de souligner que, en l’absence de toute disposition contraire contenue soit dans un règlement ou une directive applicable aux concours de recrutement organisés par les institutions communautaires, soit dans l’avis de concours, l’exigence de la possession d’un diplôme, qu’il soit de l’enseignement secondaire ou universitaire, doit nécessairement s’entendre au sens que donne à cette expression la législation propre à l’État membre où le candidat a accompli les études dont il se prévaut (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 juillet 1989, Jaenicke Cendoya/Commission, 108/88, Rec. p. 2711, point 14, et arrêt du Tribunal du 7 février 1991, Ferreira de Freitas/Commission, T‑2/90, Rec. p. II‑103, point 32).

54     À cet égard, les parties s’opposent sur l’interprétation à donner au contenu de la lettre du 2 janvier 2002, adressée par les autorités portugaises en réponse à la demande de la Commission du 14 novembre 2001, sur lequel est fondée la décision attaquée.

55     Le Tribunal relève que, dans sa lettre du 14 novembre 2001, la Commission a interrogé, de manière générale, le département de l’enseignement secondaire du ministère de l’Éducation portugais, afin que ce dernier lui indique lequel, parmi quatre diplômes délivrés respectivement en 1959, en 1964, en 1970 et en 1995 et énumérés dans ladite lettre, correspondait à un diplôme de l’enseignement secondaire supérieur.

56     Dans la lettre du 2 janvier 2002, les autorités portugaises ont exposé que l’actuel système d’éducation au Portugal, régi par la loi-cadre de 1986, comprenait, d’abord, un enseignement scolaire dit « de base », de neuf ans, réparti en trois cycles, ensuite un enseignement secondaire de trois années et enfin un enseignement supérieur (technique ou universitaire).

57     S’agissant des diplômes énumérés dans la lettre de la Commission du 14 novembre 2001, les autorités portugaises ont indiqué qu’ils étaient antérieurs à l’actuel système d’éducation et qu’ils ne s’inscrivaient pas dans l’enseignement secondaire, tel que défini actuellement. Les autorités portugaises ont précisé que le certificat de la section préparatoire à l’entrée aux cours supérieurs d’économie et des finances (délivré en 1964), mentionné dans la lettre de la Commission, était équivalent aux cours actuels de l’enseignement de base, alors que le certificat du cours de comptabilité (délivré en 1970) était considéré comme étant intégré, actuellement, dans les cours de l’enseignement supérieur technique.

58     Par ailleurs, il ressort du dossier que, selon la loi-cadre de 1986, pour accéder à l’enseignement supérieur, les étudiants doivent être titulaires d’un diplôme de l’enseignement secondaire ou d’un titre équivalent qui satisfasse aux exigences légales.

59     Or, le Tribunal considère tout d’abord que l’appréciation de la Commission aurait dû être effectuée au regard de l’ancien système d’éducation portugais, sous le régime duquel les diplômes du 13 juillet 1964 et du 26 octobre 1970 ont été délivrés au requérant. La Commission ne pouvait donc se borner, comme elle l’a fait pour fonder la décision attaquée, à prendre note des indications des autorités portugaises contenues dans la lettre du 2 janvier 2002, selon lesquelles le certificat délivré le 26 octobre 1970 correspondait actuellement à un diplôme de l’enseignement supérieur, alors que celui délivré le 13 juillet 1964 correspondait actuellement à un diplôme de l’enseignement de base, sans s’interroger sur le niveau de ces diplômes dans le système d’enseignement portugais sous l’égide duquel ils avaient été délivrés au requérant. Les informations transmises par les autorités portugaises dans la lettre du 2 janvier 2002 ne pouvaient donc pas servir de fondement à la décision attaquée.

60     Ensuite et, en tout état de cause, même à l’aune du système actuel de l’enseignement au Portugal, l’appréciation de la Commission est entachée d’une erreur manifeste en ce qu’elle s’est fondée sur les indications contenues dans la lettre du 2 janvier 2002, lesquelles, au vu du cas d’espèce, étaient insuffisantes pour adopter la décision attaquée.

61     En effet, la Commission ne pouvait uniquement prendre note des indications exposées in abstracto par les autorités portugaises dans leur lettre du 2 janvier 2002, sans s’interroger également sur leur cohérence par rapport à la situation individuelle qu’elle devait examiner.

62     C’est ainsi que, d’une part, au regard de la loi-cadre de 1986 selon laquelle l’enseignement supérieur n’est ouvert qu’aux titulaires de diplômes de l’enseignement secondaire ou de diplômes équivalents et d’autre part, à la lumière du fait que le requérant a été admis aux cours menant au diplôme de l’enseignement supérieur délivré le 26 octobre 1970, immédiatement après avoir obtenu le certificat délivré le 13 juillet 1964, la Commission aurait nécessairement dû s’interroger sur la cohérence, au vu du cas d’espèce dont elle était la seule à connaître, de l’indication, contenue dans la lettre du 2 janvier 2002, que ce certificat correspondait à un diplôme de l’enseignement de base portugais.

63     Afin d’établir lequel des diplômes délivrés au requérant lui donnait accès à la catégorie B de la fonction publique communautaire, la Commission ne pouvait donc se fonder sur les informations transmises par les autorités portugaises dans la lettre du 2 janvier 2002.

64     L’observation de la Commission, selon laquelle il convient d’interpréter l’expression « connaissances du niveau de l’enseignement secondaire », figurant à l’article 5 du statut et concernant les fonctionnaires de la catégorie B, comme visant les « études secondaires supérieures », ne saurait infirmer cette appréciation et comporte même une erreur de droit pour autant qu’elle viserait à supporter, à titre supplétif, la décision attaquée.

65     En effet, d’une part, il importe d’observer que l’article 5 du statut n’impose pas la condition invoquée par la Commission dans ses écritures. D’autre part, il y a lieu de relever que, quand bien même l’article 5 du statut ne s’oppose pas à ce qu’un avis de concours fixe des conditions d’admission plus sévères que celles que cette disposition pose pour l’exercice de fonctions de la catégorie B (voir, en ce sens, arrêt Tomarchio/Commission, point 43 supra, point 59, et la jurisprudence citée), en l’espèce, le point 2, sous a), de l’avis de concours COM/B/489 dont est lauréat le requérant exigeait uniquement des candidats, au titre de leurs diplômes, qu’ils rapportent la preuve d’avoir « effectué des études de niveau secondaire sanctionnées par un diplôme ».

66     Dès lors, la décision attaquée méconnaît également l’article 5 du statut pour autant qu’elle est fondée, ainsi que l’a suggéré la Commission dans ses écritures, sur la circonstance que le diplôme délivré au requérant le 13 juillet 1964 ne correspondait pas à un diplôme sanctionnant des études secondaires supérieures.

67     Au vu des considérations qui précèdent, le moyen unique, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation des faits et d’une violation de l’article 5 du statut, doit être accueilli et la décision attaquée doit être annulée.

 Sur les dépens

68     Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la Commission du 20 décembre 2002, portant classement définitif du requérant au grade B 3, avec effet au 1er mars 1988, est annulée.

2)      La Commission est condamnée aux dépens.



Legal

Mengozzi

Wiszniewska-Białecka

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 mars 2006.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

      H. Legal


* Langue de procédure : le français.