Language of document : ECLI:EU:T:2021:203

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

21 avril 2021 (*)

« Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001 – Protection des avis juridiques – Article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 – Protection du processus décisionnel – Refus d’accorder l’accès intégral à un avis juridique du service juridique du Conseil »

Dans l’affaire T‑252/19,

Laurent Pech, demeurant à Londres (Royaume-Uni), représenté par Mes O. Brouwer et T. McGrath, avocats,

partie requérante,

soutenu par

Royaume de Suède, représenté par M. O. Simonsson, Mmes C. Meyer-Seitz, A. Runeskjöld, M. J. Lundberg, Mmes M. Salborn Hodgson, H. Shev, H. Eklinder et R. Shahsavan Eriksson, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme K. Pavlaki et M. E. Rebasti, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision du Conseil du 12 février 2019 refusant l’accès intégral à l’avis de son service juridique figurant dans le document ST 13593 2018 INIT et portant sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 2 mai 2018 relatif à la protection du budget de l’Union européenne en cas de défaillance généralisée de l’état de droit dans un État membre [COM(2018) 324 final],

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme V. Tomljenović, présidente, MM. F. Schalin (rapporteur) et I. Nõmm, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 16 novembre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Laurent Pech, est un citoyen français qui travaille comme professeur de droit européen à l’université du Middlesex, à Londres (Royaume-Uni). Sa spécialité est le droit public européen.

2        Le 30 octobre 2018, le requérant a demandé au Conseil de l’Union européenne, à la suite de la publication d’un article de presse dans le magazine Politico du 29 octobre 2018, révélant l’existence d’un avis du service juridique du Conseil, l’accès audit avis, en application du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43).

3        L’avis auquel l’accès a été demandé, identifié par le Conseil comme le document ST 13593 2018 INIT (ci-après l’« avis » ou le « document demandé »), porte sur la proposition de la Commission européenne, du 2 mai 2018, de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’état de droit dans un État membre [COM(2018) 324 final].

4        Le 10 décembre 2018, le Conseil a accordé un accès aux points 1 à 8 du document demandé, à l’exception de la deuxième phrase du point 1, et a refusé d’accorder l’accès au reste du document.

5        Le 20 décembre 2018, le requérant a présenté une demande confirmative.

6        Dans la décision du 12 février 2019, le Conseil a confirmé sa décision de refuser l’accès intégral au document demandé (ci-après la « décision attaquée »).

7        En premier lieu, le Conseil s’est fondé sur l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa (protection du processus décisionnel), du règlement no 1049/2001 aux motifs que :

–        le document demandé était relatif à une question au sujet de laquelle le processus décisionnel était actuellement en cours et les questions discutées étaient complexes, particulièrement controversées et sensibles ainsi que délicates ;

–        si le document demandé était intégralement divulgué, certains des arguments développés pourraient donner lieu à des ingérences extérieures susceptibles de compromettre la possibilité d’aboutir à un accord final sur le projet législatif ;

–        cela pourrait limiter les options du Conseil lors des négociations interinstitutionnelles à venir.

8        En deuxième lieu, le Conseil s’est fondé sur l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret (protection des avis juridiques), du règlement no 1049/2001, en faisant valoir que :

–        en raison de son contenu, le document demandé entrait dans le champ d’application de cette exception, puisqu’il fournissait une analyse détaillée sur des questions juridiques et, en particulier, sur la pertinence de la base légale de la proposition de la Commission, sur sa compatibilité avec les traités de l’Union européenne et sur la faisabilité juridique de la procédure d’adoption de mesures selon le mécanisme envisagé ;

–        si l’avis juridique se rapportait à une procédure législative pour laquelle une exigence de transparence particulièrement élevée s’appliquait, les questions abordées étaient de nature systémique et avaient une large portée, qui s’étendait au-delà du contexte de la procédure législative en question ;

–        les questions analysées dans le document demandé étaient très critiques et particulièrement controversées, ce qui rendait l’avis juridique sensible dans le contexte des discussions en cours ;

–        en outre, il y avait un risque élevé que les questions juridiques examinées fassent l’objet d’un contentieux dans le futur ;

–        partant, une divulgation complète pourrait compromettre l’intérêt de l’institution à demander et recevoir des avis juridiques francs, objectifs et complets.

9        En troisième lieu, s’agissant de l’accès partiel, prévu à l’article 4, paragraphe 6, du règlement no 1049/2001, le Conseil était d’avis que toutes les parties du document demandé qui n’avaient pas été divulguées dans sa première réponse étaient intégralement couvertes par les exceptions invoquées et qu’aucun accès partiel additionnel ne pouvait être autorisé.

10      En quatrième et dernier lieu, le Conseil a conclu à l’absence d’un intérêt public supérieur à la divulgation.

 Procédure et conclusions des parties

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 avril 2019, le requérant a formé le présent recours.

12      Le 4 juillet 2019, le Conseil a déposé au greffe du Tribunal le mémoire en défense.

13      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 8 août 2019, le Royaume de Suède a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions du requérant. Par décision du 18 septembre 2019, le président de la deuxième chambre du Tribunal a admis cette intervention.

14      La réplique a été déposée au greffe du Tribunal le 4 octobre 2019.

15      Le 5 décembre 2019, le Royaume de Suède a déposé au greffe du Tribunal son mémoire en intervention.

16      La duplique est parvenue au greffe du Tribunal le 20 décembre 2019.

17      Les observations du Conseil et celles du requérant sur le mémoire en intervention ont été déposées au greffe du Tribunal respectivement le 29 janvier et le 30 janvier 2020.

18      Par ordonnance du 17 juin 2020, le Tribunal a ordonné au Conseil de produire une copie du document demandé et a précisé, conformément à l’article 104 du règlement de procédure du Tribunal, que ce document ne serait pas communiqué au requérant. Le Conseil a déféré à cette ordonnance dans le délai imparti.

19      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l’audience du 16 novembre 2020.

20      Le requérant, soutenu par le Royaume de Suède, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée, refusant l’accès complet à l’avis en application de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, et de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 ;

–        à titre subsidiaire, ordonner au Conseil d’accorder un accès partiel plus étendu à l’avis en application de l’article 4, paragraphe 6, du règlement no 1049/2001 ;

–        condamner le Conseil aux dépens, incluant le coût de toutes les parties intervenantes.

21      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

22      Lors de l’audience, en réponse aux questions du Tribunal, le requérant a précisé que son deuxième chef de conclusions devait être compris comme une demande tendant à l’annulation de la décision attaquée sur le fondement de l’article 4, paragraphe 6, du règlement no 1049/2001, ce dont il a été pris acte au procès-verbal de l’audience.

 En droit

23      À l’appui de son recours, le requérant invoque trois moyens, tirés, le premier, d’une erreur de droit et d’une application erronée de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, relatif à la protection du processus décisionnel, le deuxième, d’une erreur de droit et d’une application erronée de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, dudit règlement, relatif à la protection des avis juridiques, et, le troisième, à titre subsidiaire, d’une violation de l’article 4, paragraphe 6, du même règlement concernant l’accès partiel au document demandé.

 Observations liminaires

24      Conformément à son considérant 1, le règlement no 1049/2001 s’inscrit dans la volonté exprimée à l’article 1er, deuxième alinéa, TUE de marquer une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens (arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 34, et du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 73).

25      Cet objectif fondamental de l’Union est également reflété, d’une part, à l’article 15, paragraphe 1, TFUE, qui prévoit, notamment, que les institutions, les organes et les organismes de l’Union œuvrent dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture, principe également réaffirmé à l’article 10, paragraphe 3, TUE et à l’article 298, paragraphe 1, TFUE, ainsi que, d’autre part, par la consécration du droit d’accès aux documents à l’article 42 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 74 et jurisprudence citée).

26      Il résulte du considérant 2 du règlement no 1049/2001 que la transparence permet de conférer aux institutions de l’Union une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité à l’égard des citoyens de l’Union dans un système démocratique (voir, en ce sens, arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, points 45 et 59, et du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 75).

27      À ces fins, l’article 1er du règlement no 1049/2001 prévoit que celui-ci vise à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions de l’Union qui soit le plus large possible (voir arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 76 et jurisprudence citée).

28      Il ressort également de l’article 4 du règlement no 1049/2001, qui institue un régime d’exceptions à cet égard, que ce droit d’accès n’en est pas moins soumis à certaines limites fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé (arrêts du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission, C‑612/13 P, EU:C:2015:486, point 57, et du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 77).

29      De telles exceptions dérogeant au principe de l’accès le plus large possible du public aux documents, elles doivent être interprétées et appliquées strictement (voir arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 78 et jurisprudence citée).

30      À cet égard, il convient de rappeler que, lorsqu’une institution, un organe ou un organisme de l’Union saisi d’une demande d’accès à un document décide de rejeter cette demande sur le fondement de l’une des exceptions prévues à l’article 4 du règlement no 1049/2001, il lui incombe, en principe, de fournir des explications quant à la question de savoir de quelle manière l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par cette exception, le risque d’une telle atteinte devant être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique (voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 51 et jurisprudence citée).

31      C’est à la lumière de ces considérations générales qu’il convient d’examiner les moyens invoqués par le requérant.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit et d’une application erronée de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001

32      Dans le cadre du premier moyen, qui se divise en trois branches, le requérant, soutenu par le Royaume de Suède, fait valoir que le Conseil a commis une erreur de droit et appliqué de manière erronée l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 en ce que cette institution :

–        n’a pas démontré que la divulgation complète de l’avis pourrait porter concrètement et effectivement atteinte au processus décisionnel en question ;

–        a interprété et appliqué de manière erronée l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 et la jurisprudence de l’Union, en ne tenant pas compte des dispositions du droit primaire de l’Union ainsi que du principe selon lequel les documents législatifs de l’Union sont soumis au principe du plus large accès possible ;

–        n’a pas évalué correctement l’intérêt public de la divulgation de l’avis.

33      Dans le cadre de la première branche du premier moyen, le requérant fait valoir que le Conseil ne peut justifier légalement la non-divulgation de l’avis par des notions vagues telles que celles faisant référence à des questions qualifiées de « complexes », « particulièrement controversées », « délicates », « particulièrement sensibles ». En outre, la circonstance que les membres du Conseil aient exprimé des positions différentes concernant la proposition législative ne saurait justifier une extension arbitraire de la portée de l’exception relative au processus décisionnel des institutions. En effet, l’existence d’un désaccord entre les membres du Conseil concernant une proposition législative serait une situation ordinaire et ne démontrerait pas en quoi la divulgation du document demandé porterait atteinte au processus décisionnel et encore moins en quoi l’atteinte serait grave. Par ailleurs, si le Conseil était autorisé à se fonder sur des notions vagues et subjectives, comme des propositions ou des discussions « complexes », en l’absence de toute autre explication, cela ouvrirait la voie à des refus abusifs de divulguer des documents.

34      De même, selon le requérant, étant donné que le Conseil a lui-même admis que des États membres auraient déjà exprimé publiquement « des positions préliminaires très divergentes » et qu’une partie de l’avis aurait fait l’objet d’une publication dans la presse, il est difficile d’expliquer en quoi la divulgation complète de ce document pourrait engendrer une quelconque « pression » supplémentaire susceptible de compromettre les chances de parvenir à un accord final. En ce qui concerne l’« ingérence extérieure » avancée par le Conseil, le requérant fait valoir que le Conseil a échoué à tirer la conclusion logique découlant de ce qu’il avait lui-même admis. En tout état de cause, selon le requérant, l’action de légiférer est un processus qui doit se dérouler publiquement et de façon transparente. Enfin, l’argument du Conseil selon lequel la divulgation de l’avis pourrait nuire à sa position dans le cadre des discussions législatives ultérieures entre les colégislateurs ne saurait être accepté, sachant qu’une proposition est faite pour être débattue sur la base de l’ensemble des considérations pertinentes. En outre, un débat informé ne porterait pas atteinte au processus décisionnel, mais le renforcerait.

35      Dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen, le requérant admet que les dispositions du droit primaire ne prévoient pas d’obligation pour les institutions d’octroyer un accès complet à l’ensemble les documents élaborés dans le cadre d’un processus législatif. Cependant, il ressortirait clairement du traité de Lisbonne et du règlement no 1049/2001 que la « position par défaut » consisterait en ce que l’accès devrait être accordé et, en cas de refus à cet accès, il devrait être démontré que l’accès aux documents porterait atteinte de manière spécifique, effective et certaine à l’intérêt invoqué. En d’autres termes, il serait loisible au Conseil de refuser l’accès à certains documents de nature législative sur le fondement des exceptions visées à l’article 4 du règlement no 1049/2001, mais uniquement dans des cas dûment justifiés, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

36      Dans le cadre de la troisième branche du premier moyen, le requérant estime que le Conseil, dans la décision attaquée, a omis d’examiner l’existence d’un intérêt public en faveur d’une divulgation et, plus généralement, de procéder à la mise en balance des intérêts servis par la divulgation avec ceux s’opposant à celle-ci. Le Conseil se serait borné à relever des considérations générales relatives à la nécessité de garantir la transparence et la participation du public plutôt qu’à examiner l’intérêt particulier du public concernant l’accès à l’avis. Dans un contexte marqué par un nombre croissant de crises de l’état de droit au sein de l’Union, la transparence quant à la manière dont l’Union protège les valeurs mentionnées à l’article 2 TUE – en l’occurrence par la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’état de droit – serait d’une importance particulière afin de garantir aussi bien la participation des citoyens de l’Union et de la société civile que la légitimité du processus décisionnel de l’Union dans ce domaine.

37      Le Conseil conteste les arguments du requérant. Il estime avoir pris en considération les dispositions du droit primaire de l’Union ainsi que le principe de l’accès le plus large possible aux documents législatifs. Toutefois, ledit principe ne saurait être considéré comme équivalent à un accès automatique et absolu. En effet, il ressortirait clairement de la jurisprudence qu’un document émis dans le contexte d’un processus législatif peut, dans certaines circonstances, relever de l’une des exceptions visées à l’article 4, du règlement no 1049/2001.

38      Le Conseil avance que la décision attaquée énumère, de manière suffisante, les raisons objectives permettant de prévoir raisonnablement, en cas de divulgation intégrale, qu’il serait porté atteinte au processus décisionnel. À cet égard, en premier lieu, le Conseil souligne que la décision attaquée fait état de débats complexes au sein du Conseil, du fait que les États membres ont des opinions divergentes quant à la proposition de la Commission, ces divergences concernant tout particulièrement les questions juridiques couvertes par l’avis. En deuxième lieu, les discussions en cours seraient délicates compte tenu du contexte juridique et politique actuel, en raison du débat particulièrement sensible sur les mesures envisagées concernant l’adoption d’un mécanisme liant l’octroi du financement de l’Union au respect de l’état de droit. À ce sujet, le Conseil fait remarquer dans ses écritures que la proposition législative aurait été présentée à un moment où les procédures prévues à l’article 7, paragraphe 1, TUE auraient été engagées à l’égard de deux États membres et que le respect de l’état de droit et des valeurs de l’Union prévues à l’article 2 TUE ferait l’objet d’un débat public intense. Ces circonstances montreraient que le débat législatif sur la proposition s’inscrit dans un contexte hautement politisé. En troisième lieu, l’avis traiterait, d’une façon franche, de questions liées à la compatibilité de la proposition de règlement avec l’article 7 TUE, de la véritable nature de la conditionnalité budgétaire proposée, du caractère approprié de sa base juridique, de la légalité de la procédure prévue pour l’adoption de mesures au titre de ce mécanisme ainsi que des solutions possibles, ces questions étant au cœur du débat politique en cours. En quatrième lieu, le processus décisionnel aurait été fortement médiatisé, de sorte qu’il serait légitime de considérer, dans la décision attaquée, que la divulgation complète de l’avis et la révélation du raisonnement qui y est développé pourraient entraîner des pressions extérieures et, de ce fait, porter atteinte au processus décisionnel du Conseil. En cinquième et dernier lieu, même si le Conseil parvenait, en son sein, à un accord, il estime que la divulgation de l’avis pourrait nuire à sa position dans le cadre des discussions législatives ultérieures entre les colégislateurs.

39      Quant à la prétendue évaluation incorrecte de l’intérêt public à la divulgation de l’avis, le Conseil estime qu’il a soigneusement mis en balance les intérêts en présence, mais il a estimé que la protection de l’efficacité du processus décisionnel, dans le contexte d’une procédure législative particulièrement complexe, faisait pencher la balance en faveur de la non-divulgation de l’avis.

40      En outre, selon le Conseil, le principe de responsabilité démocratique, qui sous-tend le principe d’un accès plus large aux documents législatifs, doit s’appliquer différemment selon qu’il s’agit de documents contenant les positions des décideurs politiques, qui sont soumis au contrôle des citoyens, ou de documents produits par des services techniques, notamment le service juridique, qui, en tant que tels, ne doivent pas rendre de compte aux citoyens.

41      Aux termes de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, l’accès à un document établi par une institution pour son usage interne ou reçu par une institution et qui a trait à une question sur laquelle celle-ci n’a pas encore pris de décision est refusé dans le cas où sa divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

42      Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence citée aux points 29 et 30 ci-dessus, le principe d’interprétation stricte des exceptions prévues à l’article 4 du règlement no 1049/2001 impose à l’institution qui invoque l’une desdites exceptions d’expliquer comment l’accès au document demandé pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par celui-ci. De même, conformément à cette jurisprudence, le risque d’atteinte invoqué doit être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique (arrêt du 7 juin 2011, Toland/Parlement, T‑471/08, EU:T:2011:252, point 70).

43      En outre, pour relever de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, l’atteinte au processus décisionnel doit être grave. Il en est notamment ainsi lorsque la divulgation des documents visés a un impact substantiel sur le processus décisionnel. Or, l’appréciation de la gravité dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, notamment des effets négatifs sur le processus décisionnel, invoqués par l’institution quant à la divulgation des documents visés (arrêts du 18 décembre 2008, Muñiz/Commission, T‑144/05, non publié, EU:T:2008:596, point 75, et du 7 juin 2011, Toland/Parlement, T‑471/08, EU:T:2011:252, point 71).

44      Enfin, il résulte de la jurisprudence que la simple référence à un risque de répercussions négatives lié à l’accès à des documents internes et à la possibilité que des intéressés puissent exercer une influence sur la procédure ne saurait suffire pour prouver que la divulgation desdits documents porterait gravement atteinte au processus décisionnel de l’institution concernée (arrêt du 13 juillet 2017, Saint-Gobain Glass Deutschland/Commission, C‑60/15 P, EU:C:2017:540, point 83).

45      En l’espèce, dans la décision attaquée, s’agissant de l’exception relative à la protection du processus décisionnel en cours, prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, le Conseil a indiqué que la proposition et les discussions étaient complexes, que les États membres avaient exprimé publiquement des positions préliminaires sur la proposition, que lesdites positions et les sensibilités des membres du Conseil étaient très différentes et que, de ce fait, les discussions en cours étaient délicates. De plus, dans le contexte juridique et politique actuel, le débat sur les mesures envisagées, visant à l’adoption d’un mécanisme liant le financement de l’Union au respect de l’état de droit, serait particulièrement sensible. Ainsi, si l’analyse effectuée par le service juridique du Conseil devait être intégralement divulguée, certains des arguments qui y sont développés pourraient donner lieu à une ingérence extérieure. La pression qui en résulterait pourrait compliquer les négociations permettant aux membres du Conseil d’accepter des solutions de compromis ou de poursuivre certaines options et affecterait ainsi la possibilité de parvenir à un accord final sur la proposition. En outre, une fois l’accord interne obtenu, la proposition envisagée devrait, par la suite, être encore négociée avec le Parlement et la Commission, raison pour laquelle la divulgation pourrait également limiter les options lors des procédures interinstitutionnelles.

46      Il est constant que, à la date de la décision attaquée, le processus décisionnel devant aboutir à l’adoption de la proposition de règlement concerné par l’avis était en cours.

47      Il ressort de la décision attaquée que le Conseil, pour justifier son refus d’accès à l’avis, s’est contenté d’indiquer que la divulgation de ce document « pourrait » faire obstacle à ce que les membres du Conseil acceptent soit des solutions de compromis, soit de poursuivre certaines options, limitant ainsi la possibilité d’aboutir à un accord final, ou qu’elle « pourrait », par la suite, limiter les options lors des négociations interinstitutionnelles.

48      Force est de constater que la décision attaquée ne comporte toutefois aucun élément tangible permettant de conclure que ce risque d’atteinte au processus décisionnel était, à la date de son adoption, raisonnablement prévisible et non purement hypothétique. Notamment, la décision attaquée ne fait aucun état de l’existence, à la date de son adoption, d’atteintes ou de tentatives d’atteinte au processus décisionnel en cours, ni de raisons objectives permettant de raisonnablement prévoir que de telles atteintes surviendraient en cas de divulgation de l’avis (voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 2015, Miettinen/Conseil, T‑395/13, non publié, EU:T:2015:648, point 63).

49      Contrairement à ce que soutient le Conseil dans le mémoire en défense, les indications figurant dans la décision attaquée ne sont pas suffisantes pour établir un risque d’atteinte grave au processus décisionnel qui ne soit pas seulement hypothétique.

50      Partant, il y a lieu de constater que, dans la décision attaquée, le Conseil s’est contenté d’affirmations générales qui ne caractérisent pas un risque suffisamment grave et raisonnablement prévisible permettant de justifier l’application de l’exception prévue par l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001.

51      À cet égard, il convient également de relever que les écritures du Conseil ne permettent pas d’établir le caractère raisonnablement prévisible du risque d’atteinte grave au processus décisionnel mentionné dans la décision attaquée.

52      Premièrement, s’agissant du risque de polariser davantage les discussions, il y a lieu de rappeler que l’avis examine, notamment, le bien-fondé de la base juridique proposée pour la proposition de règlement.

53      Or, il suffit de relever, à l’instar du requérant, que la question de la base juridique est une question essentielle dans le processus législatif. Il en va de même en ce qui concerne les régimes de conditionnalité et de la majorité qualifiée inversée. Par ailleurs, ces derniers, ainsi que les questions relatives à leur légalité ou à leur base juridique, ne sont pas des sujets nouveaux dans le droit de l’Union. En effet, les recours au régime de conditionnalité et au système de votes à la majorité qualifiée inversée sont des pratiques bien établies. De tels recours, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence, ne sont pas en soi contraires au droit de l’Union.

54      Deuxièmement, s’agissant du risque de compromission des capacités de négociations et des possibilités d’aboutir à un accord avec le Parlement, le Royaume de Suède fait valoir, à juste titre, qu’une proposition est faite pour être débattue, notamment en ce qui concerne le choix de la base juridique. En outre, comme le relève le requérant, compte tenu de l’importance du choix de la base juridique d’un acte législatif, la transparence sur ce choix n’affaiblit pas le processus décisionnel, mais le renforce.

55      À cet égard, comme l’a relevé la Cour, c’est précisément la transparence en matière d’avis juridique qui, en permettant que les divergences entre plusieurs points de vue soient ouvertement débattues, contribue à conférer aux institutions une plus grande légitimité aux yeux des citoyens de l’Union et à augmenter la confiance de ceux-ci. De fait, c’est plutôt l’absence d’information et de débat qui est susceptible de faire naître des doutes dans l’esprit des citoyens, non seulement quant à la légalité d’un acte isolé, mais aussi quant à la légitimité du processus décisionnel dans son intégralité (arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 59, et du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission, C‑506/08 P, EU:C:2011:496, point 113).

56      Troisièmement, en ce qui concerne la complexité des discussions au sein du Conseil, les divergences de vues entre les États membres, le caractère controversé des questions juridiques traitées dans l’avis et le caractère sensible du débat relatif à la proposition de la Commission, il y a lieu de remarquer que l’existence d’un désaccord entre les membres du Conseil constitue la règle plus que l’exception et ne permet pas de justifier, en tant que telle, l’application de l’exception prévue par l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, point 102).

57      De plus, en ce qui concerne plus spécifiquement la prétendue sensibilité de la problématique en cause, dans la mesure où le mécanisme prévu dans la proposition législative lie le financement de l’Union au respect de l’état de droit, il convient de remarquer qu’un sujet prétendument sensible ne saurait être confondu avec un document sensible. Comme il a déjà été constaté au point 53 ci-dessus, l’avis en cause traite des questions qui sont régulièrement soulevées lors d’une procédure législative, telles que la base juridique, la conditionnalité ou le système de vote, questions qui, par ailleurs, ne sont pas particulièrement sensibles. En outre, il convient également de remarquer que les États membres, en tant que membres du Conseil, ont accès audit avis, de sorte que la divulgation n’affecte pas leur position en tant que telle.

58      Par ailleurs, l’argument du Conseil (voir point 40 ci-dessus) selon lequel il y a lieu d’effectuer une distinction entre, d’une part, les décideurs politiques et, d’autre part, les services techniques, tels qu’un service juridique, ne saurait prospérer. Si un tel argument était accepté, le droit d’accès aux documents serait érodé, pour ainsi dire. À cet égard, il est de pratique courante pour les décideurs politiques d’obtenir des avis de leurs services spécialisés et de les utiliser ensuite comme une sorte de guide ou de point d’orientation dans leur prise de décisions.

59      De plus, il ressort clairement de la jurisprudence que l’exercice par les citoyens de leurs droits démocratiques présuppose la possibilité de suivre en détail le processus décisionnel au sein des institutions participant aux procédures législatives et d’avoir accès à l’ensemble des informations pertinentes, y compris, le cas échéant, les avis juridiques (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2011, Access Info Europe/Conseil, T‑233/09, EU:T:2011:105, point 69).

60      Il résulte de tout ce qui précède qu’aucun des motifs de la décision attaquée, pris isolément ou dans leur ensemble, ne démontre que l’accès intégral au document demandé était susceptible de porter concrètement et effectivement atteinte, de façon raisonnable et non purement hypothétique, au processus décisionnel en cause, au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001.

61      Partant, il y a lieu d’accueillir le premier moyen, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, sans qu’il y ait lieu d’examiner la question de l’existence d’un intérêt supérieur justifiant la divulgation de l’avis.

62      Toutefois, étant donné que le Conseil, dans la décision attaquée, a également justifié le refus d’accès à l’intégralité de l’avis par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001, il convient d’examiner également le deuxième moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de droit et d’une application erronée de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001

63      Dans le cadre du deuxième moyen, qui se divise en trois branches, le requérant fait valoir que le Conseil a commis une erreur de droit et a appliqué de manière erronée l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001, en ce que cette institution :

–        n’a pas pu démontrer que l’avis comportait un avis juridique ;

–        a interprété et appliqué de manière erronée l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001 et la jurisprudence de l’Union en omettant de prendre en compte les dispositions du droit primaire de l’Union ainsi que le principe selon lequel les documents législatifs de l’Union étaient soumis au principe de l’accès le plus large possible, tout en s’appuyant sur des notions vagues et subjectives non prévues par la réglementation de l’Union pour justifier une non-divulgation ;

–        n’a pas évalué correctement l’intérêt public de la divulgation.

64      Dans le cadre de la première branche du deuxième moyen, le requérant fait observer qu’il résulte de la description donnée par le Conseil du contenu des parties non divulguées de l’avis ainsi que de ce qui a été rapporté dans les médias que l’analyse juridique exposée dans l’avis consiste en une appréciation générale de la conformité avec les traités de la proposition législative et ne fournit pas un avis en tant que tel. De plus, le fait que la partie non divulguée soit explicitement intitulée « analyse juridique », et non « avis juridique », serait également une indication qu’il ne s’agit pas d’un véritable avis.

65      Dans le cadre de la deuxième branche du deuxième moyen, le requérant note que, même si l’avis comporte un avis juridique au sens de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001, il découle de ce règlement qu’un avis juridique rendu dans le cadre d’un processus législatif doit, en principe, être divulgué, sauf s’il présente un caractère particulièrement sensible ou une portée particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif en cause, contenant des conseils spécifiques sur la manière d’agir. De plus, dans un tel cas, l’institution concernée devrait motiver le refus de façon circonstanciée et suffisante, ce que le Conseil aurait manqué de faire.

66      S’agissant du caractère particulièrement sensible, le requérant fait remarquer que, dans l’hypothèse où la protection de l’état de droit et celle du cadre financier pluriannuel au sein de l’Union pourraient être considérées comme des domaines sensibles, cela ne suffirait pas à établir que l’avis, par son contenu, présente un caractère particulièrement sensible. Le caractère particulièrement sensible découlerait, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence, de la substance du document concerné, et non du domaine politique dont il relève. En outre, le fait que l’avis soulève des questions concernant la légalité et la base juridique du régime proposé n’impliquerait pas davantage que l’appréciation juridique revête un caractère particulièrement sensible. À cet égard, le requérant rappelle que les discussions sur le droit et les limites juridiques sont un élément commun à toutes les appréciations juridiques, de sorte qu’accepter la thèse du Conseil priverait de son objet l’exigence relative au caractère particulièrement sensible.

67      S’agissant de la portée particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif en cause, le requérant fait valoir que l’affirmation du Conseil selon laquelle l’avis couvrirait des sujets potentiellement pertinents aux fins d’autres procédures législatives, comme la faisabilité juridique du recours à la majorité qualifiée pour l’adoption d’actes d’exécution du Conseil et le cadre juridique applicable à la conditionnalité budgétaire, ne saurait être valablement invoquée pour justifier le refus d’accès et serait contraire à la jurisprudence selon laquelle les avis juridiques relatifs à des aspects législatifs doivent faire l’objet d’une plus grande transparence que ceux portant sur les aspects administratifs. En effet, si le contenu de l’avis était d’une portée tellement générale et large qu’il présenterait un intérêt aux fins de nombreuses autres procédures législatives, il conviendrait d’en conclure que la divulgation de ce document serait d’autant plus nécessaire. Selon le requérant, l’idée qu’une appréciation juridique qui concerne plus d’un acte législatif devrait faire l’objet d’une transparence moindre que si elle portait sur un seul acte législatif spécifique est dénuée de sens et n’est pas conforme à la jurisprudence issue de l’arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil (C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374). Le critère énoncé par la Cour dans cet arrêt n’aurait de sens que s’il était compris comme se rapportant à des situations dans lesquelles la portée de l’avis juridique est tellement large qu’elle intègre également des questions qui ne sont pas de nature législative. Le Conseil n’aurait pas démontré que le document demandé revêtait une portée particulièrement large en ce sens.

68      S’agissant de l’affirmation du Conseil selon laquelle les questions juridiques couvertes par le document demandé sont particulièrement litigieuses et suscitent un risque contentieux élevé, le requérant fait observer que le Conseil ne précise pas en quoi un risque contentieux s’inscrirait dans l’exception relative à la protection des avis juridiques. En outre, le risque contentieux ne saurait constituer un argument de nature à conférer un caractère sensible au document demandé. De plus, selon le requérant, même si un risque contentieux pouvait en lui-même constituer un intérêt protégé au titre de l’exception relative à la protection de l’avis juridique, ce risque devrait être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique pour pouvoir être invoqué. Toutefois, le Conseil n’aurait pas produit le moindre élément de preuve permettant de conclure à l’existence d’un tel risque et une référence par le Conseil au « débat en cours » et à son « expérience passée dans des dossiers similaires », sans aucune précision sur ce qu’il entend par ces indications, ne suffirait pas pour étayer l’existence de ce risque.

69      Le Conseil n’aurait pas non plus expliqué en quoi la divulgation de l’avis pourrait porter atteinte à sa capacité à défendre sa position dans le cadre d’une éventuelle procédure juridictionnelle. À cet égard, le requérant avance, en premier lieu, que l’avis a fait l’objet de fuites dans la presse, en deuxième lieu, que l’avis concerne le projet de proposition de la Commission et ne tient pas compte des multiples modifications qui ont depuis été apportées à la proposition et, en troisième lieu, que si un contentieux se nouait, le Conseil ne serait pas la seule partie défenderesse, car la proposition de la Commission doit être adoptée à la fois par le Parlement et par le Conseil.

70      Enfin, quant à l’argument du Conseil selon lequel la divulgation pourrait conduire à ce que les membres de son service juridique fassent personnellement l’objet de pressions extérieures, le requérant estime que cet argument n’est aucunement étayé et qu’il est difficile de comprendre comment des membres du service juridique du Conseil pourraient être personnellement identifiés en cas de divulgation d’un avis adopté par ce service qui ne mentionne pas les noms de ses auteurs.

71      Dans le cadre de la troisième branche du deuxième moyen, le requérant ne conteste pas que l’intérêt général à permettre au public de contrôler l’activité législative ne prime pas automatiquement d’autres intérêts, comme l’intérêt à recevoir des avis francs, objectifs et complets, l’intérêt à protéger la validité de la législation ou les droits de la défense des institutions dans le cadre de procédures juridictionnelles. Toutefois, il incomberait au Conseil de procéder à la mise en balance des intérêts servis par la divulgation avec ceux s’opposant à celle-ci, ce qui, au vu de la décision attaquée, n’aurait pas été fait. En effet, le Conseil se serait borné à relever des considérations générales relatives à la nécessité de garantir la transparence et la participation du public au processus législatif plutôt qu’à examiner l’intérêt particulier du public concernant le document demandé.

72      Le Conseil conteste les arguments du requérant et rappelle que son appréciation du risque, dans la décision attaquée, est fondée sur le contenu et le contexte spécifique de l’avis.

73      À cet égard, mis à part le caractère sensible de l’avis, déjà invoqué dans le cadre du premier moyen, le Conseil estime, en premier lieu, que l’avis juridique tel qu’il figure dans l’avis a trait à des questions d’une large portée et, en second lieu, que les questions juridiques couvertes par l’avis sont particulièrement litigieuses.

74      Quant à la large portée des questions traitées dans l’avis, celle-ci découle, selon le Conseil, notamment de l’analyse de la faisabilité juridique du recours à la majorité qualifiée inversée pour l’adoption des actes d’exécution du Conseil prévue dans la proposition de la Commission. Il s’agirait d’une question nouvelle, revêtant une dimension horizontale allant au-delà du dossier législatif en cause et présentant un intérêt pour différents dossiers pour lesquels le recours à cette même modalité de décision est envisagé. Le même raisonnement serait applicable en ce qui concerne le cadre juridique applicable à la conditionnalité budgétaire et à sa compatibilité avec d’autres instruments de contrôle et de sanctions des traités et pertinent pour un certain nombre de dossiers législatifs en cours dans le cadre des négociations sur le cadre financier pluriannuel.

75      Quant au risque contentieux, le Conseil craint, étant donné que les questions traitées dans l’avis présentent, selon lui, un caractère litigieux, que la divulgation entrave la capacité de son service juridique à défendre la légalité de l’acte législatif devant une juridiction. En outre, le risque contentieux sur ce dossier ne serait pas purement hypothétique, mais extrêmement probable une fois la proposition législative adoptée, d’autant plus que la mesure proposée prévoit d’établir un lien entre les régimes de financement de l’Union et le respect de l’état de droit.

76      Quant à la prétendue évaluation incorrecte de l’intérêt public à la divulgation du document demandé, le Conseil estime qu’il a soigneusement mis en balance l’intérêt à protéger ses avis juridiques avec l’intérêt public à ce que l’avis soit rendu accessible, mais, au regard de son contenu et des circonstances du dossier législatif en cause, il a estimé que la nécessité de protéger les avis juridiques figurant dans l’avis faisait pencher la balance en faveur de la non-divulgation. Dans la duplique, le Conseil fait remarquer que le requérant n’a fourni aucun élément à l’appui de l’existence d’un intérêt supérieur qui justifierait tout de même la divulgation et rappelle à cet égard qu’il incombe au requérant de le faire.

77      Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection des avis juridiques, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation dudit document.

78      Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, s’agissant de l’exception afférente aux avis juridiques prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, l’examen à effectuer par l’institution concernée lorsque la divulgation d’un document lui est demandée doit nécessairement se dérouler en trois temps correspondant aux trois critères figurant à cette disposition (voir, en ce sens, arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 37, et du 3 juillet 2014, Conseil/in ’t Veld, C‑350/12 P, EU:C:2014:2039, point 95).

79      Ainsi, dans un premier temps, l’institution concernée doit s’assurer que le document dont la divulgation est demandée concerne bien un avis juridique. Dans un deuxième temps, elle doit examiner si la divulgation des parties du document en question identifiées comme concernant des avis juridiques porterait atteinte à la protection dont doivent bénéficier ces derniers, dans le sens où elle porterait préjudice à l’intérêt d’une institution à demander des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et complets. Le risque d’atteinte à cet intérêt doit, pour pouvoir être invoqué, être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique. Dans un troisième et dernier temps, si l’institution concernée considère que la divulgation d’un document porterait atteinte à la protection due aux avis juridiques telle qu’elle vient d’être définie, il lui incombe de vérifier s’il n’existe pas un intérêt public supérieur justifiant cette divulgation, nonobstant l’atteinte qui en résulterait à son aptitude à demander des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et complets (voir, en ce sens, arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, points 38 à 44, et du 3 juillet 2014, Conseil/in ’t Veld, C‑350/12 P, EU:C:2014:2039, point 96).

80      La Cour a également jugé que, dans la mesure où la divulgation des avis du service juridique d’une institution émis dans le cadre de procédures législatives serait susceptible de porter atteinte à l’intérêt à la protection de l’indépendance du service juridique de cette institution, ce risque devrait être pondéré par les intérêts publics supérieurs qui sous-tendent le règlement no 1049/2001. Constitue un tel intérêt public supérieur le fait que la divulgation des documents contenant l’avis du service juridique d’une institution sur des questions juridiques surgissant lors du débat sur des initiatives législatives est de nature à augmenter la transparence et l’ouverture du processus législatif et à renforcer le droit démocratique des citoyens de l’Union de contrôler les informations qui ont constitué le fondement d’un acte législatif, tel que visé, en particulier, aux considérants 2 et 6 dudit règlement. Ainsi, il ressort des considérations susmentionnées que le règlement no 1049/2001 impose, en principe, une obligation de divulguer les avis du service juridique du Conseil relatifs à un processus législatif (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, points 67 et 68).

81      Ce constat ne fait néanmoins pas obstacle à ce que la divulgation d’un avis juridique spécifique, rendu dans le contexte d’un processus législatif, mais ayant un caractère particulièrement sensible ou une portée particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif en cause, puisse être refusée au titre de la protection des avis juridiques. Dans un tel cas, il incomberait à l’institution concernée de motiver le refus de façon circonstanciée (arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 69).

82      En l’espèce, il résulte de l’avis tel qu’il a été produit par le Conseil qu’il s’agit effectivement d’un avis du service juridique de ce dernier, qui a été rendu dans le cadre d’un processus législatif.

83      À cet égard, l’argument du requérant selon lequel l’avis comporte une analyse juridique, comme l’indique le titre, et non un avis en tant que tel ne saurait prospérer. À l’instar du Conseil, ainsi que le requérant l’a d’ailleurs admis dans la réplique et lors de l’audience, la notion d’avis juridique renvoie au contenu du document et à la nature de l’information concernée, et non à sa dénomination (voir, en ce sens, arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 39, et du 15 septembre 2016, Herberth Smith Freehills/Commission, T‑755/14, non publié, EU:T:2016:482, point 47).

84      S’agissant de l’exception relative à la protection des avis juridiques prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, le Conseil a indiqué, dans la décision attaquée, que l’avis « port[ait] sur des questions (telles que, par exemple, l’analyse de la base juridique de la proposition ou le recours au système de vote proposé pour les actes d’exécution du Conseil) qui [avaient] un caractère systématique [...] au-delà du contexte du processus législatif en question », que « plusieurs questions évoquées dans l’avis [étaient] très controversées et cruciales pour les négociations sur le projet d’acte législatif » et qu’« une divulgation complète entraverait davantage la possibilité de parvenir à un accord sur le dossier », raison pour laquelle l’avis juridique était « sensible » dans le cadre des discussions en cours. Le Conseil a ajouté que « les instruments proposés, s’ils [étaient] adoptés, aur[aie]nt un impact direct sur l’allocation des fonds » et qu’un « risque élevé de litige [pouvait] être attendu dans ce domaine », de sorte « qu’une divulgation affecterait ainsi négativement la capacité du service juridique à défendre efficacement les décisions prises par le Conseil devant les juridictions de l’Union sur un pied d’égalité avec les représentants légaux des autres parties aux procédures judiciaires ».

85      S’agissant de la question de savoir si l’avis présente un caractère particulièrement sensible, il y a lieu de relever, à l’instar du requérant, que c’est le contenu de l’avis lui-même qui doit avoir un caractère particulièrement sensible. Partant, la question de savoir si le processus législatif peut en soi être considéré comme sensible, comme le fait valoir le Conseil, est dépourvue de pertinence. Or, le fait que les questions juridiques soulevées dans le cadre d’un tel processus puissent être controversées et fassent l’objet de désaccords ou que le service juridique ait traité ces questions n’y change rien.

86      S’agissant de la portée particulièrement large de l’avis, le Conseil s’est contenté d’indiquer dans la décision attaquée qu’il couvrait des questions comme la base juridique et le recours au système de vote proposé pour les actes d’exécution du Conseil ayant un caractère systématique au-delà du contexte du processus législatif en question.

87      Il y a lieu de considérer que de telles affirmations ne sauraient conférer une portée particulièrement large à l’avis. En premier lieu, le fait que l’avis examine le caractère approprié de la base juridique de la proposition de règlement ne saurait être considéré comme lui conférant une portée allant au-delà du processus législatif en cause. En second lieu, en ce qui concerne le mécanisme de vote, il ressort de l’avis qu’il concerne uniquement la proposition en cause. La référence faite dans l’avis, à titre illustratif, à d’autres règlements dotés de mécanismes similaires ne signifie pas qu’il s’agisse d’un document d’une portée large au-delà du contexte législatif en cause.

88      Il en résulte que le Conseil n’a pas démontré que l’avis avait une portée large.

89      S’agissant de l’existence d’un risque d’atteinte à la capacité du Conseil de défendre sa position lors de procédures juridictionnelles, il convient de relever que, ainsi que la Cour l’a indiqué, un argument d’ordre aussi général ne peut justifier une exception à la transparence prévue par le règlement no 1049/2001 (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 65).

90      En outre, il ressort de la décision attaquée que le Conseil s’est contenté d’indiquer que la divulgation de l’avis présentait un risque d’atteinte à sa capacité de défendre sa position, lors de procédures juridictionnelles, parce que la mesure proposée, si elle était adoptée, aurait un impact direct sur l’allocation de fonds, de sorte qu’il fallait pouvoir s’attendre à un risque de litige élevé dans ce domaine et que les questions évoquées dans l’avis seraient en cause dans ces éventuels litiges. En effet, le Conseil s’est limité à mentionner de manière générale d’hypothétiques recours juridictionnels et a manqué d’expliquer en quoi la divulgation de l’avis pourrait nuire à sa capacité de se défendre. De même, il convient de rejeter les références faites par le Conseil dans ses écritures, sans autres précisions, au « débat en cours » et à son « expérience passée dans des dossiers similaires ». Ces derniers éléments, qui par ailleurs ne font pas partie de la motivation de la décision attaquée, ne sont pas pertinents et ne sont pas plus à même de démontrer en quoi la divulgation de l’avis présenterait concrètement un risque d’atteinte à la capacité de défense.

91      Au demeurant, il est certes exact que l’avis a fait l’objet de fuites dans la presse, de sorte que son contenu est connu. Toutefois, cette circonstance ne pourrait pas, en soi, avoir une incidence sur la possibilité pour le Conseil d’invoquer l’exception relative à la protection des avis juridiques. À cet égard, il est à noter que la production d’un tel document pourrait être refusée dans le cadre d’un éventuel litige devant le juge de l’Union, si elle n’a pas été autorisée par l’institution concernée ou ordonnée par la juridiction (voir arrêt du 31 janvier 2020, Slovénie/Croatie, C‑457/18, EU:C:2020:65, point 66 et jurisprudence citée). Cela étant, il n’en demeure pas moins que le contenu de l’avis est connu et que le Conseil n’a pas expliqué comment la divulgation de l’avis dans son intégralité pourrait compromettre sa position de défense en justice ainsi que sa liberté d’adapter sa ligne de défense lors de procédures judiciaires, au motif que sa position aurait déjà été révélée sur certaines questions.

92      Enfin, quant à l’argument du Conseil selon lequel la divulgation pourrait conduire à ce que les membres de son service juridique fassent personnellement l’objet de pressions extérieures, il convient de rappeler que, si le risque de pressions extérieures peut constituer un motif légitime pour restreindre l’accès aux documents liés au processus décisionnel, il faut cependant que la réalité de telles pressions extérieures soit acquise avec certitude et que la preuve soit apportée que le risque d’affecter substantiellement la décision à prendre est raisonnablement prévisible en raison desdites pressions extérieures (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2008, Muñiz/Commission, T‑144/05, non publié, EU:T:2008:596, point 86). Or, il convient de relever que, en l’espèce, l’argument du Conseil n’est pas étayé et qu’aucun élément tangible du dossier ne permet d’établir la réalité de telles pressions extérieures.

93      Il résulte de ce qui précède que le Conseil n’a pas établi de façon circonstanciée que l’avis avait un caractère particulièrement sensible ou une portée particulièrement large et n’a donc pas justifié son refus de le divulguer.

94      Partant, il y a lieu d’accueillir le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, sans qu’il y ait lieu d’examiner la question de l’existence d’un intérêt supérieur justifiant la divulgation de l’avis.

95      Il résulte de tout de ce qui précède que, aucune des justifications invoquées par le Conseil à l’appui de son refus d’accès à l’intégralité du document demandé n’étant fondée, il y a lieu d’annuler la décision attaquée. En conséquence, la décision attaquée doit être annulée, sans qu’il y ait lieu d’examiner le troisième moyen invoqué à titre subsidiaire et de statuer sur le chef de conclusions subsidiaire du requérant.

 Sur les dépens

96      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens, ainsi que ceux du requérant, conformément aux conclusions de ce dernier.

97      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Le Royaume de Suède supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du Conseil de l’Union européenne du 12 février 2019 refusant l’accès intégral au document ST 13593 2018 INIT, contenant l’avis du service juridique du Conseil concernant la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’état de droit dans un État membre [COM(2018) 324 final], est annulée.

2)      Le Conseil supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par M. Laurent Pech.

3)      Le Royaume de Suède supportera ses propres dépens.

Tomljenović

Schalin

Nõmm

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 avril 2021.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.