Language of document : ECLI:EU:T:2023:35

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

1er février 2023 (*) 

« Fonction publique – Assistants parlementaires accrédités – Harcèlement moral – Article 12 bis du statut – Demande d’assistance – Rejet de la demande – Article 24 du statut – Comité consultatif sur le harcèlement et sa prévention sur le lieu de travail traitant des plaintes opposant des assistants parlementaires accrédités à des membres du Parlement – Droit d’être entendu – Refus de communication du rapport du comité consultatif – Responsabilité – Préjudice moral »

Dans l’affaire T‑164/20,

BG, représentée par Mes A. Tymen, L. Levi et A. Champetier, avocates,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par Mmes M. Windisch, C. González Argüelles et M. I. Lázaro Betancor, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé, lors des délibérations, de MM. J. Svenningsen, président, C. Mac Eochaidh et Mme T. Pynnä (rapporteure), juges,

greffier : M. A. Marghelis, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 7 septembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, la requérante, BG, demande, d’une part, l’annulation de la décision du Parlement européen du 20 mai 2019 par laquelle l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement de celui-ci (ci-après l’« AHCC ») a rejeté sa demande d’assistance et, d’autre part, la réparation du préjudice moral qu’elle aurait subi.

 Antécédents du litige

2        À partir du 2 juillet 2014, la requérante a été engagée par l’AHCC, au titre de l’article 5 bis du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne, en tant qu’assistante parlementaire accréditée (ci-après « APA ») de A, membre du Parlement (ci-après le « député »).

3        Le 9 juin 2017, la requérante a fait part au secrétariat du comité consultatif sur le harcèlement et sa prévention sur le lieu de travail traitant des plaintes opposant des APA à des membres du Parlement (ci-après le « comité consultatif spécial “APA” ») de son intention de déposer une plainte pour harcèlement moral contre le député.

4        Par courriel du 27 juin 2017, la requérante a, au titre de l’article 24 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), applicable par analogie aux APA en vertu de l’article 127 du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne, introduit auprès de l’AHCC une demande d’assistance (ci-après la « demande d’assistance »). Elle demandait à l’AHCC de la « soutenir de toutes les manières possibles », en relatant un certain nombre de faits concernant le comportement du député à son égard. Tout d’abord, ce dernier l’aurait forcée à lui reverser une part significative de son salaire d’APA. Ensuite, il l’aurait surchargée de travail, ce qui l’aurait obligée à travailler en dehors de ses heures de service, y compris pendant les week-ends et ses congés. Il lui aurait également demandé d’exécuter des tâches étrangères à ses obligations professionnelles. Enfin, à la suite de révélations parues dans la presse nationale, en février 2017, au sujet de ladite extorsion, il aurait exercé de façon répétée des pressions sur la requérante liées au témoignage que cette dernière devait livrer au procureur national et à l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) dans le cadre de leurs enquêtes respectives concernant les agissements du député.

5        Le 13 juillet 2017, la requérante a déposé devant le comité consultatif spécial « APA » une plainte pour harcèlement moral contre le député.

6        Le 20 juillet 2017, l’AHCC a, après avoir tenu une réunion avec la requérante au sujet de sa demande d’assistance, décidé de dispenser cette dernière de son obligation de se présenter au travail jusqu’au 1er octobre 2017, sans préjudice d’une éventuelle prolongation de cette décision.

7        Le 23 janvier 2018, le comité consultatif spécial « APA » a, au terme d’une enquête administrative dans le cadre de laquelle la personne accusée de harcèlement et quinze témoins ont été entendus, adopté son rapport sur la plainte pour harcèlement moral déposée par la requérante. Il a conclu, dans le cadre de son évaluation du comportement du député, que les actes allégués par la requérante n’étaient pas établis et que la condition de la définition d’un harcèlement moral, au sens de l’article 12 bis du statut, tenant à l’existence de comportements inappropriés n’était par conséquent pas remplie.

8        Par lettre du 19 avril 2018, le président du Parlement a, après avoir décrit les constatations du comité consultatif spécial « APA », estimé que le premier critère permettant de qualifier une situation de harcèlement moral visé à l’article 12 bis du statut, à savoir des actes intentionnels, n’était pas satisfait et que, ainsi, la situation que la requérante avait évoquée ne pouvait pas être qualifiée de harcèlement selon les termes de la législation applicable. Par la suite, il a indiqué à la requérante qu’il transmettait son dossier à l’AHCC afin que celle-ci prenne une décision sur la demande d’assistance (ci-après la « décision motivée du président »).

9        Par décision du 23 avril 2018, le directeur général faisant fonction de la direction générale (DG) « Personnel » a informé la requérante que, en conséquence de l’avis du comité consultatif spécial « APA » et de la décision motivée du président, il rejetait sa demande d’assistance (ci-après la « première décision de refus d’assistance ») et levait la dispense de travail qui lui avait été accordée le temps du traitement de sa demande d’assistance.

10      Le 28 novembre 2018, le secrétaire général du Parlement a, en réponse à la réclamation administrative introduite par la requérante au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, dans laquelle cette dernière a fait notamment grief de ce que les conclusions du comité consultatif spécial « APA » ne lui avaient pas été communiquées, retiré la première décision de refus d’assistance, au motif que la requérante n’avait pas eu la possibilité de faire connaître son point de vue préalablement à l’adoption de cette décision.

11      Le 7 décembre 2018, la requérante a sollicité la communication des « conclusions finales » établies par le comité consultatif spécial « APA ».

12      Par lettre du 19 décembre 2018, le secrétaire général a expliqué à la requérante que le rapport du comité consultatif spécial « APA » n’avait aucun intérêt pour l’exercice de son droit d’être entendue dans le cadre de sa demande d’assistance, dès lors que, à la suite de la plainte pour harcèlement et sur la base du rapport dudit comité, le président du Parlement avait déterminé qu’il n’y avait pas de harcèlement. Il lui a également indiqué que ses observations devraient dès lors se concentrer sur le fait de savoir si, dans les circonstances de l’espèce, une assistance au titre de l’article 24 du statut demeurait néanmoins justifiée.

13      Le 24 décembre 2018, la requérante a de nouveau sollicité la communication des « conclusions finales » établies par le comité consultatif spécial « APA ». 

14      Le 20 mars 2019, l’AHCC a communiqué à la requérante ce qu’elle indiquait être une version anonymisée desdites conclusions et l’a invitée à soumettre des observations.

15      Le 5 avril 2019, la requérante a transmis ses observations, dans lesquelles elle a notamment fait valoir que le contenu du document communiqué, de deux pages, ne lui permettait pas de fournir des observations utiles sur l’examen fait par le comité consultatif spécial « APA ».

16      Le 20 mai 2019, le directeur général faisant fonction de la DG « Personnel » a informé la requérante qu’il rejetait sa demande d’assistance (ci-après la « seconde décision de refus d’assistance »). À cette occasion, il lui a indiqué que les motifs sous-tendant les conclusions du comité consultatif spécial « APA » étaient clairs et que les observations qu’elle avait transmises le 5 avril 2019 et antérieurement n’étaient pas suffisantes pour le convaincre que lesdites conclusions étaient incorrectes.

17      Par lettre du 20 août 2019, la requérante a introduit une réclamation à l’encontre de la seconde décision de refus d’assistance (ci-après la « réclamation »). Elle faisait notamment valoir que son droit d’être entendue avait été violé dans la mesure où elle avait sollicité l’accès à l’« avis » établi par le comité consultatif spécial « APA » et qu’elle n’avait reçu communication que d’un document de deux pages.

18      Par décision du 10 décembre 2019, le secrétaire général a rejeté la réclamation (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »). À cette occasion, il a indiqué à la requérante que la question de savoir si un harcèlement avait eu lieu ou non avait été tranchée par la décision motivée du président. Dans la mesure où l’« institution » avait décidé qu’il n’y avait pas de harcèlement, l’AHCC était liée par cette décision dans le cadre de la demande d’assistance qui s’appuyait sur les mêmes faits. Il a indiqué que, en tout état de cause, il fallait vérifier si, en dépit de l’absence de harcèlement, une assistance de l’institution n’était pas néanmoins justifiée au titre de l’article 24 du statut. Or, ce ne serait pas le cas dans la mesure où la requérante n’avait avancé aucun élément susceptible de justifier l’apport d’une assistance dans une situation où le président du Parlement avait conclu à l’absence de harcèlement. Par ailleurs, la réclamation aurait mis en cause des irrégularités dans la procédure devant le comité consultatif spécial « APA » et la conclusion quant à l’absence de harcèlement, que, « en [sa] capacité de secrétaire général », il n’avait pas le pouvoir de remettre en cause.

 Conclusions des parties

19      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la seconde décision de refus d’assistance ;

–        pour autant que de besoin, annuler la décision de rejet de la réclamation ;

–        condamner le Parlement à indemniser le préjudice moral qu’elle aurait subi du fait de la faute commise par le Parlement, évalué à un montant de 50 000 euros ;

–        condamner le Parlement aux dépens.

20      Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme manifestement irrecevable ;

–        en tout état de cause, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité et l’objet du recours

21      Le Parlement a introduit une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130 du règlement de procédure du Tribunal, à l’appui de laquelle il invoque une fin de non-recevoir unique, tirée du non-respect des conditions de recevabilité prévues à l’article 76, sous d), dudit règlement de procédure.

22      Le Parlement soutient que les moyens et les arguments de la requérante se rapportent à la décision motivée du président du Parlement ainsi qu’à la procédure devant le comité consultatif spécial « APA ». Or, il n’appartiendrait pas à l’AHCC, au titre de l’article 24 du statut, de prendre position sur les conclusions du comité consultatif spécial « APA », ou de réexaminer la décision motivée du président, qui aurait constitué la position définitive de l’institution sur l’existence d’une situation de harcèlement. Dès lors, les moyens soulevés par la requérante à l’encontre de la décision motivée du président ne seraient pas susceptibles de conduire à l’annulation des décisions attaquées en l’espèce, à savoir de la seconde décision de refus d’assistance ou de la décision de rejet de la réclamation, et seraient donc inopérants. Selon le Parlement, une requête dans laquelle figureraient des moyens et des arguments inopérants devrait être assimilée à une requête totalement dépourvue d’argumentation.

23      La requérante conteste les arguments du Parlement.

24      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la requête doit, notamment, contenir l’objet du litige et un exposé sommaire desdits moyens. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il est nécessaire, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (ordonnance du 28 avril 1993, De Hoe/Commission, T‑85/92, EU:T:1993:39, point 20, et arrêt du 12 décembre 2018, SH/Commission, T‑283/17, EU:T:2018:917, point 86).

25      En l’espèce, la requête permet d’identifier l’objet du litige et l’existence de quatre moyens, invoqués de façon suffisamment cohérente et compréhensible, pour permettre au Parlement de préparer sa défense et au Tribunal d’exercer son contrôle, conformément aux exigences imposées par la jurisprudence établie sur la base de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, ce que le Parlement ne conteste pas.

26      Par conséquent, il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité du Parlement comme non fondée.

27      Par ailleurs, sur l’objet du recours, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, des conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision de rejet d’une réclamation ont pour effet de saisir le Tribunal de l’acte contre lequel la réclamation a été présentée lorsqu’elles sont, en tant que telles, dépourvues de contenu autonome (voir, en ce sens, arrêts du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, EU:C:1989:8, point 8, et du 13 décembre 2018, CH/Parlement, T‑83/18, EU:T:2018:935, point 56).

28      La seule circonstance que l’autorité habilitée à statuer sur une réclamation ait été amenée, en réponse à la réclamation, à compléter ou à modifier les motifs de la décision attaquée ne saurait justifier que le rejet de cette réclamation soit considéré comme un acte autonome faisant grief à la partie requérante. En effet, la motivation dudit rejet est censée s’incorporer à la décision contre laquelle cette réclamation a été dirigée (voir, en ce sens, arrêts du 9 décembre 2009, Commission/Birkhoff, T‑377/08 P, EU:T:2009:485, points 55 à 59, et du 6 juillet 2022, VI/Commission, T‑20/21, non publié, EU:T:2022:427, point 17).

29      En l’espèce, la décision de rejet de la réclamation ne fait que confirmer la seconde décision de refus d’assistance, même si, par la première, le secrétaire général a modifié la motivation du rejet de la demande d’assistance de la requérante, en indiquant en substance, tel que cela est rappelé au point 18 ci-dessus, que l’AHCC était liée par la décision motivée du président du Parlement et qu’elle ne pouvait qu’en tirer les conséquences dans le cadre de la demande d’assistance.

30      Compte tenu du caractère évolutif de la procédure précontentieuse, il conviendra de prendre en considération, d’une part, la motivation figurant dans la décision de rejet de la réclamation et, d’autre part, celle figurant dans la décision motivée du président à laquelle la seconde décision de refus d’assistance se réfère (voir, en ce sens, arrêts du 13 décembre 2018, CN/Parlement, T‑76/18, non publié, EU:T:2018:939, point 40, et du 13 décembre 2018, CH/Parlement, T‑83/18, EU:T:2018:935, point 57).

 Sur les conclusions en annulation

31      À l’appui du recours, la requérante avance quatre moyens tirés, le premier, de la violation du droit d’être entendu, le deuxième, de la violation du droit de voir ses affaires traitées impartialement et équitablement, de l’article 24 du statut et de l’obligation de diligence, le troisième, de la violation de l’obligation de motivation et, le quatrième, d’erreurs d’appréciation et de la violation des articles 12 bis et 24 du statut.

32      Dans le cadre du premier moyen, la requérante fait valoir que son droit d’être entendue n’a pas été respecté dès lors qu’elle n’a pas eu de possibilité de présenter des observations sur le rapport du comité consultatif spécial « APA », dont l’avis aurait été demandé par l’AHCC en vue d’adopter la seconde décision de refus d’assistance. La requérante n’aurait reçu qu’un document de moins de deux pages, dont les motifs ne seraient pas suffisants pour lui permettre de comprendre en quoi ont consisté les travaux du comité consultatif spécial « APA », l’appréciation faite par ledit comité ou les éléments de preuve qui ont été recueillis.

33      Le Parlement fait valoir que la décision motivée du président du Parlement, statuant sur l’existence ou non d’un cas de harcèlement, et la procédure menant à son adoption devraient faire l’objet d’un contrôle de légalité distinct. Ainsi, la question de savoir si la requérante a été entendue à propos du rapport du comité consultatif spécial « APA » serait dénuée de pertinence aux fins de l’appréciation de la légalité de la seconde décision de refus d’assistance. Le Parlement relève que, en l’espèce, ce n’est pas l’AHCC qui a sollicité l’avis dudit comité et qui devait tenir compte de cet avis.

34      Le Parlement rappelle également que la première décision de refus d’assistance a été annulée par le secrétaire général pour non-respect du droit d’être entendu. Le secrétaire général aurait été d’avis que la requérante n’avait pas eu la possibilité d’exprimer son point de vue sur la question de savoir s’il existait tout de même des motifs pour lesquels l’institution aurait dû lui prêter assistance, dans une situation où la décision motivée du président avait établi une absence de harcèlement. Le Parlement relève que, dans la mesure où la requérante n’a présenté aucun élément en ce sens, le refus de lui prêter assistance sur la base de l’article 24 du statut serait pleinement justifié et aurait finalement été confirmé par la décision de rejet de la réclamation.

35      Aux termes de l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), le droit à une bonne administration comporte notamment le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard.

36      En particulier, le droit d’être entendu garantit à toute personne la possibilité de faire connaitre, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts (arrêt du 4 juin 2020, SEAE/De Loecker, C‑187/19 P, EU:C:2020:444, point 68 ; voir, également, arrêt du 25 juin 2020, HF/Parlement, C‑570/18 P, EU:C:2020:490, point 58 et jurisprudence citée).

37      En outre, le droit d’être entendu vise à garantir que toute décision faisant grief soit adoptée en pleine connaissance de cause et a notamment pour objectif de permettre à l’autorité compétente de corriger une erreur ou à la personne concernée de faire valoir les éléments relatifs à sa situation personnelle qui militent pour que la décision soit prise, ne soit pas prise ou qu’elle ait tel ou tel contenu (voir arrêt du 4 juin 2020, SEAE/De Loecker, C‑187/19 P, EU:C:2020:444, point 69 et jurisprudence citée).

38      En l’espèce, il convient de noter que la seconde décision de refus d’assistance, par laquelle l’AHCC a rejeté la demande d’assistance introduite par la requérante, constitue une mesure individuelle prise à son égard l’affectant défavorablement, au sens de l’article 41, paragraphe 2, de la Charte. Partant, la requérante devait être utilement entendue avant l’adoption de cette décision.

39      À cet égard, dès lors que, comme en l’espèce, l’AHCC décide de tenir compte de l’avis émis par le comité consultatif auquel a été confié le soin de conduire une enquête administrative, ledit avis, pouvant être établi sous une forme non confidentielle respectant l’anonymat octroyé aux témoins, doit, en application du droit d’être entendu de l’auteur de la demande d’assistance, être en principe porté à la connaissance de ce dernier, et ce même si les règles internes ne prévoient pas une telle transmission (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, CH/Parlement, T‑83/18, EU:T:2018:935, point 85).

40      Il importe de souligner que la communication de cet avis à l’intéressé permet aussi à l’administration de se conformer à son obligation de motivation prévue à l’article 25, deuxième alinéa, du statut. En effet, si la jurisprudence admet une motivation par référence à un rapport ou à un avis lui-même motivé, il est toutefois nécessaire qu’un tel rapport ou avis soit effectivement communiqué à l’intéressé ensemble avec l’acte faisant grief (voir arrêt du 14 juillet 2021, AI/ECDC, T‑65/19, EU:T:2021:454, point 139 et jurisprudence citée).

41      De plus, la Cour a déjà considéré qu’un agent ayant demandé l’assistance de l’AHCC dans une situation de harcèlement moral est aussi en droit, afin de pouvoir présenter utilement ses observations, de se faire communiquer, à tout le moins, un résumé des déclarations de la personne accusée de harcèlement et des différents témoins, dans la mesure où l’AHCC a fondé la décision sur le rejet d’une demande d’assistance sur ces éléments (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, HF/Parlement, C‑570/18 P, EU:C:2020:490, points 60 et 62 et jurisprudence citée).

42      Or, en l’espèce, il est constant que le Parlement n’a transmis à la requérante ni le rapport du comité consultatif spécial « APA » ni un résumé des déclarations des personnes entendues au cours de l’enquête administrative conduite par ce comité.

43      À cet égard, la seule communication de la version anonymisée des conclusions du comité consultatif spécial « APA » ne saurait être regardée comme étant suffisante pour assurer le droit de la requérante d’être entendue, celle-ci étant en droit de se voir communiquer l’intégralité du rapport dudit comité, éventuellement sous une forme non confidentielle, avant que la décision sur sa demande d’assistance ne soit prise.

44      Il s’ensuit que c’est en violation de l’article 41, paragraphe 2, de la Charte que la requérante ne s’est pas vu communiquer ces documents et n’a donc pas pu être entendue sur ceux-ci, de telle sorte qu’elle n’a pas été mise en mesure de formuler utilement des observations sur leur contenu avant que l’AHCC n’adopte la seconde décision de refus d’assistance, qui l’affecte défavorablement. Un tel défaut de communication constitue une irrégularité ayant inévitablement affecté la seconde décision de refus d’assistance (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, HF/Parlement, C‑570/18 P, EU:C:2020:490, point 73).

45      En effet, si la requérante s’était vu accorder la possibilité d’être utilement entendue, il ne saurait être exclu que celle-ci aurait pu convaincre l’AHCC qu’une autre appréciation des faits et des différents éléments de preuve qu’elle avait soumis était possible et, partant, que sa demande d’assistance devait être favorablement accueillie. À cet égard, il importe de noter qu’il ressort de la version non confidentielle du rapport d’enquête établi par le comité consultatif spécial « APA », transmise au Tribunal par le Parlement en réponse à une mesure d’organisation de la procédure, que, selon l’opinion minoritaire dudit comité, les allégations de harcèlement moral dénoncées par la requérante étaient prouvées, ce qui ne ressort pas de la décision motivée du président du Parlement.

46      Cette conclusion n’est pas infirmée par les arguments du Parlement.

47      Premièrement, le Parlement relève que l’AHCC ne disposait pas non plus du rapport du comité consultatif spécial « APA » avant d’adopter la seconde décision de refus d’assistance, laquelle ne serait donc pas fondée sur celui-ci. Ainsi, selon le Parlement, la requérante ne devait pas être entendue sur le contenu de ce rapport avant l’adoption de la seconde décision de refus d’assistance.

48      À cet égard, il importe certes de rappeler que le rapport du comité consultatif spécial « APA » a été adopté en application de la décision du bureau du Parlement du 14 avril 2014, telle que modifiée le 6 juillet 2015, portant adoption de la réglementation interne visant à constituer un comité consultatif sur le harcèlement et sa prévention sur le lieu de travail traitant des plaintes opposant des assistants parlementaires accrédités à des députés au Parlement. Selon l’article 10 de cette décision, le comité consultatif spécial « APA » transmet son rapport au président du Parlement. En réponse à une question du Tribunal, le Parlement a expliqué que, même si, dans la décision motivée du président, ce dernier a indiqué à la requérante qu’il transmettait son « dossier » à l’AHCC pour qu’elle prenne une décision sur la demande d’assistance, il n’avait cependant pas communiqué à l’AHCC d’autres documents que sa décision motivée et la plainte déposée par la requérante le 13 juillet 2017.

49      Toutefois, le fait que l’AHCC ait adopté la seconde décision de refus d’assistance sans même chercher à disposer du rapport du comité consultatif spécial « APA », est constitutif d’une irrégularité.

50      En effet, comme évoqué au point 37 ci-dessus, le droit d’être entendu vise à garantir que toute décision faisant grief soit adoptée en pleine connaissance de cause. Il implique que l’administration examine avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce (arrêt du 10 janvier 2019, RY/Commission, T‑160/17, EU:T:2019:1, point 26). Plus particulièrement, le respect du droit d’être entendu exige que la personne concernée soit préalablement mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments qui pourraient être retenus à son endroit dans l’acte à intervenir (arrêt du 24 avril 2017, HF/Parlement, T‑584/16, EU:T:2017:282, point 150).

51      Or, si une décision de l’administration sur une demande d’assistance n’est pas une décision adoptée à l’issue d’une procédure engagée à l’encontre du demandeur d’assistance, le rapport établi au terme d’une enquête administrative visant à déterminer si un agent a été victime de harcèlement est un élément pertinent dont l’AHCC doit tenir compte avant de prendre une décision sur la demande d’assistance dans laquelle cet agent a allégué être victime de harcèlement. Ainsi, concrètement, il appartenait à l’AHCC de prendre connaissance de ce rapport et de se forger sa propre opinion des travaux du comité avant de se prononcer sur une demande d’assistance dont l’objet est d’obtenir la reconnaissance du harcèlement allégué. En effet, sans chercher à disposer du rapport, l’AHCC ne pouvait pas valablement se prononcer sur la demande d’assistance et indiquer, comme elle l’a fait, qu’elle était d’accord avec les constatations du comité consultatif spécial « APA ».

52      En l’occurrence, le fait que l’AHCC ne disposait pas elle-même du rapport du comité consultatif spécial « APA » ne change donc rien au constat selon lequel la seconde décision de refus d’assistance se fonde, ne serait-ce qu’indirectement, sur ledit rapport. En effet, l’AHCC se réfère directement aux conclusions de ce rapport pour conclure à l’absence de harcèlement et, partant, au rejet de la demande d’assistance. De même, le secrétaire général a, dans la décision de rejet de la réclamation, indiqué que l’AHCC ne pouvait pas s’écarter de la décision motivée du président du Parlement, laquelle décision se fonde uniquement sur ce rapport.

53      Il s’ensuit que le rapport du comité consultatif spécial « APA » a exercé une influence décisive sur le contenu de la seconde décision de refus d’assistance et qu’il devait, par conséquent, être transmis à la requérante avant l’adoption de ladite décision.

54      Deuxièmement, l’argument du Parlement selon lequel l’AHCC était liée par l’appréciation du président du Parlement, de telle sorte qu’elle n’avait pas le pouvoir de s’en écarter, ne saurait prospérer.

55      À cet égard, il importe d’abord de rappeler que l’obligation d’assistance prévue à l’article 24 du statut s’impose à l’AHCC et non au président du Parlement.

56      Ainsi, c’est à l’AHCC qu’il revient d’apprécier si les allégations d’un agent sont étayées par un commencement de preuve suffisant, auquel cas il lui appartient de prendre les mesures appropriées, notamment en faisant procéder à une enquête administrative, afin d’établir les faits à l’origine de la demande d’assistance, en collaboration avec l’auteur de celle-ci (voir arrêt du 13 juillet 2018, Curto/Parlement, T‑275/17, EU:T:2018:479, point 97 et jurisprudence citée) et, au regard des résultats de l’enquête, d’adopter les mesures qui s’imposent, telles que l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de la personne mise en cause lorsque l’administration conclut, à l’issue de l’enquête administrative, à l’existence d’un harcèlement moral (arrêt du 3 octobre 2019, DQ e.a./Parlement, T‑730/18, EU:T:2019:725, point 80).

57      Certes, lorsque la personne mise en cause est, comme en l’espèce, un membre du Parlement, l’administration du Parlement n’a pas le pouvoir d’ouvrir une procédure disciplinaire à son égard. C’est la raison pour laquelle le Parlement a, dans ses règles internes, confié au président du Parlement le pouvoir que l’AHCC détient en matière de sanction dans ce domaine. En particulier, il est prévu à l’article 12, paragraphe 1, de la décision du bureau du Parlement du 14 avril 2014, telle que modifiée le 6 juillet 2015, que le président du Parlement doit entendre le député s’il a l’intention de lui infliger une sanction. En revanche, l’AHCC reste compétente pour adopter toute mesure concernant directement l’APA (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2015, CH/Parlement, F‑132/14, EU:F:2015:115, point 91).

58      La délégation de ce pouvoir de sanction au président du Parlement ne saurait toutefois conduire à priver l’AHCC de sa marge d’appréciation pour adopter les mesures qui s’imposent à elle, au titre de son obligation d’assistance, au regard des résultats de l’enquête.

59      Par ailleurs, l’argumentation du Parlement reviendrait à dénier à la requérante le droit de contester la légalité de l’unique motif retenu par l’AHCC pour justifier le rejet de l’assistance sollicitée, à savoir l’absence de preuve du harcèlement moral allégué.

60      En effet, dès lors que la décision motivée du président n’est pas un acte faisant grief émanant de l’AHCC susceptible de recours au titre de l’article 270 TFUE, admettre l’argumentation du Parlement reviendrait à priver un APA de toute possibilité de contester les résultats de l’enquête administrative visant à établir les faits à l’origine de la demande d’assistance.

61      Par conséquent, il y a lieu d’annuler la seconde décision de refus d’assistance pour une violation du droit d’être entendu, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens soulevés par la requérante.

 Sur la demande indemnitaire

62      La requérante fait valoir, ainsi qu’il ressort des faits décrits dans sa demande d’assistance et sa réclamation, qu’elle a été exposée à un niveau très élevé de responsabilité, de charge de travail et de stress, pendant une période de plus de quatre ans. Malgré le fait qu’elle aurait été instrumentalisée par le député pour commettre une fraude au budget de l’Union, elle a continué à accomplir toutes ses tâches au maximum de ses capacités, en subissant ainsi des préjudices physiques et psychologiques. En outre, elle aurait subi des pressions énormes de la part du député du fait de sa convocation comme témoin par le procureur grec ainsi que de sa participation à l’enquête de l’OLAF. Malgré cela, sa demande d’assistance aurait été rejetée sans que les moyens nécessaires aient été mis en œuvre pour établir la vérité et sans qu’il ait été suffisamment tenu compte de son argumentation ou qu’il y ait été répondu.

63      Par conséquent, la requérante relève qu’elle n’a pas reçu l’assistance dont elle aurait dû bénéficier. Compte tenu de tous ces éléments, elle estime le préjudice moral subi ex æquo et bono à 50 000 euros.

64      Le Parlement conteste les arguments de la requérante.

65      S’agissant de la réparation du préjudice moral, le juge de l’Union a précisé que l’annulation d’un acte entaché d’illégalité peut constituer en elle-même la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé, à moins que la partie requérante ne démontre avoir subi un préjudice insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir arrêt du 6 juillet 2022, VI/Commission, T‑20/21, non publié, EU:T:2022:427, point 83 et jurisprudence citée).

66      Cependant, la jurisprudence admet que le sentiment d’injustice et les tourments qu’occasionne le fait, pour une personne, de devoir mener une procédure précontentieuse, puis contentieuse, afin de voir ses droits reconnus sont susceptibles de constituer un préjudice qui peut être déduit du seul fait que l’administration a commis des illégalités. Ce préjudice est réparable lorsqu’il n’est pas compensé par la satisfaction résultant de l’annulation de l’acte en cause (arrêt du 28 mai 2020, Cerafogli/BCE, T‑483/16 RENV, non publié, EU:T:2020:225, point 448).

67      En l’espèce, il ressort du point 9 ci-dessus que le Parlement a retiré la première décision de refus d’assistance au motif que la requérante n’avait pas été entendue. Or, l’AHCC a, une deuxième fois, rejeté la demande d’assistance sans l’entendre en concluant, notamment, à l’absence du harcèlement moral dont elle prétend être victime, ce qui a contraint la requérante à introduire un recours devant le Tribunal aux fins de faire constater la violation par le Parlement de son droit d’être utilement entendue. Il découle du retrait de la première décision de refus d’assistance et de l’annulation de la seconde décision de refus d’assistance que la requérante n’a toujours pas obtenu de décision statuant définitivement sur l’existence des comportements dénoncés, alors même que les faits de harcèlement moral allégués, s’ils sont établis, ont pu avoir des effets extrêmement destructeurs sur son état de santé. En outre, il est à noter que la requérante n’est plus au service du Parlement depuis la résiliation de son contrat, intervenue en mai 2018. Dans l’hypothèse où, à la suite du présent arrêt, son droit d’être entendue serait respecté par le Parlement et la demande d’assistance accueillie, il est difficile de concevoir quel type d’assistance le Parlement pourrait lui offrir.

68      Dans ces conditions, le refus répété du Parlement d’entendre la requérante et le maintien de la seconde décision de refus d’assistance ont placé cette dernière dans une situation d’insécurité, d’incertitude et de désarroi qui constitue, eu égard à l’ancienneté des faits à l’origine de sa demande d’assistance, un préjudice moral insusceptible d’être intégralement réparé par la seule annulation de la seconde décision de refus d’assistance (voir, en ce sens, arrêt du 28 mai 2020, Cerafogli/BCE, T‑483/16 RENV, non publié, EU:T:2020:225, point 450 et jurisprudence citée).

69      Eu égard à ce qui précède, dans les circonstances de l’espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi en fixant, ex æquo et bono, la réparation dudit préjudice à un montant de 2 500 euros.

 Sur les dépens

70      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Parlement ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante, y compris à ceux afférents à l’exception d’irrecevabilité.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du Parlement européen du 20 mai 2019 rejetant la demande d’assistance introduite par BG est annulée.

2)      Le Parlement est condamné à verser à BG, au titre du préjudice moral subi, un montant de 2 500 euros.

3)      Le Parlement est condamné aux dépens.

Svenningsen

Mac Eochaidh

Pynnä

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er février 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.